N° 1288 - Rapport d'information de MM. Christophe Guilloteau et Philippe Nauche déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission de la défense nationale et des forces armées, en conclusion des travaux d'une mission d'information sur l'opération Serval au Mali





N° 1288

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 juillet 2013.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)

sur l’opération Serval au Mali

ET PRÉSENTÉ PAR

MM. Christophe GUILLOTEAU et Philippe NAUCHE,

Députés.

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(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

La mission d’information sur l’opération Serval au Mali est composée de :

Mme Patricia Adam, présidente ;

MM. Christophe Guilloteau et Philippe Nauche, rapporteurs ;

MM. Jean-Jacques Candelier, Jean-David Ciot, Bernard Deflesselles, Philippe Folliot, Mme Edith Gueugneau, MM. Marc Laffineur, Jean-Pierre Maggi, Jacques Moignard et François de Rugy, membres.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 11

I. INTERVENANT DANS UN CADRE JURIDIQUE CLAIR AU PROFIT D’UN ÉTAT FAIBLE DE LA ZONE INSTABLE DU SAHEL, LA FRANCE A SU, MALGRÉ D’IMPORTANTS DÉFIS, REMPORTER UNE VICTOIRE MILITAIRE INDÉNIABLE 15

A. LA FRANCE S’EST TRÈS TÔT IMPLIQUÉE DANS LA RÉSOLUTION DE LA CRISE MALIENNE 15

1. Le bassin sahélo-saharien présente un intérêt stratégique pour la France 15

a. Le Mali se trouve dans « l’arc de crise » défini par le Livre blanc de 2008 15

b. La zone du Sahel fait l’objet d’une attention particulière de la France depuis le début des années 2000 16

c. Le Sahel demeure une zone d’intérêt prioritaire pour la France dans le Livre blanc de 2013 16

2. L’État malien subissait une crise multiforme avant l’intervention française 17

a. L’État malien est fragile de longue date 17

b. Le Mali est une zone de trafic 17

c. Des groupes armés djihadistes ont défait le mouvement touareg 18

i. La rébellion touarègue de 2012 18

ii. Les groupes armés djihadistes 20

d. Les forces armées maliennes étaient faibles en dépit de partenariats militaires 22

i. L’état des forces armées maliennes au moment du déclenchement de la crise malienne 22

ii. Des partenariats militaires à l’efficacité limitée 23

iii. L’EUTM Mali 25

3. La France s’est très tôt impliquée dans la recherche d’une solution diplomatique dans un cadre multilatéral impliquant les organisations régionales 29

a. Le rôle primordial de la France dans le vote des résolutions de l’ONU relatives au Mali 29

b. La France a joué un rôle moteur de mobilisation auprès de ses partenaires européens 29

4. L’offensive imprévue de trois groupes djihadistes justifie le recours à l’intervention de l’armée française 30

a. L’offensive djihadiste vers Bamako 30

b. Le droit international offre une base juridique incontestable à l’intervention française 31

c. Les objectifs politiques poursuivis par la France ont été clairement énoncés et la poursuite de l’intervention a été approuvée à l’unanimité par le Parlement 33

i. Les objectifs et missions des forces françaises 33

ii. L’information et l’approbation du Parlement 33

B. L’OPÉRATION SERVAL EST UN SUCCÈS REMARQUABLE 34

1. La France a démontré sa capacité à entrer en premier sur un théâtre, clef de son autonomie stratégique 34

a. Le recours à des boucles décisionnelles courtes a été décisif 34

i. Les avantages du processus décisionnel politique français 34

ii. La chaîne de commandement a été particulièrement réactive et accélère le cycle décisionnel politico-militaire 35

b. Le rôle des forces prépositionnées a été déterminant 36

i. Le dispositif de la France en Afrique 36

ii. L’importance des pré-positionnements dans le bon déroulement de l’opération Serval 37

c. Le dispositif d’alerte « Guépard » a montré tout son intérêt 38

d. Les efforts en matière de préparation opérationnelle des soldats et les expériences des précédentes OPEX ont porté leurs fruits 38

i. Les forces engagées … 39

ii. … étaient bien entraînées et ont bénéficié des enseignements des OPEX précédentes 42

2. L’opération Serval est parvenue à surmonter des défis considérables 42

a. Le défi climatique a été relevé 42

b. La prouesse logistique est remarquable 43

i. L’acheminement stratégique 43

ii. Le soutien aux forces 45

c. La communication a été bien gérée 48

3. Les différentes phases de l’opération ont évité tout enlisement 48

a. Le coup d’arrêt à l’offensive des groupes armés djihadistes 49

b. La conquête de la boucle du Niger et la libération des villes 50

c. L’exploitation dans la profondeur 52

d. La transition vers les forces africaines 54

4. Plusieurs équipements et matériels ont fait la démonstration de leur haut niveau de technicité 55

a. L’opération Serval confirme la pertinence des choix d’équipements de l’armée de Terre 55

i. Les moyens de l’armée de Terre mobilisés 55

ii. Plusieurs récents matériels majeurs de l’armée de Terre ont prouvé leur mobilité opérative et tactique et l’étendue de leurs possibilités. 57

b. Les avions de l’armée de l’Air ont confirmé leurs capacités 57

i. Les moyens de l’armée de l’Air mobilisés 57

ii. Les avions de l’armée de l’Air projetés pour Serval étaient bien adaptés à l’opération 60

5. Le soutien des nations alliées occidentales et africaines a été précieux 60

a. L’appui opérationnel de nos partenaires occidentaux 61

i. Les États-Unis et le Canada 61

ii. L’appui logistique de nos partenaires européens 62

b. Les contingents africains de la MISMA et associés et les forces maliennes 63

i. Les contingents africains de la MISMA et associés 64

ii. Les forces armées maliennes 67

c. L’appui de la population malienne 67

II. L’OPÉRATION SERVAL EST RICHE D’ENSEIGNEMENTS POUR L’AVENIR MAIS LAISSE SUBSISTER DES DÉFIS MAJEURS 69

A. LES PREMIERS RETOURS D’EXPÉRIENCE SOULIGNENT DES FAIBLESSES DÉJÀ CONNUES 69

1. L’opération Serval a mis en lumière des déficits capacitaires qui n’ont pu être comblés – au moins partiellement – qu’avec l’appui de nos alliés 69

a. D’importantes lacunes capacitaires en matière de capacités de projection, tant stratégique que tactique 69

b. Les limites de certains matériels 72

c. Des capacités de surveillance insuffisantes pour de vastes étendues 74

d. Des insuffisances dans la palette des équipements nécessaires aux opérations terrestres 74

2. La crise malienne a montré les limites des mécanismes européens de gestion de crise existants 77

a. L’Union européenne a vocation à s’impliquer dans la gestion des crises comme celle qu’a traversé le Mali 77

b. L’Union européenne peut apporter une véritable valeur ajoutée dans la gestion des crises du type de celle du Mali 79

c. L’Union européenne a su réadapter ses programmes d’action au Mali au titre de la PSDC à partir de la crise de janvier 2013 82

d. Toutefois, les modalités et les résultats de l’intervention de l’Union européenne montrent les limites de ses capacités d’action actuelles 84

i. Pour des missions de combat en conditions d’urgence, l’intervention nationale reste plus efficace que l’intervention européenne 84

ii. Même pour une mission de faible intensité militaire, la procédure de la PSDC présente des limites que la mission EUTM Mali a mises en lumière 86

3. Une réflexion mérite d’être menée sur un meilleur partage interarmées de certaines capacités, notamment en matière de renseignement 88

a. L’opération Serval a confirmé les progrès de l’interarmisation 88

b. L’opération Serval a montré certaines limites dans le partage et la fusion en temps réel du renseignement 89

4. Avec le coût de l’opération Serval, se pose de nouveau le problème du financement des opérations extérieures 90

a. L’opération Serval, comme toute opération extérieure, a engendré des surcoûts importants 90

b. Si le financement des surcoûts liés aux opérations extérieures est mieux traité qu’avant 2008, il reste perfectible, voire problématique 91

i. Comme le relève la Cour des comptes, « bien qu’en nette progression, le financement du surcoût des opérations extérieures est demeuré insuffisant » 91

ii. Le financement des surcoûts liés à l’opération Serval constitue un enjeu d’autant plus important que les armées subissent depuis plusieurs années des tensions budgétaires 92

5. Le Livre blanc de 2013 intègre déjà certains enseignements de l’opération Serval, mais la prochaine loi de programmation militaire devra en préciser les conditions de réalisation 93

a. Le Livre blanc de 2013 sur la défense et la sécurité nationale intègre déjà certains enseignements de l’opération Serval 93

i. Le Livre blanc souligne l’importance du principe d’autonomie stratégique pour nos interventions extérieures 93

ii. Le Livre blanc reprend les lacunes capacitaires observées à l’occasion de l’opération Serval 94

iii. Le Livre blanc confirme la place et le rôle des forces spéciales 94

iv. Le Livre blanc souligne en particulier la pertinence des forces prépositionnées en Afrique 95

v. Le Livre blanc prévoit de consolider le dispositif Guépard 96

vi. Le Livre blanc rappelle l’articulation du dispositif de défense français avec les mécanismes européens et internationaux de sécurité et de défense 96

b. La prochaine loi de programmation militaire devra organiser le comblement des lacunes mises en lumière par l’opération Serval 97

B. LE SCÉNARIO DE SORTIE DE LA CRISE MALIENNE RESTE INCERTAIN 99

1. Le désengagement progressif de l’armée française 99

a. La réduction entamée de l’empreinte de l’armée française sur le terrain malien 99

b. Le rôle des forces françaises dans l’avenir 101

2. La transition vers les forces africaines et multinationales 101

a. La MINUSMA a entamé sa montée en puissance 101

i. Le statut et le mandat de la MINUSMA 102

ii. Le bilan de la MISMA et la montée en puissance de la MINUSMA 103

b. Le rôle des pays frontaliers du Mali dans la stabilisation du pays 104

i. Le rôle de l’Algérie 104

ii. Le rôle du Burkina Faso 104

iii. Le rôle de la Mauritanie 104

iv. Le rôle du Niger 105

3. Le règlement de la crise politique malienne 106

a. Le processus électoral, enfin en bonne voie 106

b. Le processus de réconciliation nationale : un travail de long terme qui connaît de premiers succès 108

i. Le rôle de la Commission nationale de dialogue et de réconciliation prévue par la feuille de route du 29 janvier 2013 108

ii. Le dialogue entre les autorités de Bamako et les mouvements touaregs en bonne voie 109

4. La reconstruction de l’État malien dans les zones libérées et le développement économique du Mali 111

a. La reconstruction de l’État 111

b. Les enjeux de développement économique 113

EXAMEN EN COMMISSION 115

ANNEXES 125

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS 125

ANNEXE 2 : LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES PAR LES RAPPORTEURS LORS DE LEURS DÉPLACEMENTS 127

EN HOMMAGE AUX SIX MILITAIRES FRANÇAIS TUÉS DANS L’ACCOMPLISSEMENT DE LEUR MISION AU SERVICE DE LA FRANCE

– le chef de bataillon Damien BOITEUX, du 4régiment d’hélicoptères des Forces spéciales, mort aux commandes de son hélicoptère, le 11 janvier 2013, lors de la première phase de l’opération Serval, consistant, en appui des forces maliennes, à stopper l’avancée des groupes djihadistes vers le sud du Mali ;

– l’adjudant Harold VORMEZEELE, du 2régiment étranger de parachutistes mort, le 19 février 2013, lors d’une mission de reconnaissance dans le massif de l’Adrar des Ifoghas, à une cinquantaine de kilomètres de Tessalit, après avoir été pris à partie par des groupes de terroristes ;

– le caporal Cédric CHARENTON, du 1er régiment de chasseurs parachutistes, mort lors de l’assaut de sa section sur une position ennemie, le 2 mars 2013, alors que son unité menait des opérations de recherche et de destruction dans le massif des Adrar des Ifoghas, à une cinquante de kilomètres au Sud de Tessalit ;

– le maréchal des logis Wilfried PINGAUD, du 68e régiment d’artillerie d’Afrique, mortellement touché, le 6 mars 2013, lorsqu’un détachement franco-malien a été pris à partie par des terroristes dans la région de Tin Keraten, au nord-est d’Imenas, à une centaine de kilomètres de Gao ;

– le caporal-chef Alexandre VAN DOOREN, du 1er régiment d’infanterie de marine mort, le 16 mars 2013, lorsqu’il pilotait, au cours d’une progression dans le sud des Adrar des Ifoghas, un char AMX 10 RC touché par une explosion ;

– le sergent Stéphane DUVAL, du 1er régiment de parachutistes d’infanterie de marine, mort, le 29 avril 2013, lorsque son véhicule a été touché par une explosion au cours d’une opération de reconnaissance et de fouille conduite par les forces spéciales dans le nord-est du Mali ;

AVEC UNE PENSÉE PARTICULIÈRE POUR NOS OTAGES ET TOUS LES BLESSÉS DE L’OPÉRATION SERVAL

INTRODUCTION

Quatre jours seulement après l’engagement des forces françaises au Mali, sur l’ordre du Président de la République François Hollande, dans le cadre de la résolution 2085 de l’ONU et à la demande expresse du Président malien par intérim, le bureau de la commission de la Défense nationale et des forces armées a décidé, lors de sa réunion en date du 15 janvier 2013, de créer une mission d’information sur l’opération Serval au Mali.

Cette mission s’inscrit classiquement dans le cadre du rôle de contrôle et d’évaluation de la commission de la défense de l’Assemblée nationale, qu’elle a déjà exercé à plusieurs reprises lors de précédentes opérations.

À la veille de la prochaine loi de programmation militaire, les travaux de cette mission prennent également une dimension supplémentaire, dans la mesure où ils sont également une occasion privilégiée de mettre en évidence les points forts mais également certaines lacunes de nos armées, apparues ou confirmées au cours de l’opération Serval.

Au cours d’un programme de travail très dense, la mission a procédé à de multiples auditions, rencontres et visites. Il lui a également paru qu’un déplacement au Mali était indispensable, non seulement pour rencontrer les troupes françaises qui s’y sont illustrées, mais aussi pour étudier les conditions de sortie de conflit.

Immédiatement après le vote unanime, le 22 avril 2013, de l’Assemblée nationale sur la déclaration du Gouvernement relative à l’autorisation de la prolongation de l’intervention des forces françaises au Mali, le déplacement au Mali de huit membres de la mission d’information, du 23 au 28 avril 2013, a eu pour objectif de rencontrer les militaires français en opération afin d’évoquer les missions qui leur sont confiées, de se déplacer sur le terrain pour mieux appréhender les conditions concrètes de leur engagement et du début de leur retrait, de dresser un premier « retour d’expérience » de l’opération Serval et d’établir plus largement l’ensemble des contacts utiles avec les autorités politiques et militaires concernées de ce pays ami.

Ce programme de visites et de rencontres avec les forces a permis aux députés de la délégation de discuter librement avec les militaires français, qui ont toujours témoigné avec enthousiasme de leur légitime fierté de servir leur pays, dans des conditions souvent extrêmement éprouvantes, et de contribuer ainsi au succès d’une opération militaire remarquable à bien des égards et saluée dans le monde entier.

La visite du poste de commandement interarmes de théâtre (PCIAT) de Bamako en compagnie du général de Saint-Quentin, commandant des forces françaises de l’opération Serval, la rencontre à Tessalit et Gao avec le général Barrera, commandant de la brigade Serval, et les forces déployées dans la zone, le survol en hélicoptère Puma de la zone de l’Adrar des Ifoghas et la visite de Gao en véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI) ont été autant d’occasions de mesurer le professionnalisme de nos militaires, leur sens de l’engagement et leur détermination.

Les membres de la délégation leur ont renouvelé vivement la confiance et le soutien de l’ensemble de la représentation nationale et les ont félicités pour le travail exemplaire qu’ils ont accompli depuis le début de l’opération Serval. La publication de ce rapport offre une nouvelle occasion de le faire.

Par ailleurs, une réception à l’école de maintien de la paix (EMP) de Bamako, la visite de la mission européenne de formation de l’armée malienne (EUTM) à Koulikoro, des rencontres avec des membres des forces de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA), ainsi qu’un entretien avec le Général Yamoussa Camara, ministre de la Défense et des anciens combattants, ont permis de mieux mesurer l’implication de l’ensemble de la communauté internationale dans la formation des cadres militaires maliens, la forte implication des forces armées maliennes et africaines dans le combat contre les groupes djihadistes armés et le rôle de l’Union européenne dans la formation de la future armée malienne, qui devra certainement être prolongée au-delà du mandat actuel. Les limites des contributions opérationnelles et budgétaires de nos partenaires de l’Union européenne ont également pu être constatées.

Outre une réunion de travail avec M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense en visite au Mali et des rencontres à l’ambassade de France avec des représentants de l’importante communauté française présente au Mali, les conditions de sortie de crise et de renaissance du Mali ont été abordées lors de contacts au plus haut niveau politique, avec le Premier ministre, M. Diango Cissoko, le Secrétaire général de la Présidence, M. Ousmane Sy, et le deuxième vice-président de l’Assemblée nationale, M. Assarid Ag Imbarkaouane.

Ces contacts extrêmement fructueux ont été l’occasion de réaffirmer la volonté des parlementaires de la mission de voir prospérer la « commission dialogue et réconciliation » (CDR) et la mise en place la feuille de route pour la transition, en privilégiant, dans le respect de l’intangibilité des frontières, du renoncement aux armes et de la laïcité, la voie du dialogue avec le Nord. L’organisation d’élections présidentielles avant la fin du mois de juillet afin de doter les institutions maliennes d’autorités à la légitimité renouvelée apparaît plus que jamais indispensable.

De plus, M. Christophe Guilloteau a mis à profit les déplacements en Afrique de l’ouest qu’il effectuait dans le cadre de l’Institut des Hautes études de la Défense nationale (IHEDN) pour rencontrer les responsables politiques et militaires du plus haut niveau dans plusieurs États, notamment en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Togo. Ces entretiens ont permis de connaître mieux le point de vue des autorités de ces pays sur l’opération Serval et sur la MISMA, ainsi que de prendre la mesure de la capacité de mobilisation dont la France a fait preuve auprès de ses alliés et amis africains.

Aux termes des travaux de la mission, il apparaît que la France est intervenue légitimement au profit d’un État faible de la zone instable du Sahel et qu’elle a su, malgré d’importants défis, y remporter une victoire militaire indéniable et montrer sa détermination à lutter contre le terrorisme.

Toutefois, si l’opération Serval est déjà riche d’enseignements pour l’avenir, elle laisse également subsister des défis majeurs, tant le scénario de sortie de la crise malienne reste incertain.

I. INTERVENANT DANS UN CADRE JURIDIQUE CLAIR AU PROFIT D’UN ÉTAT FAIBLE DE LA ZONE INSTABLE DU SAHEL, LA FRANCE A SU, MALGRÉ D’IMPORTANTS DÉFIS, REMPORTER UNE VICTOIRE MILITAIRE INDÉNIABLE

A. LA FRANCE S’EST TRÈS TÔT IMPLIQUÉE DANS LA RÉSOLUTION DE LA CRISE MALIENNE

1. Le bassin sahélo-saharien présente un intérêt stratégique pour la France

La France mesure depuis longtemps l’importance de la région Sahel et la gravité de la menace de transformation de la sous-région en foyer de terrorisme international.

a. Le Mali se trouve dans « l’arc de crise » défini par le Livre blanc de 2008

Analysant la nouvelle donne stratégique, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 insistait déjà, au sujet de la zone saharo-sahélienne, sur les risques liés aux États fragiles et aux zones de non-droit

Le sous-ensemble régional de la zone sahélienne, dans lequel se situe le Mali, figure dans « l’arc de crise, de l’Atlantique à l’Océan indien » que le Livre blanc de 2008 identifie comme une des « quatre zones critiques » pour la France.

Les analyses développées à l’époque au sujet de l’Afrique subsaharienne s’appliquent parfaitement à la situation du Mali avant l’intervention des forces françaises et gardent toute leur pertinence. En effet, le Livre blanc de 2008 souligne que « la carence fréquente des structures étatiques et l’extension des zones de non-droit, les économies de rente au profit d’une minorité et l’existence de réseaux criminels disposant de moyens militaires importants constituent autant de facteurs d’inquiétude ». Il appelle également l’attention sur le fait que « les problèmes de l’Afrique ont des incidences directes sur nos intérêts : immigration clandestine, radicalisation religieuse en terrain musulman et développement de sectes fondamentalistes en terrain chrétien, implantation des groupes terroristes se réclamant d’Al-Qaida, apparition de nouvelles routes de la drogue, trafics d’armes illicites, réseaux de prolifération, blanchiment d’argent et risques sanitaires » en concluant que « la bande sahélienne, de l’Atlantique à la Somalie, apparaît comme le lieu géométrique de ces menaces imbriquées et, à ce titre, appelle une vigilance et un investissement spécifiques dans la durée ».

b. La zone du Sahel fait l’objet d’une attention particulière de la France depuis le début des années 2000

Dès le début des années 2000, la zone du Sahel a retenu l’attention des pouvoirs publics français du fait des enjeux sécuritaires qu’elle présente, notamment en termes de risque d’enlèvements.

C’est à ce titre que la Mali a bénéficié d’une aide de la France en matière de sécurité et de défense. En 2009, dans le cadre d’une approche régionale de la sécurité dans la zone sahélo-saharienne, la France a ainsi engagé des actions visant à renforcer les capacités de souveraineté de l’État malien dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée (projet « Justice et Sécurité en région sahélo- saharienne »).

Pour les armées, cette attention s’est traduite par une contribution au dispositif de prévention des crises, prenant la forme de formation d’unités militaires et d’un effort sur le renseignement d’intérêt militaire.

Depuis 2010, après la prise d’otages de M. Michel Germaneau et face à la montée de la menace terroriste, cet effort de renseignement a été poursuivi et accompagné d’un début de coordination avec les forces américaines.

Ces mesures préparatoires ont montré tout leur intérêt lors du déclenchement de l’opération Serval.

c. Le Sahel demeure une zone d’intérêt prioritaire pour la France dans le Livre blanc de 2013

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 analyse les « risques de la faiblesse » qui s’appliquent particulièrement bien à la situation du Mali avant l’intervention française.

En effet, selon le Livre blanc, la crise du Mali « illustre l’importance de la région et la gravité des menaces qui s’y développent. Les tensions internes dans le Nord Mali et entre le nord et le sud du pays se sont conjuguées avec l’affaiblissement de l’État malien, favorisant l’implantation de groupes terroristes. Ceux-ci, après avoir bénéficié des trafics qui sévissent dans cette partie du Sahara, y ont établi des bases arrière, avant de chercher à s’emparer de tout le Mali, menaçant de transformer l’ensemble de la sous-région en un foyer de terrorisme international ».

2. L’État malien subissait une crise multiforme avant l’intervention française

a. L’État malien est fragile de longue date

Colonisé par la France sous les ordres du général Faidherbe en 1855, le Mali a connu, depuis son indépendance en date du 22 septembre 1960, une succession de crises politiques qui l’ont fragilisé.

Son premier Président, Modibo Keita, a ainsi instauré un régime autoritaire, renversé en 1968 par un coup d’État militaire du sous-lieutenant Moussa Traoré. Cependant, des troubles sociaux et la résurgence des rébellions touarègues au Nord du Mali ont conduit à un second coup d’État en mars 1991 mené par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré (dit ATT).

L’instauration du pluripartisme et le retour des civils au pouvoir, avec la victoire d’Alpha Oumar Konaré aux présidentielles de 1992 et 1997, ont permis par la suite à Amadou Toumani Touré, un temps retourné à la vie civile, de gagner les élections présidentielles de 2002 et 2007.

Le 22 mars 2012, un nouveau coup d’État, mené par le capitaine Amadou Haya Sanogo, a renversé le Président Touré et il a fallu attendre l’accord-cadre du 6 avril 2012 pour qu’un gouvernement de transition soit mis en place et que Dioncounda Traoré soit nommé Président par intérim.

b. Le Mali est une zone de trafic

Comme le souligne un article de la revue Politique internationale (1), le Mali, comme la plupart des pays bordant le Sahel, est progressivement devenu, du fait de la défaillance de l’État central, un champ d’opération privilégié pour les organisations criminelles.

Ces trafics sont très variés, qu’il s’agisse de stupéfiants (résine de cannabis, cocaïne et héroïne, dont l’Afrique représente 7 % du volume mondial), de voitures volées, d’armes légères, de médicaments, de carburant ou de trafic de migrants. Ils transitent par le Sahel et proviennent principalement de l’Amérique latine (Colombie, Venezuela, Équateur, Pérou, Brésil, …). Par définition, il est extrêmement difficile d’estimer la valeur et le volume de ces flux de trafics.

Pour simplifier, « deux flux se sont développés rapidement. Depuis 2005, environ, celui de la cocaïne sud-américaine vers l’Europe, notamment à travers la Libye et l’Égypte ; celui de la résine de cannabis marocaine vers la Libye, l’Égypte et la péninsule arabique » (2).

Au Mali, ces trafics, qui participent d’une économie de survie, jouissent plutôt, à l’exception peut-être de la drogue, d’une image assez positive auprès d’une population se sentant reléguée et y voyant l’avantage d’une fonction redistributrice. Néanmoins, ces trafics sont aussi un frein à l’économie légale et aboutissent, dans les grandes villes, à l’établissement de quartiers entiers qui sont le résultat du blanchiment, comme le quartier des « villas blanches » à Gao, par exemple.

Les groupes djihadistes, qui se sont installés il y a environ dix ans dans les régions déshéritées du Mali, entretenaient, à des niveaux différents, des liens avec l’économie des trafics. Ainsi, si AQMI tire l’essentiel de ses ressources des rançons, il semblerait, d’après les informations fournies à vos Rapporteurs par M. Michel Miraillet, directeur de la délégation aux affaires stratégiques (DAS), que le MUJAO, établi dans la région de Gao, souvent appelée « cocaïne city », soit davantage impliqué dans des trafics mafieux.

Il est permis de penser que les groupes terroristes, établis auprès de populations extrêmement défavorisées, jouent en quelque sorte un rôle d’entrepreneur économique, d’acteur social et de substitut à des pouvoirs publics défaillants, ce qui implique, comme le souligne à juste titre la DAS, que « l’éradication de ces groupes soulève, paradoxalement, un défi de gouvernance majeur pour l’avenir ».

L’opération Serval n’a vraisemblablement pas mis fin à ces trafics mais a certainement déplacé leurs routes et leur dimension.

c. Des groupes armés djihadistes ont défait le mouvement touareg

i. La rébellion touarègue de 2012

Depuis l’indépendance du Mali, plusieurs vagues de rébellions touarègues contre l’État malien se sont succédé : en 1963-1964, 1990-1994, 2006-2008 et 2012.

Ces rébellions s’expliquent toutes par la révolte des Touaregs contre l’ostracisme, la marginalisation voire la persécution dont ils s’estimaient victimes de la part des autorités maliennes.

Le 16 octobre 2011, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) est créé. Échouant à prendre la tête du MNLA, Iyad Ag Ghali s’en détache et fonde avec de jeunes Touaregs radicalisés une dissidence islamiste, Ansar Eddine.

Le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA)

Un mouvement issu des derniers soubresauts libyens. Le MNLA est né à l’automne 2011 de la fusion de plusieurs groupes touareg. Une grande partie d’entre eux étaient d’anciens volontaires ayant servi dans l’armée de Mouammar Kadhafi et ayant quitté la Libye dans les dernières heures qui ont précédé l’effondrement du régime. Il trouve ses origines dans l’absence de règlement politique de la question touarègue.

Un but originel, l’indépendance. Contrairement aux premières rébellions, qui ne visaient qu’à une plus grande reconnaissance de la cause touarègue, les principales revendications récentes du MNLA sont la dénonciation des accords d’Alger de 2006 (3) et l’autodétermination de l’Azawad . Le mouvement n’est jamais parvenu à fédérer l’ensemble des populations du Nord-Mali (Touareg, Arabes, Songhaï et Peulh).

Une victoire initialement perdue. Initialement, le MNLA dont les effectifs étaient évalués à 4 000 hommes, disposait d’un noyau dur mobilisable de plus de 1 500 combattants. Faute de ressources et de soutiens extérieurs, il s’est rapidement trouvé confronté à une forte démobilisation de ses troupes et à la défection d’une partie de ses membres au profit d’Ansar Eddine.

Une renaissance inattendue mais des divisions persistantes. La marginalisation d’Ansar Eddine et d’Iyad Ag Ghali a provoqué une inversion totale des tendances depuis le déclenchement de l’opération Serval. Le MNLA est ainsi le principal acteur touareg avec le Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA) dans les accords de Ouagadougou (4).

Source : État-major des armées.

Le 14 janvier 2012, allié à Ansar Eddine et aux groupes armés terroristes implantés dans la zone (cf. infra), le MNLA lance une offensive depuis l’Adrar des Ifoghas vers le sud du Mali (Ménaka, Tessalit, Aguelhok, Léré) et proclame unilatéralement, le 6 mars 2012, l’indépendance du Nord-Mali.

Alors que la France et la communauté internationale condamnent la déclaration d’indépendance de l’Azawad et rappellent l’unité et l’intégrité territoriale maliennes, le MNLA arrive à se rendre maître en moins de dix jours des régions de Gao, Tombouctou et Kidal.

Cependant, les groupes terroristes armés – Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), le Mouvement pour l’unicité et la justice en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et Ansar Eddine - défont le mouvement touareg et prennent le contrôle des grandes villes et des territoires du Nord. C’est le début d’une période de domination par un islam radical étranger à la région, d’application intégrale de la charia et de destruction du patrimoine culturel et religieux traditionnel, comme en témoignent les destructions de mausolées de saints musulmans dans la ville de Tombouctou.

ii. Les groupes armés djihadistes

Le terme de groupes armés djihadistes (GAD) a été fréquemment utilisé, tant par les autorités politiques françaises que par les militaires rencontrés sur le terrain, pour désigner l’ennemi.

À cet égard, une précision de vocabulaire s’impose pour clarifier les notions de djihadisme, d’islamisme et de terrorisme.

Djihadisme, islamisme, terrorisme

« En Europe, djihad est souvent traduit par « guerre sainte ». Mais étymologiquement, djihad signifie « effort vers un but déterminé », c’est-à-dire, d’une part, l’effort pour défendre ou propager l’islam et, d’autre part, l’effort du croyant pour se conformer aux règles du Coran. On retrouve cette référence dans divers versets du Coran, sous des formes différentes : répandre l’islam par la persuasion, combattre pour repousser une attaque contre l’islam, etc.

De même que l’on distingue l’islam de son exploitation politique (l’islamisme), il faut différencier la notion religieuse de djihad du djihadisme, qui en est le dévoiement par l’action terroriste ».

Source : Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, 2008.

Plusieurs groupes armés djihadistes étaient en effet présents sur le territoire malien avant l’intervention française et présentaient un risque terroriste avéré.


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Ces acteurs armés agissaient ainsi sur le territoire du Mali avant le déclenchement de l’opération Serval.

Présentation des groupes armés djihadistes (GAD)

1. Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI)

Ce mouvement, apparu le 26 janvier 2007, est l’héritier direct du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) et vise à étendre le djihad au Nord de l’Afrique pour implanter un Émirat islamique

Ses modes opératoires sont les suivants :

– cibler prioritairement des cibles économiques, présentées comme des piliers de l’adversaire, en utilisant des modes opératoires asymétriques ;

– occuper la scène médiatique ;

– multiplier les prises d’otages de ressortissants occidentaux ;

– multiplier les attentats-suicides.

Une forte attrition initiale dans les sanctuaires. Au déclenchement de l’opération Serval, les katibats d’AQMI se sont réfugiées dans leurs sanctuaires du Tigharghar (Adrar des Ifoghas) et du Timétrine. Elles ont mené un combat défensif dissymétrique face aux forces françaises et tchadiennes dans l’Adrar, subissant des revers importants. Abou Zaïd, chef de la katiba Tareq Ibn Ziad, et Abdallah El Chinguetti, chef de la katiba Al Fourqan, ont notamment péri en février 2013.

Les effectifs d’AQMI. Le potentiel résiduel d’AQMI reste difficile à évaluer. AQMI conserve la capacité et la volonté de mener des actions asymétriques (attentats suicide notamment), même si celles-ci se font rares (5).

2. Le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO)

Un acteur majeur affranchi de la tutelle d’AQMI. Le MUJAO s’est fait connaître le 10 décembre 2011, en revendiquant le rapt de trois Européens à Tindouf (Algérie). Ce groupe issu d’une scission de combattants en provenance de la katiba Al-Moulathamine de Mokhtar Belmokhtar s’est rapidement affirmé comme un acteur majeur a priori totalement affranchi de la tutelle d’AQMI. Mené par le Mauritanien Hamada Ould Mohammed El Kheirou, il regroupe des effectifs très hétérogènes (6) autour d’un noyau dur et serait parvenu à absorber une part non négligeable de miliciens ruraux peulh et songhaï. Fortement implanté autour de Gao, il s’est progressivement allié aux trafiquants.

Plus agressif qu’AQMI. Le MUJAO est particulièrement visible médiatiquement depuis son apparition, et est parvenu à inscrire son action dans la durée. Il revendique trois enlèvements et plusieurs attaques complexes à l’explosif, visant notamment des éléments des forces armées maliennes ou appartenant à la MISMA. Il ne semble pas rencontrer de difficultés financières en raison de ses liens avec les trafiquants. Les armements dont il dispose sont en tous points comparables à ceux détenus par les autres groupes armés évoluant dans la région. Enfin, il recourt de plus en plus fréquemment aux attentats-suicides.

3. Ansar Eddine

Créé en 2012 par Iyad ag Ghali, ce groupe s’est illustré la première fois en mars de la même année par la prise conjointe des principales grandes villes du nord-Mali. Ce groupe s’est, dès sa création, rapproché structurellement d’AQMI dont il représentait la vitrine politique. L’animosité des membres du MNLA vis-à-vis d’Iyad ag Ghali a conduit Ansar Eddine à s’opposer frontalement au groupe rebelle. Favorable à l’application de la charia, ce groupe est à l’origine de l’offensive qui a conduit au déclenchement de l’opération Serval

Source : État-major des armées et Délégation aux affaires stratégiques (DAS).

Sachant que la communauté française au Mali compte 4 758 Français enregistrés au Mali en 2013, auquel il faut ajouter près de 1 000 Européens résidant au Mali, c’est, sans l’intervention de l’armée française, tout un pays qui risquait d’être livré aux groupes armés djihadistes et aux preneurs d’otages.

d. Les forces armées maliennes étaient faibles en dépit de partenariats militaires

Qu’il s’agisse de ses effectifs, de ses matériels ou de sa qualité opérationnelle, l’armée malienne présentait, au moment du déclenchement de la crise malienne, de nombreuses faiblesses, dont des clivages internes, qui expliquent qu’elle n’ait pas pu faire face à l’offensive des GAD ; et ce en dépit de dispositifs de coopération qui n’ont pas eu l’efficacité escomptée.

i. L’état des forces armées maliennes au moment du déclenchement de la crise malienne

Évaluée par les Éléments français du Sénégal en décembre 2012, l’armée malienne est apparue comme une armée à réformer, y compris dans ses structures de commandement.

Début 2013, les forces armées maliennes apparaissent peu formées, mal entraînées, sous-équipées et insuffisamment encadrées. Ses équipements, fruits de dons de différentes nations aux cultures militaires diverses, sont souvent obsolètes.

État des forces armées maliennes au moment du déclenchement de la crise

L’armée de Terre

Elle était forte de 7 000 hommes avant la crise, mais était composée d’une forte proportion de cadres et de soldats originaires du sud (90 %), limitant de fait la capacité à combattre dans le Nord.

Elle disposait de 35 BRDM2 (blindés de reconnaissance à roues), 18 BTR60PB (blindés de transport de troupes), 14 chars T55 (en majorité indisponibles), 18 BM21 (lance-roquettes multiples sur camion), 8 canons tractés de 122 mm (non utilisables car sans maintenance et sans véhicule tracteur), 60 canons-mitrailleurs bitubes 23 mm sur camionnettes, 92 mortiers (120 mm, 80 mm et 60 mm), 192 pick-up avec mitrailleuses de 14,5 et 140 véhicules transport de troupes (camions russes et chinois).

L’armée de l’Air

Elle présentait un effectif total de 1 000 hommes avant le déclenchement de la crise.

Elle disposait de quatre hélicoptères d’attaque MI24, de trois avions de chasse MIG 21 (inadaptés à l’environnement et sans réelle efficacité opérationnelle), de deux avions légers de reconnaissance Marchetti FS 260, armés de deux mitrailleuses 7.62 mm (cédés par Kadhafi en 2010), de onze avions légers de reconnaissance TETRAS, d’un avion léger CESSNA 185 (convoyage de matériel léger, évacuation sanitaire – EVASAN – transport de deux à quatre personnes) et d’un avion polyvalent de transport BT67 remis en œuvre par la coopération avec les États-Unis (transport de troupes, convoyage de munitions, EVASAN, aérolargage de colis).

La Garde nationale (GNM)

Elle présentait un effectif d’environ 3 500 hommes avant la crise, dont 2 000 hommes dans les régions du Sud.

La particularité du recrutement des unités du Nord (Tombouctou, Gao, Kidal), à forte dominante régionale, s’est traduite par des unités constituées de 60 à 80 % de cadres et de soldats de recrutement local (touareg ou arabe). De plus, une partie de ce personnel (surtout l’encadrement) provenait de l’intégration des ex-insurgés touaregs de 1993.

Les unités GNM implantées dans le Sud (Kayes, Kati, Sikasso, Ségou et Sévaré) étaient constituées majoritairement de soldats non touaregs et avaient pour mission d’assurer des missions de sûreté et de protection civile (protection des édifices publics, banques, autorités) en complément des forces de sécurité.

Source : Ministère de la Défense.

Par ailleurs, les décideurs politiques, craignant en permanence un coup d’État, semblaient peu intéressés par les questions de défense. L’omniprésence de la culture de l’immédiat explique par exemple l’absence, jusqu’à récemment, de véritable dispositif de programmation pluriannelle. Cependant, les contacts établis par la mission lors de son déplacement au Mali avec le Général Yamoussa Camara, ministre de la Défense et des anciens combattants, ont permis d’apprendre qu’un Livre blanc et une loi de programmation (2013-2017) avaient été récemment élaborés et seraient prochainement soumis au Parlement.

De plus, les forces armées maliennes sont fortement affectées par le fait ethnique.

Pourtant, des contacts établis par la mission d’information avec EUTM Mali comme de la rencontre avec le ministre de la défense, il semble apparaître que le Mali ne soit pas pour autant dépourvu d’officiers réalistes ayant soif de changement.

ii. Des partenariats militaires à l’efficacité limitée

Le déclenchement de l’opération Serval signe en quelque sorte l’échec de la coopération militaire structurelle que les États-Unis et la France avaient engagée avec le Mali.

La coopération militaire avec les États-Unis

Les États-Unis ont développé depuis 2002, notamment avec le Mali, une politique de coopération ambitieuse au travers de la Pan Sahel Initiative qui concernait initialement quatre pays (Mali, Niger, Mauritanie, Tchad), puis a été élargie en 2005 à six nouveaux pays pour devenir la Trans-Sahara Counter Terrorism Initiative, avant d’être remplacée en 2007 par la Trans-Sahara Counter Terrorism Partnership (TSCTP) qui concerne dorénavant 10 pays du Sahel (7). Ce partenariat visait à renforcer les capacités nationales et régionales de « lutte contre l’extrémisme violent ».

Le TSCTP a été également complété par un engagement des forces spéciales (opération Juniper Shield – ex Enduring Freedom) qui, sous le contrôle opérationnel de l’Africa Command (AFRICOM), entraînent, conseillent et assistent les armées de la région, dont celle du Mali.

Cette coopération militaire des États-Unis avec le Mali s’est toutefois heurtée à l’absence de volonté politique des Maliens de fournir les ressources budgétaires suffisantes pour entraîner, équiper et entretenir l’armée malienne. Par ailleurs, l’essentiel des efforts de coopération menés par les États-Unis a porté sur les unités touarègues, réputées aguerries aux combats en milieu désertique, alors que ce sont elles qui furent les premières à déserter et à rejoindre les mouvements terroristes du nord.

La coopération militaire avec la France

Dans le cadre de la coopération structurelle mise en œuvre par la mission de coopération de défense au Mali qui permet la réalisation et l’accompagnement de projets communs avec les forces armées maliennes conduits par des coopérants militaires français, la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD), dépendante du ministère des Affaires étrangères, a consenti un effort particulier au profit du Mali.

Cet effort, qui s’élevait à près de quatre millions d’euros en moyenne annuelle, explique que le Mali accueille à lui seul deux des seize écoles nationales à vocation régionale (ENVR) établies en Afrique, afin de prendre le relais des écoles de formation militaire françaises en y dispensant des cours au profit de militaires maliens et de cadres des autres armées francophones du continent africain.

Outre l’école militaire d’administration (EMA) implantée à Koulikoro, et dont les locaux ont été déménagés pour servir aujourd’hui à l’EUTM-Mali, la France soutient en effet l’école du maintien de la paix (EMP), ENVR qui a évolué vers une école malienne à partenariat multilatéral, que les membres de la mission en déplacement au Mali ont eu l’occasion de visiter.

iii. L’EUTM Mali

L’Union européenne s’est également préoccupée de la reconstitution et de la formation des forces armées maliennes.

Si elle condamne le coup d’État au Mali du capitaine Sanogo dès les conclusions du Conseil sur le Mali-Sahel du 23 mars 2012, les avancées sur le volet sécuritaire de l’action européenne au Mali sont toutefois initialement très limitées.

Le Comité politique et de sécurité (COPS) du 12 juin 2012 adopte certes une feuille de route demandant au service européen pour l’action extérieure (SEAE) d’explorer les options d’engagement de l’Union européenne au Mali par un appui à la reconstruction des forces armées maliennes, mais il faut attendre le conseil du 10 décembre 2012 pour que soit adopté le concept de gestion de crise d’EUTM Mali – European Union Training Mission –, après des discussions difficiles lors du Conseil affaires étrangères en format défense du 19 novembre 2012.

Le déclenchement de l’opération Serval va toutefois significativement accélérer le processus de planification opérationnelle d’EUTM Mali. En effet, le Conseil des Affaires étrangères décide, le 17 janvier 2013, de l’établissement de la mission d’EUTM Mali et nomme le général français François Lecointre chef de cette mission.

L’objectif poursuivi par EUTM Mali était initialement de fournir un entraînement militaire et des conseils aux forces armées maliennes dans le sud du Mali, afin de les aider à restaurer leur capacité militaire à conduire des opérations de combat en vue de restaurer l’intégrité du territoire malien.

Concrètement, les missions assignées à l’EUTM Mali visent à :

– la formation de quatre GTIA (groupements tactiques interarmes) d’environ 650 personnels chacun. Les unités sont désignées par les forces maliennes et font l’objet d’un audit avant le début de la formation, afin d’ajuster au mieux les modules de formation ;

– le conseil et l’encadrement pour l’amélioration du fonctionnement de la chaîne de commandement opérationnel ;

– l’assistance pour la réorganisation et la mise à niveau opérationnelle de la chaîne logistique ;

– le conseil dans le domaine de la gestion des ressources humaines, pour la mise en place de capacités de gestion locales, qui permettront aux forces maliennes de développer à moyen terme une loi de programmation.

Les membres de la mission d’information ont eu l’occasion de se rendre à Koulikoro, à 60 kilomètres de Bamako, siège de l’EUTM Mali, et d’assister à des exercices de formation d’éléments de l’armée malienne. À cette occasion, ils ont été particulièrement impressionnés par l’antenne chirurgicale très moderne mis à disposition de l’EUTM Mali par l’Allemagne, qui leur a semblé quelque peu disproportionné au regard des besoins réels de l’entraînement dispensé, d’autant plus que cette structure médicale n’est pas ouverte aux civils.

Le concept d’entraînement de l’EUTM Mali vise, d’ici le 30 janvier 2014, à former successivement quatre bataillons d’infanterie (665 hommes par bataillon) avec ses appuis interarmes, ce qui correspond à environ 50 % de la ressource opérationnelle des forces armées maliennes.

Source : EUTM Mali.

L’EUTM Mali, dont la France est la « nation cadre », est composée de près de 550 soldats – dont 150 formateurs et un peu plus de 90 protecteurs pour la France –, qui représentent au total vingt pays.

Source : État-major des armées, centre de planification et de conduite des opérations (CPCO).

Si certains pays européens fournissent à la fois des formateurs et des protecteurs, d’autres, comme l’Allemagne par exemple, n’envoient que des formateurs. On peut donc se féliciter que l’Espagne, la République tchèque et la Belgique aient finalement décidé d’envoyer des soldats pour assurer la protection des formateurs, ce qui évite à la France d’assumer seule cette tâche.

Source : EUTM Mali.

L’EUTM Mali a commencé sa mission et le bataillon Waraba, d’un effectif d’environ 750 hommes, a récemment achevé sa formation. Un deuxième devrait être prochainement formé. Il s’agit néanmoins désormais plus de restaurer la chaîne de commandement et de reconstruire l’armée que de la préparer à reconquérir le territoire malien.

Comme l’a indiqué (8) M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, devant la commission, « les forces maliennes – aujourd’hui agrégat de régiments affiliés chacun à telle ou telle personnalité politique – doivent se reconstituer en véritable armée. La mission de formation de l’EUTM de l’Union européenne devrait y aider ».

3. La France s’est très tôt impliquée dans la recherche d’une solution diplomatique dans un cadre multilatéral impliquant les organisations régionales

a. Le rôle primordial de la France dans le vote des résolutions de l’ONU relatives au Mali

Dès septembre 2012, la France, par la voix du Président de la République François Hollande devant l’Assemblée générale des Nations unies, a sensibilisé l’opinion publique internationale sur les dangers de la situation au Mali.

Par la suite, la France a continué à jouer un rôle moteur dans l’adoption des quatre résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU destinées à trouver une issue à la crise malienne.

Résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies relatives au Mali

La résolution 2056, adoptée le 5 juillet 2012, fixe le cadre d’une solution politique globale de la crise malienne. Elle est placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies. Si cette résolution n’autorise pas le déploiement d’une force de stabilisation, elle en permet néanmoins l’étude ultérieure. Elle « engage les États Membres à soutenir l’entreprise de réforme des forces de sécurité maliennes et en renforcer les capacités, en vue d’améliorer la tutelle démocratique sur les forces armées, de rétablir l’autorité de l’État malien sur l’ensemble du territoire national, de sauvegarder l’unité et l’intégrité territoriale du Mali et d’éloigner la menace que représentent AQMI et les groupes qui y sont affiliés ».

La résolution 2071, adoptée le 12 octobre 2012, donne 45 jours à l’Union africaine et la CEDEAO (9) pour présenter un concept d’action militaire. Cette résolution définit une stratégie pour traiter de la crise malienne dans une double logique politique et militaire. Si la négociation n’est pas exclue, elle ouvre cependant la voie aux préparatifs d’une intervention.

La résolution 2085, adoptée à l’unanimité le 20 décembre 2012, autorise pour une durée initiale d’une année le déploiement de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) tout en engageant le Mali à nouer un dialogue politique en vue d’élections et à mener des négociations « crédibles » avec les groupes du nord-Mali.

La résolution 2100, adoptée le 25 avril 2013, prévoit un transfert d’autorité de la MISMA à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), le 1er juillet, pour une période initiale de 12 mois.

b. La France a joué un rôle moteur de mobilisation auprès de ses partenaires européens

Si le concept « Recamp » de restauration des capacités de sécurités africaines a été initialement défendu par la France, il a été repris par l’Union européenne qui a défini à Lisbonne en 2007 un projet de partenariat stratégique avec l’Union africaine intégrant l’émergence d’un échelon continental africain de prévention et de gestion des crises sous le terme de concept « Eurocamp ».

De plus, après la présentation par l’Union européenne, en mars 2011, de la Stratégie européenne de sécurité et de développement pour le Sahel, la France a rappelé, en septembre 2011, l’urgence qu’il y avait à agir face à la situation au Mali.

Cette démarche a conduit à l’annonce par le Conseil de l’Union européenne du 16 juillet 2012 du lancement au 1er août 2012 de la mission Politique de Sécurité et de Défense Commune « EUCAP Sahel Niger », dans le cadre de la stratégie de l’Union européenne pour le développement et la sécurité au Sahel.

EUCAP Sahel Niger

« Cette mission vise à la formation et au conseil des forces de sécurité intérieure du Niger, en lien avec les forces armées du pays, dans le but d’aider les autorités nigériennes dans la lutte qu’elles ont entreprise contre le terrorisme et le crime organisé, qui constituent une grave menace pour toute la zone sahélo-saharienne.

Grâce à des éléments de liaison de la mission présents à Bamako et Nouakchott, cette mission contribuera à renforcer la coordination régionale avec le Mali et la Mauritanie en matière de sécurité.

Ce type de mission de renforcement des capacités des forces de sécurité et de défense a vocation à être proposée aux autres États de la région.

La France appuiera cette mission, qui doit constituer un élément essentiel et stratégique pour la stabilisation de la région, en particulier dans le contexte de dégradation de la situation sécuritaire au Mali ».

Source : http://www.diplomatie.gouv.fr.

Par ailleurs, la France a été l’initiatrice, dès le mois d’avril 2012, de discussions européennes sur la réponse à apporter à la crise malienne et sur la nécessité de lancer une mission de formation des forces armées au Mali. Alors que l’idée ne faisait pas l’unanimité à l’origine, la France, dès les mois de novembre et décembre 2012, a pourtant engagé des discussions avec ses partenaires européens, en s’appuyant sur la résolution n° 2085 adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU et créant la MISMA, pour les convaincre de la nécessité de l’envoi d’une force militaire au Mali.

Le déclenchement de l’opération Serval a fortement accéléré le processus de planification de la mission européenne et le lancement d’EUTM Mali.

4. L’offensive imprévue de trois groupes djihadistes justifie le recours à l’intervention de l’armée française

a. L’offensive djihadiste vers Bamako

Dans les premiers jours de l’année 2013, les groupes terroristes armés, sous l’impulsion d’Ansar Eddine, ont lancé une offensive au sud de la boucle du fleuve Niger, sur la ville de Konna, visant à terme la ville de Sévaré où se trouve un aéroport, la capitale Bamako et menaçant par là même tout le sud du Mali.

La République du Mali était alors menacée dans son existence même et la perspective de l’instauration d’un sanctuaire contrôlé par des djihadistes et des narcotrafiquants au cœur de l’Afrique de l’ouest faisait peser une menace directe sur la sécurité régionale et internationale.

Source : Ministère de la Défense.

b. Le droit international offre une base juridique incontestable à l’intervention française

Comme l’a rappelé à plusieurs reprises M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense devant la commission, la France est intervenue au Mali à la suite d’une demande d’aide formulée le 10 janvier 2013 par le Président du Mali Traoré, adressée à la France et au Conseil de sécurité des Nations unies, et au titre de l’article 51 de la Charte des Nations unies relatif à la légitime défense.

Article 51 de la Charte des Nations unies

« Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales. Les mesures prises par des Membres dans l’exercice de ce droit de légitime défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n’affectent en rien le pouvoir et le devoir qu’a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d’agir à tout moment de la manière qu’il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales ».

Conformément à cet article 51, la France a rendu compte au Conseil de sécurité de l’usage qui en a été fait. Comme l’a souligné le Premier ministre Jean-Marc Ayrault lors de la déclaration du Gouvernement sur l’engagement des forces françaises au Mali, en date du 16 janvier 2013, « le secrétaire général des Nations unies a salué notre réponse à la demande souveraine du Mali. Au Conseil de sécurité, une grande majorité d’États membres a rendu hommage à la rapidité de notre intervention, dont l’opportunité et la légalité sont incontestées ».

De même, l’intervention des forces françaises a été approuvée, pour la première fois, à l’unanimité par l’Union africaine. Comme le souligne très justement le dernier Livre blanc de 2013 sur la défense et la sécurité nationale, « le succès des opérations est souvent lui-même en partie lié à la légitimité de l’institution qui en est le support. Dans un monde où perdurent de très grandes inégalités de pouvoir et de ressources, les interventions extérieures ne doivent pas être soupçonnées d’être un nouvel instrument de projection abusive de puissance. Pour obtenir l’adhésion qui est une condition de leur succès, elles doivent répondre aux attentes des populations concernées et être portées par des organisations dans lesquelles ces populations se reconnaissent ».

À cet égard, tout reproche adressé à la France d’avoir conduit une politique abusive de puissance ou d’avoir mené une entreprise néocolonialiste doit être écarté.

Au regard du droit international, le conflit au Mali présente toutes les caractéristiques d’un conflit armé non international, c’est-à-dire d’un conflit dans lequel un État est aux prises avec un ou plusieurs acteurs non étatiques dans lequel la confrontation génère un certain niveau de violence qualifiable de conflit armé, régi par les dispositions du IIe Protocole Additionnel (1977) aux Conventions de Genève et par l’article 3 commun aux Conventions de Genève (1949).

c. Les objectifs politiques poursuivis par la France ont été clairement énoncés et la poursuite de l’intervention a été approuvée à l’unanimité par le Parlement

i. Les objectifs et missions des forces françaises

La France, en pleine cohérence avec les résolutions des Nations unies, entendait aider le Mali à recouvrer sa souveraineté et son intégrité territoriale.

Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a ainsi rappelé, lors de la déclaration précitée du gouvernement, que la France poursuit des « objectifs parfaitement clairs » : « le premier objectif est d’arrêter l’avancée des groupes terroristes vers Bamako. Le deuxième consiste à préserver l’existence de l’État malien et à lui permettre de recouvrer son intégrité territoriale. Le troisième est de favoriser l’application des résolutions internationales à travers le déploiement de la force africaine de stabilisation et l’appui aux forces armées maliennes dans leur reconquête du Nord ».

Comme l’a précisé M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, lors de son audition du 23 janvier 2013, ces objectifs se déclinent, pour les forces armées françaises, en quatre missions principales :

– « aider les forces maliennes à stopper la progression des groupes terroristes vers le sud, que ce soit par des frappes aériennes – de notre aviation de chasse comme de nos hélicoptères – sur des cibles identifiées ou le déploiement de troupes au sol, les premières appuyant les secondes » ;

– « la destruction des bases arrière – dépôts d’essence ou de munitions, centres d’entraînement, infrastructures diverses – afin d’empêcher les groupes terroristes de se reconstituer » ;

– « soutenir la stabilité du Mali et de ses institutions, notamment par une présence à Bamako, laquelle permet aussi d’assurer la sécurité de nos ressortissants comme de ceux, peu nombreux, de l’Union européenne » ;

– « favoriser l’accélération du déploiement des forces africaines de la Mission internationale de soutien au Mali, la MISMA, autour de l’état-major nigérian installé à Bamako, et d’aider à la mise en œuvre rapide de la mission européenne de formation et d’encadrement de l’armée malienne, dite “EUTM Mali”, puisque la France en est la nation cadre ».

ii. L’information et l’approbation du Parlement

En premier lieu, la procédure d’information du Parlement sur les opérations extérieures mise en place à l’occasion de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a été parfaitement respectée.

L’article 35 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose en effet que « le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote ». Dans cet esprit, le Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, a reçu le 14 janvier à Matignon les présidents, les présidents de groupes ainsi que les présidents des commissions des affaires étrangères et de la défense, de l’Assemblée nationale et du Sénat, et une déclaration du gouvernement sur l’engagement des forces françaises au Mali et un débat sur cette déclaration ont été organisés à l’Assemblée nationale le 16 janvier 2013.

Par ailleurs, le même article 35 de la Constitution dispose également que « lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement », ce qui a conduit le Parlement à autoriser (10) le gouvernement à prolonger l’intervention de l’armée française au Mali. Au préalable, les parlementaires avaient entendu la déclaration du Premier ministre demandant au Parlement l’autorisation de prolonger cette intervention militaire pour « consolider les progrès » déjà réalisés sur le terrain et « conjurer la menace terroriste ».

En second lieu, vos Rapporteurs se félicitent de la qualité de l’information délivrée et des échanges directs qui ont pu avoir lieu, grâce au huis clos, de façon très régulière tout au long de l’opération Serval lors d’auditions du ministre de la Défense par la commission.

B. L’OPÉRATION SERVAL EST UN SUCCÈS REMARQUABLE

L’accueil enthousiaste, le 2 février 2013, du Président de la République François Hollande, accompagné du ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, lors de leur déplacement à Sévaré, Bamako et Tombouctou, témoigne du soutien de la population malienne à l’opération Serval. Cette dernière est avant tout un succès militaire indéniable.

1. La France a démontré sa capacité à entrer en premier sur un théâtre, clef de son autonomie stratégique

a. Le recours à des boucles décisionnelles courtes a été décisif

i. Les avantages du processus décisionnel politique français

Les auditions d’ambassadeurs et d’attachés de défense de pays alliés, et notamment celle de Mme Susanne Wasum-Rainer, Ambassadeur d’Allemagne, ont permis de mettre en évidence les avantages du processus décisionnel français sous la Ve République en cas d’engagement des forces armées à l’extérieur.

Alors que la France se caractérise par une « boucle de décision » courte, avec prédominance du Président de la République, chef des armées présidant les conseils et les comités supérieurs de la défense nationale aux termes de l’article 15 de la Constitution du 4 octobre 1958, d’autres pays, comme l’Allemagne, sont davantage dépendants d’un processus parlementaire limitant de fait la réactivité nécessaire face à une situation telle que celle qu’a connue le Mali avec l’offensive brusque des groupes djihadistes vers le sud.

ii. La chaîne de commandement a été particulièrement réactive et accélère le cycle décisionnel politico-militaire

Le commandement de l’opération Serval a été assuré au niveau stratégique par le Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) à Paris, que les membres de la mission d’information ont eu l’occasion de visiter et, au niveau opératif, par le général de Saint-Quentin.

La réussite de l’opération a reposé sur la cohérence et l’efficacité de moyens de commandement autorisant toutes les parties prenantes à dialoguer en temps réel ce qui facilite la continuité de la conduite des opérations et leur planification suivant une vision globale de l’engagement.

Il convient par exemple de souligner le rôle important joué par le Centre national des opérations aériennes (CNOA) de Lyon Mont-Verdun et le JFACC AFCO (11) qui a permis au CPCO de s’appuyer sur une structure permettant de lancer immédiatement une campagne aérienne et d’anticiper plus facilement le développement de l’opération. Cette capacité de commandement et de contrôle, reconnue par nos alliés, a par ailleurs facilité les participations aériennes de nombreuses nations désireuses d’apporter une aide à la France.

À l’occasion de l’opération Serval, la France a ainsi montré sa capacité à commander et à conduire, directement et de façon autonome depuis le territoire métropolitain, des opérations qui peuvent se dérouler à des milliers de kilomètres et s’étendre sur des théâtres aussi vastes que le bassin méditerranéen lui-même.

b. Le rôle des forces prépositionnées a été déterminant

i. Le dispositif de la France en Afrique

Dans l’esprit du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 qui préconisait que la France procède « à la conversion progressive de ses implantations anciennes en Afrique, en réorganisant ses moyens autour, à terme, de deux pôles à dominante logistique, de coopération et d’instruction, un pour chaque façade, atlantique et orientale, du continent, tout en préservant une capacité de prévention dans la zone sahélienne », le dispositif de défense français en Afrique a été reconfiguré ces dernières années.

Ainsi, ce dernier s’appuyait, au moment du déclenchement de l’opération Serval au Mali, à la fois sur un réseau de missions militaires (29 attachés de défense), un dispositif de forces de présence (Éléments français au Sénégal – EFS –, Forces françaises au Gabon – FFG –, Forces françaises stationnées à Djibouti – FFDj –) et de forces de souveraineté (Forces armées en zone sud de l’océan Indien – FAZSOI –).

Source : Ministère de la Défense.

Alors que les FFDj (1 900 hommes) et les FFG (900 hommes) constituent des bases opérationnelles avancées, les EFS (360 hommes) ne représentent qu’un Pôle opérationnel de coopération, mais qui a toutefois su montrer toute son utilité lors de l’opération Serval, notamment pour l’acheminement logistique.

Chaque dispositif de forces françaises en Afrique correspond à une Communauté économique régionale (CER) et est commandé par un officier général pour faciliter les échanges avec les chefs d’état-major des pays concernés, et permettre, dans le cas de la CEDEAO, de participer au comité des chefs d’état-major.

Ce dispositif était complété, au moment du déclenchement de l’opération Serval par trois opérations en cours des forces françaises en Afrique (Épervier au Tchad, avec 950 hommes, Licorne en Côte d’Ivoire, avec 450 hommes, Boali en République centrafricaine, avec 250 hommes) et par l’opération Sabre (forces spéciales) au Burkina Faso.

ii. L’importance des pré-positionnements dans le bon déroulement de l’opération Serval

À côté du dispositif d’alerte « Guépard » de l’armée de terre (cf. infra), le pré-positionnement de forces en Afrique est sans aucun doute le facteur décisif qui explique l’extrême réactivité de l’intervention française en permettant, dans des délais extrêmement court, de stopper avec succès l’avancée des GAD vers Bamako. En effet, ce sont les forces prépositionnées en Afrique, forces spéciales comprises, qui sont intervenues les premières au Mali, soit environ 800 hommes, venant principalement du Tchad et de Côte d’Ivoire.

La contribution à l’opération Serval des bases opérationnelles avancées, des éléments français présents en Afrique au titre des opérations extérieures et du pôle opérationnel de coopération du Sénégal a été décisive.

En effet :

– les forces venant du Sénégal ont mis à disposition un état-major interarmes, qui a constitué le noyau clef de l’état-major de niveau opératif ;

– les forces venant du Burkina-Faso ont engagé une capacité aéromobile et commando ;

– les forces venant du Tchad ont permis la constitution d’un GTIA renforcé par des moyens venant de la Côte d’Ivoire (un escadron) ;

– un GTIA parachutiste provenant de la métropole a transité par la Côte d’Ivoire ;

– des forces prépositionnées au Gabon ont été engagées sur le théâtre malien tout en continuant à intervenir en République centrafricaine.

Ainsi, le prépositionnement de forces françaises en Afrique a permis au général de Saint-Quentin, commandant de la base des Éléments français au Sénégal, de disposer d’un commandement connaissant parfaitement la zone d’engagement et qui a pu par la suite jouer le rôle d’interlocuteur privilégié des chefs d’état-major de la CEDEAO. L’implication de militaires prépositionnées a également permis de disposer de forces déjà acclimatées aux conditions locales.

Par ailleurs, l’opération Serval a confirmé le rôle crucial de la plateforme aérienne de N’Djamena au Tchad et tout l’intérêt qu’il y avait de garder des emprises, au Sénégal et en Côte d’Ivoire, sur les façades maritimes. Celles-ci ont en effet grandement facilité, grâce aux équipements et personnels sur place, la réception des forces et équipements venant de métropole avant qu’ils ne se déploient au Mali.

c. Le dispositif d’alerte « Guépard » a montré tout son intérêt

Le déclenchement rapide de l’opération Serval a été l’occasion de tester, dans des conditions réelles de conflit, la pertinence et l’efficacité du dispositif de déploiement d’urgence de l’armée de Terre « Guépard Nouvelle Génération » (Guépard NG), rénové à l’été 2012.

Adapté pour répondre au contrat opérationnel fixé à l’armée de Terre par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, ce dispositif d’alerte prévoit que 5.500 hommes tenus en alerte, par périodes de six mois, puissent être mobilisés et déployés, par échelons successifs, dans un délai de douze heures à neuf jours.

On notera que le commandement des forces terrestres françaises (CFT) s’apprêtait à mettre à l’épreuve le dispositif Guépard NG lors d’exercices d’alerte interarmes. Or, ce dernier, qui consiste en un réservoir homogène de troupes, fortement préparées et entraînées, du volume d’une brigade et dans lequel le commandement peut puiser en cas d’urgence, s’est révélé parfaitement adapté au scénario d’engagement des forces françaises au Mali.

Si les forces prépositionnées en Afrique sont intervenues en premier, le CFT, à la demande du Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) à Paris, a pu rapidement puiser dans les effectifs en alerte Guépard en métropole, ce qui a permis une montée en puissance rapide des effectifs déployés au Mali.

Une compagnie du 2Régiment d’infanterie de marine a, par exemple, pu être envoyée le 12 janvier, après seulement huit heures de préparatifs, pour renforcer la protection de l’aéroport de Bamako.

d. Les efforts en matière de préparation opérationnelle des soldats et les expériences des précédentes OPEX ont porté leurs fruits

Le succès de l’opération Serval n’aurait pas été possible sans la « maturité » professionnelle de forces bien entraînées, qui ont en outre bénéficié de l’expérience de précédentes opérations extérieures.

i. Les forces engagées …

Les effectifs engagés tant par l’armée de Terre que par l’armée de l’Air ont évolué au cours des différentes phases de l’opération Serval.

Effectifs de l’armée de Terre

Les effectifs de l’armée de Terre engagés dans l’opération ont connu une montée en puissance assez rapide. Ils ont été prélevés au début de l’engagement sur les effectifs des forces prépositionnées en Afrique (Tchad, Côte d’Ivoire et Gabon), très vite rejoints par les militaires du dispositif d’alerte « Guepard ».


Source : État-major de l’armée de Terre.

DÉTAILS DES EFFECTIFS DE L’ARMÉE DE TERRE (FIN FÉVRIER 2013)

Source : état-major de l’armée de Terre.

On peut remarquer que les effectifs des forces engagées dépassent le plus fort niveau atteint lors de l’intervention en Afghanistan.

Effectifs de l’armée de l’Air

Les effectifs de l’armée de l’Air engagés dans l’opération ont connu une montée en puissance rapide au début de l’opération, de janvier à mi-février 2013.

ÉVOLUTION DES EFFECTIFS DE L’ARMÉE DE L’AIR

Source : État-major de l’armée de l’Air.

Lors de son audition, le chef d’état-major de l’armée de l’Air a appelé l’attention sur le personnel de l’armée de l’Air œuvrant en permanence sur les bases aériennes de métropole, qu’elles soient support arrière des avions projetés ou plateforme de projection, comme Istres, Évreux, Avord, Saint-Dizier ou Nancy. Si ce personnel vit au rythme de l’opération et contribue très largement à sa réussite, il ne reçoit toutefois aucune gratification pécuniaire ou honorifique. Vos Rapporteurs estiment que cette situation pourrait utilement être changée, en leur accordant a minima la médaille de l’opération.

Effectifs de la Marine nationale

Quoique de façon plus limitée que les armées de Terre et de l’Air du fait de l’absence de façade maritime du Mali, la Marine nationale a également contribué à l’opération Serval : les équipages de deux avions Atlantique 2, d’un bâtiment de projection et de commandement (BPC) et de son aviso d’escorte ont ainsi pris part à l’opération.

Selon les informations fournies à vos Rapporteurs par l’état-major de la Marine, 120 marins en moyenne ont été mobilisés à terre par l’opération Serval, et 250 l’ont été en mer.

ii. … étaient bien entraînées et ont bénéficié des enseignements des OPEX précédentes

Il convient de souligner le professionnalisme des hommes et des femmes engagés dans l’opération Serval que la mission d’information a eu l’occasion de rencontrer lors de son déplacement au Mali.

Comme l’ont souligné à la fois le chef d’état-major de l’armée de Terre comme celui de l’armée de l’Air lors de leur audition par la mission, cette qualité des militaires est le résultat d’une formation et d’une activité continue dont le volume des entraînements et la régularité des exercices sont adaptés aux situations auxquelles ils peuvent être confrontés dans le cas d’une intervention. Le général Bernard Barrera, commandant de la composante terrestre de l’opération Serval, a également indiqué aux membres de la mission que la rusticité et l’endurance de ses troupes confirmaient la valeur de l’entraînement dispensé.

Vos Rapporteurs insistent en conséquence sur la nécessité de maintenir pour nos armées un niveau de préparation opérationnel suffisant pour pouvoir conduire des missions complexes. Le niveau d’activité de l’armée est un gage majeur de son efficacité.

Par ailleurs, le chef d’état-major de l’armée de Terre a indiqué lors de son audition que l’expérience opérationnelle acquise ces dernières années sur divers théâtres a été déterminante pour emporter un succès rapide lors de l’opération Serval. L’expérience acquise en Afghanistan a été particulièrement fructueuse en matière de secourisme de combat, de soutien psychologique, d’intégration interarmes toujours plus poussée, spécialement en matière d’appuis-feux, et de développement de nouvelles capacités comme la lutte contre les engins explosifs improvisés par exemple.

2. L’opération Serval est parvenue à surmonter des défis considérables

a. Le défi climatique a été relevé

Durant la période de l’année où se sont déroulés les combats de l’opération Serval, le climat au Mali est sec et très chaud. Les membres de la mission d’information, qui se sont déplacés à Gao, à Tessalit et dans l’Adrar des Ifoghas, se sont rendus compte eux-mêmes des conditions particulièrement éprouvantes dans lesquelles évoluaient nos soldats, sachant de surcroît qu’ils n’avaient pas à porter, en plus de leur casque et gilet pare-balles, tout l’équipement et les armements dont étaient chargés les militaires.

Ainsi, à titre d’exemple, chaque soldat devait, dans la vallée d’Amettetaï, boire environ dix litres d’eau par jour, ce qui a évidemment posé un défi logistique considérable.

Par ailleurs, il a été indiqué aux membres de la mission que la chaleur a également eu des répercussions directes sur les performances des équipements et matériels. Les hélicoptères et les avions pouvaient ainsi transporter moins de personnes et de matériel qu’en condition normale. Le général Barrera a également fait part aux membres de la mission des difficultés que la forte chaleur avait entraînées sur les chaussures de combat, la colle des semelles fondant sous l’effet des températures extrêmes, ce qui a nécessité une réorganisation pragmatique avec les troupes restées à l’arrière.

Enfin, la rapidité de cette guerre de mouvement a permis de terminer l’essentiel des opérations militaires avant la saison des pluies, au cours de laquelle les opérations militaires auraient été rendues beaucoup plus difficiles.

b. La prouesse logistique est remarquable

Le déploiement sur le terrain des forces françaises impliquées dans l’opération Serval, comme le soutien logistique nécessité par la poursuite de l’intervention militaire, ont dû faire face à des contraintes importantes.

En effet, l’enclavement du Mali, les faibles capacités de l’aéroport de Bamako et des autres pistes d’atterrissage, la qualité du réseau routier (les 1 200 kilomètres qui séparent Bamako de Gao et les 600 kilomètres qui séparent Gao de Tessalit se parcourent tous deux en trois jours) et la dispersion des unités, ont rendu d’autant plus difficile la manœuvre logistique.

Dans la réussite de l’opération Serval, comme de façon plus générale, l’importance du soutien, souvent trop peu mise en lumière, ne doit pas être négligée.

i. L’acheminement stratégique

La mission d’information a eu l’occasion de visiter le Centre multimodal des transports (CMT) dont la mission est de concevoir et de conduire les acheminements stratégiques et de planifier les transits opérationnels.

Les moyens mis en œuvre pour les acheminements stratégiques reposaient à la fois sur des moyens détenus en propre (avions de transport tactique, avions de transport stratégique, véhicules routiers, bâtiments de la marine), sur des moyens fournis par les alliés, sur des conventions et accords internationaux et sur des marchés et accords cadre.






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ii. Le soutien aux forces

Le seul soutien de la force a également nécessité de mobiliser des moyens importants, sachant par exemple que la consommation quotidienne moyenne de la force Serval représentait 4 500 rations de vivres, 45 m3 d’eau, 10 tonnes de munitions, 30 m3 de carburant terrestre et 200 m3 de carburant aérien.

La manœuvre logistique a ainsi été particulièrement difficile du fait des élongations (les opérations dans l’Adrar des Ifoghas et le déploiement de la force sur sept sites entre Bamako et le nord du pays ont imposé une multiplicité de convois – jusqu’à sept convois simultanés – et un recours important à des vecteurs aériens), des conditions climatiques et du rythme très rapide de la mise en place de la force Serval (11 000 tonnes de fret et 2 000 hommes ont été déployés dans les cinq premières semaines de l’opération, soit l’équivalent de l’ensemble du désengagement du théâtre afghan).

Le sous dimensionnement logistique initial au regard du déploiement choisi et du rythme élevé des opérations a été compensé par un rythme d’emploi accru des hommes. Ainsi, les conducteurs du bataillon logistique (BATLOG) ont parcouru 2,5 millions de kilomètres, passé 12 heures par jour au volant durant des convois de 8 jours en moyenne, suivis d’une remise en condition de 24 ou 48 heures seulement.

Malgré ces difficultés, il n’y a pas eu de rupture dans le soutien même si la manœuvre tactique a été contrainte par deux fois. L’opération PANTHERE 3, prévue le 26 février, a ainsi dû être décalée du fait d’un manque de carburant à Tessalit et d’un problème de ravitaillement des unités de la FATIM. De même, le 7 mars, une opération prévue dans l’Adrar a été annulée car le volume des forces à soutenir dépassait les capacités du BATLOG).

L’un des enseignements principaux de l’opération Serval est donc de mettre en évidence le caractère primordial du dispositif de soutien aux forces armées. Comme l’a relevé M. Gilles Huberson, Ambassadeur de France au Mali, la performance militaire réalisée lors de l’opération Serval était tout d’abord logistique. Les données figurant dans les tableaux ci-après en témoignent amplement.

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c. La communication a été bien gérée

Les auditions de M. Pierre Bayle, directeur de la Délégation à l’information et à la communication de la défense (DICoD) et du Colonel Thierry Burkhard, conseiller communication du chef d’état-major des armées et responsable de la communication opérationnelle, c’est-à-dire de la communication interarmées sur l’opération Serval, ont permis de mieux prendre conscience d’une dimension parfois occultée des conflits modernes, à savoir l’« importance de la bataille de l’information » (12).

Alors que d’aucuns avaient pu se plaindre un peu rapidement d’un manque de communication sur l’opération Serval, il convient de noter qu’au 1er juillet 2013, le ministère avait envoyé au sujet de l’opération Serval 137 diffusions d’actualité médias, dont 2 heures et 31 minutes de bandes vidéo et 933 photos, alors que l’Établissement cinématographique et photographique des armées (ECPA) n’avait diffusé que 113 actualités seulement pour l’année 2011 où se déroulaient pourtant des opérations militaires en Libye, Afghanistan et Côte d’Ivoire.

De janvier à juin 2013, 529 journalistes ont ainsi été accueillis officiellement au Mali, représentant 327 médias de toutes nationalités, soit une moyenne de plus de huit journalistes présents par jour sur le théâtre des opérations.

Par ailleurs, il convient de ne pas oublier que la communication, destinée tant à l’opinion publique française qu’aux populations maliennes et sahéliennes, peut également être utilisée par un adversaire disposant d’une capacité d’analyse militaire. Elle doit donc avoir comme constant impératif de ne pas donner à l’ennemi des informations qui mettraient en danger la sécurité des opérations et donc celles des soldats français.

Vos rapporteurs se félicitent par ailleurs que la communication autour de l’opération Serval ait d’emblée clairement parlé de « guerre » avec un objectif bien défini de destruction des groupes armés djihadistes, ce qui a vraisemblablement contribué au très large soutien dont a bénéficié cette opération dans l’opinion publique, avec près de 70 % d’approbation.

3. Les différentes phases de l’opération ont évité tout enlisement

Engagées le 11 janvier 2013 sur l’ordre du Président de la République, François Hollande, dans le cadre de la résolution 2085 de l’ONU et à la demande expresse du Président malien par intérim (cf. supra), les forces armées françaises vont réussir avec succès, par une suite d’opérations audacieuses fondées sur la manœuvre et la surprise, à reconquérir l’intégrité territoriale du Mali et à détruire le potentiel de combat des GAD.

Il convient de souligner que l’ensemble de ces opérations militaires a été constamment mené avec à l’esprit la possibilité que des otages français se trouvent dans la zone des combats et le souci de ne pas mettre leur vie en danger.

Lors des auditions menées par la mission d’information, les attachés de défense de pays alliés ont tous reconnu la rapidité, la réactivité et l’efficacité des forces françaises.

a. Le coup d’arrêt à l’offensive des groupes armés djihadistes

La première phase de l’opération Serval a consisté à donner un coup d’arrêt à l’offensive des GAD vers le sud menée au moyen d’un nombre significatif de « pick-up et de matériels militaires performants, comme des lance-roquettes, équipés de mitrailleuses lourdes, venant en grande partie de Libye mais également de l’armée malienne et du trafic.

Dès le 11 janvier 2013, la progression des djihadistes a été stoppée à Konna-Mopti par la combinaison de l’action du COS (13) et et d’opérations aériennes depuis les terrains de N’Djamena pour la chasse et de Dakar pour les Atlantique 2 de la Marine. La réactivité des forces françaises doit être soulignée dans la mesure où l’intervention française a débuté cinq heures seulement après le Conseil de défense réuni par le Président de la République le vendredi 11 janvier 2013 à onze heures trente. Ce sont les forces spéciales stationnées à Ouagadougou qui ont rejoint en premier le théâtre malien, à Diabali et Konna, pour épauler l’armée malienne et éviter la prise de points stratégiques comme l’aéroport de Sévaré et le pont de Markala.

Avec le premier raid offensif mené le 13 janvier au départ de leur base de Saint-Dizier par quatre Rafale, l’armée de l’air a par ailleurs réussi à cette occasion à mener le raid aérien opéré par des chasseurs bombardiers au départ de la France le plus complexe de toute l’histoire des forces aériennes françaises (avec une durée de 9 heures 35, sur plus de 4 000 kilomètres et nécessitant cinq ravitaillements en vol).

Du 12 au 15 janvier, le GTIA (14) 1 a été constitué à partir d’éléments présents au Tchad, en Côte d’Ivoire et provenant du dispositif d’alerte « Guépard » (cf. supra). Celui-ci, appuyé par des avions venant de France et du Tchad a d’abord sécurisé l’aéroport de Bamako puis fait mouvement vers le nord-ouest pour interdire toute avancée des GAD.

Dans le même temps, trois autres GTIA, un groupement aéromobile et un PC de brigade commençait leur montée en puissance tandis que l’armée de l’Air effectuait, dans la profondeur, des frappes sur des dépôts logistiques repérés le long du Niger. En moins de trois jours, une quarantaine d’objectifs ont ainsi été attaqués, détruisant des moyens offensifs, des centres de commandement, des bases d’entraînement ou des bases logistiques, et déstructurant profondément les forces adverses.

Source : État-major de l’armée de Terre.

b. La conquête de la boucle du Niger et la libération des villes

La deuxième phase de l’opération Serval a consisté à reprendre les plateformes aéroportuaires du Nord du Mali.

Source : État-major de l’armée de Terre.

À partir du 25 janvier, le GTIA 1, relevé à Bamako par la MISMA, a entamé une reconnaissance vers Tombouctou et Gao. Refusant le combat et harcelé par les moyens aériens, les GAD se sont repliés vers le nord et l’est de Gao.

Dans la nuit du 25 au 26 janvier, des forces spéciales françaises ont été aéroportées sur Gao et ont sécurisé la piste en dépit de la résistance opposée par des éléments du Mujao. Cette opération, réalisée de nuit, consistait à saisir et à sécuriser l’aéroport et le pont de Gao. Elle a été effectuée par des commandos déployés par des posés d’assaut. Elle a ainsi permis la prise de Gao.

Le 27 janvier, le GTIA 1 et les forces armées maliennes se sont emparés de Tombouctou sans rencontrer de résistance. Dans la nuit du 27 au 28 janvier, une compagnie renforcée du GTIA 4 a été parachutée au nord de la ville pour interdire toute possibilité de fuite tandis que le GTIA 2, débarqué à Dakar, a débuté son mouvement vers Gao, distante de 2 000 kilomètres. Cet aérolargage de nuit de 250 parachutistes avec matériel est l’opération aéroportée la plus importante depuis l’opération Léopard menée en 1978 à Kolwezi.

Le 29 janvier, le génie parachutiste a été largué avec ses engins de réparation de piste sur l’aéroport de Tombouctou pour enlever les obstacles laissés par les GAD, tandis que les forces armées tchadiennes et nigériennes ont mené une reconnaissance offensive à partir du Niger vers les villes maliennes de Menaka, Asongo et Gao.

Lors de cette deuxième phase, les plateformes aéroportuaires du Nord du Mali de Gao (25 au 26 janvier), Tombouctou (27 janvier), Kidal (30 janvier) et Tessalit (8 février) ont ainsi été reprises aux GAD sans combat – à l’exception de Gao – ce qui a permis aux forces françaises de reprendre la main sur le nord du pays.

Source : Ministère de la Défense.

c. L’exploitation dans la profondeur

La troisième phase de l’opération Serval s’est attachée à l’est de Gao à neutraliser les GAD dans leur sanctuaire du nord du pays localisé dans l’Adrar des Ifoghas, dans lequel les islamistes avaient entreposé un arsenal considérable, protégé par des positions défensives faites de grottes, de zones minées et de position de tir. Les combats se sont déroulés dans des conditions particulièrement éprouvantes, par une température dépassant parfois les 45°C.

Au Nord, les forces françaises (GTIA parachutiste, GTIA blindé et GAM (15)), en liaison avec les forces armées tchadiennes, ont parcouru les vallées principales puis secondaires du massif de l’Adrar des Ifoghas (Amettetaï, Terz). Dans la vallée d’Amettetaï, les forces françaises ont forcé les groupes armés djihadistes, dont le noyau dur représentait de 500 à 600 personnes, à livrer bataille, l’adversaire se battant farouchement, et allant jusqu’à se suicider. Le général Bernard Barrera a salué, lors de sa rencontre avec la mission à Gao, l’héroïsme de certains légionnaires, qui, au péril de leurs vies, n’ont pas hésité à tirer à côté de très jeunes combattants endoctrinés en espérant qu’ils abandonnent le combat. Grâce à leur sang froid, plusieurs jeunes djihadistes ont eu la vie sauve. Cette présence de très jeunes soldats, souvent drogués, explique également un certain nombre des traumatismes psychologiques qui ont affecté des soldats français.

Dans le nord du Mali, à Gao, Tombouctou et dans l’Adrar des Ifoghas, plusieurs centaines de tonnes de munitions ont été retrouvées, dissimulées dans des caches, ainsi que plusieurs fabriques de bombes artisanales, des vestes d’attentat suicide, du matériel de communication, des faux papiers et des moyens d’en confectionner, des ordinateurs ainsi que des GPS. Comme l’a souligné le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian devant la commission, « l’ampleur des arsenaux que nous avons découverts, en particulier au nord, montre qu’il existait une réelle volonté d’exporter le terrorisme au-delà des frontières maliennes » (16) et que « si nous n’étions pas intervenus, des attentats auraient sûrement été commis en France » (17).

Au sud, après avoir neutralisé le MUJAO dans la ville de Gao, l’effort s’est porté à l’est dans la région de Goram-Imenas-Djebok avec un GTIA appuyé par le GAM et l’aviation.

Après les manœuvres menées en avril dans la zone centre, dans la région de la boucle du Niger, les GAD, défaits tactiquement, ont choisi d’opter pour une posture plus asymétrique (utilisation d’engins explosifs improvisés – ou IED (18) –, minages d’axes routiers, attaques suicides et attaques ponctuelles), ouvrant la voie au désengagement du GTIA 3 et 4. Le général Barrera, commandant de la composante terrestre de l’opération Serval, a indiqué aux membres de la mission que les actions kamikazes étaient parfois menées par des adolescents ou même des enfants, sous l’emprise de stupéfiants, comme la Kétamine par exemple.

Le bilan de la libération de l’Adrar des Ifoghas, notamment avec la bataille de l’Ametettaï, principal refuge des djihadistes, est particulièrement positif. Plusieurs dizaines de tonnes d’armes et de munitions ont été récupérées, des bases d’entrainement ont été détruites et les flux logistiques ont été coupés. Une partie de ces armements saisis a été détruite, une autre a été donnée aux forces maliennes et une troisième a été conservée à des fins d’analyse. Il convient également de souligner que ces combats démontrent la pleine efficacité de l’interarmisation des armées.

Source : État-major de l’armée de Terre.

d. La transition vers les forces africaines

Depuis début mai, l’opération Serval est entrée dans une phase de passage de relais aux forces africaines, qu’il s’agisse des forces armées maliennes remises à niveau (EUTM Mali) ou de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) (mission de l’ONU succédant à la MISMA).

Les opérations de pression sur l’ennemi relèvent aujourd’hui du niveau du SGTIA (19). La force Serval désormais regroupée dans trois villes (Gao, Tessalit, Kidal) avec un seul GTIA renforcé « GTIA Désert » qui, tout en assurant une fonction d’élément réservé, maintient la pression sur les GAD par des opérations ciblées.

Source  : État-major de l’armée de Terre.

4. Plusieurs équipements et matériels ont fait la démonstration de leur haut niveau de technicité

L’opération Serval a été l’occasion de confirmer le très haut niveau de technicité de certains équipements et matériels de l’armée française.

Si les avions Atlantique 2 de la Marine nationale ont efficacement appuyé la manœuvre ISR (20)de l’opération Serval et si les bâtiments de projection et de commandement (BPC) ont contribué à relever le défi logistique, ce sont essentiellement les équipements et matériels de l’armée de Terre et de l’armée de l’Air qui ont fait la preuve de leur caractère opérationnel sur le théâtre d’opération malien.

a. L’opération Serval confirme la pertinence des choix d’équipements de l’armée de Terre

i. Les moyens de l’armée de Terre mobilisés

Matériels

Au plus fort de la crise, 1 448 engins, dont plus de 450 blindés et 800 véhicules de tous types ont été déployés par l’armée de terre dans le cadre de l’opération Serval.


Source : état-major de l’armée de Terre.

Dans les premières semaines de l’opération, ces matériels ont été en partie prélevés sur ceux engagés dans les opérations Épervier et Licorne qui étaient immédiatement disponibles mais présentaient toutefois l’inconvénient d’être à des standards assez anciens (Gazelle, VAB, ERC 90, Puma).

Par la suite, l’activation du dispositif d’alerte Guépard a permis de mettre en place des moyens beaucoup plus modernes (Tigre, VBCI, AMX 10 RCR, Caesar) et en quantité supérieure à ceux utilisé lors de l’opération PAMIR des forces françaises en Afghanistan (36 VBCI contre 10, 25 AMX10RCR contre 12, 8 Tigre contre 5).

Munitions

Près de 58 000 munitions ont été tirées par l’armée de Terre au cours de l’opération Serval.

ii. Plusieurs récents matériels majeurs de l’armée de Terre ont prouvé leur mobilité opérative et tactique et l’étendue de leurs possibilités.

Le général de brigade Bernard Barrera a en particulier souligné, lors du déplacement de la mission d’information au Mali, les mérites de véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI), très adapté au combat en milieu désertique et disposant d’un armement performant, et indiqué par ailleurs combien le canon Caesar, dont la mobilité, la portée et la précision sont impressionnants, avait été déterminant dans la bataille de l’Adrar des Ifoghas.

Vos Rapporteurs estiment que la nécessité de disposer pour l’armée de Terre d’une bonne mobilité et d’un niveau de protection élevé plaide pour la poursuite du programme d’armement Scorpion qui doit assurer la modernisation des groupements tactiques interarmes et la remise à niveau des moyens des forces terrestres.

Par ailleurs, l’hélicoptère Tigre, destiné à assurer tant la protection des troupes au sol que la destruction d’objectifs dans la profondeur, s’est révélé particulièrement adapté au combat aéromobile sur le théâtre malien. C’est d’ailleurs un hélicoptère Tigre qui assurait la protection des trois hélicoptères Puma empruntés par les membres de la mission d’information lors du survol de la région de l’Adrar des Ifoghas.

b. Les avions de l’armée de l’Air ont confirmé leurs capacités

i. Les moyens de l’armée de l’Air mobilisés

Matériels aéronautiques

L’opération s’est appuyée, dans un premier temps, sur des moyens aériens pré-positionnés à proximité du Mali, spécialement sur ceux déployées dans le cadre de l’opération Épervier au Tchad, qui ont permis de garantir une grande réactivité à l’intervention française.

MOYENS DE L’ARMÉE DE L’AIR PRÉ-POSITIONNÉS À LA DATE DU 10 JANVIER

Source : État-major de l’armée de l’Air.

SERVAL - JANVIER : MOYENS PRÉ-POSITIONNÉS À LA DATE DU 10 JANVIER

Nombre

Type

Provenance

Type de missions

3

Mirage 2000D

Epervier – N’Djamena

AI (21)

3

Mirage 2000D

Epervier – Relève avion annulée

AI

2

SIDM Harfang + 1 GCS (22)

Niamey

ISR

1

Boeing C135

Epervier – N’Djamena

RVT

1

Boeing C135

Istres – Relève avion annulée

RVT

1

JFACC AFCO

N’Djamena

C2 (23)

2

Mirage F1 CR

Epervier – N’Djamena

AI/ISR

1

Hercules C130

Epervier – N’Djamena

Transport (24)

1

C160 Transall

Epervier – N’Djamena

Transport

1

Casa CN235

EFS – Dakar

Transport

1

C160 Transall

Licorne – Abidjan

Transport

1

C160 Transall

Libreville - Gabon

Transport

1

Casa CN235

Libreville – Gabon

Transport

Source : État-major de l’armée de l’Air.

Ces forces prépositionnées ont permis :

– la réalisation d’une frappe dans la nuit suivant le conseil restreint du 11 janvier, en engageant un C135 et quatre Mirage 2000D de la force Épervier (quatre objectifs détruits et quatre pickups endommagés) ;

– le déploiement et l’accueil de près de 75 aéronefs français et alliés à proximité du théâtre ;

– l’accueil des renforts en rupture de charge dans l’attente du transfert au Mali (port en eau profonde et APOD (25) à Dakar et Abidjan, APOD à N’Djamena) ;

– l’accueil de structures de commandement et de contrôle (C2, JFACC, DAIC (26), détachement de liaison US) ;

– de disposer d’une soute à munitions et d’un stock conséquent permettant notamment les premières frappes aériennes depuis N’Djamena.

Par la suite, la manœuvre logistique depuis la France, a permis de projeter les renforts nécessaires.

SERVAL : MOYENS DÉPLOYÉS ENTRE LE 10 JANVIER ET FIN FÉVRIER

4

Rafale

BA113 Saint-Dizier ð NDJ

MR (27)

3

Boeing C135

BA125 Istres ð NDJ

RVT

1

Boeing C135

EAU – Pamir ð NDJ

RVT

2

SA330 Puma

BA120 Cazaux ð Bamako

PR

1

Casa CN235

BA110 Creil ð Niamey

EVASAN

1

Hercules C130

BA123 Orléans ð NDJ

Transport

1

Casa CN235

BA110 Creil ð Dakar

Transport

2

Rafale

BA113/BA118 Mont de Marsan

MR

1

Boeing E3F SDCA

BA702 Avord ð Dakar

C2

1

SIDM Harfang + GCS

BA709 Cognac ð Niamey

ISR

1

C160 Transall

Douchambe – Pamir ð Abidjan

Transport

2

C160 Transall

BA123 Orléans ð Abidjan

Transport

1

DETAIR

France ð Bamako

Soutien

Source : État-major de l’armée de l’Air.

D’après les éléments communiqués à vos Rapporteurs par l’état-major des armées, les matériels de l’armée de l’Air déployés au titre de l’opération Serval représentent 2 495 tonnes et 13 900 m3, soit environ 15 % du tonnage total de l’armée de l’Air.

Munitions délivrées par l’armée de l’Air

À la date du 4 juin 2013, le bilan des munitions délivrées par l’armée de l’Air est de 280 bombes (204 GBU12, 36 GBU49, 22 AASM, et 17 Mk82 Airburst), 232 obus et 529 leurres infra rouges utilisés pour les SOF (28) et SOP (29).

ii. Les avions de l’armée de l’Air projetés pour Serval étaient bien adaptés à l’opération

Les Rafale et Mirage 2000, avec pod de reconnaissance et munitions de précision, ont ainsi confirmé des capacités déjà démontrées en Libye et en Afghanistan.

En particulier, la polyvalence du Rafale, qui permet d’utiliser moins d’avions pour le même spectre de missions, a une nouvelle fois été mise en lumière.

Cette caractéristique a été tout spécialement précieuse au début de l’opération, à un moment où il était encore difficile de disposer de beaucoup d’espace sur les plateformes aéronautiques. Cette polyvalence a également permis une optimisation particulière de la manœuvre aérienne puisque le Rafale peut être reprogrammé en vol après le décollage, soit pour une mission de surveillance, soit afin d’apporter son soutien aux troupes au sol, soit encore pour contribuer directement aux objectifs du commandement de la force voire de l’opération (mission d’Air Interdiction voire l’attaque d’une « Time Sensitive Target ») (cible émergente devant être traitée sans délais).

5. Le soutien des nations alliées occidentales et africaines a été précieux

Si la France a su entrer en premier sur un théâtre d’opération distant de plus de 4 000 kilomètres de la métropole, l’opération Serval illustre également le fait que notre pays reste en grande partie dépendant de ses alliés pour sa « capacité à durer ».

Ainsi, l’opération Serval n’aurait sans doute pas pu avoir lieu dans de telles conditions sans l’aide active de nations alliées occidentales qui ont apporté une contribution importante, de l’ordre de 25 %, pour la projection logistique interthéâtre et intrathéâtre, mobilisant lors du premier mois de l’engagement près de 110 missions alliées, mais aussi dans les domaines ISR, pour lesquels Américains et Britanniques ont engagé un JSTAR, un Predator et un Sentinel R1.

Plusieurs États membres de l’Union européenne ont ainsi apporté, dans un cadre certes bilatéral, une aide significative à l’opération Serval, qu’il s’agisse de l’Allemagne, de la Belgique, du Danemark, qui bénéficie pourtant d’une clause d’« opting out » c’est-à-dire d’exemption – en matière de défense dans le cadre des traités européens, de l’Espagne, des Pays-Bas, ou du Royaume Uni.

Par ailleurs, les forces militaires africaines, comme d’ailleurs la population malienne elle-même, ont contribué à la réussite de l’opération.

a. L’appui opérationnel de nos partenaires occidentaux

i. Les États-Unis et le Canada

L’apport des États-Unis en termes de renseignement et d’observation comme de ravitaillement en vol a été décisif.

Pays

Moyens

Disponibilité

Cadre de mise à disposition

États Unis

Soutien ISR (drones et avions de reconnaissance)

Dès le 11 janvier

L’aide américaine fait l’objet d’une enveloppe budgétaire de 50 millions de dollars allouée par la Maison blanche le 11  février (Presidential draw down), qui couvre les besoins français en transport aérien et ravitaillement en vol. Le soutien ISR fait, quant à lui, partie de l’opération JUNIPER MICRON, conduite par AFRICOM au Sahel sur une autre ligne budgétaire.

Transport aérien stratégique (trois C-17 basés à Istres

21/01 au 05/03 : 120 vols effectués entre Istres et Bamako

Transport aérien tactique intra-théatre (deux C-130)

Demande française en cours de traitement

Ravitaillement en vol (trois KC 135)

Depuis le 25/01, étendu jusqu’au 31/08

(deux vols par jour en moyenne)


Le Canada a parallèlement fourni dès le début de l’opération Serval une aide appréciable en matière de transport stratégique.

Pays

Moyens

Disponibilité

Cadre de mise à disposition

Canada

Transport stratégique (1 C-17 basé à Istres)

du 13/01 au 03/04 : 79 vols effectués entre Istres et Bamako

Depuis 03/04, missions périodiques possibles selon besoin, jusqu’au 15/06

Pas d’accord bilatéral particulier. Soutien effectué à titre gratuit au nom de la solidarité avec la France.


Source : ministère de la Défense.

ii. L’appui logistique de nos partenaires européens

De nombreux pays européens, sans aller, à la différence des troupes africaines, jusqu’à accompagner les troupes françaises sur le terrain, ont néanmoins apporté un soutien appréciable, tout spécialement dans le domaine du transport aérien stratégique et tactique ou du ravitaillement en vol.

À titre d’exemple, un transporteur C-17 britannique a, deux jours seulement après le début de l’opération Serval, entamé un cycle de rotations permanentes.

Pays

Moyens

Disponibilité

Cadre de mise à disposition

États Membres de l’UE

Allemagne

Transport aérien au profit de la MISMA, puis élargi à l’opération Serval (deux C160 puis trois a/c 18 février + un A310)

Ravitaillement en vol (un A310 MRTT).

Soutien indirect : prise en compte par l’Allemagne du soutien aérien fourni par le détachement air de Douchanbé sur le théâtre afghan (transport + MEDEVAC), afin de redéployer les C160 français au profit de l’opération Serval.

À compter du 16 janvier

À compter du 4 mars

27 mars

C160 à titre gracieux, A310 via European Air Transport Command (EATC)

caveats : ni véhicules ou troupes de combat, ni munitions, ni d’armement.

Pas de caveats.

NB : mandat voté au Bundestag le 28 février (plafond de 150 hommes pour le soutien aux opérations de transport aérien et de ravitaillement en vol au Sahel jusqu’à fin février 2014).

Belgique

Transport aérien tactique : deux C-130

Moyen d’évacuation médicale : deux hélicoptères Augusta 109

Du 18 janvier au 30 avril :

248 vols effectués

Du 29 janvier au 31 mai :

EVASAN de blessés maliens

Soutien bilatéral spontané, sans demande de contrepartie financière.

Danemark

Transport aérien tactique : un C-130J

Du 17 janvier au 15 mai 2013 :

208 vols effectués

Aucun caveat, hormis l’opt-out PSDC (pas de participation à une opération ou une mission UE).

Soutien bilatéral spontané, sans demande de contrepartie financière.

Espagne

Transport aérien tactique et ravitaillement en vol (un C130 stationné à Dakar) ;

Depuis fin janvier. Demande de prolongation en cours pour disponibilité jusqu’à fin 2013.

Disponibilité au profit de l’opération Serval, de la MISMA et EUTM, peut être employé pour ravitaillement en vol.

Caveat : pas de missions de combat.

Pays-Bas

Transport aérien stratégique : un DC10

Du 08 au 14 février :

2 vols effectués.

Annonce initiale d’un financement via le mécanisme ATARES, mais vols finalement pris en charge par les Pays Bas.

Royaume-Uni

Transport aérien stratégique (deux C-17 la première semaine puis un ensuite, basés à Évreux)

ISR (un avion Sentinel basé à Dakar)

Transport maritime : un bâtiment Ro-Ro

Du 13/01 au 21/04 : 52 vols effectués

du 22/01 au 24/05

1 mission effectuée entre Toulon et Dakar du 6/03 au 12/03

Pas d’accord bilatéral particulier. Soutien effectué à titre gratuit au nom de la solidarité avec la France.


Source : ministère de la Défense.

Cette mutualisation concrète des moyens européens, sur la base du volontariat, démontre qu’une Europe pragmatique de la sécurité et de la défense n’est nullement hors d’atteinte.

b. Les contingents africains de la MISMA et associés et les forces maliennes

Les contingents africains de la MISMA et ceux qui leur sont associés, comme le Tchad par exemple, ont fourni une contribution essentielle à l’opération Serval en permettant à la France de ne pas s’engager seule sur le théâtre d’opération, en prenant progressivement en charge la sécurité de zones libérées ou en relevant les forces françaises, notamment à Ménaka, Gao et Tombouctou, et surtout en participant aux opérations militaires, dans l’Adrar des Ifoghas par exemple, où le contingent tchadien a fortement contribué à la réussite des opérations militaires.

Le Tchad est le pays qui a le plus combattu aux côtés des forces françaises, notamment lors des combats dans l’Adrar des Ifoghas. Ses soldats ont fait preuve de grandes qualités guerrières et de courage lors des réductions de résistances et des opérations de contrôle des vallées. Ils ont payé un lourd tribut avec 27 tués et 70 blessés 

L’opération conduite avec succès pour libérer la forêt de Ouagadou est un bon exemple des opérations menées conjointement par les forces maliennes, françaises et la MISMA.

i. Les contingents africains de la MISMA et associés

Historique et cadre juridique de la MISMA

La CEDEAO a condamné, début avril 2012, le coup d’État au Mali et a tout d’abord étudié les modalités d’une intervention au Mali de la Force en attente de la CEDEAO (FAC) qui pourrait être déployée sous le nom de MICEMA (Mission d’intervention de la CEDEAO au Mali).

Ses capacités financières étant limitées, la CEDEAO a toutefois rapidement cherché à obtenir un mandat de l’ONU pour agir et déposé pour ce faire, mi-juin 2012, une demande de résolution sous chapitre VII au Conseil de sécurité de l’ONU pour le déploiement d’une force au Mali.

Si la résolution 2056 est effectivement placée sous le chapitre VII de la charte des Nations unies, elle n’autorise pas pour autant le déploiement d’une force de stabilisation mais se limite à en permettre l’étude ultérieure (cf. supra).

Fin septembre 2012, la CEDEAO et le Mali ont défini les modalités de déploiement d’une force africaine au Mali pour combattre « en appui des soldats maliens » les groupes djihadistes armés du nord du pays.

La résolution 2071 a défini une stratégie pour résoudre la crise malienne dans une double logique politique et militaire et a donné 45 jours à l’Union africaine et la CEDEAO pour présenter un concept d’action militaire.

Dès lors, le processus de planification et de préparation s’est mis en place et dès fin octobre, les premiers contingents (Bénin, Ghana et Togo) et les Forces armées maliennes (FAM) ont été contrôlés par des équipes de la CEDEAO tandis que la MICEA est devenue, début décembre, la MISMA (Mission internationale de soutien au Mali sous l’égide africaine).

Le 20 décembre 2012, la résolution 2085, adoptée à l’unanimité, a autorisé pour un an le déploiement immédiat et inconditionnel d’une force internationale au Mali.

Aucun contingent de la MISMA n’était encore déployé lorsqu’a débuté, le 11 janvier 2013, l’intervention française. Celle-ci a néanmoins accéléré sa mise en place puisque la CEDEAO a autorisé son déploiement dès le 12 janvier.

Composition de la MISMA

Avant même la recherche de soutiens et de financements, un élément d’intervention d’urgence a été décidé. Il devait être initialement constitué d’un poste de commandement de 85 personnes et de quatre bataillons de 500 hommes venant du Burkina Faso, du Niger, du Nigéria et du Togo. L’absence au final du Nigéria sera par la suite compensée par l’engagement massif du Tchad qui, bien que n’appartenant pas à la CEDEAO, renforcera utilement les effectifs de la MISMA.

Si les pays participants à la MISMA étaient autonomes pendant les 90 premiers, la conférence des donateurs qui s’est tenue à Addis-Abeba le 29 janvier 2013 s’est traduite par des promesses de dons de 455 millions de dollars qui profiteront principalement à la MISMA.

Environ 6 000 hommes sont actuellement déployés au sein de la MISMA.

Pays participant à la MISMA

– le Bénin a annoncé une contribution de deux millions de dollars à la MISMA. Il fournit 321 militaires et doit projeter 140 policiers. Son élément précurseur (40 hommes) est arrivé au Mali le 23 janvier ;

– le Burkina Faso projette un bataillon pour un total de 660 hommes. Les précurseurs (153 hommes) ont été mis en place par voie routière et de manière autonome dès le 23 janvier ;

– la Côte d’Ivoire a annoncé une contribution de deux millions de dollars à la MISMA et fournit 175 militaires ;

– le Ghana a annoncé une contribution de trois millions de dollars à la MISMA et fournit 130 hommes ;

– la Guinée a annoncé une contribution d’un million de dollars à la MISMA et fournit 148 hommes ;

– le Nigeria a annoncé une contribution de cinq millions de dollars à la MISMA et déploie 923 militaires au Mali, ainsi que sept policiers, et 70 au Niger (détachement Air à Niamey dont le précurseur était en place dès le 19 janvier, avec trois Alphajet dont un s’est écrasé le 6 mai, faisant deux victimes) ;

– le Niger a annoncé une contribution de deux millions de dollars à la MISMA et projette 685 hommes ;

– le Sénégal a annoncé une contribution de deux millions de dollars à la MISMA. Il déploie 511 militaires, dont une batterie d’artillerie (quatre canons de 155 mm TRF1), et 144 policiers. L’élément précurseur en place le 23 janvier était de 50 hommes ;

– le Tchad a annoncé une contribution de 1 million de dollars à la MISMA. Il a commencé à prendre part aux opérations au Mali sans être intégré initialement à la MISMA, n’étant pas membre de la CEDEAO. Mais il l’a rejoint rapidement afin notamment de pouvoir bénéficier des soutiens américains. L’élément précurseur (550 hommes (30) et 60 véhicules) était à Niamey dès le 22 janvier 2013. Au plus fort de son intervention, le Tchad a déployé 2 250 hommes et 300 véhicules dont une centaine de blindés et fournit actuellement 1 548 hommes. Il pourrait réduire sa présence afin de diminuer le coût financier de cette opération pour le budget du pays ;

– le Togo déploie 739 militaires et près d’une centaine de véhicules dont 16 blindés légers armés (transport de troupes) ainsi que 67 policiers (nombre qui devrait atteindre 144). Il fournit surtout un hôpital militaire de campagne depuis le début du déploiement de la MISMA. Ces premiers éléments (96 hommes ont été mis en place dès le 22 janvier de manière autonome) ont atteint le volume de 212 hommes dès le 24 janvier. Le bataillon togolais n’a pas participé aux combats aux côtés des unités françaises, mais a très bien réagi lorsqu’il a été mis en situation de combat lors d’une attaque terroriste.

Les autres contributions sont modestes. Il s’agit de la Guinée Bissau (5 hommes) du Libéria (2 hommes et une section d’infanterie à 46 hommes en attente de projection) et de la Sierra Leone (5 hommes).

Source : ministère de la Défense.

Action de la France au profit de la MISMA

La France a en premier lieu déployé des officiers au sein du PC de la MISMA pour aider à la planification des opérations militaires.

Elle a également fourni, afin de coordonner l’action des forces africaines, des détachements de liaison au profit des bataillons nigériens et tchadiens qui ont participé à la reconquête du Nord-Mali.

Enfin, elle a mis en place des programmes de formation au profit de soldats de la MISMA. À titre d’exemple, les Éléments français au Sénégal (EFS) ont assuré des formations, en décembre 2012, pour les militaires du PC du bataillon togolais et, fin janvier-début février 2013, pour les unités togolaises.

Déploiement de la MISMA

Le déploiement des effectifs de la MISMA venus de l’Afrique de l’Ouest et du Tchad progresse aujourd’hui vers le nord.

Source : État-major des armées.

Les Sénégalais sont récemment montés vers Gao, où des Nigériens sont déjà présents tandis que les forces burkinabées ont quitté leur stationnement au sud pour rejoindre les Maliens et les Français à Tombouctou.

Les forces de la MISMA et celles de l’opération Serval se coordonnent régulièrement (réunion quotidienne au PC Serval, réunion hebdomadaire des commandants de théâtre et coordination au moyen de directives opérationnelles conjointes).

ii. Les forces armées maliennes

Largement désorganisées au début de la crise malienne et sans réelle efficacité opérationnelle, les forces maliennes ont néanmoins su apporter une aide précieuse, aux premiers moments de l’offensive djihadiste à Diabali et Konna ou en matière de renseignements par exemple.

Celles-ci ont par ailleurs retrouvé petit à petit le goût du combat. Plus motivée qu’avant, l’armée malienne a ainsi parfois mené des opérations en premier, comme à Tombouctou fin mars 2013, même si les forces françaises sont venues rapidement leur porter assistance avec des blindés et de l’aviation de chasse.

De la même façon, l’exploration de la forêt de Ougadou, dans laquelle des groupes armés djihadistes auraient pu se réfugier, a été menée, certes sans combat, par l’armée malienne appuyée par des contingents burkinabés et nigérians.

Le général Barrera, commandant de la composante terrestre de l’opération Serval, a indiqué devant les membres de la mission lors de leur déplacement à Gao et Tessalit, que, contrairement à certaines idées reçues, plusieurs éléments des forces armées maliennes, dont ceux présents à Gao, étaient particulièrement aguerris, avaient participé activement aux combats et n’avaient pas besoin de formation militaire particulière.

c. L’appui de la population malienne

Plusieurs responsables militaires rencontrés par la mission d’information sur le terrain se sont félicités d’une collaboration croissante de la population pour déjouer les activités des GAD.

Rassurée par la reconquête du territoire malien et le retour progressif des institutions étatiques, la population n’hésite en effet plus à fournir davantage de renseignements aux militaires, contribuant ainsi utilement à la découverte de caches d’armes et de stock de munitions.

Lors de son audition par la commission le 20 février 2013, M. Jean-Yves Le Drian a ainsi déclaré que la population des villes de Bourem et Gao, où des djihadistes pourraient être tentés de se fondre dans le paysage, « est une véritable alliée des forces françaises et nous fournit les renseignements qui nous permettent de repérer les caches des terroristes ».

II. L’OPÉRATION SERVAL EST RICHE D’ENSEIGNEMENTS POUR L’AVENIR MAIS LAISSE SUBSISTER DES DÉFIS MAJEURS

A. LES PREMIERS RETOURS D’EXPÉRIENCE SOULIGNENT DES FAIBLESSES DÉJÀ CONNUES

1. L’opération Serval a mis en lumière des déficits capacitaires qui n’ont pu être comblés – au moins partiellement – qu’avec l’appui de nos alliés

Il ressort des entretiens conduits par vos rapporteurs, tant à Paris qu’avec les responsables de la conduite des opérations sur le théâtre, que l’appui capacitaire de nos alliés a été déterminant pour donner à l’opération de la brigade Serval l’« agilité » et la « brutalité » qui ont été déterminantes dans son succès.

Certes, la France aurait pu mener seule cette opération, en dépit de ses déficits capacitaires. Mais ceci aurait eu pour triple conséquence :

– des délais plus importants, faute notamment de capacités suffisantes de projection de la force par avions de transport stratégique et tactique ;

– une prise de risque bien supérieure, du fait de la fragilité en effectif, équipement et matériel de ce qui aurait alors été le dispositif initial ;

– une efficacité moindre, dans la mesure où nos lacunes en matières d’ISR et de ravitaillement en vol auraient pesé sur les délais de déploiement, permettant à l’adversaire soit de mieux s’organiser, soit de quitter le théâtre.

Durant leurs travaux, vos rapporteurs ont particulièrement étudié les insuffisances capacitaires françaises confirmées par l’opération Serval concernant la projection – y compris le ravitaillement en vol –, les limites de certains matériels actuels, les moyens ISR et la palette des équipements nécessaires aux opérations terrestres.

a. D’importantes lacunes capacitaires en matière de capacités de projection, tant stratégique que tactique

Qu’il s’agisse de la projection des personnels ou de celle des équipements, au niveau stratégique comme à l’échelle tactique, l’opération Serval a confirmé nos insuffisances.

Si les flottes actuelles d’avions de transport tactique (ATT : C130 Hercules et C160 Transall principalement) et d’avions de transport stratégiques (ATS : Airbus A310 et A340) permettent encore de disposer d’une capacité d’entrer en premier sur un théâtre d’opération – c’est-à-dire de déployer rapidement des unités précurseurs et des lots opérationnels de première urgence, et de mener une opération aéroportée –  le retour d’expérience de l’opération Serval démontre à nouveau combien les manques entraînent une perte d’autonomie nationale dans le domaine des acheminements stratégiques. En effet, selon les données fournies à vos rapporteurs 95 %, des acheminements stratégiques ont été effectués par des moyens étrangers ; il s’agit, de façon très majoritaire, de vecteurs appartenant à des compagnies civiles basées dans des ex-républiques soviétiques (Antonov An-124 et An-225, et Iliouchine Il-76), que les membres de la mission ont pu voir employer, sur place, au poste de commandement interarmes de théâtre (PCIAT) français de Bamako.

Comme le montre l’encadré ci-après, le choix a été fait de concentrer les moyens nationaux disponibles sur la projection des personnels – transportés à 90 % environ par des moyens militaires français –, et de recourir aux moyens étrangers pour la projection des matériels, que ce soit dans le cadre de contrats d’externalisation avec des sociétés civiles ou par des moyens militaires étrangers.

Les choix opérés pour la projection des personnels et des équipements

Compte tenu des objectifs définis par le Président de la République et de la nature de l’opération, la projection des forces françaises sur le théâtre malien a, de manière synthétique, consisté à mettre en place un maximum de moyens humains et techniques en un minimum de temps.

Deux grandes phases sont à considérer :

– la phase 1, relative au déploiement, du 11 janvier au 28 février ;

– la phase 2, soutien et redéploiements, du 1er mars à ce jour.

Projection des personnels.

La projection des personnels présente les caractéristiques principales suivantes :

● projection majoritairement effectuée par voie aérienne militaire (VAM) en phase 1 (plus de 90 %) comme en phase 2 (100 %) et, plus précisément :

– essentiellement au moyen de vecteurs français (ATT et surtout ATS sous OPCON CDAOA ou, le plus souvent, EATC) : 86 % en phase 1, 90 % en phase 2 ;

– puis, minoritairement, par les aéronefs de nos partenaires étrangers de l’EATC : deux C130 Hercules belges, trois C160 Transall et un A310 MRTT allemands, et un DC10 néerlandais ;

● enfin, en complément, par des vecteurs alliés hors EATC :

– en phase 1 : C17 Globemaster américains principalement, puis C17 canadiens et enfin britanniques

– en phase 2 : C17 canadiens de façon majoritaire, puis C17 britanniques, pas de participation de C17 américain ;

Recours à la voie aérienne civile de manière exceptionnelle, après une étude du coût de projection et de la disponibilité des avions de transport tactique ou stratégique, pour la mise en place de personnels isolés ou de spécialistes avec un caractère d’urgence avéré.

Recours à la voie maritime minoritaire lors de la phase 1 : 7 % des personnels toutes armées confondues.

Projection du matériel.

Pour les deux phases, la caractéristique principale réside dans le recours majoritaire à la voie aérienne affrétée par la France, à hauteur de 48 % en moyenne, au travers des contrats mis en œuvre par le Centre multimodal de transport (Antonov An-124 et An-225 et Iliouchine Il-76, contrats SALIS et ICS), puis à la voie maritime (38 % en phase 1 et 34 % en phase 2) et, enfin, à la voie aérienne militaire, pour 13 % en moyenne par des vecteurs alliés, et pour 4 % seulement par des vecteurs français.

Les cinq premières semaines de l’opération Serval ont ainsi vu la France projeter en toute urgence plus de 19 000 tonnes de matériels sur le théâtre, soit plus que ce qu’elle a rapatrié d’Afghanistan en une année.

Source : état-major de l’armée de l’Air.

Ces lacunes capacitaires sont d’autant plus regrettables que l’importance des moyens de transport et de ravitaillement est connue depuis longtemps. Devant vos rapporteurs, le général Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’Air, a rappelé un propos éclairant tenu par un de ses prédécesseurs, le général Gérardot : « l’aviation de transport est le complément indispensable à une aviation de chasse que l’on veut mobile stratégiquement » ; c’était en 1946. Pour l’état-major de l’armée de l’Air, l’opération Serval vient également rappeler qu’à la mobilité stratégique interthéâtre se superposent des besoins simultanés d’appui tactique intrathéâtre, lequel permet d’accélérer la manœuvre interarmes par des bascules instantanées d’effort – l’opération aéroportée sur Tombouctou effectuée le 29 janvier l’a bien montré. La simultanéité de ces exigences de mobilité et d’appui suppose donc que le format des moyens de projection par air ne soit pas uniquement pensé sur la base des nécessités de la projection interthéâtre.

Nos lacunes ne concernent pas seulement l’aviation de transport : elles se sont avérées particulièrement handicapantes en matière de ravitaillement en vol. Plus de la moitié des capacités françaises ont été déployées sur le théâtre malien, mais elles présentent deux faiblesses majeures :

– une faiblesse qualitative : la fiabilité, que l’état-major de l’armée de l’Air juge « relative », de nos tankers C135 dont l’âge avancé (49 ans de service…) fait peser un risque permanent de rupture capacitaire ;

– une faiblesse quantitative : même à un haut degré de mobilisation de nos moyens de ravitaillement, ceux-ci restent insuffisants, au point de nous contraindre, comme en Libye, à nous appuyer sur des moyens américains assurant depuis fin janvier trois missions par jour au profit de l’opération Serval.

Vos rapporteurs soulignent que notre dépendance envers nos alliés en la matière non seulement met une limite à notre autonomie stratégique mais fait également peser des risques supplémentaires sur nos forces. En effet, l’opération Allied Force au Kosovo en 1999 avait déjà mis en lumière une règle simple : le nombre d’avions de ravitaillement engagés conditionne directement le nombre de sorties de nos aéronefs de combat. Or, l’opération Serval a montré que l’appui de nos alliés ne suffisait pas toujours à combler nos lacunes : ainsi, selon l’état-major de l’armée de l’Air, lors de l’accrochage du 19 février, la patrouille de Mirage 2000D a dû quitter la zone prématurément car le tanker n’était plus en mesure de la ravitailler. L’arrivée d’une patrouille de renfort depuis Bamako n’a été possible qu’après l’arrivée d’un nouveau tanker, laissant nos troupes plusieurs heures sans appui aérien.

b. Les limites de certains matériels

Si l’opération Serval a montré la pertinence des choix d’équipement les plus récents, à l’image de l’hélicoptère Tigre ou du VBCI (véhicule blindé de combat d’infanterie), elle a également confirmé les limites de certains matériels existants, le plus souvent anciens.

Tel est par exemple le cas de l’hélicoptère Gazelle, dont l’état-major de l’armée de Terre estime qu’il est très difficile, voire impossible, de le faire évoluer pour recevoir des kits de protection en fonction du niveau de menace. Ainsi, la perte de deux hélicoptères Gazelle et le décès tragique d’un des pilotes dès les premiers temps de l’opération Serval rappellent la vulnérabilité intrinsèque de ce modèle d’hélicoptère.

De même, les premiers retours d’expérience formalisés par l’armée de l’Air concluent que si, globalement, ses matériels projetés pour Serval étaient bien adaptés à l’opération, il demeure quelques lacunes :

– le Mirage 2000D n’a pas de capacité de reconnaissance (hormis une capacité à la marge du pod de désignation laser caméra thermique Synergie – PDLCT-S), ce qui rend nécessaire l’emploi d’appareils de type Mirage F1CR/PRESTO et Rafale/Reco-NG. En outre, ce chasseur ne dispose pas de canons, armement qui aurait été intéressant pour ce type d’opération afin de graduer la réponse entre la démonstration de force et la bombe de 250 kg ;

– le Rafale n’aura la capacité de délivrer de l’armement airburst (dont le propre est d’exploser à distance du sol, accroissant l’effet tactique et réduisant la pollution) qu’en 2014, une fois achevé le développement de la dernière génération d’armement air-sol modulaire (AASM) ;

– le drone Harfang, qui n’offrait sur la totalité des zones d’opérations que 14 heures de présence continue par vol ne permet pas de remplir des missions de couverture ISR de façon permanente, compte tenu des distances (même au départ de Niamey), de sa vitesse de croisière trop lente et du trop faible nombre de vecteurs déployables (trois drones et deux cabines) ;

– l’hélicoptère Puma a un rayon d’action trop faible pour couvrir la totalité des zones d’intervention de nos forces au Mali, ce qui a supposé de disposer de points de ravitaillement au sol ;

– quant au CASA-235, utilisé pour des missions de vols intrathéâtre, le temps de vol pourrait être valorisé en l’équipant de matériel de renseignement d’origine image (ROIM) léger, par exemple avec des systèmes d’appareils photo à longue focale, afin de récolter du renseignement d’opportunité et, ponctuellement, de pallier l’absence de capteur sur la zone concernée.

En outre, l’armée de l’Air estime que les performances remarquables de nos avions en mission « cinétique » au-dessus du Mali ont été quelque peu altérées par le manque de flexibilité du rayon d’action des munitions, ainsi que par le manque de précision de certains armements. Pendant les opérations libyenne et afghane, ce fait avait déjà eu pour conséquence de nombreuses restrictions d’emploi imposées par nos alliés. Dans le cas malien, outre les restrictions d’usage, les effets militaires de trop nombreux tirs, pourtant dans le gabarit statistique, n’ont pas été à la hauteur des attentes. Ainsi, l’effet des munitions airburst aurait pu être efficacement augmenté, si ces bombes avaient été guidées.

De plus, comme en Afghanistan et en Libye, les pods de désignation laser se sont révélés incapables de permettre un engagement à une distance de discrétion sonore acceptable, ni à distance de sécurité par rapport aux moyens antiaériens légers potentiellement présents. Le recours aux drones ou à l’Atlantique 2 a donc été nécessaire dans bien des cas.

Pour ce qui est de l’armée de Terre, le tableau ci-dessous présente les principales limites des matériels déployés sur le terrain malien et les moyens envisagés pour y remédier.

LIMITES DE CERTAINS MATÉRIELS EMPLOYÉS AU MALI PAR L’ARMÉE DE TERRE

Matériel

Limite connue et confirmée par le retour d’expérience de l’opération Serval

Perspective d’évolution ou programmatique

Puma

Limitation de l’autonomie à 2h00 de vol du fait des températures élevées ;

Déploiement du NH 90

ERC 90

Absence de protections et de moyen de tir de nuit

Matériel ancien rencontrant des pannes et nécessitant par conséquent des dépenses de maintenance élevées

Déploiement de l’EBRC (dans le cadre du programme Scorpion)

PVP

Dégradation de la disponibilité technique du fait de la chaleur

Fiabilisation technique en cours

VAB

Faible niveau de protection balistique des versions utilisées

Matériel ancien rencontrant des pannes et nécessitant par conséquent des dépenses de maintenance élevées

Déploiement du VAB Ultima puis du VBMR (dans le cadre du programme Scorpion)

Gazelle

Limitation de la charge utile

Absence de protection

Tigre HAD

VTL –R

PEB type SISU

Moyen inadapté à l’état général des axes de communication

Mise en place PPLOG

Moyens de communication

Liaisons difficiles dues aux grandes élongations

Mise en place VAB Venus, systèmes JRE

Moyens cartographiques

Insuffisants

Mise en place chaîne géographique projetable en cours de livraison

Source : état-major de l’armée de Terre.

c. Des capacités de surveillance insuffisantes pour de vastes étendues

Les capacités dites ISR, de surveillance et de recueil de renseignement, sont indispensables pour permettre la pleine efficacité des opérations. En effet, les appareils, les systèmes offensifs, les objectifs retenus dans chacune des zones d’engagement, la coordination temporelle et spatiale des moyens engagés, les liaisons nécessaires aux unités engagées au sol comme en vol, se nourrissent aujourd’hui d’une quantité de données provenant de capteurs multiples allant du renseignement humain au satellite, en passant par les aéronefs et les drones. Dans une opération du type de Serval, où les cibles sont agiles, rapides et dispersées sur de vastes espaces, la capacité à fusionner en temps réel les informations concernant la surveillance, l’identification des menaces, la désignation des cibles, la décision d’agir et le tir est déterminante.

Le dispositif s’est initialement appuyé sur un triptyque satellite / avion F1CR / avion Atlantique 2 qui a rapidement été complété par le déploiement de drones Harfang. Selon l’armée de l’Air, cet engagement confirme une tendance qui s’accentue année après année : le drone tend à devenir un nœud central indispensable à la conduite de toute campagne aérienne. Le recours aux drones se fait en effet de plus en plus fréquemment pour vérifier avant toute frappe qu’il n’y a pas de dégâts collatéraux possibles. Cela se vérifie particulièrement lorsque le théâtre d’opérations, comme au Mali, est caractérisé par de très grandes dimensions, qui réduisent le temps utile des patrouilles sur zone et conduit ainsi à en multiplier le nombre. En l’absence d’AWACS, la présence de drones offre en outre d’indispensables relais de communication qui facilitent le transfert d’informations d’une patrouille à l’autre.

Cependant, la capacité française en matière de drone reste notoirement insuffisante compte tenu de l’étendue de la zone à traiter et de la permanence à y assurer. La perte de temps induite par les longs transits depuis Niamey, où nos drones étaient basés, aurait pu être réduite si plusieurs drones de moyenne altitude et longue endurance (MALE) avaient pu opérer de concert. Cela aurait en outre permis de faire face à l’émergence soudaine d’un besoin nouveau, tel que celui qu’a fait naître une prise d’otages français à la frontière du Nigeria et du Cameroun.

d. Des insuffisances dans la palette des équipements nécessaires aux opérations terrestres

Il ressort des discussions de vos rapporteurs avec le général Bertrand Ract-Madoux, chef d’état-major de l’armée de Terre, que l’expérience de l’opération Serval doit attirer l’attention sur plusieurs points pour les prochains choix d’équipements, concernant notamment :

– les systèmes d’information et de communication (SIC) et d’appui au commandement, qui doivent être adaptés à la complexité des opérations actuelles en facilitant les « bascules » de postes de commandement (PC), comme la communication en déplacement ;

– les moyens de production et de distribution d’énergie, qui doivent être modernes et adaptés aux besoins des postes de commandement et des zones-vie de circonstance ;

– les stocks de rechange, qui doivent être suffisants pour doter les matériels majeurs d’une réelle autonomie de projection sans avoir à ponctionner les ressources des unités en métropole.

Une des principales lacunes capacitaires constatée lors des opérations terrestres menées dans le cadre de Serval concerne les hélicoptères de transport : nos ressources en hélicoptères de manœuvre, consacrées en priorité à la logistique (qu’il s’agisse du soutien sanitaire ou du ravitaillement), n’ont jamais permis d’envisager d’opération héliportée d’une envergure supérieure à la section.

L’encadré ci-après présente les premiers résultats issus de l’exploitation de la documentation issue du processus de retour d’expérience organisé par l’armée de terre concernant les lacunes capacitaires actuelles qui limitent l’efficacité des opérations terrestres et les moyens envisagés pour les pallier.

Les lacunes capacitaires actuelles de l’armée de Terre
et les moyens envisageables pour les combler

1. En matière de mobilité tactique :

● S’agissant des moyens de franchissement :

– des véhicules : le franchissement du Niger a été réalisé par des moyens civils locaux, empêchant une pleine liberté d’action et de sécurité opérationnelle. Une véritable autonomie des brigades d’intervention dépendra de l’acquisition du futur système de franchissement léger (Syfral). En effet, les moyens lourds ne peuvent être déployés dans une opération d’urgence d’entrée en premier du type Serval.

– du personnel : le flotteur de six hommes est aujourd’hui peu adapté à l’encombrement et au poids des équipements modernes. Le parc des flotteurs dix hommes doit être consolidé et privilégié.

● S’agissant des hélicoptères de manœuvre :

L’insuffisance quantitative des hélicoptères de manœuvre constatée, pour permettre par exemple une opération héliportée sur le théâtre malien, sera en partie palliée, à l’avenir, par l’arrivée des Caïman (NH90 TTH) dont la capacité d’emport par les mêmes températures élevées est deux fois supérieure à celle des Puma et des Caracal.

2. En matière de protection :

● S’agissant de la protection des hélicoptères :

L’engagement en binôme Tigre-Gazelle constitue aujourd’hui le meilleur compromis d’efficacité opérationnelle, comme démontré dans les opérations récentes (Harmattan, Serval). Néanmoins, l’incapacité à faire évoluer la Gazelle, en particulier en termes de protection, milite pour son remplacement par le HIL, appareil plus petit (et moins coûteux d’exploitation) que le Tigre mais pouvant recevoir des kits de protection en fonction du niveau de menace. Enfin, la relative vulnérabilité même aux armes de petit calibre employées en « boule de feux » des hélicoptères explique aujourd’hui l’engagement préférentiel des Tigre de nuit. La perte de deux hélicoptères Gazelle et le décès tragique d’un des pilotes rappellent la vulnérabilité intrinsèque des hélicoptères Gazelle.

● S’agissant de la protection des véhicules face aux engins explosifs improvisés :

Un engin explosif improvisé (EEI) a détruit un engin blindé de type AMX 10 RC. Une opération d’ensemble « capacité de réaction, d’anticipation pour la lutte contre les EEI » a permis l’acquisition de brouilleurs et de surprotections pour engins blindés d’ancienne génération (AMX 10 RC et véhicules de l’avant blindés – VAB).

3. En matière de soutien vie :

● S’agissant de l’énergie :

L’insuffisance constatée lors de l’opération Serval dans les domaines de la production et de la distribution de l’énergie tient davantage à des choix faits en génération de force et en capacité de projection qu’à une lacune en matériel. La question de leur relative obsolescence est, en revanche, à l’étude.

● S’agissant de l’eau :

La ressource en unité mobile de traitement de l’eau (UMTE) déployée était suffisante pour le format d’une opération comme Serval. À compter de 2016, la livraison de stations de traitement de l’eau mobile (STEM) et d’unité de conditionnement de l’eau mobile (UCEM) complétera les systèmes existants. Les difficultés rencontrées à lors de Serval dans l’approvisionnement de l’eau ne sont pas dues au traitement de l’eau mais à l’acheminement de la ressource, les échelons logistiques régimentaires (TC1 et TC2) ayant été sous-dimensionnés.

● S’agissant de l’équipement du combattant

La question de l’inadaptation de certaines chaussures de combat est connue. Elle est prise en compte par le service du commissariat aux armées.

Une attention particulière mérite d’être portée également à l’adéquation des systèmes d’information de commandement. Selon l’état-major de l’armée de Terre, l’opération Serval – qui avait la particularité de mettre en œuvre des unités dispersées sur un territoire très étendu – a montré trois limites principales des dispositifs actuels :

– l’insuffisance des moyens de transmission au niveau de la brigade utilisée comme commandement de la composante terrestre de la force (fonction communément dite LCC, pour Land component commander). En effet, les ressources du dispositif Guépard en matière de systèmes d’information de commandement s’appuient sur les moyens d’une compagnie commandement et transmissions (CCT), mais pour exercer pleinement les fonctions de LCC, ces ressources doivent être renforcées par une brigade de transmissions et d’appui au commandement (BTAC), fournissant notamment des moyens satellitaires et de commutation. Aujourd’hui, ces moyens reposent sur le réseau intégré de transmissions automatiques deuxième génération (RITA 2G), mais ces capacités gagneront à être développées avec l’entrée en service du système d’accès par satellite et transmissions hertziennes au réseau des zones et à l’installation de l’espace de bataille dit « Astride phase 2 », prévu en 2014 ;

– les limites de la ressource satellitaire : celle-ci étant comptée, elle ne permet pas toujours le déploiement de petits terminaux satellitaires de type Manpack. Pourtant, selon l’état-major de l’armée de terre, l’utilisation de capacités mixtes entre moyens de télécommunications à haute fréquence (HF) et moyens satellitaires a fait la preuve de sa pertinence, en particulier en Afghanistan avec le déploiement des VAB Venus et Carthage modifié ;

– des difficultés de compatibilité entre les différents systèmes participants à la numérisation de l’espace de bataille (NEB) : ces difficultés, déjà connues, ont été confirmées lors de l’opération Serval. Elles devraient être résolues prochainement par la mise en œuvre des socles techniques communs, la convergence technique du système d’information du combat du programme Scorpion (SICS) et du système d’information des armées (SIA) et l’élaboration d’un référentiel d’interopérabilité commun entre les systèmes d’information opérationnels (SIO).

L’état-major de l’armée de l’Air confirme que compte tenu des élongations, l’engagement tactique – notamment l’appui aux forces de surface –, n’a été rendu possible que grâce à l’utilisation, dans un premier temps, de moyens satellitaires civils faiblement chiffrés, puis grâce à la fourniture par les Américains d’une partie de leurs ressources satellitaires sur la région. Si cette capacité avait dû être fournie par les Britanniques, elle aurait coûté trois millions d’euros.

2. La crise malienne a montré les limites des mécanismes européens de gestion de crise existants

L’Union européenne n’a pas été absente dans la gestion de la crise malienne. Néanmoins, cette dernière a souligné les limites de ses capacités actuelles de gestion de crise.

a. L’Union européenne a vocation à s’impliquer dans la gestion des crises comme celle qu’a traversé le Mali

Convaincus que l’Europe en tant que telle – et pas seulement chacun des États membres qui la constituent, à titre individuel – doit tenir son rang dans la gestion des crises internationales, vos rapporteurs considèrent que la crise malienne a constitué un test de l’état d’avancement de l’Union sur la voie de la constitution d’une véritable Europe de la défense.

Le traité de Lisbonne a réaffirmé la vocation de l’Union européenne à constituer une véritable Europe de la défense. Vos rapporteurs ne reviendront pas ici en détail sur l’architecture institutionnelle de l’Europe de la défense, qui a fait l’objet d’analyses approfondies de nos collègues Joaquim Pueyo et Yves Fromion à l’occasion d’une longue étude dont les conclusions font l’objet d’un rapport d’étape (n° 536) et d’un rapport d’information (n° 911), présentés pour le premier le 12 décembre 2012 et pour le second le 9 avril 2013 à la Commission des affaires européennes.

On soulignera simplement que le traité de Lisbonne a procédé à une refonte complète des dispositions des traités de Rome et de Maastricht concernant la politique européenne de sécurité et de défense (PESD), désormais dénommée « politique de sécurité et de défense commune » (PSDC), et qu’il a complété et renforcé les outils dont dispose l’Union pour intervenir dans la gestion des crises internationales. Ce traité a ainsi :

– établi la création d’une « défense commune » comme un but à part entière de l’Union, et non plus comme une simple éventualité ;

– élargi le spectre des missions que l’Union peut mener au titre de la PSDC, en y intégrant les actions conjointes de désarmement, l’assistance et le conseil militaire, les missions de prévention des conflits, les missions de stabilisation post-conflit et les missions de lutte contre le terrorisme, même hors du territoire de l’UE – à condition que l’Union intervienne dans ce cas à la demande des États concernés ;

– consolidé le statut de l’Agence européenne de défense ;

– institué une clause de défense mutuelle entre les États membres ;

– créé la « coopération structurée permanente », régime de coopération approfondie dans le domaine de la défense permettant à certains États, dans une démarche pionnière, de constituer le noyau d’une véritable défense commune.

Par ailleurs, en instituant le Service européen d’action extérieure (SEAE), dont vos rapporteurs ont rencontré le secrétaire général, M. Pierre Vimont, le traité de Lisbonne a complété l’architecture institutionnelle européenne en matière d’affaires étrangères et de défense, qui comprend désormais de nombreuses instances de décision, que présente l’encadré ci-après.

Les instances européennes ayant compétence
dans la conception et la mise en
œuvre de la PSDC

On peut recenser principalement :

– le groupe Relations extérieures (RELEX), qui rassemble les 27 conseillers pour les relations extérieures des représentations permanentes auprès de l’Union européenne, et prépare les travaux du comité des représentants permanents (COREPER) ;

– le Comité politique et de sécurité (COPS), qui tient du Conseil et du Haut représentant une délégation permanente pour donner des directives aux commandants d’opérations. Constitué des 27 représentants permanents des États auprès de l’Union, qui se réunissent deux fois par semaine, il est la « cheville ouvrière » de la politique européenne de défense : il exerce le contrôle politique et la direction stratégique de toutes les opérations militaires ;

– une chaîne de commandement militaire, constituée d’un Comité militaire de l’UE, organe militaire suprême de l’UE qui il rassemble les chefs d’État-major des armées des États membres et conseille le COPS, ainsi que d’un État-major de l’UE qui remplit auprès de ce comité une triple mission d’alerte rapide, d’évaluation des situations et de planification stratégique. On notera toutefois que cette chaîne de commandement est peu étoffée : elle repose sur moins de 250 militaires, son travail se limite à la conception stratégique politico militaire et non à la planification opérationnelle, et elle n’a pas d’autorité sur les états-majors nationaux ;

– un centre d’opérations basé à Bruxelles, sorte d’état-major de format réduit (90 personnels), non permanent et activé uniquement à titre subsidiaire (c’est-à-dire à défaut d’état-major disponible auprès d’un État ou de l’OTAN). Lors de l’opération Serval, il a été activé avec une structure ad-hoc comptant seulement 16 militaires. Au préalable il avait été activé en 2012 pour soutenir la planification et assurer la coordination des opérations et missions de l’Union dans la Corne de l’Afrique ;

– le Groupe politico-militaire (GPM), qui prépare les travaux du COPS sur les aspects politico-militaires de la PSDC ;

– le Comité chargé des aspects civils de la gestion des crises (CIVCOM), groupe de travail du COPS en charge des aspects de la gestion civile des crises : police, État de droit, administration civile et protection civile ;

– la Direction de la planification et de la gestion des crises, créée au sein du Service européen d’action extérieure (SEAE) placé sous l’autorité du Haut représentant, qui est chargée de la planification politique et stratégique des opérations civiles et militaires, ce qui consiste essentiellement à produire le « concept de gestion de crise », document de référence établissant les objectifs stratégiques et le cadre de chaque opération de l’Union ;

– la Capacité civile de planification et de conduite, organe de commandement civil de gestion des crises rattaché au SEAE, qui est chargé de planifier et de conduire les missions civiles de la PSDC ;

– la Cellule de veille et d’analyse du SEAE, structure de renseignement qui est chargée d’informer en permanence les autorités européennes sur la situation sécuritaire et politique des théâtres de déploiement des missions et opérations de l’UE ;

– le Département de réponse aux crises, qui joue dans l’organisation de la réponse aux crises un rôle de « guichet unique » qui a pour mission de coordonner les différents services compétents ;

– l’Agence européenne de défense.

– l’Institut d’études de sécurité de l’UE, qui mène des études pour le COPS ;

– le Collège européen de sécurité et de défense, qui met en réseau les instituts nationaux de formation.

Source : Rapport fait au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées sur la proposition de résolution (n° 912) de MM. Joaquim Pueyo et Yves Fromion sur la relance de l’Europe de la défense.

b. L’Union européenne peut apporter une véritable valeur ajoutée dans la gestion des crises du type de celle du Mali

L’implication de l’Union européenne dans une crise du type de la crise malienne présente plusieurs intérêts spécifiques.

En effet, comme l’a fait valoir à vos rapporteurs le général Patrick de Rousiers, président du comité militaire de l’Union européenne, mener une opération multinationale sous la bannière européenne présente certes des difficultés d’articulation des différentes composantes nationales de la force (cf. infra), mais constitue une garantie d’action dans la durée, dans la mesure où l’Union européenne est généralement bien acceptée par les populations et les États concernés.

En outre, le traitement de la crise malienne, dont les causes sont à rechercher en partie dans les défaillances de la structure étatique et dans les nets écarts de développement d’une région à une autre, appelle des savoir-faire qui correspondent pleinement aux principes fondateurs de l’action de l’Union en matière extérieure. Le SEAE a en effet développé une doctrine d’action reposant essentiellement sur un concept d’« approche intégrée » – également appelée d’« approche globale » – consistant à piloter conjointement, pour une situation, une région ou une crise donnée, l’ensemble des moyens dont dispose l’Union au titre de ses différentes compétences : politique commerciale, actions de développement et de coopération, dispositifs humanitaires, action diplomatique, ou opérations militaires.

Enfin, l’Union européenne avait déjà élaboré et commencé à mettre en œuvre – certes laborieusement – une « stratégie pour la sécurité et le développement » dans la région du Sahel, dont l’objectif est de renforcer les capacités du Mali, de la Mauritanie et du Niger dans le cadre d’une coopération régionale approfondie. Cette stratégie a été présentée aux États membres lors du Conseil « affaires étrangères » de mars 2011 ; elle a fait l’objet d’un consensus entre les États sans toutefois être formellement adoptée par le Conseil.

Cette stratégie comprend plusieurs programmes d’action en faveur des trois États précités, qui s’ordonnent en quatre chapitres principaux :

– gouvernance, développement et résolution des conflits ;

– appui politique et diplomatique ;

– sécurité et État de droit ;

– prévention et lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent.

Elle est dotée d’un budget de 663 millions d’euros, correspondant au montant de l’aide au développement consacré par l’Union aux trois États concernés, complété par une enveloppe supplémentaire spécifique de 150 millions d’euros.

Comme le montre le tableau ci-après, ces crédits sont consacrés à plus de 75 % aux actions relatives au développement. En effet, le volet sécuritaire de la stratégie demeure mineur et n’inclut pas de dimension militaire. Le déploiement en août 2012 de la mission EUCAP Sahel Niger représente le premier engagement de l’Union au Sahel au titre de la PSDC, mais il s’agit d’une mission de PSDC à caractère civil, visant à renforcer les capacités des forces de sécurité intérieure nigériennes.

Ce tableau montre également qu’avec 53 % de l’aide totale, le Mali est le premier bénéficiaire de des crédits alloués par l’Union européenne dans le cadre de cette stratégie. En effet, parce qu’il a longtemps été cité en exemple pour la maturité de son modèle démocratique – avec des alternances pacifiques, un régime de libertés publiques, etc. –, le Mali a toujours constitué un partenaire privilégié de l’action de l’UE au Sahel. L’action européenne visait principalement dans ce pays à soutenir financièrement les programmes locaux de développement et de restauration de la sécurité, dans le cadre d’un programme spécial pour la paix, la sécurité et le développement du Nord Mali (PSPSDN). Cette aide devait compléter les efforts français dans la région.

Toutefois, selon les explications fournies à vos rapporteurs par le cabinet du ministre de la défense, l’utilisation « maladroite » des crédits alloués aux autorités maliennes – qui ont parfois choisi de financer des casernes en lieu et place des services administratifs déconcentrés prévus – a remis en cause la volonté réelle de Bamako d’apporter des réponses aux écarts de développement des régions du Nord par rapport aux régions du Sud. Les efforts des autorités locales à s’engager efficacement dans le développement et la lutte contre le terrorisme ont été jugés « discutables » par les autorités européennes, ce qui finalement encouragé l’Union à agir en premier lieu au Niger dans le cadre de la PSDC. Les discussions pour le lancement d’une action de la PSDC au Mali – l’opération EUTM Mali, qui a pour objet la formation de bataillons maliens – ne débuteront qu’en avril 2012, à la suite de la détérioration de la situation sécuritaire après la reprise de la rébellion touareg en janvier 2012 et le coup d’État en mars 2012.

MISE EN œUVRE DE LA STRATÉGIE DE L’UE POUR LE SAHEL

En millions d’euros

Lignes d’action

Mali

Mauritanie

Niger

Actions régionales

Total

Gouvernance, développement et résolution des conflits

311

46,5

99,4

41

497,9

Appui politique et diplomatique

0,5

0

0

0

0,5

Sécurité et État de droit

40

24,5

32,2

38

134,7

Prévention et lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent

6,5

6

17,6

0

30,1

Total

358

77

149,2

79

663,2

Source : ministère de la Défense.

Dans ce contexte, compte tenu des outils dont elle dispose et de son engagement antérieur dans la zone sahélienne, certains peuvent estimer, à l’image de nos collègues Joaquim Pueyo et Yves Fromion dans leur rapport d’information précité, que « l’opération Serval est le type même d’opération que l’Union européenne ambitionne de pouvoir mener collectivement dans le cadre de la PSDC ».

c. L’Union européenne a su réadapter ses programmes d’action au Mali au titre de la PSDC à partir de la crise de janvier 2013

À la suite de la détérioration de la situation sécuritaire en janvier 2013 et du déclenchement de l’opération Serval, la planification opérationnelle de la mission EUTM Mali a été accélérée et adaptée.

Comme l’a indiqué à vos rapporteurs le général de Rousiers, les instances européennes compétentes ont tenu plusieurs réunions de crise dès cette période, et ont décidé plusieurs mesures d’adaptation du format de la mission et du contenu de la formation délivrée. Ainsi :

– le site de formation, initialement envisagé à Ségou-Markala, a été déplacé à Koulikoro, à 60 kilomètres au nord de Bamako ;

– le budget de la mission a fait l’objet d’une forte augmentation, de 12,3 à 23,5 millions d’euros, pour financer notamment des travaux d’infrastructures sur le site de Koulikoro ;

– les effectifs consacrés à la protection des formateurs ont été révisés à la hausse, atteignant 120 militaires environ, pour répondre aux demandes de certains de nos partenaires européens inquiets au vu de la situation sécuritaire ;

– globalement, les effectifs complets de la mission ont été renforcés : initialement fixés à 230 personnes selon le commandement de l’EUTM Mali rencontré sur place par les membres de la mission, ils atteignaient déjà 549 personnels (dont 547 au Mali) au jour de la visite des parlementaires, comme le montre le graphique ci-après.

RYTHME DE DÉPLOIEMENT DES EFFECTIFS DE LA MISSION EUTM

Source : commandement de l’EUTM Mali.

Surtout, le contenu même de la formation dispensée dans le cadre de l’EUTM Mali a été réorienté. Les documents initiaux de planification stratégique de la mission détaillent les objectifs initiaux de la mission (cf. encadré ci-après). Il en ressort, comme l’ont expliqué aux membres de la mission les responsables de l’EUTM Mali rencontrés à Koulikoro, que l’objectif principal de l’opération consistait à former quatre bataillons maliens en vue de préparer la reconquête, par les formes armées maliennes, du nord du territoire national ; secondairement, la mission EUTM Mali avait une fonction de conseil auprès des autorités militaires maliennes (cf. supra).

Selon les explications fournies à Koulikoro par le commandement de la mission, l’accent a été mis sur la fonction de conseil aux forces armées maliennes, dans une optique de reconstruction de la chaîne de commandement et des armées. Cette fonction devait initialement être assurée principalement par 18 officiers en poste à Bamako pour une courte durée – de façon à ce que l’empreinte européenne au sein des états-majors maliens reste discrète. Selon les précisions fournies aux parlementaires lors de leur déplacement à Koulikoro, la durée de la mission de ces conseillers est appelée à être prolongée, et une augmentation de leur effectif ne serait pas inutile.

Dans cette fonction de conseil, l’équipe d’audit a d’abord dressé un état des lieux des forces armées maliennes, dont l’encadré ci-après reprend les principales conclusions.

L’audit des forces armées maliennes réalisé à partir de janvier 2013

1. Un pouvoir politique coupé de son armée par crainte et désintérêt :

Absence de Livre Blanc et de Loi de programmation militaire, crainte permanente du coup d’état

=> Implication nécessaire au niveau politico-militaire.

2. Une omniprésence de la culture de l’immédiat :

Pas de projection dans l’avenir se traduisant par une absence d’entretien

Pas de planification des besoins en réponse à une insuffisance de budget

=> Changement de mentalité impératif

3. Une armée peu formée, mal entraînée, pas gérée, sous équipée et insuffisamment encadrée :

Absence d’école d’application

Absence de contrôle de la préparation opérationnelle

Absence de plan de carrière et de DRH

Équipement obsolète, souvent le résultat de dons, dans un état de décrépitude avancé

Absence de permanence de structures (sections) interdisant toute cohésion et donc toute aptitude au combat

=> Prise en compte du problème sous tous ses aspects sera complexe

4. Des structures de commandement peu pertinentes:

Superposition de structures organiques d’armée (région militaire) en charge de la préparation opérationnelle et de structures opérationnelles (Zone de défense) en charge du contrôle du territoire aboutissant à une inefficacité patente ;

Centres de commandement interarmes et interarmées peu aboutis et se limitant à une capacité à faire des points de situation

=> Évolution envisageable à court et moyen terme

5. Des officiers réalistes et ayant soif de changement :

Constat partagé par tous

Source : EUTM Mali.

Les conseillers militaires européens ont ensuite accompagné le commandement malien dans l’élaboration d’un plan d’action reposant sur cinq axes principaux :

– donner un cadre général et une cohérence, c’est-à-dire définir un concept d’emploi des forces, les structures des régiments, les structures organiques et opérationnelles, une architecture en huit GTIA ;

– renforcer le commandement opérationnel, tant au niveau stratégique qu’au niveau opératif ;

– permettre une réelle préparation opérationnelle, ce qui suppose de formaliser une préparation budgétaire, de mettre en place un centre de préparation des forces et d’aguerrissement, et de contrôler le dispositif ;

– rationaliser les ressources humaines, en assurant notamment le paiement des soldes ;

– améliorer le soutien logistique, c’est-à-dire restructurer le bataillon logistique malien.

d. Toutefois, les modalités et les résultats de l’intervention de l’Union européenne montrent les limites de ses capacités d’action actuelles

i. Pour des missions de combat en conditions d’urgence, l’intervention nationale reste plus efficace que l’intervention européenne

Lors du déplacement des membres de la mission d’information au poste de commandement interarmes de théâtre de Bamako, le général Grégoire de Saint-Quentin, commandant de la force Serval, a estimé que compte tenu des règles actuelles de lancement et de conduite des opérations menées au titre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), les délais de coordination entre les composantes nationales d’une force européenne auraient été trop importants pour ne pas compromettre l’« agilité » de l’opération, laquelle a été déterminante dans le succès de Serval.

En effet, s’agissant de réaction rapide, l’Union européenne n’aurait vraisemblablement pas été capable de jouer le rôle tenu par la France en réaction à la crise du 11 janvier. D’une part, parce que son processus décisionnel à 27 pour initier une action extérieure n’est pas adapté à des situations urgentes ; d’autre part, parce que son dispositif de réaction rapide « BG 1500 » – qui a pour vocation de maintenir en état d’alerte deux battlegroups, ou groupements tactiques de l’Union européenne (GTUE), de 1500 hommes chacun – présentait alors des lacunes dans la génération de force. Il ne disposait ainsi que d’un seul GTUE opérationnel, alors que l’équivalent de trois GTUE aurait été nécessaire. Par ailleurs, les capacités européennes en matière de ravitaillement en vol ou en surveillance ont à nouveau montré leurs limites, nécessitant un appui américain et canadien.

Comme la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Catherine Ashton, le reconnaissait dans une de ses interventions à la dernière réunion de la Conférence interparlementaire la politique de sécurité et de défense commune, qui s’est tenue à Dublin du 24 au 26 mars 2013, l’Union européenne n’est pas capable aujourd’hui de mener une opération de gestion de crise de type Serval sous sa propre bannière. Le général de Rousiers a toutefois fait valoir à vos rapporteurs que le SEAE, dont la mise en place remonte à trois ans à peine, se trouve de ce point de vue sur une dynamique extrêmement positive. Selon lui, l’Union européenne sera probablement en mesure de prendre ce type d’initiatives avec la réactivité nécessaire d’ici un à trois ans.

Il faut toutefois noter que même si l’opération Serval était menée sous la bannière française, elle aurait pu bénéficier d’un appui plus massif auprès des partenaires européens de la France. Dans leur rapport précité, nos collègues Yves Fromion et Joaquim Pueyo font le constat « un peu amer » du fait que dans la gestion de la crise malienne « la solidarité européenne ne s’est pas exprimée dans des conditions satisfaisantes », à tel point qu’ils y voient le « symbole des insuffisances de la politique européenne de défense ».

Ce constat ne vaut naturellement pas pour tous les alliés européens de la France : l’appui britannique en matière de renseignement est jugé particulièrement précieux par le commandement de l’opération Serval, et comme l’ont souligné devant vos rapporteurs les représentants de l’ambassade de Belgique, la contribution belge à l’opération française a été significative de la solidarité franco-belge non seulement par son volume – en hélicoptères et en avions de transport –, mais aussi par ses modalités : en effet, les capacités belges ont été placées sous le contrôle opérationnel direct du commandement français, sur la base d’un accord de transfert d’autorité qui a permis l’intégration totale de ces moyens au dispositif français. Mais nombre d’observateurs ont pu regretter la lenteur avec laquelle d’autres pays, comme l’Allemagne, ont pris la décision d’apporter un appui logistique à l’opération Serval. Le général de Rousiers a d’ailleurs confié à vos rapporteurs qu’il avait pu percevoir chez certains des responsables militaires des États membres de l’Union des suspicions sur les intentions de la France dans le cadre de son intervention au Mali.

En tout état de cause, il faut noter aussi que les contributions de nos partenaires européens ont été consenties sur une base bilatérale, et non dans un cadre coordonné par les instances compétentes de l’Union européenne. Ainsi, selon le cabinet du ministre de la Défense, c’est en raison de la complexité des procédures, peu compatible avec le tempo opérationnel, que le commandement européen intégré des transports aériens – EATC, pour European Air Transport Command – n’a été que très peu sollicité.

Ainsi, les responsables français estiment que l’opération Serval n’aurait pas pu avoir la même souplesse si elle avait été menée dans le cadre d’une coalition ou dans le cadre de la PSDC, pour les raisons suivantes :

– le consensus politique nécessaire est généralement long à obtenir, notamment entre 27 États membres qui n’ont pas le même degré d’intérêt stratégique que la France pour la zone sahélienne ;

– le processus de génération de forces est nécessairement plus complexe ;

– les processus de planification nécessitent de nombreuses validations intermédiaires ;

– une fois un accord intergouvernemental trouvé, les règles constitutionnelles encadrant l’expédition de forces armées à l’étranger ne permettent pas dans tous les États la même réactivité qu’en France ;

– de nombreux États établissent des caveat, c’est-à-dire des règles limitatives pour l’emploi de leurs forces ;

– l’articulation de plusieurs armées peut poser des problèmes d’interopérabilité, par exemple en matière de systèmes d’information ou de logistique.

ii. Même pour une mission de faible intensité militaire, la procédure de la PSDC présente des limites que la mission EUTM Mali a mises en lumière

Si, finalement, 22 États membres de l’Union ont choisi de contribuer à la mission EUTM Mali, la mise en place de celle-ci a été compliquée, selon les termes du rapport d’information précité de MM. Pueyo et Fromion, par « moult retards et difficultés » et par de longs « atermoiements ».

La première difficulté, dans le processus de prise de décision suivant les procédures applicables à la PSDC, a résidé dans le fait que la France devait emporter l’adhésion de ses partenaires européens. Si elle a finalement fait la preuve de sa capacité d’entraînement, il n’en demeure pas moins que les réticences de certains d’entre eux ont ralenti et compliqué ce processus. Ainsi, selon les réponses fournies par le ministère de la Défense aux questions adressées par vos rapporteurs, le « concept de gestion de crise » développé par la Direction de la planification et de la gestion des crises du SEAE n’a été validé par les États membres, le 10 décembre 2012, qu’après la présentation de plusieurs options d’engagement de l’Union européenne au Mali et « après de multiples blocages allemands sur le texte ».

La planification opérationnelle de la mission s’est ensuite poursuivie avec l’adoption de la directive militaire initiale, du concept d’opération et du plan de la mission, mais selon la partie française, « à chaque étape, les réticences de nos partenaires européens ont ralenti le processus de planification, qui n’a été relancé qu’avec le déclenchement de l’opération Serval ». Selon le ministère, « à l’instar des débats sur le lancement d’EUCAP Sahel Niger, nos partenaires allemands et polonais, notamment, ont exprimé leurs fortes réticences à engager l’Union sur ce théâtre, qui ne représentait pas à leurs yeux une menace pour la sécurité européenne ». Plusieurs démarches ont ainsi dû être menées par le ministre de la Défense auprès de ses homologues pour avancer dans les négociations. « Alors que le calendrier de lancement d’EUTM s’enlisait », le déclenchement de l’opération Serval a fortement accéléré le processus de planification de la mission européenne et le lancement d’EUTM Mali a enfin abouti à peine plus d’un mois après le début de l’intervention française. Selon ces informations, lors des négociations, la France a toujours pu compter sur le soutien important de l’Espagne, mais aussi de la Belgique et de l’Italie.

Ces difficultés s’expliquent en partie, selon le général de Rousiers, par le fait que l’attention de plusieurs états-majors européens était focalisée sur les opérations de retrait d’Afghanistan plutôt que sur les développements de la crise au Sahel, zone avec laquelle certains États membres entretiennent par ailleurs peu de relations. Surtout, les atermoiements et vicissitudes constatées dans la mise en place de la mission EUTM Mali renvoient à ce que notre collègue Marie Récalde, dans un récent rapport (n° 933) sur la proposition de résolution (n° 912) de MM. Joaquim Pueyo et Yves Fromion sur la relance de l’Europe de la défense, appelle le « regrettable manque d’ambition politique » des Européens pour mener des opérations militaires au titre de la PSDC. Pour la rapporteure, la crise malienne a en effet confirmé, s’il en était besoin, l’« atonie politique des Européens en matière de défense ».

La visite des installations de l’EUTM Mali à Koulikoro a permis aux membres de la mission d’information de jauger à la fois l’utilité et les limites de l’action de l’Union. Ils ont ainsi pu constater les conséquences pratiques, sur le terrain, des lenteurs et des rigidités de la procédure applicable à la PSDC. En effet, selon le commandement de l’EUTM Mali, les documents stratégiques de planification de la mission, élaborés avant la crise de janvier 2013 et les conséquences majeures qu’elle a eues sur l’état des forces maliennes et la situation stratégique générale, n’ont pas pu être mis à jour pour des raisons tenant à la lenteur des procédures concernées.

En outre, le déplacement à Koulikoro a permis aux membres de la mission de prendre la mesure des différences culturelles entre les différentes forces armées européennes. S’il est anecdotique de remarquer qu’un État membre a équipé ses militaires de deux équipements portatifs de sauna, plus sérieuse est la situation de l’hôpital militaire installé par les Allemands à Koulikoro, correspondant à un « rôle 2 » dans la classification de l’OTAN (31). Celui-ci mobilise en effet des moyens très importants – près de soixante personnels, dont neuf médecins – pour une activité d’autant plus faible qu’il n’est pas ouvert aux populations locales et qu’il coopère très peu avec les éléments de soutien sanitaire des forces de Serval, pourtant moins bien dotés et plus sollicités.

Pour le général de Rousiers, ces difficultés sont inhérentes à la nature multinationale des opérations européennes, qui reposent sur des capacités militaires nationales ayant chacune leurs règles d’engagement et leur culture propre. Peu d’États européens acceptent d’engager leurs forces avec le même degré de prise de risque que la France, même si, selon lui, les habitudes évoluent lentement en la matière. Dans cette optique, la mise à disposition d’équipements qui, à l’image de l’hôpital militaire de l’UTM Mali, peuvent paraître aux yeux des Français – et plus encore aux yeux des civils et des militaires maliens – disproportionnés par rapport aux risques encourus et à la population couverte, serait en quelque sorte « le prix à payer » pour pouvoir mettre en place une mission européenne. Si les avis sont toujours partagés sur l’opportunité d’ouvrir largement les installations sanitaires militaires aux populations civiles, on aurait pu, à tout le moins, faire en sorte de mieux coordonner cette capacité européenne avec les capacités de soutien sanitaire de l’opération Serval, qui étaient loin d’être surdimensionnées.

3. Une réflexion mérite d’être menée sur un meilleur partage interarmées de certaines capacités, notamment en matière de renseignement

a. L’opération Serval a confirmé les progrès de l’interarmisation

Si l’interarmisation des forces françaises a considérablement progressé depuis cinq ans, et que nos engagements en Afghanistan et en Libye ont largement contribué à ces progrès, il n’en reste pas moins que l’opération Serval a montré qu’elle pouvait être encore approfondie, en particulier dans les domaines suivants :

– l’interopérabilité des moyens d’information et de communication conventionnels, satellitaires et en transmissions de données ;

– la capacité de disposer d’une situation tactique commune de référence partagée par tous les acteurs ;

– la coordination des soutiens ;

– l’appréciation autonome de situation ;

– la capacité persistante de surveillance du champ de bataille.

Pour l’état-major de l’armée de Terre, l’opération Serval confirme la pertinence du concept, développé par l’OTAN, d’« opérations à dominante de milieu », dans lesquelles une composante de la force d’intervention peut être amenée à coordonner l’action des autres selon le principe « menant/concourant ».

En effet, l’organisation de l’opération Serval a confirmé la tendance, déjà observée notamment en Afghanistan, à une approche interarmées du combat à un niveau toujours plus bas, qui place les engagements terrestres dans un contexte systématiquement interarmées. Le GTIA constitue ainsi un niveau d’intégration interarmées, et le sous-groupement tactique interarmes (SGTIA) évolue lui aussi dans un environnement systématiquement interarmées. Cette dimension interarmées a aussi concerné l’ensemble des soutiens et de la chaîne logistique.

Mais, selon l’état-major de l’armée de Terre, une opération est d’autant plus efficace qu’elle s’articule autour d’une « dominante de milieu ». Au Mali, les spécificités du théâtre d’opérations pour le milieu terrestre – élongations, chaleur, particularités de l’ennemi – ont été déterminantes. Il en ressort que l’articulation générale de l’opération – gestion des appuis-feux, dispositif logistique, organisation du commandement et de l’appui au commandement – visait in fine à engager au sol et au contact un ennemi déterminé, camouflé et retranché.

b. L’opération Serval a montré certaines limites dans le partage et la fusion en temps réel du renseignement

Il ressort des auditions auxquelles ont procédé vos rapporteurs que le bilan est plus contrasté pour la coopération en matière de renseignement, notamment avec les forces spéciales. Selon le chef d’état-major de l’armée de Terre, un signe encourageant de progrès en la matière a pu être observé dès le déploiement des premières unités de l’opération Serval : le général Ract-Madoux y voit « un succès majeur qui a permis d’obtenir d’excellents résultats ».

En revanche, lors de leur déplacement au poste de commandement de la brigade Serval à Gao, les membres de la mission d’information ont pu constater que la cellule de renseignement intégrait des personnels de toutes les armées, ainsi que de la DGSE, mais pas des forces spéciales, pourtant stationnées dans la même base. En outre, les moyens logistiques et aéromobiles sollicités par les forces spéciales sont parfois obérés sur courts préavis.

Lors de son audition, le général Christophe Gomart, commandant les opérations spéciales, a cependant apporté des clarifications sur ce point. Rappelant que le commandement des opérations spéciales (COS) n’est pas un service dédié au renseignement, le général Gomart a cependant souligné que les renseignements collectés par les éléments des forces spéciales lors de leurs opérations au Mali ont été systématiquement diffusés aux cellules et organismes « ayant le droit d’en connaître » via la chaîne de renseignement nationale.

D’autre part, si du fait de l’essence même des missions de la composante forces spéciales, le commandant de la Task Force Sabre a conservé un lien direct avec l’échelon stratégique – c’est-à-dire l’État-major des armées – via le COS, une coordination étroite a été réalisée de façon pérenne avec le niveau opératif – c’est-à-dire le commandement de la force Serval et le PCIAT à Bamako. Dès la constitution du noyau de commandement de l’opération Serval, un détachement de liaison composé d’opérateurs des forces spéciales a été placé au niveau du PCIAT. Issu de l’état-major du COS, l’officier supérieur qui commande ce détachement est le conseiller forces spéciales du commandant de la force Serval. La composante forces spéciales a ainsi été totalement intégrée à la manœuvre générale de la force en matière de renseignement. C’est ainsi le PCIAT qui a assuré le lien et l’interaction nécessaire entre les composantes (Air, Terre, forces spéciales) de l’opération Serval.

Pour l’état-major de l’armée de l’Air, l’un des enseignements de l’opération Serval est que la capacité de fusion du renseignement en temps réel demeure très perfectible, du fait :

– de capteurs qui ne possèdent pas tous des moyens de transmission transhorizon ;

– de l’isolement des agents chargés de conduire en temps réel la manœuvre des capteurs aéroportés ;

– de la faible permanence de nos moyens de renseignement aéroportés.

Dans ce domaine, l’armée de l’Air a su apprécier l’apport capacitaire des Américains et des Britanniques dont les vecteurs embarquent aussi bien des moyens de transmission satellitaire que des liaisons de données tactiques. L’armée de l’Air a été contrainte à une répartition multi-sites de sa fonction de renseignement dans un domaine d’expertise où la ressource humaine est extrêmement sollicitée.

4. Avec le coût de l’opération Serval, se pose de nouveau le problème du financement des opérations extérieures

a. L’opération Serval, comme toute opération extérieure, a engendré des surcoûts importants

Selon les évaluations fournies à vos rapporteurs par le ministère de la Défense, les opérations au Mali génèrent des surcoûts qui peuvent être évalués à 250 millions d’euros à la fin du mois de mai 2013. Ces surcoûts sont constitués à la fois de dépenses de masse salariale et de dépenses de fonctionnement.

Les dépenses de masse salariale sont liées aux indemnités du personnel projeté, qui bénéficie de l’indemnité de sujétions pour service à l’étranger (ISSE), pour un montant total estimé à 75 millions d’euros.

Les dépenses de fonctionnement comprennent :

– des frais de fonctionnement courant (alimentation, télécommunications, soutien au stationnement, etc.) concourant au soutien des troupes. Proportionnels à l’effectif déployé, ils sont évalués à 37 millions d’euros ;

– les coûts liés aux acheminements stratégiques, pour 98 millions d’euros. Ce montant élevé s’explique par l’importance du dispositif à déployer par voie aérienne dans des délais très contraints, ce qui a nécessité le recours à l’affrètement d’aéronefs de transport stratégique ;

– le carburant opérationnel pour 20 millions d’euros ;

– 18 millions d’euros pour les munitions.

Ces surcoûts n’intègrent pas les dépenses supplémentaires d’entretien des matériels et personnels, dont le ministère ne pourra fournir une évaluation précise qu’au second semestre de l’année 2013. Lors de leur déplacement auprès des personnels de l’armée de l’Air projetés à Bamako, l’attention des membres de la mission a en effet été appelée sur l’impact de l’opération sur le nombre d’heures de vol requis pour chaque pilote. En effet, ces personnels doivent effectuer chaque année un nombre défini d’heures de vol en opération ou en entraînement – en fonction du type d’aéronefs sur lesquels ils servent –, au titre de leur maintien en condition opérationnelle, et les crédits affectés à leur entraînement sont calculés au plus juste. Or certains personnels mobilisés par l’opération Serval auront épuisé avant la fin de premier semestre l’ensemble des heures de vol requises : il est donc indispensable de trouver les moyens de continuer à assurer leur entraînement durant le reste de l’année pour qu’ils ne perdent pas en compétences dans les derniers mois de 2013.

b. Si le financement des surcoûts liés aux opérations extérieures est mieux traité qu’avant 2008, il reste perfectible, voire problématique

i. Comme le relève la Cour des comptes, « bien qu’en nette progression, le financement du surcoût des opérations extérieures est demeuré insuffisant »

La loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 fixe comme objectif « un niveau de budgétisation suffisant, assorti d’une meilleure identification des surcoûts » liés aux opérations extérieures (OPEX). En application de ces dispositions, le montant de la provision inscrite en loi de finances initiale pour financer les surcoûts liés aux opérations extérieures a été progressivement porté à de 460 millions d’euros en 2008 à 630 millions d’euros depuis 2011. En 2012, le taux de couverture de ces surcoûts par la provision initiale est de 72 %, niveau jamais atteint auparavant.

La même loi de programmation avait prévu un mécanisme d’abondement interministériel de complément, en disposant qu’« en gestion, les surcoûts nets non couverts par la provision (surcoûts hors titre 5 nets des remboursements des organisations internationales) seront financés par prélèvement sur la réserve de précaution interministérielle ». Ce financement complémentaire est réalisé par décrets portant ouverture de crédits à titre d’avance (dits DA-OPEX) et par les lois de finances rectificatives. Le ministère a ainsi bénéficié d’un abondement externe pour financer le surcoût des opérations extérieures au-delà de la provision en loi de finances initiale et des remboursements des organisations internationales (l’ONU et l’Union européenne principalement).

Comme le note la Cour des comptes dans un récent rapport public thématique sur le bilan à mi-parcours de la loi de programmation militaire (LPM) 2009–2014 (32), ce mécanisme « a limité l’impact constaté dans le passé sur les budgets d’équipement », qui avaient dû être réduits de 732 millions d’euros dans les années 2006 à 2008 pour compenser les surcoûts liés aux opérations extérieures. Toutefois, pour la Cour, « ce mode de financement présente des risques de tension en gestion, lorsque les crédits arrivent trop tardivement pour être consommés et doivent être reportés l’année suivante ».

ii. Le financement des surcoûts liés à l’opération Serval constitue un enjeu d’autant plus important que les armées subissent depuis plusieurs années des tensions budgétaires

Il convient de veiller à ce que les montants ainsi alloués soient suffisants pour couvrir in fine la totalité des surcoûts, faute de quoi, dans un contexte budgétaire particulièrement tendu pour les armées, tout sous-financement des opérations extérieures se traduirait par des restrictions regrettables sur l’entretien programmé des matériels et de personnels. La Cour relève ainsi qu’en 2009, le mécanisme de couverture des surcoûts liés aux opérations extérieures « n’a pas permis de couvrir en totalité le surcoût et 59 millions d’euros sont demeurés à la charge de la Défense ».

Cet enjeu a été mis en avant, devant vos rapporteurs, par le général Bertrand Ract-Madoux, chef d’état-major de l’armée de Terre. Selon lui, les DA-OPEX ont, la plupart du temps, couvert « correctement » les surcoûts de l’armée de Terre, à l’exception notable des surcoûts d’entretien programmé du matériel, en particulier aéronautique.

Le général Ract-Madoux a ainsi fait valoir à vos rapporteurs que l’opération Harmattan n’a conduit au remboursement que de 18 millions d’euros, alors que le surcoût s’élevait en réalité à 400 millions d’euros en tenant compte de l’usure des matériels aéronautiques, très sollicités. Dans ce domaine bien particulier, dont l’apport est pourtant crucial dans le combat moderne, la réduction des potentiels qui s’ensuit porte préjudice à l’entraînement des équipages, notamment les plus jeunes.

Il conviendra donc de veiller à ce que le remboursement des surcoûts induits pour l’armée de Terre par l’opération Serval couvre effectivement la dépense, qui atteint environ 140 millions d’euros, dépassant les prévisions initiales en raison de l’ampleur des effectifs déployés, de l’importance du volume de véhicules engagés (de l’ordre de 1 300 dont plus de 400 blindés) et des conditions d’utilisation extrêmes.

5. Le Livre blanc de 2013 intègre déjà certains enseignements de l’opération Serval, mais la prochaine loi de programmation militaire devra en préciser les conditions de réalisation

a. Le Livre blanc de 2013 sur la défense et la sécurité nationale intègre déjà certains enseignements de l’opération Serval

i. Le Livre blanc souligne l’importance du principe d’autonomie stratégique pour nos interventions extérieures

L’opération Serval a prouvé que la France doit conserver la capacité à prendre l’initiative d’opérations. La France dispose de capacités qui lui confèrent une autonomie d’appréciation, de planification et de commandement. Opération conduite de façon autonome par la France, Serval a démontré notre capacité à entrer en premier. À l’exception du volet défense aérienne, l’opération Serval est en effet à elle seule un condensé des différentes phases d’une opération majeure : projections de puissance, reprise d’initiative opérationnelle, conquête territoriale, projections de forces et contribution à la manœuvre interarmes dans tout le spectre des missions et des appuis. Cette opération d’entrée en premier s’est caractérisée par l’immédiateté des premiers engagements opérationnels sans attendre la fin du processus de montée en puissance, grâce à la complémentarité des dispositifs existants – notamment les forces pré-positionnées et le dispositif d’alerte Guépard. La pertinence du dispositif Guépard, demain ENU (échelon national d’urgence), est particulièrement avérée.

Le Livre blanc confirme l’ambition de la France à maintenir son autonomie stratégique. Il place en effet parmi les « fondements de la stratégie de défense et de sécurité nationale » l’objectif consistant à « préserver notre indépendance et notre souveraineté ». Il en précise le contenu en ces termes : « L’autonomie stratégique de la France repose sur la maîtrise nationale de capacités essentielles à sa défense et à sa sécurité. Les capacités dont notre pays dispose aujourd’hui et l’effort qu’il entend poursuivre pour les maintenir lui permettent d’assumer ses engagements en matière de sécurité collective, notamment dans le cadre du Traité de Washington qui institue l’Alliance Atlantique. Cet engagement plein et entier dans l’OTAN est pleinement compatible avec la préservation de l’autonomie de décision et d’action de la France, qui promeut sa vision d’une Alliance de nations responsables, maîtresses de leur destin et assumant leurs responsabilités nationales ». Le « maintien de notre autonomie stratégique » est ainsi présenté comme le premier des quatre principes directeurs du contrat opérationnel et du modèle d’armée.

ii. Le Livre blanc reprend les lacunes capacitaires observées à l’occasion de l’opération Serval

Sans dresser un bilan exhaustif des lacunes capacitaires françaises actuelles, le Livre blanc en mentionne expressément certaines, qu’a mises en lumière – ou simplement confirmées – l’opération Serval :

– l’insuffisance de nos moyens de ravitaillement en vol ;

– l’insuffisance de nos moyens de renseignement (notamment en drones) ;

– l’insuffisance de nos capacités de transport stratégique ;

– l’insuffisance de nos capacités de transport tactique.

iii. Le Livre blanc confirme la place et le rôle des forces spéciales

Les forces spéciales offrent un panel d’options militaires permettant de répondre rapidement à des situations d’urgence et complexes.

Leur intervention a été particulièrement déterminante dans le succès de l’opération Serval. En effet, comme l’a expliqué devant vos rapporteurs le général Christophe Gomart, commandant des opérations spéciales, les forces spéciales françaises étaient engagées depuis 2008, dans le cadre du « plan Sahel », dans des actions de formation des forces de plusieurs États de la région, y compris au Mali, où un programme de formation avait été mis en place – avec un succès limité du fait de la faible disponibilité de la partie malienne – à Sévaré-Mopti.

Le positionnement d’un détachement de 250 hommes des forces spéciales françaises au Burkina-Faso leur a permis de donner le premier coup d’arrêt à la progression des groupes armés djihadistes vers le sud, dès le 11 janvier. Cette intervention a ensuite permis à la fois de remotiver le commandement malien et de préparer la progression de la brigade Serval – par exemple à l’aéroport de Gao et à Tessalit. Ces forces ont aussi mis en œuvre leurs savoir-faire pour capturer ou éliminer certaines high value targets, c’est-à-dire de hauts responsables des groupes armés djihadistes.

Le Livre blanc mentionne l’importance du rôle des forces spéciales. Ses analyses prospectives mettent en avant le rôle des forces spéciales dans les principales puissances militaires. Il montre en effet que « quand ils interviendront eux-mêmes, les Américains subordonneront, sans doute de façon plus rigoureuse qu’auparavant, l’implication et les modes d’action de leurs forces terrestres à l’importance de leurs intérêts mis en cause » et précise que « dans ce cadre, il est vraisemblable que les opérations rapides et les actions indirectes seront préférées à des campagnes lourdes et de longue durée. Les opérations ciblées conduites par les forces spéciales et les frappes à distance, le cas échéant cybernétiques, pourraient devenir plus fréquentes, compte tenu de leur souplesse d’emploi dans un contexte où les interventions classiques continueront d’être politiquement plus difficiles et parfois moins efficaces ».

Concernant spécifiquement notre modèle d’armée, le Livre blanc en déduit que l’exigence d’autonomie stratégique « impose de conserver les moyens nous conférant une autonomie d’appréciation, de planification et de commandement, ainsi que de privilégier les capacités critiques qui sont à la base de notre liberté d’action », précisant qu’« il s’agit de celles qui sont indispensables à la défense de nos intérêts vitaux, nécessaires à la prise d’initiative dans des opérations simples et probables », parmi lesquelles il cite expressément les forces spéciales, au même titre qu’un commandement interarmées, des capacités de renseignement et de ciblage ou des moyens de combat au contact de l’adversaire. Il conclut ainsi que « les forces spéciales se sont imposées comme une capacité de premier plan dans toutes les opérations récentes » et qu’en conséquence, « leurs effectifs et leurs moyens de commandement seront renforcés, comme leur capacité à se coordonner avec les services de renseignement ». Pour vos rapporteurs, une articulation plus étroite des forces spéciales avec les services concernés de la DGSE constitue en effet une piste d’évolution digne d’intérêt.

iv. Le Livre blanc souligne en particulier la pertinence des forces prépositionnées en Afrique

Considérant comme une priorité politique l’aide aux États fragiles qui se situent dans les zones susceptibles d’affecter sa sécurité, la France mesure bien l’importance de la région du Sahel et la gravité pour l’Europe des menaces qui s’y développent (notamment la menace d’une transformation de la sous-région en foyer de terrorisme international).

La France conserve une certaine influence sur le continent et sait s’appuyer sur un maillage dense constitué des forces pré-positionnées, des coopérants et des attachés de défense. En effet, le placement géographique des moyens terrestres et aériens pré-positionnés était particulièrement bien adapté à la gestion d’une crise au Mali en termes de réactivité et de proximité.

L’état-major de l’armée de Terre partage le constat de l’utilité des forces prépositionnées : ce dispositif permanent offre une palette d’unités immédiatement disponibles, acclimatées et entraînées. Leur engagement permet de saisir d’emblée l’initiative et d’imposer à l’ennemi le rythme des opérations, sans délais de montée en puissance et d’acheminement. Cette capacité à engager très vite des troupes au sol a été déterminante pour le succès de la mission.

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 fait du Sahel une des zones d’intérêt prioritaire pour la France. Alors que la fermeture de certaines bases prépositionnées avait été envisagée en 2008, le Livre blanc de 2013 place le dispositif prépositionné au cœur du modèle d’armée et de la stratégie de prévention des crises : « la coopération de défense et de sécurité, l’assistance opérationnelle à des armées étrangères, ainsi que notre dispositif prépositionné, constituent autant d’outils qui doivent contribuer à la cohérence de notre politique en matière de prévention ».

v. Le Livre blanc prévoit de consolider le dispositif Guépard

L’intérêt de ces prépositionnements est complémentaire avec celui du dispositif Guépard, dont l’opération Serval a constitué la première occasion d’engagement à une telle échelle et prouvé pertinence du concept.

Le Livre blanc reprend ce concept, sous le nom d’« échelon national d’urgence ». Il prévoit ainsi que « pour garantir sa capacité de réaction autonome aux crises, la France disposera d’un échelon national d’urgence de 5 000 hommes en alerte, permettant de constituer une force interarmes de réaction immédiate (FIRI) de 2 300 hommes », précisant que « cette force sera projetable à 3 000 kilomètres du territoire national ou d’une implantation à l’étranger, dans un délai de 7 jours » et qu’« avant ce délai de 7 jours, la France reste capable de mener une action immédiate par moyens aériens ».

Il est précisé que la FIRI sera composée de forces spéciales, d’un groupement terrestre interarmes de 1 500 hommes équipé d’engins blindés, d’hélicoptères, d’un groupe naval constitué autour d’un bâtiment de projection et de commandement, de 10 avions de chasse, d’avions de transport tactique, de patrouille maritime et de ravitaillement en vol, et des moyens de commandement et de contrôle associés.

vi. Le Livre blanc rappelle l’articulation du dispositif de défense français avec les mécanismes européens et internationaux de sécurité et de défense

Si l’opération Serval a montré la capacité de la France à décider d’une opération d’envergure de façon autonome, elle a aussi mis en lumière sa dépendance à l’égard de ses alliés du fait de certaines lacunes capacitaires.

Le Livre blanc prévoit d’en combler certaines, mais réaffirme aussi l’importance de l’articulation du dispositif de défense français avec l’OTAN et l’Union européenne, suivant les principes rappelés dans l’encadré ci-après.

La stratégie française, l’OTAN et l’Union européenne

Dans le nouvel environnement stratégique, à la fois plus instable et plus incertain, trois options se révéleraient illusoires pour notre pays :

- le repli sur soi, autrement dit la défense de nos seuls intérêts vitaux et le renoncement à toutes responsabilités régionales ou mondiales. Notre statut à l’ONU, notre histoire, l’importance de nos intérêts dans le monde, rendent cette option irréaliste et inopportune ;

- la délégation aux États-Unis et à l’OTAN du soin de notre sécurité future. L’Alliance Atlantique est un pilier de la politique de défense française, mais elle doit prendre en compte les différences de priorités qui imposent à chaque membre de cette Alliance de prendre ses responsabilités propres ;

- l’option d’une défense européenne intégrée. La France réaffirme son ambition en faveur d’une défense européenne crédible et efficace, mais elle ne saurait ignorer les difficultés auxquelles se heurte le développement du cadre européen.

La stratégie de défense et de sécurité nationale vise à combiner les aspects les plus positifs de chacune de ces trois options : la souveraineté de nos décisions, l’engagement plein dans une Alliance Atlantique dynamique, le volontarisme et l’ambition à l’égard de l’Union européenne.

Source : Livre blanc de 2013 sur la défense et la sécurité nationale.

À ce titre, le Livre blanc indique que la France « agira pour que se développe, dans le cadre européen, une vision stratégique fondée sur une analyse partagée des risques et des menaces », précisant que « le contexte actuel rend possible et urgente une relance pragmatique de la politique de sécurité et de défense commune ». Il rappelle aussi que la France « souhaite que l’Union renforce, de façon pragmatique, la réactivité et les capacités d’intervention des forces qui peuvent être mises à la disposition de la PSDC ».

Pour combler les lacunes capacitaires existantes dans une période de forte contraction budgétaire pour tous les pays européens, le Livre blanc plaide en faveur d’« interdépendances capacitaires mutuellement consenties » et indique que pour les capacités existantes ou en cours d’acquisition, la France entend résolument s’engager dans l’initiative de mutualisation et de partage capacitaire (Pooling and Sharing) adoptée en 2010 par les ministres de la Défense de l’Union européenne.

b. La prochaine loi de programmation militaire devra organiser le comblement des lacunes mises en lumière par l’opération Serval

Si le Livre blanc esquisse un modèle d’armée compatible avec les exigences d’une opération de l’envergure de Serval – à titre d’exemple, il fixe ainsi à 66 000 hommes l’effectif projetable de l’armée de Terre – et garantit un effort financier de 179 milliards d’euros (en valeur 2013) pour les années 2014 à 2019, période de la prochaine loi de programmation, il n’en demeure pas moins que c’est la prochaine loi de programmation militaire qui donnera à ces objectifs une portée législative et en précisera les conditions.

Dans cette optique, l’opération Serval a mis en avant la nécessité de préserver, dans les arbitrages financiers difficiles qui auront à être pratiqués, certaines capacités qui manquent aujourd’hui aux armées.

À ce titre, et sans prétendre à l’exhaustivité, vos rapporteurs soulignent notamment l’importance des équipements suivants :

– l’acquisition de drones MALE Reaper, qui palliera les lacunes constatées à ce jour sur le Harfang, et qui mérite d’être accompagnée d’un effort de développement de capteurs (vidéo de jour et infrarouge, radar, charge de guerre électronique ou renseignement d’origine électromagnétique) sur une base nationale ou européenne ;

– l’avion léger de surveillance et reconnaissance, mentionné dans le Livre blanc, qui permettra une fusion embarquée des informations fournies par les capteurs champ large/champ étroit, limitant ainsi le besoin en bande passante et améliorant la communication vers les centres de commandement et vers les effecteurs, aériens ou au sol, dans des conditions d’endurance adaptées aux missions de surveillance ;

– le système d’optimisation du renseignement interarmes (SORIA), qui permettra d’intégrer le renseignement au niveau interarmes, et facilitera la conduite de la manœuvre renseignement via un outil partagé ;

– le remplacement, à plus long terme, du C160 Gabriel, qui mérite d’être poursuivi pour mieux intégrer ce besoin d’interfaçage avec les autres capteurs, les effecteurs et les centres de commandement afin d’apporter une contribution efficace à la compréhension de la situation en temps réel ;

– le pod de désignation laser nouvelle génération (PDL NG), qui répondra à une double lacune quantitative (après le retrait des générations précédentes de pods, prévu à compter de 2015) et qualitative (avec de meilleures performances d’identification) ;

– la fourniture des ravitailleurs en vol A330 MRTT suivant le rythme et les conditions prévues par le contrat passé entre la France et l’industriel, tout délai dans la livraison de ces appareils accroissant le risque de rupture capacitaire en la matière du fait du vieillissement préoccupant de notre flotte de C-135 ;

– l’avion de transport A400M, dont vos rapporteurs ont pu constater sur le théâtre qu’il était très attendu par les personnels des armées et qui permettra un accroissement significatif de la charge offerte, mais également de la rapidité de projection des armées. À titre de comparaison, selon l’état-major de l’armée de l’Air, la projection de 22 tonnes de fret par jour depuis la France vers Tessalit a nécessité un acheminement stratégique jusqu’à Bamako et cinq rotations de C160 pour atteindre la destination finale, alors qu’il aurait suffi d’une seule rotation d’A400M pour effectuer la même mission, depuis la France directement jusqu’à Tessalit ;

– des munitions airburst à guidage laser et inertielle, ainsi que des munitions à effets collatéraux réduits, notamment pour agir en milieu urbain ;

– du futur système de franchissement léger (Syfral), qui aurait grandement facilité le franchissement de la boucle du Niger par les véhicules lourds de l’armée de terre ;

– des hélicoptères de manœuvre Caïman (NH90 TTH), dont la capacité d’emport est deux fois supérieure à celle des Puma et des Caracal dans les conditions climatiques rencontrées au Mali ;

– de l’hélicoptère HIL en remplacement des Gazelle, qui peut constituer un binôme d’autant plus efficace avec le Tigre qu’il peut recevoir des kits de protection ;

– plus généralement, de la poursuite du programme Scorpion de modernisation des forces terrestres, qui passe par l’acquisition de véhicules blindés multirôles (VBMR) et d’engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC), par la rénovation d’une partie du parc de chars Leclerc et par la mise en place du système d’information et de combat Scorpion (SICS) et des kits de numérisation associés.

B. LE SCÉNARIO DE SORTIE DE LA CRISE MALIENNE RESTE INCERTAIN

Selon une formule souvent employée, si la guerre est gagnée, la paix ne l’est pas encore. Avec le désengagement progressif, mais rapide, de l’armée française, la sécurité du Mali reposera sur les Forces armées maliennes, sur les casques bleus de la MINUSMA et sur les éléments français appelés à rester sur place à plus long terme. Mais la stabilisation du Mali ne sera pas accomplie par la seule résolution de la question sécuritaire : elle nécessite de reconstruire un État et une économie que des années de clientélisme et de tolérance à divers trafics avaient minés, sinon détruits.

1. Le désengagement progressif de l’armée française

a. La réduction entamée de l’empreinte de l’armée française sur le terrain malien

À aucun moment, il n’a été dans les vues et dans les dispositions de la France de maintenir au Mali une force conséquente – le Mali ne sera pas un nouvel Afghanistan.

C’est pourquoi la réduction du format de la force Serval a commencé dès le début du mois d’avril 2013, avec la fin de l’opération Panthère et le redéploiement progressif du GTIA 4 à Abidjan avant son retour en France. La force Serval déployée au Mali a ainsi vu son effectif réduit de 4 000 hommes pendant la période du 30 janvier au 30 avril 2013, au plus fort de la crise, à 3 200 environ au début du mois de juin.

Le graphique ci-dessous présente l’évolution des effectifs de l’armée de Terre engagés dans l’opération Serval.

Source : état-major de l’armée de Terre.

L’objectif est de ne maintenir au Mali qu’un millier d’hommes, correspondant à un GTIA avec ses éléments de soutien, en décembre prochain.

Toutefois, selon les indications fournies par le cabinet du ministre de la Défense, le rythme de décroissance de l’effectif de la force Serval a dû être modifié pour tenir compte des délais de montée en puissance de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA, cf. infra). Ainsi, alors que la plus grande partie du désengagement était initialement prévue pour les mois de mai à juillet, il est désormais prévu qu’elle ait lieu au début de l’automne. L’effectif de l’opération Serval connaîtra ainsi un palier estival de 3 200 hommes environ.

Parallèlement, la chaîne de commandement est appelée à être resserrée, avec notamment :

– la fusion de ces structures aux niveaux opératif et tactique ;

– leur reconfiguration en un poste de commandement principal à Bamako et un poste de commandement avant à Gao ;

– une coordination plus étroite avec l’EUTM Mali et les états-majors de la MISMA puis de la MINUSMA ;

– un recentrage du poste de commandement des Éléments français au Sénégal sur les actions de coopération régionale.

b. Le rôle des forces françaises dans l’avenir

Le succès de l’opération Serval met fin aux missions offensives de reconquête territoriale et d’attrition des groupes armés djihadistes. Les forces françaises se concentrent depuis lors sur des missions autonomes de reconnaissance, des patrouilles longue durée, des missions d’occupation du terrain.

D’après les explications du cabinet du ministre de la Défense, les forces françaises auront en effet à partir de 2014 un rôle d’appui aux Forces armées maliennes ainsi qu’à la MINUSMA. Un Memorandum of Understanding doit d’ailleurs préciser les conditions dans lesquelles les forces françaises coordonneront leur action avec celle de la MINUSMA. À ce dernier titre, les forces françaises mettront en place :

– des détachements de liaison et d’assistance (DLA) au profit des bataillons de la MINUSMA (sept détachements de six à 23 hommes selon les contingents) ;

– des détachements d’assistance opérationnelle (DAO) au profit des bataillons maliens à l’issue de leur cycle de formation au sein de EUTM-Mali (quatre DAO de 29 hommes).

Dans un premier temps, l’appui des éléments de Serval sera nécessaire également pour contribuer à assurer la sécurisation des opérations électorales du mois de juillet et d’août 2013 qui doivent désigner un nouveau Président de la République.

Ensuite, elles auront un rôle de force de réaction rapide, capable de mener des actions de force, notamment à l’encontre des groupes armés djihadistes, toujours susceptibles de se reformer.

2. La transition vers les forces africaines et multinationales

a. La MINUSMA a entamé sa montée en puissance

Les membres du Conseil de sécurité des Nations unies ont adopté le 25 avril, à l’unanimité, la résolution 2100 autorisant la transformation de la Mission internationale de soutien au Mali, conduite par la CEDEAO, en Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), placée sous l’égide de l’Organisation des Nations unies

i. Le statut et le mandat de la MINUSMA

La MISMA a été créée pour une durée initiale d’un an. Les contingents africains de la MISMA en constituent l’armature, mais d’autres États ont annoncé leur intention d’y contribuer – y compris la Chine –, ce qui confirme la capacité d’entraînement des Nations unies, dont la bannière rend plus acceptable un engagement armé à l’étranger dans un certain nombre d’États, à l’image de la Norvège, dont vos rapporteurs ont entendu les représentants. Il est à noter que le plafond d’effectifs de la MINUSMA (11 200 soldats et 1 440 policiers) est deux fois supérieur à celui de la MISMA.

Le mandat de la MINUSMA est jugé suffisamment « robuste » par les chefs militaires français rencontrés au Mali par les membres de la mission. Il devrait permettre de consolider les gains militaires acquis depuis janvier. En effet, la résolution 2100 précitée autorise les casques bleus à jouer un rôle « dissuasif » et à prendre des « dispositions actives pour empêcher le retour d’éléments armés dans les principaux centres urbains ». La MINUSMA est ainsi autorisée à « utiliser tous les moyens nécessaires », y compris le recours à la force, contre le retour de tels éléments ainsi que pour protéger les civils, son personnel ou le patrimoine culturel malien. Elle a également pour mandat de soutenir le travail des organisations humanitaires et d’appuyer les autorités maliennes dans la recherche et la traduction en justice des auteurs de crimes de guerre.

Le mandat de la MINUSMA comprend également une mission d’appui au processus, qui pourra l’amener à faciliter le dialogue entre les parties et à soutenir l’organisation des élections. Sur la question des droits de l’Homme, le mandat de la MINUSMA est large : elle est chargée de surveiller et de rapporter au Conseil de sécurité toute violation de ces droits, sans restriction : ainsi, des observateurs seront déployés dans tout le pays sous la bannière de l’ONU.

La résolution 2100 autorise par ailleurs les forces françaises à intervenir en appui de la MINUSMA, si celle-ci faisait l’objet d’une menace grave et imminente. Sans que la MINUSMA ait vocation à servir de supplétif aux forces françaises, et sans qu’il s’agisse de substituer les forces françaises à celles de la MINUSMA dans l’exercice de leurs fonctions, cette clause de protection est utile, d’autant que – fait rare dans un texte de l’ONU – le préambule de la résolution 2100 salue expressément l’action de la France contre les terroristes au Mali. La résolution prévoit également que la MINUSMA collaborera avec les organisations régionales africaines – notamment l’Union africaine et la CEDEAO –, et instruit le Secrétariat général des Nations unies d’accélérer le décaissement des fonds fiduciaires au profit de la MISMA dans la période de transition. La résolution appelle aussi la MINUSMA à coordonner son action avec celle de l’EUTM Mali.

ii. Le bilan de la MISMA et la montée en puissance de la MINUSMA

Le transfert d’autorité entre la MISMA et la MINUSMA est effectif depuis le 1er juillet 2013.

Toutefois, selon les informations fournies à vos rapporteurs par le cabinet du ministre de la Défense, il faudra encore plusieurs mois pour que la MINUSMA prenne toute sa mesure. La génération de la force suppose en effet que des pays qui ne contribuaient pas à la MISMA y organisent leur participation, et toutes les forces africaines ne remplissent pas toujours les conditions techniques correspondant aux standards de l’ONU.

Lors de leur déplacement au Mali, les membres de la mission d’information ont été reçus par l’état-major du général nigérian Shehu Abdulkadir, commandant de la MISMA, pour un premier bilan de son déploiement et de son action. Il en ressort que 86 % des effectifs de la MISMA étaient déployés le 25 avril, et que les effectifs restant devaient l’être en mai. L’entretien a permis également de faire le point des principaux besoins capacitaires des forces de la CEDEAO, qui concernent :

– en premier lieu, la logistique ;

– les moyens aériens de transport, de combat et d’évacuation sanitaire ;

– le renseignement ;

– les équipements technologiques avancés ;

– le génie ;

– l’expertise en instruction et formation continue de la troupe.

Tant le général Abdulkadir que le général de Saint-Quentin ont jugé efficace la coordination de la MISMA avec les forces françaises.

Il ressort des entretiens des membres de la mission avec les militaires français comme avec les officiers de liaison français au sein de la MISMA que la France apporte un soutien à la MISMA et qu’elle joue auprès d’elle un rôle de « facilitateur », voire d’« intégrateur » (de « coalition building ») entre les armées ouest-africaines qui ont peu l’habitude d’opérer ensemble – et encore moins avec les forces tchadiennes. Mais pour utile que soit le soutien de la France aux forces de la CEDEAO, le commandement français a jugé « injustes » les récents commentaires d’un conseiller du Secrétaire d’État américain à la défense qui jugeaient les forces de la CEDEAO « totalement incapables ».

La substitution de la MINUSMA à la MISMA ne paraissait pas susciter d’inquiétudes auprès des interlocuteurs des membres de la mission. Le mandat de la MINUSMA aurait certes pu être plus « robuste » – c’est-à-dire permettre plus explicitement des actions de force –, mais que le compromis trouvé laisse une marge d’interprétation aux responsables militaires sur le terrain.

b. Le rôle des pays frontaliers du Mali dans la stabilisation du pays

i. Le rôle de l’Algérie

L’Algérie a contribué à la sécurisation des frontières du Mali en renforçant son dispositif humain et matériel. Cependant, selon le ministère de la Défense, les Algériens sont conscients que la frontière algéro-malienne reste poreuse.

L’Algérie a contribué au succès de l’opération de reconquête du Nord en ouvrant son espace aérien. Elle participe aussi à la formation et à l’équipement des forces mauritaniennes, nigériennes et maliennes.

ii. Le rôle du Burkina Faso

Selon les informations fournies à vos rapporteurs par le ministère de la Défense, l’exercice de la souveraineté de l’État sur les 580 kilomètres de sa frontière avec le Mali nécessite de disposer de moyens de renseignement et de forces d’intervention conséquentes, ce qui constitue un défi pour le gouvernement burkinabé au regard de ses capacités financières. Depuis la fin de l’année 2012, le gouvernement a renforcé le contrôle en créant une unité spécialisée, le Groupement de forces antiterroristes (GFAT), dont l’effectif atteint 700 personnels – pour une cible de 992 hommes. Chargé de contrôler la région – y compris les camps de réfugiés maliens –, il a commencé son déploiement en janvier 2013, et a bénéficié du soutien des Éléments français au Sénégal et de détachements français pour des actions de formation. Son équipement a été retardé du fait de la priorité donnée par les Burkinabés à l’équipement du bataillon déployé au sein de la MISMA.

Le Burkina Faso a contribué au succès de l’opération de reconquête du nord du Mali en y déployant un bataillon dès la mi-mars. Il assure la responsabilité du secteur de Tombouctou depuis le 23 avril 2013, en relève des forces de l’opération Serval.

Surtout, c’est sous les auspices des autorités burkinabés que se tiennent depuis plusieurs années, et qu’ont repris récemment, des discussions entre les autorités de Bamako et les représentants des mouvements séparatistes ou autonomistes du nord du Mali.

iii. Le rôle de la Mauritanie

Depuis les premières attaques d’AQMI sur son territoire, en 2008, la Mauritanie est engagée dans la lutte contre le terrorisme dans la région du Sahel. Directement menacées par des infiltrations de Groupes armés djihadistes (GAD), les Forces armées et de sécurité de la République islamique de Mauritanie (FARIM) consacrent l’essentiel de leurs moyens à la surveillance de leurs frontières : contrôle de zone, recherche de renseignement, intervention, appui aérien. Elles contrôlent également les camps de réfugiés.

Si la Mauritanie ne participe pas à la MISMA et n’est pas déployée au Mali, elle a contribué au succès de l’opération de reconquête du nord en assurant fermement le contrôle de sa frontière avec le Mali, et en partageant une partie de son renseignement avec la France.

iv. Le rôle du Niger

Pour tenter de contrôler ses vastes frontières, le Niger – qui constitue depuis 2010 un terrain d’opérations d’AQMI – a mené des opérations intérieures, parmi lesquelles :

– l’opération Malibero de contrôle de la zone entre la frontière libyenne et l’Azaouak, qui mobilise 1 200 hommes ;

– depuis l’été 2012, 2 000 hommes des forces de défense et de sécurité sont affectés à la sécurité de la frontière au nord de Niamey ; de plus, le Niger a renforcé les effectifs de tous ses postes militaires de reconnaissance le long de la frontière ouest ;

– pour faire face à la menace à l’ouest et à l’absence de profondeur stratégique entre son territoire et les unités du MUJAO, un commandement en charge uniquement des 300 kilomètres de frontière avec le Mali au nord de Niamey a été créé afin de garantir la sécurité des organes décisionnels du pays ;

– les nouvelles formes de menaces ont amené les forces de défense et de sécurité à envisager la mise en place d’unités mobiles de réaction rapide au sein des zones de défense de l’ouest, constituées d’unités élémentaires de 150 hommes, issues de bataillons aguerris.

Malgré toutes ces mesures, le ministère de la Défense estime que ce dispositif souffre de lacunes importantes, notamment en raison de la longueur des frontières et de leur porosité, ainsi que des capacités militaires actuelles du Niger.

Face à ce qu’il considère comme une question de sécurité nationale, le Président nigérien a fait le choix de participer activement à la mobilisation africaine et internationale contre le danger terroriste au nord Mali. Il a ainsi contribué au succès de l’opération de reconquête du nord en déployant dès le départ un contingent d’environ 630 personnels et d’une centaine de véhicules. Ces forces ont été engagées très rapidement à l’est du territoire malien, ont participé à la conquête d’Asongo, ont relevé nos forces à Ménaka et Gao et assuré la sécurisation de l’axe Niamey–Gao, permettant ainsi l’avancée plus au nord des forces françaises. Elles ont actuellement pour objectif la sécurisation des villes du Nord Mali proches de la frontière nigérienne.

Plus généralement, des progrès restent à accomplir pour la sécurisation des frontières du Mali. Ainsi, devant les membres de la mission d’information, le ministre malien de la Défense a fait état des difficultés qu’a son pays à coordonner ses efforts de sécurisation frontalière avec ses principaux voisins, notamment l’Algérie. Il a regretté à cet égard que le Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC), constitué en 2010 entre plusieurs États du Sahel, se soit avéré inefficace, faute selon lui d’une volonté politique commune.

3. Le règlement de la crise politique malienne

a. Le processus électoral, enfin en bonne voie

La « feuille de route pour la transition » adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Mali le 29 janvier 2013 prévoyait la tenue d’élections présidentielle et législatives d’ici la fin du mois de juillet 2013. Lors de leur déplacement au Mali, le Premier ministre malien, M. Diango Cissoko, a précisé aux membres de la mission d’information que les autorités maliennes avaient envisagé d’organiser le même jour le second tour de l’élection présidentielle et le premier tour des élections législatives.

Un consensus pour un « découplage » de ces deux scrutins s’est toutefois dégagé parmi les autorités politiques maliennes rencontrées par les membres la mission. Ces derniers font valoir que le « couplage » des deux processus électoraux présente plus d’inconvénients techniques que d’avantages politiques : l’organisation des législatives serait à la fois techniquement plus compliquée que celle de la présidentielle – car plusieurs centaines de milliers d’électeurs déplacés ou réfugiés vivent encore hors de leur circonscription électorale habituelle –, et politiquement moins urgente, car à la différence de l’exécutif de transition, les députés aujourd’hui en fonction ont été désignés suivant les règles constitutionnelles.

Interrogés par les membres de la mission sur la capacité de l’État à suivre le calendrier électoral prévu pour l’élection présidentielle, le Secrétaire général de la présidence de la République comme le Premier ministre se sont déclarés confiants dans la tenue de l’élection à la fin du mois de juillet. Pour M. Cissoko, qui reçoit chaque semaine les principaux acteurs impliqués dans l’organisation de l’élection, quatre enjeux sont déterminants pour la réussite du processus électoral :

– un enjeu technique : la fabrication et la distribution des cartes d’électeurs, qui peut selon lui être assurée en deux mois ;

– un enjeu financier : si le financement des opérations électorales n’est pas encore assuré, il n’y a pas d’inquiétude à ce sujet dans la mesure où la communauté internationale n’a jamais manqué d’aider le Mali dans ce domaine ;

– un enjeu politique : le processus électoral ne pourra renforcer véritablement la légitimité de l’exécutif que si la classe politique s’y engage pleinement, ce pour quoi le Premier ministre mise sur le dialogue politique entre les principaux partis et sur le travail de la Commission nationale de dialogue et de réconciliation ;

– un enjeu sécuritaire : le Premier ministre a estimé que les zones libérées seraient sécurisées d’ici la seconde quinzaine du mois de mai et souhaité que les forces françaises puissent apporter leur concours à la sécurisation des opérations électorales. M. Ousmane Sy, Secrétaire général de la présidence de la République malienne a estimé quant à lui que les forces en présence sur le territoire malien suffiraient à sécuriser le pays avant l’arrivée de la MINUSMA, et que celle-ci pourrait contribuer à éviter toute perturbation du processus électoral et à prévenir d’éventuelles crises post-électorales.

Les parlementaires maliens rencontrés par la mission ont pour leur part émis deux principales réserves sur l’organisation de l’élection :

– ils jugeaient « élevé » le risque que l’élection ne puisse pas être organisée à Kidal. L’enjeu tient moins au poids électoral de Kidal (la ville ne compte plus que 30 000 habitants, et le Nord entier représente à peine 10 % du corps électoral), qu’à son impact politique : sans vote dans le Nord, la légitimité du président élu et son poids dans le processus de réconciliation s’en trouveraient significativement réduits ;

– ils ont souligné le risque de contentieux post-électoraux d’autant plus nombreux que les conditions matérielles d’organisation du vote sont difficiles. Le principal objet de litige pourrait être, selon certains députés, le fichier électoral dont dispose le Gouvernement : basé sur le recensement de 2009, celui-ci ne tiendrait pas compte de ceux qui ont atteint l’âge de la majorité entre-temps – au moins 360 000 personnes –, et omettrait une large part des Maliens expatriés en Côte d’Ivoire ; selon le président de la Commission électorale nationale indépendante chargée de surveiller les conditions de déroulement du scrutin, près de 1,16 million d’électeurs seraient omis de ce fichier – chiffres démentis par le ministre de l’administration territoriale, M. Moussa Sinko Coulibaly. Certains groupes parlementaires avaient demandé un audit de ce fichier, mais celui-ci a été refusé au motif qu’il supposerait de mobiliser 9 000 agents pendant six mois. Rappelant que les élections de 1997 avaient débouché sur deux ans d’instabilité politique, les députés maliens considèrent qu’une crise post-électorale comparable, dans le contexte actuel, « risquerait fort d’emporter l’État ». M. Diango Cissoko a indiqué aux membres de la mission qu’il travaillait avec les parlementaires en vue de réduire ces risques.

Il est à noter que le ministre malien de la Défense a relativisé devant les membres de la mission d’information l’urgence qu’il y aurait à tenir des élections. Pour lui, la priorité doit être donnée à la sécurisation du Nord et au retour des déplacés et des réfugiés : « ce serait un suicide politique pour un candidat d’aller faire campagne dans des camps de réfugiés, qui ne demandent qu’à rentrer chez eux ». Il a d’ailleurs suggéré qu’il n’était pas toujours raisonnable pour certains partenaires du Mali de conditionner systématiquement leurs aides à la tenue d’élections ; les membres de la mission ont pu constater que tel était le cas, par exemple, des pays contributeurs au financement de l’École de maintien de la paix : à l’exception de la France, tous ont suspendu leurs contributions depuis le début de la crise, ce qui a pour effet de priver les cadres civils et militaires africains d’une offre locale de formations agréées par l’ONU en matière de maintien de la paix.

Le corps électoral a finalement été convoqué pour l’élection présidentielle, dont le premier tour devrait se tenir le 28 juillet et le second le 11 août. Le président de la Commission électorale nationale indépendante a cependant émis publiquement des réserves sur les conditions d’organisation de celui-ci, dans la mesure où la distribution des 6,7 millions de cartes électorales prévues n’a commencé que le 28 juin et que la situation des réfugiés crée une complication. Néanmoins, comme M. Ousmane Sy l’a estimé devant les membres de la mission d’information, « on a toujours de bonnes raisons de reporter les élections, mais si l’on ne se fixe pas une date, on ne se met jamais en position de réussir leur organisation », concluant qu’« il faut accepter que les élections ne soient pas parfaites ».

b. Le processus de réconciliation nationale : un travail de long terme qui connaît de premiers succès

i. Le rôle de la Commission nationale de dialogue et de réconciliation prévue par la feuille de route du 29 janvier 2013

Les autorités politiques maliennes rencontrées par les membres de la mission ont toutes présenté la Commission nationale de dialogue et de réconciliation comme l’instrument d’un processus qui a vocation à s’inscrire dans le long terme et à traiter d’un vaste champ de sujets. Pour M. Ousmane Sy, il s’agit « de renouer avec une tradition de dialogue bien ancrée au Mali, mais rompue par l’occupation du Nord », c’est-à-dire de « renouveler le pacte national » par un dialogue avec « l’ensemble des communautés maliennes, et non seulement l’une d’entre elles ». M. Diango Cissoko a estimé quant à lui que le mandat de la Commission, dont la durée est fixée à deux ans, mériterait d’être prolongé.

Tant les représentants de l’exécutif que les parlementaires rencontrés par les membres de la mission se sont déclarés satisfaits de l’équilibre trouvé dans la composition de la Commission, qu’ils jugent relativement resserrée (33 membres au total) tout en représentant fidèlement la diversité ethnique, religieuse et politique du pays – ils soulignent d’ailleurs la large part faite aux représentants du Nord. C’est d’ailleurs la recherche de cet équilibre qui justifie, selon le Premier ministre et les parlementaires, les longues consultations qui ont précédé la désignation des commissaires.

MM. Sy et Cissoko ont précisé que l’essentiel du travail de la Commission devait être accompli sur le terrain, et qu’à cette fin, des groupes de travail locaux et régionaux seraient constitués. Ils ont également indiqué que la Commission s’attacherait à « capitaliser » les démarches de dialogue engagées avant la crise, notamment sous les auspices du Président burkinabé.

ii. Le dialogue entre les autorités de Bamako et les mouvements touaregs en bonne voie

Lors de leur déplacement au Mali, les membres de la mission d’information ont été vivement interpelés sur l’attitude de la France à l’égard des mouvements rebelles touaregs et sur l’impossibilité dans laquelle se trouvaient les Forces armées maliennes de de déployer dans la région de Kidal.

Selon le général Barrera, alors commandant de la brigade Serval rencontré à Gao et à Tessalit par les membres de la mission d’information, les Forces armées maliennes étaient alors en train de former à Gao un GTIA de 1 500 hommes, prêt à prendre position dans la région de Kidal, ce qu’il a commencé à faire dans les semaines suivantes ; parallèlement, le MNLA aurait agrégé d’anciens éléments d’Ansar Eddine pour atteindre un effectif d’environ 1 500 combattants, et tendrait à étendre sa zone d’influence suivant une véritable logique militaire d’occupation du terrain.

Tous les interlocuteurs maliens des membres de la mission avaient mis en avant ce problème, tout en exprimant des positions marquées, alors, par certaines divergences.

Certains, à l’image du président de l’Assemblée nationale, M. Younoussi Touré, ou de certains conseillers du ministre de la défense, adoptaient une position « volontariste » voire maximaliste. Ils cristallisaient autour du MNLA une large part des difficultés du Mali, présentant le Mouvement comme le « cheval de Troie » des groupes armés djihadistes (GAD) dans le pays. Soulignant que les revendications du MNLA oscillaient entre autonomie, « autonomie armée » et indépendance, ils faisaient valoir que la région de Kidal dispose depuis longtemps d’une très large autonomie, tant du point de vue institutionnel depuis les lois de décentralisation de 1993 et 1996, que du point de vue des pratiques administratives, le Gouvernement ayant pris soin de confier à des Tamasheqs les principaux postes locaux de la fonction publique. Si les parlementaires maliens rencontrés par la mission reconnaissaient que les Forces armées maliennes n’étaient pas pour l’heure en mesure d’affronter sans risque les forces du MNLA, ils faisaient valoir que tant que les Maliens ne verraient pas leur armée nationale à Kidal, ils tiendraient la reconquête du nord pour inachevée.

Cette position comportait, implicitement ou explicitement, une critique de la position française. Estimant qu’« il n’y a qu’en France que le MNLA a bonne presse », M. Younoussi Touré a déclaré à la mission que la question de Kidal commençait à « faire naître des doutes sur les intentions françaises » et pousserait certains responsables maliens à considérer que « si la France veut des élections, qu’elle [leur] rende Kidal ».

D’autres, majoritaires parmi les responsables politiques rencontrés par les membres de la mission d’information, semblaient proches des vues françaises sur la question Kidal – que l’on pourrait résumer ainsi : affirmation du principe de l’intégrité territoriale du Mali, refus de voir cohabiter deux armées dans un seul pays, priorité au dialogue entre Maliens pour le règlement de la crise, ce qui suppose un exécutif renforcé par la légitimité élective. Il s’agit notamment du secrétaire général de la présidence de la République, M. Ousmane Sy, du Premier ministre, M. Diango Cissoko, et du ministre de la défense, le général Yamoussa Camara. Pour le Premier ministre, « aucune initiative ne doit être prise qui puisse compromettre l’avancée dans la bonne voie sur laquelle les Maliens se sont engagés », quitte à ce que le désarmement du MNLA ne soit pas effectif dès le début du processus de réconciliation nationale.

Ainsi, la position des autorités maliennes semblait se rapprocher de celle de la France, sans toutefois faire l’objet d’un large accord interne. On notera à cet égard que le ministre malien de la Défense a dû contredire devant les parlementaires français l’un des membres de son cabinet, qui les avait interpellés sur un mode inhabituellement provocateur.

Le 18 juin 2013, les autorités de Bamako et deux groupes touaregs, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), ont signé un accord à Ouagadougou, sous les auspices de M. Blaise Compaoré, président du Burkina Faso.

Aux termes de cet accord, les Forces armées maliennes devraient entreprendre « dans les meilleurs délais » un « déploiement progressif » dans la région de Kidal ; le gouvernement malien a déployé près de 200 hommes au plus vite et avant les élections. L’accord prévoit aussi que les forces rebelles touaregs seront « cantonnées », mais, selon des sources diplomatiques, la notion de cantonnement et l’implantation des dits cantonnements restent l’objet de points d’achoppement entre les parties, et constituent donc un point de blocage dans l’application de l’accord susmentionné. L’accord prévoit qu’en tout état de cause, la MINUSMA sera déployée dans la région de Kidal afin d’éviter toute confrontation entre les Forces armées maliennes et les rebelles, ceux-ci ne s’étant pas engagés à se désarmer avant la tenue des élections et la conclusion d’un « accord global et définitif de paix ».

Pour vos rapporteurs, quels que soient les blocages, la signature d’un premier accord et la poursuite du dialogue montrent la pertinence de l’approche française en la matière, et ouvrent la voie à la bonne tenue des élections dans la région de Kydal.

4. La reconstruction de l’État malien dans les zones libérées et le développement économique du Mali

Convaincus qu’une économie de trafics ne peut que saper les fondements de l’État de droit, et in fine de l’État lui-même, vos rapporteurs accordent une attention particulière aux mesures prises pour assurer, dans les zones libérées, la mise en place des institutions de l’État et des services propres à permettre un développement économique sain.

a. La reconstruction de l’État

Devant la commission, le ministre français de la Défense a plusieurs fois regretté la lenteur avec laquelle le gouvernement malien avait remis en place les institutions publiques dans les zones libérées, soulignant notamment le retard avec lequel les préfets de Gao et de Tombouctou avaient pris leurs fonctions.

Des progrès importants ont été accomplis. Lors de leur déplacement dans le nord du Mali, les membres de la mission d’information ont pu rencontrer à Gao les représentants des administrations publiques, tant nationales que locales.

La sécurisation du territoire constituant la première des missions de l’État et le préalable à la réinstallation des services publics, puis du tissu économique, la restauration des forces de sécurité maliennes représente de ce point de vue un enjeu majeur. Les contacts pris par les membres de la mission leur ont permis d’apprécier l’ampleur des efforts à accomplir pour que les forces maliennes soient en situation de sécuriser l’ensemble du pays.

Le ministre malien de la Défense leur a fait une présentation détaillée de la « mauvaise gestion sécuritaire du pays depuis trente ans ». Il a rappelé notamment que sur 12 000 hommes rémunérés, les FAMA ne pouvaient en mobiliser qu’au mieux 6 000 – dont un millier au moins a déserté lors des combats de janvier. Il a porté un jugement critique sur la gestion des ressources humaines dans les forces et particulièrement sur la politique qui a consisté à intégrer d’anciens rebelles dans l’armée régulière.

Il est aussi revenu sur l’équipement et la formation des FAMA, dont il a souligné le manque de cohérence. Selon lui, l’hétérogénéité des équipements s’explique par une procédure d’acquisition biaisée par un manque cohérence globale et divers détournements. Quant à la formation des cadres maliens, elle a fait une large part à des stages de courte durée dans divers pays, ce qui n’a pas permis de constituer un savoir-faire commun aux officiers maliens. Cela plaide selon le ministre pour que le Mali choisisse un « partenaire stratégique pivot » pour l’équipement et la formation de ses forces. Dans l’immédiat, le Premier ministre a souhaité devant les membres de la mission que le dispositif européen de formation des militaires maliens (EUTM Mali), prévu pour former quatre GTIA (soit 2 800 hommes) en quinze mois, puisse être prolongé.

Le ministre a indiqué aux membres de la mission que ses services planifiaient, dans le cadre d’une programmation budgétaire quinquennale, la constitution de forces de sécurité de 25 000 hommes (Forces armées maliennes et garde nationale confondues), effectif minimal selon lui pour assurer un maillage militaire du territoire suffisant pour empêcher la reconstitution des groupes armés djuhadistes. Ce plan de développement reste toutefois en attente de validation par les autorités politiques. Les membres de la mission ont fait observer que ces efforts pourraient gagner en efficacité si l’enveloppe financière globale disponible pour la défense et la sécurité nationale était définie avant le format des armées, et non l’inverse.

Il est à noter que le bilan très critique qui est souvent fait des Forces armées maliennes mérite d’être nuancé par le jugement que portent sur certaines de leurs unités les généraux français rencontrés par les membres de la mission. Le général Barrera a ainsi estimé que le GTIA malien déployé dans la région de Gao était en état de combattre, sans besoin de la formation dispensée par l’EUTM Mali.

En vue de la revue stratégique de la mission EUTM Mali, prévue à l’automne 2013, plusieurs pistes de réflexion sont avancées pour permettre à la mission européenne de contribuer plus efficacement au renforcement de l’armée malienne :

– prolonger la mission d’un an, ce qui permettrait de former quatre GTIA supplémentaires, c’est-à-dire la quasi-totalité des effectifs de l’armée malienne ;

– assurer la continuité de l’entraînement en accompagnant les bataillons formés, l’idée étant de faire assurer une sorte de « service après-vente » de la formation par des équipes de contrôleurs opérationnels qui accompagneraient les Maliens dans leurs zones de déploiement, à l’image de ce que la France a commencé à faire en déployant des détachements d’assistance opérationnelle (DAO, cf. supra). Une telle proposition, qui n’irait pas jusqu’au mentoring tel qu’il est pratiqué sur d’autres théâtres, pourrait recueillir l’accord des États membres, qui est nécessaire dans la mesure où une telle extension des missions de l’EUTM suppose une révision des documents de planification de la mission ;

– étendre la formation à l’ensemble de la chaîne de commandement ;

– développer un pilier civil de soutien à la réforme du secteur de la sécurité, visant notamment à former la police, la gendarmerie et la garde nationale, en lien avec la composante civile de la MINUSMA.

Par ailleurs, selon les informations fournies par le ministère de la Défense, un accord de coopération militaire entre la France et le Mali serait envisagé, et pourrait être conclu dans quelques mois.

Pour vos rapporteurs, les efforts de reconstruction de l’État passent nécessairement par la désignation d’un pouvoir exécutif démocratiquement élu, seul à même de disposer de la légitimité et de l’autorité nécessaire, à la fois, pour mener à bien un processus de réconciliation nationale et restaurer l’autorité de l’État dans des régions où elle était, pour le moins, faible avant même la crise.

b. Les enjeux de développement économique

Considérant que le faible niveau de développement de certaines régions et la désorganisation du tissu économique rendent les populations locales inévitablement vulnérables aux trafiquants et aux groupes armés djihadistes, dans une logique d’économie de substitution, le développement économique constitue un enjeu-clé de la stabilisation post-crise du Mali.

De surcroît, les combats au Nord-Mali ont créé une situation humanitaire préoccupante, qui s’est aggravée récemment. Selon le Haut commissariat aux réfugiés, on compterait ainsi en mai 2013 plus de 300 000 déplacés internes et près de 175 000 réfugiés dans les pays voisins, principalement le Burkina Faso, le Niger et la Mauritanie. De nombreux acteurs humanitaires ont par ailleurs dû interrompre leurs actions dans les zones de combat, tandis que plusieurs États étrangers avaient suspendu tout ou partie de leurs programmes d’aide au développement à la suite du coup d’État de 2012.

L’enjeu est d’autant plus important que le Mali connaît une progression démographique très rapide : selon les évaluations disponibles, avec plus de six enfants par femme, sa population pourrait passer de 16 millions d’habitants aujourd’hui à près de 50 millions à l’horizon 2050.

Il faut donc souligner l’urgence qu’il y a à ce que les 3,25 milliards d’euros promis au Mali au titre de l’aide au développement, notamment à la suite de la conférence de Bruxelles, soient effectivement débloqués. Les Maliens le disent sans ambages : « pour reconstruire le Mali, il nous faut des moyens ».

Après la reconstruction de l’État dans ses missions régaliennes – avec notamment la mise en place de services douaniers suffisamment robustes pour lutter contre les trafics et la corruption qu’ils nourrissent – le redéploiement des services publics élémentaires – eau, électricité, structures sanitaires, infrastructures scolaires – constitue donc une priorité, mise en avant par les autorités civiles rencontrées à Gao par les membres de la mission d’information, qui ont pu mesurer combien la population locale appréciait la reconstruction, financée par la force Serval, du marché couvert de Gao. Symboliquement, ce marché porte le nom du lieutenant Damien Boiteux, premier mort français de l’opération.

Mme la présidente Patricia Adam. Je voudrais que vous précisiez comment s’est réalisée la coopération entre les forces armées, les forces spéciales et le renseignement.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. Les forces spéciales étaient sur place depuis longtemps et sont intervenues en premier, au déclenchement de l’opération. Elles sont effectivement un peu à part et une meilleure coordination pourrait peut-être se faire à l’avenir avec les forces conventionnelles. Elles ont accompli en tout cas un travail exceptionnel et magnifique.

M. Philippe Vitel. Les rapporteurs me semblent bien optimistes sur le soutien que nous ont apporté nos partenaires européens. Les Belges avaient par exemple fourni deux hélicoptères de soutien médical à l’EUTM qu’ils ont retiré en mai. Depuis quelques jours, ces deux hélicoptères ont été remplacés par des appareils d’une société privée sud-africaine. Que fait l’Europe ? Sommes-nous condamnés à de telles solutions ?

M. Jean-Jacques Candelier. Après un peu plus de six mois, force est de constater que l’intervention militaire française a été efficace et a stoppé l’avancée des islamistes. Alors que j’étais plutôt réservé initialement, cette intervention se distingue bien de celles des Américains en Irak, par exemple.

Les élections présidentielles approchent et sept candidats sur 28 ont souhaité retarder le scrutin. La France va diminuer le volume de ses troupes, qui vont se transformer en une sorte de force parallèle sous l’égide de l’ONU ? Quel sera son véritable rôle ?

M. Philippe Nauche, rapporteur. La difficulté que nous rencontrons avec les autres pays européens est que nous ne disposons pas des mêmes circuits de décisions et des mêmes règles d’engagement de nos forces. La solidarité financière et matérielle est en revanche effective, même si l’exemple cité par M. Vitel est problématique.

Le rôle des forces qui resteront après l’élection présidentielle est clair : il s’agira d’une mission d’appui à la MINUSMA, pour occuper physiquement le terrain et être capable de faire face à des imprévus.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. La mission des hélicoptères belges s’étendait du 29 janvier au 31 mai, ce qu’ils ont fait. La difficulté que rencontrent les Européens lorsqu’ils veulent participer à une opération militaire tient avant tout à nos Constitutions, qui divergent sur les autorités de décisions et les règles d’engagement. Les Allemands et les Danois doivent par exemple respecter un dispositif complexe d’autorisation par le Parlement avant la projection de leurs armées.

Nos forces doivent accompagner le processus électoral et seront réduites à un millier de personnels après les élections. Il ne faut pas non plus oublier que notre présence sur place doit tenir compte du fait que nous avons des otages sur place.

M. Marc Laffineur. Je suis surpris d’entendre les rapporteurs dire que nous avons été beaucoup aidés par nos partenaires européens ! En réalité, nous avons décidé d’intervenir seuls et nous n’avons pas été tellement aidés. Cela n’est d’ailleurs pas étonnant, car nous avions décidé unilatéralement de partir d’Afghanistan avant nos Alliés. Quant à la réalité des rares contributions, elle ne manque pas de poser question, notamment si l’on se réfère aux contraintes d’emploi de l’hôpital de campagne allemand déployé au seul profit de la mission de formation EUTM.

Il faudra s’en souvenir lorsque nous examinerons la loi de programmation militaire, qui amputera encore le budget de la défense.

Vous estimez que nous serons 1 000 à la fin de l’année, mais je suis persuadé que nous serons plus nombreux et que nous y resterons encore longtemps.

M. Jacques Lamblin. Vous avez souligné avec raison la qualité de l’intervention française dans un contexte difficile. Vous avez insisté sur l’efficacité de l’organisation qui a permis de projeter nos forces à plusieurs milliers de kilomètres de notre territoire.

Je voudrais aussi souligner la qualité de nos hommes et de leur encadrement, qui ont fait la preuve de leur motivation et de leur résolution. Si seulement toutes les missions régaliennes de l’État pouvaient être remplies de la même manière ! Nous devrons nous en souvenir lorsque nous examinerons la LPM.

Vous nous avez fait part de points faibles, notamment s’agissant des drones. Avez-vous décelé d’autres faiblesses, y compris en ce qui concerne les matériels individuels, pour lesquels un correctif pourrait rapidement être apporté sans mettre à mal les finances publiques ?

Mme la présidente Patricia Adam. Les moyens mis en œuvre sont ceux de la LPM qui se termine.

M. Yves Fromion. Ce qui montre bien le succès de cette loi !

Mme la présidente Patricia Adam. Vous savez que nos équipements ont une durée de vie d’une trentaine d’années et qu’il faut donc aussi se référer aux choix qui ont été effectués il y a plusieurs décennies. Nous aurons l’occasion d’en reparler à l’occasion de l’examen de la prochaine LPM.

Pour ce qui concerne l’opération Serval, il est important de souligner l’excellence de cette intervention, où nos forces ont utilisé parfaitement les matériels qui étaient à leur disposition.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. Vous pourrez prendre connaissance dans le rapport de l’inventaire du matériel utilisé, dont nous avons indiqué les faiblesses : certains véhicules de l’avant blindés (VAB) ont plusieurs dizaines d’années, les hélicoptères Gazelle ne sont pas assez protégés, comme en témoigne le décès survenu le premier jour, les Puma ont un rayon d’action insuffisant et les moyens cartographiques sont à améliorer… En revanche, l’armée dispose aussi de moyens extraordinaires tels que le Tigre, les avions de chasse et les avions de renseignement, les GBU (Guided Bomb Unit) qui sont d’une grande précision. Un Rafale a, par exemple, effectué un vol de 9h30, le vol le plus long jamais réalisé, avec cinq ravitaillements organisés depuis Nancy jusqu’à la cible. Tout ceci démontre que les matériels permettent un déploiement sans difficulté sur un théâtre situé à 4 000 km en dépit des lacunes capacitaires affichées clairement dans le Livre Blanc et qui feront l’objet d’une discussion lors la prochaine loi de programmation militaire.

M. Philippe Nauche, rapporteur. Je ne souhaite pas polémiquer avec Marc Laffineur mais j’observe que les trous capacitaires en matière de drones, d’avions de surveillance et de ravitailleurs, comblés par nos alliés, dont les États-Unis et le Canada, sont tout de même le résultat de la précédente loi de programmation militaire qui n’a pas été complètement exécutée. Il convient donc de regarder cela avec raison.

M. Joaquim Pueyo. Certains de nos collègues semblent contester l’intervention de l’Europe et je souhaite introduire quelques nuances. En l’occurrence, la diplomatie française a parfaitement joué son rôle. La France a décidé seule d’intervenir au Mali, l’Union européenne a approuvé l’intervention et des pays nous ont prêté main-forte. Que pouvait-on souhaiter de plus ? La France a ensuite soutenu la mise en place de missions internationales pour l’après intervention et la stabilisation et la sécurisation du pays.

Vous avez évoqué le matériel mais vous avez aussi rencontré les hommes du rang. Pouvez-vous, compte tenu de la spécificité de l’environnement, nous donner des informations sur l’état moral et physique des soldats ? Le nombre d’hommes va passer de 3 000 à 1 000, le sas de décompression a-t-il été mis en place à Chypre et que savez-vous d’éventuels traumatismes physiques ou psychiques ? J’ai eu l’occasion de rencontrer le 13 juillet le 2e RIMa dont la 1ère compagnie de retour du Mali a défilé à Alençon, et mon impression a été positive, êtes-vous en mesure de la confirmer ?

M. Bernard Deflesselles. Je m’associe aux félicitations des rapporteurs et je souhaite apporter un témoignage en tant que membre de cette mission, qui fut particulièrement enrichissante en raison de la qualité des auditions que nous avons menées sur place, mais aussi avec le chef d’état-major de l’armée de terre, avec le général commandant les opérations spéciales, ou ici-même avec le président de l’Assemblée nationale du Mali et des représentants maliens, et dont l’excellent niveau nous a aidé à la compréhension de la situation. Notre déplacement sur place avait un objectif militaire, celui de conforter les soldats français et d’observer les conditions dans lesquelles s’exerçait leur mission. Nous avons été remarquablement accueillis et nous avons pu comprendre comment 4 000 hommes avaient pu être projetés en un temps record, avoir un éclairage sur les opérations spéciales, rendre visite à la MISMA et rencontrer les représentants de l’Union européenne, qui a envoyé 550 hommes chargés de la formation de plusieurs brigades. Notre conviction sur la qualité de nos soldats en a été renforcée. Dans le cadre de l’objectif politique de cette mission, des discussions ont eu lieu avec le Premier Ministre, le ministre de la Défense et des anciens combattants, des représentants du Parlement malien qui nous ont permis d’apporter, modestement, notre pierre à l’édifice.

Deux enseignements, déjà mentionnés par les rapporteurs, sont à tirer : d’une part, la France est en mesure d’aider un pays ami à maintenir la démocratie et à organiser l’élection du 28 juillet prochain et, d’autre part, le retour d’expérience sur l’équipement permet de mettre en lumière les points positifs, le Tigre, le VCBI, le canon CAESAR, qui fut très apprécié, et négatifs, le trou capacitaire en matière de drones, de Puma, de Gazelle.

Nous avons devant nous un débat important dans le cadre de la prochaine LPM qui portera sur la capacité de la France à conduire des missions similaires à l’avenir.

M. Philippe Nauche, rapporteur. L’état d’esprit des personnels militaires rencontrés est très positif, lié au sentiment du devoir accompli et d’avoir participé à une œuvre utile dont les résultats sont visibles.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. Il y a eu de nombreuses évacuations sanitaires, principalement dues à de très graves insolations ; les soldats ne pouvaient tenir plus de quelques jours en situation de combat dans l’Adrar des Ifoghas. Des chocs psychologiques ont été enregistrés notamment chez des légionnaires aguerris qui se sont trouvés face à de tout jeunes soldats drogués qu’ils n’ont, en dépit de leurs efforts, pas toujours pu épargner.

Nous nous sommes rendus avec Mme la Présidente à Lyon-Mont Verdun où nous avons pu apprécier la coordination depuis la France de la logistique aérienne, grâce à des moyens de commandement peu visibles, mais indispensables à l’organisation de l’opération.

Le sas chypriote, mis en place pour les soldats de retour d’Afghanistan, a été activé et a vu passer 1 000 personnes de retour du Mali.

M. Yves Fromion. La meilleure façon de juger de la qualité d’une loi de programmation militaire est d’apprécier la valeur de l’outil militaire qui en est issu. Le Mali, et l’Afghanistan, démontrent que la France dispose d’un outil militaire de premier plan, ce que personne ne peut contester. Les soldats, et pas seulement les légionnaires, se sont trouvés dans l’Adrar des Ifoghas face à des guerriers fanatisés dans des situations comparables à celles de Verdun, face à face, à bout portant, et ont accompli des actions extraordinaires, en tenant psychologiquement, comme me l’ont rapporté des médecins militaires. L’état de l’armée française témoigne ainsi du résultat des lois de programmation militaire et, en dépit des lacunes identifiées, d’une valeur dans l’emploi sur le terrain remarquable et comparable aux meilleures armées du monde et que beaucoup peuvent nous envier. On ne rendra jamais suffisamment hommage à ces hommes et ces femmes qui ont quitté leur unité du jour au lendemain pour se battre et il convient de féliciter les chefs capables de les encadrer ainsi.

Comment la sécurité dans le nord va-t-elle être assurée ? Les élections vont-elles pouvoir se dérouler sereinement dans cette partie du pays ? Comment s’articule l’action de nos forces avec la recherche des otages français, qui peuvent paraître oubliés dans les médias, et existe-t-il des perspectives de libération ?

Mme la présidente Patricia Adam. Les otages ne sont pas oubliés, y compris dans les médias. Le Gouvernement, le Parlement, la population ne les oublient pas mais dans cette affaire la prudence et la confidentialité sont essentielles.

M. Yves Fromion. Je tiens à répondre car je suis mis en cause personnellement. Je n’ai pas dit qu’il s’agissait du Gouvernement mais des médias, je tiens à ce que mon propos soit rapporté exactement.

Mme la présidente Patricia Adam. Les médias apprécieront.

M. Gilbert Le Bris. J’ai apprécié la mise au point de Mme la Présidente, utile pour la sérénité de nos débats. La parole a toujours été libre ici, hier et aujourd’hui, et j’estime, au regard d’interventions précédant celle de M. Fromion, qu’elle doit continuer à être celle d’une commission de travail et non celle d’un meeting électoral.

Je reviens d’une réunion de l’assemblée parlementaire de l’OTAN à Washington, où j’ai été très surpris de constater que nos collègues de commissions analogue à la nôtre dans des pays ayant participé à l’opération au Mali, Canada, Belgique, Pologne, Pays-Bas, etc., ne sont pas, comme nous l’avons été, informés de l’action d’appui de leur pays, dont ils ignoraient parfois l’existence. Cette observation est à prendre en compte dans la perspective d’une Europe de la défense plus pertinente.

Trois thèmes ont été abordés : le rétablissement de la sécurité assuré par la France, le rétablissement économique qui est en cours et auquel participent plusieurs pays, le rétablissement démocratique pour lequel des doutes subsistent chez nos partenaires et sur lequel doivent porter nos efforts.

Je souhaite dire à nos rapporteurs qu’il convient de mentionner le rôle des Atlantique de l’aéronavale dans l’opération malienne, qui se sont, pour partie, substitués aux drones qui nous ont manqué. Il faudra en tirer les conséquences dans la prochaine LPM.

Sait-on où se trouvent les djihadistes chassés du Mali ?

Mme la présidente Patricia Adam. Nous pourrons, une fois le rapport publié, adresser à chaque pays une lettre de remerciements pour l’action menée, signée des deux rapporteurs et de moi-même, ce qui pourra permettre à chacune des commissions de se saisir de cette question si elle le souhaite.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. Les ambassadeurs que nous avons rencontrés au cours des auditions ont tous remercié notre pays dont ils ont reconnu l’action exceptionnelle. Nous sommes partis seuls mais les premiers soutiens, belges notamment, sont arrivés très vite, chaque pays étant soumis au délai imposé par ses règles constitutionnelles.

Beaucoup de djihadistes ont disparu, certains ont coupé leur barbe et sont rentrés chez eux ; certains ont, parfois, été dénoncés par la population. Lors de notre visite au Mali, 647 arrestations avaient déjà eu lieu. D’autres djihadistes sont partis à l’étranger, notamment en Libye. Il s’en trouve également dans le nord du pays où a eu lieu le dernier incident avec les forces spéciales ; un français, originaire de Bretagne, a d’ailleurs été capturé au prix d’une opération ayant mobilisé des moyens importants. Parallèlement, la recherche des otages se poursuit mais nous ne disposons d’aucune information à ce sujet.

M. Philippe Nauche, rapporteur. L’essentiel de nos troupes se trouve dans le Nord, où la sécurité est assurée aussi par la MINUSMA et 200 soldats maliens entrés dans Kidal. Il s’agit d’un équilibre subtil entre ce que peuvent accepter les Touaregs et les exigences de l’État malien en espérant que les élections dans le Nord, qui représente une faible partie du corps électoral mais un poids politique important, se passeront dans de bonnes conditions.

M. François de Rugy. Si nous portons tous une appréciation favorable sur le succès de cette opération, il convient de rester prudent quant aux conséquences politiques durables pour lesquelles un bilan est prématuré.

Il me semble que le jugement exprimé sur la participation européenne est optimiste car il ne s’est pas seulement agi d’un problème de processus de décision politique mais bien d’un problème de volonté politique. Ainsi nos homologues Verts allemands, qui sont favorables à ce type d’intervention, m’ont indiqué que la participation allemande n’était pas portée politiquement, a fortiori à quelques mois des élections législatives de septembre. Reconnaissons donc qu’il n’y a pas de communauté d’intérêt et de destin sur ces questions.

Pouvez-vous m’indiquer quelle a été au cours des six derniers mois l’implication de l’armée malienne, celles des Touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), auxquels aurait été « sous-traitée » par l’armée française la reprise de Kidal, et celles des forces africaines ?

Combien de soldats français sont-ils appelés à rester au Mali, pour combien de temps et pour quel coût ?

Pour ce qui concerne les enseignements qui devront être tirés dans le cadre de la future LPM, il conviendra d’être plus précis que dans le Livre blanc, ce dernier se bornant à indiquer que « la LPM devra organiser le comblement de ces lacunes et leur mise en œuvre » ce qui est trop général au regard des choix stratégiques et budgétaires qui s’imposeront.

M. Serge Grouard. Je salue tout d’abord l’excellence des personnels militaires français, déjà démontrée dans d’autres opérations.

L’Union européenne, alors même qu’il existe un véritable consensus sur la lutte contre le terrorisme, est passée totalement à côté d’une occasion d’exister politiquement. Tout le monde a suivi les États-Unis quand il s’est agi de l’Afghanistan mais personne n’a suivi la France au Mali. Je ne mets pas en cause la diplomatie française, car les raisons sont malheureusement bien plus profondes et il faut impérativement se poser la question de l’existence politique de l’Europe.

On entend en permanence dire dans cette commission que de précédentes lois de programmation militaire ont été mal appliquées, mal réalisées. Or j’ai eu l’occasion de travailler au sein du ministère de la Défense pendant de nombreuses années sur ces lois de programmation et je suis en mesure de vous indiquer que la précédente a été l’une des mieux appliquées de la Ve République. Il convient donc de cesser de dire qu’elle a été mal appliquée alors qu’elle l’a été à environ 95,5 %...

Mme la présidente Patricia Adam. Pouvons-nous nous concentrer sur le thème d’aujourd’hui ? Un rapport sur le sujet que vous évoquez a été présenté la semaine dernière, un prochain rapport abordera en septembre un autre aspect de l’application de la LPM, vous pourrez alors en débattre.

M. Serge Grouard. J’ai salué l’excellence de nos militaires mais je souhaiterais qu’il soit procédé à une évaluation de l’intensité de l’opération. Sans porter atteinte à quiconque, je pense qu’il s’agit a priori d’un conflit de faible intensité, ce que vous voudrez bien me confirmer. J’ai le sentiment que, dans un conflit de relativement faible intensité, nos soldats compensent par leur excellence la faiblesse de nos moyens. Ce serait donc une erreur de se servir de cette opération pour évaluer les moyens nécessaires aux forces et il faudra anticiper un conflit de plus forte intensité. Ceci n’est pas nouveau car les moyens baissent depuis 30 ans et nous arrivons aujourd’hui à l’étiage, peut-être même en dessous.

M. Philippe Nauche, rapporteur. La notion d’intensité est assez difficile à manier et les matériels dont était doté l’ennemi au cours de l’opération Serval ne peuvent en rendre compte à eux seuls. Il convient en effet de s’attacher aussi à la détermination extrême de l’adversaire lors des combats. La notion d’intensité prend également tout son sens lors de cette opération au travers de la véritable prouesse logistique et de la maîtrise de distances. À l’exception de quelques problèmes ponctuels, la logistique a suivi et permis le rythme des opérations.

S’agissant de l’Europe de la défense, l’état de coopération au cours de l’opération Serval reflète l’état présent de la culture commune de défense. D’ailleurs, si nous déplorons les retards de l’Europe de la défense, nous revendiquons dans le même temps l’autonomie nationale de décision pour l’engagement de l’opération. Il faut donc dresser un bilan honnête : l’autonomie complète de décision, dans un cadre de légalité internationale, implique aussi d’accepter que les autres États n’aient pas les mêmes règles de décision, tout en saluant leur apport. Au demeurant, les forces engagées au Mali ont sans doute trouvé plus aisé d’opérer dans un cadre national plutôt que dans un cadre multinational, dans lequel la multiplicité des autorités de décision et des règles d’engagement n’aurait pas été adaptée au terrain et à la mission.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. L’intensité des combats a été considérable, ce dont témoigne la consommation de munitions d’aviation et d’artillerie. La reprise de Gao a donné lieu à des combats de rue très violents, tandis que dans l’Adrar des Ifoghas ont eu lieu pratiquement des corps à corps ainsi que des affrontements de tireurs d’élites. Si l’on compare avec l’intervention en Afghanistan, l’opération Serval a été plus courte mais plus brutale, et les pertes rapportées à la durée des opérations sont supérieures au Mali.

M. Yves Fromion. La question portait davantage sur la dissymétrie des matériels en présence.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous invite à relire le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui apporte nombre de réponses à cette question.

Mme Marie Récalde. Je salue à mon tour nos soldats engagés dans cette opération. Ma première question porte sur les forces spéciales et le partage du renseignement. Faut-il renforcer les capacités de renseignement du COS, tant en hommes qu’en matériels ? Cela pourrait passer par l’intégration en son sein d’unités comme le CPA 10 et le CPA 30. Il est nécessaire de maintenir l’autonomie budgétaire des forces spéciales, afin de pouvoir permettre l’acquisition de matériels très spécifiques en petites séries. Je considère également qu’il est important que les parlementaires se rendent auprès de nos forces sur les théâtres d’opération, tant pour leur témoigner notre soutien que pour nous informer.

Disposez-vous d’information sur le statut juridique et le devenir des prisonniers faits par nos forces au cours de l’opération, puis remis aux autorités maliennes ?

M. Nicolas Dhuicq. Par-delà l’éthique, le courage et le professionnalisme des soldats français, plusieurs questions se posent dans le cadre de cette opération. La première est que le Mali est un pays divisé, sans accès à la mer ni matières premières. Je m’interroge d’ailleurs sur cette volonté de maintenir des frontières artificielles héritées de la colonisation, et nous n’avons pas fini de connaître des déboires en Afrique si nous continuons sur cette voie. Nous sommes en plein paradoxe, car nous continuons à parler de souveraineté alors que le ministre de la Défense annonce l’acquisition de drones américains. Si l’on se réfère à l’échec de la « germanisation » de drones américains par l’Allemagne, avec un coût de 500 millions d’euros, on peut s’interroger sur le projet de « francisation » de dix des drones que nous allons acquérir. Il y a également une interrogation sur le choix crucial à effectuer entre les ravitailleurs en vol et l’A400M Atlas. Je doute également de la cohérence du raisonnement lorsque l’on annonce des suppressions de postes supplémentaires dans le domaine du soutien, alors même que la projection de nos hommes ne s’est pas faite dans des conditions aussi satisfaisantes qu’on veut bien le dire et que sur le terrain ils ont parfois manqué de l’essentiel. Je pense que le Livre blanc est dénué de toute pensée géostratégique. Nous nous trouvons face à la question fondamentale de savoir si le pays sera encore capable d’intervenir au sol dans les années qui viennent, en faisant pour cela les efforts budgétaires nécessaires, ou si Serval est le chant du cygne des opérations au sol.

M. Philippe Meunier. Cette mission d’information souligne le rôle indispensable de notre commission pour le maintien du lien entre l’armée et la Nation. Le pouvoir politique savait que nous faisions face à des hommes surarmés, mais nous avons attendu pendant des mois sans prendre de mesures pour mettre en place un dispositif davantage durci. Est-ce dû aux déclarations du Président de la République annonçant que nous n’interviendrions pas militairement au Mali, ou bien s’agit-il d’un problème capacitaire ? Nos alliés européens ne nous ont guère suivis, mais n’est-ce pas parce qu’ils ont été eux-mêmes surpris par notre intervention militaire, en contradiction avec les déclarations politiques ayant précédé pendant des mois ? Enfin, combien de combattants djihadistes ont-ils été éliminés et combien en reste-t-il ?

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. Les forces spéciales ont effectué un magnifique travail ; elles sont intervenues dès le premier jour, et en ont payé le prix, le premier tué à l’ennemi provenant de leurs rangs. Il est indispensable qu’elles continuent à bénéficier d’un statut particulier. Il existe sans doute des marges de progression en termes de coordination avec l’action des autres composantes. S’agissant des frontières du Mali, elles s’expliquent largement par l’héritage de la décolonisation et il ne nous appartient pas d’y porter atteinte.

M. Philippe Nauche, rapporteur. La Mali ne dispose peut-être pas de ressources naturelles, mais c’est un pays allié et c’est à la demande de son chef de l’État que nous sommes intervenus. Quant à l’anticipation de la crise, il faut bien souligner que c’est cette demande, à la suite de l’offensive djihadiste vers le sud, qui a changé la donne. En outre, beaucoup de forces avaient été pré positionnées dans la région et les militaires avaient dressé des plans ; mais rares sont les observateurs qui auraient parié sur l’erreur stratégique des groupes djihadistes armés de marcher sur Bamako… Sur les pertes de l’adversaire, le nombre de tués est évalué à plusieurs centaines, et il est par définition difficile de savoir précisément combien de djihadistes se sont échappés vers d’autres zones ou se sont fondus dans la population.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. Les prisonniers faits sur place ont été remis à la justice malienne, à l’exception de ceux de nationalité française, qui sont traduits devant la justice française.

Mme la présidente Patricia Adam. N’oublions pas que le Mali dispose de quelques minerais rares. Il se trouve en outre sur une route de narcotrafic, bénéficiant aux groupes djihadistes.

M. Christophe Guilloteau, rapporteur. Je précise pour terminer que les cartes d’électeur pour les prochaines élections au Mali, hautement sécurisées, ont été réalisées en un temps record par une entreprise française.

La Commission autorise à l’unanimité le dépôt du rapport de la mission d’information en vue de sa publication.

ANNEXES

ANNEXE 1

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS

Ø M. Arnaud Danjean, président de la Sous-commission « sécurité et défense » au Parlement européen

Ø Ambassade de Pologne en France – S. Excellence M. Tomasz Orłowski, Ambassadeur, et Mme Joanna Pawelek-Mendez, conseiller sécurité de défense

Ø M. Michel Miraillet, directeur chargé de la délégation aux affaires stratégiques

Ø Général Christophe Gomart, commandant des opérations spéciales

Ø Ambassade de Norvège en France – capitaine de vaisseau M. Torbjørn Eidal, attaché de défense, et M. Øyvind Hernes, Premier secrétaire aux affaires politiques

Ø Ambassade d’Allemagne en France – S. Excellence Mme Susanne Wasum-Rainer, Ambassadeur, et le général Werner Weisenburger

Ø Ambassade du Danemark en France – M. Jens Ole Rossen-Jørgensen, colonel et attaché de défense auprès de l’Ambassade, et M. Christian Fich, ministre conseiller

Ø Général Denis Mercier, chef d’état-major de l’armée de l’air, général Jean Borel, et colonel Thierry Garreta

Ø Général Bertrand Ract Madoux, chef d’état-major de l’armée de terre

Ø Ambassade de Belgique – M. Henk Robberecht, général major, état -major des forces armées belges, et M. Jan Bayart, Ministre Conseiller, Ambassade de Belgique à Paris

Ø Général Philippe Chalmel, attaché de défense de l’ambassade de France à Berlin

Ø Délégation à l’information et à la communication de la défense  – M. Pierre Bayle, directeur

Ø État-major des armées – colonel Thierry Burkhard, conseiller communication du chef d’État-major des armées

ANNEXE 2

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES PAR LES RAPPORTEURS
LORS DE LEURS DÉPLACEMENTS

1. Au Mali :

Ø M. Diango Cissoko, Premier ministre

Ø M. Younoussi Touré, président de l’Assemblée nationale

Ø Général Yamoussa Camara, ministre de la Défense de la République du Mali

Ø M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense de la République française

Ø M. Ousmane Sy, secrétaire général de la présidence de la République

Ø Général Grégoire de Saint-Quentin, commandant de la force Serval

Ø Général Bernard Barrera, commandant de la brigade Serval, son état-major et les responsables des principales unités présentes à Tessalit et à Gao

Ø M. Gilles Huberson, ambassadeur de France, et ses conseillers

Ø Mission EUTM Mali colonel Vincent Roué, chef d’état-major de l’EUTM

Ø École de Maintien de la Paix Alioune Blondin Beye Général Mahamane Touré, directeur général

Ø Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) Général Shehu Abdulkadir, commandant de la Mission, et son état-major

2. À Bruxelles :

Ø Parlement européen M. Elmar Brok, président de la commission des affaires étrangères

Ø Service européen d’action extérieure (SEAE) M. Pierre Vimont, secrétaire général, et le général Yves de Kermabon, conseiller spécial du secrétaire général pour la politique de sécurité et de défense commune (PSDC)

Ø Comité militaire de l’Union européenne – Général Patricki de Rousiers, président

3. Au Centre de de planification et de conduite des opérations (CPCO) :

Ø Vice-amiral Franck Baduel, chef du CPCO

Ø Capitaine de vaisseau Pierre Vandier

Ø Colonel Philippe Susnjara

Ø Colonel Philippe Gueguen

4. Au Centre multimodal des transports (CMT) :

Ø Général Philippe Boussard, commandant du centre multimodal des transports

Ø Colonel Michel André, commandant en second du centre multimodal des transports

1 () N° 139 (printemps 2013), Drogues,mafias et trafics, Christophe Champin.

2 () Wolfram Lacher, Organized Crime and Conflict in The Sahel Sahara Region, Carnegie Endowment for international Peace, septembre 2012.

3 () Les accords d’Alger du 4 juillet 2006 rappellent les promesses du Pacte national du 11 avril 1992 (intégration massive des combattants rebelles dans les forces armées ; création d’un statut particulier pour les régions de Gao, Tombouctou et Kidal et création d’un Fond de développement et d’un Fond d’indemnisation contre l’abandon de toute revendication sécessionniste) et prévoient le désarmement des combattants.

4 () Cf. Partie II.

5 () Dernière attaque à Tombouctou les 30 et 31 mars 2013.

6 () Trafiquants et recrues de toutes origines ethniques ou idéologiques.

7 () Mali, Niger, Tchad, Mauritanie, Algérie, Maroc, Tunisie, Nigeria, Sénégal et Burkina-Faso.

8 () Audition du 20 février 2013.

9 () Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest.

10 () À l’Assemblée nationale, la poursuite de l’intervention a été autorisée par 342 voix (352 députés ont participé au vote, 10 se sont abstenus), au Sénat par 326 voix (347 sénateurs ont participé au vote, 19 se sont abstenus).

11 () JFACC AFCO (Joint Forces Air Component Command de l’Afrique Centrale et Ouest). Cette structure, répartie entre Lyon et N’Djamena, a pour mission de planifier et de conduire l’ensemble des missions aériennes dans un cadre interarmes et multinational au profit des différentes opérations et forces stationnées en Afrique centrale et de l’ouest (SERVAL, EPERVIER, LICORNE, BOALI, FFG, EFS).

12 () Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, sur la situation au Mali, commission de la défense nationale et des forces armées, 23 janvier 2013.

13 () Commandement des opérations spéciales.

14 () Groupement tactique interarmes. Formés à partir des régiments d’infanterie, de cavalerie, du génie et d’artillerie, comprenant entre 500 et 1 500 combattants, les GTIA sont les unités tactiques de combat des forces terrestres qui sont projetées en opérations extérieures.

15 () Groupement aéromobile.

16 () Audition du 3 avril 2013.

17 () Audition du 20 février 2013.

18 () Improvised Explosive Device.

19 () Sous-groupement tactique interarmes.

20 () Intelligence – surveillance – reconnaissance.

21 () Air Interdiction : détection lointaine d’objectifs préparés.

22 () Ground Control Station (cockpit).

23 () Command and Control.

24 () Transport tactique, assaut, livraison par air, EVASAN.

25 () Air Point of Debarquement.

26 () Deployed air intelligence center.

27 () Multi-rôle

28 () Show of force.

29 () Show of presence.

30 () Forces armées tchadiennes d’intervention au Mali (FATIM).

31 () L’OTAN classe les structures médicales en quatre catégories, appelées « rôles » : « rôle 1 » désigne un poste de secours intégré aux unités combattantes, dans une logique de médicalisation de l’avant ; « rôle 2 », une antenne chirurgicale dotée d’un bloc opératoire et placée au plus près des troupes ; « rôle 3 », un hôpital de campagne, dit aussi groupement médico-chirurgical (GMC) ; « rôle 4 », un hôpital de métropole vers lequel les blessés sont rapatriés pour des soins lourds ou de longue durée.

32 () Cour des comptes, Le bilan à mi-parcours de la loi de programmation militaire, rapport public thématique, juillet 2012.


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