N° 4620 - Proposition de résolution de M. Jean-Jacques Candelier tendant à la création d'une commission d'enquête visant à étudier la possibilité de mettre en place une "immunité ouvrière"



N° 4620

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 avril 2017.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête visant à étudier
la possibilité de mettre en place une « immunité ouvrière »,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Jean-Jacques CANDELIER,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 4 avril 2017, un candidat à l’élection présidentielle faisait le « buzz » en indiquant que, contrairement aux parlementaires disposant d’une immunité, les ouvriers ne pouvaient se soustraire à la justice. Derrière ce slogan de « l’immunité ouvrière » qui a provoqué l’hilarité en plateau, se cache pourtant une réalité concrète, celle d’une justice qui fonctionne de plus en plus à deux vitesses.

Des politiques au-dessus des lois.

La campagne de l’élection présidentielle de 2017 est inédite à plus d’un titre. Plusieurs candidats sont inquiétés par des affaires et accusés de détournements de fonds publics, d’emplois fictifs, en un mot : d’être des corrompus et des tricheurs. Bien que la présomption d’innocence s’applique, nous ne pouvons que constater que cela participe au discrédit général de la politique et de la Ve République.

Entre le candidat de la droite et la candidate de l’extrême droite, la course à l’Élysée devient l’unique moyen de retarder de cinq ans leur propre calendrier judiciaire. En effet, le Président de la République dispose d’un statut juridictionnel particulier. En plus de jouir d’une irresponsabilité pour tous les actes accomplis en sa qualité de Président, il dispose d’une inviolabilité qui empêche toute procédure administrative, civile ou pénale à son encontre pour des faits commis en dehors de ses fonctions présidentielles.

De même, les parlementaires disposent statutairement d’une « immunité » permettant de garantir leur protection et leur indépendance. Ainsi, l’inviolabilité qui vise les activités extra-parlementaires nécessite la mainlevée de son immunité par ses pairs pour toute mesure coercitive à son encontre.

Au-delà même de ces protections, des candidats auront tenu pendant cette campagne des propos virulents contre l’indépendance de la justice. Pour le candidat de droite, ce ne serait plus à la justice mais « au peuple » de décider. La candidate d’extrême-droite, pour sa part, refusera de se rendre à une convocation de la police judiciaire qui souhaitait l’entendre en audition libre dans le cadre de l’affaire des assistants parlementaires européens du Front national. Celle-ci ira même jusqu’à proposer une « trêve judiciaire » pendant les campagnes électorales, ce qui reviendrait à créer deux catégories de justiciables dans notre pays.

Une justice de classe.

« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » disait Jean de la Fontaine.

Au-delà des politiques, cette citation, pourtant ancienne, illustre de manière moderne à quel point il peut exister un « deux poids deux mesures » dans la justice de notre pays. De nombreux exemples peuvent être relevés dans l’actualité récente. À Toulouse, un homme qui assure « ne pas avoir mangé depuis trois jours » est condamné à trois mois de prison ferme pour avoir volé une bûche de chèvre. Christine Lagarde, ancienne ministre de l’économie et désormais directrice générale du Fonds monétaire international est dispensée de peine après avoir été reconnue coupable de « négligence » dans l’affaire Tapie. Depuis plusieurs années, ce sont de nouveaux chapitres de l’œuvre « Les Misérables » qui s’écrivent.

Lutter est un droit, pas un crime !

Ce contexte de défiance généralisée et d’affaiblissement de la confiance dans nos institutions se double d’une crise sociale sans précédent. Le taux de chômage explose, les licenciements se multiplient et notre pays compte près de 9 millions de personnes sous le seuil de pauvreté.

Pourtant, les richesses existent mais elles n’ont jamais été aussi mal réparties. Nous produisons chaque année près de 2 000 milliards de richesses. En 2017, les 5 premières fortunes françaises représentent à elles seules un montant équivalent à 125,8 milliards de dollars… l’équivalent du PIB de la Hongrie.

Bernard Arnault, patron du groupe LVMH qui a licencié massivement ces dernières années a augmenté sa fortune de 21 % en un an. Il détient 38,4 milliards d’euros de fortune personnelle, l’équivalent de 3,1 millions d’années de SMIC !

Patrick Drahi voit sa fortune bondir de + 118,2 % pour atteindre 12 milliards d’euros alors que celui-ci, après avoir déjà supprimé 1 200 postes, menace un tiers des effectifs de son groupe de licenciement, soit 5 000 salariés sur 14 000.

Le président du directoire de PSA Peugeot Citroën, après avoir cassé l’outil industriel sur plusieurs sites, a totalisé un gain de 5,2 millions d’euros (dont 2 millions d’euros en « actions de performance ») pour la seule année 2015, multipliant par deux sa rémunération. Un montant qui représente l’équivalent de 14 500 euros par jour, samedi et dimanche compris, ou près d’un SMIC annuel par jour.

Face à tant d’injustice sociale, de nombreux combats sociaux ont eu lieu ces dernières années. Que ce soit pour lutter contre l’inique loi travail ou pour maintenir leur emploi, les salariés se sont battus dignement pour leur avenir, celui de leurs familles mais également pour préserver les intérêts de la nation face à la frénésie sans fin du grand patronat.

La réponse du système face à ces tentatives de résistance a été de criminaliser les salariés en lutte. Plusieurs d’entre eux se sont ainsi retrouvés devant la justice.

Le cas le plus emblématique de la répression policière et judiciaire des salariés est celui des employés de l’usine Goodyear d’Amiens-Nord qui avaient séquestré leur directeur des ressources humaines et le directeur de la production afin de préserver leur outil de travail.

Le tribunal correctionnel d’Amiens les a condamnés en première instance à neuf mois de prison ferme et quinze avec sursis. Cette délibération transforme les syndicalistes en criminels, pendant que les vrais délinquants qui fraudent le fisc ou détournent l’argent public ont les mains libres.

Cette décision de justice, bien qu’amoindrie en appel, a un caractère politique clair. Après le cas d’Air France où des policiers sont venus chercher des salariés chez eux aux aurores, c’est une nouvelle tentative pour intimider les salariés qui seraient tentés de relever la tête pour défendre leurs emplois face à des dirigeants qui privilégient le plus souvent la rentabilité à court terme, au détriment de l’intérêt général et de l’emploi.

Goodyear qui a fermé pour délocaliser, c’est pourtant 2,5 milliards de profit après impôt, 800 millions de dividendes aux actionnaires, et 12 suicides de travailleurs depuis la fermeture de l’usine.

Nous affirmons ici que la vraie violence, ce n’est pas celle des salariés qui résistent pour préserver leurs conditions de vie. La vraie violence, c’est celle du capitalisme destructeur qui broie des vies et des familles en licenciant des centaines de milliers d’emplois pour satisfaire la rapacité des actionnaires.

Pendant qu’une classe minoritaire et privilégiée vit dans l’impunité la plus totale, les travailleurs et les syndicalistes voient leurs luttes et leurs combats criminalisés et sont envoyés jusque devant les tribunaux pour répondre de leurs actes.

Devant tant d’injustice, il est proposé d’agir sans attendre pour défendre les véritables victimes de l’exploitation et de l’oppression en réfléchissant à la mise en place d’une immunité ouvrière.

Protéger les syndicalistes, c’est protéger l’intérêt général.

Au-delà du caractère symbolique de la mise en place d’une « immunité ouvrière » qui serait apte à remettre chacun sur un pied d’égalité devant la loi, cette disposition revêt un caractère nécessaire pour protéger les fonctions importantes des syndicalistes dans les entreprises.

Face à la criminalisation de l’action syndicale, il devient compliqué pour les représentants des salariés de jouer leur rôle de défense des intérêts majoritaires et de lanceurs d’alertes face aux accidents du travail et aux négligences patronales. Combien de salariés se taisent par peur des pressions ou des sanctions patronales ? Combien se taisent suite au risque de poursuite judiciaire en cas d’action revendicative ? Cela ne peut plus durer.

La mise en place de cette mesure permettrait donc de protéger les syndicalistes en leur permettent d’assurer pleinement leurs pouvoirs de représentation, y compris d’action revendicative au service de l’intérêt général.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 137 et suivants du Règlement, il est créé une commission d’enquête de trente membres visant à réfléchir aux conditions de la mise en place d’une « immunité ouvrière ».


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