N° 4095 - Proposition de loi de M. Jacques Bompard relative au rétablissement de la peine de perpétuité réelle



N° 4095

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2016.

PROPOSITION DE LOI

relative au rétablissement de la peine de perpétuité réelle,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jacques BOMPARD,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Après l’attentat de Nice le 14 juillet dernier, jour de notre fête nationale, un sondage IFOP pour Le Figaro révèle que 67 % des Français ne font pas confiance à François Hollande et son gouvernement (1) et ils le payent. Ce même sondage nous apprend que « l’attentat de Nice a profondément marqué les esprits et renforcé des opinions préexistantes selon lesquelles la France, en guerre face à des ennemis déterminés, devait s’autoriser des mesures que les autorités n’avaient pas envisagées jusqu’alors  ».

Notre arsenal juridique, s’il était pleinement exploité, permettrait de réduire le risque que fait peser la menace terroriste sur notre pays. En effet, des mesures comme la double peine ou la privation de liberté à perpétuité permettraient d’endiguer la vague islamiste de manière bien plus efficace que les minutes de silence, artefact pseudo-solennel, dont les Français se lassent. Les Français attendent des mesures fermes. Les Français sont prêts à sacrifier certaines de leurs libertés, sont prêts à changer leur manière de vivre, pour garantir leur sécurité. En effet, 84 % de nos compatriotes se disent prêts à « accepter davantage de contrôles et une certaine limitation de [leurs] libertés » (2). Il est bien compris que leur sécurité et la lutte contre l’invasion est « le premier bien public » (Charles Maurras). Alors si les Français consentent à limiter quelques-unes de leurs libertés, quel substrat moral empêcherait de limiter un peu plus la liberté d’individus dangereux qui se sont illustrés par leur barbarie et leur volonté de nous détruire ? Il est ici question de renforcement d’une sanction pénale : la privation de liberté à perpétuité. Si la Cour européenne des droits de l’homme empêche la France de mettre en place la perpétuité réelle, il ne lui est pas interdit de la renforcer, de l’étendre. Il est absolument incompréhensible qu’un terroriste islamiste ou que toute personne ayant participé de près ou de loin à l’accomplissement d’un acte terroriste soit libérée ou voit sa peine aménagée au bout d’une période de sûreté.

C’est pourquoi il est nécessaire de se pencher sur la réclusion criminelle à perpétuité et de la rendre enfin effective, en mettant en place une période de sûreté illimitée et incompressible.

I. – La réclusion criminelle à perpétuité, une efficacité mal exploitée

Robert Badinter définit la réclusion criminelle à perpétuité comme la possibilité de garder un détenu en prison jusqu’à sans mort, sans que cela soit une obligation (3).

En guerre, la France se pose actuellement la question d’une réclusion criminelle à perpétuité sans aucune possibilité de remise ou d’aménagement de peine. Si Manuel Valls a accepté d’examiner cette proposition (4), les critiques restent vives. Il faut renverser le problème. En effet, selon les chiffres de l’Institut pour la Justice, 73 % des français estiment que la politique pénale de Christiane Taubira était insuffisamment sévère à l’encontre de délinquants (5). Face au profil hybride des « gangstero-terroristes » qui nous attaquent, une telle politique est critiquable. Il faut donc renverser le problème et constater que le système pénal appliqué aujourd’hui ne répond pas aux besoins de la société française, et ce du laxisme pénal en matière de délinquance jusqu’à la mise en œuvre de la réclusion criminelle à perpétuité.

Cette dernière est assortie en droit français d’une période de sûreté de vingt-deux ans. Durant cette période, il est impossible au condamné de demander un réexamen ou de bénéficier d’un quelconque aménagement de peine. Après celle-ci, un réexamen ne peut être refusé au condamné. S’il ne signifie pas qu’il obtiendra gain de cause, une décision en faveur du condamné s’apparente alors à « davantage une faveur en récompense d’un bon comportement que d’une évolution automatique » (6). Il faut donc comprendre qu’un terroriste qui s’est bien comporté durant sa peine d’incarcération a des chances d’être libéré. Comment peut-on imaginer laisser en liberté un jour Salah Abdeslam, qui a supervisé les attentats du 13 novembre 2015 qui ont fait 130 morts et 350 blessés ? Force est de constater que la condamnation à une peine à perpétuité ne peut pas répondre, telle qu’elle est actuellement prévue par notre droit, au défi sécuritaire auquel la France doit faire face. 43 % des Français estiment que les démocraties ne savent pas bien maintenir l’ordre (chiffres de l’Institut pour la Justice). Personne ne s’est ému de la répression des « Manifs pour tous » et l’on voudrait, dans le triste contexte que nous connaissons, garantir des droits et libertés à des individus qui veulent les faire disparaître ? Les Français attendent des mesures, des mesures strictes et efficaces. La condamnation à une peine de perpétuité ne satisfait pas les Français qui, eux, voient la réalité en face. Il est beau de déplorer des effets désastreux, encore faut-il ne pas en chérir les causes. 50 % des Français étaient favorables à la peine de mort en 2014, selon une enquête CEVIPOF, soit 15 points supplémentaires depuis 2011 (7). Ce chiffre montre le décalage entre notre droit applicable et les exigences qu’il devrait suivre. Une de ces exigences résidant dans la mise en place de la réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté illimitée et incompressible.

Il est à noter que la réclusion criminelle à perpétuité réelle concerne plus de trente mille personnes aux États-Unis et qu’elle est l’argument principal des opposants à la peine de mort (chiffres de « Death Penalty Info »).

II. – La nécessité de la réclusion criminelle à perpétuité incompressible

Suite au funeste 14 juillet 2016, 91 % des français se disent favorables à la création d’une peine de prison à perpétuité réelle sans aucun possibilité d’aménagement de peine même après trente années d’emprisonnement pour les auteurs d’attentats terroristes (8).

Robert Badinter explique que des hommes en prison qui savent qu’ils n’en sortiront jamais avant leur mort se transformeraient en fauves. Des terroristes qui tuent par centaine à chaque fois qu’ils frappent sont plus dangereux que des fauves, il est nécessaire de dépasser cette position de l’esprit romantique et cette parole lyrique. En effet, il faut aborder le sujet suivant un point de vue objectif, pragmatique, en sortant des cadres du prêt-à-penser partisan. L’argument de la surpopulation carcérale est nul et non avenu quand on sait que seuls trois individus se trouvent à ce jour condamnés à une peine de réclusion criminelle à perpétuité incompressible (c’est à dire avec une période de sûreté de trente ans).

La Cour européenne des droits de l’homme dans un arrêt Bodein contre France en date de 2014 tient pour point de vue qu’une peine de prison à perpétuité qui priverait le condamné de tout espoir de sortie constituerait un traitement dégradant au titre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ainsi donc, le droit français, qui prévoit une période de sûreté après laquelle le condamné ne peut se voir refuser le droit à un réexamen ne contrevient pas à ce texte. Cependant, toute peine de réclusion criminelle à perpétuité incompressible serait donc interdite au titre de l’article 3 de la convention (9). Elle dégage cependant deux critères permettant d’apprécier la légitimité de la réclusion criminelle à perpétuité, à savoir la proportionnalité de la peine ainsi que la prise en compte du risque de récidive (10). Il est donc opportun d’apprécier la perpétuité réelle au regard de ces deux critères. Il faut en plus replacer le droit pénal, sa substance et son objectif, face à la conjoncture, c’est à dire face à la menace terroriste qui pèse sur notre pays.

A. La proportionnalité de la sanction et le risque de la récidive

La nature de la peine doit être proportionnelle au crime ou délit commis. Les autorités publiques déclarent sans relâche que la France est en guerre. La réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté illimitée et incompressible, c’est à dire à vie, et de manière effective, est donc tout à fait proportionnée pour les auteurs d’actes terroristes islamistes. En effet, la CEDH développe deux critères de contrôle de la proportionnalité de la peine : celui de l’existence de la loi en droit interne puis celui de sa légitimité par rapport au but poursuivi. Dans le cas d’auteurs d’attentats islamistes, le critère de la légitimité est tout à fait constatable, quant à l’existence de la loi, c’est ce que le présent document propose. La légitimité de l’ingérence dans les droits du condamné est évidente puisqu’il n’existe aucun autre moyen pour garantir la sécurité sur le territoire (et même à l’étranger, Salah Abdeslam a été arrêté en Belgique). Enfin, on pourrait alléguer que la perpétuité réelle, à vie, est contraire aux objectifs du système carcéral qui vise à rééduquer. Seulement, la prison est un des principaux lieux de radicalisation, une personne qui en sortirait n’a que peu de chance d’avoir évolué. De plus, il est des crimes, comme les actes terroristes, qui entraînent la mort de centaines de personnes, et qui ne permettent pas de laisser planer un doute. Les analyses psychiatriques, médicales, les témoignages des gardiens ne peuvent en rien prévoir ni analyser l’état de radicalisation d’une personne. Les experts ont proclamé haut et fort que Mohamed Lahouaiej Bouhlel était radicalisé depuis quelques semaines au regard des témoignages et de l’analyse de son comportement. Les faits démontrent qu’il préparait en réalité son attaque, en lien avec l’État islamique, depuis au moins un an (11). Cela montre bien la difficulté que peuvent avoir des experts à détecter la radicalisation et donc le degré de dangerosité d’un individu. Cela s’explique par les différentes théories politiques, sociales, psychologiques, qui se chevauchent et se distinguent à la fois et qui prétendent toutes analyser ce qu’est la radicalisation d’un individu, ses causes, ses symptômes et ses conséquences. Se permettre un doute, c’est accepter des centaines de morts potentiels.

B. La substance et les objectifs du droit pénal

Tel qu’établi dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 en son article 10-3 et ailleurs, « le système pénitencier comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social » (12). Ce n’est donc pas le reclassement social qui est le but essentiel du système pénitencier. Celui-ci comprend un volet visant à reclasser le détenu mais celui-ci ne prime pas. En l’espèce, les terroristes islamistes sont difficilement reclassables et la priorité ne se trouve pas là. Comme démontré plus haut, la priorité réside dans la garantie de la sécurité, c’est-à-dire à leur mise à l’écart totale de notre société dont il refuse les codes et le substrat.

Il est légitime à l’autorité publique d’infliger des peines proportionnelles à la gravité du délit. Elle en a le droit et même le devoir. La peine a pour but de réparer le désordre introduit par la faute. En plus de protéger l’ordre public, la peine a une vertu expiatoire. Dans le cas où le condamné est un terroriste, si l’objectif de réinsertion semble inatteignable ou douteux, cela n’enlève en rien la vertu médicinale de la sanction, en l’espèce la réclusion criminelle à perpétuité avec une période de sûreté illimitée et incompressible. En effet, elle doit contribuer à l’amendement du coupable mais surtout en ce cas précis, à son expiation. Le droit pénal doit avoir un caractère expiatoire, il doit faire regretter, il doit provoquer le remord et être une souffrance en conséquence de l’acte intrinsèquement mauvais qui a été commis librement.

La peine apparaît également comme un message de fermeté totale. Ce message est adressé non seulement aux terroristes, mais également à nos compatriotes. Elle relaie l’idée que l’État, que la Justice, sont intransigeants, avec les terroristes. Quand le degré de confiance des français envers le gouvernement est aussi bas (13), le législateur doit prendre ses responsabilités et se servir du droit comme un double outil : protéger la société, et lui prouver qu’il la protège.

Il faut entendre la peine comme une vertu sociale. Le bien commun l’emporte sur le bien particulier, aussi convient-il de sacrifier ce dernier lorsque le particulier en question a rompu de manière indéfectible le lien que la société lui avait proposé. Quand la paix entre les Hommes est compromise par quelques hommes dangereux, il est de la responsabilité des pouvoirs publics de retirer ces hommes de la société. Enfin, il faut admettre le fait que l’individu dangereux, qui a commis un acte irréparable, comme un terroriste, peut s’amender, mais cet amendement ne vient pas rétroagir sur son acte dont la sanction doit rester proportionnée. Les conséquences de cet acte sont éternelles. Une famille endeuillée, une personne traumatisée, des enfants morts, les remords ou le regret, déjà difficilement appréciables, ne peuvent en rien effacer les conséquences de l’acte. C’est en cela que la peine doit être entendue comme une vertu sociale : la peine est proportionnée au dommage social, et à la nature du délit. Le but de la peine est l’expiation et la conservation de l’ordre social. C’est pour cela qu’il est urgent de rétablir une peine de réclusion criminelle à perpétuité effective et non-aménageable.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

La seconde phrase du deuxième alinéa de l’article 132-23 du code pénal est ainsi modifiée :

1° La première occurrence du mot : « soit » est supprimée ;

2° À la fin, les mots : « , soit décider de réduire ces durées » sont supprimés.

Article 2

Le deuxième alinéa de l’article 221-3 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée : « En cas de condamnation pour un acte terroriste tel que défini à l’article 421-21, la période de sûreté est illimitée et incompressible, la peine ne peut faire l’objet d’aucun aménagement ; les mesures prévues dans l’article 132-23 ne peuvent être appliquées ».

Article 3

Après le 10° de l’article 221-4 du code pénal, est inséré un 11° ainsi rédigé : « 11° Dans le cadre d’un acte terroriste tel que défini à l’article 421-21. ».

Article 4

L’article 729 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé : « Le précédent alinéa ne s’applique pas à un condamné pour acte terroriste comme défini à l’article 421-21 du code pénal ».

1 () http://french.xinhuanet.com/2016-07/18/c_135522438.htm.

2 () http://www.lefigaro.fr/politique/2015/11/17/01002-20151117ARTFIG00272-les-francais-prets-a-restreindre-leurs- libertes-pour-plus-de-securite.php.

3 () http://www.lexpress.fr/actualite/societe/robert-badinter-la-peine-de-mort-susciterait-encore-plus-d-attentats- terroristes_1811598.html.

4 () http://www.lexpress.fr/actualite/politique/contre-le-terrorisme-valls-remet-la-perpetuite-reelle-au-coeur-du- debat_1776126.html.

5 () http://www.institutpourlajustice.org/wp-content/uploads/2015/06/bilan-taubira-1.pdf.

6 () http://www.huffingtonpost.fr/2016/04/28/salah-abdeslam-prison-sortie-possible-pas-automatique_n_9792518.html.

7 () http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/02/27/31001-20150227ARTFIG00136-la-moitie-des-francais-favorables- a-la-peine-de-mort-un-bilan-accablant-pour-taubira.php.

8 () http://french.china.org.cn/foreign/txt/2016-07/18/content_38909226.htm.

9 () http://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22fulltext%22:[%22bodein%22],%22sort%22:[%22kpd
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10 () https://docassas.u-paris2.fr/nuxeo/site/esupversions/8d321025-a376-4e13-8c6f-095e49f3027d (pages 30 et suivantes).

11 () http://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/attentat-de-nice-un-acte-prepare-depuis-plusieurs- mois_1557457.html.

12 () http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CCPR.aspx.

13 () http://www.lefigaro.fr/politique/2014/08/27/01002-20140827ARTFIG00332-pas-de-confiance-pour-valls-et- hollande.php.


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