N° 988 - Rapport d'information de MM. Jean-Yves Le Bouillonnec et Didier Quentin déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en conclusion des travaux d'une mission d'information relative à la mesure statistique des délinquances et de leurs conséquences



N° 988

——

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 avril 2013.

RAPPORT D’INFORMATION

déposé

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE,

en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)

relative à la mesure statistique des délinquances et de leurs conséquences,

ET PRÉSENTÉ

PAR MM. Jean-Yves LE BOUILLONNEC et Didier QUENTIN,

Députés.

——

La mission d’information relative à la mesure statistique des délinquances et de leurs conséquences est composée de :

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président-rapporteur ; M. Didier Quentin, vice-président et co-rapporteur ; M. Jean-Pierre Blazy, vice-président, Mme Pascale Crozon, MM. Carlos Da Silva, Marc Dolez, Olivier Dussopt, Édouard Fritch, Yann Galut, Philippe Goujon, Paul Molac, Sébastien Pietrasanta, Pascal Popelin, Alain Tourret, membres.

INTRODUCTION 7

PREMIÈRE PARTIE : UNE VISION PARCELLAIRE DES DÉLINQUANCES LIÉE AUX FAILLES DES STATISTIQUES POLICIÈRES ET JUDICIAIRES 11

I.– DES DONNÉES POLICIÈRES ET JUDICIAIRES PARTIELLES, BIAISÉES ET INSUFFISANTES 11

1. Des outils statistiques conçus pour mesurer l’activité des services, et non les délinquances 11

a) L’état 4001, outil non exhaustif de mesure de l’activité des services de police et de gendarmerie 11

b) La finalité des statistiques judiciaires et pénitentiaires : la description du processus pénal 18

c) L’absence d’appréhension de la chaîne pénale dans son ensemble 26

2. Des outils sujets à des erreurs, à des distorsions et à des manipulations 27

a) Des conditions de saisie et de remontée peu satisfaisantes 28

b) Des évolutions parfois déconnectées de la réalité des délinquances 31

c) Des outils sous influence 38

3. Des données incomplètes voire inexistantes 46

a) De nombreuses infractions non comptabilisées par l’état 4001 46

b) Les zones d’ombre des statistiques judiciaires et pénitentiaires 47

II.– LA NÉCESSITÉ DE FIABILISER LES DONNÉES ET D’ACCROÎTRE LA TRANSPARENCE ET LA COHÉRENCE DU PROCESSUS STATISTIQUE 51

1. Rénover les outils en limitant les ruptures statistiques 52

a) Affiner, actualiser et enrichir l’outil statistique policier 52

b) Compléter les statistiques judiciaires et pénitentiaires 55

2. Créer un service statistique dédié aux politiques de sécurité au sein du ministère de l’Intérieur 56

a) Fiabiliser les données en remédiant à une étrangeté institutionnelle 56

b) Associer statisticiens et professionnels de la sécurité dans un souci de parfaite opérationnalité 60

3. Encourager le déploiement des nouveaux logiciels pour une vision globale de la chaîne pénale 61

a) Conforter des initiatives porteuses d’espoir 61

b) Rester vigilant au stade du déploiement des nouveaux logiciels 65

SECONDE PARTIE : UNE ANALYSE ET UNE EXPLOITATION DES STATISTIQUES DES DÉLINQUANCES LARGEMENT PERFECTIBLES 69

I.– UNE ANALYSE DES DÉLINQUANCES MORCELÉE ET PEU OPÉRATIONNELLE 69

1. Le bilan positif mais contesté de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales 72

a) Les nombreuses avancées permises par l’ONDRP 73

b) Une indépendance toujours sujette à caution 80

c) Une structure sous-dimensionnée 85

2. Une analyse « court-termiste » des délinquances 86

a) Des données publiées à un rythme trop soutenu 86

b) Une nécessaire confrontation aux évolutions de long terme 89

3. Des données administratives parfois peu accessibles 90

a)  L’indisponibilité des données primaires : un reproche fait à l’ONDRP de façon récurrente 90

b) Une collaboration institutionnelle confrontée à des difficultés pas toujours justifiées 93

II.– FAIRE ÉMERGER UNE MÉTHODE D’ANALYSE INCONTESTABLE, AU SERVICE DE L’ACTION PUBLIQUE 96

1. Renforcer l’indépendance et les pouvoirs de l’ONDRP 96

a) Modifier l’organisation de l’ONDRP pour lever le soupçon 97

b) Donner à l’ONDRP les moyens juridiques, humains et techniques nécessaires à l’accomplissement de ses missions 99

c) Rationaliser les observatoires sectoriels dans un souci d’enrichissement des données 101

2. Réorienter les missions de l’ONDRP vers la recherche et l’évaluation des politiques publiques 102

a) Rattacher plus clairement l’ONDRP à la statistique publique 102

b) Créer un conseil scientifique pour mieux associer les chercheurs 104

c) Renforcer les interactions entre les chercheurs et les agents chargés de définir et de mettre en œuvre les politiques publiques 107

3. Croiser les regards en encourageant le développement d’enquêtes de victimation régulières 110

a) Reconnaître aux enquêtes en population générale une place de premier ordre dans la mesure de certaines délinquances 111

b) Confronter davantage les données policières et judiciaires à des données extra-pénales 118

CONCLUSION 123

EXAMEN DU RAPPORT EN COMMISSION 124

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS DE LA MISSION D’INFORMATION 141

CONTRIBUTION DE M. DIDIER QUENTIN, VICE-PRÉSIDENT ET CO-RAPPORTEUR 143

CONTRIBUTION DE M. PHILIPPE GOUJON, MEMBRE DE LA MISSION 144

PERSONNES ENTENDUES PAR LA MISSION D’INFORMATION 147

ANNEXE 1 : CONTRIBUTION DU CESDIP AUX TRAVAUX DE LA MISSION 155

ANNEXE 2 : ÉTAT 4001 VIERGE 197

ANNEXE 3 : CODE DES BONNES PRATIQUES DE LA STATISTIQUE EUROPÉENNE 199

ANNEXE 4 : SCHÉMA DU NOUVEAU SYSTÈME D’INFORMATION INTÉGRÉ POLICE-JUSTICE 207

ANNEXE 5 : INFORMATIONS DISPONIBLES DANS LA BASE STATISTIQUE OPÉRATIONNELLE DE LRPPN 209

ANNEXE 6 : DÉTAIL DES AGRÉGATS UTILISÉS PAR L’ONDRP 212

ANNEXE 7 : PRÉSENTATION DES FUTURS AGRÉGATS DU MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR 216

MESDAMES, MESSIEURS,

Les statistiques des délinquances et de leurs conséquences, objet du présent rapport, ont pris une importance considérable dans le débat public. Tour à tour utilisées pour présenter un bilan favorable de l’action des gouvernements ou, au contraire, pour asseoir, à partir de l’état des lieux qu’elles fournissent, une nouvelle politique pénale, elles sont déraisonnablement mises en avant.

La valorisation de ces statistiques, tant par les gouvernants que par les médias, est d’autant plus paradoxale que, comme vos rapporteurs entendent vous le démontrer, ces statistiques n’ont qu’une fiabilité très limitée et ne permettent nullement de mesurer finement les délinquances.

Ceci est d’autant plus vrai que c’est généralement un « chiffre unique » qui sert de fondement à la communication et au débat. Or, ce chiffre, qui résulte de l’agrégation grossière de données éparses, n’est porteur d’aucune réalité. Fabriqué de toutes pièces à des fins de communication politique, il ne peut que faire reculer le niveau du débat public, alors même que la connaissance de la réalité des délinquances est, par nature, susceptible d’éclairer les acteurs publics autant que les observateurs de la réalité sociétale.

La mission a ainsi eu à cœur de soustraire la mesure des délinquances aux polémiques récurrentes dont elle fait l’objet. Les statistiques des délinquances, qu’elles proviennent des données relatives à l’activité des services concourant à la chaîne pénale ou des enquêtes de victimation, sont un enjeu majeur de connaissance et, partant, d’orientation des politiques publiques.

Afin que les statistiques des délinquances servent au mieux l’action publique, vos rapporteurs estiment que le respect de quelques règles simples, mais néanmoins fondamentales, s’impose à tous, qu’ils soient responsables politiques ou journalistes.

En premier lieu, il convient de proscrire le « chiffre unique », particulièrement trompeur, et de favoriser la communication de données plus fines, porteuses de sens. Les agrégats sur lesquels le ministère de l’Intérieur travaille actuellement semblent prometteurs, même si des progrès avaient déjà été accomplis.

En deuxième lieu, les chiffres doivent être pris pour ce qu’ils sont : les données issues de l’activité des services ne mesurent rien d’autre que l’activité des services – et qui plus est très imparfaitement. Si elles peuvent éclairer l’analyse des délinquances, elles ne sauraient la mesurer directement.

En dernier lieu, il faut absolument s’interdire de livrer un chiffre sans inscrire l’analyse dans des tendances de long terme et sans étudier le contexte précis, ni rechercher les causes, de telle ou telle évolution. Un chiffre ne veut rien dire s’il n’est pas mis en perspective.

Ces précautions sont à même de fonder une nouvelle déontologie que les pouvoirs publics, les élus comme les médias doivent faire leur.

Par ailleurs, il faut cesser de recourir au même instrument pour mesurer, d’une part les délinquances, d’autre part la performance des services. Outre le fait que cette situation est aberrante au plan de la rigueur scientifique, elle rend l’outil parfaitement inexploitable dans les deux cas. Les outils de mesure des délinquances doivent donc être dissociés des instruments d’évaluation de la performance des services. A fortiori, les rémunérations des personnels judiciaires – police et justice – doivent être parfaitement décorrélées des indicateurs purement quantitatifs qui permettent aujourd’hui d’appréhender les délinquances. Cela nécessite d’élaborer de nouveaux indicateurs susceptibles de mesurer la performance des services de police et de gendarmerie.

Le mythe platonicien de la caverne a montré qu’il était plus facile de se complaire dans l’illusion que d’affronter l’aveuglante vérité. Tel est pourtant l’ambition de la mission : venir à bout du chiffre unique et favoriser une nouvelle appréhension des statistiques des délinquances.

*

Les premières tentatives de mesure des délinquances sont apparues, en France, à la fin du XVIIIe siècle, sous l’impulsion du conseiller d’État Jean-Baptiste de Montyon. En 1786, celui-ci recensa les crimes commis depuis 1775, ayant fait l’objet d’une condamnation par le Parlement de Paris et les ventila par âge, sexe, profession du condamné, lieu de l’infraction, pour en tirer ses Observations sur la moralité en France. Plus tard, en 1806, une circulaire du ministre de la Justice André Joseph Abrial, fonda la première statistique judiciaire. C’est à partir de 1827 qu’est produit le Compte général de l’administration de la justice criminelle, qui connaît un franc succès à travers toute l’Europe.

À l’époque, seules les statistiques issues des tribunaux étaient disponibles, si bien que l’on assimilait la mesure de l’activité des tribunaux à celle de la délinquance. On considérait alors que, si tous les crimes n’étaient pas portés à la connaissance de la justice, le rapport entre les crimes commis et les crimes jugés était constant dès lors que l’activité des juridictions pénales ne connaissait pas de modification. La théorisation de cet écart par le « chiffre noir », au début du XXe siècle, acheva d’ancrer dans les mentalités scientifiques l’idée selon laquelle les statistiques judiciaires pouvaient fournir, en elles-mêmes, une mesure des délinquances : « Comme on ne disposait à l’époque d’aucun moyen sérieux de mesurer empiriquement cet écart, on n’avait guère d’autre issue que de le tenir pour constant, et donc de regarder la criminalité connue comme représentant valablement la criminalité commise » (2).

Mais, la statistique judiciaire française devait peu à peu céder la place à la statistique policière. Outre que l’idée germait qu’il était préférable de se placer le plus en amont possible, au sein de la chaîne pénale, pour mesurer les délinquances, ce sont aussi les défauts de la statistique judiciaire de l’époque qui mirent un terme à son utilisation. En effet, le Compte général avait subi les conséquences de la désorganisation de l’appareil judiciaire pendant l’entre-deux-guerres. Difficilement exploitable, l’analyse du casier judiciaire lui fut alors préférée.

Puis, dans le courant des années 1970, l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) cessa d’exploiter le casier, et appuya la création d’un service statistique ministériel au sein du ministère de la Justice. Ce dernier abandonna le Compte général, publié pour la dernière fois en 1981, au profit d’une statistique « concentrée sur la description du fonctionnement pénal plutôt que sur celles des caractéristiques des justiciables » (3). Parallèlement à ces évolutions, une statistique policière avait commencé à se mettre en place au sortir de la Seconde guerre mondiale, qui fut publiée à partir de 1972 : l’état 4001. Celui-ci devait rapidement prendre la place de la statistique judiciaire dans la mesure des délinquances, sans pour autant que la constance du « chiffre noir » ne fût remise en cause.

Afin d’améliorer la qualité des statistiques policières et de leur analyse, les députés Robert Pandraud et Christophe Caresche ont conduit, en 2002, une mission qui a préconisé la création d’un Observatoire national de la délinquance chargé de collecter et de confronter les différentes données disponibles. Initialement rattaché au ministère de l’Intérieur, cet observatoire a concentré ses efforts sur les statistiques policières. Ce n’est qu’en 2009, en devenant l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, qu’il s’est penché sur les données issues des statistiques judiciaires, non sans se heurter aux évidentes réticences du ministère de la Justice.

*

Créée par la commission des Lois dix ans après celle de nos collègues Robert Pandraud et Christophe Caresche, notre mission a souhaité dresser un état des lieux objectif et sans complaisance des modes de production et d’analyse des statistiques des délinquances. Dans cette optique, notre mission a entendu recueillir le point de vue de la quasi-totalité des acteurs concernés par le champ de ses travaux : représentants d’observatoires, d’offices et de délégations, hauts fonctionnaires, policiers, gendarmes, magistrats, greffiers, statisticiens, sociologues, universitaires, responsables politiques anciens et actuels, etc. Travaillant en toute transparence et en toute sérénité, notre mission a ainsi procédé à trente et une auditions et six tables rondes, toutes ouvertes à la presse (4). Au total, vos rapporteurs ont entendu plus de 110 personnes et consacré une centaine d’heures à l’approfondissement de ces questions. Elle a également effectué cinq déplacements aussi bien auprès de services de police et de gendarmerie, que de juridictions et d’établissements pénitentiaires, qui lui ont permis d’appréhender de façon concrète la réalité de la production statistique administrative.

Le présent rapport est le fruit des réflexions que tous ces travaux ont inspirées à vos rapporteurs. Le présent rapport organise la réflexion selon deux temps : d’une part, la production des données ; d’autre part, l’analyse des statistiques. Vos rapporteurs ont souhaité formuler des propositions précises et ambitieuses pour remédier aux lacunes de la production des statistiques policières et judiciaires comme aux insuffisances de leur analyse et de leur exploitation. Ces préconisations visent à mettre les statistiques des délinquances au service de l’action publique en matière de sécurité, en les affranchissant des polémiques stériles et contre-productives qui les entourent aujourd’hui.

PREMIÈRE PARTIE : UNE VISION PARCELLAIRE DES DÉLINQUANCES LIÉE AUX FAILLES DES STATISTIQUES POLICIÈRES ET JUDICIAIRES

Mesurer les délinquances est un projet ambitieux. Force est de constater que les statistiques pénales actuellement utilisées ne sont guère à la hauteur des attentes. Pour ce qui est de la police et de la gendarmerie nationales, c’est l’état 4001, un formulaire administratif obsolète, imprécis et très insuffisant, qui sert principalement de base à l’analyse, tandis que les statistiques judiciaires et pénitentiaires, multiples et dispersées, sont d’un intérêt très variable pour qui souhaite appréhender le phénomène criminel à travers elles.

I.– DES DONNÉES POLICIÈRES ET JUDICIAIRES PARTIELLES, BIAISÉES ET INSUFFISANTES

Les statistiques actuellement utilisées pour appréhender les délinquances ne semblent pas permettre d’atteindre réellement cet objectif. Et pour cause, elles n’ont pas été créées à cet effet. Les statistiques policières et judiciaires sont avant tout des outils de mesure de l’activité des services. Ce défaut de conception explique leur caractère partiel en ce qui concerne la mesure des délinquances, mais aussi leur fiabilité incertaine, liée à leur possible manipulation.

1. Des outils statistiques conçus pour mesurer l’activité des services, et non les délinquances

Les outils statistiques du ministère de l’Intérieur comme du ministère de la Justice n’ont pas été conçus pour mesurer la délinquance. Si leur utilisation aux fins d’apprécier les phénomènes criminels n’est pas infondée, cette analyse ne doit pas perdre de vue les finalités réelles de ces outils.

a) L’état 4001, outil non exhaustif de mesure de l’activité des services de police et de gendarmerie

Les statistiques policières, principalement issues de l’état 4001, ont, en fait, été conçues pour évaluer de façon quantitative l’activité des services. Réalisées imparfaitement, elles constituent un outil partiel de mesure de l’activité des services de police et de gendarmerie.

•  L’état 4001 recense certains faits constatés et élucidés par les services de police et de gendarmerie

Les statistiques policières sont aujourd’hui principalement issues de l’état 4001, formulaire administratif qui recense certaines infractions constatées et élucidées par les services de police et de gendarmerie. Il se présente sous la forme d’un tableau, rempli tous les mois par l’ensemble des services de police et de gendarmerie (5).

Créé en 1972 par le service central d’étude de la délinquance (SCED) de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), cet outil n’a été que peu modifié depuis cette date, afin de prévenir toute rupture statistique susceptible d’empêcher l’analyse de séries statistiques. Cependant, une première modification est intervenue en 1988. Un administrateur de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) avait été chargé de l’animation d’un groupe de travail visant à réformer les statistiques issues des services de police et de gendarmerie. Le choix avait alors été fait de « progresser à petits pas » et de ne proposer qu’un toilettage modeste de l’état 4001. La nomenclature de l’état 4001 avait fait l’objet d’une actualisation, et un premier guide méthodologique, portant sur les méthodes de collecte et d’enregistrement, avait été édité. Par la suite, en 1995, l’état 4001 a à nouveau été modifié, là encore de façon marginale.

L’état 4001 comporte, depuis sa création, 107 index (6) au sein desquels les services de police et de gendarmerie classent les infractions dont ils sont saisis au cours du mois. Ces index couvrent un champ infractionnel relativement large, allant du vol à l’homicide en passant par les atteintes sexuelles et les infractions à la législation sur les stupéfiants. À l’heure actuelle, quatre de ces index (7), devenus obsolètes, ne sont plus utilisés. Pour chaque index, douze données sont renseignées par les services de police et de gendarmerie :

–  le nombre de faits constatés par le service,

–  le nombre de faits élucidés par le service,

–  le nombre de garde-à-vue de moins de 24 heures,

–  le nombre de garde-à-vue de plus de 24 heures,

–  le nombre de personnes mises en causes laissées en liberté,

–  le nombre de personnes mises en causes écrouées,

–  le nombre de personnes mises en cause de nationalité française,

–  le nombre de personnes mises en cause de nationalité étrangère,

–  le nombre de personnes mises en cause de sexe masculin et, pour celles-ci, le nombre de personnes de moins de 18 ans et de plus de 18 ans,

–  le nombre de personnes mises en cause de sexe féminin et, pour celles-ci, le nombre de personnes de moins de 18 ans et de plus de 18 ans.

À chaque index correspond une unité de compte spécifique. Par exemple, en matière d’homicide commis à l’occasion d’un vol (index n° 2), l’unité de compte est la victime. Pour les coups et blessures volontaires correctionnels et criminels n’ayant pas entraîné la mort (index n° 7), l’unité de compte est cette fois le plaignant. Pour le recel (index n° 44), c’est l’infraction elle-même qui constitue l’unité de compte, alors que pour d’autres faits, comme le trafic et la revente sans usage de stupéfiants (index n° 55), c’est la procédure qui est comptabilisée. Mais l’état 4001 connaît d’autres unités de compte : l’auteur d’un non-versement de pension alimentaire (index n° 54), la « victime entendue » d’un vol simple (index n° 41 à 43), le véhicule dans le cas de vols d’automobiles (index n° 35), ou encore le chèque pour la falsification et l’usage de chèques volés (index n° 89). L’état 4001 recense donc tout à la fois des procédures, des personnes et des objets, en fonction de l’index retenu.

•  Par sa construction même, l’état 4001 ne peut être considéré comme un outil de mesure des délinquances

En dépit du nombre important d’infractions possiblement enregistrées par les services de police et de gendarmerie au sein de l’état 4001, ce tableau mensuel ne saurait donner une image exacte, précise ou fidèle des délinquances, puisqu’il n’a pas été conçu à cette fin.

En premier lieu, l’état 4001 ne recense que les infractions relevées par les services de police et de gendarmerie, et non pas les infractions réprimées par le droit pénal dans son ensemble. Ainsi, les infractions constatées par les services des douanes – qui peuvent, de fait, porter sur des infractions également relevées par les services de police, notamment en matière de contrefaçon et de trafic de stupéfiants –, les services fiscaux ou encore les inspections du travail, ne sont pas prises en compte au sein de l’état 4001. Il en est de même pour les infractions routières (cf. infra). Cela confirme l’hypothèse selon laquelle l’état 4001 a vocation à mesurer l’activité des services de police et de gendarmerie, non les délinquances.

En outre, ses index, trop larges, ne permettent pas d’avoir une vision fine des actes de délinquances commis et constatés par les forces de l’ordre. Ainsi, les violences intrafamiliales ne sont pas identifiées en tant que telles au sein de l’état 4001, les index relatifs aux coups et blessures volontaires ne permettant pas d’isoler ce type de violences. Les agressions sexuelles ne sont pas distinguées du harcèlement sexuel aux index n°s 48 et 49. Certains phénomènes criminels nouveaux, en particulier la cybercriminalité, le car jacking (8), le home jacking (9) et encore le fishing (10), ne peuvent être isolés à partir de ces index. L’imprécision de l’état 4001 est particulièrement notable au travers de l’index 107, véritable fourre-tout recensant les « délits ne figurant pas expressément dans les 106 premiers index   (11)». Y sont ainsi recensés le port illégal de l’uniforme, le trafic d’influence, le refus d’exécuter un travail d’intérêt général, la subornation de témoin, la dissimulation d’enfant, la provocation au suicide, le mariage blanc, les homicides volontaires par imprudence, les crimes contre l’humanité hors génocide, etc.

L’état 4001 rend également difficile le suivi des modifications législatives. Les modifications législatives portant, par exemple, sur les éléments constitutifs d’une infraction, ne peuvent pas être analysées par le biais de l’état 4001, les effets de l’évolution du champ d’une infraction isolée n’étant pas susceptibles d’être identifiés au sein d’un index plus large. En outre, les nouvelles infractions ne peuvent a priori pas faire l’objet d’un suivi par le biais de l’état 4001. Cela a d’ailleurs nécessité, pour répondre aux besoins des forces de l’ordre, la création de sous-codes au sein des index supposés accueillir ces nouvelles infractions. Par exemple, le fait de faire mendier un mineur de moins de 6 ans sur la voie publique, réprimé en tant que tel depuis 2003 (12), est comptabilisé, au sein de l’index n° 52 relatif aux violences, mauvais traitements et abandons d’enfants, par un « code LSI 0520 ». Cependant, ces sous-codes n’apparaissent pas au sein de l’état 4001 envoyé mensuellement à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), dont le service central d’étude de la délinquance (SCED) est en charge de l’agrégation des statistiques policières.

Par ailleurs, les données disponibles pour chaque index ne sont pas suffisamment détaillées pour espérer appréhender le phénomène criminel. Aucune donnée sur les victimes n’existe au sein de l’état 4001, ce qui ne permet pas, par exemple, d’appréhender dans leur ensemble les violences faites aux femmes, sauf pour ce qui est des « vols violents sans arme contre des femmes sur voie publique ou autre lieu public » qui fait l’objet d’un index propre (index n° 25). Les données relatives à la minorité des personnes mises en cause sont présentées selon un mode binaire – majeur/mineur – qui ne permet pas d’observer les éventuelles évolutions de l’âge des personnes mises en cause au fil des ans. Les données relatives aux personnes mises en cause sont, du reste, sommaires. Impossible donc, à partir de l’état 4001, de connaître le profil des personnes qui agressent les personnes âgées, par exemple. Aucune indication relative au mode opératoire n’existe, au-delà de ce que l’index lui-même suggère : il n’est donc pas possible de voir si les cambriolages en zone police se produisent plutôt à tel horaire qu’à tel autre. Par ailleurs, les données ne peuvent être croisées : à titre d’illustration, il n’est pas possible de connaître par ce biais le nombre de femmes étrangères placées en garde à vue pour racolage. Enfin, l’état 4001 ne distingue pas l’auteur du complice, ni la tentative de l’infraction réalisée. Pour reprendre les mots du ministre de l’Intérieur (13), l’état 4001 est digne de « l’âge préhistorique ».

En outre, l’état 4001 fait apparaître une qualification provisoire des faits. L’indexation permise par l’état 4001 correspond à une définition policière des faits, qui n’est pas nécessairement celle que retiendront le procureur, le juge d’instruction puis la juridiction de jugement, si tant est qu’une culpabilité soit reconnue. La délinquance est à ce titre potentiellement très mal mesurée, si l’on considère que seule la condamnation peut permettre de reconnaître l’existence de l’infraction et la qualifier de façon exacte.

Par ailleurs, la comptabilisation effectuée par le biais de l’état 4001 peut être excessive. Il est en effet envisageable qu’une infraction déclarée n’ait en réalité pas eu lieu et que la dénonciation soit mensongère. Dans ce cas, un double comptage est effectué : une première fois pour compter l’infraction indûment dénoncée ; une seconde fois pour comptabiliser l’infraction de dénonciation mensongère. Si ce phénomène est nécessairement marginal, il semble qu’un « chiffre d’excès » (14) existe par ailleurs, qui résulte principalement du double comptage des infractions par les services. Si la règle veut que seul le premier service saisi enregistre le fait constaté, elle n’est pas nécessairement respectée, notamment lorsque deux services distincts sont saisis d’une même infraction mais l’ignorent.

Enfin, et cet élément est d’importance, l’état 4001 ne saurait prétendre à l’exhaustivité dans le recensement des faits. En effet, si l’infraction n’est pas portée à la connaissance de la police, elle n’est pas comptabilisée dans l’état 4001.

D’une manière générale, l’infraction est portée à la connaissance des services par deux moyens principaux :

–  par l’activité d’investigation ou de patrouille du service lui-même, qui constate une infraction ;

–  par une personne, victime ou témoin, qui décide de son propre chef d’informer les forces de l’ordre de la commission d’une infraction.

Or, il existe un écart notable entre la délinquance réelle et les faits effectivement portés à la connaissance des forces de l’ordre. Dans le cas d’infractions sans victime directe, comme le trafic de stupéfiants, et occultes, comme le blanchiment d’argent, la pro-activité des forces de l’ordre est un préalable souvent nécessaire à la comptabilisation de l’infraction au sein de l’état 4001. Le nombre de faits constatés dans ces domaines dépendra donc directement des orientations données aux services de police et des effectifs déployés pour lutter contre un type particulier de délinquance. Pour ce qui est des infractions comportant des victimes, comme les vols ou les agressions sexuelles, l’information des services de police et de gendarmerie dépend d’un certain nombre de facteurs responsables du « chiffre noir » (15) de la délinquance.

De nombreuses raisons peuvent pousser une victime à ne pas révéler l’infraction qu’elle a subie aux services de police : « Du point de vue de la victime, l’absence de plainte peut également s’expliquer par la peur des représailles (c’est typiquement le cas des affaires de racket), par des pressions, menaces, promesses (par exemple pour les atteintes sexuelles sur des mineurs par des personnes ayant autorité), par le sentiment que la démarche est inutile parce que la police n’est pas jugée crédible pour traiter le problème considéré, ou encore parce que le préjudice subi est finalement jugé mineur par la victime, voire par altruisme pour un délinquant que l’on ne veut pas exposer aux foudres de la justice » (16).

Plus précisément, pour ce qui est des atteintes aux personnes (hors atteintes sexuelles et violences intrafamiliales), une étude de l’INSEE (17) a montré que les motifs de non dépôt de plainte variaient selon le type d’infraction subie. Ainsi, plusieurs facteurs déterminent le dépôt de plainte à l’encontre de l’auteur d’un vol avec violence : le succès de l’infraction – un objet a effectivement été volé –, l’intensité de la violence subie ou encore la nature de l’objet dérobé – le vol de clés, de papiers et de cartes bancaires semble être plus à même de conduire au dépôt d’une plainte. En revanche, la principale variable en cas de violences seules est l’intensité de celle-ci, comme on peut s’y attendre. Globalement, il semble que le taux de plainte, en ce qui concerne ces infractions, augmente avec la gravité intrinsèque de l’infraction (18: « Près de 55 % des vols avec violence et 48 % des vols sans violence ont fait l’objet d’une déclaration. Ces proportions ne sont plus que de 39 % pour les violences et 24 % pour les menaces. Seulement 8 % des victimes d’injures se sont déplacées au commissariat ou à la gendarmerie ».

Pour les atteintes sexuelles ou les violences intrafamiliales, les motifs de non dépôt de plainte sont différents. Comme l’indique une étude de l’INSEE sur les violences faites aux femmes, « le caractère souvent intime de ces violences peut expliquer la résignation des victimes, qui peuvent penser que rien d’extérieur ne parviendra à changer leur situation personnelle » (19). La crainte de dénoncer l’auteur souvent proche explique également le faible taux de dépôt de plainte que connaissent ces infractions. Ainsi, « en moyenne, de 2006-2007 à 2010-2011, 8,1 % des personnes de 18 à 75 ans se déclarant victimes de violences sexuelles hors ménage sur 2 ans ont déposé plainte à la suite de l’acte le plus récent. Ce taux est inférieur à 2,5 % pour les hommes alors qu’il atteint près de 10 % pour les femmes. Toujours en moyenne, 7,5 % des personnes de 18 à 75 ans s’étant déclarées victimes de violences physiques ou sexuelles intraménage sur 2 ans de 2006-2007 à 2010-2011, ont dit qu’elles ont porté plainte, à la suite de l’un au moins des actes subis sur deux ans. Cette part moyenne, qui est inférieure à 3,5 % pour les hommes, s’établit à 9,3 % pour les femmes » (20).

Il existe donc un écart variable, selon la nature de l’infraction, entre la délinquance subie et la délinquance constatée par les services de police et de gendarmerie. Si les enquêtes de victimation (21) permettent d’apprécier les différents taux de dépôt de plainte, et donc la réalité des délinquances à victime directe, elles font aussi apparaître les lacunes de l’état 4001, qui ne mesure que les faits portés à la connaissance des services de police et de gendarmerie. De fait, cet outil est sensible aux conditions du dépôt de plainte (cf. infra) et, au-delà, à l’appréciation générale que la population porte sur l’efficacité des services de police et de gendarmerie.

•  L’état 4001 est un outil de mesure partiel de l’activité des services de police et de gendarmerie

Si l’état 4001 peut être considéré comme un outil de mesure de l’activité des services de police et de gendarmerie, il n’appréhende toutefois cette activité que de façon partielle. En effet, l’état 4001 ne permet pas de prendre en compte un aspect important de l’activité policière qui consiste à prévenir la commission d’infractions, notamment par la présence d’effectifs sur la voie publique, par les interventions permettant la résolution d’une situation problématique sans qu’un procès-verbal ne soit dressé, ou encore par la conduite d’actions de sensibilisation dans certains domaines, comme la consommation de produits stupéfiants. Les différents aspects de l’activité des services de police et de gendarmerie en matière de délinquance ne sont donc pas mesurés par l’état 4001.

Par ailleurs, l’absence de pondération des faits constatés, par la gravité des faits ou le temps nécessaire à la résolution de l’enquête, ne permet pas de rendre compte de façon fidèle de l’activité de constatation et d’élucidation des services de police et de gendarmerie. Toutes les infractions sont mises au même niveau, de l’homicide volontaire à la réalisation d’un graffiti. Et, même pour des infractions entrant dans un même index, comme les violences, le travail policier peut varier de façon considérable, selon que l’auteur est connu de la victime ou que son identification nécessite des investigations poussées. Or, l’état 4001 ne permet nullement d’en rendre compte.

L’état 4001 ne peut guère plus être considéré comme un outil de mesure de la performance des services, ce que le calcul d’un taux d’élucidation semble pourtant suggérer. En effet, le nombre de faits élucidés ne recèle aucune information utile. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer des taux d’élucidation supérieurs à 100 % au sein de l’état 4001, qui met en regard les faits constatés, pour le même mois, avec les faits élucidés. Il serait plus utile d’étudier, a posteriori, le niveau de résolution de chaque enquête pour permettre l’élaboration d’un taux d’élucidation pertinent. Par ailleurs, le calcul d’un taux d’élucidation sur la base de l’état 4001 est encore moins signifiant au plan local, puisqu’un fait peut être constaté par un service, mais élucidé par un autre. À l’heure actuelle, le calcul d’un taux d’élucidation à partir des données de l’état 4001 ne saurait renseigner sur la performance réelle des services de police et de gendarmerie.

Au final, l’état 4001 doit être pris pour ce qu’il est : le recensement mensuel des activités de constatation et d’élucidation de certaines infractions par les services de police et de gendarmerie. Certes, il peut fournir des indications importantes sur l’évolution de telle ou telle délinquance ; mais il importe d’avoir toujours à l’esprit les limites inhérentes à un tel outil.

b) La finalité des statistiques judiciaires et pénitentiaires : la description du processus pénal

Contrairement au ministère de l’Intérieur, dont la production statistique réside principalement dans l’état 4001, le ministère de la Justice dispose de multiples sources d’information statistique pour évaluer les réponses apportées aux délinquances. Si nombreuses soient-elles, les statistiques judiciaires et pénitentiaires, qu’il s’agisse des cadres du parquet, du casier judiciaire ou des statistiques pénitentiaires de milieu fermé et de milieu ouvert, ont pour objet de décrire le processus judiciaire et l’activité des différents maillons de la chaîne pénale, non les délinquances et leurs conséquences.

•  Les statistiques de la justice, description d’un processus allant de la poursuite à la condamnation

Les « cadres du parquet », qui existent depuis 1825, constituent les plus anciennes séries statistiques de la justice. Produites annuellement par l’ensemble des juridictions – tribunal de police, tribunal de grande instance, cour d’appel –, elles décrivent les flux d’affaires des différentes phases du procès pénal, de la poursuite par le parquet jusqu’à la condamnation et à l’indemnisation des victimes.

Le « cadre A » permet ainsi de décrire la phase de poursuite et l’activité des parquets (cf. infra). Les parquets doivent notamment indiquer la nature de l’affaire dont ils sont saisis par le biais d’un procès-verbal, d’une plainte ou d’une dénonciation. Plusieurs informations sont ainsi publiées au sein de l’Annuaire statistique de la Justice :

–  le nombre d’affaires pénales dont sont saisis les parquets détaillées en crimes, délits et contraventions ; il est également possible de savoir, au sein des procédures transmises aux parquets, le nombre de celles pour lesquelles l’auteur est inconnu (« cadre A1 »);

–  l’orientation donnée aux affaires traitées par les parquets : ces données distinguent les affaires non poursuivables – pour absence d’infraction, charges insuffisantes, ou défaut d’élucidation –, des affaires poursuivables, pour lesquelles il est possible de savoir combien ont donné lieu à des poursuites, à une procédure alternative, à une composition pénale ou à un classement sans suite (« cadre A2 ») ;

–  les statistiques judiciaires fournissent également le détail des poursuites, selon qu’elles ont conduit à saisir un juge d’instruction, un juge des enfants, à des poursuites devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police ;

–  est également mentionnée la nature des alternatives aux poursuites effectuées par les parquets : médiation, réparation, injonction thérapeutique, rappel à la loi, etc ;

–  les compositions pénales sont, quant à elles, plus détaillées, puisqu’il est possible de connaître leur répartition par nature (délits, contraventions) et type d’infraction (atteintes aux biens, atteintes à la personne, etc). Des informations sur la nature de la peine et sur les caractéristiques des personnes condamnées (sexe, âge selon six classes distinctes) sont également disponibles ;

–  les classements sans suite liés à des poursuites inopportunes sont par ailleurs précisés selon qu’ils correspondent à des recherches infructueuses, à un désistement du plaignant, au désintéressement de la victime ou encore à un préjudice ou un trouble peu important.

EXTRAIT DU « CADRE A » RELATIF À L’ACTIVITÉ DU PARQUET

Les cadres du parquet s’attachent également à décrire la phase d’instruction des affaires (« cadre B »). Ils indiquent ainsi les stocks et les flux d’affaires des cabinets d’instruction, les mesures de sûreté prises au cours de l’instruction (mise en examen, placement sous contrôle judiciaire, détention provisoire) et l’issue des procédures terminées (mise en accusation devant la cour d’assises, renvoi devant le tribunal correctionnel, renvoi devant une juridiction pour mineurs, non-lieu). Des informations sommaires (âge, sexe, nationalité française) sont également disponibles pour les personnes mises en examen.

Source : site internet du ministère de la Justice.

L’activité des juridictions – tribunal correctionnel, cour d’assises, cour d’appel – est également détaillée par les cadres du parquet. Pour chaque juridiction, il est ainsi possible de connaître le nombre d’arrêts et de jugements prononcés, mais aussi le nombre de personnes condamnées, acquittées ou relaxées. La minorité des personnes jugées en cour d’assises est également connue.

Source : site internet du ministère de la Justice.

Ainsi, à de rares exceptions près, aucune information n’est délivrée en ce qui concerne l’infraction précise ayant motivé la saisine du parquet ou du juge d’instruction, ni sur l’auteur présumé des faits. Les personnes ne sont généralement pas décomptées par les cadres du parquet, puisque ce sont ici les affaires pénales, qui peuvent concerner plusieurs auteurs, qui sont prises en compte. Les cadres du parquet ont donc clairement vocation à décrire un processus pénal, non à mesurer la délinquance. Les statistiques prennent ainsi une place considérable dans le dialogue de gestion que peut avoir le ministère avec les tribunaux, mais ne sont pas utilisées pour évaluer la réponse pénale apportée aux délinquances.

Les statistiques issues du casier judiciaire national fournissent un éclairage différent sur l’activité judiciaire. Ce fichier, centralisé à Nantes depuis 1984, recense les condamnations pour crimes, délits et contravention de la 5e classe prononcées en France. La nature exacte de l’infraction, la nature de la peine et son quantum, sont renseignés dans ce fichier, de même que certaines caractéristiques des personnes condamnées comme l’âge, le sexe et la nationalité. Ainsi, il est possible de générer des statistiques relativement riches à partir des informations contenues dans ce fichier et de conduire des études poussées sur certains sujets. L’Annuaire statistique de la Justice fournit notamment les statistiques relatives aux condamnations prononcées à l’encontre de personnes en état de récidive légale, mais aussi de réitération.

•  Les statistiques pénitentiaires, des données statiques orientées vers la gestion des flux de personnes condamnées

Les statistiques développées par l’administration pénitentiaire, qui ont vocation à décrire son activité, reposent sur trois systèmes distincts :

–  les statistiques journalières, mensuelles et trimestrielles des établissements pénitentiaires, qui portent sur les effectifs de la population sous écrou, détenue et non détenue. Remplies manuellement par chaque établissement, elles détaillent les catégories pénales (prévenus/condamnés), les aménagements de peines (placement sous surveillance électronique, semi-liberté, placement extérieur, etc), la répartition de la population écrouée par sexe, par âge (mineur/majeur), par nationalité et par niveau d’instruction. Mais les établissements pénitentiaires tiennent également le compte d’autres éléments pour alimenter, notamment, leur rapport annuel. Les sanctions disciplinaires à l’égard des détenus, les incidents ou encore les tentatives de suicide sont répertoriées par les établissements. Ce sont notamment ces statistiques qui ont permis de révéler l’augmentation des tentatives de suicide de détenus transférés vers un établissement pénitentiaire neuf, dans lequel l’encellulement individuel pouvait être garanti. Révéler et, ainsi, faire avancer la réflexion sur le mal-être que ce type de nouveaux établissements provoque sur les détenus. Ces statistiques permettent ainsi de suivre le fonctionnement des établissements, mais se limitent à des problématiques simples ;

–  les statistiques du suivi en milieu ouvert, qui existent depuis les années 1970 et sont, depuis 2008, partiellement automatisées par le biais du logiciel APPI (application des peines, probation, insertion), outil de communication entre les services judiciaires de l’application des peines et les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Les statistiques du milieu ouvert permettent notamment de connaître la répartition des mesures de suivi en milieu ouvert selon leur nature (cf. graphique infra). Les SPIP sont également à même de fournir le taux de peines aménagées exécutées, d’évaluer la continuité de la prise en charge entre le milieu fermé et le milieu ouvert, ou de mesurer le taux de proposition d’aménagement de peine avec avis favorable du juge de l’application des peines (22). Les statistiques du milieu ouvert sont donc plutôt tournées vers la mesure de la performance des SPIP et leur gestion. Des statistiques générales sur le public accueilli permettent également de piloter l’action du SPIP. À titre d’illustration, si le SPIP constate qu’il doit assurer le suivi de personnes condamnées pour des faits de violence, il pourra alors décider de la mise en place d’un groupe de parole. L’infocentre (23) de l’application APPI, récemment mis en place, est en voie de fiabilisation. Il devrait permettre l’automatisation d’une partie de la production statistique ;

Source : Chiffres clés de l’administration pénitentiaire, 2012.

–  d’autres statistiques sont générées à partir des systèmes informatiques de l’administration pénitentiaire, le fichier national des détenus (FND) et l’infocentre pénitentiaire, alimentés par l’application de gestion informatisée des détenus en établissements (GIDE), en cours de remplacement (cf. infra). Le fichier national des détenus renseigne sur le parcours de la personne détenue, depuis son placement sous écrou jusqu’à sa libération, mais également sur l’infraction à l’origine de la condamnation et sur le profil de la personne condamnée, à partir des données sociodémographiques indiquées lors du passage au greffe pénitentiaire. Les données relatives à la tranche d’âge des détenus, leur nationalité, la durée de leur peine permettent ainsi à l’établissement pénitentiaire de piloter la prise en charge. Par exemple, l’affluence de détenus d’une nationalité particulière pourra souligner la nécessité de recourir à des interprètes spécifiques ou motiver l’acquisition de livres dans la langue correspondante. L’infocentre pénitentiaire comporte des informations sur les mesures prises pendant la détention, comme le retrait de crédits de réduction de peine. Ainsi, ces différentes statistiques contiennent avant tout des éléments utiles à la gestion de la détention.

c) L’absence d’appréhension de la chaîne pénale dans son ensemble

Il n’existe pas, à l’heure actuelle, de continuité statistique au sein de la chaîne pénale. Chaque chaînon dispose d’un système propre, qui fournit des informations sur son processus, sans être mis en relation avec les autres éléments de la chaîne.

Cela s’explique, au plan matériel et technique, par l’absence d’interconnexion des logiciels utilisés par les services de la police et par ceux de la justice. Il est aujourd’hui impossible de suivre le devenir judiciaire d’un fait constaté par la police, alors même que cela peut constituer un élément important de compréhension du phénomène criminel et de ses conséquences. Mais ces statistiques connaissent des différences plus profondes, ontologiques, qui ne permettent pas de créer de correspondances entre elles sans un changement complet et concerté des systèmes informatiques.

La principale différence réside dans le fait que les statistiques policières et judiciaires n’utilisent pas le même langage. L’état 4001 est fondé sur une description policière, par mode opératoire, des infractions. À l’inverse, la définition judiciaire s’intéresse à la nature juridique de l’infraction, en reprenant sa qualification pénale. Alors que l’état 4001 ne comporte que 103 index actifs, la justice utilise, au niveau le plus fin, environ 12 000 codes par nature d’infraction (code NATINF). Les nomenclatures policières et judiciaires ne sont donc pas à même de communiquer de façon immédiate. De surcroît, les informations qu’elles véhiculent sont complémentaires : là où l’état 4001 s’attache à décrire le vol par son mode opératoire, en distinguant les vols à la tire, les vols à l’étalage et les vols à la roulotte, la justice retient l’infraction de vol et sa gravité.

LES NOMENCLATURES UTILISÉES PAR LA JUSTICE : DU NATINF AUX NATAFF

La justice a recours à plusieurs nomenclatures pour classer les infractions. Depuis 1978, la nomenclature par nature d’infraction ou « code NATINF » permet de rassembler au sein d’un même système l’ensemble des infractions présentes dans le code pénal, mais également au sein d’autres codes (code rural, code de la route, code de la consommation, etc). Cette nomenclature est évolutive et régulièrement mise à jour par la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice, pour tenir compte des modifications législatives. Les modifications portent ainsi sur environ 500 codes NATINF par an. Utilisée par plusieurs applications et infocentres, la nomenclature NATINF assure l’uniformisation des données statistiques. Elle est ainsi employée depuis 1984 pour les statistiques relatives aux condamnations.

Toutefois, le code NATINF n’est pas la seule nomenclature utilisée par les statistiques judiciaires. En effet, une nomenclature simplifiée, par nature d’affaires (« code NATAFF ») est employée depuis 1998 en amont de la nomenclature par nature d’infraction, notamment par les parquets. Comme l’indique la circulaire ayant suivi la mise en place de cette nomenclature, « l’attribution d’un code NATAFF à une affaire qui parvient au parquet permet de donner une première qualification pénale de caractère assez général, compte tenu souvent de l’imprécision des éléments d’information disponibles à ce stade de la procédure. En cas de poursuite, cette codification s’effacera au profit d’une autre codification (NATINF) autrement plus signifiante au plan juridique » (24). La nomenclature NATAFF comprend trois niveaux imbriqués d’indexation, qui regroupent l’ensemble des codes NATINF ; au niveau le plus fin, elle comprend 350 index, 85 au niveau intermédiaire, et seulement 12 catégories pour le premier niveau. Ainsi, ce sont en réalité quatre nomenclatures différentes, construites dans une logique d’entonnoir, qui sont utilisées par la justice.

Plus encore, les statistiques policières et judiciaires ne décomptent pas les mêmes éléments. Les statistiques policières tentent de déterminer, selon une certaine méthodologie, le nombre de faits constatés par les services de police et de gendarmerie, le nombre de faits élucidés et le nombre de personnes mises en cause. Les statistiques judiciaires bénéficient d’un cadre conceptuel différent, qui privilégie l’analyse d’un système et de ses modes de régulation. Elles portent plutôt sur le nombre d’affaires et de procédures et indiquent le nombre de classements sans suite, de jugements, de peines prononcées, de relaxes. La divergence dans le choix des unités de compte s’explique par le fait que les systèmes statistiques policiers et judiciaires ont été construits pour décrire respectivement des méthodes, des structures et des processus différents.

Enfin, les statistiques policières et judiciaires ne répondent pas aux mêmes temporalités. Alors que les statistiques policières sont, depuis 1995, produites mensuellement, les statistiques judiciaires sont aujourd’hui renseignées sur une base annuelle. Dans le cas des statistiques relatives aux condamnations, le délai nécessaire à l’enregistrement des données au sein du casier judiciaire national prenait, jusqu’à une date récente, plusieurs mois, provoquant ainsi un décalage de deux ans entre la condamnation et la production d’une statistique consolidée. Cet écart temporel entre les deux sources statistiques rend encore plus difficile la comparaison.

2. Des outils sujets à des erreurs, à des distorsions et à des manipulations

Les statistiques policières comme les statistiques judiciaires n’obéissent pas à des règles de saisie et de contrôle susceptibles d’assurer leur qualité. Par ailleurs, les distorsions que ces statistiques connaissent, comme les manipulations dont elles peuvent aisément faire l’objet, n’en font pas une source particulièrement fiable d’appréhension des délinquances.

a) Des conditions de saisie et de remontée peu satisfaisantes

Les statistiques pénales sont le plus souvent renseignées par des personnels insuffisamment formés et, à l’exception notable de la gendarmerie, ne font l’objet d’aucun contrôle une fois enregistrées, ce qui suscite des doutes légitimes quant à leur fiabilité.

•  La remontée des statistiques policières variable d’une force à l’autre

L’état 4001, formulaire administratif rempli mensuellement par les services de police et de gendarmerie, répond à des processus de saisie et de remontée différents selon que les données sont renseignées par la police ou la gendarmerie.

En ce qui concerne la police nationale, l’enregistrement des données s’effectue par le biais de l’application STIC-FCE (système de traitement des infractions – faits constatés élucidés). Cette application, au sein de laquelle les utilisateurs doivent naviguer au gré des touches de leurs claviers et non d’une souris, est apparue particulièrement obsolète à vos rapporteurs (25). Qui plus est, son ergonomie dépassée ne semble pas à même de créer les conditions d’une saisie satisfaisante des données.

Pour chaque procédure ouverte au sein d’un service de police, l’enregistrement des données au sein du STIC-FCE est réalisé par un personnel administratif, souvent peu formé à cet exercice qui semble pourtant requérir certaines compétences juridiques. Comme l’a souligné un des interlocuteurs de la mission, il est paradoxal que le fichier le plus sensible soit renseigné par les personnels les moins rémunérés et les moins formés du commissariat (26). En réalité, l’attribution d’un index particulier au dossier est réalisée par un officier de police judiciaire, parfois même par un commissaire, avant l’enregistrement des données à proprement parler. Il n’y a donc pas, à ce stade, de double regard ou de contrôle interne de l’indexation de l’infraction, sauf à ce que le personnel administratif soit en mesure de vérifier que l’infraction est enregistrée sous l’index qui lui correspond, ce qui n’est possible qu’après de nombreuses années de pratique et une formation juridique poussée.

Une fois l’enregistrement effectué au niveau local, par le premier service saisi, les données mensuelles relatives aux faits constatés et élucidés sont extraites du STIC-FCE pour constituer l’état 4001 du service. Ces données sont consolidées au niveau départemental, où un contrôle superficiel portant sur les éventuelles anomalies statistiques est effectué, avant d’être agrégées au sein de chaque direction de la police nationale. L’ensemble des états 4001 parvient ensuite au service central d’étude de la délinquance de la direction centrale de la police judiciaire. Ces consolidations successives ne permettent pas aux observateurs successifs de ces statistiques d’opérer un réel contrôle de la qualité des données enregistrées au niveau local. Seules les erreurs manifestes et flagrantes peuvent ainsi être repérées au niveau départemental. À titre d’exemple, l’enregistrement erroné d’un règlement de compte entre malfaiteurs alors qu’un homicide simple aurait dû être enregistré, peut être repéré à l’échelon départemental, car le fait est suffisamment rare pour avoir été porté à la connaissance de la direction départementale de la sécurité publique par d’autres voies. Mais, au-delà de cet échelon, ou pour des infractions plus courantes, les éventuelles erreurs en matière d’indexation, noyées dans la masse, ne sont plus détectables. Avec près de 7 000 points de collecte, le contrôle interne de la qualité de l’enregistrement se limite à un pur contrôle de cohérence globale.

La gendarmerie nationale, depuis le déploiement de nouveaux logiciels, a mis en œuvre un système qui semble mieux à même de garantir la qualité de l’enregistrement des données. Chaque gendarme est responsable de l’enregistrement statistique de la procédure dont il a la charge : c’est là une spécificité de la gendarmerie par rapport à la police. Le nouveau système d’information de la gendarmerie nationale lie la rédaction de la procédure, qui se réalise via l’application LRPGN (27), et la production de statistiques. Au début de la phase d’enquête, le gendarme crée un procès-verbal relatif à l’infraction, qui comprend le code NATINF. Cette opération conduit le logiciel à indiquer à l’enquêteur que la réalisation d’un message d’information statistique (MIS) est nécessaire. L’enquêteur doit alors générer, à partir d’une application dénommée PULSAR, ce MIS, qui peut être enrichi jusqu’à la clôture de l’enquête.

La qualité des données est assurée par deux contrôles qualitatifs successifs. Une fois créé, le MIS est visible par l’ensemble de la brigade et peut donc être contrôlé par la hiérarchie locale. Au niveau de la brigade de gendarmerie, le MIS est contrôlé et validé par le commandant de brigade dans les jours qui suivent sa saisie initiale. Dès son émission, le MIS est placé au sein d’une base de données nationale, situé à Rosny-sous-Bois, et peut donc être à nouveau contrôlé par les brigades départementales de renseignements et d’investigations judiciaires (BDRIJ), qui effectuent un contrôle de cohérence et de conformité de la statistique aux principes du guide méthodologique. Par ailleurs, en cas de retard dans la validation du MIS par le commandant de brigade, la BDRIJ vérifie que ce délai est justifié par la nature de l’affaire. En effet, il peut être opportun, lorsque l’enquêteur n’est pas certain de la réalité de l’infraction, de procéder à des investigations supplémentaires avant la création du MIS. Cette procédure de contrôle permet notamment d’éviter les doubles comptabilisations et l’affectation des faits constatés à un mauvais index statistique.

Par ailleurs, le nouveau logiciel de saisie des données, PULSAR, a introduit un certain nombre de garde-fous. Le logiciel effectue lui-même un contrôle de cohérence des dates et des adresses renseignées par le gendarme. Par ailleurs, cette application rend impossible l’enregistrement d’un nombre de faits élucidés supérieur au nombre de faits constatés pour un même MIS, ce qui était auparavant possible. En outre, le logiciel propose à l’enquêteur les index susceptibles de correspondre à l’infraction visée par la plainte, à laquelle est attribué par l’enquêteur un code NATINF. Étant donné la difficulté de faire correspondre environ 8 000 codes NATINF de crimes et délits à seulement une centaine d’index, cette automatisation permet d’accompagner les gendarmes dans l’indexation des infractions et évite ainsi les défauts de saisie ou les erreurs d’indexation. Le déploiement du logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) devrait être porteur des mêmes améliorations (cf. infra).

•  De nombreux acteurs impliqués dans la production des statistiques judiciaires et pénitentiaires

Les données dont sont issues les statistiques judiciaires sont aujourd’hui enregistrées par les greffes des tribunaux. Les greffiers étant actuellement en sous-effectif, l’enregistrement des données au sein de CASSIOPÉE est souvent confié à des personnels de catégories C et à des vacataires. Or, si les greffiers reçoivent aujourd’hui une formation à CASSIOPÉE au cours de leur formation initiale, tel n’est pas le cas des personnels de catégories C. Or, cette application, particulièrement rigide, rend nécessaire une formation poussée pour que l’intégration des données soit correctement effectuée. Quant aux vacataires, outre qu’ils se forment « sur le tas », les règles de gestion de ressources humaines qui leur sont appliquées ne permettent pas de les recruter au-delà de quelques mois. Leur renouvellement trop fréquent oblige ainsi à former, en permanence, de nouveaux personnels et entraîne une perte de capital humain tout à fait dommageable pour l’institution judiciaire. Ce constat peut également et malheureusement être fait pour les autres greffes civils des tribunaux d’instance et de grande instance.

Par ailleurs, les effectifs sont trop faibles pour qu’un contrôle de la qualité de l’enregistrement soit effectué par le greffe ou les magistrats eux-mêmes. Aujourd’hui, seuls des audits ponctuels portant sur un très faible échantillon de dossiers peuvent être réalisés par les greffes, à l’initiative de magistrats ou de greffiers soucieux de la qualité des données statistiques qu’ils produisent et utilisent pour leur propre compte. Aucun autre contrôle n’est effectué sur l’intégration des données, alors même que le ministère de la Justice dispose d’un service statistique ministériel. Comme vos rapporteurs en ont eu connaissance, les anomalies statistiques de certains tribunaux ne font l’objet d’aucun contact avec l’administration centrale ou le service statistique ministériel. Compte tenu de la place considérable qu’occupent les données statistiques dans le dialogue de gestion, des tribunaux se sont ainsi vus retirer des effectifs sur la base de statistiques complètement faussées par des erreurs dans l’enregistrement des données.

La saisie des données pénitentiaires semble soumise aux mêmes maux. Ce sont des surveillants pénitentiaires, affectés au greffe, qui réalisent la saisie initiale de l’écrou et de la situation pénale. Ne bénéficiant d’aucune formation autre qu’autodidacte, ces agents ne sont pas spécialisés et peuvent à tout moment être mutés sur un poste sans rapport avec la saisie de données. Les erreurs de saisie sont malgré tout limitées par un contrôle hiérarchique exhaustif, sur l’ensemble des dossiers saisis. Les données relatives à la détention elle-même sont renseignées par l’ensemble des surveillants pénitentiaires et des autres acteurs du monde carcéral, qui ne bénéficient pas plus d’une formation.

En ce qui concerne les statistiques pénitentiaires du milieu ouvert, l’application APPI est sujette à un certain nombre d’erreurs et de lacunes, qui proviennent notamment des différences en matière de saisie et d’enregistrement des données que connaissent les services d’insertion et de probation. L’administration pénitentiaire tente actuellement de remédier à ce problème par la diffusion de fiches méthodologiques.

Par ailleurs, cet outil est parfois sous-utilisé par les juges de l’application des peines qui doivent normalement y intégrer les condamnations et mesures d’exécution. Certains magistrats n’intègrent pas les données relatives à la condamnation ou référencent les obligations de manière inexacte. Notamment, les condamnations prises dans le cadre des comparutions sur reconnaissance préalable de la culpabilité n’apparaissent pas de façon exhaustive dans le logiciel (28). Par ailleurs, il peut arriver que les juges de l’application des peines omettent de clôturer des dossiers pour lesquels l’œuvre du SPIP est terminée. Dans ce cas, le dossier est toujours comptabilisé comme étant suivi par le SPIP, ce qui fausse les statistiques du SPIP. Comme pour les conseillers d’insertion et de probation, les problèmes de saisie sont intrinsèquement liés à leur charge de travail, qui ne leur laisse pas le temps d’intégrer correctement les données.

Enfin, en ce qui concerne le SPIP, c’est généralement son secrétariat qui renseigne l’application APPI. Par définition, d’autres tâches, nombreuses, lui incombent, comme l’accueil des personnes suivies en milieu ouvert. Ce n’est donc pas un personnel formé et dédié à l’intégration des données qui effectue aujourd’hui cette tâche cruciale, tant au plan statistique qu’au plan du suivi des personnes condamnées.

b) Des évolutions parfois déconnectées de la réalité des délinquances

Les statistiques policières et judiciaires reflètent des évolutions qui, souvent assimilées à des variations du niveau des délinquances elles-mêmes, sont en réalité liées à des facteurs exogènes, que seule une analyse ultérieure permet d’identifier et d’isoler. Ces outils statistiques sont, par construction, sensibles à l’action des services, aux conditions de dépôt de plainte, à la propension des victimes à porter plainte, aux protocoles et aux consignes d’enregistrement des données ou encore à l’évolution du droit.

En premier lieu, les différents outils statistiques de la police et de la justice sont sensibles aux orientations données aux services. C’est particulièrement vrai de l’état 4001, qui recense un certain nombre d’infractions généralement révélées par l’activité d’un service de police ou de gendarmerie, comme les infractions à la législation relative à l’immigration. Dès lors, les données issues de l’état 4001 pourront être largement influencées, pour les index concernés, par la consigne donnée aux services de lutter plus fortement contre un type particulier de délinquance. Si l’accent est mis sur la lutte contre le trafic de stupéfiants, cela peut notamment se traduire par l’augmentation des faits constatés d’usage de drogues, sans que ce phénomène ait, en réalité, changé.

À l’inverse, la diminution des faits constatés et jugés pour une infraction particulière peut être expliquée, non par une diminution de la délinquance considérée, mais par une plus faible activité policière et judiciaire. Cela a notamment été le cas de l’infraction de racolage sur la voie publique, créée par la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure. Comme l’ont montré Mme Danielle Bousquet et M. Guy Geoffroy dans leur rapport sur la prostitution en France, « c’est à la fois par idéologie et par manque de moyens que les parquets ont peu à peu rechigné à déférer les personnes mises en cause pour racolage. Cela a provoqué le découragement des services de police officiant sur le terrain, et donc la diminution des interpellations sur ce fondement. La prostitution de voie publique a dès lors repris sa place dans le paysage urbain de nombreuses agglomérations » (29). Loin de signifier une diminution du racolage sur la voie publique, la baisse des chiffres policiers et judiciaires a pu être corrélée à une augmentation de la prostitution de voie publique.

C’est là tout le paradoxe de la mesure fournie par les statistiques policières et judiciaires, dès lors qu’on les assimile à la mesure de la délinquance : l’efficacité de l’action des services se traduit, dans un premier temps, par l’augmentation du nombre de faits traités par les services, avant de pouvoir effectivement contribuer à une diminution du phénomène délinquant et donc des faits enregistrés. Il est ainsi extrêmement difficile, pour les infractions qui sont le plus souvent révélées par l’activité des services, d’isoler les causes d’une quelconque évolution sans analyser précisément le contexte de l’action policière.

En deuxième lieu, les conditions du dépôt de plainte peuvent avoir un impact non négligeable sur les statistiques policières.

L’instauration du guichet unique pour le dépôt des plaintes, rendu possible dans tous les services de police et de gendarmerie quel que soit le lieu de commission de l’infraction par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, a pu faciliter le dépôt des plaintes et, partant, faire varier à la hausse les statistiques policières et judiciaires. À titre d’illustration, il a été rapporté à la mission qu’en 2002, l’augmentation significative des chiffres de la délinquance dans le 1er arrondissement de Paris s’est révélée liée à l’habitude prise par les voyageurs victimes de vols ou d’agressions dans le réseau express régional d’Île-de-France (RER), de déposer plainte au commissariat le plus proche de la station des Halles (30). Ces chiffres ne reflétaient donc pas l’état réel de la délinquance dans cet arrondissement, mais la pratique consistant à enregistrer à cet endroit des plaintes pour des faits commis sur les lignes de RER, souvent en dehors de l’arrondissement et même de la ville.

Tous les éléments qui facilitent ou rendent nécessaire le dépôt d’une plainte sont propices à une augmentation des données enregistrées par les services de police. Notamment, le développement d’une police de proximité a, entre 1997 et 2002, conduit à l’augmentation des faits constatés par les services : « Dans chaque agglomération où auparavant n’existait qu’un commissariat […] la police de proximité a visé un meilleur service en ouvrant des postes suivant une logique de quartier. Dès lors, il devenait plus facile pour les habitants de se rendre dans ces lieux pour déposer leurs doléances » (31). Par ailleurs, le fait de rendre le dépôt de plainte obligatoire pour accéder à une indemnisation favorise la révélation des infractions. Par exemple, la mise en place d’un service gratuit de nettoyage des graffitis par la mairie de Paris, sous réserve de présentation d’un récépissé de dépôt de plainte, a ainsi fait augmenter les statistiques sans pour autant que la délinquance ait réellement progressé (32).

De la même manière, l’amélioration de l’accueil des victimes a pu, pour certaines catégories d’infractions comme les violences sexuelles ou les violences intrafamiliales, participer à l’augmentation des faits constatés. Comme l’ont indiqué à vos rapporteurs les représentants d’organisations syndicales de la justice, « l’augmentation considérable des plaintes et signalements d’abus sexuels peut bien évidemment être liée à une augmentation des faits ; elle est sans conteste également le reflet d’une évolution des mentalités, facilitant pour la victime la possibilité d’en parler. On en perçoit ainsi la réalité au travers des dossiers de viols et abus sexuels intrafamiliaux, qui ont parfois perduré depuis plusieurs générations sans jamais être dénoncés. Ces faits n’entraient pas dans les statistiques faute de plainte et n’en étaient pas moins réels » (33). Dans ce cas, l’augmentation des faits constatés doit être appréhendée de façon positive, car elle peut signifier une simple augmentation du taux de révélation de l’infraction.

La question se pose aujourd’hui de savoir si la généralisation de la pré-plainte en ligne est susceptible de provoquer l’augmentation des faits constatés par les services de police et de gendarmerie. La pré-plainte en ligne permet aux victimes de prendre rendez-vous, à une date et une heure précise, avec les services de police qui recueilleront alors leur plainte. Pour certains, cette procédure ne devrait pas créer d’incitation à déposer plainte : les personnes qui y ont recours seraient de toute façon venues porter plainte au commissariat. Pour d’autres, dans la mesure où elle facilite la démarche de la victime auprès des forces de l’ordre, elle peut avoir un impact sur les statistiques policières, selon le nombre d’infractions pour lesquelles cette procédure est rendue possible. Une analyse approfondie de l’impact de la pré-plainte en ligne sur le nombre de faits constatés devra donc être réalisée.

Une évolution des statistiques peut aussi être le résultat d’une modification de l’outil statistique et des règles d’enregistrement qui sont les siennes.

Le déploiement d’un nouvel outil peut ainsi expliquer la survenance d’anomalies statistiques. C’est notamment le cas, semble-t-il, des statistiques de la gendarmerie nationale, qui ont connu, pour certains index, des hausses significatives, alors que de telles évolutions n’étaient pas visibles en zone police. L’ONDRP a ainsi noté que les faits constatés de « violences, mauvais traitements et abandons d’enfants » par la gendarmerie nationale avaient augmenté de 114,5 % sur douze mois en novembre 2012, tandis que les faits de « harcèlements sexuels et autres agressions sexuelles contre des mineur(e)s » avaient cru de 73 %. Parmi les hypothèses permettant d’expliquer ces fortes hausses, la généralisation du logiciel PULSAR est avancée par l’ONDRP : « l’absence d’effet du système Pulsar est très improbable compte tenu de la singularité des variations observées et de leur calendrier d’apparition. Il envisage même que cet effet en soit l’explication principale. Aucune autre hypothèse à ce jour ne semble pouvoir remplir de façon aussi convaincante les deux conditions suivantes : être propre à la gendarmerie nationale et être en phase avec les mois au cours desquels les fortes augmentations ont été mesurées » (34). Il semble que le nouveau logiciel ait permis une meilleure indexation des infractions, notamment pour ce qui est des harcèlements sexuels et autres agressions sexuelles sur mineurs, qui pouvaient auparavant être enregistrés sous un autre index, celui des atteintes sexuelles. Une évolution des données issues de l’état 4001 peut donc masquer une évolution des pratiques d’enregistrement, comme cela semble également être le cas des données issues de l’application CASSIOPÉE (cf. infra).

L’outil statistique de la police et de la gendarmerie nationales est également sensible aux modifications des règles d’enregistrement. Or, « on observe des variations dans les outils de comptabilité (avant et après 1972), des modifications de l’état 4001 lui-même (en 1985 et en 1988) mais aussi à une transformation de règles précises d’enregistrement édictées dans le très officiel Guide de méthodologie (avant et après 1995) […] On note également des changements dans les principes de comptabilisation adoptés par telle ou telle institution (avant et après juin 2002 pour la gendarmerie, par exemple). Ces changements de principes, qui d’ailleurs ne sont pas forcément transparents pour les praticiens, s’opposent à la mise en perspective de données, y compris sur le moyen terme » (35). Ainsi, de nouvelles consignes d’enregistrement peuvent être données qui modifient considérablement les statistiques policières et judiciaires. Cela a notamment été le cas des escroqueries à la carte bancaire, qui ont fait l’objet, depuis 2009, de plusieurs ruptures statistiques dans les consignes d’enregistrement qui ont conduit l’ONDRP à ne plus exploiter l’agrégat relatif aux infractions économiques et financières (cf. encadré infra).

L’ENREGISTREMENT DES FAITS CONSTATÉS D’UTILISATION FRAUDULEUSE DE LA CARTE BANCAIRE : EXTRAITS DU BILAN MENSUEL D’OCTOBRE 2011 DE L’ONDRP

« Jusqu’en septembre 2009, selon les informations dont dispose l’ONDRP, ces faits ont été collectés dans des conditions assez homogènes dans le temps. Ils ont par la suite subi les effets d’un changement de règles d’enregistrement sur une partie du territoire.

À la suite d’initiatives locales, des infractions de type escroqueries à la carte bancaire " correspondant à des faits constatés d’escroqueries et abus de confiance " ou de falsifications et usages de carte de crédit " n’ont plus été enregistrées comme précédemment.

Si un débit frauduleux avait eu lieu alors que le titulaire du compte bancaire était toujours en possession matérielle de sa carte bancaire, certains juristes, en s’appuyant notamment sur l’article L 133-19 du code monétaire et financier, ont alors considéré que le plaignant devait être la banque et non le titulaire du compte qui, sous réserve de remboursement, n’aurait pas en en subir le préjudice patrimonial.

L’application de ces principes a, selon l’ONDRP, eu comme effet de ne plus donner suite au souhait de porter plainte des personnes ayant subi un débit sur leur compte bancaire par l’usage frauduleux d’une carte bancaire. Cela a eu un impact majeur sur le nombre de faits constatés d’escroqueries et infractions économiques enregistrés par la police et la gendarmerie.

En septembre 2010, soit près d’un an après le changement de pratiques de saisie présumé par l’ONDRP, le nombre de faits constatés d’escroqueries et infractions économiques et financières était en baisse de 9,2 % sur 12 mois (soit - 35 049 faits constatés). […]

L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales a été informé de façon officieuse de cette rupture des pratiques de saisie des faits d’escroqueries à la carte bancaire début 2010 et, au regard des statistiques dont il disposait, il a considéré qu’elle était vraisemblablement en cours. Il l’a évoqué dans son bulletin mensuel de février 2010.

Cela a entraîné une réaction de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la Justice, qui est représentée au sein du conseil d’orientation de l’ONDRP. Elle a transmis aux procureurs généraux près les cours d’appel une note datée du 17 février 2010 ayant pour objet le dépôt de plainte en matière d’escroquerie par utilisation frauduleuse d’une carte bancaire ".

Il s’agissait alors de contester le principe d’absence de plainte des personnes dont le compte a été débité frauduleusement, Cette pratique ne recueille pas l’approbation de la DACG ", avec les arguments suivants : la prise en charge par la banque du seul préjudice financier ne prive pas le titulaire de la carte bancaire de sa qualité de victime " et l’appréciation de la recevabilité des plaintes relève de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire ". […] Un an après la date supposée de la rupture de pratiques de saisie, la forte baisse s’est interrompue et dès novembre 2010, les statistiques mensuelles étaient à l’inverse en forte hausse. »

Après ces deux revirements, une subtilité a été introduite en 2011 qui a également eu un impact notable sur les statistiques relatives à l’utilisation frauduleuse de carte bancaire et, partant, sur l’agrégat relatif aux infractions économiques et financières :

« La note du 2 août 2011 de la DACG exprime un changement de doctrine dont les effets statistiques ont été immédiats. […]

La règle devant s’appliquer à l’échelle nationale en matière d’enregistrement des plaintes pour escroqueries à la carte bancaire est désormais claire, même si du point de vue de la continuité statistique, il aurait été préférable que la DACG ne change pas sa doctrine un an et demi après la note du 17 février 2010.

La DACG a joint à sa note du 2 août 2011 un imprimé à remettre aux personnes se déplaçant à la police et à la gendarmerie afin qu’elles l’utilisent auprès de leur banque pour obtenir le remboursement du préjudice matériel, sans avoir à déposer plainte. Il est écrit dans la note qu’il sera proposé au titulaire de la carte de solliciter le remboursement auprès de la banque avant de déposer plainte. Il lui sera également rappelé que la loi ne subordonne pas ce remboursement au dépôt de plainte […] ". […]

Alors qu’un retour à une pratique semblant plus conforme à ces principes était en cours depuis bientôt un an, par sa note du 2 août 2011, la DACG organise matériellement (par l’imprimé joint et les instructions l’accompagnant) l’absence de plainte. Après 2 mois, on observe que la note de la DACG a eu un effet immédiat, la concordance des temps laissant peu de doute sur la cause des variations observées.

Indépendamment de la pertinence juridique de la note qu’il n’appartient pas à l’ONDRP de juger, d’un point de vue numérique, l’effet de celle-ci est si massif qu’on peut se demander si la direction du ministère de la Justice l’avait anticipé ainsi: au rythme actuel, et donc sous l’hypothèse que la note explique à elle seule la diminution en volume, sa mise en application pourrait aboutir à une baisse de plus de 50 000 faits constatés d’escroqueries ou falsifications et usages de carte de crédit sur 12 mois.

Pour l’ONDRP, l’indicateur escroqueries et infractions économiques et financières " va poursuivre pendant de longs mois encore une période pendant laquelle il ne sera plus en mesure de fournir des éléments de tendance indépendants du fonctionnement de l’outil de mesure. […]

Le nombre total des faits constatés n’avait pas besoin de ces péripéties pour être considéré par l’observatoire comme une statistique au mieux inutile, au pire trompeuse. On peut espérer qu’une baisse artificielle de près de 9 000 faits constatés en 2 mois due à une décision administrative peut inciter ceux qui feraient encore référence à ce chiffre unique, à ne plus le faire à l’avenir. »

Source : Bilan mensuel d’octobre 2011 de l’ONDRP, p.6 et suivantes.

De façon plus prosaïque mais non négligeable, la disponibilité des personnels affectés à la saisie peut expliquer certains écarts statistiques. Les données sont normalement relevées jusqu’au dernier jour du mois. Toutefois, dans la mesure où c’est principalement le secrétariat de la circonscription – personnel administratif – qui est chargé de l’enregistrement statistique, lorsque les derniers jours du mois sont des jours non travaillés (vacances, week-end, congés maladies, jours fériés, etc.), l’enregistrement s’arrête de facto avant la fin du mois. Certains mois statistiques peuvent ainsi compter 26 jours, quand d’autres enregistrent des faits sur 33 jours. À titre d’exemple, il a été rapporté à la mission que les chiffres issus de l’état 4001 avaient augmenté brusquement de 40 % en juillet 2001 en Loire-Atlantique. Cette augmentation s’expliquait par le fait que les deux personnes chargées de l’enregistrement des plaintes en vue de leur centralisation étaient précisément revenues de congés maladie au mois de juillet 2001 et qu’elles avaient alors toutes deux rattrapé le retard accumulé pendant leurs jours d’absence (36). Il suffit ainsi de peu de choses pour que, sur de petits nombres, les écarts soient, en valeur relative, considérables.

Enfin, une part importante de l’évolution des chiffres issus des statistiques policières et judiciaires réside dans la modification du droit en vigueur. C’est notamment le cas lorsqu’une simple contravention est transformée, sous l’effet de la loi, en délit. De ce simple fait, il est du jour au lendemain comptabilisé au sein de l’état 4001, qui recense les crimes et délits, ce qui peut peser sur les statistiques policières sans que la réalité du phénomène ait un tant soit peu varié. La dépénalisation d’un comportement, ou sa contraventionnalisation, a évidemment l’effet inverse.

La correctionnalisation législative de la vente à la sauvette par la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure a eu un effet significatif sur les statistiques de certains arrondissements parisiens particulièrement exposés au phénomène (37). Alors que cette infraction n’était auparavant pas comptabilisée, puisqu’elle était une contravention de la 4e classe, elle a conduit à la constatation de nombreux délits par les services de police. Plus encore que la constatation d’un fait à l’index n° 106 (« Autres délits économiques et financiers »), l’infraction pouvait facilement donner lieu à la constatation du même fait au sein d’autres index, notamment si l’auteur était en état d’infraction à la législation applicable aux étrangers, s’il se rebellait ou blessait un policier. Comme un commissaire l’a indiqué à vos rapporteurs (38), il n’est pas rare que la constatation de l’infraction de vente à la sauvette débouche sur la constatation d’autres infractions, nourrissant ainsi plusieurs index à la fois et grossissant les statistiques policières alors que, paradoxalement, la situation va en s’améliorant sous l’effet de l’action policière.

c) Des outils sous influence

Les statistiques pénales, qu’elles soient policières ou judiciaires, ont subi de plein fouet les effets de la logique de performance induite par la LOLF. Parce qu’ils sont utilisés pour évaluer la performance des services, ces outils sont susceptibles d’être manipulés pour assurer la production de chiffres conformes aux objectifs fixés. Dès lors, au-delà du « chiffre noir », un nouvel écart se creuse entre ce qui aurait dû être enregistré si ces indicateurs n’avaient pas existé, et ce qui l’a réellement été.

•  L’utilisation dévoyée de l’état 4001

L’état 4001 n’est pas un outil neutre qui, à l’instar d’un thermomètre, mesurerait un phénomène indépendant. Au contraire, l’outil rétroagit sur l’action des policiers et des gendarmes. Dès lors que l’outil n’est plus utilisé à la seule fin de recenser, de façon objective, les faits constatés par les forces de l’ordre, son utilisation peut comporter des biais, que l’absence de garde-fous techniques et de contrôles, tant interne qu’externe, ne permettent pas de compenser. Le principal problème réside, à l’heure actuelle, dans le fait que l’état 4001 est devenu un outil de mesure de la performance des services de police et de gendarmerie.

Ce phénomène semble d’abord être lié à la logique de performance qui innerve l’ensemble des activités de l’État depuis la mise en œuvre de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). En effet, les indicateurs figurant dans les rapports annuels de performance (RAP) reposent sur des données issues de l’état 4001. Les indicateurs permettant de mesurer la performance de la police nationale en ce qui concerne l’objectif qui lui est assigné par la LOLF de « réduire l’insécurité », sont, entre autres, l’évolution du nombre de crimes et délits en matière d’atteintes aux biens constatés en zone police (indicateur 1.1), l’évolution du nombre de crimes et délits en matière d’atteintes volontaires à l’intégrité physique des personnes constatés (indicateur 1.2), l’évolution du nombre de crimes et délits en matière d’escroqueries et d’infractions économiques et financières constatés (indicateur 1.3) et l’évolution du nombre d’infractions révélées par l’action des services (indicateur 1.4). Le taux d’élucidation, qui n’a, en l’état actuel de son mode de calcul, aucune valeur (cf. supra), fait également partie de la batterie d’indicateurs utilisés pour mesurer la performance des services de police.

Quand on mesure la performance d’un service à partir des données qu’il renseigne lui-même, le risque de distorsion et de manipulation est important. Comment, lorsque l’on construit soi-même les chiffres servant de base à son évaluation, ne pas parvenir à un bilan toujours favorable ? Le bilan stratégique du rapport annuel de performance 2011 du programme budgétaire n° 176, relatif à la police nationale, commence d’ailleurs en ces termes : « Pour la neuvième année consécutive, la délinquance a reculé en zone police. Les objectifs ambitieux assignés par le projet annuel de performances ont été dépassés. La baisse des atteintes aux biens et des escroqueries et infractions économiques et financières, qui représentent plus des deux tiers des faits enregistrés, s’est amplifiée, atteignant respectivement -2,57 % et -3,4 %, contre -1,7 % et -2,56 % en 2010. La tendance à l’augmentation des atteintes volontaires à l’intégrité physique a été maîtrisée, avec un recul de 0,16 %, et une baisse de 0,26 % des violences crapuleuses ».

Par sa construction même, cette logique de performance ne pouvait qu’être dévoyée et mener à une course à l’obtention de « bons » chiffres. La forte hiérarchisation de la structure policière a quant à elle conduit à ce que l’ensemble des échelons, locaux et nationaux, participe à la production de données biaisées voire, dans certains cas, clairement manipulées. Ainsi, des réunions périodiques ont pu être organisées par le ministère de l’Intérieur sous l’égide de M. Nicolas Sarkozy, alors ministre, au cours desquels les préfets et responsables des services de police et de gendarmerie issus des départements qui affichaient les plus mauvaises statistiques étaient confrontés aux représentants des services présentant, eux, les meilleurs chiffres. Sous couvert d’un échange de bonnes pratiques, les « mauvais élèves » étaient sommés de présenter des explications. L’effet sur les services de ce système, surnommé le « sarkomètre » par les policiers, était net : il fallait faire en sorte que les prochains chiffres soient présentables, c’est-à-dire en baisse (39). Cette pratique a semble-t-il perduré sous les ministres suivants, en dehors de leur présence toutefois (40).

Une pression a donc été exercée, de haut en bas de la chaîne policière, pour obtenir un état 4001 conforme aux exigences de baisse affichée de la délinquance, ce qui a généré un certain nombre de manipulations. En effet, « cet usage gestionnaire (managerial) peut engendrer des distorsions supplémentaires, soit que les agents de base ajustent leurs enregistrements statistiques pour se protéger du contrôle de leur hiérarchie, soit que celle-ci travaille ensuite les agrégations pour les rendre plus conformes aux objectifs du moment » (41). D’autres interlocuteurs de la mission ont vu dans la production de chiffres conformes aux résultats attendus par le gouvernement le résultat d’une tractation entre le ministère de l’Intérieur et les forces de l’ordre. Ainsi, on peut considérer que « le niveau de l’efficacité policière évaluée à partir des statistiques produites par les agents des forces de l’ordre est proportionnel au soutien accordé au gouvernement par les policiers et les gendarmes » (42). Selon cette analyse, la stratégie de l’exécutif aurait été de donner aux forces de l’ordre des moyens supplémentaires afin « qu’ils n’aient plus à se plaindre et orientent les chiffres dans le sens désiré » (43). Il en est de même des primes individuelles et collectives à la performance qui, sans être directement corrélées aux statistiques produites, auraient fait l’objet, d’après certaines personnes entendues par la mission, d’un contrat moral implicite permettant leur maintien à un haut niveau en échange de l’adhésion des forces à la « politique du chiffre » (44).

Cela n’a pas été sans conséquence sur l’activité des services, qui a été réorientée de sorte à permettre la production de tels chiffres. Cela a notamment pu conduire au ciblage de certains publics – les personnes soupçonnées d’être en situation irrégulière sur le territoire français – ou sur certaines infractions, pour permettre l’augmentation des infractions révélées par l’action des services et, partant, des taux d’élucidation. La façon dont les services luttaient contre certaines formes de délinquance, comme le trafic de stupéfiants, a pu s’en trouver modifiée : plutôt que de remonter une filière, certains services ont préféré interpeller rapidement un grand nombre de petits revendeurs et de consommateurs de produits stupéfiants, pour enregistrer plus de « bâtons » (45). Mais ces nombreuses interpellations qui permettent, en matière de stupéfiants et de séjour irrégulier, d’afficher d’excellents taux d’élucidation, représentent autant de temps policier non passé à traiter d’autres contentieux parfois plus graves et exigeant plus d’investigations. La nécessité de produire des statistiques orientées a également eu un effet non négligeable sur l’activité jusqu’ici non judiciaire des policiers et des gendarmes. Les missions de police secours, qui donnaient généralement lieu à une simple médiation, entre voisins ou conjoints, font désormais plus souvent l’objet d’une procédure judiciaire visant à justifier l’emploi des forces et à grossir les taux d’élucidation.

Au sein des institutions policières, de nombreux policiers et gendarmes estiment que cette « course au chiffre » leur a fait perdre le sens de leur mission, les statistiques étant devenues une fin en soi. Des compétitions malsaines ont pu s’instaurer entre les services, dont les chefs ont parfois été tentés d’arranger les chiffres (46). Des enjeux de carrière, la perspective de décrocher ou de maintenir le niveau d’une prime, la nécessité de motiver des demandes de moyens supplémentaires, ont pu, ici et là, orienter la production statistique. Une importance considérable a été accordée aux statistiques au détriment de l’appréciation que peut porter un policier sur l’évolution de la délinquance et de l’efficacité du service : si les statistiques sont jugées bonnes, aucune réflexion de fond ne peut être engagée (47). Les statistiques sont ainsi apparues comme un outil d’occultation de la réalité de la délinquance. Cette logique de performance a également eu pour conséquence de priver la police de l’usage de ses propres sources statistiques pour la conduite opérationnelle de ses actions et l’adaptation de ses dispositifs à la réalité de la délinquance.

Par ailleurs, le recours au très médiatique « chiffre unique » ne fait que renforcer la probabilité qu’il existe d’importantes distorsions dans l’utilisation de l’état 4001. La communication autour de ce qui est assimilé à tort aux « chiffres de la délinquance » est devenue aussi importante que les données elles-mêmes. Il est vrai que le chiffre unique présente, en termes de communication, des avantages certains : facilement compréhensible, il permet des raccourcis intellectuels qui rendent plus aisée la transmission de l’information aux citoyens, par le biais des médias. Pourtant, le chiffre unique n’est porteur d’aucune signification réelle, puisqu’il est le résultat de l’agrégation de données qui sont sans rapport les unes avec les autres (cf. supra) : « Il additionne […] des unités de compte différentes comme si l’on pouvait ajouter des chaises à des éléphants sous prétexte qu’ils ont quatre pattes » (48). Comment l’addition du nombre de chèques volés et de victimes d’agressions sexuelles pourrait-il conduire à une appréhension, même approximative, de la délinquance ?

En outre, le chiffre unique permet par construction de masquer les évolutions réelles des faits constatés. Le chiffre unique de la délinquance a ainsi permis de dissimuler la très forte augmentation des atteintes aux personnes par la diminution considérable des atteintes aux biens, due en grande partie au développement de la sécurité privée (49). Dans la mesure où tous les faits constatés sont placés sur le même plan, de l’injure à l’homicide, sans pondération aucune en fonction de leur gravité, les évolutions du chiffre unique peuvent masquer une tendance générale parfaitement inverse à celle qui est présentée. Pour prendre un exemple simple, si les crimes augmentent de 10 unités, alors que les délits diminuent de 20 unités, la délinquance aura globalement baissé de 10 unités, alors même qu’on peut considérer que la situation se sera en réalité aggravée. Le chiffre unique ne veut donc littéralement rien dire, mais se révèle extrêmement utile à qui veut asséner une vérité ayant l’apparence de la scientificité.

•  L’état 4001, un outil aisément manipulable

Comme vos rapporteurs en ont fait la découverte, il existe de nombreuses façons de manipuler, à la hausse comme à la baisse, les statistiques policières. Ces manipulations interviennent à tous les stades du processus allant de la commission de l’infraction à sa comptabilisation au sein de l’état 4001.

Les services de police disposent de plusieurs moyens d’agir à la source pour limiter le nombre de faits enregistrables. Cela peut tout d’abord prendre la forme d’une limitation volontaire du nombre de plaintes. Le refus de prise de plainte, la réorientation de la victime vers un autre service de police, ou encore l’organisation de conditions de dépôt de plainte décourageantes à l’égard des victimes – longues files d’attentes, prise de la plainte par des personnels non spécialisés –, constituent autant de moyens susceptibles de limiter le taux de plainte.

Parmi ces moyens, il en est un dont l’importance numérique n’est pas négligeable : l’utilisation abusive de la main courante. Sont normalement enregistrés au sein de ce registre les faits portés à la connaissance des services qui ne sont pas, en tant que tels, constitutifs d’une infraction : des troubles du voisinage, le début de ce qui pourrait s’avérer un fait de harcèlement s’il venait à être répété, le constat du départ du domicile d’un conjoint. Dans les faits, les registres de main courante permettent également de consigner et de dater des infractions dénoncées par une victime qui ne souhaite pas porter plainte. La recommandation voire l’obligation faite à la victime de déposer une simple main courante, en lieu et place d’une plainte, permet de minorer le nombre de faits constatés. Cette pratique n’est pas tout à fait anodine, si l’on considère qu’en 2011 « 290 713 déclarations [concernant] des crimes et délits, dont 68 107 des atteintes aux biens et 125 414 des atteintes aux personnes (hors vols violents) » (50) ont fait l’objet de simples mains courantes. Il a été rapporté à la mission qu’une étude de l’ancienne direction centrale des renseignements généraux, non publiée, avait montré que 25 % des faits délictueux commis n’étaient pas comptabilisés par l’état 4001, ces faits faisant l’objet d’une main courante (51).

Par ailleurs, si une plainte est déposée, il est possible de modifier, à la marge, la qualification pénale des faits pour la faire disparaître de l’état 4001. La qualification d’un délit en contravention permet de ne pas faire apparaître le fait constaté au sein de l’état 4001. Une tentative de cambriolage pourra par exemple être qualifiée de dégradation légère, si une serrure a été forcée. Il est également possible, si un véhicule est impliqué, de qualifier l’infraction de délit routier pour faire échec à sa comptabilisation. Une modification de la qualification pénale peut également faire correspondre le fait constaté à un index moins sensible et moins observé, notamment s’il n’entre pas dans le calcul des agrégats utilisés par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (cf. infra). Ainsi, l’abandon d’un élément constitutif de l’infraction, par exemple les violences accompagnant un vol, permet de minorer un index qui entre dans la composition de l’agrégat relatif aux atteintes aux personnes.

À l’inverse, les services de police peuvent souhaiter faire augmenter le nombre d’infractions révélées par l’action des services (IRAS), sur la base duquel ils sont évalués, et ce d’autant plus que cela permet également de faire augmenter artificiellement le taux global d’élucidation des infractions. L’augmentation du volume des affaires dans lesquelles l’auteur est interpellé en flagrant délit, qui sont donc résolues immédiatement, entraîne mécaniquement l’augmentation du taux d’élucidation. Des consignes peuvent ainsi être données aux services de constater un certain nombre de ces infractions, notamment lorsqu’il apparaît, en fin de mois, que les chiffres ne sont pas favorables.

De nombreuses techniques permettent de minorer le nombre de faits constatés au stade de l’enregistrement des données. En exploitant la marge d’interprétation laissée par la méthodologie d’enregistrement des crimes et délits, voire en s’inscrivant en faux contre ces consignes, il est possible de modifier le résultat du service.

Le nombre d’infractions constatées comporte un certain nombre de biais. L’erreur ou le choix volontaire d’une mauvaise unité de compte peut permettre de minorer les faits constatés. À titre d’exemple, en cas de dégradations successives de plusieurs véhicules privés, alors qu’il faudrait compter un fait par voiture dégradée, un changement d’unité de compte permettra de n’enregistrer qu’une procédure ou qu’un auteur. Par ailleurs, le choix de l’index peut influer sur le nombre de faits à constater. Par exemple, une tentative de vol de deux véhicules appartenant à une même famille doit normalement conduire à l’enregistrement de deux faits, puisque l’unité de compte est le véhicule ; toutefois, si les véhicules sont juste abîmés, le fait peut être enregistré au sein de l’index correspondant à une dégradation de véhicule, auquel cas l’unité de compte est le plaignant, soit une unité. C’est également par ce biais que le nombre de faits élucidés peut être artificiellement majoré. Par exemple, le vol d’un chéquier, compté comme un seul fait constaté s’il est mal indexé, peut donner lieu à autant de faits élucidés que de chèques volés.

De façon plus évidente, il est également possible de reculer l’intégration des données pour alléger le nombre de faits constatés au cours du mois précédent. Un bilan plus flatteur peut ainsi être présenté par le report d’une journée d’enregistrement, qui représente 3 % à 4 % des faits constatés dans le mois. Plus grave encore, certaines plaintes peuvent sciemment ne pas faire l’objet d’une comptabilisation au sein de l’état 4001 jusqu’à leur éventuelle élucidation.

Il est aujourd’hui difficile d’évaluer le taux d’erreur de l’état 4001 et l’ampleur de la manipulation dont il fait l’objet. Pour certains, ce phénomène est marginal et ne concerne que quelques services. Ces méthodes seraient surtout le fait de personnels de police qui, indirectement incités par leur hiérarchie, opèrent ces manipulations dans le but de préserver des capacités pour mener d’autres investigations (52). Pour d’autres, le phénomène serait au contraire massif et étendu à l’ensemble des services de police et de gendarmerie. En tout état de cause, dans l’hypothèse optimiste où, dans chaque unité de sécurité publique, un seul agent utilise un seul de ces procédés n’affectant qu’un seul délit une fois par semaine, l’impact est de plus de 200 000 faits annuels, soit près de 5 % d’écart avec la délinquance constatée (53).

La question est de savoir si le taux d’erreur que connaît l’état 4001 rend impossible toute analyse en matière d’évolution du nombre de faits constatés. De fait, si la manipulation est minime ou a été plus ou moins constante depuis 1972, l’outil pourrait malgré tout être utilisé pour dégager des grandes tendances sur le long terme. Pour pouvoir utiliser les données issues de l’état 4001, il conviendrait a minima d’évaluer l’écart entre ce qui est réellement enregistré et ce qui aurait dû l’être si la méthodologie avait été effectivement suivie. Mais force est aujourd’hui de constater que de telles analyses ne sont pas disponibles.

En effet, aucun contrôle interne n’est fait sur le bon enregistrement des données par la police nationale (cf. supra). Les inspections générales de la police comme de la gendarmerie nationales ne disposent d’aucune compétence spécifique dans ce domaine, bien qu’elles puissent théoriquement être saisies à cette fin. Il semble cependant que la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) conduise des audits sur ce sujet particulier et que quatre départements aient récemment été écartés de l’attribution d’une prime de résultat exceptionnelle du fait de statistiques jugées non fiables (54). Il conviendrait peut-être de s’inspirer, dans ce domaine, des rapports du Federal Bureau of Investigation (FBI) américain qui, dans une logique de naming and shaming (55), indiquent l’identité des services de police à l’origine de statistiques qu’il considère comme manipulées et insincères (56). Quant au contrôle externe, les procureurs de la République ne disposent pas de moyens suffisants pour contrôler les registres de main courante, tandis que l’ONDRP n’a pas reçu de mandat exprès pour effectuer un réel contrôle de l’enregistrement des données.

•  Les statistiques judiciaires et pénitentiaires non épargnées

D’après les informations recueillies par la mission, les données du ministère de la Justice sont sujettes aux mêmes aléas d’enregistrement que les statistiques policières. D’une part, la justice a été soumise, au même titre que la police nationale, à une logique de performance fondée sur des indicateurs quantitatifs susceptibles de rétroagir sur le comportement des acteurs. L’indicateur 2.4 mesure ainsi le ratio d’affaires poursuivables par magistrat du parquet, tandis que la performance des magistrats du siège est évaluée à partir du nombre d’affaires traitées, divisé par le nombre de magistrats du siège.

Comme cela a été indiqué à la mission, ces indicateurs ont eu une influence concrète sur la façon dont les magistrats appréhendent et traitent les dossiers, et ce d’autant plus que, comme pour les forces de l’ordre, certaines primes sont plus ou moins directement liées à ces résultats chiffrés. Notamment, l’existence d’une prime d’intéressement à la performance collective des services, qui peut atteindre 18 % de la rémunération, conduit parfois à l’accélération des audiences, voire plus rarement à une étude plus superficielle des affaires.

De façon générale, le taux de réponse pénale est devenu une statistique de premier plan de la performance de l’institution judiciaire. Cet indicateur de performance « correspond à la part des affaires faisant l’objet d’une poursuite, d’une ouverture d’information, d’une procédure alternative réussie ou d’une composition pénale réussie sur l’ensemble des affaires poursuivables. Le corollaire du taux de réponse pénale est le " taux de classement sans suite pour inopportunité des poursuites ", qui représente la part des affaires poursuivables qui n’ont pas reçu de réponse judiciaire » (57). La définition même de l’indicateur est porteuse d’une consigne qui conduit à amoindrir le pouvoir d’opportunité des magistrats du parquet, puisque l’augmentation du taux de classement sans suite pour inopportunité des poursuites fait mécaniquement baisser le taux de réponse pénale. De fait, le taux de classement sans suite est passé de 22 % en 2005 à 11,6 % en 2011 (58).

Comme l’ont indiqué les représentants des organisations syndicales de la justice, « l’obsession de la poursuite pénale prive abusivement le parquetier de l’opportunité des poursuites. C’est ainsi que des comportements de cour d’école se trouvent pénalisés et que des enfants effectuent des réparations pénales, là où une intervention préventive des services de police ou des acteurs sociaux avaient toute leur place » (59). De fait, la diminution du taux de classement sans suite semble avoir été essentiellement compensée par une augmentation des alternatives aux poursuites et des compositions pénales. Comme l’a indiqué un magistrat à vos rapporteurs, il est très facile de modifier son activité pour faire varier la statistique en accord avec les objectifs fixés. Ainsi, loin de constituer une évaluation neutre de l’activité des services et une aide à la décision publique, les statistiques judiciaires, notamment les cadres du parquet, connaissent les mêmes travers que les statistiques policières.

Au-delà, les statistiques judiciaires en matière de crimes peuvent être faussées par la correctionnalisation de certaines affaires. Cette pratique consiste à modifier la qualification d’une infraction de sorte à ce qu’elle ne soit pas jugée par une cour d’assises, mais par un tribunal correctionnel. La procédure de jugement criminelle, plus longue et faisant intervenir un jury populaire, peut ne pas sembler adaptée au jugement de certaines infractions. La correctionnalisation d’un crime peut se faire en négligeant une circonstance aggravante, ou bien en passant sous silence un des éléments constitutifs de l’infraction – le viol devient une agression sexuelle si l’on omet l’existence d’une pénétration sexuelle – ou encore en éludant des qualifications criminelles qui seraient pourtant applicables aux faits. Les infractions à caractère sexuel, ou encore les vols avec armes, sont ainsi fréquemment minorées par cette procédure, qui doit cependant recueillir l’assentiment de la victime pour être mise en œuvre.

Pour ce qui est des statistiques pénitentiaires, les éléments d’information susceptibles de nuire à l’image d’un établissement ne sont qu’imparfaitement renseignés faute d’un contrôle exhaustif. C’est notamment le cas des incidents intervenus entre personnes détenues, qui ne sont pas tous indiqués à la direction de l’administration pénitentiaire, le chef de l’établissement pénitentiaire ne souhaitant pas faire étalage des incidents qui surviennent dans la prison dont il a la charge (60).

3. Des données incomplètes voire inexistantes

L’incomplétude des statistiques pénales, tant policières que judiciaires, s’ajoute à tous les maux qui viennent d’être décrits par vos rapporteurs et achève de dresser un portrait peu optimiste des statistiques des délinquances actuellement utilisées.

a) De nombreuses infractions non comptabilisées par l’état 4001

L’état 4001, principale source d’information en matière de statistiques policières, pèche par l’incomplétude de son champ. Par définition, ce formulaire administratif recense une liste limitative de crimes et délits, commis et tentés, portés pour la première fois à la connaissance d’un service de police et consignés dans une procédure transmise à l’autorité judiciaire (61).

Par conséquent, l’ensemble des contraventions est exclu du champ de l’état 4001, alors même que certaines d’entre elles relèvent des atteintes aux personnes et comprennent des violences légères qui auraient pu être qualifiées de délits. La gendarmerie dispose d’un système d’information lui permettant de fournir par classe, et pour certaines infractions, le détail des contraventions qu’elle dresse. C’est notamment le cas des contraventions dressées pour violences volontaires, au nombre de 42 896 en 2011 (62). Les dégradations et destructions sont également comptabilisées et fournissent ainsi une indication pertinente sur cette délinquance de basse intensité. En revanche, la police nationale ne recense pas les contraventions dressées par ses services, sauf en ce qui concerne les contraventions au code de la route (cf. infra), qui n’apparaissent toutefois pas dans l’état 4001. Ce sont ainsi des millions d’infractions qui ne sont pas comptabilisées par la statistique policière.

Par ailleurs, l’ensemble du contentieux routier, notamment les homicides et blessures involontaires en résultant, est absent de l’état 4001. Il est probable qu’en 1972, les infractions au code de la route aient été considérées comme insuffisamment graves, ou non caractéristiques d’un comportement délictueux, pour faire l’objet d’une indexation. Pourtant, le contentieux routier représente aujourd’hui une part non négligeable de l’activité des tribunaux – 35 % des actes jugés par les tribunaux correctionnels relèvent de la délinquance routière (63) – tandis que le nombre de personnes tuées dans des accidents de la route est plus élevé que le nombre d’homicides relevé par les services de police et de gendarmerie. Il est paradoxal que ce qui est aujourd’hui considéré comme une délinquance à part entière ne soit pas appréhendé par l’état 4001.

Dans ce domaine, les travaux de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière, créé en 1975 et placé auprès du délégué interministériel à la sécurité routière, fournissent un éclairage indispensable à la compréhension des accidents de la route. Depuis 1990, le fichier national des accidents corporels de la circulation routière (fichier BAAC) harmonise les fiches « Accidents » établies par la police et la gendarmerie. Ces fiches, complétées par les commissariats et brigades de gendarmerie, mais également les compagnies républicaines de sécurité et la police de l’air et des frontières, fournissent plusieurs informations : les caractéristiques de l’accident (date, commune, conditions météorologiques), la description des lieux de l’accident, la nature du véhicule, le contexte de l’accident (obstacle, sens de la circulation, etc.), ainsi que des éléments relatifs aux personnes (alcoolémie, parcours, etc.).

Par ailleurs, depuis 2001, la direction de la modernisation et de l’action territoriale du ministère de l’Intérieur produit un bilan statistique du comportement des usagers de la route qui recense les contraventions dressées par les services. Ce sont ainsi plus de 570 000 délits routiers et 22 millions de contraventions au code de la route (hors stationnement) qui ont été recensés en 2011 par les services de police et de gendarmerie. Ainsi, ces données existent, mais ne sont pas commentées au même titre que les données issues de l’état 4001. Pourtant, « si ces délits étaient réintégrés dans ‘‘ la statistique de police ’’ publiée par la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), leur masse imposante les placerait parmi les catégories les plus nombreuses donnant ainsi une image plus exacte de ce qu’est l’activité de la police et de la gendarmerie nationales » (64).

b) Les zones d’ombre des statistiques judiciaires et pénitentiaires

Bien que les cadres du parquet et l’exploitation du casier judiciaire national offrent un certain nombre d’informations, des données importantes sont aujourd’hui manquantes.

Il n’existe par exemple aucune donnée statistique consolidée sur les déferrements (65) – mise à disposition de la justice d’une personne mise en cause, qui est alors maintenue au dépôt avant sa présentation au procureur ou au juge d’instruction –, alors même que l’identité des personnes, leurs heures d’arrivée et de présentation au magistrat doivent être consignées au sein d’un registre en application de l’article 803-3 du code de procédure pénale, pour les personnes qui ont passé la nuit au dépôt. Ni la police, ni la justice, ne tiennent le compte de ces procédures.

Un autre point faible des statistiques judiciaires concerne l’exécution des peines. En ce qui concerne la mise à exécution des peines, tout l’intérêt est de connaître le temps écoulé entre le prononcé de la décision et la date à partir de laquelle la condamnation est exécutée. Or, à l’heure actuelle, la statistique indique le stock de peines en attente d’exécution, mais ne publie aucune donnée sur les délais écoulés depuis le prononcé de la peine (66). Par ailleurs, l’activité des juridictions de l’application des peines reste en grande partie inconnue aujourd’hui. Comme cela a été indiqué à la mission, le ministère de la Justice ne dispose d’aucune statistique sur le nombre réel d’équivalent temps plein de juges de l’application des peines, certains exerçant cette fonction à temps partiel, ou en plus d’une autre affectation, ou sur le nombre de dossiers traités et de décisions rendues en la matière. On estime que le nombre de mesures d’aménagement de peine que doivent mettre en œuvre les juges de l’application des peines se situe entre 100 000 et 140 000 mesures, sans plus de précision (67).

Enfin, les données relatives à la récidive sont insuffisantes. En dépit des quelques études de suivi de cohortes menées en France à ce sujet, les connaissances ne permettent pas d’appréhender pleinement ce phénomène. Les données présentées par le ministère de la Justice et issues du casier judiciaire national se fondent sur la notion de récidive légale, très restrictive, et bien loin de permettre la compréhension du phénomène sociologique de récidive. Il est ainsi difficile de conduire des études sur l’impact des mesures mises en place pendant l’exécution de la peine sur la récidive. De la même façon, les phénomènes de sortie de la délinquance ou de « désistance » ne sont pas finement analysés aujourd’hui et nécessiteraient la mobilisation de données plus précises, portant notamment sur le profil des personnes condamnées (logement, emploi, situation familiale, addictions, etc.).

LA DÉLINQUANCE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE : LE DÉSINTÉRÊT DE LA STATISTIQUE PÉNALE

La délinquance économique et financière est aujourd’hui très difficilement appréhendée par les statistiques policières et judiciaires. Tout d’abord, l’état 4001 ne prenant pas en compte les infractions constatées par d’autres administrations, la délinquance économique et financière, également constatée par l’administration fiscale, les agents de la direction de la concurrence ou des douanes, lui échappe en partie. Ensuite, si l’état 4001 comprend quelques index relatifs à des infractions économiques et financières, comme l’abus de biens sociaux, la fraude fiscale ou les escroqueries et abus de confiance, la grande partie des délits économiques et financiers, dont le blanchiment, doit être enregistrée au sein d’un index fourre-tout intitulé « Autres délits économiques et financiers ». La corruption est en revanche enregistrée au sein de l’index 107. Par ailleurs, pour ces infractions, l’unité de compte retenue par l’état 4001, qui peut être la procédure ou le plaignant, ne permet pas d’appréhender les montants financiers en jeu. Les statistiques judiciaires ne fournissent pas un éclairage plus approfondi des auteurs de ces infractions et des conséquences de ces actes. La délinquance économique et financière étant généralement noyée, au sein de l’Annuaire statistique de la Justice, dans la catégorie indéterminée des « autres délits », il est difficile de connaître les données relatives à la comparution immédiate, à la détention provisoire ou même à certaines condamnations, notamment en ce qui concerne les délits boursiers. Aucune distinction n’est faite, pour ce qui est des condamnés, entre personnes physiques et personnes morales. Il convient également de noter que le champ des données publiées en matière de délinquance économique et financière a varié au cours des dernières années : « […] les infractions à la législation sur les chèques, du travail et de la sécurité sociale ont intégré le bloc économique et financier, étant autrefois pour les premières classées dans les infractions contre les biens et pour les autres classées dans le groupe hétérogène intitulé « Infractions contre la santé publique, le travail, la sécurité sociale ». L’Annuaire ne brille donc pas par la fermeté de ses analyses conceptuelles et, accessoirement, par la constance de son champ d’étude puisque les statistiques répertoriant les infractions constatées ont disparu dans les années 1990 » (68). Une plus grande précision des statistiques policières et judiciaires serait donc nécessaire pour mieux évaluer cette délinquance.

Les statistiques pénitentiaires ne permettent pas, à l’heure actuelle, d’analyser de façon précise les parcours de détention. Particulièrement statiques, elles fournissent seulement une photographie de la détention, sans comparaison avec des périodes passées ou d’autres établissements. De fait, pour répondre aux besoins opérationnels des établissements, certains directeurs, notamment au centre pénitentiaire de Fresnes, ont créé des tableaux de bord sous la forme de simples feuilles de calcul, renseignées de façon manuelle et actualisées quotidiennement à partir d’informations éparses récupérées à partir des applications de gestion des ressources humaines et de GIDE. Ces outils, extrêmement pertinents pour la mise en œuvre des responsabilités du directeur, qui comparent les données du jour avec celles du mois et de l’année antérieurs, répondent à différents besoins en matière de sécurité – s’assurer de la concordance des différentes sources de comptabilisation des détenus –, de gestion prévisionnelle – commander le bon nombre de repas –, et d’évaluation de la surpopulation carcérale et de ses conséquences sur le climat pénitentiaire.

Des données relatives au quotidien de la détention sont manquantes : il n’est pas possible de connaître le pourcentage de détenus ayant bénéficié de promenades, de parloirs ou de visites, par exemple. Le nombre d’entrées et de sorties est également difficile à obtenir, d’après la garde des Sceaux (69) et, bien que les établissements pénitentiaires puissent les fournir, ces chiffres ne semblent pas pouvoir être générés automatiquement par un quelconque processus informatique (70). Les informations portant sur le passé pénal des personnes prises en charge font également défaut. Lorsqu’une personne est placée sous écrou, l’établissement pénitentiaire ne sait pas s’il s’agit de sa première ou de sa cinquième incarcération. En effet, ces bases de données enregistrent les personnes à chaque nouvelle incarcération, et font disparaître les données à leur libération (71), si bien qu’il n’est pas possible de suivre le parcours judiciaire et pénitentiaire global de chaque personne placée sous main de justice. De la même façon, les centres éducatifs fermés ne traitent pas d’information sur le passé des mineurs qu’ils accueillent, ou sur leur devenir, ce qui rend impossible l’évaluation du dispositif.

De façon générale, les systèmes statistiques pénitentiaires actuels ne semblent pas adaptés aux évolutions des profils des personnes détenues, qui exécutent souvent plusieurs condamnations pour un même placement sous écrou. Parce que les profils des délinquants ont évolué au cours des trente dernières années, il est plus difficile de déterminer les circonstances d’entrée en détention. Les statistiques pénitentiaires ne permettent pas non plus de suivre de façon fine le parcours des personnes placées sous écrou mais non hébergées au sein de l’administration pénitentiaire en raison d’un aménagement de peine, qui se traduit par un placement extérieur ou sous surveillance électronique. Or, cette évolution, notable depuis le milieu des années 2000, a conduit à ce qu’environ un sixième des personnes écrouées ne soient pas hébergées par l’administration pénitentiaire.

Pour ce qui est du suivi en milieu ouvert, les statistiques se limitent à préciser le nombre et la nature des mesures qui doivent être exécutées, mais ne permettent pas une analyse réelle de l’exécution des peines en milieu ouvert aujourd’hui, ni de leur efficacité au regard de la récidive. Comme l’a indiqué M. Pierre Victor Tournier à la mission, cette situation est comparable à celle d’une banque qui ne connaîtrait pas le nombre de ses agents, ni la valeur des comptes qu’elle a à gérer (72). Ainsi, il n’est pas possible de savoir combien de personnes condamnées pour une infraction à caractère sexuel en récidive et sur une personne mineure sont actuellement libres et suivies par le SPIP. Les personnes dont le SPIP pense qu’elles sont susceptibles de récidiver ne peuvent être isolées. Si l’on connaît le nombre de placement sous surveillance électronique de fin de peine, aucune donnée n’existe sur son exécution, sur l’accompagnement mis en œuvre, sur les résultats de ce dispositif en matière de récidive (73). Mais l’outil comporte bien d’autres faiblesses : les dates de libération qu’indique l’application APPI sont fictives et ne tiennent pas compte des crédits de réduction de peine ; les délais d’audiencement, les taux d’aménagement et de révocation, les délais de prise en charge par le juge de l’application des peines ou le SPIP ne peuvent être connues par le biais de l’application et nécessitent un véritable « travail de bénédictin » de la part des personnels pour pouvoir réaliser, de façon manuelle, des statistiques approximatives (74).

Comme l’a indiqué Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, à la mission, les statistiques judiciaires et pénitentiaires mettent en œuvre des données brutes et dispersées qui ne permettent pas d’évaluer les dispositifs de façon dynamique (75).

II.– LA NÉCESSITÉ DE FIABILISER LES DONNÉES ET D’ACCROÎTRE LA TRANSPARENCE ET LA COHÉRENCE DU PROCESSUS STATISTIQUE

Face à ce constat, vos rapporteurs ne peuvent qu’insister sur la nécessité de procéder à une profonde rénovation du système statistique actuel, tant en ce qui concerne les données statistiques, qui doivent être largement affinées, que les outils informatiques, qui doivent correspondre aux besoins de connaissance aujourd’hui exprimés, et le processus de production, qui doit assurer la qualité et la fiabilité des statistiques pénales. Il faudra notamment se résoudre, à terme, à donner à l’état 4001 la place qui lui revient, celle d’une antiquité que l’on conserve par souci de continuité mais dont on ne fait plus usage, et remédier à l’aberration historique que constitue l’absence, au sein du ministère de l’Intérieur, d’un service statistique ministériel dédié aux politiques de sécurité.

1. Rénover les outils en limitant les ruptures statistiques

Les statistiques policières, pour apporter un éclairage intéressant sur le phénomène criminel, appellent un certain nombre d’améliorations qui conduiront, de fait, à leur rénovation complète.

a) Affiner, actualiser et enrichir l’outil statistique policier

Les outils informatiques de la police et de la gendarmerie nationales sont en cours d’évolution, avec la mise en place progressive du nouveau traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) (76), et du logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) (77), dont les principales caractéristiques sont détaillées plus loin.

D’ores et déjà, afin de tirer parti des évolutions informatiques actuelles, vos rapporteurs souhaitent insister sur la nécessité de créer un infocentre intégrant certaines des données du nouveau traitement d’antécédents judiciaires (TAJ). L’existence d’un infocentre comporte des avantages notables en matière de statistiques, par rapport au formulaire administratif figé que la police utilise aujourd’hui. En effet, le croisement des données et la possibilité d’émettre des requêtes précises pourront permettre de mieux comprendre la délinquance et ses causes. La base statistique opérationnelle qui accompagne le déploiement du logiciel LRPPN (cf. infra) ne remplit que partiellement ces obligations, puisqu’elle ne concerne que la police nationale. L’adjonction d’un infocentre au fichier TAJ permettrait d’appréhender les statistiques des deux forces de sécurité, aujourd’hui réunies sous un même ministère.

En attendant l’avènement de cette nouvelle source de statistiques relative aux forces de l’ordre, l’état 4001 est nécessairement appelé à évoluer.

L’état 4001 pourrait d’abord être largement affiné. Notamment, les infractions nouvelles doivent faire l’objet d’une indexation distincte des catégories préexistantes. La pratique des sous index utilisés par les services de police (cf. supra) peut ainsi permettre de rattacher une infraction nouvelle à un index particulier, plus large, tout en assurant le suivi précis des faits constatés et élucidés pour la nouvelle infraction. Cela peut également faciliter l’analyse, une augmentation des faits constatés pour l’index en question pouvant alors être imputée, ou non, à l’apparition d’une nouvelle infraction.

Les index 106 et 107 doivent disparaître au profit de nouveaux index, plus précis. Ces index, qui concernent les « autres délits économiques et financiers » et les « autres délits », doivent être affinés. Notamment, certaines infractions économiques et financières, comme le blanchiment, la corruption ou les délits boursiers, devraient faire l’objet d’un suivi plus fin. L’index 106 pourrait être conservé pour les autres infractions économiques et financières. Cependant, l’index 107 doit nécessairement disparaître au profit de nouveaux index, plus détaillés et ne mêlant pas des infractions sans rapport en termes de gravité, de nature ou d’occurrence (cf. supra). Les atteintes aux systèmes informatiques, les apologies de crimes contre l’humanité, la bigamie, les homicides volontaires par imprudence ou encore la fraude électorale, doivent par exemple être suivis de façon distincte.

Certaines infractions doivent être intégrées à la statistique, qu’elles soient comptabilisées au sein l’état 4001 ou d’un autre support. C’est notamment le cas des infractions routières, qui devraient faire l’objet de statistiques précises, notamment en ce qui concerne les auteurs, ou des contraventions de la 5e classe. Pour ces dernières, ce sont surtout les violences et les dégradations qui devront être suivies, car elles peuvent en réalité constituer des délits contraventionnalisés. Sans contester le pouvoir d’appréciation qui appartient aux forces de l’ordre comme au parquet, il convient, pour appréhender correctement les délinquances, de les réintégrer dans le champ de l’analyse.

Le « code Q », qui assure le classement de tout ce qui n’entre pas dans le champ de l’état 4001 au sein du STIC-FCE, devrait également faire l’objet d’une plus grande précision, car il recèle des informations importantes. Notamment, les infractions routières devraient en être extraites pour assurer la production de statistiques propres (cf. supra). Mais le code Q permet également d’enregistrer des affaires en cours, pour lesquelles l’enquêteur attend des informations complémentaires. Il importe dans ce cas de mieux encadrer l’inscription au code Q, afin de prévenir tout abus, et d’étudier son utilisation au plan local dans le cadre d’audits ou d’inspections.

L’état 4001 doit comporter plus de données pour chaque catégorie d’infraction, sur les circonstances de l’infraction, sur les auteurs et sur les victimes. Ce besoin est d’ailleurs palpable à travers la création d’une zone au sein du STIC-FCE, appelée « VEH-PREJ », qui permet l’enregistrement de données supplémentaires. Par exemple, en matière de coups et blessures criminels ou correctionnels, cette zone comporte des informations relatives à la qualité de la victime, aux éventuelles circonstances aggravantes ou encore au contexte des violences (familial, scolaire, transports en commun, etc.). Ces données, non exploitées dans le cadre de l’extraction mensuelle de STIC-FCE, devraient être systématiquement renseignées et intégrées à l’état 4001.

Au-delà, une réflexion doit s’amorcer sur les données supplémentaires susceptibles de figurer au sein des statistiques policières. En l’état actuel de l’état 4001, peu d’informations sont fournies sur l’auteur présumé des faits, si ce ne sont sa nationalité, son sexe, et son éventuelle minorité. D’autres données, notamment sociodémographiques, pourraient apporter un éclairage nouveau sur les délinquances. De la même façon, la précision de l’indicateur de minorité en suivant les classifications établies par le code pénal (inférieur à 13 ans, 13-16 ans, 16-18 ans) serait utile. Enfin, un socle minimal de données relatives à la victime pourrait être ajouté.

Une pondération en fonction de la gravité ou du temps policier requis pourrait également être intégrée. Comme cela a été indiqué précédemment, au sein d’un même index, pour une même infraction, des différences notables existent en termes de gravité et de difficultés d’enquête. Si l’on considère que l’état 4001 a vocation à mesurer l’activité des services de police, et si l’on souhaite également en faire un outil plus utile de compréhension des délinquances, il apparaît souhaitable de pondérer les données disponibles par des informations relatives au préjudice subi et aux équivalents temps plein travaillé (ETPT) requis pour l’investigation. Cette forme de pondération s’ajouterait aux données existantes sans les remplacer, afin de disposer d’un double regard sur les statistiques de l’état 4001, en faits constatés et en faits pondérés.

Enfin, les lieux de commission de l’infraction doivent être renseignés, afin d’imputer les faits aux communes correspondantes. À l’heure actuelle, les statistiques locales de l’état 4001 recensent l’ensemble des faits constatés par les services d’un commissariat. Or, les commissariats enregistrent des faits qui peuvent avoir été commis dans une tout autre circonscription de sécurité publique, ce qui donne certes une image correcte de l’activité de constatation des services, mais ne fournit pas une image fidèle de la réalité des délinquances. Il importe donc d’enregistrer au sein du STIC-FCE, outre le lieu d’enregistrement du fait, le lieu de commission de l’infraction, comme c’est d’ores et déjà le cas pour la gendarmerie nationale. Cela assurerait également d’importantes avancées en matière d’utilisation opérationnelle des statistiques (cf. infra).

La rénovation de l’état 4001 n’est envisageable qu’à la condition que toute rupture statistique soit évitée. En effet, pour conserver une capacité d’analyse de moyen et long terme, il convient d’assurer une certaine traçabilité entre les anciennes et les nouvelles données. Mais, considérant qu’il s’agit en majeure partie de données complémentaires et nouvelles, les modifications envisagées ne devraient pas avoir d’effets qui ne seraient pas susceptibles d’être quantifiés. Les infractions anciennement comptabilisées sous les index 106 et 107 pourront toujours être agrégées de sorte à reformer ces index sous leur forme antérieure. En tout état de cause, une attention particulière doit être portée à la continuité statistique, qui est seule à même d’assurer la justesse de l’analyse.

Préconisation n° 1

Rénover l’état 4001 par l’indexation distincte des infractions nouvelles, la création de nouveaux index en lieu et place des index 106 et 107, l’intégration des infractions routières et des contraventions de la 5e classe, l’enrichissement des informations disponibles en ce qui concerne le lieu, le contexte et la gravité de l’infraction, mais aussi les auteurs et les victimes.

Une fois l’infocentre du traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) créé, l’état 4001 serait voué à laisser progressivement la place à des statistiques plus pertinentes. Il serait bien sûr possible de reformer, à partir de l’infocentre, les données telles qu’elles apparaissent aujourd’hui dans l’état 4001. Mais celui-ci ne serait plus qu’une production statistique parmi d’autres, dont le seul intérêt serait d’assurer la comparaison avec les données antérieures à la mise en place de l’infocentre.

Préconisation n° 2

Favoriser la mise en place, à terme, d’un infocentre plus complet et regroupant les statistiques issues des forces de police comme de gendarmerie.

b) Compléter les statistiques judiciaires et pénitentiaires

Comme les statistiques policières, les statistiques judiciaires et pénitentiaires ont été conçues non pas pour évaluer les délinquances et leurs conséquences, mais pour mesurer l’activité d’un service public particulier. C’est pourquoi elles ne livrent pas toutes les informations nécessaires à la compréhension du phénomène infractionnel, ni même à l’évaluation des réponses qui y sont apportées.

En premier lieu, les statistiques judiciaires devraient fournir plus d’informations sur les auteurs des infractions. Les données sociodémographiques n’apparaissent finalement que tardivement dans la chaîne pénale, au stade de l’intégration de la condamnation au sein du casier judiciaire national puis, ensuite, lors de l’écrou. Il pourrait être intéressant de rendre ces données disponibles plus tôt dans le déroulé du processus pénal, notamment pour mieux évaluer les conséquences des délinquances en fonction des profils sociodémographiques des personnes condamnées, par exemple en ce qui concerne les alternatives aux poursuites.

En second lieu, les statistiques judiciaires et pénitentiaires devraient délivrer une information plus détaillée sur les parcours des personnes condamnées. Comme il a été indiqué précédemment, les statistiques pénitentiaires sont fondées sur l’écrou, non sur la personne dont l’administration a la charge. Or, cela empêche toute analyse en matière de parcours judiciaire et pénitentiaire et prive les établissements pénitentiaires d’un outil optimal de gestion des personnes condamnées. À terme, dans la mesure où le profil des personnes condamnées a changé (cf. supra), il serait nécessaire de créer un numéro d’identification unique permettant de suivre le parcours judiciaire et pénitentiaire des individus.

Enfin, les statistiques relatives à l’exécution des peines sont largement perfectibles puisqu’inexistantes. Les délais dans lesquels une mesure est exécutée, les modalités concrètes de suivi de la personne condamnée, et les suites de ce suivi (réinsertion sociale, vie professionnelle, logement, parcours judiciaire ultérieur, etc.) devraient faire l’objet de statistiques. La mesure de l’activité des services pénitentiaires d’insertion et de probation, comme des charges de travail des conseillers, devrait également profiter d’une plus grande attention portée à l’exécution des peines.

Préconisation n° 3

Se doter de statistiques judiciaires plus précises en ce qui concerne le profil des auteurs présumés des infractions, le parcours judiciaire et pénitentiaire des personnes condamnées et l’activité des services judiciaires et pénitentiaires en charge de l’exécution des peines.

2. Créer un service statistique dédié aux politiques de sécurité au sein du ministère de l’Intérieur

La création d’un service statistique ministériel, dont l’absence ne peut que susciter l’étonnement, semble aujourd’hui indispensable pour assurer la qualité de la production statistique du ministère de l’Intérieur, dont vos rapporteurs ont vu qu’elle péchait par de nombreux aspects.

a) Fiabiliser les données en remédiant à une étrangeté institutionnelle

Le ministère de l’Intérieur ne dispose pas, à l’heure actuelle, d’un service statistique ministériel assurant la production des statistiques policières et « gendarmiques » (78). La production statistique à proprement parler est réalisée par la direction centrale de la police judiciaire, qui n’appartient pas, tant par le statut de son personnel que par les règles méthodologiques qu’elle met en œuvre, au monde de la statistique publique.

Certes, il semble que la direction centrale de la police judiciaire à laquelle est rattaché le service central d’étude de la délinquance ait bénéficié du concours de la statistique publique à plusieurs reprises, notamment au moment de la mise en place de l’état 4001, puis à l’occasion de ses modifications successives. Si le service central d’étude de la délinquance a su développer, dans ce domaine, une certaine expertise, il n’en est pas moins nécessaire de respecter les règles de la statistique publique et de développer un contrôle interne de la production des données.

La statistique publique obéit à un certain nombre de règles, dont la plupart figurent dans la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, ainsi que dans le code des bonnes pratiques de la statistique européenne, adopté en février 2005 (79). Le principe d’indépendance professionnelle, rappelé à l’article 1er dans la loi précitée (80), est évidemment au cœur de la déontologie statistique. L’Autorité de la statistique publique, créée par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, « veille au respect du principe d’indépendance professionnelle dans la conception, la production et la diffusion de statistiques publiques ainsi que des principes d’objectivité, d’impartialité, de pertinence et de qualité des données produites » (81). Cette indépendance implique que les décisions prises soient exemptes de considérations autres que statistiques. Le traitement des données doit répondre à une méthodologie précise, tandis que la publication des données est régie par des règles strictes, qui empêchent généralement le pouvoir politique d’accéder aux données avant leur publication, si ce n’est sous embargo. Les communications du service statistique ministériel doivent, quant à elles, être objectives et neutres.

Pour un certain nombre d’observateurs, la création d’un service statistique au sein du ministère de l’Intérieur ne serait pas nécessaire, l’ONDRP exerçant de facto de telles fonctions. En charge de la publication des données issues des statistiques policières et de leur analyse, l’ONDRP semble en effet, de prime abord, exercer les deux activités généralement dévolues à un service statistique ministériel que sont la production des statistiques et la publication d’études et d’analyses et revêtir, par son positionnement interministériel, les garanties d’indépendance qui doivent caractériser un tel service. C’est notamment la position qu’a défendue M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, lors de son audition par la mission d’information (82).

Cependant, la production des statistiques issues des forces de police et de gendarmerie échappe en totalité à l’ONDRP et ne répond pas aux normes décrites par le code de bonnes pratiques de la statistique européenne en matière d’indépendance, d’impartialité et de qualité. La faiblesse du contrôle exercé par l’ONDRP sur la production statistique du ministère de l’Intérieur fait clairement obstacle à son rattachement complet à la statistique publique, tout comme l’absence d’étanchéité entre le service central d’étude de la délinquance et le reste de la hiérarchie policière. En effet, si l’ONDRP a, seul, la charge de la publication des données, rien n’interdit aujourd’hui que celles-ci soient portées à la connaissance de la hiérarchie policière et du ministre de l’Intérieur avant leur transmission à l’ONDRP.

Par ailleurs, selon cette analyse, l’ONDRP aurait toutes les caractéristiques d’un service statistique. Comptant plusieurs statisticiens parmi ses personnels, disposant d’un attaché principal de l’INSEE au poste de responsable des statistiques, l’ONDRP est membre du Conseil national de l’information statistique (CNIS), à qui est présenté tous les ans son programme d’étude. L’enquête « Cadre de vie et sécurité », conduite conjointement par l’INSEE et l’ONDRP, est reconnue, par l’Autorité de la statistique publique, comme répondant aux critères de la statistique publique. Enfin, l’ONDRP a, semble-t-il, gagné en indépendance au cours des dernières années et ne semble pas soumis à une quelconque pression ministérielle. Mais ses pratiques en matière de communication ont, encore en 2012, fait obstacle à la labellisation de l’ensemble des travaux de l’ONDRP par l’Autorité de la statistique publique. En effet, ce n’est que très récemment que les données issues de l’état 4001 ont cessé d’être commentées, au cours d’une même conférence de presse, par le ministre de l’Intérieur et le président du conseil d’orientation de l’ONDRP.

Ainsi, l’absence de maîtrise du processus de production statistique par l’ONDRP, comme le non respect de certaines règles de la statistique publique, ne permettent pas de considérer l’ONDRP comme le service statistique qui manquerait aujourd’hui au ministère de l’Intérieur.

S’appuyant sur l’expression, par les personnes entendues par la mission, d’un large consensus, vos rapporteurs proposent la création d’un service statistique dédié aux politiques de sécurité au sein du ministère de l’Intérieur afin de fiabiliser la production des données. Intégré à la statistique publique au même titre que l’INSEE et les autres services statistiques ministériels, ce service serait plus particulièrement chargé de la production des statistiques relatives aux actes de délinquance constatés et élucidés par les services de police et de gendarmerie. L’ONDRP, quant à lui, serait toujours destinataire des données brutes issues de l’état 4001 et d’autres bases statistiques, et bénéficierait ainsi, pour ses études et analyses, d’informations dont la fiabilité serait mieux garantie. Il aurait pour fonction d’assurer la coordination des statistiques policières et judiciaires et de livrer une analyse complète des délinquances, portant sur l’ensemble de la chaîne pénale. Enfin, l’exploitation de l’enquête de victimation et la confrontation des données avec d’autres sources demeureraient parmi ses compétences exclusives.

M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, a estimé, lors de son audition par la mission d’information (83), que la création d’un service statistique ministériel constituerait une régression par rapport à la situation actuelle qui serait, de surcroît, difficilement comprise par les citoyens. Un service statistique ministériel serait a priori moins indépendant que l’ONDRP du ministère de l’Intérieur puisqu’il y serait, par définition, rattaché. Pour vos rapporteurs, un service statistique qui a été reconnu, par l’Autorité de la statistique publique, comme faisant partie de la statistique publique, répond à un certain nombre de critères ; l’indépendance professionnelle en fait évidemment partie. Qui plus est, il revient à l’Autorité de la statistique publique de s’assurer que cette indépendance est effective ; des moyens spécifiques lui ont été confiés à cette fin. En effet, en application de l’article 4 du décret n° 2009-250 du 3 mars 2009 relatif à l’Autorité de la statistique publique, « pour l’exécution de leurs missions, les membres de l’autorité ont accès aux lieux de production ou de diffusion de la statistique publique, peuvent obtenir communication de tous documents utiles détenus par les services qui produisent ou diffusent des statistiques publiques et peuvent recueillir des informations auprès de tout agent de ces services ». La création d’un service statistique ministériel ne saurait, par conséquent, amoindrir l’indépendance dont bénéficie la production statistique policière, qui dépend aujourd’hui entièrement d’un service soumis à un principe hiérarchique fort et sur laquelle l’ONDRP n’a aucune prise.

Un dernier argument milite en faveur du maintien d’une forme de statu quo, auquel vos rapporteurs sont nécessairement plus sensibles : la contrainte budgétaire. Créer un service statistique ministériel a nécessairement un coût, car il faut équiper le ministère en personnels, notamment statisticiens, en locaux et en matériel informatique. Si l’on considère, comme certains observateurs, que l’ONDRP remplit d’ores et déjà les missions d’un tel service, le doublon ainsi créé est inacceptable du point de vue des finances publiques et de leur rationalisation. Vos rapporteurs ne se rangent pas à cet avis et considèrent que la production statistique n’est pas assurée dans toute la rigueur qu’elle mérite aujourd’hui (cf. supra), et qu’un service statistique ministériel est nécessaire à terme. Toutefois, de façon pragmatique, ils pourraient admettre, qu’à brève échéance, d’autres solutions temporaires seraient envisageables, qui reposent sur un renforcement du rôle de l’ONDRP dans la production statistique et dans le détachement de statisticiens auprès de la DCPJ. Néanmoins, ces solutions ne permettent pas de remédier durablement au déséquilibre dont souffre l’ONDRP, trop proche du ministère de l’Intérieur et ignoré du ministère de la Justice. Le rétablissement d’un équilibre utile à la mesure des délinquances passe nécessairement par l’instauration, à moyen terme, d’un service statistique ministériel propre.

Préconisation n° 4

Doter à moyen terme le ministère de l’Intérieur d’un service statistique ministériel dédié aux politiques de sécurité.

Au-delà de la création d’un service statistique ministériel, vos rapporteurs proposent de développer le contrôle interne de l’enregistrement des données statistiques au sein du ministère de l’Intérieur. En plus des audits ponctuellement conduits par la direction centrale de la sécurité publique, qu’il conviendrait de généraliser, des fonctions spécifiques pourraient être confiées aux inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales. Leur action pourrait être engagée après le signalement d’anomalies par le service statistique ministériel ou l’ONDRP. Il serait même possible d’envisager, dans certains cas particulièrement problématiques, la création de missions conjointes d’inspection, réunissant des représentants du service statistique ministériel, de l’ONDRP et des corps d’inspection. Les anomalies révélées par les statistiques de la gendarmerie nationale pourraient, par exemple, donner lieu à ce type d’intervention. Il sera à tout le moins nécessaire de doter les inspections générales des compétences nécessaires à l’accomplissement de ces nouvelles missions.

Préconisation n° 5

Développer le contrôle interne de la production des données au sein du ministère de l’Intérieur, notamment par la création de missions d’inspections conjointes, réunissant les inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales et des personnes issues de la statistique publique.

L’objectivation des données, qui bénéficiera assurément de la création d’un service statistique ministériel, rend également nécessaire, a minima, la déconnection de l’état 4001 de la mesure de la performance des services de police et de gendarmerie. De nouveaux indicateurs doivent donc être trouvés pour mesurer l’efficacité des services, en lieu et place du nombre de faits constatés et élucidés par les services. Cela implique notamment la conduite d’une réflexion sur les infractions révélées par l’action des services (IRAS), qui ne sauraient être agrégées à partir de certains index de l’état 4001 dont on conçoit a priori qu’ils ne comportent que des IRAS ; au contraire, il conviendrait d’indiquer, pour chaque fait constaté, si la constatation est directement liée à l’activité du service, ou bien si elle découle de l’initiative d’une personne, victime, auteur ou témoin. De la même façon, la définition et le calcul du taux d’élucidation devraient recevoir le concours de la statistique publique pour être réellement pertinent. De nouveaux indicateurs, objectifs et non biaisés, doivent être pensés pour limiter les risques de manipulation dont souffre l’état 4001.

Préconisation n° 6

Développer de nouveaux indicateurs, plus qualitatifs, pour mesurer la performance des services.

La rigueur de la production statistique n’est aujourd’hui assurée ni par le service central d’étude de la délinquance, qui n’en a pas les moyens, ni par l’ONDRP, dont ce ne sont pas les fonctions. L’absence d’un service statistique ministériel reconnu comme tel par l’Autorité de la statistique publique entretient la suspicion qui pèse depuis longtemps sur le ministère de l’Intérieur. Rien ne semble aujourd’hui justifier cette exception au regard des autres ministères, en particulier dans des domaines aussi sensibles que l’activité des forces de l’ordre et la répression de la délinquance.

b) Associer statisticiens et professionnels de la sécurité dans un souci de parfaite opérationnalité

Il importe que les statistiques produites par les services puissent également être exploitées à des fins opérationnelles. Aussi, le service statistique ministériel dont la création est envisagée devra intégrer en son sein des personnels issus des forces de l’ordre, qui ont de ce fait une connaissance fine des processus internes à la police et à la gendarmerie et des activités de ces services. Notamment, l’expérience des personnels du service central d’étude de la délinquance de la DCPJ pourrait être utilement mise à profit. L’objectif est double : d’une part, apporter aux statisticiens un éclairage nécessaire à l’élaboration des statistiques et à leur analyse primaire ; d’autre part, développer des outils à destination des forces de l’ordre susceptibles de guider l’action opérationnelle.

C’est d’ores et déjà l’orientation prise par la gendarmerie nationale et le service  des technologies  et  des systèmes d’information de la sécurité intérieure,  – également appelé « ST(SI)2 » – service commun qui relève des directions générales de la police et de la gendarmerie nationales. En effet, comme en ont eu connaissance vos rapporteurs, ce service a développé de nombreux outils pour permettre aux brigades de gendarmerie d’utiliser leurs statistiques de façon opérationnelle (84). Notamment, les brigades peuvent aujourd’hui cartographier les infractions commises sur leur ressort territorial, ce qui peut leur permettre de positionner les forces de façon plus appropriée pour lutter contre un certain type de délinquance. Mais le ST(SI)2 développe également des tableaux de bord extrêmement complets, qui indiquent, par type de délinquance, l’évolution des faits constatés par mois glissant ou sur une année complète, le taux d’élucidation par brigade, le nombre de personnels et leurs caractéristiques, et qui permettront au commandant de groupement d’évaluer au mieux la réponse à apporter à la délinquance. Ces tableaux de bord peuvent également servir de support au dialogue avec les responsables politiques locaux. L’association de statisticiens à ces travaux pourrait permettre de choisir les indicateurs les mieux à même de répondre aux besoins des forces de sécurité.

Préconisation n° 7

Assurer l’utilisation opérationnelle des statistiques en intégrant au service statistique ministériel des policiers et gendarmes, et en favorisant la diffusion de tableaux de bord harmonisés auprès des commandants opérationnels des deux forces.

3. Encourager le déploiement des nouveaux logiciels pour une vision globale de la chaîne pénale

En dépit du paysage statistique pour le moins désolé qui vient d’être dépeint, vos rapporteurs fondent un certain nombre d’espoirs sur le développement d’un nouveau système informatique particulièrement ambitieux, qui relie pour la première fois les statistiques policières aux statistiques judiciaires et pénitentiaires (85).

a) Conforter des initiatives porteuses d’espoir

Depuis plusieurs années, le ministère de l’Intérieur comme le ministère de la Justice développent de nouveaux systèmes d’information, qui présentent l’avantage majeur d’être interconnectés. Une fois les différentes applications mises en place, il sera théoriquement possible de suivre le parcours de chaque personne inscrite au sein de ces nouveaux fichiers. Au plan statistique, ces nouveaux systèmes sont porteurs d’une révolution, puisque la chaîne pénale pourra enfin être analysée de bout en bout, et ce d’autant plus que la police et la gendarmerie utiliseront désormais les codifications par nature d’infractions auxquelles recourt la justice.

•  Le nouveau système d’information du ministère de l’Intérieur…

Le ministère de l’Intérieur a entrepris le développement d’un nouveau fichier d’antécédents judiciaires, en remplacement du STIC (86) pour la police, et de JUDEX (87) pour la gendarmerie. Ce traitement d’antécédents judiciaires (TAJ), auquel le décret n° 2012-652 du 4 mai 2012 relatif au traitement d’antécédents judiciaires a donné une existence juridique, enregistre notamment des données relatives aux personnes mises en cause par la police et la gendarmerie (identité, âge, nationalité, profession, signalement, etc.) et aux circonstances de l’infraction (lieu, date, mode opératoire). Ses fonctionnalités doivent également permettre aux enquêteurs de réaliser des rapprochements judiciaires à partir des données du fichier, ce qui est susceptible d’améliorer le taux d’élucidation des infractions, en particulier en ce qui concerne la délinquance sérielle. Son déploiement doit être achevé au premier semestre 2013.

À ce jour, cette application, qui n’a pas été conçue pour faciliter la production de statistiques, n’est pas dotée d’un infocentre susceptible d’exploiter les données qu’elle contient sur un plan statistique. Vos rapporteurs proposent le développement d’un tel infocentre (cf. supra), qui permettrait également aux services locaux de la police et de la gendarmerie de générer des statistiques plus précises et plus riches. En outre, à l’heure où les deux forces sont réunies au sein d’un même ministère et disposent enfin d’un outil identique, il est dommage de se priver d’une production statistique commune.

Le fichier TAJ doit être alimenté par deux applications distinctes : le logiciel de rédaction des procédures de la gendarmerie nationale (LRPGN) et le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN). Ces applications, qui permettent notamment de générer les procès-verbaux utilisés par les forces de l’ordre, comportent de nombreux champs renseignés par les services de police et de gendarmerie. Les informations relatives à l’auteur des faits, à l’infraction et à la victime sont beaucoup plus riches que par le passé, ce qui ouvre d’intéressantes perspectives aux statistiques policières.

Dans le cas de la gendarmerie nationale, la statistique n’est pas automatiquement extraite des informations enregistrées au sein de LRPGN, puisque le gendarme doit créer un message d’information statistique (MIS) pour alimenter in fine l’état 4001. Dans le cas de la police nationale, il semble que le logiciel LRPPN alimente de façon quasi automatique plusieurs bases statistiques distinctes. La saisie réalisée via cette application alimente une base statistique qui correspond aujourd’hui à l’état 4001. Elle a donc vocation à évoluer conformément aux préconisations de vos rapporteurs (cf. supra). Mais le logiciel LRPPN nourrit également une « base statistique opérationnelle » qui contient environ 300 informations différentes sur chaque fait enregistré susceptibles de faire l’objet de requêtes spécifiques et croisées : sur les faits – date, heure, circonstance de jour ou de nuit, lieu de commission, commune, pays, etc. –, la procédure – le code NATINF, l’index 4001 retenu, etc. – , l’auteur, la victime – sexe, état, nationalité, âge au moment des faits, profession, adresse, dépôt de plainte, etc. –, les transports utilisés ou les objets en lien avec l’infraction (88). Enfin, l’utilisation de LRPPN permettra d’intégrer à la statistique policière les délits routiers, notamment les homicides et violences involontaires en résultant, ainsi que certaines contraventions.

La mise en œuvre de ces deux applications aura pour effet de rendre la statistique policière et « gendarmique » plus fiable, qu’elle soit issue de l’état 4001 ou de l’exploitation d’autres bases de données statistiques. En effet, outre le fait que les erreurs de saisie seront évitées par l’absence de nouvelle saisie au sein du TAJ et la mise en place de garde-fous informatiques – thésaurus d’infractions, vérification du format des dates et lieux, etc. –, les biais des anciens outils seront vraisemblablement contrecarrés par le caractère automatique de la remontée de l’information. Notamment, il ne sera plus possible d’influencer le nombre de jours entrant dans le calcul de l’état 4001 local, puisque l’application LRPPN assurera une remontée automatique du fait constaté au sein de la base statistique 4001 (89). Enfin, l’indexation automatique, à partir des codes NATINF renseignés par les enquêteurs, limitera les flottements auxquels étaient sujets les index de l’état 4001.

•  … dialoguera avec les nouvelles applications de la Justice

Le ministère de la Justice est quant à lui en train de procéder au déploiement de l’application de gestion CASSIOPÉE (90). Cette application constitue en réalité le support technologique du bureau d’ordre national automatisé des procédures judiciaires instauré par la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007, qui permet le partage entre les différentes juridictions d’informations essentielles à la conduite de l’action publique. Ce logiciel a vocation à rendre compte de toutes les activités pénales à l’intérieur des juridictions et, dans un premier temps, au sein des tribunaux de grande instance. Le déploiement de ce logiciel, qui a débuté en 2009, devrait être achevé d’ici la fin de l’année 2013. Une fois le déploiement du logiciel CASSIOPÉE mené à bien, l’infocentre CASSIOPÉE devrait être alimenté de façon hebdomadaire ou bimensuelle. L’application CASSIOPÉE, qui sera alimentée par le traitement d’antécédents judiciaires (TAJ), permettra en retour de mettre à jour ce fichier policier, en indiquant notamment les requalifications opérées par la justice et en assurant l’effacement des données personnelles en application de la loi.

Les échanges inter-applicatifs prévus entre les différentes applications permettront de réaliser un nouveau contrôle de la qualité des données. En effet, les données issues de LRPPN et de LRPGN doivent alimenter, par le biais d’une base tampon, l’application CASSIOPÉE. Avant l’intégration effective des données policières, les fonctionnaires du bureau d’ordre vérifieront l’exactitude des données renseignées, notamment la qualification pénale de l’infraction et l’identité des parties prenantes.

Une nouvelle application devrait également voir le jour au sein de l’administration pénitentiaire, GENESIS (91), qui doit remplacer l’application GIDE et le fichier national des détenus (cf. supra). Outre que GENESIS doit garantir la sécurité et la fiabilité des données en affranchissant les personnels de multiples saisies, cette application, qui a vocation à permettre le suivi des personnes sous écrou, doit distinguer les personnes hébergées des personnes non hébergées par l’administration pénitentiaire. Utilisant le même langage que le reste de la chaîne judiciaire en matière de décisions de justice, de mesures et d’infractions, l’application GENESIS participera de l’harmonisation des applications de la Justice. Elle devrait, à terme, être interconnectée à CASSIOPÉE, au casier judiciaire national et à APPI (92). Étant dotée d’un infocentre, GENESIS permettra aux établissements et à la direction de l’administration pénitentiaire, notamment par le biais de requêtes, d’utiliser les statistiques pénitentiaires à des fins opérationnelles. L’application devrait être déployée en 2014.

Enfin, le ministère de la Justice développe actuellement un projet d’entrepôt de données pour l’ensemble de la chaîne judiciaire, le système d’information décisionnel (SID). En effet, les différentes applications ne permettent pas de couvrir l’ensemble des besoins statistiques de la chaîne judiciaire dès lors qu’elles sont appréhendées séparément. Ce projet a donc pour objectif de remédier à l’éparpillement des données relatives au processus pénal (93). Le SID se situera en aval de toutes les applications de gestion du ministère de la Justice : CASSIOPÉE, APPI, GENESIS et le casier judiciaire. Il devrait conduire à la création, d’une part, d’entrepôts de données (94) communs aux différents logiciels d’application, et, d’autre part, de magasins de données (95) favorisant une exploitation ciblée des informations en fonction des besoins de pilotage au niveau national ou local.

En mettant en regard les données issues de quatre applications de la Justice, le système d’information décisionnel permettra de suivre finement le parcours judiciaire des personnes. Une fois que l’interconnexion du logiciel CASSIOPÉE avec les logiciels des services de police et de gendarmerie achevée, le SID devrait assurer un suivi soit par affaire, soit par personne. Enfin, le SID devrait permettre de mettre en évidence les délais des réponses apportées par l’institution judiciaire aux délinquances (délai d’enregistrement des faits par le parquet, délai d’orientation de l’affaire par le parquet, délai de jugement, délai d’exécution du jugement, etc.) ainsi que les éventuels décalages entre la qualification des faits retenue par les services de police et de gendarmerie, et celle retenue par les magistrats.

Le SID devrait aussi rendre possible le suivi de cohortes. À cet égard, une première expérimentation a été conduite par le ministère de la Justice en matière de suivi de l’exécution des peines privatives de liberté (96). Il en ressort qu’en 2011, les juridictions ont prononcé 123 700 peines exécutoires d’emprisonnement ferme et que 112 400 de ces peines ont été exécutées. Le taux de couverture des peines d’emprisonnement ferme mises à exécution par les peines d’emprisonnement ferme exécutées approche donc 91 %. Parmi les peines d’emprisonnement ferme en attente d’exécution, 99 % sont en cours d’aménagement, et la majorité d’entre elles (56 %) est constituée de courtes peines, c’est-à-dire des peines comportant un reliquat d’emprisonnement ferme inférieur ou égal à trois mois.

b) Rester vigilant au stade du déploiement des nouveaux logiciels

Le développement de ces nouveaux logiciels se heurte aujourd’hui à de nombreux problèmes, qui conduisent vos rapporteurs à appeler à la plus grande vigilance lors de leur mise en place.

La perspective du déploiement d’une version de LRPPN intégrée à son environnement s’éloigne progressivement. En effet, la 3e version de ce logiciel, qui doit être interconnectée à CASSIOPÉE, se met en place plus lentement que prévu. Le déploiement final ne devrait pas intervenir avant le premier trimestre de l’année 2014. Le passage à la 3e version s’effectuera en quatre vagues successives, et seuls 30 départements devraient travailler avec cette version au premier trimestre 2013. Le défi technique provient des interconnexions nécessaires avec d’autres logiciels, notamment avec la pré-plainte en ligne, mais également des flux de données relativement conséquents que les infrastructures informatiques, aussi bien en matière de réseau que de systèmes d’exploitation des ordinateurs, peinent à gérer. En outre, la remontée des informations au traitement d’antécédents judiciaires (TAJ) ne semble pas encore opérationnelle (97).

Enfin, certains principes qui ont pourtant guidé la création de ces applications ne semblent avoir été qu’imparfaitement respectés. Notamment, il semble qu’une seconde saisie des données, au sein d’un répertoire distinct de LRPPN, soit nécessaire à l’exploitation et au croisement des données (98). Au-delà de la perte de temps que cette double saisie constitue, le risque d’erreur que l’automatisation avait pour but d’éviter réapparaît. Il importe donc de s’assurer que ces nouveaux outils soient effectivement porteurs de progrès.

L’application CASSIOPÉE comporte encore un certain nombre de défauts qui sont susceptibles de porter atteinte à la fiabilité des statistiques. Il semble notamment que certaines procédures soient ignorées de l’application, de même que certaines obligations légales. Ses éditions comportent également un certain nombre d’erreurs juridiques qui ont conduit à l’adoption de « techniques de "contournement" de Cassiopée […] diffusées sous le manteau pour permettre l’enregistrement d’actes qui ne connaissaient pas de " MNEMO " dans la version d’origine. Malgré les corrections apportées à l’outil, sans conteste, au moins une partie de ces pratiques de contournement perdure » (99). Même si des améliorations sont régulièrement apportées à l’application, celle-ci sera toujours en décalage de quelques mois avec les évolutions législatives, du fait des ajustements techniques que ces modifications juridiques impliquent.

D’importants problèmes de fiabilité demeurent, qui résultent principalement de la saisie manuelle des données. Cette application, rigide et pointue, nécessite la plus grande rigueur dans l’enregistrement des données. L’oubli de validation d’une seule page peut conduire à l’absence d’intégration de l’ensemble des données relative à une affaire. Ainsi, un effort particulier doit être mené en ce qui concerne la formation des personnels, notamment des personnels de catégorie C et des vacataires, et de « contrôle qualité ». Une personne référente pourrait être nommée au sein de chaque juridiction pour contribuer à la formation des personnels et assurer le contrôle de l’intégration des données.

Par ailleurs, l’infocentre CASSIOPÉE ne semble pas tout à fait opérationnel. L’expérimentation conduite en 2011 à Lyon a montré que l’outil, parfois indisponible pendant plusieurs jours, ne recueillait pas toutes les données qu’il était supposé collecter (100). Les délais d’obtention des requêtes demeurent importants. Cela s’explique par la nécessité de concentrer l’essentiel des moyens sur le déploiement du logiciel lui-même, au détriment de la modernisation de son infocentre et de son adaptation aux besoins de connaissance en matière statistique. Par ailleurs, même si le ministère de la Justice a préprogrammé certaines requêtes, il apparaît que celles-ci, notamment lorsqu’elles conduisent à un grand nombre de résultats, ne sont d’aucune utilité aux juridictions, qui ne dispose pas du personnel nécessaire à l’exploitation de ces données. Toutes les potentialités de cet outil ne sont donc pas directement exploitables par les juridictions. Ainsi, il serait également nécessaire de disposer de personnels compétents susceptibles d’exploiter les données issues de CASSIOPÉE pour le pilotage local de l’activité.

L’interconnexion de ces nouvelles applications n’est pas tout à fait acquise. Si l’interconnexion du logiciel CASSIOPÉE avec le logiciel de la gendarmerie nationale semble prometteuse, il apparaît que le développement des échanges inter-applicatifs conduit actuellement à un taux d’échec relativement important au sein de juridictions où l’expérimentation s’était pourtant bien déroulée. Notamment, à Poitiers, seules 50 % des procédures envoyées par la gendarmerie nationale se retrouvent effectivement sur la base tampon qui sert d’intermédiaire entre les deux applications. Par ailleurs, l’échange de données avec LRPPN, application moins souple, au plan technique, que LRPGN, apparaît difficile dans l’immédiat. Or, cette interconnexion est essentielle pour l’établissement d’un continuum entre les statistiques policières et les statistiques judiciaires fondé sur des données et des grilles de lecture fiables.

Le système d’information décisionnel (SID) en est au stade du prototype. Son développement réel peut donc encore se heurter à de nombreuses contraintes. La durée moyenne de développement des dernières applications, de plusieurs années, laisse peu de place à l’optimisme dans ce domaine. Par ailleurs, le système d’information décisionnel ne pourra fonctionner pleinement qu’à partir du moment où les applications censées l’alimenter – CASSIOPÉE, APPI et GENESIS – seront parfaitement opérationnelles.

La mise en place de ces nouveaux outils aura probablement un effet sur l’évolution des statistiques policières et judiciaires. Ainsi, le fait de fixer la qualification des faits dès la prise de plainte au sein de l’application LRPPN aura possiblement un impact sur la gravité globale des faits constatés par les services, puisque les enquêteurs retiennent généralement la plus haute qualification pénale au début des investigations. Il a été rapporté à la mission qu’au sein des services utilisant actuellement LRPPN, les tentatives d’homicide et les vols avec violence et usage d’une arme se faisaient plus nombreux, les enquêteurs raccrochant chaque détail de l’affaire à une circonstance aggravante potentielle (101). Cependant, au terme de la procédure, des qualifications initialement criminelles reçoivent finalement un simple rappel à la loi de la part du procureur. Au-delà, il est possible qu’à l’instar de ce qu’ont connu les statistiques de la gendarmerie nationale, le passage à un nouvel outil génère une modification des pratiques d’enregistrement telle que les statistiques policières ne soient plus exploitables.

De la même façon, il apparaît que le déploiement de CASSIOPÉE a un impact net sur les statistiques judiciaires. Comme l’indique le projet annuel de performance pour la mission « Justice » de 2013, « les perturbations liées à l’implantation de Cassiopée dans un certain nombre de TGI en 2010, entraînent une certaine prudence quant à l’utilisation du nombre d’affaires poursuivables pris en compte dans le calcul, s’agissant de la première année de déploiement important. En effet, Cassiopée, qui se substitue progressivement aux trois modes de comptages précédents, va harmoniser le recueil des données sur la base d’une règle de calcul plus restrictive, ce qui entraîne déjà une diminution mécanique du nombre d’affaires poursuivables[…] Les affaires poursuivables estimées de façon provisoire au nombre d’environ 1 360 000, ce qui semblait conforme aux ordres de grandeurs habituels, ont finalement été ramenées à 1 248 000 affaires. […] Il faudra attendre encore au moins un exercice pour obtenir des données stabilisées issues de Cassiopée » (102). De façon plus prosaïque, du fait du caractère chronophage de l’opération d’enregistrement des données, certaines juridictions ont choisi de ne pas intégrer l’ensemble des procédures à l’application CASSIOPÉE, notamment les procédures contre auteur inconnu ou ayant fait l’objet d’un classement sans suite, générant ainsi une baisse artificielle de leur activité qui concernerait plusieurs milliers de dossiers (103). Les biais que comportent potentiellement ces nouveaux outils devront ainsi être rapidement identifiés et évalués.

Une attention particulière devra donc être portée, par les ministres en charge du développement des outils comme par le Parlement, à la mise en place de ces nouvelles applications qui sont, certes, porteuses de progrès certains en termes statistiques, mais qui peuvent également conduire à une « année zéro » de la statistique pénale.

SECONDE PARTIE : UNE ANALYSE ET UNE EXPLOITATION DES STATISTIQUES DES DÉLINQUANCES LARGEMENT PERFECTIBLES

Si un service statistique dédié aux politiques de sécurité était créé au sein du ministère de l’Intérieur, le mode d’élaboration des statistiques des délinquances produites par les forces de l’ordre ne devrait plus faire l’objet de contestations. Dès lors, une seconde étape consistera à faire en sorte que leur analyse, aujourd’hui morcelée et peu opérationnelle, soit enrichie, diversifiée et rendue exploitable pour mieux définir et orienter l’action publique en matière de sécurité.

I.– UNE ANALYSE DES DÉLINQUANCES MORCELÉE ET PEU OPÉRATIONNELLE

Les réflexions sur les modalités d’analyse des statistiques policières et judiciaires des délinquances sont relativement anciennes. Dès 1998, dans le cadre des travaux relatifs à la répartition territoriale des forces de police et de gendarmerie, le ministère de l’Intérieur avait confié à l’Institut des hautes études de sécurité intérieure (IHESI) une étude sur la faisabilité d’un Observatoire de la délinquance. Le projet avait finalement été abandonné au bénéfice de dispositifs d’amélioration des modalités de production des statistiques de la police et de la gendarmerie. Toutefois, dans le cadre du développement des contrats locaux de sécurité, un certain nombre de collectivités se sont dotées, dès cette époque, d’observatoires locaux de la délinquance.

En 2002, l’idée d’un Observatoire de la délinquance fut remise à l’ordre du jour par notre collègue Christophe Caresche et par Robert Pandraud, dans le cadre d’une mission qui leur avait été confiée par le Premier ministre Lionel Jospin et qui portait sur l’étude des statistiques de la délinquance et la création d’un Observatoire national de la délinquance (104).

M. Christophe Caresche et Robert Pandraud ont proposé la création d’un Observatoire national de la délinquance chargé :

–  d’analyser les méthodes de collecte utilisées par les administrations ;

–  d’élaborer ses propres données et de mettre au point des indicateurs pertinents pour rendre les données plus fiables et plus transparentes ;

– de fournir un appui à l’évolution des systèmes d’information statistiques sur la délinquance des ministères intéressés et de nouer des partenariats avec des collectivités locales pour servir de relais aux observatoires locaux de la délinquance ;

–  de synthétiser, de comparer et de mettre en perspective les différentes données chiffrées sur les phénomènes de délinquance afin d’éclairer la signification d’un type de données par sa confrontation avec d’autres (issues notamment de recherches sociologiques, ethnologiques, économiques voire historiques) ;

–  de mettre les évolutions statistiques de court terme en perspective avec les tendances de moyen et long termes.

Comme l’a expliqué devant la mission notre collègue Christophe Caresche, député de Paris, le souci qui présidait à la création d’un Observatoire national de la délinquance était celui de l’objectivation de la mesure des délinquances par la confrontation entre les statistiques administratives et d’autres sources d’information, comme les enquêtes de victimation (105).

Alors que, dans l’esprit de M. Christophe Caresche et de Robert Pandraud, l’Observatoire national de la délinquance (OND) devait prendre la forme d’une structure indépendante dont le président devait, seul, communiquer sur les chiffres de la délinquance, l’OND mis en place par M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, a au contraire pris la forme d’une structure dépendante, dont le Président était nommé par le ministre de l’Intérieur qui, de son côté, devait continuer de communiquer sur les chiffres de la délinquance.

Créé en novembre 2003 sur le fondement d’une simple instruction du ministre de l’Intérieur de l’époque, M. Nicolas Sarkozy, l’Observatoire national de la délinquance (OND) a ensuite été rattaché à l’Institut national des hautes études de sécurité (INHES) (106), qui, placé sous la tutelle du ministre de l’Intérieur, s’est substitué à l’Institut des hautes études de sécurité intérieure (IHESI), à compter du 2 septembre 2004.

Le décret n° 2009-1321 du 28 octobre 2009 a transformé l’Institut national des hautes études de sécurité (INHES) en Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) et fait évoluer l’Observatoire national des délinquances (OND) en Observatoire national des délinquances et des réponses pénales (ONDRP).

L’extension de la compétence de l’Observatoire à l’ensemble de la chaîne pénale, qui avait été préconisée dès février 2008 par M. Pierre Victor Tournier (107), est aujourd’hui largement approuvée. Un large consensus se dégage pour y voir une avancée indéniable.

Entre autres missions assignées à l’ONDRP, l’article 8 du décret du 28 octobre 2009 prévoit :

–  le recueil des données statistiques relatives à la délinquance et à la criminalité auprès de tous les départements ministériels et organismes publics ou privés ayant à connaître directement ou indirectement de faits ou de situations d’atteinte aux personnes, aux biens ou à l’ordre public ;

–  la centralisation des données relatives au prononcé, à la mise à exécution et à l’application des mesures et sanctions pénales : données juridiques, données statistiques et analyses des questions soulevées dans le cadre des différentes disciplines concernées (données produites en France, mais aussi dans les autres États membres de l’Union européenne, du Conseil de l’Europe et dans les pays d’autres continents) ;

–  l’organisation de la communication à l’ensemble des citoyens de ces données à travers des publications régulières et leur mise en ligne sur un site internet, dans le cadre des protocoles passés entre l’institut et les ministères concernés ;

–  la communication des conclusions qu’inspirent ces analyses aux autorités concernées et aux partenaires de l’observatoire à travers la publication annuelle d’un rapport rendu public ;

–  l’exploitation des données recueillies pour réaliser des études et analyses globales ou spécifiques sur les phénomènes criminels constatés par les services de police et les unités de gendarmerie, sur les infractions révélées par les enquêtes de victimation, sur l’activité des services de sécurité et sur les réponses pénales apportées par les autorités judiciaires ou administratives ;

–  la mise en cohérence des indicateurs, de la collecte et de l’analyse des données afin de disposer d’analyses sur le fonctionnement de l’ensemble de la chaîne pénale ;

–  la contribution au développement d’outils pédagogiques permettant de synthétiser les informations les plus importantes et mettre sa production à la disposition des responsables de formation initiale et continue dans les établissements d’enseignement supérieur et les conseiller quant à leur exploitation ;

–  la veille sur les phénomènes criminels actuels ou émergents, sur leur perception par les citoyens, ainsi que sur l’ensemble des politiques publiques, françaises ou étrangères, visant à mieux connaître la délinquance et la criminalité et les réponses qui y sont apportées en vue de les prévenir ou de les réprimer ;

–  la facilitation des échanges avec d’autres organismes d’observation ou de recherche ainsi que la coopération avec l’ensemble de nos partenaires européens ou extra-européens afin de favoriser une meilleure connaissance des phénomènes criminels, des systèmes juridiques, des pratiques et des résultats du traitement des infractions pénales par le développement de méthodes de comparaison adaptées ;

–  la formulation de toutes propositions utiles au développement de la connaissance scientifique des phénomènes criminels, de l’activité des services de sécurité ou des réponses pénales, et à l’amélioration des performances des politiques publiques en matière de prévention, de réinsertion et de lutte contre la récidive.

Vos rapporteurs se sont attachés à examiner si l’ONDRP était parvenu à accomplir l’ensemble des missions qui lui avaient été confiées. Force est aujourd’hui de reconnaître que le bilan de l’ONDRP, pour être globalement positif, n’en est pas moins nuancé.

1. Le bilan positif mais contesté de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales

M. Bruno Aubusson de Cavarlay, chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) a expliqué devant la mission que l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) était « parvenu à se poser en interlocuteur légitime pour délivrer une analyse experte » en matière de délinquance (108). Cette appréciation positive est partagée par M. Frédéric Ocqueteau, directeur de recherche au CNRS, pour qui l’ONDRP n’a pas démérité dans son entreprise de capitalisation des sources disparates des données statistiques des délinquances, tout en ayant su développer une démarche prospective en matière de mesure des délinquances, identifier de nouveaux enjeux et faire preuve de pédagogie à l’égard des médias, pourtant naturellement suspicieux (109).

Les analyses de l’ONDRP ont introduit un changement manifeste par rapport à la période antérieure, où les chiffres de la délinquance faisaient seulement l’objet d’une communication ministérielle. Si, dans les premières années de son existence, la voix de l’ONDRP était relativement inaudible face à la parole ministérielle, il semble aujourd’hui que ses analyses « détaillées et soigneuses » permettent d’éviter des utilisations « un peu courtes » de la statistique officielle.

Par ailleurs, l’ONDRP est parvenu à se poser en interlocuteur de la direction générale pour les Affaires intérieures de la Commission européenne et à acquérir une visibilité internationale en participant à l’harmonisation des statistiques criminelles en Europe et en concourant au développement de bonnes pratiques à l’échelle européenne.

Vos rapporteurs ont toutefois constaté que l’ONDRP n’avait accompli qu’une partie des missions assignées à l’Observatoire national des délinquances tel que M. Christophe Caresche et Robert Pandraud le concevaient.

a) Les nombreuses avancées permises par l’ONDRP

•  L’abandon du chiffre unique au profit des agrégats

Dans leur rapport au Premier ministre, M. Christophe Caresche et Robert Pandraud invitaient à fonder l’analyse des délinquances sur plusieurs chiffres correspondant à de grands types d’infraction (atteintes aux biens, atteintes aux personnes, infractions économiques et financières, etc.), avec, pour chaque agrégat, plusieurs niveaux de gravité, plutôt que sur un chiffre unique publié chaque année, sans le moindre commentaire, et censé résumer une année d’enregistrement.

L’OND, devenu ONDRP, dont la première mission est d’analyser les statistiques administratives, n’a eu de cesse, depuis sa création en 2004, de dénoncer l’inanité du chiffre unique de la délinquance. Dès 2004, l’ONDRP a décidé de ne plus diffuser le total des faits constatés.

Plus récemment, l’ONDRP a encore rappelé que « le chiffre unique sur les crimes et délits enregistrés n’est pas pertinent » (110).

En refusant tout à la fois de publier un chiffre unique et de collaborer à son élaboration, M. Alain Bauer, ancien président du conseil d’orientation de l’ONDRP, estime avoir mis un terme à un « dispositif d’enfumage » (111). À quelques rares exceptions près (112), l’abandon du chiffre unique de la délinquance a été unanimement salué par les personnes entendues par la mission.

Depuis 2010, c’est l’ONDRP qui assure la diffusion auprès du public des statistiques des délinquances centralisées et transmises, tous les mois, par la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) (113). Pour publier les statistiques des délinquances, l’ONDRP a choisi de les organiser en trois agrégats :

–  les atteintes aux biens ;

–  les atteintes aux personnes ;

–  les escroqueries et infractions économiques et financières (114).

À ces trois agrégats, il faut ajouter celui des infractions révélées par l’action des services (IRAS).

Afin d’organiser en conséquence la remontée et la consolidation des données statistiques des forces de l’ordre auprès de la DCPJ, le ministre de l’Intérieur de l’époque, M. Brice Hortefeux, avait diffusé une circulaire, en date du 12 février 2010. M. Alain Bauer a toutefois regretté que cette circulaire, qui constituait un véritable progrès allant dans le sens de l’abandon du chiffre unique de la délinquance, n’ait malheureusement pas été appliquée, ni par le ministre signataire, ni par le ministre qui lui a succédé (115).

Vos rapporteurs se réjouissent que l’actuel ministre de l’Intérieur, M. Manuel Valls, se soit clairement engagé dans la voie de l’abandon du chiffre unique de la délinquance. Dès septembre 2012, le ministre de l’Intérieur a mis en place, au sein de son ministère, un groupe de travail chargé de réfléchir à la refonte des outils de pilotage de l’activité des services de police et de gendarmerie ainsi qu’à une nouvelle présentation des statistiques des délinquances produites par les services de la place Beauvau. Cette démarche est animée par la volonté de :

–  rompre avec une présentation des statistiques reposant sur des indicateurs trop imprécis et trop hétérogènes (chiffre unique de la délinquance, taux d’élucidation global) ;

–  rendre compte de phénomènes qui, aujourd’hui, ne sont pas présentés dans le bilan de la délinquance (délits routiers, violences conjugales, cybercriminalité, etc.) ;

–  redonner aux statistiques leur véritable vocation qui est celle d’être un outil au service de l’efficacité de l’action des policiers et des gendarmes.

Lors de sa conférence de presse du 18 janvier dernier, le ministre de l’Intérieur a présenté les 14 agrégats qui ont été élaborés en étroite concertation avec l’ONDRP et qu’il propose d’utiliser pour présenter les statistiques des délinquances élaborées par ses services (116), à savoir :

–  les atteintes volontaires à l’intégrité physique (agrégat n° 1), dont les violences physiques crapuleuses (agrégat n° 2), les violences physiques non crapuleuses (agrégat n° 3), les violences sexuelles (agrégat n° 4), et les violences et conflits intrafamiliaux (agrégat n° 5) ;

–  les atteintes aux biens (agrégat n° 6), dont les vols sans violence (agrégat n° 7) ;

–  les escroqueries et infractions économiques et financières (agrégat n° 8) ;

–  la cyber-délinquance (agrégat n° 9) ;

–  la grande criminalité, comme les homicides, les règlements de compte entre malfaiteurs, les attentats, etc. (agrégat n° 10) ;

–  les comportements portant atteinte à la tranquillité publique, comme les incivilités (agrégat n° 11) ;

–  les atteintes à la santé et à l’environnement (agrégat n° 12) ;

–  les infractions à la réglementation (agrégat n° 13) ;

–  les délits routiers (agrégat n° 14).

Tout en prévenant que la construction de certains de ces agrégats pourrait prendre quelques mois, notamment pour ce qui concerne les violences intrafamiliales et la cybercriminalité, et qu’elle pourrait conduire à constater une hausse importante de la délinquance correspondante, pour la bonne et simple raison que celle-ci n’était jusqu’alors que très partiellement (voire pas) mesurée, M. Manuel Valls a assuré, devant la mission, que ces nouveaux indicateurs avaient été pensés pour concilier la nécessité d’affiner l’analyse des délinquances avec celle de préserver la continuité statistique (117). On ne peut donc pas accuser le ministre de l’Intérieur de vouloir « casser le thermomètre ».

Soucieux de passer d’une « culture du chiffre » à une « culture du résultat » (118), le ministre de l’Intérieur a souhaité que ces nouveaux agrégats soient complétés par des tableaux de bord comportant des indicateurs de suivi de l’efficacité des services qui permettent de mesurer la capacité des services de police et de gendarmerie à élucider les infractions les plus préoccupantes pour nos concitoyens (cambriolages, violences sexuelles, etc.). Ces indicateurs seront conçus pour intégrer une mesure de l’apport de la police technique et scientifique dans la résolution des affaires et pour rendre compte de la diversité des missions de service public accomplies par les services de police et de gendarmerie (régulation des différends, services d’ordre, gardes statiques, procurations, prévention, etc.).

Cette modification des pratiques du ministère de l’Intérieur n’aurait sans doute pas été possible si l’ONDRP n’avait pas provoqué, chez les responsables de la place Beauvau et parmi le public, la prise de conscience de ce que le chiffre unique de la délinquance n’a « aucun sens » (119).

Avec M. Jean-François Herdhuin, inspecteur général honoraire de la police nationale, vos rapporteurs saluent le progrès qui, permis par l’ONDRP, a conduit à l’abandon du chiffre unique de la délinquance qui « ne présente pas grand intérêt », sauf à examiner des tendances de long terme (120).

•  L’élaboration d’une enquête de victimation en partenariat avec l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)

Outre un rapport annuel, des bulletins mensuels et des études plus ponctuelles, l’ONDRP produit depuis 2007 une enquête de victimation (121) nationale, intitulée « Cadre de vie et sécurité » (CVS), en partenariat avec l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et le ministère de la Justice (122). Réalisée conformément aux standards internationaux, cette enquête porte sur un échantillon de plus de 17 000 ménages ou personnes âgées de 14 ans et plus.

L’ancien président du conseil d’orientation de l’ONDRP, M. Alain Bauer, estime que cette enquête a permis « de s’extraire des problématiques habituelles de la manipulation et de l’instrumentalisation et de la difficulté d’avoir un outil statistique fiable » (123). Ce sont précisément les écarts entre l’enquête de victimation et l’état 4001 qui ont permis, par exemple, de révéler des failles dans le traitement des plaintes.

M. Christophe Soullez, chef du département de l’ONDRP à l’INHESJ, reconnaît à l’enquête de victimation « Cadre de vie et sécurité » le mérite d’avoir permis d’explorer des champs inconnus, depuis les violences intrafamiliales jusqu’au sentiment d’insécurité, en passant par la perception des problèmes de drogue dans les quartiers et le ressenti des populations quant à l’efficacité des services des forces de l’ordre (124).

La quasi-totalité des personnes entendues par la mission ont salué cette enquête qui « place la France, aux côtés des États-Unis et de la Grande-Bretagne, parmi les pays qui disposent ainsi d’un double système statistique pérenne permettant de mieux appréhender la réalité criminelle » (125).

Ainsi, les représentantes de l’Union syndicale des magistrats (USM), Mme Virginie Valton, vice-présidente, et Mme Virginie Duval, secrétaire générale, ont qualifié l’enquête de victimation « Cadre de vie et sécurité » d’« outil très utile pour tenter de déterminer [le] “chiffre noir” [de la délinquance] et cibler au mieux les politiques publiques » (126).

Quoiqu’imparfaite (127), cette enquête constitue un « outil scientifique fiable » qui complète utilement les statistiques administratives et qui permet à la France de disposer d’un double dispositif de mesure des délinquances, à la fois celles qui sont enregistrées et celles qui sont vécues.

•  La promotion d’une analyse multi-sources

Les rapports annuels de l’ONDRP s’efforcent de compléter les statistiques extraites de l’état 4001 par celles issues des déclarations enregistrées par la police nationale au sein de la main courante informatisée (MCI) ou par la gendarmerie nationale au sein des carnets de déclaration (fausses alertes à la bombe, différends familiaux, dégradations de véhicules ou d’autres biens, etc.) (128). Toutefois, aux yeux de M. Jean-François Herdhuin, inspecteur général honoraire de la police nationale, les éléments issus des mains courantes des commissariats de police et des carnets de déclaration des brigades de gendarmerie ne complètent que très partiellement les données de l’état 4001 (129).

C’est la raison pour laquelle les rapports annuels de l’ONDRP se nourrissent aussi de données statistiques fournies par d’autres administrations (ministère de l’Éducation nationale, direction de la défense et de la sécurité civile, direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes - DGCCRF, direction générale des finances publiques - DGFIP, direction générale des douanes et des droits indirects - DGDDI). On y trouve également des données sur les infractions déclarées par des professions telles que celles des médecins, des pharmaciens, des sapeurs-pompiers ou des agents privés de sécurité (130). Les données des centres hospitaliers, des établissements publics d’enseignement du second degré, de fédérations sportives ou encore d’institutions environnementales alimentent aussi les rapports de l’ONDRP. Grâce aux partenariats noués par l’ONDRP, les statistiques administratives des délinquances sont mises en perspective et confrontées à de multiples sources.

Vos rapporteurs soulignent l’intérêt de l’analyse multi-sources des phénomènes criminels, à laquelle l’ONDRP peut procéder, contrairement aux services statistiques ministériels. Par exemple, en matière de violences conjugales, l’ONDRP a utilement pu rapprocher les données produites par les services de police et de gendarmerie, celles élaborées par les services du ministère de la Justice et celles issues du numéro d’urgence 3919, ce qui a permis des analyses beaucoup plus fines du phénomène en question (131).

Ces coopérations ont aussi permis d’explorer de nouveaux champs de la criminalité, parmi lesquels les vols de métaux, les atteintes à l’environnement, la violence dans les milieux sportifs mais également la délinquance en milieu scolaire, qui a donné lieu à une enquête de victimation spécifique pilotée par le ministère de l’Éducation nationale (132).

•  Les bénéfices d’un examen critique des failles dans la production des données statistiques administratives

Lors de son audition par la mission, M. Daniel Vaillant, député de Paris, ancien ministre de l’Intérieur, a expliqué que la logique communicationnelle qui conduit à rechercher à tout prix, et parfois au détriment de l’action policière, de « bonnes » statistiques, avec le seul souci d’être crédité d’une certaine efficacité dans l’opinion publique, avait conduit le ministère de l’Intérieur à adopter une « tradition hypocrite » consistant à freiner la constatation de faits de délinquance en fin d’année (novembre et décembre) ou à reporter l’enregistrement des faits constatés, pour pouvoir publier au début de l’année suivante (en janvier) des chiffres des délinquances stables voire en baisse (133).

De la même façon, la publication mensuelle des statistiques des délinquances a conduit à ralentir la constatation de faits de délinquance en fin de mois ou à reporter l’enregistrement des faits constatés de quelques jours, pour pouvoir présenter au début du mois suivant un bilan flatteur.

Or c’est l’ONDRP qui, en comparant les résultats des enquêtes de victimation avec les statistiques issues de l’état 4001, a mis en lumière, à partir de 2005, les décalages temporels dans l’enregistrement statistique de la police et de la gendarmerie, en raison « d’intempéries, de weekends mal placés ou d’oubli dans l’enregistrement de jours désagréables et particulièrement en fin d’année » (134).

L’ONDRP a dénoncé publiquement ces pratiques dans ses rapports (135). Il a également invité les ministères à clarifier la présentation des chiffres de la délinquance en supprimant par exemple la catégorie de la « délinquance de voie publique » dont l’élément principal, les cambriolages, est commis dans des espaces privés, et non dans l’espace public. C’est également à l’initiative de l’ONDRP que le défaut de paiement des pensions alimentaires a cessé d’être comptabilisé au sein des atteintes aux personnes.

Dans son premier rapport annuel, en 2005, l’ONDRP a explicité les limites de l’état 4001. Lors de son audition par la mission, M. Christophe Soullez, chef du département de l’ONDRP à l’INHESJ, a rappelé que, dans chacun de ses rapports, l’Observatoire avait signalé que les statistiques administratives ne reflétaient que les seuls crimes et délits recensés par les forces de l’ordre. Il a également mis en exergue les différents incidents statistiques altérant la fiabilité des données (taux d’élucidation supérieurs à 100 %, modifications de certaines procédures d’enregistrement, etc.) (136). L’ONDRP a aussi développé plusieurs instruments de mesure alternatifs et analysé les statistiques de la délinquance sur douze mois glissants plutôt que de mois à mois.

D’une manière générale, M. Alain Bauer, ancien président du conseil d’orientation de l’ONDRP, met au crédit de l’Observatoire le fait d’avoir « convaincu le ministère de l’Intérieur de changer son mode de collecte obsolète et archaïque » et d’abandonner le logiciel ODYSSÉE au profit du logiciel de rédaction de procédures de la police nationale (LRPPN) et du logiciel de rédaction des procédures de la gendarmerie nationale (LRPGN) (137). L’ONDRP n’ayant jamais cessé de souligner les limites de l’état 4001, auquel il a toujours réfuté tout intérêt en matière d’évaluation de la performance des services de police, il ne saurait être tenu pour responsable de l’utilisation que sont susceptibles d’en faire d’autres autorités publiques (138).

Plus récemment, c’est l’ONDRP qui a révélé, dans un bulletin mensuel de février 2010, que « d’après certaines informations, il sembl[ait] que les policiers et les gendarmes [avaient] reçu des instructions des parquets afin de ne plus enregistrer les usages frauduleux de carte bancaire sans dépossession de la carte parmi les faits constatés de délits » (139). La publication de cette information a conduit le ministère de la Justice à clarifier les choses dans une note d’août 2011 qui encourageait effectivement « les policiers et gendarmes à remettre aux personnes victimes d’une fraude à la carte bancaire sans dépossession matérielle un formulaire leur permettant d’obtenir de leur banque le remboursement des sommes débitées frauduleusement sans avoir à formellement déposer plainte ».

L’ONDRP a alors déploré que de telles décisions administratives aient fait perdre tout intérêt statistique à l’agrégat de la délinquance économique et financière.

Ces différentes initiatives ont permis à l’ONDRP de défendre une communication publique statistique distincte, voire opposée, à la communication institutionnelle des ministères de l’Intérieur ou de la Justice. Elles lui ont également offert la possibilité de s’imposer comme un interlocuteur de la direction générale pour les Affaires intérieures de la Commission européenne et de participer à l’harmonisation des statistiques criminelles en Europe (140).

b) Une indépendance toujours sujette à caution

Vos rapporteurs ne font pas leur le point de vue exprimé par M. Alain Bauer, ancien président du conseil d’orientation de l’ONDRP, qui a indiqué à la mission que la question de l’indépendance de l’ONDRP était « un parfait non-sujet » (141). Selon lui, « la collecte [des statistiques des délinquances], dans le monde entier, n’est faite que par des services de police. Donc tant que la collecte n’est pas indépendante, elle est dépendante du bon vouloir des policiers et des gendarmes, [et] du contrôle citoyen sur les policiers et les gendarmes » (142). Il serait donc vain de s’interroger sur l’indépendance de l’ONDRP. Tel n’est pas l’avis de vos rapporteurs.

•  La tutelle du Premier ministre

Rattaché au ministère de l’Intérieur de 2004 à 2010, l’ONDRP est désormais une structure interne de l’INHESJ, placée sous la tutelle du Premier ministre. Il est doté d’un conseil d’orientation dont les 33 membres sont nommés par arrêté du Premier ministre pour une durée de trois ans (143).

Parmi les membres du conseil d’orientation (ou « COR ») figurent notamment :

–  des élus nationaux ou locaux : deux députés et deux sénateurs, respectivement choisis par le président de l’Assemblée nationale et par le président du Sénat, ainsi que deux maires choisis par l’Association des maires de France ;

–  des personnalités issues de l’enseignement supérieur et de la recherche : un professeur des universités et un maître de conférences désignés sur proposition du ministre chargé de l’Enseignement supérieur ainsi qu’un directeur de recherche et un chargé de recherches désignés sur proposition du ministre chargé de la Recherche ;

–  des personnalités issues des secteurs d’activités économiques, sociales et judiciaires : un membre du barreau désigné sur proposition du Conseil national des barreaux ; un journaliste de la presse écrite et un journaliste de l’audiovisuel, spécialistes des questions de délinquance ou des questions pénales, désignés sur proposition du conseil d’administration de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice ; ainsi que trois personnalités qualifiées désignées respectivement sur proposition du ministre de la Justice, du ministre chargé du Logement et du ministre chargé des Transports ;

–  des représentants des administrations : le directeur général de la police nationale ou son représentant ; le directeur général de la gendarmerie nationale ou son représentant ; le directeur des affaires criminelles et des grâces ou son représentant ; le directeur de l’administration pénitentiaire ou son représentant ; le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse ou son représentant ; le directeur général des douanes et droits indirects ou son représentant ; ainsi que des fonctionnaires désignés par les ministres chargés de l’Éducation, des Transports, de la Recherche et de la Ville ;

–  un représentant de l’Institut national de la statistique et des études économiques ;

–  le délégué interministériel à la sécurité routière ou son représentant.

Cette liste, non exhaustive, suffit à montrer que les chercheurs et les statisticiens sont loin d’être majoritaires au sein du conseil d’orientation de l’ONDRP, et qu’en revanche, les représentants des administrations y sont prépondérants.

Ce conseil d’orientation (ou « COR ») est pourtant censé garantir l’indépendance de l’ONDRP dans l’exécution des missions. L’article 10 du décret n° 2009-1321 du 28 octobre 2009 relatif à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice précise que le conseil d’orientation « a notamment pour mission de définir une méthodologie garantissant la fiabilité et la pertinence des données statistiques en matière de sécurité ».

Selon M. Christophe Soullez, chef du département de l’ONDRP à l’INHESJ, la tutelle du Premier ministre rend l’ONDRP plus indépendant encore qu’un service statistique ministériel classique. Elle lui a permis de nouer des relations égalitaires avec de nombreuses administrations, tout en préservant une totale liberté de publication, dans la mesure où le Premier ministre n’intervient pas dans l’organisation des travaux de l’ONDRP (144).

Le passage de l’ONDRP sous la tutelle du Premier ministre avait notamment pour finalité de l’affranchir de la tutelle, jugée suspecte, du ministère de l’Intérieur. L’ONDRP a pourtant conservé un lien privilégié avec ce ministère.

•  Un lien privilégié avec le ministère de l’Intérieur

Du point de vue de notre collègue Christophe Caresche, l’ONDRP n’a pas réussi à s’imposer comme l’organisme indépendant chargé de l’élaboration et de la diffusion des statistiques des délinquances. Le ministre de l’Intérieur a maintenu le rôle qui était jusqu’alors le sien, allant jusqu’à employer des méthodes statistiques condamnées par l’ONDRP. La publication annuelle d’un chiffre unique de la délinquance générale a ainsi été retenue jusqu’en 2010, alors même que l’Observatoire appelait fermement à son abandon au profit de trois indicateurs (ou « agrégats ») distincts (145). Aux yeux de certains, l’ONDRP s’est révélé n’être qu’une caution scientifique apportée à la communication du ministre de l’Intérieur.

À l’instar de notre collègue Christophe Caresche, bon nombre des personnes entendues par la mission ont souligné que la proximité qui liait l’ancien président du conseil d’orientation de l’ONDRP, M. Alain Bauer, avec l’ancien Président de la République et l’ancien ministre de l’Intérieur, avait nui à l’apparence d’indépendance de l’ONDRP. Selon M. Jean-François Herdhuin, inspecteur général honoraire de la police nationale, les suspicions relatives à l’indépendance de l’Observatoire se sont également trouvées accrues par la proximité du même Alain Bauer avec le secteur privé de la sécurité (146).

La proximité entre le ministère de l’Intérieur et l’ONDRP a été mise au-devant de la scène lors de la conférence de presse conjointe que l’ancien ministre de l’Intérieur et l’ancien président du conseil d’orientation ont organisée, le 17 janvier 2012, pour présenter les statistiques des délinquances de l’année 2011. Lors de son audition par la mission, M. Claude Guéant, ancien ministre de l’Intérieur, a expliqué que cette conférence de presse conjointe se voulait être l’ultime présentation commune des statistiques des délinquances avant que le ministre de l’Intérieur ne renonce à cette mission au profit de l’ONDRP (147). Mais dans le même temps, M. Claude Guéant a indiqué que, de son point de vue, c’était au nombre de ses prérogatives traditionnelles que de communiquer sur un chiffre unique de la délinquance, au motif qu’il était normal que le ministre de l’Intérieur, en tant que responsable politique, rende compte à la population de la mise en œuvre d’une politique publique de lutte contre l’insécurité (148).

Vos rapporteurs notent avec satisfaction que le nouveau ministre de l’Intérieur, M. Manuel Valls, a entendu rompre avec cette pratique. Lors de sa conférence de presse du 18 janvier dernier, M. Manuel Valls a indiqué que « pour la première fois, l’ONDRP, présidé désormais par Stéfan Lollivier, a exposé, en toute autonomie, dans ses propres locaux, les statistiques de la délinquance pour l’année écoulée », rappelant que « la méthode statistique et la publication officielle des chiffres sont ses prérogatives » (149). Le ministre de l’Intérieur n’a fait que présenter les conclusions qu’il a tirées du bilan établi par l’ONDRP pour la conduite des forces de police et de gendarmerie.

Pour autant, d’après M. Christophe Soullez, l’ONDRP assume, de fait, le rôle du service statistique ministériel (SSM) qui fait défaut au ministère de l’Intérieur en matière de sécurité (150). Le ministre de l’Intérieur l’a lui-même reconnu (151).

C’est du reste ainsi que l’ONDRP semble être perçu par le ministère de la Justice qui, disposant de son propre service statistique, tend à négliger l’utilité de l’ONDRP pour le traitement et l’analyse des données statistiques issues de ses services. Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, a expliqué devant la mission que si l’on voulait renforcer le poids de l’ONDRP en matière d’analyse des statistiques judiciaires et pénitentiaires, il convenait alors de lui donner les moyens de prendre plus de distance à l’égard du ministère de l’Intérieur et de l’affranchir de la tutelle de l’INHESJ (152).

•  Un rattachement à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) sujet à controverses

Le décret n° 2009-1321 du 28 octobre 2009 relatif à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) a rattaché l’ONDRP à cet Institut.

S’il est vrai que l’article 11 du décret du 28 octobre 2009 prévoit que le directeur de cet Institut n’assiste qu’avec voix consultative aux travaux du conseil d’orientation de l’ONDRP, dont il n’est pas membre, et s’il est vrai que l’ONDRP dispose d’une autonomie pleine et entière quant à l’orientation de ses travaux, il n’en reste pas moins que certaines des personnes entendues par la mission ont jugé le rattachement de l’ONDRP à l’INHESJ peu propice à l’indépendance de l’Observatoire.

Aux termes de l’article 9 du décret précité, le responsable de l’ONDRP (chef de département) est désigné par le directeur de l’INHESJ, qui est lui-même un établissement public national à caractère administratif placé sous la tutelle du Premier ministre. Par ailleurs, c’est le conseil d’administration de l’INHESJ qui propose les journalistes de la presse écrite et audiovisuelle, le représentant des entreprises de sécurité et le représentant des sociétés de conseil et d’audit en matière de sécurité qui sont appelés à siéger au sein du conseil d’orientation de l’ONDRP. Enfin, comme l’a expliqué M. Christophe Soullez, chef du département de l’ONDRP à l’INHESJ, l’Observatoire ne maîtrise ni son budget, ni ses recrutements, ni ses négociations avec ses autorités de tutelle (153).

Du point de vue de M. Philippe Robert, directeur de recherche au CNRS, le crédit de l’ONDRP est diminué par son inclusion dans l’INHESJ, organisme de formation qui, selon lui, n’a aucune compétence particulière en matière de mesure de la délinquance et qui ne présente pas de garanties d’indépendance suffisantes (154). À cet égard, notre collègue Christophe Caresche a rappelé que M. Philippe Melchior, directeur de l’ancien IHESI, avait été démis de ses fonctions après la publication d’une enquête de victimation alarmante (155).

M. Pierre Victor Tournier, démographe, directeur de recherche au CNRS, a lui aussi estimé que le rattachement de l’ONDRP à l’INHESJ n’avait pas lieu d’être et qu’il était absolument nécessaire de séparer l’ONDRP de cet établissement public (156).

À l’inverse, M. André-Michel Ventre, directeur de l’INHESJ, a fait valoir que l’établissement public qu’il dirige a naturellement vocation à accueillir l’ONDRP, dans la mesure où l’IHESI a, dès 1999, mené des enquêtes de victimation (157). D’ailleurs, des chercheurs de l’INHESJ (politologues, sociologues, etc.) sont parfois sollicités par l’ONDRP pour certains travaux, et inversement, des chercheurs de l’ONDRP apportent parfois leur concours à l’INHESJ, ce qui témoigne de la complémentarité des deux organismes et de la pertinence du rattachement de l’ONDRP à l’INHESJ.

M. André-Michel Ventre a en outre souligné qu’en tant que directeur de l’INHESJ, il ne prenait la parole lors des réunions du conseil d’orientation de l’ONDRP qu’à l’occasion des débats portant sur le mode de publication des travaux de l’Observatoire ou sur la détermination de son budget. À cet égard, M. André-Michel Ventre a tenu à rappeler que le budget de l’ONDRP était sanctuarisé depuis 2010, n’ayant subi aucun gel ni aucune réduction depuis cette date alors que, dans le même temps, la dotation de l’INHESJ a diminué. Aujourd’hui, l’INHESJ absorbe une partie des charges de fonctionnement de l’ONDRP et n’exerce aucune pression indirecte, au moyen de leviers budgétaires, sur ce dernier. Aux yeux de M. André-Michel Ventre, l’indépendance budgétaire de l’ONDRP est aussi précieuse (sinon plus) que son indépendance formelle (158).

S’il est indéniable que M. André-Michel Ventre a tout mis en œuvre pour assurer l’indépendance effective de l’ONDRP, celle-ci doit néanmoins être garantie par l’émancipation de l’ONDRP à l’égard de la tutelle de l’INHESJ. Cette émancipation est en effet l’une des conditions du rattachement de l’ONDRP à la statistique publique.

Le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) a proposé d’émanciper l’ONDRP de l’INHESJ et de le rattacher au Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) dont Mme Yannick Moreau, présidente de section au Conseil d’État, a préconisé la création (159). Selon le CESDIP, cette solution permettrait de maintenir l’ONDRP dans le giron des services du Premier ministre « tout en le débarrassant de l’encombrante tutelle de l’INHESJ » (160).

Du point de vue de vos rapporteurs, le rattachement de l’ONDRP au Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) constitue une piste intéressante qui mérite d’être explorée.

Préconisation n° 8 : envisager le rattachement de l’ONDRP au Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP).

c) Une structure sous-dimensionnée

Afin de mener à bien toutes ses missions, l’ONDRP ne compte que 14 agents, parmi lesquels :

–  quatre attachés de l’INSEE ;

–  un attaché territorial ;

–  un attaché du ministère de l’Intérieur ;

–  un lieutenant de police ;

–  un officier de gendarmerie ;

–  deux contractuels spécialisés en statistiques démographiques.

Si l’Observatoire a vu ses effectifs augmenter lentement depuis sa création en 2004 (avec 3 agents supplémentaires depuis cette date), il n’en reste pas moins que ces derniers sont encore largement insuffisants au regard du nombre et de l’ampleur des missions confiées à l’Observatoire.

S’il est vrai que l’ONDRP est chargé de collecter et d’analyser les données statistiques, et non de les produire, vos rapporteurs notent toutefois que l’Observatoire ne compte que 14 agents alors que certains services statistiques ministériels comptent entre 80 et 250 agents (« SSM Justice » et « SSM Douanes »), d’autres entre 250 et 400 agents (« SSM Éducation », « SSM Travail, emploi et formation professionnelle », « SSM Développement durable »), et d’autres encore près de 500 agents (« SSM Agriculture »).

Lors de son audition par la mission, M. Alain Bauer, ancien président du conseil d’orientation de l’ONDRP, a expliqué que l’Observatoire s’était appliqué « une RGPP avant la lettre », de sorte qu’il est aujourd’hui en situation de sous-effectifs (161). L’Observatoire manque notamment de statisticiens pour mener à bien les nouvelles missions qui lui ont été confiées, comme l’étude spécifique des violences faites aux femmes ou l’analyse des réponses pénales. Cette extension des missions de l’ONDRP n’a pas été accompagnée des transferts humains et financiers nécessaires.

2. Une analyse « court-termiste » des délinquances

Vos rapporteurs pensent que l’utilisation des statistiques des délinquances diffère selon la temporalité retenue : à court terme, les statistiques doivent permettre d’orienter, au plan local, l’action des services ; à moyen terme, elles permettent d’évaluer les dispositifs de lutte contre la délinquance qui sont mis en place ; à long terme, leur analyse met en évidence des évolutions profondes de la délinquance, liées au contexte mondial et aux évolutions technologiques (162). Les statistiques ne fournissent qu’une vision instantanée des délinquances : c’est l’analyse de leurs variations au cours du temps qui, seule, a un sens.

Partant de ce postulat, vos rapporteurs estiment que la publication des statistiques administratives des délinquances intervient aujourd’hui à un rythme trop soutenu et qu’elle devrait être systématiquement mise en perspective avec des données de long terme.

a) Des données publiées à un rythme trop soutenu

Lors de son audition, M. Jean-François Herdhuin, inspecteur général honoraire de la police nationale, a expliqué que la communication relative aux chiffres de la délinquance s’est politisée depuis le début des années 1980 à la faveur, d’une part, de l’émergence des violences urbaines et, d’autre part, du développement d’un sentiment d’insécurité (163).

L’utilisation « politique et polémique » des statistiques n’a fait qu’augmenter au fur et à mesure que s’est accrue la fréquence de publication des statistiques administratives des délinquances.

Partageant le point de vue de M. Daniel Vaillant, député de Paris, ancien ministre de l’Intérieur, vos rapporteurs soulignent que l’analyse des chiffres de la délinquance sur le court terme ne veut rien dire (164), comme l’illustrent les exemples, cités par M. Daniel Vaillant, de l’augmentation des statistiques des délinquances en Loire-Atlantique en juillet 2001 et dans le premier arrondissement de Paris en 2002 (165).

Bon nombre des personnes entendues par la mission ont rappelé avec force l’absurdité d’une lecture et d’une utilisation « court-termistes » des statistiques des délinquances. Il en est ainsi de M. René Padieu, inspecteur général honoraire de l’INSEE, qui a expliqué que, si au niveau local, une publication mensuelle des statistiques des délinquances peut être utile, dans un souci opérationnel, en revanche, au niveau national, la publication des données ne devrait pas faire l’objet d’une communication aussi fréquente qu’elle ne l’est actuellement (166).

En commentant les statistiques administratives des délinquances à un rythme annuel, l’ONDRP a tenté de rompre avec la logique de surenchère qui avait conduit à les analyser à un rythme mensuel. Toutefois, dans ses « Bulletins mensuels », l’ONDRP continue de publier tous les mois les chiffres des crimes et délits constatés par les services de police et les unités de gendarmerie dans l’ensemble des départements du pays.

S’agissant de l’analyse annuelle des statistiques administratives des délinquances, M. Jean-François Herdhuin, inspecteur général de la police nationale, a déploré que les choix méthodologiques aujourd’hui retenus par l’ONDRP aboutissent, de fait, à renoncer à fournir des statistiques opérationnelles. Selon lui, les services de sécurité ont en effet « besoin d’une évolution de mois en mois pour identifier les faits qui surviennent et demandent la réaction des services de police », de manière à permettre « une cartographie au niveau local, rue par rue » de l’évolution de la délinquance. Or, les analyses en année glissante de l’ONDRP seraient dépourvues d’intérêt pratique pour les services de sécurité (167).

Du point de vue de vos rapporteurs, c’est moins à l’ONDRP qu’au futur service statistique du ministère de l’Intérieur dédié aux politiques de sécurité qu’il revient de diffuser en interne et auprès des élus, à un rythme mensuel, les données statistiques nécessaires à la définition et à la conduite des opérations des forces de l’ordre.

Vos rapporteurs tiennent à souligner qu’à l’heure actuelle, si certains élus, comme les maires, sont bien informés de ces données, notamment à travers les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) (168), d’autres le sont moins. L’information des élus titulaires de mandats nationaux (députés ou sénateurs) et de certains élus titulaires de mandats locaux (conseillers généraux) dépend parfois de l’étroitesse des liens que ces derniers parviennent à tisser avec les autorités de police et de gendarmerie locales.

Pour remédier à cette lacune, non seulement les maires et les membres des CLSPD, mais aussi l’ensemble des élus, qu’ils aient un mandat local ou national, devraient bénéficier de la diffusion, par le futur service statistique du ministère de l’Intérieur dédié aux politiques de sécurité, des chiffres mensuels des crimes et délits constatés par les services de police et les unités de gendarmerie. L’information des élus pourrait prendre la forme d’un tableau de bord rassemblant toutes les données locales pertinentes.

Préconisation n° 9 : mettre fin à la publication mensuelle, par l’ONDRP, des chiffres des crimes et délits constatés par les services de police et les unités de gendarmerie.

Confier la diffusion mensuelle de ces chiffres au futur service statistique du ministère de l’Intérieur dédié aux politiques de sécurité.

b) Une nécessaire confrontation aux évolutions de long terme

Ce n’est que sur le long terme que l’état 4001 permet de révéler des tendances profondes de la réalité de la délinquance, que corroborent d’ailleurs les conclusions des enquêtes de victimation (169).

Comme l’ont expliqué M. Philippe Robert, directeur de recherche au CNRS, et Mme Renée Zauberman, chercheur au CESDIP, pour analyser correctement les problèmes de sécurité, il est absolument nécessaire de disposer de données homogènes et continues susceptibles de supporter une mise en série sur les moyen et long termes (170). En effet, une hausse de 5 % n’a pas la même signification selon qu’elle poursuit un mouvement entamé depuis longtemps, qu’elle rompt un mouvement contraire, ou qu’elle contribue à la poursuite d’un mouvement d’oscillation. Par exemple, si les atteintes contre les biens sont en baisse, il est nécessaire d’observer la tendance de long terme – une très forte augmentation suivie d’un plateau – pour comprendre que la délinquance contre les biens demeure le risque auquel le citoyen est aujourd’hui le plus exposé. De la même façon, si les violences contre les personnes augmentent en général, cela masque le fait que les homicides sont à leur niveau historiquement le plus bas (171) et que les blessures graves sont extrêmement rares. Ce qui augmente, en revanche, ce sont les violences expressives, qui font rarement l’objet d’une plainte, et les vols avec violence qui sont très peu élucidés (172).

Pour Mme Renée Zauberman, il conviendrait de stabiliser, sur le long terme, les données relatives à la délinquance, qu’elles proviennent des services de police, d’autres services administratifs ou bien des enquêtes de victimation. Or, ce besoin de disposer de données de long terme a souvent été contredit par des ruptures statistiques. Comme le note Mme Renée Zauberman, « il y a une tentation récurrente chez les producteurs et les gestionnaires de données de remettre constamment les compteurs à zéro » (173). Or cette tentation trouve un écho favorable auprès des organismes de tutelle, qui donnent généralement la priorité au court terme : « il y a un avantage politique à disposer de ces données immédiates et sur le court terme » (174). En effet, il est alors possible de communiquer sur les variations de court terme de ces données, alors même que celles-ci ne seraient pas pertinentes sur le long terme.

Pour remédier à cela, Mme Renée Zauberman a exposé une règle simple de présentation des données, susceptible de modifier à moyen terme la « culture du chiffre » : il faut « s’interdire de publier un chiffre nouveau tout seul » et « l’inclure dans la série la plus longue possible pour que cela ait un sens par rapport à une tendance » (175).

Lors de son audition par la mission, Mme Haritini Matsopoulou, professeur de droit à l’Université Paris-Sud XI, a abondé en ce sens, expliquant que, pour mieux appréhender l’évolution des phénomènes criminels, l’analyse devait se placer sur le long terme, car, sur le court terme, les données statistiques peuvent donner lieu à des interprétations erronées, voire à des manipulations délibérées (176) .

Vos rapporteurs encouragent les organismes qui publient les statistiques administratives des délinquances, à commencer par l’ONDRP, à assortir systématiquement les chiffres diffusés d’éléments de contexte qui les replacent dans une perspective de long terme. Les médias devraient également s’y astreindre.

3. Des données administratives parfois peu accessibles

a)  L’indisponibilité des données primaires : un reproche fait à l’ONDRP de façon récurrente

Les délais de diffusion des données primaires sont souvent longs, ce qui peut générer certaines frustrations parmi les chercheurs (177).

Les producteurs-utilisateurs de données statistiques ont besoin de temps pour anonymiser les données. Par ailleurs, ils bénéficient d’un délai de monopole dans l’exploitation des données. Or les chercheurs, qui souhaiteraient pouvoir disposer de données précises et individualisées, n’ont pas toujours conscience de la nécessité, pour les producteurs, d’anonymiser leurs statistiques – opération qui prend du temps – avant de les mettre à la disposition desdits chercheurs. Ce travail, s’il est mené de manière automatique pour les données d’enquête, exige au contraire un effort spécifique en ce qui concerne les données d’origine administrative. Ces dernières, à l’instar des données fiscales, sont constituées à des fins de gestion. À ce titre, elles ne présentent pas les garanties de confidentialité requises pour permettre leur mise à disposition rapide.

Pour M. Christian Mouhanna, directeur-adjoint du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), depuis que l’ONDRP est chargé de diffuser les statistiques des délinquances produites par les forces de l’ordre, il est devenu difficile d’accéder aux données brutes : une certaine opacité s’est formée, que n’aurait fait qu’épaissir la création d’agrégats regroupant eux-mêmes les index déjà trop larges de l’état 4001 (178).

M. Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS, fondateur de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS), s’est lui aussi montré assez sévère à l’égard de l’ONDRP, estimant que sa méthodologie avait contribué à rendre l’accès aux données techniquement plus difficile pour les chercheurs (179). De son point de vue, les travaux de l’ONDRP ont essentiellement consisté en une reprise des statistiques de la police et de la gendarmerie, avec une certaine confusion que n’a fait qu’accroître la publication mensuelle des statistiques. D’après M. Laurent Mucchielli, cet organisme se perdrait aujourd’hui dans le détail de ses publications mensuelles et dans un « amoncellement de données inutiles » (180). Qui plus est, les agrégats utilisés par l’ONDRP ne seraient absolument pas opérationnels. Enfin, les publications de l’ONDRP comprendraient de nombreux graphiques, difficilement lisibles, en remplacement des données brutes figurant dans les index de l’état 4001 qui, d’après M. Laurent Mucchielli, ne seraient plus disponibles, alors qu’auparavant, elles étaient librement consultables sur le site internet du ministère de l’Intérieur.

M. Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, a lui aussi déploré que les données brutes contenues dans l’état 4001 ne soient pas mises à la disposition du public (181). Soulignant le contraste avec ce qui prévaut au Canada, Mme Maryse Jaspard, socio-démographe, maître de conférences à l’Université Paris I – Panthéon-Sorbonne, chercheure associée à l’INED, a fait état des difficultés pour les chercheurs d’avoir accès à des statistiques sur les violences intraconjugales, alors même que, selon elle, l’ONDRP disposerait de certaines données (182).

Aussi bien M. Pierre-Yves Geoffard, président de la commission « services publics et services aux publics » du Conseil national de l’information statistique (CNIS) et directeur de recherche au CNRS, que M. Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, ont formulé le vœu que les données primaires utilisées par les experts de l’ONDRP fassent l’objet d’une diffusion large, rendant possible l’évaluation par leurs pairs (183). Mme Christelle Hamel, chercheure à l’INED, responsable de l’enquête sur les « Violences et rapports de genre » (VIRAGE), a, elle aussi, fait état du besoin qu’ont les chercheurs de se voir ménager un accès privilégié et sécurisé aux données statistiques des ministères de l’Intérieur et de la Justice (184).

La difficulté d’accéder aux données primaires est d’autant plus préjudiciable que l’ONDRP bénéficie d’un monopole de la publication et de l’analyse des données issues de l’état 4001 et que, lorsqu’il produit son rapport, les données sur lesquelles le rapport est fondé ne sont pas encore publiées, de sorte que la contradiction immédiate est difficile. Pour M. Philippe Robert, directeur de recherche au CNRS, ces contraintes techniques contribuent à créer une distance considérable entre le monde scientifique et le monde administratif à l’origine des statistiques (185).

Il a toutefois été signalé à vos rapporteurs que la loi française offrait, à l’INSEE et aux services statistiques ministériels, l’accès de plein droit à toute source administrative pour produire leurs statistiques. Les données font l’objet, dans le respect du secret statistique, d’une mise à disposition auprès de la communauté scientifique, à laquelle est ainsi offerte la possibilité de mener des études propres. Des progrès importants ont été accomplis pour améliorer l’accès des chercheurs aux données. Dans le cadre du groupe des écoles de l’INSEE, un centre d’accès sécurisé distant facilite, par exemple, l’accès aux données par tous les chercheurs depuis les micro-ordinateurs de leurs laboratoires de recherche. Le dispositif, développé à titre expérimental depuis trois ans, offre, en outre, toutes les conditions de garanties de la confidentialité des données lesquelles ne peuvent être ni recopiées ni imprimées (186).

Vos rapporteurs notent en outre qu’un projet « open-data » (187) a été lancé en 2011, qui devrait permettre une publicité plus large et plus systématique des données et des outils méthodologiques en matière de délinquance. Dans le cadre de l’ouverture des données publiques des administrations de l’État, pilotée par « Etalab » sous l’autorité du Premier ministre, l’ONDRP a nommé un coordinateur pour organiser la collecte, l’adaptation, la transmission et l’actualisation des données publiques mises en ligne sur le site « data.gouv.fr ». Les premières données ont été mises en ligne en décembre 2011. Parmi la liste de données publiques mises en ligne pour le lancement de « data.gouv.fr » se trouve la liste annuelle de l’ensemble des faits de délinquance constatés de 2002 à 2009 dans chaque département.

Cette initiative va dans le bon sens car il est en effet paradoxal qu’il soit aujourd’hui plus facile pour un chercheur français d’étudier l’efficacité de la police new-yorkaise que celle de la police parisienne. Vos rapporteurs rappellent par ailleurs qu’au Royaume-Uni, presque tous les documents sont disponibles, en ligne, sur le site internet du ministère de l’Intérieur, qu’il s’agisse des orientations générales qui sont retenues par le ministère et évaluées par des organismes indépendants, des rapports des corps d’inspection ou des études commandées par le ministère à des entreprises privées ou à des universités.

b) Une collaboration institutionnelle confrontée à des difficultés pas toujours justifiées

N’ayant pas de mandat pour contrôler le recueil des données statistiques par les administrations, l’ONDRP a été contraint de travailler avec des données sur lesquelles pesait le soupçon qu’elles n’étaient pas fiables dès l’origine.

Lors de son audition par la mission, M. Christophe Soullez, chef du département de l’ONDRP à l’INHESJ, a souligné que l’Observatoire n’avait aucun pouvoir de décision ou de contrainte, qu’il n’émettait que de simples préconisations, et qu’il était dépendant de la collaboration des administrations dans son travail de collecte des données (188).

•  Les relations entre l’ONDRP et les services de police et de gendarmerie

M. Frédéric Ocqueteau, directeur de recherche au CNRS, a expliqué devant la mission que l’ONDRP avait pu être perçu par les services de police et de gendarmerie comme le relais de la « politique du chiffre » mise en œuvre par certains ministres de l’Intérieur et comme l’outil de management conçu pour réduire leurs missions à la production de simples chiffres (189).

Vos rapporteurs ont pu constater quelques difficultés de coopération au cours de leurs travaux. En effet, dans son rapport annuel pour l’année 2012, l’ONDRP a constaté une rupture statistique au niveau des chiffres des délinquances fournis par la gendarmerie. Cette rupture l’a conduit à suspendre l’agrégation des chiffres de la police et de la gendarmerie et à ne publier qu’une partie de certains agrégats établis par la gendarmerie avec l’avertissement suivant : « D’après les informations dont dispose l’Observatoire, les personnes mises en cause par la gendarmerie nationale en décembre ont été comptabilisées différemment en 2011. Avant la mise en service au 1er janvier 2012 d’une nouvelle application informatique appelée “ PULSAR ”, il a été demandé aux gendarmes de clôturer toutes les procédures figurant dans l’ancienne application, y compris celles qui auraient été enregistrées plus tardivement si la mise à jour n’avait pas eu lieu. Il en a résulté, selon l’ONDRP, un enregistrement anticipé de plusieurs dizaines de milliers de mis en cause » (190).

L’ONDRP a constaté une hausse globale de la délinquance au cours de l’année 2012, avec de fortes hausses pour certains index de l’état 4001, comme l’index 38 qui regroupe les vols d’accessoires sur véhicules à moteur immatriculés, parmi lesquels les vols de carburant qui semblent avoir effectivement connu une forte hausse (de 40 à 50 %) dans certaines régions.

Or, lors du déplacement de la mission à l’ONDRP, le 14 février 2013, il a été indiqué que, préalablement à la publication du rapport annuel pour 2012, l’Observatoire avait contacté les forces de gendarmerie pour élucider les causes des anomalies constatées dans les chiffres qu’elles avaient produits.

Il semble que la gendarmerie ait, dans un premier temps, refusé de coopérer. Ce n’est que dans un second temps, sous la pression médiatique, que la gendarmerie a fini par expliquer que certains indicateurs avaient pu être faussés par le déploiement d’un nouveau logiciel de saisie des plaintes.

Les agents de l’ONDRP ont regretté n’avoir pas eu la possibilité de comprendre pleinement ce phénomène, ni d’anticiper ses éventuelles répercussions, faute d’une coopération immédiate et spontanée.

Lors du déplacement de la mission au siège de la direction générale de la gendarmerie nationale, à Issy-les-Moulineaux, le 28 février dernier, les gendarmes ont, au contraire, souligné la qualité des relations qu’ils avaient eues avec l’ONDRP au sujet de cette anomalie statistique. Celle-ci peut s’expliquer par une hausse réelle de certaines formes de délinquance (comme les vols de carburant), mais peut-être est-elle due également au déploiement du logiciel PULSAR, qui a pu conduire à corriger certaines erreurs (191).

Lors de sa conférence de presse du 18 janvier 2013, le ministre de l’Intérieur, M. Manuel Valls, a indiqué avoir missionné l’Inspection générale de l’administration (IGA), l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) afin d’élucider les causes de la rupture statistique constatée par l’ONDRP, entreprise à laquelle l’Inspection générale de l’INSEE sera associée.

Au-delà de ce cas précis, les agents de l’ONDRP ont expliqué avoir à composer avec l’attitude parfois méfiante de certains services de la police, de la gendarmerie ou de l’administration pénitentiaire.

L’ONDRP regrette de n’avoir pas d’accès direct aux bases de données anonymisées de la police et de la gendarmerie. Ses agents n’ont qu’une connaissance partielle du mode de saisie des données statistiques au niveau des commissariats et des brigades. Il leur est donc difficile de travailler avec des données dont ils ne comprennent pas l’origine et dont ils ne peuvent analyser les éventuels biais. Quant à l’impact des directives ministérielles, susceptibles de modifier le mode de saisie des statistiques par les agents des forces de l’ordre, il reste encore mal connu.

Selon les agents de l’Observatoire, leurs requêtes sont parfois perçues comme une ingérence dans les affaires des services, ou même comme une tentative d’évaluation malveillante.

•  Les relations entre l’ONDRP et les services du ministère de la Justice, et notamment de l’administration pénitentiaire

D’après M. Frédéric Ocqueteau, directeur de recherche au CNRS, l’ONDRP a surtout été affaibli par les réticences du ministère de la Justice qui semble avoir perçu cette entreprise de capitalisation de données statistiques variées comme une tentative hégémonique du ministère de l’Intérieur de s’approprier la mesure des délinquances. Le ministère de la Justice aurait regardé l’ONDRP comme l’instrument mis au point par le ministère de l’Intérieur pour s’accaparer toute la connaissance statistique de la chaîne pénale alors qu’historiquement, depuis la création du compte général de l’administration de la justice criminelle en 1828, c’était la Chancellerie qui disposait de cette connaissance dont elle a cru se trouver tout à coup dépossédée. Le ministère de la Justice a donc pu vivre la création de l’ONDRP comme une initiative visant à le priver de son contrôle sur d’éventuelles dérives policières (192).

L’administration pénitentiaire a, semble-t-il, opposé de nombreux refus aux sollicitations de l’ONDRP. Ces refus sont assumés. Lors de leur audition par la mission, M. Henri Masse, directeur de l’administration pénitentiaire, et Mme Annie Kensey, statisticienne au bureau des études de l’administration pénitentiaire, ont expliqué que le caractère très sensible de certaines informations conduisait l’administration pénitentiaire à exercer un contrôle très poussé sur les requêtes extérieures, et que, même lorsque la demande d’information émanait de l’ONDRP, la transmission de l’information n’était pas systématique (193). Les représentants de l’administration pénitentiaire ont indiqué que, d’une manière générale, leurs services n’effectuaient guère de travail en commun avec l’ONDRP (194). Le contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Jean-Marie Delarue, y voit la conséquence de l’inadéquation entre l’offre de l’ONDRP (qui porte sur des statistiques nationales) et les besoins des services pénitentiaires (qui portent sur des statistiques locales) (195).

En somme, l’ONDRP souffre d’un manque d’autorité à l’égard de certains services de la justice, qui l’empêche d’accéder à des données importantes.

M. Christophe Soullez, chef du département de l’ONDRP à l’INHESJ, a appelé à mettre en place une stratégie de collaboration ouverte avec le ministère de la Justice, estimant que les relations de l’Observatoire avec ce ministère pourraient être meilleures (196). L’ONDRP considère en effet que les données du ministère de la Justice sont soumises aux mêmes aléas d’enregistrement que les statistiques policières et que les « redressements » statistiques opérés par le ministère, s’ils sont moins visibles, existent bel et bien. De son côté, le ministère de la Justice a été particulièrement réticent, les premières années de l’existence de l’ONDRP, à accepter que lui soient confiées des études dont il estimait qu’elles auraient pu être réalisées par son propre service statistique ministériel.

•  Autres difficultés signalées

Lors de son audition par la mission, Mme Sylvie Scherer, directrice du département « Mission études sécurité » de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France (IAU-IDF), a indiqué que dans le cadre des enquêtes régionales de victimation qu’il mène, l’IAU-IDF rencontre des difficultés croissantes pour accéder aux responsables des services de police locaux, dont la liberté de parole semble par ailleurs avoir diminué (197). Par exemple, l’IAU-IDF, qui ne dispose pas de données statistiques sur des thématiques transversales comme l’habitat social ou les zones périurbaines, n’a pas eu accès aux statistiques policières et gendarmiques relatives aux territoires concernés par sa récente enquête sur l’insécurité en territoires périurbains, publiée en octobre 2012.

Vos rapporteurs ont toutefois remarqué que les difficultés de collaborer sont parfois liées à des considérations techniques, et notamment méthodologiques. Par exemple, M. Fabrice Fussy, chef de l’Observatoire national de la délinquance dans les transports (ONDT), a expliqué que les difficultés que l’ONDT pouvait parfois rencontrer dans le cadre de sa collaboration avec les services de police et de gendarmerie étaient liées aux différences de méthodologie en matière de recueil des données statistiques, différences qui complexifient les échanges d’informations (198). Il est vrai que les données recueillies par l’ONDT auprès de la Société nationale des chemins de fer (SNCF) et des opérateurs de transport des grandes agglomérations (RATP, Optile, etc.) proviennent de systèmes d’information recensant les faits de délinquance constatés par leurs agents de contrôle, de sécurité, de conduite, de gare, de station, etc., ou portés à leur connaissance par les voyageurs – ce qui n’offre qu’une vision partielle de la délinquance dans les transports, celle qui est vécue par les voyageurs.

II.– FAIRE ÉMERGER UNE MÉTHODE D’ANALYSE INCONTESTABLE, AU SERVICE DE L’ACTION PUBLIQUE

1. Renforcer l’indépendance et les pouvoirs de l’ONDRP

Vos rapporteurs ont constaté, au gré des travaux de la mission, que l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) n’était pas parvenu à s’ériger en « Cour des comptes de la sécurité » ou en « INSEE de la délinquance », comme M. Christophe Caresche et Robert Pandraud l’appelaient de leurs vœux (199).

a) Modifier l’organisation de l’ONDRP pour lever le soupçon

Lors de son audition par la mission, M. Daniel Vaillant, député de Paris, ancien ministre de l’Intérieur, a formulé le souhait que les moyens soient donnés à l’ONDRP d’être plus indépendant, par exemple en faisant en sorte que le président du conseil d’orientation de l’ONDRP n’ait plus à passer régulièrement par le bureau du ministre de l’Intérieur pour y prendre des consignes ou y rendre des comptes (200). Comme l’a ajouté M. Daniel Vaillant, le ministre de l’Intérieur lui-même y gagnerait car il ne serait plus confronté aux soupçons qui entourent chaque année la publication et le commentaire des statistiques des délinquances.

Mme Haritini Matsopoulou, professeur de droit à l’Université Paris Sud XI (201), et M. Serge Portelli, vice-président du tribunal de grande instance de Paris (202), ont suggéré à la mission de faire de l’ONDRP une autorité administrative indépendante (AAI).

Pour Mme Haritini Matsopoulou, cette AAI devrait comprendre, entre autres, des représentants de la Cour de cassation, du Conseil d’État et de la Cour des comptes. De son point de vue, le statut d’AAI garantirait la fiabilité et la sincérité de l’analyse des statistiques des délinquances en les mettant à l’abri de toute tentative d’immixtion des autorités politiques (203).

De leur côté, dans leur rapport au Premier ministre, M. Christophe Caresche et Robert Pandraud proposaient de constituer l’Observatoire national de la délinquance sous la forme d’un établissement public national placé sous la tutelle conjointe des ministères de l’Intérieur, de la Justice, des Finances et de la Défense, plutôt que sous la forme d’un groupement d’intérêt public (GIP), d’une autorité administrative indépendante (AAI) ou encore d’une mission interministérielle placée auprès du Premier ministre. La création d’un établissement public national aurait l’avantage, selon M. Christophe Caresche et Robert Pandraud, de fournir une structure ayant la masse critique et les moyens nécessaires et impliquant les administrations sans pour autant perdre son indépendance et sa fonction d’expertise scientifique (204).

Toutefois, notre collègue Christophe Caresche, député de Paris, a fait part à la mission de l’évolution de sa réflexion sur la question. De son point de vue, il convient de renforcer le contrôle du Parlement sur l’organisation de l’ONDRP plutôt que de le placer sous la tutelle conjointe de plusieurs ministères (Intérieur, Justice, Finances et Défense). En effet, le ministère de la Justice n’ayant manifesté qu’un intérêt limité pour l’ONDRP, le ministère de l’Intérieur, qui a parfaitement saisi l’avantage qu’il y a à être évalué sur la base de chiffres dont il maîtrise la production, serait le seul à s’intéresser de près à l’ONDRP et conserverait donc un poids prépondérant, même en cas de cotutelle (205).

Aussi conviendrait-il de retirer au pouvoir exécutif le soin de désigner le président du conseil d’orientation de l’ONDRP. Ce dernier devrait être désigné par les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui seraient appelées se prononcer à la majorité des trois cinquièmes (206). Les parlementaires devraient choisir une personnalité « de consensus » (207), apolitique, dont la neutralité et la valeur morale, largement reconnues, conféreraient à l’ONDRP une crédibilité certaine. Le Président du conseil d’orientation de l’ONDRP pourrait également s’exprimer régulièrement devant ces commissions. Ces propositions ont recueilli l’assentiment de M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur (208).

Vos rapporteurs souhaiteraient en particulier que l’audition du président du conseil d’orientation de l’ONDRP par les parlementaires soit l’occasion d’un exposé des travaux de l’Observatoire non seulement au niveau national, mais aussi à l’échelle internationale. En effet, les parlementaires ne sont pas suffisamment informés sur les actions menées aux plans européen et international pour harmoniser et approfondir les bonnes pratiques en matière de production et d’analyse des statistiques des délinquances. Ils gagneraient à être associés à des initiatives dans ce domaine, qui pourraient notamment se traduire par la tenue de conférences annuelles regroupant les organismes européens chargés de l’analyse des statistiques des délinquances.

Vos rapporteurs estiment impératif de repenser la composition et les missions de l’ONDRP car, comme l’ont expliqué devant la mission les représentants du Syndicat de la magistrature, Mme Françoise Martres, présidente, et M. Éric Bocciarelli, secrétaire général, il est « crucial que les “ chiffres du crime ” et leur analyse soient placés à l’abri du soupçon de la politisation, spécialement en ces temps où la délinquance est devenue un vecteur majeur de communication politique » (209).

Préconisation n° 10 : confier aux commissions compétentes du Parlement le soin de désigner le président du conseil d’orientation de l’ONDRP, qui serait amené à exposer régulièrement devant les parlementaires les travaux de l’Observatoire au niveau national et international.

b) Donner à l’ONDRP les moyens juridiques, humains et techniques nécessaires à l’accomplissement de ses missions

•  Moyens humains et techniques

M. Christophe Soullez, chef du département de l’ONDRP à l’INHESJ, a fait valoir devant la mission que l’organisme qu’il dirige aurait besoin de moyens humains et techniques supplémentaires pour mener à bien ses travaux, et notamment l’enquête nationale de victimation « Cadre de vie et sécurité » (210).

Regrettant que l’ONDRP n’ait pas suffisamment contribué à l’analyse locale des délinquances, ni aidé à la réalisation de diagnostics au profit des collectivités locales, M. Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS, fondateur de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS), a proposé que la taille de l’Observatoire soit augmentée, de façon à ce qu’il englobe une dimension locale, ne serait-ce que régionale (211).

Pour leur part, vos rapporteurs estiment qu’il faut davantage développer, au niveau local, des structures compétentes capables d’analyser des données statistiques qui, bien que consolidées au niveau national, seraient susceptibles d’être structurées sur une base locale et assorties de commentaires et d’analyses exploitables par les collectivités locales.

Néanmoins, aussi bien M. Frédéric Ocqueteau, directeur de recherche au CNRS (212), que M. Pierre Victor Tournier, démographe et également directeur de recherche au CNRS (213), ont fait valoir qu’il était nécessaire de renforcer les effectifs de l’ONDRP, notamment pour l’analyse des données statistiques élaborées par le ministère de la Justice qui, selon lui, ne s’est pas suffisamment impliqué dans le dialogue et la coopération avec l’Observatoire.

Malgré la faiblesse des moyens disponibles, il reste, selon le chef du département de l’ONDRP, M. Christophe Soullez, une importante marge de progrès vers plus d’indépendance, en particulier en ce qui concerne le mode de gestion de l’ONDRP par l’INHESJ.

Il a notamment été proposé de sanctuariser le budget de l’ONDRP au sein du budget global de l’INHESJ, afin de garantir ses crédits en l’excluant des négociations budgétaires éventuelles.

Interrogé à ce sujet, le directeur de l’INHESJ, M. André-Michel Ventre, a expliqué que, dans la pratique, le budget de l’ONDRP fait toujours l’objet d’un traitement de faveur et qu’il échappe aux restrictions budgétaires. Toutefois, ce qui ne relève que d’un simple usage gagnerait peut-être à être conforté par des textes.

•  Moyens juridiques

Devant la mission, M. Jean-Hugues Matelly, chercheur, a reproché à l’ONDRP d’avoir crédibilisé, authentifié et « officialisé » les statistiques des délinquances produites par les forces de l’ordre « alors même que leur construction n’est pas plus contrôlée qu’avant » et que les chiffres sont « enregistrés avec les mêmes errements que par le passé » (214). Autrement dit, au lieu de participer à l’assainissement de la production des statistiques des délinquances, l’ONDRP aurait contribué à la légitimation de ses failles.

De son côté, M. Christian Mouhanna, directeur-adjoint du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), a déclaré que l’ONDRP n’avait jamais souhaité contrôler la production des statistiques des forces de sécurité, sauf pour ce qui concerne les anomalies liées aux dates de saisie (215).

Pourtant, lors du déplacement de la mission à l’ONDRP, le 14 février 2013, le souhait a été exprimé par les agents de cet organisme que leur soit reconnu un pouvoir d’accès direct aux bases de données anonymisées de la police et de la gendarmerie afin, précisément, de mieux contrôler la saisie et la consolidation des données statistiques du ministère de l’Intérieur.

Ces moyens juridiques nouveaux présenteraient le triple avantage :

–  de supprimer tout biais dans la communication des données ;

–  d’éviter aux services de police et de gendarmerie d’avoir à effectuer un premier traitement statistique, souvent imprécis ;

–  d’accélérer la remontée et l’analyse des données puisque l’ONDRP n’aurait plus à solliciter les services pour qu’ils répondent à ses demandes.

Les agents de l’ONDRP ont également appelé de leurs vœux la mise en place d’un protocole de transmission des données avec le ministère de la Justice, et notamment avec l’administration pénitentiaire.

L’objectif de contrôle et de fiabilisation de la production des statistiques des délinquances par les ministères de l’Intérieur pourrait être atteint si un service statistique ministériel dédié aux politiques de sécurité était créé au sein du ministère de l’Intérieur.

L’information complète de l’ONDRP sur le mode de travail des agents des ministères de l’Intérieur et de la Justice qui saisissent les données et sur le premier traitement de ces dernières s’impose comme objectif essentiel. Comme d’autres experts, M. Bruno Aubusson de Cavarlay, chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), a souligné que l’une des principales difficultés sur lesquelles l’ONDRP avait achoppé résidait précisément dans l’impossibilité qui est la sienne aujourd’hui de contrôler la saisie des données et de proposer des modifications de l’état 4001.

Vos rapporteurs ne peuvent donc qu’approuver la décision prise par le ministre de l’Intérieur, M. Manuel Valls, d’associer désormais les statisticiens de l’ONDRP aux contrôles des règles d’enregistrement des faits par les services de son ministère (216).

Préconisation n° 11 : reconnaître à l’ONDRP un pouvoir d’accès direct aux bases de données anonymisées de la police et de la gendarmerie afin de mieux contrôler la saisie et la consolidation des données statistiques du ministère de l’Intérieur.

c) Rationaliser les observatoires sectoriels dans un souci d’enrichissement des données

Vos rapporteurs ont noté une tendance nette à la multiplication d’observatoires locaux ou sectoriels des délinquances. Sans remettre en cause le mérite qu’ont ces structures de mobiliser l’ensemble des acteurs et des données sur un sujet précis et de relayer auprès des producteurs de statistiques les besoins de leurs utilisateurs, vos rapporteurs sont soucieux de la cohérence qui doit présider à la création d’organismes entre lesquels il convient d’encourager les synergies et les efforts de coordination.

Lors de leur audition par la mission, M. Christophe Soullez, chef du département de l’ONDRP à l’INHESJ, et M. Cyril Rizk, responsable des statistiques à l’ONDRP, ont fait part de leurs réserves quant à la création d’un observatoire des violences faites aux femmes. Compte tenu de la masse de données dont dispose aujourd’hui l’ONDRP, grâce à l’enquête nationale de victimation, une telle structure, dont l’essentiel de l’activité serait consacré à la collecte de chiffres, ne s’impose pas, selon eux. C’est bien plus la coordination et l’animation de politiques publiques sur les violences faites aux femmes qui font défaut.

Lors de l’audition de M. Frédéric Ocqueteau, directeur de recherche au CNRS, le 11 décembre 2012, puis lors de son déplacement à l’ONDRP, le 14 février 2013, l’attention de la mission a été attirée sur le risque de confusion qui peut résulter de la prolifération d’observatoires dédiés à une problématique particulière. La multiplication d’observatoires sectoriels risque de compliquer le partage des rôles, de rendre plus difficile la centralisation des données statistiques et de cloisonner davantage encore les savoirs existants.

En effet, la mission a pu constater, tout au long de ses travaux, que de nombreux observatoires avaient été créés pour analyser tel ou tel type de délinquances (dans les transports, dans les zones urbaines sensibles, en matière de drogue et de toxicomanie ou en matière de sécurité routière), sans que ces organismes coordonnent toujours leurs actions.

Vos rapporteurs encouragent le développement de synergies comme celles qui conduisent par exemple l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France (IAU-IDF) à travailler régulièrement en partenariat avec le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) (217) ou avec l’Observatoire national de la délinquance dans les transports (ONDT) (218).

Préconisation n° 12 : encourager les synergies et les efforts de coordination entre les observatoires locaux ou sectoriels des délinquances.

2. Réorienter les missions de l’ONDRP vers la recherche et l’évaluation des politiques publiques

a) Rattacher plus clairement l’ONDRP à la statistique publique

Si les agents de l’ONDRP ont souligné, lors du déplacement de la mission dans leurs locaux, le 14 février 2013, que la coopération de l’Observatoire avec l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) était permanente, vos rapporteurs estiment que l’Observatoire doit être rattaché plus nettement à la statistique publique.

Sans aller jusqu’à rattacher l’ONDRP à l’INSEE, comme l’a proposé M. Jean-François Herdhuin, inspecteur général honoraire de la police nationale (219), vos rapporteurs estiment que la présence et le poids des statisticiens au sein de l’Observatoire doivent être renforcés.

À cet égard, vos rapporteurs se félicitent que le Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, ait récemment choisi de nommer un inspecteur général de l’INSEE, M. Stéfan Lollivier, à la tête du conseil d’orientation de l’ONDRP (220). Vos rapporteurs estiment qu’il serait bon que la pratique consistant à confier la présidence du conseil d’orientation de l’ONDRP à un statisticien devienne régulière sans être pour autant systématique.

Vos rapporteurs se joignent également aux vœux exprimés par le ministre de l’Intérieur, M. Manuel Valls, pour que l’ensemble des travaux de l’ONDRP soient labellisés par l’Autorité de la statistique publique (ASP). Lors de sa conférence de presse du 18 janvier dernier, le ministre de l’Intérieur a indiqué qu’« en accord avec le Premier ministre, les principes européens et nationaux de la statistique publique seront inscrits dans les statuts de l’ONDRP », que « chaque année, ses travaux seront soumis à l’Autorité de la statistique publique », en vue d’une éventuelle labellisation, et que « les liens entre le conseil d’orientation de l’ONDRP et le Conseil national de l’information statistique seront renforcés » (221).

Vos rapporteurs appellent à aller plus loin qu’une simple référence aux principes européens et nationaux de la statistique publique. L’ONDRP devrait être soumis aux règles de déontologie, de transparence et de communication qui pèsent sur les organismes producteurs de statistique publique comme l’INSEE.

M. Philippe Cuneo, inspecteur général de l’INSEE, responsable de la direction de la méthodologie, a fait valoir que l’ONDRP présentait toutes les garanties de rigueur et d’indépendance pour que ses travaux bénéficient, à terme, de la labellisation de l’ASP (222).

Pourtant, lors de leur audition par la mission, les représentants de l’ASP ont indiqué qu’à l’heure actuelle, seule l’enquête de victimation réalisée par l’ONDRP en collaboration avec l’INSEE était labellisée (223), et qu’en l’état des choses, il n’était pas envisageable de labelliser les autres productions de l’ONDRP, son statut, son mode de fonctionnement et le mode de production des statistiques utilisées ne répondant pas aux critères européens de la statistique publique (224).

Vos rapporteurs estiment que cette situation est d’autant plus regrettable que, comme l’a expliqué M. Cyril Rizk devant la mission, l’ONDRP a fait le choix, compte tenu de la faiblesse de ses effectifs, de privilégier et de sanctuariser son activité statistique, au détriment de la recherche et de l’évaluation des politiques publiques (225), deux champs qui lui étaient pourtant ouverts.

Ce n’est que très récemment que l’ONDRP s’est aventuré dans le domaine de la recherche dont il ne peut, en définitive, espérer couvrir tout le spectre et qu’il doit donc s’efforcer d’investir davantage.

b) Créer un conseil scientifique pour mieux associer les chercheurs

Dans leur rapport au Premier ministre, M. Christophe Caresche et Robert Pandraud proposaient de doter l’Observatoire national de la délinquance d’une organisation mixte associant administration, recherche et personnalités qualifiées afin de le soustraire aux polémiques et aux pressions (226).

Pour réduire la distance entre le monde scientifique et le monde administratif à l’origine des statistiques, les représentants du Syndicat de la magistrature, Mme Françoise Martres, présidente, et M. Éric Bocciarelli, secrétaire général, ont proposé que l’ONDRP soit rattaché au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) (227).

De son côté, M. Philippe Robert, directeur de recherche au CNRS, a proposé de confier la centralisation et l’analyse des données issues de différentes sources à un organisme composé de scientifiques (228). Le conseil d’orientation de l’ONDRP est essentiellement composé de fonctionnaires d’autorité et de personnalités sans compétence particulière dans le domaine de la statistique, alors que les instances d’un organisme de cette nature devraient, selon M. Philippe Robert, réunir des chercheurs et l’ensemble des producteurs de statistiques.

À cet égard, il a été suggéré à la mission de s’inspirer de l’expérience britannique. Au Royaume-Uni, les statistiques publiques comme les enquêtes de victimation étaient jadis produites par le Home Office. Face à la méfiance du public à l’égard des statistiques administratives et des enquêtes de victimation, le gouvernement britannique a mis en place une série d’audits dont les conclusions l’ont conduit à transférer l’analyse des statistiques administratives des délinquances à un organisme équivalent à l’INSEE.

S’il apparaît difficile de confier l’analyse des statistiques policières et judiciaires des délinquances à l’INSEE, qui travaille principalement sur les questions économiques, et s’il semble tout aussi difficile de créer un organisme qui regroupe, à lui seul, l’ensemble des producteurs de données statistiques en matière de délinquance, il serait néanmoins concevable, d’après M. Philippe Robert, de constituer un organisme « tête de réseau », centralisant les données et cherchant en permanence d’autres sources d’information.

Vos rapporteurs jugent impératif que l’ONDRP devienne le lieu de rassemblement des chercheurs qu’il n’a pas encore su devenir. Dans cette optique, il apparaît nécessaire de le doter du conseil scientifique dont il est aujourd’hui dépourvu.

M. Pierre Victor Tournier, démographe, directeur de recherche au CNRS, s’est d’ailleurs également prononcé en ce sens, invitant à distinguer nettement le conseil d’orientation, au sein duquel siégeraient les représentants des administrations, du conseil scientifique, qui serait exclusivement composé d’experts choisis pour leurs compétences (229).

Reprenant à leur compte, tout en la complétant, une proposition de notre collègue Christophe Caresche (230), vos rapporteurs estiment qu’il faut mettre en place, au sein de l’ONDRP, un conseil scientifique qui serait composé de chercheurs et de statisticiens, qui serait présidé par le président du conseil d’orientation et dont les membres seraient appelés à contrôler la rigueur scientifique des travaux de l’ONDRP, aussi bien du point de vue du contenu que du point de vue de la méthodologie.

Il serait possible, à cet égard, de s’inspirer de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS) qui, créé par la loi n° 2003-710 du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, comprend un conseil d’orientation, et, depuis un décret n° 2011-628 du 1er juin 2011, un conseil scientifique (231).

Lors de son audition par la mission, M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, a accueilli favorablement cette idée (232).

En sus de ce conseil scientifique, l’ONDRP devrait s’adjoindre une structure souple rassemblant des chercheurs associés ayant des profils et des compétences variés : sociologues, ethnologues, démographes, etc. Ces chercheurs associés pourraient débattre des travaux validés par le conseil scientifique de l’ONDRP.

Il a en effet été proposé de créer un organisme de structure légère, peu coûteux, sur le modèle du Conseil d’analyse économique, qui permettrait d’établir un pont entre le savoir scientifique et la production statistique administrative, en confiant des études à un groupe de scientifiques. Du point de vue de vos rapporteurs, ce travail critique et pluridisciplinaire pourrait être accompli par un groupe de chercheurs associés qui, en lien avec le conseil scientifique de l’ONDRP, réunirait des experts de toutes les disciplines en jeu pour débattre des données statistiques soumises à leur examen, des méthodes d’élaboration de ces données, ainsi que des productions de l’ONDRP.

Préconisation n° 13 : doter l’ONDRP d’un conseil scientifique pouvant s’appuyer sur des chercheurs associés ayant des profils et des compétences variés (sociologues, ethnologues, démographes, etc).

Le conseil scientifique de l’ONDRP et son groupe de chercheurs associés pourraient être des enceintes où se féconderaient des savoirs parcellaires d’administrations diverses et d’organismes spécialisés et souvent cloisonnés. Ils pourraient être des espaces de dialogue et d’interaction avec les organismes producteurs de statistiques, et notamment avec les membres de ces organismes qui sauraient dépasser l’horizon de leur propre mission sectorielle pour adopter une vision plus globale des enjeux de la mesure des délinquances.

Vos rapporteurs ne partagent pas le point de vue de M. Alain Bauer, ancien président du conseil d’orientation de l’ONDRP, qui a expliqué que l’ONDRP ne saurait avoir un positionnement scientifique à l’égard du monde politique car il devait être avant tout « une boîte à outil pour l’autorité publique » (233).

Le renforcement du potentiel scientifique de l’ONDRP n’est nullement exclusif d’une mission d’évaluation et d’orientation des politiques publiques en matière de sécurité. Du reste, M. Alain Bauer l’a lui-même reconnu, en invitant à enrichir la composition de l’ONDRP de criminologues, insuffisamment reconnus en France, ainsi que de personnalités étrangères capables de porter un regard indépendant et différent sur le système français.

En s’orientant plus nettement vers la recherche, l’ONDRP ne devra pas perdre de vue la nécessité de fournir des éléments d’analyse opérationnels. Vos rapporteurs pensent, comme Mme Michèle Alliot-Marie, ancien ministre de l’Intérieur et ancien ministre de la Justice, que l’analyse des statistiques des délinquances devrait permettre aux autorités publiques d’anticiper le développement de tel ou tel type de délinquance, comme la cybercriminalité, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui (234).

c) Renforcer les interactions entre les chercheurs et les agents chargés de définir et de mettre en œuvre les politiques publiques

Vos rapporteurs ont été marqués par le témoignage de M. Franck Douchy, chef de l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO), qui a expliqué qu’après quatre mois passés au sein de cet office, des experts de l’ONDRP ont produit un rapport (235) qu’il a accueilli avec scepticisme, car il n’en a absolument pas perçu l’intérêt opérationnel (236). Selon M. Franck Douchy, une meilleure concertation entre, d’une part, les policiers et les gendarmes, et, d’autre part, les statisticiens et les chercheurs serait plus profitable à l’orientation de l’action publique en matière de sécurité. En l’espèce, il aurait fallu, à tout le moins, que les agents de l’OCLCO aient pu dialoguer avec les experts de l’ONDRP un peu avant ou un peu après la publication du rapport (237).

À l’inverse, M. Christophe Soullez, chef du département de l’ONDRP à l’INHESJ, a regretté que les pouvoirs publics n’exploitent pas assez les travaux de l’ONDRP, et notamment les résultats de l’enquête nationale de victimation « Cadre de vie et sécurité » (238).

En matière de politiques de prévention, dissuasion ou répression des délinquances, il n’y a eu en France, au cours des trente dernières années, aucune évaluation rigoureuse de leur impact et de leur efficacité, alors que des études sur la question se multiplient aux États-Unis, en Australie et au Royaume-Uni. C’est du moins l’avis de M. Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS (239). Selon lui, notre pays ne s’est pas doté des structures et des compétences capables de procéder à une telle évaluation, dont la méthodologie est pourtant harmonisée au niveau international sous la forme d’une approche clinique fondée sur les preuves (« evidence based approach »).

Par exemple, aucune étude rigoureuse n’a été réalisée sur l’efficacité de la vidéosurveillance. C’est d’autant plus regrettable que les capacités d’analyse des corps d’inspection sont insuffisantes. Il est vrai que l’Inspection générale de l’administration (IGA), en tant que coordinateur, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et l’Inspection technique de la gendarmerie nationale (ITGN) ont été chargées par le ministre de l’Intérieur, en février 2009, d’« évaluer et quantifier l’efficacité de la vidéoprotection ». En conclusion des travaux des trois corps d’inspection, un rapport confidentiel a été remis au ministre de l’Intérieur en juillet 2009. Mais selon M. Sebastian Roché, ce rapport ne respectait pas un certain nombre de règles méthodologiques. Les membres des corps d’inspection missionnés pour étudier l’impact de politiques de sécurité, sont dotés d’une formation essentiellement juridique et administrative, mais ils n’ont ni l’indépendance, ni les compétences techniques requises pour manipuler des données statistiques. Il en résulte que le gouvernement est dépourvu de tout outil d’évaluation de l’efficacité des politiques qu’il met en œuvre (240).

Au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie, des synthèses ont été réalisées, qui démontrent que le caractère dissuasif des systèmes de vidéosurveillance varie selon qu’ils sont mis en place dans des lieux fermés (où il est plus fort) ou dans des lieux ouverts (où il est plus faible). Toutefois, ces études ne révèlent que l’effet des dispositifs de vidéosurveillance tels qu’ils ont été déployés, mais elles n’indiquent pas quel serait leur effet s’ils avaient été déployés autrement.

En matière de politiques pénales, un autre exemple du manque de complémentarité entre les chercheurs et les acteurs de terrain a été fourni par Mme Valérie Sagant, ancienne conseillère chargée des « politiques publiques, pénales et de la recherche évaluation » de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, qui a déploré l’absence d’études sur l’impact des mesures mises en place pour prévenir la récidive (241). En effet, des taux différents de récidive ont été constatés selon la peine à laquelle une personne a été condamnée et selon les modalités d’exécution de cette peine. Il ressort de nombreuses études qu’une personne qui purge une peine d’emprisonnement ferme présente plus de risques de récidive qu’une personne qui purge une peine d’emprisonnement avec sursis, ou de travail d’intérêt général ou qui bénéficie en fin de peine d’une mesure de libération conditionnelle ou de placement sous surveillance électronique. Il serait toutefois utile de pondérer ces informations en fonction des profils des personnes condamnées et en fonction des mesures concrètes prises pour l’exécution de la peine (durée de placement sous surveillance électronique, degré du contrôle mis en œuvre par les services de probation et d’insertion, etc.). À cette fin, il conviendrait d’encourager le développement des suivis de cohortes (242).

Comme l’ont expliqué M. Philippe Robert, directeur de recherche au CNRS, et Mme Renée Zauberman, chercheur au CESDIP, l’analyse des statistiques des délinquances doit constituer une source d’information pour le décideur public (243). L’état 4001 ne permettant que de décrire les variations des délinquances liées au travail des services de police et de gendarmerie, et les enquêtes de victimation et de délinquance auto-reportée ne faisant que décrire les variations des délinquances indépendantes de l’activité des services de police et de gendarmerie, M. Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, a appelé à ne pas négliger les outils qui permettent de mesurer l’impact des politiques publiques au niveau national ou local (244).

Ce dernier a d’ailleurs déploré qu’il n’existe pas, en France, sur le plan institutionnel, de lieu d’élaboration de la stratégie de la police et de la gendarmerie. Aucun document n’est publié pour expliciter quelles vont être les grandes orientations de l’action policière durant les cinq ou dix années à venir. Les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales ont des missions essentiellement opérationnelles qui interfèrent avec les tâches qui peuvent leur être confiées en matière d’études prospectives et d’évaluation sur les moyens futurs de la lutte contre les délinquances.

Ces facteurs liés à l’organisation institutionnelle gênent le déploiement d’une évaluation indépendante. Les corps d’inspection qui auraient pu être des organismes d’évaluation, savent contrôler la conformité des politiques publiques mises en œuvre, mais ne savent pas évaluer leur impact. Alors même que ces corps d’inspection sont placés sous l’autorité du ministre de l’Intérieur, ils se sont vus investis de missions d’évaluation de l’impact des politiques menées par ce même ministre.

À l’inverse, au Royaume-Uni, une profonde réforme de l’organisation des services de police a été réalisée de façon à les doter d’un outillage intellectuel adéquat. Les institutions qui sont chargées de mettre en œuvre, sur le terrain, la lutte contre les délinquances et celles qui sont chargées de faire une recherche prospective sur les évolutions des délinquances et les moyens de les endiguer, sont dissociées. Au sein du ministère de l’Intérieur (« Home Office »), une direction définit le contenu des politiques publiques au niveau national, dont la mise en œuvre opérationnelle est largement assurée par les chefs des services au niveau local. Une direction distincte est chargée de l’évaluation, notamment en passant des marchés avec des entreprises privées ou avec des universités pour obtenir une expertise. S’il est vrai que la direction centrale influence la gestion opérationnelle locale à travers l’attribution des financements, il n’en reste pas moins qu’elle ne donne pas d’ordres opérationnels aux directions locales. Cela s’explique notamment par la formation des hauts fonctionnaires britanniques qui, plus souvent que celle de leurs homologues français, passe par une phase de recherche universitaire.

Au Royaume-Uni, il y a donc une administration centrale qui conçoit et oriente les politiques publiques au niveau national, et une administration décentralisée qui, au niveau local, dirige les opérations. De cette façon, la créativité n’est pas freinée par les interférences avec des exigences opérationnelles. Si l’on souhaite que la « tête » de l’administration « pense » les évolutions globales des services de police et de gendarmerie dans la durée, il faut lui laisser le temps de penser sur le long terme en l’affranchissant d’une gestion opérationnelle nécessairement instantanée et « court-termiste ».

Vos rapporteurs invitent à s’inspirer du modèle du Royaume-Uni, qui a su, au sein du Home Office, faire dialoguer continuellement l’administration et la recherche.

Il serait concevable de constituer ponctuellement des « task forces » pluridisciplinaires qui, associant chercheurs et fonctionnaires, tout à la fois établiraient les diagnostics et traiteraient les problèmes, comme l’a suggéré Mme Lorraine Tournyol du Clos, docteur en économie ayant longtemps travaillé au ministère de l’Intérieur (245). Évoquant le retard que connaît la France par rapport à un pays comme le Canada, Mme Lorraine Tournyol du Clos a regretté la dichotomie qui, en France, sépare la recherche de l’action publique. Par exemple, en matière de violences faites aux femmes, les données statistiques, pourtant précises et relativement abondantes, sont, selon elle, négligées par les responsables politiques dans le cadre de la mise en œuvre d’une politique de lutte contre les violences faites aux femmes encore embryonnaire.

Vos rapporteurs ont d’ailleurs noté avec satisfaction que ce dialogue entre le monde de la recherche et le monde politico-administratif pouvait être fructueux. Par exemple, les enquêtes régionales et biennales de victimation de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France (IAU-IDF), intitulées « Victimation et sentiment d’insécurité en Île-de-France », ont pu être utilisées pour proposer des dispositifs opérationnels au conseil régional d’Île-de-France, qui est le seul conseil régional en France à intervenir, depuis 1998, sur des questions de sécurité. L’IAU-IDF a formulé des préconisations sur la sécurité dans les transports dans la région francilienne, appelant à développer la vidéosurveillance et la présence humaine. Un protocole a été mis au point, qui s’impose aujourd’hui à l’ensemble des opérateurs de transport, et qui prévoit la création d’équipes de prévention et de sécurité dans les transports collectifs. L’IAU-IDF a également formulé des préconisations sur la sécurité dans les lycées franciliens, qui ont conduit à l’adoption par le conseil régional d’un protocole sur les conditions de visionnage des images captées par les dispositifs de vidéosurveillance mis en place dans les lycées (246).

3. Croiser les regards en encourageant le développement d’enquêtes de victimation régulières

La France accuse un retard méthodologique et scientifique d’environ trente ans par rapport aux pays occidentaux qui sont « leaders » en matière de mesure des délinquances. Les premières enquêtes de délinquance auto-reportée sont apparues il y a 70 ans et les premières enquêtes de victimation ont été menées il y a environ 40 ans aux États-Unis. En France, les premières enquêtes de victimation ont été conduites à la fin des années 1990 et les enquêtes de délinquance auto-reportée n’en sont qu’à leurs balbutiements (247).

a) Reconnaître aux enquêtes en population générale une place de premier ordre dans la mesure de certaines délinquances

Parmi les enquêtes en population générale figurent les enquêtes de victimation et les enquêtes de délinquance auto-reportée.

•  Les enquêtes de victimation

Dans leur rapport Sur la création d’un observatoire de la délinquance, nos collègues Christophe Caresche et Robert Pandraud ont regretté l’absence de confrontation des données issues de l’état 4001 avec les autres sources que représentent les enquêtes de victimation (248).

Ces dernières permettent d’appréhender la délinquance dite « à victime directe », comme les vols et agressions, mais pas la délinquance sans victime directe (par exemple les infractions à la législation sur les stupéfiants, sur l’immigration ou encore la fraude fiscale, etc.). Au sein de la délinquance à victime directe, le champ des enquêtes de victimation exclut encore les cas où la victime disparaît lors de l’infraction (homicide consommé) et ceux dont la définition juridique est trop difficile à traduire en langage courant (escroquerie, abus de confiance, etc.). Il se réduit donc aux cas où l’on peut formuler l’interrogation d’une manière qui a des chances d’être comprise à peu près de la même façon par les divers membres d’un échantillon, principalement les différentes sortes de vols, d’agressions et de dégradations.

Ces enquêtes permettent entre autres :

–  de construire des profils de victimes et de victimations de manière à faire réapparaître la complexité et la diversité des situations sociales cachées sous l’apparente homogénéité du statut de victime ;

–  d’observer les différentes combinaisons des victimations avec le sentiment d’insécurité ;

–  d’étudier les recours que les victimes exercent ou non auprès de différentes organisations, publiques ou privées, allant de la police aux compagnies d’assurance en passant par les fournisseurs d’équipements de sécurité.

Les enquêtes de victimation sont apparues aux États-Unis au milieu des années 1960, dans le cadre d’une commission d’enquête (249). La montée de la délinquance et la grande inquiétude face aux violences raciales ont contribué à leur développement dans ce pays. Dans les pays scandinaves, ce sont les problèmes générés par la consommation d’alcool qui ont conduit à la mise en place de telles enquêtes.

En France, la première enquête de victimation nationale a été réalisée par le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) en 1986, mais il a fallu attendre 1996 pour que l’INSEE intègre un module spécifique de victimation dans ses enquêtes permanentes sur les conditions de vie des ménages (EPCVM). Le but, à l’époque, n’était pas d’affiner la mesure de la délinquance mais de disposer, pour mesurer le bien-être des Français, d’un indicateur non économique.

Par la suite, d’autres organismes, comme l’IHESI (devenu INHES puis INHESJ) ont entrepris de développer des enquêtes de victimation. En 2007, l’INSEE a substitué au module de victimation de son enquête sur les conditions de vie des ménages une enquête de victimation à part entière : l’enquête « Cadre de vie et sécurité », réalisée en partenariat avec l’ONDRP. Dans son enquête sur la sexualité en France, l’Institut national d’études démographiques (INED) a repris certains questionnements de l’enquête nationale de victimation sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF). Plus récemment, à l’initiative de l’ONDRP, une enquête nationale de victimation en milieu scolaire a été menée en 2011 dans les collèges publics, avec le soutien du ministère de l’Éducation nationale et de M. Éric Debarbieux, délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, ancien directeur de l’Observatoire international de la violence à l’école.

Aujourd’hui, la plupart de nos voisins européens ont recours aux enquêtes de victimation (Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas…). L’importation de ce type d’enquêtes depuis les États-Unis et leur diffusion en Europe ont été facilitées par une relative uniformisation des domaines et des techniques d’enquête.

Vos rapporteurs estiment que les enquêtes de victimation, si elles ne permettent pas une quantification absolue de la délinquance, constituent néanmoins un complément utile des statistiques administratives.

Elles permettent en effet d’appréhender le phénomène de non-recours aux services de police. Aux États Unis et au Royaume-Uni, ces enquêtes sont utilisées depuis longtemps pour compléter les statistiques administratives (250).

Il est vrai que les enquêtes de victimation ont leurs limites. Elles sont en effet sujettes aux défaillances de la mémoire des victimes : ces risques de défaillances nécessitent d’interroger un nombre élevé de personnes à propos d’une période de temps relativement longue (251), ce qui contribue à faire des enquêtes de victimation des dispositifs lourds et relativement coûteux (252). À cet égard, tant M. Philippe Robert, directeur de recherche au CNRS (253), que M. Thomas Le Jeannic, chef de la mission « Conduite de l’action régionale » au sein du département de l’action régionale de l’INSEE (254), ont regretté que les contraintes financières aient conduit à réduire en France la taille des échantillons de population interrogés. Ces derniers se situent en général entre 15 000 et 17 000 personnes, ce qui apparaît un peu faible par rapport à la population française, et risque, selon M. Philippe Robert, de générer des résultats peu stables pour les infractions les moins courantes.

Qui plus est, selon M. Jean-François Herdhuin, « chacun n’évaluera pas de la même manière la gravité de ce qui lui est arrivé. Certains garderont un souvenir cuisant d’un vol de paillasson sur leur palier, d’autres garderont peu de souvenirs d’une bagarre entre automobilistes qui leur est arrivée six mois auparavant » (255).

Si « ces enquêtes de victimation ne peuvent être qu’une source parmi d’autres » (256), elles doivent néanmoins être valorisées et développées. M. Philippe Robert, directeur de recherche au CNRS, a indiqué que ces enquêtes étaient particulièrement utiles pour certaines délinquances à victime directe, comme les violences (257).

Lors de leur audition par la mission, les représentants du Syndicat de la magistrature, Mme Françoise Martres, présidente, et M. Éric Bocciarelli, secrétaire général, ont indiqué que le rapprochement des résultats d’enquêtes de victimation avec les statistiques policières et judiciaires avait permis de mettre en lumière les zones d’ombre entre la délinquance apparente, telle qu’elle ressort des statistiques administratives, et la délinquance réelle. Ainsi, seul un tiers des vols environ ferait l’objet d’une plainte, et seul un dixième des violences intrafamiliales seraient dénoncées (258).

En outre, vos rapporteurs ont pu constater que l’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF) avait contribué à donner une indéniable visibilité au phénomène.

L’ENQUÊTE NATIONALE SUR LES VIOLENCES ENVERS LES FEMMES EN FRANCE (ENVEFF)

Le principe de l’enquête ENVEFF a été arrêté à l’occasion de la 4e conférence mondiale sur les femmes, réunie à Pékin en 1995. Le rapport Les femmes en France, établi par notre pays en vue de cette conférence mondiale, demandait la réalisation de statistiques précises concernant les violences faites aux femmes. En effet, la France ne disposait jusqu’alors que de statistiques portant sur les violences déclarées du fait de démarches de femmes auprès des institutions. L’information statistique était parcellaire, chaque administration ne connaissant que celle liée à son activité. La mesure du phénomène rendait nécessaire la conduite d’une enquête à la fois spécifique, portant sur ce sujet précis, et générale, consacrée à la situation d’ensemble des femmes.

Commandée en 1997 par le service des droits des femmes, l’enquête ENVEFF constituait une réponse de la France aux recommandations de la conférence de Pékin. Coordonnée par l’Institut de démographie de l’Université Paris I (Idup), elle a été réalisée par une équipe pluridisciplinaire de chercheurs appartenant au CNRS, à l’INED, à l’INSERM et aux universités. L’enquête a été réalisée par téléphone de mars à juillet 2000, auprès d’un échantillon représentatif de 6 970 femmes âgées de 20 à 59 ans, résidant en métropole et vivant hors institutions. Afin d’établir une relation de confiance, les questions sur les actes de violence ne venaient qu’à l’issue d’un module recueillant des données contextuelles (caractéristiques familiales, économiques, sociales, résidentielles, etc.), des éléments biographiques et des informations sur l’état de santé. Le questionnaire a été conçu pour faire émerger progressivement les situations de violence et favoriser la remémoration d’événements parfois très anciens. La violence n’était jamais nommée, chaque module recueillant, pour les douze derniers mois, l’occurrence de faits non qualifiés de violents. L’enquête a aussi porté sur les violences les plus graves subies au cours de la vie.

L’enquête ENVEFF a permis de cerner le phénomène dans ses aspects multiformes - dans l’espace public, au travail, dans la famille - en prenant en compte l’ensemble des violences exercées envers les femmes d’âge adulte, quel qu’en soit l’auteur, dans la mesure où les violences envers les femmes étaient définies comme « toute violence fondée sur un rapport de force de domination avec un caractère physique ou mental ». Le champ de l’enquête était donc beaucoup plus large que celui des violences au sein du couple.

Comme l’a expliqué devant la mission la responsable de l’enquête ENVEFF, Mme Maryse Jaspard, socio-démographe, maître de conférences à l’Université Paris I – Panthéon-Sorbonne, chercheure associée à l’INED, les statistiques policières et judiciaires ne peuvent pas refléter la réalité des violences faites aux femmes, l’une des raisons étant que ces violences sont essentiellement exercées dans la sphère privée et par des proches, ce qui crée une pression constante sur la victime pour l’empêcher de porter plainte ou d’en parler. Seuls 10 % des violences envers les femmes feraient l’objet d’une plainte (259).

Mme Maryse Jaspard a fait part à la mission de la nécessité d’organiser de façon plus régulière des enquêtes de victimation sur les violences faites aux femmes. En l’état des choses, une quinzaine d’années séparent chaque enquête ENVEFF. S’il n’est pas nécessaire d’annualiser ce type d’enquêtes de victimation, compte tenu de leur coût élevé, il conviendrait néanmoins d’en conduire tous les cinq ou dix ans (260).

Vos rapporteurs ont noté que l’enquête sur les « Violences et rapports de genre » (VIRAGE) entendait répondre à cette attente (261), mais que ses instigateurs faisaient face aujourd’hui à des difficultés de financement (262).

La France accuse un certain retard pour ce qui est des enquêtes de victimation. M. Éric Debarbieux, délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, ancien directeur de l’Observatoire international de la violence à l’école, a indiqué à la mission qu’en matière de violences scolaires, des enquêtes de victimation annuelles étaient menées aux États-Unis depuis 1983 et qu’en Israël, de telles enquêtes étaient réalisées tous les deux ans. Ce n’est qu’au mois de mars dernier que la seconde enquête biennale de victimation a été conduite dans les collèges. Or les enquêtes de victimation d’ores et déjà menées en milieu scolaire ont révélé d’importants écarts par rapport aux statistiques administratives du ministère de l’Éducation nationale : alors que, selon les statistiques administratives, 0,03 % et 0,23 % des élèves sont victimes de racket et d’insultes, ce sont respectivement 6,5 % et 73,2 % des élèves qui subissent du racket et des insultes, d’après les données issues des enquêtes de victimation (263).

Vos rapporteurs appellent donc à ce que les statistiques administratives soient complétées par des enquêtes de victimation plus régulières.

M. Bruno Aubusson de Cavarlay a précisé que l’organisation de ces enquêtes en population générale devait relever de l’INSEE, qui dispose des compétences nécessaires pour conduire de telles enquêtes, tant en matière d’enquêteurs, de sélection des échantillons que de méthodologie (264).

Lors de son déplacement à l’ONDRP, le 14 février dernier, la mission a constaté que les agents de l’Observatoire souhaitaient unanimement le développement de l’enquête de victimation « Cadre de vie et sécurité », qui, selon eux, présente l’avantage d’échapper aux nombreux soupçons qui pèsent sur les statistiques produites par les forces de l’ordre. Le développement de cette enquête de victimation permettrait d’assurer un suivi maximal de l’évolution des délinquances sur le long terme. Actuellement disponible au seul niveau national, elle gagnerait en outre à être menée à l’échelle locale.

Préconisation n° 14 : encourager le développement d’enquêtes de victimation plus régulières et plus ciblées sur l’échelon local.

M. Alain Bauer, ancien président du conseil d’orientation de l’ONDRP, a abondé en ce sens, soulignant l’immense intérêt des enquêtes locales de victimation « qui ne [consistent] pas uniquement [à] envoyer un sondage, par papier, en attendant que quelques habitants le remplissent, mais qui [consistent à] faire un véritable travail d’enquête de terrain qui coûte de l’argent, qui nécessite des personnels qualifiés et qui nécessite bien évidemment un traitement et une analyse longue » (265). À l’instar de M. Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS (266), M. Alain Bauer a invité à investir davantage dans ces enquêtes locales de victimation dont seules quelques collectivités locales, comme le conseil régional d’Île-de-France, se sont dotées pour avoir une meilleure connaissance de la réalité des délinquances.

Vos rapporteurs ont eu l’occasion d’apprécier l’intérêt de l’enquête régionale de victimation menée par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France (IAU-IDF). En effet, depuis 2001, l’IAU-IDF produit, tous les deux ans, une enquête intitulée « Victimation et sentiment d’insécurité en Île-de-France » au cours de laquelle 10 500 Franciliens âgés d’au moins 15 ans sont interrogés, selon une répartition géographique correspondant au prorata de la population de chaque département dans la population régionale totale. La méthodologie de l’enquête n’a jamais été modifiée depuis 2001 et présente toutes les garanties requises en termes d’anonymisation des données et de déontologie. Les questions posées sont restées les mêmes depuis 2001, à ceci près que quelques questions nouvelles ont été introduites à la marge, dont deux sur l’impact de la vidéosurveillance. Par ailleurs, le « Velib’ » a été intégré parmi les modes de déplacement étudiés dans le cadre de l’enquête de victimation. Une septième enquête est en cours de réalisation depuis le mois de janvier dernier.

Comme l’ont montré Mme Sylvie Scherer, directrice du département « Mission études sécurité » de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France (IAU-IDF) et Mme Hélène Heurtel, chargée d’études, ces enquêtes biennales ont permis de collecter de nombreux éléments susceptibles de compléter utilement les statistiques administratives des délinquances, sans pour autant s’y substituer. Par exemple, il ressort de ces enquêtes qu’alors même que 42 à 47 % des Franciliens interrogés déclarent avoir peur dans les transports en commun, seuls 3 à 5 % d’entre eux font état de faits délictueux commis dans les transports en commun (267). Le sentiment d’insécurité des Franciliens dans les transports en commun apparaît donc disproportionné par rapport à la réalité de la délinquance dans ce type de transports.

D’autres enquêtes de victimation ont pu être menées par le passé, à un niveau infra-régional : ainsi à Épinay et Toulouse en 1989, Amiens en 1999, ou encore à Aubervilliers, Aulnay-Sous-Bois, Gonesse, Lyon et Saint-Denis en 2005.

•  Les enquêtes de délinquance auto-reportée

Les enquêtes de délinquance auto-reportée sont des études au cours desquelles on demande à des individus – généralement des jeunes – de fournir des informations à propos de leurs comportements délinquants. Les personnes enquêtées donnent souvent des informations non seulement sur la délinquance mais aussi sur leur style de vie en général, leurs attitudes concernant différents sujets, leur famille, leur école, leurs amis et de nombreux autres facteurs sociodémographiques. Par ailleurs, la notion de « délinquance » fait l’objet d’une interprétation large dans le cadre de ces enquêtes : elle recouvre toutes sortes de comportements « déviants » ou « antisociaux », même si ces derniers ne sont pas définis en tant qu’infractions par le droit pénal (fugues, école buissonnière, etc.).

Les enquêtes de délinquance auto-reportée sont nées à la fin des années 1940, lorsqu’on a commencé à interroger des échantillons de jeunes sur les méfaits qu’ils avaient commis. Depuis la décennie 1990, ces enquêtes sont utilisées de plus en plus fréquemment pour mesurer la délinquance juvénile.

Vos rapporteurs ont été sensibles à l’intérêt des enquêtes de délinquance auto-reportée dont M. Christophe Caresche et Robert Pandraud, dans leur rapport Sur la création d’un observatoire de la délinquance, vantent l’utilité. Si, selon les auteurs de ce rapport, elles ne peuvent pas être intégrées au processus de construction des statistiques générales de la délinquance, elles sont néanmoins particulièrement utiles pour expliquer les facteurs individuels et contextuels présidant à l’entrée dans la délinquance.

L’intérêt des enquêtes de délinquance auto-reportée est particulièrement prégnant en matière de délinquance juvénile, comme l’a montré l’enquête menée par M. Sebastian Roché auprès d’environ 2 300 adolescents de collèges et lycées (268). M. Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, a exposé devant la mission le processus de réalisation de cette enquête. Celui-ci commence par la définition d’une population-mère (par exemple, l’ensemble des mineurs âgés de 13 à 17 ans et scolarisés à Lyon et Grenoble). Il se poursuit par l’envoi aux personnes concernées d’un questionnaire élaboré conformément à des standards internationaux. Il s’achève par la mise en relation des réponses fournies avec des contextes de vie tels qu’ils sont décrits par l’INSEE (par exemple, les codes des « Îlots regroupés pour l’information statistique » ou « codes IRIS » relatifs au quartier des Minguettes à Vénissieux). En l’occurrence, il s’agissait d’examiner si le type de quartier dans lequel les jeunes vivaient interagissait avec le comportement délinquant de ces jeunes : était-ce le fait de vivre dans un environnement pauvre, malgré une certaine aisance personnelle, ou était-ce le fait d’être individuellement pauvre qui favorisait la délinquance ?

Ce type d’enquêtes, dont vos rapporteurs soulignent la pertinence et la qualité, exige souvent une autorisation spéciale de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), dont le délai de délivrance peut atteindre un an et mettre ainsi en péril les projets de recherche. Dans le cadre de ces travaux, il est essentiel d’étudier l’influence des contextes locaux sur les comportements individuels : il ne faudrait pas que la loi interdise totalement d’observer les phénomènes à un niveau aussi fin que celui d’un quartier, alors même que c’est à ce niveau que sont déterminés les comportements.

Vos rapporteurs encouragent la CNIL à entreprendre une réflexion sur les mesures à adopter pour faciliter la réalisation des enquêtes de délinquance auto-reportée sans pour autant atténuer le degré de contrôle de l’autorité administrative indépendante.

b) Confronter davantage les données policières et judiciaires à des données extra-pénales

Rappelant qu’aucune donnée n’est capable, à elle seule, de constituer une bonne mesure de la délinquance, M. Philippe Robert, directeur de recherche au CNRS, et Mme Renée Zauberman, chercheur au CESDIP, ont insisté, lors de leur audition par la mission, sur la nécessité de diversifier et de confronter les sources d’information (269).

•  Les statistiques autres que pénales

M. Philippe Robert a mis en exergue l’intérêt des données extra-pénales, dont le potentiel est, selon lui, trop peu exploité. Pourtant, elles fournissent des indications précieuses pour la mesure de la délinquance sans victime directe, au sujet de laquelle les statistiques administratives sont moins crédibles dans la mesure où elles ne comptabilisent que les affaires élucidées.

Ainsi, la statistique démographique des causes de décès tenue par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) constitue le meilleur indicateur en matière d’homicides : M. Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, a ainsi expliqué que les taux d’homicides en France variaient du simple au double selon qu’ils étaient mesurés par la police ou par l’INSERM. En effet, la police dénombre 50 % d’homicides de plus que l’INSERM, alors même que les homicides sont, parmi les faits de délinquance, ceux qui sont le mieux comptabilisés (270).

Les données de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) comme celles de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAM-TS) permettent de mieux comprendre l’évolution des homicides par imprudence, qu’il s’agit des décès liés à la circulation routière ou dus à des accidents de travail.

Par ailleurs, sans l’enquête « Événement de vie et santé » (EVS) de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) du ministère des Affaires sociales et de la Santé, sans l’enquête ESPAD (271), sans l’enquête HBSC (« Health Behaviour in School-aged Children »), sans l’enquête ESCAPAD (272), et sans le baromètre Santé (273), il n’existerait aucun indicateur crédible en matière de consommation de produits stupéfiants.

Tout en reconnaissant que les enquêtes en population générale ne couvrent qu’imparfaitement le champ des populations consommatrices, laissant dans l’ombre les consommateurs socialement intégrés qui gèrent leur consommation de façon à ne pas avoir affaire aux systèmes de soin, et tout en admettant que ces enquêtes peuvent être biaisées, les jeunes étant parfois conduits, par des effets d’entraînement, à surestimer leur consommation, Mme Maud Pousset, directrice de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies, a expliqué que ces enquêtes qui concernent les collégiens (pour l’enquête HBSC), les lycéens (pour l’enquête ESCAPAD) et les adultes (pour le baromètre Santé) permettaient de bénéficier d’un continuum statistique susceptible d’éclairer les comportements de dépendance tout au long de la vie et d’avoir ainsi une vision globalement juste de la consommation de produits psychoactifs (274).

Pour ce qui concerne la mesure, même indirecte, des délinquances liées au trafic de stupéfiants, Mme Maud Pousset a indiqué que des enquêtes conduites plus spécifiquement auprès de populations à risque pouvaient apporter un éclairage intéressant. Il en est ainsi de l’enquête nationale réalisée auprès des usagers des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogues (ENA-CAARUD) ou encore de l’enquête « Quanti-festif », réalisée dans les milieux festifs et alternatifs. Des enquêtes locales, conduites par le réseau « Tendances récentes et nouvelles drogues » (ou « TREND »), peuvent aussi permettre de mieux appréhender certaines réalités des délinquances liées au trafic de stupéfiants.

Pour ce qui concerne la mesure, même indirecte, des délinquances en zones urbaines, Mme Bernadette Malgorn, présidente du conseil d’orientation de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS), a indiqué que l’ONZUS exploitait les fichiers des caisses d’allocations familiales ou encore de Pôle Emploi – qui, d’après elle sont plus propices à une lecture territorialisée que les fichiers administratifs, et notamment policiers (275).

De la même façon, la fraude fiscale peut être appréhendée par le biais de la comptabilité nationale tenue par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), des contrôles opérés par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et des évaluations du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO).

Dans la contribution écrite qu’il a fournie à la mission, le Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) reconnaît qu’en promouvant une analyse « multi-sources », l’ONDRP a contribué à valoriser le rôle des données extra-pénales dans la mesure des délinquances. Toutefois, selon le CESDIP, « il s’agit toujours de relevés hétérogènes opérés par certaines administrations ou professions, pas d’une recherche systématique de termes de comparaison notamment en matière de criminalité sans victime où l’enquête de victimation est impuissante », et « on ne confronte pas systématiquement les données policières sur les stupéfiants aux enquêtes de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT), celles sur les homicides à la statistique sanitaire des causes de décès, celles sur la fraude aux finances publiques aux travaux du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), à ceux de l’INSEE sur la comptabilité nationale ou à ceux de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) » (276).

Vos rapporteurs appellent donc à confronter plus systématiquement les données issues des statistiques policières et judiciaires ou des enquêtes de victimation à toutes ces données extra-pénales.

•  Les enquêtes de satisfaction de la population

L’écart est parfois important entre les données de l’état 4001 et le ressenti de la population. Ce sentiment d’insécurité s’exprime notamment lors des réunions publiques avec la police.

Lors de son déplacement à la Préfecture de police de Paris, le 15 novembre 2012, la mission a constaté la nécessité de mettre en place un indicateur de satisfaction de la population à l’égard de l’activité des forces de l’ordre, à un niveau très fin, par circonscription. Cette demande a été réitérée par M. Claude Baland, directeur général de la police nationale, qui a fait état du besoin d’adjoindre un indicateur de satisfaction de la population aux statistiques administratives des délinquances. De fait, en France, contrairement aux pays anglo-saxons, les besoins de la population ne sont pas recueillis, sauf dans le cadre d’enquêtes diligentées par l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), qui interroge les personnes qui ont ou ont eu recours aux services de police. La mise en place des zones de sécurité prioritaires pourrait être l’occasion de constituer un indicateur de satisfaction de la population qui pourrait prendre la forme, selon les zones, de questionnaires aux habitants, de réunions régulières avec des familles identifiées, de sondage auprès des collégiens.

Pour M. Jean-Hugues Matelly, chercheur et officier de gendarme d’active, plutôt que d’évaluer les administrations sur le fondement de données qu’elles produisent elles-mêmes, comme y obligent les indicateurs chiffrés de performance fondés sur les données de l’état 4001 et imposés par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), il conviendrait de recourir à une enquête en population générale qui permette de mesurer l’efficacité des services (277).

C’est aussi le point de vue de M. Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS, pour qui des indicateurs devraient être développés pour mesurer la qualité des relations entre les services de police et de gendarmerie et la population, et notamment les minorités vivant dans des quartiers défavorisés (278).

Vos rapporteurs ont noté qu’un projet européen « Eurojustis » a permis de constituer, au profit des gouvernements des pays de l’Union européenne, des indicateurs de satisfaction de la population en matière de police et de justice. En outre, un projet franco-allemand, en cours de réalisation, vise à étudier les relations entre les services de police et les jeunes : des chercheurs ont observé pendant près de 500 heures la façon dont travaillent les services de police dans deux villes en France (Lyon et Grenoble) et en Allemagne (Mannheim et Cologne) – ce dont il ressort que le niveau de confiance dans la police allemande est supérieur au niveau de confiance dans la police française, notamment parce que le clivage majorité/minorité est moins marqué en Allemagne, alors même qu’y vit une forte minorité turque.

Au Royaume-Uni, parmi les indicateurs de résultat primordiaux qui sont assignés aux chefs des services de police locaux figure le taux de satisfaction de la population. Qui plus est, en application d’une loi portant réforme de la police, votée en 2011 (279), les Britanniques ont élu, pour la première fois, le 15 novembre 2012, des représentants de la société civile (« police and crime commissioners ») qui ont pris leurs fonctions le 22 novembre 2012 et devant lesquels les chefs des services de police locaux sont comptables de leur action – ce qui n’a pas été sans susciter des protestations de la part des chefs des services concernés, ni de vifs débats entre les différents partis politiques. Sans aller jusque-là, la France gagnerait à s’inspirer de la profonde réforme du système managérial des forces de police à laquelle son voisin britannique a procédé, même si tous les mécanismes mis en place outre-Manche ne peuvent être greffés tels quels dans notre pays.

Certaines villes anglaises ont mis en place un système de recueil des préoccupations des citoyens par les policiers eux-mêmes, puis de restitution publique des résultats de la police, comme l’a expliqué M. Christian Mouhanna, directeur-adjoint du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP).

Pour ce dernier, l’échelon local devrait être retenu pour la réalisation de ces enquêtes de satisfaction qui, faciles à mettre en œuvre et peu coûteuses, permettraient de savoir si les priorités assignées aux policiers, notamment en matière de consommation de produits stupéfiants et de séjour irrégulier, répondent bien aux principales préoccupations du public en matière de délinquance (280).

Selon M. Christian Mouhanna, si l’on considère la police comme un service au public, il faut alors évaluer la satisfaction du public et ouvrir la discussion. Dans certains pays européens, comme le Royaume-Uni ou la Belgique, où les services de police sont plutôt décentralisés, des enquêtes locales ont été confiées à des organismes de recherche ou à des associations équivalentes à l’UFC-Que Choisir.

Préconisation n° 15 : expérimenter, en plusieurs points du territoire, au niveau des circonscriptions de sécurité publique, des enquêtes de satisfaction de la population à l’égard de l’activité des forces de l’ordre, rendant notamment compte de la qualité de l’accueil et des conditions des dépôts de plainte.

CONCLUSION

Vos rapporteurs ont tenté, à travers le présent rapport, de tracer les lignes d’une production profondément rénovée des statistiques, tant policières que judiciaires. Pour disposer de données à la hauteur des enjeux de la délinquance, il est aujourd’hui indispensable de fiabiliser les procédures d’enregistrement et de collecte des statistiques. Vos rapporteurs appellent de leurs vœux la recherche de sources d’information toujours plus pertinentes et plus adaptées aux besoins de connaissance. S’il faut évidemment rénover l’état 4001 et affiner les statistiques judiciaires sur certains points, il faut impérativement saisir l’opportunité que représentent les nouveaux outils informatiques que déploient le ministère de l’Intérieur comme celui de la Justice, qui sont l’avenir de la statistique pénale. Cependant, vos rapporteurs ne s’arrêtent pas là et préconisent la mise en place d’un service statistique dédié aux politiques de sécurité au sein du ministère de l’Intérieur, associé à un renforcement du contrôle interne, qui semble incontournable pour parvenir à l’établissement des données policières et gendarmiques solides.

Ce service statistique ministériel aura, entre autres missions, celle de diffuser chaque mois auprès des forces de l’ordre et auprès des élus, locaux comme nationaux, les chiffres des crimes et délits constatés par les services de police et les unités de gendarmerie, déchargeant ainsi l’ONDRP de cette tâche. L’information des élus titulaires d’un mandat national sur les statistiques des délinquances devra s’accompagner d’un renforcement de leur pouvoir de contrôle. Ainsi, le président du conseil d’orientation de l’ONDRP devra être désigné par les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, devant lesquelles il aura à rendre compte régulièrement des actions de l’Observatoire, notamment celles menées avec ses homologues européens et internationaux. Le président du conseil d’orientation sera appelé à présider également le conseil scientifique dont l’ONDRP devra être doté afin de contrôler la rigueur de ses travaux, qui devront par ailleurs être soumis à l’examen critique et aux débats de chercheurs associés ayant des profils et des compétences variés.

Un grand pas aura été fait quand la production des statistiques policières aura été rénovée et fiabilisée par la création d’un service statistique dédié aux politiques de sécurité au sein du ministère de l’Intérieur et quand la méthode d’analyse des statistiques des délinquances fera l’objet d’un consensus au sein du monde politique, de la sphère administrative et de la communauté scientifique. Une synergie nouvelle entre la recherche et l’action publique permettra d’orienter de façon constructive, efficace et opérationnelle les politiques publiques en matière pénale. Vos rapporteurs forment le vœu que leurs propositions, aussi ambitieuses qu’elles apparaissent, soient considérées comme nécessaires, ne restent pas lettre morte et fassent l’objet d’une mise en œuvre concrète et rapide, à court ou moyen terme.

EXAMEN DU RAPPORT EN COMMISSION

La séance est ouverte à 9 heures 30.

Présidence de M. Dominique Raimbourg, vice-président.

La Commission procède à l’examen du rapport de la mission d’information relative à la mesure statistique des délinquances et de leurs conséquences (MM. Jean-Yves Le Bouillonnec et Didier Quentin, rapporteurs).

M. Dominique Raimbourg, président. Chers collègues, nous allons d’abord examiner le rapport de la mission d’information relative à la mesure statistique des délinquances et de leurs conséquences.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je remercie mon collègue Didier Quentin, dont j’ai apprécié l’assiduité et avec qui j’ai travaillé dans des conditions optimales. Après plusieurs mois de travail, je souhaiterais vous présenter les principales conclusions de ce rapport réalisé en commun. Je vous invite d’ores et déjà à lire les contributions de M. Didier Quentin et de M. Philippe Goujon, qui y sont annexées.

Je souhaiterais tout d’abord vous faire part du constat réaliste, mais sévère, que nous avons pu tirer des nombreuses auditions que nous avons menées – la mission a entendu une centaine de personnes : policiers, gendarmes, magistrats, greffiers, personnels pénitentiaires, responsables politiques, chercheurs, sociologues, statisticiens, démographes, etc. –, mais également des déplacements que nous avons faits.

Le premier constat que la mission a pu tirer est que l’état 4001, qui est la principale source de données statistiques utilisée pour mesurer les délinquances, est un instrument totalement obsolète et, par nature, imparfait.

Cet outil ne mesure nullement les délinquances : il mesure l’activité des services de police et de gendarmerie, et encore ne le fait-il que très imparfaitement. L’état 4001, alors que nous sommes entrés dans l’ère des nouvelles technologies depuis une décennie, ne peut être considéré comme fiable. Il ne donne pas, en lui-même, un éclairage sur l’évolution des délinquances, pas plus qu’il n’est un outil pertinent de mesure de l’activité des services.

L’état 4001 ne comptabilise pas, par exemple, la délinquance routière ; le dernier de ses 107 index est un véritable « fourre-tout », qui recense notamment les dernières évolutions législatives ; l’état 4001 ignore également les nouvelles pratiques criminelles, dont certaines ne peuvent être isolées à partir de ses index ; il n’éclaire pas le fameux « chiffre noir » de la délinquance, ces infractions qui ne sont pas portées à la connaissance des services de police et de gendarmerie et qui pèsent pourtant sur la vie de nos concitoyens ; il ne permet pas non plus de faire état des facteurs exogènes qui président à l’évolution des chiffres de la délinquance.

Il serait trop long de passer en revue toutes les failles de cet outil. Pour l’essentiel, nous pouvons insister sur le fait que son champ est partiel : les infractions routières, comme les contraventions de la 5e classe, ne sont pas comptabilisées par l’état 4001. Par ailleurs, cet outil laisse une place trop grande à l’humain, et est donc susceptible de faire l’objet d’erreurs de comptabilisation, d’erreurs techniques voire, dans de nombreux cas, de manipulations.

Mais le problème réside aussi dans le fait que l’état 4001 sert de base à la mesure de la performance des services. De fait, il est très facile de lui faire dire ce que l’on veut : en prenant une main courante plutôt qu’une plainte, en comptant une contravention plutôt qu’un délit, en omettant d’intégrer certains procès-verbaux, en les comptabilisant sous un mauvais index, en augmentant sensiblement les infractions révélées par l’activité des services, qui assurent un bon taux d’élucidation, etc. Il existe mille façons de rendre imparfaite et inexacte la compilation des données.

Je n’ignore pas que M. Didier Quentin, vice-président et co-rapporteur, a une opinion plus nuancée en ce qui concerne ces possibles manipulations. Mais il ne peut contester que le rapport traduit ce qui nous a été dit par la majorité des personnes entendues. À tout le moins nous accordons-nous sur le fait que cet outil, qui peut être manipulé, n’est pas un outil satisfaisant. Or, l’absence d’un contrôle interne solide – en ce qui concerne la police nationale – ne permet pas de remédier à ces biais.

Les statistiques judiciaires, sur lesquelles porte également le présent rapport, soulèvent des problèmes quelque peu différents, mais tout aussi réels.

En lieu et place d’un outil unique, on trouve ici plusieurs outils : les cadres du parquet remplis par les juridictions, le casier judiciaire national, les données issues des logiciels de l’administration pénitentiaire – APPI pour le milieu ouvert, GIDE pour le milieu fermé.

Ces différentes sources ne communiquent pas, si bien qu’il est difficile d’en tirer autre chose que des informations isolées. Par ailleurs, ces statistiques éclairent surtout les processus à l’œuvre au sein de l’institution judiciaire, c’est-à-dire les différentes étapes de la procédure judiciaire. De fait, elles ne fournissent que des indications limitées sur les individus eux-mêmes, parce qu’elles n’ont pas été conçues pour cela.

Au-delà, le problème se situe également dans l’absence d’appréhension de la chaîne pénale dans son ensemble. Les statistiques policières et judiciaires ne parlent pas le même langage, si bien qu’il est difficile de comprendre les trajectoires individuelles, et donc les délinquances, par ce biais.

Pour remédier aux problèmes identifiés au cours de leurs travaux, vos rapporteurs ont formulé plusieurs recommandations. La plus forte est sans nul doute celle qui concerne la mise en place d’un service statistique dédié aux politiques de sécurité au sein du ministère de l’Intérieur. Quoique l’on en dise, l’ONDRP ne joue pas le rôle d’un service statistique ministériel, même après les évolutions notables dont il a fait l’objet au cours des deux dernières années : il n’a aucun accès aux données brutes, ni aucune possibilité de les contrôler. Pour fiabiliser les données issues des forces de l’ordre, un service répondant aux critères établis par le code européen de bonnes pratiques – que vous trouverez en annexe au rapport –, un service statistique ministériel est absolument nécessaire. Cela permettra aussi de replacer l’ONDRP dans le rôle qui doit être le sien : l’analyse de la chaîne pénale dans son ensemble, et de couper définitivement le lien qui existe entre cet observatoire et le ministère de l’Intérieur.

Ensuite, vos rapporteurs ont proposé la rénovation de l’état 4001, qui a perdu sa pertinence. En effet, s’il est clair que les nouveaux logiciels de la police et de la gendarmerie offrent des perspectives intéressantes dans ce domaine, ils montent en charge laborieusement. Il faut prendre garde à ne pas « casser le thermomètre » : même si, à terme, la police et la gendarmerie devront nécessairement se doter d’un outil commun plus complet et plus directement opérationnel, l’état 4001 doit être conservé, pour assurer la continuité statistique. Vos rapporteurs proposent ainsi un certain nombre de modifications de l’état 4001 qui, sans jamais nuire à la continuité statistique, en feront un outil plus performant. Nous prenons acte des initiatives prises en ce sens par le ministère de l’Intérieur.

Enfin, vos rapporteurs souhaitent également que les statistiques judiciaires en disent plus sur les individus et leurs parcours et qu’elles puissent enfin communiquer entre elles, mais aussi avec les statistiques policières.

Sur ce point particulier, les nouvelles applications en cours de développement ou de déploiement – Chaîne applicative supportant le système d’information orienté procédure pénale et enfants (CASSIOPÉE), Gestion nationale des personnes écrouées pour le suivi individualisé et la sécurité (GENESIS), Logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN), etc. – sont porteuses d’espoir. Pour la première fois, les applications policières et judiciaires pourront échanger des données ; un système d’information décisionnel (SID), pour la Justice, collectera et harmonisera les données issues de tous ses systèmes d’information pour en faire de réels outils de décision. Il est probable que ces nouvelles bases de données donneront un aperçu plus fiable des délinquances et de leurs conséquences et alimenteront des analyses plus riches et plus pertinentes.

Si vous le voulez bien, Monsieur le Président, je cède maintenant la parole à M. Didier Quentin, qui aborde quant à lui les préconisations de la mission en ce qui concerne l’analyse des statistiques des délinquances et l’ONDRP.

M. Didier Quentin, rapporteur. Cher collègue, je vous remercie pour l’excellent climat que vous avez fait régner au sein de la mission. Je débuterai mon propos par l’exposé de mes quelques désaccords, avant d’aborder tous les points qui font l’objet de mon entière approbation.

Comme vous l’avez indiqué, je ne partage pas le choix qui a été fait de retenir certains termes – comme « manipulation », « soupçon » ou « suspicion » – au sein du présent rapport. Certes, ils ont été employés au cours de nos auditions pour qualifier les dysfonctionnements qui, dans un passé récent, ont pu exister dans la production des statistiques administratives, et notamment policières. Je regrette d’ailleurs que, si de telles manipulations ont existé, les personnes qui en avaient connaissance n’aient pas eu le courage de les dénoncer plus tôt !

Ces termes laissent à penser que des pratiques critiquables auraient été le fait de l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale, sous l’impulsion de responsables politiques. Or, de mon point de vue, il s’agit plutôt de pratiques marginales, relevant de comportements isolés que l’on ne saurait, sans excès, généraliser et qui ne résultent pas d’une « culture du chiffre » érigée en système. À ce propos, je rappellerai que, selon une formule connue, les chiffres ne mentent pas, mais les menteurs chiffrent ! Tout l’objectif de notre travail est de parvenir à un consensus. En tout état de cause – et c’est ainsi que j’ai abordé notre mission –, il importe de se tourner résolument vers l’avenir, plutôt que de faire le procès du passé.

En dehors de ces réserves, je tiens à souligner que je partage les constats et les propositions du présent rapport, particulièrement en ce qui concerne l’analyse des statistiques des délinquances et le rôle, qu’en toute indépendance, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) devrait jouer en la matière.

Je rappelle que notre rapport s’inscrit dans la continuité des travaux consensuels menés par nos collègues Christophe Caresche et Robert Pandraud – j’ai eu l’occasion de travailler avec ce dernier par le passé et je salue sa mémoire.

Aujourd’hui, l’indépendance de l’ONDRP n’apparaît pas pleinement garantie, en raison de son rattachement à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), qui est placé sous la tutelle du Premier ministre, et du lien privilégié que l’Observatoire entretient avec le ministère de l’Intérieur.

Vos rapporteurs suggèrent donc que l’ONDRP soit rattaché au Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP), dont Mme Yannick Moreau, présidente de section au Conseil d’État, a préconisé la création en décembre 2012. Ce commissariat pourrait encourager les synergies et les efforts de coordination entre les observatoires locaux ou sectoriels des délinquances, dont Jean-Yves Le Bouillonnec et moi-même avons constaté la multiplication.

Par ailleurs, l’ONDRP gagnerait en indépendance si le président de son conseil d’orientation était désigné, non plus par le pouvoir exécutif, mais par les commissions compétentes du Parlement, et s’il venait ensuite leur rendre compte régulièrement des travaux menés par l’Observatoire, et notamment de ses actions au niveau européen et international, pour harmoniser et approfondir, dans la mesure du possible, les bonnes pratiques en matière de production et d’analyse des statistiques des délinquances. Nous autres parlementaires sommes, en effet, insuffisamment informés sur ces questions.

Le président du conseil d’orientation de l’ONDRP aurait également vocation à présider le conseil scientifique que nous appelons de nos vœux. L’Observatoire n’est pas encore parvenu à devenir le lieu de rassemblement des chercheurs qu’il devrait être. Le doter d’un conseil scientifique, composé de chercheurs et de statisticiens, permettrait de mieux contrôler la rigueur de ses travaux dont pourraient débattre des chercheurs associés à l’ONDRP, dans le cadre d’une structure relativement souple.

La création de ce conseil scientifique, en appui duquel viendraient des chercheurs aux profils et aux compétences variés, nous paraît nécessaire. Aujourd’hui, en matière de mesure des délinquances, les savoirs sont parcellaires et relèvent d’administrations diverses et d’organismes spécialisés, et souvent cloisonnés.

Ces savoirs seraient utilement complétés par des enquêtes de victimation plus régulières et davantage ciblées sur l’échelon local. Ces enquêtes permettent d’appréhender sous un autre angle la mesure des délinquances, telle qu’elle résulte des données statistiques « brutes » des administrations. Au cours des travaux de la mission, vos rapporteurs ont pu apprécier l’intérêt des enquêtes de victimation, comme l’enquête « Cadre de vie et sécurité », réalisée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), en partenariat avec l’ONDRP. De son côté, l’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF) a contribué à donner une indéniable visibilité à ce phénomène mal quantifié et donc mal connu.

Les statistiques administratives des délinquances gagneraient à être confrontées, non seulement aux enquêtes de victimation, mais aussi à des données extra-pénales, comme des enquêtes de satisfaction de la population à l’égard de l’activité des forces de l’ordre. Ces enquêtes, nombreuses au Royaume-Uni, sont trop rarement réalisées en France, alors qu’elles pourraient apporter un éclairage intéressant sur les statistiques policières et judiciaires. Vos rapporteurs appellent donc à expérimenter, en plusieurs points du territoire, au niveau des circonscriptions de sécurité publique, des enquêtes de satisfaction de la population, rendant notamment compte de la qualité de l’accueil et des conditions des dépôts de plainte.

Les propositions que nous faisons ont pour but de favoriser l’émergence d’un consensus autour de la méthode d’analyse des statistiques des délinquances. Celle-ci pourrait être enrichie, diversifiée et rendue plus exploitable, afin de mieux définir et orienter l’action publique en matière de sécurité.

La promotion d’une analyse « multi-sources », ancrée dans une étude des évolutions sur le long terme, s’inscrit dans une perspective d’amélioration, aussi bien de la recherche sur les délinquances, que de l’évaluation des politiques publiques en matière de sécurité. L’analyse des statistiques des délinquances doit être au service de l’action publique et ne pas perdre de vue les enjeux opérationnels. À cet égard, le Royaume-Uni a su mettre en place des dispositifs de dialogue continu entre l’administration et la recherche. Vos rapporteurs ont pu constater qu’en France aussi, il existait des exemples de collaboration fructueuse entre le monde de la recherche, le monde politique et la sphère administrative. Mais ces exemples sont trop rares, alors même que l’analyse des statistiques des délinquances doit constituer une source d’information essentielle pour le décideur public.

Les propositions que mon collègue Jean-Yves Le Bouillonnec et moi-même formulons tendent à renforcer les interactions entre des mondes, des organismes et des administrations qui, aujourd’hui, s’ignorent trop. Cette méconnaissance réciproque nuit à l’efficacité des politiques publiques en matière de sécurité. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons vivement que nos préconisations, aussi ambitieuses que nécessaires, ne restent pas lettre morte et fassent l’objet d’une mise en œuvre concrète et rapide, à court ou moyen terme. C’est par cet appel du 24 avril que je conclus les travaux de cette mission ! J’insiste également sur la nécessité d’assurer la continuité statistique et de mettre en œuvre les 15 propositions que nous formulons qui, nous l’espérons, seront les « 15 qui gagnent » !

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Pour compléter les propos de mon collègue Didier Quentin, j’ajouterai que les statistiques des délinquances, aujourd’hui imparfaites et très insuffisantes, donnent lieu à des commentaires généralement peu éclairés. Il faut bannir le chiffre unique, qui n’a aucune pertinence. Il ne signifie rien, car il compile des éléments partiels. Comme il est dit dans le présent rapport, il additionne des éléphants et des chaises au motif qu’ils ont chacun quatre pieds ! Il faut que la classe politique, les praticiens, les médias le bannissent absolument.

Il faut aussi que les données soient fiables et que l’analyse s’inscrive dans le temps. Toutes les personnes entendues par la mission nous l’ont dit : des comparaisons dans le temps sont indispensables à la compréhension. Mais il faut également contrôler ces données. L’une des carences de l’ONDRP réside précisément dans le fait qu’il n’a pas la possibilité de contrôler les données sur lesquelles il se fonde pour mesurer la délinquance. Or, aucun statisticien ne peut travailler s’il ne peut vérifier la qualité des données. J’en veux pour preuve les propos du président de l’Autorité de la statistique publique qui, devant la mission d’information, a balayé les travaux de l’ONDRP d’un revers de la main : ils ne répondent pas aux critères de la statistique publique.

L’acteur public perd une bonne partie d’intelligence et de connaissance en ne s’assurant pas de la fiabilité et de la qualité de ses instruments d’évaluation de la délinquance. C’est pourquoi nous souhaitons que les administrations et les acteurs concernés s’approprient les préconisations de ce rapport.

M. Philippe Goujon. Je voudrais expliquer pourquoi j’ai apporté, en tant que membre de la mission d’information, une contribution écrite à ce rapport et pourquoi je voterai contre sa publication même si je considère qu’il est d’une grande qualité. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail réalisé par les deux rapporteurs. Ce rapport permettra sans nul doute d’améliorer la collecte et le traitement des statistiques. C’est la raison pour laquelle je souscris à nombre de ses conclusions et de ses propositions.

Personne ne conteste que l’état 4001 est obsolète et a besoin d’une reconstruction, et qu’il faut repenser l’interconnexion des statistiques policières et judiciaires, pour avoir une vision réelle de la chaîne pénale dans sa totalité, de la caractérisation de l’infraction aux suites pénales qui y sont données et à l’exécution de la peine si elle est prononcée. Le rapport ne propose d’ailleurs aucun changement quant au point de départ des statistiques, l’enregistrement de la plainte effectué par les policiers et les gendarmes. C’est l’enquête nationale de victimation, instaurée en 2007, qui en a révélé les dysfonctionnements et a permis de donner des orientations pour mieux mesurer la délinquance.

Je partage les propositions, consensuelles, visant à la création d’un infocentre regroupant les statistiques issues de la police et de la gendarmerie, au développement d’enquêtes de victimation plus ciblées sur l’échelon local, à l’amélioration des statistiques judiciaires intégrant le profil socioéconomique des auteurs ainsi que leur parcours judiciaire.

Il est toutefois regrettable que la qualité du travail d’analyse technique mené par la mission, dont sont issues les pistes d’évolution avancées par le rapport, soit largement altérée par des considérations polémiques, voire politiciennes, qui laissent supposer que les statistiques étaient jusqu’à présent manipulées, portant ainsi le discrédit sur les fonctionnaires de police et de gendarmerie.

Je regrette l’emploi de termes péjoratifs qui donnent une vision négative de ceux qui élaborent les statistiques des délinquances, opportunément extraits de l’audition de certaines personnalités qui n’étaient pas toutes sans parti pris. J’en citerai quelques-uns : « outils sous influence », « course aux chiffres », « Sarkomètre », « pression de haut en bas de la chaîne policière », « les statistiques comme outil d’occultation de la réalité de la délinquance », « état 4001, un outil aisément manipulable », « données sur lesquelles pèse le soupçon ». Je déplore aussi qu’aucun membre du conseil scientifique de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) n’ait été entendu par la mission d’information.

Cette terminologie à charge, qui mélange critiques objectives et passages politiques, ne me permet pas de valider le rapport en l’état.

Je suis en désaccord avec un certain nombre de propositions, telles que la création d’un service statistique propre au ministère de l’Intérieur, qui fait figure de mesure phare du rapport. Je rejoins d’ailleurs sur ce point la position du ministre de l’Intérieur. Cela constituerait une régression paradoxale : on conteste l’indépendance de l’observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), né à la suite des recommandations de nos collègues Christophe Caresche et Robert Pandraud, et au nom de cette volonté d’indépendance, on lui retire ses missions. Cela aboutirait à réintégrer entièrement le traitement des statistiques des délinquances au sein du ministère de l’Intérieur ! La bonne proposition aurait été de renforcer l’indépendance de l’ONDRP en y rattachant le centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) et le service statistique du ministère de la Justice, et d’améliorer le recueil des statistiques par les ministères de l’Intérieur et de la Justice. J’ajoute qu’aucun recrutement n’a été envisagé pour répondre à la création d’un service statistique propre au ministère de l’Intérieur, que le ministre, comme je l’ai dit, ne souhaite pas.

Le rapport remet en question l’existence de l’ONDRP comme en témoignent les nombreux qualificatifs péjoratifs utilisés – « structure dépendante », « bilan contesté », « indépendance sujette à caution ». En réalité, les motifs de cette offensive sont moins à rechercher dans son bilan que dans le fait qu’il a été mis en place par le précédent Gouvernement. Son nouveau directeur, nommé par la majorité au pouvoir aujourd’hui, a rappelé les raisons pour lesquelles cet établissement public doit être considéré comme un service de statistiques publiques à part entière.

En effet, l’ONDRP publie des travaux issus soit d’enquêtes statistiques, soit de données administratives issues des ministères de l’Intérieur ou de la Justice. Ces productions sont des statistiques publiques et il serait pertinent que ces statistiques fassent l’objet d’une labellisation et soient reconnues en tant que telles par l’Autorité de la statistique publique.

Je m’oppose également à la suppression de la publication mensuelle des statistiques, indispensable tant pour les acteurs de la sécurité que pour l’opinion publique et qualifiée à tort, me semble-t-il, d’analyse « court-termiste ». Réserver la publication de ces statistiques à quelques chercheurs ou spécialistes ne me paraît pas opportun. Elles doivent être portées à la connaissance de l’ensemble des acteurs de la sécurité et du public. Dans certains pays, la publication de ces statistiques peut être hebdomadaire : c’est le cas à New York.

Si les agrégats ont remplacé le chiffre unique, celui-ci doit tout de même continuer à être publié – avec toutes les réserves qu’il convient de prendre  – pour permettre la comparaison des séries statistiques sur de longues périodes. Il est nécessaire de maintenir la continuité de la comparaison dans le temps.

Je ne pense pas que les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) puissent palier la disparition de cette publication mensuelle, ces organes ne se réunissant pas suffisamment souvent.

Enfin, le rapport ne prévoit pas de solution concrète pour remédier aux problèmes rencontrés par la troisième version du logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) qui se met en place plus lentement que prévu. Il n’est en effet disponible que dans trente départements à l’heure actuelle. Le rapport ne formule pas davantage de recommandation pour répondre à la difficulté posée par la nécessité de procéder à une seconde saisie des données au sein d’un répertoire distinct dans ce logiciel pour en permettre le croisement.

Rien n’est dit non plus sur la mise en conformité des données statistiques françaises avec certains indicateurs des statistiques internationales. Le ministre de l’Intérieur avait pourtant jugé cette piste intéressante lorsque je l’avais évoquée devant lui.

En conclusion, même si ce rapport formule d’intéressants diagnostics et propose d’utiles pistes d’évolution, il donne le sentiment de vouloir disqualifier l’ONDRP, et laisse entendre que les gouvernements précédents auraient orchestré une manipulation, ce qui lui fait perdre de sa crédibilité.

M. Éric Ciotti. Je ne souhaite remettre en cause ici ni la qualité du travail de la mission d’information, ni la sincérité des rapporteurs, mais je m’interroge sur les objectifs poursuivis par cette mission, dont les conclusions viennent de faire l’objet d’une dépêche AFP, intitulée Une mission parlementaire met en cause l’outil de mesure de la délinquance, avant même que notre réunion ne commence. Je ne sais pas si le rapporteur est responsable de cette situation, mais elle est regrettable.

Le rapport qui nous est présenté est à charge, inutilement polémique et très politicien. Il porte sur l’outil statistique et sa gestion par la précédente majorité mais il a surtout pour objectif de jeter le discrédit sur la politique de sécurité menée par celle-ci, et d’anticiper sa remise en cause et celle des indicateurs permettant d’en évaluer les résultats.

Certaines des propositions sont recevables. Par exemple, on ne peut effectivement que souhaiter le rapprochement des chiffres provenant de la police et de la gendarmerie nationales de ceux émanant de l’autorité judiciaire, afin d’obtenir une vision de la chaîne pénale dans sa continuité. Mais de nombreuses autres propositions se traduiraient par un recul en matière de transparence des chiffres de la délinquance : comme cette dernière augmente fortement, ce que constatent tous les acteurs du système de répression, le Gouvernement veut masquer cette réalité, et la mission d’information formule des préconisations allant dans ce sens.

Je suis résolument opposé à la suppression de la publication mensuelle des chiffres de la délinquance : on ne peut dissimuler la réalité dans ce domaine quand on prône la transparence par ailleurs ! Même si le rapport prétend ne pas vouloir casser l’état 4001, il traduit une volonté de dissimulation évidente.

Comme Philippe Goujon, je vois une contradiction entre l’idée, défendue par le rapport, d’accorder une plus grande indépendance à l’ONDRP et la volonté de doter le ministère de l’Intérieur, juge et partie en la matière, de son propre outil statistique.

Je veux d’ailleurs dénoncer avec force le fait que, alors que nous sommes le 24 avril, les chiffres de la délinquance du mois de mars n’aient toujours pas été publiés. Il faut que la Commission demande leur publication au cours des premiers jours du mois suivant celui sur lequel elles portent. Depuis quelque temps, on assiste chaque mois à un retard plus grand dans leur publication, et les données disponibles sur le site de l’ONDRP sont souvent illisibles. Pourquoi ces chiffres ne sont-ils plus publiés ? Quelle évolution constatée en mars veut-on nous cacher ?

Pour toutes ces raisons, je voterai contre ce rapport.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je vous rappelle, mes chers collègues, que la Commission ne se prononce que sur la question de la publication du rapport, non sur son contenu.

M. Dominique Raimbourg. Il n’est pas étonnant qu’après dix années de polémique sur la question des statistiques des délinquances, on ne puisse aborder la question sans que la polémique renaisse.

L’état 4001 n’a jamais été un outil statistique. C’est l’outil de la mesure d’une activité. Aussi, il est évident que tout chef de service est tenté de démontrer que son service est particulièrement actif. Il n’est pas rare que des commissaires de police aient eu tendance à « gonfler » quelque peu artificiellement leurs statistiques lorsqu’ils considéraient que les chiffres du mois n’avaient pas été suffisamment bons. Pour augmenter les chiffres relatifs à l’activité du service, on procédait à quelques arrestations pour usage de stupéfiants ou racolage passif.

L’état 4001 est par conséquent nécessairement insatisfaisant et ne constitue pas un outil statistique. Il l’est d’autant moins qu’il n’existe pas une mais des délinquances et que cela nécessite une appréciation fine. Si les violences augmentent, cela peut signifier que le nombre de plaintes, pour violences intrafamiliales par exemple, augmente. Si les infractions à la législation sur les stupéfiants augmentent, cela peut vouloir dire que les services sont plus efficaces. Il me semble donc nécessaire de sortir de cette polémique.

Notre collègue Éric Ciotti craint que cela constitue une remise en cause de la politique sécuritaire du précédent Gouvernement. À l’évidence, c’est le cas parce que cette politique n’a pas fonctionné. Il faut insister sur ce point et mettre en place une politique sécuritaire qui fonctionne et qui n’instrumentalise pas la peur. Que l’on prenne en considération la peur de nos concitoyens lorsqu’elle existe ou qu’elle correspond à des faits, voire à des fantasmes, est compréhensible. Que l’on instrumentalise la peur est en revanche nuisible pour l’ensemble des forces politiques de notre pays.

Si ce rapport pouvait être l’occasion de faire disparaître l’instrumentalisation, il aurait alors accompli un travail tout à fait salutaire.

M. Jacques Bompard. Je voudrais faire deux réflexions. Il me semble que le travail de la mission a porté sur la qualité de l’outil. Or, un outil est toujours perfectible et personne ne peut s’opposer à son amélioration. En revanche, un outil n’a de sens que lorsqu’il est entre les mains d’un utilisateur, dont la responsabilité est extrêmement importante. Je crois qu’il faut tenir compte de cela et ne pas oublier qu’il n’est pas possible de faire disparaître la volonté de manipulation des chiffres lorsqu’elle existe et ce, quel que soit l’utilisateur.

Il me paraît regrettable que l’on supprime les rapports mensuels de la délinquance. Il n’est en effet pas bon de « casser le thermomètre », qui est un outil relativement objectif s’agissant de la question qui nous occupe, et de se priver de séries statistiques permettant de suivre l’évolution des données au fil du temps.

Ma deuxième réflexion porte sur le poids de la police municipale, qui me paraît être de plus en plus important. Or, son travail n’est pas évoqué ici. Pourtant, compte tenu de l’accroissement de son rôle, il me semble qu’elle devrait prendre toute sa place dans la présente réflexion.

M. Pascal Popelin. Je tiens à saluer le travail de la mission d’information, et d’abord celui des rapporteurs. C’est un sujet sensible, c’est vrai ; si la commission des Lois a décidé de lui consacrer une mission d’information, c’est justement parce que c’est un vrai sujet.

Je vous signale que les termes que vous contestez sous la plume des rapporteurs ne sont que les expressions utilisées par les personnes qui ont été entendues, entre lesquelles nous n’avons pu que constater de fortes convergences. On ne peut pas contester le retard méthodologique de notre pays en matière de statistiques de la délinquance. L’état 4001 est obsolescent, présente des carences et ne tient aucun compte de la gravité des faits. L’ONDRP manque de moyens.

Je dénonce cette volonté de disposer sans arrêt des derniers chiffres, alors que l’évolution ne s’apprécie que sur la durée. Quand je fais un bilan sur la situation de ma commune, je regarde ce qu’il en est au cours des dix dernières années, pas au cours du dernier mois.

Le rapport a raison d’évoquer les risques de manipulation des chiffres et je m’associe à ses préconisations, qui vont dans le sens du travail en cours au ministère de l’Intérieur. J’estime qu’il faut cesser d’instrumentaliser politiquement les chiffres de la délinquance et les questions de sécurité en général. Il ne sert à rien de se féliciter de prétendues baisses de la délinquance, lorsque la population a le sentiment inverse.

Nous devons nous doter d’un outil de mesure fiable, même si cela suppose d’accepter que certains chiffres augmentent du fait d’une plus grande transparence : il faut connaître la réalité pour apporter des solutions aux problèmes qui se posent. En particulier, les victimes doivent pouvoir porter plainte sans rencontrer d’obstacles, ce que devrait favoriser le pré-dépôt de plainte en ligne, actuellement envisagé. La mise en œuvre de ce dispositif devrait, en toute logique, entraîner une augmentation des chiffres.

Pour le bien de la République, il faut cesser d’exploiter les faits divers, les évasions de prison : tous les gouvernements sont confrontés à de tels événements.

En résumé, je soutiens les propositions du rapport visant à améliorer notre connaissance de la réalité, tout en appelant à la fin d’une instrumentalisation politicienne qui ne contribue en rien à résoudre les problèmes.

M. Jean-Frédéric Poisson. Mes chers collègues, j’observe que dans de très nombreux pays, les enjeux de sécurité sont des enjeux électoraux. Il est d’ailleurs probable, pour reprendre l’exemple new-yorkais, qu’un ou deux maires aient été élus parce qu’ils avaient orienté leur campagne sur ce sujet. Cela me paraît d’ailleurs tout à fait normal dans la mesure où la sécurité est l’un des premiers droits garantis par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Il est donc logique que le thème soit présent dans le champ électoral.

Je salue le travail des rapporteurs et souhaite insister sur une question de méthode. Il est pertinent de donner à l’ensemble des décideurs publics les outils et les informations dont ils ont besoin pour piloter les politiques de sécurité. Mais il ne faut pas pour autant que les statistiques servent à surpolitiser ou dépolitiser ces questions, surmobiliser ou démobiliser les hommes, et il ne faut pas non plus occulter certains problèmes qui ne manqueront pas de se poser et qui se posent parfois déjà.

Il me semble qu’un outil statistique pour les faits de délinquance devrait poursuivre quatre types de finalité : fournir des données fiables, des informations de qualité, favoriser la lisibilité et la transparence, transmettre des informations de manière régulière.

À ces quatre objectifs, les rapporteurs ont essayé de répondre avec les nuances qu’ils ont exprimées. En ce qui me concerne, j’entends la nécessité de modifier l’état statistique actuel et je crois que l’on peut y souscrire.

S’agissant de la qualité des informations et des systèmes d’information en tant que tels, j’ai été convaincu par l’argument selon lequel un service supplémentaire au ministère de l’Intérieur ne paraît pas opportun. En revanche, le renforcement des compétences et, éventuellement, des moyens de l’ONDRP est une solution plus adaptée.

En ce qui concerne la lisibilité et la transparence, le « chiffre unique » n’a pas toutes les vertus et n’est certainement pas suffisant, mais il permet de constater l’évolution de l’état global de la délinquance et de la criminalité. S’il est absurde d’additionner des éléphants et des chaises, pourquoi ne pourrait-on pas prendre en compte à la fois des éléphants et des mouches, qui sont tous deux des animaux ? Il ne faut pas que le « chiffre unique » soit le seul indicateur mais sa suppression ne me paraît pas être pour autant une bonne idée.

S’agissant de la régularité de la publication, il est évident qu’il serait préférable que les commentateurs qui s’intéressent aux statistiques des délinquances disposent des compétences requises. Toutefois, il s’agit d’un vœu pieux.

Je considère que la publication de statistiques à intervalles plus réguliers qu’aujourd’hui permettrait un pilotage plus précis même si la rapidité et la fréquence de cette publication ne sauraient constituer des objectifs en tant que tels.

En conclusion, ce rapport formule d’intéressantes propositions en ce qui concerne la transparence, la régularité et la lisibilité des informations mais j’aurais souhaité y voir figurer certaines propositions qui ne s’y trouvent malheureusement pas.

M. Jean-Pierre Blazy. J’avais le sentiment que cette mission pouvait être l’occasion d’entamer une réflexion entre républicains, à même de nous sortir de trente années d’exploitation politicienne de l’insécurité. Si cela semble difficile, il est nécessaire de poursuivre cet effort et de mettre en œuvre les préconisations du rapport qui nous est présenté aujourd’hui, car il indique certaines voies à approfondir. J’espère que ces propositions deviendront opérationnelles et fonderont une nouvelle approche de la mesure statistique des délinquances.

Au bout du compte, c’est l’exigence de sécurité de nos concitoyens qui importe, et nous devons y apporter une réponse. Il ne s’agit pas d’avoir une « culture du chiffre », mais bien une « culture du résultat ». Nous assistons depuis de trop longues années à une exploitation mortifère, pour la République, de la peur et du chiffre unique. Chacun comprend que ce chiffre est imparfait ; le ministre a d’ailleurs proposé la création de 14 agrégats, dont la mise au point se poursuit actuellement. Cela nous permettra de mesurer, de façon objective, l’activité des services et de les publier de façon régulière, même dans l’hypothèse où un service statistique ministériel ne serait pas créé.

Je souhaite mettre l’accent sur les propositions du rapport relatives à l’ONDRP, en rappelant tout d’abord que nos collègues Christophe Caresche et Robert Pandraud proposaient déjà, il y a plus de dix ans, l’indépendance de l’observatoire qu’ils entendaient créer. C’est également ce que nous proposons aujourd’hui. Les propositions très précises de la mission permettraient d’objectiver la mesure des délinquances et, souhaitons-le, conduira à un consensus politique autour de ces chiffres.

M. Christophe Borgel. Je partage ce qui a été dit par nos collègues Dominique Raimbourg et Pascal Popelin. Pour reprendre les propos de Jean-Frédéric Poisson, les gouvernements précédents ont toujours considéré que le travail de l’ONDRP se résumait à celui d’un thermomètre mesurant la délinquance. Ce qui fait la force de ce rapport, c’est qu’il redonne à l’ONDRP un rôle de compréhension et d’analyse des délinquances et de ses évolutions, à même de faire reculer l’insécurité.

Par ailleurs, la comparaison des statistiques mensuelles, en particulier au niveau communal, n’a pas de sens lorsque l’on sait qu’un événement peut faire varier les statistiques locales de façon très importante. Cela discrédite totalement l’idée selon laquelle on appréhende mieux les délinquances par le biais d’une publication mensuelle des statistiques.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je rappelle que la mission avait pour objet d’analyser la mesure statistique des délinquances. Notre travail consistait donc uniquement à voir de quelle manière sont mesurées les délinquances. Le débat sur la sécurité est assurément politique ; mais la mesure des statistiques ne devrait plus l’être. Un consensus républicain devrait émerger sur la façon dont on mesure les délinquances et dont on rend les données plus fiables. Si l’on souhaite avoir un réel débat sur l’insécurité, il doit reposer sur des données précises.

Aucun des propos que vous critiquez n’émane de vos rapporteurs ; j’invite chacun à visionner les vidéos de toutes les auditions pour constater que les termes dénoncés sont ceux des personnes entendues. Aucun de nos interlocuteurs, y compris les derniers ministres en exercice, n’a nié la nécessité de visiter ces questions. Le terme de « sarkomètre », en particulier, semble être passé dans le langage policier courant, puisqu’il a été utilisé par des hauts fonctionnaires entendus par la mission, comme par un ancien ministre. Nous avons pensé qu’il était nécessaire de traduire ces propos dans notre rapport, afin de faire évoluer les choses. L’ensemble de nos interlocuteurs a émis le souhait que la classe politique jette un autre regard sur les statistiques des délinquances. C’est un pari compliqué, comme notre débat le démontre ! Mon collègue Didier Quentin et moi-même souhaitons que ce rapport soit l’occasion de tourner la page.

À titre d’illustration, les quelque 665 homicides commis en 2012 – le nombre le plus faible depuis longtemps – sont à mettre en regard avec les 3 645 tués sur la route, qui n’entrent pas dans les statistiques de la délinquance, car les infractions routières n’y figurent pas. Or, les délits routiers occupent 35 % des audiences correctionnelles ! Il faut donc revoir le champ de l’état 4001.

En second lieu, pour répondre à M. Ciotti, l’évolution dont l’ONDRP a fait l’objet ces deux dernières années, a conduit à ce qu’il soit entièrement libre du rythme de publication des statistiques de l’état 4001. Nous avons souligné ces évolutions. Il n’a pas à chercher ses instructions auprès du ministère de l’Intérieur. Il fait à tel point preuve d’indépendance qu’il a exclu de son analyse les dernières données fournies par la gendarmerie, car elles contenaient des éléments incertains. Le chemin parcouru par l’ONDRP doit être amené à son terme.

Nous ne souhaitons pas que le ministre de l’Intérieur ait la main sur les statistiques des forces de l’ordre ; au contraire, nous voulons qu’il dispose, à l’instar de la plupart des ministères – le ministère de la Justice, le ministère de l’Agriculture, etc. –, d’un service statistique propre, à même d’analyser et de quantifier l’activité de ses services. Si le ministre le souhaite, ce service pourra lui fournir chaque mois les statistiques dont il a besoin, dans une perspective opérationnelle, pour analyser son propre travail.

À côté de cela, la mesure de la délinquance, qui est d’une autre nature, appartiendra à l’ONDRP, qui travaillera à partir de données fiabilisées. Il ne saurait remplir parfaitement cette tâche aujourd’hui, n’ayant aucun moyen de contrôler la fiabilité des données qui lui sont transmises. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les travaux de l’ONDRP, à l’exception de l’enquête de victimation « Cadre de vie et sécurité » portée par l’INSEE, ne sont pas reconnus comme répondant aux critères de la statistique publique – et c’est injuste d’un certain point de vue.

J’insiste également sur le fait que l’activité des services ne fournit pas une mesure des délinquances réelles. J’en veux pour preuve les statistiques relatives aux violences intrafamiliales, dont chacun se félicite qu’elles progressent au fur et à mesure que l’accueil des victimes par la police s’améliore. Mais seuls 10 % de ces violences sont en réalité révélées aux services de police et de gendarmerie : 90 % de cette réalité n’est pas connue des autorités.

Il faut donc distinguer l’activité des services, dont la quantification est utile aux services, de la mesure de la délinquance. Les données relatives à l’activité des services peuvent être publiées tous les mois ; mais l’analyse de l’ONDRP, réalisée à partir des données policières et judiciaires, des enquêtes de victimation, des enquêtes de satisfaction, ne peut pas obéir au même rythme. Cet observatoire plus indépendant, plus scientifique, détaché du débat politique, assurera aux autorités politiques une meilleure compréhension des enjeux de la délinquance. Ne confondons pas le débat politique sur la sécurité, qui appartient à la classe politique et au Gouvernement, avec les instruments qui nous permettent d’appréhender les réalités.

M. Didier Quentin, rapporteur. « Tourner la page », comme le dit mon collègue Jean-Yves Le Bouillonnec : c’est dans cet esprit que j’ai conduit les travaux de cette mission. C’est pourquoi je me suis démarqué – certes avec moins de netteté que mes collègues Philippe Goujon et Éric Ciotti – des appréciations péjoratives qui ont été utilisées par certains. L’honnêteté intellectuelle impose de dire que ces expressions ont été employées par les personnes entendues, y compris par de hauts fonctionnaires nommés par le précédent gouvernement.

J’ai souhaité m’inscrire dans une dynamique positive et constructive, tournée vers l’avenir. Il est vrai que le rôle de vice-président et co-rapporteur est difficile ; il peut être accusé par ses collègues de complaisance, de connivence, voire de « collaboration », avec la majorité ! Telles n’étaient évidemment pas mes intentions. Nous avons essayé, au contraire, de travailler de façon constructive sur un sujet sur lequel nous devrions parvenir à un consensus.

Notre objectif est bien de renforcer l’ONDRP : il ne s’agit en aucun cas de l’affaiblir. Certes, nous pouvons débattre de la nécessité de doter le ministère de l’Intérieur d’un service statistique propre. Mais je ne vois pas pourquoi ce ministère serait l’un des seuls à ne pas disposer d’un tel outil d’analyse de son propre travail et de mesure de sa performance. Toutefois, nous avons été sensibles aux arguments budgétaires. C’est pourquoi nous n’avons proposé la mise en place de ce service qu’à moyen terme.

Quant au chiffre unique, il faut reconnaître qu’il est hétérogène, voire hétéroclite. Néanmoins, il importe d’assurer la continuité statistique, pour pouvoir procéder à des comparaisons de long terme. Par ailleurs, il est vrai que les données issues des polices municipales pourraient être mieux prises en compte. Pour le reste, l’hypermédiatisation de certains événements nuit au débat. Les chiffres relatifs aux homicides sont, à cet égard, éclairants. Nous avons atteint, dans ce domaine, le niveau le plus bas ; pourtant, les colonnes des journaux sont remplies de faits divers relatant de tels actes. Méfions-nous de ces communications, extrêmement subjectives.

Quel que soit le thermomètre retenu et les possibles manipulations des gouvernements successifs, ce qui est essentiel, c’est de parvenir à améliorer la sécurité de nos concitoyens.

La Commission autorise ensuite le dépôt du rapport de la mission d’information sur la mesure statistique des délinquances et de ses conséquences, en vue de sa publication.

SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS DE LA MISSION D’INFORMATION

––  Préconisation n° 1 : rénover l’état 4001 par l’indexation distincte des infractions nouvelles, la création de nouveaux index en lieu et place des index 106 et 107, l’intégration des infractions routières et des contraventions de la 5e classe, l’enrichissement des informations disponibles en ce qui concerne le lieu, le contexte et la gravité de l’infraction, mais aussi les auteurs et les victimes ;

––  Préconisation n° 2 : favoriser la mise en place, à terme, d’un infocentre plus complet et regroupant les statistiques issues des forces de police comme de gendarmerie ;

––  Préconisation n° 3 : se doter de statistiques judiciaires plus précises en ce qui concerne le profil des auteurs présumés des infractions, le parcours judiciaire et pénitentiaire des personnes condamnées et l’activité des services judiciaires et pénitentiaires en charge de l’exécution des peines ;

––  Préconisation n° 4 : doter à moyen terme le ministère de l’Intérieur d’un service statistique ministériel dédié aux politiques de sécurité ;

––  Préconisation n° 5 : développer le contrôle interne de la production des données au sein du ministère de l’Intérieur, notamment par la création de missions d’inspections conjointes, réunissant les inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales et des personnes issues de la statistique publique ;

––  Préconisation n° 6 : développer de nouveaux indicateurs, plus qualitatifs, pour mesurer la performance des services ;

––  Préconisation n° 7 : assurer l’utilisation opérationnelle des statistiques en intégrant au service statistique ministériel des policiers et gendarmes, et en favorisant la diffusion de tableaux de bord harmonisés auprès des commandants opérationnels des deux forces ;

––  Préconisation n° 8 : envisager le rattachement de l’ONDRP au Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) ;

––  Préconisation n° 9 : mettre fin à la publication mensuelle, par l’ONDRP, des chiffres des crimes et délits constatés par les services de police et les unités de gendarmerie ; et confier la diffusion mensuelle de ces chiffres au futur service statistique du ministère de l’Intérieur dédié aux politiques de sécurité ;

––  Préconisation n° 10 : confier aux commissions compétentes du Parlement le soin de désigner le président du conseil d’orientation de l’ONDRP, qui serait amené à exposer régulièrement devant les parlementaires les travaux de l’Observatoire au niveau national et international ;

––  Préconisation n° 11 : reconnaître à l’ONDRP un pouvoir d’accès direct aux bases de données anonymisées de la police et de la gendarmerie afin de mieux contrôler la saisie et la consolidation des données statistiques du ministère de l’Intérieur ;

––  Préconisation n° 12 : encourager les synergies et les efforts de coordination entre les observatoires locaux ou sectoriels des délinquances ;

––  Préconisation n° 13 : doter l’ONDRP d’un conseil scientifique pouvant s’appuyer sur des chercheurs associés ayant des profils et des compétences variés (sociologues, ethnologues, démographes, etc) ;

––  Préconisation n° 14 : encourager le développement d’enquêtes de victimation plus régulières et plus ciblées sur l’échelon local ;

––  Préconisation n° 15 : expérimenter, en plusieurs points du territoire, au niveau des circonscriptions de sécurité publique, des enquêtes de satisfaction de la population à l’égard de l’activité des forces de l’ordre, rendant notamment compte de la qualité de l’accueil et des conditions des dépôts de plainte.

CONTRIBUTION DE M. DIDIER QUENTIN,
VICE-PRÉSIDENT ET CO-RAPPORTEUR

Par cette contribution, votre co-rapporteur souhaite nuancer certaines appréciations du présent rapport concernant le passé récent. S’il admet l’existence de dysfonctionnements dans la production des statistiques administratives – ce dont les auditions et tables rondes conduites par la mission ont témoigné –, il ne s’associe pas pleinement à certains jugements exprimés par des personnes entendues, et en partie repris par M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président et rapporteur.

En effet, parler de « manipulations », de « suspicion » ou de « soupçon » paraît quelque peu excessif. Ces termes laissent à penser que l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale aurait agi sous la pression d’instructions clairement définies et directement données par des responsables politiques. Or, si de telles « manipulations » ont pu avoir lieu, votre co-rapporteur a acquis la conviction qu’elles sont restées marginales et qu’elles relèvent de comportements isolés. Dès lors, on ne saurait, sans généralisation abusive, imputer un agissement ponctuel à l’ensemble des agents intervenant dans la production des statistiques administratives.

En dehors de ces réserves sur le passé récent, votre co-rapporteur tient à souligner qu’il partage l’essentiel des préconisations du présent rapport qui doit être tourné vers l’avenir. Celles-ci font l’objet d’un accord entre vos deux rapporteurs, dans la mesure où elles visent à garantir l’indépendance de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), tout en contribuant à l’amélioration de la production des statistiques des délinquances par la création d’un service statistique dédié aux politiques de sécurité, au sein du Ministère de l’Intérieur. Elles s’attachent également à préserver un instrument d’évaluation de ces politiques sur le long terme.

CONTRIBUTION DE M. PHILIPPE GOUJON,
MEMBRE DE LA MISSION

Par cette contribution, en tant que membre de la présente mission d’information, je tiens à saluer ce rapport d’information qui constituera une référence dans l’histoire des statistiques de la délinquance et permettra sans nul doute d’améliorer la collecte et le traitement de celles-ci.

Nombre des recommandations qu’il énumère font consensus, comme la reconstruction de l’état 4001, l’interconnexion des statistiques policières et judiciaires pour avoir une vision réelle de la chaîne pénale dans sa totalité, la création d’un infocentre regroupant les statistiques issues de la police et de la gendarmerie, le développement d’enquêtes de victimisation plus ciblées sur l’échelon local, ou encore l’amélioration des statistiques judiciaires avec le profil socioéconomique des auteurs ainsi que leur parcours judiciaire et les caractéristiques des victimes.

Il est néanmoins regrettable que la qualité du travail d’analyse technique mené par la mission soit altérée par une terminologie à charge, qui mélange critiques objectives et appréciations politiques, ce qui ne me permet pas de valider ce rapport en l’état, notamment par respect pour tous ceux qui s’attachent, dans les services de l’État, à fournir les statistiques et dont on ne saurait dénigrer ainsi le travail, au seul motif de faire table rase du passé. D’ailleurs, le rapport ne propose aucun changement quant à l’enregistrement de la plainte, point de départ des statistiques, effectué par les policiers et les gendarmes. C’est l’enquête nationale de victimation, instaurée depuis 2007 par le Gouvernement précédent, qui en a révélé les dysfonctionnements et permet de donner des orientations pour mieux mesurer la délinquance.

D’autres propositions ne me semblent pas pertinentes, telle la création d’un service statistique propre au ministère de l’Intérieur, sur laquelle le ministre lui-même a exprimé des réserves. Il s’agirait là d’une régression paradoxale : contester l’indépendance de l’ONDRP, et en même temps, vouloir réintégrer le traitement des statistiques de la délinquance au sein du ministère de l’Intérieur. L’ONDRP est une composante d’un établissement public placé sous l’autorité du Premier ministre, et dont le Conseil d’orientation est très majoritairement composé de personnalités indépendantes et au sein duquel l’État est depuis toujours minoritaire. La création d’un service statistique propre au ministère de l’Intérieur ne sera pas pour autant forcément gage d’efficacité, le rapporteur soulignant l’incapacité du service statistique du ministère de la Justice à produire des données utiles. Pour justifier cette idée, le rapport aligne les qualificatifs inutilement péjoratifs au regard du bilan largement positif de l’ONDRP, notamment par le sérieux scientifique et la crédibilité qu’il a acquise, y compris au plan international. Son Président actuel a étayé les raisons pour lesquelles cet établissement public peut être considéré comme un service de statistique publique à part entière. En effet, l’ONDRP publie des travaux issus soit d’enquêtes statistiques, soit de données administratives provenant des ministères de l’Intérieur ou de la Justice. Les données administratives publiées par l’ONDRP étant indiscutablement des données collectées par des administrations à des fins d’information générale, les productions de l’ONDRP sont des statistiques publiques. Il serait d’ailleurs pertinent que ces statistiques puissent faire l’objet d’une labellisation et soient reconnues comme telles de la part de l’Autorité de la statistique publique. Et si le rapport estime que l’ONDRP est une structure sous-dimensionnée – encore que génératrice d’économies budgétaires et dont le sérieux du travail n’a pas souffert de cet état de fait –, il est regrettable qu’il n’ait pas été proposé de le renforcer, notamment en proposant d’y rattacher le CESDIP (centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales) et le service statistique du ministère de la justice.

Je réfute également la suppression de la publication mensuelle des statistiques, qualifiée à tort d’analyse court-termiste, indispensable pour les acteurs de la sécurité et l’opinion ; dans certains pays celles-ci sont même hebdomadaires, comme à New York. Il est nécessaire de maintenir la continuité de la comparaison dans le temps. Si les agrégats ont remplacé le chiffre unique, celui-ci doit tout de même continuer à permettre l’analyse des tendances longues, tel un jalon.

La proposition de ne plus porter à la connaissance du public les statistiques mensuelles et de ne réserver celles-ci qu’à quelques initiés, traduit un manque de transparence semant encore davantage le doute chez nos concitoyens sur la validité des statistiques. Les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) ne peuvent pallier la disparition de cette publication mensuelle, ces instances ne se réunissant que quelques fois par an – quand bien même elles seraient destinataires de statistiques plus détaillées concernant le niveau local –, ce qui ne permettra plus d’avoir une photographie globale de l’évolution de la délinquance à l’échelle nationale comme aujourd’hui.

Enfin, le rapport ne prescrit pas de solution concrète aux problèmes rencontrés par la troisième version du logiciel LRPPN qui se met en place plus lentement que prévu, n’étant disponible que dans 30 départements à l’heure actuelle, ni à la difficulté posée par la nécessité d’une seconde saisie des données pour en permettre le croisement, alors même que l’on sait les biais statistiques que peuvent produire ces doubles opérations et la perte de temps que cela représente pour les personnels de police et de gendarmerie concernés.

Il est également regrettable que ne soit pas évoquée la mise en conformité des données statistiques françaises avec certains indicateurs des statistiques internationales, permettant ainsi leur recueil, une piste que le ministre de l’Intérieur avait pourtant jugée intéressante.

En conclusion, ce rapport qui contient pourtant de nombreux éléments positifs en matière de diagnostic et des pistes d’évolution utiles perd de sa crédibilité en donnant le sentiment de vouloir disqualifier l’ONDRP, en laissant supposer une manipulation orchestrée par les Gouvernements précédents et surtout en cassant le thermomètre au moment où la fièvre monte.

PERSONNES ENTENDUES PAR LA MISSION D’INFORMATION

Mardi 2 octobre 2012

• M. Jean-François HERDHUIN, inspecteur général honoraire de la police nationale

• M. Daniel VAILLANT, député de Paris, ancien ministre de l’Intérieur

• M. Philippe ROBERT et Mme Renée ZAUBERMAN, sociologues, auteurs de l’ouvrage Mesurer la délinquance

Mardi 9 octobre 2012

• M. Alain BAUER, criminologue et président du conseil d’orientation de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales

• MM. Jean-Hugues MATELLY et Christian MOUHANNA, chercheurs

• M. Laurent MUCCHIELLI, sociologue

Mardi 16 octobre 2012

• M. Bruno AUBUSSON de CAVARLAY, chercheur au CNRS

• M. Christophe CARESCHE, député

Mardi 30 octobre 2012

• M. Pierre Victor TOURNIER, directeur de recherche au CNRS

• Ministère de la Justice :

—  Mme Valérie SAGANT, conseillère « politiques publiques, pénales et de la recherche évaluation » de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice,

—  M. Yannick MENECEUR, directeur du projet CASSIOPÉE à la direction des services judiciaires,

—  M. Benjamin CAMUS, sous-directeur de la statistique et des études.

Mardi 6 novembre 2012

• M. Sebastian ROCHÉ, directeur de recherche au CNRS

• Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP)

—  M. Christophe SOULLEZ, chef du département,

—  M. Cyril RIZK, attaché principal de l’INSEE, responsable des statistiques.

• M. Michel GAUDIN, ancien Préfet de police de Paris

Mardi 13 novembre 2012

• M. Serge PORTELLI, magistrat, vice-président au tribunal de grande instance de Paris

• Mme Michèle ALLIOT-MARIE, ancien ministre de l’Intérieur et ancien ministre de la Justice

Jeudi 15 novembre 2012

• Déplacement auprès de la préfecture de police de Paris

—  M. Bernard BOUCAULT, préfet de Police,

—  M. Christian FLAESCH, directeur régional de la police judiciaire de Paris,

—  M. Richard MARLET, commissaire divisionnaire, chef du service régional de documentation criminelle,

—  M. Christian SONRIER, directeur de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne,

––  M. Fédéri CHEYRE, commissaire d’État-major adjoint,

—  M. Laurent LEFEBVRE, commandant du Bureau d’analyse et des statistiques,

—  M. Damien VALLOT, chef du commissariat central du 7e arrondissement de Paris,

—  M. Luca TOGNI, chef de la circonscription du Kremlin-Bicêtre,

—  M. Stéphane GOUAUD, chef du service de l’investigation transversale.

Mardi 20 novembre 2012

• M. Claude GUÉANT, ancien ministre de l’Intérieur

• Table ronde sur la statistique publique :

—  M. Pierre-Yves GEOFFARD, président de la commission services publics et services aux publics du Conseil national d’information statistique, directeur de recherche au CNRS,

—  M. René PADIEU, inspecteur général honoraire de l’INSEE et ancien président de la commission de déontologie de la société française de statistique,

—  M. Philippe CUNEO, responsable de la direction de la méthodologie, coordination statistique et internationale à l’INSEE.

Mardi 4 décembre 2012

• Direction générale de la gendarmerie nationale du ministère de la Défense

—  Général Jacques MIGNAUX, général d’armée, directeur général de la gendarmerie nationale,

—  Général Gilles MIRAMON, chef de la mission du pilotage et de la performance,

—  Colonel Bernard CLOUZOT, chargé de mission,

—  Capitaine Marc JUIN, chargé de mission.

• Mme Maud POUSSET, directrice de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT)

• Table ronde réunissant :

—  Mme Sylvie SCHERER, directrice du département Mission études sécurité de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France (IAU-IDF) et Mme Hélène HEURTEL, chargée d’étude,

—  M. Fabrice FUSSY, chef de l’Observatoire national de la délinquance dans les transports (ONDT) et M. Gérard ROLLAND, chef du département de la sûreté dans les transports,

—  Mme Bernadette MALGORN, présidente du conseil d’orientation de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS), et M. Anthony BRIANT, secrétaire permanent de l’ONZUS.

Mardi 11 décembre 2012

• M. Claude BALAND, directeur général de la police nationale

• M. Frédéric OCQUETEAU, directeur de recherche au CNRS

• Observatoire national interministériel de la sécurité routière

—  Mme Manuelle SALATHÉ, secrétaire générale,

—  M. Christian ROY, chargé d’études.

Mercredi 13 février 2013

• M. Jean-Marie DELARUE, contrôleur général des lieux de privation de libertés

• Ministère de la Justice

—  M. Henri MASSE, directeur de l’administration pénitentiaire,

—  Mme Annie KENSEY, chef du bureau des Études et de la prospective.

• Mme Haritini MATSOPOULOU, directrice de l’Institut d’études judiciaires (IEJ) de la faculté Paris XI-Jean Monnet de Sceaux, professeur de droit pénal

Jeudi 14 février 2013

• Déplacement auprès de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP)

—  M. Christophe SOULLEZ, chef du département,

—  M. Cyril RIZK, attaché principal de l’INSEE, responsable des statistiques,

—  l’ensemble du personnel de l’ONDRP,

—  M. Stefan LOLLIVIER, président du conseil d’orientation de l’ONDRP.

Mardi 19 février 2013

• M. Frédéric PÉCHENARD, délégué interministériel à la sécurité routière et délégué à la sécurité et à la circulation routières, ancien directeur général de la police nationale

• Ministère de l’Intérieur

—  Mme Mireille BALLESTRAZZI, directeur central adjoint de la police judiciaire, présidente d’INTERPOL,

—  M. Vincent LE BEGUEC, commissaire divisionnaire, chef de la division des études et de la prospective de la direction centrale de la police judiciaire.

• Autorité de la statistique publique (ASP)

—  M. Paul CHAMPSAUR, président,

—  M. François ÉCALLE, membre de l’Autorité de la statistique publique et conseiller maître à la Cour des comptes,

—  M. Bruno DURIEUX, membre et ancien ministre,

—  Mme Claudine GASNIER, rapporteure.

Mercredi 20 février 2013

• Table ronde des syndicats des personnels de la police nationale :

—  M. Frédéric LAGACHE, secrétaire général adjoint et M. Henri BONTEMPELLI, délégué national d’ Alliance Police nationale,

—  M. Emmanuel ROUX, secrétaire général, et Mme Céline BERTHON, secrétaire générale adjointe du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN),

—  M. Michel-Antoine THIERS, secrétaire national du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI),

—  M. Mohamed DOUHANE, secrétaire national, et M. Fabrice JACQUET, secrétaire national de Synergie Officiers,

—  M. Hervé EMO, secrétaire général du Syndicat national Union des officiers/FO,

—  M. Paul LE GUENNIC, secrétaire national, et M. Jérôme MOISANT, secrétaire national du Syndicat unité SGP police/FO.

• Table ronde sur les statistiques des violences faites aux femmes

—  Mme Christelle HAMEL, chercheuse à l’Institut national des études démographiques (INED), responsable de l’étude VIRAGE,

—  Mme Maryse JASPARD, sociodémographe, chercheur associée à l’INED (Institut national d’études démographiques), responsable de l’Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF),

—  M. Thomas LE JEANNIC, division « Conditions de vie des ménages » de l’INSEE,

—  Mme Lorraine TOURNYOL du CLOS, docteur en sciences économiques.

Jeudi 21 février 2013

• Déplacement de la mission d’information auprès du commissariat de Cergy-Pontoise

—  M. Marc PLAS, commissaire divisionnaire

• Déplacement de la mission d’information auprès de la brigade de gendarmerie d’Auvers-sur-Oise

—  Colonel HENRY, commandant le groupement du Val d’Oise,

—  Commandant Claude RENIER, de la brigade départementale de recherche et d’investigations judiciaires,

—  Lieutenant Frédéric CHASTAN, commandant de brigade.

Mardi 26 février 2013

• M. André-Michel VENTRE, directeur de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ)

• Table ronde réunissant les syndicats de la magistrature

—  Mme Virginie VALTON, vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats,

—  M. Emmanuel POINAS, secrétaire général de FO Magistrats,

—  Mme Béatrice BRUGÈRE, membre du conseil national de FO Magistrats,

—  M. Éric BOCCIARELLI, secrétaire général du Syndicat de la magistrature.

Mercredi 27 février 2013

• M. Éric DEBARBIEUX, ancien directeur de l’Observatoire international de la violence à l’école, délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire

• Table ronde des offices centraux

—  M. François THIERRY, chef de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS),

—  M. Yann SOURISSEAU, chef de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH),

—  M. Franck DOUCHY, chef de l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO),

—  Colonel Jackie DIMUS, adjoint au chef de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP),

—  Mme Stéphanie CHERBONNIER, adjointe au chef de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF).

Jeudi 28 février 2013

• Déplacement de la mission d’information auprès de la direction générale de la gendarmerie nationale (Issy-les-Moulineaux)

—  le général de brigade Gilles MIRAMON, chef de la mission du pilotage et de la performance,

—  le général de division Bernard PAPPALARDO, chef du service des technologies et des systèmes d’information de la sécurité intérieure ST(SI)²,

—  le colonel Bruno POIRIER-COUTANSAIS, sous-directeur des systèmes d’information,

—  le lieutenant-colonel Cyril CUVILLIER, chef du bureau des systèmes centraux,

—  le capitaine Rémi LASSALLE, de la section police administrative et mesure de l’activité,

—  le lieutenant-colonel Patrick TOUAK, chef du bureau des systèmes logistiques et de soutien,

—  le chef d’escadron Laurent LEBERON, de la direction de projet des programmes PULSAR.

Vendredi 22 mars 2013

• Déplacement de la mission d’information auprès du service pénitentiaire d’insertion et de probation de Poitiers

—  Mme Virginie MAURANE, directrice du service pénitentiaire d’insertion et de probation de Poitiers,

—  M. Thierry MAILLES, adjoint au directeur interrégional des services pénitentiaires de Bordeaux,

—  Mme Sandrine VRGA, responsable de l’unité Méthodologie et accompagnement de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Bordeaux.

• Déplacement de la mission auprès du tribunal de grande instance de Poitiers

—  M. Stéphane CHASSARD, substitut général, secrétaire général au parquet général près la cour d’appel de Poitiers,

—  M. Marc FOUILLARD, secrétaire général de la première présidence de la cour d’appel de Poitiers,

—  M. Nicolas JACQUET, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Poitiers,

—  M. Philippe DARRIEUX, premier vice-président,

—  Mme Isabelle FACHAUX, vice-présidente, responsable du pôle pénal au tribunal de grande instance de Poitiers,

—  Mme Fabienne ROUSSEAU, greffier en chef du service pénal,

—  Colonel Christophe JEANJEAN, commandant le groupement de gendarmerie départementale de la Vienne,

—  Chef d’escadron Laurent MÉVEL, chef de la section du pilotage de l’évaluation et du contrôle de la région de gendarmerie de Poitou-Charentes,

—  Major Thierry BARRAUD, commandant la brigade de proximité de Neuville du Poitou,

—  M. Cédric LECLER, vice-président, juge de l’application des peines au tribunal de grande instance de Poitiers,

—  M. Claude RAMIR, directeur du centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne.

 

Mardi 26 mars 2013

• M. Manuel VALLS, ministre de l’Intérieur,

• Mme Christiane TAUBIRA, garde des Sceaux, ministre de la Justice.

Mercredi 27 mars 2013

• Déplacement de la mission auprès du centre pénitentiaire de Fresnes

—  M. Stéphane SCOTTO, directeur du centre pénitentiaire de Fresnes,

—  M. AULARD, correspondant informatique,

—  Le personnel du greffe pénitentiaire,

—  M. BENAICHA, officier de la première division.

ANNEXE 1 : CONTRIBUTION DU CESDIP AUX TRAVAUX DE LA MISSION

Comment mesurer la délinquance

Philippe Robert et Renée Zauberman, CNRS-CESDIP

1. Jusqu’au milieu du XXe siècle, on a mesuré la délinquance par des statistiques d’activité des institutions pénales (les tribunaux, le parquet, les prisons ou la police). On se doutait bien que tous les cas potentiellement incriminables n’étaient pas portés à leur connaissance, mais aucun autre outil ne paraissait disponible.

En France, de 1827 à la fin des années 1970, le Compte général de la Justice criminelle a constitué la seule mesure disponible de la délinquance. C’est seulement quand le ministère de la Justice a abandonné cet instrument historique que les statistiques de police – qui existaient sous une forme sommaire depuis 1950 mais qui n’étaient publiées que depuis 1972 – ont occupé le champ ainsi déserté, imitant, avec beaucoup de retard, un modèle américano-britannique né dans un contexte institutionnel bien différent.

Mais, à ce moment déjà, l’état international des savoirs penchait pour un système beaucoup plus complexe fondé sur la confrontation de sources d’origines diverses où les comptages des administrations pénales ne figuraient plus qu’une source parmi beaucoup d’autres. Dans la seconde partie du XXe siècle, étaient en effet apparues plusieurs mesures alternatives. Les plus courantes sont les enquêtes en population générale, surtout celles de victimation mais aussi celles de délinquance autoreportée. Mais ce ne sont pas les seules.

On a fait depuis quelque progrès, en France, pour se rapprocher des standards internationaux de mesure de la délinquance, le plus marquant étant la (difficile) réception progressive d’enquêtes de victimation. Mais il a fallu beaucoup de temps et il reste encore beaucoup à faire.

2. Disposer de données assez homogènes et continues pour supporter une sérialisation sur le moyen et le long terme constitue une priorité absolue pour l’analyse des problèmes de sécurité.

Une hausse ou une baisse de 5 % sur une année n’a pas du tout la même signification selon qu’elle s’inscrit dans la continuité d’un mouvement qui dure depuis deux décennies, qu’elle rompt au contraire avec une tendance de long terme ou qu’elle prend place au sein d’une oscillation sans tendance bien nette.

Ainsi on dit couramment que la délinquance contre les biens baisse ce qui suggère qu’il n’y a plus là une grande priorité. Mais, sur le long terme, la petite baisse récente fait suite à une très forte croissance entre 1960 et 1985, de sorte que cette délinquance reste, pour les citoyens, le risque le plus répandu.

On dit aussi que les atteintes aux personnes augmentent ; cependant les homicides sont à leur plancher historique et les blessures graves restent très peu nombreuses. Seules croissent les petites violences expressives de harcèlement qui font rarement l’objet d’une plainte, et aussi les vols violents qui sont très mal élucidés.

Cette option pour le long terme vaut autant pour les comptages administratifs, comme les statistiques de justice et de police, que pour les enquêtes, par exemple sur la délinquance autoreportée, la victimation ou l’insécurité, ou les autres statistiques publiques. Elle n’est pas souvent satisfaite pour le moment ; on a plutôt assisté à une rupture des séries. Le court terme possède en effet une grande commodité : il permet de faire dire aux chiffres à peu près tout et son contraire.

Faute pourtant d’avoir reconstitué des séries historiques des enquêtes de victimation et des statistiques de police, leur comparaison est toujours biaisée par le décalage dans le temps : simple comptage d’activité des services, la statistique policière peut être obtenue très vite alors que l’enquête demande des délais de réalisation. Quand la statistique sort, il n’y a aucune donnée d’enquête contemporaine à mettre en face. Ainsi le comptage policier demeure-t-il en fait la donnée de référence, l’enquête de victimation vient toujours après la bataille. Si l’on disposait de séries de statistique policière et d’enquête de victimation, on pourrait relativiser l’apparition de chaque nouveau chiffre. On devrait donc s’interdire de publier un chiffre nouveau sans le présenter dans une série longue.

3. Aucune donnée n’est en situation de constituer à elle seule une bonne mesure de la délinquance, il faut donc disposer de plusieurs sources et les confronter.

Cette règle implique de cesser de considérer les statistiques de police comme la référence de base et les autres mesures comme des partenaires secondaires utilisées en fait seulement pour ‘valider’ les premières.

Mais il ne suffit pas d’en rester à la statistique policière et aux enquêtes de victimation. Le mouvement des dernières décennies conduit à mobiliser de plus en plus des données extra-pénales.

Ainsi la statistique démographique des causes de décès – tenue en France par l’Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale (INSERM) – constitue le meilleur indicateur de l’évolution des homicides.

De même, on aurait peu d’indicateurs sur la criminalité par imprudence et son évolution sans les données de l’Observatoire National Interministériel de la Sécurité Routière (ONISR), de la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS)…

Les enquêtes en santé publique constituent un indicateur de l’implication des moins de 25 ans dans la violence physique, à la fois comme victimes et comme auteurs.

Mais ce besoin de recourir à des données extra-pénales est particulièrement avéré pour la délinquance sans victime directe, domaine où les statistiques pénales sont les moins crédibles parce qu’elles ne comptabilisent que les affaires élucidées et pas celles qui ont échoué.

Sans l’Enquête sur la santé et les consommations lors de la journée d’appel à la défense (Escapad), Health Behaviour in School-Aged Children (HBSC), le Baromètre Santé de l’Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé (INPES), ou l’European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs (Espad), on n’aurait aucun indicateur crédible sur l’évolution de la consommation de produits stupéfiants.

Les atteintes aux finances publiques ne sont connues que par les travaux de l’Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS), de l’INSEE (comptabilité nationale) et du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO).

Sources

Robert Ph., Zauberman R., Mesurer la délinquance, Paris, Presses de Sciences Po, 2011.

Les statistiques policières

Philippe Robert et Renée Zauberman, CNRS-CESDIP

1. La police et la gendarmerie nationales enregistrent soit des évènements qu’un tiers – généralement la victime – a porté à leur connaissance (réactivité), soit des évènements découverts grâce à l’initiative de leurs personnels (proactivité).

Se pose la question de savoir si des évènements analogues – c’est-à-dire susceptibles eux aussi de recéler des infractions – ne leur ont pas échappé. C’est la raison essentielle pour laquelle il faut trouver des points de comparaison.

En cas de réactivité, la police n’est pas seule à estimer qu’il y a probablement infraction ; celui qui l’a informée a fait le même raisonnement auparavant. On peut donc interroger les membres d’un échantillon de population sur toutes les victimations subies y compris celles qui n’ont pas été signalées à la police. C’est ainsi que sont nées les enquêtes de victimation. Elles ont montré que l’enregistrement des affaires par la police ou la gendarmerie dépend surtout de la propension des victimes à les informer, et que cette propension varie de manière considérable – du dixième aux trois-quarts - selon les sortes de délinquances.

En cas de proactivité, on peut penser à interroger les auteurs ; mais l’usage des enquêtes de délinquance autoreportée est limité pour l’essentiel à la délinquance juvénile ou à des domaines analogues. Mais on peut chercher des indicateurs indirects. Dans les cas où l’on a pu en trouver, ils ont montré que l’enregistrement d’une affaire par la police ou la gendarmerie dépend de la priorité que ces administrations accordent à telle ou telle délinquance, de la facilité ou de la difficulté de leur découverte (visibilité de l’auteur et/ou de son acte), et enfin de la disposition et de la capacité de ces institutions à traiter effectivement de l’affaire.

De toute manière, pour comprendre le rapport entre ce qu’enregistre la police et ce qu’elle pourrait enregistrer si on l’en informait ou si elle le découvrait, il faut des points de comparaison externes à l’institution.

2. La statistique construite par la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) à partir de l’État 4001 n’intègre pas certaines affaires pénales car elles relèvent d’autres services, comme le fisc, la douane, l’inspection du travail ou différents autres corps d’inspection... des contentieux peu nombreux, mais qui constituent l’essentiel du droit pénal administratif et une bonne partie de la délinquance économique et financière.

Cette statistique ne comprend même pas tout ce que traitent la police et la gendarmerie nationales. En sont exclues les contraventions, les infractions au code de la route, les homicides et blessures par imprudence.

3. Mais cette statistique risque, à l’inverse, de comptabiliser plusieurs fois un même fait s’il est enregistré par plusieurs services (chiffre d’excès). Impossible en principe puisque seul le service premier saisi a le droit d’enregistrer, ce double comptage est en pratique possible quand cette règle n’est pas respectée ou tout simplement quand la pluralité de saisine est inconnue des intéressés. Faute d’étude empirique récente, on a du mal à estimer l’importance de cet ‘excès’ d’enregistrement.

Une autre cause d’enregistrement excessif gît dans l’hypothèse où les services de police ont cru à tort à l’existence d’une infraction. On trouve un indicateur de l’importance de cette cause d’excès : en 2011, le ministère public a dû classer 490 298 procès-verbaux (sur 5 243 534, soit 9 %) parce que l’infraction était mal caractérisée ou les charges insuffisantes.

4. À l’intérieur même de ce qu’enregistre la statistique policière française, l’unité de compte varie selon les cas de sorte que l’on dénombre tantôt des procédures, tantôt des infractions, tantôt des objets, tantôt des victimes, tantôt des victimes auditionnées par la police, tantôt des plaignants, tantôt des auteurs… Cette particularité importe peu tant que l’on observe une seule catégorie ou un regroupement homogène de catégories, au moins si l’unité de compte n’est pas modifiée. En revanche, elle laisse perplexe sur l’utilisation du total et des sous-totaux : les 3 665 320 faits enregistrés en 1995 se répartissent en 1 198 765 véhicules, 140 532 chèques objets d’une infraction, 662 515 victimes, 669 522 plaignants, 98 344 auteurs, 321 902 procédures et 573 740 infractions, écrivait naguère Bruno Aubusson de Cavarlay, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des statistiques de Justice et de police. Ainsi le premier indicateur de l’OND-RP (atteintes volontaires à l’intégrité physique) regroupe-il dans une même catégorie des index qui comptent tantôt en victimes, tantôt en procédures, tantôt en infractions, tantôt en plaignants. Un débat sur les conséquences de cette multiplicité d’unités de compte serait de première utilité.

Un autre problème sérieux se poserait si la date et le lieu d’enregistrement étaient confondus avec ceux de la commission du fait.

Les agrégats ou regroupements – ceux par exemple qu’utilise l’Observatoire national de la délinquance – ne remédient aucunement à ces problèmes d’unités, de dates et de lieux.

5. La production de la statistique policière française ressemble à une boîte noire à l’intérieur de l’administration. Il n’existe pas au sein du ministère de l’Intérieur un service statistique ministériel (SSM) qui dirige la production ; cette situation est d’autant plus étonnante que le ministère de la Justice est lui doté d’un SSM. L’OND-RP cherche à piloter la production statistique policière par l’aval en détectant des incohérences, mais il serait aussi indispensable de ne pas laisser la production entre les seules mains de professionnels policiers qui ne sont pas des spécialistes de statistique publique.

6. Par ailleurs, la statistique policière est de plus en plus utilisée comme outil d’évaluation des performances. Cet usage gestionnaire (managerial) peut engendrer des distorsions supplémentaires, soit que les agents de base ajustent leurs enregistrements statistiques pour se protéger du contrôle de leur hiérarchie, soit que celle-ci travaille ensuite les agrégations pour les rendre plus conformes aux objectifs du moment. Plus une statistique interne sert d’outil d’évaluation, moins elle est apte à constituer un instrument de mesure fiable de la délinquance. Il serait souhaitable de multiplier les monographies sur les pratiques concrètes d’enregistrement par les services de base, mais il faudrait aussi pouvoir estimer leur impact sur les agrégations de données.

7. Toutes ces raisons rendent en tous cas déraisonnable de mesurer de la délinquance par la seule statistique policière ou même d’accorder à cette source un statut de premier rang dans cette opération.

Sources

Robert Ph., Zauberman R., Mesurer la délinquance, Paris, Presses de Sciences Po., notamment 22 à 36 et ref. cit.

Les enquêtes de victimation

Philippe Robert et Renée Zauberman, CNRS-CESDIP

1. L’enquête de victimation consiste à demander aux membres d’un échantillon s’ils ont été victimes, au cours d’une période donnée, de tel ou tel évènement et, dans l’affirmative, comment ils ont réagi.

Inventée, il y a un demi-siècle, aux États-unis, elle est devenue un des principaux outils de mesure de la délinquance.

2. On ne peut cependant y recourir que pour la délinquance dite à victime directe (par exemple, le vol ou l’agression…) ; la délinquance sans victime directe (par exemple les infractions à la législation sur les stupéfiants, à celle sur l’immigration ou encore la fraude fiscale…) ne relève pas de ce type de mesure.

Au sein de la délinquance à victime directe, le champ de l’enquête de victimation exclut encore les cas où la victime disparaît lors de l’infraction (homicide consommé) et ceux dont la définition juridique est trop difficile à traduire en langage courant (escroquerie, abus de confiance…). Il se réduit donc aux cas où l’on peut formuler l’interrogation d’une manière qui a des chances d’être comprise à peu près de la même façon par les divers membres d’un échantillon, principalement les différentes sortes de vols, d’agressions et de dégradations.

Mais, dans ce champ particulier, l’enquête de victimation occupe maintenant une place prééminente, surtout si l’on confronte ses résultats à d’autres mesures, comme les statistiques pénales traditionnelles mais aussi d’autres données de la statistique publique ou d’autres enquêtes. Ces confrontations supposent d’opérer préalablement des transformations pour rendre les données comparables ; elles ont nourri une importante littérature méthodologique internationale. On admet aussi qu’il vaut mieux comparer les tendances que les ordres de grandeur, ce qui suppose de travailler sur des séries temporelles aussi longues que possible. Cette contrainte oblige à accorder une grande attention à la stabilité de l’instrument et du protocole d’enquête, faute de quoi on ne sait dire si les changements observés sont réels ou ne constituent que l’artefact de leur modification incontrôlée.

3. Ces enquêtes servent aussi à

* rechercher les déterminants ou les corrélats des victimations ;

* construire des profils de victimes et de victimations de manière à faire réapparaître la complexité et la diversité des situations sociales cachées sous l’apparente homogénéité du statut de victime ;

* observer les différentes combinaisons des victimations avec le sentiment d’insécurité ;

* étudier les relations que les recours que les victimes exercent ou non auprès de différentes organisations, publiques ou privées, allant de la police à l’assurance en passant par les fournisseurs d’équipements de sécurité ;

* contribuer à l’étude du fonctionnement des institutions pénales en examinant leurs relations avec les victimes.

4. On dispose en France d’enquêtes nationales

La première a été réalisée en 1996 par le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP – CNRS).

Ensuite, l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a inclus un module de victimation dans ses Enquêtes permanentes sur les conditions de vie des ménages (EPCVM) depuis 1996 jusqu’en 2006.

À partir de 2007, l’INSEE l’a remplacé par une enquête Cadre de vie et sécurité (CVS).

Toutes les enquêtes nationales françaises interrogent sur les victimations subies au cours des deux années précédentes.

L’enquête de 1986 et les EPCVM de 1996 à 2004 interrogent les personnes de 15 ans et plus, les deux dernières EPCVM (2005, 2006) et les CVS celles de 14 ans et plus.

5. Depuis 2001, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France (IAU-IdF) réalise tous les deux ans une enquête sur la victimation et l’insécurité dans la région francilienne.

Il existe aussi quelques enquêtes locales (ainsi à Épinay et Toulouse en 1989, Amiens en 1999, en 2005 à Aubervilliers, Aulnay-Sous-Bois, Gonesse, Lyon et Saint-Denis).

6. Des enquêtes spécialisées ont porté notamment

* sur la victimation subie par les femmes avec notamment l’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF) reprise ensuite dans l’enquête sur la sexualité en France de l’Institut national d’études démographiques (INED),

* sur la violence scolaire avec par exemple l’enquête nationale de victimation en milieu scolaire réalisée en 2011 dans les collèges publics.

7. Des questions comparables à celles des enquêtes de victimation apparaissent aussi dans d’autres dispositifs d’enquête - ce qui autorise de fructueuses comparaisons - notamment

* le Baromètre Santé de l’Institut national de prévention et d’éducation par la santé (INPES),

* l’enquête Escapad menée à bien par l’Observatoire français sur les drogues et les toxicomanies (OFDT) lors de la Journée citoyenneté-défense

* l’enquête Évènement de vie et Santé (EVS) de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du ministère des Affaires sociales et de la Santé (Drees).

Sources

Robert Ph., Zauberman R., Mesurer la délinquance, Paris, Presses de Sciences Po, 2011, notamment 47-52 et ref. cit.

Robert Ph., Zauberman R., Le développement et les usages des enquêtes de victimation en France, Economie & Statistique, 2011, 448-449, 79-83.

Au-delà de la statistique de police et de l’enquête de victimation

Philippe Robert et Renée Zauberman, CNRS-CESDIP

1. On commence à comprendre la nécessité de confronter la statistique de police à l’enquête de victimation.

Il serait cependant erroné d’en rester à ce couple de données.

La mesure de la délinquance nécessite aussi le recours à bien d’autres données.

2. Dans le champ même de la délinquance à victime directe (les agressions, les vols…),

* la statistique démographique des causes de décès – tenue en France par l’Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale – constitue le meilleur indicateur de l’évolution des homicides ;

* De même, on aurait peu d’indicateurs sur la criminalité par imprudence et son évolution sans les données de l’Observatoire National Interministériel de la Sécurité Routière (pour les morts et blessures liées à la circulation routière), de la Caisse Nationale de l’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (pour celles liées aux accidents du travail)…

* Faute de disposer d’enquêtes de délinquance autoreportée qui constitue l’outil par excellence de mesure de la délinquance juvénile, des enquêtes en santé publique [le Baromètre Santé de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, l’Enquête sur la santé et les consommations lors de la journée d’appel à la défense (Escapad) de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), l’Enquête évènements de vie et santé (EVS) de la Direction Recherche, Etudes, Evaluation et Statistiques (DREES)] constituent un indicateur de l’implication des moins de 25 ans dans la violence physique, à la fois comme victimes et quelquefois comme auteurs.

3. Mais ce besoin de recourir à des données extra-pénales est particulièrement avéré pour la délinquance sans victime directe (comme les infractions à la législation sur les stupéfiants…), domaine où les statistiques policières sont les moins crédibles parce qu’elles ne comptabilisent que les affaires élucidées et pas celles qui ont échoué.

* Sans les enquêtes ESCAPAD, Health Behaviour in School-Aged Children (HBSC), Baromètre Santé, voire European School Survey Project on Alcohol and Other Drugs (Espad), on n’aurait aucun indicateur crédible sur l’évolution de la consommation de produits stupéfiants.

* Les atteintes aux finances publiques ne sont connues que par les travaux de l’Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS), de l’INSEE (comptabilité nationale) et du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO).

* L’économie souterraine ne peut être évaluée qu’à travers des indicateurs soit macro soit micro économiques (voir fiche sur la délinquance économique et financière).

Deux démarches méritent une attention particulière, l’enquête de délinquance autoreportée et le coût du crime.

4. L’enquête de délinquance autoreportée est née à la fin des années 1940, lorsqu’on a commencé à interroger des échantillons de jeunes sur les méfaits qu’ils avaient commis. Depuis la décennie 1990, on assiste à une remontée en puissance de ces enquêtes pour mesurer la délinquance juvénile. Depuis 1992, l’International Self Reported Delinquency Studies (ISRD) a connu plusieurs campagnes principalement en Europe, sous l’impulsion de Josine Junger-Tas. En France, cette méthode est utilisée par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) pour étudier la consommation de produits prohibés à travers ESCAPAD, ESPAD tout comme HBSC y ont aussi recours, tout comme le Baromètre santé. En revanche, après l’expérience menée à bien par Sébastian Roché, cette enquête ne s’est pas vraiment implantée pour mesurer la délinquance juvénile ; il serait souhaitable d’y recourir davantage.

5. Les recherches sur le coût du crime (traduction littérale de cost of crime) remontent à des commissions américaines d’enquête sur le crime de 1931 et 1967. L’apport essentiel de cette méthode consiste dans une évaluation de la délinquance en termes monétaires. On peut ainsi observer l’importance relative de différentes délinquances sous un nouvel angle. Il ne s’agit pas d’analyser les conséquences économiques globales de la criminalité pour une société donnée, mais seulement d’envisager les pertes directes pour l’ensemble des victimes, individuelles et collectives.

En France, Thierry Godefroy avait étudié le coût du crime au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) du début des années 1970 jusqu’en 1996. Des tentatives privées récentes souffrent de pondérations peu justifiées et d’évaluations purement subjectives de coûts indirects. Le programme européen Mainstreaming Methodology for Estimating the Cost of Crime (MMECC, www.costsofcrime.org/) conseille de distinguer trois sortes de coûts : les conséquences directes pour les victimes, les dépenses publiques de répression, les coûts d’anticipation de prévention et de protection. La reprise de ces recherches devrait constituer une priorité dans la mesure de la délinquance.

Sources

Robert Ph., Zauberman R., Mesurer la délinquance, Paris, Presses de Sciences Po, 2011, passim et notamment 37-50 et ref. cit.

L’Observatoire national de la délinquance

Philippe Robert et Renée Zauberman, CNRS-CESDIP

Malgré les bonnes intentions affichées récemment par ses responsables, les pratiques de l’OND-RP correspondent encore mal sur des points cruciaux au consensus international sur la manière de mesurer l’évolution des criminalités.

1. Ainsi admet-on que les évolutions de la délinquance doivent s’apprécier dans la durée. Mais … lors de la création de l’enquête nationale de victimation Cadre de vie et sécurité (CVS), aucun effort n’a été consenti pour permettre le raccordement de cette nouvelle enquête aux données précédentes issues de l’Enquête permanente de l’INSEE sur les conditions de vie des ménages (EPCVM). Postérieurement, l’observatoire n’a pas exploité les cas où ce raccordement était quand même possible. Du coup, on gaspille en pure perte les données antérieurement produites notamment par l’INSEE et la durée sur laquelle travaille l’OND se limite en fait au dernier quinquennat ce qui est notoirement insuffisant.

La situation est similaire pour les statistiques de police et de gendarmerie. La seule qualité de cette donnée est son ancienneté. L’OND-RP borne pourtant, là aussi, pour l’essentiel son exploitation au seul quinquennat de M. Sarkozy.

2. On admet encore que la mesure de délinquance suppose la confrontation des mesures. Faute pourtant d’avoir reconstitué des séries historiques des enquêtes de victimation et des statistiques de police, leur comparaison est toujours biaisée par le décalage dans le temps : simple comptage d’activité des services, la statistique policière peut être obtenue très vite alors que l’enquête demande des délais de réalisation : quand la statistique sort, il n’y a aucune donnée contemporaine à mettre en face. Ainsi le comptage policier demeure-t-il en fait la donnée de référence, l’enquête de victimation vient toujours après la bataille ; se borner à regarder sa ‘compatibilité’ avec les données policières n’est pas une vraie confrontation.

Si l’on travaillait sur le long terme, on pourrait mener une comparaison sérieuse entre les séries de statistique policière et d’enquête de victimation. Les variations de court terme pourraient être remises en perspective : une croissance ou une décroissance de quelque % n’a pas le même sens si elle prolonge une tendance de long terme ou si elle l’interrompt.

3. Pour mesurer la délinquance, il faut encore recourir à bien d’autres sources que la statistique policière et l’enquête de victimation. Certes, l’OND-RP compile une multitude de données, provenant des pompiers, de la douane, de la Ville de Paris, des hôpitaux publics, des entreprises de transport… mais il s’agit toujours de relevés hétérogènes opérés par certaines administrations ou professions, pas d’une recherche systématique de termes de comparaison notamment en matière de criminalité sans victime où l’enquête de victimation est impuissante.

On ne confronte pas systématiquement les données policières sur les stupéfiants aux enquêtes de l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies (OFDT), celles sur les homicides à la statistique sanitaire des causes de décès, celles sur la fraude aux finances publiques aux travaux du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), à ceux de l’INSEE sur la comptabilité nationale ou à ceux de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) etc…

Ces pratiques n’ont pas permis de mettre fin au monopole de fait de la statistique policière comme mesure de la délinquance. L’OND-RP s’est laissé enfermer dans la seringue de discussions oiseuses sur les évolutions mensuelles ou annuelles. Il peine à débusquer après coup les irrégularités de cette statistique. Ce pilotage par l’aval ne parvient pas à remédier aux principales faiblesses affectant la production des statistiques policières.

4. Ce n’est pas l’OND qui produit les données primaires : les statistiques de police proviennent de ministère de l’Intérieur, les données judiciaires du ministère de la Justice, les enquêtes de victimation de l’INSEE, la statistique des causes de décès par l’Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale (INSERM), les estimations de fraude aux finances publiques par le CPO, l’ACOSS ou l’INSEE, les données sur les homicides et blessures de circulation par l’Observatoire National Interministériel de la Sécurité Routière (ONISR), celles sur les homicides et blessures par accidents du travail par la Caisse National d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS), les enquêtes sur la consommation de produits prohibés par l’OFDT...

Parmi ces producteurs, le ministère de l’Intérieur pose un sérieux problème : il ne dispose pas d’un service statistique ministériel (SSM). La production et l’agrégation des données de la police nationale et de la gendarmerie nationale sont menées à bien par les seuls agents de ces services sans aucune supervision de la statistique publique. Elles ressemblent à une boîte noire. Cette situation est encore aggravée par l’exclusion de la statistique d’une bonne partie de la délinquance enregistrée ou la multiplicité d’unités de compte - on additionne des véhicules, des chèques, des victimes, des plaignants, des auteurs, des procédures et (parfois) des infractions - de sorte que l’utilisation des totaux pose un très sérieux problème. Une autre difficulté est suscitée par la tendance à mobiliser cette statistique produite par une administration pour évaluer les performances de ses propres services. Cet usage gestionnaire favorise les distorsions, que les agents de base ajustent leurs enregistrements statistiques pour se protéger des contrôles de leur hiérarchie, ou que celle-ci travaille ensuite les agrégations pour les rendre plus conformes aux objectifs officiels ou à ses propres préférences. Un instrument qui sert à évaluer les performances d’une administration ne peut servir, en même temps, à mesurer le phénomène social dont cette administration est supposée s’occuper.

5. L’OND-RP présente et commente les données que lui transmettent les producteurs.

Pour que l’OND-RP puisse jouer un rôle satisfaisant, il faudrait remplacer le conseil d’orientation par deux organismes, l’un réunissant tous les fournisseurs de données (aussi bien le CPO, l’OFDT ou l’INPES… que les services statistiques de la Justice ou de l’Intérieur), l’autre réunissant les experts scientifiques de mesure des criminalités.

Il serait également nécessaire de modifier son rattachement. L’émanciper de l’Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice (INHESJ) serait de première utilité pour qu’on puisse le considérer comme réellement indépendant. Cette prise de distance serait d’autant plus utile que l’OND relève certes du Premier ministre mais que c’est le ministre de l’Intérieur qui communique à son sujet.

On a imaginé un temps soit de doter l’OND-RP de la personnalité morale comme une sorte d’autorité administrative, ce qui paraît disproportionné et qui serait fort coûteux, soit de le rattacher à l’INSEE, qui ne serait pas nécessairement très preneur d’autant qu’il n’a jamais développé en son sein une grande spécialisation dans l’examen de l’évolution des criminalités.

Une solution alternative, plus réaliste, consisterait peut-être à rapprocher l’OND-RP du projet de création d’un Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) tel que proposé par le récent rapport du Conseiller d’État Yannick Moreau. On laisserait ainsi l’Observatoire dans la mouvance des services du Premier ministre tout en le débarrassant de l’encombrante tutelle de l’INHESJ et sans avoir à créer une coûteuse nouvelle usine à gaz.

La délinquance contre les personnes

Philippe Robert et Renée Zauberman, CNRS-CESDIP

1. Les homicides volontaires se situent actuellement à un niveau très bas : 0,6/100 000 décès en 2010 en France métropolitaine d’après la statistique des causes de décès. Cette tendance à la baisse– qu’on retrouve aussi dans les données policières – se poursuit depuis les années 1990.

Les enregistrements des accidents du travail et de circulation suggèrent une tendance comparable pour les homicides par imprudence, mais avec des ordres de grandeur beaucoup plus importants.

2. Les enquêtes de victimation indiquent que les blessures volontaires ayant entraîné une incapacité de travail supérieure à huit jours ont probablement augmenté entre le milieu des années 1980 et celui de la décennie suivante, mais qu’elles restent depuis à un niveau très faible : en deux ans, environ 0,10 % des Français résidant en métropole en sont victimes.

Si la statistique policière indique, au contraire, une hausse de plus en plus manifeste du délit de coups et blessures volontaires, ce résultat est à mettre en relation avec le grand nombre de nouvelles lois qui ont transformé en délits d’anciennes contraventions (qui n’entraient donc pas dans la statistique policière). Cette indication n’est donc pas crédible.

Les enregistrements des accidents du travail et de circulation suggèrent que si les blessures liées à la circulation ont fortement décru, celles causées par des accidents du travail sont restées étales.

3. Ce sont les violences de moindre intensité (coups, menaces et injures, racket) qui sont les plus fréquentes. D’après les enquêtes nationales de victimation, moins de 3 % des personnes résidant en métropole sont victimes, en deux ans, d’agressions physiques n’ayant pas entraîné d’incapacité de travail supérieure à huit jours, et un peu moins de 15% de violences verbales. Le sérieux de ces atteintes tient moins à la gravité intrinsèque de chaque acte qu’à leur fréquente répétition.

4. Les agressions avec vol constituent une part importante (plus de la moitié dans les enquêtes réalisées par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme en Île-de-France) de l’ensemble des agressions déclarées dans les enquêtes de victimation.

5. Différentes enquêtes en santé publique [Baromètre Santé de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, Enquête sur la santé et les consommations lors de la journée d’appel à la défense (ESCAPAD) de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), Evènement de vie et Santé (EVS) de la Direction Recherche, Etudes, Evaluation et Statistiques (DREES)] laissent à penser que la violence subie par les jeunes atteint des niveaux encore supérieurs à ce qu’indiquent les enquêtes de victimation. Les membres de cette classe d’âge hésitent souvent à les mentionner comme victimations, surtout quand les faits ne sont pas très graves, d’autant qu’ils sont assez souvent à la fois victimes et auteurs de bagarres.

Ces enquêtes ne laissent pas voir ces dernières années de changement net du volume des jeunes impliqués dans la violence soit comme auteurs soit comme victimes.

6. Le principal facteur susceptible d’altérer dans les prochaines années ce tableau de la violence : la coexistence d’une prohibition rigide et de poches de sous-emploi chronique des jeunes conduit à l’établissement d’une économie informelle que la prohibition rentabilise au lieu de parvenir à la réduire. Les enjeux financiers pourraient alors être assez importants pour motiver le développement d’une violence cette fois de grande intensité.

7. On ne dispose pas encore de suffisamment d’enquêtes pour connaître les tendances qui affectent, au niveau national, les agressions sexuelles et celles par un proche cohabitant avec la victime. Les enquêtes nationales de victimation indiquent, pour la première infraction, entre 1 et 6 % de victimes de 18 à 59 ans sur deux ans et, pour la seconde, un peu au-dessus de 2 %.

Par ailleurs, ces infractions font l’objet de taux de dépôt de plainte assez faibles.

Les enquêtes spécialisées sur les violences faites aux femmes mettent l’accent sur la forte proportion d’agressions subies un cadre de vie privé.

8. Comme pour les autres délinquances à victime directe, c’est le dépôt de plainte par la victime qui déclenche l’enregistrement par la police.

La propension de la victime à informer les forces de l’ordre est globalement plus faible pour ces atteintes aux personnes que pour les vols et cambriolages. C’est seulement en cas d’agression grave – relativement rare - que le dépôt de plainte prend un tour plus systématique.

L’élucidation des affaires enregistrées est plus satisfaisante que pour les vols et cambriolages, si l’on excepte les agressions avec vol qui sont aussi peu élucidées que les autres vols (en 2011, 14 % pour les vols violents et 74 % pour les autres violences non sexuelles).

Sources

Robert Ph., Zauberman R., Mesurer la délinquance, Paris, Presses de Sciences Po, 2011, 76-107, 137-140 et ref. cit.

Robert Ph., Zauberman R., Jouwahri F., Délinquance et action publique : les illusions d’un diagnostic, Politix, 2013, 101, sp.

La délinquance contre les biens

Philippe Robert et Renée Zauberman, CNRS-CESDIP

1. Le cambriolage a beaucoup baissé par rapport à son niveau – très élevé notamment en région parisienne - du milieu des années 1980.

Certains indicateurs suggèrent qu’il a pu ré-augmenter ces dernières années, toutefois dans des proportions qui sont loin d’annuler la baisse du dernier quart de siècle. Il est possible que cette hausse concerne plutôt les tentatives que les cambriolages réalisés.

D’après les enquêtes nationales de victimation, il affecte en deux ans un peu moins de 4% des ménages.

La longue baisse de cette délinquance est généralement attribuée au développement des mesures de protection des logements contre l’intrusion.

2. Les vols de et dans les voitures ont aussi beaucoup baissé, mais seulement depuis le milieu des années 1990.

D’après les enquêtes nationales de victimation, cette infraction affecte en deux ans quelque 7% des ménages.

Il est frappant d’observer que le protocole (du 10 février 1994) entre assureurs et constructeurs de véhicules qui a donné le la à un développement systématique des dispositifs de protection date du milieu des années 1990. Cette hypothèse est renforcée si l’on observe l’importante proportion de tentatives de vols de voiture qui échouent. On constate aussi que les dégradations, elles, ne baissent pas.

3. Les vols personnels sans violence sont aussi marqués par une tendance à la baisse depuis le début des années 2000, après une alternance de hausses et de baisses pendant les quinze années précédentes.

En deux ans, ce délit affecte quelque 3 % de la population métropolitaine.

4. Les vols violents sont mesurés depuis trop peu de temps par les enquêtes de victimation pour qu’on puisse indiquer une tendance ; en tous cas, plusieurs indicateurs les situent à un niveau assez consistant ces dernières années.

On soupçonne un effet de déplacement : la meilleure protection des logements et des véhicules favoriserait la prise du bien convoité – par un téléphone portable – sur son propriétaire lorsque celui-ci se déplace dans l’espace public, ce qui suppose au minimum un arrachage.

En deux ans, cette infraction atteint quelque 1 % de la population métropolitaine.

5. Au total, l’ensemble des vols et cambriolages connaît une baisse par rapport à son niveau du milieu des années 1980. Elle fait toutefois suite à une probable hausse très importante des atteintes aux biens à partir du début des années 1960 de sorte que cette délinquance contre les biens constitue le risque le plus répandu.

6. La plus grande partie des atteintes aux biens que la police et la gendarmerie enregistrent par procès-verbal le sont parce que la victime a décidé de déposer plainte.

La propension des victimes à informer les forces de l’ordre varie beaucoup selon la sorte d’affaires : en moyenne, les trois quarts des cambriolages, les sept dixièmes des vols de voiture, la moitié des vols personnels sans violence, moins de la moitié des vols dans les voitures, les deux cinquièmes des vols de deux-roues, moins du tiers des dégradations de véhicules.

Cette délinquance se caractérise par un très faible taux d’élucidation (y compris pour les vols avec violence) : on parvient à identifier un suspect dans moins du sixième des affaires enregistrées, ce qui met la Justice hors d’état de traiter la plus grande partie de ces procès-verbaux. Cette faiblesse de l’élucidation rend illégitime toute supputation à visée étiologique – qu’elle soit faite par le ministère de l’Intérieur ou l’Observatoire national de la délinquance - sur les caractéristiques des auteurs de ces infractions : on ne les connaît que pour la toute petite minorité de cas élucidés et rien ne permet de les extrapoler à l’ensemble des auteurs.

Le recours à l’assurance est loin d’être aussi systématique qu’on l’imagine parfois : les enquêtes réalisées en Île-de-France par l’Institut d’aménagement et d’urbanisme (IAU-IdF) montrent que si les trois-quarts des victimes de vols de et dans les voitures perçoivent une indemnisation, c’est seulement le cas pour la moitié des cambriolés et le dixième des victimes de vols personnels.

Sources

Robert Ph., Zauberman R. Mesurer la délinquance, Paris, Presses de Sciences Po, 2011, 92-94, 108-117, 137-140 et ref. cit.

Robert Ph., Zauberman R., Jouwahri F., Délinquance et action publique : les illusions d’un diagnostic, Politix, 2013, 101, sp.

La délinquance routière

Philippe Robert et Renée Zauberman, CNRS-CESDIP

1. La délinquance routière n’est pas actuellement comprise dans les statistiques policières. Un document de la Direction de la modernisation et de l’action territoriale (DMAT) du ministère de l’Intérieur, intitulé Le comportement des usagers de la route, recense en fait les procès-verbaux dressés par la police et la gendarmerie nationales en matière de circulation routière.

2. Ce rapport indique que 572 796 délits routiers ont été relevés en 2011, essentiellement en matière d’alcoolémie au volant (171 672), de délits de fuite (135 679), de défaut de permis – et assimilé - (106 016) ou d’assurance (86 220). Si ces délits étaient réintégrés dans la ‘statistique de police’ publiée par la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), leur masse imposante les placerait parmi les catégories les plus nombreuses donnant ainsi une image plus exacte de ce qu’est l’activité de la police et de la gendarmerie nationales.

3. À côté des délits, le rapport de la DMAT mentionne encore 15 485 982 contraventions hors infractions de stationnement [qui sont, elles, au nombre de 7 377 106, mais sans compter l’activité des services municipaux]. Les deux tiers de ces contraventions (9 649 052) sont des excès de vitesse relevés par radar (auxquels il convient d’ajouter 745 736 contraventions relevées par radar en matière de feux rouges). Les procès-verbaux pour excès de vitesse ont ainsi été multipliés par dix depuis 2001.

4. Ces données sur l’action policière peuvent être mises en relation avec celles du l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) qui montrent une baisse continue du nombre de tués et de blessés en raison d’accidents de circulation depuis 1972 après une hausse ininterrompue depuis 1953, année où commence la série.

Cet indicateur ne se limite pas aux homicides et blessures par imprudence : un certain nombre d’accidents peuvent, en effet, ne mettre en cause aucune responsabilité pénale, ainsi dans le cas où la victime de l’accident en est aussi le seul auteur. Mais, si l’on raisonne en tendance, il en donne une valeur approchée.

Il serait intéressant pour l’examen sur longue période des politiques publiques de reconstituer une série policière aussi longue. Le rapport de la DMAT ne permet de le faire – quoique pas systématiquement – que sur la période 2001-2011. Le raccordement de ces données avec celles publiées antérieurement par la direction des Libertés publiques et de la Réglementation (DLPR) du ministère de l’Intérieur pose problème : cette source-ci indiquait déjà plus de vingt millions en 1992 alors que le rapport DMAT n’est qu’à moitié moins en 2001. Le champ a dû varier dans le temps et il serait utile de chercher à reconstituer une série longue à champ constant.

Sources

Direction de la modernisation et de l’action territoriale, le comportement des usagers de la route. Bilan statistique de l’année 2011, Paris, ministère de l’Intérieur.

Robert Ph. Aubusson de Cavarlay B., Pottier M.L., Tournier P., Les comptes du crime. Les délinquances en France et leurs mesures, Paris, L’Harmattan, 1994, tableau 5, page 36.

Robert Ph. Zauberman R., Mesurer la délinquance, Paris, Presses de Sciences Po, 2011, fig. 3 p.40 ; fig 4 p.78.

La délinquance économique et financière

Philippe Robert et Renée Zauberman, CNRS-CESDIP

1. Mesurer la délinquance économique et financière constitue la première priorité : on ne dispose actuellement d’aucune mesure crédible des infractions au droit pénal des affaires et l’équité devant les charges publiques constitue une priorité de l’action gouvernementale

2. Les enquêtes françaises de victimation en population générale ne renseignent pas sur ce type de délinquance ; certes la première enquête nationale interrogeait sur l’escroquerie, les infractions de consommation et celles au droit du travail mais cet essai est resté sans lendemains.

3. On n’en apprendra pas beaucoup plus avec les statistiques policières : la police et la gendarmerie ne sont pas toujours les administrations les plus impliquées dans cette matière, surtout les unités de compte (les procédures ou les plaignants) ne sont pas pertinentes : même si elles sont peu nombreuses (en 2011, un peu plus de 300 000 escroqueries, abus de confiance, infractions en matière de chèques… et quelque 30 000 affaires économiques et financières à strictement parler) ces affaires peuvent porter sur des montants financiers conséquents.

4. Il faut donc se tourner vers des approches permettant la prise en compte des montants en jeu.

5. Pour mesurer l’économie souterraine, on use

* soit d’indicateurs macroéconomiques indirects comme la demande de monnaie, la différence entre forces de travail officielle et effective, la consommation d’électricité, la comparaison des agrégats de la comptabilité nationale ;

* soit d’indicateurs micro-économiques directs comme des données d’enquête ou l’extrapolation de contrôles fiscaux.

Les premiers surestiment – parfois considérablement – l’importance de l’économie souterraine, tandis que les seconds fournissent plutôt une estimation minimale ou plancher.

6. Des études particulières sont déjà disponibles. Ainsi en 2001 Jean Cartier-Bresson a évalué la délinquance économique et financière transnationale tandis qu’en 2003, Pierre Kopp a étudié l’économie de la drogue pour comparer les performances respectives des programmes de répression et de réduction des risques ou de soins dans une perspective de minimisation du coût social.

7. Les atteintes aux finances publiques constituent un secteur important de la criminalité économique et financière ; c’est l’un de ceux pour lesquels des données sont déjà disponibles.

Après plusieurs expériences du Conseil des Impôts, soit à partir des enquêtes fiscales, soit en comparant données fiscales et données économiques, le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a publié en 2007 une estimation de la fraude aux prélèvements publics. Il est parti du montant des redressements effectués, de 2001 à 2005, tant pour les cotisations sociales que pour les impôts. Puis il a extrapolé à partir de ces données de contrôle – en redressant certains des biais dus au caractère non aléatoire des contrôles – pour situer la fraude dans une fourchette comprise entre 29 et 40 milliards d’euros.

Montant des redressements et fraude sont alors dans un rapport de 1 à 2 ou 2,5 selon la branche de la fourchette considérée.

Il serait souhaitable que cette estimation soit répétée régulièrement afin de dégager une tendance.

En 2011, l’INSEE a perfectionné l’extrapolation des contrôles fiscaux grâce à une reconstitution par analyse de régressions des critères de sélection des entreprises contrôlées. Les montants à ajouter aux comptes nationaux sont – en milliards d’euros – de 45,1 pour la production, 55,1 pour la valeur ajoutée.

Par ailleurs, l’Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS) a évalué la fraude aux prélèvements sociaux en procédant à un contrôle sur un échantillon aléatoire d’entreprises.

11. Enfin, il y aurait intérêt à replacer ces travaux dans une optique de coût du crime, une méthode régulièrement utilisée en France depuis les années 1970 mais interrompue depuis une quinzaine d’années. Le réinvestissement de cette veine de travaux devrait être précédé d’un état international des savoirs afin d’éviter les démarches fantaisistes ou subjectives.

Sources

Cartier-Bresson J., Josselin C., Manacorda S., Les délinquances économiques et financières transnationales et globalisation. Analyse et mesures du phénomène, Paris, IHESI, 2001.

CPO, La fraude aux prélèvements obligatoires et son contrôle, Paris, CPO, 2007.

Direction de la réglementation, du recouvrement et du service (DIRRES), Lutte contre le travail illégal, Paris, ACOSS, 2004.

Fauvelle-Aymar C., Kopp P., Vornetti P., Evaluer l’ampleur de l’économie criminelle, Cahiers de la sécurité intérieure, 2002, 48

Kopp P., Economie de la drogue, Paris, La Découverte, 2003.

Louvot-Runavot C., L’évaluation de l’activité dissimulée des entreprises sur la base des contrôles fiscaux et son insertion dans les comptes nationaux, Paris, INSEE, Direction des études et synthèses économiques, 2011

Robert Ph., Zauberman R., Mesurer la délinquance, Paris, Presses de Sciences Po, 2011, 41-46, 74-76 et ref.cit.

Willard J.C., L’économie souterraine dans les comptes nationaux, Économie et statistique, 1989, 226.

Les mineurs mis en cause selon les statistiques de police

Bruno Aubusson de Cavarlay, CNRS-CESDIP

La délinquance juvénile un des sujets sur lequel les données policières issues de l’état 4001 sont fréquemment mobilisées. Les chiffres parleraient alors d’eux-mêmes : le nombre de mineurs mis en cause pour vols avec violence a augmenté de 146 % depuis vingt ans, 44 % des vols avec violence sont commis par des mineurs, les coups et blessures volontaires commis par des mineurs ont doublé depuis 2000… Utilisés ainsi sans précaution, ces chiffres ne laissent pas de doute sur l’augmentation de la violence des mineurs.

Des trois énoncés ci-dessus, seul le premier exprime le contenu des statistiques policières. Encore faut-il peser chacun de ses termes et les conditions d’appréciation du résultat. Le second doit être rectifié pour préciser que, parmi les personnes enregistrées par la police ou la gendarmerie comme mis en cause pour vol avec violence (suspects entendus par procès-verbal), 44 % étaient des mineurs en 2011. Pour les vols avec violence, l’élucidation des faits (ce qui va de pair avec le comptage d’un ou plusieurs mis en cause) ne représentant qu’à peine un cas sur sept, le comptage des mineurs concerne même pas tous les vols avec violences en registrés par la police. Même rectification pour le dernier énoncé : ce sont les auteurs mineurs mis en cause pour coups et blessures volontaires (délits) dont le nombre double approximativement entre 2000 et 2011. Mais la croissance est forte aussi pour les mis en cause majeurs. Pour ces coups et blessures délictuels enregistrés et élucidés, la proportion de mineurs est de 17,3 % en 2011, soit une proportion proche de celle qui est calculée pour l’ensemble des faits constatés (17,7 %). Toutefois, cette proportion n’était que d’environ 9,2 % en 1980 alors que la proportion globale des mineurs parmi les mis en cause était à 18 %.

Évaluer quantitativement la délinquance des mineurs à partir des données policières est d’autant plus courant qu’elles sont disponibles sur une longue durée (depuis 1972 sous un format permettant d’établir des séries longues moyennant quelques précautions) tandis que les sources alternatives sont très peu développées en France. Même ceux qui regardent avec suspicion les « chiffres du 4001 » lorsqu’il s’agit de la criminalité ou délinquance en général peuvent adopter une attitude pragmatique lorsqu’il s’agit de l’évolution ou de la répartition géographique de la délinquance des mineurs et considérer que connaître cette délinquance « apparente » vaut mieux que l’ignorance totale. On rappellera donc ici les limites d’utilisation des statistiques de police judiciaire avant de commenter quelques résultats de long terme en respectant ces règles méthodologiques de base.

Les précautions de base

Tout ce qui est dit et répété de façon générale des lacunes et limites de l’actuelle statistique collectée selon l’état 4001 vaut pour le dénombrement des mineurs mis en cause. Sans reprendre le catalogue habituel supposé connu (champ statistique, unité de compte, méthode de collecte et nomenclatures), quelques conséquences à propos des mineurs mis en cause méritent attention.

Le champ de la statistique reste en 2013 limité par deux sortes d’exclusion aux conséquences variables dans le temps et selon que les auteurs interpellés sont mineurs ou majeurs. Les cas ne faisant pas l’objet d’une procédure transmise au parquet ne sont pas répertoriés et les procédures ne visant que des contraventions (y compris de 5ème classe) sont exclues. C’est le traitement des infractions de moindre gravité qui est donc en jeu dans le sens d’un enregistrement des cas et des personnes plus ou moins systématique au cours du temps ou selon les ressorts judiciaires. Or la délinquance des mineurs est quantitativement d’abord une affaire de multiplication de faits de moindre gravité. C’est d’ailleurs la difficulté principale rencontrée lors de la mise en place d’enquêtes en population générale, ou plus vraisemblablement en population scolaire, pour obtenir des dénombrements réputés indépendants du filtre institutionnel (« délinquance auto-reportée »). Les « faits » ou « actes » les plus massivement répertoriés dans ces enquêtes ont très peu de chances d’être pris en compte dans le 4001 même en supposant que la police ou la gendarmerie en ait connaissance : dégradations légères, insultes, voies de fait ou violences physiques sans préjudice notoire, appropriation frauduleuse d’objets de moindre valeur, expérimentation de produits illicites… Mais qu’une modification législative (par exemple ajout d’une nouvelle circonstance aggravante) ou qu’un changement dans les critères d’appréciation relevant de la politique pénale nationale ou locale intervienne et c’est alors au sein de cet ensemble numériquement le plus important que la frontière de l’enregistrement statistique va se déplacer avec des « résultats » repérables. La période 1992-1998 est en France celle qui montre le plus visiblement un tel effet (cf. séries commentées plus loin).

Le filtre de l’élucidation est aussi crucial pour l’interprétation des données relatives aux mineurs mis en cause. Les deux notions, « mis en cause » et « élucidation » sont indissociables dans les consignes méthodologiques supposées régler le recueil statistique. Pour qu’un fait soit considéré comme élucidé, il faut qu’une personne suspectée d’en être l’auteur –le mis en cause- soit entendue par procès-verbal, bien sûr transmis au parquet dans le cadre d’une procédure pénale pour crime ou délit. De là découle la possibilité de calculer un ratio dit « taux d’élucidation » en divisant le nombre de faits élucidés par le nombre de faits constatés pour une période et un ensemble d’infractions déterminés. Les critiques émises à propos de ce taux d’élucidation valent alors pour la définition des mis en cause et donc des mis en cause mineurs. Quelle que soit le seuil d’enregistrement statistique en termes de gravité, une variation de l’intensité de l’activité et de l’enregistrement policier liée à des considérations de mesure de l’élucidation se traduira sur le nombre de mis en cause mineurs. Les considérations générales sur la diversité des situations procédurales ne peuvent pas être gommées : les taux d’élucidation de 100 % ou plus sont le signe des infractions repérées uniquement à l’initiative des services (usage de stupéfiants, séjour irrégulier des étrangers, mais aussi port d’armes ou outrages à agent de la force publique) ; les infractions contre les personnes ne sont pas dans ce cas (les trois quarts des coups et blessures délictuels sont dits élucidés) tout en étant probablement principalement enregistrés sur plainte des victimes ; les vols –et très significativement les vols avec violence- présentent des taux d’élucidation nettement plus bas car le plus souvent les plaignants n’apportent pas d’éléments d’identification suffisants, mais lorsqu’élucidation il y a, ceci peut aussi être la marque d’une initiative de la police ou de la gendarmerie. Contrairement à ce que laisse supposer la présentation officielle des résultats du 4001 – présentation avalisée par l’OND-, en police judiciaire, le repérage d’initiative de certaines infractions n’est pas limité à certains index du 4001. L’élucidation d’une faible fraction des vols commis sur la personne (vols dits à la tire pouvant aussi bien ensuite être comptés comme vols avec violence), des vols de ou sur des véhicules, des cambriolages aussi résulte probablement souvent de la surveillance policière. L’activité de certains services est en bonne partie orientée vers ce type d’affaires réalisées en flagrant délit.

Il ne faut pas perdre de vue ce que représente le critère de minorité. C’est la seule façon possible pour le moment, pour l’ensemble des services de police judiciaire, d’aborder la répartition par âge des personnes mis en cause. La courbe d’âge des délinquants repérés par les institutions pénales fait quasiment partie du patrimoine de la statistique criminelle avec une attribution de paternité à Adolphe Quételet. Lorsque la version actuelle de la statistique de police a été mise en place, les éléments statistiques qu’il avait utilisés pour dessiner cette courbe étaient toujours disponibles. Il était donc banal d’affirmer que le seuil de minorité (18 ans) n’est pas le plus pertinent pour opérer une dichotomie selon l’âge au sein de la population des délinquants (criminalité apparente ou criminalité légale), le sommet de la courbe d’âge étant plus proche de la trentaine. Le critère de minorité (tous les mis en cause jusqu’à 18 ans non révolus) n’est pas très satisfaisant non plus puisque dans la législation française il n’existe pas de seuil inférieur précis : l’âge de 13 ans intervient pour la détermination de la sanction mais non pour la prise en compte d’une responsabilité pénale et, de plus, le seuil intermédiaire de 16 ans induit des « réponses » plus significatives que pour la tranche 13-15 ans. Tout ceci n’étant basé sur le plan statistique que sur l’examen des statistiques de condamnations, il est de plus en plus incompréhensible que les données policières ne soient pas disponibles selon l’âge des mis en cause (ou leur âge supposé).

Mais il existe bien une spécificité de traitement pénal des mineurs et, malgré ou justement en raison des évolutions législatives récentes tendant à rapprocher le droit pénal des mineurs du droit commun, la traduction statistique de cette spécificité n’est pas entièrement soluble dans des considérations vaguement criminologiques à propos de la carrière délinquante. A tel point d’ailleurs qu’il est affirmé avec constance par les praticiens que le caractère protecteur sur le plan pénal de la situation de minorité peut conduire à un enregistrement par excès des mineurs concernant des majeurs parvenant à se faire considérer comme mineurs, au moins au stade policier de l’enquête ou encore que, lors d’activités délictuelles ou criminelles de groupe, les mineurs sont volontairement placés en situation de plus grande visibilité par les majeurs puisque le risque pénal encouru serait moindre pour eux.

L’effet des politiques pénales sur la quantification

L’accroissement apparent de 1992-1998, réponse pénale systématique.

Au cours des deux dernières décennies, la situation en matière de délinquance juvénile est revenue au premier rang des préoccupations politiques. Les orientations prises ont alors favorisé un signalement plus systématique au parquet d’affaires de moindre ou moyenne gravité, avec le souci croissant de marquer une réponse pénale d’une façon ou d’une autre. Vraisemblablement aussi, il a été mis fin à une pratique consistant à limiter la réponse judiciaire après une infraction à un suivi par le juge des enfants dans le cadre de l’assistance à mineur en danger. Les statistiques policières ont alors traduit ces orientations en une augmentation importante du nombre de mineurs mis en cause, ce qui a été souvent décrit à tort comme une explosion de la délinquance juvénile.

L’examen attentif des séries reconstituées sur long terme (1974-2011) rend encore plus évident avec le recul un saut quantitatif entre 1992 et 1998. Prises une à une par types d’infractions (avec des regroupements des 107 index permettant des séries), les courbes représentant l’évolution des faits constatés sont très diverses. Pourtant, s’agissant des mineurs mis en cause, le même saut est visible ce qui conforte l’hypothèse d’un facteur commun à l’ensemble des séries pour les mineurs, qui ne relève pas particulièrement d’un type de délinquance. Durant cette période, des circulaires nationales invitent les parquets et les juridictions pour mineurs à s’engager nettement dans la voie de la réponse pénale systématique, quitte à développer des alternatives aux poursuites ; elles sont suivies d’effets selon les statistiques judicaires. La vue globale donnée par le graphique 1 résume l’effet d’enregistrement systématique qui en découle pour les statistiques de police : ce qui avant 1992 échappait au comptage par application des règles (par exemple en cas de signalement judiciaire sans transmission de procédure pénale) est devenu en quelques années bien plus visible selon les données du 4001.

GRAPHIQUE 1 : MINEURS MIS EN CAUSE SELON L’ÉTAT 4001, PAR TYPE D’INFRACTIONS REGROUPÉS

Source : État 4001, DCPJ et ONDRP. Champ : métropole.

Les impératifs du chiffre (2002-2010)

La présentation en courbes empilées du graphique 1, avec un choix délibéré pour l’ordre des types d’infractions, montre que les mis en cause mineurs pour cambriolages, vols liés aux véhicules (première courbe en bas) et pour vols à l’étalage (deuxième courbe) représentent un sous-ensemble en nette diminution depuis 1982, diminution seulement entrecoupée de la croissance 1992-1998 interprétée comme un facteur de sur-enregistrement.

Après 1998, la décroissance de ce premier ensemble est approximativement compensée par la croissance d’un ensemble comprenant les vols sur particuliers (sans violence) et les vols avec violence ainsi que les destructions et dégradations (y compris incendies). La croissance du total des mineurs mis en cause, représentée par le niveau de la courbe supérieure, est alors entretenue de façon significative par l’augmentation des trois catégories placées en haut du graphique. Il s’y trouve les infractions au séjour des étrangers, les faux documents, les ports d’armes prohibées, les outrages et violences à agent de la force publique et autres infractions de police générale regroupées dans la rubrique libellée « police », les infractions en matière de stupéfiants (libellée « stupéfiants ») et les infractions dites astucieuses ou économiques ainsi que la rubrique des infractions diverses (libellée « diverses »). La croissance du total est aussi alimentée par celle des infractions contre les personnes.

La contribution des regroupements « police » et « stupéfiants » à la croissance du nombre total de mineurs mis en cause est importante. Elle s’intensifie entre 2002 et 2010, l’ensemble « police » augmentant de 74 % et celui des stupéfiants de 23 %. Pour ces catégories d’infractions, incluses aujourd’hui dans le poste des infractions repérées à l’initiative des services pour les publications officielles, le niveau des faits constatés est lié à l’intensité de l’activité policière. L’enregistrement des mis en cause suit la même logique. Mais il a aussi été remarqué avec pertinence que ces variations d’activité pouvaient répondre aux objectifs fixés aux services en termes de taux d’élucidation. Pour une bonne part, la croissance globale du taux d’élucidation après 2002 provient d’une transformation de la structure des faits constatés (moins de cambriolages et vols liés aux véhicules peu élucidés et au contraire de plus en plus de ces « IRAS »). Cette conséquence pour les faits élucidés se retrouve nécessairement pour les mis en cause, et les mis en cause mineurs semblent alors être au premier rang des publics visés en termes d’interpellation ou d’implication (au minimum convocation pour rédaction d’un procès-verbal) par exemple les outrages ou violences à agents et pour l’usage de stupéfiants.

GRAPHIQUE 2 : MINEURS MIS EN CAUSE POUR USAGE DE STUPÉFIANTS ET USAGE-REVENTE

Nombre absolus (échelle de gauche) et proportion de l’ensemble des mis en cause (échelle de droite)

Source : État 4001, DCPJ et ONDRP. Champ : métropole.

GRAPHIQUE 3 : MINEURS MIS EN CAUSE POUR OUTRAGE ET VIOLENCES À AGENTS DE L’AUTORITÉ PUBLIQUE


Nombre absolus (échelle de gauche) et proportion de l’ensemble des mis en cause (échelle de droite)

Source : État 4001, DCPJ et ONDRP. Champ : métropole.

Les atteintes aux personnes et leur qualification pénale.

Le graphique 1 met enfin en évidence la contribution très importante à la croissance du nombre total de mineurs mis en cause des infractions rangées sous la rubrique des atteintes contre les personnes (libellées « personnes »). Les deux composantes principales en sont les coups et blessures volontaires et les atteintes sexuelles. Pour ces deux rubriques, l’effet d’éventail entre 1992 et 1998 est nettement visible. Cependant l’évolution des faits constatés pour ces rubriques montre un profil propre (forte croissance débutant au milieu des années 1980 et se poursuivant encore à la fin de la dernière décennie, au moins pour les coups et blessures) et la montée de la part des mineurs mis en cause ne se résume pas à l’effet de sur-enregistrement de 1992-1998 ou de « politique du chiffre » des années 2000. C’est ce qu’indiquent les deux graphiques suivants.

GRAPHIQUE 4 : MINEURS MIS EN CAUSE POUR INFRACTIONS SEXUELLES.

Nombre absolus (échelle de gauche) et proportion de l’ensemble des mis en cause (échelle de droite)

Source : État 4001, DCPJ et ONDRP. Champ : métropole.

La série établie pour les infractions sexuelles regroupe les viols et attentats à la pudeur avant 1994 et les viols et agressions sexuelles après. Elle indique bien une croissance rapide de la part des mineurs mis en cause parmi l’ensemble des mis en cause (majeurs et mineurs). Cependant, même avant 1992 la part des mineurs n’était pas négligeable : à côté des vols de toutes sortes et des dégradations qui fournissait l’essentiel de la population des mineurs mis en cause, les infractions sexuelles étaient caractérisées par une proportion de mineurs déjà supérieure à la moyenne générale. Après 1998 l’augmentation de la part des mineurs se prolonge tandis que leur nombre absolu ne dépasse pas le maximum observé atteint en 2004. Finalement pendant la période de croissance généralisée des signalements d’infractions sexuelles, les mineurs impliqués comme auteurs dans les procédures judiciaires ont été tendanciellement plus représentés pour arriver à environ un quart en fin de période observée.

GRAPHIQUE 5 : MINEURS MIS EN CAUSE POUR COUPS ET BLESSURES VOLONTAIRES DÉLICTUELS

Nombre absolus (échelle de gauche) et proportion de l’ensemble des mis en cause (échelle de droite)

Source : État 4001, DCPJ et ONDRP. Champ : métropole.

Pour les coups et blessures volontaires délictuels, le mouvement est remarquable puisque la proportion de mineurs double sur toute la période, les coups et blessures étant devenus un type d’infraction pour lequel les mineurs sont représentés comme pour l’ensemble des types infractions alors qu’ils étaient très sous-représentés encore au début des années 1980. Pour les faits constatés, il est bien connu maintenant que l’effet législatif est marquant puisque par le jeu de circonstances aggravantes ajoutées au fil des années les cas délictuels ne sont plus strictement comparables quant aux faits incriminés. Ceci vaut alors pour l’ensemble des mis en cause et donc pour les mineurs. Ce mécanisme peut-il influer sur la proportion de mineurs qui renforce l’effet général, d’où le caractère accusé de la croissance du nombre absolu de mineurs mis en cause jusqu’en 2010 ? On peut aisément trouver des arguments en ce sens –aggravations pour les infractions commises en groupe, sur certaines personnes réputées être la cible de violences juvéniles, etc.- cela tendrait à minorer l’évolution des violences commises par les mineurs par rapport à celle qui est enregistrée. Sans élément de preuve assuré, il convient donc ne pas sous-estimer la dépendance des résultats concernant les mineurs auteurs de coups et blessures comptabilisés dans le 4001 d’un ensemble de changements dans la législation et la politique pénale qui, a priori, conduisent à des résultats en hausse. Attendre de ces changements, au moins dans un premier temps, une baisse des indicateurs de délinquance des mineurs enregistrée est malvenu.

La complexité de la lecture des résultats

Le commentaire des séries présentées ci-dessus est probablement difficile à suivre pour le lecteur non familier de telles données et même des utilisateurs réputés experts peuvent parfois se laisser prendre par la complexité de la matière. Reprenons les diverses façons de présenter les résultats, avant d’en ajouter une autre qui résumera en partie ces données.

Variations absolues et variations relatives

Le cas des vols avec violence a été retenu pour évoquer en introduction quelques énoncés mal formulés. Avec la représentation adoptée pour les autres types d’infractions, voici l’évolution du nombre de mis en cause pour vols avec violence (avec ou sans armes).

GRAPHIQUE 6 : MINEURS MIS EN CAUSE POUR COUPS ET BLESSURES VOLONTAIRES DÉLICTUELS.


Nombre absolus (échelle de gauche) et proportion de l’ensemble des mis en cause (échelle de droite)

Source : État 4001, DCPJ et ONDRP. Champ : métropole.

Une lecture trop rapide retiendra seulement une augmentation de la proportion de mineurs (courbe en trait plein). Or la plus grosse part de l’augmentation (passage d’environ 25 à 40 %) se situe entre 1992 et 1998, et il faut donc l’attribuer d’abord au changement de politique pénale à l’égard des mineurs. Pour les autres portions de la courbe, les périodes de baisse suivent les périodes de hausse, sans bilan net. La remontée récente (2004-2010) est sensible mais pas forcément le signe d’une tendance durable. L’approche en nombre absolus reste aussi nécessaire : en 2001 un premier maximum a été atteint et l’on pouvait dire alors que le nombre de mis en cause mineurs pour vols avec violence avait doublé en dix ans. Depuis, il n’y a pas de mouvement régulier, même de 2004 à 2010. Il faut donc combiner les deux approches (nombres absolus et proportion), ce que tente le format de graphique adopté, au risque de paraître compliqué. Choisir une plus grande simplicité serait aussi choisir opportunément et commenter la courbe ou l’indicateur qui convient le mieux à une mise en scène des chiffres qui « parlent d’eux-mêmes ».

Les mineurs comme partie de l’ensemble des mis en cause

Introduire systématiquement la proportion des mineurs mis en cause à côté de leur nombre absolu est une façon de rappeler qu’il existe bien une évolution du nombre total de mis en cause dont le profil général doit être gardé en mémoire, en lien avec les faits constatés et les faits élucidés. Les évolutions relevées pour les vols avec violences ne peuvent être comprises sans rappeler que leur taux d’élucidation reste très bas (comparativement aux autres types d’infraction). La représentativité des mis en cause par rapport à la population des auteurs de vols avec violence, interpellés ou non, n’est pas assurée et la théorie du thermomètre faux mais utilisable tant que le biais est constant n’est que de la poudre aux yeux. Le propre de ce type de biais est d’être inconnu tant que des sources alternatives ne sont pas accessibles. Alors que le taux d’élucidation des vols avec violence dans leur ensemble reste bas entre 2002 et 2010 (environ 15 %) malgré une légère remontée pour les autres sortes de vols, en appliquant ce postulat de biais constant, il faudrait conclure que la remontée récente des mineurs interpellés pour vols avec violence a l’avantage de compenser une baisse de l’élucidation pour les faits commis par les majeurs…

De façon plus assurée, et à condition que les résultats du 4001 ne soient pas sous l’influence de pratiques visant un résultat chiffré autant qu’une réponse vraiment adaptée à la situation en matière de délinquance, les séries concernant les auteurs mis en cause sont très utiles. Elles sont à peu près la seule indication quantitative, par types d’infractions, sur les entrées au parquet de cas susceptibles d’un traitement pénal autre que le classement sans suite auteur inconnu, puisque les statistiques judiciaires ne sont pas détaillées par infractions à ce stade.

Transformation de la structure par infractions de la population des mineurs mis en cause

Pour l’ensemble des mis en cause (majeurs et mineurs), le point important est la croissance de long terme maintenant, depuis le milieu des années 1980, des cas relevant d’incriminations incluant une forme ou une autre de violence : coups et blessures volontaires, atteintes sexuelles, vols avec violence, menaces, outrages et violences à personnes représentant l’autorité publique, destructions et dégradations. Inversement, la décrue est importante pour les vols sans violence, toujours pour les cas pour lesquels des poursuites pourront être envisagé un suspect ayant été entendu (faits élucidés). Cette décrue est le résultat combiné, dans des proportions difficilement chiffrables, de la baisse tendancielle de l’élucidation et de la diminution des faits subis par les victimes, celle-ci étant attestée par les enquêtes de victimation au moins depuis le milieu des années 1990 pour les vols liés aux véhicules et les cambriolages. Si les statistiques de police judiciaire ne peuvent rien dire de l’évolution des violences commises, elles ne laissent pas de doute sur l’importante transformation qui a eu lieu en vingt-cinq ans plaçant au premier rang des cas « traitables » cet ensemble d’affaires connotées de violence, au détriment des atteintes sans violence à la propriété qui ont longtemps été le domaine principal de la répression pénale.

La transformation est nettement accentuée s’agissant des mineurs (tableau 1) : le retrait de la part des vols sans violences a d’autant plus de conséquences pour eux qu’il s’agissait encore au milieu des années 1980 des infractions justifiants le plus de signalement et de poursuites à leur égard ; la montée des affaires relevant d’une forme de violence ou d’une autre est renforcée par une augmentation de la part des mineurs. Cela résulte en bonne part d’un changement général de politique pénale à leur égard mais aussi de façon moins facilement discernable de changements plus spécifiques à tel ou tel type d’infractions. Et sur ce dernier point, on peut regretter que la nomenclature des infractions (index 107) n’ait pas suivi les évolutions : les vols de téléphones portables et autres objets convoités portés sur soi, les rackets, les violences en milieu scolaire ne sont pas repérables, pour ne citer que des exemples sensibles pour mieux comprendre les classifications policières des mineurs mis en cause.

TABLEAU 1

Les risques de cercle vicieux

Si l’augmentation du nombre de mineurs mis en cause selon l’état 4001 et le renforcement très significatif de la part de ces mineurs impliqués pour des infractions à caractère violent sont manifestes sur le long terme, l’utilisation de ces données pour l’évaluation des politiques pénales menées à propos de la délinquance juvénile doit être prudente. Il ne s’agit pas de poursuivre les polémiques qui peuvent déconcerter les utilisateurs non avertis des défauts méthodologiques caractérisant cette source de données. Il ne s’agit pas non plus de trancher sur la « réalité » des variations de la délinquance juvénile, au-delà de l’image déformée que peut en donner une statistique institutionnelle. Plus fondamentalement, il est indispensable de prendre acte du fait que la statistique de police judiciaire est avant tout un indicateur d’activité. Cette contrainte d’utilisation ne vaut pas seulement pour les faits constatés et les faits élucidés. Elle conditionne aussi les informations relatives aux personnes mises en cause, et donc le sous-ensemble des mineurs.

Les orientations des politiques pénales menées à l’égard des mineurs se sont traduites par des montées successives du nombre des mineurs mis en cause. La transformation profonde des types d’infractions pour lesquels ils sont impliqués se déroule au travers de ces épisodes de croissance mais ne concernent pas les seuls mineurs, même si une sorte d’effet de loupe joue pour eux. L’une des plus mauvaises utilisations que l’on puisse faire des résultats statistiques de l’état 4001 consiste alors à invoquer cette croissance et les déplacements de contentieux observés pour appeler ou justifier une intensification du caractère répressif de ces politiques. Sauf à admettre que ces statistiques institutionnelles ne servent qu’à entretenir un cercle vicieux puisqu’une telle intensification conduirait à une nouvelle croissance de ces indicateurs.

Les regroupements d’infractions du 4001, garantie d’une meilleure utilisation ?

Bruno AUBUSSON de CAVARLAY, CESDIP-CNRS, février 2013

Pour contrecarrer les effets pervers de la publication des statistiques policières sous forme d’un indicateur unique de criminalité enregistrée, le calcul de regroupements d’infractions à partir des 107 index de base est présenté, encore aujourd’hui, comme un remède efficace. L’Observatoire national de la délinquance créé en 2003 a mis en pratique une telle méthode dès ses premiers travaux. Il a ainsi suivi l’une des recommandations du rapport Caresche-Pandraud qui suggérait « de privilégier l’analyse et le commentaire des chiffres par grandes infractions, sans recourir à une addition. »

Ce qui est présenté comme une innovation de la part de l’ONDRP n’est cependant pas vraiment nouveau. On peut même avancer que depuis 1972, année de mise en place de la collecte du 4001 sous sa forme actuelle, la publication des résultats a toujours adopté une forme ou une autre de regroupement des données de base. L’utilisation politico-médiatique d’un chiffre unique concernant le total des infractions n’est donc pas la conséquence de l’absence d’indicateurs par secteurs de délinquance. D’ailleurs le rapport cité indiquait bien que « le découpage qui existe déjà (atteintes aux biens, atteintes aux personnes, infractions économiques et financières, autres infractions) est un minimum. Un découpage plus pertinent consisterait à distinguer pour chacun de ces agrégats différents niveaux de gravité. » Cette dernière suggestion mérite d’être relevée car la répartition en quatre postes, que la publication du ministère de l’Intérieur utilisait encore en 2009 pour ses données locales, avait été définitivement mise en place en 1988, après avoir été proposée en complément d’un système critiquable et largement critiqué de pondération des faits selon leur gravité. Ce système était lui-même complété de tableaux regroupant les index selon une partition majeure en les faits relevant d’une criminalité de profit et ceux qui relèverait d’une criminalité de comportement. Et de plus, avant comme après 1988, année marquée par une refonte des rubriques de base de la nomenclature (107 index), d’autres regroupements avaient cours, en particulier celui de la « délinquance de voie publique ».

Le système de pondération introduit en 1972 partait d’une appréciation juste de la nature de la statistique policière : tous les cas ne se valent pas au regard de leur gravité juridique ou du préjudice pour les victimes ou pour la société ; ils ne se valent pas non plus quant à la charge de travail qu’ils impliquent pour les services de police judiciaire qui en sont saisis. Pour compenser la réduction opérée par le comptage d’unités équivalentes (des infractions, des auteurs, des victimes, des plaintes, des procédures selon un mélange d’unité, etc. selon les index), une pondération était appliquée pour obtenir un index de gravité. Les faits relevant de la « grande criminalité » avaient une pondération de 100, les faits relevant de la « criminalité moyenne » une pondération de 10, et les autres, relevant de la « délinquance » ne valait que pour leur unité propre (pondération égale à un). Au-delà du choix arbitraire (et assumé) de ces rapports (1, 10 et 100), c’est la classification qui était la plus problématique. On relevait ainsi que si les vols avec violence contre des femmes seules sur la voie publique (en pratique les vols de sac à main à l’arraché) relevaient de la grande criminalité, les viols ou les homicides « non crapuleux » figuraient dans la « criminalité moyenne ».

Cette méthode n’a jamais connu un franc succès au niveau de la communication, alors même qu’elle visait à résumer l’évolution en matière de criminalité et de délinquance (à l’époque, au milieu des années 1970, on ne prenait pas la précaution d’ajouter « enregistrée ») par un indice unique, en essayant de remédier au défaut majeur d’un total des crimes et délits constatés mettant sur le même plan l’homicide « crapuleux » et le vol à l’étalage. D’une certaine façon, en se débarrassant de ce système de pondération mal conçu, on a jeté le bébé avec l’eau du bain et les autres méthodes de regroupement ont fait l’impasse sur la différence de gravité entre les cas recensés. Celle-ci n’est d’ailleurs que très partiellement prise en compte dans la nomenclature de base des 107 index.

La répartition en criminalité de profit et criminalité de comportement a principalement servi à la présentation matérielle des résultats (tableau sur deux pages) et à leur commentaire dans les rapports officiels. Ces rapports ne contenaient d’ailleurs pas le détail des données selon les 107 rubriques de base, mais seulement des postes regroupant chacun jusqu’à huit index. La criminalité de profit comprenait ainsi 23 postes avec des regroupements intermédiaires (vols, extorsions, infractions astucieuses, trafics, homicides liés au profit, autres crimes et délits de profit) tandis que la criminalité de comportement était subdivisée en trois parties, la criminalité contre autrui (13 postes pour les atteintes à la personne et les destructions ou dégradations de biens privés), la criminalité contre soi-même (seulement un poste intitulé toxicomanie) et la criminalité contre la collectivité (douze postes concernant l’ordre public ou les destructions et dégradations de biens privés). Toute la difficulté de résumer les résultats collectés pour une centaine d’index de base pouvait se lire dans cette construction, les regroupements devenant passablement arbitraires dès que l’on cherche à descendre en dessous d’une vingtaine de catégories pour lesquelles on peut espérer une homogénéité minimale, en termes de type de faits constatés sinon de gravité. L’organisation en deux grandes rubriques donnait l’apparence d’y parvenir mis au prix d’assimilations un peu rudes.

La typologie adoptée pour la publication en 1988 n’échappait pas à cette critique. Au niveau le plus fin, il ne s’agissait toujours pas du détail des 107 index (ces données détaillées n’ont été rendues publiques qu’avec la mise en ligne sur le site du ministère de l’Intérieur de l’état 4001, mensuel et annuel, compilé au niveau national, de 1998 à 2009). Le nombre de rubriques de base n’était pas très différent de même que le celui des catégories intermédiaires (une vingtaine) et l’innovation, si l’on peut dire, était de ne pas descendre en dessous de quatre grandes catégories, les vols et recels, les infractions astucieuses et économiques, les infractions contre les personnes et une quatrième catégorie comprenant le reste. Son titre « stupéfiants, paix publique et réglementations » résultait d’un compromis dans une négociation impliquant des représentants du ministère de l’Intérieur, de la police et de la gendarmerie nationale et du ministère de la Justice. La préoccupation croissante à l’époque (milieu des années 1980) pour les infractions en matière de stupéfiants incitait les services actifs en la matière à demander le maintien parmi les grands agrégats d’un poste dédié. Cette revendication n’a probablement pas été satisfaite par l’affichage des ILS dans le titre de la quatrième catégorie, laquelle contenait par ailleurs toutes les destructions et dégradations de biens nettement plus nombreuses et pourtant non mentionnées dans le titre de la rubrique ! Mais il ne paraissait pas concevable de présenter publiquement les résultats du 4001 avec plus de quatre catégories, certains proposaient d’ailleurs de s’en tenir à la trilogie, traditionnelle pour le droit pénal, des infractions contre les biens, contre les personnes et contre l’ordre public.

La présentation des résultats en quatre postes n’a pas mis fin à la valeur fétiche du total des crimes et délits constatés et enregistrés pris par les responsables politiques et par la presse comme un indicateur significatif de l’insécurité. Mais elle a permis quand même de rendre présent, dans le débat public et l’appréciation des politiques menées, le constat primordial qu’il n’y a pas, dans le long terme comme dans le court terme, une évolution identique de l’ensemble des catégories d’enregistrement des faits venant à la connaissance de la police judiciaire. Quelle que soit la signification accordée aux variations respectives de la rubrique des vols et recels et de la rubrique des infractions contre les personnes, ces différences n’ont pas été gommées par une sommation devenant de plus en plus artificielle dans un indicateur global de criminalité.

Imputer le côté réducteur des usages de la statistique de police au seul fait de présenter dans les résultats publiés un total général serait d’ailleurs oublier le rôle important joué par des indicateurs qui étaient explicitement conçus pour se substituer à ce total. Ainsi le regroupement de la délinquance de voie publique visait à mieux cerner le développement d’une délinquance plus préoccupante par sa fréquence élevée que par la gravité intrinsèque des faits commis. C’est la version policière de la « délinquance de masse » dont parlent alors d’autres professionnels ou experts. C’est aussi peut-être la conséquence des travaux de recherche qui pointent alors l’ensemble des victimations se produisant dans les espaces accessibles au public (et non la seule voie publique). Le contenu de cet indicateur, car c’est bien un indicateur au sens où l’entend l’ONDRP aujourd’hui, a varié dans le temps, selon une logique peu évidente si ce n’est en faisant remarquer qu’il y avait à chaque modification plutôt une amélioration qu’une aggravation du résultat… L’indicateur, par effet de masse justement, était finalement principalement orienté par l’évolution des cambriolages et des vols liés aux véhicules. Cette propriété statistique des grands regroupements d’être d’abord influencés par quelques types d’infractions massifs est d’ailleurs caractéristique de la matière pénale.

L’apparition dans les publications de la police ou de la gendarmerie d’une catégorie rassemblant les « IRAS » (infractions révélées par l’action des services) était quant à elle plutôt une résolution de la contradiction à laquelle a conduit l’utilisation des statistiques du 4001 comme indicateur de performance, en particulier dans le cadre de la LOLF. On ne peut pas demander aux services une intensification de leur activité de lutte contre la délinquance et attendre une baisse de l’ensemble des faits constatés. Avec leur séparation dans un agrégat particulier, l’augmentation des faits constatés pour les IRAS est alors un objectif de la mission « sécurité » et un résultat positif pour la mesure de la performance. Et, à l’inverse, la fiction est maintenue selon laquelle une baisse des types d’infractions entrant dans les autres indicateurs est le signe d’une amélioration de la sécurité des citoyens. Il est assez curieux de voir ce raisonnement validé par l’ONDRP : d’une part il n’y a pas de correspondance stricte entre les IRAS et certains types d’infractions de l’index 107 et, d’autre part, une réorientation de l’activité des services peut conduire à un enregistrement plus systématique des infractions qui ne sont pas considérées comme des types « IRAS ». Ainsi les arrestations en flagrant délit de vol à la tire ou de vols dans des véhicules sont bien une forme d’action des services mais les infractions constatées correspondantes ne feront pas partie de l’indicateur IRAS…

Finalement, en mettant de côté toute considération sur la nécessaire évolution de la nomenclature des infractions de la statistique policière – qui devrait être en priorité tournée vers un plus grand détail pour les agressions physiques-, la présentation des résultats ne s’accommode guère d’un résumé en trois ou quatre postes. Les résultats détaillés doivent être examinés selon des agrégats de niveau assez fin pour ne pas être mal interprétés. Le bref rappel des solutions retenues depuis 1972 montre que leur nombre se situe plutôt entre quinze et vingt. C’est d’ailleurs ce que fait l’ONDRP pour son bulletin annuel en examinant ces agrégats à l’intérieur des quatre grandes catégories atteintes aux biens, atteintes aux personnes, escroqueries et infractions financières, IRAS. Et à ce niveau d’analyse, on ne voit pas l’intérêt de faire figurer certains postes (vols avec violence par exemple) dans plusieurs grandes rubriques (infractions contre les biens, infractions contre les personnes).

Dans certaines circonstances et selon les évolutions observées, il peut être pertinent de résumer par sommation les résultats pour un ensemble d’infractions relevant d’un registre commun ou montrant des évolutions communes. C’était l’idée guidant le regroupement des faits relevant de la « délinquance de voie publique » ou encore celui des faits révélés par l’action des services. Si la nomenclature de base le permettait, un ensemble concernant les faits relevant de la sphère familiale au sens large pourrait compléter utilement ces vues partielles. Ces trois exemples, dont l’un reste à mettre en œuvre, permettent de comprendre qu’une évaluation quantitative précise suppose de disposer effectivement d’un critère de regroupement présent dans la nomenclature de base. La réforme de 1988 de l’index 107 avait essayé de systématiser la distinction de la nature du lieu de l’infraction (« voie publique »), au moins pour les vols. La mise en place du regroupement des IRAS n’a jamais été accompagnée de l’introduction de ce critère dans l’index 107. Si l’évolution future de la typologie de base permettait de mettre en place un agrégat sur les faits relevant de la sphère familiale (avec ou sans violence), seule une réforme beaucoup plus profonde de la statistique policière serait pertinente pour ouvrir à l’avenir les possibilités d’interprétation et d’évaluation des résultats. Les informations nécessaires ne pourront pas être incorporées à la nomenclature des infractions. Le minimum serait de pouvoir caractériser, à côté de la nature des faits, leurs circonstances en termes de lieux et de relations sociales (famille, travail, loisirs) et de mode de signalement et d’intervention des services de police, ces deux dimensions étant inséparables.

ANNEXE 2 : ÉTAT 4001 VIERGE


ANNEXE 3 : CODE DES BONNES PRATIQUES DE LA STATISTIQUE EUROPÉENNE

ANNEXE 4 : SCHÉMA DU NOUVEAU SYSTÈME D’INFORMATION INTÉGRÉ POLICE-JUSTICE

ANNEXE 5 : INFORMATIONS DISPONIBLES DANS LA BASE STATISTIQUE OPÉRATIONNELLE DE LRPPN

Nature des informations disponibles dans la base « statistiques opérationnelles » (29.10.2012)

Procédure

- Thésaurus du service de procédure (libellé – adresse)

- Dates (ouverture – clôture – enregistrement transmission)

- Cadre juridique

- Saisine (initiative, instruction parquet, procédure incidente, commission rogatoire et suite d’un dossier clos)

- Année de procédure

- Numéro

Faits

- Date et heure de commission / heure/indicateur jour/nuit/particularité du jour (début du fait – fin du fait)

- Adresse (pays – département – commune – ville étrangère – arrondissement – libellé de voie – précision adresse – secteur géographique – nom particulier d’un lieu Fex : basilique Saint- Denis)

- Manière d’opérer (thésaurus et précision sur la manière)

- Nature de lieu du fait (thésaurus et particularité)

- Mobile apparent

- Montant du butin

- Département de constatation

- Département d’élucidation

- Service d’élucidation

- Nombre d’individus remarqués

- Nombre d’hommes remarqués

- Nombre de femmes remarquées

- Nombre d’enfants remarqués

Transport

- Nature du moyen de transport

- Pays de commission

- Département de commission

- Commune de commission

- Ville étrangère de commission

- Arrondissement de commission

- Station de commission

- Numéro de ligne de commission

- Adresse de départ (pays – département – commune – ville étrangère – arrondissement – précision adresse – numéro de ligne de départ – station de départ – compagnie de départ)

- Adresse d’arrivée (pays – département – commune – ville étrangère – arrondissement – précision adresse – numéro de ligne de départ – station de départ – compagnie de départ)

Infraction

- Thésaurus de nature de l’infraction (libellé – NATINF)

- Compteurs 4001 [code index – libellé index ; fait constaté ; fait élucidé ; nombre de mis en cause total avec ventilation sexe/tranche d’âge (- de 13 ans/ 13 à 15 ans/ 16 à 17 ans) ; interpellés (hommes/femmes/mineurs) ; libres ; écroués ; français ; étrangers ; hommes + 18 ans ; hommes - 18 ans ; femmes - 18 ans ; femmes + 18 ans ; GAV +24 H ; GAV  - 24 h]

- Date (constatation – élucidation – enregistrement – codage 4001)

- Nature (degré de réalisation initiale – libellé infraction initiale – infraction principale – requalification judiciaire – code NATINF initiale – code NATINF requalification judiciaire)

Mis en cause

MEC personne morale

- Secteur d’activité (thésaurus)

- Adresse (département, pays, code postal, commune, arrondissement, numéro de voie, libellé)

MEC personne physique

- Sexe

- Etat (thésaurus)

- Profession (thésaurus)

- Validité état civil

- Catégorie pénale

- Situation du MEC (thésaurus)

- Etat civil

- nationalité

- âge au moment des faits

- date de naissance

- adresse de naissance (pays, département, commune, ville étrangère, arrondissement)

- Adresse (pays, département, code postal, commune, arrondissement, n° de voie, libellé, année de saisie de l’adresse, mois de saisie de l’adresse)

- Référence sur l’infraction (suites judiciaires avec date de saisie des suites)

- Garde à vue [classification de durée de GAV, durée de GAV, date et heure de début et de fin de GAV, adresse de la GAV (pays, département, arrondissement, commune, ville étrangère)]

- Condition d’interpellation [lieu de l’interpellation, service, date, adresse (pays, département, commune, ville étrangère, n° de voie, libellé de voie, précision lieu, secteur, ligne de transport, compagnie, station de transport)]

Pour les 2 types de MEC : rôle (auteur / complice), indication si le MEC a été entendu

Victime

Victime personne morale

- Secteur d’activité (thésaurus)

Victime personne physique

- Sexe

- Etat (thésaurus)

- Profession (thésaurus)

- Validité état civil

- Etat civil

- nationalité

- âge au moment des faits

- date de naissance

- adresse de naissance (pays, département, commune, ville étrangère, arrondissement)

- Adresse (pays, département, code postal, commune, arrondissement, n° de voie, libellé, année de saisie de l’adresse, mois de saisie de l’adresse)

- Référence sur le fait (thésaurus préjudice corporel)

- Identifiant victime

- Dépôt de plainte (oui/non)

Objet

- Arme (thésaurus, nature, modèle, marque, calibre, caractéristique)

- Explosif/munition (nature, modèle, marque, calibre, type explosif, calibrant explosif, poids, caractéristique munition)

- Objets d’art/horlogerie (nature, modèle, marque, nom artiste, signature, caractéristique)

- Bijoux (thésaurus, nature, modèle, marque, caractéristique)

- Billet (nature, devise, valeur faciale, caractéristique)

- Objets divers (thésaurus, nature, modèle, marque, caractéristique)

- Drogue (thésaurus, nature, catégorie, marque, pourcentage de drogue, contenant, unité de mesure, caractéristiques)

- Document (thésaurus, nature du document, pays de délivrance, nationalité, caractéristique, date de délivrance, date de validité

- Moyens de paiement (nature, organisme de délivrance, caractéristique)

- Bateau (catégorie, modèle, marque, n° immatriculation, pays immatriculation)

- Container (nature, modèle, marque, n° immatriculation, pays immatriculation)

- Moteur de bateau (nature, modèle, marque)

- Véhicule [Thésaurus, nature, modèle, marque, n° immatriculation, pays immatriculation, catégorie immatriculation, précision, carte grise volée (oui/non), type carrosserie, état du véhicule, caractéristiques]

- Aéronef (catégorie, modèle, marque, n° immatriculation, pays immatriculation)

- Multimédia (thésaurus, nature, modèle, marque, caractéristique)

Pour tous les objets 

- Quantité saisie

- Type d’objet

- Qualifiant objet

- Origine objet

- Valeur objet

- Époque objets

ANNEXE 6 : DÉTAIL DES AGRÉGATS UTILISÉS PAR L’ONDRP

ANNEXE 7 : PRÉSENTATION DES FUTURS AGRÉGATS DU MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR

1 () La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

2 () P. Robert et R. Zauberman, Mesurer la délinquance, Les presses de Sciences Po, 2011, p. 20.

3 () Id., p. 23.

4 () Ces auditions ont été retransmises en direct sur le site internet de l’Assemblée nationale et sont disponibles en vidéos à la demande.

5 () Cf. Annexe n° 2.

6 () Id.

7 () Les index n°s 96, 97, 99 et 100.

8 () Vol de voiture avec menaces ou violence sur le conducteur du véhicule, également connu sous le nom de vol à la portière.

9 () Vol de voiture à domicile, le plus souvent accompagné de séquestration et de violences.

10 () Technique utilisée par des fraudeurs pour obtenir des renseignements personnels dans le but de perpétrer une usurpation d’identité, qui consiste à faire croire à la victime qu’elle s’adresse à un tiers de confiance — banque, administration, etc. — afin de lui soutirer ces informations.

11 () Guide de méthodologie statistique établi par la direction centrale de la police judiciaire (deuxième édition).

12 () Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure.

13 () Auditions du 26 mars 2013.

14 () Contribution du CESDIP aux travaux de la mission, cf. Annexe n°1.

15 () Cette expression désigne généralement l’écart qui existe entre la délinquance réelle et la délinquance telle qu’elle est effectivement enregistrée par les services de police et la justice.

16 () J-H. Matelly et C. Mouhanna, Police, des chiffres et des doutes, 2007, p. 60.

17 () V. Carrasco, L. Chaussebourg et J. Creusat, « Les déterminants du dépôt de plainte : le type d’agression subie devance de loin les caractéristiques de la victime », Economie et statistique n° 448-449, 2011.

18 () L. Chaussebourg, « Se déclarer victime : de l’atteinte subie au dépôt de plainte », Infostat Justice n° 110, novembre 2010.

19 () L. Tournyol du Clos et T. Le Jeannic, « Les violences faites aux femmes », INSEE Première n° 1180, février 2008.

20 () A. Bauer et C. Soullez, Rapport 2012 de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, p.40.

21 () Ces enquêtes visent à interroger un échantillon représentatif de personnes sur les différents actes de délinquance qu’ils ont subis au cours d’une période de temps donnée.

22 () Déplacement du 22 mars 2013 à Poitiers.

23 () Un infocentre est une base informatique qui agrège les données provenant d’autres applications, en leur appliquant différents filtres permettant leur mise en cohérence.

24 () Circulaire de la direction des affaires criminelles et des grâces du 15 juin 1999.

25 () Déplacement du 21 février 2013 dans le Val d’Oise.

26 () Id.

27 () Logiciel de rédaction des procédures de la gendarmerie nationale.

28 () Contribution écrite de l’Union syndicale des magistrats.

29 () Rapport d’information n° 3334 de M. Guy Geoffroy en conclusion des travaux d’une mission d’information sur la prostitution en France, 2011, p. 113.

30 () Audition du 2 octobre 2012.

31 () J-H. Matelly et C. Mouhanna, Police, des chiffres et des doutes, 2007, p. 193.

32 () Audition du 2 octobre 2012.

33 () Contribution écrite de l’Union syndicale des magistrats.

34 () Bulletin mensuel de l’ONDRP, décembre 2012, p. 15.

35 () J-H. Matelly et C. Mouhanna, Police, des chiffres et des doutes, 2007, p. 23.

36 () Audition du 2 octobre 2012.

37 () Déplacement du 15 novembre 2012 à la préfecture de police de Paris.

38 () Déplacement du 15 novembre 2012 à la préfecture de police de Paris.

39 () Audition du 2 octobre 2012.

40 () Audition du 6 novembre 2012.

41 () Contribution du CESDIP aux travaux de la mission, cf. annexe n° 1.

42 () J-H. Matelly et C. Mouhanna, Police, des chiffres et des doutes, 2007, p. 164.

43 () Id. p. 174.

44 () Audition du 20 février 2013.

45 () Audition du 9 octobre 2012.

46 () Audition du 20 février 2013.

47 () Audition du 9 octobre 2012.

48 () P. Robert et R. Zauberman, Mesurer la délinquance, 2011, p.35.

49 () Audition du 16 octobre 2012.

50 () Rapport annuel 2012 de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, p. 642.

51 () Audition du 2 octobre 2012.

52 () Audition du 9 octobre 2012.

53 () J-H. Matelly et C. Mouhanna, Police, des chiffres et des doutes, 2007, p. 86.

54 () Audition du 11 décembre 2012.

55 () Procédé par lequel une personne physique ou morale est publiquement identifiée pour certains comportements moralement ou pénalement réprimés, dans le but de limiter de façon générale les comportements en question.

56 () Audition du 9 octobre 2012.

57 () Projet annuel de performance de la mission « Justice », annexe à la loi de finances pour 2013, p. 68

58 () Annuaire statistique de la justice, édition 2011-2012.

59 () Contribution écrite du Syndicat de la magistrature.

60 () Audition du 13 février 2013.

61 () Guide de méthodologie statistique établi par la direction centrale de la police judiciaire (deuxième édition).

62 () Rapport annuel 2012 de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales.

63 () Audition du 9 octobre 2012.

64 () Contribution du CESDIP aux travaux de la mission, cf. annexe n° 1.

65 () Audition du 13 février 2013.

66 () Audition du 30 octobre 2012.

67 () Audition du 26 mars 2013

68 () W. Jeandidier, « La délinquance d’affaires à travers l’Annuaire statistique de la justice », in Les droits et le Droit. Mélanges dédiés à Bernard Bouloc, Dalloz, 2007.

69 () Audition du 26 mars 2013.

70 () Déplacement du 27 mars au centre pénitentiaire de Fresnes.

71 () Id.

72 () Audition du 30 octobre 2012.

73 () Audition du 26 mars 2013.

74 () Déplacement du 22 mars 2013 à Poitiers.

75 () Audition du 26 mars 2013.

76 () Le Traitement des antécédents judiciaires est un fichier commun à la police et à la gendarmerie, qui vise à recenser les antécédents judiciaires des personnes mises en cause par ces services. Ainsi, de nombreuses informations relatives aux infractions portées à la connaissance des forces de l’ordre figurent dans ce fichier.

77 () LRPPN est une application informatique qui permet la rédaction des procédures dressées par la police nationale. Les informations renseignées sur l’auteur et, plus généralement, sur les caractéristiques de l’infraction, incrémentent ensuite le fichier TAJ (cf. annexe n° 4).

78 () En revanche, la direction générale des collectivités locales du ministère de l’Intérieur possède un département des études et statistiques locales. De la même façon, un service statistique ministériel qui dépendait de l’ancien ministère de l’Immigration a été rattaché au ministère de l’Intérieur.

79 () Cf. Annexe n° 3.

80 () « La conception, la production et la diffusion des statistiques publiques sont effectuées en toute indépendance professionnelle. »

81 () II de l’article 1er de la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques.

82 () Audition du 26 mars 2013.

83 () Auditions du 26 mars 2013.

84 () Déplacement du 28 février 2013 à Issy-les-Moulineaux.

85 () Cf. Annexe n° 4.

86 () Système de traitement des infractions constatées.

87 () Système judiciaire de documentation et d’exploitation.

88 () Cf. Annexe n° 5.

89 () Il convient cependant de noter que lorsque le code NATINF utilisé correspond à plusieurs index et qu’un choix doit être opéré préalablement à la remontée statistique, par l’enquêteur ou le gestionnaire de l’application, un délai peut exister. 

90 () Chaîne applicative supportant le système d’information orienté procédure pénale.

91 () Gestion nationale des personnes écrouées pour le suivi individualisé et la sécurité.

92 () Cf. Annexe n° 4.

93 () Dans un second temps, le SID s’attachera à décrire la procédure civile.

94 () Un entrepôt de données est une base de données constituées à partir de données non hétérogènes issues d’applications différentes ; il a pour but de les collecter, les stocker et les homogénéiser de sorte à ce que ces données deviennent un support d’aide à la décision.

95 () Les magasins de données sont des sous-ensemble de l’entrepôt de données destiné à fournir aux utilisateurs des données homogénéisées sur un thème particulier.

96 () Audition du 30 octobre 2012.

97 () Audition du 20 février 2013.

98 () Audition du 20 février 2013.

99 () Contribution écrite de l’Union syndicale des magistrats.

100 () Id.

101 () Audition du 20 février 2013.

102 () Projet annuel de performance de la mission « Justice », annexe au projet de loi de finances pour 2013, p. 26-27.

103 () Contribution écrite de l’Union syndicale des magistrats.

104 () R. Pandraud et C. Caresche, Sur la création d’un observatoire de la délinquance, Rapport au Premier ministre, janvier 2002.

105 () Audition du 16 octobre 2012.

106 () Décret n° 2004-750 du 27 juillet 2004 portant création de l’Institut national des hautes études de sécurité.

107 () Relevé de conclusions de M. Pierre Victor Tournier annexé au rapport « Déceler, étudier, former : une voie nouvelle pour la recherche stratégique. Rapprocher et mobiliser les institutions publiques chargées de penser la sécurité », Rapport au Président de la République et au Premier ministre, remis le 20 mars 2008.

108 () Audition du 16 octobre 2012.

109 () Audition du 11 décembre 2012.

110 () Rapport 2012 de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, p. 7.

111 () Audition du 9 octobre 2012.

112 () Parmi les points de vue divergents, figure celui de M. Claude Guéant, ancien ministre de l’Intérieur (audition du 20 novembre 2012).

113 () Article D 8, al. 3, du code de procédure pénale : « Les services de police et les unités de gendarmerie adressent aux services relevant de la direction centrale de la police judiciaire ou de la direction centrale de la police aux frontières ou de la sous-direction de la police judiciaire de la direction générale de la gendarmerie nationale les renseignements relatifs à la délinquance et à la criminalité susceptibles d’être exploités dans un but de centralisation, de classification ou de diffusion (avis, fiches, statistiques). »

114 () D’après M. Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS, fondateur de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS), l’agrégat de la « délinquance crapuleuse » était déjà utilisé par les forces de l’ordre dans les années 1970 (audition du 9 octobre 2012).

115 () Audition du 9 octobre 2012.

116 () Voir document en annexe n° 7.

117 () Audition du 26 mars 2013.

118 () Id.

119 () Rapport 2012 de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, p. 13.

120 () Id.

121 () Une enquête de victimation consiste à demander aux membres d’un échantillon s’ils ont été victimes, au cours d’une période donnée, de tel ou tel évènement et, dans l’affirmative, comment ils ont réagi.

122 () L’INSEE collecte les données de l’enquête, qu’elle transmet ensuite à l’ONDRP pour analyse. Le rapport de l’ONDRP sur ces données est ensuite soumis systématiquement à l’INSEE, qui en vérifie la qualité.

123 () Audition du 9 octobre 2012.

124 () Audition du 6 novembre 2012. Dans le Rapport 2012 de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, M. Christophe Soullez ajoute que « les enquêtes de victimation sont très appréciées des personnes interrogées », et que « victimes comme non-victimes constatent que l’on s’intéresse à leur sécurité au quotidien et que certains événements qui ont perturbé leur vie sont pris en considération. Elles rapprochent ainsi le décideur politique du citoyen sur ce thème majeur de la sécurité des personnes et des biens. » (p. 15).

125 () Ch. Soullez, Rapport 2012 de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, p. 15. M. Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS, fondateur de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS), a toutefois souligné qu’en introduisant de nouvelles questions dans l’enquête de victimation de l’INSEE, afin de recueillir une information plus large, l’ONDRP a aussi modifié la rédaction de certaines questions posées, ce qui a mécaniquement « cassé le thermomètre ». Cette rupture statistique rendrait dès lors plus difficiles les comparaisons avec les années antérieures (audition du 9 octobre 2012). Ce point de vue est partagé par le Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) qui, dans une contribution écrite fournie à la mission, explique que, lors de la création de l’enquête nationale de victimation « Cadre de vie et sécurité », aucun effort n’a été consenti pour permettre le raccordement de cette nouvelle enquête aux données précédemment issues du module de victimation de l’Enquête permanente de l’INSEE sur les conditions de vie des ménages (EPCVM). Postérieurement, l’ONDRP n’aurait pas exploité les cas où ce raccordement était quand même possible. Il en résulterait une perte des données antérieurement produites par l’INSEE.

126 () Table ronde réunissant des syndicats de la magistrature, le 26 février 2013.

127 () Voir infra.

128 () Contrairement aux mains courantes, les carnets de déclaration sont signés par les victimes d’actes de délinquance.

129 () Audition du 2 octobre 2012.

130 () M. Christophe Soullez, chef du département de l’ONDRP à l’INHESJ, a toutefois regretté que les liens avec le monde de la sécurité privée, dont les effectifs seraient plus importants encore que ceux des forces de sécurité publiques, peinent à se développer. Les organisations sont en effet très réticentes à transmettre leurs données à l’ONDRP. Par ailleurs, le secteur est encore faiblement structuré, malgré la création du Conseil national des activités privées de sécurité – CNAPS (audition du 6 novembre 2021).

131 () Audition de Mme Valérie Sagant, ancienne conseillère chargée des « politiques publiques, pénales et de la recherche évaluation » de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, le 30 octobre 2012.

132 () Voir infra.

133 () Audition du 2 octobre 2012.

134 () Audition de M. Alain Bauer, ancien président du conseil d’orientation de l’ONDRP, le 9 octobre 2012.

135 () M. Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS, fondateur de l’Observatoire régional de la délinquance et des contextes sociaux (ORDCS), fait crédit à l’ONDRP d’avoir mis en exergue le problème des « trous » et des « chevauchements » des statistiques d’un mois sur l’autre (audition du 9 octobre 2012).

136 () Audition du 6 novembre 2012.

137 () Audition du 9 octobre 2012.

138 () Audition de M. Christophe Soullez, le 6 novembre 2012.

139 () ONDRP, Bulletin mensuel, février 2010, p. 5.

140 () Audition de M. Christophe Soullez, chef du département de l’ONDRP à l’INHESJ, le 6 novembre 2012.

141 () Audition du 9 octobre 2012.

142 () Id.

143 () Article 11 du décret n° 2009-1321 du 28 octobre 2009 relatif à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice.

144 () Audition du 6 novembre 2012.

145 () Audition du 16 octobre 2012.

146 () Audition du 2 octobre 2012.

147 () Audition du 20 novembre 2012.

148 () Audition du 20 novembre 2012.

149 () Discours de M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, à l’occasion de la présentation à la presse du bilan et des perspectives de la politique de sécurité pour 2012-2013, 18 janvier 2013.

150 () Audition de M. Christophe Soullez, chef du département de l’ONDRP à l’INHESJ, le 6 novembre 2012.

151 () Audition du 26 mars 2013.

152 () Id.

153 () Audition du 6 novembre 2012.

154 () Audition du 2 octobre 2012.

155 () Audition du 16 octobre 2012.

156 () Audition du 30 octobre 2012.

157 () Audition du 26 février 2013.

158 () Audition du 26 février 2013.

159 () Y. Moreau, Pour un commissariat général à la stratégie et à la prospective, Rapport au Premier ministre, décembre 2012.

160 () Contribution écrite fournie à la mission.

161 () Audition du 9 octobre 2012.

162 () Audition de Mme Michèle Alliot-Marie, ancien ministre de l’Intérieur et ancien ministre de la Justice, le 13 novembre 2012.

163 () Audition du 2 octobre 2012.

164 () Audition du 2 octobre 2012.

165 () Voir supra.

166 () Table ronde réunissant des statisticiens, le 20 novembre 2012.

167 () Audition du 2 octobre 2012.

168 () La loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance impose aux communes de plus de 10 000 habitants et aux communes comprenant une zone urbaine sensible (ZUS) de créer un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD).

Présidé par le maire ou par le président d’un établissement public de coopération intercommunale, ou par son représentant (adjoint chargé de la jeunesse ou de la vie associative…), le CLSPD est composé :

- du préfet et du procureur de la République, ou de leurs représentants ;

- du président du conseil général, ou de son représentant ;

- de représentants des services de l’État désignés par le préfet (DDSP, DDPJJ, éducation nationale, administration pénitentiaire, SPIP, gendarmerie nationale, police nationale…) ;

- de représentants d’associations, d’établissements ou d’organismes œuvrant dans les domaines de la prévention, de la sécurité, de l’aide aux victimes, du logement, des transports collectifs, de l’action sociale ou des activités économiques, désignés par le président du CLSPD (bailleurs sociaux, associations de proximité, centres sociaux…).

Le CLSPD est l’instance de coordination locale de tous les acteurs de la prévention et de la sécurité et a pour objectif de les rassembler et de les faire réfléchir ensemble pour aboutir à un programme d’actions et à une évaluation. Il assure l’animation et le suivi du contrat local de sécurité lorsque le maire et le préfet, après consultation du procureur de la République et avis du conseil, ont estimé que l’intensité des problèmes de délinquance sur le territoire de la commune justifiait sa conclusion – laquelle est soumise à l’établissement préalable d’un diagnostic de sécurité. Il est consulté sur la définition, la mise en œuvre et l’évaluation des actions de prévention de la délinquance prévues dans le cadre de la contractualisation entre l’État et les collectivités territoriales en matière de politique de la ville.

Le CLSPD a donc deux missions principales :

- l’observation, l’information, l’anticipation essentiellement par le biais d’outils d’évaluation de la délinquance (observatoire) et des réunions partenariales.

- la coordination et l’animation au travers des instances et groupes territoriaux, et par le soutien d’actions.

Le CLSPD peut financer des actions de prévention, jouant ainsi un rôle d’animation pour l’emploi du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) qui a été créé par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et qui est destiné à favoriser le développement des politiques locales de prévention de la délinquance.

Le CLSPD se réunit à l’initiative de son président en formation plénière au moins une fois par an, et il est informé au moins une fois par an par le préfet des caractéristiques de l’évolution de la délinquance dans la commune (décret n° 2007-1126 du 23 juillet 2007 relatif au conseil local et au conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance et au plan de prévention de la délinquance dans le département).

169 () Audition de M. Daniel Vaillant, député de Paris, ancien ministre de l’Intérieur, le 2 octobre 2012.

170 () Audition du 2 octobre 2012.

171 () Le nombre d’homicides enregistré en 2010 - 675 -, puis en 2012 - 665 - est le plus faible qui ait été constaté depuis la création de l’état civil en 1539.

172 () Un vol violent sur sept serait actuellement élucidé par les services de police et de gendarmerie.

173 () Audition du 2 octobre 2012.

174 () Id.

175 () Id.

176 () Audition du 13 février 2013.

177 () Table ronde réunissant des statisticiens, le 20 novembre 2012.

178 () Audition du 9 octobre 2012.

179 () Audition du 9 octobre 2012.

180 () Dans la contribution écrite qu’il a fournie à la mission, le Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) déplore le fait que l’ONDRP se soit « laissé enfermer dans la seringue de discussions oiseuses sur les évolutions mensuelles ou annuelles » et qu’« il peine à débusquer après coup les irrégularités de cette statistique ».

181 () Audition du 6 novembre 2012.

182 () Table ronde sur les statistiques des violences faites aux femmes, le 20 février 2013.

183 () Table ronde réunissant des statisticiens, le 20 novembre 2012.

184 () Table ronde sur les statistiques des violences faites aux femmes, le 20 février 2013.

185 () Audition du 2 octobre 2012.

186 () Intervention de M. Philippe Cuneo, inspecteur général de l’INSEE, responsable de la direction de la méthodologie, lors de la table ronde réunissant des statisticiens, le 20 novembre 2012.

187 () Une donnée ouverte (en anglais « open data ») est une information publique brute, qui a vocation à être librement accessible et réutilisable, sans restriction liée à des droits de propriété intellectuelle (droits d’auteur, brevets…) ou à d’autres mécanismes de contrôle.

188 () Audition du 6 novembre 2012.

189 () Audition du 11 décembre 2012.

190 () Rapport 2012 de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, pp. 528, 540, 550, 558, 566, 572 et 578.

191 () Voir supra. Dans le passé, des confusions ont pu être commises entre, d’une part, les actes relevant des index 46, 47, 48 et 49 de l’état 4001, qui regroupent les viols, harcèlements sexuels et autres agressions sexuelles commises à l’égard de majeurs ou de mineurs et qui correspondent, dans le code pénal, aux atteintes volontaires à l’intégrité de la personne (AVIP), et, d’autre part, les actes relevant de l’index 50 de l’état 4001, qui regroupe les atteintes sexuelles ne constituant pas des agressions sexuelles et ne correspondant pas aux atteintes volontaires à l’intégrité de la personne dont fait état le code pénal (hors-AVIP).

192 () Audition du 11 décembre 2012.

193 () Audition du 13 février 2013.

194 () Id.

195 () Id.

196 () Audition du 6 novembre 2012.

197 () Table ronde sur la mesure des délinquances en zones urbaines, le 4 décembre 2012.

198 () Id.

199 () R. Pandraud et C. Caresche, Sur la création d’un observatoire de la délinquance, Rapport au Premier ministre, janvier 2002.

200 () Audition du 2 octobre 2012.

201 () Audition du 13 février 2013.

202 () Audition du 13 novembre 2012.

203 () Audition du 13 février 2013.

204 () R. Pandraud et C. Caresche, Sur la création d’un observatoire de la délinquance, Rapport au Premier ministre, janvier 2002.

205 () Audition du 16 octobre 2012.

206 () Cette idée a également été suggérée par M. Serge Portelli, vice-président du tribunal de grande instance de Paris (audition du 13 novembre 2012).

207 () Audition de M. Pierre Victor Tournier, démographe, directeur de recherche au CNRS, le 30 octobre 2012. M. Pierre Victor Tournier a notamment souhaité qu’après avoir été entendu lors d’une phase de sélection, le Président du conseil d’orientation, une fois désigné, vienne présenter le programme des travaux qu’il projetait mettre en œuvre.

208 () Audition du 26 mars 2013.

209 () Table ronde réunissant des syndicats de la magistrature, le 26 février 2013. De leur côté, les représentants du Syndicat de la magistrature proposaient que le conseil d’orientation de l’ONDRP soit réformé de façon à comprendre une majorité de chercheurs, de divers horizons, ainsi que de représentants des magistrats et des avocats, désignés par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et le Conseil national des barreaux (CNB). Les représentants de la police et de la gendarmerie devraient être nommés après avis d’une commission parlementaire mixte et paritaire. En revanche, les représentants du gouvernement et du secteur privé devraient être exclus du conseil d’orientation, et simplement consultés.

210 () Audition du 6 novembre 2012.

211 () Audition du 9 octobre 2012.

212 () Audition du 11 décembre 2012.

213 () Audition du 30 octobre 2012.

214 () Audition du 9 octobre 2012.

215 () Id.

216 () Discours de M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, à l’occasion de la présentation à la presse du bilan et des perspectives de la politique de sécurité pour 2012-2013, 18 janvier 2013.

217 () La conception de l’enquête « Victimation et sentiment d’insécurité en Île-de-France » s’est faite en collaboration avec le CESDIP qui a par exemple produit un chapitre entier du rapport final de l’enquête de victimation de 2009.

218 () Récemment, l’ONDT a contribué à des « notes rapides » de l’IAU-IDF : « Sécurité dans les transports en commun : les peurs et les faits », août 2012, et « De la conception à la gestion des espaces en gare », novembre 2012.

219 () Audition du 2 octobre 2012.

220 () Arrêté du 16 janvier 2013 portant nomination au conseil d’orientation de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales.

221 () Discours de M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, à l’occasion de la présentation à la presse du bilan et des perspectives de la politique de sécurité pour 2012-2013, 18 janvier 2013.

222 () Table ronde réunissant des statisticiens, le 20 novembre 2012.

223 () Audition de M. Paul Champsaur, président de l’Autorité de la statistique publique (ASP), de M. François Écalle, membre de l’ASP et conseiller maître à la Cour des comptes, de M. Bruno Durieux, membre de l’ASP et ancien ministre, et de Mme Claudine Gasnier, rapporteure de l’ASP, le 19 février 2013. Les représentants de l’ASP ont indiqué que, si le ministère de l’Intérieur devait être doté d’un service statistique propre et dédié aux politiques de sécurité, l’ONDRP devrait conserver les missions qui lui sont aujourd’hui dévolues et qui consistent dans la centralisation et l’analyse des diverses données statistiques ayant trait aux délinquances.

224 () Sur ces critères, voir supra et voir le document en annexe n° 3.

225 () Audition du 6 novembre 2012.

226 () R. Pandraud et C. Caresche, Sur la création d’un observatoire de la délinquance, Rapport au Premier ministre, janvier 2002.

227 () Table ronde réunissant des syndicats de la magistrature, le 26 février 2013.

228 () Audition du 2 octobre 2012.

229 () Dans une contribution écrite qu’il a fournie à la mission, le Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) a suggéré de distinguer deux conseils, « l’un réunissant tous les fournisseurs de données (aussi bien le CPO, l’OFDT ou l’INPES… que les services statistiques de la Justice ou de l’Intérieur), l’autre réunissant les experts scientifiques de mesure des criminalités ».

230 () Audition du 16 octobre 2012.

231 () Le conseil d’orientation de l’ONZUS comprend des représentants de différents ministères, du Parlement, d’associations d’élus ainsi que des personnalités qualifiées, choisies notamment pour leur connaissance du terrain. Le conseil d’orientation est chargé de fixer un programme de travail annuel d’enquêtes, d’exploitations statistiques et d’études permettant à la fois d’analyser les évolutions des conditions de vie dans les quartiers et d’évaluer les politiques qui sont mises en place. Le conseil scientifique comprend des statisticiens et des chercheurs. Il est chargé de s’assurer de la qualité scientifique des travaux produits. Avant leur validation par le conseil d’orientation, le conseil scientifique donne un avis sur le projet de programme annuel et sur le cahier des charges des travaux qui y sont inscrits.

232 () Audition du 26 mars 2013.

233 () Audition du 9 octobre 2012.

234 () Audition du 13 novembre 2012.

235 () ONDRP, « Les vols à main armée contre les personnes morales du secteur marchand constatés par la police et la gendarmerie nationales entre 2006 et 2011 »,Grand Angle n° 32, février 2013.

236 () Table ronde réunissant des offices centraux, le 27 février 2013.

237 () À l’inverse, M. François Thierry, chef de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS), a fait état de la qualité du dialogue noué par son office avec l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et avec d’autres organismes européens auxquels sont toujours fournies des données assorties de commentaires explicatifs (audition du 27 février 2013).

238 () Audition du 6 novembre 2012.

239 () Audition du 6 novembre 2012. Voir également : S. Roché, « Évaluer l’impact des actions de prévention, détection et répression des délinquances », Chiffrer la délinquance ?, Cahiers de la sécurité, n° 22, La Documentation française, décembre 2012, pp. 22 et s.

240 () S. Roché, « Évaluer l’impact des actions de prévention, détection et répression des délinquances », Chiffrer la délinquance ?, Cahiers de la sécurité, n° 22, La Documentation française, décembre 2012, pp. 22 et s.

241 () Audition du 30 octobre 2012.

242 () Un suivi de cohorte consiste à observer, sur plusieurs années, une population définie par un évènement commun à l’ensemble des individus constituant la cohorte appelé « évènement constitutif de la cohorte ». L’évènement constitutif de la cohorte a pour fonction de garantir l’homogénéité des individus de la cohorte vis-à-vis de la probabilité de vivre l’événement étudié. L’homogénéité d’une cohorte se définit en termes de durée écoulée depuis l’évènement constitutif de la cohorte.

243 () Audition du 2 octobre 2012.

244 () Audition du 6 novembre 2012.

245 () Table ronde sur les statistiques des violences faites aux femmes, le 20 février 2013.

246 () Intervention de Mme Sylvie Scherer, directrice du département « Mission études sécurité » de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France (IAU-IDF), lors de la table ronde sur la mesure des délinquances en zones urbaines, le 4 décembre 2012.

247 () Audition du 6 novembre 2012.

248 () R. Pandraud et C. Caresche, Sur la création d’un observatoire de la délinquance, Rapport au Premier ministre, janvier 2002.

249 () J-P. Grémy, « La première enquête de victimation au monde : the national crime victimization survey (NCVS) », Rapport annuel de l’Observatoire national de la délinquance, novembre 2007.

250 () R. Pandraud et C. Caresche, Sur la création d’un observatoire de la délinquance, Rapport au Premier ministre, janvier 2002.

251 () Toutes les enquêtes nationales françaises interrogent sur les délinquances subies au cours des deux années précédentes.

252 () L’enquête de victimation « Cadre de vie et sécurité » est financée à hauteur de 810 000 euros par l’ONDRP, le complément (soit 104 000 euros) étant apporté par l’INHESJ et par le ministère de la Justice (Audition de Mme Valérie Sagant, ancienne conseillère chargée des « politiques publiques, pénales et de la recherche évaluation » de Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, le 30 octobre 2012).

253 () Audition du 2 octobre 2012.

254 () Table ronde sur les statistiques des violences faites aux femmes, le 20 février 2013.

255 () Audition du 2 octobre 2012.

256 () Id.

257 () Id.

258 () Table ronde réunissant des syndicats de la magistrature, le 26 février 2013.

259 () Table ronde sur les statistiques des violences faites aux femmes, le 20 février 2013.

260 () Table ronde sur les statistiques des violences faites aux femmes, le 20 février 2013.

261 () En 2009, la mission d’évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes, conduite par notre Assemblée, a recommandé d’organiser une nouvelle enquête sur les violences faites aux femmes sur le modèle de l’Enquête nationale sur les violences envers les femmes (ENVEFF), réalisée en 2000 par l’Institut de Démographie de l’Université Paris I. En 2011, la nouvelle Convention européenne pour l’élimination des violences faites aux femmes a enjoint aux États signataires de mesurer les violences liées aux rapports de genre et de mieux évaluer les conséquences sur les victimes. Une équipe de recherche s’est donc constituée au sein de l’INED pour réaliser une nouvelle enquête permettant d’actualiser les résultats issus de l’ENVEFF, et répondre aux nouvelles questions qui se posent aujourd’hui. Près de quinze ans après l’ENVEFF, l’enquête VIRAGE entend actualiser et approfondir la connaissance statistique des violences faites aux femmes et se propose d’étendre son champ d’investigation à la population masculine. Cette enquête portera sur un échantillon de 35 000 personnes (17 500 femmes et 17 500 hommes) âgées de 20 à 69 ans. L’opération de collecte est prévue pour 2015 en métropole et ultérieurement dans les départements d’Outre-mer.

262 () Lors de la table ronde sur les statistiques des violences faites aux femmes, le 20 février 2013, Mme Christelle Hamel, chercheur à l’INED, responsable de l’enquête VIRAGE, a chiffré le besoin de financement à environ trois millions d’euros.

263 () Audition du 27 février 2013.

264 () Audition du 16 octobre 2012.

265 () Audition du 9 octobre 2012.

266 () Audition du 6 novembre 2012.

267 () Note rapide de l’IAU-IDF, « Sécurité dans les transports en commun : les peurs et les faits », août 2012.

268 () S. Roché, La délinquance des jeunes. Les 13-19 ans racontent leurs délits, éd. du Seuil, 2001.

269 () Audition du 2 octobre 2012.

270 () Audition du 6 novembre 2012.

271 () L’enquête European School Survey on Alcohol and Others Drugs (ESPAD) est une enquête conduite en milieu scolaire dans plusieurs pays européens. En France, l’OFDT conduit cette enquête depuis 2007.

272 () Mise en œuvre depuis 2000 par l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT), l’enquête déclarative ESCAPAD consiste en un questionnaire proposé à l’ensemble des jeunes – âges de 17 ans environ – présents lors d’une Journée défense citoyenneté (JDC), anciennement Journée d’appel de préparation à la défense (JAPD).

273 () Créées en 1992, les enquêtes du Baromètre Santé sont mises en œuvre par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES).

274 () Audition du 4 décembre 2012.

275 () Table ronde sur la mesure des délinquances en zones urbaines, le 4 décembre 2012.

276 () Contribution écrite fournie à la mission.

277 () Audition du 9 octobre 2012.

278 () Audition du 6 novembre 2012.

279 () Police Reform and Social Responsibility Act 2011.

280 () Audition du 9 octobre 2012.


© Assemblée nationale