N° 4621 - Proposition de résolution de M. Pierre Morel-A-L'Huissier visant à établir un statut spécifique pour la Lozère



N° 4621

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 avril 2017.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

visant à établir un statut spécifique pour la Lozère,

présentée par

M. Pierre MOREL-A-L’HUISSIER,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Territoire hors norme à bien des égards, la Lozère est historiquement en situation de ruralité à dominante isolée. Fortement marqué par plusieurs épisodes d’exode rural, ce département qui est actuellement le moins peuplé de France passe dès 1936 en dessous de la barre symbolique de 100 000 habitants. Avec 15 habitants au kilomètre carré, la Lozère est loin derrière la Corse du Sud qui compte 30 habitants par kilomètre carré, et largement en dessous de la moyenne nationale qui s’établit à 117,56 habitants au kilomètre carré.

On peut s’attendre à ce que ce chiffre baisse encore, dans la mesure où le taux de fécondité, qui est de 1,72 enfant par femme, est inférieur à la moyenne nationale (2 enfants par femme) est loin de permettre le renouvellement de la population, et où l’exode rural continue de toucher notamment les jeunes générations.

Sa spécificité géologique enclave naturellement le territoire : Causses, Cévennes, Aubrac, Margeride sont autant de régions naturelles montagneuses, et de plateaux étendus ne permettant pas à la Lozère d’être reliée aussi facilement comme d’autres départements. L’altitude moyenne en Lozère est l’une des plus hautes parmi les départements en France, soit 1 000 mètres.

De ces caractéristiques spécifiques qui font de la Lozère un territoire à part découlent plusieurs problématiques particulièrement inquiétantes :

– L’important déficit de services publics oblige souvent de faire 30 voire 50 kilomètres pour avoir accès aux services de base comme La Poste, la pharmacie, la crèche ou les commerces de première nécessité. Le maillage territorial, censé couvrir de manière égale les départements, est largement défaillant. Tout citoyen devrait pouvoir accéder à ces services publics de base en moins de 30 minutes, et nous avons de longue date formulé des propositions en ce sens.

– L’enclavement territorial est aggravé par des transports en commun ferroviaires et routiers insuffisants ou défaillants et des routes mal entretenues. De surcroît, le Gouvernement met en danger, par son désengagement sur les trains d’équilibre du territoire (TET), les lignes Clermont-Ferrand – Nîmes (ligne des Cévennes) et Clermont-Ferrand – Béziers (ligne de l’Aubrac). Par ailleurs, il n’existe pas de liaison aérienne, et les lignes de chemin de fer sont souvent en mauvais état en raison de conditions météorologiques et de leur mauvais entretien.

– La fracture numérique qui s’aggrave de jour en jour contribue à faire de la Lozère un territoire isolé. La téléphonie mobile, la 3G ou 4G restent aléatoires dans certaines zones. On parle désormais de « gouffre numérique » à propos de la Lozère. En conséquence, il est parfois compliqué de pratiquer le télétravail, et les entreprises se délocalisent les unes après les autres pour survivre. La fracture numérique est responsable de la mort lente du département. Cela a également pour conséquence une difficulté à instaurer la télémédecine : comment mettre en œuvre un tel système alors que les deux tiers des communes n’ont pas accès au très haut débit ?

– La désertification médicale est très préoccupante. Seul ce département possède le plus fort risque de baisse de ses effectifs en médecins. En dépit du succès des maisons pluridisciplinaires de santé, la Lozère dispose d’une moyenne de 126,1 médecins pour 100 000 habitants, quand la moyenne nationale s’élève à 336,8. La quasi-inexistence de la médecine spécialisée oblige les habitants à se déplacer hors du département pour consulter des spécialistes.

– Sur le plan éducatif, le désengagement de l’éducation nationale se fait fortement ressentir. Malgré la convention ruralité qui est censée prendre en compte les spécificités éducatives de la Lozère, chaque année la fermeture des classes est une menace constante pour les écoles de village. La Lozère voit tous les jours les jeunes partir étudier et travailler ailleurs. En raison d’un manque de formation post-bac, les étudiants lozériens doivent aller faire leurs études dans d’autres départements, à 200 ou 300 kilomètres au plus près.

– Dépendante du secteur primaire, son économie est déséquilibrée. Ce sont plus de 3 000 agriculteurs — soit 19,4 % de la population — qui survivent tant bien que mal, puisque la Lozère enregistre les revenus agricoles les plus bas de France. Par ailleurs, la place du conjoint est souvent délaissée ou non prise en compte, ce qui ne favorise pas les installations.

Tous ces handicaps et défaillances conduisent à un cercle vicieux excluant de plus en plus de personnes, et la situation s’empire au fil des années.

Cette situation est d’autant plus inquiétante car le Gouvernement a annoncé en mars 2017 sa volonté d’exclure 19 communes de Lozère du dispositif de Zone de revitalisation rurale (ZRR). Alors que les ZRR ont pour mission d’apporter une aide spécifique aux territoires ruraux connaissant des difficultés économiques et sociales particulières, notamment une faible densité démographique, un déclin de la population totale (ou active) ou une forte proportion d’emplois agricoles, comme le cas de la Lozère, cette décision aurait des conséquences dramatiques pour la Lozère, en impactant directement le développement local et la création d’emploi.

Or, la Lozère est un territoire à fort potentiel de développement : elle offre une qualité de vie exceptionnelle dans un milieu naturel et préservé (31 % du département étant classé en zone Natura 2000), elle jouit d’un potentiel touristique important, d’un savoir-faire artisanal ancestral concernant les lauzes, d’une tradition agropastorale sur les Causses et les Cévennes reconnue par l’UNESCO, d’un emplacement unique à cheval sur trois bassins-versants…

Compte tenu de ces caractéristiques uniques, le département de la Lozère doit pouvoir bénéficier d’une vision novatrice et dynamique et des aides de l’État pour se désenclaver et se développer.

Le principe d’égalité des territoires doit permettre la prise en compte différentiée des territoires hors normes. Le Conseil constitutionnel reconnaît la constitutionnalité des discriminations territoriales en affirmant que le principe d’égalité « ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte, par l’octroi d’avantages fiscaux, des mesures d’incitation au développement et à l’aménagement de certaines parties du territoire national dans un but d’intérêt général ».

Par ailleurs, selon l’article 42 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, « des politiques renforcées et différenciées de développement sont mises en œuvre dans les zones caractérisées par des handicaps géographiques, économiques et sociaux ».

Le dernier Gouvernement s’est focalisé sur l’égalité des territoires alors qu’il est absolument nécessaire d’intégrer les spécificités des territoires afin de permettre une adaptation des lois et règlements.

Tel est le sens de la présente proposition de résolution.

PROPOSITION DE RESOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 34-1 de la Constitution,

Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Invite le Gouvernement français à prendre en compte les spécificités et handicaps naturels du département de la Lozère et à dégager des pistes de réflexion visant à établir un statut spécifique pour ce territoire, notamment en termes de :

– régimes fiscaux et sociaux,

– dotations d’État pour des équipements structurels,

– maillage des services publics,

– connexion numérique.


© Assemblée nationale