N° 4558 - Proposition de loi de M. Laurent Degallaix renforçant la lutte contre le commerce illicite des produits du tabac



N° 4558

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 février 2017.

PROPOSITION DE LOI

renforçant la lutte contre le commerce illicite
des produits du tabac,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire,
à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Laurent DEGALLAIX, Éric STRAUMANN, Thierry LAZARO, Jean-Claude MATHIS, Yannick FAVENNEC, Patrick HETZEL, Arlette GROSSKOST, Bernard BROCHAND, Yannick MOREAU, Stéphane DEMILLY, Lionnel LUCA, Jean-Pierre DECOOL, François ROCHEBLOINE, Lucien DEGAUCHY, Meyer HABIB, Olivier MARLEIX, Nicolas DHUICQ, Jean-Louis CHRIST, Alain SUGUENOT, Frédéric REISS, Bertrand PANCHER, Bérengère POLETTI, Élie ABOUD, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Claude de GANAY, Alain MOYNE-BRESSAND, Jean-Claude GUIBAL, Bernard DEFLESSELLES, Rudy SALLES, Michel HERBILLON, Thierry BENOIT, Jacques LAMBLIN, Lionel TARDY, Michel VOISIN, Guillaume CHEVROLLIER, Yves CENSI, François-Xavier VILLAIN, Guy TEISSIER, Pierre MORANGE, Sylvain BERRIOS, Francis HILLMEYER,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le commerce parallèle du tabac occasionne, au-delà des enjeux évidents de santé publique, un manque à gagner considérable à la fois en termes de recettes fiscales de l’État et de revenus bruts pour les buralistes, ainsi qu’une situation d’insécurité quotidienne pour les débits de tabac et les livreurs de Logista. Cette situation a tendance à s’aggraver, entraînant la fermeture de près de 1 000 bureaux de tabac chaque année.

Pour endiguer ce fléau, il apparaît absolument nécessaire de mettre en œuvre le plus rapidement possible le Protocole de l’Organisation Mondiale de la Santé « pour éliminer le commerce illicite du tabac », adopté le 12 novembre 2012 par la Conférence des Parties et ratifié à l’unanimité en France par la loi ‎n° 2015-1350 du 26 octobre 2015, complété par les mesures prévues par la présente proposition de loi, qui vise notamment à aggraver les sanctions encourues pour vol, recel et revente de tabac.

Le tabac fait partout l’objet de trafics, à tous les stades de sa production, de son transport et de sa consommation. L’Organisation mondiale de la santé estime que 12 % des 6 000 milliards de cigarettes commercialisées chaque année dans le monde font l’objet de commerce parallèle. On estime que cela représente, pour la France, un manque à gagner fiscal de près de 3 milliards d’euros par an et une perte de 250 millions d’euros pour les buralistes français, déjà pour beaucoup d’entre eux en grandes difficultés.

La présente proposition de loi vise à permettre la mise en place du Protocole de l’Organisation mondiale de la santé en supprimant les dispositifs de traçabilité des produits du tabac prévus par le code de la santé publique. Le texte vise également à enrichir le dispositif prévu par le Protocole en renforçant l’arsenal dissuasif prévu par le droit français en cas d’activités reconnues de commerce illicite de produits du tabac.

Ce commerce parallèle n’est pas composé de cigarettes contrefaisantes, mais principalement de vraies cigarettes, fabriquées et commercialisées par les fabricants de tabac eux-mêmes. Ces cigarettes nourrissent le commerce parallèle de deux façons :

- soit elles sont vendues par les fabricants de tabac à des intermédiaires installés dans des pays de l’Est de l’Europe notamment (Ukraine, Kosovo…) où les taxes sont extrêmement faibles, cigarettes qui sont ensuite acheminées par containers ou par camions dans les pays à forte fiscalité. Ce sont ces cigarettes qui font l’objet des prises médiatisées de la Douane ;

- soit elles sont vendues par les fabricants de tabac dans des pays de l’Europe de l’ouest qui pratiquent une fiscalité sur le tabac douce. Les fabricants de tabac « sur-approvisionnent » ainsi les vendeurs de tabac en Andorre, au Luxembourg, les vendeurs de tabac belges et espagnols proches de la France, pour alimenter les fumeurs et non-fumeurs (qui achètent eux pour revendre) originaires des pays à forte fiscalité sur le tabac.

Ainsi en Andorre, alors que 120 tonnes de tabac sont nécessaires chaque année pour satisfaire la demande des fumeurs andorrans, les cigarettiers y livrent 850 tonnes de tabac. La différence nourrit les réseaux parallèles, au détriment de nos buralistes, de notre politique de santé publique et de nos finances publiques.

L’objectif des fabricants de tabac est de favoriser la circulation du tabac à bas prix pour saper les politiques de santé publiques fondées sur une taxation forte des produits du tabac, en ciblant notamment les adolescents par nature sensibles au prix. Or un adolescent sur trois qui fume devient un fumeur adulte régulier. Le commerce parallèle du tabac permet donc aux fabricants de tabac de trouver leurs fumeurs de demain.

Il ne se passe pas un jour sans qu’un buraliste se fasse agresser ou cambrioler. Les conducteurs de camions de livraison de tabac sont également particulièrement concernés : depuis le 1er janvier 2017, huit camions ont été attaqués, contre 35 au total en 2016. Une progression très préoccupante.

La raison de cette insécurité est malheureusement simple : le trafic de tabac est facile, rémunérateur et peu puni. Les risques d’être appréhendé sont faibles, rien ne ressemblant plus aujourd’hui à un paquet de cigarettes qu’un autre paquet de cigarettes.

C’est la raison pour laquelle il est indispensable de proposer, concomitamment à la mise en place de la traçabilité indépendante des produits du tabac, une aggravation des peines pour vol, recel et trafic de tabac.

À l’heure actuelle et en plus d’empêcher d’autres solutions plus efficaces, le système de traçabilité prévu par les articles L. 3512-23, L. 3512-24, L. 3512-25 et L. 3512-26 du code de la santé publique est à la fois flou et biaisé car il est contrôlé par les fabricants de tabac eux-mêmes. Il convient donc de le supprimer afin de pouvoir mettre en place un dispositif de traçabilité conforme aux exigences du Protocole de l’Organisation mondiale de la santé.

En l’état actuel des choses, le code des douanes prévoit en son article 414 une peine de trois ans d’emprisonnement, une amende équivalente à entre une et deux fois la valeur de l’objet de la fraude ainsi que sa confiscation en cas d’acte de contrebande ou d’importation/exportation sans déclaration de produits du tabac manufacturé. Il apparaît impératif de durcir ces dispositions afin de créer un véritable effet dissuasif, en intégrant les délits mentionnés ci-dessus à ceux qui concernent des « marchandises dangereuses pour la santé, la moralité ou la sécurité publiques », passibles de peines beaucoup plus lourdes.

Avec la traçabilité indépendante des produits du tabac, chaque contenant de tabac (paquet de cigarettes, poche de tabac à rouler, cartouche, carton, palette) va devenir unique, numéroté, identifié, et tracé. Il sera donc plus aisé demain pour les forces de police, de gendarmerie, de douane d’établir que telle quantité de tabac provient de tel cambriolage de buraliste ou de telle attaque de camion Logista. La justice, quant à elle, pourra prononcer des peines que nous proposons d’alourdir considérablement, avec des peines d’emprisonnement que nous proposons de porter jusqu’à dix ans et d’amende que nous proposons de porter jusqu’à dix fois le montant de la valeur saisie.

Cette mesure permettra aussi de mettre fin au financement de certains réseaux délinquants, mafieux, voire terroristes.

Si la seule mise en œuvre de la traçabilité indépendante ne suffit pas, il convient de prévoir la possibilité de mise en œuvre d’un encadrement des livraisons de tabac par pays, en fonction du nombre de fumeurs.

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, la traçabilité des produits du tabac strictement indépendante des fabricants de tabac doit empêcher ces derniers d’organiser le commerce parallèle, de vendre du tabac à des intermédiaires douteux qui revendent ce tabac dans les pays à fiscalité forte, de « sur-approvisionner » les pays à fiscalité faible et de saper les politiques de santé publique pour trouver de nouveaux fumeurs.

Les fabricants de tabac sont des groupes cotés, très sensibles aux risques touchant à leur image. Dans la mesure où tout pays qui mettra en œuvre le Protocole saura chaque jour, à l’unité près, le nombre de cigarettes livrées par chacun des cigarettiers, il sera aisé d’interpeller publiquement ceux qui dépasseront la demande domestique.

Si les cigarettiers poursuivent la fourniture volontaire des marchés parallèles, il conviendra d’aller plus loin, en rendant possible la mise en œuvre d’un système d’encadrement des livraisons de tabac par pays.

Chaque État-membre pourrait fixer, chaque année, la quantité de tabac qu’il souhaite mettre à disposition de ses consommateurs via son réseau officiel de vente. Cette quantité pourra évoluer chaque année en fonction des priorités de santé publique et fiscales, sans jamais pouvoir dépasser + 10 % de la quantité de tabac théorique nécessaire. Bien entendu, cette mesure ne saurait être appliquée unilatéralement par les autorités françaises et a vocation à s’élever au niveau européen.

Ainsi, demain, les fabricants de tabac ne pourraient plus livrer dans les 27 États membres de l’UE plus de tabac que les marchés l’exigent. Cette mesure radicale, rendue possible par la présente proposition de loi, est pensée principalement comme un dispositif dissuasif et ne connaîtrait d’application qu’en cas d’échec, en réalité, du Protocole de l’Organisation mondiale de la santé.

Le cas particulier d’Andorre :

Andorre n’étant pas membre de l’Union européenne, cette législation nouvelle ne pourrait pas lui être opposée. Il conviendrait donc d’adopter un dispositif particulier pour protéger notre pays du « sur-approvisionnement » de tabac pratiqué en Andorre par les fabricants de tabac, dont nous avons rappelé les chiffres ci-dessus.

Il serait envisageable d’abaisser les franchises appliquées aux achats de tabac dans un pays non membre de l’Union européenne.

Aujourd’hui, en vertu d’un accord sous forme d’échange de lettres entre la Communauté économique européenne et la Principauté d’Andorre du 28 juin 1990 publié au JOCE n° L374 du 31 décembre 1990, il est possible pour toute personne âgée de plus de 17 ans de ramener d’Andorre :

- 300 cigarettes (soit 1,5 cartouche) ;

- ou 150 cigarillos ;

- ou 75 cigares ;

- ou 400 g de tabac à fumer.

Nous proposons de diviser ces quantités par 10 et qu’il soit interdit demain pour toute personne âgée de plus de 17 ans de rapporter d’Andorre plus de :

- 40 cigarettes (soit 2 paquets) ;

- ou 15 cigarillos ;

- ou 7 cigares ;

- ou 40 g de tabac à fumer.

En parallèle de la présente proposition de loi, il convient donc que les gouvernements européens, en particulier français et espagnol, pèsent sur l’Union européenne pour faire évoluer cet accord dans un sens vertueux.

La mise en œuvre de la traçabilité indépendante des produits du tabac telle que définie par le Protocole de l’Organisation mondiale de la santé ratifié par la France le 30 novembre 2015 et par l’Union européenne le 24 juin 2016, ainsi que les mesures prévues par le présent texte, permettraient de tarir la source du commerce parallèle de tabac, de redonner tout leur sens aux politiques de santé publique et aux mesures fiscales contre le tabagisme, d’augmenter chaque année de 3 milliards d’euros les revenus fiscaux de la France et de rendre aux 26 000 buralistes français 250 millions d’euros annuels de chiffre d’affaires supplémentaire, soit davantage que le montant du contrat d’avenir. Ces mesures auraient un coût tout à fait négligeable, l’article 8-14 du Protocole de l’OMS prévoyant un financement à 100 % par les fabricants de tabac.

Il est important enfin de préciser que ces mesures ne se traduiraient pas par une hausse générale des prix qui serait la conséquence d’une répercussion par les fabricants de tabac de ces charges nouvelles, car si les prix du tabac sont libres en France, une hausse générale des prix est la conséquence d’une taxe dite du « minimum de perception » votée par le Parlement. En l’absence de hausse de ce minimum de perception, il est très probable que les cigarettiers ne pourront augmenter individuellement le prix de leurs produits, sous peine de n’être plus compétitifs. Les différentes taxes et charges supplémentaires mises en place en 2016 n’ont d’ailleurs pas entraîné de hausse du prix des cigarettes.

Tels sont les objectifs de la présente proposition de loi, dans la perspective de la mise en œuvre effective en France du Protocole de l’Organisation mondiale de la santé « pour éliminer le commerce illicite du tabac ».

PROPOSITION DE LOI

Chapitre Ier

Permettre l’application du Protocole de l’Organisation mondiale de la santé « pour éliminer le commerce illicite du tabac »

Article 1er

Les articles L. 3512-23, L. 3512-24, L. 3512-25 et L. 3512-26 du code de la santé publique sont abrogés.

Chapitre II

Aggraver les peines pour vol, recel et revente de tabac

Article 2

Au troisième alinéa de l’article 414 du code des douanes, après le mot : « douanes », sont insérés les mots : « comprenant notamment les produits du tabac manufacturé ».

Article 3 :

Le chapitre Ier du titre Ier du livre III du code pénal est ainsi modifié :

1° Après le 11°de l’article 311-4 est inséré un 12° ainsi rédigé :

« 12° Lorsqu’il porte sur les produits du tabac manufacturé »

2° Après le troisième alinéa de l’article 311-9 est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Il est puni de dix ans de réclusion criminelle et d’une amende équivalent à dix fois le montant de l’objet du vol lorsqu’il concerne des produits du tabac manufacturé. »

Article 4

Le chapitre II du titre II du livre II du code pénal est ainsi modifié :

1° À l’article 222-36, après le mot: « stupéfiants », sont insérés les mots : « ou de produits du tabac manufacturé » ;

2° À l’article 222-37, après le mot : « stupéfiants », sont insérés les mots : « ou de produits du tabac manufacturé ».

Chapitre III

Restreindre les livraisons de tabac dans les pays où le commerce illicite du tabac perdure malgré la mise en place de la traçabilité de tabac définie par le Protocole de l’Organisation Mondiale de la Santé

Article 5

Après l’article 572 bis du code général des impôts il est inséré un article 572 ter ainsi rédigé :

« Art. 572 ter. – Lorsqu’il est constaté par l’Organisation mondiale de la santé que subsistent des marchés parallèles concernant les produits du tabac manufacturé dans les pays hors Union européenne ayant pourtant adopté le Protocole « pour éliminer le commerce illicite de tabac », le Gouvernement se réserve la possibilité, selon les modalités indiquées dans le présent article, de fixer, par pays, la quantité de produits du tabac manufacturé à importer. Ces mesures peuvent occasionner, s’il y a lieu, une renégociation des traités commerciaux bilatéraux en cours ou une demande de renégociation lorsqu’il s’agit de traités signés entre l’Union européenne et le pays concerné.

« Sur la base des déclarations établies en application de l’article 575 C un arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et du budget fixe avant le 31 janvier de chaque année les quantités maximum de produits susceptibles d’être livrées aux débitants désignés à l’article 568. En tenant compte des quantités produites sur le territoire national cet arrêté définit les quantités maximum susceptibles d’être importées qui ne peuvent être égales qu’à la différence entre les quantités déclarées au cours de l’année qui précède et les quantités produites sur le territoire majorée au maximum de 10 %.

« Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article et notamment les conditions de déclinaison des quantités par catégories de produits, et, pour celles qui représentent une part significative de la consommation nationale, par marques de cigarettes. »


© Assemblée nationale