N° 1353 - Rapport d'information de Mme Geneviève Gosselin-Fleury et M. Damien Meslot déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission de la défense nationale et des forces armées, en conclusion des travaux d'une mission d'information sur la mise en oeuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la Défense





N° 1353

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 septembre 2013.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES

en conclusion des travaux d’une mission d’information (1)

sur la mise en œuvre et le suivi
de la
réorganisation du ministère de la Défense

ET PRÉSENTÉ PAR

MME Geneviève GOSSELIN-FLEURY et M. Damien MESLOT,

Députés.

——

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

La mission d’information sur la mise en œuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la Défense est composée de :

Mme Geneviève Gosselin-Fleury et M. Damien Meslot, rapporteurs ;

MM. Richard Ferrand, Daniel Boisserie, Alain Chrétien et Francis Hillmeyer, membres.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 7

PREMIÈRE PARTIE – BILAN DU PLAN DE RÉFORME MIS EN œUVRE À PARTIR DE 2008 9

I. UNE RÉFORME AMBITIEUSE, CONSTITUANT UN VÉRITABLE « CHOC CULTUREL » 9

A. LES PRINCIPAUX OBJECTIFS DE LA RÉORGANISATION DU MINISTÈRE FIXÉS EN 2008 SONT GLOBALEMENT ATTEINTS – OU EN PASSE DE L’ÊTRE 9

1. La réforme : un ensemble de mesures de réorganisation qui fait porter l’essentiel de l’effort d’économies sur les soutiens 9

a. Un ambitieux programme d’ensemble 9

b. Un programme qui fait peser l’essentiel des économies sur les soutiens 12

2. Les principaux objectifs de la réorganisation du ministère fixés en 2008 sont globalement atteints – ou en passe de l’être 13

a. La déflation des effectifs suit globalement le rythme prévu 13

b. La nouvelle organisation interarmées du soutien a été mise en place, et les armées se l’approprient progressivement 14

i. La réorganisation de la chaîne de soutien et la généralisation du modèle des bases de défense 14

ii. La réorganisation des soutiens spécialisés et des services transverses 21

iii. La restructuration de la fonction « ressources humaines » 22

iv. La réorganisation des systèmes d’information 23

c. La modernisation des pratiques de gestion 24

d. La réforme a constitué un « choc culturel » que les armées surmontent progressivement 25

B. LA MÉTHODE RETENUE POUR LA MISE EN œUVRE DES RÉORGANISATIONS A GLOBALEMENT DONNÉ SATISFACTION 29

1. Un pilotage administratif original, qui a été adapté et renforcé au fil de la mise en œuvre de la réforme 29

a. Un dispositif de gouvernance ad hoc pour un suivi de la réforme centralisé au plus haut niveau 29

b. Des capacités d’expertise adaptées et renforcées au fil de la mise en œuvre de la réforme, notamment en matière financière 30

2. Des dispositifs ad hoc d’accompagnement social et territorial des restructurations, que les acteurs ont su s’approprier 32

a. Les mesures d’accompagnement social 32

b. Les mesures d’accompagnement territorial 34

i. Un plan de redynamisation territoriale organisé de façon à adapter les actions de redynamisation aux besoins locaux 34

ii. Des outils que les acteurs locaux ont su s’approprier 37

II. DES INSUFFISANCES – VOIRE DES ÉCHECS – QUI S’EXPLIQUENT EN PARTIE PAR UN CONTEXTE FINANCIER PARTICULIÈREMENT DIFFICILE 41

A. UNE ÉQUATION FINANCIÈRE FRAGILE AB INITIO ET DÉSTABILISÉE PAR UNE MASSE SALARIALE ET DES RECETTES EXCEPTIONNELLES MAL MAÎTRISÉES 41

1. Une équation financière fragile, reposant sur des mesures d’économies difficiles à évaluer en prévision comme en réalisation 41

a. Des prévisions incomplètes et parfois « normées » 41

b. Des réalisations parfois difficiles à évaluer 42

2. Une équation financière déstabilisée par une masse salariale et des recettes exceptionnelles mal maîtrisées 43

a. Des recettes exceptionnelles dont la réalisation s’éloigne fortement des prévisions, tant du point de leur volume que de leur calendrier 43

i. Les recettes liées à la cession de bandes de fréquence hertzienne : un retard important, mais un produit supérieur aux prévisions 44

ii. Les recettes liées à la cession d’actifs immobiliers : un retard important, et un produit incertain 45

b. Une masse salariale qui continue de croître en dépit des déflations drastiques opérées dans les effectifs du ministère 47

i. Une tendance au repyramidage des effectifs 48

ii. Le « glissement vieillesse technicité » (GVT) et les mesures statutaires de revalorisation de la condition militaire intervenues depuis 2009 50

iii. La dynamique des dépenses dite « hors socle » 52

iv. La « civilianisation » encore limitée des effectifs du ministère, notamment dans les fonctions de soutien 53

3. Une avancée inégale des différents projets de restructuration, avec un retard globalement plus marqué pour les projets informatiques 55

a. Des chantiers qui restent à poursuivre pour atteindre l’effet escompté 55

b. Le retard pris dans le déploiement des systèmes d’information nécessaires à l’accomplissement des réformes 56

4. Une impécuniosité qui complique la mise en œuvre des réorganisations et affecte le moral des armées 57

a. La sous-dotation budgétaire chronique des bases de défense et ses conséquences sur leur fonctionnement quotidien 58

b. La « disette budgétaire » et ses conséquences sur le moral des armées et l’adhésion des personnels à la réforme 62

5. Une nouvelle architecture de la chaîne de soutien dont l’organisation laisse subsister des incohérences 64

a. Un pilotage encore séparé des soutiens communs d’une part, et des autres soutiens d’autre part 64

b. Des échelons régionaux dont le mode de fonctionnement, voire l’utilité, sont parfois remis en question 67

6. Une opération majeure qui mériterait davantage de transparence : Balard 70

7. Un véritable scandale : Louvois 73

a. Pourquoi Louvois ? Atermoiements et vicissitudes dans la réforme de la chaîne ressources humaines-solde 74

i. La genèse de Louvois 74

ii. Les dysfonctionnements de l’écosystème Louvois 81

b. Pourquoi l’écosystème Louvois est-il défaillant, et qui en est responsable ? Multiplicité des causes et dilution des responsabilités 85

i. Les causes des dysfonctionnements de l’écosystème Louvois 85

ii. Les responsabilités dans les dysfonctionnements de Louvois 102

c. La gestion actuelle de la crise provoquée par les dysfonctionnements de l’écosystème Louvois 107

i. Le dispositif mis en place pour gérer la crise 107

ii. Les problèmes que ne règlent pas les mesures palliatives prises en urgence dans le cadre du plan d’action ministériel 111

d. Comment en finir avec les déboires ? Les voies de sortie de crise 113

i. Les options envisageables pour sortir de la crise 113

ii. Les conséquences durables et les leçons de la crise 115

SECONDE PARTIE – ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION POUR LES RÉFORMES À VENIR 119

I. LE NOUVEAU TRAIN DE RÉORGANISATIONS QUI DÉCOULERA DE LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE 2014–2019 DEVRA ÊTRE MENÉ DANS UN CONTEXTE PARTICULIÈREMENT CONTRAINT 121

A. LE LIVRE BLANC OUVRE LA VOIE À DES NOUVELLES MESURES DE RÉORGANISATION, SANS FONDAMENTALEMENT REMETTRE EN CAUSE LES STRUCTURES MISES EN PLACE DEPUIS 2008 121

1. Le Livre blanc de 2013 et le projet de loi de programmation militaire ouvrent à la voie à de nouvelles restructurations 121

a. Le Livre blanc a prévu une nouvelle contraction du format des armées 121

b. Le projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 organise un nouveau plan de déflation des effectifs du ministère 122

2. Les principales structures mises en place à partir de 2008 ne sont pas fondamentalement remises en cause 123

B. LES MARGES DE MANœUVRE SONT LIMITÉES 124

1. Les principales marges de manœuvre financières disponibles à structures constantes ont déjà été exploitées 124

2. L’adhésion des personnels constitue un véritable enjeu pour la réussite de nouvelles réorganisations 125

a. Les réorganisations supposent des « manœuvres RH » complexes 125

b. Un effort de revitalisation du dialogue social est indispensable pour renforcer l’adhésion des personnels du ministère à la réforme 128

II. LES RETOURS D’EXPÉRIENCE DES RESTRUCTURATIONS RÉCENTES EN FRANCE OU À L’ÉTRANGER OFFRENT DES ENSEIGNEMENTS UTILES POUR LA CONDUITE DES RÉORGANISATIONS À VENIR 129

A. LES EXTERNALISATIONS NE SONT PAS UNE PANACÉE 129

1. Plusieurs externalisations ont été conduites ces dernières années 129

a. Les externalisations menées en vue de réduire les coûts afférents au soutien des forces 130

b. Le cas spécifique des forces françaises aux Émirats arabes unis 136

2. Le recours à l’externalisation a toutefois ses limites 137

a. Les limites financières des externalisations 137

b. Les limites des externalisations du point de vue du service rendu au ministère de la Défense 139

B. LA « MANœUVRE RH » DOIT ÊTRE PILOTÉE AVEC PRÉCAUTION 140

1. Une refonte du référentiel des effectifs en organisation (REO) est souhaitable en vue d’optimiser l’emploi d’un personnel plus réduit sans perdre de compétences 140

a. Une refonte du référentiel des effectifs en organisation doit permettre de clarifier les objectifs de civilianisation des soutiens 141

b. Une refonte du référentiel des effectifs en organisation (REO) doit permettre de mieux identifier les compétences que le ministère doit conserver, et cibler en conséquence les aides au départ 142

2. Une organisation plus robuste de la « chaîne RH » est nécessaire pour mener à bien la « manœuvre RH » sous-tendant les restructurations à venir 142

EXAMEN EN COMMISSION 145

ANNEXE : Liste des personnes auditionnées par la mission d’information 151

INTRODUCTION

« Le budget est ma loi ; il faut se conformer parce que les finances, de toutes les branches de l’administration, sont la première de mes affaires ».

Napoléon Ier, lettre à M. Fouché, Fontainebleau, 18 octobre 1807.

Le plan de réorganisation du ministère de la Défense mise en œuvre à partir de 2008 est un bloc : il rassemble, dans un programme de réformes et sous un pilotage administratif ad hoc, un ensemble de mesures qui découlent tant de la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 que de la révision générale des politiques publiques.

Le présent rapport a donc pour objet d’en dresser un bilan d’ensemble, dans la lignée des travaux entrepris sous la précédente législature par MM. François Cornut-Gentille et Bernard Cazeneuve, et dans la perspective de la prochaine loi de programmation militaire.

Ce rapport recense ainsi les réussites de ce vaste et ambitieux programme de réforme – force est de constater que les armées, les directions et les services du ministère ont été au rendez-vous de la réforme –, mais il pointe aussi ses insuffisances et ces échecs, qu’elles soient dues au « tour de vis » budgétaire nécessité par la crise, ou à des erreurs. Si les rapporteurs n’ont pas pu, faute d’informations fiables, étudier en détail le projet Balard, ils consacrent une grande part de leurs travaux à l’analyse de ce que l’on peut appeler l’« affaire Louvois », dans laquelle l’impunité, comme l’incurie des premiers temps, s’ajoutent aux erreurs de conception et de pilotage pour constituer les ingrédients d’un véritable scandale.

Les rapporteurs tirent de ce bilan des conclusions utiles à la réflexion sur la conduite des réformes qui, inévitablement, seront nécessaires à la mise en application de la prochaine loi de programmation militaire.

PREMIÈRE PARTIE – BILAN DU PLAN DE RÉFORME
MIS EN œUVRE À PARTIR DE 2008

Le ministère de la Défense a mis en œuvre depuis 2008 un vaste plan de réforme, dont les principales orientations avaient été annoncées par le Président de la République dans un discours du 17 juin 2008 et dont le détail a été précisé par le Premier ministre et le ministre de la Défense le 24 juillet suivant.

La stratégie sous-tendant ce programme de réforme pourrait être résumée de la façon suivante : dégager des marges de manœuvre en rationalisant l’organisation des soutiens, afin de financer la modernisation des équipements de nos forces et d’améliorer la condition des personnels. Cinq ans après la mise en œuvre du vaste programme de réorganisations qui en découle, vos rapporteurs constatent que les forces armées, directions et services du ministère de la Défense ont su mettre en œuvre ces réformes, efficacement dans la plupart des cas, dans un contexte marqué par des tensions budgétaires et des sollicitations opérationnelles plus intenses que prévu.

I. UNE RÉFORME AMBITIEUSE, CONSTITUANT UN VÉRITABLE « CHOC CULTUREL »

A. LES PRINCIPAUX OBJECTIFS DE LA RÉORGANISATION DU MINISTÈRE FIXÉS EN 2008 SONT GLOBALEMENT ATTEINTS – OU EN PASSE DE L’ÊTRE

1. La réforme : un ensemble de mesures de réorganisation qui fait porter l’essentiel de l’effort d’économies sur les soutiens

a. Un ambitieux programme d’ensemble

Le plan de réforme du ministère de la Défense mis en œuvre à partir de 2008 comporte un ensemble de mesures de réorganisation dont le principe est issu de deux exercices distincts de réflexion sur l’organisation du ministère, menés en parallèle entre l’été 2007 et l’été 2008 :

– la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui a consisté à identifier, à contrats opérationnels inchangés pour les armées, les directions et les services du ministère, les gisements de productivité existants dans l’organisation du ministère, dans ses modes de fonctionnement, dans la chaîne de soutien des forces et dans l’administration générale ;

– les travaux entrepris dans le cadre du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale publié en 2008, qui ont conduit le ministère à fixer aux armées et à ses services de nouveaux contrats opérationnels et à planifier un redéploiement des unités militaires, comportant notamment des dissolutions et des transferts d’unités.

L’ensemble de ces réformes a fait l’objet d’une programmation unifiée, dans le cadre de la loi de programmation militaire (LPM) 2009-2014 (1). D’ailleurs, si les réorganisations prévues par le Livre blanc ne relevaient pas stricto sensu de la procédure applicable à la RGPP, elles leur étaient étroitement liées : elles ont fait l’objet d’un examen régulier dans le cadre du suivi interministériel de la RGPP, non au vu de leurs résultats en termes opérationnels – ce qui relevait du Conseil de défense –, mais au vu des suppressions de postes et des économies de fonctionnement qu’elles permettaient. On soulignera d’ailleurs que les objectifs d’économies et de productivité fixés ont été intégralement pris en compte dans la loi de programmation militaire : le ministère n’avait donc pas d’autre choix que de les atteindre, sauf à voir son activité opérationnelle et ses programmes d’équipements affectés.

Ainsi ont été programmées trois principales séries de mesures de réorganisation génératrices d’économies :

– des déflations d’effectifs : dans le cade de la RGPP, ce sont 36 000 emplois qui ont été identifiés comme susceptibles d’être supprimés à un horizon de huit ans. Quant aux réorganisations induites par le Livre blanc, elles devaient se traduire par la suppression de 18 000 postes, ce qui portait à 54 923 le total des emplois à supprimer entre 2008 et 2015, hors externalisations – soit 17 % du plafond d’emploi du ministère (2) ;

– la cession d’emprises immobilières libérées par le ministère en conséquence de la réorganisation des forces et des services, dont le produit était estimé à plus de deux milliards d’euros dans la construction de la loi de programmation militaire 2009-2014 ;

– la cession de bandes de fréquence hertzienne, pour un montant évalué à 1,45 milliard d’euros par la LPM.

En outre, la réduction des parcs de matériels découlant de la réduction des contrats opérationnels des armées, ainsi que celle des coûts de fonctionnement induite par la réorganisation de l’administration générale et des soutiens devaient dégager des marges de manœuvre supplémentaires.

Un principe sous-tendait la loi de programmation militaire 2009-2014 : les marges de manœuvre ainsi dégagées devaient être intégralement réinvesties au profit du ministère de la Défense, pour être consacrées, d’une part, à la revalorisation de la condition du personnel et, d’autre part, à la modernisation des équipements – les dépenses annuelles en faveur de ces derniers étant censées passer de 15 milliards d’euros en 2008 à 18 milliards d’euros en moyenne pour la période 2009-2020.

C’est au titre de ce principe de retour intégral des économies réalisées que le ministère de la Défense a bénéficié sur la durée de la LPM 2009-2014 d’un régime spécifique appliqué au produit des cessions de ses bandes de fréquences hertziennes et de ses emprises immobilières. En matière immobilière, l’article 47 de la loi de finances pour 2006 a ainsi prévu jusqu’au 31 décembre 2014 un régime dérogatoire exonérant le ministère de la Défense de la contribution au désendettement de l’État à laquelle sont soumis les autres ministères pour des opérations de même nature. De même, en matière de fréquences, l’article 55 de la loi de finances pour 2009 a prévu un dispositif équivalent. S’agissant en revanche des économies permises par les déflations d’effectifs, le principe de « retour intégral » ne pouvait par nature constituer qu’un engagement politique, dont la mise en application dépendait des lois de finances successives.

Le tableau ci-dessous présente les différentes sources d’économies attendues, année après année.

ESTIMATION DES ÉCONOMIES LIÉES AUX RÉFORMES DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE

(en millions d’euros courants – structure constante 2008)

 

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

Cumul 2008-2015

Suppression d’effectifs (ETPT) – objectifs initiaux

- 2 425

- 6 496

- 8 108

- 7 910

- 7 641

- 7 541

- 7 091

- 3 320

0

- 54 000

Sur-réalisation de l’objectif

- 3 534

- 553

620

           

Économie de masse salariale liée à la réduction des effectifs

- 139,11

- 298,16

- 487,32

- 704,25

- 926,33

- 1 150,92

- 1 354,91

- 1 449,57

 

6 510,57

Plan d’accompagnement social des restructurations (hors surcoût chômage)

 

127,06

191,80

202,97

187,75

163,56

168,11

60,79

0,00

1 102,04

Économies nettes Titre  2

- 139,11

- 171,10

- 295,52

- 501,28

- 738,58

- 987,36

- 1 186,80

- 1 388,78

- 1 449,57

- 5 408,54

Économies nettes Titre  3

 

- 49,29

- 94,57

- 170,42

- 246,13

- 321,30

- 393,54

- 438,86

- 458,68

- 1 174,10

Coûts de restructuration – infrastructure

 

43,51

117,90

287,00

393,00

352,00

211,00

87,00

49,00

1 491,41

Accompagnement économique des restructurations (FRED « nouveau » – action 10 du P. 212)

 

4,11

3,89

23,42

40,39

44,45

48,95

48,64

31,86

213,85

Produits de cession

 

- 65,00

- 102,00

- 179,00

- 163,00

- 672,00

- 84,00

0,00

0,00

- 1 265,00

Gains nets Titres 5 et 6

 

- 17,38

19,79

131,42

270,39

- 275,55

175,95

135,64

80,86

440,26

Gains nets totaux

- 139,11

- 237,77

- 370,30

- 540,28

- 714,32

- 1 584,20

- 1 404,39

- 1 692,00

- 1 827,39

- 6 682,39

Source : Cour des comptes, Le bilan à mi-parcours de la loi de programmation militaire, rapport public thématique, juillet 2012.

b. Un programme qui fait peser l’essentiel des économies sur les soutiens

Comme l’a fait valoir devant les rapporteurs le contrôleur général des armées Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l’administration du ministère de la Défense, l’essentiel des efforts d’économie prévus dans le cadre de la réforme portait sur le soutien.

En effet, ainsi que le montre le schéma ci-après, l’objectif poursuivi par le ministère consistait à faire porter les trois quarts des déflations d’effectifs sur les soutiens, afin de préserver la capacité opérationnelle des armées. Ainsi, lorsqu’une unité a été dissoute, la plupart du temps, sa structure de commandement et ses moyens de soutien ont été supprimés, tandis que les capacités de combat ont simplement été redéployées. De même, c’est la chaîne de soutien qui a connu les restructurations les plus profondes. Pour M. Jean-Paul Bodin, la création des bases de défense, dans une optique explicite de recherche d’économies, a largement contribué à ancrer cette idée dans l’esprit des personnels du ministère de la Défense.

L’axe principal de la restructuration des soutiens a été leur réorganisation sur un mode interarmées, afin de mutualiser des moyens parfois redondants. En effet, si le mouvement d’interarméisation des fonctions d’administration et de soutien remonte à plusieurs décennies, avec notamment la création du secrétariat général pour l’administration (SGA) en 1962, il a connu une nette accélération à partir de 2008. Plusieurs décrets de 2009 ont en effet renforcé en ce sens les prérogatives du chef d’état-major des armées, et créé plusieurs services interarmées, à l’image par exemple du service du commissariat des armées (SCA) issu de la fusion des commissariats préexistant dans les trois armes (3).

En somme, comme l’a estimé devant la mission le général Philippe Got, chef de la mission pour la coordination de la réforme (MCR) du ministère, la réforme entreprise en 2008 se distingue des précédentes vagues de réformes qu’a connues le ministère de la Défense en ce qu’elle rompt avec la méthode habituelle de réduction homothétique des formats, qui consistait à « raboter » les moyens sans remettre en cause l’architecture administrative du ministère.

LA PLACE DU SOUTIEN DANS L’OBJECTIF DE DÉFLATION DES EFFECTIFS

Source : base de défense de Belfort.

2. Les principaux objectifs de la réorganisation du ministère fixés en 2008 sont globalement atteints – ou en passe de l’être

Tant pour ce qui concerne les déflations d’effectifs que la réorganisation des structures d’administration et de soutien, il ressort des travaux de vos rapporteurs que les principales orientations du plan de réforme de 2008 ont globalement été mises en œuvre sans retard.

a. La déflation des effectifs suit globalement le rythme prévu

Le rythme de déflation des effectifs est remarquablement bien tenu, et le restera vraisemblablement. Le général Got a en effet indiqué aux rapporteurs qu’il ne restait plus que 4 422 emplois à identifier comme devant être supprimés pour atteindre l’objectif fixé par la loi de programmation militaire 2009-2014.

Le ministère avait d’ailleurs commencé à réduire ses effectifs avant même que les objectifs correspondants soient fixés par la loi de programmation militaire, et le rythme de déflation n’a pas ralenti depuis lors. L’écart entre les cibles fixées par la loi de programmation militaire et les réalisations s’établissait ainsi à 1 500 équivalents temps plein travaillés (ETPT) pour les exercices 2009 à 2011.

Le rapport annuel de performance (RAP) relatif à la mission « Défense » fait apparaître une nette progression de cette surdéflation en 2012. En effet, alors que le plafond d’emplois du ministère pour le périmètre de la mission « Défense » était fixé à 291 615 ETPT, conformément à la loi de programmation militaire, les données d’exécution ne font apparaître que 286 215 ETPT consommés, soit un écart de 5 400 postes. Certes, une partie de cet important écart s’explique en partie par l’existence de postes non pourvus au sein des armées, directions et services du ministère ; mais, selon les précisions fournies aux rapporteurs par M. Hugues Bied-Charreton, directeur des affaires financières du ministère de la Défense, il s’explique aussi pour 3 000 ETPT environ par l’anticipation des déflations par rapport au cadencement annuel établi en application de la loi de programmation militaire. La progression de cette surdéflation en 2012 est la conséquence du gel d’une partie des recrutements, décidé à l’été 2012 en vue de maîtriser la croissance des dépenses de personnel du ministère (cf. infra).

Il est à noter toutefois que les organisations représentatives des personnels civils du ministère de la Défense ont unanimement estimé devant les rapporteurs que cet effort de déflation avait porté plus lourdement sur les personnels civils que sur les personnels militaires. Ils considèrent que la réorganisation des fonctions de soutien aurait pu permettre de rééquilibrer la composition du personnel affecté à ces fonctions en faveur des civils, ne serait-ce que dans une optique d’économies –selon eux, à coût salarial comparable, un civil travaillerait 500 à 600 heures de plus par an qu’un militaire, dont le temps de travail est consacré en partie à ses obligations de formation et d’entraînement.

b. La nouvelle organisation interarmées du soutien a été mise en place, et les armées se l’approprient progressivement

S’il ne présenterait guère d’intérêt de procéder ici à une revue exhaustive des 37 projets de réorganisation qui constituent le programme de réforme du ministère, les rapporteurs tiennent à souligner qu’aucun n’a été abandonné pour cause d’échec, et que les plus structurants ou les plus emblématiques – à l’exception notable de Louvois, cf. infra – sont en bonne voie d’avancement. Ils concernent notamment les bases de défense, les soutiens spécialisés, les fonctions d’achat, les systèmes d’information et de la gestion du personnel civil.

i. La réorganisation de la chaîne de soutien et la généralisation du modèle des bases de défense

La création des bases de défense constitue l’aspect de la réforme le plus visible pour l’ensemble des personnels – soutenants comme soutenus – et le plus générateur d’économies : selon M. Jean-Paul Bodin, elle a permis 10 000 suppressions de postes. Elle représente donc un élément majeur de la transformation du ministère.

La mise en place des bases de défense s’inscrit dans la restructuration de la chaîne de soutien mise en œuvre au début de l’année 2011. Comme le montre le schéma ci-après, cette chaîne interarmées comprend :

– au niveau national :

- un sous-chef d’état-major « soutien » placé auprès du chef d’état-major des armées et qui reçoit l’appellation de « commandant interarmées du soutien » (COMIAS) ;

- un « centre de pilotage et de conduite du soutien » (CPCS) sur lequel s’appuie le COMIAS, structure chargée de préparer les budgets des bases, de coordonner leur action avec celle des autres services de soutien, et de soutenir les forces en opération extérieure en prélevant sur les moyens des bases de défense ;

– à l’échelon intermédiaire :

- cinq « états-majors de soutien défense » (basés à Paris, Rennes, Bordeaux, Metz et Lyon), qui servent de relais entre le CPCS et les bases de défense (sur lesquelles ils n’ont toutefois pas d’autorité hiérarchique) ;

- des plateformes de mutualisation de services ou d’expertise, qui fournissent aux bases de défense des soutiens spécialisés : il s’agit des établissements du service d’infrastructure (ESID), des plateformes achats-finances (PFAF) et des centres ministériels de gestion (CMG) ;

– au niveau local :

- 51 bases de défense en métropole et neuf bases de défense outre-mer, comportant chacune un « groupement de soutien de base de défense » (GSBdD) qui assure l’administration générale et du soutien commun (AGSC) ;

- auprès de chaque base de défense, plusieurs entités locales des services centraux de soutien spécialisé. Il s’agit notamment des centres médicaux des armées (CMA), des unités de soutien de l’infrastructure de la Défense (USID) et des centres interarmées des réseaux d’infrastructures et des systèmes d’information (CIRISI), mais aussi des antennes locales du service interarmées des munitions (SIMu), du service des essences des armées (SEA), de l’action sociale des armées (ASA), de la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA), des aumôneries militaires, etc.

LA NOUVELLE ORGANISATION INTERARMÉES DU SOUTIEN

Source : base de défense de Belfort.

Chaque base est placée sous l’autorité d’un commandant de base de défense (ComBdD), qui est à la fois :

– le responsable de l’administration générale et des soutiens communs des unités et autres structures du ministère de la Défense placées dans le périmètre de sa base. À ce titre, il a autorité sur le groupement de soutien de sa base, et a la responsabilité d’une unité opérationnelle du budget opérationnel de programme (BOP) « soutien des forces » ;

– l’autorité de coordination et d’arbitrage au niveau local de l’action des services de soutien spécialisés.

En revanche, il n’a pas autorité sur les organismes chargés d’assurer les « soutiens spécifiques de milieu », c’est-à-dire les soutiens opérationnels assurés directement par les forces. L’instruction n° 398 DEF/EMA/SC-SOUT/NP du 17 décembre 2010 relative à l’organisation et au fonctionnement des bases de défense a toutefois prévu que les états-majors des forces et ceux des bases de défense puissent partager certains personnels, afin de faciliter la coordination des deux autorités en la matière. Ainsi, la base de défense constitue l’échelon de référence pour l’organisation du soutien commun et la coordination des soutiens spécialisés, comme le montre, à titre d’exemple, le schéma d’organisation des soutiens de la base de Cherbourg ci-après.

ORGANISATION DES SOUTIENS SUR LA BASE DE CHERBOURG

Source : base de défense de Cherbourg.

Initialement, le plan de réforme annoncé en 2008 prévoyait la constitution de 90 bases de défense environ, mises en place progressivement jusqu’au 1er janvier 2014. Toutefois, ce cadrage initial a fait l’objet d’une double modification :

– le calendrier de déploiement des bases de défense a été accéléré, l’ensemble des bases étant mises en place dès le 1er janvier 2011, afin d’éviter le recouvrement de deux systèmes de soutien pendant un long laps de temps ;

– le maillage territorial des bases de défense a été resserré : au lieu de 90, on en compte aujourd’hui 60, dont la carte ci-après présente l’implantation géographique.

IMPLANTATION DES BASES DE DÉFENSE MÉTROPOLITAINES

arte-nationale-des-bdd

Source : site internet du ministère de la Défense.

En effet, le modèle des bases de défense a fait l’objet d’expérimentations conduites en 2009 sur 11 bases, puis de rodage sur 18 bases « pilotes » en 2010. Ces expériences ont démontré l’intérêt d’agrandir le périmètre géographique des bases de défense afin qu’elles intègrent davantage d’unités que prévu initialement, ce qui permet de bénéficier d’économies d’échelle en mutualisant les moyens qui étaient consacrés au soutien au niveau de chaque unité. Il s’agissait de réduire autant que possible le nombre des bases dites « de type 1 », c’est-à-dire celles qui ne soutiennent qu’une formation majeure, au profit des bases dites « de type 2 ou 3 » (4). Le maillage territorial ainsi retenu est le résultat d’un compromis entre, d’une part, la recherche d’économies d’échelle – d’autant plus importantes que le nombre d’unités soutenues est élevé – et, d’autre part, le maintien d’une proximité géographique raisonnable entre les unités et leur base de défense de rattachement – qui limite les possibilités d’extension des bases, sauf à organiser de coûteux transferts d’unités. C’est pourquoi le critère d’inclusion des unités au sein d’une même base, initialement défini comme un éloignement d’une distance de 30 kilomètres au plus, a été assoupli : on retient désormais une durée de déplacement d’une heure et demie au maximum. Le tableau ci-après présente le résultat de cet effort de regroupement.

BASES DE DÉFENSES PRÉVUES EN 2008 ET RÉALISÉES EN 2011

Bases de défenses prévues en 2008

Bases de défenses réalisées en 2011

En métropole

Angers

Angers - Le Mans - Saumur

Le Mans

Saumur

Angoulême

Angoulême

Belfort

Belfort

Besançon

Besançon

Bordeaux

Bordeaux - Mérignac

Mérignac

Avord

Bourges - Avord

Bourges

Brest

Brest - Lorient

Lorient

Brive

Brive

Calvi

Calvi

Carcassonne

Carcassonne

Cazaux

Cazaux

Charleville-Mézières

Charleville-Mézières

Cherbourg

Cherbourg

Clermont-Ferrand

Clermont-Ferrand

Colmar

Colmar

Creil

Creil

Dijon

Dijon

Draguignan

Draguignan

Luxeuil

Epinal - Luxeuil

Epinal

Evreux

Evreux

Gap

Gap

Grenoble

Grenoble - Annecy - Chambéry

Annecy

Chambéry

Paris

Île-de-France

Vincennes

Saint-Germain-en Laye

Versailles

Vélizy-Villacoublay

Istres

Istres - Salon-de-Provence

Salon-de-Provence

La Valbonne

La Valbonne

Lille

Lille

Lyon

Lyon - Mont-Verdun

Mont-Verdun

Marseille

Marseille - Aubagne

Aubagne

Metz

Metz

Mont-de-Marsan

Mont-de-Marsan

Montauban

Montauban - Agen

Agen

Montlhéry

Montlhéry

Mourmelon

Mourmelon - Mailly

Mailly

Nancy

Nancy

Orange

Nîmes – Orange - Laudun

Nîmes

Bricy

Orléans - Bricy

Orléans

Bayonne

Pau - Bayonne - Tarbes

Pau

Tarbes

Phalsbourg

Phalsbourg

Poitiers

Poitiers - Saint-Maixent

Saint-Maixent

Rennes

Rennes

Rochefort

Rochefort - Cognac

Cognac

Apt

Saint-Christol

Chaumont

Saint-Dizier - Chaumont

Saint-Dizier

Strasbourg

Strasbourg - Haguenau

Haguenau

Toulon

Toulon

Toulouse

Toulouse - Castres

Castres

Tours

Tours

Valence

Valence

Coëtquidan

Vannes - Coëtquidan

Vannes

Ventiseri - Solenzara

Ventiseri - Solenzara

Verdun

Verdun

Outre-mer

Guyane

Guyane

La Réunion - Mayotte

La Réunion - Mayotte

Martinique-Guadeloupe

Martinique-Guadeloupe

Nouvelle-Calédonie

Nouvelle-Calédonie

Polynésie

Polynésie

À l’étranger

E-A-U

E-A-U

Gabon

Gabon

Djibouti

Djibouti

Sénégal

Sénégal

Source : ministère de la Défense.

Les rapporteurs ont pu constater que cette nouvelle organisation interarmées du soutien avait fait la preuve de son efficacité à l’occasion de l’opération Serval au Mali ; cette appréciation est partagée par l’ensemble des interlocuteurs rencontrés. Selon le vice-amiral d’escadre Éric Chaplet, commandant interarmées du soutien, le CPCS a ainsi sollicité 40 groupements de soutien de bases de défense pour soutenir l’opération Serval, et 25 d’entre eux ont projeté une part de leurs effectifs, pour un total de 150 personnels. Le secrétaire général pour l’administration a également estimé devant les rapporteurs que la réforme avait permis d’améliorer sensiblement le potentiel opérationnel des personnels affectés au soutien. En effet, avant 2011, le personnel militaire servant dans le domaine de l’administration générale et du soutien commun était inégalement réparti dans les trois armées et ne pouvait pas toujours prétendre à des conditions optimales d’entraînement. Aujourd’hui, plus de 80 % du personnel militaire des groupements de soutien détient un passeport du combattant à jour.

ii. La réorganisation des soutiens spécialisés et des services transverses

Parallèlement à la création des bases de défense, les services assurant les soutiens spécialisés ont eux aussi connu de profondes transformations.

Tel est le cas, par exemple, du commissariat des armées : les trois commissariats d’armées ont été regroupés en un seul service du commissariat des armées (SCA). Cette fusion a été opérée très rapidement : décidée en avril 2008 dans le cadre de la RGPP, elle était accomplie dès le 1er janvier 2010, et le service doit poursuivre sa « montée en puissance » – c’est-à-dire la restructuration des entités qu’il a fédérées – jusqu’en 2014. Au terme de cette réforme, le service aura connu une déflation très importante de ses effectifs : alors que les trois commissariats préexistants comptaient 11 650 agents, ses effectifs s’élèvent aujourd’hui à 6 500 personnes – 5 100 agents ayant été transférés aux bases de défense –, et atteindront 4 000 agents en 2014. Le service est également engagé dans une restructuration profonde de ses structures : alors qu’il comptait 93 organismes fin 2009, il n’en possédera plus que 34 en 2014.

Selon le secrétaire général pour l’administration, les facteurs clés de la réussite de cette transformation ont été : une très forte structuration de la mise en œuvre de la réforme par l’équipe projet ; un engagement constant du cabinet du ministre ; un travail très soigné d’accompagnement social et de dialogue avec les personnels ; une « manœuvre RH » bien préparée ; et un travail de modernisation des processus, avec l’appui de consultants externes.

Autre exemple de service central de soutien restructuré dans le cadre de la réforme, le service d’infrastructure de la Défense (SID) a réorganisé son réseau territorial en mettant en place, au niveau régional, des établissements du SID (ESID) et, au niveau des bases de défense, des unités du SID (USID) chargées de conseiller les commandants de bases de défense en matière immobilière. Les USID élaborent conjointement avec ces commandants les schémas directeurs du développement des infrastructures et les plans de maintenance locaux.

Plus généralement, la réforme du ministère de la Défense a permis une réduction importance du nombre de services exécutants et de postes, dont le secrétaire général pour l’administration a souligné devant les rapporteurs qu’elle a été menée malgré une réticence forte liée aux risques perçus avec la mise en place du nouveau système d’information Chorus. On notera aussi que le soutien de l’administration centrale du ministère a été restructuré, avec la création du service parisien de soutien de l’administration centrale (SPAC), laquelle a permis un gain de 400 emplois depuis 2008.

iii. La restructuration de la fonction « ressources humaines »

Dans le cadre de la réforme, la gestion des ressources humaines du ministère a été réorganisée, notamment pour ce qui concerne les personnels civils.

Cette réorganisation s’est traduite, au niveau local, par la déconcentration de la gestion des personnels civils, désormais confiée à sept centres ministériels de gestion (CMG) – basés à Bordeaux, Brest, Lyon, Metz, Rennes, Saint-Germain-en-Laye et Toulon – et, pour les personnels de l’administration centrale, au service parisien de soutien de l’administration centrale (SPAC). Après une expérimentation concluante menée au centre de Bordeaux, il a aussi été décidé que les CMG assureraient prochainement la paye de leurs administrés.

Cette réorganisation vise à renforcer l’efficacité de la gestion des personnels civils, en réduisant le nombre de niveaux de gestion et en distinguant clairement les fonctions relevant des employeurs – avancement, notation, pouvoir disciplinaire, etc. – et celles relevant des gestionnaires. Si une partie de la fonction « ressources humaines » est exercée au niveau des bases de défenses pour les opérations les plus simples, les CMG sont saisis de tous les cas pour le traitement desquels une expertise technique ou juridique est nécessaire. Les personnels civils rencontrés par les rapporteurs, notamment sur la base de défense de Cherbourg, ont souligné que cette nouvelle organisation avait perdu en proximité dans le traitement quotidien des questions relatives aux ressources humaines.

Au niveau central, la restructuration de la chaîne « ressources humaines » s’est traduite par une redéfinition du rôle de la direction des ressources humaines du ministère de la Défense (DRH-MD) et de son service des ressources humaines civiles, de façon cohérente avec la création des CMG. L’objectif de la réforme consiste, schématiquement, à recentrer la DRH-MD sur ses fonctions de pilotage de la politique des ressources humaines, ce qui a consisté notamment à homogénéiser les conditions d’application des dispositions réglementaires.

Cette réorganisation a permis de gagner en efficience : les effectifs de l’échelon central de la chaîne de gestion des personnels civils doivent ainsi passer de 150 à 92 personnes entre 2011 et 2014, tandis que ceux des CMG doivent être ramenés de 757 à 670 emplois entre 2012 et 2014.

iv. La réorganisation des systèmes d’information

Le ministère mène depuis 2003 un effort de rationalisation de ses systèmes d’information suivant, selon le secrétaire général pour l’administration, une « approche fonctionnelle » de préférence à l’« approche organisationnelle » qui prévalait jusqu’alors. Ce changement de perspective vise à normaliser les démarches et à éviter les doublons : « idéalement, à une fonction donnée devrait correspondre une application informatique unique ». Cette démarche, inspirée des méthodes à l’œuvre dans le secteur civil, est appelée « urbanisation du système d’information du ministère de la Défense » (cf. encadré ci-après).

L’urbanisation du système d’information du ministère de la Défense

L’urbanisation se traduit par une gestion par grandes fonctions plus que par entités, avec un découpage par « zones fonctionnelles »

La rationalisation des applications est réalisée zone par zone dans le cadre de schémas directeurs de zone, déléguée à des responsables de zone fonctionnelle, et supervisée par la DGSIC.

L’outil Sycl@de permet de gérer le portefeuille des projets informatiques du ministère de la Défense.

Le plan d’occupation des sols (POS) est le support de représentation du parc applicatif par domaines fonctionnels : cinq zones fonctionnelles pour les systèmes d’information opérationnels et de commandement (SIOC) ; onze zones fonctionnelles pour les systèmes d’information d’administration et de gestion (SIAG) ; cinq zones fonctionnelles « transverses ».

Au total 1039 projets ou applications sont recensés.

Source : secrétariat général pour l’administration du ministère de la Défense.

Les mesures prises dans le cadre de cette politique ont permis, selon le secrétaire général pour l’administration, que le portefeuille d’applications informatiques du ministère soit bien connu et mieux géré, et que le nombre des systèmes existants soit réduit de 30 % au cours des trois dernières années. Le projet annuel de performance relatif à la mission « Défense », annexé au projet de loi de finances pour 2013, indique d’ailleurs que le nombre moyen d’applications informatiques utilisées pour une seule et même fonction d’administration et de gestion est passé de 6,8 en 2010 à 5 en 2012 et devrait s’établir à 4,39 en 2013, l’objectif étant de le ramener à trois en 2015. Le SGA estime que la phase de mise en cohérence et d’unification des systèmes des différentes armées, directions et services est en passe d’aboutir : le ministère dispose désormais d’un socle commun d’infrastructure offrant tous les services classiques d’un intranet – bureautique, mobilité, accès sécurisé aux applications métier, etc.

Un des principaux chantiers menés depuis 2008 a concerné le déploiement du logiciel interministériel de gestion financière Chorus. Si le déploiement de ce logiciel a été marqué par d’importantes difficultés au début de l’année 2010, celles-ci sont désormais en large partie résolues, au prix, selon le SGA, « d’une mobilisation sans précédent des chaînes financières et d’un recours à des procédures dérogatoires pendant l’année 2010, avec un important travail de régularisation qui ne s’est achevé que courant 2011 ». Il est à noter que le ministère de la Défense a obtenu un paramétrage de Chorus différent de celui des autres ministères, plus adapté à son organisation. Grâce à un important effort d’accompagnement – dont on peut regretter qu’il n’ait pas connu d’équivalent pour Louvois, cf. infra –, le calendrier de déploiement prévu a été respecté : depuis 2011, la gestion financière annuelle démarre effectivement dès le début du mois de janvier, et les opérations de déroulent de manière fluide. Le déploiement de Chorus a permis ainsi d’homogénéiser les pratiques comptables des ordonnateurs des différentes armées, directions et services du ministère, et de redéployer sur des fonctions de contrôle interne budgétaire ou de pilotage une partie des agents affectés aux délégations de crédits dans les services centraux.

c. La modernisation des pratiques de gestion

Si elle ne s’est pas traduite par une réorganisation de grande ampleur de l’architecture administrative, la modernisation de certaines pratiques n’en a pas moins contribué à la réforme. Tel est le cas notamment de la fonction « achats » du ministère de la Défense, qui a fait l’objet d’un effort de professionnalisation des acteurs en place et d’introduction de nouveaux outils et de nouvelles méthodes.

Comme le secrétaire général pour l’administration l’a expliqué aux rapporteurs, ces outils et ces méthodes sont inspirés de ceux du secteur privé, ce qui a conduit le SGA à recruter des personnels contractuels qui en sont issus. Les magistrats de la Cour des comptes entendus par les rapporteurs ont d’ailleurs fait observer que le secteur privé avait engagé une démarche de professionnalisation de ses fonctions d’achat depuis vingt-cinq ans environ, alors que le secteur public ne s’y était attelé que depuis cinq ou six ans, ce qui correspond au lancement de la réforme du ministère de la Défense. Le SGA souligne également l’efficacité de la méthode retenue, qui consiste à mettre en place des marchés simplifiés suivant une méthode qui visait prioritairement des « gains rapides accessibles », et à permettre à toutes les parties prenantes au sein du ministère de s’exprimer avant toute décision importante au sein d’un comité ministériel des achats.

Comme M. Jean Bouverot, chef de la mission « achats » du secrétariat général pour l’administration et responsable ministériel des achats (RMA) du ministère l’a indiqué à vos rapporteurs, la fonction « achats » du ministère était auparavant « fragmentée » entre 3 000 acheteurs environ, très compétents pour ce qui concernait les aspects réglementaires de la passation des contrats mais moins investis dans les phases amont – les études de marché, la connaissance de l’offre du secteur économique concerné – et aval – le suivi de l’exécution des contrats et les retours d’expérience qu’il permet.

La réorganisation de la fonction « achats » du ministère de la Défense a d’abord consisté à établir la compétence du SGA pour la politique d’achats courants, c’est-à-dire la plupart des achats à l’exception de ceux qui concernent les armements. Dès lors, dans le cadre d’un répertoire des emplois et des métiers adapté à cette fin, le SGA a eu pour politique de spécialiser les acheteurs du ministère sur une famille de produits, afin de permettre à ces « acheteurs famille » d’acquérir une connaissance approfondie de leurs secteurs respectifs. Il a fallu ensuite « pyramider » la fonction « achats », de façon à ce que les acheteurs aient un niveau hiérarchique comparable aux « prescripteurs », c’est-à-dire aux autorités chargées d’exprimer les besoins d’achats ; c’est ainsi que les « acheteurs » sont le plus souvent identifiés parmi les sous-directeurs des services concernés.

Les économies permises par la professionnalisation de la fonction « achats » dépassent les objectifs fixés : selon les responsables de la mission « achats » du SGA, elles représentent en moyenne 10 % du montant des contrats, ce qui correspond à un gain annuel de 227 millions d’euros environ, alors que l’on en attendait seulement 174 millions d’euros.

d. La réforme a constitué un « choc culturel » que les armées surmontent progressivement

Il ressort de l’ensemble des entretiens que les rapporteurs ont tenus à Paris comme en déplacement à Belfort, Cherbourg, Solenzara et aux Émirats arabes unis, que la réforme s’est traduite, pour personnels militaires et civils des armées, par un bouleversement culturel considérable.

En effet, alors qu’auparavant, chaque unité disposait de ses propres moyens de soutien, désormais, les chefs d’unités sont placés dans une position de « client » vis-à-vis des responsables des bases de défense. Il leur revient ainsi non plus de commander directement aux services de soutien, mais :

– de formaliser leurs relations avec les organismes chargés des soutiens, au moyen notamment de contrats de service ;

– d’anticiper et exprimer leurs besoins en matière de soutien, à l’issue d’une démarche d’arbitrage et de priorisation entre les besoins des unités de leur ressort ;

– d’assurer un suivi régulier des prestations.

Selon les responsables rencontrés par les rapporteurs sur certaines bases métropolitaines, ce sentiment de perte de pouvoir est d’autant plus prégnant parmi les chefs de corps que les services placés à l’échelon intermédiaire – non seulement les états-majors régionaux de soutien, mais aussi les services chargés de soutiens spécialisés, comme les établissements du service d’infrastructures de la Défense (ESID) – auraient tendance à ne pas agir en simples exécutants des décisions arrêtées par les commandants de bases de défense, mais à chercher à établir avec eux un dialogue de gestion plus approfondi. Comme l’a noté le capitaine de vaisseau Éric Lenormand, commandant de la base de défense de Cherbourg, les incompréhensions peuvent être particulièrement fortes lorsqu’un service de soutien spécialisé régional est très majoritairement issu d’une arme différente de celle qui constitue la dominante d’une base : ainsi, par exemple, la plateforme achats finances (PFAF) de Rennes, dont les personnels sont majoritairement issus des rangs de l’armée de terre, avait du mal à comprendre les spécificités des besoins de ravitaillement des unités et des bâtiments soutenus par la base de Cherbourg, relevant très majoritairement de la marine nationale.

En outre, certains personnels militaires ont le sentiment que le temps qu’ils consacrent à l’expression formalisée de leurs besoins en matière de soutien rend leur activité plus administrative, et donc moins opérationnelle. Ils craignent en outre une certaine perte de réactivité du fait des délais inhérents à la nouvelle procédure d’allocation des moyens de soutien.

De façon symétrique, les commandants des bases de défense sont, eux, placés en position de fournisseur de services, certains estimant même que leur métier se rapproche désormais de celui de chefs d’entreprises.

En outre, les représentants des personnels civils rencontrés par les rapporteurs à Paris comme sur le terrain sont nombreux à regretter que la réforme ait eu pour conséquence d’éloigner de leurs unités les responsables de la gestion des ressources humaines, concentrés pour une large part dans les CMG.

Il s’agit là, évidemment, d’un important choc culturel dans les armées, qu’a bien résumé devant les rapporteurs le colonel Éric Bometon, commandant de la base aérienne de Solenzara, lorsqu’il a fait valoir que les militaires avaient une culture du commandement, et non du management. Pour l’ensemble des personnels, la réforme a un impact important sur la vie quotidienne, et certains hiatus liés à l’interarméisation des soutiens peuvent être mal ressentis. Ainsi, à titre d’exemple, les rapporteurs ont appris à Cherbourg que certains établissements de restauration des armées étaient désormais interdits aux officiers de marine au motif qu’ils sont les seuls officiers à ne pas voir leurs frais de repas pris en charge par les armées et que les restaurants « interarméisés » n’étaient pas en mesure d’appliquer des conditions tarifaires différentes en fonction de l’arme d’appartenance de leurs utilisateurs.

Ce choc culturel est particulièrement fort au sein des unités de l’armée de terre en métropole. En effet, avant la réforme, les bases navales et les bases aériennes connaissaient déjà une organisation comparable à celle désormais mise en place. De même, les entités stationnées outre-mer et à l’étranger (OME) disposaient déjà de services de soutien partiellement mutualisés entre les armes, dans un esprit d’efficacité interarmées, ce qui a facilité l’évolution vers la nouvelle organisation.

Les rapporteurs observent toutefois que ce bouleversement des repères habituels est en passe d’être surmonté par les personnels, civils comme militaires. La plupart des commandants d’unités qu’ils ont rencontrés reconnaissent en effet que la réforme leur a permis de recentrer leur activité sur leur « cœur de métier ». En outre, il semble que certains rapportent à la création des bases de défense des difficultés qui tiennent moins à l’organisation des soutiens qu’aux tensions budgétaires qui pèsent sur eux. Les responsables du groupement de soutien de la base de défense de Cherbourg ont d’ailleurs fait valoir aux rapporteurs que même avant la réforme, le « droit de tirage » des chefs de corps sur les moyens des services de soutien était loin d’être illimités : les arbitrages étaient effectués in fine à un niveau de la chaîne de commandement plus éloigné du terrain ; l’impératif de hiérarchisation des besoins, d’anticipation des demandes et de bonne gestion des moyens n’a donc rien de nouveau.

Il semble que les personnels soient globalement satisfaits de la qualité du service rendu aux forces par la nouvelle organisation du soutien. Lors de leur déplacement au centre de pilotage et de conduite du soutien (CPCS), les rapporteurs ont pu prendre connaissance des synthèses réalisées à partir des enquêtes de qualité de service ressentie (QSR) effectuées par les unités tous les deux mois. Ces enquêtes consistent à faire évaluer la qualité du soutien par ses utilisateurs comme par ses fournisseurs, sous forme de points verts (indiquant que l’utilisateur est satisfait), orange (signalant une difficulté qui mérite d’être traitée), ou rouge (signalant un problème affectant les missions opérationnelles). Selon le CPCS, en 18 mois, le taux de satisfaction s’établit en moyenne à 82 % dans l’armée de terre, tandis qu’il est passé de 68 à 72 % dans l’armée de l’air et peut être évalué à 80 % environ dans la marine. Pris dans le détail, le taux de satisfaction varie d’une fonction à une autre : à titre d’exemple, on retiendra les résultats présentés par le graphique ci-dessous pour les personnels relevant de la base de défense de Belfort.

TAUX DE SATISFACTION QUANT À LA QUALITÉ DU SERVICE RENDU POUR LES PRINCIPALES FONCTIONS DE SOUTIEN

Source : base de défense de Belfort.

Toutes ces observations tendent à souligner l’importance qu’il y a pour les chefs de corps et les commandants des bases de défense à nouer des liens étroits. L’habitude consistant à confier au commandant d’une base de défense d’autres fonctions au sein de l’état-major des forces soutenues que soutient sa base va dans ce sens. Le développement d’instances de concertation entre soutenants et soutenus y contribue également ; le tableau ci-après présente, à titre d’exemple, l’ensemble des instances mises en place à cette fin à Belfort.

LES MÉCANISMES DE COORDINATION ENTRE SOUTENANTS ET SOUTENUS

Organisation présentée aux rapporteurs à Belfort

Source : base de défense de Belfort.

B. LA MÉTHODE RETENUE POUR LA MISE EN œUVRE DES RÉORGANISATIONS A GLOBALEMENT DONNÉ SATISFACTION

1. Un pilotage administratif original, qui a été adapté et renforcé au fil de la mise en œuvre de la réforme

a. Un dispositif de gouvernance ad hoc pour un suivi de la réforme centralisé au plus haut niveau

Comme le secrétaire général pour l’administration l’a fait observer aux rapporteurs, les différents chantiers de réorganisation ouverts par la RGPP et pour la mise en œuvre de la loi de programmation militaire étaient très imbriqués, ce qui pouvait présenter d’importantes difficultés de pilotage.

Aussi le choix a-t-il été fait de mettre en place des structures de pilotage et de conduite de la réforme originales :

– 37 projets de réforme ont été identifiés, et confiés chacun à un chef de projet placé sous la responsabilité d’un grand responsable du ministère et investi par une lettre de mission du ministre d’un mandat précis, assorti d’objectifs et d’un échéancier ;

– le rôle de comité de direction de la réforme, consistant à s’assurer de l’avancée des projets et à rendre les arbitrages nécessaires, a été assuré par le comité exécutif (COMEX), présidé par le ministre et composé notamment du chef d’état-major des armées, du délégué général pour l’armement, du secrétaire général pour l’administration et du chef du contrôle général des armées ;

– une instance resserrée de pilotage de la réforme a été créée : le comité de modernisation du ministère (C2M), qui se réunit tous les mois sous la présidence du secrétaire général pour l’administration pour suivre la mise en œuvre des mesures de rationalisation de l’administration et des soutiens communs (5) ;

– l’animation du réseau des chefs de projets a été confiée à mission pour la coordination de la réforme (MCR), constituée d’une équipe de chargés de mission en nombre réduit, d’origine diversifiée, et placée auprès du ministre. Son rôle consiste à suivre au quotidien les projets, à veiller à la tenue de leurs objectifs et au respect du calendrier, à tenir la comptabilité des résultats atteints et à présenter au ministre une synthèse mensuelle du suivi des projets. Selon le SGA, elle a bénéficié lors de sa mise en place d’une assistance significative de la direction générale de la modernisation de l’État (DGME) pour mettre en place les outils de suivi et de synthèse nécessaires, ainsi que pour acquérir des méthodes de travail adaptées à sa mission.

Devant les rapporteurs, le général Philippe Got, chef de la MCR, a souligné que ce dispositif de gouvernance avait eu l’intérêt de responsabiliser à la fois les chefs de projets et les responsables des principales directions du ministère. D’ailleurs, le fait que des objectifs chiffrés de déflation d’effectifs aient été fixés par avance pour chaque armée, direction et service a contribué à impliquer l’ensemble des responsables administratifs. Ainsi, chaque chef de projet a été conduit à négocier les conditions de mise en œuvre de sa mission avec les principaux directeurs concernés, qui avaient la responsabilité de mener à bien la transformation de leurs services.

b. Des capacités d’expertise adaptées et renforcées au fil de la mise en œuvre de la réforme, notamment en matière financière

Dans leur second rapport d’étape fait au nom de la mission d’information sur la mise en œuvre et suivi de la réorganisation du ministère de la Défense sous la XIIIe législature (6), nos collègues Bernard Cazeneuve et François Cornut-Gentille regrettaient le retard pris par le ministère pour développer les capacités d’expertise financières nécessaires au pilotage de la réforme. De même, dans son rapport précité sur le bilan à mi-parcours de la loi de programmation militaire 2009-2014, la Cour des comptes juge « volatil » le chiffrage de l’impact économique de certaines mesures, notamment pour ce qui concerne l’impact des déflations sur la masse salariale (cf. infra) et celui des mesures de réorganisation sur les dépenses de fonctionnement.

En effet, comme le directeur des affaires financières du ministère de la Défense l’a indiqué aux rapporteurs, des difficultés d’articulation sont apparues entre le pilotage fonctionnel de la réforme par les chefs de projet et son pilotage financier, par les responsables de BOP. Ces difficultés portaient notamment sur le suivi de la déflation des effectifs : les objectifs fonctionnels de déflation, tels qu’ils ressortent des documents de planification de la structure des emplois du ministère, ne correspondaient pas toujours aux effectifs budgétaires suivis par les responsables de BOP (RBOP). De même, les économies de fonctionnement avaient été surestimées, et leur rendement s’est souvent avéré progressif : elles n’atteignent leur niveau cible qu’en régime de croisière, après une phase de montée en puissance qui peut d’ailleurs engendrer des surcoûts ab initio.

Disposer d’une expertise financière robuste constituait pourtant un enjeu important pour la bonne mise en œuvre de la réforme. En effet, dans le cadre d’une loi de programmation militaire sous-tendue par une stratégie de redéploiement vers les dépenses d’équipement des crédits économisés sur les dépenses de fonctionnement, il était particulièrement important de pouvoir évaluer correctement le montant de ces économies.

Faute d’outils de comptabilité analytique, le ministère de la Défense a donc été conduit à renforcer les capacités d’expertise financière du dispositif de pilotage de la réforme en développant des outils ad hoc. Il a ainsi mis en œuvre un projet, dénommé Aramis, de renforcement de la fonction financière (cf. l’encadré ci-après), et mis en place une procédure de suivi croisé des déflations par projet et par BOP. Il s’agissait, selon le SGA, de lier plus étroitement les économies réalisées à leurs sous-jacents physiques et financiers, traduisant la mise en œuvre concrète de la réforme.

L’évaluation définitive des économies de fonctionnement générées par la réforme a été présentée au C2M en juillet 2012. Elles sont estimées à 1,649 milliard d’euros entre 2008 et 2015, soit 65 millions d’euros de moins que la prévision initiale faite en 2009 dans le cadre de la loi de programmation militaire.

Le renforcement de l’expertise financière dans le cadre du projet Aramis

Dès 2010, dans le cadre du projet Aramis, le comité de modernisation du ministère (C2M) a décidé de la création d’un groupe de travail, réunissant la direction des affaires financières (DAF), la mission pour la coordination de la réforme (MCR), l’État-major des armées (EMA) et les responsables de programmes. La mission de ce groupe de travail a été de définir une méthodologie permettant de valoriser les économies de fonctionnement et les surcoûts pour chacun des projets de réforme.

Cette nouvelle démarche analytique a été mise en œuvre en 2011 en coopération avec les chefs de projets, et en décembre 2011, des résultats provisoires ont été publiés. Ils confirmaient dans ses grandes lignes le chiffrage initial établi en 2009. Dans son rapport public thématique précité, la Cour des comptes jugeait en juillet 2012 que « Quoique méritoires, ces travaux ne permettent donc pas d’éclairer de façon suffisamment précise la prise de décision ».

Pour améliorer la fiabilité de ces évaluations, un travail de consolidation des données a été mené au cours du premier semestre 2012 pour préciser ces résultats, qui ont été présentés au C2M en juillet 2012.

Source : secrétariat général pour l’administration du ministère de la Défense.

2. Des dispositifs ad hoc d’accompagnement social et territorial des restructurations, que les acteurs ont su s’approprier

Dès la mise en œuvre de la réforme, le ministère de la Défense a mis en place des dispositifs originaux permettant d’accompagner les restructurations engagées. Ces instruments tendent à compenser les conséquences de ces opérations tant sur le plan social que sur l’activité économique des territoires appelés à perdre tout ou partie des implantations militaires dont l’activité pouvait contribuer pour une part substantielle à la marche de l’économie locale. On rappellera en effet qu’entre 2008 et 2015, 82 unités doivent être dissoutes –dont 15 régiments, 10 bases aériennes et une base aéronavale –, 14 bâtiments de la marine nationale doivent être retirés du service actif, et 47 unités doivent être transférées, en vue de densifier certaines implantations.

a. Les mesures d’accompagnement social

En vue de faciliter la mise en œuvre de restructurations, notamment en ce qu’elles impliquent des mutations professionnelles et de réductions d’effectifs, le ministère de la Défense a élaboré et mis en œuvre en 2009 un plan d’accompagnement des restructurations (PAR), qui réunit diverses mesures d’aides au bénéfice de ses personnels civils et militaires – et parfois de leur conjoint – affectés par une mesure de restructuration. Aux termes des instructions et circulaires (7) qui en définissent le régime, ces mesures sont applicables jusqu’au 31 décembre 2014.

Le plan d’accompagnement comprend deux principaux types d’aides : des mesures d’aide à la mobilité et des mesures d’incitation au départ, comme le montre l’encadré ci-après. Diverses aides à la formation, à l’orientation ou au reclassement, ainsi que diverses prestations d’action sociale complètent ces mesures. En outre, une ligne de crédit a été ouverte pour financer l’indemnisation du chômage des personnels civils qui ont perdu leur emploi à la suite d’une restructuration.

Les crédits consacrés à l’ensemble de ces aides ont augmenté progressivement entre 2009 et 2011, passant de 140 millions d’euros en 2009 à 240 millions d’euros environ depuis 2011.

Le plan d’accompagnement des restructurations

1. Incitation au départ et à la mobilité des militaires :

– par le versement d’un pécule défiscalisé dont le montant est fonction de l’ancienneté et dont la 2e tranche est conditionnée à la reprise effective d’une activité professionnelle dans les deux années suivant le départ ;

– par l’extension du bénéfice du complément forfaitaire et du supplément forfaitaire aux militaires non chargés de famille ;

– par l’extension aux militaires du dispositif ouvert au personnel civil d’allocation d’aide à la mobilité du conjoint.

2. Accompagnement des personnels civils :

Les mesures d’incitation au départ des personnels civils s’inscrivent :

– d’une part, dans le cadre réglementaire interministériel : indemnité de départ volontaire des fonctionnaires (IDV), prime de restructuration de service, allocation d’aide à la mobilité du conjoint et indemnité temporaire de mobilité ;

– d’autre part, dans le cadre de mesures spécifiques au ministère de la défense : complément spécifique de restructuration au profit des fonctionnaires et des agents non titulaires en CDI, complément exceptionnel de restructuration et IDV spécifique au profit des ouvriers de l’État.

3. Formation et reconversion :

Diverses mesures destinées à compenser les contraintes liées à la mobilité viennent compléter le dispositif pour les personnels restructurés : formation, aide à l’orientation, reclassement, prestations spécifiques d’accompagnement social et d’action sociale.

4. Dépense chômage :

L’indemnisation des anciens militaires qui se trouvent au chômage au terme de leur contrat avec les armées ou après une courte période d’activité dans le secteur privé est prise en charge par le ministère de la défense quand celui-ci a été l’employeur « majoritaire » du demandeur d’emploi.

Source : Sénat, rapport d’information n° 660 (2011-2012) de MM. Gilbert Roger et André Dulait, fait au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense, 11 juillet 2012.

Pour faciliter la reconversion des personnels civils et militaires – que celle-ci soit consécutive ou non à une restructuration de leur organisme d’emploi –, le ministère a créé en 2009 l’agence de reconversion de la Défense (ARD) dénommée « Défense mobilité », qui offre des prestations d’orientation et d’accompagnement direct vers l’emploi. Le ministère organise aussi régulièrement des manifestations de type « Forum-Emploi » permettant de mettre en contact les personnels avec les employeurs potentiels.

L’efficacité de cette politique d’accompagnement social fit l’objet d’une appréciation mitigée de la part de ses gestionnaires. Ainsi, le directeur des affaires financières du ministère a souligné devant les rapporteurs les effets d’aubaine que suscitent ces dispositifs. Selon lui, les aides au départ et à la mobilité destinées aux ouvriers de l’État, si elles se sont montrées efficaces les premières années, sont en perte de vitesse ; ce ralentissement peut s’expliquer par une réduction du vivier des bénéficiaires potentiels due à l’importante déflation des effectifs d’ouvriers de l’État depuis 2008, par l’impact du recul de l’âge légal de la retraite sur les conditions d’attribution des aides et par les tensions sur le marché de l’emploi. Concernant le « pécule » accordé sur demande agréée aux militaires qui quittent volontairement leurs postes, il estime leur coût annuel moyen à 140 millions d’euros, ce qu’il juge élevé par rapport au montant des économies que permettent ces départs – 220 à 230 millions d’euros. L’efficience du dispositif est encore plus limitée si l’on tient compte des coûts de recrutement qui s’ajoutent au montant brut des aides : en effet, les personnels qui en demandent le bénéfice ne sont pas toujours ceux dont les compétences ne correspondent plus aux besoins du ministère – au contraire, il s’agit souvent de ceux qui possèdent des compétences particulières, susceptibles d’intéresser d’autres employeurs.

Il faut toutefois souligner que ces dispositifs ont rencontré un certain succès. Au 30 juin 2012, plus de 14 600 personnels civils en avaient bénéficié : 1 500 d’entre eux ont reçu une indemnité de départ volontaire, et 13 175 une aide à la mobilité (dont un tiers sous forme d’indemnité). L’indemnité moyenne de départ volontaire atteint 74 400 euros pour les ouvriers de l’État, et 42 000 euros pour les fonctionnaires. Quant à l’indemnisation moyenne de la mobilité, elle atteint 20 000 euros.

b. Les mesures d’accompagnement territorial

i. Un plan de redynamisation territoriale organisé de façon à adapter les actions de redynamisation aux besoins locaux

Afin de compenser l’effet des restructurations du ministère de la Défense sur l’activité économique des zones concernées, une circulaire du Premier ministre en date du 25 juillet 2008 (8) a mis en place un dispositif spécifique de redynamisation des territoires affectés par des restructurations se traduisant par la perte de plus de 50 emplois. Outre des mesures relatives à l’implantation des services publics et un plan « Grand Nord-Est », ce plan prévoit notamment :

– des outils contractuels d’aménagement du territoire : les contrats de redynamisation de site (CRSD) et les plans locaux de redynamisation (PLR) ;

– des modalités spécifiques de cession des emprises immobilières de la Défense, qui permettent dans certains cas aux collectivités territoriales de les acquérir pour un euro symbolique ;

– des mesures d’aides directes aux entreprises.

La circulaire précitée fixe deux critères cumulatifs d’éligibilité à un CRSD : un nombre d’emplois perdus dépassant le seuil de 200, et « une grande fragilité économique et démographique ». Le PLR concerne les sites qui, sans être éligibles à un CRSD, ont connu des restructurations ayant « un impact significatif, sans qu’il en résulte pour autant un bouleversement profond de l’économie locale ».

Dans un souci de souplesse, le pilotage du dispositif a été organisé sur un mode déconcentré et partenarial défini par la circulaire précitée : la nature contractuelle des « contrats de site » – CRSD et PLR –, ainsi que leur pilotage par les services déconcentrés de l’État, en témoignent.

C’est en effet au préfet de département que revient le pilotage du dispositif, avec l’appui des délégués régionaux aux restructurations de défense ainsi que d’un comité de site de défense composé de représentants des services déconcentrés de l’État, des collectivités territoriales et des acteurs locaux que le préfet juge utile d’y associer. Au niveau national, un comité technique interministériel placé sous l’égide de la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR) instruit les projets de CRSD – qui sont soumis à l’approbation du Premier ministre –, engage les crédits prévus par les contrats de site, puis en suit l’exécution. Au sein du ministère, la délégation à l’accompagnement des restructurations (DAR) est chargée du suivi du dispositif.

Qu’il s’agisse d’un CRSD ou d’un PLR, les règles fixées par la circulaire du 25 juillet 2008 visent à garantir que les actions de revitalisation prévues par les contrats de site soient aussi adaptées que possible au contexte économique local. Ainsi, le contrat doit être établi sur la base d’un « diagnostic territorial », et « reposer sur une stratégie de revitalisation économique durable, créatrice d’activités et d’emplois ». La circulaire précise, dans le cas d’un CRSD, que ce diagnostic prend la forme d’une « analyse externalisée permettant de disposer d’un regard objectif sur le territoire concerné (analyse de type « faiblesses/potentialités) », confiée à des cabinets de conseil privés.

La coexistence de deux outils contractuels s’explique par la volonté des pouvoirs publics de différentier les aides pour mieux tenir compte des spécificités territoriales, en fournissant aux zones les plus fragilisées l’appui le plus structuré. C’est pourquoi le régime du CRSD est plus détaillé que celui du PLR par la circulaire précitée du 25 juillet 2008, qui définit « la typologie des actions à privilégier » :

– les actions collectives en direction des entreprises locales ;

– les aides au maintien et à la création d’emplois ;

– les formations en faveur de l’adaptation et de l’employabilité de la main-d’œuvre locale ;

– la promotion du territoire et la valorisation de son image ;

– la prospection et l’accueil d’activités créatrices d’emploi.

Comme l’a indiqué aux rapporteurs le colonel Olivier Vasserot, délégué à l’accompagnement des restructurations du ministère de la Défense, la principale différence entre ces deux outils tient à ce que seul le CRSD permet la cession d’emprises immobilières à l’euro symbolique au profit des collectivités territoriales. Les contrats sont conclus pour une durée initiale de trois ans, renouvelable une fois pour une durée de deux ans.

Pour le financement des engagements souscrits par l’État dans les contrats de site, une enveloppe de 320 millions d’euros de crédits a été réservée, pour les deux tiers au sein du fonds pour les restructurations de la Défense (FRED) et pour un tiers au sein du fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT) pour la période 2009-2015. Sur cette enveloppe, 225 millions d’euros sont destinés aux CRSD métropolitains, 75 millions aux PLR métropolitains, et 20 millions d’euros spécifiquement consacrés à l’outre-mer.

Ces instruments s’articulent avec un ensemble d’autres dispositifs :

– les aides à finalité régionale ont vu leur zonage adapté pour tenir compte des restructurations ;

– diverses aides fiscales, comme le crédit de taxe professionnelle pour les zones d’emploi en grande difficulté (9) ou les exonérations fiscales et sociales prévues pour les bassins d’emploi à redynamiser (10) ont été étendues aux zones les plus affectées par les restructurations de la Défense ;

– un fonds d’accompagnement des communes au titre des restructurations de Défense a été mis en place pour compenser la perte de ressources résultant pour les communes du départ des personnels du ministère de la Défense ;

– la circulaire du 25 juillet 2008 prévoit aussi des délocalisations de services administratifs hors d’Île-de-France vers les zones touchées par une restructuration et encadre les réorganisations des autres services publics sur les sites déjà touchés par une restructuration militaire : elle évoque un gel des fermetures d’établissements d’enseignement secondaire ainsi que des mesures visant à éviter les fermetures de services hospitaliers.

Par ailleurs, un dispositif spécifique d’aide directe aux entreprises qui réalisent des investissements dans ces territoires a été mis en place, piloté par la DAR. 240 entreprises en ont bénéficié, pour un montant total de 30 millions d’euros, générant 5 800 créations d’emploi selon le secrétariat général pour l’administration du ministère de la Défense.

Comme le secrétaire général pour l’administration l’a souligné devant les rapporteurs, ce dispositif d’accompagnement économique n’a pas d’équivalent dans d’autres départements ministériels.

ii. Des outils que les acteurs locaux ont su s’approprier

Il ressort des travaux des rapporteurs que ce dispositif d’accompagnement territorial est jugé utile et performant par la plupart des acteurs.

Comme l’a souligné le délégué à l’accompagnement des restructurations, ce dispositif permet de résoudre efficacement un conflit d’objectifs dans les politiques publiques entre :

– une logique de concentration des implantations militaires, nécessaire pour réaliser les économies prévues dans le cadre de la réforme en rapprochant les forces de leurs soutiens mutualisés ;

– une politique interministérielle d’aménagement du territoire. Les magistrats de la Cour des comptes entendus par les rapporteurs ont d’ailleurs souligné que si l’État avait fait connaître en 2008 son intention de veiller à ce que les préoccupations d’aménagement du territoire n’interfèrent pas avec les objectifs de la réforme de la carte militaire, il n’en a pas moins tenu compte par la suite, ce qui l’a conduit à renoncer à fermer ou à déplacer certaines unités isolées, notamment dans le grand Est.

Les instruments d’accompagnement des restructurations ont en effet connu un déploiement rapide et (presque) complet. Rapide, dans la mesure où la circulaire qui définit le plan d’accompagnement a été publiée moins de trois mois après la parution du Livre blanc de 2008 sur la défense et la sécurité nationale, et avant même l’entrée en vigueur de la loi de programmation militaire 2009-2014. Presque complet, car selon les informations présentées aux rapporteurs par M. Emmanuel Berthier, délégué interministériel à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, 22 des 25 CRSD prévus en 2008 ont été conclus, de même que 25 des 33 PLR envisagés – pour quatre des huit autres restants, le processus serait en bonne voie d’aboutissement. Selon M. Berthier, le fait que certains contrats de site prévus en 2008 n’aient pas été conclus s’explique soit par l’absence de demande locale, soit par la non-réalisation des restructurations prévues, comme tel est le cas par exemple à Mayotte.

Les contrats de site ont permis le développement d’activités variées, parmi lesquelles on retiendra :

– la reconversion d’emprises militaires en internats d’excellence (comme à Sourdun, à Barcelonnette et à Noyon), ou en logements pour personnes âgées (à Givet), pour étudiants (à Arras) ou en accession à la propriété (à Briançon et à Compiègne) ;

– des parcs d’activités pour l’industrie, les services et l’artisanat, par exemple à Arras et à Sourdun ;

– des pôles de loisir et de culture (comme à Langres), ou de tourisme (par exemple à Briançon).

En outre, l’action de l’État en matière de redynamisation territoriale semble avoir eu un certain effet d’entraînement, au-delà même de l’effet de levier financier permis par la participation des collectivités territoriales. En effet, la majorité des responsables nationaux et locaux rencontrés par les rapporteurs soulignent que la mise en œuvre des contrats de site a souvent permis de relancer une réflexion stratégique sur le développement économique local, et une politique d’aménagement du territoire. La mobilisation de la DATAR et des délégués régionaux de la DAR, ainsi que les prestations d’études de conseils extérieurs financés par le FRED pour quatre millions d’euros, ont d’ailleurs représenté un apport appréciable en ingénierie.

Certes, la mise en œuvre du dispositif en a révélé certaines limites. Les acteurs locaux rencontrés par les rapporteurs à Cherbourg ont ainsi estimé que le diagnostic territorial obligatoire en amont de l’élaboration du contrat de site était largement redondant avec les outils préexistants de planification des mesures d’aménagement du territoire – notamment le contrat pluriannuel État-région (CPER) et le schéma de cohérence territoriale. Les mêmes responsables jugent aussi que les procédures de déclaration d’inutilité des terrains militaires à effectuer auprès de la mission de réalisation des actifs immobiliers du ministère de la Défense (MRAI) en vue de la vente des dits terrains aux collectivités territoriales sont complexes, et qu’en général, les délais de validation de certaines décisions par les services centraux du ministère pourraient compromettre la réalisation de certains projets dans la mesure où le PLR arrive à terme à la fin de l’année 2014.

Néanmoins, les mêmes acteurs reconnaissent que la plupart des difficultés rencontrées ne sont pas spécifiques au plan de redynamisation du ministère de la Défense : elles sont habituelles dans la conduite des projets partenariaux d’aménagement du territoire.

On pourrait, certes, s’interroger sur les risques d’effets d’aubaine dans la mise en œuvre des contrats de site. Le fait qu’un tel contrat contribue au financement d’une ligne de tramway et d’un musée d’art contemporain dont la construction était déjà décidée peut en effet surprendre. Les acteurs rencontrés par les rapporteurs à Cherbourg ont d’ailleurs indiqué qu’ils avaient accordé une attention particulière à ce que les crédits investis financent des infrastructures ayant une réelle vocation économique et un impact certain sur l’emploi. Toutefois, tant la DATAR que la DAR estiment que les effets d’aubaine ont été contenus dans une limite raisonnable, faisant valoir que les aides de l’État au titre des restructurations de la défense devaient s’inscrire dans une démarche globale de redynamisation des territoires à moyen ou long terme.

S’agissant du volume d’emplois créé, le bilan du plan de redynamisation est globalement positif. L’objectif des pouvoirs publics consistait initialement à recréer sur chaque site autant d’emplois que la Défense en avait supprimé, afin de compenser la perte d’activité économique induite pour les territoires concernés. Toutefois, la mise en œuvre de cet objectif s’est heurtée à plusieurs difficultés, parmi lesquelles :

– le contexte économique général, qui s’est nettement dégradé depuis 2008, avec des difficultés particulièrement vives sur le marché de l’emploi ;

– la difficulté qu’il y a à évaluer le nombre d’emplois indirects créés par un investissement en infrastructures ;

– le décalage temporel entre la perte rapide des emplois liés à la Défense et la montée en puissance de nouvelles activités, qui peut dépasser la durée du contrat de site.

La DAR évalue à 30 000 le nombre d’emplois créés grâce aux actions prévues dans les contrats de site. Si ce nombre est nettement inférieur aux emplois déjà supprimés ou en passe de l’être dans le cadre des restructurations, qu’elle estime à 55 000, le délégué à l’accompagnement des restructurations a fait valoir devant les rapporteurs que le nombre d’emplois créés n’est apprécié qu’à l’échelle des 47 bassins d’emploi couverts par un contrat de site, tandis que le nombre d’emplois supprimés concerne la France entière : si l’on ne tient compte que des zones où s’appliquent les contrats de site, le nombre d’emplois supprimés s’établit à seulement 35 000. Il fait également valoir que les emplois civils créés peuvent avoir plus d’impact sur l’économie locale que les emplois supprimés, dans la mesure où les unités militaires assurent une part de leurs soutiens elles-mêmes.

Ainsi, les dispositifs d’accompagnement des restructurations semblent avoir pu lever des obstacles – ou du moins des réticences – à la mise en œuvre des restructurations prévues dans le cadre de la réforme.

II. DES INSUFFISANCES – VOIRE DES ÉCHECS – QUI S’EXPLIQUENT EN PARTIE PAR UN CONTEXTE FINANCIER PARTICULIÈREMENT DIFFICILE

Si le bilan de la mise en œuvre du plan de réformes arrêté en 2008 est jugé globalement conforme aux objectifs, il n’en demeure pas moins qu’elle s’est heurtée à certaines contraintes, notamment financières, et qu’elle a connu au moins un échec majeur : Louvois.

A. UNE ÉQUATION FINANCIÈRE FRAGILE AB INITIO ET DÉSTABILISÉE PAR UNE MASSE SALARIALE ET DES RECETTES EXCEPTIONNELLES MAL MAÎTRISÉES

L’équation financière qui sous-tend la réforme consiste à réaliser des économies substantielles sur le soutien des forces et les ressources humaines, pour les réinvestir intégralement au profit de la condition des personnels et de l’amélioration des équipements. Or, cinq ans après la mise en œuvre de cette stratégie, il apparaît que cette équation financière était fragile dès le départ, et qu’elle a de plus été mise à mal par des réalisations très différentes des prévisions en matière de masse salariale et de recettes exceptionnelles.

1. Une équation financière fragile, reposant sur des mesures d’économies difficiles à évaluer en prévision comme en réalisation

a. Des prévisions incomplètes et parfois « normées »

Dans son rapport précité sur le bilan à mi-parcours de la loi de programmation militaire 2009-1014, la Cour des comptes recense plusieurs catégories de charges ou de manques à gagner qui n’avaient pas été pris en compte dans l’établissement de l’équation financière qui sous-tendait la programmation 2009-2014. Dans un contexte où l’évolution des ressources du ministère a déjà commencé à diverger défavorablement par rapport aux prévisions de la loi de programmation, et où il est peu probable que la dotation globale de la mission « Défense » puisse être augmentée significativement, ces charges supplémentaires accentuent donc la pression à la baisse sur les autres postes de dépense du ministère, y compris pour ce qui concerne le soutien. La Cour souligne ainsi que :

– on prévoyait en 2009 que l’exportation du Rafale permettrait à l’État de limiter les commandes qu’il doit passer pour honorer l’engagement pris envers le constructeur de l’appareil et garantissant la production d’un minimum de onze avions par an. Or, malgré des progrès dans les négociations commerciales, le Rafale n’a toujours pas fait l’objet de contrats définitifs de vente à l’exportation. Selon la Cour des comptes, en l’absence de vente d’ici 2014, l’État aura dû commander 16 avions Rafale de plus que prévu, pour un coût dépassant le milliard d’euros ;

– les surcoûts liés aux opérations extérieures sont restés nettement supérieurs aux montants inscrits à ce titre en loi de finances, l’écart dépassant 600 millions d’euros en 2012 bien que la loi de programmation militaire 2009-2014 ait planifié l’accroissement de ces dotations budgétaires et créé un mécanisme d’abondement interministériel de complément ;

– la loi de programmation n’avait prévu aucune création d’emploi au titre du renforcement de l’effectif français au sein de la structure de commandement intégré de l’OTAN, et pas plus pour la création de la base française d’Abou-Dhabi. Comme le relève la Cour, ces deux décisions étaient pourtant déjà prises au moment de l’adoption de la loi de programmation, en juillet 2009 ;

– la loi de programmation prévoyait une hausse des crédits de la mission « Défense » de 1 % en volume chaque année à compter de l’exercice 2012, hausse qui n’a pas été réalisée par les lois de finances pour 2012 et pour 2013. La Cour des comptes estime à ce sujet qu’indépendamment de la crise des finances publiques, « tabler sur une hypothétique croissance du budget à moyen terme est par nature peu prudent pour financer une politique ».

De surcroît, le général Thierry Cambournac, chef de la mission pour la coordination de la réforme jusqu’en 2011 a estimé que l’évaluation faite en 2008 et 2009 de l’impact des mesures d’économies avait parfois présenté un caractère « normé ».

En outre, le calcul des objectifs d’économies était compliqué par le fait que les analyses sectorielles produites dans le cadre de la RGPP ne correspondaient pas toujours à la nomenclature budgétaire issue de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) – BOP, programmes et actions, etc. Dès lors, comme l’a expliqué aux rapporteurs le commissaire général de corps aérien Jean-Marc Coffin, directeur central du service du commissariat des armées (SCA), des difficultés ont été rencontrées dans le chiffrage des objectifs d’économies, en construction budgétaire comme en exécution, afin d’éviter des doubles comptes.

b. Des réalisations parfois difficiles à évaluer

La principale difficulté dans l’évaluation et le suivi des économies réalisées tient à ce que le ministère de la Défense ne dispose pas pour l’heure d’outils de comptabilité analytique.

Cela explique que le Secrétariat général pour l’administration n’ait pu présenter qu’en juillet 2012 une évaluation fiabilisée de l’impact budgétaire des mesures d’économies mises en œuvre depuis 2008. Il reste d’ailleurs certaines divergences de vues entre le ministère de la Défense et celui du Budget, notamment sur le nombre d’emplois à prendre en compte comme base pour l’application des objectifs de déflation : selon le SGA, le ministère de la Défense estime que les 1 500 emplois qu’il avait supprimés dès 2008, en avance de phase sur l’application de la loi de programmation militaire, sont à prendre en compte au titre des déflations programmées, tandis que le ministère du Budget estimerait qu’ils doivent être comptabilisés hors du cadre de la loi de programmation.

Ainsi, l’appréciation des économies effectivement réalisées est particulièrement difficile s’agissant des déflations d’effectifs. Les magistrats de la Cour des comptes entendus par les rapporteurs ont ainsi constaté que faute de comptabilité analytique, on ne peut pas traduire en gains budgétaires l’impact de la réduction des effectifs, dans la mesure où la forte proportion de contractuels dans le personnel du ministère de la Défense produit un « effet de noria » : il est difficile de savoir si la non-reconduction d’un contrat en particulier s’explique par une mesure spécifique de déflation ou par la fin « normale » d’une mission. En effet, le pilotage des effectifs du ministère s’inscrit dans une logique de flux, avec un volume de départs très important chaque année : selon le SGA, une déflation de 8 000 postes en un an est la résultante, en moyenne, de 25 000 départs et de 17 000 recrutements ; or ce ne sont pas nécessairement les agents dont les postes sont supprimés qui quittent le ministère.

En outre, l’imbrication des réformes rend difficile l’estimation des économies produites par chacune. Cela se vérifie particulièrement pour les bases de défense : comme l’a expliqué à vos rapporteurs le vice-amiral d’escadre Éric Chaplet, commandant interarmées du soutien, l’impact économique de la création de ces dernières est difficile à distinguer de celui de la rationalisation concomitante des achats et des réformes des procédures de gestion des ressources humaines.

Ainsi, comme le conclut la Cour des comptes dans son rapport public thématique précité, l’incertitude sur le montant des économies réalisées « rend complexe leur recyclage au profit du financement de l’équipement des forces et de la revalorisation de la condition des militaires ».

Les évaluations pourraient gagner en fiabilité si le logiciel Chorus était qualifié comme outil cible de comptabilité analytique. Un chantier est mené en ce sens par l’Agence pour l’informatique financière de l’État (AIFE), en lien avec quelques ministères pilotes, dont le ministère de la Défense. Selon le SGA, des travaux pourraient être menés courant 2013 et les premières mises en production de sites pilotes pourraient intervenir au second semestre 2014, sous réserve toutefois que les modalités de financement de cette étude soient précisées.

2. Une équation financière déstabilisée par une masse salariale et des recettes exceptionnelles mal maîtrisées

a. Des recettes exceptionnelles dont la réalisation s’éloigne fortement des prévisions, tant du point de leur volume que de leur calendrier

Le « bouclage » financier de la réforme fixé par l’article 3 la loi de programmation militaire pour les années 2009–2014 reposait pour 3,7 milliards d’euros sur des « recettes exceptionnelles », constituées principalement des produits de cession d’actifs immobiliers et de bandes de fréquence hertzienne. Ces recettes devaient être perçues pour l’essentiel dans la première moitié de la période de programmation, comme le montre le tableau ci-après.

i. Les recettes liées à la cession de bandes de fréquence hertzienne : un retard important, mais un produit supérieur aux prévisions

Le dispositif de l’article 3 de la loi de programmation militaire 2009–2014 reposait sur l’hypothèse selon laquelle la vente de trois catégories de bandes de fréquence hertzienne rapporterait 1,45 milliard d’euros au budget de la Défense entre 2009 et 2011, à raison de :

– 450 millions d’euros pour la cession des bandes du système Rubis, servant jusqu’alors aux communications de la gendarmerie ;

– 600 millions d’euros pour la vente des bandes du système de communication Félin de l’armée de terre ;

– 400 millions d’euros pour la cession de l’usufruit des satellites Syracuse, dans le cadre d’un projet d’externalisation dénommé « Nectar ».

Ni le calendrier ni les montants perçus ne sont conformes aux prévisions : la cession des bandes « Rubis » n’a pu intervenir qu’à la fin de l’année 2011 et celle des bandes « Félin » au début de l’année 2012, tandis que le projet nectar était abandonné – ce dont se félicite la Cour des comptes dans son rapport précité. Ces retards s’expliquent en grande partie par le fait que le ministère de la Défense n’avait que peu de moyens d’action sur le calendrier de cession des fréquences, qui relevait à titre principal de l’Agence nationale des fréquences (ANFR) et DE l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP).

En revanche, le produit des cessions s’est avéré largement supérieur aux prévisions : 936 millions d’euros pour les fréquences du système Rubis, et 1,42 milliard d’euros pour celle des Félin.

Dans son rapport, la Cour des comptes souligne que le ministère de la Défense n’a pas été autorisé à consommer d’emblée le produit de ces cessions. Pour les rapporteurs, il importe pourtant que le principe du « retour intégral » de ses économies au ministère de la Défense, qui constitue l’un des piliers de la réforme, soit appliqué strictement.

ii. Les recettes liées à la cession d’actifs immobiliers : un retard important, et un produit incertain

Selon les calculs présentés par la Cour des comptes dans son rapport précité, l’équilibre de la loi de programmation militaire reposait sur l’hypothèse d’une recette exceptionnelle de 2,02 milliards d’euros au total pour les exercices 2009 à 2012. D’après la documentation budgétaire présentée à l’appui du projet de loi de finances pour 2013, 168 emprises immobilières de la Défense ont ainsi été libérées entre 2009 et 2011.

Toutefois, selon la Cour, seuls 894 millions d’euros ont pu être portés au budget de la Défense sur la période, soit 1,15 milliard d’euros de moins que prévu.

Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ce décalage.

Des retards dans la cession des emprises parisiennes du ministère

Il s’explique avant tout par le report de la cession des plus importantes emprises parisiennes du ministère. En effet, le ministère avait envisagé en 2008 de céder de gré à gré l’ensemble des emprises parisiennes à un consortium constitué entre la Société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM) et de la Caisse des dépôts et consignations. Prévu initialement pour la fin de l’année 2009 puis reporté à 2010, ce projet a finalement été abandonné. Selon les explications fournies à vos rapporteurs par les magistrats de la Cour des comptes, les parties n’ont pas pu s’accorder sur la valeur de la décote à appliquer au prix initialement envisagé pour permettre au ministère de continuer à occuper le site plusieurs années après sa vente.

L’échec de ce projet retarde la cession des emprises parisiennes à deux égards : non seulement parce que le temps consacré à ces négociations a été perdu, mais aussi parce que les emprises concernées seront cédées site par site – et non plus en une seule vente –, ce qui implique des délais administratifs plus longs. Des marchés d’études de valorisation et de conseil ont été conclus pour relancer la procédure de cession.

Les conséquences des choix d’affectation de l’hôtel de la Marine

L’hôtel de la Marine, à Paris, devrait être libéré en 2015, lorsque les éléments de la marine nationale qui l’occupent seront installés sur le site de Balard. Plusieurs projets avaient été envisagés pour permettre à la Défense de tirer profit de la libération de ce bâtiment.

La marine nationale n’a pas encore libéré cette emprise, mais la décision a été prise par les pouvoirs publics de ne pas la céder, et de l’affecter à un usage qui ne produira pas de bénéfice pour le ministère de la Défense.

Pour les rapporteurs, sans contester le bien-fondé des décisions prises, il serait conforme au principe de « retour intégral » des économies que cette opération ouvre droit à une compensation pour le ministère de la Défense.

La cession d’un nombre important d’emprises à l’euro symbolique

Il ressort de la documentation budgétaire fournie dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2013 que la moitié des emprises cessibles dans le cadre des restructurations prévues entre 2009 et 2014 est éligible au dispositif de cession à l’euro symbolique aux collectivités territoriales prévu par l’article 67 de la loi de finances pour 2009 – avec toutefois un complément de prix différé en cas de revente. La liste des communes éligibles à ce dispositif a été fixée par le décret n° 2009-829 du 3 juillet 2009 ; toutes les communes dont le territoire est couvert par un contrat de redynamisation de site de défense (CRSD) en font partie.

Il est fréquent que les collectivités territoriales utilisent cette faculté. Ainsi, sur 37 emprises cédées en 2011, 29 l’ont été à l’euro symbolique. Le service France Domaine estime leur valeur à 51,64 millions d’euros.

Les magistrats de la Cour des comptes ont émis devant les rapporteurs une appréciation réservée sur ce dispositif, notant en outre qu’il peut avoir un impact négatif sur le niveau des recettes exceptionnelles du ministère, dans la mesure où les pertes de recettes afférentes ne lui sont pas compensées.

Le coût et la durée des opérations de revalorisation des emprises

Il ressort des entretiens des rapporteurs que le coût de remise en état de certaines emprises, notamment les frais afférents à leur dépollution ou de leur désamiantage, n’avaient pas toujours été évalués correctement dès 2009.

De telles opérations sont souvent nécessaires avant la mise en vente d’anciennes emprises opérationnelles ou industrielles, qui ne sont susceptibles en l’état ni de trouver rapidement un acquéreur final, ni de s’inscrire immédiatement dans un projet d’aménagement urbain ou économique soutenu par une collectivité. Tel est souvent le cas pour les bases aériennes, les citadelles ou les camps d’entraînement. Les cessions nécessitent alors des études préalables et, parfois, de longues négociations.

Or, dans un contexte budgétaire très contraint, l’engagement des dépenses nécessaires ne peut pas toujours être rapide, ce qui retarde d’autant plus la cession des emprises concernées.

L’impact de la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement

Plusieurs opérations de cessions sont suspendues dans l’attente de la mise en application des dispositions de la loi n° 2013-61 du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.

En effet, l’article 1er de cette loi institue une procédure de cession à titre gratuit de certaines emprises immobilières appartenant à l’État au profit de collectivités territoriales qui les transformerait en logements sociaux.

Selon les informations fournies à vos rapporteurs par le ministère de la Défense, plusieurs cessions seraient ainsi suspendues, à l’image de celle de la caserne de Reuilly, à Paris. Le ministère envisage, dans certains cas, de négocier des réservations de logements familiaux dans les emprises ainsi reconverties.

En tout état de cause, comme l’a fait valoir devant les rapporteurs le secrétaire général pour l’administration, la loi du 18 janvier 2013 constitue une contrainte importante, réduisant potentiellement la valeur des biens à céder. Pour les rapporteurs, là encore, le principe de « retour intégral » des économies au ministère de la Défense pourrait justifier une compensation. Tout au moins faudrait-il choisir avec discernement les emprises ainsi cédées, de façon à ne pas dévaloriser une part trop importante des actifs immobiliers.

On rappellera en outre que les emprises libérées mais non encore cédées ont un coût pour le ministère : selon les informations fournies par le SGA, les frais de gardiennage de ces emprises atteignent près de 2,5 millions d’euros par an. En outre, les emprises désaffectées ont tendance à se dégrader, ce qui en réduit la valeur potentielle.

b. Une masse salariale qui continue de croître en dépit des déflations drastiques opérées dans les effectifs du ministère

Dans son rapport précité sur le bilan à mi-parcours de la loi de programmation militaire, la Cour des comptes constate un paradoxe : alors que les effectifs du ministère ont fortement diminué, plus rapidement même que le rythme de déflation prévu, sa masse salariale – dite « dépenses de titre 2 » – a continué à croître.

La Cour relève en effet que les économies de masse salariale diminuées des coûts d’accompagnement des restructurations pour le personnel sont estimées, par le ministère de la Défense, à un montant net cumulé de 5,4 milliards d’euros dont 1,1 milliard d’euros avant la fin de l’exercice 2011. Ces éléments sont évalués sur la base des coûts des entrants par catégorie de personnel dans les postes supprimés, selon une approche commune au ministère de la défense et à la direction du budget. La Cour juge qu’« ils sont très estimatifs, le détail ne correspondant pas à une liste précise de personnes ayant quitté le ministère sans être remplacées ».

Comparant les économies revendiquées par le ministère avec les données d’exécution budgétaire communiquées par la direction des affaires financières du ministère de la Défense, la Cour relève surtout que ces données montrent une augmentation de 1,02 milliard d’euros des dépenses de titre 2 entre 2008 et 2011, concluant que cette comparaison « ne peut inciter qu’à la prudence quant à [la] fiabilité » des économies évaluées.

Ce paradoxal effet de ciseaux – une masse salariale en progression malgré des effectifs en baisse – peut s’expliquer par plusieurs facteurs, qui contribuent à expliquer la mauvaise maîtrise des dépenses de titre 2 du ministère.

i. Une tendance au repyramidage des effectifs

Dans son rapport précité, la Cour des comptes montre que le taux d’encadrement civil et militaire du ministère a été renforcé depuis 2008, pour atteindre aujourd’hui :

– s’agissant des personnels militaires, un officier pour six sous-officiers et militaires du rang ;

– s’agissant des personnels civils, un cadre de catégorie A pour huit agents de catégories B et C.

La Cour juge ce taux d’encadrement « élevé », sur la base d’une comparaison – qui peut être discutable – avec les effectifs du ministère de l’Intérieur, laquelle fait apparaître un taux d’encadrement d’un officier de gendarmerie pour 14 gendarmes et volontaires, et d’un fonctionnaire civil de catégorie A (ou commissaire de police) pour 11 agents des catégories B et C.

La Cour met surtout en évidence une tendance au repyramidage des effectifs du ministère de la Défense, où le taux de déflation des effectifs a été à peu près inversement proportionnel au niveau hiérarchique, comme le montre le tableau ci-après.

ETPT : emplois équivalents temps plein travaillés

Source : Cour des comptes, Le bilan à mi-parcours de la loi de programmation militaire, rapport public thématique, juillet 2012.

La Cour en conclut que le maintien du taux d’encadrement qui prévalait en 2008 aurait conduit à réduire, en 2011, les effectifs d’officiers de 1804 ETPT et les effectifs civils de catégorie A de 2033 ETPT, ce qui aurait généré, selon elle, une économie de l’ordre de 236 millions d’euros. La Cour reconnaît toutefois que certaines raisons ont pu justifier un repyramidage des effectifs du ministère :

– l’accent mis par le Livre blanc de 2008 sur la fonction « connaissance et anticipation », qui regroupe un ensemble d’activités particulièrement complexes, a rendu nécessaire le recrutement de 700 personnels hautement qualifiés ;

– il existe en quelque sorte des « coûts fixes » liés à la possession d’un outil militaire répondant à l’objectif stratégique d’autonomie stratégique : ainsi, les effectifs très qualifiés nécessaires aux capacités de planification et d’expertise autonomes ne sont pas strictement proportionnels aux effectifs globaux des armées ou au nombre d’unités ;

– la réintégration du commandement intégré de l’OTAN a nécessité le déploiement de près de 900 personnels français supplémentaires, essentiellement pour des fonctions relevant de personnels hautement qualifiés ;

– en outre, la réforme des retraites a pu retarder le départ des personnels effectuant les carrières les plus longues, notamment parmi les officiers et les personnels de catégorie A, sans que la diminution des flux sortants qui en résulte soit compensée à due concurrence par une baisse du nombre de recrutements avant l’année 2012.

Néanmoins, la Cour des comptes estime qu’en plus des surcoûts qu’il engendre, le pyramidage des effectifs présente d’autres inconvénients pour le bon fonctionnement de notre outil de défense. Il peut selon elle « conduire à l’engorgement et à la bureaucratisation des administrations centrales et intermédiaires, des multiples structures de soutien et de contrôle et du système d’enseignement supérieur, d’autant plus qu’il y a moins de commandements à attribuer ». Pour la Cour, « cette tendance risque d’accroître la pression sur les formations de terrain, objets de multiples sollicitations, alliant instructions administratives, inflation du “reporting” et des nombreuses inspections ».

Il est cependant à noter que le ministère de la Défense a une appréciation très différente du coût du repyramidage de ses effectifs, qui repose notamment sur l’idée que les objectifs de déflation étant fixés quantitativement pour l’ensemble des personnels, des déflations plus importantes parmi les officiers et les personnels civils de catégorie A se seraient traduites par de moindres déflations dans les effectifs des personnels civils et militaires des autres catégories. Une mission conjointe constituée entre l’Inspection générale des finances et le Contrôle général des armées sur le repyramidage des effectifs et la gestion du titre 2 du ministère de la Défense, qui a remis son rapport le 4 février 2013, a ainsi estimé le coût de l’évolution de la pyramide des effectifs militaires à près de 112 millions d’euros sur la période 2007-2012, soit environ 22 millions d’euros par an en moyenne, contre 120 millions d’euros dans les calculs de la Cour des comptes pour la seule période 2008-2011, soit 40 millions d’euros par an.

Le secrétaire général pour l’administration a précisé devant les rapporteurs que depuis 2012, le ministère s’était engagé dans une démarche de dépyramidage des effectifs militaires. Cette mesure s’est traduite par la mise en place d’un contingentement des effectifs par grade et échelle de solde, conformément aux directives du Premier ministre ainsi que, faute de leviers suffisamment attractifs pour susciter un nombre suffisant de départs volontaires, par une rédaction sensible de l’avancement en 2013. Ainsi, d’après le secrétaire général pour l’administration, les tableaux d’avancement des officiers supérieurs pour 2013 marquent, par rapport à 2012, des baisses respectives de 23 %, 19 % et 14 % sur l’accès aux grades de colonel, lieutenant-colonel et commandant. Ces baisses moyennes dépassent 30 % pour certains corps.

ii. Le « glissement vieillesse technicité » (GVT) et les mesures statutaires de revalorisation de la condition militaire intervenues depuis 2009

La croissance des dépenses du titre 2 en dépit des importantes déflations intervenues dans les effectifs du ministère de la Défense depuis 2008 peut aussi s’expliquer à la fois par un phénomène structurel de « glissement vieillesse technicité » (GVT) positif et par l’impact conjoncturel des revalorisations consenties aux personnels militaires pendant cette période.

Un GVT positif particulièrement dynamique au sein du ministère de la Défense

M. Hugues Bied-Charreton, directeur des affaires financières du ministère de la Défense, a fait valoir devant les rapporteurs que le mécanisme de GVT positif – qui traduit l’évolution de la masse salariale entre deux années consécutives à effectifs et structure d’emploi constants – était structurellement plus dynamique au sein du ministère de la Défense que dans d’autres ministères.

Selon lui, le GVT positif atteint ainsi, par exemple, 3,5 à 4 % par an chez les sous-officiers. Le directeur des affaires financières a aussi estimé que ce GVT avait été sous-évalué dans l’équation sous-tendant la LPM, d’autant que d’autres facteurs l’ont aggravé : ainsi, alors que l’on avait choisi de raccourcir les carrières, cette manœuvre s’est télescopée avec le mouvement général de relèvement des âges de retraite, qui conduit au contraire au rallongement des carrières.

La portée du GVT dans la croissance des dépenses du titre 2 doit cependant être relativisée : comme le montre le tableau ci-après, s’il affiche un solde positif en 2011 sous l’effet conjugué du ralentissement des départs et de l’impact différé de la réforme des grilles indiciaires des militaires, et s’il a toujours été plus dynamique qu’il n’était prévu dans la construction des lois de finances, le GVT du ministère de la Défense n’en a pas moins été globalement négatif de 2008 à 2010.

IMPACT DU GVT SUR LES DÉPENSES DE TITRE II DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE

Source : secrétariat général pour l’administration.

Des mesures de revalorisations intervenues depuis 2009

Comme le note la Cour des comptes dans son rapport précité, la dynamique des dépenses de personnel du ministère s’explique également par les mesures statutaires de revalorisation de la condition des militaires qui ont été prises depuis 2009, parmi lesquelles on retiendra :

– des mesures liées à l’alignement sur les mesures ayant bénéficié à la gendarmerie nationale ;

– une nouvelle grille de rémunération mise en place entre 2009 et 2011, concernant notamment les officiers supérieurs et assimilés ;

– un plan triennal de revalorisation indiciaire associé à un plan d’adaptation des grades aux responsabilités exercées, concernant notamment les sous-officiers en fin de carrière ;

– diverses mesures catégorielles qui, en 2011 par exemple, ont bénéficié aux aides-soignants et aux secrétaires médicaux ;

– un plan triennal visant à permettre un accès plus large à la rémunération hors échelle B pour les colonels et équivalents.

La Cour juge « paradoxal » que ces mesures « concernent principalement les populations au sein desquelles des départs volontaires sont espérés ».

Le directeur des affaires financières du ministère de la Défense a toutefois fait valoir que l’ensemble de ces mesures de revalorisation visait à faciliter l’acceptation et l’appropriation de la réforme du ministère par ses agents, dans le cadre d’une sorte de « contrat social » aux termes duquel une revalorisation des carrières (le « retour catégoriel ») devait compenser la déflation des effectifs.

Le secrétaire général pour l’administration du ministère a en outre précisé aux rapporteurs que les mesures catégorielles consenties coûtaient, en mesures nouvelles, 79 millions d’euros par an en moyenne pour la période 2008-2012, ce qui représente un « taux de retour catégoriel » moyen de 43 %, soit moins que l’objectif qui avait été annoncé, soit 50 %.

iii. La dynamique des dépenses dite « hors socle »

L’évolution des dépenses de titre 2 du ministère de la Défense doit être analysée différemment selon qu’il s’agit :

– des dépenses dites « socle », comprenant principalement les soldes et autres rémunérations récurrentes des personnels ;

– des dépenses dites « hors socle », qui regroupent les dépenses de titre 2 non récurrentes comme l’indemnisation au titre du chômage et des dommages liés à l’amiante, ou encore les différentes mesures d’incitation au départ volontaire dans le cadre de l’accompagnement des restructurations.

Comme le note la Cour des comptes pour la période 2008-2011, l’évolution de ces deux agrégats est contrastée : les dépenses « socle » sont en baisse de 0,57 % – soit environ 2 520 millions d’euros d’après les précisions fournies par la direction des affaires financières du ministère –, tandis que les dépenses « hors socle » connaissent une augmentation de près de 40 %.

Pour le directeur des affaires financières, les marges d’action sur l’évolution de ces dépenses « hors socle » sont très faibles s’agissant des compétences « de guichet » du ministère – par exemple en matière d’indemnisation du chômage ou des préjudices liés à l’amiante –, dont la croissance a compensé les économies réalisées sur les dépenses « socle ».

D’autres dépenses « hors socle » particulièrement dynamiques sont liées aux dispositifs d’accompagnement social des restructurations créés pour faciliter la mise en œuvre de la réforme du ministère. Ainsi, selon la Cour des comptes, le ministère de la Défense a dépensé entre 2009 et 2011 un montant de 278 millions d’euros en pécules et indemnités de départ pour les militaires, et 143 millions d’euros en indemnités de départ pour les personnels civils.

iv. La « civilianisation » encore limitée des effectifs du ministère, notamment dans les fonctions de soutien

Dans le cadre de la réforme du ministère entreprise à partir de 2008, un effort de rééquilibrage de la répartition des postes entre civils et militaires avait été annoncé, avec un objectif de 25 % de civils et de 75 % de militaires. L’effort de « civilianisation » devait porter principalement sur les soutiens, à l’occasion de leur réorganisation autour des groupements de soutien des bases de défense (GSBDD), pour lesquels, comme l’ont rappelé les syndicats représentatifs des personnels civils de la défense devant les rapporteurs, l’objectif consistait à atteindre un taux de civilianisation de deux tiers environ.

Or, comme l’a reconnu devant les rapporteurs le général Christophe de Cugnac, commandant du centre de pilotage et de conduite du soutien (CPCS), les objectifs de civilianisation sous-tendant la dernière loi de programmation militaire n’ont pas été atteints. Le 1er janvier 2011, le ministère de la Défense comptait 23 % de civils et 77 % de militaires, et il ressort des travaux des rapporteurs que les déflations d’effectifs ont été proportionnellement plus importantes parmi les civils que parmi les militaires. Comme le relevaient dans leur rapport précité MM. Bernard Cazeneuve et François Cornut-Gentille, pour 2012 les référentiels en effectifs et en organisation (REO) des GSBDD prévoyaient un taux de civilianisation encore limité à 42 %. Encore faut-il ajouter que, selon les syndicats reçus par les rapporteurs, il ne serait pas rare que certains postes destinés à des personnels civils soient déclarés vacants et occupés par des personnels militaires.

Aucun des syndicats représentatifs entendus par kles rapporteurs ne nie toutefois la nécessaire complémentarité entre civils et militaires dans les missions de soutien des forces, ne serait-ce que parce que les militaires, du fait de leur statut, sont projetables en opérations extérieures et soumis à des contraintes de mobilité plus grandes que les civils, ce qui va dans le sens du bon fonctionnement des soutiens. Les responsables du centre expert en ressources humaines de la marine nationale rencontrés par les rapporteurs lors de leur déplacement à Toulon ont d’ailleurs souligné que c’est la disponibilité statutaire des personnels militaires qui avait permis au centre de mettre en œuvre des dispositifs de réaction rapide aux dysfonctionnements du système Louvois, en réquisitionnant le personnel pendant les week-ends ou pendant certaines permissions.

Toutefois, pour certains syndicats, l’aptitude de certains militaires affectés en GSBDD à être projeté en opération extérieure est parfois discutable. Un poste en GSBDD serait en effet souvent vu comme un temps de « respiration » dans une carrière militaire, voire comme un poste de fin de carrière. Les représentants de la fédération Défense de la confédération française démocratique du travail (CFDT) ont d’ailleurs cité devant les rapporteurs le cas de bases de défense dont le personnel militaire ne satisfaisait que pour 60 % aux critères de condition physique fixés pour être projetés en opération extérieure, alors que l’objectif fixé par le CPCS atteindrait 75 %, et pour 30 % seulement aux tests d’aptitude au tir de combat, alors que le CPCS se fixe un objectif de 70 % en la matière.

Lors de leur audition, les magistrats de la Cour des comptes ont eux aussi constaté une certaine réticence, au sein des armées, à confier des fonctions de soutien pourtant déliées de tout caractère opérationnel – comme des fonctions financières – à des personnels civils. D’ailleurs, il en résulte parfois des situations d’inadéquation des compétences de ces personnels avec les tâches qui leur sont confiées, avec des cas fréquents de surqualification.

Pourtant, la civilianisation des fonctions qui n’ont pas besoin d’être tenues par des personnels militaires constitue un véritable gisement d’économies. En effet, les obligations de maintien en condition physique et de formation continue des personnels militaires ne les rendent disponibles, théoriquement, que 1 000 heures par an environ alors que les civils le sont 1 600 heures, comme l’ont souligné les organisations syndicales représentatives et comme le montre l’encadré ci-après. Il en résulte que la faible civilianisation des soutiens représente un surcoût certain pour le ministère de la Défense.

En outre, pour une tâche donnée, un civil travaille en moyenne 1 600 heures par an ; le militaire, qui passe au moins autant de temps au service de son employeur, doit, pour des raisons statutaires, être toujours apte aux opérations et donc consacrer une grande partie de ses disponibilités à entretenir sa forme physique et sa préparation strictement militaire. Il a été calculé qu’une fois défalqué ce temps d’entraînement, il ne lui restait plus qu’environ 1 000 heures à consacrer à ses tâches administratives ou industrielles de soutien.

Pourquoi un militaire coûte plus cher qu’un civil

Le statut général des militaires, tel qu’il résulte de la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005, dispose dans son article premier que « l’état militaire exige en toutes circonstances esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême ». En vertu de cette disposition forte, et compte tenu des risques réels qu’ils courent en opérations, les militaires bénéficient donc, sur le plan financier, d’un statut plus avantageux que les fonctionnaires civils.

Ainsi, un fonctionnaire civil de catégorie A du ministère de la Défense a coûté, en 2010, 68 801 euros en moyenne (pension incluse) à son employeur, contre 102 197 euros pour un officier ; un fonctionnaire de catégorie B a coûté 50 909 euros contre 58 592 euros pour un sous-officier ; un agent de catégorie C a coûté 36 133 euros contre 45 870 euros pour un militaire du rang.

En outre, pour une tâche donnée, un civil travaille en moyenne 1 600 heures par an ; le militaire, qui passe au moins autant de temps au service de son employeur, doit, pour des raisons statutaires, être toujours apte aux opérations et donc consacrer une grande partie de ses disponibilités à entretenir sa forme physique et sa préparation strictement militaire. Il a été calculé qu’une fois défalqué ce temps d’entraînement, il ne lui restait plus qu’environ 1 000 heures à consacrer à ses tâches administratives ou industrielles de soutien.

Source : rapport d’information n° 3624, fait par MM. Louis Giscard d’Estaing et Bernard Cazeneuve en conclusion des travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle sur les externalisations dans le domaine de la défense, 5 juillet 2011.

Pour Mme Geneviève Gosselin-Fleury, il ressort de ce constat que la civilianisation des effectifs du ministère de la Défense est aujourd’hui insuffisante, et qu’un effort résolu de civilianisation des soutiens est indispensable. Une refonte des REO établissant clairement des objectifs ambitieux de civilianisation est donc, selon elle, urgente.

Pour M. Damien Meslot, si certaines marges d’économies permises par la civilianisation des soutiens méritent assurément d’être exploitées, il convient de le faire avec prudence : il y a selon lui un double risque à pousser trop loin la civilianisation des soutiens :

– non seulement la cohésion entre les forces et les soutiens pourrait être fragilisée, notamment là où la création des bases de défense a pu être vécue comme une dépossession d’une partie des compétences du commandement ;

– mais encore, elle risque de limiter les capacités de projection des soutiens, dont l’opération Serval a pourtant bien montré l’importance cruciale.

3. Une avancée inégale des différents projets de restructuration, avec un retard globalement plus marqué pour les projets informatiques

Si, comme le secrétaire général pour l’administration l’a fait observer aux rapporteurs, aucun des 37 projets constituant la réforme du ministère n’a été abandonné pour cause d’échec, seuls cinq d’entre eux sont aujourd’hui achevés, les autres étant en cours de réalisation. En revanche, les premiers bilans de ces projets font apparaître que certains chantiers ont pris du retard par rapport à d’autres, et que certaines mesures ont produit des résultats nettement en deçà des objectifs fixés.

a. Des chantiers qui restent à poursuivre pour atteindre l’effet escompté

Parmi les mesures n’ayant pas produit l’effet escompté, on relèvera notamment celles du projet consacré à la formation des personnels, qu’il s’agisse des personnels civils du ministère – leurs représentants syndicaux ont unanimement regretté l’insuffisance des dispositifs offerts aux civils en la matière – que des personnels militaires. Selon le secrétaire général pour l’administration, le caractère limité des résultats de ce projet tient notamment à ce que la révision générale des politiques publiques (RGPP) a porté davantage sur les moyens de soutien du dispositif de formation que sur le contenu même des formations, en lien avec la réponse aux besoins des armées.

Les rapporteurs ont d’ailleurs pu constater sur le terrain que l’éventail des formations proposées ne paraissait pas toujours correspondre, dans un contexte de tensions budgétaires, à l’idée que l’on peut se faire des priorités des armées : ainsi, à Cherbourg, ils ont appris l’existence de formations destinées à préparer les personnels civils à la vie de retraité. Un travail de hiérarchisation des formations offertes compte tenu des moyens disponibles et des besoins opérationnels mérite ainsi d’être accompli.

b. Le retard pris dans le déploiement des systèmes d’information nécessaires à l’accomplissement des réformes

Tant le général Thierry Cambournac, chef de la mission pour la coordination de la réforme (MCR) jusqu’en 2011 que son successeur, le général Philippe Got, ont estimé devant les rapporteurs que globalement, les projets de réforme qui reposaient en grande partie sur le déploiement de systèmes d’information ont connu plus de difficultés de mise en œuvre que les projets de réforme concernant essentiellement l’organisation des armées, directions et services du ministère.

Le cas du projet Louvois, qui fait l’objet de développements spécifiques plus loin, en est l’exemple le plus marquant, mais il n’en est pas le seul. Ainsi, selon le général Got, le déploiement du système d’information en ressources humaines (SIRH) Source, initialement censé se substituer dès 2014 aux cinq SIRH différents qu’utilise aujourd’hui le ministère de la Défense (11), ne sera pas déployé avant 2017.

De même, l’application « fd@ligne » a permis de dématérialiser la gestion des frais de déplacement, qui reposait jusqu’alors sur de lourdes procédures d’envoi et de traitement de justificatifs sur papier. Toutefois, ce projet a connu d’importants retards : si « fd@ligne » devait initialement être déployée fin 2010, elle ne l’a été qu’en 2012, après des difficultés de mise en service qui ont conduit les intéressés à continuer à gérer les frais de déplacement en parallèle via l’application « fd@ligne » et suivant les anciennes procédures.

On peut aussi mentionner les retards et les difficultés dans le déploiement du nouveau système d’information de gestion des pensions et retraites, qui vise à rapprocher les outils du ministère de la Défense de ceux utilisés par les autres services de l’État.

Le retard pris dans les projets à forte composante informatique est préjudiciable à la mise en œuvre de la réforme dans son ensemble. En effet, comme le souligne l’excellent rapport de nos collègues sénateurs Gilbert Roger et André Dulait sur les bases de défense (12), les systèmes d’information sont le « nerf de la guerre » pour moderniser une administration : « ils apparaissent aujourd’hui comme le premier verrou à faire sauter pour permettre à la réforme des bases de défense de générer toutes les synergies attendues », et de ce point de vue, il est paradoxal que le déploiement des systèmes d’information et la simplification des procédures, qui permettent de mutualiser les tâches et de dégager des économies, n’aient « pas précédé ni même totalement accompagné la réforme : ils apparaissent au contraire aujourd’hui comme le « talon d’Achille » de la modernisation du ministère ».

Les rapporteurs partagent pleinement ce constat : les gains de productivité attendus ne seront réalisables qu’une fois que les outils informatiques nécessaires auront été déployés. Devant eux, l’amiral Éric Chaplet, sous-chef d’état-major « soutien », a d’ailleurs reconnu que les retards dans le déploiement des systèmes d’information risquaient de constituer un obstacle dans le respect de la trajectoire de déflation des effectifs, dans la mesure où ces retards ne permettent pas de réduire le besoin de main-d’œuvre du ministère au rythme prévu.

4. Une impécuniosité qui complique la mise en œuvre des réorganisations et affecte le moral des armées

Pour les rapporteurs, il y a une sorte de malchance historique dans la mise en œuvre de l’ambitieux plan de réforme présenté en 2008 : sa mise en œuvre a coïncidé avec une crise des finances publiques qui a fortement contraint les ressources du ministère de la Défense. En effet, la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 avait été construite sur l’hypothèse d’une progression des crédits de la mission Défense de 1 % par an en volume à partir de 2012 que les contraintes pesant sur le budget de l’État n’ont pas rendue possible, et la programmation triennale 2011-2013 a prévu une stagnation en valeur – et pas simplement en volume – du budget de la Défense. Ces pertes de ressources se sont traduites notamment par des sous-dotations en crédits de fonctionnement, particulièrement dans les bases de défense, et ont pesé de façon négative sur le moral des personnels et leur adhésion à la réforme.

a. La sous-dotation budgétaire chronique des bases de défense et ses conséquences sur leur fonctionnement quotidien

Un constat unanime ressort des auditions comme des déplacements auxquels les rapporteurs ont procédé : celui d’une véritable paupérisation des bases de défense.

Depuis leur création, tout au long de leur déploiement et aujourd’hui encore, le niveau de leurs crédits de fonctionnement est nettement inférieur aux besoins. Comme le rappelle notre collègue Alain Marty dans son avis sur les crédits du projet de loi de finances pour 2013 consacrés au soutien et à la logistique interarmées, un récent rapport du contrôle général des armées estime à 770 millions d’euros le niveau minimal de ces crédits pour un fonctionnement correct des bases de défense. Or ce niveau n’a jamais été atteint : comme l’a rappelé devant vos rapporteurs le vice-amiral d’escadre Éric Chaplet, commandant interarmées du soutien, les crédits concernés s’élevaient à 530 millions d’euros en 2011 – année de la généralisation des bases de défense – et en 2013 encore, la dotation initiale des bases de défenses en moyens de fonctionnement ne dépassait pas 703 millions d’euros – auxquels il faut ajouter 17 millions d’euros au titre de recettes non fiscales provenant de la location d’installations sportives, etc., portant le total des autorisations d’engagement à 720 millions d’euros.

Cela se traduit, dans la gestion quotidienne des bases de défense, par de fortes tensions budgétaires en fin d’exercice annuel. Le graphique ci-dessous illustre l’inadéquation des dotations aux besoins pour le cas de la base de Cherbourg.

Source : base de défense de Cherbourg.

Cela se traduit également, dans la comptabilité des bases, par des reports de dettes sur les exercices ultérieurs. Pour prendre l’exemple de la base de défense de Belfort, les graphiques ci-après mettent en évidence une « dette » héritée de l’exercice 2011 et reportée d’exercice en exercice.

RESTE À PAYER (RAP) DANS LE BUDGET DE LA BASE DE DÉFENSE DE BELFORT

Source : base de défense de Belfort.

La « mise sous tension » de la gestion des groupements de soutien des bases de défense conduit certes les gestionnaires à hiérarchiser les besoins et à prioriser les dépenses, ce qui s’inscrit dans l’esprit de la réforme. Le tableau ci-dessous présente, à titre d’exemple, le plan d’économies prévu par les gestionnaires de la base de défense de Belfort pour l’année 2013.

BASE DE DÉFENSE DE BELFORT – PLAN D’ÉCONOMIES POUR 2013

Domaine

Libellé de l’économie générée

Montant de l’économie

Économie ou non dépense

Risque

ameublement

Non-renouvellement "mobiliers"

- 227 K€

non-dépense

faible

énergie-fluides

Réduction de la période de chauffe (fioul lourd)

- 60 K€

économie

moyen

infrastructure

Limitation de la sous-traitance, priorisation des demandes

(actions uniquement curatives)

- 110 K€

non-dépense

moyen

sous-traitance

Reconduction mesure de restriction espaces verts 2012

- 40 K€

non-dépense

faible

fournitures

Reconduction du plafonnement des enveloppes "fournitures courantes"

- 10 K€

non-dépense

faible

fournitures

Reconduction mesure rationalisation / dématérialisation du courrier (frais postaux)

- 5 K€

non-dépense

moyen

 

Total non-dépense

- 392 K€

   
 

Total économie

- 60 K€

   
 

Total global

- 452 K€

   

Source : base de défense de Belfort.

Mais il est à noter que les marges de manœuvre financières à la disposition des gestionnaires de GSBDD sont limitées, dans la mesure où une large part des dépenses d’administration générale et de soutien sont contraintes, soit qu’elles fassent l’objet de contrats pluriannuels passés avec des sociétés prestataires – comme c’est le cas pour 82 % de ces dépenses à la base de défense de Belfort –, soit qu’elles soient déterminées par des facteurs exogènes, tel le prix des hydrocarbures. Ainsi, le chef du groupement de soutien de la base de défense de Cherbourg a estimé la part des dépenses « incompressibles » de son GSBDD entre 80 % et 90 %. Le graphique ci-après montre les mêmes contraintes dans le budget de la base de défense de Belfort. Dans ces conditions, les gestionnaires des bases sont contraints d’attendre l’échéance des contrats de fourniture de services pour regagner des marges de manœuvre financières – par exemple en matière de gardiennage ou de nettoyage.

DÉPENSES CONTRAINTES DANS LA STRUCTURE DE DÉPENSES DU GDBDD DE BELFORT



Source : base de défense de Belfort.

Aussi, dès lors qu’elle est excessive, la « mise sous tension » budgétaire des bases de défense produit plus d’effet pervers que d’effets vertueux. Notamment, les gestionnaires sont contraints de « rogner » sur les dépenses d’entretien locatif des infrastructures. Le directeur des affaires financières du ministère de la Défense a ainsi indiqué aux rapporteurs que ces dépenses s’élevaient, en moyenne, à sept euros par an et par mètre carré, alors qu’il en faudrait au moins le double pour assurer la pérennité des infrastructures.

b. La « disette budgétaire » et ses conséquences sur le moral des armées et l’adhésion des personnels à la réforme

Il ressort des travaux des rapporteurs que la situation budgétaire paupérisée des bases de défense conduit une large part des personnels du ministère – de tous statuts et tous grades – à adhérer de moins en moins à la réforme en général. Le ministère a mis en place un baromètre interne de suivi de la réforme.

La chute de cette adhésion des personnels est clairement mise en exergue par la dernière édition du baromètre interne de la Défense réalisée entre mars et avril 2012 à partir de l’exploitation de 20 000 questionnaires, associés dans les armées au questionnaire sur le moral, dont le secrétaire général pour l’administration a présenté à vos rapporteurs les principaux enseignements. Cinq idées maîtresses ressortent en effet de cette étude :

– une baisse générale du sentiment d’information sur la réforme : 32 % seulement des personnels se sentent bien informés s’agissant de la réforme de la Défense, alors qu’ils étaient 39 % en 2011, tandis que 67 % des personnels se sentent mal informés. Il s’agit essentiellement des moins de 25 ans et des personnels ayant moins de 10 ans de service, des ouvriers d’État et des non encadrants, ce qui, selon le secrétariat général pour l’administration, dénote probablement un problème de relais de l’information par l’encadrement ;

– le principe de la modernisation est compris et accepté, malgré une légère inflexion par rapport à 2011 (- 2 points), 93 % des personnels estimant que la modernisation du ministère de la Défense est importante, 55 % la jugeant même indispensable ;

– une forte chute de l’adhésion aux principaux objectifs de la réforme : l’opinion des personnels sur les objectifs et les réalisations de la réforme recule fortement entre 2011 et 2012, même si 51 % des personnels sont d’accord pour dire que l’état des finances publiques justifie une réforme de la défense (contre 54 % en 2011) ;

– une nette baisse d’adhésion aux mesures de la réforme : on relèvera en particulier que 43 % des personnels pensent que la mise en commun des moyens administratifs et de soutien entre les armées va dans le bon sens, alors qu’ils étaient 54 % à le penser en en 2011. En outre, 52 % des personnels jugent que le regroupement des services centraux parisiens sur un seul site va dans le bon sens, contre 58 % en 2011 ;

– la perception de la réforme s’améliore cependant à l’épreuve des faits. C’est le cas par exemple pour les mesures d’accompagnement social pour le personnel civil et militaire des sites touchés par la réorganisation territoriale, qui semblent efficaces à 35 % des personnels interrogés, contre 25 % en 2011. Surtout, la crainte d’être coupé de son armée, direction ou service d’origine dans le cadre de la réforme recule, tout en restant à un niveau très élevé : 58 % des personnels expriment cette crainte en 2012, contre 67 % en 2011.

Le secrétaire général pour l’administration considère globalement, à l’analyse des baromètres successifs, que si la réforme a été en permanence connue et considérée comme nécessaire dans ses grandes lignes par une majorité d’agents, par contre ceux-ci, selon un pourcentage significatif, ont régulièrement exprimé une insuffisance de connaissance et d’information sur les modalités pratiques de la réforme et sur les effets en retour tangibles.

5. Une nouvelle architecture de la chaîne de soutien dont l’organisation laisse subsister des incohérences

Si la nouvelle organisation de la chaîne de soutien, avec la création des bases de défense et de leurs groupements de soutien, a visé à simplifier et à harmoniser l’organisation des soutiens, cette architecture laisse subsister certaines incohérences et certaines rigidités dont la levée permettrait au système des soutiens de gagner en efficience.

a. Un pilotage encore séparé des soutiens communs d’une part, et des autres soutiens d’autre part

Il ressort des entretiens conduits sur ce point par les rapporteurs, tant auprès des « soutenants » que des « soutenus », le fait que l’administration générale et les soutiens communs d’une part, et les autres soutiens – soutiens spécialisés et soutiens encore opérés par les armées elles-mêmes – d’autre part, soient pilotés suivant des chaînes et des procédures distinctes est de nature à compliquer la lisibilité du système pour les « soutenus », et à compliquer son pilotage par les « soutenants ».

Les synergies limitées entre les soutiens communs et les autres soutiens – soutiens spécifiques et soutiens d’armées

L’attention des rapporteurs a été appelée, lors de leur déplacement sur la base de défense de Cherbourg, sur l’hiatus qui peut exister entre l’organisation de certains soutiens d’armées et celle des soutiens communs et sur les pertes d’efficience qui peuvent en résulter. Il semble en effet que la frontière n’est pas toujours claire ou cohérente entre ce qui relève des soutiens d’armées, assuré dans le ressort de la base de Cherbourg par le service logistique de la marine, et ce qui relève des soutiens communs, assuré par le groupement de soutien de la base de défense.

Un exemple parlant a été présenté : celui de l’achat et de l’entretien des extincteurs ; ceux qui sont destinés à être installés au sol relèvent de l’administration générale et des soutiens communs, tandis que ceux qui sont destinés à équiper les navires – quand bien même il s’agirait du même modèle d’équipement – relèvent du service logistique de la marine. Ainsi, la maintenance des uns est effectuée à Brest, tandis que celle des autres l’est directement sur place, à Cherbourg. Il en résulte d’évidentes pertes d’efficience.

Plus largement, le commandant d’une base de défense ne dispose pas des mêmes pouvoirs en matière de soutiens selon qu’ils relèvent :

– de la catégorie « administration générale et de soutiens communs », au sein de laquelle le commandant d’une base de défense dispose d’un véritable pouvoir de décision ;

– de la catégorie des soutiens spécifiques assurés par des directions et établissements relevant directement de directions centrales – comme par exemple les unités de soutien de l’infrastructure de la Défense (USID) et les centres interarmées des réseaux d’infrastructures et des systèmes d’information (CIRISI) –, au sein de laquelle les commandants de bases de défense n’ont qu’un pouvoir d’arbitrage limité à l’expression de besoins et à la hiérarchisation des priorités de dépense.

Pour le commandant de la base de défense de Cherbourg, les compétences différentes des commandants de base selon les différentes catégories de soutiens peuvent être vues comme constituant un frein à la pleine mise en œuvre de la logique sous-tendant la réforme, qui reposait sur le principe d’une mutualisation avancée des soutiens et d’une plus grande responsabilisation des gestionnaires.

Une organisation « de bout en bout » qui fait défaut au Service du commissariat des armées et handicape son action

Devant les rapporteurs, le commissaire général Jean-Marc Coffin, directeur central du Service du commissariat des armées (SCA) a relevé que tous les services interarmées de soutien, à l’exception du service du commissariat des armées, sont organisés suivant une logique verticale « de bout en bout », chaque service central exerçant une compétence « métier » ayant autorité sur ses agents placés auprès des bases de défense – comme, par exemple, le Service de santé des armées sur les centres médicaux des armées, le Service d’infrastructure de la défense (SID) sur les USID, ou la Direction interarmées des réseaux et des systèmes d’information (DIRISI) sur les CIRISI.

Selon le Service du commissariat des armées, Ce mode de fonctionnement concilie deux logiques :

– une approche fonctionnelle (communément appelée : approche « métiers ») permettant à l’autorité détentrice du « savoir » d’impulser des directives « métier » du haut en bas de la chaîne de soutien, étant entendu que ces directives ont fait préalablement l’objet d’une validation par les armées, directions et services intéressés au niveau central ;

– une approche organique se traduisant par la subordination des établissements aux directions fonctionnelles, et surtout par la gestion effective des personnels qui y sont affectés.

Or cette organisation ne s’applique pas à la chaîne des soutiens relevant de la compétence du SCA. L’organisation de l’administration générale et des soutiens communs relève en effet d’une logique différente, se caractérisant par l’existence d’une direction fonctionnelle – le SCA – au niveau central sans prise effective sur les acteurs administratifs au niveau local – les GSBDD.

Pour le Service du commissariat des armées, cette organisation spécifique de l’administration générale et des soutiens communs ne répond pas aux enjeux du moment, marqués par :

– la technicité croissante des métiers de l’administration, avec le déploiement du logiciel CHORUS, du contrôle interne comptable, du contrôle de gestion, de la comptabilité en partie double, etc. ;

– des objectifs de performance et de qualité du service rendu dans un contexte de forte déflation des effectifs consacrés au soutien ;

– la création du SCA, traduisant la mise en place d’un modèle fonctionnel qui a permis un gain de 40 % des effectifs des anciens commissariats ;

– la réforme des corps d’officiers à vocation administrative, les textes réglementaires ayant défini le corps de commissaires des armées comme l’unique corps de conception et de direction de l’administration générale et des soutiens communs.

Ainsi, le SCA est donc devenu le porteur des politiques « métiers » de son domaine, mais estime ne pas disposer des moyens nécessaires pour les faire appliquer localement, ce qui explique selon le commissaire général Jean-Marc Coffin les marges de progression de l’administration en matière de performance – l’encadré ci-dessous présente des exemples de domaines dans lesquels des progrès seraient souhaitables.

Exemples de limites à la performance de l’administration générale
et des soutiens communs

Dans le domaine de l’achat et des finances, les constats suivants ont ainsi pu être formulés :

– dépassement du délai global de paiement légal de 30 jours et augmentation du montant des intérêts moratoires payés en 2012 ;

– maintien d’un délai moyen gestionnaire supérieur à 25 jours, lié essentiellement au processus encore très perfectible de constatation et de certification du service fait ;

– absence de réduction significative du nombre de demandes d’achats inférieures à 200 euros ;

– réceptions encore trop nombreuses et non justifiées de factures sans engagement juridique et de factures antérieures à l’année en cours ;

– déploiement inachevé et recours trop faible aux cartes d’achats ;

– nombreux achats réalisés « au fil de l’eau » par manque de prévision et de centralisation des besoins ;

– contrôle insuffisant des prestations, notamment des prestations de service ;

– mise en œuvre perfectible des contrôles internes de 1er niveau.

Source : Service du commissariat des armées.

Selon les informations fournies aux rapporteurs, le commandement interarmées des soutiens souhaiterait renforcer la place du SCA dans l’administration générale et l’organisation des soutiens communs pour ses domaines de compétence, en le chargeant de veiller à la bonne application par les GSBDD des directives fonctionnelles (dites aussi : directives « métier ») qu’il commence à adresser à la chaîne du soutien. Une première directive « métier », en date du 25 février 2013, a porté sur la fonction restauration, hôtellerie, loisirs (RHL) ; d’autres seraient en cours de préparation concernant les fonctions achats-finances, contrôle interne comptable, solde, logistique, et juridique.

b. Des échelons régionaux dont le mode de fonctionnement, voire l’utilité, sont parfois remis en question

Sur le terrain, les rapporteurs ont pu prendre connaissance de certaines difficultés dans l’administration des bases de défense résultant d’une articulation insatisfaisante entre les gestionnaires de ces bases et certains organismes placés à l’échelon régional.

Une articulation parfois difficile des bases de défense avec certains organismes régionaux de soutien

Les syndicats représentatifs des personnels civils de la Défense rencontrés par les rapporteurs, tant à Paris que sur les différentes bases de défense où ils se sont déplacés, sont unanimes à regretter l’éloignement qu’a créé la réforme entre les personnels et les autorités chargées de la gestion des ressources humaines, désormais assurée à l’échelon régional par sept centres ministériels de gestion (CMG). Certes, au sein de chaque groupement de soutien de base de défense, un service consacré à la gestion des ressources humaines a été maintenu ; mais celui-ci n’a plus de compétence directe dans l’animation des instances paritaires et la gestion des dossiers personnels – ce qui est regrettable y compris pour les cas les plus complexes, dont le règlement peut être facilité par la proximité physique des gestionnaires et des personnels concernés.

Les personnels civils et les gestionnaires de la base rencontrés par les rapporteurs à Cherbourg ont en outre indiqué que certains CMG avaient tendance à s’approprier nombre de responsabilités des employeurs. Tel est par exemple le cas dans l’animation des commissions administratives paritaires : si les textes prévoient qu’elles soient présidées par les directeurs de CMG, ceux-ci pourraient n’en être que de simples « notaires » mais tel ne serait pas le cas dans la pratique, ce qui a pour conséquence de biaiser le fonctionnement de ces instances paritaires en déresponsabilisant le commandement des bases de défense, qui est pourtant en position d’employeur.

De même, le regroupement de certaines fonctions à l’échelon régional peut faire perdre en souplesse dans l’organisation des soutiens lorsque les spécificités d’une armée ou d’une formation ne sont pas suffisamment prises en compte. Il ressort par exemple des entretiens menés à Cherbourg que les gestionnaires de la plate-forme achats finances (PFAF) de Rennes, dont dépend la base de Cherbourg, sont très majoritairement issus de l’armée de terre, moins sensibilisés que les marins aux besoins spécifiques de la marine – ce qui a pu les conduire, par exemple, à commander des approvisionnements alimentaires en conditionnement surdimensionné pour de petits bâtiments. Le fait que les achats ne soient délégués aux GSBDD que pour les marchés de moins de 130 000 euros limite les marges de manœuvre des groupements de soutien et, de ce fait, peut créer des rigidités dans la gestion des soutiens.

Des états-majors de soutien de défense dont le maintien peut être remis en question

Comme l’a rappelé M. Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l’administration du ministère de la Défense, la création d’un échelon intermédiaire entre le centre de pilotage et de conduite du soutien (CPCS) et les bases de défense, intervenue en 2011 avec la mise en place des états-majors de soutien de défense (EMSD), est controversée depuis la mise en œuvre de la réforme. Elle intervenait en effet dans un contexte de réduction générale des échelons régionaux de toutes les chaînes relevant du ministère de la Défense – direction générale de l’armement, armée de l’air, commissariat des armées, etc. – et les bases mises en place à partir de 2009 ont fonctionné sans échelon intermédiaire jusqu’en 2011.

Il faut aussi rappeler que si cinq EMSD ont été mis en place à partir des anciens organismes régionaux de l’armée de terre, en revanche, à Brest-Lorient et à Toulon, c’est le commandement de la base de défense qui assure les fonctions des EMSD. En outre, les EMSD n’ont pas d’autorité hiérarchique sur les bases de défense, qui relèvent directement du commandement interarmées des soutiens – lequel dispose du CPCS.

Il ressort des travaux des rapporteurs que les EMSD ont pu avoir une certaine utilité dans la montée en puissance de la réforme, notamment dans l’armée de terre, pour faciliter la création des bases de défense. L’encadré ci-après présente synthétiquement leurs fonctions, telles qu’elles ont été définies par un arrêté en date du 19 mars 2011 et une instruction du 25 juillet 2011.

Les trois fonctions des états-majors de soutien défense :

L’article 3 de l’arrêté du 19 mars 2011 définit ainsi leurs attributions des EMSD :

Afin de faciliter l’action des commandants de base de défense, chaque état-major de soutien défense est chargé, pour sa zone de responsabilités :

– d’assurer la coordination des actions de soutien menées par l’ensemble des directions et services relevant des armées ou du secrétariat général pour l’administration lorsqu’elle ne relève pas des bases de défense, en s’assurant de leur cohérence et de la qualité du service. Il exprime dans ce domaine des priorités limitées au strict besoin de cohérence dans la zone géographique concernée ;

– de constituer un niveau de synthèse et une force de proposition pour l’échelon central du ministère ;

– d’apporter son expertise aux commandants des bases de défense dans les domaines pour lesquels ces derniers ne disposent pas de ressources dédiées, notamment : environnement et développement durable, protection des installations, affaires pénales militaires.

Source  : arrêté du 19 mars 2011 portant création et organisation des états-majors de soutien défense.

Dans un récent rapport sur les bases de défense (13), nos collègues sénateurs Gilbert Roger et André Dulait estiment que « dans leurs 3 attributions décrites dans l’arrêté du 19 mars 2011, deux pourraient être transférées au CPCS (expertise et synthèse) et l’autre, à l’origine de toute l’ambiguïté de leur positionnement, comporte, en « rythme de croisière » un risque réel de suradministration ». Il est à noter en outre que les EMSD comptent chacun une centaine de personnels – jusqu’à 130 pour celui de Metz, dont relève la base de défense de Belfort où se sont rendus les rapporteurs. Dans un contexte de déflation à venir des effectifs, les effectifs des EMSD peuvent ainsi être vus comme un gisement d’efficience possible.

MM. Gilbert Roger et André Dulait concluent leurs travaux en appelant soit à la suppression des EMSD – avec pour corollaire un renforcement des moyens du CPCS –, soit à la réduction de leurs effectifs – l’encadré ci-après présente leurs conclusions.

Faut-il supprimer les EMSD ? conclusions des sénateurs

Le risque de suradministration est, malgré tout, bien réel :

– le positionnement de l’EMSD par rapport au commandant de base de défense demeure complexe : relevant hiérarchiquement directement de l’échelon parisien, ce dernier, le plus souvent un colonel expérimenté pour ce qui concerne l’armée de terre, relève sans relever d’un général étoilé situé à l’EMSD, instance de « recours » mais sans autorité hiérarchique...

– l’exercice de compétences dans le « soutien spécifique d’armée » qu’exerce l’EMSD, qui serait créateur de synergies avec le soutien, n’est pertinent que dans le cas de l’armée de terre, qui a mutualisé ses effectifs avec ceux de l’EMSD à cet effet, l’armée de l’air et la marine nationale ayant déjà mis en place des organisations sans échelon intermédiaire. Depuis le plan « armées 2000 », l’armée de l’air avait déjà organisé la gestion de son soutien autour de 30 bases, sans échelon intermédiaire. Sur les bases navales, l’échelon intermédiaire et l’échelon local se confondent ;

–  la fonction de coordination, qui est limitée par l’arrêté qui fixe leurs attributions à la seule « définition de priorités limitées au strict besoin de cohérence dans la zone géographique concernée » est liée à l’incohérence des différents zonages d’intervention des niveaux intermédiaires, question qu’il faudra de toute façon s’attacher à résoudre (cf. ci-dessous).

Force est de constater en outre que les textes n’ont pas prévu que les EMSD aient autorité sur les soutiens spécialisés. Il serait d’ailleurs difficile de le prévoir, s’agissant des centres ministériels de gestion (CMG) ou des plates-formes achats finances, les PFAF, qui ne sont pas des échelons intermédiaires mais des centres de services partagés, au ressort territorial différent de celui des EMSD. Dès lors, la réelle plus-value de leur « coordination », qui plus est limitée à la définition de simples priorités, n’est pas totalement démontrée. À l’inverse, le risque de doublon souligné par la Cour des Comptes apparaît quant à lui bien réel.

Les habitudes de fonctionnement liées à l’existence des anciennes « régions terre » seront certes culturellement difficiles à modifier, et à ce titre la mise en place des EMSD a sans doute permis de créer un « sas » de décompression et d’absorber le choc de la réforme.

Pour autant, leur pérennisation définitive ne doit pas être considérée comme acquise. À l’heure des choix capacitaires, 400 personnes c’est quasiment l’équivalent d’un régiment de l’armée de terre.

Deux scénarios seront donc à étudier fin 2012 :

– un renforcement du CPCS en termes de moyens dédiés à la coordination, de missions expertes (environnement, développement durable, droit pénal militaire, protection des installations) et si nécessaire de synthèse et une suppression corrélative des EMSD ;

– ou le maintien des EMSD, mais dans un format resserré, autour des missions « expertes ».

Pour les rapporteurs, à l’heure où un nouveau train de déflations est envisagé et où les bases de défense ont achevé leur montée en puissance, le maintien des EMSD paraît difficile.

6. Une opération majeure qui mériterait davantage de transparence : Balard

Les rapporteurs avaient souhaité consacrer une part importante de leurs travaux à l’étude des conditions techniques et financières de regroupement des états-majors, directions et services centraux du ministère de la Défense sur le site parisien de Balard, dont l’encadré ci-après rappelle les finalités et les conditions de mise en œuvre.

En effet, ce projet avait fait un temps l’objet de polémiques, mais le ministère de la Défense a fait le choix de le poursuivre. Les rapporteurs ont donc demandé au ministre de la Défense de leur communiquer les rapports d’audit établis conjointement par le Contrôle général des armées et l’Inspection générale des finances sur ce projet. Le cabinet du ministre leur a répondu aussi tardivement que partiellement, ce qui n’a pas permis aux rapporteurs d’étudier le sujet dans les conditions optimales du contrôle parlementaire. Ce défaut de transparence est regrettable.

Il est d’ailleurs à noter que la conduite du projet Balard a toujours fait l’objet d’un mode de pilotage particulier. Devant les rapporteurs, général Philippe Got, chef de la mission pour la coordination de la réforme (MCR) du ministère a d’ailleurs souligné que ce projet était le seul volet de la réforme qui ait été placé hors du champ de compétence de la MCR.

La poursuite du « projet Balard »

Le « projet Balard » désigne le projet de regroupement des états-majors et des services centraux du ministère de la défense sur le site dit de Balard, dans le 15e arrondissement de Paris.

● Décrit par le projet annuel de performances comme « une mesure emblématique de la réforme du ministère de la défense », il poursuit quatre objectifs :

– améliorer la gouvernance du ministère, en regroupant sur un seul site les entités aujourd’hui dispersées dans quinze emplacements parisiens différents (le projet annuel de performances cite : les ministres et leurs cabinets, l’état-major des armées, les états-majors des trois armées, la direction générale de l’armement, le secrétariat général pour l’administration, le contrôle général des armées, la délégation aux affaires stratégiques, les centres opérationnels des armées et l’essentiel des autres services centraux du ministère) ;

– optimiser la gestion immobilière du ministère, en libérant une ressource foncière importante, notamment au centre de Paris ;

– réduire les coûts de fonctionnement du ministère, en mutualisant les moyens consacrés au soutien de l’administration centrale ;

– améliorer les conditions de travail du personnel tout en signalant le ministère de la défense par un « grand geste » architectural (c’est à ce titre que l’on a pu parler de « Pentagone à la française »).

● Le site choisi est constitué de deux parcelles séparées par l’avenue de la porte de Sèvres : la première (8,5 hectares), la parcelle Est, est aujourd’hui occupée par la cité de l’air de la base aérienne 117 ; la seconde, à l’Ouest, sera divisée en deux parties, la première destinée à accueillir les locaux les plus sensibles du ministère sur cinq hectares, et la seconde – dite la « corne Ouest », de trois hectares – destinée à être valorisée en immeubles locatifs de bureaux.

Le projet prévoit ainsi la construction de 226 000 mètres carrés de surface hors d’œuvre nette (SHON) – dont 90 000 destinés à la location –, et la rénovation de 117 000 mètres carrés de SHON. Le complexe immobilier ainsi construit devrait accueillir 9 300 agents du ministère.

● La réalisation du projet Balard articule plusieurs formules juridiques de conduite des travaux :

– les opérations de démolition de l’ensemble des bâtiments de la parcelle Ouest ont été entreprises sous maîtrise d’ouvrage publique, de février 2009 à décembre 2010 ;

– la rénovation de deux tours (les tours « F » et « A ») a également été engagée sous maîtrise d’ouvrage publique. Elle a été achevée pour la première tour en février 2012, et doit l’être pour la seconde en février 2013 ;

– un partenariat public-privé (PPP) a été conclu pour le reste des opérations, c’est-à-dire la réalisation sur la parcelle de 5 hectares de bâtiments destinés à accueillir les services du ministère, la réhabilitation d’immeubles de la cité de l’air, et la construction des immeubles destinés à la location.

Ce PPP intègre ainsi : la conception architecturale et technique des bâtiments ; leur construction ou leur rénovation ; leur entretien et leur maintenance ; un semble de services comprenant la restauration, le nettoyage, le gardiennage extérieur, la gestion des hébergements ou encore l’assistance bureautique ; la réalisation et la maintenance des systèmes informatiques et téléphoniques – y compris la fourniture et l’entretien des postes informatiques pendant cinq ans.

● La procédure de conclusion du PPP s’est déroulée en trois étapes :

– en novembre et décembre 2009, une « compétition architecturale » a conduit à sélectionner pour chacun des candidats au PPP (Bouygues Construction, Eiffage et Vinci) une des trois esquisses architecturales présentées par les ateliers d’architectes qu’ils avaient choisis. La sélection a été opérée par une commission intégrant des représentants de la Ville de Paris et du ministère de la culture ;

– de février 2010 à janvier 2011, une phase de « dialogue compétitif » a permis aux trois candidats d’élaborer leurs offres finales ;

– en février 2011, neuf commissions techniques spécialisées ont rendu leur avis sur ces offres finales, proposant de retenir celle de Bouygues Construction, qui présentait d’ailleurs le prix le moins élevé.

● Le PPP porte sur une durée totale de 30 ans, dont trois ans de conception et de travaux puis 27 ans d’exploitation. Il a été confié à un groupement d’entreprises constitué autour de Bouygues Construction, et dans le capital duquel la Caisse des dépôts et consignations détient une minorité de blocage de 34 % – cette disposition visant à assurer aux pouvoirs publics un certain contrôle sur l’actionnariat du groupement.

Pour chaque année d’exploitation, l’État devra au groupement OPALE défense une redevance dont le montant moyen s’établit à 130 millions d’euros hors taxes. Ce montant comprend : une redevance immobilière (45 millions d’euros par an) ; une redevance au titre des systèmes d’information et de communication (36 millions d’euros par an dans les cinq premières années, puis 25 millions d’euros par an) ; une redevance au titre des services et du mobilier fournis (29 millions d’euros par an) ; des redevances dues au titre de la maintenance et des dépenses d’entretien lourd (23,5 millions d’euros par an) ; une redevance au titre de la consommation d’énergie, pour un montant évalué à 4,5 millions d’euros par an.

Ainsi, la somme de ces redevances atteindra, pour l’ensemble de la période d’exploitation, 3,5 milliards d’euros.

● Le calendrier du chantier s’étend sur trois ans et demi. Dès août 2014, le chantier principal devrait être achevé, avec la fin des travaux de la parcelle Ouest et de la première tranche de la parcelle Est ; les opérations de levée des réserves, de prise de possession et de transfert s’échelonneront donc de juillet à décembre 2014. Entre-temps, en octobre 2014, la deuxième tranche de travaux de la parcelle Est aura débuté, pour s’achever en mai 2016.

● Des difficultés sont apparues entre le ministère de la défense et la Ville de Paris. En effet, bien que la Ville ait été associée à l’ensemble des commissions mises en place pour la sélection et le suivi du projet, elle n’avait pas mis son plan local d’urbanisme (PLU) en conformité avec celui-ci, rendant impossible de ce fait la délivrance des permis de construire. Le différend porte notamment sur une servitude pour l’installation d’un garage à bus.

Afin de lever ce blocage, le préfet de Paris a donc dû avoir recours à la procédure de déclaration de projet prévue par le code de l’urbanisme et, malgré une délibération défavorable du Conseil de Paris, a pris le 17 février 2012 une telle déclaration et délivré un permis de construire pour les différents aspects du projet. La Ville de Paris a déposé des recours devant le tribunal administratif, lequel n’a pas encore statué. Le ministère a toutefois choisi de laisser les travaux se poursuivre, tout en engageant des discussions avec la Ville en vue de régler ce différend.

Ces contentieux, ainsi que des travaux de dépollution plus importants que prévus, ont légèrement retardé les travaux sur les parcelles destinées à accueillir les services du ministère. Toutefois, selon le secrétaire général pour l’administration du ministère, les travaux de construction se déroulent normalement, et on peut penser que les déménagements commenceront au début de l’année 2015.

Sur la « corne Ouest » en revanche, les travaux d’aménagement sont suspendus dans l’attente de l’issue des contentieux : selon le secrétaire général pour l’administration, le groupement OPALE défense et les assureurs concernés refusent en effet d’intervenir.

Source : avis n° 256 présenté par M. Alain Marty au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées sur les crédits du projet de loi de finances pour 2013 consacrés au soutien et à la logistique interarmées.

7. Un véritable scandale : Louvois

La crise a éclaté au grand jour à l’automne 2012 : lorsque le ministre s’est déplacé à Varces le 17 septembre 2012, des militaires l’ont informé de retards très importants dans le paiement des soldes, notamment d’indemnités pour services en campagne, depuis la mise en service du logiciel unique à vocation interarmées de la solde, dit Louvois.

C’est par une sorte de métonymie que l’on parle de la crise générée par Louvois : en réalité, ce logiciel constitue un élément parmi d’autres d’un système complexe de gestion de la solde des personnels militaires du ministère de la Défense – Louvois intervient, en quelque sorte, « en bout de chaîne ». C’est un dysfonctionnement de l’ensemble du système de gestion des soldes qu’a entraîné la mise en service de Louvois, en créant des perturbations et en révélant certaines failles du système dans son ensemble. C’est ainsi toute l’architecture du système de solde, de ses outils informatiques à ses procédures de pilotage et de gestion, qui est en cause ; on parle pour la désigner d’« écosystème Louvois ». Il faut en effet rappeler que la gestion de la solde repose sur l’articulation et le dialogue entre :

– des systèmes d’information de ressources humaines (SIRH), qui collectent les données devant être prises en compte pour le calcul de la solde ;

– un calculateur, Louvois, qui reçoit ces données et les traite pour déterminer à la fois : la rémunération des ayants droit (les administrés) et ayants cause (les ex-épouses, veufs et veuves) ; les cotisations dues à des tiers (le compte d’affectation spéciale « pensions », certains organismes complémentaires de protection sociale, etc.) ; les restitutions comptables et financières dans le cadre du suivi de l’exécution de la dépense.

Cet écosystème Louvois est ainsi le support d’une chaîne RH–solde, qui comprend aujourd’hui une succession d’actes et d’outils allant de la saisie administrative des actes de gestion dans les SIRH à l’émission du bulletin de solde et à la transmission de données à destination d’organismes sociaux et financiers (assurances sociales, mutuelles, trésor public, etc.).

Si les rapporteurs parlent de « scandale » – le ministre de la Défense a parlé, lui, de véritable « désastre » lors de son déplacement au centre d’expertise des ressources humaines et de la solde (CERHS) de Nancy en mai dernier –, c’est à trois titres :

– d’abord, l’enjeu qui s’attache au juste paiement des soldes est majeur. En effet, comme l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major des armées, l’a déclaré lors de son audition devant la commission (14), « la force morale de nos combattants dépend en partie de la qualité de leur soutien : ils doivent être soulagés au maximum des contingences matérielles, en particulier lorsqu’ils sont loin de leur foyer. À tout le moins, l’institution ne doit pas être la cause de soucis matériels qui viennent perturber la vie quotidienne des familles de nos militaires. Là comme ailleurs, pour reprendre une vieille expression, l’arrière doit tenir » ;

– de façon tout aussi regrettable pour l’avenir, les dysfonctionnements du logiciel Louvois génèrent, selon le chef d’état-major des armées, « une double crise de confiance vis-à-vis du bien-fondé des réformes en cours d’abord, et de l’aptitude du commandement à résoudre les difficultés ensuite ». Pour lui, cette double crise de confiance constitue « une hypothèque sur les réformes à venir », d’autant plus « inacceptable » que des efforts considérables devront encore être demandés à nos armées ;

– enfin, ainsi que l’amiral Guillaud l’a dit devant la commission, les dysfonctionnements du système de solde sont ressentis par les personnels militaires comme révélateurs d’un profond « manque de considération voire de reconnaissance envers ceux qui sont en première ligne, et affectent l’image des armées ».

Compte tenu de ces enjeux, et de la gravité de la crise, les rapporteurs ont consacré une part importante de leurs travaux à l’analyse de l’écosystème Louvois, en étudiant les dysfonctionnements de la réforme de la chaîne RH-solde, en se penchant sur les causes de ces dysfonctionnements et les responsabilités des différents acteurs, en faisant le point des mesures prises pour gérer la crise et en évaluant les possibilités de sortie de cette crise et leurs conséquences pour l’avenir de la réorganisation du ministère.

a. Pourquoi Louvois ? Atermoiements et vicissitudes dans la réforme de la chaîne ressources humaines-solde

i. La genèse de Louvois

Avant Louvois, une chaîne « ressources humaines–solde » peu productive

Avant le déploiement du logiciel Louvois, la solde était traitée par un certain nombre de systèmes dédiés par armées et services (armée de terre, armée de l’air, marine nationale, DGSE, etc.). Selon le secrétariat général pour l’administration, la cartographie de ces systèmes faisait apparaître plus de 15 outils différents.

L’idée de rationaliser ce dispositif remonte au milieu des années 1990. En effet, comme l’a rappelé devant la Commission le contrôleur général des armées Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l’administration du ministère, avant le projet Louvois, les fonctions « soldes » et « ressources humaines » « s’ignoraient l’une l’autre » : les informations concernant la gestion des ressources humaines – affectations, situation familiale, etc., communément appelés « événements RH » – étaient collectées au travers de formulaires papier, tandis que le décompte des soldes, qui dépend de ces événements RH, était effectué séparément, grâce à des applications informatiques de paye. Le schéma ci-après présente le fonctionnement initial de la chaîne « RH–solde », dans lequel chaque armée ou service dispose de son propre SIRH et où la solde est assurée au niveau des unités par des intendants de paie (dits les « soldiers ») placés au sein des unités, à proximité des « administrés ».

FONCTIONNEMENT INITIAL DE LA CHAÎNE « RH–SOLDE »

Source : société Steria.

Ce système n’était pas fondamentalement inefficace : comme l’a rappelé devant la commission l’amiral Guillaud, il engendrait dans le calcul de la solde un taux d’erreurs fluctuant autour de 1 %, erreurs que des procédures de rattrapage rôdées, effectuées au sein même des unités, permettaient de corriger en trois ou quatre mois en moyenne. Selon M. Jean-Paul Bodin, la principale insuffisance de ce système tenait plutôt à sa faible productivité : il mobilisait 1 500 agents dans les centres payeurs des trois armées et de la gendarmerie, parmi lesquels plus de 870 étaient affectés au seul décompte des soldes. Le coût de la chaîne « soldes » atteignait ainsi 46 millions d’euros en 2004, soit un coût moyen de 10 euros par bulletin de solde, et ce avec des variations importantes : ce coût variait en effet de 6,70 euros dans l’armée de l’air à 13,40 euros dans l’armée de terre – ce coût intégrant cependant des dépenses afférentes au soutien de la gendarmerie.

Dans le cadre des « audits de modernisation » interministériels sur l’organisation et les processus de gestion administrative et de paye lancés en 2005-2006, un audit mené conjointement par le Contrôle général des armées et l’Inspection générale des finances portant sur les centres payeurs des armées a confirmé ces insuffisances : faible productivité du système, prégnance de la fonction « décompteur » dans l’activité des centres payeurs, coût élevé du maintien en condition des multiples systèmes d’information concernés, qui avaient déjà vingt ans d’âge en moyenne et nécessitaient ainsi une centaine de techniciens de l’informatique sur des domaines techniques très divergents, rendant ainsi la chaîne soutien parfois très fragile – le secrétariat général pour l’administration indique ainsi, par exemple, que le système « solde 68 » utilisé dans la marine n’est plus connu que par un seul expert du domaine.

Louvois, pierre angulaire d’une réforme de la chaîne « ressources humaines-solde » engagée depuis plus de quinze ans

La refonte de la chaîne RH-solde est envisagée d’emblée autour d’un logiciel unique interarmées, Louvois, auquel doivent se raccorder les SIRH des armées et services du ministère de la Défense employant du personnel militaire. Il est à noter que c’était la première fois que le ministère réalisait une rénovation complète de son système d’information de rémunération, les systèmes précédents datant de 1988 pour l’armée de terre et de 1968 pour la marine.

Toutefois, les grands choix d’architecture de Louvois et le mode de pilotage du projet ont profondément évolué en une quinzaine d’années, au point que l’on parle communément d’un « Louvois I », d’un « Louvois II » et d’un Louvois III ». Lors de son audition du 10 avril 2013 par la commission, M. Jean-Paul Bodin est longuement revenu sur la genèse de Louvois, dont l’encadré ci-après présente les principaux développements.

De « Louvois I » à « Louvois III »,
la genèse du logiciel unique à vocation interarmées de la solde

1. « Louvois I »

La première phase de la réforme de la chaîne RH-soldes a commencé en 1996. Elle s’est traduite par :

● l’élaboration, par les commissariats des trois armées, d’un « mémento unique de la solde », visant à harmoniser les pratiques de mise en œuvre des dispositions réglementaires relatives au régime indemnitaire des militaires dans les trois armées. En effet, comme l’a rappelé M. Jean-Paul Bodin devant la commission, « il a fallu mener un travail très important pour savoir comment traiter telle ou telle prime ou indemnité, car, quand un décret créait une indemnité, chaque armée, chaque service reprenaient ce texte dans une instruction particulière » ;

● une décision du ministre en date du 26 octobre 1996, qui charge le commissariat de l’armée de terre de « piloter l’élaboration d’un logiciel de calcul de la solde commun aux trois armées et à la gendarmerie, avec extension ultérieure à la délégation générale pour l’armement ». Il s’agissait d’automatiser le calcul des soldes – effectué à partir des données relatives aux mouvements de ressources humaines, collectées au plus près des administrés ou de l’événement justifiant le versement d’une indemnité –, afin d’éviter des mouvements de pièces justificatives, source de lenteur et de pertes de documents. En outre, selon le secrétaire général pour l’administration, la création de centres uniques de trésorerie et de liquidation devait permettre d’harmoniser les pratiques ;

● des travaux de développement d’un premier outil, entre 1999 et 2003, avec l’attribution d’un marché à une société pour fournir un progiciel, et un autre à une société intervenant en tant qu’assistante à maîtrise d’ouvrage.

Ces travaux ne sont pas concluants, et les difficultés rencontrées font l’objet, en 2004, de deux analyses sévères, menées pour l’une par le Contrôle général des armées et pour l’autre par la Cour des comptes. Comme M. Jean-Paul Bodin l’a résumé devant la commission, il ressort de ces études que le projet a coûté 20 millions d’euros au moins, sans résultat opérationnel, ce que les rapporteurs de la Cour expliquent par :

– une substitution des objectifs techniques aux objectifs politiques ;

– une absence de suivi des bonnes pratiques ;

– un manque de compétence de la maîtrise d’ouvrage ;

– des procédures de contrôle multiples mais peu efficaces ;

– une conduite du projet approximative et sans référence au coût généré.

2. « Louvois II »

La deuxième phase de la réforme de la chaîne RH-soldes, qui se déroule entre 2004 et 2006, est marquée par :

● le choix de développer Louvois à partir d’un système informatique en cours d’élaboration par l’armée de l’air, logiciel qui, selon M. Jean-Paul Bodin « semble donner satisfaction » à cette époque ;

● le lancement en 2005, par l’Agence pour le développement de l’administration numérique, d’un socle commun pour le développement de SIRH, appelé « noyau commun interministériel » et basé sur les technologies de la société SAP. L’armée de terre s’oriente vers ce dispositif dès juin 2005, suivie ensuite par la marine nationale, l’armée de l’air et le service de santé des armées (SSA).

3. « Louvois III »

La troisième phase de la réforme de la chaîne RH-soldes a débuté en 2006. Elle a été marquée notamment par :

● l’« audit de modernisation » précité, dont les recommandations sont validées par la RGPP en 2007 – selon M. Jean-Paul Bodin, Louvois est alors la « pierre angulaire » du projet RGPP « solde, paie et droits individuels (SPDI) » piloté par la DRH-MD – et servent de feuille de route pour la suite des travaux. Il préconise principalement :

– un système unique de paiement de la solde ;

– de rapprocher les fonctions « soldes » et « ressources humaines » ;

– d’accélérer la convergence des SIRH vers le noyau commun interministériel, en y intégrant la paye, et, selon les termes employés devant la commission par le chef du contrôle général des armées, M. Christian Piotre (15), « de faire cheminer parallèlement un projet de SIRH unique pour le ministère qui viendrait se connecter sur le système Louvois, pour y « déverser » les informations sur les ressources humaines nécessaires au calculateur de la solde » ;

– de créer un centre expert interarmées de la solde (CIAS) pour procéder à des vérifications, corriger d’éventuelles d’anomalies et traiter les indemnités complexes – il sera effectivement créé à Nancy à l’été 2009.

– de fermer les centres payeurs que constituaient les centres territoriaux d’administration et de comptabilité (CTAC).

Ces orientations visaient à permettre :

– d’harmoniser les pratiques de paiement de la solde, préalable nécessaire au raccordement à l’opérateur national de paye (ONP), service à compétence nationale créé en 2009 suivant les préconisations des différents audits interministériels de modernisation sur l’organisation et les processus de gestion administrative et de paye lancés en 2005-2006 et qui sera chargé, progressivement à compter de 2012, de la rémunération des 2,5 millions d’agents de la fonction publique d’État (FPE), incluant les militaires (16) ;

– de prendre en compte au fil de l’eau les événements administratifs pour une meilleure réactivité à une juste solde, et ce à partir d’une saisie unique dans les chaînes RH ;

– de réduire les effectifs des experts dédiés à la solde avec la mise en place de quatre centres dédiés (gendarmerie comprise) au traitement de la solde (CERH) – en lieu et place des cinq CTAC et des trois centres de l’armée de l’air, de la marine et de la gendarmerie – ainsi qu’un dispositif unique de trésorerie (CIAS) et de liquidation (SESU), soit un effort de plus de 35 % ;

– d’éviter les mouvements de pièces justificatives ;

– de créer un centre unique de trésorerie et de liquidation en lieu et place des 12 trésoreries et 8 ordonnateurs secondaires préexistants ;

– des restitutions comptables sur une maille plus fine permettant un contrôle et un pilotage de la masse salariale au niveau ministériel.

● la conception et la réalisation du logiciel Louvois, de 2006 à 2009, le déploiement du logiciel étant initialement prévu pour 2009, avant d’être reporté à l’été 2010 pour le service de santé des armées ;

● la notification de trois marchés à des prestataires extérieurs :

– en mai 2007 à la société Steria, pour valider la définition des choix d’architecture du système d’information ;

– en février 2008 à Eurogroup et MC2I, pour l’assistance à maîtrise d’ouvrage ;

– en mai 2008 à la société Steria, pour une mission d’intégration entre Louvois et les SIRH : l’objectif est de déployer, à partir du calculateur développé au sein de l’armée de l’air, un système allant chercher les données dans les systèmes d’information des différentes armées pour les transférer au calculateur et aboutir à l’édition d’un bulletin de solde et des documents comptables indispensables pour régler les soldes et suivre leur paiement ;

● le rapprochement, au sein d’une même structure, des fonctions « ressources humaines » et « soldes » de la marine nationale et de l’armée de l’air. Comme M. Jean-Paul Bodin l’a déclaré à la Commission, « l’armée de terre décide, quant à elle, en 2006, d’attendre pour ce faire que les travaux sur le logiciel soient plus avancés » ;

● à l’été 2010, devant des difficultés résiduelles à aboutir, une profonde réorganisation de la direction de projet est opérée (cf. infra) et un audit est demandé à la direction générale des systèmes d’information et de communication (DGSIC) dirigée par le général Gérard Lapprend (cf. infra) ;

● le raccordement progressif de services et d’armées à Louvois, après des opérations de paie à blanc puis de paie en double censés valider la fiabilité de l’écosystème Louvois avant les opérations de « bascules » définitives :

– le service de santé des armées pour la solde d’avril 2011 ;

– l’armée de terre pour la solde d’octobre 2011 ;

– la marine nationale pour la solde de mars 2012.

Parallèlement, le raccordement de l’armée de l’air a été repoussé.

Le fonctionnement (théorique…) de la chaîne « ressources humaines–solde » dans l’écosystème Louvois

L’écosystème Louvois est donc conçu pour que les informations relatives à la gestion des ressources humaines (les « événements RH ») soient automatiquement transmises au calculateur Louvois, qui les utilise pour déterminer la solde des militaires.

Le système d’information Louvois, quant à lui, comprend plusieurs composants principaux : outre le calculateur de solde appelé SDI, développé par le ministère de la Défense à partir d’un logiciel de l’armée de l’air, un élément essentiel à son fonctionnement est la fonction d’échange appelée GSI, développée par la société Steria, qui assure deux types d’interfaces entre le calculateur SDI et les SIRH des services et armées raccordées à Louvois (Arhmonie pour le SSA, Rhapsodie pour la marine nationale et Concerto pour l’armée de terre) :

– des interfaces « entrantes », consistant à trier les données issues des SIRH à l’entrée du calculateur. Des « règles de cohérence » ont été construites en entrée de Louvois afin de n’adresser au calculateur que des données cohérentes ;

– des interfaces « sortantes », consistant à restituer les données calculées à la sortie du calculateur pour alimenter les systèmes d’éditique (une centaine d’opérations d’éditique étant prévues, la principale concernant l’édition des bulletins mensuels de solde) et une quinzaine d’autres interfaces avec d’autres systèmes d’information (assurances sociales, administration fiscale, etc.). Certaines données calculées sont aussi renvoyées dans les SIRH pour actualiser les dossiers administratifs.

De plus, à la demande de la DRH-MD, la société Steria a réalisé en 2011 un filtre de données appelé Condor, outil non intrusif dans Louvois et destiné à s’assurer que les données envoyées dans Louvois ne seraient pas de nature « polluante » – selon les représentants de la société Steria entendus par les rapporteurs, cet outil est utilisé par le SSA et la marine nationale, mais pas par l’armée de terre.

Il faut également souligner, dans l’architecture de l’écosystème Louvois, l’importance de deux autres éléments :

– le référentiel générique des unités, portant le lien de ces structures avec Chorus, dénommé Credo ;

– les fichiers de codification de référence (classement militaire, géolocalisation, référentiel des indemnités, les nomenclatures, etc.), gérés par le bureau des référentiels et composants communs (BRCC) qui, selon les représentants de la société Steria, s’adosse à un outil bureautique du type « fiches excel », ce qui serait sous-dimensionné au regard de la population gérée par l’écosystème et de la complexité technique de celui-ci.

Le schéma ci-après présente le fonctionnement théorique de l’écosystème Louvois tel qu’il existe aujourd’hui.

FONCTIONNEMENT THÉORIQUE DE LA CHAÎNE « RH–SOLDE »

Source : société Steria.

Ainsi, pour les armées, la répartition des rôles est la suivante :

– les armées sont responsables de la saisie initiale dans leurs SIRH de quelques données de nature calendaire et liées aux activités des formations d’emploi des personnels ;

– la chaîne interarmées de soutien, au sein des GSBDD, assure la saisie de toutes les autres données administratives pouvant avoir des répercussions sur la solde, au moyen des mêmes SIRH ;

– le service du commissariat des armées, au travers de son service ministériel opérateur des droits individuels (SMODI), doit garantir la qualité globale des prestations et des données des chaînes de liquidation et de paiement des droits financiers individuels ;

– le DRH-MD, de laquelle relève la mission SIRH, est responsable du traitement de la solde et dirige toute l’opération de transmission des données au système Louvois.

On ne peut que relever la complexité de cette répartition des rôles.

ii. Les dysfonctionnements de l’écosystème Louvois

Des erreurs de calcul observées dès le raccordement du service de santé des armées

Dès la première « bascule » vers Louvois, avec le SSA, des difficultés apparaissent. Lors de son audition par la commission, le secrétaire général pour l’administration a d’ailleurs reconnu que « la première étape sur le SSA a fait apparaître des difficultés de paiement d’indemnités liées à des spécificités de ce service, notamment des indemnités de garde hospitalière ». D’après lui, « les gardes n’étaient pas payées le mois où elles étaient réalisées mais selon des échéances définies par le service ; le volume des dossiers était important et la réglementation n’était pas strictement respectée ».

Selon M. Jean-Paul Bodin, les difficultés tiennent principalement à la prise en compte d’indemnités liées aux OPEX et à des missions de courte durée, ainsi qu’à tout ce qui est lié aux déménagements, notamment à l’étranger et outre-mer. Les rapporteurs ont pu le vérifier lors de leurs déplacements à Londres et à Abou- Dhabi, où les personnels – à quelque armée qu’ils appartiennent – leur ont fait état de leurs difficultés.

Selon les informations fournies par l’état-major de l’armée de terre, 1 850 dysfonctionnements techniques sont signalés au 30 juin 2013, ce qui place, à titre d’exemple, l’armée de terre dans une situation où elle est chroniquement confrontée à environ 500 soldes basses (inférieures à 1 000 euros) et à plus de 1 000 soldes hautes (supérieures à 10 000 euros). La crise a atteint un pic en juillet 2012, avec 11 000 soldes à zéro…

En effet, si le système plonge de manière dramatique un nombre important de familles de militaires dans l’impécuniosité du fait d’erreurs de calcul à leur désavantage, il y a également des « trop-perçus » : le système crée des erreurs dans les deux sens. Ainsi, lors de son audition par la Commission, M. Jean-Paul Bodin évaluait à plus de 100 millions d’euros le montant total de ces trop versés, auxquels s’ajoutent « toute une série de reprises d’avance de solde qui n’ont pas été effectuées en 2012, des erreurs d’imputation ou des doubles paiements d’indemnités ». Pour 65 % d’entre eux, ces trop versés porteraient sur des sommes inférieures à 5 000 euros, mais certains dossiers présentent des trop-perçus supérieurs à 15 000 euros.

Il a expliqué à la commission qu’au cours du mois de mars, 36 anomalies majeures dans le système d’information Louvois étaient encore constatées, et seraient en cours de correction.

Des erreurs de calcul particulièrement nombreuses concernant les personnels de l’armée de terre, mais pas réservées à celle-ci

Devant la commission comme devant vos rapporteurs, l’ensemble des responsables du ministère a souligné que les dysfonctionnements de l’écosystème Louvois étaient plus nombreux et plus graves dans l’armée de terre que dans les autres armées ou services raccordés à Louvois.

Lors de son audition par la commission, M. Jean-Paul Bodin a ainsi souligné que les difficultés posées par le système Louvois sont plus importantes dans l’armée de terre que dans la marine et le service de santé des armées (SSA), ce qu’il explique notamment par « un problème de remontée d’informations et d’analyse de la situation » quant au nombre de dossiers qui restaient à traiter dans les CTAC au moment de la « bascule ». Pour lui, le système d’information « n’a pas été complètement renseigné au plan local », ce qui contribuerait à expliquer les difficultés rencontrées dans l’armée de terre.

De même, M. Jacques Roudière, contrôleur général des armées, ancien directeur des ressources humaines du ministère de la Défense, a déclaré devant la Commission que « le chef d’État-major de la marine et le directeur du SSA ne semblent pas vouloir abandonner [Louvois] : il ne pose problème que dans l’armée de terre ». Il estime que les problèmes trouvent largement leur source dans la fiabilité des données fournies au système, qu’il a jugée « inégale selon les endroits et dans la durée ». Il ajoute que les résultats des exercices de soldes en double menés avant la « bascule » étaient « conformes aux critères de sécurité fixés par l’armée de terre » et déclare, s’agissant du partage des responsabilités dans les défaillances du système : « ma responsabilité était de piloter les SIRH et les systèmes de paye. Si on peut discuter du sens précis de ce verbe, je n’étais pas le chef du DRHAT, qui est sous l’autorité du chef d’état-major de l’armée de terre et du CEMA ». Il conclut d’ailleurs que globalement, « le système fonctionne pour la paie du personnel civil et du SSA », sans toutefois préciser que la paie du personnel civil n’est pas assurée par le système Louvois, mais par un autre outil, dénommé Alliance.

Il ressort toutefois des travaux des rapporteurs, notamment de leur déplacement au centre expert pour les ressources humaines (CERH) de la marine nationale à Toulon, que Louvois – au moins dans sa version actuelle – présente des problèmes de conception qui le rendent incapable de calculer de façon stable certaines indemnités, notamment celles liées aux navigations. À titre d’exemple, il ne réussirait pas à calculer les indemnités liées aux mouvements des bâtiments en opération extérieure ou dans les eaux extra-métropolitaines. Selon les responsables du CERH de Toulon, Louvois peut ainsi totaliser les droits liés aux mouvements des bâtiments, mais il ne peut pas les détailler : il en résulte un manque de lisibilité préjudiciable, qui impose au CERH de procéder au calcul des droits individuels de chaque personnel. Cela constitue une régression par rapport au système d’information de solde antérieur, qui calculait directement ces droits individuels.

La surreprésentation des personnels de l’armée de terre parmi les victimes d’erreurs de calcul de Louvois ne doit cependant pas occulter le fait que cet écosystème dysfonctionne pour tous les services et toutes les armées dont les SIRH y sont raccordés ; ces problèmes ne sont pas une spécificité de l’armée de terre. C’est ce qui conduit le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Bertrand Ract-Madoux, à écrire, dans un courrier récent à la présidente Patricia Adam, que « le cœur du sujet, la défaillance du calculateur Louvois et son manque de stabilité, est ignoré de la plupart des acteurs et va se trouver occulté, involontairement ou non, durant les premiers mois ayant succédé au raccordement de Concerto à Louvois ». Selon le général Ract-Madoux, « au mois de février 2012, lorsque la Marine a été raccordée à son tour, après avoir bénéficié de certaines leçons tirées par l’armée de Terre, les niveaux interarmées et ministériels ont répété à l’envi que « la Marine n’avait pas de problème avec Louvois », orientant donc la recherche des anomalies vers la seule armée de Terre et brouillant d’autant l’impression générale ». Or c’est bien toutes armées confondues que les indemnités relatives aux affectations en outre-mer ou à l’étranger présentent des défauts de calcul, comme les rapporteurs ont pu le constater en déplacement au centre expert pour les ressources humaines de la marine. Ce CERH effectue en effet en moyenne 3 000 corrections par mois, et en juillet dernier, 3 500 dossiers de paie ont dû être traités au moyen de procédures de contournement de Louvois.

La tendance est-elle à la stabilisation du système ou non ? Une question encore difficile à trancher

Il ressort des travaux des rapporteurs que les avis sont encore très partagés sur l’évolution des dysfonctionnements du système.

Certains font valoir que les correctifs successifs apportés au système d’information Louvois permettent de réduire le nombre de ses erreurs, ou qu’en tout état de cause, le nombre de dossiers litigieux est en baisse. C’est ce qu’a déclaré à la commission M. Jean-Paul Bodin, affirmant que l’« on a constaté une réduction considérable du stock de dossiers traités dans le centre expert de Nancy, lesquels sont passés de plusieurs dizaines de milliers à 400 » et qu’« au sein du commissariat, le SMODI, qui s’est renforcé, constate que les agents travaillant sur le système commencent à mieux le maîtriser », et que « des progrès sont réalisés pour éviter les erreurs ».

Les graphiques ci-après, publiés par le secrétariat général pour l’administration, indiquent que le nombre de dossiers litigieux portés à la connaissance des autorités compétentes a tendance à décroître.

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE DOSSIERS PROBLÉMATIQUES

Source : DICOD, point de presse du 25 avril 2013.

D’autres ne perçoivent pas d’amélioration dans le fonctionnement de l’écosystème Louvois. Ainsi, le chef d’état-major des armées a déclaré à la commission : « aujourd’hui, je suis très inquiet : on n’observe aucune amélioration dans le fonctionnement de Louvois, pas plus dans la marine ou au SSA que dans l’armée de terre ». Tel est également l’avis du chef d’état-major de l’armée de terre, selon lequel « le système génère d’ailleurs continuellement de nouvelles anomalies, qui émergent par un phénomène d’auto-emballement et d’erreurs cumulatives ».

Lors de leurs déplacements sur le terrain, les rapporteurs ont systématiquement posé à leurs interlocuteurs la question de savoir si le fonctionnement du calculateur Louvois leur paraissait gagner en stabilité : la réponse était généralement négative. Le système crée régulièrement de nouvelles erreurs, et il semble même que les correctifs qui lui sont apportés, à mesure qu’ils permettent de résoudre certains dysfonctionnements, engendrent eux-mêmes de nouvelles erreurs de calcul.

b. Pourquoi l’écosystème Louvois est-il défaillant, et qui en est responsable ? Multiplicité des causes et dilution des responsabilités

Il ressort des travaux des rapporteurs, qui n’ont pas les compétences techniques nécessaires pour se former un avis sur les aspects strictement technologiques du problème, que les causes des dysfonctionnements de l’écosystème Louvois sont multiples – tenant au système d’information Louvois comme à son environnement technique et au mode de pilotage retenu pour la conduite du projet –, et que les responsabilités dans ce qui est un véritable scandale n’en sont que plus diluées, ce qui est profondément insatisfaisant au regard des torts causés aux militaires qui en sont victimes.

i. Les causes des dysfonctionnements de l’écosystème Louvois

Plusieurs séries d’explications ont été avancées devant les rapporteurs pour analyser les défaillances du système : défauts intrinsèques du calculateur, faiblesse du pilotage du projet, cadencement inapproprié des réformes, facteurs aggravants propres à l’armée de terre, manque de fiabilité des données transmises au calculateur par les SIRH.

Les défauts intrinsèques du calculateur

Tous les acteurs interrogés par les rapporteurs reconnaissent que le calculateur qui constitue le « cœur » du système d’information Louvois présente des défauts intrinsèques. En cela, Louvois a bel et bien créé des difficultés, et n’a pas seulement révélé les failles des autres systèmes d’information.

Pour certains, les défaillances du calculateur lui-même constituent le problème majeur à la source des dysfonctionnements de l’écosystème Louvois. Le chef d’état-major des armées, devant la commission, a ainsi déclaré : « j’en viens à penser que c’est le cœur du système Louvois qui constitue le fond du problème : vraisemblablement, il a été mal, ou insuffisamment, spécifié ». Tel est également l’avis du chef d’état-major de l’armée de terre, qui dans sa lettre précitée estime même que « durant le premier semestre 2012, le rôle central du calculateur Louvois dans les dysfonctionnements a […] été de facto occulté : la direction de projet indiquant invariablement que les difficultés identifiées étaient en cours de traitement et « qu’il s’agissait d’une question de semaines » » alors que, « de manière objective, le fait que tous les services et armées raccordés au logiciel Louvois connaissent des problèmes témoigne bien du caractère central des anomalies techniques du calculateur ». C’est également la thèse qu’a défendue son prédécesseur, le général Elrick Irastorza, lors de son audition devant la commission (17).

En tout état de cause, chacun reconnaît que le calculateur lui-même n’est pas exempt de failles. M. Jean-Paul Bodin a ainsi déclaré devant la commission que les difficultés mises à jour à l’automne 2012 avaient conduit le ministre à lancer sept audits, dont le principal, effectué par la DGSIC, traitant de « l’écosystème RH-soldes », mais aussi et surtout du calculateur. Selon lui, le rapport auquel il a donné lieu indique que tous les sous-ensembles de cet écosystème sont potentiellement générateurs d’anomalies, mais « précise que Louvois comporte des éléments de fragilité parce qu’une partie des recommandations techniques émises lors du précédent audit n’a pas été suivie ». Un audit réalisé en 2010 par la DGSIC avait en effet mis en exergue une trentaine de dysfonctionnements majeurs dans le calculateur Louvois. Le dernier audit, comme l’a rappelé M. Jean-Paul Bodin, émet de nouvelles recommandations techniques et d’ordre architectural pour optimiser le fonctionnement du logiciel, ainsi que sur l’organisation de l’ensemble du dispositif pour mieux le sécuriser, le consolider et l’adapter. Selon le secrétaire général pour l’administration, celles-ci sont en train d’être mises en œuvre.

De même, si les représentants de la société Steria ont mis en avant, lors de leur audition par les rapporteurs, les difficultés rencontrées par le ministère dans la « gouvernance des données » – c’est-à-dire la fiabilisation des données envoyées au calculateur –, ils n’en ont pas moins reconnu que « le contenu fonctionnel du moteur de calcul de la solde comporterait également des anomalies », à la résorption desquelles Steria prête son concours au ministère. Ils recommandent aussi de « mettre à niveau la documentation du contenu du calculateur SDI (travail fonctionnel), pour permettre à l’équipe de correction d’opérer efficacement ».

Un pilotage déficient du projet

De nombreuses critiques se concentrent sur la manière dont le projet Louvois a été piloté. Ce pilotage était assuré depuis 1996 par un comité directeur présidé par le commissariat de l’armée de terre, avant que la DRH-MD se voie confier des responsabilités croissantes dans le pilotage du projet (cf. infra) aboutissant à ce qu’en mai 2010, M. Jacques Roudière, alors directeur des ressources humaines du ministère, obtienne la possibilité de mettre en place une mission dédiée aux SIRH et de recruter un directeur de projet contractuel pour la diriger. Comme il l’a expliqué à la commission, cette mission « était organisée en mode « plateau » – une partie des personnels appartenait à l’état-major des armées –, ce qui permettait d’impliquer tous les acteurs pour avancer le plus efficacement possible dans les délais impartis ».

Le chef d’état-major des armées comme les représentants de la société Steria ont eu devant la commission et devant vos rapporteurs la même réflexion : le projet Louvois, du fait de son ampleur et de ses enjeux, aurait dû être piloté d’une façon aussi robuste qu’un programme d’armement, mais il ne l’a pas été. S’interrogeant sur le point de savoir si les « responsables du projet disposaient de l’ensemble des moyens humains nécessaires », l’amiral Guillaud a ainsi déclaré devant la commission : « Lorsque l’on engage un projet, il est nécessaire de le diriger. La direction de projet est incontournable pour intégrer tous les aspects d’un système, selon les spécifications des utilisateurs. Je regrette que pour Louvois, elle n’ait pas été suffisamment puissante, en tout cas au vu de ma position. Il s’agit d’une règle élémentaire, bien connue dans les programmes d’armement », ajoutant : « Je pense qu’il aurait fallu une direction de programme comparable à celle qu’on trouve dans un programme d’armement. C’était le bon modèle ».

Ce reproche renvoie notamment au caractère cloisonné de ce pilotage. Les représentants de Steria ont ainsi estimé qu’il manquait de coordination entre les différents services, directions et armées de la chaîne RH-solde, faisant peu de place à l’expression des besoins des utilisateurs du système, et ne permettant pas d’appréhender le contrôle de la qualité des données tout au long de la chaîne. De même, le chef d’état-major de l’armée de terre souligne, dans sa lettre précitée, « les limites d’une approche trop fonctionnelle des organisations », qui est selon lui « caractérisée par une structure cloisonnée, en l’absence d’une autorité hiérarchique de proximité qui garantit la cohésion d’ensemble ». Pour lui, « ce type d’organisation ne permet ni de réconcilier des logiques contradictoires entre le niveau de ressources et les objectifs à atteindre, ni d’en hiérarchiser les priorités ».

M. Christian Piotre, chef du contrôle général des armées, a lui aussi regretté devant la Commission « une gouvernance trop complexe » et une « difficulté récurrente à constituer les équipes nécessaires à la mise en œuvre du projet ». À cet égard, il ressort des informations fournies aux rapporteurs que lorsque la DRH-MD a fait savoir qu’elle avait besoin de sept à huit informaticiens contractuels de haut niveau pour remédier aux premières difficultés rencontrées, aucun des services, directions et armées du ministère de la Défense n’a souhaité les lui fournir.

Les représentants de la société Steria entendus par les rapporteurs ont eux aussi suggéré que les équipes de pilotage du projet Louvois auraient pu utilement voir leurs compétences techniques renforcées. Ils ont fait observer que la distinction qui existe en France – et non, par exemple, au Royaume-Uni – entre la maîtrise d’ouvrage d’une part, et la maîtrise d’œuvre d’autre part, ne contribuait pas à ce que la culture technique irrigue la chaîne et le processus de décision. Cela explique, selon eux, la tendance de l’administration à s’attacher les services de cabinets de conseils, dans une recherche d’« effet de parapluie », pour valider les choix de maîtrise d’ouvrage, tout en laissant à la maîtrise d’œuvre la responsabilité des aspects techniques des opérations. Ils notent que si Steria est impliquée dans la réalisation des interfaces d’échange entre le calculateur et son environnement, la société a été très peu sollicitée sur le moteur de calcul, les équipes du ministère n’ayant accepté que très tardivement de se faire assister sur ce composant : une première équipe de Steria est intervenue à partir de février 2011 – soit quatre ans après l’étude menée par la société sur l’architecture du prototype de Louvois – en soutien de l’équipe de développement du calculateur SDI, puis une autre en octobre 2012 et une troisième depuis janvier 2013.

Une mauvaise appréciation des risques et des contraintes dans les décisions de « bascule », spécialement pour l’armée de terre

Les actuelles défaillances de l’écosystème Louvois montrent que les risques de la « bascule » du SSA, de l’armée de terre puis de la marine nationale dans cet écosystème avaient été sous-estimés. Pour les rapporteurs, encore faut-il se garder de la tentation de la « lucidité a posteriori », et évaluer si toutes les précautions avaient été prises en fonction des informations disponibles à l’époque où les décisions de « bascule » sont arrêtées.

Il ressort des travaux des rapporteurs que, parmi les grands responsables du ministère, chacun était conscient du fait qu’une opération d’une ampleur telle que celle d’un raccordement à Louvois n’était pas sans risques. M. Jacques Roudière a ainsi déclaré à la Commission qu’il en voyait trois séries principales :

– d’abord, les risques inhérents à la « bascule » vers tout nouveau système d’information, quel qu’il soit ;

– ensuite, les risques liés à l’urgence : « vues les échéances à tenir, les délais étaient courts, et c’est toujours un facteur de risque d’être dans l’urgence » ;

– enfin, une série de risques techniques spécifiques à Louvois, identifiés par le rapport d’audit commandé en septembre 2010 à la direction générale des systèmes d’information et de communication (DGSIC).

Lors de leur audition par la commission, MM. Jean-Paul Bodin, Christian Piotre et Jacques Roudière – respectivement, à l’époque où ont été prises ces décisions, directeur de cabinet adjoint du ministre de la Défense, secrétaire général pour l’administration du ministère et directeur des ressources humaines – ont insisté sur les contraintes pesant sur la direction de projet Louvois dans les décisions de raccordement. Ces contraintes, dont M. Jacques Roudière a souligné qu’elles étaient « souvent contradictoires », étaient principalement au nombre de quatre :

– une forte contrainte d’effectifs : les objectifs de déflation associés à la réforme imposaient un rythme soutenu de réduction d’effectifs (7 500 par an en moyenne), et constituaient ainsi une pression dans le sens d’une fermeture rapide des CTAC, dont l’horizon annoncé a incité les personnels experts à chercher à se reclasser au plus vite – d’où un phénomène de fuite des compétences ;

– une contrainte technique : selon les trois contrôleurs généraux des armées, les systèmes antérieurs de gestion de la solde se dégradaient, tant dans l’armée de terre – avec la fuite des compétences des CTAC et le vieillissement des outils informatiques précédent Louvois – que dans la marine nationale, dont le système de solde était censé ne pas pouvoir passer l’année 2011, du fait de son obsolescence et de l’arrivée à échéance de certains marchés publics ;

– une contrainte tenant à la mise en œuvre concomitante de trois réformes, dont les effets ont pu se « télescoper » (cf. infra) : l’opération de rapprochement des ressources humaines et de la solde, qui se serait « heurtée à des résistances très fortes au sein de l’armée de terre » ; la création d’un service unique du commissariat gardant ses fonctions de comptable et d’ordonnateur ; et la création des bases de défense, qui conduit à regrouper dans un lieu où l’on mutualise les moyens de fonctionnement les postes dédiés au traitement de la solde dans les unités

– une contrainte de délais : les échéances prévues s’approchaient, avec le raccordement du SSA sur Louvois planifié pour le début de l’année 2011, et le raccordement du système à l’ONP initialement prévu pour 2016.

L’encadré ci-dessous présente le détail de ces contraintes tel que M. Jacques Roudière l’a exposé à la commission.

Les contraintes pesant sur le déploiement de Louvois

« Le contexte dans lequel nous avons décidé de réorganiser la paye des militaires était caractérisé par plusieurs contraintes.

« D’abord, une forte contrainte d’effectifs, d’un point de vue quantitatif. Les centres techniques et administratifs du commissariat (CTAC), qui étaient chargés de payer les soldes de l’armée de terre, avaient fait l’objet d’une décision de fermeture publiée en 2008 pour les deux premiers d’entre eux, dans la perspective d’une « bascule » vers le système Louvois, dont la date n’était pas encore arrêtée. Le système précédant Louvois était en effet archaïque et onéreux. Le plan de fermeture s’étalait sur 2011 et 2012.

« Cette contrainte était également qualitative : l’expertise en matière de solde des militaires est très élevée et les spécialistes dans ce domaine constituaient une ressource rare, d’autant plus nécessaire pour réussir la « bascule ».

« Ainsi les suppressions de postes ont précédé la bascule qui devait générer les économies.

« Je pensais, à ce moment-là, que le système de gestion de la solde de l’armée de terre se dégradait – plusieurs personnes m’en ont alors fait part verbalement ou par écrit – et était en train de s’effondrer. Mais je ne savais pas que, ce faisant, il accumulait un passif aussi important que l’on retrouverait ensuite, en janvier 2012, au moment où le système Louvois serait censé être opérationnel.

« La deuxième contrainte était technique. Dès septembre 2010, le directeur du personnel de la marine m’informe par écrit que le système de gestion de la solde des militaires de la marine ne passera pas décembre 2011, à la fois techniquement et en termes de marchés publics – je rappelle que la « bascule » pour cette armée a été réalisée en février 2012.

« Le système informatique de l’armée de terre était également très vieux, il était également utilisé pour une partie du personnel du service de santé (SSA). La préoccupation de refonder les systèmes d’information est très ancienne – le premier dossier Louvois remonte aux années 1990. Je n’avais pas de telles alertes pour l’armée de l’air et la gendarmerie.

« Parallèlement, des travaux avaient été engagés en vue de la « bascule » vers l’opérateur national de paye (ONP) ; ils étaient très structurants en termes de données, de processus et d’organisation. Un raccordement était prévu à cet effet en 2016, avant d’être repoussé à 2018.

« La troisième contrainte était liée à la mise en œuvre de trois réformes concomitantes.

« En premier lieu, le rapprochement des ressources humaines et de la solde – ces deux fonctions étaient précédemment séparées, la seconde incombant aux services du commissariat. Les travaux conduits bien avant 2007 recommandaient en effet la mise en place d’un seul système d’information dans ce domaine. Si cette idée a été très vite acceptée par l’armée de l’air et la marine, elle s’est heurtée à des résistances très fortes au sein de l’armée de terre. Appliquée aux personnels civils, elle a été porteuse d’économies et a tiré profit des systèmes d’information, à l’image des organisations retenues dans de grands groupes privés notamment.

« En deuxième lieu, l’importante réforme qu’a constituée la création d’un service unique du commissariat, gardant ses fonctions de comptable et d’ordonnateur.

« En troisième lieu et enfin, la création des bases de défense, qui conduit à regrouper dans un lieu où l’on mutualise les moyens de fonctionnement les postes dédiés au traitement de la solde dans les unités.

« La quatrième contrainte tenait aux délais. J’ai, en tant que responsable de la direction des ressources humaines (DRH-MD) été saisi du dossier en mai 2010. Le comité directeur, qui travaillait sur Louvois depuis quatorze ans, considérait que la gouvernance devait être rénovée. Le cabinet du ministre me demande alors de le prendre en charge dès cette date, sachant qu’était prévue en septembre la prise en charge des personnels civils vers un système RH intégrant également la paie, puis au début de 2011, la « bascule » sur Louvois du SSA et, ensuite, celle de l’armée de terre et celle de la marine. Les échéances étaient donc très rapprochées. »

Source : compte rendu de la réunion du 29 mai 2013, séance de 10 heures, de la commission de la défense nationale et des forces armées, audition de M. Jacques Roudière..

Devant la commission, l’ancien directeur adjoint du cabinet du ministre de la Défense, l’ancien secrétaire général pour l’administration du ministère et l’ancien directeur des ressources humaines ont insisté sur les précautions qui ont été prises avant d’opérer ces raccordements. Il s’agit principalement :

– de l’appréciation globalement positive de la « bascule » du SSA, réalisée au début de 2011 pour 10 000 dossiers. Selon M. Jacques Roudière, « il s’agissait d’une opération difficile car celui-ci n’avait pas de service de solde – ses agents étaient payés par chacune des armées, en fonction de leur rattachement » ; dès lors, déclare-t-il, « la création d’un nouveau système nous paraissait de nature à nous aguerrir pour la suite des opérations » ;

– de tests conduits à partir de mai 2010, pendant dix mois, afin de « répéter toutes les opérations et de vérifier que toute cette chaîne fonctionnait ». Ces tests ont consisté en des soldes à blanc à l’automne 2010, puis en des soldes en double de janvier 2011 à la fin du printemps de la même année, et enfin de deux « répétitions générales, où l’on a refait la solde du début à la fin ». M. Jacques Roudière a insisté devant la commission sur le fait que les résultats des opérations de soldes en double « étaient conformes aux critères de sécurité fixés par l’armée de terre » ;

– de la mise en place d’un système de compensation, destiné à traiter les dossiers pour lesquels on s’attendait à des incidents, qui sont selon M. Jacques Roudière « inévitables » dans ce type d’opérations. Ce système était dimensionné pour être en mesure de traiter 20 000 opérations manuelles, ce nombre résultant des évaluations techniques réalisées concernant les erreurs possibles de Louvois lui-même, et non les régularisations que le nouvel outil de gestion de la solde allait devoir effectuer pour traiter les cas – datant de plusieurs années pour certains – en déshérence dans l’ancien système de solde ;

– d’une suspension, d’octobre 2010 au 1er janvier 2011, des opérations de trop-perçu, au motif que ces procédures administratives lourdes consommaient trop de temps et de personnels ;

– de corrections apportées au calculateur, suivant les recommandations formulées en 2010 par un audit de la direction générale des systèmes d’information et de communication (DGSIC). En effet, cet audit, globalement critique, formulait une quarantaine de recommandations dont la mise en œuvre « permettait de rendre le risque acceptable à mes yeux », comme l’a déclaré M. Jacques Roudière devant la commission. Celui-ci a également précisé que les modifications recommandées par la DGSIC et requises pour la « bascule » ont été effectuées, celles qui ne l’ont pas été, toujours en cours, portant sur des améliorations sans impact direct sur la « bascule ». Selon les représentants de la société Steria entendus par vos rapporteurs, cet audit a véritablement contribué à, en quelque sorte, « limiter les dégâts ».

Estimant ces mesures appropriées pour parer les risques identifiés à l’époque, M. Jacques Roudière a souligné qu’« en tout état de cause, il n’y avait pas d’alternative : nous ne pouvions attendre la mise en place de l’ONP et les systèmes en vigueur étaient sur le point de s’effondrer ». Il a reconnu avoir « pris des risques » en présentant au ministre la décision de raccordement de l’armée de terre à Louvois, tout en soulignant qu’il avait été conduit à en prendre d’autres au cours des sept années où il a été directeur des ressources humaines, que ce soit pour proposer une nouvelle DRH, réorganiser la gestion des personnels civils, créer l’agence de reconversion, organiser des élections professionnelles, ou « mettre en place la protection sociale des militaires » ou de nouvelles grilles indiciaires. C’est ce qui le conduit à conclure : « je pense qu’aujourd’hui, avec les mêmes éléments d’information, il faut insister sur ce point, que ceux que j’ai eus à l’époque, je ferais fait la même chose ».

Toutefois, l’argument selon lequel les anciens systèmes d’information de calcul et de liquidation de la solde auraient été « sur le point de s’effondrer », avancé par les trois contrôleurs généraux des armées précités, mériterait un examen approfondi. En effet, cette idée a été contestée devant la commission par le chef d’état-major des armées, qui a déclaré : « on dit souvent que l’ancien logiciel de solde de l’armée de terre [le calculateur PSIDI] était obsolète : il est vrai qu’il vieillissait, mais on ne peut pas dire qu’il risquait de s’effondrer de façon imminente à l’automne 2011. Il est d’ailleurs encore utilisé pour la solde de nos 96 000 gendarmes, quelle que soit la complexité de leur régime indemnitaire. Simplement, le vieillissement du logiciel conduit à une hausse des coûts de maintenance ».

La question qui se pose est donc la suivante : les précautions prises étaient-elles vraiment adéquates compte tenu des risques identifiés à partir de 2010 et des contraintes pesant sur le déploiement de Louvois ? S’il n’appartient pas aux rapporteurs d’émettre un jugement technique définitif sur le sujet, il n’en demeure pas moins qu’il ressort de leurs travaux que la question mérite d’être posée.

Les rapporteurs relèvent en premier lieu que les plus hautes autorités ont été régulièrement alertées sur les risques et les premiers dérapages que présentait l’écosystème Louvois. Ainsi :

– le chef d’état-major des armées a indiqué à la commission, lors de son audition, qu’il avait appelé l’attention du ministre de la Défense par écrit, le 7 mai 2010, sur les risques de rupture de continuité de la fonction solde, en particulier au sein de l’armée de terre – du fait de la déflation rapide des effectifs des centres territoriaux d’administration et de comptabilité (CTAC). Dans ce courrier, il alertait le cabinet du ministre sur l’impact négatif d’une accélération de la montée en puissance du service du commissariat aux armées (SCA), décidée en mars 2010, et sur ses conséquences sur le processus de solde, proposant de prendre des mesures conservatoires destinées à maintenir le personnel qualifié dans les CTAC ;

– comme l’a reconnu M. Christian Piotre devant la commission, le contrôle général des armées a été amené à livrer au cabinet du ministre, en 2008 et au début de l’année 2010, son appréciation sur la façon dont le projet « solde » était conduit, et il en ressortait trois conclusions principales : d’abord, un retard pris dans le calendrier alors qu’approchait la date de la fermeture des CTAC ; ensuite, le maintien d’un centre expert par armée alors que l’audit de modernisation précité préconisait de n’en conserver qu’un seul ; enfin, la nécessité d’entrer résolument dans la démarche de constitution d’un SIRH unique. Sur la base de ces constats, le ministère a décidé de renforcer le rôle de la DRH-MD dans le pilotage du projet, en lui donnant respectivement 10, 16 et 22 mois pour opérer la « bascule » des trois organismes principaux ; pour M. Jacques Roudière, ce changement de gouvernance constituait bien une « alerte » ;

– l’audit précité, mené par la DGSIC en 2010 constatait que « Louvois se révèle peu robuste, difficilement maintenable et exploitable », ce qui aurait dû conduire à une grande prudence dans son déploiement. Cet audit préconisait d’ailleurs une quarantaine de mesures techniques de corrections des dysfonctionnements de Louvois, mais comme M. Jean-Paul Bodin l’a reconnu devant la commission, « une partie des recommandations techniques [de cet] audit n’a pas été suivie », ce qu’a relevé la DGSIC dans un nouvel audit commandé par le ministre à la fin de l’année 2012 ;

– le commandement de l’armée de terre a également alerté à plusieurs reprises les autorités compétentes pour souligner les risques de sa « bascule » vers l’écosystème Louvois. Dans sa lettre précitée, le général Bertrand Ract-Madoux cite plusieurs lettres adressées en ce sens à la DRH-MD dès 2010, qui mettent en avant « un risque sérieux de discontinuité de la fonction solde » (18). Alerté par l’état-major de l’armée de terre, l’état-major des armées a présenté à la DRH-MD des propositions visant à réduire ce risque, tout en conditionnant le raccordement de l’armée de terre au bon fonctionnement du calculateur (19) ;

– en outre, le fait que Louvois ait présenté des dysfonctionnements dès le raccordement du SSA pour le paiement d’indemnités liées à des spécificités de ce service aurait dû alerter les responsables des « bascules » suivantes sur les difficultés de Louvois à prendre en compte les régimes indemnitaires complexes ;

– l’amiral Guillaud a aussi rappelé que certaines manifestations de mécontentement de familles de militaires, relayées lors des conseils de la fonction militaire d’armée de mai 2012, ont « constitué un premier signal » contredisant les informations selon lesquelles le nombre d’anomalies majeures aurait été stable, autour d’une trentaine, et des actions correctives en cours ;

– « deuxième signal sérieux » selon le chef d’état-major des armées, le paiement de la solde, et notamment les difficultés de prise en compte des primes et indemnités, a été évoqué lors du conseil supérieur de la fonction militaire de juin 2012, auquel il assistait aux côtés du ministre ;

– par ailleurs, si, comme l’écrit le général Ract-Madoux, « compte tenu du mode d’organisation et de fonctionnement du ministère, le chef d’état-major de l’armée de terre n’a eu que rarement l’occasion d’informer en direct le cabinet » du ministre des difficultés rencontrées dès le raccordement de Concerto à Louvois, il n’en demeure pas moins que le cabinet a été rendu destinataire d’une lettre du 5 mars 2012 enjoignant la chaîne de commandement de porter un effort sur les familles des militaires les plus vulnérables, ainsi que du rapport sur le moral dans l’armée de terre, transmis au ministre le 24 avril 2012.

Ces alertes, qu’elles concernent les risques identifiés en amont de la « bascule » de l’armée de terre ou les dysfonctionnements observés une fois cette « bascule » effectuée, ne semblent pas avoir été prises en compte autant qu’il l’aurait fallu. C’est ce qui fait dire au général Ract-Madoux que le premier réflexe des responsables du projet Louvois a été de reporter la responsabilité du « nombre très élevé d’anomalies constatées dans la solde des mois d’octobre et novembre 2011 » sur l’armée de terre elle-même, dont le SIRH fournirait des données erronées, conduisant ainsi les autorités à ce que soit « occulté, involontairement ou non », le dysfonctionnement de Louvois lui-même.

En outre, le chef d’état-major des armées a indiqué devant la commission qu’il s’était déclaré favorable à l’élaboration d’un « plan B », consistant à se laisser la possibilité de revenir à l’ancien système de calcul et de liquidation de la solde, mais que cela lui avait « toujours été refusé, au motif que cela aurait supposé de conserver les CTAC ». Pour les rapporteurs, l’absence de « plan B » est très regrettable : de fait, elle contraint le ministère de la Défense à conserver Louvois au moins pendant quelques années, le temps nécessaire à l’élaboration et au déploiement d’un nouveau système (cf. infra). Le chef d’état-major de l’armée de terre écrit même, dans sa lettre précitée, que « le « drame » de Louvois est d’avoir fait table rase de l’organisation précédente sans avoir obtenu suffisamment de certitudes sur le fonctionnement nominal de la nouvelle organisation ».

On peut également regretter qu’au vu des alertes précitées, le contrôle général des armées n’ait pas été chargé de procéder à des audits complets du système entre 2008 et 2012, période pendant laquelle le contrôleur général des armées Christian Piotre, était secrétaire général pour l’administration. M. Christian Piotre a certes évoqué les activités du contrôle général en matière « d’accompagnement de projet », mais des audits plus poussés auraient permis de mettre en lumière les insuffisances du pilotage général du déploiement de Louvois et du cadencement des réformes (cf. infra).

Il ressort également des travaux de vos rapporteurs que les tests auxquels il a été procédé en amont des bascules n’ont pas toujours été menés avec toute la rigueur souhaitable.

D’une façon générale, l’amiral Guillaud a estimé devant la commission que « Louvois a fait l’objet de trop peu de tests », estimant par ailleurs que si « les marchés publics de ce type comprennent toujours une clause optionnelle, permettant le développement de plateformes de simulation ou de tests à la demande du ministère », dans les faits, « cette option a un coût, et l’ordonnateur du marché a souvent tendance à « rogner » sur cette dépense ». Pour le chef d’état-major des armées, « c’est au directeur de programme qu’il appartient d’être suffisamment puissant pour obtenir la réalisation des tests nécessaires », lesquels, selon lui, « mériteraient d’ailleurs d’être rendus obligatoires ».

Surtout, les tests réalisés n’ont pas toujours permis de « pousser » Louvois au maximum de ses possibilités. En effet, lors de leur déplacement au CERH de la marine nationale à Toulon, les rapporteurs ont appris que lors des phases de tests de Louvois en amont de la « bascule », l’administration du ministère n’imposait de tests que sur une dizaine d’indemnités ; la marine a jugé plus prudent d’en tester 80. Néanmoins, les tests ne pouvaient pas porter sur deux catégories d’indemnités, pourtant susceptibles d’être problématiques – comme l’ont prouvé les développements ultérieurs de l’affaire. Il s’agit :

– des indemnités non-récurrentes, comme celles liées au plan annuel de mutation : seules des indemnités récurrentes ont pu être testées ;

– des indemnités dont le calcul et la liquidation ne nécessitaient pas d’aller chercher des données dans l’historique des SIRH, ce que la plateforme d’essai de Louvois ne permettait pas. Or, à l’image de la prime de service en Guyane perçue six mois après le retour en métropole, certaines indemnités voient leur calcul et leur liquidation déterminés par des éléments d’historique des événements RH.

Les représentants de la société Steria ont eux aussi estimé que le déploiement de Louvois aurait mérité de faire l’objet de tests plus complets, sur toute la longueur de la chaîne RH-soldes.

Enfin, aucune précaution spécifique ne semble avoir été prise pour la « bascule » de l’armée de terre, alors même qu’il était prévisible que le raccordement de celle-ci à Louvois poserait des problèmes particuliers.

Plusieurs éléments auraient en effet dû inciter les autorités à une prudence particulière s’agissant de l’armée de terre :

– comme l’écrit le général Ract-Madoux dans sa lettre précitée, celle-ci « est, par construction, la cible la plus complexe en raison du nombre de dossiers soldes à traiter (de l’ordre de 150 000 personnels militaires d’active et réserve), de sa dispersion géographique sur le territoire (120 formations administratives majeures) et du volume très important d’indemnités liées aux activités opérationnelles » ;

– en 2011, année du raccordement, le nombre d’événements RH à prendre en compte pour la solde était en outre particulièrement élevé, « conjoncturellement très supérieur à la normale » : 104 500 dossiers, dont 36 000 pour des raisons opérationnelles, 15 000 recrutements, 20 000 départs et 33 500 mutations ;

– comme l’a souligné M. Christian Piotre devant la commission, l’armée de terre a aussi été la plus touchée par les dissolutions et les restructurations, ce qui a rendu son cas plus complexe ;

– en outre, comme l’a rappelé M. Jean-Paul Bodin, le rapprochement des structures chargées de la gestion des ressources humaines et de la solde n’a pas été aussi précoce dans l’armée de terre que dans la marine et l’armée de l’air, qui s’y sont engagées dès 2006. Le chef d’état-major des armées a d’ailleurs expliqué que « toutes les armées et tous les services ne partaient pas de la même situation : la marine et le SSA étaient en avance sur l’armée de terre dans l’organisation des opérations qui se tiennent en amont du calcul de la solde, notamment pour ce qui est de la tenue des dossiers administratifs » et que « l’armée de terre, elle, a « basculé » sur Louvois alors que la mise à jour de ses systèmes d’information en ressources humaines était encore en cours, ce qui peut expliquer un plus grand nombre d’erreurs » ;

– par ailleurs, si l’on peut estimer avec M. Christian Piotre qu’« il aurait fallu un plan de formation et d’accompagnement plus rigoureux pour Louvois », cela est particulièrement vrai pour l’armée de terre, laquelle, comme l’a souligné M. Jean-Paul Bodin devant la commission, a vu sa chaîne RH trop « perturbée » par diverses réformes concomitantes (cf. infra) pour pouvoir mettre en place un dispositif d’accompagnement aussi structuré que celui de la marine ;

– selon les représentants de la société Steria, l’armée de terre – à la différence de la marine et du SSA – n’avait pas mis en place le système Diapason de filtrage des données « polluantes » adressées au calculateur SDI.

On évoque souvent la complexité du régime indemnitaire des personnels militaires pour expliquer les défaillances de l’écosystème Louvois. Cette explication n’est pas sans pertinence : avec près de 170 indemnités différentes, ce régime est particulièrement complexe. Lors de son audition par la commission, M. Jacques Roudière a rappelé qu’il s’était occupé de la solde des militaires depuis son entrée dans les armées, en 1976, et qu’il tirait de son expérience le constat que « cette solde est structurellement instable car il existe 170 indemnités, les militaires sont gérés en flux – 25 000 entrent dans les armées et en sortent chaque année –, ils sont mobiles et ne sont pas payés de la même manière selon l’endroit où ils sont envoyés ». Pour lui, le régime indemnitaire des militaires est « entropique par nature ». Toutefois, cette explication est loin d’être suffisante : comme les représentants de la société Steria l’ont confirmé aux rapporteurs, les armées ne sont pas les seules organisations à gérer un large éventail de régimes indemnitaires et beaucoup de systèmes d’information y parviennent, que ce soit au sein d’autres administrations ou dans de grands groupes privés, parfois en différentes devises.

Un mauvais cadencement des réformes

Le déploiement de Louvois et la refonte de l’écosystème RH-solde sont concomitants de l’ensemble des autres chantiers menés depuis 2008 dans le cadre de la réorganisation du ministère de la Défense. C’est pourquoi, malgré un effort de coordination des restructurations opérée au niveau central par le comité exécutif (COMEX), le comité de modernisation du ministère (C2M) et la mission pour la coordination de la réforme (MCR), les réformes ont pu se télescoper, au détriment, en l’espèce, de la bonne marche du projet Louvois.

Comme l’a rappelé l’amiral Édouard Guillaud devant la commission, un principe de bon sens veut que lorsque l’on conduit plusieurs réformes simultanément, agrégeant des paramètres organisationnels, humains, techniques et financiers, il ne faut jamais sous-estimer les interactions entre elles : « le phasage des restructurations est un paramètre structurant ». Ne pas confondre vitesse et précipitation reste, comme il l’a souligné, un élément clé de la maîtrise des risques, de l’identification des problèmes et de leur résolution. Il estime que dans le cas de Louvois, « la mise en œuvre de la RGPP, simultanément avec la mise en place des BDD et la création du SCA ont incontestablement constitué un facteur aggravant », soulignant cependant : « mais il est vrai, nous n’avons pas eu le choix ».

La mise en œuvre de plusieurs réformes a en effet pu compliquer le déploiement de Louvois.

Il s’agit d’abord de la création, en 2010, d’un service unique du commissariat des armées et des importantes déflations d’effectifs qui l’ont accompagnée (cf. supra). Dans son courrier précité, le chef d’état-major de l’armée de terre souligne d’ailleurs qu’« avec la création du service du commissariat des armées (SCA) le 1er janvier 2010, l’armée de terre perd son commissariat, qui avait la charge, parfaitement remplie au demeurant, de la solde ».

Il s’agit aussi de la création des bases de défense, qui s’est traduite par le regroupement, à l’échelon des GSBDD, des cellules de proximité de la fonction de gestion des ressources humaines (GRH) auparavant placés auprès des différentes unités et établissements. D’ailleurs, selon M. Jean-Paul Bodin, « les rencontres territoriales sur la réforme organisées en 2011-2012 ont montré ce sujet comme un des points les plus sensibles ». La chaîne RH de toutes les armées s’en est trouvée perturbée, mais celle de l’armée de terre l’a été plus encore que les autres, dans la mesure où c’est dans l’armée de terre que l’embasement a produit les restructurations les plus profondes – les anciennes bases aériennes et les principales bases navales étant déjà très concentrées.

Il s’agit également de la perspective de l’ONP, dont M. Christian Piotre a souligné devant la commission qu’il ne fallait pas négliger « la pression qu’elle exerçait sur le ministère pour faire évoluer son calendrier, en fonction de rendez-vous interministériels qui […] étaient imposés » à ses responsables. Les travaux de construction de l’ONP ont en effet été très structurants en matière de gestion des données de ressources humaines, et la perspective du raccordement à l’ONP a fait peser sur le projet Louvois lui-même un certain nombre de contraintes, techniques comme calendaires.

Il s’agit surtout des objectifs de déflation imposés par la loi de programmation militaire 2009-2014, conjugués aux chantiers ouverts au titre de la RGPP, et des conséquences de ces deux impératifs sur la gestion de la fermeture des CTAC, qui s’occupaient du calcul et du paiement des soldes. En effet, leur maintien, au moins dans une phase de « tuilage », aurait permis au ministère de disposer de compétences et d’expertises utiles au règlement des anomalies produites par l’écosystème Louvois, voire de revenir à l’ancienne procédure de calcul et de liquidation de la solde.

Les déclarations de l’amiral Édouard Guillaud devant la commission sont à cet égard on ne peut plus claires : « la RGPP nous imposait une réduction d’effectifs de 7 500 postes par an. L’année en question, il était prévu de fermer les CTAC. On m’a demandé de choisir entre cela et la dissolution d’unités de combat supplémentaires, c’est-à-dire entre la peste et le choléra. Nous avons signé le couteau sous la gorge ». En effet, selon le chef d’état-major des armées, la fermeture des CTAC a été « accélérée par la RGPP, qui a pu constituer un facteur aggravant dans les dysfonctionnements de Louvois ». Il estime en effet que « sans la RGPP, Louvois aurait présenté les mêmes dysfonctionnements, mais on les aurait peut-être mieux gérés ».

L’ensemble des responsables entendus par la commission et par les rapporteurs s’accorde en effet à juger, rétrospectivement, que la fermeture des CTAC, annoncée en 2008 et prévue pour 2011, s’est avérée prématurée. M. Christian Piotre a toutefois fait valoir que la date retenue pour commencer leur fermeture – l’année 2011 – était cohérente avec le calendrier initial de déploiement de Louvois, et aurait dû permettre une période de tuilage. À cet égard, c’est le retard pris dans le déploiement de Louvois qui a empêché que les manœuvres soient bien coordonnées.

La question est alors de savoir pourquoi la fermeture des CTAC n’a pas été retardée. Pour une part, la réponse à cette question tient aux objectifs stricts de déflation imposés par la loi de programmation militaire aux armées, directions et services du ministère. M. Christian Piotre a d’ailleurs déclaré devant la commission que le secrétariat général pour l’administration, qu’il dirigeait à l’époque, avait pour devoir de « donner la priorité à la suppression de postes de soutien, faute de quoi l’effort de déflation se serait reporté sur des emplois opérationnels que nous tenions à tout prix à préserver ».

Pour une autre part, la réponse à cette question tient aux choix des agents des CTAC eux-mêmes. En effet, l’ancien secrétaire général pour l’administration a expliqué devant la Commission que « la réussite de la « manœuvre RH » – c’est-à-dire la gestion de la mobilité des personnels, géographique et professionnelle, accompagnant les restructurations – supposait d’annoncer les mesures trois années auparavant, afin de permettre au personnel de se reclasser dans les meilleures conditions ». Or les personnels des CTAC – très majoritairement des civils –, avertis du sort qui allait être réservé à leurs structures trois ans après, sont nombreux à avoir mis à profit ce délai pour anticiper la fermeture des centres et rechercher les meilleures conditions de reclassement possibles pour eux-mêmes : selon les termes de M. Jacques Roudière, alors directeur des ressources humaines du ministère, « quand on se donne du temps pour reclasser les personnels dans les meilleures conditions, on introduit des facteurs d’instabilité, car ceux-ci cherchent alors une solution pour eux-mêmes, le plus souvent en vue de rester sur place » lorsqu’il s’agit de civils. Comme l’a dit l’amiral Édouard Guillaud, les CTAC ont ainsi vu « leurs cadres civils experts anticiper toutes les opportunités favorables de reclassement », ce qui était « parfaitement légal et légitime », mais s’est traduit par « une perte rapide des savoir-faire dans le domaine de la solde, qu’il n’a pas été possible de pallier dans des délais aussi courts ». Cela a donc eu pour conséquence une fuite des compétences de ces centres, très forte en 2010 et poursuivie depuis – ne serait-ce qu’entre juin et septembre 2011, 39 experts ont quitté les CTAC. Et lorsque, comme l’a rappelé M. Jean-Paul Bodin devant la commission, « il est décidé de retarder leur fermeture pour conserver celles-ci, en garantissant aux personnels civils concernés des affectations prioritaires sur les lieux qu’ils choisiront après cette échéance », ces mesures incitatives n’empêchent pas la fuite des compétences, et la dégradation de la capacité des CTAC qui en résulte. L’efficacité limitée de cette mesure s’explique, selon M. Jacques Roudière, « par le fait que les employeurs n’acceptaient pas de geler des postes, car ils avaient besoin de personnel pour conduire leurs réformes ». Pour M. Christian Piotre, l’administration a ainsi « sous-estimé l’impact de [ses] choix en matière de gestion sociale des restructurations » : selon lui, « il aurait probablement fallu avoir un pilotage plus ferme sur ce volet, quitte à ce qu’il soit moins favorable aux personnels », d’autant que les personnels militaires ou les civils contractuels recrutés pour pallier cette fuite des compétences ne disposaient pas de l’expertise très particulière des cadres des CTAC.

Ces pertes de compétences n’ont pas eu pour seul effet de désarmer les CTAC avant le déploiement de Louvois : elles ont aussi conduit à dégrader la qualité du service rendu par les CTAC dans leurs dernières années de fonctionnement. Comme l’écrit le général Bertrand Ract-Madoux, les départs des cadres des CTAC « se font au détriment de la qualité des opérations à effectuer avant le raccordement » de l’armée de terre à Louvois. Cela explique que lors de ce raccordement, on a « découvert » – selon les termes de M. Jean-Paul Bodin – « plus de 140 000 » dossiers à traiter dans les CTAC, alors que l’administration n’en avait anticipé que 15 000. Louvois a donc « hérité » d’un lourd passif.

Pour les rapporteurs, ces éléments montrent que le pilotage de la fermeture des CTAC, motivé par l’urgence attachée aux objectifs de déflation, a été défaillant.

Une « gouvernance des données » qui reste insuffisante

Comme l’ont rappelé devant les rapporteurs les représentants de la société Steria, la fiabilité des données saisies dans les outils informatiques de la chaîne RH-solde constitue un enjeu de premier plan pour le bon fonctionnement du système : même un calculateur de type Louvois qui n’aurait pas de défauts intrinsèques ne peut pas produire des bulletins mensuels de solde exacts si les données qui lui sont fournies sont elles-mêmes erronées, ou transmises dans un format et selon des spécifications incompatibles avec le mode de fonctionnement du calculateur.

Devant la commission comme devant les rapporteurs, certains responsables ont développé l’argument selon lequel une large part des dysfonctionnements de l’écosystème Louvois tient à la mauvaise qualité des données fournies au calculateur Louvois par les SIRH des armées et services qui y sont raccordés, estimant que la fiabilité des données fournies par l’armée de terre serait inférieure à celle des informations transmises par le SSA et la marine nationale, ce qui expliquerait selon eux la surreprésentation des militaires de l’armée de terre parmi les « victimes de Louvois ».

C’est en ce sens que M. Jacques Roudière, ancien directeur des ressources humaines, a pu déclarer à la commission que « dans des « bascules » de ce type, le problème ne porte pas sur le nombre de dossiers mais sur la fiabilité des données qui entrent dans le système », notant d’emblée que « celle-ci est inégale selon les endroits et dans la durée ». De même, M. Christian Piotre, ancien secrétaire général pour l’administration, déclarant : « je ne peux assumer des responsabilités qui n’étaient pas les miennes », a fait valoir, « à titre d’exemple », que « la qualité des données de ressources humaines introduites dans Louvois était – et demeure – de l’entière responsabilité des armées et services concernés, notamment de leurs directions des ressources humaines ». Il rapporte la mauvaise qualité de ces données à « l’insuffisante préparation des services chargés d’introduire les informations sur les ressources humaines nécessaires au calculateur » et aux « défaillances du contrôle interne ».

À l’inverse, le chef d’état-major de l’armée de terre a fait valoir que l’armée de terre avait engagé, en amont de son raccordement à Louvois, des efforts de fiabilisation de ses données relatives aux « événements RH ». Il écrit d’ailleurs que « la fiabilisation des informations contenues dans le SIRH Concerto avant le raccordement est correctement anticipée par l’armée de terre qui en fait immédiatement une priorité », et donne lieu à une directive et une instruction spécifiques (20) dès l’été 2009. Un plan de formation des opérateurs de saisie est ainsi mis en place pour appuyer les formations d’emploi, et c’est ainsi que, selon le général Bertrand Ract-Madoux, « initiée dès le 20 juillet 2009, soit 11 mois avant la date du raccordement tel qu’il était planifié à l’époque (1er juin 2010), la fiabilisation des dossiers de l’armée de terre est quasi-totale au 30 septembre 2011 ». Pour les rapporteurs, on ne saurait donc parler d’incurie de l’armée de terre en matière de fiabilisation de ses données RH.

Il est incontestable cependant qu’en la matière, la concomitance des réformes a eu un impact négatif. Il ressort en effet des travaux des rapporteurs que la mise en place des bases de défense, et les suppressions d’effectifs associées, s’est effectuée au pire moment dans le calendrier du projet Louvois, avec pour conséquence une régression de la qualité des données. En effet, la création des bases a eu pour effet paradoxal de retirer aux directions des ressources humaines des armées le lien hiérarchique avec les échelons locaux chargés de la saisie des données de solde, tout en laissant à ces directions la responsabilité théorique de la qualité des données. Il en aurait résulté la quasi-disparition du contrôle interne sur ces données, un reliquat d’audits étant cependant réalisé conjointement par les directions des ressources humaines d’armée et le CPCS.

Simultanément, il semble que le secrétariat général pour l’administration ait décidé de retirer aux directions des ressources humaines des trois armées – et particulièrement celle de l’armée de terre – une partie de leur ressource en informaticiens afin de renforcer la « mission SIRH » constituée au sein de la direction des ressources humaines du ministère, placée sous l’autorité du secrétaire général pour l’administration, au profit du projet « Source » de SIRH interarmées, et de ce fait au détriment des SIRH d’armée, au moment même où la bascule vers Louvois nécessitait un effort de fiabilisation de ces SIRH d’armées.

Il ressort également des travaux des rapporteurs que la pression liée aux échéances fixées par la direction des ressources humaines du ministère pour effectuer les « bascules » suivant l’échéancier qu’elle avait fixé a pu avoir pour contrepartie une baisse des exigences de l’administration quant à la qualité des données fournies par les SIRH. Les représentants de la société Steria ont d’ailleurs déclaré aux rapporteurs que, s’agissant des interfaces entrantes censées filtrer les données « polluantes » que les SIRH risquent d’envoyer au calculateur Louvois – l’interface entrante GSI –, « les règles de filtrage ont été assouplies au moment du « go ! » pour l’armée de terre », ce qui peut paraître curieux, voire léger, compte tenu des enjeux.

En tout état de cause, il apparaît clairement que la « gouvernance des données », c’est-à-dire le contrôle de leur pertinence et de leur compatibilité tout au long de la chaîne RH-soldes et de ses différents outils informatiques, a été très insuffisante. Les représentants de la société Steria ont ainsi estimé que la volonté de l’administration d’opérer au plus vite les « bascules » vers Louvois avait conduit à mener les opérations de raccordement d’une façon qui ne correspond pas aux bonnes pratiques en la matière. Les règles de l’art voudraient en effet que soient effectués des tests de bout en bout de la chaîne RH-solde, sur l’ensemble des indemnités complexes, de façon à vérifier si le calculateur – intervenant en bout de chaîne – est en mesure ou non de subir toutes les contraintes qui s’imposent à lui.

C’est pourquoi, selon les représentants de la société Steria, si le calculateur lui-même présente quelques anomalies, « il apparaît aujourd’hui que les difficultés sont principalement fonctionnelles et non techniques : la gouvernance des données de bout en bout peine à être mise en œuvre. Les données créent encore des difficultés. Leur cohérence doit être assurée tout au long de la chaîne SIRH–solde. Pour exemple, toute modification d’un lien dans Credo [le référentiel des organisations et des formations d’emploi] doit être analysée finement pour mesurer ses impacts sur Louvois avant application ».

ii. Les responsabilités dans les dysfonctionnements de Louvois

Pour les rapporteurs, compte tenu des graves impacts qu’ont eus les dysfonctionnements de Louvois sur la vie des militaires et de leurs familles, ainsi que sur le bon fonctionnement du ministère, il serait scandaleux qu’aucune responsabilité ne soit recherchée. Non qu’il s’agisse de désigner un coupable – ou un bouc émissaire – à la vindicte de la communauté de Défense ; mais il serait inadmissible que l’irresponsabilité devienne la règle dans la gestion des affaires publiques.

La société Steria n’a pas à être le bouc émissaire des déboires de l’écosystème Louvois

Une tentation bien humaine, lorsqu’une organisation – publique ou privée – doit assumer des déboires tels que ceux de l’écosystème Louvois, peut consister à se défausser sur ses sous-traitants.

Devant la commission, M. Christian Piotre, chef du Contrôle général des armées et ancien secrétaire général pour l’administration, a déclaré qu’« il serait utile que le Contrôle général des armées examine la façon dont le ministère de la Défense a piloté ses relations avec ses prestataires », précisant que « depuis au moins quatre ans, il ne cesse de dire combien le ministère est parfois faible dans la manière dont il organise son interface avec ses contractants ». Il a estimé que « lorsque ce pilotage s’est bien passé, nous avions généralement fait un effort important de constitution d’une équipe de maîtrise d’ouvrage et, a contrario, partout où celle-ci était fragile, nous avons eu des difficultés ».

Le chef d’état-major des armées a d’ailleurs laissé entendre que la tentation pour une administration de se défausser sur son co-contractant pouvait exister dans différents cas : « rien d’étonnant à ce que l’ordonnateur du marché et son attributaire aient tendance à se renvoyer la balle, ce qui nous renvoie au problème de l’organisation de la direction de programme ».

Dans le cas de Louvois, il semble aux rapporteurs – sauf à ce qu’une étude technique instruite par des services indépendants disposant de l’expertise technologique indispensable apporte de nouveaux éléments – que les dysfonctionnements de l’écosystème Louvois ne peuvent pas être imputés à la société Steria. La qualité des services de celle-ci n’a jamais été mise en cause par les audits successifs sur l’écosystème RH–solde, et les clauses pénales contenues dans les principaux contrats qui la lient à l’État n’ont, selon ses représentants, pas été mises en œuvre. En outre, toutes les prestations de Steria ont été réceptionnées par l’administration, qui en validant tous les « services faits » a ainsi accepté d’assumer la responsabilité de la gestion des outils informatiques fournis.

Lors de son audition par les rapporteurs, le général Gérard Lapprend, directeur général des systèmes d’information et de communication du ministère de la Défense, a d’ailleurs confirmé aux rapporteurs que les services de Steria n’étaient pas en cause dans les dysfonctionnements de Louvois.

Il faut d’ailleurs être précis sur la nature exacte des prestations fournies par la société Steria :

– elle n’a jamais été en charge de la conception et du développement de l’ensemble du système : si M. Jean-Paul Bodin a déclaré devant la commission que « Steria a défini les choix d’architecture du système d’information Louvois », les représentants de la société ont tenu à préciser devant les rapporteurs que le contrat passé avec Steria consistait seulement à « vérifier la pertinence des choix d’architecture qui avaient été retenus et mis au sein d’un prototype traitant une dizaine d’indemnités » ;

– elle a assisté l’administration pendant deux mois pour vérifier la cohérence et la complétude du budget opérationnel de programme, mission/programme/action/sous-action (BOP MPASA) concerné ;

– elle a, selon ses représentants, toujours exercé son devoir de conseil ex ante, ce qui n’a pas été contesté par les responsables du ministère.

En somme, Steria a développé le composant GSI et fait le lien entre les systèmes existants – les SIRH, le calculateur Louvois, les autres systèmes d’information raccordés à l’écosystème Louvois. La société s’est donc adaptée à des choix techniques préexistants, pour faire communiquer ces différents éléments. L’encadré ci-après décrit précisément les prestations fournies par la société Steria et leur cadre juridique.

Prestations fournies par la société Steria

Steria est intervenu dans le cadre des contrats suivants :

1. En 2007, une mission de 5 mois d’assistance à maîtrise d’œuvre

Dans ce cadre, Steria a évalué les scénarios et préconisé des solutions à mettre en place dans le cadre d’un prototype afin de les éprouver.

L’équipe projet SDI, que Steria a assistée, était constituée de personnels militaires des armées et de la gendarmerie (21). Le choix d’opportunité restait de la compétence du groupe de projet Louvois. Le dimensionnement à cible dépendait des flux de transaction en production, lesquels ne pouvaient pas être évalués avec certitude en avance de phase. Steria n’a jamais été informé, suite aux récents audits, d’une remise en cause de l’architecture applicative et technique. Cette prestation ne concernait en aucun cas le contenu du moteur de calcul.

2. En 2008, la construction des interfaces GSI

Via un marché notifié le 26 mai 2008 à la suite d’un dialogue compétitif, pour 36 mois et prolongé de 8 mois, Steria s’est vu confier la conception, le développement et l’intégration du module de gestion des interfaces et des états d’après-paye couplés avec les SIRH et un calculateur spécifique, ainsi que l’industrialisation de l’exploitation, la mise en production et le déploiement interarmées de la solde de la fonction échange de donnée.

Ce marché était composé d’une tranche ferme et de trois tranches conditionnelles, seule la première tranche conditionnelle ayant été notifiée. Ce contrat à engagement de résultats a fait l’objet de validations. L’ensemble des procès-verbaux de services faits ont été signés par l’administration.

3. En 2010, la maintenance préventive, adaptative et évolutive de la fonction échanges de données

Un marché de « maintenance préventive, adaptative et évolutive, formation et réalisation de l’exploitation adaptative et conduite de la réversibilité du logiciel Louvois » de la fonction échanges de données a été notifié à Steria le 10 février 2010 pour la période du 1er juin 2011 à 30 novembre 2012.

Il s’agit d’un marché à unités d’œuvre. Les unités d’œuvre relatives à la réversibilité des développements Steria ont été commandées et réceptionnées en juin 2012 par l’administration, qui en assure la maintenance avec l’assistance de Steria. La qualité de la documentation de Steria lui a permis de prendre en main le maintien en condition opérationnelle des modules développés par Steria. Les dernières prestations sur ce marché ont été réalisées fin février 2013.

4. Prestations diverses sur un marché à bons de commande

En 2013, après un appel d’offre déclaré infructueux en décembre 2012, Steria a remporté un marché négocié sans publicité préalable. Il s’agit d’un accord-cadre mono-attributaire à marchés subséquents (marché à bons de commande), d’une durée de 5 ans à compter de la notification.

Les marchés subséquents, portent sur des prestations commandées parmi les suivantes :

– transfert de connaissance ;

– réversibilité ;

– formation au maintien en condition opérationnelle de l’interface GSI ;

– assistance au pilotage ;

– assistance à la production ;

– assistance au développement ;

– assistance à l’exploitation ;

– expertises technico-fonctionnelles.

Les prestations sont divisées en unités d’œuvre unitaires, à engagement de résultats, dont le prix est forfaitaire. Elles sont commandées au fur et à mesure des besoins par l’envoi d’une lettre de consultation et d’un projet de marché subséquent. Il est précisé que Steria doit « obtenir les résultats demandés avec les moyens qu’il a choisis ».

Source : société Steria.

Les responsabilités sont difficiles à démêler au sein même du ministère de la Défense

Par nature, le mode de fonctionnement et l’organisation interne du ministère de la Défense rendent difficile l’identification du ou des responsables de dysfonctionnements du type de ceux que connaît l’écosystème Louvois.

Comme l’a déclaré à la commission M. Jacques Roudière, ancien directeur des ressources humaines du ministère, « il n’y a plus de système hiérarchique simple dans l’administration centrale : il y a toujours une part de fonctionnel et une part de hiérarchique, et c’est la combinaison des deux qui permet de mettre en œuvre les décisions et d’avancer ». D’ailleurs, comme l’a rappelé M. Jean-Paul Bodin, « toutes les décisions de « bascule » ont été collectives, présentées par l’ensemble du ministère au ministre, après plusieurs mois de paye en double et après que l’accord des uns et des autres ait été recueilli ». M. Christian Piotre a précisé qu’« aucune décision de raccordement à Louvois n’a été prise sans l’aval explicite des différents responsables, qu’il s’agisse du SSA, de l’armée de terre ou de la marine », que « le ministre a participé aux décisions » et que « celle qui a conduit à la « bascule » de l’armée de terre sur Louvois s’est prise dans son bureau en présence du chef d’état-major des armées, du directeur des ressources humaines du ministère et du directeur de cabinet ». Ce qui permet à M. Roudière de conclure : « je n’ai pas le sentiment qu’il y ait eu une dilution des responsabilités, mais une organisation ministérielle prenant racine dans notre tradition républicaine et précisant les responsabilités de chacun dans un travail collectif. Chacun a donc sa part de responsabilité ».

Force est de constater cependant que le cloisonnement et l’enchevêtrement des responsabilités sont particulièrement patents pour le cas du pilotage du projet Louvois. Ainsi, depuis le décret 2009-1177 du 5 octobre 2009, le chef d’état-major des armées est responsable du soutien et de l’administration des armées, des services et directions interarmées – les directions des ressources humaines de chaque armée, ainsi que le service du commissariat des armées, étant chargé de l’exécution des directives prises à ce titre. Mais, en vertu du décret 2009-1179 signé à la même date et fixant les attributions du secrétaire général pour l’administration, c’est la direction des ressources humaines du ministère de la Défense qui « assure le pilotage des systèmes d’information ministériels en matière de ressources humaines, et notamment de solde, de paie, de droits individuels et de pensions ». Et l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major des armées, d’en conclure : « Ce n’est pas fuir ses responsabilités que de le dire. C’est un fait avéré, qu’il est nécessaire de rappeler ».

L’ancien secrétaire général pour l’administration, M. Christian Piotre, a d’ailleurs reconnu que s’agissant du cadre décisionnel et du rôle du secrétariat général pour l’administration, celui-ci est « chargé de l’élaboration de la politique de ressources humaines » du ministère de la Défense – il dispose pour ce faire de la direction des ressources humaines du ministère – et se trouve par ailleurs « responsable de la modernisation de l’administration du ministère ». M. Christian Piotre a par ailleurs précisé à la commission que « le pilotage au quotidien du projet dans son ensemble était confié à la mission SIRH » constituée en 2010 au sein de la direction des ressources humaines.

Ainsi, selon les explications de M. Christian Piotre, « les responsabilités étaient assurées de manière complémentaire par les différentes instances parties prenantes du projet » :

– les directions de ressources humaines des armées et les états-majors ou directions de service concernés étaient responsables de leur SIRH et en charge de garantir la qualité des données introduites dans Louvois ;

– l’état-major des armées (EMA), avec ses deux bras armés, le commandement interarmées du soutien (COMIAS) et le service du commissariat des armées, étaient chargés respectivement de la mise en place des bases de défense et des opérations de liquidation de la solde ;

– le secrétariat général pour l’administration, avec sa direction des ressources humaines et la mission SIRH qui lui était rattachée, assurait le pilotage du projet.

Une imprécision ressort toutefois des travaux des rapporteurs quant à la date précise à laquelle la direction des ressources humaines est véritablement devenue le pilote du projet Louvois. Devant la commission, M. Jacques Roudière, ancien directeur des ressources humaines, a insisté sur le fait qu’il n’a été « saisi du dossier » qu’en mai 2010 : le comité directeur du projet, qui travaillait sur Louvois depuis quatorze ans, considérait alors que la gouvernance de ce projet devait être rénovée. M. Jean-Paul Bodin a lui aussi insisté sur le fait que la direction des ressources humaines n’est véritablement en charge du projet que depuis une réunion le 25 mai 2010 : cette réunion aboutit à « revoir la gouvernance du projet », ce qui marque selon lui « la seconde étape de Louvois III », avec pour principal changement que « la direction des ressources humaines est désignée pilote de cette nouvelle étape ». Il explique ce changement de gouvernance par l’idée que « tant que cette fonction était assurée par le service du commissariat, la préoccupation principale était le système de paye : or, pour réussir la « bascule » vers l’ONP, il fallait que le système RH fonctionne aussi de façon très solide ». Pourtant, comme l’a reconnu M. Jean-Paul Bodin devant la commission, de récents audits réalisés par des services du ministère sur la chaîne solde et sur la gouvernance de l’ensemble du dispositif montrent « que la prise en mains de celui-ci par la direction des ressources humaines n’a pas été complète et s’est heurtée à des difficultés ».

Pourtant, il ressort des travaux des rapporteurs que c’est bien dès juillet 2008 que le ministre de la Défense donne mandat en la matière au secrétariat général pour l’administration, responsable de 13 des chantiers ouverts au titre de la réorganisation du ministère, parmi lesquels figuraient le projet de modernisation de la gestion des ressources humaines du ministère et le projet « solde, paye et droits individuels » (SPDI) – ou Louvois –, qui furent réunis en un seul en 2010 pour assurer une meilleure cohérence de la démarche.

En tout état de cause, les rapporteurs considèrent que la dilution des responsabilités – voire l’impunité – dans l’affaire Louvois contribue à en faire, à proprement parler, un scandale.

c. La gestion actuelle de la crise provoquée par les dysfonctionnements de l’écosystème Louvois

Si le ministère de la Défense a réagi tardivement mais avec vigueur aux conséquences des dysfonctionnements de Louvois sur la condition des militaires – leur traitement pouvant légitimement être qualifié d’indigne –, le dispositif mis en place permet d’atténuer dans l’urgence les effets les plus délétères des défaillances de Louvois, sans les régler tous.

i. Le dispositif mis en place pour gérer la crise

Un plan d’action ministériel mis en œuvre à l’automne 2012

Le ministre de la Défense a incontestablement réagi avec vigueur aux dysfonctionnements de Louvois après qu’ils ont été portés à sa connaissance lors de son déplacement à Varces le 17 septembre 2012. Il a annoncé, lors d’une allocution au centre expert des ressources humaines de l’armée de terre (CERHS) de Nancy le 24 septembre 2012, un plan d’action spécifique dont il a confié la mise en œuvre au directeur des ressources humaines et au commissariat des armées, afin de traiter en priorité les situations individuelles rendues très difficile du fait du non-versement des soldes. Ce dispositif global est piloté par le directeur de cabinet du ministre et donne lieu à des comptes rendus précis au ministre.

M. Jean-Paul Bodin a expliqué lors de son audition par la commission les grandes lignes de ce plan et ses principaux apports, à savoir :

– un numéro vert, avec une cellule d’assistance, mis en place à partir d’octobre 2012. La situation au 10 avril fait apparaître 25 840 appels, lesquels tendent à diminuer, ce qui montre selon M. Jean-Paul Bodin « que l’on arrive à traiter les problèmes » : en octobre, le nombre d’appels s’élevait à plusieurs centaines par jour. Ils ont entraîné l’ouverture de plus de 10 000 dossiers, dont 9 300 étaient réglés au jour de son audition ;

– un groupe d’utilisateurs, qui s’est réuni six fois : il permet de regrouper autour de l’administration des représentants des militaires, des conjoints de militaires et des instances de concertation pour faire remonter le maximum d’informations sur les difficultés constatées ;

– des procédures exceptionnelles de paiement pour corriger la situation des familles qui avaient le plus de difficultés. De même, un moratoire sur les trop-perçus a été décidé pour ne pas les fragiliser ;

– une procédure adaptée pour traiter les problèmes de calcul du revenu imposable en vue des déclarations d’impôt sur le revenu.

Pour M. Jean-Paul Bodin, « ces mesures d’urgence ont permis de réduire les tensions et d’éviter d’avoir des soldes nulles ou négatives – lesquelles étaient dues au logiciel ».

De plus, douze chantiers ont été engagés, parmi lesquels on retiendra notamment :

– un chantier de gouvernance de l’ensemble du dispositif, avec la réaffirmation du rôle de pilote de la direction des ressources humaines ;

– un chantier de communication, confié à la Délégation à l’information et à la communication de la défense (DICoD) ;

– un travail de pilotage de toute la chaîne opérationnelle solde, confié au service de commissariat des armées, en vue de la réorganiser pour bien répondre aux recommandations des audits ;

– un autre travail sur les systèmes d’information conduit par la DGSIC pour mettre en œuvre rapidement la quarantaine de recommandations qu’elle a émises ;

– un chantier sur les référentiels métiers, qui servent à bâtir le mécanisme de calcul de la solde ;

– un autre chantier sur l’organisation de la chaîne RH, notamment la gestion des ressources humaines de proximité ;

– un travail sur les référentiels réglementaires.

L’encadré ci-après précise les mesures mises en œuvre par le service du commissariat des armées dans le cadre de ce plan d’action.

Les mesures mises en œuvre par le service du commissariat des armées

En octobre 2012, le SCA se voit confier le rôle de pilote du soutien de la solde.

Afin de régler les problèmes de l’écosystème solde qui apparaissent, le ministre de la Défense annonce, par allocution au centre expert des ressources humaines de l’armée de terre (CERHS) de Nancy le 24 septembre 2012, qu’il lance un plan d’action spécifique qu’il confie au DRHMD et au DCSCA.

Dans ce cadre, il décide de confier au SCA (et donc au SMODI), avec la solde de novembre 2012, la responsabilité de piloter le soutien de la solde sans attendre (comme cela était prévu à l’origine), le raccordement de l’ensemble des armées, direction et services à LOUVOIS. La mission SIRH pourra ainsi consacrer ses moyens au développement et au déploiement de SOURCE, SIRH unique du ministère.

C’est depuis cette date que le SCA développe, en lien avec la DRHMD et les DRH d’armée et conformément aux directives successives données par le ministre de la défense et le cabinet, les modes d’action suivants pour remédier aux dysfonctionnements de la solde.

1. Mesures conjoncturelles :

– Animation d’un numéro vert avec création d’une « cellule solde assistance » au SMODI à Rambouillet. Composée d’une trentaine de personnes issues des armées, directions et services, elle a reçu 28 000 appels et une dizaine de milliers de courriels (administrés et GSBdD) depuis le 1er octobre 2012. Le rôle de cette cellule ressemble à celui d’un « call center », soit répondre aux appels des administrés et de leurs proches pour les renseigner et ainsi permettre aux organismes d’administration d’armée (CERH) de se recentrer sur leurs missions d’administration. Lorsque la situation exposée le justifie, la cellule solde assistance ouvre un dossier et suit son règlement dans les CERH. Ainsi 10 149 dossiers ont été ouverts depuis le 1er octobre, dont 92 % sont clos.

Depuis le 15 mars 2013, une équipe de conseil fiscal et juridique, constituée de réservistes, a rejoint la cellule pour conseiller les administrés en ce qui concerne le calcul du montant de leur revenu imposable.

– Paiement accéléré exceptionnel en cas de solde diminuée ou incomplète : 30 millions d’euros ont été versés au profit du personnel qui avait des créances envers l’État, du fait des dysfonctionnements de l’écosystème solde.

Obtention, en lien avec la DAF, d’une dérogation à l’article 12 du code des impôts. Par cette dérogation, la DGFIP accepte que le revenu d’activité imposable 2012 des militaires impactés par les dysfonctionnements de la solde soit calculé sur le montant théorique qu’ils auraient perçu en l’absence de dysfonctionnements (s’ils s’engagent à rembourser les sommes indûment versés).

Information des administrés par des feuillets info soldes inclus dans les bulletins mensuels de solde et consultables également sur site intranet et internet depuis le mois de novembre 2012 concernant tous les problèmes de solde.

2. Mesures en cours

– Pilotage opérationnel de la solde

Amélioration du pilotage des flux de données solde dans l’objectif de mieux maîtriser le cycle mensuel de la solde par définition en lien avec tous les acteurs de la solde d’une nouvelle stratégie de gestion de ces flux.

Cette nouvelle gestion des flux a été mise en œuvre par le SMODI à compter de la solde du mois de mars 2013, avec des résultats encourageants, mais qui restent à conforter.

Mise en place d’un tableau de bord assurant le suivi du cycle de production de la solde. Ce tableau de bord rend compte, au fil de l’eau, de l’avancée du cycle de la solde et permet l’alerte des autorités sur les difficultés rencontrées. Testé en mars, il est opérationnel sur le cycle de production de la solde d’avril.

– Optimisation de l’organisation du SMODI pour lui permettre de jouer son rôle de pilote opérationnel unique de la solde : création d’un centre opérationnel (CO). Il s’agit d’une véritable tour de contrôle de la solde en cours qui donne les directives et règle les difficultés rencontrées dans le cycle de production de la solde 24/24 h et 7/7 j.

– Amélioration des contacts entre les différentes parties prenantes

Création et déploiement fin mars d’un portail collaboratif (Sharepoint). Les acteurs de la chaîne solde disposent en permanence de l’information la plus à jour, leur permettant d’échanger et de travailler en commun.

Approfondissement des contacts et des échanges entre acteurs par le biais d’une comitologie renforcée (notamment comité utilisateurs Louvois).

3 Mesures à poursuivre

– Amélioration du pilotage opérationnel

Normalisation des « procédures de contournement » utilisées pour déroger au principe de paiement automatique en mode Louvois. Pour harmoniser les pratiques des armées, directions et services, un groupe de travail conçoit une instruction qui paraîtra avant l’été 2013.

Poursuite et approfondissement de la nouvelle stratégie de gestion des flux.

Identification de la nature des risques en phase de pré-production afin d’améliorer leur prise en compte.

– Définition des procédures les plus adaptées pour réactiver les reprises d’avances de solde et d’avances ou fractions OPEX suspendues concernant le personnel de l’armée.

– Élaboration d’un système de management rénové en lien avec le sous-chef soutien de l’EMA et le centre de pilotage et de conduite du soutien (CPCS) : adoption d’une démarche métier solde « de bout en bout » qui permettra au SCA d’intervenir à tous les niveaux de la chaîne des acteurs, depuis la saisie du fait générateur dans la formation d’emploi jusqu’à la restitution budgétaire et comptable des dépenses de solde.

Source : Service du commissariat des armées.

En appui du plan d’action du ministre, le chef d’état-major des armées a déclaré à la commission avoir « pris un certain nombre de décisions, mises en œuvre par le commandement interarmées des soutiens », qui se sont traduites par la mise en place de « renforts aux divers échelons fragilisés par une insuffisance de personnel qualifié » :

– au niveau du logiciel lui-même, il a renforcé le centre de maintenance informatique de la solde (CMIS), à hauteur de deux officiers et de 24 sous-officiers, ce qui revient à en doubler l’effectif ;

– au niveau des directions des ressources humaines des armées et des structures interarmées, il a soutenu l’application des directives de l’armée de terre, de la marine, du SSA et du SCA, notamment en renforçant ces structures par du personnel des groupements de soutien des bases de défense. Ce sont ainsi plus de 200 experts supplémentaires qui se sont relayés depuis le mois d’octobre 2012 pour soutenir ces organismes ;

– au niveau des bases de défense, il a directement contribué, aux côtés du secrétariat général pour l’administration, à l’armement de cellules de crise Louvois. Ceci a été rendu possible par la convocation de réservistes et par l’interarméisation du travail des cellules. Des séances de formation du personnel des unités soutenues ont également été dispensées dans les garnisons les plus touchées. La formation a en outre fait l’objet d’un effort conséquent dans les domaines des ressources humaines et de la solde. À titre d’exemple, alors que 13 militaires des groupements de soutien ont été formés en 2012, c’est plus de 100 qui l’ont été depuis le début de l’année 2013.

De surcroît, l’amiral Édouard Guillaud a signalé à la commission que « des initiatives locales ont été prises par les commandants des bases de défense pour informer les acteurs locaux, les banques par exemple, des conséquences sociales et humaines des dysfonctionnements de Louvois ».

Lors de leur déplacement au centre expert en ressources humaines de Toulon, les rapporteurs ont pu prendre la mesure concrète de ce qu’est la gestion de la crise. Ils ont aussi pu observer que le CERH de la marine s’efforce non seulement de traiter les problèmes qui surviennent, mais aussi de les anticiper, ce qui contribue grandement à l’efficacité de son action. Ainsi, les responsables du CERH de Toulon ont indiqué aux rapporteurs que tous les mois, ils surveillaient particulièrement 15 000 paiements – soit un tiers des opérations concernant les marins – pour vérifier la prise en compte des paiements par contournement. De même, ils cherchent à anticiper les anomalies que produit Louvois lors des mouvements annuels de mutation, ce qui les a conduits à placer sous surveillance, par anticipation, le traitement de 4 700 dossiers.

Une autre spécificité du CERH de Toulon tient au fait qu’en cas d’erreur de calcul de solde provenant d’un mauvais réglage dans le SIRH, le CERH lui-même peut rectifier les informations contenues dans le SIRH, ce qui n’est pas le cas pour le CERH de l’armée de terre à Nancy, qui renvoie aux GSBDD le soin de rectifier les données erronées dans le SIRH de l’armée de terre. La procédure suivie par la marine permet de travailler « en boucle courte », ce qui permet de gagner en temps et en efficacité.

ii. Les problèmes que ne règlent pas les mesures palliatives prises en urgence dans le cadre du plan d’action ministériel

Comme l’a reconnu devant la commission M. Christian Piotre, « les derniers comptes rendus font apparaître une meilleure maîtrise progressive de Louvois, grâce au plan d’action mis en œuvre par la DRH-MD et le SCA, même si tous les problèmes sont loin d’être réglés ». Certains problèmes, en effet, ne sont pas traités par les mesures palliatives mises en place.

Une perte de lisibilité comptable sur les dépenses du titre II

M. Christian Piotre a indiqué à la commission que selon le travail conjoint de l’Inspection générale des finances et du Contrôle général des armées, l’insuffisance de crédits de masse salariale en 2012 s’est élevée à 453 millions d’euros, dont 293 millions imputables aux problèmes liés à Louvois. Sur ces 293 millions d’euros, 160 millions d’euros sont liés au fait qu’un certain nombre d’indemnités dues au titre de 2011 n’ont pas été traitées au moment du démarrage du raccordement de l’armée de terre au système et ont été versées l’année suivante : il s’agit donc d’une charge exceptionnelle, qui ne se reproduira pas en 2013. Par ailleurs, 130 millions d’euros correspondent aux versements indus ou trop-perçus ; la question est de savoir si les progrès réalisés cette année vont permettre de réduire ce montant, mais M. Christian Piotre a jugé que sur ce point, « il est trop tôt pour se prononcer ».

Les mesures de contournement posent en effet d’importants problèmes de lisibilité comptable, ce qui est particulièrement regrettable dans une période de tensions budgétaires sans cesse accrues.

Selon les informations transmises aux rapporteurs par le service du commissariat des armées, les difficultés de la chaîne RH-solde (erreurs initiales dans la saisie des éléments inductifs de droits à solde dans les SIRH, incohérences du calculateur, mauvaise qualité des documents ou flux informatisés sortant de Louvois, etc.) ont mis le centre interarmées de la solde (CIAS), trésorier qui paie les militaires et verse des cotisations sociales à de nombreux organismes, et le Service exécutant de la solde unique (SESU), ordonnateur qui mandate la solde, « en position délicate ».

Des écarts entre les versements du trésorier, qui reçoit de Louvois des pièces justificatives de paiement aux intéressés ou aux organismes, et les flux de mandatement automatisés de consommation des crédits budgétaires dans Chorus ont été révélés. Autrement dit, les éditions papier ou informatisées au sortir du calculateur ne sont pas équivalentes, alors qu’elles devraient l’être. La qualité comptable des écritures passées par le CIAS et le SESU s’en trouve nettement amoindrie et a nécessité en fin d’année un mandatement exceptionnel de 32,9 millions d’euros au seul titre du rapprochement des écritures. Les mêmes causes ont perturbé la qualité du montant des soldes versées aux militaires ainsi que la régularisation comptable des avances et fractions OPEX des militaires en opérations.

C’est dans ce contexte que s’inscrit la décision du ministre de mettre en œuvre un plan de secours, à hauteur de 30 millions d’euros, en utilisant le réseau des trésoriers militaires des bases de défense et le CIAS afin de remettre un chèque d’avance au militaire dont la solde était manifestement tronquée.

Par ailleurs, de nombreux travaux, qui se poursuivent encore aujourd’hui, ont permis de cerner l’origine de certaines difficultés et du point de vue comptable et budgétaire, cinq axes d’amélioration ont été retenus :

– la création de schémas comptables permettant de tracer et de différencier les modes opératoires des outils Louvois dits de contournement, lorsque par exemple une solde ne sort pas correctement, ou pour le paiement d’avances ou acomptes ;

– la mise en place d’une méthode permettant de fiabiliser les stocks d’avances et d’acomptes, ce qui n’était pas prévu à l’origine dans Louvois ;

– l’élaboration d’une méthode d’analyse permettant d’identifier les écarts entre les comptabilités du trésorier et celle de l’ordonnateur et d’effectuer la recette fonctionnelle des éditions Louvois ;

– l’élaboration d’un outil de contrôle des données issues des SIRH en entrée de LOUVOIS afin de fiabiliser le calcul des données les plus importantes ;

– l’intégration dans Chorus des données d’information supplémentaire pour un meilleur pilotage budgétaire des crédits de titre 2.

Les effets des correctifs apportés à Louvois

Il ressort des travaux des rapporteurs que les correctifs apportés au fur et à mesure au calculateur Louvois et aux autres outils informatiques de la chaîne RH-solde ont parfois pour effet de créer de nouvelles anomalies, en même temps qu’ils en résolvent certaines. Cela rejoint les constats du général Bertrand Ract-Madoux, lorsqu’il parle dans sa lettre précitée de « phénomène d’auto-emballement et d’erreurs cumulatives ».

Par ailleurs, les responsables du CERH de Toulon ont indiqué aux rapporteurs qu’à l’heure actuelle, sur le plan pratique, lorsque Louvois résout un problème, le travail de reprise des paiements de contournement est « titanesque ».

d. Comment en finir avec les déboires ? Les voies de sortie de crise

Si les moyens techniques de résoudre les dysfonctionnements de l’écosystème Louvois sont encore difficiles à déterminer avec précision, plusieurs options sont envisageables et en tout état de cause, les dysfonctionnements actuels auront des conséquences durables, et toutes les leçons doivent en être tirées.

i. Les options envisageables pour sortir de la crise

Le contrôle général des armées a été chargé en 2012 d’un rapport sur la fiabilisation de la fonction solde. Comme l’a expliqué à la commission le chef du contrôle général, « alors que le rapport […] était en cours de réalisation, on nous a demandé d’extraire tout de suite des conclusions sur les pistes envisageables » en raison des décisions rapides qui devaient être prises pour remédier à la crise de Louvois. Aussi, une note d’étude a été transmise au ministère dès janvier 2013. Celle-ci, préfigurant le rapport, identifiait trois solutions de sortie de crise :

– continuer avec Louvois et concentrer tous les moyens disponibles au redressement de la situation à partir de ce système ;

– commencer à étudier le recours à un autre progiciel, dont le déploiement nécessiterait probablement un délai de trois ans ;

– gérer mois après mois la solde en ramenant l’armée de terre au système antérieur le temps de rectifier les erreurs de Louvois.

M. Christian Piotre a pris soin de préciser qu’au jour de son audition par la commission, « aucune étude plus approfondie n’a[vait] été réalisée ». Le contrôle général des armées avait proposé d’examiner la faisabilité de ces trois hypothèses, « mais le cabinet du ministre a décidé d’écarter la dernière ».

La direction générale des systèmes d’information et de communication (DGSIC) doit rendre en octobre un rapport au vu duquel le ministre pourra se prononcer en faveur de l’une des deux premières hypothèses.

Un des arguments retenus par certains responsables pour écarter l’idée d’un retour à l’ancien logiciel de calcul et de liquidation de la solde tient à ce qu’il faudrait, pour ce faire, reconstituer les équipes précédentes. M. Christian Piotre a fait valoir devant la commission que « d’autres – après avoir identifié poste par poste les compétences existantes – pensaient le contraire, quitte à ce que cela prenne plusieurs mois, voire un an ».

Il faut toutefois rappeler, comme l’a fait devant la commission le chef d’état-major des armées, que le calculateur précédemment utilisé par l’armée de terre est encore utilisé pour la solde des 96 000 gendarmes, qui bénéficient d’un système de paye satisfaisant, ce qui constituait un argument fort pour ceux qui proposaient de revenir à l’ancien dispositif de l’armée de terre. Les effectifs sont en effet comparables, et le régime indemnitaire des gendarmes n’est pas sans complexité – eux aussi, par exemple, perçoivent des indemnités au titre d’opérations extérieures. M. Christian Piotre a d’ailleurs souligné que « la gendarmerie a exprimé le souhait de surseoir à son raccordement à Louvois », ce que l’on comprend aisément.

Quant à l’hypothèse consistant à déployer un nouveau logiciel de solde, elle se heurte à des contraintes calendaires importantes : selon les informations fournies par les représentants de Steria, et confirmées tant par le secrétaire général pour l’administration que par le directeur général des systèmes d’information et de communication du ministère, déployer un nouveau système – outre que cela serait coûteux – prendrait deux à trois ans, ce qui nécessiterait, pendant la période intermédiaire, de continuer à utiliser le système actuel. Par ailleurs, comme l’a dit à la commission M. Jacques Roudière : « soit on « bascule » vers l’ONP – ce qui suppose qu’il soit prêt rapidement –, soit il faut parvenir à stabiliser Louvois – qui fonctionne pour le SSA et la marine. On n’a pas le choix : il paraît impossible de recourir aujourd’hui à un nouveau système efficace alors qu’on réfléchit sur Louvois depuis vingt ans… ».

C’est ce qui fait conclure à M. Jean-Paul Bodin qu’en tout état de cause, pour l’heure, « il faut donc par tous les moyens essayer de corriger le système actuel » et que « s’il peut être consolidé, ce que la DGSIC pense possible, nous pourrons le conserver ».

Dans cette optique, les experts de la société Steria consultés par les rapporteurs suggèrent plusieurs mesures.

Il leur semble que l’effort est à porter sur les actions suivantes :

– « mettre à niveau la documentation du contenu du calculateur SDI (travail fonctionnel), pour permettre à l’équipe de correction d’opérer efficacement ;

– « monter en compétences » les gestionnaires administratifs des SIRH pour qu’ils connaissent les impacts d’une saisie dans les SIRH sur le système aval Louvois (les gestionnaires administratifs RH ne sont pas des « soldeurs ») et les former aux indemnités complexes ;

– analyser les impacts des actualisations de données de Credo sur Louvois, notamment à l’occasion de chaque changement d’année ;

– mettre sous contrôle la gouvernance des données de bout en bout de la chaîne, la gestion et la diffusion des données de référence liées à la codification de la solde (au travers d’un outil que ce soit Diapason ou une autre solution).

– travailler sur les flux pour maîtriser la rétroactivité – par exemple, en matière de rattrapage de prime – et ce de bout en bout de la chaîne RH-solde ;

– améliorer la chaîne de recette avec des tests de bout en bout, intégrant les SIRH, et mettre en place un véritable environnement de recette représentatif de la chaîne de bout en bout garantissant la non-régression ;

– segmenter les « tickets d’incidents » (communément appelés starwebs), en différenciant ceux qui sont de nature corrective de ceux qui sont de nature évolutive.

ii. Les conséquences durables et les leçons de la crise

Quelle que soit la voie choisie pour sortir de la crise, celle-ci aura des conséquences durables sur le moral des armées et l’organisation des systèmes d’information de l’État ; il convient donc d’en tirer toutes les leçons.

Les conséquences de la crise sur le moral des armées

Étymologiquement, un « soldat » est celui qui perçoit une « solde ». En manquant à son devoir de verser leur solde à ses militaires, l’État ne porte pas atteinte seulement aux conditions de vie des personnels – ce qui est déjà grave –, mais aussi un élément essentiel de la dignité de la fonction militaire et de la considération qui lui est due.

C’est d’ailleurs ce que le chef d’état-major des armées signifiait lorsqu’il déclarait à la commission que « les dysfonctionnements de Louvois génèrent une double crise de confiance vis-à-vis du bien-fondé des réformes en cours d’abord, et de l’aptitude du commandement à résoudre les difficultés ensuite », et que ces dysfonctionnements « sont ressentis comme révélateurs d’un manque de considération voire de reconnaissance envers ceux qui sont en première ligne, et affectent l’image des armées, ce que les blogs et les médias n’ont pas manqué de souligner, encore la semaine dernière dans un grand quotidien du matin » – cela étant, pour lui, « inacceptable ». Pour l’amiral Guillaud, « la condition du personnel est un élément central » : le personnel militaire des armées sert avec discipline, loyauté, disponibilité et un sens du devoir assumé s’il le faut jusqu’au sacrifice suprême ; aussi, « la moindre des choses est de lui garantir ce qui lui est dû, au plan moral comme au plan matériel. La solde est l’une des manifestations concrètes de la reconnaissance de la Nation pour les services rendus. Il ne saurait être question d’une défaillance dans ce domaine ».

Les conséquences sur les grands projets informatiques en cours

Pour les rapporteurs, l’hypothèse d’une connexion des armées à l’opérateur national de paie (ONP) est aujourd’hui irréaliste. Selon les informations qui leur ont été fournies, les dysfonctionnements de Louvois conduiraient le ministère à s’interroger sur le calendrier de raccordement à l’ONP pour 2017. Pour M. Jean-Paul ; Bodin, « il est évident que cette échéance ne pourra pas être maintenue ».

Les défaillances de Louvois incitent également à la plus grande prudence dans la conduite du projet consistant à mettre en place un SIRH unique pour l’ensemble des armées, appelé Source. L’encadré ci-dessous présente les caractéristiques de ce projet, et la façon dont son pilotage a tiré profit des retours d’expérience relatifs au projet Louvois.

Le SIRH Source

Le ministère de la Défense s’appuie encore actuellement sur cinq SIRH majeurs qui ont été déployés depuis 2007 : Concerto pour l’armée de Terre, Rhapsodie pour la Marine, Orchestra pour l’armée de l’Air, Arhmonie pour le SSA, et Alliance pour l’ensemble du personnel civil du ministère ainsi que pour le personnel militaire de la DGA et du CGA. Chacun porte les processus et les pratiques propres à l’histoire et à la culture de chaque population concernée. Dans le cadre d’un ministère en pleine transformation qui passe par la mutualisation du soutien notamment dans la sphère RH et dans les bases de défense avant d’être un projet de système d’information, Source est surtout un projet de simplification et d’harmonisation de ces processus qui seront portés par un SIRH unique raccordé in fine à l’opérateur national de paye (ONP). Les travaux de convergence ont démarré dès 2009, et la décision de lancement de Source a été prise le 18 octobre 2011 en CMI par le Ministre. À cette occasion, le coût du projet a été évalué à 57 millions d’euros auquel s’ajoutent au moins 20 millions d’euros de maintien en condition opérationnelle des SIRH existants de 2012 à 2017 tant que Source n’est pas opérationnel (nota : coût hors infrastructure matérielle informatique apportée par les services d’exploitation mutualisés de la DIRISI). Ce coût est à mettre en regard du retour sur investissement qui se traduit entre autre par un gain de plus de 1 000 ETP (1 350 annoncés en comité ministériel d’investissement) des effectifs de la fonction RH au sein du ministère.

Afin de bénéficier des leçons issues des difficultés Louvois, deux audits et revues ont été menés depuis l’automne dernier, une première par la DGSIC, la seconde par la DISIC. De plus une étude sur la trajectoire de déploiement a été conduite avec une société extérieure non impliquée dans le projet Source.

Le « bien fondé » du projet n’a pas été remis en cause. Plusieurs recommandations ont été émises, notamment :

– un approfondissement de la conception détaillée (en cours) de toutes les fonctionnalités en lien avec le système de paiement de la solde ;

– une sécurisation du déploiement en procédant par étape ;

– un chantier d’accompagnement au changement renforcé.

Leur prise en compte se traduit par un étalement du déploiement à partir de 2015/2016 jusqu’en 2017. Les décisions ont été déjà prises en ce sens, lors du comité directeur projet du 19 février 2013.

Source : secrétariat général pour l’administration.

Les leçons de la crise pour la conduite des prochains projets

Dans le contexte des restructurations prévues par le nouveau Livre blanc, on peut tirer plusieurs leçons de la crise actuelle.

D’abord, comme le souligne le chef d’état-major des armées, « Louvois est le cas typique d’une réforme portée par un présupposé toujours aléatoire et, en l’espèce, particulièrement hardi : celui du bon fonctionnement d’origine de l’outil technique. Or celui-ci n’est jamais garanti à 100 %, quoi qu’en disent les meilleures simulations ». Ce principe – de bon sens – vaut d’autant plus que les réformes sont concomitantes : toute modification dans un des éléments d’une chaîne telle que la chaîne RH-solde doit faire l’objet de tests « grandeur nature ».

Ensuite, le cadencement des réformes doit être étudié avec précision et permettre des périodes de « tuilage », pour éviter le télescopage des chantiers et des contraintes calendaires.

Par ailleurs, les dysfonctionnements de Louvois ont bien montré l’importance qu’il y a à ce qu’un projet d’envergure soit piloté par une équipe de projet solide, disposant de l’autorité nécessaire pour imposer les contraintes techniques et calendaires qui conditionnent la réussite du projet.

En outre, face à l’arrivée d’un nouveau système, il est indispensable que les compétences humaines critiques issues de l’ancien soient garanties.

Enfin, si la complexité du régime indemnitaire des militaires n’est pas en soi un obstacle à l’informatisation de la gestion des ressources humaines, elle la rend plus complexe. De ce point de vue, la simplification administrative doit précéder le développement des nouveaux outils informatiques, et non l’inverse. Si tel n’a pas pu être le cas pour le déploiement de Louvois, il faut le regretter, et relancer sans tarder le chantier de la simplification du régime indemnitaire des militaires.

SECONDE PARTIE – ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION
POUR LES RÉFORMES À VENIR

Le bilan de la mise en œuvre du plan de réformes arrêté en 2008, qui a coïncidé avec la mise en application de la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, permet de tirer certains enseignements utiles sur la façon dont il conviendra de conduire le nouveau train de réorganisations qui, inévitablement, accompagnera la mise en application de la prochaine loi de programmation militaire, suivant les orientations fixées par le Livre blanc de 2013 sur la défense et la sécurité nationale.

Sans prétendre anticiper sur les débats que la commission ne manquera pas de tenir sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019, les rapporteurs entendent tirer de leurs travaux certaines idées directrices, certains axes de recommandations pour la mise en œuvre des prochaines mesures de réorganisation.

I. LE NOUVEAU TRAIN DE RÉORGANISATIONS QUI DÉCOULERA DE LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE 2014–2019 DEVRA ÊTRE MENÉ DANS UN CONTEXTE PARTICULIÈREMENT CONTRAINT

« On en est à l’os » : c’est par cette formule – qui, pour lapidaire qu’elle soit, est tout à fait parlante – que la plupart des acteurs rencontrés par les rapporteurs en audition à Paris ou en déplacement sur le terrain on décrit la situation actuelle du ministère de la Défense. Dans ce contexte, les marges de manœuvre pour la mise en œuvre de nouvelles mesures de réorganisation seront limitées.

A. LE LIVRE BLANC OUVRE LA VOIE À DES NOUVELLES MESURES DE RÉORGANISATION, SANS FONDAMENTALEMENT REMETTRE EN CAUSE LES STRUCTURES MISES EN PLACE DEPUIS 2008

1. Le Livre blanc de 2013 et le projet de loi de programmation militaire ouvrent à la voie à de nouvelles restructurations

a. Le Livre blanc a prévu une nouvelle contraction du format des armées

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale publié en 2013 redéfinit les missions de nos armées et leur dessine un modèle qui marque une nouvelle contraction de leur format. L’encadré ci-après en donne les principales conclusions.

Le modèle d’armée défini par le Livre blanc de 2013

La conception de notre modèle d’armée s’articule autour de quatre principes directeurs qui dessinent une stratégie militaire renouvelée :

– le maintien de notre autonomie stratégique, qui impose de disposer des capacités critiques nous permettant de prendre l’initiative des opérations les plus probables ;

– la cohérence du modèle d’armée avec les scénarios prévisibles d’engagement de nos forces dans les conflits et dans les crises, c’est-à-dire la capacité à faire face aussi bien à des opérations de coercition et d’entrée sur un théâtre de guerre, qu’à des opérations de gestion de crise dans toute la diversité qu’elles peuvent revêtir ;

– la différenciation des forces en fonction des missions de dissuasion, de protection, de coercition ou de gestion de crise. Ce principe nouveau de spécialisation relative, qui vise ainsi à une plus grande efficience des forces dans chaque type de mission, obéit aussi à une logique d’économie et consiste à n’équiper avec les capacités les plus onéreuses que les forces prévues pour affronter des acteurs de niveau étatique ;

– la mutualisation qui conduit à utiliser les capacités rares et critiques au bénéfice de plusieurs missions (protection des approches, dissuasion, intervention extérieure) ou à rechercher auprès de nos partenaires européens une mise en commun des capacités indispensables à l’action.

À l’horizon 2025, les armées françaises disposeront des capacités permettant d’assurer à tout moment, au niveau stratégique, le commandement opérationnel et le contrôle national des forces engagées ; de planifier et de conduire des opérations autonomes ou en tant que Nation cadre d’une opération. Un effort particulier sera engagé pour développer notamment les capacités de renseignement et de ciblage, les forces spéciales, les capacités de frappes précises dans la profondeur et de combat au contact de l’adversaire, et une capacité autonome à « entrer en premier » sur un théâtre d’opérations de guerre.

Les forces spéciales se sont imposées comme une capacité de premier plan dans toutes les opérations récentes. Leurs effectifs et leurs moyens de commandement seront renforcés, comme leur capacité à se coordonner avec les services de renseignement.

Les forces terrestres offriront une capacité opérationnelle de l’ordre de 66 000  hommes projetables comprenant notamment 7 brigades interarmes, dont 2 seront aptes à l’entrée en premier et au combat de coercition face à un adversaire équipé de moyens lourds. Ces forces disposeront notamment d’environ 200 chars lourds, 250 chars médians, 2 700 véhicules blindés multirôles et de combat, Î40 hélicoptères de reconnaissance et d’attaque, 115 hélicoptères de manœuvre et d’une trentaine de drones tactiques.

Les forces navales disposeront de 4 sous-marins lanceurs d’engins, de 6 sous-marins d’attaque, d’1 porte-avions, de 15 frégates de premier rang, d’une quinzaine de patrouilleurs, de 6 frégates de surveillance, de 3 bâtiments de projection et de commandement, d’avions de patrouille maritime, ainsi que d’une capacité de guerre des mines apte à la protection de nos approches et à la projection en opération extérieure.

S’appuyant sur un centre de commandement et de conduite permanent et interopérable avec nos alliés, les forces aériennes comprendront notamment 225 avions de combat (air et marine), ainsi qu’une cinquantaine d*avions de transport tactique, 7 avions de détection et de surveillance aérienne, 12 avions ravitailleurs multirôles, 12 drones de surveillance de théâtre, des avions légers de surveillance et de reconnaissance et 8 systèmes sol-air de moyenne portée.

Source : Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale publié en 2013.

Ce nouveau format d’armée se traduira par des réductions capacitaires. À titre d’exemple, c’est l’équivalent d’une brigade de l’armée de terre qui devra être supprimée.

Le nouveau format entraînera nécessairement une double série de restructurations :

– avec les fermetures (partielles ou totales) de sites, la question de l’accompagnement social et territorial des restructurations se posera ;

– avec la réduction des capacités opérationnelles, les moyens nécessaires au soutien des forces seront réduits, ce qui aura un impact sur l’ensemble de la chaîne de soutien.

b. Le projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 organise un nouveau plan de déflation des effectifs du ministère

Comme l’indique l’étude d’impact annexée au projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019, « afin de garantir la soutenabilité de la trajectoire » financière proposée, « la programmation prévoit une diminution de la masse salariale, reposant sur la poursuite des réductions d’effectifs (– 33 675 ETP sur la période) ».

L’article 4 du projet de loi précise le cadencement de ces déflations, que retrace le tableau suivant :

TRAJECTOIRE DES RÉDUCTIONS D’EFFECTIFS

 

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Total

Déflations (ETP)

7 881

7 500

7 397

7 397

3 500

0

33 675

On notera que c’est dans les premières années de la programmation que l’effort de déflation est le plus ambitieux. L’enjeu attaché à la mise en place de mesures d’accompagnement social, ainsi qu’aux réorganisations administratives qui permettront de libérer ces effectifs, n’en est que plus grand.

2. Les principales structures mises en place à partir de 2008 ne sont pas fondamentalement remises en cause

Il ressort des travaux des rapporteurs que les grands équilibres de la réforme engagée à partir de 2008 ont peu de risque d’être remis en cause.

Ainsi, à titre d’exemple, le modèle des bases de défense ne semble pas appelé à être remis en cause ; tout au plus, la carte des bases de défense pourrait évoluer. De même, la professionnalisation des fonctions de soutien – achats et finances, questions juridiques, etc. – reste à l’ordre du jour, de même qu’il n’est pas prévu de revenir sur le projet Balard.

On notera également que la construction budgétaire proposée par le projet de loi de programmation militaire repose, comme dans la précédente programmation, sur l’addition de crédits budgétaires et de recettes exceptionnelles suivantes :

– « l’intégralité du produit de cession d’emprises immobilières utilisées par le ministère de la Défense », ce qui correspond au principe de « retour intégral » établi pour la mise en œuvre des réformes arrêtées en 2008 ;

– un nouveau programme d’investissements d’avenir (PIA) au bénéfice de l’excellence technologique de l’industrie de défense, financé par le produit de cessions de participations d’entreprises publiques ;

– le produit de la mise aux enchères de la bande de fréquences comprise entre les fréquences 694 MHz et 790 MHz ;

– des redevances versées par les opérateurs privés au titre des cessions de fréquences déjà réalisées lors de la précédente loi de programmation ;

– le cas échéant, le produit de cessions additionnelles de participations d’entreprises publiques.

Ainsi, les cessions de fréquences et d’actifs immobiliers restent une source importante de financement dans le « bouclage » budgétaire de la programmation pluriannuelle des ressources de la défense.

B. LES MARGES DE MANœUVRE SONT LIMITÉES

Comme l’explique l’étude d’impact jointe au projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019, les ajustements qui ont été apportés à la programmation financière actuelle à partir de 2010 (comme le report du lancement de certains programmes, réduction de l’entretien programmé des matériels) n’ont pas été suffisants pour restaurer la cohérence nécessaire entre les engagements contractuels et les ressources disponibles. Il en résulte que « cette cohérence doit être rétablie par une nouvelle programmation financière » qui doit définir une planification sur six années des ressources budgétaires et des plafonds d’emplois accordés au ministère de la Défense. Il est reconnu toutefois dans cette même étude que « cet exercice se place dans un contexte financier délicat puisqu’il doit s’inscrire dans les objectifs du Gouvernement de retour à l’équilibre des comptes publics ».

1. Les principales marges de manœuvre financières disponibles à structures constantes ont déjà été exploitées

Il ressort des travaux des rapporteurs qu’il ne sera pas aisé de vouloir faire peser l’essentiel des économies et des déflations sur le soutien – comme cela a été globalement le cas lors de l’actuelle programmation pluriannuelle –, et ce pour deux ordres de raisons :

– d’abord, parce que les structures actuelles ont déjà vu leurs moyens de fonctionnement et leur dotation en effectifs réduits à un étiage très bas, en deçà duquel il semble difficile de garantir le bon fonctionnement de la chaîne de soutien. La « paupérisation » des bases de défense en est le meilleur exemple : il semble difficile d’imaginer que les moyens alloués aux structures actuelles puissent être réduits dans d’importantes proportions sans impact sur la qualité du service rendu ;

– surtout, parce que les déboires rencontrés dans le déploiement de l’écosystème Louvois montrent bien les limites de la stratégie consistant à préserver au maximum les capacités opérationnelles en faisant peser les réductions de crédits et d’effectifs sur le soutien.

Lors de leur audition devant la commission, le secrétaire général pour l’administration comme le chef d’état-major des armées ont fait le même constat : Louvois offre la preuve de ce que l’on ne peut pas « rogner » sur les soutiens sans créer, in fine, des dysfonctionnements affectant l’ensemble de nos armées. L’amiral Édouard Guillaud a ainsi estimé que « l’objectif général de la RGPP de réduire les effectifs en se cristallisant sur les capacités de combat et leur environnement opérationnel a montré ses limites », tant il a conduit à « confondre vitesse et précipitation ».

Quant à M. Jean-Paul Bodin, il a conclu son intervention devant la commission dans les termes suivants : « il faut faire attention aux prochaines réformes. On va de nouveau chercher à préserver au maximum l’outil opérationnel, ce qui est tout à fait compréhensible. Si de nouvelles réductions d’effectifs devaient porter principalement sur les services de soutien, il faudrait en examiner au préalable la faisabilité. J’ai personnellement quelques préoccupations : s’il y a des marges de manœuvre dans les soutiens et si des fonctions peuvent être rationalisées – telles que l’alimentation, l’infrastructure, l’habillement –, celles-ci comportent des tâches administratives concernant directement le personnel du ministère. Or des dérèglements dans ce domaine peuvent poser de très grosses difficultés, comme nous l’avons vu avec Louvois ».

Ainsi, les contraintes budgétaires et les réductions d’effectifs prévues risquent fort d’être hors d’atteinte si l’on ne fait pas le choix de supprimer des structures. À structures constantes, les objectifs de déflation et d’économies semblent très difficiles à atteindre : la plupart des acteurs rencontrés par les rapporteurs estiment que rien ne serait pire que le « saupoudrage » des déflations et des réductions budgétaires sur nombre inchangé de structures déjà paupérisées.

Pour M. Damien Meslot, ce problème renvoie en réalité à la question de savoir quelle armée veut la Nation : même si certains gisements d’économies sont envisageables dans les dépenses ne concourant pas directement aux capacités opérationnelles de notre outil de défense, il y a in fine une cohérence, voire un rapport quasiment proportionnel entre les moyens alloués au soutien et les capacités de nos armées. On ne peut pas prétendre maintenir les secondes, au service d’ambitions aussi élevées que celles qu’affichent les Livres blancs successifs, tout en « rognant » systématiquement sur premiers afin de réduire, année après année, les moyens investis par la Nation dans la Défense. Le résultat d’une telle politique s’appelle aujourd’hui Louvois ; demain, il pourrait être encore plus préjudiciable à la condition des hommes et des femmes de la défense, voire à leurs capacités opérationnelles.

2. L’adhésion des personnels constitue un véritable enjeu pour la réussite de nouvelles réorganisations

a. Les réorganisations supposent des « manœuvres RH » complexes

L’expérience des réorganisations opérées dans le cadre de la réforme annoncée en 2008 montre que la mobilisation des personnels constitue un enjeu majeur de réussite des réformes.

Cela s’est vérifié, de façon négative, lors de l’annonce de la dissolution des CTAC : faute de certitudes sur leurs perspectives de reclassement à la date de la fermeture des centres, les personnels – dont l’expertise était pourtant si nécessaire à la « bascule » vers Louvois – ont préféré saisir les opportunités de reclassement qui se présentaient une à une, ce qui, on l’a vu, a contribué aux dysfonctionnements de Louvois.

Cela s’est aussi vérifié, de façon plus positive, par exemple lors de la création du service du commissariat des armées. L’encadré ci-après présente en détail la « manœuvre RH » sous-tendant cette réorganisation et ses conséquences sur l’attractivité des carrières et le fonctionnement du service.

Un exemple de réorganisation d’une structure à l’effectif important :
la création du Service du commissariat des armées (SCA)

Le SCA emploie environ 4 500 personnes, dont 70 % de civils. Sur les 1 000 commissaires composant le corps des commissaires des armées, un peu moins de 260 travaillent au sein du SCA, les autres étant affectés au sein des armées, états-majors et services.

C’est dire que la perception de la réforme diffère selon que l’on est :

– commissaire employé au sein du SCA (impacté par la fusion des trois corps et par la montée en puissance du SCA) ;

– commissaire hors SCA (impacté par la seule fusion des trois corps) ;

– militaire non commissaire employé au sein du SCA (impacté par la montée en puissance du SCA, mais potentiellement impacté par l’intégration des officiers du corps technique) ;

– civil employé au sein du SCA (impacté par la seule montée en puissance du SCA).

1. – Problématique liée à la transformation / montée en puissance du SCA

La transformation du SCA a correspondu à un défi de mobilité fonctionnelle et/ou géographique sans précédent pour le personnel civil mais aussi, quoique dans une moindre mesure, militaire.

Pour mémoire, la réforme des services des commissariats d’armée a notamment entraîné le nécessaire reclassement de 4 700 agents civils.

1.1 - Le personnel employé par le SCA a donc vécu une réforme exigeante sur plusieurs plans

– Au plan géographique, le SCA, créé selon une logique fonctionnelle, a en partie seulement hérité de la cartographie des anciens services : des garnisons ont disparu (ex : Rillieux la Pape), d’autres ont ré-émergé (ex : Brest, Denain), tandis que des sites pré existants ont été transformés par les nouveaux métiers du service (ex : Rambouillet), générant une mobilité d’ensemble auquel le personnel était mal préparé. Aujourd’hui, certaines garnisons, comme Metz ou Saint Germain en Laye ne parviennent plus physiquement à recruter le personnel nécessaire.

– Au plan fonctionnel, la disparition de certains métiers (ex : « huiles et pétroles ») a croisé l’émergence de nouvelles expertises (Chorus, contrôle interne comptable), offrant mais en même temps imposant aux agents une évolution de carrière exigeant de leur part une adaptabilité soutenue par des formations parfois approfondies.

– Au plan de l’emploi enfin, les objectifs de performance ouvertement affichés par le service ont pu avoir tendance à dissuader des agents de venir et/ou de rester au SCA – conduisant aujourd’hui au nécessaire lancement d’une étude d’image du service.

De façon plus globale, la transformation sans discontinuité depuis 2010 (fermetures, transferts, créations, réorganisations) d’un jeune service a généré un sentiment d’instabilité et au total une inquiétude diffuse quant à l’avenir du SCA, qui sont sources de départs et de difficultés à recruter.

1.2 – L’attractivité de certaines carrières au sein du service s’en trouve amoindrie :

– pour tous, du fait d’objectifs réputés exigeants en terme de productivité, qui signifient augmentation de la production mais aussi, pour les militaires, réduction des créneaux de maintien en condition physique et de cohésion ;

– pour les militaires, notamment sous-officiers terre, par la fin de leur identification formelle à un service capable de leur offrir un parcours de carrière complet.

S’agissant du personnel civil, cette perception est renforcée en 2013 par la réduction drastique des recrutements externes, ce qui a pour effet d’augmenter la charge de travail unitaire, et singulièrement par la suppression des concours internes du ministère, et donc des possibilités de progression par le mérite.

1.3 – Les velléités de départ se multiplient en conséquence :

– dans l’optique, pour les militaires, de la stabilisation professionnelle et géographique ;

– dans l’optique, pour les civils, de la recherche de postes moins exigeants au plan de la productivité et de meilleures conditions de progression de carrière.

2. – Problématique liée à la fusion des trois corps de commissaires

L’entrée en vigueur du nouveau statut des commissaires des armées datant du 1er  janvier 2013, il est encore un peu tôt pour en évaluer tous les impacts.

Le SCA dispose cependant d’éléments objectifs et subjectifs d’appréciation :

2.1 – Les départs :

En 2012, dernière année d’existence des trois corps de commissaires, 45 départs ont été enregistrés. À titre de comparaison, le taux de départ en 2011 était de 46 commissaires et, pour 2013, le SCA prévoit un taux de départ similaire. Il n’y a donc, à ce jour, aucun effet particulier de la réforme sur le taux de départ des commissaires.

2.2 – L’attractivité des carrières :

Le nouveau statut des commissaires devrait avoir pour effet de renforcer l’attractivité des carrières (décret n° 2012-1029 du 5 septembre 2012, portant statut particulier des commissaires des armées). Il affirme en effet que le corps des commissaires des armées constitue désormais le corps unique d’officiers chargé de l’encadrement supérieur de l’administration générale et des soutiens communs. Ce nouveau corps a ainsi clairement vocation à assumer des fonctions très variées et un large champ de compétences, le positionnant à un niveau comparable à celui des autres corps d’encadrement supérieur de l’État : conception, direction, encadrement, coordination, contrôle, expertise, conseil, audit, dans les domaines administratif, financier, juridique, logistique et environnemental.

Par ailleurs, cette fusion se matérialise dès à présent par l’ouverture et la diversification de postes, jusqu’alors dévolus à des commissaires relevant d’une seule armée. Concrètement le plan annuel de mutation 2013, propose 73 % postes de « indifférenciés » aux commissaires des armées.

Quatre mois après l’entrée en vigueur du nouveau statut, il n’est cependant pas possible de mesurer ou de quantifier plus précisément cette attractivité.

…/…

2.3 – Opinion des personnels/adhésion à la réforme

L’organisation de tables rondes (réalisées par grades) fin février 2013, destinées à mesurer la perception à chaud des commissaires sur les réformes en cours et leurs attentes personnelles permet de dégager les quelques éléments suivants : il n’y a pas de « fracture » entre anciens corps de commissaires sur la question de la fusion des corps. En revanche il y a une adhésion et un enthousiasme plus nets de la part des jeunes commissaires à l’égard de cette fusion (CR2/CR1 et jeunes CRP) qui y voient une opportunité, que de la part des commissaires plus anciens (toutes origines confondues) qui, sans remettre en cause la réforme, ont toutefois laissé percer leurs craintes de la perte du lien avec leur milieu d’origine (terre, air, marine).

Source : direction centrale du service du commissariat des armées.

b. Un effort de revitalisation du dialogue social est indispensable pour renforcer l’adhésion des personnels du ministère à la réforme

De façon générale, les résultats susmentionnés du dernier baromètre interne de la Défense réalisé à partir de l’exploitation de 20 000 questionnaires montrent bien que l’adhésion des personnels à la réforme a tendance à s’étioler. Un travail d’explication, d’incitation et de motivation est donc nécessaire.

La mobilisation du personnel passe également par une revitalisation du dialogue social au sein du ministère de la Défense, qu’il s’agisse :

– des instances paritaires compétentes pour la gestion du dialogue social avec les personnels civils, dont les représentants des syndicats rencontrés par les rapporteurs – tant au niveau national que sur le terrain – ont estimé qu’elles n’étaient pas toujours aussi écoutées qu’elles le mériteraient selon eux ;

– des instances de dialogue social avec les personnels militaires, dont nos collègues Gilbert Le Bris et Étienne Mourrut avaient montré les limites dans un récent rapport d’information (22).

II. LES RETOURS D’EXPÉRIENCE DES RESTRUCTURATIONS RÉCENTES EN FRANCE OU À L’ÉTRANGER OFFRENT DES ENSEIGNEMENTS UTILES POUR LA CONDUITE DES RÉORGANISATIONS À VENIR

Sans prétendre établir ici une feuille de route exhaustive pour la planification et la conduite des réorganisations que le ministère de la Défense est appelé à connaître durant la prochaine période de programmation, ni anticiper les débats de la prochaine LPM, les rapporteurs ont tiré de leurs travaux sur la réforme entreprise depuis 2008 et sur les expériences étrangères de réorganisation des forces armées certains enseignements utiles en vue du nouveau train de réforme que va connaître la Défense.

A. LES EXTERNALISATIONS NE SONT PAS UNE PANACÉE

Un temps présentée comme une solution plus économique que l’achat de matériels ou l’exercice de certaines fonctions en régie, l’externalisation de diverses fonctions au sein du ministère de la Défense peut toujours constituer une tentation pour des gestionnaires soumis à des objectifs de déflation d’effectifs très ambitieux. Pourtant, il ressort des travaux des rapporteurs que l’externalisation est loin d’être toujours une solution bénéfique du point de vue économique, et viable du point de vue opérationnel.

1. Plusieurs externalisations ont été conduites ces dernières années

Les rapporteurs ont étudié deux types principaux d’externalisations :

– celles qui ont été opérées (ou simplement envisagées) en France, avec le plus souvent pour objectif de réduire les coûts des fonctions de soutien ;

– celles qui ont été menées à l’occasion de l’installation d’une nouvelle base à l’étranger, à Abou-Dhabi, créée ex nihilo, avec pour objectif principal de limiter l’empreinte militaire française sur le territoire émirien.

Si l’appréciation des rapporteurs ne peut pas être la même dans les deux cas de figure, il n’en ressort pas moins que même à Abou-Dhabi, l’externalisation n’a pas toujours été économiquement profitable.

a. Les externalisations menées en vue de réduire les coûts afférents au soutien des forces

Un rapport d’information de MM. Louis Giscard d’Estaing et Bernard Cazeneuve a déjà dressé, en 2011, un bilan exhaustif des externalisations dans le domaine de la Défense(23). Ses conclusions, soutenues par des développements très argumentés sur lesquels les rapporteurs ne jugent pas utile de revenir ici en détail, restent tout à fait valables.

Il ressort des travaux des rapporteurs que les externalisations ne doivent pas être une fin en soi. Elles peuvent constituer, dans certains cas, un des moyens efficaces de la modernisation de l’action publique. Comme le leur a déclaré le secrétaire général pour l’administration, l’externalisation peut en effet être un instrument adapté pour une réorganisation de l’administration et des soutiens communs permettant, à qualité de prestation au moins égale, de réduire les coûts et de réaffecter les économies au cœur des missions de chaque administration ou ministère et à l’amélioration de la condition de son personnel.

Lors de leur déplacement au ministère britannique de la défense, les rapporteurs ont pu constater combien les Britanniques avaient poussé loin la logique des externalisations, allant jusqu’à intégrer expressément le recours à des sociétés de sécurité privée dans leurs documents stratégiques de planification. Pourtant, les exposés et les documents présentés à cette occasion aux rapporteurs ne leur ont pas donné le sentiment que le bilan financier de ces externalisations était toujours évident à discerner, ni qu’il était toujours positif pour les armées britanniques.

Les conditions requises pour le succès d’une externalisation

Les différents interlocuteurs des rapporteurs ont insisté sur le fait que le succès des externalisations dépend de la qualité du dispositif mis en place au sein de chaque administration pour en encadrer le recours et en assurer le suivi – faute de quoi, l’administration perd en expertise et le pouvoir de négociation de l’attributaire du contrat devient trop important. En ce sens, le ministère de la Défense a formalisé les conditions à réunir simultanément pour engager une externalisation. Les quatre conditions retenues sont les suivantes :

– ne pas affecter la capacité des armées à réaliser leurs missions opérationnelles ;

– être assuré dans la durée  de gains économiques et budgétaires significatifs, évalués par une méthode rigoureuse ;

– préserver les intérêts du personnel au travers des conditions de reclassement ;

– ne pas favoriser la création d’oligopoles chez les fournisseurs et permettre l’accès des PME à ces marchés.

Une récente instruction ministérielle vient de préciser la méthode permettant de recourir aux externalisations. En effet, conformément à l’évaluation préalable des projets, le ministère n’entend y recourir que si des gains significatifs peuvent en être attendus, tant sur le plan économique, que social et opérationnel. Il s’est doté d’un dispositif d’évaluation préalable décrit par M. Jean-Paul Bodin comme « développé et rigoureux », qui permet une prise de décisions reposant sur des éléments « suffisamment étayés », et conduisant ainsi à mieux maîtriser les risques dans l’atteinte des objectifs d’une opération d’externalisation.

Pour qu’une externalisation soit fructueuse à long terme, et pas seulement lors de la première passation de contrat, il faut que l’administration ne soit pas « captive » de son co-contractant, ce qui suppose notamment qu’elle conserve des capacités d’expertise suffisante pour surveiller l’exécution du contrat et pouvoir le renégocier en bonne position. Pour cela, deux efforts ont été entrepris :

– s’agissant de la passation et du suivi d’exécution des contrats d’externalisation en cours, M. Jean-Paul Bodin décrit l’approche du ministère comme étant « fortement axée sur la performance du cocontractant à travers la contractualisation d’objectifs de performance et la définition corrélative d’indicateurs, de sanctions financières et de mécanismes incitatifs » ;

– en parallèle, un effort de professionnalisation de la maîtrise d’ouvrage et du pilotage des contrats d’externalisation a été mené.

L’encadré ci-après présente en détail la méthode suivie pour décider, ou non, d’une externalisation.

Méthodologie de l’externalisation

Chaque externalisation est décidée au cas par cas, par le ministre, après analyse des résultats d’une étude préalable robuste – processus permettant de mettre en place l’opération d’externalisation projetée après prise en compte de l’ensemble des critères nécessaires à sa réussite – et au regard des quatre critères suivants :

– ne pas affecter la capacité des armées à réaliser leurs missions opérationnelles ;

– être assuré dans la durée de gains économiques et budgétaires significatifs, évalués par une méthode rigoureuse ;

– préserver les intérêts du personnel au travers des conditions de reclassement ;

– ne pas favoriser la création d’oligopoles chez les fournisseurs et permettre l’accès des PME à ces marchés.

Cette étude doit comporter de manière systématique la comparaison du scénario correspondant au maintien de la régie en place avec le ou les scénarios d’externalisation envisagés et le ou les scénarios de régie rationalisée optimisée (RRO). La rationalisation de la régie vise à dégager des économies par rapport à la régie en place, par optimisation en profondeur des processus de réalisation et de soutien de la fonction.

Le succès d’une opération d’externalisation passe également par la mise en place d’une organisation de pilotage et de suivi fiable et rigoureux. Cette organisation implique la constitution d’une équipe dédiée réunissant l’ensemble des compétences requises par le projet et intégrant, comme gage de continuité, des acteurs et responsables clés ayant été associés à l’initiation du projet. Cette « équipe projet », doit pouvoir enfin s’appuyer sur une gouvernance structurée et de haut niveau (comité de pilotage/comité de direction). Ce dispositif de mise en œuvre et de suivi vient également de faire l’objet d’une récente instruction ministérielle.

La combinaison des critères formalisés par le ministère et les dispositifs d’évaluation et de suivi qu’il a institués constituent une méthodologie développée à partir de cas concrets, afin de les rendre pertinents et bien appropriés.

Source : secrétariat général pour l’administration.

Le bilan financier des externalisations opérées à ce jour

Pour le secrétaire général pour l’administration, s’il est trop tôt pour dresser un bilan définitif des externalisations, les premiers retours d’expérience sur les opérations en cours et initiées par le ministère, en accord avec les principes indiqués supra, seraient positifs, notamment pour ce qui est de la réalité des économies obtenues. En effet, selon lui, les objectifs d’économies ayant présidé aux externalisations concernées « ont dans l’ensemble été atteints voire dépassés ».

Les externalisations au regard desquelles le ministère dispose aujourd’hui d’un recul suffisant – c’est-à-dire d’un retour d’expérience supérieur à un an – portent sur :

– l’entretien des appareils de la base de Cognac ;

– les véhicules de la gamme commerciale

– les fonctions accueil-filtrage, surveillance et contrôle d’accès des bases aériennes,

– la première phase du projet « restauration–hôtellerie–loisirs » (RHL-1).

Selon M. Jean-Paul Bodin, les gains annuels cumulés associés à ces opérations ont été estimés à près de 30 millions d’euros par rapport au coût en régie.

L’encadré ci-après présente une évaluation financière du projet RHL 1.

Bilan de l’externalisation de la fonction « restauration-hôtellerie-loisirs »

Les études RGPP menées en 2008 ont montré que des gains pouvaient être attendus grâce à l’externalisation massive de la fonction restauration. À cet effet, l’EMA a conduit des études et a structuré l’externalisation en deux phases : une phase pilote, dite RHL 1 qui a porté sur 8 sites pilote et est effective depuis janvier 2011, et une phase de généralisation, dite RHL 2, qui n’a jamais été déclenchée.

Les résultats de RHL 1 sont les suivants :

RHL 1 concerne 11 restaurants sur huit sites (24), 356 emplois (204 militaires et 152 civils), pour deux millions de repas servis annuellement. Il a permis au ministère de la Défense de définir un pilote, mais également d’acquérir des outils qui pourraient être facilement et rapidement réutilisés en cas de nouvelle vague d’externalisation.

Il s’est agi :

– d’étudier la pertinence de l’externalisation, avec des outils d’évaluation économique préalable robustes. C’est ainsi qu’on peut relever que les tarifs obtenus des prestataires ont été inférieurs de 7,4 % aux hypothèses de l’évaluation préalable, tout en préservant, voire améliorant le niveau des prestations servies (6,71 euros HT le repas contractualisé versus 7,25 euros d’hypothèse préalable) ;

– de mettre en place un dispositif innovant de transfert des personnels civils et militaires vers les prestataires (25) et de faciliter la manœuvre RH liée à la suppression des emplois en régie (mobilité interne ; accompagnement du transfert vers le prestataire pour les volontaires) ;

– de mettre en œuvre un outil de suivi de bascule de la prestation en régie à la prestation externalisée permettant d’assurer la continuité de service, qui peut s’appliquer à d’autres externalisations.

La procédure d’appel d’offres, qui a duré presque 14 mois, n’a pas fait l’objet de contentieux et a été largement ouverte à la concurrence. Plus de 10 sociétés se sont portées candidates à cet appel d’offres, et trois ont été retenues pour les cinq lots, dont une entreprise de taille régionale, répondant en cela aux directives gouvernementales en matière d’ouverture des marchés de l’Etat aux PME.

La bascule vers les prestataires s’est bien déroulée, sans rupture de service. Après deux ans de fonctionnement, on peut souligner les points suivants :

– l’appréciation qualitative des prestations est satisfaisante (26)et les orientations gouvernementales en matière de politique de restauration (Programme national nutrition santé (PNNS), Grenelle environnement) sont respectées ;

– le dispositif MALD a permis le transfert de 55 agents (27). Des difficultés d’intégration ont été rencontrées localement lors de la montée en puissance du prestataire mais ont été depuis réglées. Les fiches de postes ont été adaptées en conséquence. Des contrats CDI ont déjà été proposés à certains agents qui quittent le ministère ;

– le suivi de contrôle de la prestation s’exécute selon un processus innovant : des contrôleurs de prestation ont été formés et sont dotés d’outils de contrôle nomades qui permettent au pouvoir adjudicateur de mesurer en instantané la performance du prestataire. En cas d’écart par rapport au cahier des charges, des actions correctives sont immédiatement prises (28).

l’économie mesurée après 1 an d’exploitation est de 21,4 %, soit 5,59 millions d’euros annuels en régime stabilisé hors coûts non récurrents (coûts de transition) par rapport à la situation initiale en régie. Si l’on intègre ces coûts non récurrents pour la période 2009-2015, l’économie est de 11,4 %, soit 3,47 millions d’euros annuels.

Source : direction centrale du service du commissariat des armées.

Des projets d’externalisation en cours

Les organisations représentatives des personnels civils du ministère de la Défense ont appelé l’attention des rapporteurs sur certains projets d’externalisation aujourd’hui à l’étude. Le principal d’entre eux concerne la fonction « habillement » : ils font valoir que l’externalisation de cette fonction se traduirait par des pertes d’emplois importantes parmi les personnels civils – nettement plus que parmi les personnels militaires, souvent « protégés » par leur statut de militaire de carrière – et émettent des doutes sur la rentabilité de l’opération pour l’administration au regard des avantages que l’on pourrait attendre d’une régie rationalisée. L’encadré ci-dessous présente les grandes lignes de ce projet.

Le projet d’externalisation de la fonction « habillement »

1 – Genèse du projet

Le projet de modernisation de la fonction habillement a été défini au 1er semestre 2008 dans le cadre de la RGPP, autour de trois axes majeurs :

– une réduction très significative du coût global de la fonction, et notamment de la partie stockage et logistique (près de 75 % des coûts hors achats), avec une qualité de prestation a minima maintenue ;

– une meilleure performance de la fonction ;

– une sécurisation préservée de la réponse aux besoins des forces.

En juillet 2008, le ministre de la Défense a demandé que soit conduite l’étude d’un scénario d’externalisation, en complément des rationalisations attendues des restructurations programmées.

2 – Contenu du projet

Il s’agit de confier à un prestataire une mission globale et homogène ayant pour objet l’approvisionnement, le stockage, la distribution, et la délivrance collective et individuelle d’environ 4 500 types d’articles différents (hors tailles), soit environ 15 000 références.

Les effets sont délivrés au sein d’organismes du ministère de la Défense, principalement en BdD. Pour les effets à haute criticité opérationnelle, le rôle du titulaire est limité aux activités de distribution.

Le marché serait à bons de commande, conclu pour une durée de huit ans.

L’administration conserve en régie directe les activités sensibles (conception des effets, achats et stockage central MF1, orientation activités de délivrance en BdD) et assure le pilotage de l’activité de l’opérateur (conduite contractuelle, contrôle de prestations).

L’externalisation a pour conséquences :

– pour le SCA : le projet d’externalisation prévoit que les activités d’habillement de Toulon et Brest, ainsi que les établissements de Bergerac, Châtres, Portes-Lès-Valence et Mourmelon soient fermés. Seuls sont conservés les ELOCAs de Brétigny et Marseille ;

– en GSBdD, les postes consacrés aux activités de stockage et de distribution de l’habillement sont supprimés (magasins d’habillement et antennes) au profit d’un nombre beaucoup plus restreint de postes de « représentants locaux de l’administration » (RLA) chargés d’interagir avec le prestataire dans le cadre de l’exécution du marché d’externalisation de l’habillement et de s’assurer localement de la qualité de la prestation.

3 - Gains escomptés sur les effectifs

Ne resteront que 330 postes en régie. Au total, 79 % de l’effectif total de la fonction habillement est supprimé.

Source : direction centrale du Service du commissariat des armées.

L’accompagnement social des restructurations

Des dispositifs d’accompagnement du personnel dans le cadre des restructurations ont été mis en place. Ils ont reposé sur la combinaison de plusieurs actions :

– pour le personnel volontaire pour travailler auprès de l’opérateur et rester dans le bassin d’emploi, un dispositif de « mise à la disposition » du co-contractant (MALD) ouvert au personnel militaire, ouvrier d’État et fonctionnaire, ainsi qu’un dispositif de détachement ouvert au personnel militaire et fonctionnaire ;

– si l’opération d’externalisation est éligible à un plan d’accompagnement aux restructurations (PAR), différentes aides existent : départs aidés (pécule pour le personnel militaire, indemnité de départ volontaire pour le personnel civil), aide à la mobilité du conjoint, accompagnement à la reconversion ;

– des mesures de mobilité interne ;

– des mesures de mobilité externe vers d’autres ministères.

Les partenariats public-privé (PPP)

Selon le secrétariat général pour l’administration, bien que les contrats de partenariat soient une innovation récente, des études d’ensemble ont dernièrement dressé un premier bilan globalement satisfaisant tant en ce qui concerne la qualité des ouvrages réalisés en PPP que le respect des délais et des coûts. Ce bilan provisoire porte sur des opérations initiées pour l’essentiel au niveau des collectivités locales.

En effet, le ministère de la Défense lui-même ne compte qu’un nombre limité de projets ayant donné lieu à la passation de PPP : sept au total, dont deux seulement ayant atteint la phase opérationnelle et une maturité suffisante :

– l’école de formation des pilotes de l’école de Dax, mise en service en janvier 2011 ;

– la construction des bâtiments de l’École nationale supérieure des techniques avancées (ENSTA), mise en service en juin 2012.

Il peut toutefois être signalé qu’à ce jour, aucun imprévu ou incident notable n’a altéré le déroulement de ces deux opérations dont la mise en œuvre et l’exploitation sont totalement satisfaisantes pour le ministère, au regard des objectifs poursuivis.

Pour M. Jean-Paul Bodin, le recours au PPP est une réponse adaptée dès lors que le projet envisagé permet :

– une meilleure maîtrise du coût global ;

– un partage des charges d’investissement avec d’autres clients que le ministère de la Défense dès lors que le potentiel de l’équipement n’est pas entièrement utilisé par le ministère ;

– un transfert de risques habituellement assumés par l’État (risques de construction et de disponibilité ou de revenus tiers lorsque ces derniers existent).

Au regard de ces attentes, les domaines de l’immobilier, de la formation, de la logistique, du soutien ou encore des télécommunications se prêtent bien, selon le secrétaire général pour l’administration à l’approche de PPP, pourvu que la personne publique soit capable d’une bonne définition de son besoin, que la compétition soit ouverte, et que les délais de passation soient optimisés.

b. Le cas spécifique des forces françaises aux Émirats arabes unis

Les rapporteurs se sont déplacés auprès des forces françaises aux Émirats arabes unis, stationnées sur trois sites à Abou-Dhabi, cette base française présentant deux caractères très spécifiques :

– elle a été créée ex nihilo en 2008 ;

– son fonctionnement repose, pour l’essentiel du soutien, sur des externalisations.

Le choix de recourir à l’externalisation s’explique principalement, dans ce cas, par la volonté politique de limiter autant que possible l’empreinte logistique des forces françaises. Ainsi, selon le référentiel des effectifs en organisation (REO) pour 2013, l’administration générale et les soutiens communs emploient 63 personnels, dont 41 % pour des missions de courte durée, pour 745 militaires à soutenir, répartis en trois implantations géographiques. Ainsi, le ratio soutenants / soutenus ne dépasse pas 8,2 %.

Le recours à l’externalisation a également été choisi pour permettre une mise en place rapide de la base française, ainsi que pour des raisons tenant aux complexités du droit émirien – ce qui a d’ailleurs conduit l’économat des armées à devoir créer une filiale de droit émirien. Ainsi, le soutien des forces est externalisé à la filiale de l’économat des armées, tandis que le soutien des familles des personnels est confié à une autre société privée.

2. Le recours à l’externalisation a toutefois ses limites

Pour les rapporteurs, sauf impératif politique ou gain financier important et avéré dans le long terme, le recours à l’externalisation doit rester l’exception, et la régie rationalisée optimisée la règle. En effet, le recours à l’externalisation n’est pas sans poser de problèmes.

a. Les limites financières des externalisations

Saisie par la commission des Finances de l’Assemblée nationale en application des dispositions de l’article 58-2° de la LOLF, la Cour des comptes a rendu en octobre 2010 un rapport sur l’externalisation au sein du ministère de la Défense. Parmi les nombreuses idées développées, figure en bonne place la difficile appréciation des gains économiques et des risques de dérives. L’encadré ci-après présente le résultat des analyses de la Cour.

Le regard critique de la Cour des comptes sur les externalisations de la Défense

1.– Les gains économiques sont très difficiles à apprécier

La Cour considère qu’une part importante des externalisations réalisées dans la dernière décennie a été engagée sans connaissance précise des coûts en régie. Pour les activités auparavant exercées par des appelés, le calcul aurait été artificiel et peu utile. Pour les autres activités, la Cour constate que cette comparaison n’a pas été systématique, « soit que le ministère n’ait pas d’autre option, soit qu’il se soit heurté à l’absence de comptabilité analytique pour déterminer la réalité des coûts. Depuis le milieu de la décennie cependant, le ministère systématise les comparaisons de coûts. Toutefois en l’absence de comptabilité analytique, les problèmes méthodologiques restent très nombreux, d’autant que l’évolution des cahiers des charges et périmètres est souvent importante dans le temps ».

Face à ces difficultés, le ministère a développé des méthodes diverses, plus ou moins empiriques. Les progrès ont été importants, mais les analyses auxquelles a procédé la Cour montrent que les résultats ne sont pas encore suffisamment fiables et que les méthodes doivent être rendues homogènes. « Il est, en particulier, nécessaire que le ministère travaille à identifier les gains qui tiennent véritablement à l’externalisation proprement dite (…), en les distinguant de ceux qui sont liés à la réorganisation et à la rationalisation d’un service que l’externalisation a accélérées voire permises mais qui auraient - peut-être - pu être réalisées en régie. Compte tenu des conséquences parfois irréversibles d’une externalisation, il est indispensable de vérifier qu’aucune autre option n’était envisageable pour aboutir à des gains substantiels ».

Sur les dossiers examinés par la Cour, une évaluation de l’impact économique n’a été possible que pour six d’entre eux. Pour l’un le bilan est négatif, pour un autre, il est suffisamment faible pour pouvoir être considéré comme incertain ; quatre, enfin, présentent des gains économiques apparents, parfois très importants. « Sans contester l’existence de ces gains pour deux dossiers emblématiques (véhicules de la gamme commerciale et avions de l’école de pilotage de Cognac), la Cour note toutefois qu’ils sont en très grande partie liés à une réorganisation profonde de la prestation ».

S’agissant de l’évaluation des gains attendus sur la longue durée, la Cour considère qu’il convient d’analyser de façon critique les hypothèses retenues dans les scénarios car elles peuvent influer de façon importante sur le résultat des comparaisons. « L’étude préalable, plus encore que la négociation finale, est essentielle, car elle conditionne largement les travaux qui seront conduits ensuite. Le suivi ne saurait être négligé, notamment pour les contrats de PPP car l’évolution des besoins amènera des aménagements aux contrats qui pourront en modifier les équilibres économiques ».

2.– Une politique qui peut conduire à des dérives

La Cour des comptes note que « le faible nombre d’externalisations dont les résultats économiques peuvent effectivement être mesurés et les résultats constatés pour six d’entre elles incitent à emprunter cette voie avec une relative précaution ». Or, le recours à l’externalisation peut être le résultat d’incitations, voire de tentations, extérieures à leur objet propre. La Cour met en garde contre deux écueils :

– les externalisations peuvent très certainement permettre de réaliser des réformes en contournant une difficulté importante. Ainsi, le remplacement en une fois de plus de 20 000 véhicules de la gamme commerciale aurait été impossible autrement. Pour autant, l’externalisation ne doit pas devenir un principe général d’administration pour réaliser des réformes qu’on ne sait pas ou ne veut pas mener en interne ;

– les externalisations n’ont pas pour finalité de contourner l’obstacle budgétaire, en remplaçant un investissement, lourd, immédiat pour lequel les financements ne sont pas disponibles, de titre 5, par un flux, limité mais durable, de loyers de titre 3. Cette politique « peut conduire aussi à des choix erronés comme le recours à la location avec option d’achat pour s’équiper en A 340 ». Enfin, « le projet de vente de l’usufruit du système Syracuse obéit plus à la volonté de créer des recettes exceptionnelles qu’à une opération d’externalisation ».

Source : Rapport d’information n° 3624 déposé par la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire en conclusion des travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle, présidée par MM. Olivier Carré et David Habib, sur les externalisations dans le domaine de la Défense, présenté par MM. Louis Giscard d’Estaing et Bernard Cazeneuve, 5 juillet 2011.

L’administration a ainsi pu trouver avantage à « réinternaliser » certaines prestations précédemment externalisées. C’est le cas par exemple pour les véhicules de la gamme commerciale, qui, à l’échéance d’un premier contrat d’externalisation complète – c’est-à-dire concernant à la fois leur achat et leur maintien en condition –, a été revu, l’administration exerçant son droit d’option d’achat afin de reprendre la possession des véhicules – seul leur entretien sera désormais externalisé.

Tel est le cas même à Abou-Dhabi, où les gestionnaires de la base de défense ont pu économiser 1,2 million d’euros par an en « réinternalisant » les fonctions d’approvisionnement de la base en produits pétroliers.

b. Les limites des externalisations du point de vue du service rendu au ministère de la Défense

La principale critique formulée par les syndicats représentatifs des personnels civils envers les externalisations – hormis pour ce qui est de leur impact social – tient à ce que la qualité du service rendu aux forces armées n’est pas toujours meilleure sous un régime d’externalisation que sous un régime de régie rationalisée optimisée, au point que, selon eux, l’administration pourrait regretter certaines opérations.

Celle qui a consisté à transférer à un prestataire privé l’ensemble des fonctions de soutien de la base de Creil est souvent citée en exemple :

– les militaires estiment que l’organisation des soutiens y a largement perdu en souplesse, le prestataire manquant souvent de la réactivité qui est dans la culture des personnels –civils ou militaires – du ministère de la Défense ;

– le contrat, complexe, s’est avéré difficile à gérer par l’équipe chargée d’en suivre l’exécution.

L’encadré ci-après rappelle les modalités de cette opération d’externalisation.

L’externalisation du Facility management de Creil

Le marché a été passé avec le groupe AVEDES en août 2011 et les prestations ont débuté en octobre de la même année. Le marché comprend une tranche ferme de trois ans et deux tranches conditionnelles d’un an chacune.

Les principales fonctions couvertes sont : la restauration, le nettoyage des locaux, les espaces verts, la fonction transports, la conciergerie, la déchetterie.

Les principaux objectifs recherchés sont la rationalisation de l’organisation du soutien, la simplification du pilotage des activités et la recherche du gain économique.

Le gain est de l’ordre de 16 % par rapport à la situation antérieure (Le coût en régie optimisé se situerait à 27,8 millions d’euros sur 3 ans, à comparer aux 23 millions d’euros du mode externalisation).

Les prestations sont jugées globalement satisfaisantes. La BdD constate cependant une perte de souplesse par rapport au mode de fonctionnement en régie. Un manque de réactivité lié notamment aux contraintes horaires a obligé la BdD à trouver des solutions locales au profit des unités opérationnelles.

Tout le personnel impacté par le projet a été reclassé entre 2009 et 2011.

En revanche, la MALD a peu convaincu et n’a pas répondu aux objectifs initiaux du ministère. 23 militaires ont fait le choix de la MALD, soit 15 % à peine de l’effectif initial (157 dont 110 militaires et 47 civils). Seuls 4 « MALDés » ont intégré la société en fin de contrat dans les armées.

Le contrat, suivi par une cellule de pilotage de 4 personnes, s’est avéré relativement lourd à gérer (dispositions contractuelles nécessitant des efforts d’interprétation, complexité du système de facturation).

Source : direction centrale du service du commissariat des armées.

Les difficultés juridiques ne sont pas à négliger, tant dans le suivi de l’activité des prestataires que dans le suivi comptable des opérations d’externalisation. Ainsi, selon le service du commissariat des armées, c’est en raison des difficultés de bascule des crédits du titre 2 vers le titre 3 et de la lourdeur de la manœuvre RH induite que la généralisation de l’opération RHL 1 précitée n’a pas été poursuivie.

Dans le cas spécifique d’Abou-Dhabi, certaines fonctions n’ont pas pu être externalisées pour des raisons de sécurité. Il s’agit notamment de la gestion des formalités administratives liées à l’immigration – avec le risque qu’elle comporte de divulgation d’informations privées sur les personnels et leurs familles. Pour d’autres fonctions, externalisées, des questions de sécurité peuvent légitimement se poser : il en va ainsi par exemple de la restauration – si l’accès à la base devait être restreint en cas de crise, il serait difficile de trouver des moyens militaires français pour assurer cette fonction –, des moyens de transit et de soutien postal, de l’approvisionnement en carburants ou, autre exemple, de la maintenance des véhicules de la gamme tactique.

Pour toutes ces raisons, les rapporteurs mettent en garde contre la tentation d’un recours accru à l’externalisation.

B. LA « MANœUVRE RH » DOIT ÊTRE PILOTÉE AVEC PRÉCAUTION

L’ambitieux objectif de déflation proposé par le projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019, ainsi que les objectifs d’économies qui s’imposeront au ministère pour respecter la trajectoire budgétaire prévue par ce projet de loi, supposeront de réaliser des économies sur les dépenses de personnel du ministère. Pour les rapporteurs, cela suppose notamment de refondre le référentiel des effectifs en organisation (REO), et de mettre en place un pilotage robuste de la « manœuvre RH ».

1. Une refonte du référentiel des effectifs en organisation (REO) est souhaitable en vue d’optimiser l’emploi d’un personnel plus réduit sans perdre de compétences

Une refonte du REO aurait deux intérêts principaux :

– fixer des objectifs de civilianisation précis et détaillés ;

– mieux identifier les compétences que le ministère doit conserver.

a. Une refonte du référentiel des effectifs en organisation doit permettre de clarifier les objectifs de civilianisation des soutiens

Pour Mme Geneviève Gosselin-Fleury, un gisement important d’économies réside dans les possibilités, aujourd’hui sous-exploitées, de civilianiser davantage les soutiens.

Cela vaut notamment pour les postes d’encadrement, aujourd’hui très largement tenus par des personnels militaires – sans que, selon les syndicats représentatifs des personnels civils, cela se justifie par les exigences des postes en question. Pour ce qui est des GSBDD, au total 209 postes sont décrits en organisation pour 2013 pour des catégories A. Or, en 2012, sept chefs de GSBDD et quatre adjoints seulement étaient des personnels civils. Selon le secrétariat général pour l’administration, en 2013, huit postes de chef de GSBDD et neuf postes d’adjoints seront également confiés à des personnels civils.

La civilianisation se heurte en effet à certains obstacles, y compris dans des services largement dédiés à des fonctions de soutien, comme le service du commissariat des armées. L’encadré ci-après présente l’état des efforts faits dans le sens de la civilianisation du personnel du SCA, qui atteint environ 66 %, et les obstacles qui empêchent d’atteindre l’objectif que s’est fixé ce service : 75 %.

Objectifs de civilianisation au sein du SCA

À ce jour, la répartition est de 33 % PM et 67 % PC. En évolution pluriannuelle, le tableau suivant permet de constater que le SCA est d’ores et déjà sur la cible en pourcentage qui lui est assignée pour 2017.

Le SCA connaît toutefois de réelles difficultés à tendre vers la cible qu’il s’est assignée (75/25). À cela quatre raisons :

– des difficultés en termes de gestion : le transfert initial de masse salariale et d’effectifs opéré par les armées en 2011 vers le SCA a montré que les effectifs transférés étaient très largement inférieurs au nombre de postes transférés (écart supérieur à 450). Un tel écart n’a pas permis un ajustement en gestion sur les années 2012 et 2013, soit le pourvoi des nombreux postes vacants au sein du service ;

– de façon plus conjoncturelle, le cadre RH particulièrement contraint de la gestion 2013 au sein du ministère (plan de recrutement et détachements entrants PC réduits) aboutit à un tarissement de la ressource qui réduit fortement les marges de manœuvre pour recruter ;

– l’obligation de « dépyramidage » imposée par le ministère contrevient à l’objectif du SCA tendant à valoriser les postes de personnels civils ;

– le SCA est un service récent qui subit un déficit d’image (une étude a été lancée pour en analyser les causes et mettre en œuvre des mesures adaptées) et peine à recruter voire à fidéliser son personnel civil.

Source : direction centrale du service du commissariat des armées.

b. Une refonte du référentiel des effectifs en organisation (REO) doit permettre de mieux identifier les compétences que le ministère doit conserver, et cibler en conséquence les aides au départ

Lors de son audition par les rapporteurs, le commandant interarmées des soutiens, le vice-amiral d’escadre Éric Chaplet, a regretté que le ministère ne dispose que de peu de leviers pour conserver les compétences dont il a besoin, dans la mesure où les dispositifs d’incitation au départ créés en vue de faciliter l’atteinte des objectifs de déflation sont ouverts à tous les personnels.

Une refonte du REO pourrait servir de référence à un meilleur ciblage des aides au départ, visant à conserver les compétences critiques dont le ministère de la Défense a besoin, y compris en matière de soutien. La fuite des compétences dans les CTAC à la veille du raccordement de l’armée de terre à Louvois donne un exemple du préjudice qu’un pilotage assez aveugle des mobilités et des aides au départ peut causer à l’ensemble de notre outil de défense.

2. Une organisation plus robuste de la « chaîne RH » est nécessaire pour mener à bien la « manœuvre RH » sous-tendant les restructurations à venir

L’ampleur des déflations prévues par le projet de loi de programmation militaire, comme les conséquences sociales des inévitables restructurations à accomplir pour atteindre les objectifs fixés par le Livre blanc de 2013, appellent une gestion renforcée des ressources humaines au sein du ministère de la Défense.

Le relevé de décisions des comités exécutifs du ministère de la Défense des 30 mai et 12 juin 2013, présidés par le ministre, annonce l’ouverture de sept « chantiers prioritaires » de réforme, au premier rang desquels est citée la gestion des ressources humaines. Le Livre blanc de 2013 annonçait d’ailleurs « une gouvernance rénovée de la gestion des ressources humaines [qui] permettra une meilleure maîtrise et une cohérence effective entre organisation, effectifs et masse salariale ». Selon le relevé de décisions précité, « l’objectif de cette rénovation est d’une part d’harmoniser et de simplifier la gestion et la mise en œuvre des politiques de ressources humaines (RH), d’autre part, de maîtriser la masse salariale ».

Pour cela, comme le montre l’encadré ci-après, le ministre a choisi :

– dans un premier temps, de confier à la direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRH-MD) une « autorité fonctionnelle renforcée » sur l’ensemble de la « chaîne RH », y compris au sein des armées ;

– si cette mesure s’avérait insuffisante, de passer à un « scénario « autorité hiérarchique » » de la DRH-MD sur l’ensemble de la « chaîne RH ».

L’évolution du pilotage des ressources humaines

Source : relevé de décisions des comités exécutifs du ministère de la Défense des 30 mai et 12 juin 2013.

Pour les rapporteurs, un renforcement de la « chaîne RH » est, en soi, une bonne chose. Toutefois, au regard de la façon dont la DRH-MD a piloté le projet Louvois et géré ses dysfonctionnements, il est essentiel qu’avant le renforcement de ses pouvoirs, celle-ci tire les leçons de l’« affaire Louvois » quant à son mode de fonctionnement.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission procède à l’examen du rapport de la mission d’information sur la mise en œuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la défense au cours de sa réunion du mercredi 11 septembre 2013.

Un débat suit l’exposé des rapporteurs.

Mme Sylvie Pichot. Je voudrais avoir des précisions sur la « civilisianisation » en cours des effectifs : quels étaient les objectifs chiffrés ? Quel est l’état d’avancement de leur réalisation ?

Mme Geneviève Gosselin-Fleury, rapporteure. L’objectif affiché était d’atteindre 25 % de personnel civil : fin 2011, ce taux était de 23 %. Les déflations les plus importantes de personnel civil se sont faites dans le soutien, et notamment dans les bases de défense.

M. Joaquim Pueyo. En juin, le ministre avait rappelé les quatre principes qui guidaient cette réforme : priorité à l’opérationnel, mise en cohérence des structures du ministère afin notamment de supprimer les doublons, recherche d’une plus grande efficacité des services de soutien et, enfin, engagement de chacun à être acteur de son propre changement. Ma question porte sur ce dernier point : dans quelle mesure le personnel a été associé à ces changements et comment l’ont-ils perçu ? Ensuite, pouvez-vous nous apporter des précisions chiffrées sur les évolutions de la masse salariale ?

M. Damien Meslot, rapporteur. Les réformes se sont télescopées avec le tour de vis budgétaire effectué après la crise financière. Les bases de défense, créées en début de programmation, ont été ainsi sous-dotées budgétairement dès le départ ce qui a conduit à des difficultés de fonctionnement.

Aussi, les réformes ont été associées, dans l’esprit de beaucoup, aux effets de cette rigueur budgétaire. Il a donc fallu plus de temps pour les faire accepter.

Il faudrait donc relancer et renforcer le dialogue social pour réussir les réformes à l’avenir.

Mme la rapporteure. Les évaluations chiffrées sur la masse salariale sont les suivantes : le ministère de la Défense espérait 5,4 milliards d’euros d’économies dont 1,4 à la fin de l’année 2011. La Cour des comptes a relevé qu’il y avait eu une augmentation de 1,02 milliard. Quelles en sont les causes ?

En février 2013, un audit mené conjointement par l’inspection générale des finances et le contrôle général des armées a chiffré le coût de la modification de la pyramide des emplois de la Défense à 112 millions d’euros entre 2007 et 2012. Dans le même temps, les mesures catégorielles proposées aux officiers supérieurs et sous-officiers pour les inciter à partir se sont élevées à 75 millions d’euros par an entre 2008 et 2011 alors qu’on attendait au contraire des économies du fait de départs volontaires.

M. Daniel Boisserie. Où en sont les cessions immobilières ? Vous avez indiqué n’avoir pu avoir les informations que vous aviez demandées sur le projet Balard mais pouvez-vous au moins nous donner des éléments sur l’état d’avancement des travaux ? Enfin, avez-vous travaillé sur la gendarmerie, qui connaît un vrai malaise en matière de logement et de locaux, ou était-ce hors du périmètre de votre mission ?

Mme la rapporteure. La programmation prévoyait 2,2 milliards d’euros de recettes issus des cessions immobilières mais seulement 894 millions d’euros ont été réalisés. Il faut avoir à l’esprit que le coût de dépollution des sites, très important, n’avait pas été intégré à la programmation.

M. le rapporteur. La gendarmerie n’entrait pas dans le champ de notre rapport. Concernant Balard, tout a été fait pour nous empêcher d’avoir accès aux rapports – rapports qui ont fuité dans la presse. Ils nous sont été communiqués que partiellement et très tardivement. Faute d’informations complètes, nous n’avons donc pas souhaité approfondir cette question.

M. Jacques Lamblin. Concernant le logiciel Louvois, j’ai le sentiment que le mieux est l’ennemi du bien. L’idée d’automatiser la solde de tous les militaires, alors que chaque solde est un cas particulier, n’était-elle pas trop ambitieuse au départ ? Que faut-il faire aujourd’hui : continuer avec Louvois ou lancer un nouveau programme ?

Par ailleurs, j’aimerais savoir s’il y a, selon vous, une taille optimale pour les bases de défense ?

Mme la rapporteure. Louvois était un projet ambitieux mais réalisable. D’autres ministères, mais aussi de nombreuses organisations publiques ou privées, disposent de logiciels de paie comparables. Aujourd’hui, nous n’avons pas le choix, il faut essayer de faire fonctionner aux mieux Louvois, car un changement de logiciel nécessitera deux à trois ans avant que le nouveau système soit opérationnel.

Jusqu’à aujourd’hui, le pilotage du projet était éclaté. Il est aujourd’hui unifié, sous l’autorité de la DRH-MD. En outre, l’accès à l’ensemble des informations permet désormais d’améliorer la totalité des flux.

M. le rapporteur. Si on avait adopté une bonne gouvernance dès le départ et mis les moyens humains et financiers nécessaires, le projet aurait pu aboutir.

S’agissant des bases de défense, je pense que la taille optimale est de l’ordre de 3 000 à 3 500 personnes, même s’il y a naturellement un certain nombre de cas spécifiques.

M. Yves Foulon. Concernant Balard, on sait qu’il y aura un retard de livraison d’au moins un an, en avez-vous analysé les conséquences ?

M. le rapporteur. Non, nous n’avons pas approfondi ce dossier car nous n’en avions pas les moyens.

Mme la rapporteure. On peut cependant dire que cela aura une incidence sur les économies espérées de la mutualisation des services du ministère et sur le calendrier des cessions immobilières.

M. Philippe Folliot. Concernant le dossier Balard, je trouve scandaleux que la presse soit mieux informée que la représentation nationale !

Nous avons récemment voté un texte de mobilisation du foncier en faveur du logement social. J’avais déposé un amendement pour que les emprises de la défense soient exclues de ce dispositif. Avez-vous cependant des exemples de cessions gratuites ou minorées de terrains du ministère de la Défense ? Quel aurait été leur impact sur les ressources exceptionnelles que l’on en attendait ?

Mme la rapporteure. Le sujet du logement social ne figurait pas dans le plan de réformes du ministère de la Défense de 2008. Nous indiquons cependant dans notre rapport que nous pensons que le principe de « retour intégral » des économies réalisées au ministère de la Défense pourrait justifier certaines compensations, notamment dans le cadre des opérations de cession foncières au profit du logement social. Nous n’avons pas étudié d’exemples récents de ce type d’opération, car ce sujet était hors du périmètre de nos travaux. S’agissant du projet Balard, nous avons écrit en début d’année au ministre pour avoir communication des deux audits sur le sujet, sans obtenir de réponse dans un premier temps. J’ai renouvelé cette demande fin février 2013, à l’occasion d’une réunion au cabinet du ministre, mais celui-ci ne nous a communiqué que fin juillet un des deux audits demandés, alors que notre mission était déjà pratiquement terminée.

M. le rapporteur. Nous sommes d’autant plus surpris de cette absence de communication des pièces demandées que, d’après la presse, ces audits ne révéleraient pas de scandale particulier. Cette absence de réponse du ministre, ou du moins de son cabinet, dénote une certaine désinvolture vis-à-vis des parlementaires. Cela est d’autant plus incompréhensible qu’il ne semble pas qu’il y ait des choses à cacher en la matière. Nous sommes spécialement surpris qu’on nous ait objecté que ces dossiers, concernant la Défense, étaient réservés à la commission des finances. À moins d’entamer une grève de la faim ou d’envisager une occupation du bureau du ministre, nous n’avions pas les moyens d’obtenir les informations demandées !

Mme la présidente. J’avais à l’époque appuyé votre demande. Le dossier Balard est certes un sujet difficile, mais il n’est pas normal que la presse obtienne des informations refusées aux parlementaires.

M. François André. Vous avez abordé un sujet qui fait également partie de nos points de vigilance dans le rapport que nous préparons avec mon collègue Philippe Vitel sur l’exécution des crédits du ministère de la Défense et qui concerne la structuration du soutien à la suite de la mise en place des bases de défense (BdD). Vous vous interrogez sur les structures qui coiffent les BdD : les « groupements de soutien de base de défense » (GSBdD) et les « états-majors de soutien défense » (EMSD). Pouvez-vous nous indiquer si ces structures entraînent des doublons, des alourdissements ou allongements de procédures et combien d’équivalents temps plein (ETP) sont affectés aux EMSD ?

M. le rapporteur. Il existe cinq EMSD, basés à Paris, Rennes, Bordeaux, Metz et Lyon, qui représentent au total environ 600 ETP. Autant ils ont été utiles lors de la mise en place des BdD pour le conseil et le soutien, autant nous pensons qu’ils pourraient maintenant être concernés par des mesures de réformes, dans la mesure où ils ne sont plus amenés à jouer un rôle fondamental à l’avenir.

Mme la rapporteure. Nous précisons dans notre rapport qu’il existe, à l’intérieur même des BdD, des « groupements de soutien de base de défense » (GSBdD) qui assurent l’administration générale et le soutien commun. Ce sont eux, qui relèvent du « commandant interarmées du soutien » (COMIAS), du « centre de pilotage et de conduite du soutien » (CPCS) et des cinq échelons susmentionnés, qui n’ont plus d’utilité aujourd’hui, d’autant plus, qu’il existe un projet pour placer ces GSBdD sous l’autorité du service du commissariat des armées (SCA). Ces structures n’ont donc plus d’objet aujourd’hui.

M. Christophe Guilloteau. Nous savons tous qu’il est parfois difficile d’obtenir des renseignements auprès des autorités militaires, comme je l’ai constaté à l’occasion du rapport d’information sur l’opération Serval au Mali, mais j’ai du mal à accepter qu’on nous refuse l’accès aux documents. S’agissant des projets Louvois et Balard, il faudra certainement aller plus loin et envisager des rapports spécifiques sur ces sujets. Pour ce qui concerne les BdD, je me souviens que leur mise en place n’a pas été simple au début, avec des découpages réalisés parfois en fonction d’affinités personnelles. Un rapport de la Cour des comptes a préconisé la réduction du nombre de ces BdD. La réflexion a-t-elle avancé au niveau du ministère sur ce sujet ? J’estime pour ma part qu’il y a des endroits où l’existence des BdD ne se justifie plus.

Mme la rapporteure. Il existe aujourd’hui soixante bases de défense (51 en métropole et neuf Outre-mer), mais ce sera l’objet de la prochaine LPM de décider s’il convient de conserver ce format.

M. le rapporteur. À titre personnel, je note que certaines unités isolées constituent à elles seules une BdD, ce qui représente un coût qui ne va pas dans la logique de recherche d’économies d’échelle de la réforme. Nous ne disposons pas d’informations particulières émanant du ministère sur les projets de réduction du nombre de BdD, mais il est clair que lorsque l’on regarde la carte de leur implantation, on constate que deux ou trois positions pourraient facilement être modifiées.

Mme la rapporteure. Nous avons effectivement constaté que certaines unités sont parfois positionnées assez loin des BdD, ce qui entraîne des frais de déplacements et des difficultés dans le soutien et doit donc susciter une réflexion sur la réduction du nombre des BdD.

M. Bernard Deflesselles. Lors de nos travaux en tant que rapporteurs, nous avons tous été confrontés à des difficultés pour obtenir certains renseignements, ce qui est d’autant plus regrettable en ce qui concerne Balard qu’il s’agit d’un « porte-étendard » du ministère. Il faut donc aller plus loin et je vous propose, Mme la présidente, d’organiser, sous votre égide, une visite à Balard. J’ai pu discuter à l’occasion des Universités d’été de la Défense avec le responsable en chef du projet Balard en Île-de-France, ainsi qu’avec le responsable du projet. Tous les deux m’ont indiqué qu’ils réfléchissaient à l’opportunité d’organiser des visites du site. Prenons donc l’initiative d’une visite sur place, car c’est indéniablement un des sujets déterminants des années à venir, avec la perspective d’une livraison prévue, selon eux, en avril 2015, et envisageons éventuellement un rapport spécifique sur le sujet. Celui des emprises immobilières figure bien dans le périmètre de la prochaine LPM, qui prévoit 6,1 milliards de recettes exceptionnelles. Nous savons que la « loi Duflot », qui était une bonne idée au départ, entraîne aujourd’hui des difficultés pour le ministère de la Défense qui possède de nombreux terrains facilement valorisables. Si beaucoup sont cédés pour un euro symbolique, les recettes exceptionnelles ne seront bien sûr pas au rendez-vous !

Mme la présidente. Je partage pleinement cet avis.

M. Jean-Michel Villaumé. Il était prévu, sur la période 2008-2011, une baisse de la masse salariale de 1,1 milliard d’euros alors qu’elle a en fait augmenté de plus d’un milliard d’euros. Vous avez sur ce point la même analyse que la Cour des comptes, mais j’aimerais connaître vos recommandations pour éviter une telle dérive à l’avenir.

Mme la rapporteure. Nous formulons trois recommandations à la fin de notre rapport. En premier lieu, un pilotage fort des ressources humaines et des déflations d’effectifs s’impose. Une telle réforme serait d’ailleurs déjà engagée, avec la DRH du ministère de la Défense qui se verrait confier une responsabilité fonctionnelle sur l’ensemble des DRH. En second lieu, il conviendrait également d’avancer sur le développement d’outils budgétaires et de comptabilité analytique pour faire un meilleur lien entre les BOP et les déflations d’effectifs, mais je crois que le ministère a déjà avancé dans ce domaine, avec le projet « ARAMIS ». Enfin, j’insiste sur la nécessité de civilianiser les postes purement administratifs.

M. Jean-Jacques Candelier. Je salue le travail des rapporteurs. Vous avez parlé de l’absence de transparence sur le projet Balard : cette situation n’est pas normale. Il va falloir intervenir auprès du ministre, peut-être découvrira-t-on alors un scandale. Selon la presse, la fin du chantier serait reportée au deuxième semestre 2015. Selon l’entreprise Bouygues, la faute en reviendrait aux discussions entre la mairie de Paris et l’État, mais la Ville de Paris rejette cette version en indiquant qu’un protocole aurait été signé le 9 avril et mettrait fin au contentieux. Qui est vraiment responsable ? Le projet Balard devait mettre sur le marché immobilier des emprises destinées à dégager des recettes exceptionnelles. Par ailleurs, j’ai appris que le ministre de la Défense resterait rue Saint-Dominique. Est-ce vrai ? Cela va-t-il engendrer de nouvelles dépenses ?

M. le rapporteur. Le maintien du ministre de la Défense rue Saint-Dominique était prévu dès le début du projet. S’agissant de Balard, il n’était pas question pour nous d’intégrer dans notre rapport des « fuites » provenant de la presse. Il nous a déplu que celle-ci détienne des éléments que nous ne possédions pas. Vous avez évoqué la possibilité d’un scandale. Cela n’est pas sûr. Des personnes, dans un cabinet, ont probablement estimé que les parlementaires étaient « des casse-pieds ». Nous le regrettons. La Commission saura, j’en suis sûr, prendre les décisions qui s’imposent.

Mme la présidente. Le dossier Balard est un sujet majeur que nous aurons à traiter dans les mois à venir. Eu égard aux enjeux, je crois qu’il serait intéressant de travailler ce dossier avec la commission des Finances, et je pense qu’elle le souhaite aussi. Je consulterai le Président Gilles Carrez sur ce point, sans doute après le vote de la loi de programmation militaire.

M. Jean-Louis Costes. Madame la rapporteure a indiqué que de plus en plus de personnels civils étaient recrutés sur des missions non opérationnelles. Vous nous avez en outre précisé que ceux-ci représentaient 23 % des effectifs. Quel est leur statut ?

Mme la rapporteure. En réalité, j’ai expliqué qu’il serait souhaitable que davantage de civils soient recrutés sur des postes administratifs, en lieu et place de militaires. Ces personnels civils ont, classiquement, le statut de fonctionnaires ou d’ouvriers d’État.

En application de l’article 145 du Règlement, la commission autorise à l’unanimité la publication du rapport d’information.

ANNEXE

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA MISSION D’INFORMATION

Ø Délégation à l’accompagnement des restructurations (DAR) – Colonel Olivier Vasserot, délégué à l’accompagnement des restructurations, Capitaine de vaisseau Hugues du Plessis d’Argentré, adjoint au délégué à l’accompagnement des restructurations, et Colonel Jean-Michel Thouvenin ;

Ø Mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariats public-privé (MAPPP) –M. François Bergère, directeur, et M. Michel Scialom, directeur de projet du secteur Défense ;

Ø Général Thierry Cambournac, inspecteur général des armées – terre ;

Ø Cour des comptes – M. Gilles-Pierre Levy, président de la 2ème chambre, Mme  Françoise Saliou, conseiller maître, présidente de section, M. Jacques Rigaudiat, conseiller maître, et Mme Anne Mondoloni, conseiller référendaire ;

Ø État-major des armées – Vice-amiral d’escadre Éric Chaplet, sous-chef d’état-major soutien de l’état-major des armées et commandant interarmées du soutien, et colonel Jean-Pierre Fritsch ;

Ø Mission achats du SGA – M. Jean Bouverot, chef de la mission, commissaire en chef de 1ère classe Jean-François Hiaux, adjoint au chef de la mission achats ;

Ø CFDT – M. Christophe Henry; secrétaire national, et Mme Sophie Morin, secrétaire nationale

Ø Direction des affaires financières du ministère de la DéfenseM. Hugues Bied-Charreton, directeur

Ø Audition commune des syndicats :

– UNSA / CGC –M. Roland Denis, vice-président Défense-CGC, M.  Henri-Philippe Bailly, vice-président CGC/Défense, M. Gilles Frostin, permanent UNSA-Défense, et M. Laurent Tintignac secrétaire national UNSA  des ouvriers de l’Etat ;

 CFTC – M. Yves Naudin, secrétaire général, M. Erick Archat, secrétaire général adjoint, et M. Jérôme Supersac, membre du conseil fédéral ;

– FO – M. Gilles Goulm, secrétaire général fédéral, et M. Patrick Daulny, secrétaire général adjoint ;

Ø Direction générale des systèmes d’information et de communicationGénéral de corps d’armée Gérard Lapprend, directeur général des systèmes d’information et de communication (DGSIC – Ministère de la Défense) ;

Ø Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR)M. Emmanuel Berthier, délégué ;

Ø Secrétariat général pour l’administration (SGA) M. Jean-Paul Bodin, contrôleur général des armées, et M. Gérard Gibaud, directeur adjoint du SGA ;

Ø FO – M. Gilles Goulm, secrétaire général fédéral, et M. Patrick Daulny, secrétaire général adjoint

Ø  Général de corps d’armée Philippe Got, chef de la mission pour la coordination de la réforme, et Colonel Patrick Mérian, chef d’état-major ;

Ø CGC Défense – M. Jean-Michel Rey, président, et M. Roland Denis ;

Ø Direction centrale du Service du commissariat des armées (CRGHC) – M. Jean-Marc Coffin, directeur central ;

Ø UNSA – M. Laurent Tintignac, secrétaire national des ouvriers de l’État, M. Bruno Jaouen, secrétaire général syndicat des bases de défense Brest, et M. Bruno Mésange, fédéral UNSA défense ;

Ø Direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRH-MD) – M. Jacques Feytis, contrôleur général des armées, et Général de brigade aérienne Alain Ferran, chef du service de la politique générale et du pilotage des ressources humaines du ministère de la Défense ;

Ø STERIA – M. Jean Sellier, directeur du compte défense, et M. Elias Chalhoub, directeur des engagements ;

Ø Délégation pour le regroupement des états-majors et services centraux de la Défense M. Claude Preynat-Seauve, délégué et Général Hubert Foucault, adjoint au délégué ;

Ø Mission d’audit sur Louvois – Colonel Christian Suatton, et Lieutenant-colonel Philippe Pacom.

1 () Loi n° 2009-928 du 29 juillet 2009 relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense.

2 () L’article 4 de la LPM pour les années 2009 à 2014 ne prévoit explicitement que 45 888 suppressions d’emplois. Le décalage avec la cible de 54 923 postes à supprimer s’explique par le fait que les calendriers de mise en œuvre des mesures prévues dans le cadre de la RGPP et des mesures prévues en application du Livre blanc ne coïncident pas : les premières mesures avaient vocation à s’échelonner sur huit ans, tandis que les secondes correspondaient à la période de programmation de la LPM.

3 () Service créé par le décret n° 2009-1494 du 3 décembre 2009.

4 () On compte aujourd’hui huit bases de type 1, 40 bases de type 2 – c’est-à-dire soutenant plusieurs unités ou formations importantes –, trois bases de type 3 – c’est-à-dire soutenant plus de 10 000 hommes – et neuf bases « de type 4 », c’est-à-dire soutenant des forces de souveraineté outre-mer ou des forces de présence.

5 () La mise en œuvre des mesures visant à adapter les contrats opérationnels des armées en application de la LPM était, quant à elle, suivie par le comité de coordination de la transformation des armées.

6 () Rapport d’information n° 2437 de MM. Bernard Cazeneuve et François Cornut-Gentille sur la mise en œuvre et suivi de la réorganisation du ministère de la Défense, 10 avril 2010.

7 () Il s’agit de diverses instructions et circulaires publiées à partir de 1991, dont les dispositions ont été réunies et modifiées par l’instruction n° 383365/DEF/SGA/DRH-MD/SRHC/MAR du 28 juillet 2011 relative au plan d’accompagnement des restructurations.

8 () Circulaire n° 5318 du Premier ministre du 25 juillet 2008 relative à l’accompagnement territorial du redéploiement des armées.

9 () Régime institué par l’article 28 de la loi de finances pour 2005.

10 () Régime institué par l’article 28 de la loi de finances pour 2004.

11 () Il s’agit des SIRH suivants :

– ALLIANCE pour le personnel civil et le personnel militaire de la direction générale de l’armement (DGA) et du contrôle général des armées (CGA) ;

– CONCERTO pour l’armée de terre ;

– ARHMONIE pour le service de santé des armées ;

– RHAPSODIE pour la marine nationale ;

– ORCHESTRA pour l’armée de l’air.

12 ()Sénat, rapport d’information n° 660 (2011-2012) de MM. Gilbert Roger et André Dulait, fait au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense, 11 juillet 2012.

13 () Sénat, rapport d’information n° 660 (2011-2012) de MM. Gilbert Roger et André Dulait, fait au nom de la commission des affaires étrangères et de la défense, 11 juillet 2012.

14 () Audition du 12 juin 2013.

15 () Audition du 5 juin 2013.

16 () Dans ce cadre, les administrations centrales doivent développer et déployer des SIRH qui seront raccordés à l’ONP, le ministère de la Défense devant être le dernier à y être raccordé en 2016. Dans ce cadre, une étude menée conjointement par l’ONP et la DRHMD au premier semestre 2009 a permis de vérifier que l’architecture et les grands principes de fonctionnement de l’ONP et de la chaîne RH–soldes sont, selon le secrétariat général pour l’administration, très similaires. La mise en œuvre d’un nouveau modèle de GRH basée sur la mise en production de nouveaux systèmes d’information devait permettre au ministère de la Défense de s’intégrer dans les meilleures conditions au projet de l’ONP, notamment en adoptant dès 2010 une organisationnelle fonctionnelle RH compatible aux exigences de ce service. Toutefois, certaines différences portent sur des mesures dérogatoires (par exemple, les avances de solde) et sur le fait que l’opérateur Louvois informe les chaînes RH de l’état du calcul de solde en cours, dans le cadre d’un « retour solde ». L’ONP précise qu’il dispose d’un infocentre pouvant permettre de répondre à ce niveau de fonctionnalités, mais le projet, selon le secrétariat général pour l’administration, est actuellement à l’état de gel.

17 () Audition du 26 juin 2013.

18 () Lettres n° 200392/DEF/RH-AT/GD du 24 mars 2010 relative au raccordement de Concerto à Louvois et n° 87/EMAT/PS du 22 avril 2010 relative à la continuité de la fonction solde en 2010.

19 () Lettre n° 273/DEF/EMA/RH du 7 mai 2010 relative aux risques de discontinuité de la fonction solde en 2010.

20 () Directive n° 91/DEF/RH-AT/GD du 20 juillet 2009 relative à la fiabilisation de la base de données Concerto en vue de son raccordement au logiciel Louvois, et lettre n° 320277/DEF/RH-AT/PEMS du 7 septembre 2009 relative à la fiabilisation de données Concerto.

21 () À savoir : trois officiers analystes experts des systèmes de solde des armées, un sous-officier expert fonctionnel et cinq sous-officiers analystes programmeurs disposant de compétences dans différents langages informatiques.

22 () Rapport d’information n° 4069 déposé par la Commission de la défense nationale et des forces armées sur le dialogue social dans les armées et présenté par MM. Gilbert Le Bris et Étienne Mourrut, députés, 13 décembre 2011.

23 () Rapport d’information n  3624 déposé par la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire en conclusion des travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle, présidée par MM. Olivier Carré et David Habib, sur les externalisations dans le domaine de la Défense, présenté par MM. Louis Giscard d’Estaing et Bernard Cazeneuve, 5 juillet 2011.

24 () Bordeaux, Pau, Houilles, Saintes, Saint-Maixent, Grenoble, Lyon et Valence.

25 () Sur la base du volontariat et de la préservation des éléments statutaires et de rémunération, au travers du nouveau dispositif de MALD (mise à la disposition) créé par l’article 43 de la loi mobilité et parcours professionnel (LMPP) du 3 août 2009 et son décret d’application du 21 septembre 2010.

26 () Enquête de satisfaction 2012 : moyenne 6,50/10, stable par rapport à 2011.

27 () Enquête de satisfaction 2012 : moyenne 6,50/10, stable par rapport à 2011.

28 () Le taux de service 2012 est de 83,62 %, contre 79,56 % en 2011. Le taux de service mesure le respect des clauses contractuelles par le prestataire. Le service est considéré comme étant assuré de manière nominale lorsqu’il est égal ou supérieur à 80 %.


© Assemblée nationale