N° 4453 - Proposition de résolution de M. Yves Foulon tendant à la création d'une commission d'enquête sur le coût et les résultats de la politique de la ville



N° 4453

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 février 2017.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Yves FOULON, Laurence ARRIBAGÉ, Olivier AUDIBERT TROIN, Sylvain BERRIOS, Marine BRENIER Jean-Louis COSTES, Édouard COURTIAL, Marie-Christine DALLOZ, Julien DIVE, Jean-Pierre DOOR, Alain GEST, Claude GOASGUEN, Jean-Claude GUIBAL, Michel HERBILLON, Valérie LACROUTE, Jacques LAMBLIN, Vincent LEDOUX, Pierre LELLOUCHE, Lionnel LUCA, Jean-François MANCEL, Olivier MARLEIX, Philippe Armand MARTIN, Bernard PERRUT, Bérengère POLETTI, Frédéric REISS, Jean-Luc REITZER, Lionel TARDY, Patrice VERCHÈRE, Michel VOISIN et Marie-Jo ZIMMERMANN,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 2015, le ministère de la Ville a engagé 450 millions d’euros pour les « contrats de ville », les programmes « Réussite éducative » et « Adultes-relais » ou l’opération « Ville, vie, vacances ». C’est relativement peu rapporté aux 5 milliards accordés au titre du nouveau plan de rénovation urbaine, aux 4,4 milliards de crédits « de droit commun » distribués à travers plusieurs mesures (emplois d’avenir, garantie jeunes…), au 1,5 milliard de fonds européens que les collectivités locales consacreront aux banlieues entre 2015 et 2020.

La rénovation urbaine des quartiers prioritaires a coûté 48 milliards d’euros entre 2005 et 2015.

Depuis la création du ministère de la Ville en 1990, l’État multiplie les mesures « exceptionnelles » et les plans pour les banlieues : plan Delebarre (1991), plan Tapie (1992), plan Raoult (1995), plan Bartolone (1998), plan Borloo (2003), plan Amara (2008), plan Ayrault (2013), plan Vallaud-Belkacem (2014)… À chaque fois, ce sont des milliards de subventions qui se déversent dans les ZUS (zones urbaines sensibles) via l’État et ses nombreux organismes tutélaires (Comité interministériel des villes, Agence nationale pour la rénovation urbaine, Commissariat général à l’égalité des territoires…) pour « réduire les inégalités », imposer la « mixité sociale » et lutter contre «les phénomènes d’exclusion et de discrimination ».

Au total, ce sont plus de 100 milliards d’euros qui ont été dépensés pour la politique de la ville, ces trente dernières années.

Pour quels résultats ?

Question sécurité, les règlements de compte entre dealers font régulièrement l’actualité dans les quartiers Nord de Marseille, et pas seulement. Des jeunes de cités se radicalisent, à Toulouse, Marseille ou dans la banlieue parisienne, et des territoires servent de base arrière à des menées criminelles ou terroristes, comme lors des tueries de Charlie Hebdo ou du vendredi 13 novembre 2015. Délinquance, violences urbaines, viols, trafic de drogue, trafic d’armes, etc… sont le lot quotidien subi par les populations qui vivent dans ces quartiers.

Ces quartiers « acculturés » sont classés selon leur taux de violence. L’échelle va des « quartiers sensibles problématiques » (QSP, niveau 4) où les heurts avec les forces de l’ordre sont périodiques, aux « quartiers sensibles de non droit » (QSN, niveau 1), les plus mal notés, où la confrontation est permanente. Dans cette dernière catégorie figurent notamment Aulnay-sous-Bois, Montfermeil, Clichy-sous-Bois, La Courneuve, Saint-Denis, pour la Seine-Saint-Denis. Mais aussi Corbeil-Essonnes, Évry, Grigny dans l’Essonne, Vitry-sur-Seine, Champigny-sur-Marne dans le Val-de-Marne. Certains arrondissements de Paris, comme le 18ème et le 19ème, sont également rangés au niveau 1. La province n’est pas épargnée avec des QSN recensés à Nice (l’Ariane), Marseille (Bellevue, Air Bel…), Nîmes (Pissevin-Valdegour), Grenoble (Mistral), Toulouse (Le Grand Mirail)… Partout dans ces quartiers, la violence gagne malgré les dizaines de milliards d’euros engagés.

Que dire du niveau scolaire malgré les renforts pédagogiques, le suivi individualisé des élèves et une notation conciliante ? Selon une étude de l’Institut Montaigne, les conseillers d’orientation sont haïs encore plus fortement que les policiers par certains « jeunes » pour qui l’école est l’objet de toutes les frustrations, de tous les ressentiments. En 2013, l’ONZUS (Observatoire national des zones urbaines sensibles) soulignait que le taux d’illettrisme dans les quartiers est deux fois supérieur à celui du reste du pays. Il atteint 15 % en ZUS contre 6 % dans le reste du pays.

Les écoles sont de plus en plus souvent victimes de saccages. À Nice, quatre établissements ont été vandalisés entre août et novembre 2015. Même situation à Marseille où l’école des Aygalades-Oasis, dans le XIVème arrondissement, a été incendiée début novembre 2015. À chaque fois, les auteurs des faits sont des adolescents âgés de 12 à 14 ans.

Cette situation d’échec scolaire a des conséquences en termes d’emplois. D’après l’ONZUS (2014), le taux de chômage dans les zones urbaines sensibles est de 23 % contre 9,3 % ailleurs (chiffres 2012). Les jeunes de 15 à 24 ans sont les plus nombreux à rester sur le bord du chemin : 42 % de cette classe d’âge est concernée par le chômage dans les ZUS, soit deux fois plus que dans les zones « conventionnelles ».

Pour comprendre comment la France a pu construire une telle machinerie de l’échec, de tels ghettos, il faut, comme le dit le professeur Gérard-François Dumont, « revenir sur les causes de ce problème, à savoir l’hérésie urbanistique des années 60, une période où l’on s’est mis à construire de grands ensembles en référence à la charte d’Athènes, rédigée en 1933 sous l’égide de Le Corbusier. Selon cette charte, il fallait faire du passé table rase sur un plan architectural et construire des barres et des tours d’immeubles, porteuses d’avenir et de progrès social, et éloignées des quartiers plus anciens, considérés comme désuets. Le résultat (…) a conduit à créer de grands ensembles totalement enclavés sans lien géographique avec l’ancien tissu urbain. Cette erreur due à une idéologie urbanistique ne pouvait qu’engendrer de graves conséquences ». Et de considérer qu’il faut « enfin désenclaver les quartiers tout en réfléchissant, lors de la destruction de barres et de tours, à la bonne localisation des reconstructions, sans oublier de réinventer la maison de ville » (in « Les enquêtes du contribuable », n° 14, p. 42).

L’échec de la politique de la ville est également dû à sa complexité. Si le zonage a été simplifié en 2014, il existe toujours un nombre inextricable de zones prioritaires, en termes d’éducation, de sécurité, d’emploi qui se superposent aux découpages faits par les régions, les départements, les communes… En 2012, la Cour des comptes déplorait l’absence de coordination interministérielle de la politique de la ville dans un contexte où les intervenants ne cessent d’être multipliés. On dénombre pas moins de 15 000 associations subventionnées, chargées de mettre en œuvre la politique de la ville. Dès lors, on comprend mieux que la Cour des comptes ait utilisé le terme de « machine sans compteur » pour résumer le financement de la politique de la ville.

Il convient donc d’évaluer, sans complaisance, le coût exact et complet de la politique de la ville ainsi que ses résultats pour, sans doute, comme le préconise le criminologue Xavier Raufer, « tout reprendre à zéro ». Par ses pouvoirs d’investigation, la commission d’enquête sera à même d’y procéder.

Aussi, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée :

– d’établir le coût exact et complet de la politique de la ville mise en œuvre dans notre pays depuis quarante ans ;

– d’évaluer les résultats complets de cette politique dans tous les domaines ;

– et, à la lumière des politiques conduites à l’étranger comme des expériences réussies dans certains territoires de l’hexagone, proposer les grands axes de la politique que notre pays doit mettre en œuvre pour remédier à cette situation.


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