N° 3874 - Proposition de loi constitutionnelle de M. Éric Ciotti visant à étendre le principe de laïcité aux entreprises privées et aux usagers du service public



N° 3874

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juin 2016.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à étendre le principe de laïcité aux entreprises privées
et aux
usagers du service public,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Éric CIOTTI, Philippe COCHET, Lucien DEGAUCHY, Jacques Alain BÉNISTI, Jacques LAMBLIN, Jean-Claude BOUCHET, Alain GEST, Jean-Pierre DOOR, Alain MOYNE-BRESSAND, Damien ABAD, Jean-Claude GUIBAL, Yves NICOLIN, Claudine SCHMID, Arlette GROSSKOST, Thierry MARIANI, Valérie BOYER, Dominique DORD, Bernard PERRUT, Marie-Louise FORT, Jacques PÉLISSARD,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’article 1er de notre Constitution prévoit que la République française est laïque et qu’elle respecte toutes les croyances. Le principe de laïcité est l’un des principes fondateurs de notre pays et garantit à tous les citoyens, quelles que soient leurs convictions religieuses, de vivre ensemble dans la liberté de conscience et la liberté de pratiquer une religion.

Or, certaines pratiques religieuses récentes posent de nouvelles questions, de nouveaux défis et exigent d’adapter le cadre légal applicable. Comme le rappelle l’Observatoire de la laïcité dans son rapport annuel 2015-2016, « la France n’a jamais eu autant besoin de la laïcité ». Notre pays doit réaffirmer avec force le principe de laïcité pour protéger la République contre le communautarisme qui gangrène la cohésion nationale.

En effet, 110 ans après l’adoption de la loi sur la séparation de l’Église et de l’État, certaines revendications ou expressions religieuses se font plus virulentes. Le cadre légal n’est plus adapté et ne parvient plus à contenir les communautarismes qui divisent la Nation.

Aussi, la présente proposition de loi prévoit d’appliquer l’exigence de neutralité religieuse aux usagers des services publics, d’une part, et aux salariés des entreprises privées, d’autre part.

L’objectif est de mettre fin à certaines revendications communautaristes alors même que le modèle français exige des individus de confiner à la sphère privée ce qui relève de leurs croyances religieuses. C’est la base même de notre pacte républicain.

Actuellement, tout agent d’une administration publique ou gestionnaire d’un service public a un devoir de stricte neutralité religieuse : il doit s’abstenir de donner l’apparence d’un comportement préférentiel ou discriminatoire, en particulier par la présence de signes de caractère religieux dans leur bureau ou le port de tels signes.

Cette exigence de neutralité ne s’applique pas aux usagers, qui peuvent manifester leurs convictions et appartenances religieuses notamment par le port de signes d’appartenance religieuse, sous réserve de ne pas troubler l’ordre public et le bon fonctionnement du service.

Ce cadre légal n’est plus adapté dans la mesure où nous assistons à une montée de revendications religieuses et communautaristes. La laïcité repose sur le principe fondamental qu’aucune religion ne puisse imposer ses prescriptions à la République. Force est de constater que cette exigence n’est aujourd’hui plus respectée.

En effet, certaines personnes vont imposer que le service public s’adapte à leurs propres exigences. Ainsi, les convictions religieuses compliquent parfois l’impératif de soins du service public hospitalier : au nom de la religion, certaines femmes vont refuser d’être examinées par un homme dans le cadre d’une consultation médicale, refuser qu’un personnel masculin entre dans leur chambre pour des questions de pudeur, etc.

Parallèlement, certaines prescriptions physiques ou vestimentaires, d’origine religieuse peuvent constituer autant d’agressions symboliques au sein même des services publics, en particulier une atteinte à la liberté des femmes et au principe d’égalité entre les hommes et les femmes. Ainsi en est-il des comportements consistant à refuser de serrer la main ou de saluer les personnes du sexe opposé ou de se trouver avec elle dans des certains lieux (comme les piscines).

Ces comportements ne peuvent être acceptés dans le cadre d’un service public, où la neutralité doit prévaloir. Au nom de l’égalité, tous les usagers du service public doivent être traités de la même façon et respecter les mêmes règles.

De la même façon, les entreprises sont confrontées à l’émergence du fait religieux et des revendications communautaristes.

Selon une enquête de 2015 de l’Observatoire du fait religieux en entreprise (Ofre) et du cabinet Randstad, le nombre de conflits sur la laïcité a doublé en un an dans la sphère professionnelle et 23 % des chefs d’entreprise ont à traiter régulièrement des cas liés à des questions religieuses au travail.

Comme le souligne Lionel Honoré, responsable de l’Ofre, alors que pendant longtemps, les salariés ont caché leurs pratiques religieuses, les entreprises assistent à une tendance inverse et la pratique religieuse s’est décomplexée. Ce phénomène fait craindre aux chefs d’entreprises que certains imposent des dogmes religieux à l’ensemble de l’entreprise. Il peut être évoqué, par exemple, le cas de salariés ayant refusé de travailler avec une femme ou les demandes de jours d’absences spécifiques. Beaucoup redoutent de ne plus pouvoir faire face à ces demandes et d’être désarmés pour gérer de telles situations. En effet, les dispositifs légaux aujourd’hui sont insuffisants et rendent vulnérables les entreprises qui souhaiteraient prendre des initiatives en faveur de la laïcité.

Il est de la responsabilité des pouvoirs publics d’apporter un cadre juridique précis pour s’assurer de la neutralité de comportement de l’ensemble des employés. L’entreprise doit demeurer un espace social protégé des exigences communautaristes. Non seulement celles-ci pourraient mettre à mal l’organisation de l’entreprise, au détriment de leur productivité, mais également le vivre-ensemble et la cohésion interne de l’entreprise.

Le principe de laïcité ne se divise pas, il doit s’appliquer dans l’ensemble des services publics, tant pour les agents que pour les usagers, et dans les entreprises privées.

Les Français souscrivent à cette démarche : après les attentats de l’année passée, des millions de Français ont fait part de leur attachement à la laïcité et nos concitoyens considèrent la laïcité comme une valeur fondamentale.

Aussi, la présente proposition de loi constitutionnelle prévoit que dans les services publics ainsi que dans les entreprises privées, le port de signes ou tenues par lesquels les usagers ou les salariés manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Néanmoins, les ministres du culte et les personnes exerçant une fonction religieuse ne seraient pas concernés par cette interdiction.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

Après le premier alinéa de l’article 1er de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Dans les services publics et les entreprises, le port de signes ou tenues par lesquels les usagers et les salariés manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Les ministres du culte et les personnes exerçant une fonction religieuse ne sont pas concernés par cette interdiction ».


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