N° 3587 - Proposition de loi de M. Jean-Pierre Gorges visant à réserver le statut de la fonction publique aux agents exerçant une fonction régalienne



N° 3587

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 mars 2016.

PROPOSITION DE LOI

visant à réserver le statut de la fonction publique
aux agents exerçant une
fonction régalienne,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Messieurs

Jean-Pierre GORGES, Jacques KOSSOWSKI, Jean-Pierre DOOR, Franck MARLIN, Jean-Pierre DECOOL, Claude GOASGUEN, Pierre LELLOUCHE, Philippe BRIAND, Michel HEINRICH, Bernard ACCOYER, Philippe HOUILLON, Marcel BONNOT, Patrice VERCHÈRE et Jean-Claude BOUCHET,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En France, la fonction publique emploie 5,4 millions d’agents, en comptant les non-titulaires, soit plus de 20 % de l’emploi total - salariés et non-salariés. La fonction publique de l’État (2,4 millions d’agents) est de loin la plus nombreuse devant la fonction publique territoriale (1,9 million) et la fonction publique hospitalière (1,1 million).

Ces 5,4 millions de fonctionnaires partagent un certain nombre d’avantages : l’emploi à vie, une évolution automatique des carrières ou encore l’inamovibilité du statut.

Jugé inadapté au contexte économique moderne, l’emploi à vie est au centre de toute réforme qui voudrait dynamiser la sphère publique dans notre pays. Selon un sondage OpinionWay pour « Le Figaro », 70 % des Français partagent les propos récents d’Emmanuel Macron et 62 % seraient favorables à la suppression de l’emploi à vie dans la fonction publique.

Concernant l’inégalité de traitement avec les salariés du privé, la Cour des comptes a rendu, le 9 septembre 2015, un rapport sur la masse salariale des fonctionnaires dont trois chiffres retiennent 1’attention :

– La masse salariale des près de six millions de fonctionnaires (278 milliards d’euros en 2014, soit 22,7 % des dépenses publiques et 13 % du PIB) a augmenté en moyenne de 4,5 % par an depuis 1990 ;

– Le revenu salarial annuel moyen est supérieur de 13 % dans le secteur public par rapport au secteur privé et aux entreprises publiques en 2012. Dans la fonction publique d’État, le salaire est de 2 465 euros net mensuel en 2012, contre 1 848 dans les collectivités locales et 2 242 euros dans les hôpitaux publics. Dans le secteur privé, il s’élève à 2 163 euros nets ;

– Les fonctionnaires travaillent en moyenne 1 594 heures par an, une durée inférieure au régime de droit commun (35 heures hebdomadaires), 1 607 heures annuelles. Dans le secteur privé, le nombre moyen annuel d’heures travaillées est de 1 684 heures. Cela s’explique en partie par le nombre de jours de congés et de réduction du temps de travail (RTT) dont bénéficient les fonctionnaires : 38 en moyenne par an, contre 31 dans le secteur privé.

Ces observations sont intéressantes, même si elles ne font que confirmer ce qui a déjà été maintes fois démontré sur les inégalités public-privé.

Mais elles resteront lettre morte tant que des décisions ne seront pas prises pour mettre fin à cette différence de traitement. La première d’entre elles est la suppression de 1’emploi à vie et, partant, du statut de la fonction publique.

Rédigé par le secrétaire général du parti communiste, alors vice-président du gouvernement provisoire, Maurice Thorez, le statut général de la fonction publique, qui vise à garantir la sécurité de l’emploi pour les fonctionnaires, obéit à l’origine aux besoins immédiats de l’après-guerre, à savoir assurer l’indépendance de l’administration vis-à-vis du pouvoir politique.

En octobre 1946, au moment de la promulgation de la loi « relative au statut général des fonctionnaires », la France comptait seulement 900 000 agents de la fonction publique. En presque soixante ans, le nombre de fonctionnaires a été multiplié par six, mais l’exception est restée.

La refondation des statuts est intervenue à partir de 1983. Ont été successivement votées les lois du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, de 1984 sur la fonction publique de l’État et la fonction publique territoriale, enfin de 1986 sur la fonction publique hospitalière. L’objectif a été de renforcer les droits et garanties accordés aux fonctionnaires, d’officialiser le pouvoir de négociation des syndicats, de revenir sur l’exclusion des agents des collectivités territoriales, enfin de conforter le système de carrière par la résorption de l’auxiliariat.

Résultat : aujourd’hui, près de 20 % des agents ne sont pas titulaires. En clair, ils sont vacataires ou sous contrat à durée déterminée (CDD) et contrat à durée indéterminée (CDI) de droit public et ne bénéficient pas de l’emploi à vie. Dans le cas des CDD, ils sont moins protégés que dans le privé et leurs contrats renouvelés peuvent courir sur six ans, contre dix-huit mois maximum dans le privé.

Sur 5,4 millions de fonctionnaires, on se retrouve avec plus de 900 000 non titulaires, qui servent de variables d’ajustement au système. Ce sont les vacataires et les intérimaires qui servent de soupape au reste de la fonction publique.

Ironie de l’histoire, en septembre 2015, le « Canard Enchaîné » révélait que 50 000 prestataires - experts, interprètes etc. - travaillaient, notamment pour le ministère de la justice, sans bulletins de salaire, ni aucune protection sociale !

Conclusion : l’emploi à vie ne devrait être garanti qu’aux agents publics exerçant une fonction régalienne (police, justice, diplomatie, etc...) soit environ 700 000 agents, comme c’est déjà le cas au Portugal depuis 2008.

La question centrale est de savoir ce qui dépend réellement de l’État. Il faut se placer dans une logique non partisane d’économies budgétaires et soumettre les agents publics qui n’assurent pas les fonctions régaliennes de l’État aux mêmes devoirs et droits que les salariés du privé.

Si le modèle français s’est étendu à d’autres nations comme la Belgique, l’Espagne, la Hollande ou l’Italie, depuis, certains de ces pays ont décidé de changer de modèle au tournant des années 2000 pour privilégier une fonction publique d’emploi (contractuelle).

En 2002, la Suisse a réformé la législation régissant le personnel de la Confédération. Elle a permis de remplacer les contrats publics des fonctionnaires par un modèle proche du droit privé. Honnie par les syndicats, cette réforme a finalement été approuvée par voie référendaire. Cette abrogation a permis d’adapter la haute fonction publique d’État à l’évolution du marché du travail.

D’autres pays européens ont choisi de réformer leur fonction publique. Entre 1996 et 2001, l’Italie a, par exemple, supprimé le statut de la fonction publique, avec l’introduction d’un contrat de droit privé concernant une majorité de hauts fonctionnaires et d’agents. Le statut de droit public a été réservé aux fonctions régaliennes de l’État : justice, diplomatie, armée, police, finances. En 2014, Rome a choisi de passer la surmultipliée et de dégager 500 millions d’euros en diminuant les salaires des hauts fonctionnaires placés à la tête d’une entreprise publique. Objectif : aligner la rémunération maximale des patrons du secteur public sur celle du chef de 1’État (239 181 euros annuels). « Il n’est pas possible que le patron d’une entreprise publique gagne 1 000 fois ce que gagne un ouvrier », a prévenu Matteo Renzi, le nouveau président du Conseil italien.

L’Espagne et le Portugal ont également choisi de mettre leurs hauts fonctionnaires au régime. Sous le Gouvernement Rajoy, 350 000 postes ont été supprimés entre 2011 et 2013, ce qui a permis au pays de Cervantès d’améliorer ses comptes publics. Même logique au Portugal, où 53 000 postes ont été supprimés entre 2011 et 2013.

Même la Suède, longtemps vantée par les sociaux-démocrates pour son modèle social protectionniste, a fini par revoir le statut de ses agents publics. Selon l’OCDE, les fonctionnaires suédois sont aujourd’hui employés avec des contrats équivalents à ceux du privé et peuvent être licenciés comme un salarié lambda.

De l’autre côté de la Manche, la fonction publique statutaire est beaucoup plus faible qu’en France. Le Royaume-Uni n’a pas une filière de formation dédiée à ses hauts fonctionnaires. Les cadres du privé et du public sont tous formés dans les mêmes écoles. Par ailleurs, les cadres dirigeants de l’État sont évalués périodiquement et le montant de leur rémunération est fixé au « mérite ». Outre les résultats individuels, cette évaluation peut intégrer la flexibilité, l’aptitude à travailler en équipe et la capacité à atteindre les objectifs. Contrairement à la France et à 1’Allemagne où la nomination des hauts dirigeants est politique, c’est au mérite que les candidats britanniques sont sélectionnés, souvent après avoir été débauchés du privé. Bien rémunérés, leurs postes sont assortis de lourdes responsabilités budgétaires et les allers-retours entre privé et public sont fréquents.

Aussi, la présente proposition de loi vise à réformer le statut de la fonction publique en le limitant aux seules missions régaliennes, revenant ainsi aux sources de ce statut spécifique.

Dans son article 1er, elle modifie et complète les articles 2 et 3 de la loi du 13 juillet 1983 (dite « loi Le Pors », portant droits et obligations des fonctionnaires) en restreignant le champ d’application du statut de la fonction publique aux seuls emplois de souveraineté nationale et de puissance publique.

Dans son article 2, elle précise que cette modification ne s’applique qu’aux nouveaux entrants au sein de la fonction publique et non aux agents actuellement en poste afin de ne pas porter atteinte à leur choix initial.

Cependant, il ne faudrait pas fermer la porte à ceux d’entre eux qui souhaiteraient bénéficier du nouveau régime généré par le contrat de travail de droit commun. Aussi, dans son article 3, la présente proposition crée un droit d’option.

Tel est, Mesdames, Messieurs, l’objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

La loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires est ainsi modifiée :

1° Après le mot : « judiciaire », la fin de l’article 2 est ainsi rédigée : « , qui ont vocation à occuper les emplois relevant de 1’exercice de la souveraineté ou comportant une participation directe ou indirecte à 1’exercice de prérogatives de puissance publique de 1’État ou des autres collectivités publiques.

« Les autres agents sont régis par les dispositions du code du travail. »

2° À l’article 3, les mots : « à caractère administratif » sont remplacés par les mots : « relevant de 1’exercice de la souveraineté ou comportant une participation directe ou indirecte à l’exercice de prérogatives de puissance publique, ».

Article 2

Les dispositions de 1’article 1er s’appliquent aux agents recrutés à compter de la publication du décret mentionné à l’article 3.

Les agents recrutés avant cette publication peuvent, à leur demande, être régis par les dispositions du code du travail, dans les conditions définies par le même décret.

Article 3

Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application de la présente loi.


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