N° 4422 - Proposition de résolution de Mme Dominique Orliac sur les sciences et le progrès dans la République



N° 4422 (rectifié)

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 janvier 2017.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

sur les sciences et le progrès dans la République,

présentée par Mesdames et Messieurs

Dominique ORLIAC, Jeanine DUBIÉ, Olivier FALORNI, Joël GIRAUD, Jean-Pierre MAGGI et Stéphane SAINT-ANDRÉ,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« La République n’a pas besoin de savants ! » telles sont les paroles attribuées au président du Tribunal Révolutionnaire au moment de la condamnation à mort du chimiste Lavoisier en 1794 après la suppression de l’Académie des Sciences par la Convention. « Et pourtant elle tourne ! » aurait dit Galilée après le procès qui lui a été fait après sa présentation de la théorie de la rotation de la terre. « Les partisans de Mendel sont les ennemis du peuple soviétique » disait Lyssenko, qui obtenait de Staline et de Khrouchtchev la condamnation de la génétique classique et la fermeture de laboratoires et le licenciement de chercheurs dans l’ex-URSS.

Si de nos jours, cette forme d’obscurantisme semble dépassée, (alors que les créationnistes contestent aujourd’hui le Big Bang et la théorie de l’évolution) nous devons malheureusement affronter un climat de défiance croissant vis-à-vis des institutions scientifiques et des savants qui, pourtant, constituent un pilier fort de notre République.

Le développement de la modernité industrielle s’est accompagné de progrès fulgurants et d’une liberté de création avec l’émergence de grands inventeurs (Lavoisier, Faraday, Edison, Darwin, Pasteur, Poincaré, Marie Curie, Einstein, Pauling, Planck, Schrödinger, De Gennes, Charpak….et même Steve Jobs). Pourtant, la place de la démarche et de la culture scientifique est aujourd’hui en net recul dans notre pays et dans notre République.

Tout en favorisant l’accès à la culture, la numérisation en cours de nos sociétés et l’usage d’internet amplifient la dérégulation du marché de l’information scientifique, faisant place à la diffusion de croyances les plus dangereuses, si bien que les pouvoirs publics et nos concitoyens peinent à hiérarchiser les éléments nécessaires à la prise de décision en matière de choix scientifiques et techniques. Cette évolution inquiétante prend sa source dans la confusion de plus en plus marquée entre ce qui relève des savoirs issus d’une démarche scientifique rigoureuse et ce qui relève de croyances ou de désinformation. Elle se traduit par une remise en cause croissante de la valeur culturelle et de l’impact social du travail scientifique.

Par la confusion entretenue entre savoir et opinion dans les espaces publics et numériques, la défiance qui en résulte menace l’activité et les fondements de la recherche scientifique. La prolifération d’informations tronquées ou inexactes, comme de théories complotistes, génère des inquiétudes, de l’endoctrinement et alimente les parcours de radicalisation. Cela se traduit par une fragilisation du socle des valeurs républicaines. Ainsi, la rationalité et l’objectivité, héritages de la philosophie des Lumières, s’opposent-elles désormais au relativisme, une idéologie qui conteste l’idée même de progrès et impose ses vues à force d’amalgames, d’anathèmes voire d’actions violentes. Au-delà, c’est l’existence même de la démocratie qui est menacée si nos scientifiques et nos ingénieurs ne peuvent s’exprimer et être écoutés dans leur rôle d’expertise au prétexte que leurs avis ne constituent que des opinions parmi d’autres.

Dans tous les débats importants de ces dernières années, notamment sur les biotechnologies, la politique vaccinale, les radiofréquences ou l’énergie, les gouvernements qui se sont succédé depuis plus de vingt ans ont trop souvent reculé ou démissionné. Ainsi, les discussions autour de la régulation des nanotechnologies organisées par la Commission nationale du débat public en 2009-2010, ou encore celles sur le stockage de déchets nucléaires à Bure-Saudron ont-elles été perturbées et finalement empêchées. De tels renoncements sont hélas nombreux.

Cette confusion est accrue par l’amalgame entre la science et ses applications. Assurément, les découvertes scientifiques peuvent générer des technologies qui, à côté de bénéfices indéniables, peuvent présenter des effets dangereux et il ne s’agit en aucune façon de verser dans un scientisme béat, ou dans une croyance aveugle à l’innocuité des technologies. Les risques ne doivent pas être balayés d’un revers de la main, mais plutôt évalués rationnellement, en tenant à distance les croyances, les partis-pris idéologiques et les discours sectaires car, comme le disait fort justement le mathématicien philosophe, prix Nobel de littérature Bertrand Russell : « La science n’a jamais tout à fait raison, mais elle a rarement tout à fait tort, et, en général, elle a plus de chance d’avoir raison que les théories non scientifiques. Il est donc rationnel de l’accepter à titre d’hypothèse. » En particulier, les actions destinées à empêcher la réalisation d’études d’impact et d’évaluation des risques doivent être dénoncées comme contraires au bien public et fortement sanctionnées.

La culture scientifique est en recul dans les médias où, trop souvent, des raisonnements simplistes, constituant avant tout des coups de communication et ne respectant pas les règles éthiques, sont présentés comme des informations incontestables, lesquelles sont souvent démultipliées par les réseaux sociaux.

La pratique de la méthode scientifique est en recul dans nos écoles, comme l’apprentissage des sciences qui contribue pourtant à la formation des futurs citoyens.

La démarche scientifique régresse enfin dans les assemblées et les ministères, là même où se prennent des décisions non suffisamment fondées engageant l’avenir de notre pays et de nos compatriotes. Des responsables politiques n’hésitent pas à contredire des avis ou des recommandations émis par des comités scientifiques et des agences créés par l’État ou par l’Union européenne pour les éclairer dans leurs décisions.

Depuis des décennies, les crédits budgétaires en faveur de la recherche ont trop souvent été rognés.

La parole scientifique doit retrouver toute sa place au cœur des grands débats de notre démocratie, dans les enceintes parlementaires comme dans les ministères. En leur temps, des hommes d’État comme Pierre Mendès France, le général de Gaulle ou François Mitterrand avaient élevé la recherche scientifique et ses applications au rang de priorité nationale. Ce n’est plus suffisamment le cas aujourd’hui et c’est la nature même du progrès qui est remise en cause. Celui-ci doit bien sûr être maîtrisé et partagé mais la République doit avoir foi dans le progrès scientifique, qui a été et reste le principal facteur de progrès économique, sanitaire, social et environnemental.

Plus que jamais, la République a besoin de savants.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Considérant que la France, héritière d’une longue tradition scientifique, rationaliste et de la philosophie des Lumières, a toujours incarné le progrès et la science au service de l’humanité ;

Considérant, comme le souligne le rapport « L’avenir de la consultation scientifique pour les Nations Unies » publié par l’UNESCO le 18 septembre 2016 que : « Les sciences, la technologie et l’innovation ont la capacité de changer la donne pour relever pratiquement tous les défis mondiaux les plus urgents. » ;

Considérant que les discours partisans voire sectaires fondés sur une défiance croissante vis-à-vis de l’expertise scientifique constituent une grave remise en cause de cet esprit des Lumières en s’attaquant aux règles mêmes sur lesquelles repose l’institutionnalisation de toute science ;

Considérant que la confusion entre les connaissances et les opinions constitue une sérieuse menace pour le bon fonctionnement de notre démocratie en alimentant les processus sectaires et diverses formes de radicalisation ;

Considérant que la culture scientifique est à la base de toute recherche de connaissance vraie et que, par ce fait même, son respect est la condition indispensable à l’élaboration de politiques scientifiques cohérentes ;

Considérant que la recherche scientifique et technologique constitue un élément indispensable à la compétitivité de la France au niveau européen et même mondial ;

Considérant que la culture scientifique est le ferment indispensable pour des citoyens éclairés et responsables ;

Considérant que la démocratisation de l’accès aux savoirs scientifiques constitue un progrès social essentiel et génère des défis stimulants en matière de politiques culturelle et éducative ;

Considérant que l’enseignement des sciences, depuis l’école élémentaire jusqu’aux études supérieures, représente un enjeu considérable pour notre pays ;

Considérant qu’il revient aux chaînes de télévision et de radio du service public de l’audiovisuel de donner une place éminente aux émissions d’information et de transmission des connaissances scientifiques et des progrès technologiques ;

Considérant que l’expertise scientifique n’est plus assez prise en compte dans les processus de la décision politique ;

Considérant que les gouvernements successifs, depuis des décennies, n’ont pas su consacrer l’effort budgétaire indispensable dans le domaine de la recherche et du développement contrairement à d’autres pays voisins ;

Considérant que nos universités, nos écoles et nos organismes de recherche accomplissent un travail dédié à la défense et à la diffusion de la culture scientifique ;

Considérant que l’étude des sciences, de la philosophie et de l’épistémologie, et plus généralement des sciences humaines et sociales, joue un rôle éminent dans la construction de la culture scientifique ;

Considérant qu’en se dotant d’un Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), l’Assemblée nationale et le Sénat ont souhaité que l’action et les décisions du Parlement puissent être éclairées sur les conséquences des choix à caractère scientifique et technologique ;

L’Assemblée nationale :

1° Souhaite rappeler que la science, comme n’a cessé de le mentionner l’OPECST dans ses études touchant à la culture scientifique et technique, est un vecteur essentiel de l’innovation, dimension centrale du développement de l’économie et de l’emploi dans les sociétés développées contemporaines ; qu’elle constitue également un bien commun, comme le souligne un rapport de l’UNESCO, en ouvrant les perspectives culturelles des citoyens à la recherche d’une meilleure compréhension du monde.

2° Suggère que l’initiation aux sciences à l’école élémentaire soit considérablement renforcée pour davantage sensibiliser les jeunes élèves à la démarche scientifique.

3° Invite le Gouvernement à veiller à la qualité des enseignements scientifiques dispensés au collège et au lycée. De fait, les évolutions récentes apparaissent alarmantes.

4° Souhaite, ainsi que le préconisent l’Académie des sciences, l’Académie des technologies et l’Académie des sciences morales et politiques, que le Gouvernement encourage une plus grande interaction entre enseignements en sciences technologiques et sciences humaines dès les classes de lycée, ainsi que dans la suite de tous les cursus scientifiques et inversement.

5° Invite en particulier le Gouvernement à étoffer la partie du programme de philosophie consacrée aux sciences et à l’épistémologie au lycée et dans l’enseignement supérieur. En l’état, seuls les élèves de la filière littéraire abordent les chapitres consacrés au vivant, à la théorie et l’expérience. De tels développements seraient profitables à tous et plus particulièrement aux élèves des filières scientifiques qui pourraient acquérir davantage de connaissances épistémologiques sur les pratiques scientifiques et sur les rapports science-société.

6° Souhaite que les travaux et les recommandations des académies soient davantage suivis, tant dans les domaines de l’enseignement que dans ceux de la décision politique et que celles-ci devraient avoir pour mission d’émettre des avis sur les propositions du Gouvernement en matière scientifique et technologique.

7° Invite le Gouvernement français à mettre en avant des stratégies de communication et de débats avec les citoyens adaptés à l’évaluation et à la gestion des risques technologiques. L’enjeu principal de l’expertise scientifique et technique consiste à fournir une évaluation en amont de la prise de décision politique. Il convient donc de développer des procédures d’examen propres à éclairer les débats sociétaux. Il convient également d’établir une distinction claire entre les éventuels dangers intrinsèques dus à une technologie donnée et les risques inhérents à son utilisation. Ces procédures d’examen doivent établir une balance bénéfices/risques (socio-économiques, sanitaires et environnementaux) liée autant à l’adoption d’une technologie que, le cas échéant, au renoncement à celle-ci.

8° Souhaite que les chaînes de télévision et les stations de radio du service public renforcent l’offre d’émissions scientifiques, en particulier aux heures de plus grande écoute et s’efforcent d’en faire de véritables espaces de savoir, en veillant notamment à y donner la parole aux membres de la communauté scientifique.

9° Invite le Gouvernement à réfléchir à des pratiques pédagogiques fondées sur l’usage raisonné des technologies numériques, en particulier à l’apprentissage du tri de l’information qui faciliterait la distinction entre des savoirs établis et des opinions sans fondement scientifique.

10° Invite le Gouvernement à donner plus d’importance aux études et rapports de l’OPECST dans l’élaboration et le suivi des politiques qui impliquent la science ou ses applications. Cela devrait se traduire, en particulier, par un renforcement de sa responsabilité dans l’organisation du travail parlementaire et dans le développement d’une politique culturelle attentive aux grands enjeux de la science contemporaine, via notamment un avis formel de l’OPESCT joint aux textes présentés et l’élargissement de ses missions à des études d’impact préalables pour tout projet ou proposition de loi impliquant des choix à caractère scientifique ou technologique.


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