N° 4019 - Proposition de loi de M. Guillaume Larrivé relative à la transparence de l’exercice public des cultes



N° 4019

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 août 2016.

PROPOSITION DE LOI

relative à la transparence de l’exercice public des cultes,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Guillaume LARRIVÉ,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le droit des cultes fait aujourd’hui l’objet d’un débat national, autour de la question musulmane.

À quelles conditions peut-on être à la fois musulman et Français ?

Poser la question musulmane en ces termes, c’est déjà admettre qu’il n’est pas impossible de vivre en Français et en musulman.

L’Histoire de France nous a offert des exemples vertueux d’une telle addition(1). Parmi les 280 000 soldats d’Afrique du Nord et les 200 000 combattants d’Afrique subsaharienne de la première guerre mondiale, des musulmans ont vécu en Français au point de savoir mourir comme tels : Français, oui, par le sang versé. Et plus tard, en temps de paix, parmi les dizaines de milliers d’ouvriers maghrébins venus travailler dans les industries françaises des trente glorieuses, jusqu’au mitan des années 1970, la question musulmane n’était pas vraiment posée. Ces travailleurs d’hier, devenus les chibanis d’aujourd’hui, ont conservé discrètement leurs racines musulmanes et cherchaient à vivre paisiblement parmi les Français.

La triste vérité est que la possibilité de vivre en Français et en musulman ne va, aujourd’hui, plus de soi ; c’est une réalité qui continue, certes, à être vécue tranquillement par un grand nombre de Français ayant une culture arabo-musulmane, une sensibilité et une pratique plus ou moins religieuses(2) ; mais c’est précisément ce que contestent radicalement et violemment les tenants de l’islamisme, c’est-à-dire de l’islam politique.

Ils considèrent, non seulement que l’identité musulmane est exclusive de l’allégeance à la France, mais que la France doit se soumettre à l’islam. À leurs yeux, la soumission ne peut qu’être totale : celle de l’État et des institutions politiques, mais aussi celle de la société tout entière, celle des mœurs, celle de chaque personne dans tous les aspects et à tous les moments de la vie. C’est en cela que l’islam politique n’est pas l’expression d’une simple opinion.

C’est un phénomène d’essence totalitaire. Il en a les principaux caractères, au sens de Raymond Aron(3) : les tenants de l’islam politique aspirent à conquérir le monopole de l’activité politique, ils cherchent à diffuser une idéologie censée devenir la vérité officielle de l’État et de la société, ils s’efforcent de maîtriser totalement les moyens de force et de persuasion, et à soumettre tous les individus à la terreur. L’islamisme est un totalitarisme.

Aussi, la première condition d’une réponse nationale à la question musulmane doit être le refus absolu de l’islam politique, non seulement dans sa fin totalitaire mais aussi dans ses moyens préliminaires.

Pour le dire autrement : l’islam politique est totalement intolérable en France. Il ne peut être toléré ni dans son principe ni dans ses modalités. Il doit donc être doublement refusé par la France :

– et dans ses figures évidemment paroxystiques, comme celles d’Abou Bakr al-Baghdadi, le tueur autoproclamé calife de l’État islamique, ou d’Ayman al-Zawahiri, le chef des assassins d’Al Qaïda, qui agissent en terroristes totalitaires ;

– et dans ses figures faussement sympathiques, comme celle de Mohammed Ben Abbès, le personnage houellebecquien(4) qui cherche à conquérir le pouvoir politique sous le visage d’un islamisme doucereux.

C’est là où les difficultés commencent : dans la capacité de discernement, c’est-à-dire de distinction.

L’islam est lui-même traversé de multiples tensions historiques, théologiques, géographiques, sociologiques, pratiques… Qu’ont en commun le djihadiste qui décapite des enfants chrétiens à Mossoul et le poète syro-libanais Adonis, né Ali Ahmed Saïd Esber(5), qui plaide pour une nouvelle lecture critique de l’islam(6? Rien.

L’ennuyeux est que, en France, les esprits ont été embrumés par l’obsession de la tolérance, qui se plaît à relativiser toute chose et à tolérer jusqu’à l’intolérable. Quatre-vingt-dix ans après l’essai de Julien Benda, on assiste à une nouvelle Trahison des clercs(7). Des intellectuels égarés renoncent à l’universalisme et deviennent, sans doute malgré eux, les idiots utiles de la régression islamiste.

Cette idéologie se décline avec la stupide thèse « pasdamalgamiste » qui consiste à bêler que l’islamisme n’a strictement, jamais, nulle part, aucun lien d’aucune sorte avec l’islam. Quiconque ose formuler le début d’une réflexion critique sur l’islam se voit immédiatement accusé d’être littéralement un malade atteint d’une pathologie appelée « islamophobie ». Et par une formidable inversion du raisonnement, les « rienàvoiristes » en viennent même à considérer que la meilleure manière de lutter contre l’islamisme, c’est encore de promouvoir l’islam.

On assiste ainsi, depuis plusieurs mois, à une sorte de concours public consistant à imaginer de nouveaux moyens, juridiques ou financiers, pour faciliter et accélérer l’expansion de l’islam dans notre pays, comme si la dynamique n’allait pas assez vite comme cela.

Retournons au réel.

La France est déjà le pays qui compte le plus de musulmans en Europe (environ 4 millions, selon la statistique officielle(8)), en nombre absolu comme en valeur relative. Cette réalité est accentuée, non seulement par le volume et l’origine des flux migratoires(9), mais aussi par la démographie, compte tenu du taux de natalité des musulmans(10). La dynamique musulmane est encore plus forte au bas de la pyramide des âges : parmi les musulmans vivant en France, les plus jeunes sont ceux qui se définissent le plus comme musulmans(11). L’augmentation du nombre des conversions (environ 4 000 à 5 000 par an(12)) participe du même mouvement. Pour qui accepte de voir ce qui peut être vu, l’expansion islamique en France se lit aussi dans le nombre des lieux de culte, qui a été multiplié par 2,5 en un quart de siècle (1 035 mosquées et lieux de prière en 1990, 1 600 en 2004 et 2 450 en 2014(13)).

C’est bien dans ce contexte d’expansion islamique sans précédent dans l’Histoire de France, et non pas in abstracto, que la Nation est appelée à répondre à la question musulmane.

Si nous voulons qu’existe encore demain la communauté nationale, il ne peut y avoir une communauté minoritaire qui se comporterait et se reconnaîtrait en minorité communautariste. Cette reconnaissance serait le début de la sécession, à moins qu’elle ne soit déjà celui de la subversion, c’est-à-dire d’un projet politique consistant à imposer, à la majorité, la loi d’une minorité. L’islam politique est notre adversaire ; le communautarisme islamique aussi, car il est son meilleur complice.

C’est pourquoi nous ne partageons en rien l’avis de ceux qui, ayant plus ou moins lu Pierre Manent(14), voudraient que la République française reconnaisse comme telle une minorité musulmane et négocie un contrat avec l’islam en France, en acceptant des concessions et une sorte de partage entre notre loi et leur charia. Comme si la soumission était l’avenir et s’il fallait se résoudre à collaborer, en organisant le cloisonnement de l’espace public avant peut-être de négocier, demain, la taille de la burqa ou du niqab !

On ne s’opposera pas à ceux qui veulent gouverner au nom d’Allah(15) en décidant de gouverner avec Allah.

En France, c’est à la Nation et à elle seule qu’il revient de gouverner. Puisque nous ne voulons pas une France islamique, ce n’est pas un contrat avec l’islam qu’il faut négocier, c’est la loi de la France qu’il faut réaffirmer.

Dans cette perspective, le principe de laïcité demeure pleinement pertinent, pour peu que l’on s’entende sur sa définition. Du reste, la multiplicité des adjectifs employés dans le débat public finit par créer un halo d’incertitude sur le sens du substantif : quelle est donc cette laïcité que les uns veulent et les autres redoutent, tour à tour laïcarde, apaisée, positive, fermée, ouverte, renouvelée… ? Notre conviction est que, s’il y a aujourd’hui une crise de la laïcité en France, elle est liée à la confusion qui dévoie sa définition, encombrée de contre-sens d’autant plus pernicieux qu’ils sont souvent employés à dessein par des rhéteurs tentant de manipuler l’opinion publique.

Tâchons, là encore, de voir clair.

La laïcité, ce ne doit être :

– ni l’athéisme de l’État, dont les agents devraient se comporter en militants de la lutte antireligieuse en général et, selon la version gauchiste de ce contre-sens, de l’hostilité à l’Église catholique en particulier ;

– ni la gestion par l’État de la promotion des religions, selon une approche néo-gallicane qui voudrait que l’État dirige lui-même ou co-dirige les religions (à la manière du Roi qui voulait avoir autorité sur les évêques, de la Révolution qui organisait la Constitution civile du clergé ou de Bonaparte qui engageait la France dans le Concordat avec le Pape et créait par décret le Consistoire central israëlite de France) ; cette approche néo-gallicane est aujourd’hui très à la mode, chez nos divers inventeurs de « contrats » et autres « pactes », car elle a l’apparence, mais seulement l’apparence, de répondre à la fois à l’aspiration religieuse et au besoin sécuritaire.

Gardons la tête froide et rappelons, sans détour, ce qu’est la laïcité :

– l’autonomie du politique par rapport au religieux, c’est-à-dire à la fois la neutralité de l’État et son entière souveraineté ici-bas pour définir les lois de la Nation ;

– la liberté de croire ou de ne pas croire, et donc le droit pour chaque personne d’exercer librement le culte de son choix, dans les limites de l’ordre public, lesquelles sont définies et contrôlées souverainement par l’État.

C’est à nous, Républicains volontaires et patriotes sincères, qu’il revient d’appliquer le principe de laïcité – ainsi défini dans ses deux termes – aux musulmans qui vivent en France.

Quelles conséquences devons-nous en tirer ?

D’abord, pour réaffirmer l’entière souveraineté de l’État dans la définition des lois de la Nation, nous devons refuser l’emprise sociale de la charia, c’est-à-dire de toutes les pratiques illégales qui se réclament à tort ou à raison de telle ou telle règle coranique.

À Rome, on vit comme un Romain, disait l’adage de nos Anciens. En France, on vit selon les lois de la France. En France, on ne pratique impunément ni le mariage forcé ni la répudiation. En France, on ne choisit pas le sexe du médecin qui vous soigne dans l’hôpital public. En France, on n’exige pas que les piscines municipales organisent la ségrégation des femmes et des hommes. En France, on ne cache pas son visage derrière un voile. En France, on n’exige pas un calendrier spécial pour passer ses examens ou de repas halal à la cantine des écoles. Autant d’évidences qu’il faut pourtant réaffirmer avec force, tant elles sont aujourd’hui contestées par ceux qui veulent mettre à l’épreuve la Nation et qui voudraient que celle-ci consente à des « accommodements raisonnables » qui sont autant d’entailles communautaristes.

En France, on respecte l’égalité des personnes – notamment celle entre les femmes et les hommes. À cet égard, Élisabeth Badinter a eu raison de dénoncer l’islamo-gauchisme(16) nourri de décennies de relativisme culturel, qui tolère les pires régressions antiféministes et finit par les encourager. La lutte contre le communautarisme islamiste est un chemin vers l’universel, qui passe par les femmes. Ce sont elles qui, les premières, sont menacées par la régression islamiste. Ce sont elles que les communautaristes veulent d’abord emmurer. Ce sont elles que la loi française doit sauver de l’application obscurantiste de la charia. Ce sont elles que le juge pénal a le devoir de protéger en condamnant ceux qui les asservissent. Ce sont elles que l’Éducation nationale et l’Université ont la mission d’émanciper, non pas en leur enjoignant niaisement de « vivre ensemble », mais en leur donnant les clefs qui permettent de vivre libres, dans leur corps et leur esprit.

Venons-en à la seconde exigence laïque : le droit pour chaque personne d’exercer librement le culte de son choix, dans les limites de l’ordre public, lesquelles sont définies et contrôlées souverainement par l’État.

Pour y parvenir, il est indispensable de réunir deux conditions qui font aujourd’hui défaut :

– la réaffirmation de la souveraineté nationale, c’est-à-dire le refus des arrangements avec des puissances étrangères à qui la République a délégué jusqu’alors, de facto, une fonction d’animation du culte musulman en France ;

– l’application précise et effective, au culte musulman, du régime cultuel prévu par la loi de 1905, qui a été trop souvent contourné.

Refuser les arrangements avec les puissances étrangères, c’est faire le contraire de ce qui a été toléré depuis plusieurs décennies. Tout se passe comme si la République avait choisi d’exercer une sorte de gallicanisme par procuration : on a confié à certains États d’origine des musulmans vivant en France, pour l’essentiel l’Algérie, le Maroc et la Turquie, une fonction d’animation, de promotion et de financement du culte musulman en France.

C’est tout le paradoxe du Conseil français du culte musulman (CFCM). Sa création et son maintien, malgré des vicissitudes, ont été un progrès, car le Conseil a permis aux pouvoirs publics de commencer à avoir un interlocuteur institutionnel parmi les musulmans vivant en France. Mais ses limites sont bien connues. Cette structure est juridiquement une association régie par la loi de 1901, qui a pour objet de faciliter l’organisation du culte musulman par les musulmans vivant en France. Ses présidents successifs – le docteur Dalil Boubakeur, Mohammed Moussaoui et Anouar Kbibech – sont des hommes de bonne volonté, habitués au dialogue institutionnel avec la place Beauvau, Matignon et l’Élysée. Il n’en reste pas moins que la structure du CFCM reste organiquement constituée, pour l’essentiel, par des fédérations très proches de puissances étrangères, étatiques ou non : la FGMP (Fédération de la grande mosquée de Paris, liée à l’État algérien), le RMF (Rassemblement des musulmans de France, lié à l’État marocain), le CCMTF (Comité de coordination des musulmans turcs de France, lié à l’État turc) mais aussi, selon un degré d’implication variable, l’UOIF(17) (qui appartient à la mouvance des Frères musulmans). D’autres puissances étrangères, qui n’interfèrent pas directement au sein du CFCM, n’en exercent pas moins une influence croissante sur le culte musulman en France ; c’est le cas, en particulier, de l’Arabie saoudite, qui mène une active politique d’investissement dans des mosquées en France(18).

Cette influence étrangère, étatique ou non, se manifeste ainsi, non seulement dans les rapports avec les mosquées implantées en France et les associations qui les gèrent(19), mais aussi dans l’exploitation de la filière halal, ou encore dans la désignation, la rémunération et parfois la formation d’imams séjournant en France(20).

Pour en finir avec cette hypocrisie, la première urgence est d’interrompre les liens financiers qui existent entre ces puissances étrangères et les structures musulmanes présentes en France. Il faut en finir, de même, avec la pratique consulaire consistant à inviter et installer des imams étrangers en France. Cette règle générale n’interdirait évidemment pas le maintien de certaines coopérations sécuritaires qui restent nécessaires pour des motifs d’ordre public(21).

Venons-en au dernier élément constitutif de la réponse nationale que nous devons apporter à la question musulmane, et qui fait l’objet de la présente proposition de loi : l’application précise et effective, au culte musulman, du régime cultuel prévu par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.

Le cœur de la loi n’a pas été pleinement appliqué, jusqu’alors, au culte musulman(22). On estime, en effet, que l’immense majorité des structures gérant des mosquées en France ne sont pas des associations cultuelles régies par la loi de 1905. Ayons à l’esprit, non seulement l’histoire juridique(23) de cette difficulté, mais plus encore ses graves conséquences politiques et pratiques.

Un mot d’histoire : les réticences initiales de l’Église catholique à se fondre dans le statut des associations cultuelles instauré en 1905 ont été levées par les accords Poincaré-Cerretti, passés en 1923-1924 entre la République française et le Saint-Siège, créant des associations diocésaines sui generis, permettant de respecter à la fois l’esprit de 1905 et la chaîne hiérarchique des évêques et des diocèses, maintenant le lien organique de l’Église de France avec le Vatican(24). Mais entre-temps, le législateur avait choisi de desserrer dès 1907(25) la contrainte formelle de la loi de 1905, en prévoyant que l’exercice public des cultes pouvait être assuré, indépendamment des associations cultuelles régies par la loi de 1905, au moyen d’associations régies par la loi de 1901. Par une sorte de ruse de l’Histoire, cette souplesse juridique n’a été utilisée ni par les catholiques (qui utilisent le statut des associations diocésaines), ni par les protestants affiliés à la fédération protestante, ni par les juifs affiliés aux consistoires (lesquels utilisent le statut des associations cultuelles par la loi de 1905), mais bien plus tard, par les protestants évangéliques, les juifs loubavitch et les musulmans.

Qu’est-ce qu’une association cultuelle au sens de 1905 ? C’est une association qui satisfait à deux critères : avoir pour objet exclusif l’exercice d’un culte et n’avoir aucune activité contraire à l’ordre public(26). Elle ne peut recevoir aucune subvention publique (à l’exception d’une somme allouée pour des réparations d’édifices affectés au culte). Mais elle bénéficie d’un certain nombre d’avantages : capacité à recevoir des dons et legs ; possibilité de délivrer des reçus fiscaux permettant aux personnes physiques et morales qui leur font un don de bénéficier de réductions d’impôts à hauteur de 66 % de ce don ; exonération de taxe foncière. Ce statut fiscal consiste à encourager ce que François Baroin a justement appelé le « don spiritualité »(27). En contrepartie de ces avantages, les associations cultuelles sont juridiquement soumises au contrôle du ministère des finances.

La non-utilisation des associations régies par la loi de 1905 comme support de l’exercice du culte musulman en France, et la création de divers montages mixtes avec des associations prévues par la loi de 1901, consistent en réalité à détourner les règles claires et transparentes qui avaient été prévues ab initio. L’interdiction de subvention publique des mosquées est méconnue par divers canaux : l’utilisation du dispositif légal des baux emphytéotiques permettant de louer à bas prix des terrains communaux, la cession de terrains municipaux dans des conditions avantageuses et l’aménagement public de leur environnement immédiat (parking, voie d’accès, place publique…), mais aussi le subventionnement direct des activités dites culturelles d’associations régies par la loi de 1901. Ces circuits s’opèrent dans des conditions de grande opacité financière, puisque la plupart de ces associations ne sont soumises à aucun contrôle financier effectif((28). Tout cela renforce des baronnies locales qui ont conclu des petits arrangements : le mécanisme est bien connu, qui a vu tel ou tel maire négocier l’attribution d’une subvention et d’un permis de construire, tout en gérant l’attribution de logements sociaux dans tel quartier, afin de s’assurer les voix facilitant une élection. Les mêmes édiles, qui plaident in abstracto pour le fameux « vivre ensemble », manigancent in concreto des deals communautaristes.

Aussi, loin de plaider pour la création de nouveaux assouplissements juridiques(29), il nous apparaît nécessaire d’engager une clarification vigoureuse :

– abrogation de l’article 4 de la loi du 2 janvier 1907, afin de permettre la dissolution, dans les six mois, des associations régies par la loi de 1901 ayant une activité cultuelle : seules les associations cultuelles régies par la loi de 1905 pourront dorénavant assurer l’exercice public d’un culte ;

– modernisation des obligations comptables pesant sur les associations cultuelles : pour l’application effective du contrôle par le ministère des finances prévu par la loi de 1905, il faut prévoir aujourd’hui une triple obligation de certification des comptes par un commissaire aux comptes, de tenue des comptes à la Caisse des dépôts et consignations et de publication des comptes ;

– revue générale, par les préfets, des statuts des associations supports de l’exercice du culte, donnant lieu à la délivrance d’un agrément(30) (si l’objet et les activités sont exclusivement cultuels, si les obligations financières et comptables sont respectées, si l’ordre public n’est pas menacé) et dissolution de toutes les associations ne recevant pas cet agrément ;

– transfert au préfet du pouvoir d’urbanisme en matière de lieu de culte : ce ne doit pas être au maire, mais au préfet, de décider, ou non, de délivrer le permis de construire une mosquée, car il ne s’agit pas seulement de respecter des considérations d’urbanisme local, mais aussi de veiller à ce que la liberté religieuse ne soit pas détournée au mépris de la sécurité nationale ; la décision doit donc être prise, après délibération du conseil municipal et consultation des divers fichiers de police, par l’autorité préfectorale.

Cette organisation serait d’autant plus claire si le Conseil français du culte musulman, parallèlement, réussissait vraiment à devenir ce qu’il est censé être : non pas comme aujourd’hui une association régie par la loi de 1901 et regroupant des fédérations musulmanes liées à des puissances étrangères, mais bien une union d’associations cultuelles, au sens prévu explicitement par l’article 20 de la loi de 1905(31). Les associations locales auraient ainsi vocation à s’affilier au CFCM ; celui-ci pourrait, dès lors, engager avec plus d’efficacité et d’autorité des améliorations depuis longtemps attendues, s’agissant notamment de la formation des imams et de la nécessaire création d’une faculté française de théologie musulmane.

Il est possible qu’à cette organisation à la fois nouvelle (parce qu’en rupture avec l’opacité actuelle) et classique (parce qu’entièrement fondée sur la loi de 1905) puissent s’ajouter, au fil du temps, des instruments juridiques compatibles et complémentaires, comme l’utilisation d’une fondation. Il nous semble néanmoins que l’échec de la fondation des oeuvres de l’islam de France, pourtant reconnue comme établissement d’utilité publique par un décret du 25 juillet 2005, et les incertitudes des débats lancés ces mois derniers pour la faire renaître, traduisent un vrai problème de conception. Il ne faut pas commencer par l’accessoire sans avoir revu l’essentiel : l’organisation de l’exercice du culte selon la logique intelligente, parce qu’à la fois libérale et sécuritaire, c’est-à-dire profondément nationale, de la loi de 1905.

Ajoutons que, plus le culte musulman sera effectivement structuré et contrôlé selon la loi de 1905, plus les mouvances islamistes restées en dehors de ce cadre pourront être combattues, par les dispositions générales du code de la sécurité intérieure, du code de l’entrée et du séjour des étrangers, du code pénal : fermeture des mosquées islamistes, condamnations pénales ou expulsions et interdictions de territoire des prêcheurs de haine.

La réponse nationale à la question musulmane, au total, ne doit surtout pas consister à inventer une révolution juridique. Nous n’avons nul besoin, bien au contraire, d’aller réviser la Constitution, de nous aventurer dans une démarche néo-concordataire ou d’aller négocier on ne sait quel « pacte » hasardeux.

Ce que nous devons faire, c’est appliquer la loi de la Nation, avec d’autant plus d’ardeur et de détermination qu’elle a presque été oubliée par des décennies d’un double abandon – et de la loi, et de la Nation. C’est l’objet de cette proposition de loi que de procéder à des ajustements techniques, permettant une plus grande transparence de l’exercice public des cultes. À cette fin :

L’article 1erabroge l’article 4 de la loi du 2 janvier 1907, six mois après l’entrée en vigueur de la présente loi et prévoit, en conséquence, la dissolution des associations régies par la loi du 1er juillet 1901 assurant l’exercice public d’un culte ;

L’article 2 prévoit que les associations qui souhaitent bénéficier du statut prévu par les articles 18 et 19 de la loi du 9 décembre 1905 – incluant la capacité à recevoir des legs et à disposer d’avantages fiscaux – sont tenues d’interroger à cette fin le représentant de l’État, qui se prononce sur cette demande et, le cas échéant, accorde un agrément ; l’agrément est accordé si l’association a pour objet exclusif l’exercice d’un culte, si elle respecte les obligations financières et comptables prévues par la loi et si elle n’a aucune activité contraire à l’ordre public ; les associations qui n’obtiennent pas cet agrément et ne peuvent régulariser leur situation seront dissoutes ;

L’article 3 interdit tout financement direct ou indirect par des fonds étrangers d’une association régie par la loi du 9 décembre 1905, sauf si un traité international, ratifié après autorisation par la loi, le prévoit ;

L’article 4 modernise les modalités du régime comptable des associations cultuelles, qui sont soumises au contrôle financier du ministère des finances et de l’inspection générale des finances en vertu de l’article 21 de la loi du 9 décembre 1905, en prévoyant que ces associations seront désormais tenues de ne détenir de comptes qu’à la Caisse des dépôts et consignations, de faire certifier leurs comptes par deux commissaires aux comptes et de publier ces comptes ;

L’article 5 confie au préfet, après avis du conseil municipal, la compétence exclusive en matière d’urbanisme lorsqu’il s’agit de l’exercice public d’un culte (à l’exception des édifices qui sont une propriété publique en vertu de l’article 13 de la loi de 1905) ; les décisions de refus pourront être fondées, non seulement sur les règles d’urbanisme elles-mêmes, mais aussi sur un motif d’ordre public ;

L’article 6 prévoit que le Conseil d’État est compétent pour connaître, en premier et dernier ressort, des décisions relatives à l’application de la présente loi.

PROPOSITION DE LOI

Chapitre Ier

Dispositions relatives à l’exercice des cultes

Article premier

I. L’article 4 de la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes est abrogé, le premier jour du septième mois suivant l’entrée en vigueur de la présente loi.

II. Les associations régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association assurant l’exercice public d’un culte sont dissoutes à la même date, dans des conditions précisées par un décret en Conseil d’État.

Article 2

Toute association qui prétend au bénéfice des dispositions législatives ou réglementaires applicables aux associations régies par les articles 18 et 19 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État est tenue de solliciter un agrément auprès du représentant de l’État dans le département. Le représentant de l’État accorde l’agrément si l’association a pour objet exclusif l’exercice d’un culte, respecte les obligations financières et comptables prévues par la loi et n’a aucune activité contraire à l’ordre public. Les associations n’ayant pas reçu cet agrément et qui ne peuvent régulariser leur situation dans un délai fixé par le représentant de l’État sont dissoutes. Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article.

Chapitre II

Dispositions relatives au financement des cultes

Article 3

Tout financement direct ou indirect par des fonds étrangers d’une association régie par les articles 18 à 20 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État est interdit, sauf si les stipulations d’un traité ratifié auprès autorisation par la loi le prévoient.

Article 4

Pour l’application des dispositions de l’article 21 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, les associations leur étant soumises sont tenues de ne détenir de comptes qu’à la Caisse des dépôts et consignations, de faire certifier leurs comptes par deux commissaires aux comptes et de publier ces comptes, dans des conditions précisées par un décret en Conseil d’État.

Chapitre III

Dispositions relatives à l’urbanisme

Article 5

Par dérogation aux dispositions du livre IV de la partie législative du code de l’urbanisme, toute décision prise pour l’application de ces dispositions relève de la seule compétence du représentant de l’État dans le département, après avis du conseil municipal, lorsque cette décision affecte l’exercice public d’un culte, à l’exception des édifices mentionnés au dernier alinéa de l’article 13 de la loi du 9 décembre 1905. Le représentant de l’État peut fonder une décision de refus sur un motif d’ordre public. Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article.

Chapitre IV

Dispositions finales

Article 6

Le Conseil d’État est compétent pour connaître, en premier et dernier ressort, des décisions relatives à l’application de la présente loi.

1 ()Mohammed Argoun (dir.), Histoire de l’islam et des musulmans en France, Albin Michel, 2006.

2 ()Nadia Henni-Moulaï, « Portrait des musulmans de France : une communauté plurielle », Note de la Fondation pour l’innovation politique, juin 2016.

3 () Raymond Aron, Démocratie et Totalitarisme, Gallimard, 1965.

4 () Michel Houellebecq, Soumission, Flammarion, 2015.

5 () Adonis, « Contre l’essentialisme. La notion de progrès dans la conception islamique de l’homme et du monde », in Commentaire, n°153, printemps 2016.

6 () Adonis et Houria Abdelouahed, Violence et islam, Seuil, 2015.

7 () Julien Benda, La trahison des clercs, Grasset, 1927.

8 () Les musulmans seraient entre 3,9 millions et 4,2 millions en France selon l’étude de Patrick Simon et Vincent Tiberj, « Sécularisation ou regain religieux, la religiosité des immigrés et de leurs descendants », Documents de travail, n°196, Institut national des études démographiques (INED), 2013.

9 () « Les immigrés venant du Maghreb, de Turquie et d’Afrique sahélienne sont dans plus de 90% des cas musulmans lorsqu’ils déclarent une religion ». Source : INED, ibid.

10 () D’après le Pew Research Center, le taux de natalité en Europe, pour les années 2010-2015, est de 1,6 enfant par femme. Mais il s’élève à 2,1 pour les musulmans, qui sont les seuls à avoir un taux de natalité supérieur au seuil de remplacement.  Le taux n’est que de 1,6 pour les catholiques et 1,4 pour les personnes « non affiliées ». Source : « The Future of World Religions : Population Growth Projections, 2010-2050 », avril 2015, http://www.pewforum.org/2015/04/02/europe/

11 () Parmi les musulmans, « la religiosité, déjà élevée par rapport aux autres dénominations, gagne plus de 10 points dans la classe d’âge des 18-25 ans par rapport aux plus de 35 ans. » Source : INED, ibid.

12 () Sénat, rapport d’information n°757, enregistré le 6 juillet 2016, de la mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’Islam en France et de ses lieux de culte.

13 () Sénat, ibid.

14 () Pierre Manent, Situation de la France, Desclée de Brouwer, 2015.

15 () Boualem Sansal, Gouverner au nom d’Allah. Islamisation et soif de pouvoir dans le monde arabe, Gallimard, 2013.

16 () Entretien d’Elisabeth Badinter dans Le Monde du 2 avril 2016.

17 () L’UOIF est signataire des statuts du CFCM de 2013 mais n’a pas pris part aux élections organisées la même année et ne participe donc pas aujourd’hui aux instances dirigeantes du CFCM.

18 () Ainsi, le Royaume d’Arabie saoudite indique avoir versé 3 759 400 euros pour financer partiellement, ces dernières années, la construction de la mosquée Al Hidayha d’Asnières, la grande mosquée de Strasbourg, la mosquée Othmane Ibn Affane et la grande mosquée de Mantes-la-Jolie, la grande mosquée de Cergy, la mosquée Okba Ibnou Nafaa de Nanterre, la grande mosquée de Saint-Denis, et la grande mosquée de Givors. L’Arabie indique financer, en outre, le salarie de 14 imams exerçant en France. S’y ajoutent des dons émanant de personnes privées de nationalité saoudienne. Source : Sénat, ibid.

19 () Par exemple : le Maroc a consacré 6 millions d’euros en 2016 à la construction et au fonctionnement de mosquées ainsi qu’à la rémunération d’imams en France ; l’Algérie finance la Grande mosquée de Paris pour environ 2 millions d’euros par an. Source : Sénat, ibid.

20 () À titre d’exemple, il y a ainsi aujourd’hui 301 imams détachés à plein temps et rémunérés comme tels en France par la Turquie (151 imams), l’Algérie (120) et le Maroc (30), auxquels s’ajoutent environ 300 autres imams étrangers, dits « psalmodieurs », dont le visa est limité à la période du ramadan. Source : Sénat, ibid.

21 () Aux plans juridique et politique, ces coopérations doivent être organisées au cas par cas, dans le cadre d’un traité ratifié après autorisation par le Parlement, régissant la coopération avec un État allié à la France dans la lutte contre le terrorisme islamiste.

22 () Rapport de la Commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics (Jean-Pierre Machelon, président ; Laurence Marion, rapporteur), La Documentation française, 2006.

23 () Francis Messner, Pierre-Henri Prélot, Jean-Marie Woehrling, Traité de droit français des religions, LexisNexis, 2013.

24 () Emile Poulat, Les diocésaines. République française, Eglise catholique. Loi de 1905 et associations cultuelles, le dossier d’un litige et sa solution, La Documentation française, 2007.

25 () Article 4 de la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public des cultes : « Indépendamment des associations soumises aux dispositions du titre IV de la loi du 9 décembre 1905, l'exercice public d'un culte peut être assuré tant au moyen d'associations régies par la loi du 1er juillet 1901 (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 12 et 17) que par voie de réunions tenues sur initiatives individuelles en vertu de la loi du 30 juin 1881 et selon les prescriptions de l'article 25 de la loi du 9 décembre 1905. »

26 () Conseil d’État, 24 octobre 1997, Association pour le culte des témoins de Jéhovah de Riom, p. 372, RFDA 1998, p. 61.

27 () François Baroin, « Pour une nouvelle laïcité », rapport du club Dialogue et Initiative, juin 2003.

(28 ) Le seuil à partir duquel une association régie par la loi de 1901 doit nommer un commissaire aux comptes et publier les comptes certifiés est très élevé : le montant de dons doit être supérieur à 153 000 euros au cours d’une même année. 

29 () Nous ne partageons donc pas l’essentiel des préconisations de la commission de réflexion sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, présidée par le professeur Machelon en 2006, s’agissant de l’assouplissement du fonctionnement des associations cultuelles, de l’élargissement de leur objet et des modalités de financement des cultes.

30 () Il s’agit donc d’aller au-delà du « rescrit cultuel » créé par l’article 111 de la loi n°2009-526 du 12 mai 2009. Ce rescrit donne à une association la faculté de demander au préfet si elle est bien reconnue comme une association cultuelle et si, par conséquent, elle a droit aux avantages fiscaux prévus par la loi. L’agrément serait, lui, accordé par le préfet aux seules associations qu’il reconnaît comme cultuelles au terme d’un contrôle triple (objet exclusivement cultuel, respect des obligations financières et comptables, respect de l’ordre public), étant entendu que toutes les associations relevant de ce champ auraient l’obligation de se soumettre à ce contrôle.

31 () C’est précisément sur le fondement de l’article 20 de la loi de 1905 qu’a été recréée l’Union des associations cultuelles israélites de France : l’actuel Consistoire central de France est l’héritier de celui instauré par les décrets impériaux de 1808.


© Assemblée nationale