N° 3831 - Proposition de résolution de M. Jacques Bompard tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'interdiction du glyphosate



N° 3831

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 juin 2016.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jacques BOMPARD,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le projet de mariage entre les firmes agrochimiques américaines Monsanto et l’allemand Bayer a révélé une nouvelle pierre d’achoppement entre les organisations environnementales (1). En effet, l’alliance d’un pôle d’influence puissant dans le domaine agricole et de la firme soulève la question du quasi-monopole du marché que couvrent les deux organisations. Une telle union ne laisse-t-elle pas encourir un risque d’influence sur certaines législations visant à faciliter l’écoulement des produits des différentes entreprises ? Et de fait : les pratiques industrielles et commerciales actuelles ne tiennent pas suffisamment compte de la préoccupation de l’innocuité pour la santé.

En outre, la volonté de rapprochement des multinationales agrochimiques telles que Bayer et Monsanto, chacune spécialisée dans les pesticides destinés à l’agriculture, ne doit pas occulter les controverses et les présomptions pesant sur les matériaux employés par ces firmes. Ainsi en est-il du composant actif dit « glyphosate », présent dans le pesticide Roundup de Monsanto. « Pesticide le plus répandu et utilisé dans l’histoire » selon Vito Buonsante de l’ONG Clientearth le glyphosate est utilisé couramment dans les domaines de l’agriculture et du jardinage. Le glyphosate n’a pas échappé à la vigilance du CIRC (Centre International Pour le Cancer), qui a classé cette molécule comme un composant « cancérogène probable » (2) en mars 2015. Il en va de même pour l’Organisation Mondiale de la Santé, qui a souligné la potentialité accrue (50 %) de risque de cancer des nœuds lymphatiques pour ses utilisateurs.

Certes, Monsanto n’en est pas à sa première controverse et devient même coutumier des contestations formulées à l’encontre de ses produits et substance nocives – tel l’agent Orange, utilisé pendant la guerre du Vietnam, le PCB ou l’insecticide DDT. Nier toute liaison entre les maladies décelées chez les utilisateurs de telles substances relèverait de l’hypocrisie. « Conclure que la malchance est la principale cause des cancers serait trompeur et peut gravement obérer les efforts entrepris pour identifier les causes de la maladie et la prévenir efficacement » (3), a indiqué le Docteur Christopher Wild, directeur du CIRC à cet égard.

La permanence dans le corps de ces substances dangereuses est appuyée par les tests réalisés sur les urinaires réalisés par des eurodéputés de treize nationalités différentes en mai 2016 (4). Et les résultats des tests sont éloquents : tous se sont révélés positifs au glyphosate, témoignage flagrant de l’incrustation de cette molécule dans l’alimentation quotidienne. De leur côté, la majorité des agriculteurs se plaignent de l’insuffisance des protections mises à leur disposition, qui ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques contre les pesticides lors de leur utilisation. En effet les matériels d’épandage des pesticides et les équipements de protection individuelle ne protègent pas toujours efficacement l’utilisateur.

L’encadrement législatif relatif au contrôle du glyphosate est par ailleurs pointé du doigt par de nombreuses organisations non gouvernementales, qui dénoncent la schizophrénie des décideurs européen et l’hypocrisie des acteurs de la politique agricole européenne à son égard. Si certains laboratoires d’idées chargés de travailler sur les économies rurales, tout comme certaines autorités européennes visant à contrôler l’alimentation, s’avèrent moins promptes à juger la molécule dangereuse, il est nécessaire de se demander si des enjeux d’intérêt n’entrent pas en conflit direct avec ces officines. Car les relations confuses qu’entretiennent parfois l’industrie et les organisations scientifiques laissent peser le doute. Et de fait : l’interdiction de ce composant bouleverserait la compétitivité du domaine agricole. Toujours est-il qu’en regard des divisions de la communauté scientifique, aucune base de négociation stable n’a pu pour l’instant être enclenchée. Le but recherché est donc d’interdire cette substance tout en permettant à la profession agricole de se pencher vers des mesures alternatives à son utilisation.

En effet, certains pesticides néonicotinoïdes (comme le cruiser de Bayer), entrés en vigueur en 1994, semblent être responsables de la disparition de 300 000 colonies d’abeilles chaque année et contribuent activement à la surmortalité des abeilles. Henri Clément, porte-parole et ancien président de l’Union nationale de l’apiculture française (l’Unaf), précise qu’il y a « plus de mille enquêtes scientifiques à charge de ces pesticides » (5). Depuis 2013, cet insecticide est apparu parmi les quinze substances les plus détectées dans les cours d’eau en France, alors qu’il se plaçait au-delà du 50ème  rang cinq ans auparavant. La mort de milliers d’abeilles risque de déstabiliser gravement l’ensemble du domaine agricole. Par ailleurs, « il est largement démontré que mettre fin à l’usage de ces substances n’a pas d’effet sur le rendement des récoltes de céréales et d’oléagineux », précisaient les parlementaires Gérard Bapt, Jean-Paul Chanteguet et Delphine Batho dans une lettre adressée au ministre de l’agriculture il y a peu.

En l’état de ces constatations et en considération de l’ampleur colossale du trafic et de la commercialisation des produits agricoles soumis à ces substances cancérogènes et écocides, nous demandons l’interdiction de l’importation de ces produits en France dans une logique d’éradication intégrale de ces substances nocives de notre pays. Nous enjoignons une application stricte du principe de précaution. C’est-à-dire le classement ipso facto d’un produit comme cancérogène dès la reconnaissance de ses effets chez l’animal sans attendre les résultats d’études épidémiologiques chez l’homme. En outre il est souhaitable de mettre en œuvre des études de suivi des pesticides, indépendantes et financées par les industriels au moyen d’un fonds non géré par eux. Et enfin tacher de garantir l’indépendance des études d’impact sur la santé, en créant un fonds abondé par les industriels pour les financer, les laboratoires étant choisis par des agences de notation.


PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, il est créé une commission d’enquête parlementaire de trente membres chargés d’établir un état de lieux de l’impact du glyphosate et des pesticides néonicotinoïdes sur l’environnement et sur la santé.

1 () Libération, 26 mai 2016, Bayer-Monsanto, alchimie monstrueuse.

2 () France Renaissance, 20 mai 2016, Monsanto, OGM et glyphosate : le conflit d’intérêt.

3 () Sciences et avenir, 14 janvier 2015. Cancers : l'Organisation mondiale de la santé exprime son "profond désaccord"

4 () Le Monde, 13 mai 2016, Du Roundup dans l’urine parlementaire.

5 () Le Monde, 18 mars 2016, Les députés votent une interdiction de pesticides tueurs d’abeilles.


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