N° 1597 - Rapport d'information de M. Michel Destot déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des affaires étrangères, en conclusion des travaux d'une mission d'information sur la Chine




N
° 
1597

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 décembre 2013

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 14 novembre 20121,

sur la Chine

Président

M. patrice martin-lalande

Rapporteur

M. michel Destot

Députés

La mission d’information sur la Chine est composée de : M. Patrice Martin-Lalande, Président, M. Michel Destot, Rapporteur, Mmes Nicole Ameline, Pascale Boistard, MM. Gwenegan Bui, Philippe Cochet, Mmes Seybah Dagoma, Elisabeth Guigou.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 7

I. LA RENAISSANCE DE LA CHINE : UNE LONGUE HISTOIRE MOUVEMENTÉE, UNE MUTATION ACCÉLÉRÉE 11

A. UN MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT À RENOUVELER POUR UN PAYS TRANSFORMÉ PAR TRENTE ANNÉES DE CROISSANCE 11

1. Un succès fulgurant fondé sur un modèle révélant ses limites 12

a. Le pari de l’ouverture et de l’économie socialiste de marché 12

b. Une économie dépendante et confrontée au défi de coûts élevés 15

c. Un pays vieux avant d’être riche ? 18

2. Des gisements de croissance importants pour accompagner la mutation vers une économie fondée sur la consommation 21

a. Le choix de la réforme confirmé 21

b. Un pays dont les besoins de développement demeurent élevés 24

c. Un effort continu de montée en gamme 25

B. VIVRE AU QUOTIDIEN EN CHINE : LES DÉFIS DU CHANGEMENT SOCIÉTAL, ENVIRONNEMENTAL ET POLITIQUE 28

1. Une nouvelle donne sociale 29

a. Une société plus riche 29

b. Des inégalités à corriger 30

c. Une société mieux formée, plus ouverte et qui s’individualise 33

2. Un environnement dramatiquement dégradé 35

a. Une pollution insupportable de l’air, de l’eau et des sols 35

b. Une insécurité alimentaire inquiétante 37

c. Des signes de changement déjà perceptibles 38

3. État de droit et régime politique : deux grandes questions 39

a. Le parti garant de la réforme ? 39

b. Des espaces de respiration dans une société sous contrôle 41

c. Le changement dans la continuité ? 44

C. FAIRE DES AFFAIRES EN CHINE AUJOURD’HUI : ENTRE DIFFICULTÉS ET OPPORTUNITÉS 46

1. La place de l’État dans l’économie rend le marché difficile 46

a. La place respective des entreprises publiques et du secteur privé 46

b. Les restrictions à l’accès au marché imposées aux entreprises étrangères 48

c. La propriété intellectuelle, les transferts de technologie et le dualisme 52

2. Un marché sélectif, mais incontournable, pour les entreprises étrangères : quelques exemples français 54

a. Une présence motivée par des caractéristiques locales 54

b. Une présence motivée par des caractéristiques globales 56

c. Un marché qui tire la croissance des pays d’origine 57

D. L’INTERNATIONALISATION CONTRASTÉE DE LA PUISSANCE CHINOISE, PROLONGEMENT DE SON DÉVELOPPEMENT INTÉRIEUR 59

1. La Chine dans ses relations avec le reste du monde 59

a. La Chine et les puissances de rang mondial : l’importance de la multipolarité 60

b. La stabilité et la sécurité des approvisionnements chinois comme déterminants de politique étrangère 62

c. Des relations de voisinage sous tension dans un contexte d’affirmation de la puissance militaire chinoise 69

2. L’affirmation de la Chine dans la gouvernance mondiale 72

a. Une insertion confortée dans l’ordre économique international 72

b. Une responsabilité politique inégalement assumée dans la gouvernance mondiale 74

c. Une intégration progressive dans le système monétaire international 76

II. LA FRANCE DOIT MIEUX TIRER SON ÉPINGLE DU JEU ET RÉNOVER SON IMAGE D’ACTEUR CRÉDIBLE SUR LES PLANS POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE 79

A. ÊTRE MIEUX ORGANISÉS ET PLUS OFFENSIFS DANS NOS RAPPORTS AVEC LA CHINE 79

1. Ancrer une relation exceptionnelle dans la durée 79

a. Un partenaire stratégique de premier plan 80

b. Une présence économique française insatisfaisante 84

c. Une nouvelle séquence ouverte en 2013 et à consolider en 2014 88

d. Pertinence et régularité pour assurer une relation dense 90

2. Structurer notre offre économique par une sélectivité forte et une approche groupée 96

a. Une fenêtre d’opportunités pour des filières organisées 96

b. Des entreprises bien sélectionnées et en forte synergie 101

c. Des entreprises mieux accompagnées 104

d. Le rôle de la culture d’affaires 108

3. Redéfinir la place de la France dans le monde 113

a. L’Union européenne, échelon indispensable pour peser au niveau économique 113

b. Une Union trop souvent désunie 115

c. Des problématiques à aborder avec nos partenaires 117

d. Reformuler une politique en direction de l’Afrique 119

B. VALORISER L’IMAGE DE LA FRANCE ET CULTIVER DES RELATIONS DE PROXIMITÉ 123

1. Une France « romantique » mais aussi moderne 123

a. Capitaliser sur le rayonnement culturel de la France 123

b. Une marque France, gage de qualité 129

c. Promouvoir l’innovation et la technologie françaises 131

2. Une France ouverte et accueillante 135

a. Conforter et pérenniser les dispositifs favorables en matière de migrations 136

b. Mieux recevoir les touristes chinois en France 140

c. Porter une attention particulière aux étudiants chinois 142

d. Positiver et bien accueillir les investissements chinois en France 149

CONCLUSION 159

ASSURER LA CONSTANCE ET LA CONSISTANCE D’UNE RELATION EXCEPTIONNELLE : RÉCAPITULATIF DES ORIENTATIONS ET PRÉCONISATIONS 161

EXAMEN EN COMMISSION 165

ANNEXES 185

ANNEXE N° 1 : CARTE DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE 187

ANNEXE N° 2 : RÉSEAU D’INFLUENCE CULTUREL ET ÉDUCATIF FRANÇAIS EN CHINE (2013) 189

ANNEXE N° 3 : LES TENSIONS EN MER DE CHINE 191

ANNEXE N° 4 : LISTE DES PERSONNALITÉS RENCONTRÉES 193

INTRODUCTION

La Chine. Une extraordinaire civilisation multimillénaire, un foyer de cultures et de savoirs, un espace immense, une terre de contrastes, un géant démographique, une énergie bouillonnante, une émergence fulgurante, révélée au grand public avec éclat par les Jeux olympiques de Pékin en 2008 et l’Exposition universelle de Shanghai en 2010, la deuxième puissance économique mondiale et un acteur majeur de la communauté internationale.

La Chine donc. Certains pourront arguer que le sujet choisi par la Commission des Affaires étrangères est colossal. Et ils auront raison. D’autres pourront souligner a contrario qu’il était grand temps que l’on s’y penche. Et ils auront raison également. D’une certaine façon, l’importance de la Chine apparaît aujourd’hui comme une telle évidence qu’il n’y aurait plus rien à en dire, qu’un rapport parlementaire n’apporterait aucune plus-value à l’immense masse de travaux consacrés à ce pays omniprésent.

Ce n’est pas l’avis de la commission des Affaires étrangères qui a souhaité créer cette Mission d’information à l’orée d’un moment très particulier : le cinquantenaire de la reconnaissance de la République populaire de Chine par le général de Gaulle, qui sera célébré dès le 27 janvier 2014 à Pékin. Nous ne prenons pas la mesure de cet évènement, car nous ne nous souvenons plus de ce qu’était la Chine à cette époque et de l’impact qu’avait sa reconnaissance par la France, premier pays occidental à prendre cette décision. Dans ce pays où le temps revêt une importance fondamentale, la durée de cinquante ans a une symbolique forte et nous place devant une obligation particulière : celle de nous interroger sur la manière dont nous devons bâtir notre relation pour les cinquante prochaines années. Or, cet anniversaire intervient à un moment-clé pour nos deux pays.

Pour la Chine d’abord, l’heure est à la définition et la mise en œuvre d’une transition de son modèle économique, aussi complexe que délicate. Après des années de transformations incroyables, de mue économique et sociale qui fait d’elle un acteur central dans un monde multipolaire, la Chine présente un nouveau visage. Les ressorts de sa croissance doivent être adaptés, alors même que certaines externalités négatives générées par un boom inédit deviennent paroxystiques, notamment en matière d’inégalités et d’environnement.

Pour la France ensuite, comme l’une des personnes auditionnées l’a formulé, il est temps d’accepter que « la mondialisation n’est pas une expérimentation ». Ce changement est certes brutal pour les pays au modèle de société déjà ancien comme le nôtre, mais l’on peut tirer partie de ce nouveau paradigme, car nous disposons d’atouts, trop souvent sous-estimés dans le déclinisme ambiant, d’une qualité de vie aussi à valoriser. La crise économique nous oblige à franchir ce pas et une impulsion a été donnée avec l’accent mis sur la diplomatie économique par le ministre des Affaires étrangères. Comment douter que la Chine doit en être une priorité ?

Pendant une année entière, la Mission d’information a conduit plus d’une trentaine d’auditions à Paris, auxquelles s’ajoutent celles organisées par la commission des Affaires étrangères sur ce thème (2). Elle s’est rendue à Bruxelles, à Aubervilliers et une délégation a effectué un déplacement en Chine en septembre 2013, dans les villes de Pékin, Chengdu, Shanghai et Suzhou. Les membres de la Mission tiennent à remercier chaleureusement l’ensemble des personnes qu’ils ont rencontrées, pour leur disponibilité, la densité des informations communiquées, la richesse de leurs analyses et aussi leur liberté de ton, qui ont façonné la réflexion, aidé à reconstituer une image plus fidèle de la Chine et permis de retenir plusieurs orientations. Ils remercient ainsi particulièrement Madame l’Ambassadeure de France en Chine, Sylvie Berman, et ses collaborateurs, pour l’accueil qui a été fait à la délégation ainsi que la pertinence et la diversité du programme qui a été construit.

Bien d’autres personnes compétentes auraient pu être entendues. Qu’elles excusent la Mission d’avoir dû opérer une sélection aussi restreinte, au regard des délais impartis pour explorer un champ d’études aussi vaste. Ce rapport n’a en effet pas pour objet de traiter de manière approfondie l’ensemble des problématiques, encore moins de faire la synthèse de l’abondante littérature sur la Chine, même s’il présente bien évidemment les grands enjeux actuels. Il a pour ambition de poser la question de la place et du rôle de la France face à l’affirmation de la Chine, premier des émergents ou premier des émergents émergé, peu importe le vocable, avec lequel il existe une relation singulière et dense, mais par trop brouillonne. C’est à l’aulne de cette interrogation que la Mission a travaillé, avec le souci d’une approche constructive.

La Chine, pour conduire le changement, a pour elle une faculté d’adaptation incroyable, une facilité culturelle à gérer les contraires. Elle n’a pas connu une mutation permanente linéaire, mais des soubresauts, des ruptures, des révolutions et elle en conserve toute la mémoire. Il faut donc observer la Chine à la lumière de sa longue histoire. La réussite chinoise actuelle résulte d’un choix politique majeur : celui de conduire la transformation sociale par l’ouverture économique graduelle du pays, encore en cours. Elle résulte aussi de la capacité de l’État chinois, centralisé et planificateur, à définir des objectifs intermédiaires et à les atteindre à chaque fois, en somme à maîtriser le temps.

Cette efficacité démontrée laisse penser – c’est l’avis des membres de la Mission – que la Chine parviendra à gérer les déséquilibres actuels et à poursuivre son développement, même si la question de l’avenir du régime politique peut être posée à plus ou moins long terme. La nouvelle équipe arrivée au pouvoir le 15 novembre 2012 à la suite du XVIIIème Congrès du Parti communiste chinois, dont le Président Xi Jinping et le Premier ministre Li Keqiang (3), a pris la mesure des fragilités du modèle économique chinois et des nombreux défis à relever pour disposer de fondamentaux solidifiés et assurer une redistribution efficace. Elle tente notamment d’orchestrer la transformation du modèle vers une croissance plus qualitative et fondée sur la consommation intérieure, en tenant compte dans le rythme et l’ampleur d’une multitude de paramètres, à commencer par celui de conduire des réformes pour 1,35 milliard de personnes. La méthode est pragmatique, dans la lignée de la célèbre phrase de Deng Xiaoping : « Traverser la rivière en tâtonnant de pierre en pierre ». La croissance demeure à un niveau élevé, avec des gisements encore importants à exploiter dans les dix prochaines années. La Chine développant une politique étrangère en fonction d’abord de son développement intérieur, sa présence s’intensifie et se diversifie continuellement sous l’effet de ces changements.

La France peut et doit démontrer qu’elle sait également s’adapter, inscrire cette période dans un mouvement de long terme qui est son histoire et, ce faisant qu’elle est, non seulement consciente des transformations du monde, mais aussi qu’elle se projette dans l’avenir avec énergie et conviction. À cet égard, le partenariat franco-chinois n’est pas une construction réactionnaire ; il ne s’agit pas de faire de nécessité vertu. Le partenariat franco-chinois est un acte politique réitéré, renvoyant à des regards croisés anciens, un terreau fertile exprimant les liens qui se sont forgés dans l’histoire et qui s’enrichissent du présent. Les évolutions actuelles de la Chine, sur le plan intérieur comme sur la scène internationale, sont en outre propices au renforcement des relations bilatérales dans tous les domaines. C’est un heureux moment qui appelle une grande lucidité pour le saisir.

La France est aux yeux de la Chine une puissance majeure au plan mondial et un partenaire historique, mais elle apparaît trop faible sur le plan économique et insuffisamment organisée. Même sur le plan du partenariat politique, bien que la crise de 2008 soit passée, celle-ci a incontestablement laissé des traces. La France serait devenue un interlocuteur moins fiable, alors que notre pays jouissait d’une côte d’amour héritée de la politique d’amitié engagée par le général de Gaulle. Cette réalité de la faiblesse française ne doit pas conduire à faire profil bas à l’égard de la Chine (ni arrogance, ni servilité !), mais à reformuler une relation équilibrée, qui évacue les malentendus, promeuve le dialogue sur tous les sujets et assure le respect mutuel dans l’intérêt bien compris de chacun de nos deux pays.

Dans cette optique, il faut conceptualiser nos intérêts, définir les objectifs et les moyens qui leur correspondent et procéder à une mise en ordre de notre politique et de nos outils. Il faut en somme formuler une politique étrangère proactive, rationnelle, qui engage une dynamique volontariste et efficace. C’est particulièrement vrai sur le plan économique, pour lequel il faut disposer de filières organisées, d’entreprises sélectionnées, bien accompagnées en amont et en aval, de solutions intégrées pertinentes pour la Chine. Pour renouveler une relation à un niveau qui est celui qu’elle mérite, c’est à dire exceptionnel, notre pays doit mettre en valeur ses talents, ses réussites, son modèle.

Cette perspective suppose, en France même, de déconstruire certaines idées reçues sur les effets négatifs pour notre pays du développement de ses relations avec la Chine, de réveiller au contraire l’intérêt et la bienveillance. Elle suppose aussi – et ce n’est pas sans lien – de faire valoir en Chine une meilleure image de notre pays, une image plus complète et plus nette, qui sous-tende l’approfondissement de relations privilégiées, exigeantes mais constructives, au plus haut niveau de l’État mais aussi entre nos deux sociétés. Les échanges humains feront la profondeur du partenariat et il convient donc de porter une attention particulière aux individus et aux collectivités qui composent la société chinoise. Dans cet esprit d’ouverture réciproque, nul doute que la France et la Chine bâtiront un avenir ensemble.

I. LA RENAISSANCE DE LA CHINE : UNE LONGUE HISTOIRE MOUVEMENTÉE, UNE MUTATION ACCÉLÉRÉE

Pays le plus peuplé de la planète avec 1,35 milliard d’habitants, la Chine a connu au cours de ces trente dernières années, un taux de croissance moyen de l’ordre de 10 %, c’est-à-dire une croissance plus rapide que celles des « tigres asiatiques » au plus fort de leur boom. Ce qui fait aujourd’hui la force de la Chine est ce qui fait sa faiblesse, à commencer par sa démographie. Ce modèle de développement ne demeure donc viable que s’il se transforme, donnant raison à l’image d’une Chine en constante mutation.

Les déterminants de la croissance s’essoufflent, nécessitant une approche qualitative et, comme toute croissance rapide, la croissance chinoise a généré de fortes inégalités, une forte demande sociale et un coût environnemental élevé. C’est ce que le CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales) appelle « la fin du modèle de croissance extravertie », dans une étude qu’il a publiée en avril 2010 (4). Quel sera le visage de la Chine dans dix ans ? La question taraude tous ceux qui assistent à l’effervescence incroyable de ce pays, qui écoutent le bourdonnement des aspirations multiples de sa population, qui se frottent aussi à des réalités difficiles. En être oui, mais dans quoi exactement ? « Nous devons sans cesse adapter notre vision de la Chine à mesure qu’elle se transforme » insistait Jean-Pascal Tricoire (5).

Progressivement un rééquilibrage entre l’économie, d’une part, le social et l’environnemental, d’autre part, doit s’opérer. La capacité à relever ce défi conditionne sans doute l’avenir du parti communiste chinois. Il conditionne aussi l’avenir de la Chine sur la scène internationale, Chine qui oscille et joue encore entre l’image de pays en développement et celle de puissance économique et politique, avec en filigrane la question de la responsabilité. Mais plus encore, ce défi conditionne celui du monde de demain, de ses équilibres et de ses déséquilibres.

A. UN MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT À RENOUVELER POUR UN PAYS TRANSFORMÉ PAR TRENTE ANNÉES DE CROISSANCE

Classée deuxième économie mondiale, la Chine ne peut plus s’appuyer pour continuer à croître et se développer sur le modèle qui a prévalu jusqu’alors, c’est-à-dire un modèle fondé sur l’investissement public et l’exportation de produits fabriqués par une main d’œuvre à bas coût. Malgré un niveau qui demeure élevé, la croissance potentielle en Chine tend à diminuer sous l’effet du vieillissement de la population, de la perte des avantages de coût traditionnels et du rattrapage économique. La croissance est au ralentissement même si elle reste à un niveau très élevé aux yeux du monde occidental : après 10,4 % en 2010 et 9,2 % en 2011, le taux de croissance s’est établi à 7,8 % en 2012.

Si la conjoncture internationale explique en partie ces chiffres, la crise mondiale affectant les volumes d’exportation, elle a mis en lumière les facteurs structurels concernant les capacités chinoises. Cela a conduit les autorités, après un plan de relance par l’investissement, à accélérer la réforme devant conduire à rééquilibrer les déterminants de la croissance en faveur de la consommation. C’est à ce changement que nous assistons aujourd’hui. La Chine est dans une phase de transition pendant laquelle elle peut encore s’appuyer sur des gisements de croissance importants et sur l’efficacité de son système politique pour conduire les réformes, dont les effets devront se faire sentir avant que le vieillissement de la population ne réduise excessivement les marges de manœuvre.

1. Un succès fulgurant fondé sur un modèle révélant ses limites

a. Le pari de l’ouverture et de l’économie socialiste de marché

La Chine est devenue en 2009 le premier exportateur mondial devant l’Allemagne. Cette réussite commerciale s’est caractérisée par une diversification continue de sa production exportée : après un positionnement sur le marché mondial des produits à faible intensité technologique (textiles et jouets particulièrement), la Chine a investi le marché des produits électroniques et informatiques, puis est devenue, en 2003, le premier pays exportateur de produits à haute technologie, devant les États-Unis.

En 2010, avec un PIB dépassant les 7 000 milliards de dollars, la Chine est devenue la deuxième économie mondiale et le premier partenaire commercial au monde. C’est notamment le deuxième partenaire commercial de l’Union européenne après les États-Unis, tandis que l’Union est le premier partenaire commercial de la Chine.

La Chine est aussi le premier détenteur de réserves de change avec 3400 milliards de dollars de réserve au premier trimestre 2013, soit 30 % des réserves mondiales. Ces réserves ont ainsi quadruplé depuis 2005. On estime que 60 à 90 % seraient détenues sous la forme de titres libellés en dollars, dont une grande partie en bons du Trésor américain.

À l’origine de ces résultats, une politique initiée il y a trente-cinq ans : la politique d’ouverture qui, de réformes en réformes, d’étapes en étapes, avec pragmatisme (« peu importe que le chat.. ») a bouleversé l’ordre économique mondial. Un petit rappel historique s’impose, car il permet de mettre à jour les moteurs de la croissance chinoise et leurs limites à ce stade de développement.

Lors de la troisième session du XIème Congrès du Parti communiste chinois, en décembre 1978, Deng Xiaoping tient un discours intitulé « Libérer l’esprit, rechercher la vérité à partir des faits, s’unir unanimement et regarder vers l’avenir ». Ce Congrès constitue un tournant dans le développement du pays. Il prône la réforme et l’ouverture vers l’étranger et fait du développement économique la tâche centrale. Les trente années suivantes vont être celles de bouleversements profonds des structures économiques et sociales de la Chine jusqu’à l’amener à devenir une puissance mondialisée admise en 2001 à l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

De 1949 à 1978, l’économie chinoise s’était transformée en une économie planifiée et nationalisée. La Chine est passée d’une économie rurale à la collectivisation et a mis en place un système industriel et un ensemble d’infrastructures. La réforme engagée en 1978 se traduit d’abord par une phase de décollectivisation des terres et une décentralisation du pouvoir économique. Puis le mouvement d’ouverture est engagé avec la création en 1980 de quatre zones économiques spéciales : trois dans le Guangdong et une dans le Fujian. En 1984, quatorze villes côtières, dont Canton, Wenzhou et Shanghai sont autorisées à créer leur propre zone de développement ouverte aux investisseurs étrangers, puis l’année suivante, trois régions littorales sont ouvertes : le delta de la rivière des Perles, la région de Xiamen et la région du fleuve Yangzi. Peu à peu, toutes les grandes villes s’ouvrent et participent à un développement économique fondé sur plusieurs piliers : une croissance démographique fournissant une main d’œuvre à bas coût, des entreprises, notamment étrangères, exportatrices, et une politique d’investissements massifs tendant à développer les infrastructures du pays et une monnaie largement sous-évaluée.

Ce mouvement est confirmé au début des années 1990 avec la construction d’une « économie socialiste de marché » à partir des réformes des entreprises d’État et d’une politique économique de privatisation suivant les règles du marché. Depuis 1997, c’est-à-dire depuis la crise asiatique, le taux de change du renminbi (6) réplique les variations du dollar vis-à-vis des autres principaux partenaires (ASEAN, zone euro et Japon), favorisant les exportations de produits chinois et les rentrées de devises. La monnaie est convertible dans le cadre des échanges de biens et services mais les investissements et emprunts sont très contrôlés. Cette convertibilité partielle permet de maîtriser les mouvements de capitaux et de s’assurer que toutes les recettes sont transférées au bilan de la Banque populaire de Chine. Entre sous-évaluation et contrôle, la Chine a utilisé à plein l’outil monétaire pour soutenir ses exportations à son profit.

Cette transformation économique s’est accompagnée d’une urbanisation très (trop) rapide du pays. Le taux de croissance de la population urbaine aura été d’environ 10 % par an au cours des 30 dernières années. Le taux d’urbanisation a dépassé le seuil des 50 % en 2011 (51,3 %, représentant 691 millions de personnes). Le nombre de villes fortement peuplées est considérable : il y a les trois très grandes villes (Pékin, Shanghai, Canton), les capitales de province et les quelques 230 villes-préfectures. Le nombre de villes dépassant le million d’habitant approche probablement la centaine, la Chine compte plus de 50 villes de plus de deux millions d’habitants et plus de 20 villes dépassent les 5 millions (7). Les infrastructures notamment de transports se sont développées. En 2011, le réseau ferré chinois hors réseaux urbains s’étendait sur 93 000 kilomètres, dont près de 9 800 kilomètres de voies à grande vitesse pour le transport de passagers. 17 villes chinoises (ainsi que Hong Kong) disposent de lignes de métros et 16 autres ont un métro en construction. Le pays compte aussi quelques 160 aéroports.

Une nouvelle étape a été franchie dans l’ouverture avec l’internationalisation des entreprises chinoises de taille critique, sous l’impulsion de la stratégie dite « go abroad » lancée après l’entrée à l’Organisation mondiale du commerce. Cette politique été confirmée en 2013 avec un objectif de croissance à deux chiffres déjà atteint. En 2012, les investissements directs étrangers (IDE) chinois auraient atteint un nouveau record, avec 87,8 milliards de dollars, selon les statistiques du ministère chinois du Commerce. La progression annuelle est de 17,6 %. La Chine serait ainsi en flux annuel au troisième rang mondial des investisseurs. Elle se positionne au 13ème rang en termes de stock d’IDE, avec 532 milliards de dollars à fin 2012, soit 2,3 % du stock mondial, équivalant à 10,2 % du stock des États-Unis et 35,5% du stock français. 16 000 sociétés chinoises auraient ainsi investi à l’étranger, détenant 22 000 filiales (8). Les statistiques relatives à la répartition des IDE sont fragiles. Les investissements chinois à l’étranger transitent par des places financières offshores : 57,6 % du stock est officiellement investi à Hong Kong et 11,5 % dans les Iles Caïmans et les Iles vierges britanniques. La part restante est investie dans l’Union européenne (5,9 %), l’ASEAN (5,3 %) puis les États-Unis (3,2 %). Le commerce de gros et de détail est l’activité dominante. Cependant, le douzième plan quinquennal (2011-2015) a fixé les priorités sectorielles suivantes pour les investissements directs à l’étranger : énergie, économies d’énergie, matières premières, biotechnologies, agriculture, services, fabrication haut de gamme, technologies innovantes.

L’étude de Goldman Sachs datée d’octobre 2003 (9) proposait une projection de croissance des quatre plus grandes économies hors G6, que l’étude regroupe sous l’acronyme « BRIC » désormais populaire : le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, qui deviendra « BRICS » avec l’ajout de l’Afrique du Sud. Cette projection sur 50 ans faisait apparaître une progression considérable de ces quatre pays, qui devaient surpasser les quatre pays européens du G6 (Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie) et le Japon. Tirant les conséquences de la crise mondiale, en décembre 2009 (10), Goldman Sachs établissait la projection de croissance chinoise jusqu’en 2040 autour de 4 % pour la Chine, mais l’étude de juillet 2011 (11), relevant la performance chinoise dans le contexte de crise mondiale, a révisé la croissance prévisionnelle à la hausse. En effet, la crise mondiale n’a pas déstabilisé le pays, même si la Chine a subi de plein fouet l’effondrement de la demande mondiale en 2008. Un plan de relance par l’investissement a produit ses effets et la croissance demeure à un niveau élevé, conforme aux prévisions du gouvernement et qui a de quoi rendre jaloux…

Cette analyse est concordante avec celle de l’étude The World in 2050 publiée le 10 janvier 2011 par le cabinet d’audit et de conseil PricewaterhouseCoopers. Selon celle-ci, la crise financière mondiale a accéléré le transfert du pouvoir économique en faveur des pays émergents.  Les économies émergentes « E7 » (la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie, le Mexique, l’Indonésie et la Turquie) devraient dépasser les économies du G7 (les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, l’Italie et le Canada) en 2017 selon la mesure de leur PIB à parité de pouvoir d’achat (PPA), Chine en tête (l’Inde la dépasserait en 2050 du fait de sa dynamique démographique) et en 2032 selon la mesure de leur PIB aux taux de change du marché. D’après les chiffres de l’OCDE, les pays membres de cette organisation produisaient ensemble 65 % du PIB mondial en 2011, mais ne représenteront plus que 50 % en 2030 et 42 % en 2060. La croissance chinoise devrait se maintenir aux alentours de 5,7 % entre 2021 et 2030, puis 4,4 % entre 2031 et 2040 et enfin 3,6 % entre 2041 et 2050. La Chine devrait devenir la première puissance économique mondiale devant les États-Unis en 2027.

b. Une économie dépendante et confrontée au défi de coûts élevés

La crise mondiale a certes été surmontée, mais elle a révélé la dépendance de la Chine à l’égard de ses exportations. Les prix à l’exportation ont été tirés à la baisse par la création de surcapacités chinoises importantes résultant d’un investissement massif. Dès lors que le revenu général augmentait insuffisamment rapidement, le déséquilibre entre consommation, d’une part, et investissements et exportations d’autre part, s’est accru. La part de la consommation dans le PIB est tombée de 46 % à 35 % du PIB entre 2000 et 2007. L’excédent commercial a atteint 7 % du PIB en 2007 : la croissance du PIB était devenue de plus en plus dépendante de la demande extérieure. Par ailleurs, la dynamique des exportations a été portée par la sous-évaluation de la monnaie chinoise. Or, à terme, cette dernière est un facteur d’appauvrissement. Le développement économique de la Chine passe par une augmentation des prix de ses exportations, à travers une appréciation de sa monnaie (en termes nominaux et/ou réels) et par la redistribution des gains à l’échange à l’intérieur du pays.

La dépendance chinoise à l’égard de l’extérieur n’est pas uniquement une dépendance en termes de montant des exportations, mais aussi qualitative, c’est-à-dire de contenu de ses exportations.

D’abord, les exportations chinoises proviennent pour moitié environ d’opérations d’assemblage, représentant près de 80 % des exportations chinoises de haute technologie, dénotant une spécialisation dans les stades finaux de production avec des exportations ayant un contenu très élevé en produits d’importation. Or, le commerce d’assemblage est très largement aux mains d’entreprises à capital étranger : plus de 80 % en 2007 d’après le CEPII (12), qui en conclut que « la progression spectaculaire de ces exportations ne reflète donc pas l’avancée des entreprises proprement chinoises dans l’innovation et la maîtrise technologique ». Toujours selon le CEPII, entre 1997 et 2007, la part des produits de haute technologie aurait pratiquement doublé dans les exportations des entreprises à capital étranger (passant de 25 à 50 %), tandis qu’elle aurait stagné dans celles des entreprises chinoises.

De plus, la hausse du contenu technologique des produits exportés par la Chine ne s’est pas accompagnée de leur montée en gamme. La Chine demeure spécialisée sur les produits à bas prix, y compris dans les secteurs de haute technologie (produits de masse standardisés), contrastant fortement avec la situation de sa voisine indienne. Cela signifie que les gains de productivité très élevés réalisés par les entreprises exportatrices bénéficiant d’une main d’œuvre à bas coût et d’un yuan sous-évalué ont masqué une détérioration des termes de l’échange pour la Chine : les coûts d’importation ont augmenté (produits primaires dont le cours était soutenu par la demande chinoise et produits manufacturés plus chers à mesure que la production manufacturière se sophistiquait) dans des proportions beaucoup plus importantes que le prix des valeurs unitaires à l’exportation, qui a même diminué de 1997 à 2003.

Or, la Chine se retrouve progressivement face au défi d’une économie de coûts de plus en plus élevés (13) et devra éviter de tomber dans « la trappe des pays à revenu intermédiaire », où l’on trouve les pays qui n’ont ni les avantages comparatifs des pays à très bas salaires, ni ceux des pays technologiquement avancés.

La fin du dividende démographique se traduit par une diminution de la réserve de main d’œuvre chinoise et donc une hausse des salaires. La demande sociale pour bénéficier de conditions salariales meilleures est également plus forte. Elle répond aussi à l’augmentation très importante des prix de l’immobilier, inflation que les autorités ont le plus grand mal à maîtriser. En effet, l’industrialisation et l’urbanisation croissantes mettent sous pression les prix du foncier, tandis que les collectivités territoriales trouvent dans la mise en vente de terrains une recette dont elles ont besoin. C’est aussi un secteur de forte corruption, difficile à encadrer.

Les salaires ont déjà été multipliés par quatre dans le secteur manufacturier au cours des dix dernières années. Dans certaines villes côtières comme Canton, les salaires augmentent de 15-20 % par an, par rapport à une inflation de l’ordre de 3%, même si ce chiffre est sujet à caution. On sait par exemple que le prix de la course de taxi à Pékin n’a pas augmenté depuis des années parce qu’elle figure dans l’indice des prix. Très clairement, les prix de l’immobilier et des produits alimentaires ont augmenté plus vite. On soulignera que la libéralisation progressive des prix devrait aussi se répercuter par des coûts plus élevés des matières premières et de l’énergie.

S’il est nécessaire de diminuer le poids des exportations dans le PIB, il l’est aussi de bien doser les investissements publics : l’économie chinoise est en situation de surcapacités localisées, de surchauffe inflationniste et d’endettement excessif. Jamais un pays n’a atteint un tel niveau d’investissement : il est de 33 % du PIB en Inde et de 18 % au Brésil, contre 44 % en Chine (et 49 % en 2010). Les autorités chinoises ont demandé aux banques de financer le plan de relance et de soutenir la demande intérieure pour limiter les effets de l’effondrement de la demande mondiale. Les nouveaux prêts bancaires octroyés en 2009 ont représenté environ 30 % du PIB en 2009 dans tous les secteurs, mais surtout l’immobilier, sans prise en compte du risque. L’investissement a contribué à lui seul à 94 % de la croissance en 2009.

Une nouvelle crise internationale aurait des effets critiques. En effet, la stimulation de la croissance ne pourrait plus se faire à la même hauteur qu’en 2008 et 2009 car des bulles se sont constituées. Les collectivités locales ont vu leur dette s’envoler. Les entreprises exportatrices affectées par le ralentissement économique, le secteur de l’immobilier et les collectivités territoriales apparaissent les plus exposées. « Avec une croissance de 7 % ou 8 %, la Chine s’en sort encore mais elle ne peut plus ignorer la contrainte » résumait François Godement (14).

Une dette à surveiller

La dette est évidemment plus faible que chez nous, et a fortiori qu’au Japon. Il faut ajouter à la dette du gouvernement central celle des administrations locales, et celle des entités parapubliques, détenues par les autorités locales qui s’en sont servies pour financer l’immobilier. La dette du gouvernement central s’élevait à 15 % du PIB fin 2012 et celle des gouvernements locaux à 23 %. Il s’agit de statistiques officielles. Dans son dernier rapport au titre de l’article IV, le FMI évaluait à 45 % à fin 2012 l’endettement du gouvernement, incluant dans son calcul les garanties accordées aux véhicules spéciaux de financement des collectivités locales et leurs obligations.

La politique d’accès au crédit a toujours été défaillante en Chine. Des palliatifs se sont développés à la rigidité du système financier : un système de tontine dans certaines régions, avec parfois des catastrophes comme à Wenzhou où l’État a dû venir à la rescousse, un système de garanties par des compagnies locales (trust loans) qui font flamber les taux d’intérêt, et plus récemment la création de produits structurés qui adossent l’épargne de riches chinois à des prêts hors du bilan des banques et qui se traduisent par des taux élevés. En 2010, le resserrement des conditions du crédit a été contourné par les banques qui ont transféré des créances hors bilan et proposé ces produits alternatifs. Si les banques ont été rappelées à l’ordre, l’intermédiation hors du secteur bancaire règlementé (« shadow system » composé de sociétés civiles de crédit souterraines et informelles, institutions de micro-finance et activités hors bilan des banques, fonds fiduciaires, sociétés de garanties etc.) a poursuivi son expansion. Les financements hors bilan ont représenté 23 % des sources de financement de l’économie chinoise en 2012.

Le niveau global d’endettement est estimé aujourd’hui à plus de 200 % du PIB. Si l’on tient compte des sources de financement alternatives au crédit bancaire, l’endettement accumulé des entreprises et des ménages chinois peut être estimé à au moins 190 % du PIB sur la base des statistiques de la Banque centrale chinoise, sans compter les obligations d’État, la dette extérieur et le financement privé. 74 % de cette dette correspond à des crédits bancaires et 18 % à des crédits hors bilan (8 % d’obligations). Or, ce n’est pas tant le niveau d’endettement, plus faible que dans la zone euro, qui est préoccupant, que son essor récent et sa qualité très moyenne. En février 2013, une étude de Standard & Poors (15) considérait que c’est la Chine qui présente le risque le plus élevé de correction économique du fait de la faible productivité des investissements actuels.

On ne saurait pour autant en conclure à l’imminence d’une crise financière. L’endettement extérieur est faible et il n’y a pas d’assèchement des liquidités, d’autant que le contrôle strict de capitaux empêche des fuites déstabilisatrices et que les réserves de change sont énormes. En outre, le risque d’une crise de confiance des institutions financières peut être écarté du fait du contrôle exercé par l’État. Néanmoins, le surendettement des agents économiques et une part de créances douteuses en progression appellent des correctifs sous peine de voir le taux de défaut augmenter et coûter à l’économie.

c. Un pays vieux avant d’être riche ?

Les traits les plus saillants de l’évolution démographique chinoise aujourd’hui sont le vieillissement et la masculinisation de la population (16). Le premier point est préoccupant parce qu’il agit sur les perspectives d’évolutions économiques et sociales. Les problèmes rencontrés par le Japon aujourd’hui seront ceux que la Chine devra affronter demain, à ceci près que le Japon est aujourd’hui suffisamment riche et développé pour pouvoir compenser les effets du vieillissement démographique sur son économie. Il reste la troisième puissance économique mondiale. Si la Chine veut pouvoir elle aussi compenser ces effets, elle doit être capable de transformer ses structures économiques et sociales. Cependant, la population chinoise sera probablement vieille avant même que le pays ne soit suffisamment riche pour pouvoir développer un système qui permettra de prendre en compte ce vieillissement. Les données qui suivent et qui vont jusqu’à 2050 sont celles des Nations-Unies, telles qu’analysées par Isabelle Attanée, démographe à l’Institut national d’études démographiques (17).

Si l’on observe l’évolution des trois grands groupes d’âges (moins de 15 ans, 15-59 ans et 60 ans ou plus) entre 1950 et 2050, on constate que la proportion des 60 ans ou plus augmente fortement, tandis que celle des moins de 15 ans diminue. En termes d’effectifs, la population d’âge actif (15-59 ans) passera de 915 millions en 2010 à 682 millions en 2050, ce qui représente une perte de 25 %. Si l’on détaille ces chiffres pour la population d’âge actif, le constat est encore plus frappant : la proportion des 15-29 ans (principale main-d’œuvre à bas prix qui nourrit l’économie chinoise depuis trente ans), qui représentait 47,7 % de la population d’âge actif totale en 1970, ne représentera plus que 27,9 % en 2050, tandis que celle des 45-59 ans passera de 21,1 % à 39,2 %.

Ce vieillissement de la population chinoise est extrêmement rapide. En 2050, le processus de vieillissement chinois sera l’un des plus avancés au monde, avec l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, la Corée du Sud et le Japon. La Chine sera alors plus vieille que le Japon ne l’était en 2010, bien que ce dernier soit aujourd’hui le pays dans lequel le processus de vieillissement est le plus avancé au monde. L’âge médian au Japon était ainsi de 44,7 ans en 2010, tandis que celui de la Chine sera de 48,7 ans en 2050 (à titre de comparaison, il sera seulement de 42,7 ans en France). Au Japon, la proportion de 60 ans ou plus (par rapport à la population totale) en 2010 était de 30,5 %, tandis qu’elle sera de 33,9 % en Chine en 2050.

Si l’on regarde l’évolution du rapport population d’âge actif (15-59 ans) / population économiquement dépendante (moins de 15 ans et 60 ans ou plus), on constate que la Chine vient de connaître un bonus démographique exceptionnel (2,15 personnes actives pour une personne dépendante en 2010), ce qui représentait pour elle une fenêtre d’opportunité en termes économiques. Comme pour le Japon par le passé (années 60 à 90), la croissance économique chinoise s’est envolée au moment où le rapport de dépendance changeait favorablement – c’est-à-dire au moment où la charge sur les actifs diminuait. Le rapport de dépendance de la Chine atteint en 2010 est sans doute le plus élevé jamais observé dans quelque pays que ce soit. Or, ce rapport va désormais fortement chuter d’ici à 2050, où le ratio sera d’une personne d’âge actif pour une personne dépendante. La Chine sera donc, bien plus que l’Inde ou le Brésil, confrontée à d’énormes contraintes liées à sa démographie.

NOMBRE DE PERSONNES D’ÂGE ACTIF 15-59 ANS PAR PERSONNE ÉCONOMIQUEMENT DÉPENDANTE

Source : Isabelle Attané

La situation chinoise diffère de la situation japonaise sur plusieurs points. Tout d’abord, l’économie japonaise est principalement basée sur une économie de services, qui emploie 68 % des actifs et génère 75 % du PIB ; en Chine, le secteur tertiaire ne représente que 27 % des actifs et 40 % du PIB. À cela s’ajoute que l’économie chinoise repose encore en grande partie sur une main d’œuvre à bas coût et que la classe d’âge des actifs ne représentera en 2050 que 28 % de la population. Ensuite, les retraités japonais ont un niveau de vie à peu près équivalent à celui des actifs, ce qui permet aux plus de 60 ans de participer au dynamisme de l’économie japonaise. En Chine, en revanche, le système de retraites est défaillant et ne permet pas une prise en charge suffisante des personnes âgées, cette dernière constituant un défi majeur. Élever les revenus des retraités permettrait qu’ils deviennent partie prenante de l’économie chinoise, notamment en soutenant la consommation intérieure, en particulier dans les domaines de la santé, de l’alimentation et des services. Il faut souligner que l’âge de départ à la retraite est précoce. Il s’établit à 60 ans pour les hommes, 50 ou 55 ans pour les femmes.

Les démographes chinois ont parfaitement conscience du défi posé par le vieillissement et font valoir la nécessité de prendre dès à présent des mesures modifiant en profondeur les déterminants démographiques pour produire un effet au-delà de 2050. Cependant, ce n’est pas uniquement la politique de l’enfant unique qu’il faut revoir, c’est toute la société qui doit évoluer. Car il faut bien distinguer la question de la politique des naissances et les conditions favorables à la natalité qui dépendent des coûts liés à l’enfant (crèche, santé, éducation…). Même si elles ont la possibilité de faire plus d’un enfant et y sont incitées, de nombreuses familles chinoises, notamment les jeunes couples vivant en ville, choisissent de n’en faire qu’un. De ce point de vue, la situation de la Chine doit être comparée à celle d’autres pays de la région (Corée du Sud, Taiwan, Japon) où la natalité est faible. Il est donc fort probable que la faible fécondité chinoise, principal facteur du vieillissement de la population, se maintiendra dans les années à venir, notamment en raison d’un contexte économique et social peu favorable à une forte natalité. L’État chinois doit, pour modifier la pyramide des âges, entamer des réformes en profondeur en assurant sa fonction d’État-providence. C’est précisément la voie qu’il choisit d’emprunter.

2. Des gisements de croissance importants pour accompagner la mutation vers une économie fondée sur la consommation

La crise mondiale a révélé la dépendance de la Chine à l’égard de ses exportations et obligé à effectuer une relance par l’investissement, dont la part dans le PIB était déjà très élevée. Il est devenu évident que, non pas à moyen terme mais à court terme, l’économie chinoise devait rééquilibrer les trois composantes de son PIB que sont les exportations, l’investissement et la consommation, au profit de cette dernière. Cette transformation est profonde et nécessite du temps. Néanmoins, le mouvement est enclenché et la Chine dispose de leviers pour conforter les fondamentaux « traditionnels » de son modèle, à savoir l’investissement et les exportations, compte tenu des besoins encore élevés de développement du pays et grâce à la poursuite du renforcement de la compétitivité de l’économie chinoise et des entreprises nationales. Le taux de croissance devrait s’élever à 7,7 % en 2013 et autour de 7,6 % en 2014.

a. Le choix de la réforme confirmé

Comme l’a souligné le premier ministre Li Keqiang au printemps dernier : « La réforme est à présent entrée en eaux profondes et doit naviguer vent de face ». Le défi posé consiste à maintenir la croissance à un niveau suffisamment élevé mais à transformer le modèle de développement économique en ajustant les déséquilibres – déséquilibres macroéconomiques et de structure industrielle, mais aussi déséquilibres environnementaux, sociaux et territoriaux. La réforme est donc double : consolider la croissance en rénovant ses fondamentaux et assurer une meilleure redistribution. Comme l’a bien résumé Jean-Pierre Cabestan (18) au cours de son audition « Il faudrait que l’État soit moins riche et la société plus riche ». C’est le défi du développement harmonieux. La dynamique de croissance a profité essentiellement aux zones côtières et aux urbains. Elle a généré des inégalités extrêmes, l’emploi de l’expression « classes moyennes » étant assez hasardeux concernant la Chine.

Le rapport du 18ème Congrès du Parti communiste chinois de novembre 2012, qui pose des lignes directrices pour l’action publique pour les cinq années qui s’engagent, ainsi que les révisions de la Constitution du parti approuvées à l’occasion du Congrès, se sont inscrits dans la continuité du 12ème plan quinquennal (2011-2015). Pour moderniser les fondamentaux de la croissance, poursuivre le développement à un niveau suffisant pour les besoins du pays et corriger les effets les plus néfastes du boom des trente dernières années, le Congrès a confirmé la nécessité de poursuivre les réformes et l’ouverture de la Chine à l’international. Les défis identifiés sont nombreux. et bien connus (il suffit de lire le « China 2030 : Building a modern, harmonious, and creative highincome society » de la Banque mondiale et du centre de recherche sur le développement du Conseil d’État chinois).

Le cœur de la réforme vise à augmenter la part de la consommation dans le PIB. Elle est aujourd’hui de 35 %, contre 72 % en France, mais aussi contre 46 % en Chine il y a dix ans. Comme le soulignait la sociologue Wei Nan Zhi : « Conformément à la tradition politique de la Chine, la légitimité du gouvernement chinois dépend de sa capacité à garantir la paix sociale et un développement durable par la mise en œuvre d’une redistribution économique et d’une amélioration de la protection des droits sociaux de la population, tout particulièrement les groupes sociaux les plus faibles. ». Le discours du Président Hu Jintao du 23 février 2009 demandant que la Chine stimule sa consommation intérieure et se concentre davantage sur l’amélioration des conditions de vie de la population, ont marqué un tournant dans la politique économique et sociale chinoise.

Or, le défi à relever pour que la consommation intérieure prenne le relais est immense. Si l’on assiste à une augmentation de la consommation des ménages de l’ordre de 10-15 % par an, c’est insuffisant pour constituer un moteur capable de transformer rapidement les composants de la croissance. Pour augmenter la consommation, il faut augmenter les revenus des ménages, ce qui pèse sur la compétitivité. Il faudrait alors augmenter la productivité, mais cela pose un problème d’emploi (19). Pour créer de l’emploi il faut de l’innovation et il faut que l’emploi créé soit au niveau des qualifications des millions de jeunes diplômés chaque année, dont un quart seulement trouve un emploi correspondant à sa formation. Ce n’est vraiment pas évident.

En outre, augmenter les revenus ne suffit pas en soi à stimuler la consommation, car les Chinois sont obligés d’épargner des sommes importantes pour faire face aux dépenses de retraite, de santé et d’éducation pour l’enfant unique (défraiements divers, activités périscolaires, études etc.). Le taux d’épargne brute était proche de 51 % du PIB en 2012 selon le FMI. La mise en place d’une protection sociale et d’une sécurité sociale qui inciteraient à moins épargner, à consommer plus et soutiendrait ainsi la prospérité du marché intérieur chinois a été engagée. En 2009, la Fondation pour la recherche et le développement publiait un rapport intitulé « Construire un système de sécurité sociale bénéficiant à toute la population ». Le nouveau système de sécurité sociale qui se met en place et dont bénéficient déjà 484 millions de Chinois, urbains et ruraux, concerne la retraite, la santé, les accidents du travail, le chômage et la maternité. Il s’agit donc d’un système complet, mais avec des défis à surmonter aussi élevés que le niveau de prestations est encore bas : inégalités d’accès avec des montants particulièrement faibles en zone rurale, vieillissement de la population (augmentation des dépenses en fin de vie), effets durables de la politique de l’enfant unique, ralentissement de la croissance et donc du financement de la protection sociale.

Il conviendrait aussi de réformer la propriété foncière, pour permettre aux ruraux de partir dans de bonnes conditions ou de garantir leur possibilité de retour. Cela constituerait un filet de sécurité. En janvier 2013, la première directive prise par le nouveau Comité central du parti fut de répertorier et de procéder à l’enregistrement du droit d’usage des terres en zone rurale, ce qui a été analysé comme un signe précurseur d’un possible accès des ruraux à la propriété et à la valorisation de leurs droits fonciers.

Le nouveau système de retraites

Concernant les villes, outre les pensions de base, le régime de retraite comprend deux autres aspects : l’assurance complémentaire de l’entreprise et l’épargne personnelle pour une assurance vieillesse. Les administrations provinciales ou même celles des villes contrôlaient séparément leur fonds d’assurance-vie et décidaient du niveau de contribution sociale et des pensions comme celui de la contribution financière à l’assurance-vie. Le 22 décembre 2009, le Conseil d’État a publié les « Mesures intérimaires sur le transfert des comptes des pensions de base de retraite des travailleurs des entreprises urbaines entre différentes provinces ». C’est une avancée majeure dans la construction d’un système national d’assurance sociale tenant compte de la liberté de mouvement des travailleurs et réduisant les disparités de traitement régionales.

Concernant les campagnes, depuis 2009, la nouvelle réforme des retraites de la sécurité sociale a été instaurée dans plusieurs provinces. Les travailleurs migrants, première catégorie de retraités en zone rurale, peuvent bénéficier d’un compte personnel « transférable » peu coûteux et de droits à pension analogue à celui des résidents urbains permanents. En ce qui concerne les paysans retraités, tous les résidents ruraux de plus de 60 ans peuvent obtenir une pension de base provenant du nouveau fonds rural du régime de retraite s’ils ne sont pas bénéficiaires d’une retraite du programme de retraite urbain. Le 1er septembre 2009, le Conseil d’État a publié la Réglementation du nouveau régime social de retraite pour les zones rurales, qui stipule que le Conseil d’État détermine une part de base unifiée de la pension des assurés paysans, régime de base de retraite.

Enfin, il existe l’équivalent d’un minimum vieillesse, dont le montant et le financement dépend de la politique et des capacités des gouvernements locaux, sous la forme d’une assistance sociale pour les personnes âgées sans soutien familial et d’une allocation de retraite pour les personnes très âgées. Les personnes âgées qui n’ont qu’un enfant peuvent obtenir une allocation spéciale.

Le troisième Plénum du comité central (le premier a nommé la nouvelle équipe dirigeante et le deuxième a préparé les nominations gouvernementales) était très attendu, car c’est l’instance qui valide formellement les grandes décisions politiques et économiques prises par le bureau politique et son comité permanent. Il ne se réunit qu’une fois par an (204 membres titulaires et 169 suppléants) et c’était le premier de la nouvelle équipe au pouvoir. On notera que c’est au cours d’un troisième Plénum qu’ont été adoptées des réformes décisives précédentes : en 1978 (politique de réforme et d’ouverture) et en 1993 (économie socialiste de marché et approfondissement des réformes économiques). Plusieurs groupes de travail avaient été constitués pour travailler sur des réformes du secteur bancaire et financier, du système fiscal, de la propriété foncière, du prix des facteurs de production, du registre d’État civil, ou encore des injustices sociales. La question de la place de l’État dans l’économie et de celle des grandes entreprises semblait aussi devoir être traitées.

Le troisième Plénum s’est finalement tenu du 9 au 12 novembre 2013. Le communiqué publié, complété par des annonces le 15 novembre, a réaffirmé l’objectif de poursuivre les réformes, a mis l’accent sur les réformes économiques et sociales sous la forme de grandes orientations générales, même si la réforme administrative, l’amélioration du système juridique et la construction d’une civilisation écologique sont aussi affichées. Deux nouvelles instances ont été créées, dont un nouveau groupe dirigeant du comité central dédié à la conception et la mise en œuvre des réformes. Les réformes économiques doivent permettre d’améliorer la relation entre le gouvernement et le marché, d’encourager le développement du secteur privé tout en maintenant le rôle dominant du secteur public, d’assurer un développement urbain / rural intégré, de faciliter l’accès à l’investissement. L’élément essentiel est le rôle-clé qui serait assigné au marché. Le communiqué du Troisième Plénum, sans apporter de décision concrète, laisse aussi entrevoir une réforme du registre d’État civil (hukou) et de la propriété foncière. Par ailleurs, un assouplissement de la politique du contrôle des naissances a été annoncé : outre les minorités, les couples dont l’un des membres est enfant unique pourront désormais avoir un deuxième enfant, alors que seuls ceux dont les deux membres étaient enfants uniques, dans certains cas, avaient jusqu’alors cette possibilité.

La réforme économique et sociale est donc en marche et l’ensemble de l’appareil d’État est mobilisé pour la mettre en œuvre. Prochainement, la déclinaison concrète des annonces pour les différentes politiques publiques sera connue et, comme toujours, la rapidité de la Chine à évoluer pourrait bien nous surprendre. Outre la verticalité du système, la structure du nouveau Comité permanent renforce la gouvernabilité de la Chine et peut permettre aux dirigeants chinois d’accélérer le rythme. En particulier, si l’on compare avec le Comité permanent précédent, l’autorité du Premier ministre est renforcée. On notera toutefois que le nouveau Comité compte quatre personnes qui sont ou ont été des responsables du parti dans de très grandes villes et pas un seul dirigeant d’origine paysanne, ce qui contraste avec la nécessité d’un développement plus équilibré sur le plan géographique et social. Il faut en effet mobiliser aussi le reste de l’économie et de la population, être attentif aux zones où l’on souhaite développer la consommation et où il faudra mettre en œuvre des politiques sociales, c’est-à-dire les campagnes. C’est là en premier lieu que résident les marges de croissance.

b. Un pays dont les besoins de développement demeurent élevés

La poursuite de l’émergence économique de la Chine fait l’objet d’un relatif consensus. Les projections économiques paraissent en effet atteignables en raison des gisements de croissance du pays.

En premier lieu, la politique d’investissements dans les infrastructures va encore se poursuivre avec l’urbanisation croissante de la société chinoise et le fait que les besoins en investissements de base demeurent très élevés. Le douzième plan quinquennal (2011-2015) prévoyait de porter le taux d’urbanisation à 51,5 %, seuil déjà franchi, et d’augmenter le nombre d’emplois dans les zones rurales de 45 millions. On estime que la population urbaine augmentera de 300 millions de personnes d’ici 2025 et le taux d’urbanisation devrait dépasser les 70 % à l’horizon 2035.

Si les régions côtières ont atteint un stade assez avancé de développement, les régions du centre et de l’ouest offrent encore des marges de développement importantes et connaissent d’ailleurs pour certaines des niveaux de croissance supérieurs à 15 %. La Chine prévoit ainsi de construire plus de 70 aéroports d’ici 2020, d’atteindre 120 000 km de voies ferrées en 2015, dont 18 000 kilomètres de voies à grande vitesse, et, dès 2015, 7 400 kilomètres de ferroviaire urbain (métros, tramways notamment). On soulignera qu’en 2012, des procédures d’approbation de grands projets ont été accélérées et des mesures ont été prises pour encourager l’investissement privé dans certains secteurs, notamment des chemins de fer, des infrastructures, de l’énergie et des télécommunications.

Grâce aux investissements faits dans les infrastructures de transport, sont désormais accessibles des régions où le salaire minimum est moins de la moitié de ce qu’il est sur la côte. Il y a donc un avenir, même pour l’économie d’exportation, en développant les régions du centre et de l’ouest du pays.

La Chine entend également développer son mix énergétique en misant sur les énergies renouvelables : les objectifs fixés sont de 260 gigawatts (GW) d’hydroélectrique pour 2015, 100 GW d’éolien, 20 GW de photovoltaïque, 13 GW de biomasse et 1 GW de solaire thermique. La capacité nucléaire devrait quant à elle atteindre entre 60 et 70 GW d’ici 2020. Concrètement, la Chine est devenue le centre de gravité énergétique mondial. Le pays construit chaque année sur son territoire l’équivalent du parc électrique français. D’ici 2020, c’est l’équivalent de dix fois le réseau de transport d’électricité français qui sera installé en Chine. Depuis la mise en marche du barrage des Trois-Gorges, la Chine est le premier hydroélectricien au monde et son potentiel hydroélectrique reste encore sous-exploité. Elle bâtit par ailleurs deux centrales thermiques à charbon par semaine. Ses développements en matière de solaire et d’éolien sont importants, le pays étant en passe de posséder les premiers parcs éolien et solaire mondiaux. Sa croissance exponentielle concerne également le nucléaire : la Chine construit entre 9 et 11 réacteurs nucléaires chaque année.

c. Un effort continu de montée en gamme

La compétitivité-coût de la Chine est toujours avantageuse. La Chine est plus compétitive aujourd’hui qu’il y a trente ans, du fait de l’amélioration de la qualité de sa main d’œuvre, qui compense l’élévation du coût du travail. La Chine conserve un avantage concurrentiel par rapport à ses voisins d’Asie du sud-est malgré le différentiel croissant de salaires. La hausse des coûts salariaux devrait forcer les entreprises exportatrices à faire évoluer leur offre vers des produits à prix et qualité plus élevée. Le maintien d’un écart de compétitivité-coût significatif nécessite un effort important dans une double direction : la formation de la main d’œuvre et l’innovation. On ajoutera à titre accessoire que la lutte contre la corruption permet aussi de réduire le coût des affaires.

Le rattrapage technologique des entreprises chinoises est une condition du développement à long terme et un objectif des autorités chinoises depuis plusieurs années. Il s’agit d’abord de tirer profit de la présence des entreprises étrangères technologiquement performantes en bénéficiant de transferts de technologies. On ajoutera que cette présence a aussi permis des progrès en matière d’organisation productive, par l’importation d’un savoir-faire. Louis Gallois a ainsi confirmé que l’implantation d’Airbus n’avait pas contribué au développement technologique chinois mais à l’amélioration de la gestion clients / fournisseurs, de certains processus industriels et du management, car les ingénieurs chinois ont beaucoup appris des modes de travail du groupe.

Ensuite, la Chine mène une politique scientifique ambitieuse. Le pays détient le deuxième budget mondial de recherche et développement (R&D) grâce à une croissance annuelle de ses dépenses de 22 % au cours des quinze dernières années. Le budget dédié à la R&D ne représentait que 0,57 % du PIB en 1995. Il atteignait 1,8 % en 2012 (123 milliards d’euros) et l’objectif fixé est d’atteindre 2,2 % en 2015. Plus des deux tiers des dépenses sont concentrés dans le secteur privé. Selon une étude publiée, mercredi 23 octobre 2013, par le cabinet américain de conseil en stratégie Booz & Company, entre 2008 et 2012, 65 entreprises chinoises ont fait leur entrée dans le palmarès des 1 000 plus gros investisseurs en R&D dans le monde (tandis que 100 entreprises américaines en sont sorties). Alors que ces 1 000 entreprises ont augmenté leurs dépenses de 5,8 % par rapport à 2011, la Chine caracolait en tête en croissance de dépenses, avec une augmentation impressionnante de 35,8 %, même si, en valeur absolue, les entreprises de l’Empire du milieu pèsent encore peu au niveau mondial. En 2012, le total de leurs dépenses de R&D se serait élevé à 20,5 milliards de dollars.

Le souci de rompre la dépendance à l’égard des technologies étrangères est manifeste. Cette politique se caractérise par la mobilisation des ressources sur des secteurs considérés comme prioritaires, parmi lesquels la biotechnologie, les nanotechnologies, les matériaux avancés, l’agriculture, l’énergie, l’environnement ou encore les technologies de l’information et de la communication. En 2011, il y avait 1 200 incubateurs technologiques en Chine, dont près d’une centaine au sein de parcs universitaires spécialisés dans la création d’entreprises innovante à partir des résultats de laboratoires de recherche. 105 parcs de haute technologie (« pôles de compétitivité ») étaient également recensés, devant faciliter l’industrialisation des résultats de la R&D et l’internationalisation des entreprises de haute technologie. Ils ont contribué pour 10 % au PIB total de la Chine en 2012. Enfin, un fonds d’investissement pour l’innovation (Innofund) a été créé pour soutenir les entreprises innovantes en amorçage.

L’émancipation chinoise se caractérise aussi par l’effort effectué en matière de formation et d’attractivité. Le Gouvernement chinois encourage la modernisation et, depuis 2003, l’internationalisation de ses établissements d’enseignement supérieur et incite ses universités à créer des instituts conjoints avec des partenaires étrangers pour pallier son retard en termes de pédagogie, de qualité et d’innovation. La coopération universitaire avec des établissements d’enseignement supérieur étrangers est en augmentation, qu’il s’agisse des programmes classiques d’échanges, des programmes de doubles diplômes ou de la localisation d’établissement ou de campus étrangers, dont le nombre est passé de 10 en 2009 à 45 en 2012. Depuis la promulgation en 2004 de son « Règlement relatif à la coopération des établissements éducatifs sino-étrangers », la stratégie du gouvernement chinois rend prioritaires les projets impliquant secteur privé et gouvernements régionaux, aux côtés des universités majoritairement de rang 1.Ces dernières assurent aux partenaires étrangers de jouir du prestige des établissements publics chinois et d’attirer les meilleurs étudiants chinois. Les chercheurs de haut niveau étrangers sont incités à venir travailler en Chine, dans le cadre de programmes attractifs (objectif de 50 000 bourses pour les étudiants étrangers en 2015). Les jeunes chercheurs sont incités à effectuer une mobilité à l’étranger et, de façon plus générale, le nombre d’étudiants chinois est trop élevé pour intégrer les universités d’excellences chinoise ; une partie part donc se former à l’étranger. La Chine est le plus gros exportateur d’étudiants au monde (510 000 étudiants chinois en mobilité internationale en 2012).

Résultat de cette politique, le nombre de diplômes d’ingénieurs et de doctorats scientifiques délivrés a triplé entre 2000 et 2008 et le personnel affecté à la R&D en ETP sur la période 2006-2010 a connu une croissance de 13 %, pour atteindre 3,1 millions de chercheurs et personnels assimilés. Le nombre de brevets d’invention accordé en 2012 s’est élevé à 210 000, en majorité d’origine chinoise, en croissance de plus de 25 %. On notera aussi avec intérêt que la Chine est passée du cinquième au deuxième rang mondial en nombre de publications scientifiques entre 2005 et 2011 (10 % des publications mondiales). Si elle est toujours derrière les États-Unis, elle a ainsi dépassé le Japon dès 2007. Le nombre de publications acceptées dans Nature était de 303 en 2012 (8,5 % de l’ensemble des articles publiés par la revue). Le nombre de publications en langue chinoise a dépassé 500 millions en 2010. La Chine est à l’origine du fameux « classement de Shanghai » des établissements d’enseignement supérieur et 22 de ses établissements figurent parmi les 100 meilleures universités asiatiques selon le classement du Times Higher Education d’avril 2013, derrière le Japon et Taïwan. Des universités chinoises comme Fudan à Shanghai ou Tsinghua et Beida à Pékin sont aujourd’hui devenues des marques mondiales. Enfin, la Chine joue un rôle important dans le domaine dit « NBIC » (Nanotechnologies, Biotechnologie, Informatique Cognitive) et possède par exemple le plus grand centre de séquençage du génome au monde.

Il n’en demeure pas moins que, comme plusieurs personnes auditionnées par la Mission l’ont souligné, la Chine présente encore des faiblesses :

– l’orientation en faveur de secteurs prioritaires se fait au détriment de la recherche fondamentale. La part des entreprises privées dans l’effort de recherche l’explique en grande partie : 82 % des dépenses étaient orientées en 2012 vers la recherche expérimentale, contre 12 % vers la recherche appliquée et moins de 5 % vers la recherche fondamentale ;

– l’innovation et la recherche nécessaires à la montée en gamme de l’industrie sont encore très concentrées dans les grands groupes et notamment peu développées dans les PME ;

– quand une industrie est devenue « banale », la concurrence par les entreprises chinoises est forte, y compris du fait de subventions indirectes. Mais pour ce qui est des industries nouvelles, il en va autrement. L’exemple de Huawei, qui a su dépasser la simple copie, est toujours donné mais il est très atypique : en cinq ans le nombre de téléphones portables a été multiplié par 7 (de 200 millions à 1,4 milliards) avec une politique d’équipement en émetteurs-récepteurs sur tout le territoire, c’est-à-dire des sommes investies phénoménales qui ont permis à Huawei de faire de la recherche et développement ;

– enfin, s’il y a beaucoup de recherche effectuée dans le cadre des universités et laboratoires, le passage de la recherche à la technologie, puis de la technologie au produit, puis du produit au marché est un continuum défaillant. Si l’on examine le cas du secteur aéronautique, on constate que l’Airbus fabriqué en Chine consiste essentiellement en de l’assemblage de composants importés et que très peu d’entreprises privées parviennent à créer de nouveaux matériaux composites. Le secteur automobile pourrait aussi être cité en exemple.

Ces limites ne doivent pas conduire à minimiser l’effort considérable de rattrapage technologique, mais à souligner les progrès qui demeurent possibles en termes de compétitivité pour les années à venir, donc les marges de croissance endogènes. Elles dénotent aussi l’intérêt mutuel au développement de la présence d’entreprises étrangères en Chine et des coopérations scientifiques et technologiques.

B. VIVRE AU QUOTIDIEN EN CHINE : LES DÉFIS DU CHANGEMENT SOCIÉTAL, ENVIRONNEMENTAL ET POLITIQUE

Jusqu’à récemment, lorsque les autorités chinoises parlaient de développement, il n’était question que de développement économique. Les choses ont changé, car la Chine a changé. Nul ne sait comment s’opérera le rééquilibrage inévitable entre le politique, l’économique, le social et l’environnemental dans les années à venir, mais le processus est engagé et de multiples paramètres entrent en ligne de compte. La transformation du modèle économique passe par des réponses aux questions de la vie au quotidien en Chine : le problème de la pollution des villes, du vieillissement, des inégalités sociales, de l’emploi, du logement… Ces réponses conditionneront la paix sociale, la stabilité du pays et l’adhésion de la population au régime, quoi qu’il devienne. En effet, les différents mouvements agraires et sociaux et l’émergence d’une classe « « moyenne » renvoient le parti à la question de sa légitimité et poussent à une plus grande ouverture politique. Les questions relatives aux droits et libertés deviennent sensibles pour une partie de la population. L’objet de ce chapitre est de restituer autant que possible ce qu’est la Chine aujourd’hui, comment on y vit, en retenant un certain nombre d’éléments qui nous semblent clé et qui interagissent, conditionnent et contraignent la transformation de l’économie et donc de la société chinoise.

1. Une nouvelle donne sociale

Il est toujours très délicat d’analyser une autre société, son état de développement, ses aspirations. Le propos n’est pas ici de fantasmer l’évolution de la Chine, même si bien sûr c’est tentant, de confronter les grandes théories, de pointer les craquements du système actuel pour opérer des déductions automatiques, ou encore de disserter d’une future « démocratie à la chinoise » dont personne n’a su, ni dessiner les contours, ni esquisser le contenu au cours des auditions et rencontres. Il s’agit plutôt d’un exercice de caléidoscope, de mise en lumière de fragments bien définis, proposant pour l’avenir une infinité de combinaisons.

a. Une société plus riche

Il faut resituer la période actuelle dans l’histoire moderne de la Chine. Depuis la fin du XIXème siècle, la Chine a subi les pires bouleversements de son histoire : les tentatives de colonisation de l’Occident avec les Traités inégaux, la fin de l’Empire, les échecs de la première République, la rivalité entre le parti communiste et le Guomindang, l’invasion japonaise. La République populaire de Chine elle-même a d’abord consisté en des expériences tragiques : le « grand bond en avant » a suscité une famine qui aurait coûté la mort d’environ 30 millions de personnes, la révolution culturelle aurait fait 4 millions de victimes, un adulte sur deux aurait durant cette période subi de graves sévices.

On ne peut pas parler de la Chine d’aujourd’hui et des aspirations de la population chinoise sans comprendre la rupture qu’a constitué le choix qui fut opéré par Deng Xiaoping de changer de modèle économique. Ce choix aboutit certes à un capitalisme sans libéralisme politique, à une croissance porteuse de graves inégalités, d’injustices criantes et de dommages écologiques sévères, mais il est aussi celui qui au nom du « plus jamais ça » aura permis à des centaines de millions d’hommes et de femmes de sortir de la misère et d’assurer un avenir meilleur à leurs enfants. C’est ce qui explique aussi que le pacte passé avec le régime soit jusqu’à ce jour aussi solide.

Les conditions de vie en Chine se sont massivement améliorées. Le PIB chinois par habitant n’atteignait que 2 % du PIB américain en 1978 alors qu’il dépasse aujourd’hui les 10 %. L’espérance de vie y est passée de 45 ans en 1940 à 75 ans en 2011. Les droits économiques et sociaux des personnes ont progressé. La Chine s’est dotée depuis 1986 d’une loi sur la scolarité obligatoire, qui pose le principe d’une scolarité gratuite et obligatoire jusqu’à la fin du collège. L’analphabétisme dans les campagnes a chuté de 82 % à 12 % ces soixante dernières années.

La Chine est passée d’une société rurale pauvre à une société majoritairement urbaine (52 %) à la faveur de migrations massives des paysans vers les villes pour travailler dans les industries ou les services. La ville est devenue le pôle de l’activité économique, les centres villes se sont recomposés et les périphéries urbaines s’étendent à perte de vue mélangeant des zones résidentielles à des aires d’activités de production. Le niveau de vie s’y est amélioré et on relèvera qu’il n’existe pas de bidonvilles en Chine. La Chine de la bicyclette laisse peu à peu la place à celle de l’automobile individuelle ou du scooter électrique. À chaque visite en Chine, on est frappé par les changements intervenus dans des villes qu’on croyait connaître, par leur extension sans fin, par la destruction d’une partie du patrimoine architectural aussi.

Les conditions de travail, certes encore perfectibles, se sont améliorées également. En 1994, la Chine s’est dotée d’une loi sur le travail inspirée des principes de l’Organisation internationale du travail – dont la Chine est l’un des membres fondateurs – ainsi que de la Charte de l’ONU sur les droits sociaux, économiques et culturels que la Chine a signée et ratifiée en 1998. Cette loi stipule que « les travailleurs doivent être égaux devant l’emploi, ont le droit de choisir leur profession, d’obtenir une rémunération pour leur travail, de se reposer et d’avoir des congés, d’avoir une protection concernant leur sécurité et leur santé au travail, de jouir d’une sécurité et d’une prise en charge sociales, de faire appel à la résolution de conflits du travail et de jouir des autres droits du travail stipulés par la loi ». Cette loi a donc en droit une portée universelle, que la Chine a d’ailleurs confirmée en ratifiant la convention de l’OIT relative à la discrimination, en janvier 2006.

b. Des inégalités à corriger

Malgré tous ces progrès, la Chine n’est pas encore un pays avancé. L’indice de développement humain la classe encore au 101ème rang (20). 220 millions de personnes vivent encore aujourd’hui avec moins de 2 dollars par jour et 120 millions avec moins d’un dollar, d’après les chiffres transmis par M. Li Wei, président du Centre de recherche et de développement du Conseil d’État. Le coefficient de Gini qui mesure les inégalités de revenus est très important : il était en 2010 de 0,498 d’après les statistiques onusiennes (0,447 en 2001 (21) ). Il devient donc nécessaire de mieux répartir la richesse nationale, d’autant que la population est de plus en plus sensible aux inégalités sociales, comme en attestent les mouvements sociaux, notamment dans le sud et dans les campagnes.

La Chine se caractérise d’abord par des inégalités sociales marquées : les 10 % de ménages les plus riches se partageraient 52 % de la richesse nationale, avec une concentration chez certains groupes sociaux (militaires, membres de la classe politique, cadres dirigeants des entreprises d’État…). Selon François Godement, des statistiques publiques chinoises établissent que les actifs des 70 membres les plus riches de l’Assemblée nationale populaire représentent 90 milliards de dollars. Les fortunes colossales accumulées par les élites du pays deviennent tout simplement insupportables. La réussite est certes valorisée en Chine, mais les excès sont de moins en moins acceptés.

Ensuite, les inégalités géographiques sont patentes. Il est nécessaire de développer le centre et l’ouest du pays, plus ruraux, pour rééquilibrer l’investissement et la croissance sur le territoire. C’est aussi une question de stabilité. La décentralisation du pouvoir a conféré une puissance à l’argent qui est devenue une donnée essentielle. La compétition entre collectivités est d’ailleurs particulièrement féroce pour attirer les investissements. Ces déséquilibres sont problématiques et pour certains, comme Jean-Luc Domenach, ils posent la question de l’unité du pays : « Que va-t-il se passer dans un pays dont quatre ou cinq provinces, si elles étaient indépendantes, se classeraient parmi les 15 ou 16 premières puissances économiques au monde ? […] Si l’empire vise l’union, de puissantes forces centrifuges s’y exercent. On peut être inquiet pour l’avenir de ce point de vue. Si la prospérité économique perdure, le poids des riches, devenus de plus en plus riches, s’accroîtra. Sinon, les provinces de l’intérieur et leurs garnisons risquent de se réveiller… » (22).

Une autre priorité est de réduire les inégalités d’accès aux prestations, entre ruraux et urbains, et au sein de chacune de ces catégories. Cela concerne l’accès aux soins, au logement, à l’éducation et au bénéfice d’une retraite. Le système socialiste chinois organisait une inégalité entre les ruraux et les urbains et entre les localités, en faisant dépendre les droits et devoirs de l’unité de travail dont dépendait le citoyen. Ce système reposait sur un système d’enregistrement à l’état civil particulièrement contraignant : le hukou, encore en vigueur (23). Encore aujourd’hui, les collectivités locales déterminent leur budget en fonction du nombre de leurs résidents permanents. La question des relations entre l’État central et les Provinces joue donc un rôle décisif dans la politique de réforme. Elles assurent par exemple la prise en charge de l’ancien programme d’assurance sociale des ruraux âgés, si bien que les disparités économiques et les capacités financières entre les gouvernements locaux conditionnent directement le niveau des transferts sociaux que reçoivent les résidents ruraux.

De même pour les anciens salariés, par suite de la privatisation de l’économie engagée dans les années 1990, le niveau de vie diffère en fonction du parcours professionnel. Parmi les anciens salariés d’entreprises d’État, seuls ceux dont l’entreprise n’a pas fait faillite entre-temps ont une pension de retraite garantie. En 2010, seul un retraité chinois sur quatre avait une pension de retraite pour principale source de subsistance. Un autre quart continuait à vivre principalement du revenu de son travail, tandis que la moitié restante subsistait essentiellement grâce à un membre de sa famille (le conjoint ou, souvent, un enfant). Le niveau de vie des personnes âgées reste donc globalement faible, voire très faible, notamment dans les campagnes. En outre, la situation se dégrade avec les effets de la politique de l’enfant unique, responsable de la structure familiale de type « 421 » (4 grands-parents – 2 parents – 1 enfant) qui rend insoutenable l’approche du soutien par la famille.

Le phénomène de migration vers les villes a aggravé les inégalités dès lors que les travailleurs migrants demeuraient administrativement des citoyens ruraux. Sur les 52 % de population urbaine recensée fin 2012, 17 % seraient des migrants privés de titres de séjour (mingong). Les travailleurs migrants restent considérés comme des travailleurs temporaires que l’on peut licencier. Ils sont souvent sous-payés et leurs conditions de travail très dégradées. Les plus pauvres en Chine ne sont pas les ruraux, mais les travailleurs migrants en situation de chômage en ville. Par ailleurs, ils ne jouissent pas des mêmes droits que les urbains en matière d’accès à l’emploi, de rémunération et de conditions de travail, de protection sociale, dont ils sont largement exclus, et d’éducation pour leurs enfants. Depuis une quinzaine d’année, des réformes ont été localement introduites pour permettre l’accès au statut de résident urbain des travailleurs disposant d’un hukou agricole et installés en ville depuis plusieurs années, mais les conditions d’accès demeurent strictes. Des statuts intermédiaires ont aussi été introduits dans les grandes villes. Certaines localités ont supprimé la distinction entre hukou urbain et rural et mis en place une politique d’unification des villes et des campagnes, avec des transferts de fonds dans les districts ruraux pour améliorer les infrastructures et les services publics, fournir de nouveaux logements aux anciens paysans et favoriser leur emploi. L’accès aux écoles leur a été élargi. Mais la grande réforme est toujours attendue.

Enfin, dans les villes, des tensions apparaissent liées au coût de la vie, notamment du logement (la hausse du prix du mètre carré était de 25 % en 2010). Les frais liés à la prise en charge des enfants sont aussi très élevés ; le seul fait d’envoyer son enfant à la crèche peut représenter, pour certaines familles, 30 à 40 % du revenu familial. La Chine ne contribue encore qu’à 1 % des dépenses mondiales d’éducation alors qu’elle concentre près de 20 % de la population mondiale. Les établissements scolaires sont d’un niveau très variable et, outre les détournements de la procédure de rattachement administratif, les écoles privées, onéreuses, se sont multipliées. Le pouvoir d’achat d’une partie des citadins, confrontés à un renchérissement du coût de la vie que les augmentations de salaires ne compensent pas intégralement, se dégrade depuis quelques années.

c. Une société mieux formée, plus ouverte et qui s’individualise

La Chine en réussite aujourd’hui – cette Chine citadine – est celle qui était délaissée il y a quarante ans à la faveur d’une stratégie de développement exactement inverse à la précédente. La décision d’envoyer 300 millions de ruraux chinois vers les villes d’ici 2020 en est la parfaite illustration.

À la création de la République populaire de Chine, le défi à relever était celui des besoins élémentaires, de la famine endémique qui accablait une population en croissance exponentielle. En matière de santé, d’alphabétisation, d’éducation, d’égalité des droits de la femme, les progrès furent remarquables. Mais après l’échec du grand bond en avant, Mao Zedong lance en 1966 la révolution culturelle, voie chinoise du socialisme, rejetant les valeurs culturelles chinoises traditionnelles et dénigrant les intellectuels, les mandarins et les élites. Après les violents troubles de l’année 1967, des millions d’étudiants de la ville sont envoyés vers les campagnes pour être rééduqués, mettant un terme à l’enthousiasme, débordant au sens propre, de cette « génération des jeunes instruits ». Les dérives de la révolution culturelle aboutiront au procès de la Bande des quatre (24), mais aussi à l’appauvrissement universitaire de la Chine. Lorsqu’Alain Mérieux raconte sa première venue en Chine en 1978, après un an de discussion avec le Bureau – il n’y avait pas d’ambassade chinoise à Paris à l’époque – il parle de ce parterre de 80 scientifiques chinois âgés de 70 à 85 ans, formés à l’étranger, en particulier en France, avant la guerre, venus l’écouter présenter les activités scientifiques de l’Institut Mérieux à l’Hôtel de l’amitié à Pékin. Il n’y avait à cette époque pas de scientifique ou universitaire chinois âgé de moins de 50 ans.

Depuis la promulgation de la loi sur l’éducation en 1995 et de la loi sur l’enseignement supérieur en 1998, l’enseignement supérieur chinois s’est profondément transformé : mesures prises pour augmenter les taux d’admission à l’université en 1999, multiplication des établissements, autonomisation et réduction des dotations publiques (40 %). Le nombre d’étudiants est passé de 7 millions en 2000 à 24 millions en 2011 (23 millions inscrits en formation initiale de premier cycle (25) et 1 375 000 en master), après un pic à 27 millions en 2008 (26). 86,5 % des lycéens titulaires du certificat de fin d’études secondaires réussissaient l’examen national d’entrée à l’université, le Gaokao. Près d’un tiers des 18-24 ans suivent ainsi des études supérieures, le gouvernement chinois souhaitant porter cette proportion à 45 % en 2020. Le budget consacré à l’enseignement s’élevait, toujours en 2011, à 69,7 milliards d’euros, dont plus de la moitié (52,7 %) sur dotation du gouvernement central. 2 762 établissements d’enseignement supérieur public étaient recensés (dont 353 pour les formations adultes), auxquels s’ajoutaient 696 établissements privés habilités à délivrer des diplômes.

Pour accompagner ces changements, le gouvernement chinois favorise, depuis 2003, l’internationalisation des universités chinoises, qui se traduit par un soutien à la mobilité des enseignants et des étudiants, avec un objectif de 25 000 bourses pour les étudiants chinois à l’étranger en 2020, et l’encouragement au partenariat avec des établissements étrangers, au nombre de 700 en 2013. Les flux d’étudiants chinois partant à l’étranger sont passés de 20 000 en 1999 à 510 000 en 2012 (27). Mais ce choix du départ à l’étranger ne résulte pas uniquement d’une politique gouvernementale. Beaucoup de jeunes Chinois n’ayant pas obtenu de bonne place à l’université en Chine à l’issue de leurs études secondaires – le Gaokao étant très difficile – ont peu d’alternatives et choisissent plutôt d’effectuer leurs études à l’étranger, pour étudier dans la filière souhaitée ou tout simplement pour bénéficier du prestige que confère cette formation à l’étranger par rapport au fait de suivre des études dans une université de moyenne catégorie. 80 % des étudiants chinois déclarent vouloir étudier à l’étranger, signifiant que leur motivation dépasse les contraintes liées au système éducatif chinois.

Il existe, dans la société chinoise, une aspiration à la mobilité et à la nouveauté. Les Chinois se projettent dans l’avenir, avec confiance.

Les salariés chinois sont particulièrement mobiles. Certes, la rigidité du système du hukou leur pose des difficultés, mais l’attrait d’une vie meilleure les conduit à se déplacer loin de leurs campagnes ou villes natales et à changer encore si nécessaire. 242 millions de travailleurs migrants étaient recensés en 2012. De façon générale la rotation des salariés est un phénomène de grande ampleur en Chine et les entreprises sont d’ailleurs confrontées à un besoin de fidéliser les salariés pour limiter le coût de formation et de gestion des personnels, ce qui explique aussi que le coût du travail ne soit pas si bon marché.

Les entrepreneurs chinois font preuve d’un remarquable dynamisme, même si les conditions d’exploitation des entreprises chinoises se sont durcies. Ils sont très, voire trop optimistes, avec des projections de développement de leur chiffre d’affaires qui démontrent leur envie de créer, de réussir et se traduisent par un engagement au quotidien que l’on peut qualifier d’impressionnant lorsque l’on connaît les conditions d’exploitation.

L’effervescence autour d’Internet est également une bonne illustration de cet état d’esprit. Il y a plus qu’un phénomène de rattrapage si l’on observe par exemple le développement faramineux de la vente en ligne dans tous les domaines avec des délais de livraison d’un jour franc ou encore le nombre de comparateurs de prix. Il existe aujourd’hui un vrai pouvoir des consommateurs.

Les nouvelles générations aspirent en même temps à prendre du bon temps, à accéder aux loisirs, aux vacances, loin de l’image que la population chinoise inspire à l’étranger. Le tourisme se développe, y compris le tourisme individuel. Les huit jours de congés d’été du début du mois d’octobre ont ainsi provoqué un afflux de touristes sans précédent : Shanghai a vu arriver 8 millions de personnes, dont 4 en l’espace de seulement trois jours et près de 430 000 voyageurs ont voyagé au départ d’une des trois gares de Shanghai. Ce mode de congés de masse ne correspond plus à l’évolution sociologique de la Chine marquée par une forte poussée de l’individualisme. 9 millions de touristes ont voyagé hors de Chine continentale en 2012.

Cette montée de l’individualisme se manifeste dans le rapport aux aînés. Selon la loi sur les successions et la loi pénale, tous les citoyens chinois âgés disposent du droit de recevoir un soutien de leur famille. Les jeunes Chinois, qui n’ont pas connu les temps difficiles, vivent de plus en plus comme un fardeau la prise en charge de leurs aînés. La preuve en est l’organisation de campagnes de publicité incitant les jeunes générations à rendre visite à leurs aînés diffusées sur les chaînes officielles chinoises et la modification en décembre 2012 de la loi de protection des droits et des intérêts des personnes âgées pour autoriser les parents délaissés âgés de plus de 60 ans à traîner en justice leurs enfants pour les obliger à des visites régulières sous peine d’une amende ou d’une peine de prison.

2. Un environnement dramatiquement dégradé

L’industrialisation du pays et l’élévation du niveau de vie a un revers : l’environnement y est considérablement dégradé. Cette détérioration généralisée de l’environnement, notamment en zone urbaine, coûte 9 % du PIB selon le rapport de la Banque mondiale « China 2030 ». L’hypercroissance économique produit une crise écologique systémique qui devient un problème majeur de santé publique. Certains cadres d’entreprises commencent d’ailleurs à refuser de partir travailler en Chine pour des raisons de santé.

a. Une pollution insupportable de l’air, de l’eau et des sols 

La Chine est devenue le producteur dominant de charbon au niveau mondial avec 46,4 % de la production en 2012. Elle est fortement dépendante de cette source d’énergie qui représente 70 % de son énergie primaire. Cette augmentation a un impact majeur sur les émissions de CO2 au niveau mondial : 72 % de l’augmentation constatée entre 1997, année de la signature du Protocole de Kyoto, et 2012 est due à l’accroissement de la consommation en Chine. On estime que la circulation automobile (il y a chaque année 250 000 nouvelles voitures rien qu’à Pékin) contribue au quart des émissions de particules fines (PM 2,5, particules dont le diamètre est de 2,5 micromètres et qui pénètrent donc plus profondément dans les poumons) et à 58 % des émissions de monoxyde d’azote – un autre polluant nocif. La Chine est aussi le premier producteur d’oxyde de soufre (responsable des pluies acides), de chlorofluocarbone et autres substances réduisant la couche d’ozone.

Dans les villes, la situation est particulièrement inquiétante. L’empreinte carbone des villes chinoises est spécifique car elles sont de grands centres de production industrielle de biens de consommation et que le mix énergétique chinois est dominé par le charbon. À Pékin ou Shanghai, les émissions carbone proviendraient à 40 % des activités industrielles et 40 % de la production d’électricité. Les nappes phréatiques de la moitié des villes chinoises seraient très polluées et la forte croissance du secteur automobile, de l’industrie et de la dépendance au charbon ont des effets délétères sur la qualité de l’air et sur la santé.

Les niveaux de pollution ont atteint des seuils critiques depuis un an ; c’est ce que les Chinois nomment l’ « Airpocalypse ». En janvier dernier, Pékin était devenue invivable. Le sol était glissant tant le niveau de pollution était élevé. Le 12 janvier 2013, des mesures ont révélé que les particules PM 2,5 avaient atteint 800 microgrammes/m3 d’air. De tels niveaux n’avaient jamais été atteints depuis le début des mesures prises par l’ambassade américaine, en 2008. En temps « normal », les Pékinois sont habitués à des pics à 300 ou 400 μg /m3, ce qui est déjà alarmant si l’on songe que le seuil recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est 25 μg/m3. Une épaisse chape de pollution a recouvert la ville d’Harbin, 11 millions d’habitants, dans le nord de la Chine, au mois d’octobre 2013. Les relevés atmosphériques indiquaient le pic inégalé de 1 000 microgrammes par mètre cube (μg/m3) d’air pour les particules fines PM2,5 présentes dans l’air. C’est quarante fois le seuil recommandé par l’OMS. L’indice de la qualité de l’air de la ville a dépassé les 500, niveau maximal de l’échelle chinoise – sachant qu’un indice supérieur à 300 est considéré comme dangereux pour la santé.

Les incidents environnementaux se sont multipliés depuis plusieurs années, comme la pollution au benzène de la rivière Songjiang en 2005, ou le lac Tai asphyxié par les algues vertes en 2007. Un cinquième des cours d’eau chinois était au plus haut niveau de pollution en 2008. La pollution du Huang He, ou fleuve Jaune, le deuxième plus long de Chine, est désormais tristement célèbre. Déjà très pollué, il a subi le déversement de 150 000 litres de gazole dans deux de ses affluents lorsqu’un oléoduc de la China National Petroleum Corporation (CNPC) a rompu le 30 décembre 2009. Des millions de personnes utilisaient ces eaux pour boire. Il y a eu une première manifestation à Xiamen, au sud de la Chine, en 2007, contre un projet d’usine pétrochimique, puis une à Dalian, dans le Nord-Est, contre un projet du même genre, puis encore une l’an dernier à Ningbo, sur la côte sud-est. Ces mouvements ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes.

La quantité d’eaux usées déversées continue à croître au rythme de plus de 2 % par an. Li Wei, secrétaire de la Fondation pour la protection environnementale de Chine (EPF) a déclaré qu’en 2007, 27,6 % de la qualité de l’eau de surface est tombée en classe 5, niveau le plus faible selon l’Index de la qualité de l’eau. Ces eaux sont ainsi devenues quasiment inutilisables. Le second rapport de l’Estimation nationale de l’eau indique qu’un tiers de l’eau censée être potable en Chine ne l’est pas : un tiers des sources d’eau potable de surface de 1 073 agglomérations ne remplissent pas les critères, de même qu’un tiers des sources souterraines d’eau considérées comme potables (28). La désertification due à la surexploitation aurait affecté plus du quart du pays. Or, alors qu’elle concentre près de 20 % de la population mondiale, le Chine ne dispose que de 8 % des réserves mondiales en eau douce et ses terres arables sont de plus en plus réduites.

Les effets sur la santé sont redoutables. En novembre de cette année, des médecins chinois ont diagnostiqué un cancer du poumon chez une fillette de 8 ans, en attribuant la cause à la pollution atmosphérique. La pollution atmosphérique provoque désormais des centaines de milliers de morts prématurées chaque année en Chine. En trente ans, le nombre de décès dus à des cancers du poumon a été multiplié par plus de quatre dans le pays, selon les autorités sanitaires. Le cancer est notamment devenu la première cause de décès dans la capitale, Pékin.

b. Une insécurité alimentaire inquiétante

La sécurité alimentaire est devenue une préoccupation forte de la population chinoise après la multiplication de nombreux scandales, attestant d’un système de production, conservation et distribution défaillant.

Le principal scandale alimentaire et sanitaire chinois est révélé en mars 2008 : de la mélamine est retrouvée dans le lait en poudre pour nourrissons de la marque Sanlu, très populaire dans le pays. Le composant chimique toxique, utilisé frauduleusement dans l’industrie alimentaire pour faire monter artificiellement le taux de protéine, entraîne la mort de 6 nourrissons et en contamine près de 300 000, qui seront atteints de maladies chroniques. Les autorités ne révèlent le scandale qu’après plusieurs mois. La fraude, organisée à grande échelle, met en cause 22 sociétés laitières chinoises. Début 2009, la justice condamne 21 personnes, dont 3 à des condamnations à mort. Les scandales de lait frelaté sévissent toujours en Chine.

D’autres exemples de scandales alimentaires se sont multipliés depuis, particulièrement dans l’alimentation carnée. Au premier trimestre 2013, les autorités chinoises ont arrêté plus de 900 personnes et saisi plus de 20 000 tonnes de produits carnés frauduleux : des plats à base de rats, renards et produits chimiques estampillés bœuf et mouton, de la viande coupée avec de l’eau ou encore des morceaux avariés. En mars, plus de 16 000 cadavres de porcs sont repêchés dans le principal fleuve qui traverse Shanghai, le Huangpu, et qui compte pour 22 % de la consommation d’eau des 23 millions d’habitants de la mégalopole. L’origine du circovirus porcin vraisemblablement à l’origine des morts est inconnue. Jusqu’en 2012 la mafia locale rachetait les cochons malades morts pour les revendre comme de la viande fraîche sur les marchés de la région. Fin mars 2011, du clenbutérol, un anabolisant, était découvert dans les produits d’une marque qui appartient au premier producteur de porc chinois, le groupe Shanghui, dans la province centrale du Hunan. 113 personnes seront condamnées. En septembre 2011, 32 personnes ont été arrêtées pour avoir produit et écoulé de l’huile frelatée fabriquée à partir de restes prélevés dans le caniveau à la sortie des restaurants. Cette huile pourrait représenter jusqu’à 10 % de l’huile consommée en Chine, selon certaines estimations.

c. Des signes de changement déjà perceptibles

Avant toute chose, le visiteur étranger en Chine sera frappé de constater le nombre de vélos électriques dans la capitale, attestant d’une prise de conscience écologique, tant des usagers que des entreprises produisant et commercialisant ces technologies. L’introduction, dans le rapport du 18ème Congrès du Parti communiste chinois d’un objectif de « construire une civilisation écologique », sur le même plan que le développement économique, signale un engagement renforcé des autorités en faveur d’une croissance plus verte et répond à un nombre grandissant de protestations sociales liées aux dégâts environnementaux. Le rapport rappelle par ailleurs que la Chine travaillera avec la communauté internationale pour répondre activement au problème du changement climatique, même si la priorité est donnée aux problèmes environnementaux qui affectent directement la population.

Concernant l’eau potable, le pays a renforcé les normes sanitaires avec application au 1er juillet 2012 par les compagnies d’eau.

En matière de pollution énergétique, des objectifs chiffrés ont été fixés par le gouvernement chinois en matière d’intensité énergétique (diminution de 16 % de la consommation d’énergie par point de PIB d’ici 2015) et d’intensité carbonique (réduction de 17 % des émissions de CO2 par point de PIB d’ici 2015). Le ministère chinois du logement et du développement urbain et rural (MoHURD) et le ministère de la protection de l’environnement (MEP) ont développé des standards pour les éco-quartiers et désigné des zones modèles ou des villes pilotes. Le MoHURD a lancé un programme de construction de cent villes nouvelles de 200.000 à 400.000 habitants en périphérie des grandes villes et, pour ces villes, des exigences particulières sont fixées en matière de développement durable, comme par exemple une part des énergies renouvelables supérieure à 20 % dans la consommation électrique. La Commission nationale pour la réforme et le développement (NDRC) a désigné en 2010 cinq régions et huit villes comme zones pilotes en matière de développement bas carbone. Elle a aussi désigné cinq villes et deux provinces come zones pilotes pour le développement de marchés carbone. Par ailleurs, de nombreuses villes ont développé des initiatives individuelles en matière de développement bas carbone.

Jusqu’à ce jour, ce volontarisme peine à se traduire par des effets concrets, la désignation de multiples zones pilotes ne constituant pas une politique. La vraie difficulté réside dans le fait qu’une grande partie des ressources financières des municipalités proviennent de la vente des terres, favorisant l’étalement urbain. Le premier axe d’une politique de développement durable des villes serait donc l’amélioration de la production et de la consommation d’énergie. Le second serait d’agir sur les modes de transports : 35 milliards de déplacements ont été recensés en 2010 pour tous les modes de transports : il faut repenser l’espace urbain, développer des transports écologiques et réduire le nombre de véhicules individuels qui ne cesse d’augmenter.

Le 12 septembre 2013, un Plan d’action sur la prévention et la pollution de l’air a été publié, comportant des objectifs chiffrés et des priorités géographiques : réduction de la consommation de charbon en dessous de 65 % de la consommation totale d’énergie primaire d’ici 2017, accroissement de 13 % de la part des énergies non fossiles dans le mix énergétique, progrès notables attendus à Pékin, Tianjin, Hebei, dans la région du delta de Yangtze et celle du delta de la Rivière des perles. Dix mesures sont annoncées. Il s’agit en priorité de contenir les mécontentements d’une population chinoise de plus en plus mobilisée sur les sujets environnementaux.

Il est un autre aspect sur lequel des progrès demeurent nécessaires : celui des droits des victimes de problèmes environnementaux, aussi bien en matière de réparation des préjudices, que d’accès aux soins, pas toujours assuré. Des modifications législatives sont attendues pour permettre l’action collective, mais seules les associations agréées par l’État – pas les organisations non gouvernementales autonomes – pourront agir. Le droit à l’information est également essentiel. Des progrès ont été enregistrés avec la publication d’indications sur la qualité de l’air dans 74 villes, mais sur la pollution aux métaux lourds, pour ne citer que cet exemple, l’information n’est pas assurée.

3. État de droit et régime politique : deux grandes questions

Le précédent ambassadeur de Chine en France se plaisait à souligner que beaucoup d’efforts avaient déjà été fournis en matière de réformes politiques et que plusieurs pistes continueraient à être explorées, parmi lesquelles l’augmentation de la démocratie au sein du parti, le renforcement de l’autogestion à la base et une participation accrue des citoyens dans le processus législatif. Sur ce dernier point, par exemple, les projets de loi sont publiés ou mis en ligne sur le site de l’Assemblée populaire pour recueillir l’avis des citoyens avant leur examen. Mais pour le citer également : « Pour conduire des réformes, trois éléments comptent : le rythme, le moment et l’ampleur ». Qu’en déduire ?

a. Le parti garant de la réforme ?

La Chine présente une singularité par rapport aux autres puissances « émergentes », même si celle-ci ne doit pas nous conduire à l’isoler outre-mesure dans l’analyse des transformations du monde. Sa spécificité est d’avoir très tôt entamé sa mutation politique et que la fin du communisme ne s’y est pas traduite par la fin du parti, un parti communiste chinois de 80 millions de membres – plus que la population française ! Comme le soulignait Stéphanie Balme : « Nous n’y avons pas pris garde parce que sa réforme économique était sa réforme politique ». Le pari chinois aura été celui du développement de la Chine par la « ligne bleue », avec la conviction que la seule structure capable de transformer la Chine est le parti.

En 1989, avec les évènements de la place Tienanmen, lorsque le mouvement démocratique chinois est porté par les étudiants (et pas par les travailleurs comme en Pologne), le bureau politique va estimer qu’il ne parviendra pas à ses objectifs si le débat politique prime sur le politico-économique. La répression est décidée et assumée. Qu’en serait-il aujourd’hui ? On soulignera que le resserrement du Bureau politique du PCC, passé de neuf à sept membres, conduit à concentrer l’équipe sur les défis liés à la croissance et à sortir le responsable de la propagande et celui du comité politico-légal, qui coordonne toutes les institutions politiques et judiciaires, c’est-à dire à évacuer les questions idéologiques et de l’État de droit.

Le choix, renouvelé, d’opter pour la réforme économique comme moyen de faire sortir la population de la pauvreté, ne s’est pas fait sans débats internes. L’adhésion à l’OMC a rencontré des oppositions et il aura fallu convaincre la frange « gauchiste » du parti. Le débat idéologique est une réalité du PCC. On peut diviser les courants en deux groupes :

– ceux pour qui la réforme doit être pensée en dehors du PCC. Ils sont minoritaires : ce sont les dissidents, comme l’artiste Ai Weiwei et les libéraux de la charte 08 (ainsi nommée en écho à la charte de Vaclav Havel). Cette charte est une pétition pour établir un régime démocratique constitutionnel. Liu Xiaobo, prix Nobel de la paix, emprisonné, est à sa tête. Le 26 février 2013, une nouvelle pétition a été signée pour la ratification immédiate de la convention des droits civils et politiques ;

– ceux qui s’inscrivent dans une lutte de factions au sein du Parti. Au-delà de l’opposition bien connue des « fils de Prince » (descendants des fondateurs du régime) et des membres de la Ligue de la jeunesse communiste (cadres issus de familles modestes recrutés par leurs aînés), qui ont plutôt été avantagés lors du dernier renouvellement, on peut les classer en plusieurs familles : les néo-conservateurs, les tenants d’un État policier, les partisans d’un marxisme à la chinoise régénéré, les nationalistes (opposés à l’insertion dans le système international et antijaponais).

La fin de l’ère Hu Jintao s’est caractérisée par des luttes internes très intenses et le renouvellement de l’équipe dirigeante aura été précédé de la chute de l’étoile montante, Bo Xilai, ce fils de prince à la tête de la grande ville de Chongqing (Sichuan), dont on a pensé qu’il pourrait réformer par la voie du populisme et qu’il accèderait au bureau politique. Bo Xilai a été rattrapé par une affaire rocambolesque et son procès qui s’est tenu cette année à Jinan (province de Shandong) pendant cinq jours aura retenu en haleine tout le pays, d’autant que contrairement aux attentes il s’est défendu. Il a été condamné pour corruption, détournement de fonds et abus de pouvoir à la prison à perpétuité, jugement confirmé en octobre 2013. La question de son héritage politique n’a cependant pas été réglée par son procès ; aucune position n’ayant été adoptée sur le fond, et la création d’un parti politique en novembre de cette année par ses partisans rappelle que la lutte de factions n’est pas close.

Pour le moment, le parti est retombé sur ses pieds. Incontestablement, le développement économique conduit à une demande sociale accrue, une contestation plus forte et l’émergence progressive d’une société civile. L’opinion publique, malgré la censure, malgré la désinformation, malgré les pressions diverses, constitue progressivement une force de changement, à mesure que le niveau de vie augmente, que le niveau d’éducation s’élève, que le tourisme se développe, que la société s’émancipe et s’ouvre sur le monde... Schématiquement, la réponse à ce phénomène peut être la réforme politique ou la répression accrue ou les deux, simultanément ou alternativement. Il est probable que la transformation se fera d’abord progressivement au sein du parti et c’est l’idée des néo-conservateurs : la force du parti doit être confortée, dans une vision marxiste de son rôle d’avant-garde. La réforme politique est toujours à l’agenda, mais le parti est confronté à un choix classique : soit il anticipe et maitrise le mouvement, soit il sera débordé par la société civile. Le nombre de lecteurs de L’Ancien régime et la révolution de Tocqueville a dépassé le million ! C’est un signe de la nécessité de la réforme politique, mais aussi de la grande prudence qui est observée. Le choix qui semble fait par le régime chinois est celui de l’expérimentation, du tâtonnement, à l’image de la zone de libre-échange de Shanghai créée cette année. C’est d’ailleurs clairement énoncé par l’annonce d’une « réforme politique active et prudente » lors du 18ème Congrès du parti communiste chinois.

b. Des espaces de respiration dans une société sous contrôle

La Constitution chinoise est formellement assez libérale. Elle reconnaît notamment les droits de l’homme, la liberté d’expression, la liberté d’association, mais le contrôle exercé par le régime encadre fortement leur exercice. Si la société est plus libre, la stabilité est érigée en primat, avec deux grands axes : l’unité du pays et la place du parti communiste chinois.

La souveraineté nationale et l’intégrité territoriale demeurent une priorité et la crainte des séparatismes et des atteintes à l’unité du pays demeure vivace, particulièrement à l’égard du Tibet, pour des raisons qu’il n’est pas utile d’expliciter, et du Xinjiiang, où des troubles se poursuivent après les émeutes, durement réprimées, de 2009 qui avaient déjà fait plus de 200 morts et dont Pékin attribue la responsabilité à des séparatistes Ouïgours terroristes. Les deux provinces posent en outre une autre difficulté : celle de la liberté de conscience et de l’autorité révélée s’agissant du Tibet. En revanche, la liberté de culte est respectée (46 000 moines et 1780 lieux de culte) et les droits économiques sont importants avec des investissements d’ampleur pour développer les régions autonomes, notamment en termes d’infrastructures de transport. Les minorités en Chine bénéficient de droits particuliers, notamment une dérogation à la politique de l’enfant unique, sont bien représentés dans la vie publique (13,69 % de députés issus des minorités ethnique siègent à l’ANP) et il existe de nombreuses radios et chaînes de télévision en langues minoritaires.

S’agissant de Taïwan, la question reste sensible, même si les relations entre les deux rives du détroit se sont améliorées ces dernières années. On notera que depuis quelques années, les Taïwanais ne parlent plus de « Chinois du continent » et de « Chinois de Taïwan » et font désormais la distinction entre Chinois et Taïwanais, ce qui dénote un changement, une rupture de facto de plus en plus forte. Un « Forum de la paix entre les deux rives » s’est tenu les 11 et 12 octobre dernier à Shanghai, organisé par des entités taïwanaises et continentales et regroupant 12 think tank et 120 experts participants. M. Han Zheng, Secrétaire du comité permanent de Shanghai et membre du Bureau politique du Comité central, était présent, signe intéressant.

La liberté d’expression est indéniablement plus importante qu’avant et tous les Français connaissant la Chine depuis plusieurs années s’accordent sur la libération de la parole, dans les villes du moins. La ligne rouge demeure bien entendu la remise en cause du pouvoir du parti, limite qui pèse particulièrement sur les journalistes professionnels, mais aussi sur les associations.

L’ère numérique dans laquelle est entrée la Chine apporte incontestablement des bouleversements, car l’instantanéité de la circulation des paroles, des images et des idées voue à l’échec toute tentative de contrôle. Lorsqu’une page est supprimée d’un blog, elle a déjà été citée, commentée, rediffusée etc. L’accès à Internet et le succès des réseaux sociaux (Weibo – le Twitter chinois) sont donc moteurs de changement. En juin 2013, on recensait 530 millions d’internautes en Chine, soit 44 % de la population. Ces nouveaux espaces de communication et d’information délient particulièrement la parole en matière de corruption et d’inégalités. Des images de montres coûteuses, de réceptions circulent, avec un effet dévastateur. La toile est aussi devenue un lieu d’expression assez libre, d’humour parfois caustique (29).

Les médias, les professionnels du droit et les jeunes internautes deviennent des forces de pression qui réclament des comptes au parti et à l’État. Certaines initiatives peuvent obliger les pouvoirs publics à agir. C’est Internet qui a révélé l’utilisation par Bo Xilai du système de rééducation par le travail (laojao), institué en 1957, et dont le Premier ministre Li Keqiang a annoncé la disparition dès le printemps dernier. Sur simple décision de police, ce système permettait d'envoyer dans les camps des personnes pour une durée allant jusqu'à quatre ans, sans passer par les tribunaux. À l’issue du Troisième Plénum, l’abolition du système a été confirmée. Le système des pétitionnaires a lui aussi évolué : les demandes portent maintenant au-delà de la situation personnelle des plaignants, par exemple sur les déclarations de patrimoine des fonctionnaires. Si la peine de mort continue à être décrétée – le nombre d’exécution est estimé entre 4000 et 5000 par an – une réforme graduelle de son application a été annoncée, notamment en modifiant la liste des peines et délits passibles de la peine capitale.

Des milliers de mouvements de protestations ont lieu chaque année en Chine. Néanmoins, les limites au droit à l’action collective rendent difficile la structuration des mouvements en faveur des droits civils et politiques. La liberté d’association est garantie par la constitution chinoise, mais en pratique son exercice est très contrôlé. Il n’existe ainsi pas de partis politiques alternatifs au PCC (le parti démocratique interdit n’a pas su se constituer en force d’opposition à l’étranger et les partis existants, qui datent des années 1940, ne sont pas crédibles par manque de structuration et d’institutionnalisation). La reconnaissance effective du droit de négociation collective ainsi que du droit de grève n’existent pas non plus. Il n’y a pas de syndicalisme autonome et les situations sont traitées au cas par cas.

Des actions collectives se traduisent par des changements législatifs et la réduction des discriminations est avérée. Une loi de 2008 prévoit ainsi un quota d’embauche des handicapés de 1,5 % dont la mise en œuvre a été renforcée fin août 2013. L’homosexualité a été retirée de la liste des maladies mentales et n’est plus interdite, même si des discriminations au quotidien demeurent. Des actions pour l’élargissement des droits des travailleurs migrants ont eu quelques résultats. L’action en justice reste cependant un parcours semé d’embuches, les plaintes n’étant parfois pas examinées. La vigilance est également de mise dès lors que l’État considère de plus en plus les associations comme des délégataires de services, amenuisant leur autonomie d’action. Mais les associations qui se sont constituées, notamment pour apporter une aide juridique, ont à cœur de jouer un rôle d’exemple pour démontrer que les citoyens peuvent exercer une influence.

Les juristes ont aussi beaucoup stimulé le débat d’idées sur les institutions. Une réforme, conservatrice et structurante, consistant à développer le constitutionnalisme, a fait l’objet de nombreux travaux, car le renforcement de l’Etat de droit est une préoccupation partagée en Chine. Le parti serait alors obligé de respecter une constitution, un contrôle de constitutionnalité et de légalité serait introduit et la cour constitutionnelle pourrait s’émanciper. Ce serait le début de la fin de la confusion totale du pouvoir. Des brèches ont été ouvertes pour amorcer une forme de séparation des pouvoirs et renforcer un système judiciaire autonomisée. Notamment, la procédure pénale a été réformée, avec l’amélioration de l’accès des avocats à leurs clients et de la reconnaissance de leur immunité judiciaire à la suite de la modification de la loi pénale le 14 mars 2012, même si un avocat ne peut toujours pas assister aux interrogatoires. Il était aussi question de réformer le système des pétitionnaires.

c. Le changement dans la continuité ?

L’arrivée de la nouvelle équipe avait suscité des espoirs de réformes politiques, notamment parce que le père de l’actuel Président était un réformateur. L’année 2008 avait constitué un tournant avec une aggravation de la pression politique et de la répression, dans le contexte des Jeux Olympiques à Pékin et de la Charte 08, et l’effet de balancier inverse était attendu.

La première année du nouveau pouvoir s’est surtout caractérisée par une reconquête de l’opinion publique et un renforcement de l’autorité des nouveaux dirigeants, qui ont engagé une campagne anti-corruption fracassante contre les responsables corrompus, s’en prenant aux « tigres » comme aux « mouches ». Concernant les « tigres », on notera les condamnations spectaculaires de Li Chungcheng et Deng Hong au Sichuan, celle de Huang Sheng, ancien gouverneur du Shandong, les enquêtes ouvertes contre Jiang Jiemin, ancien président de Petrochina, contre Ji Jianye, le maire de Nankin et contre l’ancien membre du Comité permanent du bureau politique Zhou Yongkang. Les informations concernant la corruption des fonctionnaires font désormais l’objet d’un régime spécial : le porte-parole de la Cour suprême, Sun Jungong, a insisté, lors de la présentation des nouvelles directives, sur le fait que « les internautes qui mettent en ligne des allégations de corruption de la part d’officiels ne seront pas tenus responsables si ces informations s’avèrent contenir des erreurs factuelles, dans la mesure où ils ne les ont pas fabriquées intentionnellement ». Une révision du code pénal chinois avait déjà introduit en mai 2011 le délit de corruption de fonctionnaires internationaux.

La nouvelle idéologie du « rêve chinois » dénote un regain de confiance dans la puissance du parti, sortie renforcée de la lutte contre la corruption, et certains évoquent une reprise en main porteuse d’une répression accrue. Quelques avancées sur le plan des droits sont à signaler, mais elles sont timides et la piste du constitutionnalisme semble écartée. Il est cependant trop tôt pour tirer des jugements définitifs et les gestes positifs doivent être confortés.

Concernant les régions autonomes, les progrès ne sont guère perceptibles. Plus de 100 morts ont été recensés entre avril et août 2013 dans la province du Xinjiang. La vague d’immolation des moines tibétains se prolonge depuis 2011 (plus de 100 morts également) et la criminalisation des immolations est particulièrement choquante. Les déplacements pour ces populations sont fortement limités, notamment via l’obtention de passeports, et les autorisations administratives pour se rendre dans ces deux régions sont nombreuses. Toutefois, la visite au Tibet du Représentant spécial de l’Union européenne pour les droits de l’homme, pendant plusieurs jours en septembre de cette année, annonce peut-être un assouplissement des contraintes après une période de crispation intense.

Concernant les opposants politiques, on rappellera que le prix Nobel de la paix Liu Xiaobo est encore emprisonné pour délit d’opinion, sachant qu’il défend des idées très modérées. Sa femme Liu Xia a été inquiétée, comme d’autres proches de personnes arrêtées, ce qui est particulièrement préoccupant. Parmi les autres personnalités engagées emprisonnées pour leurs opinions figurent Chen Xi et Chen Wei (depuis 2011), Mao Hengfeng et Xu Zhiyong (depuis cette année). Signalons cependant que l’avocate Ni Yulan, souffrant de problèmes de santé, emprisonnée en 2012, a récemment été libérée.

Concernant la liberté d’expression, la blogosphère est une caisse de résonance difficilement contrôlable. La situation des internautes a été fragilisée par l’obligation qui leur est faite depuis 2012 de s’inscrire sous leur identité réelle. Surtout, la campagne contre les propagateurs de rumeurs sur Internet a pris une tournure inattendue en Chine avec la publication lundi 9 septembre 2013 de nouvelles directives par la Cour suprême et le parquet, qui clarifient les limites à ne pas franchir. Ainsi des billets de microblogs constitués de « fausses informations » et dont l’impact est jugé « sérieux » car ils auront été « vus » plus de 5 000 fois ou « retweettés » plus de 500 fois : les auteurs seront jugés au pénal et encourent jusqu’à trois ans de prison. Un message diffamatoire ne peut donner lieu à des poursuites que si la victime porte plainte, précisent les directives, excepté dans sept cas : quand la rumeur déclenche une manifestation de masse, une crise sociale, un conflit interethnique ou interconfessionnel, ou quand elle nuit à l’image de l’État, aux intérêts nationaux et à l’image de la Chine à l’étranger. Cette liste est bien longue… Selon Reporter sans frontières, la Chine est la plus grande prison au monde pour les journalistes, bloggeurs et cyberdissidents (au moins une centaine) et des arrestations ont lieu chaque jour ou parfois de simples convocations. Les « grands V » (utilisateurs aux très nombreux suiveurs ou « followers ») seraient particulièrement concernés. Le cas de Charles Xue, bloggeur sino-américain est souvent cité, ou encore ceux de Zhou Lubao ou le journaliste Liu Hu.

Certains considèrent que l’émergence d’une « démocratie numérique » était illusoire, que l’Internet n’aura pas permis de structurer un débat public et constatent que le phénomène Weibo s’essouffle (l’activité aurait diminué d’un quart au premier semestre 2013), ce qui s’explique aussi par le succès d’applications mobiles de messagerie instantanée (WeChat notamment) qui ne répondent pas aux mêmes usages. D’autres imputent cet échec à la pression exercée sur les internautes. L’espace de dénonciation que constitue la Toile dans la campagne anti-corruption de la nouvelle équipe dirigeante est aussi un moyen pour le régime de rallier l’opinion publique, écœurée des pratiques qui se sont généralisées ces dernières années. Les officiels sont très nombreux à poster. La publication en ligne des procès-verbaux du procès de Bo Xilai est le signe d’une appropriation par le pouvoir de l’outil numérique.

C. FAIRE DES AFFAIRES EN CHINE AUJOURD’HUI : ENTRE DIFFICULTÉS ET OPPORTUNITÉS

Si la Chine parvient à transformer son modèle économique pour l’asseoir sur la consommation intérieure, les besoins des entreprises et des consommateurs chinois prendront le pas, progressivement, sur ceux des consommateurs occidentaux comme moteur de la croissance chinoise. La vie des entreprises et le partage de la production, notamment entre entreprises étrangères et chinoises, dépendront de multiples facteurs, mais particulièrement, outre celui de la politique monétaire et du taux de change, des conditions d’accès au marché et de l’adaptation de l’offre des différents acteurs à la demande.

La présente sous-partie s’attache donc à présenter les conditions actuelles du marché chinois pour les entreprises et les évolutions possibles et souhaitables, avec en arrière-plan la récente décision, potentiellement majeure, d’ouvrir une zone de libre-échange à Shanghai. Pour les entreprises, le climat des affaires est aujourd’hui plus difficile, sans doute parce que, si la croissance reste élevée, comme le soulignait Charles-Edouard Bouée (30), « on ressent toujours fortement une décélération [ ;] en période de décélération, elles doivent désormais devenir plus rentables, alors qu’avant elles devaient conquérir des marchés. ».

1. La place de l’État dans l’économie rend le marché difficile

a. La place respective des entreprises publiques et du secteur privé

Un élément déterminant pour les années à venir est celui de trouver le juste équilibre entre le rôle du gouvernement et celui du marché, comme principe directeur des réformes à mener. Comme le souligne le dernier Position paper de la Chambre de commerce européenne en Chine de septembre 2013, il faudrait que l’État soit moins interventionniste mais plus régulateur pour assurer l’efficacité économique. Le rapport du 18ème Congrès du PCC, sans apporter de bouleversement, a émis l’idée nouvelle d’assurer que toutes les entités économiques, qu’elles soient entreprises d’État ou entreprises privées, chinoises ou étrangères, aient un accès égal aux facteurs de production en accord avec la loi, et soient en concurrence selon des règles du jeu équitables. Le troisième Plénum était particulièrement attendu sur cette question et a confirmé le rééquilibrage entre le rôle de l’État et des grandes entreprises publiques, d’une part, et le marché, d’autre part.

Jusqu’à présent, les entreprises d’État ont bénéficié d’un accès préférentiel au financement et à la terre, tout en étant exemptes de taxes (il avait été préféré un système de paiement de dividendes à l’État, qui résultait cependant en des subsides indirectes supplémentaires). Alors que les entreprises chinoises, et notamment les entreprises d’État, sont de plus en plus présentes à l’international, les tensions et critiques pointant un appui de la part du gouvernement chinois biaisant la concurrence se font de plus en plus nombreuses. L’environnement des affaires reste marqué par le poids des grands groupes d’État (120 grands groupes de taille internationale contrôlés par un ministère dédié, auxquelles il faut ajouter 60 entreprises spécialisées liées à l’industrie de la défense), particulièrement dans les secteurs stratégiques, et les grands groupes chinois privés sont en réalité fortement liés à l’État (Huawei est l’entreprise chinoise qui a bénéficié le plus du soutien de la China development bank).

À dire vrai, la situation s’est dégradée pour les sociétés privées depuis 2008, alors que 80 % de l’emploi urbain est fourni par les PME et qu’elles avaient joué un rôle essentiel dans le développement de la Chine au début des années 2000. Le secteur d’État était en diminution continue à la faveur des réformes engagées par Deng Xiaoping puis Zhu Rongji, qui se sont traduites par le développement du secteur privé à partir des zones franches du sud, à partir notamment de capitaux hongkongais et taiwanais. L’année 2008 a constitué une rupture de ce point de vue et la part du secteur privé marque le pas. Le plan de stimulation de l’économie a en effet essentiellement consisté à octroyer des crédits aux collectivités locales et aux grandes entreprises d’État.

Quatre types de difficultés se posent pour l’exploitation des entreprises privées :

– le système bancaire chinois : Il s’agit d’un système bancaire étatique, fonctionnant comme une grosse administration et dont la politique de crédit est assez simple : prêter d’abord aux entreprises d’État et aux collectivités territoriales et ensuite aux entreprises privées dans deux cas de figure : l’entreprise est propriétaire de son terrain et le prêt est accordée sur la valeur du terrain (sans considération pour l’équipement et encore moins l’exploitation) ou l’entreprise exerce dans certains domaines sur intervention des collectivités locales dans le cadre de la planification économique. En juillet dernier, l’encadrement du coût du crédit proposé par les banques a été levé (mais le plafonnement de la rémunération de l’épargne, dont le taux est fixé administrativement, a été maintenu). Beaucoup d’entreprises ne trouvent pas de financement et utilisent des solutions alternatives risquées et coûteuses. Une des réformes prioritaires aujourd’hui est de réformer le système bancaire pour qu’il puisse financer les PME. Il n’existe pas d’établissement spécialisé, l’approche du risque-crédit est très limitée et plus généralement il n’y a pas de culture du crédit ;

– les surcapacités : Elles ont pour conséquences des marges très faibles pour les entrepreneurs confrontés à une concurrence acharnée ;

– l’augmentation des coûts : Si elle traduit un rééquilibrage positif de l’économie chinoise, cette augmentation des coûts est difficile à absorber ;

– les délais de paiement : Depuis deux ans, on observe que les entreprises privées sont confrontées à un problème aigu de trésorerie en raison de délais de paiement considérables, notamment dans l’industrie manufacturière. Quelques fois, les entreprises publiques donneuses d’ordre payent leurs achats après 18 ou 24 mois.

L’ensemble de ces facteurs explique une situation plus difficile des entreprises privées, y compris dans des secteurs technologiques.

b. Les restrictions à l’accès au marché imposées aux entreprises étrangères

Les obstacles au marché en Chine sont assez classiques. En cela, la Chine ne se distingue pas particulièrement du reste des BRICS, voire d’États avancés. Il faut donc avoir une vision raisonnée de la Chine. En matière de marchés publics, pour prendre ce seul exemple, le Brésil, n’est pas plus ouvert à la notion de juste échange, sans parler de la Russie. La particularité de la Chine tient à son poids économique et à sa compétitivité, qui justifieraient des conditions plus équitables, notamment pour les entreprises qui investissent en Chine et y produisent de la richesse.

S’agissant des marchés publics, le principe est simple : il est fermé sauf à accepter l’implantation en Chine des centres de technologies et à transférer la propriété intellectuelle. La Chine a adopté, en décembre 2010, une loi sur l’innovation indigène stipulant que les entités publiques devaient acheter uniquement des produits développés par la Chine et dont le pays possédait la propriété intellectuelle.

Pour le reste, longtemps, l’accès au marché chinois a été limité aux joint-ventures dans des secteurs spécifiques (équipements électroniques, aliments transformés, biens de consommation, secteur pharmaceutique…), mais l’adhésion à l’OMC en décembre 2001 a changé la donne : les barrières aux investissements étrangers ont été levées dans des secteurs comme les produits chimiques, la distribution, la construction, la vente au détail, la banque et l’assurance, les services comptables et juridiques. Aujourd’hui, un catalogue des investissements étrangers recense les domaines d’activité dans lesquels ceux-ci sont encouragés (pièces aérospatiales, pompes turbines..), limités (production de riz, exploitation de minéraux…) ou interdits (distribution du courrier postal, agences de presse, préparation traditionnelle à base de thé...). Il est élaboré conjointement par la Commission nationale pour le développement et la réforme (NDRC) et le ministère du Commerce (MofCOM).

Des améliorations ont été apportées à ce catalogue. Néanmoins, d’une part, les amendements de décembre 2011, entrés en vigueur le 30 janvier 2012, ont été jugés décevants, notamment du fait de la libéralisation d’un nombre limité de nouveaux secteurs, voire de la fermeture de certains (batteries pour véhicules électriques notamment et deux reculs curieux concernant la construction de clubs de golf et de villas). D’autre part, avec l’adoption en 2011 de la Revue nationale de sécurité, la Chine s’est dotée d’un nouvel instrument susceptible de limiter les acquisitions par des entreprises étrangères, pour des motifs de sécurité nationale. Si le mécanisme existe dans un grand nombre de pays, l’application qui en est faite en Chine semble s’étendre à des secteurs beaucoup plus nombreux, allant au-delà des critères établis en la matière par l’OCDE. Mis en œuvre pour la première fois à la fin de l’année 2012 contre une société européenne, ce dispositif peut être vu comme un nouveau vecteur d’incertitude et de découragement pour les investisseurs étrangers. Enfin, dans l’ensemble des secteurs énumérés dans le catalogue, la procédure d’autorisation administrative préalable peut donner lieu à des interprétations divergentes selon les administrations ou les provinces concernées.

En outre, les entreprises implantées en Chine font état de restrictions nouvelles sur des secteurs jugés stratégiques par les autorités chinoises, soit par l’imposition de règles, écrites ou non écrites, de sinisation, soit sous la forme de pressions diverses ou d’exclusions ressenties comme arbitraires. Ce sont évidemment les pratiques informelles qui sont les plus problématiques. C’est la raison pour laquelle, la demande portée en 2012 par la Chambre européenne de commerce en Chine (Position paper 2012/2013) était d’assurer un accès égal au marché, y compris d’ailleurs pour les entreprises privées chinoises.

Exemples de contraintes nouvelles

– Le marché de la poudre de lait infantile, sujet hautement sensible au regard des problèmes de sécurité alimentaire révélés en 2008 par la présence de mélamine dans un lait de fabrication locale. Ce scandale a profité aux producteurs étrangers implantés en Chine. Mais la riposte s’amorce, aussi bien par l’acquisition à l’étranger d’usines de production, que par différentes actions tendant à favoriser les producteurs locaux. Il y a d’abord la mise au point d’une réglementation chinoise visant à interdire certaines méthodes de production qui correspondent à celles utilisées par les entreprises étrangères (fabrication à partir de lait en poudre). Il y a ensuite des pressions sur les prix avec des amendes infligées pour entente sur les prix à plusieurs entreprises en août dernier, dont Danone, pour un montant global de 83 millions d’euros. Il y a enfin une multiplication des allégations de corruption à l’encontre des sociétés étrangères qui interpelle. Ainsi, début septembre, la chaîne publique CCTV a mis en cause la marque de lait infantile du groupe Danone en Chine, révélant que sa filiale Dumex aurait versé de l’argent à des salariés d’un hôpital de Tianjin pour que ses produits soient utilisés pour nourrir des nouveau-nés. CCTV a cité un lanceur d’alerte non identifié disposant de fichiers informatiques montrant que Dumex avait versé près de 500 000 yuans (60 500 euros) au cours du seul mois d’avril à des membres du personnel médical de sept provinces du nord de la Chine. Dumex a annoncé lundi 23 septembre avoir ouvert une enquête.

– La profession d’auditeurs, avec une tendance très nette à la réappropriation de son contrôle par le gouvernement chinois, sujet également stratégique en termes de maîtrise des révélations de malversations comptables. Cela se traduit par deux démarches : l’introduction d’une obligation de direction par des Chinois et une proportion d’associés non citoyens chinois limitée à 20 % et soumise à l’obligation de diplôme chinois ; l’identification de treize cabinets pouvant exercer un contrôle sur les sociétés cotées (en Yuan et aux standards chinois) et de quatre parmi celles-ci pouvant contrôler en standards internationaux et en autres monnaies, ce qui pose un problème de crédibilité et d’expérience.

– Le contrôle très strict dans les secteurs de la santé et des cosmétiques. Les prix des médicaments produits par les laboratoires occidentaux ont ainsi subi plusieurs baisses de prix autoritaires successives. Les protestations ont cependant permis le retrait d’un projet de loi

qui visait à exclure les industries pharmaceutiques étrangères des appels d’offres hospitaliers. Le secteur pharmaceutique fait lui aussi l’objet d’une série d’enquêtes pour corruption, qui renforce par ailleurs la pression dans la perspective d’une réduction des prix des médicaments. Pour les cosmétiques, la nouvelle réglementation relative à la délivrance des licences a introduit des exigences supplémentaires en matière de transmission des informations sur les ingrédients, sous couvert de sécurité sanitaire ; de telles exigences n’existent nulle part ailleurs au monde. En 2012, seules 500 homologations ont été accordées (au lieu des 10 à 12 000 homologations annuelles). Mais les vraies difficultés se profilent avec le renouvellement en 2015 de l’ensemble des licences, délivrées pour cinq ans, alors que le problème ne se pose pour l’instant que pour l’enregistrement de nouveaux produits.

– Les conditions ou obstacles informels : La mise en œuvre de la réglementation relative à l’ouverture de succursales pour les établissements de crédit est en pratique conditionnée au respect de certains équilibres géographiques. De même, dans le domaine des semences agricoles, il apparaît qu’il n’est possible d’effectuer un enregistrement que dans une à trois provinces, obligeant à s’associer à un partenaire chinois pour bénéficier d’une protection contre les tiers, car les sociétés chinoises ne sont soumises à aucune limitation, étant précisé qu’une seule joint-venture est aussi en pratique autorisée. On notera que la protection ne joue pas vis-à-vis du partenaire chinois…

Le climat des affaires est devenu plus difficile pour les investisseurs étrangers. Cela tient aux freins à leur présence, mais aussi beaucoup à la concurrence accrue des sociétés chinoises et à l’augmentation des coûts, c'est-à-dire à la fin des conditions très privilégiées qui étaient les leurs. Selon les derniers rapports de la Chambre de commerce américaine, en mars 2010, 38 % des entreprises américaines ne se sentent plus bienvenues en Chine. Cependant, des initiatives récentes sont encourageantes. C’est le cas par exemple du catalogue des investissements étrangers pour les provinces du Centre et de l’Ouest, plus incitatif au développement de l’investissement étranger. C’est surtout le cas de la création d’une zone de libre-échange à Shanghai.

Les autorités chinoises ont dévoilé, vendredi 27 septembre 2013, leur projet pour la future zone franche de Shanghai (ZFS) : quatre zones franches préexistantes autour de plusieurs ports de marchandises et de l’aéroport international, toutes dans le quartier de Pudong, sont réunies pour former un laboratoire de l’ouverture économique de 29 kilomètres carrés. Naturellement, comme dans toute zone franche, une fiscalité avantageuse est instituée et des infrastructures de logistique et de transport déployées. Mais la libéralisation dont il est cette fois question est beaucoup plus ambitieuse en couvrant des domaines bien plus larges. Le projet officiel du Conseil des affaires de l’État prévoit ainsi que la Chine autorisera dans cette zone, à titre expérimental, la libre convertibilité du yuan sur les comptes de capitaux, des échanges transfrontaliers de sa devise, y testera une libéralisation des taux d’intérêt et que les restrictions sur les investissements étrangers seront également assouplies dans la ZFS à partir du 1er octobre 2013 (31) . La zone franche « devrait être le champ d’expérimentation pour promouvoir les réformes, poursuivre l’ouverture de l’économie, ainsi que pour éprouver des expériences qui pourront être dupliquées » a souligné le Conseil. Un canal direct a été créé entre la municipalité de Shanghai et les services du premier ministre pour sa mise en œuvre, qui suscite des craintes pour la résilience des acteurs chinois et le contrôle des mouvements de capitaux.

Les commentateurs n’ont pas manqué de faire le parallèle avec les réformes engagées il y a trente-quatre ans à Shenzhen et dans trois autres zones économiques spéciales qui changèrent radicalement le cours de l’histoire chinoise, lorsque Xi Zhongxun, alors gouverneur de la province du Guangdong, le père du Président actuel Xi Jinping, avait suggéré à Deng Xiaoping d’engager localement la libéralisation économique aux portes de Hongkong pour créer un effet d’entrainement sur tout le territoire. Cette zone sera-t-elle, après l’ouverture économique et l’accession à l’OMC, un nouveau tournant pour l’économie chinoise ? A contrario, si cette zone devait n’être qu’une coquille vide, c’est la crédibilité de la réforme, nécessaire et annoncée, qui serait atteinte.

La zone de libre-échange de Shanghai

En premier lieu, les règles régissant les activités des sociétés étrangères et de leurs coentreprises avec des sociétés chinoises sont « temporairement ajustées » pour trois ans, depuis le 1er octobre. Les activités seront régulées par « liste négative » ; en d’autres termes, toute activité n’étant pas spécialement prohibée sera tolérée. On notera toutefois que la liste publiée n’introduit pas de changement notable par rapport au catalogue des activités interdites ou restreintes. Concrètement, les procédures d’approbation des autorités du Commerce ont été suspendues dès le 30 septembre.

La Chine assouplit ses réglementations sur les échanges commerciaux, ainsi que dans dix-huit autres secteurs de services, allant de la finance au fret maritime, en passant par l’industrie culturelle. Il s’agit donc d’une « zone grise » avec une ouverture sous conditions. Les procédures administratives relatives aux investissements dans les secteurs de cette liste sont allégées (simple enregistrement au bureau de l’Industrie et du commerce de la zone et délivrance de la licence d’activité dans un délai maximum de quatre jours). Il sera possible de s’essayer au trading des denrées et matières premières, alors que c’est Singapour qui, jusqu’à présent, s’est imposé en Asie dans ce domaine. Les établissements chinois pourront mener dans la ZFS des opérations offshore, tandis que les institutions financières internationales seront autorisées à établir des banques à capitaux strictement étrangers, ou des coentreprises à capitaux privés.

La convertibilité du yuan pour les transactions financières sera mise à l’essai, de même que la fixation des taux d’intérêt par le marché sur les crédits bancaires. Ces deux libéralisations seront néanmoins conditionnées à la possibilité de « contrôler le risque », formulation qui suscite des interrogations. Concernant la convertibilité du yuan, pour l’heure échangeable que dans les transactions commerciales et les déplacements personnels hors des frontières, il s’agit d’une petite révolution qui affectera évidemment Hongkong, plate-forme incontournable de la région pour les banques du monde entier. HSBC et Standard Chartered, très présentes sur le yuan off-shore à Hongkong, discutent avec les autorités de Chine continentale et il serait évidemment très dommageable que la place de Paris ne se mobilise pas à la hauteur de l’enjeu. Même si cette partie du projet prendra logiquement plus de temps que celle relative au commerce et aux investissements, c’est dès à présent qu’il faut se positionner. Les modalités et le calendrier de mise en œuvre sont toujours attendus ; la date du 1er janvier 2014 est évoquée.

c. La propriété intellectuelle, les transferts de technologie et le dualisme

Les entreprises en Chine sont confrontées à une protection précaire de la propriété intellectuelle. La copie et la contrefaçon sont courantes. Les entreprises chinoises en sont d’ailleurs les premières victimes (95 % des plaintes déposées sont le fait d’entreprises chinoises). Il est essentiel pour une entreprise de déposer au plus tôt ses marques et brevets. Des avancées juridiques incontestables sont intervenues car il en va du développement des sociétés chinoises. Publiée en 2008 par le Conseil des Affaires d’État, la Stratégie nationale en matière de propriété intellectuelle fixe les grandes orientations avec pour mission de faire émerger des champions nationaux aux droits protégés, comme leurs concurrents étrangers, et de favoriser le développement de l’innovation indigène. La loi sur les brevets a été refondue en 2009. Certaines mesures vont dans le sens de l’amélioration de la propriété intellectuelle, notamment l’introduction d’un critère de nouveauté absolue. En revanche, une procédure administrative d’autorisation des extensions à l’étranger des inventions réalisées en Chine pourrait heurter l’intérêt des entreprises étrangères exposées au risque de voir les innovations technologiques réalisées en Chine cantonnées à ce pays.

Des avancées récentes doivent être soulignées en matière de protection des indications géographiques. Cinq IG françaises y ont été enregistrées : « Cognac », « Comté », « Roquefort », « Pruneau d’Agen », « Champagne ». Cependant, le faible niveau de protection des IG dans les faits (jurisprudence peu favorable) et la faible cohérence entre les systèmes de marque et d’IG, qui coexistent indépendamment, explique que nos opérateurs engagent en parallèle une procédure d’enregistrement de marque. Ainsi, la SAIC (State Administration for Industry and Commerce) permet d’enregistrer les IG en tant que marque collective ou marque de certification : ainsi « Champagne » et « Bordeaux » ont été enregistrées. Les dépôts de marques usurpant ou détournant la notoriété des appellations françaises (viticoles en majorité) sont en augmentation. L’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité) a réussi faire annuler ces dépôts en prouvant la notoriété géographique du nom « Bordeaux » ou « Champagne », mais n’a pas obtenu gain de cause pour « Beaujolais », « Sauternes » ou « Médoc ». Récemment, les noms « Pays d’Oc » et « Roussillon » ont été déposés en Chine.

Il est donc difficile de se prononcer sur la question de savoir si la protection de la propriété intellectuelle a progressé car elle est largement tributaire de la qualité de la mise en œuvre des dispositions légales.

Concernant les transferts de technologies, la captation de technologie est consubstantielle au principe du partenariat. L’obligation de siniser les entreprises, les obligations de joint-venture dans certains secteurs appellent une vigilance pour sanctuariser des domaines-clé (position de management, protection du capital intellectuel, propriété intellectuelle et brevets) et disposer de binômes de négociation de même niveau sont des éléments-clé. Mais il faut être conscient que l’on ne peut tout simplement plus aller en Chine si l’on ne partage pas et que la seule question est celle de l’avance scientifique et technologique, ce qui suppose d’investir de manière continue dans la recherche et l’innovation.

Cette question des transferts de technologies appelle néanmoins une attention particulière s’agissant de la recherche commune, non seulement pour protéger nos entreprises, mais aussi pour se prémunir de certaines utilisations. La Chine, se présentant comme un pays en développement demandeur de transfert de technologies civiles, valorise ces laboratoires conjoints. De grands bassins industriels (pôles de compétitivité) ont été édifiés en Chine à la fin des années 1980 et abritent un mélange d’entités de recherches, de laboratoires, d’instituts de recherche des industries de défense et d’industries étrangères (par exemple au nord-est de Pékin, où est née la firme Lenovo, à Shenzhen où Orange est implantée, à Hangzhou, à Wuhan ou encore la zone économique spéciale de Canton). Il s’agit d’interfaces notamment conçues pour développer et capter des technologies. On y développe beaucoup d’applications et s’y pratique la méthode dite du « Shanzhai », c’est-à-dire l’amélioration « incrémentale » des plateformes étrangères. La Chine a ainsi produit « l’Iphone 6 » et en a déposé le nom. Cela peut faire sourire, mais ces améliorations sont aussi produites sur des applications sensibles, comme les polymères ou dans le domaine des énergies renouvelables par exemple.

Or, tenant compte de l’obstacle que constitue le déficit d’innovation en Chine, une porosité entre les industries militaires et civiles a été introduite, tendant à permettre aux premières de bénéficier des ressources et résultats des secondes. L’expression utilisée officiellement et publiquement est la suivante : « localiser les ressources militaires au sein des ressources civiles ». Ce retournement historique doit éveiller toute notre attention. Les capacités de R&D de défense sont aujourd’hui adossées voire intégrées au secteur civil dans le but de capitaliser sur ce dernier. Cela se traduit par une vraie architecture institutionnelle dans tout le pays, avec une supervision assurée par une autorité sous la tutelle du nouveau ministère de l’industrie et des technologies de l’informatisation. Il faut bien prendre conscience de ce que des centres de recherche civils peuvent servir indirectement à des activités militaires. En outre, les changements successifs de noms des centres de recherches rendent difficile leur identification et la connaissance précise de leurs activités.

À cet égard, une des dimensions structurante de cette porosité est le continuum entre sécurité et défense. Les chiffres officiels font état en 2012 de 87 milliards d’euros de budget pour la sécurité publique, soit plus que le budget de la défense (82 milliards). Il y a un marché naissant pour ce qui est des technologies de contrôle et de surveillance et une volonté de s’équiper pour assurer un meilleur contrôle des populations, des migrations et des activités sur le territoire chinois. Le salon « China security » de décembre 2012 a réuni 2500 exposants, dont le tiers dans le secteur des caméras de surveillance et des technologies de sécurité destinées aux particuliers. Le nombre total d’entreprises chinoises dans la sécurité publique, de l’alarme à l’intégration pour les programmes de « safe cities », est évalué à 15 000, pour les trois quarts des PME.

Enfin, la cyberdéfense est aujourd’hui une priorité stratégique pour la Chine et un domaine dans lequel les autorités civiles et militaires sont les plus actives. On ne peut évaluer le budget qui y est consacré car on ne connaît pas la ventilation ; on ne peut que reconstituer à partir de coûts comme le salaire des ingénieurs. Cette stratégie couvre tous les domaines et toutes les informations recueillies servent : intelligence économique, renseignement militaire… En Chine, contrairement aux États-Unis ou en Europe, toute information est exploitée car le système est organisé de la sorte. Il fait peu de doutes que les Chinois développent des technologies à partir d’information récupérées illégalement. La Chine étant aussi la cible d’attaques, elle est plutôt ouverte au dialogue, avec les États-Unis et l’Union européenne notamment, et a proposé à l’Assemblée générale des Nations-Unies, avec la Russie et les États d’Asie centrale, en 2011, un code de bonne conduite.

2. Un marché sélectif, mais incontournable, pour les entreprises étrangères : quelques exemples français

La vigueur de la concurrence ne doit pas être sous-estimée. Dans de nombreux secteurs, dans les zones urbaines côtières et à Pékin, beaucoup de marchés sont déjà matures. Il n’y a plus de place pour un nouvel entrant. Dans certains secteurs, des groupes chinois occupent le terrain, du fait d’une réglementation plus favorable, de pratiques s’assimilant à du favoritisme, ou tout simplement de leur performance aujourd’hui. Si ce marché est si difficile, pourquoi aller en Chine ?

Naturellement, toutes les entreprises n’ont pas vocation à aller en Chine, mais celles qui y vont le font, soit du fait de caractéristiques locales, soit du fait de caractéristiques globales. Leur implantation n’est donc pas synonyme de délocalisation et peut, contrairement aux idées reçues, bénéficier aux pays d’origine. Les développements qui suivent sont illustrés par des exemples français.

a. Une présence motivée par des caractéristiques locales

L’image de plus grand atelier du monde perdure alors même que la réalité du marché chinois est devenue infiniment plus complexe. Certes, le coût de la main d’œuvre explique la présence d’entreprises exportatrices ayant cherché à minimiser les coûts, particulièrement dans le secteur du textile, habillement et chaussures. Mais ce sont précisément ces entreprises qui s’interrogent sur leur maintien en Chine à mesure que les coûts, notamment salariaux, augmentent. Le Vietnam, les Philippines, l’Indonésie ou l’Éthiopie, sont des pays où il est devenu plus intéressant pour elle de produire.

Le coût de la main d’œuvre s’élève aussi à mesure que le marché chinois devient de plus en plus concurrentiel, car les entreprises doivent attirer les meilleurs talents et les fidéliser du fait de l’extrême mobilité des travailleurs chinois. Si l’on prend l’exemple de Schneider Electric, elle figure dans le top 50 des entreprises les plus recherchées : les hauts cadres y sont mieux payés qu’en France et les ouvriers sont bien payés pour la Chine (environ le tiers d’un ouvrier français). En outre la productivité reste perfectible et dans certains secteurs la compétitivité-coût est supérieure, en Roumanie par exemple où Renault est implantée, qu’en Chine.

La présence en Chine ressort donc d’autres considérations que le coût du travail, en premier lieu l’acquisition de parts du marché. Le marché chinois est dans de nombreux domaines le premier marché du monde. La Chine représente déjà 11,5 % de part de marché mondiale. C’est donc un marché essentiel en termes de débouchés, qu’il s’agisse d’exporter ou de s’implanter. Or, aux besoins liés aux infrastructures, s’ajoute ceux des consommateurs chinois, avec des perspectives d’élargissement considérables du fait de l’émergence d’une classe moyenne de 400 millions de consommateurs et de la réorientation du modèle de croissance au profit de la consommation.

Deux secteurs peuvent donner une idée des opportunités de marché : les cosmétiques et l’automobile. Dans les vingt prochaines années, la demande chinoise en produits de beauté représentera entre 25 et 30 % de la croissance mondiale ; la Russie, deuxième pays à cette échéance, ne représentera alors que 7 %. De même, avec 19,3 millions de véhicules vendus en 2012, dont 15,4 millions de véhicules particuliers, la Chine est le premier marché au monde devant les États-Unis (14,5 millions) et l’Europe (14 millions), alors même que c’est le moins équipé avec seulement 50 véhicules pour mille habitants (marché en augmentation de 8 à 10 % par an). PSA détient à ce jour 4 % du marché, détenu à 70 % par des marques étrangères (20 % pour les Allemands, 20% pour les Japonais, 15 % pour les Américains et 15 % pour les Coréens).

La présence sur le marché chinois ne peut se résumer à la dynamisation des exportations. Il existe des contraintes règlementaires ou pratiques d’implantation physique comme indiqué précédemment. Pour les constructeurs automobiles, il est fait obligation de s’établir en Chine en joint-venture (détention de 50 % maximum) pour assembler les modèles et les vendre dans des réseaux de concessionnaires privés.

Mais indépendamment de ces contraintes, il existe un intérêt à être au plus près du commandeur ou du consommateur. Pour le groupe Airbus, c’est cette nécessité de proximité qui explique l’implantation. Cette dernière est en effet cruciale pour obtenir des grosses commandes des compagnies chinoises, qui nécessitent la validation par l’État. Airbus n’avait que 6 % de parts de marché en 1994. Elle totalise aujourd’hui la moitié du marché.

La proximité du marché permet aussi de s’adapter au contexte local, à l’environnement des affaires et aux besoins du consommateur. Le centre de design et d’ingénierie PSA ouvert à Shanghai en 2008 permet au groupe de produire des modèles correspondant aux attentes du marché chinois (et qui effectivement n’auraient sans doute aucun succès en Europe!). Le China Tech Center, qui emploie 700 ingénieurs et techniciens, comporte un studio de style, qui réalise en synergie avec les studios de Vélizy le design de silhouettes destinés au marché chinois et une ingénierie véhicules qui permet de développer ces silhouettes. Il développe aussi les organes et composants spécifiques à la Chine (télématique en caractères chinois et moteurs d’essence d’entrée de gamme).

b. Une présence motivée par des caractéristiques globales

Lorsqu’elle est positionnée sur un segment technologique, une entreprise ne peut demeurer compétitive que si elle est globale. À cet égard il n’existe pas de protection possible dès lors que même les entreprises d’État – par exemple dans les télécommunications – achètent du matériel étranger. Il est donc indispensable de prendre des parts du marché chinois qui peut représenter une proportion importante du marché mondial : c’est 50 % pour le ciment par exemple, ce sera demain la moitié des futures constructions nucléaires et l’on pourrait citer de nombreux autres exemples.

De la même façon, lorsque l’on est compétitif en Chine, on peut l’être partout. Il existe des exemples de PME devenues ETI grâce à leur implantation en Chine, comme l’entreprise Bernard Controls, spécialiste de la motorisation électrique des vannes industrielles et devenue un des leaders mondiaux sur le marché des servomoteurs électriques, dans le secteur nucléaire ainsi qu’auprès des industries les plus exigeantes telles que la cimenterie.

Il ne faut pas se priver du marché chinois et laisser à d’autres la possibilité de bénéficier des effets d’échelle qu’il offre, car ils reviendront aussi plus compétitifs dans la concurrence mondiale. C’est donc aussi la survie des entreprises qui se joue en Chine. En tout état de cause, réussir en Chine devient un gage de compétitivité mondiale, car le marché chinois est très exigeant. En Chine plus qu’ailleurs, la capacité des entreprises à gagner des parts du marché dépend par exemple en bonne partie de leur rapidité à fournir les clients. Les clients chinois de Schneider Electric sont ainsi livrés en 24 à 72 h quand ils l’étaient en deux mois il y a dix ans.

En outre, la taille du marché chinois se traduit par une impulsion donnée à l’échelle mondiale sur les standards de demain. Les nouveaux modèles économiques avec lesquels les entreprises composeront dans le futur seront issus des expérimentations conduites en Chine. La Chine entend peser sur la définition des nouvelles normes internationales. C’est le cas dans l’énergie solaire : les industriels et chercheurs chinois souhaitent mettre en place des normes plus exigeantes que les standards internationaux et peser ensuite pour leur généralisation.

Enfin, on rappellera que la situation géographique de la Chine permet de rayonner dans toute la région, d’autant plus que la tendance est à la conclusion d’accords de libre-échange régionaux. Alstom utilise ainsi sa base chinoise pour s’attaquer aux marchés des nouveaux émergents d’Asie du sud-est.

c. Un marché qui tire la croissance des pays d’origine 

Nul ne peut contester que la croissance mondiale est tirée par la croissance des pays émergents.

D’après une étude de la Direction générale du Trésor, la Chine, entre 2012 et 2022, absorbera 20 % de la croissance mondiale des importations, soit 800 milliards de dollars. C’est donc un immense marché à l’export.

De plus, les investissements français en Chine créent aussi une dynamique vertueuse. L’idée reçue selon laquelle l’implantation des entreprises françaises en Chine se ferait au détriment de notre économie et serait synonyme d’appauvrissement pour notre pays a la vie dure. Aujourd’hui, les délocalisations pures en Chine diminuent – et ces entreprises auraient disparues sinon – et les investissements ne sont plus réalisés uniquement en vue d’exporter. Désormais, les entreprises vont en Chine pour le marché chinois lui-même. Il convient de faire la part des choses et d’avoir donc une approche moins passionnelle.

La localisation en Chine offre des opportunités pour importer depuis le pays d’origine un certain nombre d’équipements.

Même lorsque la production d’équipements ne se traduit pas par des exportations pour les pays d’origine des entreprises ou qu’il s’agit de services, peu créateur d’emplois, d’une part, des redevances ou dividendes sont perçus, ces sommes bénéficiant au groupe, d’autre part, la recherche et le développement restent souvent réalisés en amont. Quelques exemples serviront à illustrer ce propos mieux que de longs développements :

Snecma : La SSCMA est une société détenue à 60 % par Air China et à 40 % par CFM, joint-venture paritaire entre la Snecma et General Electric. Cette société établie à Chengdu effectue la maintenance de moteurs d’avions CFM. L’activité de maintenance consiste à désassembler et inspecter les moteurs, envoyer les pièces réparables dans le réseau CFM pour remise à niveau, remplacer les pièces usagées (avec « recomplétement »), réassembler et tester au banc d’essai le moteur. La valeur-ajoutée est localisée en France et aux États-Unis car toutes les réparations critiques y sont effectuées. L’activité sous-traitée par SSCMA dans le réseau CFM représente environ 85 % de la maintenance d’un moteur. Elle comprend, d’une part, 60 % de « recomplétement » pour l’essentiel en pièces neuves. Ces pièces neuves proviennent du réseau CFM dont les sites industriels de Snecma (Safran) à Corbeil, à Gennevilliers, et au Creusot, de FAMAT (Snecma (Safran) et General Electric), à Saint Nazaire et d’Hispano-Suiza (Safran) à Colombes. L’activité comprend, d’autre part, 25% de réparation dans des centres spécialisés du réseau CFM dont le site industriel de Snecma à Châtellerault pour les réparations de haute technologie. La croissance de l’activité de la SSCMA se traduit donc directement par de l’activité pour l’atelier de Châtellerault. Il n’est pas question de remettre en cause cette répartition des activités de réparation pour des raisons de contrôle des transferts des technologies.

Alstom transport : Grâce au développement de son activité à l’étranger, la société assure le carnet de commandes de ses usines françaises, à Belfort notamment.

Schneider Electric : entre 2009 et 2011, le groupe a créé en Chine l’équivalent de sa taille en France, en croissance organique. La recherche et le développement demeurent en France, à Grenoble notamment. De plus, une partie des composants les plus critiques assemblés en Chine vient de France, ce qui est comptabilisé dans les exportations françaises. Une partie du carnet de commandes des usines est donc remplie grâce aux flux en direction de l’Asie, ce qui a été important pendant la crise.

PSA : Le groupe a créé deux partenariats en Chine. DPCA (Dong Fen Peugeot Citroën Automobiles) basée à Wuhan, a produit et commercialisé 440 000 véhicules en 2012, pour un chiffre d’affaires de 6 milliards d’euros et un résultat net de 350 millions d’euros. CAPSA (Chang’An PSA), créée en 2011 et basée à Shenzen vient de lancer en octobre 2013 la première DS assemblée localement, avec une capacité de 200 000 véhicules par an. À ce jour, DPCA verse à chacun de ses deux actionnaires un dividende qui représentera 100 millions d’euros au titre de l’année 2012. DPCA rémunère en outre le droit d’usage des technologies du groupe PSA via des royalties, et paie des frais d’ingénierie, pour un montant de 120 millions d’euros. Enfin, DPCA achète aussi à PSA des pièces détachées, en majorité d’origine française, pour un chiffre de 440 millions d’euros en 2012. Au total, la contribution de DPCA à sa maison mère dépasse 250 millions d’euros par an, qui rémunèrent notamment une activité de développement de véhicules destinés à la Chine, réalisée à Vélizy et à Sochaux, correspondant à 1200 emplois d’ingénieurs et techniciens. On notera que depuis 2012 le réseau commercial de DPCA distribue également des véhicules importés, essentiellement depuis la France, sur des segments de niche à forte image (cabriolets, coupés, breaks) pour des volumes qui atteindront 10 000 par an en 2013. L’objectif pour PSA est de porter les exportations françaises de pièces et véhicules vers la Chine à 1 milliard d’euros et l’effectif de développement basé en France de 1 200 à 2 000 emplois à haute valeur ajoutée.

Par ailleurs, la création d’un centre de recherche et développement en Chine, généralement conjoint, ne se traduit pas nécessairement par un transfert des activités. Il peut s’agir de développer de nouvelles recherches correspondant à des domaines spécifiques correspondant à des besoins chinois, tout en maintenant les activités constituant le cœur de la technologie dans le pays d’origine, où la propriété intellectuelle de l’entreprise est protégée. Le China Tech Center de PSA en est un bon exemple.

D. L’INTERNATIONALISATION CONTRASTÉE DE LA PUISSANCE CHINOISE, PROLONGEMENT DE SON DÉVELOPPEMENT INTÉRIEUR

La Chine se présente encore comme un pays en développement. Mais l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) prévoit que la Chine sera dès 2020 un pays à haut revenu, suivant la définition de la Banque mondiale. Ses rapports avec le reste du monde en sont nécessairement affectés. Or, la Chine constitue un cas particulier car il s’agit du plus grand pays de la planète, le plus dépendant d’une économie internationale plus ou moins régulée et qui en même temps se comporte pour l’essentiel en fonction de ses problèmes domestiques. Cette attitude s’explique en grande partie par la tradition politique d’un pays qui ne fut pas colonialiste dans son histoire, sous réserve de l’appréciation que l’on porte à la définition de ses frontières, mais se concevait au contraire comme l’Empire du Milieu. Le rôle de l’Empereur était d’assurer l’unité du pays et de protéger la population contre les caprices du ciel. Cette attitude s’explique aussi par l’histoire récente de la Chine, qui a été humiliée, dépecée, agressée, et qui cherche d’abord à assurer la stabilité aux frontières et son développement. Mais la puissance globale appelle la responsabilité globale.

La question posée pour l’avenir est celle des visées de la Chine. Les sinologues ont tendance à considérer que la Chine demeurera une puissance tournée vers l’intérieur, fidèle à sa tradition, et cherchera seulement à défendre ses intérêts, compte tenu des défis internes qui se posent à un État aussi grand et peuplé. Ils donnent crédit au discours de la coexistence pacifique, du développement harmonieux, que l’on retrouve encore aujourd’hui dans le « rêve chinois » de Xi Jinping. Les géopoliticiens, sans contester l’argument historique, considèrent que son poids crée un enchainement mécanique, notamment au regard de ses besoins d’approvisionnements, qui la conduit à influer sur le monde. Ils soulignent aussi la volonté de s’affirmer comme puissance militaire, ce qui affecte inévitablement les équilibres géopolitiques et le comportement des autres États, notamment dans la région Asie-Pacifique.

Si l’on part du principe que la Chine recherche effectivement avant tout à conforter son développement, il n’en demeure pas moins que son omniprésence économique et commerciale a des conséquences qui lui confèrent une responsabilité et que sa crédibilité comme acteur mondial ne peut reposer sur les seuls principes de coexistence pacifique et de souveraineté dans un monde incertain.

1. La Chine dans ses relations avec le reste du monde

Dans un article publié dans le mensuel de l’École centrale du Parti, Qiushi, le conseiller d’État et directeur du bureau des Affaires étrangères Yang Jiechi présente la vision de la diplomatie chinoise du nouveau président Xi Jinping. Elle s’organise autour de la classification des partenaires en trois catégories :

– les puissances majeures, à savoir les États-Unis d’abord, la Russie et l’Europe. Le nouveau modèle de relation entre puissance majeure ne concerne que la relation avec les États-Unis, ce qui démontre que le concept de G2 n’est pas totalement infondé. Seule la France est citée parmi les pays européens, dénotant l’importance de la relation que nous entretenons avec la Chine depuis toujours ;

– les pays voisins, partenaires avec lesquels il faut développer des relations de bon voisinage, agir pour la stabilité, sans céder sur les différends territoriaux. Notons qu’à l’issue du Troisième Plenum, la création d’un Conseil de sécurité nationale a été annoncée ;

– les pays en développement, avec lesquels des coopérations doivent se développer et les liens se renforcer, en particulier au plan économique. L’Afrique et l’Amérique latine sont évidemment ici visées.

a. La Chine et les puissances de rang mondial : l’importance de la multipolarité

La relation avec les États-Unis est évidemment une priorité au regard de l’interdépendance économique (la Chine est la créancière des États-Unis) et l’hyperpuissance américaine. Les signes de proximité se sont multipliés récemment : visite de Xi Jinping aux États-Unis, très médiatisée et négociations des résolutions relatives à la Corée du nord par les deux États avant de les transmettre aux autres membres permanents... Lorsqu’un dissident, l’avocat aveugle Cheng Guangcheng, a demandé asile à l’ambassade américaine, demande bien embarrassante, il a pu se rendre aux États-Unis finalement sans incident majeur. Mais le couple sino-américain reste empreint d’une méfiance réciproque. Les Chinois récusent le concept du G2 et à dire vrai, ni la Chine ni les États-Unis, ne sont prêts à se laisser enfermer dans ce tête-à-tête. Les États-Unis continuent à conduire une politique tendant à la fois à se rapprocher de la Chine et à contenir sa puissance (« endigagement », néologisme résultant de la combinaison des termes « engagement » et « endiguement »). Leur pivot stratégique en Asie-Pacifique est clairement ressenti par la Chine comme un retour des États-Unis contre l’extension de l’influence chinoise dans la zone et la marque d’une stratégie d’encerclement. Ce sentiment est accentué par la perspective d’un accord de libre-échange entre les États-Unis et l’Union européenne, qui s’ajouterait à l’accord de partenariat trans-pacific (TPP), accord de libre-échange réunissant des pays américains et des États d’Asie et du Pacifique.

Dans le monde multipolaire auquel ils donnent leur préférence, l’Union européenne doit jouer pour les Chinois un rôle majeur. C’est le premier groupe économique au monde, leur premier partenaire et ce, depuis 2005, devant les États-Unis. L’UE représentait environ 16 % du commerce chinois en 2011 (les États-Unis 13 % et le Japon 10 %), la première source d’importations en termes de biens devant le Japon et le premier partenaire en matière de transfert de technologies. La Chine est le deuxième partenaire de l’UE après les États-Unis : entre 2009 et 2011 les échanges de biens ont cru de 130 milliards d’euros (soit environ 45 %. Le développement de l’euro a aussi une importance majeure pour les intérêts chinois. Il est vu comme un élément essentiel à l’approfondissement du marché unique européen – un marché de 500 millions de consommateurs que les Chinois considèrent comme central au maintien de la prospérité de l’Europe. Cela compte tout autant que la vision mieux connue d’une préférence chinoise pour l’euro comme contrepoint au rôle international du dollar.

Dans l’ensemble, la relation bilatérale sino-européenne s’est intensifiée et approfondie depuis le premier sommet bilatéral UE-Chine en 1998, notamment avec la création depuis 2007 d’un dialogue économique et commercial de haut niveau. La coopération est très large et elle regroupe aujourd’hui plus d’une soixantaine de secteurs et de dialogues spécifiques, notamment dans le domaine de l’énergie, de l’emploi et des affaires sociales, ou encore de l’environnement. 10 personnes au Service européen d’action extérieure suivent les relations avec la Chine, la Mongolie et Taïwan, 100 personnes travaillent dans la délégation à Pékin et il faut ajouter toutes les personnes spécialisées sur la Chine dans les services de la Commission, notamment ceux de la Direction générale du Commerce, à savoir 80 administrateurs et les agents locaux. Cette année 2013 signe par ailleurs les dix ans du partenariat dit « stratégique » convenu avec la Chine en 2003. Le prochain sommet bilatéral UE-Chine pourrait donc être l’occasion d’un renforcement de la coopération autour de ce partenariat.

Concernant les puissances « émergentes », les premiers déplacements à l’agenda du nouveau président depuis la fin de l’Assemblée nationale populaire furent une tournée en Russie et la participation à la réunion des BRICS à Durban. La Chine est incontestablement aujourd’hui le pilier essentiel de la politique sud-sud que promeut le groupe des BRICS. Mais est-ce vraiment un groupe ? Derrière les annonces fracassantes et l’union de façade, ce groupe ne présente pas de visage homogène. Il tire d’ailleurs son origine, non pas d’une volonté politique comme pouvait l’être le groupe des non-alignés, mais d’une étude de Goldman Sachs. Ce groupe des BRICS n’a rien d’une alliance, mais il constitue en revanche un forum d’opposition efficace : opposition à des règles internationales décidées par les États « occidentaux », défense des droits des États en voie de développement et opposition à toute ingérence dans les affaires intérieures des États.

Ses intérêts sont divergents sur le plan politique : l’accès à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité pour l’Inde et le Brésil, dont la Chine ne veut pas entendre parler, en est l’illustration. Sur le plan économique, la situation de la Russie et de la Chine est difficilement comparable ; les deux États n’entretiennent pas de relations de confiance et l’activisme chinois en Asie centrale, notamment pour la mise en valeur des territoires et des ressources, n’arrange pas les choses. Des points de frictions existent aussi entre le Brésil et la Chine, notamment sur le plan des relations commerciales (matières premières exportées vers la Chine) et de la pénétration chinoise sur le continent sud-américain. Quant à la relation avec l’Inde, dont la Chine est le premier partenaire commercial depuis 2009, elle est tout sauf limpide, ne serait-ce que parce que les différends frontaliers perdurent, que la question du Tibet demeure une pierre d’achoppement, que la Chine est un soutien historique du Pakistan et que les projets d’exploitation des cours d’eau inquiètent l’Inde située en aval.

b. La stabilité et la sécurité des approvisionnements chinois comme déterminants de politique étrangère

La sécurité des approvisionnements et la maîtrise des lignes de communication constituent aujourd’hui des intérêts vitaux pour la Chine. Cela explique leur présence dans le golfe d’Aden et en Afrique. Il faut ajouter à cela la protection des ressortissants chinois qui résulte des investissements chinois à l’étranger, fortement corrélés aux importations de matières premières notamment énergétiques. Pour mémoire, la Chine a évacué 30 000 ressortissants de Libye via le Soudan.

La demande énergétique chinoise ne fait que croître avec l’augmentation des revenus de la population et l’accroissement des déplacements : la consommation d’essence et de kérosène a doublé en dix ans, celle du gas-oil a augmenté de 50 %. D’après l’Agence internationale de l’Énergie (AIE), la Chine verra sa consommation de gaz tripler d’ici 2030 et se pose déjà, avec le Japon, en principal consommateur de gaz au niveau mondial. Par ailleurs les importations chinoises de charbon, essentiellement en provenance d’Australie et d’Indonésie, ont bondi pour représenter 25 % des importations mondiales de charbon vapeur et 20 % de celles de charbon métallurgique en 2012. La Chine a besoin de diversifier ses sources d’approvisionnement en pétrole et en matières premières énergétiques (pétrole, gaz et minerais), motivant une diplomatie active en direction de la Russie, de l’Asie centrale, de l’Afrique (Angola, Algérie, Soudan, Nigéria et République démocratique du Congo notamment) et de l’Amérique latine (Venezuela notamment).

Si l’on prend le seul exemple du pétrole, La Chine est devenue importatrice nette de pétrole en 1993 et a remplacé le Japon comme deuxième plus gros importateur de pétrole en 2004. En 2015, son déficit pétrolier devrait rattraper celui des États-Unis en volume, étant précisé que c’est déjà le cas en pourcentage de la demande. Les besoins en importations des Américains vont diminuant (hausse de la production et baisse de la consommation), ce qui les rend de moins en moins dépendants du Moyen-Orient, alors que la Chine connaît un besoin croissant et importe de cette région 40 % de ses importations de pétrole (Arabie Saoudite et Iran, dont elle serait le premier partenaire). Le changement de doctrine américaine qui voit un déplacement du centre de ses intérêts du Moyen-Orient vers l’Asie est aussi l’amorce de ce changement géostratégique.

Sur un plan géostratégique, on constate d’abord des investissements sur les trois anciennes routes de la soie (Turquie, Bulgarie, Grèce, Iran, Indochine et Turkménistan), qui apparaissent aussi comme une garantie dès lors qu’il est difficile de maîtriser la mer. Après ses visites en Afrique et en Amérique, Xi Jinping a effectué une série de visites en Asie centrale (Turkménistan, Kazakhstan, Ouzbékistan et Kirghizistan) et en Russie en septembre dernier. Le Kazakhstan et l’Ouzbékistan disposaient déjà de partenariats stratégiques avec la Chine, approfondis lors de la visite, tandis que le Kirghizistan et le Turkménistan ont été élevés au rang de partenaires stratégiques à cette occasion. Les questions de sécurité – stabilité des frontières, élimination des risques terroristes, mais aussi sécurité des approvisionnements – ont été à nouveau affichées comme priorités.

La Chine se défend de reconstituer une « nouvelle route de la soie », comme l’avait formulé Hillary Clinton en 2011, affirmant qu’elle ne conduit pas une politique d’influence à visée hégémonique. Il n’empêche que, pour des raisons pragmatiques, notamment dans le but d’assurer le développement de l’ouest du pays, elle conforte ses positions. La Chine montre son intérêt pour les ressources naturelles (gaz russe, charbon kazakh et mongol, mais aussi eau kirghize et tadjike) et des contrats importants – 38 – ont encore été signés au profit de sociétés d’État chinoises. Et le président chinois lui-même a évoqué une « ceinture économique de la route de la soie ». Économique ? Géostratégique ? Quelle est la frontière ?

Le besoin d’approvisionnement en matières premières et la recherche de marchés dynamiques pour ses entreprises ont aussi conduit la Chine à adopter une stratégie active vis-à-vis de l’Afrique et plus récemment de l’Amérique latine. Votre Rapporteur a souhaité consacrer des développements plus approfondis à la relation entre la Chine et l’Afrique, mais quelques observations peuvent être préalablement formulées concernant la relation entre la Chine et l’Amérique latine, qui par de nombreux aspects, lui ressemble furieusement. Dans les deux cas, la contribution chinoise à la croissance est contrebalancée par une approche insuffisamment qualitative de la croissance et des effets contrastés en termes de développement, qui font émerger des réactions critiques à l’encontre de ce qui est parfois ressenti comme une nouvelle forme d’impérialisme. Dans les deux cas, la montée en puissance de la Chine inquiète les partenaires traditionnels.

La présence chinoise est assez récente en Amérique latine, mais les relations commerciales ont connu une forte progression ces dernières années. En 2009, les importations chinoises en provenance de l’Amérique latine ont atteint 64,4 milliards de dollars, et les exportations chinoises vers la région, 57,1 milliards de dollars. L’Amérique latine représentait alors moins de 10 % des exportations chinoises et 6,5 % de ses importations, mais la Chine était devenue, la première destination des exportations brésiliennes et chiliennes, la deuxième de l’Argentine, du Pérou et du Venezuela. Dès 2016, la Chine remplacera l'Union européenne comme deuxième plus grand marché d'exportation de l'Amérique latine, selon la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC). La Chine est aussi le deuxième fournisseur du Brésil, du Chili, du Pérou, du Mexique et de la Colombie, le troisième de l’Argentine, du Venezuela et de l’Uruguay.

Un certain nombre de crispations se font sentir au regard des termes de la balance commerciale. Les matières premières, surtout le pétrole et le cuivre, et les produits agricoles de base des pays latino-américains, à commencer par le soja, constituent l’essentiel des exportations vers la Chine, qui contribue ainsi fortement à la « reprimarisation » du secteur exportateur d’Amérique latine et des Caraïbes. La Chine, quant à elle, exporte vers l’Amérique latine des produits manufacturés. Dans pratiquement tous les pays du continent, 80 % des exportations vers la Chine se réduit à seulement cinq produits. Ce pourcentage dépasse même les 90% en Argentine, au Chili, à Cuba, en Colombie. Le soja et ses produits dérivés (huile) représentent 55% du total des exportations argentines – 46% pour l’Uruguay et 23% pour le Brésil – à destination de la Chine. Le cuivre représente 81% du total des importations chinoises en provenance du Chili (39% en provenance du Pérou), tandis que le pétrole brut concentre au moins la moitié des exportations du Venezuela et de la Colombie et la quasi-totalité de celles de l’Équateur (32).

L’histoire des relations commerciales Chine-Afrique a commencé dans les années 1950, mais jusque récemment, on se focalisait beaucoup sur l’aspect politique et idéologique de ces relations, initiées à la suite de la conférence de Bandung de 1955, alors que pour la Chine l’enjeu africain était, dès le départ, également économique. De même, la politique d’aide chinoise en direction de l’Afrique est ancienne : la construction du chemin de fer entre la Tanzanie et la Zambie par 15 000 ouvriers chinois a été réalisée entre 1967 et 1975. Mais elle a pris de l’ampleur ces dernières années.

La stratégie d’approfondissement des relations avec l’Afrique inquiète les partenaires traditionnels du continent. Le montant des échanges entre la Chine et l’Afrique subsaharienne a dépassé le commerce franco-africain en 2003 et approche le commerce entre l’Union européenne et l’Afrique subsaharienne, notamment en termes d’importations depuis cette dernière. On peut supposer que les relations Chine-Afrique égaleront les relations UE-Afrique d’ici trois ou quatre années. Mais il faut faire la part des choses entre ce qui relève du fantasme et les conditions réelles de la présence chinoise en Afrique, ce qui n’est pas simple au vu de la fragilité des statistiques chinoises et des informations parcellaires que l’on peut recueillir, notamment sur l’aide au développement pratiquée. Les annonces chinoises ne sont pas vérifiables et cette asymétrie d’information rend sa présence irritante.

Sur le plan diplomatique, le Forum de coopération sino-africain ou FOCAC constitue depuis 2000 une plate-forme facilitant les investissements. Ses Conférences ministérielles triennales fixent pour les trois années suivantes les grands objectifs des coopérations bilatérales. Dans le livre blanc sur la politique africaine de la Chine paru en 2006, la Chine se présente comme un pays en développement soucieux de contribuer à celui du continent africain par son expérience, de proposer un modèle alternatif, évidemment « gagnant-gagnant ». Mais les relations sino-africaines correspondent en réalité à des relations nord-sud dans la mesure où la Chine exporte vers l’Afrique subsaharienne des produits manufacturés et importe des matières premières. 80 % des exportations africaines vers la Chine concernent le pétrole (l’Angola fournit 20 % du pétrole chinois et le Soudan 7 %, suivis par le Congo-Brazzaville et la Guinée équatoriale), la Chine est le premier importateur de cobalt venant de République démocratique du Congo (85 % de ses importations), elle consomme 60 % du bois brut exporté vers l’Asie, notamment des forêts du Congo Brazzaville, du Gabon, de Guinée équatoriale et du Mozambique et l’on pourrait ajouter le fer du Gabon, le chrome du Mozambique ou le cuivre de Zambie. L’Europe, quant à elle, importe relativement plus de produits manufacturés que la Chine.

Depuis 2000, les échanges commerciaux sino-africains seraient passés de 10 milliards à 200 milliards en 2012. Il faut noter que l’Afrique subsaharienne représente seulement 3 à 4 % des exportations chinoises, ce qui est relativement peu – c’est par exemple l’équivalent des exportations chinoises vers la Corée, qui compte 45 millions d’habitants. Néanmoins, l’Afrique reste un partenaire non-négligeable pour la Chine. Cette dernière exporte en effet des produits peu élaborés vers l’Union européenne et les États-Unis, tandis qu’elle utilise le continent africain comme « terrain d’essai » pour ses produits élaborés (véhicules, télécom…).

Selon le ministère du commerce chinois, l’Afrique représentait fin 2011 un montant de 15 milliards, soit 2,7 % du stock des IDE chinois. On sait cependant que ces données sont fausses, notamment parce qu’elles ignorent les IDE transitant par les paradis fiscaux (75 %). Selon la fondation Heritage, qui tente de réaliser des statistiques fiables directement à partir des annonces des entreprises chinoises, le montant cumulé depuis 2005 des IDE chinois en Afrique subsaharienne serait en réalité de 44 milliards de dollars, soit 12 % du montant total d’IDE en Afrique subsaharienne fin 2012. Cette estimation ne prend pas en compte les investissements de moins de 100 millions de dollars, ce qui exclut les projets manufacturiers. Globalement, on sait donc que le stock d’IDE chinois en Afrique est compris entre 3 % et 10 % du montant des IDE étrangers de plus de 100 millions en Afrique. Les entreprises d’État assurent l’essentiel de leurs investissements dans les métaux (39%), l’énergie (38%) et la finance (13%). Les entreprises privées, dont le nombre se situerait entre 2000 et 20 000, réalisent des investissements moindres (moins de 100 millions de dollars) et sont présentes dans le commerce et l’industrie manufacturière.

Si la Chine est un bailleur encore modeste, elle devient un créancier important (15 milliards par an selon Heritage). Au Focac 2012, elle a annoncé 20 milliards de prêts pour les trois années à venir.

S’agissant des modalités d’investissement, elles reposent, pour les entreprises chinoises, sur un accord-cadre conclu entre États prévoyant le financement par Eximbank ou la China Development Bank (CDB) qui constituent des « prêts contre ressources », concessionnels ou non, à l’instar de la pratique japonaise, y compris en Chine d’ailleurs, dans les années 1970. L’accord prévoit ainsi le financement d’un programme d’infrastructures par des prêts chinois, réalisé essentiellement par des firmes chinoises (aide liée), et autorise par ailleurs une compagnie nationale chinoise à investir ou à opérer dans l’exploitation des ressources primaires intervenant en garantie. Le remboursement du prêt s’effectue par prélèvement sur les recettes de la vente des ressources sur le marché inscrite au compte de l’État emprunteur auprès de la banque chinoise. Ce modèle est dit angolais car il s’appliquait d’abord au pétrole, mais la ressource objet du contrat peut être du minerai de fer, du cacao, de la bauxite etc. On notera que la Chine procède de la même manière dans d’autres pays dotés de matières premières importantes, comme les pays d’Amérique latine.

La Chine intervient également par la participation des entreprises chinoises aux appels d’offre. L’Annexe B du rapport de la Banque mondiale « Financial Management and Procurement in World Bank Operations » de février 2012 montre que, pour l’ensemble des opérations financées par la Banque de 2007 à 2011, la Chine est le plus souvent en tête des pays fournisseurs de biens et équipement et toujours en tête pour les contrats de génie civil. L’enquête de 2007 de Ray Levitt, Chinese Contractors in Africa: Insights from a Survey, menée auprès de 32 contractants chinois en Afrique montrait que la moitié d’entre eux opéraient sur financements internationaux. Il est intéressant de montrer la diversification des appels d’offre, nationaux ou internationaux, obtenus : les entreprises chinoises ne se positionnent pas seulement sur le génie civil, mais aussi dans le secteur de l’eau (gestion de l’eau et hydroélectricité) et des télécommunications.

L’Afrique est relativement importante pour la Chine dans le secteur de la construction, puisqu’elle représente environ un tiers des contrats de construction chinois dans le monde. Les Chinois réalisent près de 40 % des projets d’infrastructures financés par la Banque mondiale et probablement 10% de l’investissement africain en infrastructures. La compétitivité de la Chine dans ce secteur s’explique principalement par des facteurs « objectifs » : la Chine est le premier marché mondial du secteur – son marché lui sert de tremplin pour les marchés extérieures –, le second exportateur (derrière la Corée) et les entreprises chinoises connaissent bien le marché africain, puisqu’elles y sont présentes depuis cinquante ans et bénéficient donc d’un avantage d’implantation sur les autres entreprises étrangères.

La Chine investit également dans la mise en valeur des terres agricoles aux fins d’exportations, essentiellement de riz, grâce au rachat ou à la location, par des intérêts chinois, de terres en Afrique subsaharienne, notamment au Zimbabwe. Certains évoquent le chiffre de 17 millions d’hectares de terres arables concernées. Cette stratégie s’explique par le fait que la Chine, qui ne dispose que de 8 % des surfaces agricoles mondiales et seulement 6 % des réserves annuelles en eau douce, a développé pratiquement tout son potentiel agricole et doit faire face à une croissance rapide de la demande en produits agricoles, en raison des transformations sociales du pays et du changement des habitudes alimentaires. Néanmoins, la Chine est encore pratiquement auto-suffisante dans de nombreux domaines (fruits, légumes, mais, céréales, riz, etc.) et, malgré la hausse de certaines importations, il n’y a pas de signaux d’une dépendance alimentaire de la Chine. Le gouvernement chinois est d’ailleurs particulièrement vigilant en la matière.

L’existence d’une stratégie chinoise d’accaparement massif des terres africaines n’est pas avérée. C’est ce que suggère la banque de données en accès libre sur les activités foncières au niveau mondial landmatrix. Après plusieurs séries de corrections dans la base, les principaux investisseurs fonciers en Afrique ne proviendraient pas d’Asie mais d’Europe, la Chine ne se classant qu’à la 19ème position avec 0,16 million d’hectares (33). Naturellement, cette question doit être surveillée de près car, si la mise en valeur des terres peut être un outil de développement (transferts de technologies et savoir-faire notamment), la ruée vers les terres, à des fins alimentaires, industrielles ou énergétiques (biocarburants), pèse sur les cours mondiaux, avec tous les risques que cela comporte pour la sécurité alimentaire des plus pauvres, comme l’a démontrée la flambée des prix alimentaires de 2008.

Il faut reconnaître des effets positifs à la présence chinoise en Afrique. D’abord, elle a objectivement contribué au désenclavement de certains territoires, par la construction de routes et aéroports notamment, et a produit de la croissance. Ensuite, elle a constitué une alternative nouvelle et a provoqué un regain d’intérêt des pays occidentaux et de la France en particulier pour des pays relativement délaissés. Enfin, sur la croissance africaine, la Chine a eu un impact positif du fait de l’envolée des cours.

Sur le développement africain, les choses sont en revanche moins certaines. En diminuant le coût de l’investissement en Afrique, dont celui des télécommunications, l’offre chinoise contribue au développement africain. Cependant, la demande chinoise de matières premières, qui restera importante, ainsi que la compétitivité industrielle chinoise sont un frein aux changements structurels. Les conditions dans lesquelles la Chine apporte une « aide » sont également sujettes à interrogations :

– les contreparties en termes d’accès aux ressources naturelles sont critiquables ;

– les conditions de l’aide financière apportée par la Chine ne sont pas particulièrement avantageuses en termes de taux ;

– le principe intangible de non-ingérence se traduit par l’absence de toute conditionnalité en matière de droits de l’homme, le discours officiel étant que ce n’est pas au travers des échanges économiques que l’on traite ces problèmes.

Entre 1990 et 2010, la reprise africaine s’est accompagnée d’une baisse de la valeur ajoutée manufacturière par rapport au PIB. L’industrialisation a jusqu’à présent été une dimension du développement ; il ne faudrait pas que l’Afrique soit une exception.

Enfin, sur le terrain, la pénétration chinoise ne fait pas l’unanimité auprès des populations. Les autorités chinoises ont parfaitement conscience de ce problème d’image et on perçoit une volonté d’infléchir les pratiques des entreprises chinoises. En 2006, un code de bonne conduite a été édicté. D’abord les conditions financières des prêts ne sont pas toujours avantageuses. Non seulement ce ne sont pas des prêts concessionnels, mais les taux d’intérêt pratiqués peuvent être particulièrement élevés, quand bien même il s’agit de pays en situation de renégociation de dettes. La Chine a aussi été de plus en plus critiquée sur la qualité de ses réalisations. Ces dernières sont bonnes lorsqu’elles sont bien réceptionnées, par exemple lorsqu’il s’agit de contrats avec la Banque Mondiale, mais lorsqu’il s’agit d’un contrat avec un partenaire privé, des prestations à prix élevé et réalisations médiocres ont été constatées.

De plus, les prêts sont liés et les entreprises chinoises utilisent peu de matériaux locaux et font travailler une main d’œuvre chinoise importante, dans des conditions sujettes à caution : travail pouvant être effectué par des détenus chinois envoyés en Afrique, réglementation du travail, horaires, politique salariale et droits collectifs critiquables etc. Les ouvriers chinois vivent dans des campements fermés. En Algérie, au Sénégal, en Zambie, en Afrique du sud notamment, des tensions ont été observées. La proportion d’expatriés est en réalité très variable selon les pays et l’ancienneté de la présence chinoise, mais elle est très forte sur les gros chantiers de construction des pays pétroliers (Algérie, Libye, Angola). De manière complémentaire, l’immigration chinoise, qui ne se résume pas à celle des travailleurs des chantiers, n’est pas sans poser problème. La concurrence de commerçants chinois  est parfois mal vécue, par exemple en RDC. Plus de 30 000 Chinois seraient installés en Algérie, travaillant dans la restauration et le textile.

Un demi-million de ressortissants chinois vivaient en Afrique subsaharienne en 2012 (34). Les statistiques du ministère chinois en dénombraient 250 000 en 2008 dans quarante pays et faisaient apparaître une forte concentration en Afrique du sud, à l’Île Maurice, à Madagascar et à l’Île de la Réunion (80 % des expatriés). Ces statistiques sont sans doute sous-estimées. Comme le reconnaissent elles-mêmes les autorités chinoises, le nombre de ressortissants en Libye qu’il a fallu évacuer lors de l’intervention les a surpris.

c. Des relations de voisinage sous tension dans un contexte d’affirmation de la puissance militaire chinoise

La politique étrangère de la Chine est motivée par la stabilité du pays et son développement économique, nous l’avons dit. Ses relations avec les États-Unis, les autres grands émergents, l’Afrique et l’Amérique du sud, sont intimement liées à cet objectif premier. Une exception – et de taille – existe néanmoins : il s’agit des relations entre la Chine et son voisinage asiatique proche.

Pour citer Henry Kissinger, on se trouve à nouveau dans une situation de « coexistence combative » (35). Cette dernière s’explique par des raisons historiques, mais elle est aussi la conséquence des besoins en approvisionnement du pays. La priorité au développement intérieur ne produit pas, dans un contexte politiquement sensible, stabilité et pacifisme, car l’effet positif des interdépendances économiques bute sur les considérations de sécurité stratégique. La rigidité dont fait preuve la Chine suscite des craintes, particulièrement concernant les pays relativement fragiles, comme les Philippines. En tous les cas, les incidents de ces derniers mois heurtent le discours sur le pacifisme chinois.

Certains spécialistes, à l’image de Jean-Vincent Brisset, traitent la question des frontières en posant la question du rapport de la Chine aux « traités inégaux », traités datant du XIXème siècle par lesquels la Chine a concédé des territoires et des droits commerciaux aux puissances étrangères. La Chine a toujours considéré que les traités, comme tout contrat, n’avaient pas vocation à être respectés sur le long-terme. Dans ce cas, les frontières de la Chine pourraient inclure une zone allant jusqu’à l’Indonésie, comprenant la péninsule indochinoise et à l’ouest le Népal, une partie de la Mongolie et du Kazakhstan... C’est une telle analyse qui explique pourquoi un grand pays comme l’Inde manifeste des inquiétudes à l’égard des intentions chinoises.

Ce qui retient le plus l’attention est naturellement la situation en mer de Chine. On peut distinguer deux chaînes d’îles. La première englobe une grande partie de la mer de Chine et s’étend jusqu’à la mer intérieure des Philippines. La deuxième chaine va jusqu’à la frontière avec la Papouasie Nouvelle-Guinée. La Chine est déjà très présente sur les archipels dits « les trois archipels sableux » (Sancha) : Spratley, Scarborough Reef et Paracel. La présence chinoise s’y renforce (personnels militaires, constructions, droit d’arraisonnement des bâtiments). En mer de Chine du sud, les îles sont de très petite taille et ne possèdent pas de richesses naturelles prouvées. Pourtant, la mer du sud constitue un véritable enjeu étant donné que 80 % des approvisionnements de la Chine transitent par les différents détroits de la région et que 40 % du trafic maritime mondial passe par ces deux millions et demi de km². En outre, la Chine pourrait revendiquer le statut d’état archipélagique au sens de la Convention sur le droit de la mer de 1982 dite de Montego Bay, pour bénéficier des droits associés à ce statut, qui vont au-delà de ceux d’une zone économique exclusive.

Les tensions avec le Japon, qui se cristallisent sur les îles Daoyu / Senkaku, trahissent la persistance d’incompréhensions fortes après des années où l’on avait cru à un rapprochement économique mais aussi des populations. Si les différends historiques ne sont pas réglés et qu’une partie de la population demeure d’une sensibilité extrême à ces questions, les autorités chinoises font globalement en sorte de maîtriser la situation pour éviter tout dérapage. La dernière escalade, en 2012, a néanmoins été particulièrement inquiétante, avec des mesures à l’encontre des intérêts économiques japonais, rompant pour la première fois le principe d’une séparation entre l’économique et le politique. On ne peut que souhaiter que des solutions juridiques et politiques soient trouvées et rappeler le principe de libre-circulation maritime.

S’agissant des conflits en mer de Chine du Sud, les Philippines ont porté fin janvier la question de leur différend avec la Chine devant un tribunal international arbitral. La Chine ne souhaite pas l’internationalisation des différends et privilégie un traitement bilatéral. Ces questions ont été évoquées au dernier sommet de l’ASEAN et au sommet Europe-Asie. L’ASEAN et la Chine poursuivent les discussions sur un code de conduite. Dans ce dossier aussi, il faut encourager le dialogue pour désamorcer les tensions, apaiser les craintes et conforter la région dans la voie de son développement économique et de son intégration. L’Union européenne a évidemment un rôle à jouer compte tenu de sa propre histoire.

Les inquiétudes actuelles sont largement sous-tendues par le développement de la puissance militaire, notamment maritime, de la Chine. La modernisation de l’armée est en effet devenue une priorité politique. Durant toute la période de Deng Xiaoping, la défense était la quatrième priorité (sur quatre), c’est à dire une question négligeable, et l’on consacrait peu d’argent à l’armée. Un tournant s’est opéré dans les années 1990, la guerre du Golfe ayant sans doute joué un rôle en démontrant la piètre qualité du matériel militaire chinois utilisé par le régime irakien. En 1998, le gouvernement a donc officiellement pris la décision de moderniser et de renforcer l’armée, afin que celle-ci puisse concurrencer les grandes armées occidentales, notamment l’armée américaine. À cette prise de conscience, s’est ajoutée celle du champ d’action que constitue la mer (36) et si l’on regarde les investissements effectués, on constate que la priorité est accordée à la projection de puissance au niveau maritime. On constate donc aujourd’hui un véritable effort dans ce domaine, bien que l’objectif soit encore loin d’être atteint.

Budgets et programmes de défense

Si l’on exclut l’année 2010, le budget officiel de la Défense n’a cessé, depuis 1988, de connaître une croissance à deux chiffres. Elle était encore de 10,7 % en 2013 (18,5 % en 2009 !), soit un peu plus que l’évolution du budget de l’État (10 %). Le budget 2013 est évalué à 114 milliards de dollars, mais les informations sont lacunaires. D’abord, les dépenses consacrées à la défense nationale n’apparaissent que dans le budget des instances centrales alors que des dépenses locales leur sont aussi consacrées. Ensuite, l’administration des dépenses est opaque puisque seule la commission militaire centrale est compétente pour la répartition des crédits au sein de l’enveloppe globale votée par l’Assemblée nationale populaire. Enfin, il existe forcément des crédits ailleurs que dans le budget de l’armée si l’on observe la modernisation en cours de l’armée et le nombre de programmes annoncés, notamment aéronautiques, spatiaux et navals : deux programmes d’avion de chasse de cinquième génération, un programme d’avion de transport stratégique, plusieurs programmes de drones, deux programmes d’hélicoptères de combat, un programme de porte-avions avec catapulte électromagnétique, un programme de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, un programme de missiles balistiques stratégiques et tactiques, un programme anti-missiles… (37). On a déjà précédemment souligné l’importance du budget de la sécurité civile. Les dialogues en matière de défense qui ont été mis en place doivent permettre de mieux comprendre l’effort de rattrapage en cours.

La Chine bâtit un nouveau modèle de l’armée chinoise à l’horizon 2030. Elle ne pourra construire une marine et une armée de l’air cohérentes que si elle sacrifie relativement l’armée de terre, et c’est visiblement la voie qu’elle a choisie. La marine monte progressivement : un porte-avions, le Liaoning, avec l’objectif d’en posséder quatre d’ici 2030, un nombre croissant de sous-marins, principalement des sous-marins russes de classe kilo, le développement de forces paramilitaires dans le domaine maritime : garde-côtes, gardes-pêche, police de la mer…. L’armée de l’air se modernise, notamment sur le modèle d’avions d’origine soviétique (Sukhoï 27, Sukhoï 30 et Sukhoï 33) et israélienne (Lavi). Mais les performances de base d’un avion de cinquième génération nécessitent une technologie que les Chinois ne possèdent pas (réacteur moderne, intégration ou fusion de données). Ce retard technologique cause des soucis de fiabilité, d’interopérabilité et de motorisation, et nuisent à la qualité opérationnelle de l’armée. La Chine est également confrontée à des problèmes d’interarmées, de culture et d’entraînement.

Le bilan est donc mitigé. L’armée chinoise compte certes actuellement 2,5 millions de militaires (soit environ le double des effectifs de l’armée américaine) mais, malgré une augmentation du budget de 10 % par an, celui-ci ne représente actuellement que 14 % du budget américain. Les coûts de modernisation et de renforcement sont très élevés, notamment en raison du coût des ingénieurs, formés à l’étranger et très bien payés. En souhaitant s’appuyer sur un noyau dur de seulement 10 % des effectifs, le pays espérait sans doute créer un effet d’entrainement, mais ce « noyau dur » équivalait en 2002, en termes de taille, de modernité et d’efficacité, à environ la moitié de l’armée espagnole. Si l’on dresse la liste des technologies et matériaux que les Chinois souhaitaient acquérir en 2000 pour atteindre leurs objectifs globaux de renforcement et de modernisation sur le plan militaire : il leur en manquerait encore à ce jour 80 %.

La capacité militaire et le regain de confiance des militaires chinois ne disent cependant rien de la stratégie militaire. La fonction de l’armée populaire de libération est toujours tournée vers la projection et le maintien de l’ordre intérieurs, et non pas vers d’éventuelles opérations extérieures (Taïwan étant considéré comme une province intérieure). Les visées chinoises sont assez insaisissables car le pays poursuit son effort tout à fait compréhensible de rattrapage dans un environnement relativement hostile et sans construire d’alliances. On parle souvent de « pacte stratégique » entre la Chine et la Russie, mais il n’y a en réalité pas d’alliance entre les deux pays, le groupe de Shanghai étant un organisme de sécurité, pas un organisme militaire (échanges de renseignements, opérations communes de police).

Si le déploiement de la puissance chinoise en Asie du sud-est est dans tous les esprits, il est intéressant de souligner que la capacité de projection chinoise ne se limite pas à cet espace. Les ambitions chinoises se manifestent aussi dans l’océan indien. La Chine a noué des alliances avec des pays riverains de l’Océan indien (Birmanie, Bangladesh, Pakistan, Sri Lanka, Népal) pour se constituer des points d’appui militaires destinés à garantir sa capacité de mouvement dans la région. C’est ce que l’on nomme la stratégie du « collier de perles », qui inquiète beaucoup les responsables indiens. La Chine participe à la lutte contre la piraterie maritime au large de la Somalie. Cela a rendu visible leur capacité de projection, d’autant qu’ils ont envoyé leurs meilleurs bateaux. Pour la première fois avec l’opération Atalante la Chine a envoyé trois bateaux en Méditerranée. La Chine dispose aussi d’un réseau d’attachés de défense en Afrique en appui au développement d’actions de coopération militaire (y compris par la formation en Chine de cadres militaires africains) et en vue de faciliter le nombre croissant d’escales de navires chinois. Une vingtaine de représentations chinoises disposent d’un attaché de défense (notamment au Kenya, en Somalie, en Éthiopie, au Soudan et depuis une date récente à Djibouti).

2. L’affirmation de la Chine dans la gouvernance mondiale

La Chine s’affirme comme un acteur de premier plan dans un monde multipolaire, avec deux grands atouts, dont la France dispose également : son rang de puissance économique et son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. La multiplicité et la densité de ses interactions avec le reste du monde ne feront qu’accroître son souci et son intérêt à participer à la définition et la mise en œuvre d’une bonne gouvernance mondiale.

a. Une insertion confortée dans l’ordre économique international

Le 11 décembre 2011, après une quinzaine d’années de négociations, la Chine adhérait formellement à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Devenir membre de l’organisation lui permettait de poursuivre son développement fondé sur les exportations en facilitant sa pénétration des marchés étrangers. En contrepartie, elle abaissait ses droits de douane, élargissait ses quotas d’importations agricoles, ouvrait le secteur des services aux investisseurs étrangers. Mais cette adhésion matérialisait aussi le choix d’une insertion dans une mondialisation régulée et la soumission à des procédures. Si l’on répartit les membres de l’OMC en deux camps : les attaqueurs et les défendeurs, la Chine se range dans la deuxième catégorie pour 60 à 70 % des cas, ce qui est assez significatif des progrès qui demeurent à accomplir. Mais peu à peu, les Chinois s’habituent à la procédure et l’on peut dire que le comportement de la Chine est aujourd’hui celui d’une puissance commerciale coopérative.

Toutefois, si elle applique dans l’ensemble la lettre des accords de l’OMC, la Chine n’en applique pas toujours l’esprit, particulièrement là où les disciplines multilatérales sont les moins fortes, notamment en matière de subventions. Cela devient particulièrement problématique avec l’internationalisation des entreprises chinoises qui conquièrent des marchés grâce aux conditions de financement dont elles bénéficient. C’est, avec le volet barrières non tarifaires, les deux points pour lesquels des évolutions sont attendues. Par ailleurs, la Chine n’est toujours pas partie à l’accord plurilatéral sur les marchés publics (AMP), seul engagement international en la matière, conclu en 1994 hors du cadre de l’engagement unique de l’OMC.

Toujours en matière de régulation mondiale, la Chine est membre du G20, s’y implique de plus en plus comme le dénote sa demande d’en assurer la présidence en 2016, et sera bientôt, à la suite des réformes de quotas en cours, le deuxième actionnaire du FMI.

Sur un plan régional, la Chine participe aux efforts de structuration. On avait déjà pu observer une solidarité en temps de crise lorsque la Chine n’avait pas dévalué sa monnaie lors de la crise asiatique de 1997. Aujourd’hui, la solidarité a pris de l’ampleur à un double niveau : financier et en termes de libre-échange. La Chine a signé un accord avec l’ASEAN et des discussions préliminaires sont en cours pour un accord avec la Corée, ainsi que pour un accord trilatéral en matière de libre-échange avec le Japon et la Corée. La région se structure au niveau économique, avec l’émergence de sommets aux formats ASEAN +3 (ASEAN + Chine, Corée, Japon) et Asie du nord-est (Chine-Corée-Japon). L’Asie du nord-est en particulier devient un pôle de développement majeur pour toute l’Asie pacifique. On notera aussi que les échanges commerciaux sont en forte expansion avec Taïwan et ont atteint 168,9 milliards de dollars en 2012, les investissements taïwanais sur le continent s’élevant sans doute à plus de 172 milliards de dollars. Cela est dû en partie à l’Accord-cadre de coopération signé en 2010 et qui a été décliné en 19 accords, le dernier signé portant sur le commerce des services.

Le rapport à l’Union européenne est aussi un excellent exemple du comportement coopératif de la Chine à l’échelle internationale. Elle n’a en effet pas pris de mesures protectionnistes depuis 2008 et prend même des mesures pour rééquilibrer sa balance, ce que l’on peut attendre d’un partenaire. L’excédent courant de la Chine est ainsi passé de 10 % à 3 % de son PIB en quatre ans. Elle n’a pas joué de l’effet de change.

Enfin, l’exemple de l’OCDE, longtemps apparue comme un « club de pays riches », est intéressant. Les dirigeants chinois ont conscience que l’expérience des pays de l’OCDE leur est de plus en plus pertinente. Par ailleurs, la Chine se dit prête à accepter les responsabilités internationales qui vont de pair avec son importance économique croissante mais questionne des règles qui n’ont pas été définies par et pour les pays en développement. Cette question est légitime et implique que l’OCDE et ses pays membres invitent une participation active de la Chine dans la révision de ses instruments. La coopération s’est intensifiée.

La coopération entre l’OCDE et la Chine

L’organisation a développé une stratégie ambitieuse d’engagement renforcé avec les cinq grands pays émergents que sont l’Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, l’Inde et l’Indonésie en vue d’une éventuelle adhésion. Concernant la Chine, qui est une priorité, il s’agit d’abord d’encourager une intégration harmonieuse du pays dans l’économie mondiale, en invitant la Chine à adopter les standards forgés par l’OCDE, standards qui contribuent à définir un régime de concurrence internationale juste et des pratiques d’entreprise porteuses d’un développement durable. Il s’agit ensuite d’associer la Chine aux efforts multilatéraux visant à répondre aux défis mondiaux liés au changement climatique, à la sécurité énergétique et alimentaire, la stabilité financière internationale etc. Il s’agit enfin d’instaurer un échange en matière de politiques publiques, permettant à la Chine de bénéficier de l’expérience de pays plus avancés et aux pays membres de mieux connaître le gouvernement chinois, ses objectifs mais aussi ses innovations.

Les progrès sont notables, avec une coopération engagée dans quasiment tous les domaines de travail de l’OCDE et une participation accrue aux travaux des comités. La Chine participe activement dans les organes de l’OCDE qui impliquent un grand nombre de membre : elle a rejoint le Forum international des transports en 2011 (54 membres) et le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales (plus de 100 membres), et a signé en 2012 la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale. On notera aussi qu’une nouvelle convention fiscale franco-chinoise, renforçant la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, devrait être prochainement signée. Mais son engagement dans des cercles plus restreint reste prudent. Une des priorités actuelles est d’amener la Chine à signer la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales.

b. Une responsabilité politique inégalement assumée dans la gouvernance mondiale

La Chine est un membre permanent du Conseil de sécurité et, ne serait-ce que pour cette raison, elle a une responsabilité dans le destin collectif du monde. L’influence de la Chine à l’ONU va croissant, sa contribution la plaçant désormais au sixième rang des contributeurs. Or, s’agissant des crises, l’attitude chinoise, qui consiste à défendre un principe de non-ingérence dans les affaires intérieures, est de moins en moins compatible avec son poids. Le dossier syrien a constitué un irritant avec notre pays. La Chine s’est félicitée de l’adoption de la résolution 2118 sur le démantèlement de l’arsenal chimique syrien, car la Chine est très sensible à la question de l’utilisation des armes chimiques pour des raisons historiques évidentes. Mais elle a systématiquement posé son véto à toute résolution sur la solution politique à la crise, rejetant le principe de la responsabilité de protéger et se contentant de souhaiter une solution par la voie diplomatique. Néanmoins, il faut savoir regarder les signes positifs de changements.

D’abord, son souhait de favoriser la stabilité et la prospérité du monde, de concourir au développement ne tient pas que du discours. Un changement est intervenu depuis trente ans, que l’on peut sans doute dater de sa participation active à la résolution du conflit cambodgien et de sa participation financière, politique et en moyens humains à l’Autorité transitoire des Nations-Unies au Cambodge. Second soutien important, elle fournit un contingent de police civile pour le compte de l’Autorité provisoire des Nations-Unies au Timor-Oriental. Depuis 2000, elle est un acteur clé du maintien de la paix à New York et sur le terrain. 1769 soldats, policiers et personnels civils étaient déployés par la Chine en août 2013 d’après les statistiques de l’ONU, répartis sur neuf missions, la classant au dix-neuvième rang et premier État du P5 contributeur d’effectifs. Le contingent chinois au sein de la MINUSMA sera fort de 395 hommes et comprendra d’ailleurs pour la première fois une force de sécurité qui ne sera pas exclusivement dédiée à sa propre protection. On soulignera que dès le début de l’opération Serval, la Chine a soutenu la position française. En réponse à la crise en Syrie, la Chine a fourni une aide humanitaire aux populations civiles, ainsi qu’à la Jordanie. On peut souligner qu’un nouveau pas a été franchi au Mali, avec l’envoi de militaires chinois, certes non combattants, mais pas seulement des ingénieurs et des médecins.

Dans certains dossiers, la Chine exerce des responsabilités plus grandes. Concernant la non-prolifération, elle joue plutôt un rôle d’apaisement dans le dossier nord-coréen. Les Pourparlers à Six réunissent les États-Unis, la Chine, la Corée du Sud, le Japon et la Russie. La Corée du Nord est une préoccupation qui dépasse le cadre régional, car c’est la paix et la sécurité internationale qui sont en jeu. Le lancement d’un missile a été condamné en décembre 2012 par une résolution des Nations Unies adoptée avec l’aval de la Chine. Il en fut de même pour les sanctions votées à la suite de l’essai de février 2013, alors que la réticence chinoise à accepter l’adoption de sanctions internationales pour résoudre les crises de prolifération, qui lui permet de préserver certains partenariats, avec le Pakistan notamment, est bien connue. Rappelons que la Chine est dotée de l’arme nucléaire depuis 1964, est partie au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, soutient les objectifs de désarmement, mais n’a pas ratifié le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (38) et n’a pas déclaré de moratoire sur la production de matières fissiles pour les armes. Dans le cadre de sa participation au dialogue E3+3 sur le dossier iranien, la Chine a voté les résolutions prévoyant les sanctions à l’encontre de l’Iran, même si elle a cherché à en atténuer la portée. Une diplomatie active a aussi été conduite par la Chine pour stabiliser la situation entre le Soudan et le Soudan du Sud. Les intérêts, pétroliers notamment, de la Chine y sont importants et on l’a vu des visites croisées régulières et des pressions chinoises sur les deux pays en faveur d’une normalisation des relations. C’est une nouveauté. Enfin, on rappellera que la Chine ne s’est pas opposée à l’adoption de la résolution 1973 relative à la Libye fondée sur la responsabilité de protéger. Il faut souligner cependant qu’elle le regrette car elle estime que les intervenants ont été au-delà de ce qui avait été autorisé par la résolution des Nations-Unie. Elle s’en sert pour justifier aujourd’hui ses vétos au Conseil de sécurité des Nations-Unies sur la Syrie.

S’agissant des enjeux globaux, le changement climatique fait l’objet d’une implication croissante. La Chine a pris la mesure des problèmes que pose la dégradation de l’environnement sur son territoire, mais continue à revendiquer le principe de « responsabilités communes mais différenciées ». Elle s’inscrit à cet égard dans une alliance pragmatique avec les autres grands émergents. Parmi les pays en développement, le groupe BASIC, constitué du Brésil, de l’Afrique du Sud, de l’Inde et de la Chine, se distingue par sa volonté de faire valoir son droit à limiter les contraintes qui freineraient son développement économique. Le principe s’est concrétisé en 2010 à Tianjin, ville choisie pour organiser le sommet mondial de l’environnement, quelques jours à peine après avoir été la capitale du Forum économique mondial.

Ce principe de « responsabilités communes mais différenciées » est fondé sur l’idée que les pays développés et industrialisés sont les premiers responsables du changement climatique. Il leur incombe en conséquence de mettre en œuvre les moyens de la lutte contre ce phénomène : diminution de leurs émissions de gaz à effet de serre, soutien aux efforts d’adaptation des pays en développement, transferts de technologie pour assister les pays pauvres sur le chemin d’une croissance faible en carbone, appui financier aux pays pauvres pour assurer un développement durable dans le cadre de la convention sur le changement climatique. Les pays en forte croissance économique, tels ceux du groupe BASIC, subissant encore de grandes disparités territoriales, ne devraient pas être soumis aux mêmes contraintes, afin d’avoir le temps de réduire leurs inégalités intérieures.

Cependant, malgré cette position, la Chine participe à l’ensemble des travaux en cours. Ainsi, pour Monsieur LI Gao, Directeur adjoint du département du changement climatique de la Commission nationale pour la réforme et le développement (NDRC), « Doha a certes été nuancé mais a apporté des réponses notamment en termes de financement, et de consolidation de la plateforme de Durban. Les négociations sur la plateforme de Durban doivent continuer et être guidées par les principes du Protocole de Kyoto devenu effectif en 2005 ». 38 experts chinois participent d’ailleurs aux travaux du GIEC dont le dernier rapport a été publié le 27 septembre 2013. Les enceintes régionales sont d’ailleurs mises à profit pour promouvoir la protection de l’environnement et le développement vert (intervention du Président Xi Jinping lors du sommet de l’APEC le 9 octobre dernier.

c. Une intégration progressive dans le système monétaire international

Conséquence à la fois du 11 septembre et de l’entrée de la Chine à l’OMC, le basculement de la bulle financière vers l’Asie a conduit la Chine à s’engager dans une logique de diversification, en orientant une partie de ses investissements vers l’économie réelle. La tendance de la finance chinoise ces dernières années est donc à l’accumulation massive de réserves et à l’affectation d’une partie d’entre elles, qui allait autrefois en bons du Trésor américain, à un compartiment de diversification, sur un mode de gestion alternatif. C’est dans cette logique qu’un fonds d’investissement souverain, la China Investment Corporation (CIC) a été créé.

Sous la pression internationale, une fois ses exportations redressées avec la reprise économique mondiale, la Chine a consenti à apprécier sa monnaie, de manière contrôlée naturellement. Ce mouvement d’appréciation a été interrompu en 2011 puis repris. En avril 2012, la Chine a notamment élargi la bande de fluctuation quotidienne de 0,5 % à plus ou moins 1% par rapport au dollar, autour d’un cours pivot fixé quotidiennement par la banque centrale et a lié sa monnaie à un panier de devises. L’appréciation de la monnaie a incontestablement commencé et les économistes évaluent généralement à 10 % la sous-évaluation actuelle. À ce jour, la monnaie chinoise a gagné environ 45 % par rapport au dollar depuis 2005 et 14 % depuis 2010, et elle a atteint son plus haut niveau historique face au dollar.

Cette appréciation de sa monnaie sert aussi la Chine qui souhaiterait sans doute promouvoir le renminbi comme monnaie de réserve internationale, ce qu’il ne peut être dès lors qu’il n’est pas convertible. Cette situation apparaît de plus en plus comme une anomalie pour une économie qui a atteint le deuxième rang mondial. Le renminbi n’est actuellement pas convertible pour les comptes en capitaux dans le pays, le gouvernement chinois se méfiant des flux spéculatifs. L’internationalisation de la monnaie est objectivement en cours, mais cette évolution se fera de manière progressive, au rythme qui conviendra à la Chine. Certains signes sont notables.

Le renminbi a ainsi vu son rôle d’unité de compte et de moyen de paiement des contrats commerciaux chinois accru, au moyen d’un programme de promotion pour son utilisation pour le règlement des transactions commerciales, notamment à l’échelle régionale. 18 provinces y ont accès (95 % du commerce extérieur chinois). Depuis janvier 2011, les investissements directs sortants peuvent être libellés en renminbi. Par ailleurs, un marché offshore d’actifs libellés en yuans s’est développé à Hong Kong : les transferts de fonds entre comptes renminbi offshore sont libres de tout contrôle depuis juillet 2010 et sur ce marché des obligations libellées en yuan (dites Dim Sum) sont émises (CNH, Yuan convertible à Hong Kong par opposition au CNY). Par ailleurs, comme indiqué précédemment, une zone de libre-échange est expérimentée à Shanghai avec la libre convertibilité du yuan sur les comptes de capitaux ainsi que des échanges transfrontaliers de sa devise, et y testera une libéralisation des taux d’intérêt.

Pour s’échapper de la crise du dollar, la Chine a également choisi de recourir à l’internationalisation du Renminbi, en soutenant ce dernier par des valeurs et par des achats d’or physique (mines en Russie). Vingt pays de l’ASEAN ont à ce jour conclu des accords d’échange de monnaie – swap (39). Plusieurs pays de la région suivent déjà plus le renminbi que le dollar (c’est le cas de la Thaïlande, de la Malaisie, de Singapour, de l’Indonésie, de la Corée du sud et de… Taïwan). La Chine et le Brésil ont signé le 26 mars 2013 lors du sommet des BRICS à Durban un accord de swap pour un montant de 30 milliards de dollars, que l’on considère comme une première étape vers un système d’échange de devises unifié au sein des BRICS (même si le projet de pool de réserves de change en est resté à la simple annonce).

Le 9 octobre 2013, la BCE et la People’s Bank of China ont signé une facilité bilatérale de swap, l’accord portant sur un maximum de 350 milliards de yuans et 45 milliards d’euros. C’est un montant significatif, le plus élevé hors d’Asie (l’accord récent avec la Bank of England porte sur 200 milliards de yuans) et le troisième après Hong Kong et la Corée du sud. Il faut savoir que la France s’est beaucoup impliquée dans la signature de cet accord. 21 % des paiements entre la Chine et la France étaient libellés en renminbi en mars 2013 et les dépôts bancaires en renminbi s’élèvent à quelques 10 milliards de renminbi, soit le deuxième pôle en Europe après Londres. En 2011 et 2012, sept grandes entreprises françaises ont émis des obligations en renminbi : Air Liquide, Alstom, Renault, Lafarge, Société générale, Véolia et BNP Paribas, pour près de 7 milliards de dollars (même montant pour les entreprises allemandes mais deux fois plus que les britanniques). Près de la moitié des grandes entreprises françaises seraient déjà actives sur le marché du renminbi offshore.

On peut estimer crédible l’hypothèse d’un Yuan convertible à l’horizon 2020-2025.

II. LA FRANCE DOIT MIEUX TIRER SON ÉPINGLE DU JEU ET RÉNOVER SON IMAGE D’ACTEUR CRÉDIBLE SUR LES PLANS POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE

Au sein du grand ensemble que constitue l’Union européenne, trois pays situés à la fin des terres à l’ouest (carte centrée sur l’Empire du milieu) sont des partenaires privilégiés de la Chine : le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France. Vue de Chine, la France est un partenaire politique, une puissance mondiale, mais dont la tendance est de bouillonner dans tous les sens, ce qui est difficile à comprendre en Chine. L’Allemagne donne l’image d’un partenaire économique, disposant d’une organisation ordonnée, structurée, avec une initiative par secteur de coopération, chacune appuyée par la classe politique. Le Royaume-Uni quant à lui est d’abord le pays du libéralisme économique et de l’anglais.

Il s’agit donc d’abord de procéder à une mise en ordre, qui fortifie le partenariat politique et développe le partenariat économique. Car comme le soulignait à juste titre Jean-Pierre Raffarin (40) lors de son audition par la mission : « Il ne faudrait pas que s’installe l’idée qu’avec la France on fait de la politique et avec l’Allemagne des affaires ». « Constance et consistance » (41) doit être le mot d’ordre, permettant aussi de véhiculer une image plus claire et plus positive de la Chine en France et de la France en Chine. Car cette question de l’image est fondamentale. C’est en améliorant l’image de chacun de nos pays dans l’autre, au moyen d’un rapprochement entre nos deux sociétés, que nous saurons inscrire une relation bilatérale précieuse dans le temps long.

A. ÊTRE MIEUX ORGANISÉS ET PLUS OFFENSIFS DANS NOS RAPPORTS AVEC LA CHINE

1. Ancrer une relation exceptionnelle dans la durée

La France est considérée par la Chine contrairement à l’Allemagne, comme une puissance globale : statut de membre du Conseil de sécurité, capacité de projection militaire, connaissance profonde de l’Afrique, tradition d’une diplomatie universelle, sur les plans thématique et géographique, rayonnement culturel… De son côté la France a reconnu la République populaire de Chine dès 1964 et construit avec elle une relation politique dès lors singulière, qui à la fois confère une force extraordinaire aux liens qui unissent les deux pays et crée une hypersensibilité qu’il convient de mieux maîtriser. C’est la raison pour laquelle il faut apporter de la prévisibilité et du pragmatisme, pour créer un cadre propice à l’épanouissement de nos relations dans tous les domaines et dans la durée.

a. Un partenaire stratégique de premier plan

Le dispositif français en Chine est loin d’être sous-dimensionné. Une comparaison avec les deux autres grands émergents que sont l’Inde et le Brésil l’illustre.

Le nombre de visites officielles bilatérales s’établit à 13 pour la Chine, contre 14 pour l’Inde et 5 pour le Brésil. En nombre d’emplois temps plein (ETP), notre dispositif diplomatique en Chine arrive nettement en tête, avec 301 ETP, contre 218 pour l’Inde et 196 pour le Brésil (387 aux États-Unis). Nous y avons 6 consulats (Shanghai, Hong Kong, Canton, Wuhan, Chengdu et Shenyang), contre 5 en Inde et 4 au Brésil (10 aux États-Unis).

Le ministère des Affaires étrangères y dépense annuellement 31,7 millions d’euros, étant précisé que l’Institut français local y lève 9,8 millions d’euros (en sus des recettes que perçoivent les 15 alliances françaises). La dépense demeure certes bien plus élevée aux États-Unis (53,2 millions d’euros), mais elle est bien supérieure à celle consacrée à l’Inde, dont le montant est de 20,3 millions d’euros, alors que les établissements à autonomie financière (Institut français et Institut français de recherche à l’étranger) y lèvent moins de 1,1 million d’euros, du fait de la présence historique des Alliances françaises (au nombre de 16), qui bénéficient d’une subvention de 140 000 euros. Le Brésil bénéficie de crédits un peu plus élevés, mais toujours très en-deçà : la dépense totale du ministère des Affaires étrangères s’élève dans ce pays à 22,6 millions d’euros, les deux établissements à autonomie financière levant près de 2,4 millions d’euros, ce qui n’est pas négligeable sur cette « terre d’Alliances », les 36 Alliances françaises bénéficiant de 155 040 euros de subventions.

Dans ces trois pays, l’Agence française de développement a reçu mandat d’intervenir en 2006. Une fois encore, la Chine apparaît comme le premier bénéficiaire, avec un encours de prêts d’un milliard et une production de 130,6 millions d’euros. Le montant total de prêts, encours et production confondus, est de 768,4 millions d’euros pour le Brésil et 307,4 millions d’euros pour l’Inde. Votre Rapporteur considère que la présence française sous forme de prêts dans un pays comme la Chine est une corde à l’arc de notre influence, mais que les prêts ne devraient pas comporter d’avantage sous quelque forme que ce soit et que l’AFD n’est pas nécessairement le bon opérateur, sa mission étant d’intervenir dans des pays véritablement en développement avec des prêts aidés.

L’importance accordée à la Chine se manifeste particulièrement dans certains volets de son action.

D’abord, le réseau de coopération et d’action culturelle est devenu l’un des plus importants au monde avec environ 600 agents, français et chinois, travaillant dans quinze villes. Notamment, le réseau Campus France en Chine dispose de plus de 60 agents avec un maillage territorial important : il existe 6 Espaces, implantés dans les villes de Pékin, Canton, Chengdu, Shanghai, Shenyang et Wuhan, disposant d’un Centre pour les études en France (CEF), ainsi que 7 antennes, situées à Chongqinq, Hangzhou, Jinan, Nankin, Qingdao, Xi’an et, depuis mars 2013, Kunming. Aucun autre pays étranger ne dispose d’un tel réseau culturel en Chine. Il faut souligner la présence de 13 Alliances françaises (hors Hong Kong et Macao), alors qu’il n’y en avait que 3 avant 2000. Les soutiens accordés par l’Institut français parisien s’élevaient à 348 500 euros en 2012 ; cela paraît peu mais la Chine est le quatrième ou cinquième pays d’intervention selon les années après les États-Unis, le Japon, l’Allemagne et le Brésil.

Ensuite, le renforcement du volet économique du dialogue politique est une priorité bien identifiée. La Chine est aujourd’hui le pays pour lequel la France a le plus fort dispositif économique à l’étranger et les plus fortes augmentations d’effectifs. C’est le cas de la mission économique de l’Ambassade à Pékin (34 personnes), alors même que les effectifs globaux sont en baisse. Le nouveau dispositif de soutien à l’internationalisation des entreprises françaises mis en place en septembre 2009 avec la création d’Ubifrance Chine est constitué d’une équipe biculturelle de 85 personnes, répartie dans sept bureaux (Shanghai, Pékin, Canton, Chengdu, Wuhan, Shenzhen et Hong Kong). Le nombre de VIE a cru de 3,2 %, la Chine, en accueillant 645 fin 2012 pour le compte de 308 sociétés différentes contre 620 en 2009. De même, Ubifrance continue d’étendre sa couverture territoriale de la Chine. Si l’on agrège les effectifs du service économique régional et ceux d’Ubifrance, la Chine est, de loin, le pays où sont rassemblés les moyens humains les plus importants : 119 contre 82 aux États-Unis, 59 en Inde, 48 au Japon et 46 au Brésil. Le nombre d’accompagnements d’entreprises a crû de plus de 35 %, passant de 920 à 1243 par an entre 2009 et 2012. Le chiffre d’affaires a progressé de 56 %, passant de moins de 900 000 euros à 1,4 million d’euros.

Les entreprises que la mission a pu rencontrer, particulièrement lors du déplacement en Chine, ont mis en exergue l’importance de la stabilité de la relation politique comme gage de réussite des projets. Nombreuses sont celles qui ont souffert des suites de l’altération de la relation politique en 2008. Mais c’est aussi le besoin d’une caution politique au dialogue économique qui a été souligné au cours des auditions. Dans le cadre du renforcement du volet économique de notre diplomatie, huit personnalités, dont l’expérience et la compétence exceptionnelle sont reconnues, ont été désignées afin d’enrichir l’action des servies de l’État. C’est notamment le cas de la Chine, pour laquelle Mme Martine Aubry a été désignée Représentante spéciale (42). C’est très important pour un pays comme la Chine de disposer ainsi d’un interlocuteur de haut rang occupant une position « non officielle ». Le bilan de cette expérience, qui s’inscrit dans la lignée de l’engagement de longue date de M. Jean-Pierre Raffarin, est très positif.

La France et la Chine ont mis en place un dialogue stratégique en 2001, soit avant le Royaume-Uni (2004 (43)), les États-Unis (2009 (44)) et l’Allemagne (2010 (45)). Le dialogue stratégique franco-chinois se traduit par :

– une session plénière par an au niveau du conseiller diplomatique du Président de la République et du Conseiller d’État chargé des affaires étrangères. La dixième session du dialogue stratégique franco-chinois s’est tenue à Pékin en septembre 2012 et la prochaine aura lieu à Paris en amont de la visite du Président chinois en France, prévue pour mars 2014, soit sans doute en janvier 2014 ;

– douze sous-groupes de travail : échanges politico-militaires, Afrique, aide au développement, Afrique du nord et Moyen-Orient, réunion mixte d’État-major, dialogue stratégique et militaire, maîtrise des armements et prolifération, lutte contre le terrorisme, coopération en matière d’équipements de défense, secteurs économiques structurants, nucléaire civil et secteur spatial. Sur le plan de la coopération économique, sont donc couverts aussi bien les secteurs structurants de notre coopération que les secteurs à développer. Quant à la dimension politique, les intitulés des groupes parlent d’eux-mêmes ;

– Un dialogue régulier entre les ministres des Affaires étrangères, étant rappelé que le 30 octobre dernier M. Wang Yi a rencontré M. Laurent Fabius à Paris à l’occasion de son premier voyage en Europe.

Les deux partenariats stratégiques structurants de la relation bilatérale sont l’énergie, particulièrement le nucléaire, et l’aéronautique. Il faut souligner qu’en 2014 nous fêterons, outre l’établissement des relations diplomatiques, le trentième anniversaire de notre coopération nucléaire.

L’énergie et l’aéronautique : les deux partenariats stratégiques structurants

En matière de nucléaire, la Chine possède aujourd’hui 17 réacteurs nucléaires en opération, est en train d’en construire 28 et en a 20 en projet. Au niveau mondial, 45 à 50 % des nouvelles constructions nucléaires sont destinées au marché chinois. En 2030, elle possèdera la première base nucléaire installée. Le parc nucléaire chinois est très marqué par la coopération avec la France : 6 des réacteurs actuellement en opération utilisent la technologie française. Parmi les réacteurs en projet, plusieurs utiliseraient également notre savoir-faire. Mais les acteurs chinois se renforcent, et il ne faut pas sous-estimer le savoir-faire technologique du pays. Il y a désormais une base de fournisseurs chinois. Pour Areva, la Chine a représenté 900 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012, soit 10 % du CA de la société. Ainsi, si EDF est le premier client d’Areva, le deuxième n’est autre que la CGN chinoise. Areva ne déploie toutefois que 1% de ses effectifs en Chine, mais la compagnie française a déjà établi quatre joint-ventures dans le pays. La Chine représente aussi 40 % des ventes d’uranium d’Areva.

Areva construit deux réacteurs EPR à Taishan, dans la province de Guangdong. Il faut rappeler que c’est le plus important contrat commercial signé dans l’histoire du nucléaire civil (signé le 26 novembre 2007). L’EPR sera construit avant celui de Flamanville, compte tenu de l’expertise chinoise en matière de construction. Le China Guangdong Nuclear Power Corp (CGNPC) a des emplacements pour les tranches trois et quatre, et même pour les cinq et six si souhaité ; il n’y a donc pas de risque de remise en cause par des manifestations civiles. Par ailleurs, la France n’est pas engagée que dans la production, mais aussi dans l’aval et il est important de disposer d’un accord avec un partenaire chinois pour un réacteur de 1.000 mégawatts/heure.

Les investissements d’EDF en Chine ont toujours été rentables – mais modestement. Aujourd’hui, la part de la Chine dans le chiffre d’affaires total de la compagnie reste modeste : le pays rapporte 50 millions d’euros par an à l’électricien français (prévision de multiplication par 7 d’ici dix ans grâce aux projets en cours). La coopération énergétique franco-chinoise a été réaffirmée à l’occasion de la rencontre en avril 2013 du Président François Hollande avec Xi Jinping. Les deux chefs d’État ont appelé à la coopération de leurs entreprises en vue de co-développer de nouveaux types de réacteurs de troisième génération. Un accord tripartite EDF, Areva et CGN a été signé à cette occasion, qui envisage une coopération dans les projets internationaux

Concernant l’aéronautique, Airbus a signé en 2005 un partenariat sur la production d’A320 en Chine, avec une usine d’assemblage à Tianjin et un objectif de 284 avions construits (cadence de quatre avions par mois). Ce contrat vient à échéance début 2016 et les discussions pour la suite à donner au joint-venture qui exploite le site (49 % pour Airbus, 51 % pour un consortium chinois dans lequel figure le constructeur aéronautique Avic) ont débuté l’an dernier. Ces négociations sont très importantes alors qu’arrivera sur le marché vers 2018 le C919, un avion chinois de la même catégorie que l’A320.

Actuellement Airbus détient 50 % de parts de marché des avions de plus de cent places en Chine continentale. C’est donc sur les vols longs courriers qu’un accent pourrait être porté, notamment avec l’A330. Lors de la visite du Président de la République en Chine en avril dernier, les autorités chinoises ont validé la commande de 60 avions : 18 A330 et 42 A320. Lors de la quinzième édition du Salon aéronautique de Pékin en septembre dernier, 68 Airbus A320 ont fait l’objet d’une commande (BOC Aviation Qingdao Airlines et Zhejiang Lelong Airlines). Il convient naturellement d’appuyer le groupe pour que se poursuive cette tendance, alors que les compagnies aériennes auront plutôt tendance à freiner les commandes et que des rumeurs circulent sur une implantation de Boeing. A l’occasion du Salon de Pékin, une version allégée de l’A330-300 destinée en particulier aux opérateurs de lignes nationales ou régionales a été annoncé, permettant une réduction globale des coûts de 15 %.

On notera que la coopération se poursuit aussi en matière de recherche, avec notamment la création d’un centre de recherches franco-chinois sur les technologies numériques dans le domaine des matériaux aéronautiques à Pékin (centre de recherche conjoint entre la société française ESI et le Beijing Institute of Aeronautical Materials).

Si l’on compare avec les partenariats de nos principaux partenaires « concurrents », en mettant de côté le nombre de dialogues qui n’est pas toujours un critère pertinent (il en existe 90 avec les États-Unis, déclinant ainsi leur politique de « endigagement », et presque autant avec l’Union européenne), on soulignera, d’une part, que la France, contrairement aux États-Unis, au Royaume-Uni et à l’Allemagne, ne dispose que d’un dialogue informel sur les droits de l’homme (les trois autres pays conduisent un dialogue annuel, le dernier s’étant tenu avec les États-Unis au niveau des directeurs d’administrations centrales en juillet dernier). D’autre part, la France n’entretient pas à ce jour de dialogue économique et financier au niveau des vice-ministres, le Royaume-Uni étant le seul pays européen qui en dispose. Ce manque est toutefois en passe d’être comblé puisque la mise en place d’un tel dialogue a été décidée lors de la visite d’État du Président François Hollande en Chine les 25 et 26 avril dernier.

La relation franco-chinoise est très affective, compte tenu de sa dimension historique, ce qui provoque une sensibilité parfois excessive à nos positions, bien plus qu’à celle des partenaires « de raison ». La réaction à la position française sur les droits de l’homme lors des jeux olympiques de Pékin l’a démontré. Pour autant, tout en trouvant les formes appropriées, la relation franco-chinoise doit être complète et franche et notre dialogue politique avec la Chine a une vocation globale. Il inclut tous les sujets, y compris les plus sensibles, et nous devons continuer à soutenir la perspective de réformes politiques en Chine. Il n’est pas forcément indispensable que cela se traduise par un dialogue dédié, car en réalité la question des droits de l’homme n’est pas sectorielle, mais transversale : respect de la liberté d’information et d’expression, ratification du pacte international pour les droits civils et politiques, abolition du système de rééducation par le travail, abolition de la peine de mort, respect des droits des prisonniers et des avocats, droits à l’action collective, droits culturels... Un dialogue de haut niveau entre sociétés civiles (« people to people ») sur le modèle de ce qui existe entre les États-Unis et l’Union européenne serait une piste à creuser.

Les programmes de soutien à la société civile et aux avocats chinois, au-delà des cas ponctuels, sont importants car ils accompagnent la transformation que nous espérons positive de la législation chinoise et du fonctionnement de la justice. Il en est de même de la coopération entre les parquets. Par ailleurs, la question des minorités religieuses doit demeurer posée. L’accent devrait être mis sur la liberté religieuse et la libre désignation des représentants des pouvoirs religieux, ainsi que sur les droits culturels, indépendamment du statut du Tibet. Enfin, si l’efficacité ne va pas forcément de pair avec le discours public, il est parfois utile, notamment vis-à-vis de l’opinion publique chinoise, que la parole se fasse publique sur certains dossiers particuliers. C’est le cas de la peine de mort, qui est un axe d’action fort de la France en Chine. C’est aussi le cas de la détention du prix Nobel de la paix Liu Xiaobo, dont la libération a publiquement été demandée par les États-Unis et l’Union européenne. Plusieurs pays l’avaient félicité. L’Allemagne avait souhaité qu’il puisse recevoir le prix en personne. La France est restée silencieuse.

b. Une présence économique française insatisfaisante

Les échanges commerciaux franco-chinois se caractérisent par des volumes en forte progression. Il y a dix ans, les échanges entre nos deux pays étaient insignifiants. Aujourd’hui, nos exportations vers la Chine et Hong-Kong représentent 20 milliards d’euros, soit environ 5 % du total de nos exportations, ce qui fait de la Chine notre septième client dans le monde. En 2012, les exportations françaises vers la Chine continentale ont encore progressé de 11,9 % pour s’établir à 15,1 milliards d’euros, même si leur croissance est moins marquée que celle enregistrée entre 2010 et 2011. La part de la Chine dans le total des exportations françaises passe donc de 2,82 % en 2010 à 3,21 % en 2011 puis 3,49 % en 2012. De même, nous avons importé de Chine pour 41,2 milliards d’euros en 2012, ce qui représente 8-9 % du total de nos importations. La Chine est ainsi notre deuxième fournisseur, derrière l’Allemagne et devant la Belgique. Nos échanges avec la Chine sont environ six fois plus élevés que les échanges commerciaux franco-indiens. On notera toutefois que la croissance des importations s’est repliée à +0,3 %, entrainant une légère diminution de la part de marché de la Chine en France à 8,01% en 2012.

Un sixième de l’augmentation des exportations françaises en volume entre 2011 et 2012 était dirigé vers la Chine. Les exportations françaises vers la Chine se composent plutôt de produits à valeur ajoutée relativement forte. L’aéronautique est en tête : au cours des dix dernières années, il représente en moyenne le quart des ventes françaises à la Chine et explique également le quart de leur croissance. La vente d’équipements, notamment nucléaires, constitue le deuxième poste des exportations françaises vers la Chine, représentant en 2012 24 % des exportations totales. Viennent ensuite le secteur agricole et agroalimentaires (11%) et celui de la chimie, des parfums et des cosmétiques (9,7 %). Certains biens de haute technologie, comme la pharmacie et la chimie, des biens de moyenne technologie (machines et équipements), ainsi que les boissons, voient leur poids dans les exportations augmenter depuis 2000. En revanche, les produits désormais fabriqués en Chine, comme les téléphones, le matériel électrique et les composants électroniques, pèsent de moins en moins dans les exportations françaises.

En 2012, selon les données des douanes françaises, 11 341 entreprises françaises ont exporté leur production en Chine. Parmi elles, on recensait 4 324 micro-entreprises (46), soit 38 % des entreprises exportatrices, qui ont contribué à hauteur de 3,8% du volume total des exportations. Les grandes entreprises représentent 62 % du volume des exportations françaises, les ETI 22,6% et les PME 11,9 %.

Concernant les importations depuis la Chine, elles restent dominées par les articles d’habillement (22,3 % du total en 2012), mais la part croissante des achats de produits informatiques, électroniques et optiques est notable. Ils représentaient en 2012 31,8 % de nos importations de Chine, expliquant la moitié du déficit bilatéral. Un téléphone portable sur deux acheté en France est fabriqué en Chine, et trois ordinateurs portables sur quatre le sont également. En revanche, la part des produits à faible valeur ajoutée importés de Chine (articles de sport, jeux et jouets, cuir, bagages, chaussures) tend à se réduire.

La part de marché de la France est modeste : elle est de 1,33 %, lorsque celle de l’Allemagne par exemple dépasse les 5 %. Elle est inférieure à celle de la France en Inde (environ 1,5 %). Cela étant, notre part se situe dans notre moyenne pour un marché lointain (1,5 % de parts de marchés en Asie, 1 % au Vietnam, 2,5 % en Australie) et étant donné notre niveau de compétitivité globale. Nous sommes en Chine au même niveau que l’Italie ou la Grande-Bretagne.

Le déficit commercial français est en repli. En 2012, il s’est réduit de 6,9 milliards, pour atteindre -67,2 milliards, à la fois par suite du dynamisme des exportations de certains biens (performance de l’aéronautique notamment) et de la contraction des importations du fait de l’atonie de la demande intérieure. Avec la Chine, le déficit bilatéral s’est réduit en 2012 à -26,5 milliards, après -27,8 milliards en 2011. Le repli des importations en provenance d’Asie se confirme et s’accentue au premier semestre 2013 par rapport au semestre précédent (-5,6 %, après -1,9 %). Il est prononcé concernant la Chine. La baisse concerne surtout les produits électroniques et informatiques (ordinateurs, téléphonie) et l’habillement, traditionnels points forts de la spécialisation chinoise. De ce fait, le déficit bilatéral vis-à-vis de la Chine se réduit à -12,6 milliards, après -13,3 milliards au semestre précédent. C’est en partie un « rééquilibrage par le bas » auquel nous assistons, pour reprendre les termes de l’ancien Ambassadeur de Chine à Paris, point de vue qui néglige toutefois la hausse importante des ventes d’Airbus dans l’évolution du solde.

L’ÉVOLUTION DU SOLDE COMMERCIAL AVEC LA CHINE ET HONG KONG EN GLISSEMENT SEMESTRIEL

Source : Douanes françaises, in Le chiffre du commerce extérieur, 1er semestre 2013, Département des statistiques et des études économiques, 7 août 2013

Le déficit commercial à l’égard de la Chine reste – et de loin – le premier déficit : il représente 39 % de notre déficit total. Dès lors et compte tenu des projections économiques, la Chine est un élément crucial pour la croissance de nos exportations et pour le pilotage de notre commerce extérieur et de notre balance commerciale. Rappelons que le Premier ministre a fixé comme objectif d’atteindre l’équilibre de la balance commerciale hors Énergie avant la fin du quinquennat.

Il faut toutefois nuancer l’ampleur du déficit bilatéral. D’une part, l’explication tient en partie à des éléments structurels. La Chine étant « l’usine du monde », il est parfaitement logique que de nombreuses marchandises y transitent. Or, les statistiques chinoises d’exportation prennent indifféremment en compte les produits fabriqués en Chine et les produits qui y sont simplement assemblés (comme l’Ipad), ce qui conduit à une déformation des chiffres de notre commerce avec la Chine. Les calculs en valeur ajoutée montrent que la Chine représente en réalité un déficit moindre que le déficit officiel, peut-être d’un tiers. D’autre part, il faudrait intégrer environ deux de nos cinq milliards d’excédent avec Hong Kong, qui sont des transactions indirectes avec la Chine continentale, et tenir compte des sommes dépensées par les touristes chinois en France.

En termes d’investissements, la France est clairement en-dessous du niveau où elle devrait se situer. Beaucoup d’entreprises françaises sont présentes en Chine, mais elles investissent peu. Leur expansion en Chine est plutôt nourrie par des financements locaux, ainsi que par le réinvestissement de leurs bénéfices locaux – qu’elles ne peuvent pas réinvestir à l’étranger, ce qui constitue un vrai frein à l’implantation en Chine. Sur les près de 1400 entreprises françaises présentes en Chine, dix emploient un effectif compris entre 10 000 et 50 000 salariés et deux comptent plus de 50 000 salariés dans leurs rangs. L’ensemble des effectifs employés par des entreprises françaises se situerait, selon les estimations de la Direction générale du Trésor, aux alentours de 500 000 personnes. Les 15 sociétés françaises avec les plus importants effectifs en Chine totaliseraient donc un peu plus de 75 % des emplois. Ces entreprises génèrent un chiffre d’affaires de plus de 40 milliards d’euros.

Selon les chiffres de la Banque de France, les flux d’investissement français en Chine ont atteint 1,59 milliards d’euros en 2011 (1,4 en 2010), représentant 2,57 % du total de nos investissements, ce qui place la Chine au douzième rang de destination des investissements français. Ces investissements ne représentaient en 2011 que 13,1 milliards d’euros en stocks, soit 1,38 % du stock total des investissements français à l’étranger (cette part s’élève à 2,26 % si l’on intègre Hong-Kong, Taiwan et Macao). La Chine était au treizième rang en stocks d’investissements français. Le secteur manufacturier chinois représente encore 46,3 % du stock, suivi par les activités de services financiers (17,16 %), l’industrie chimique (15,4%), la production et distribution d’électricité, de gaz, de vapeur et d’air conditionné (8,2 %), l’automobile et les matériels de transports (5,9 %), les équipements informatiques et électroniques (5,33%) et la métallurgie (5,29 %).

La tendance est à la progression. En 2005, le stock d’investissements français en Chine était de 3,1 milliards d’euros et de 2005 à 2011 les flux d’IDE vers la Chine ont représenté au total 6,7 milliards d’euros. Si l’on prend l’hypothèse que les fonds propres équivalent à un tiers du coût des investissements, le total d’investissement sur cette période de cinq ans serait de 20 milliards d’euros. De même, concernant la répartition géographique, les investissements français, auparavant limités à quelques grands centres d’affaires situés dans des provinces côtières et à Pékin, tendent aujourd’hui à se diversifier, notamment en direction des villes du centre et de l’ouest comme Chengdu et Wuhan.

FLUX ET STOCKS D’IDE FRANÇAIS EN CHINE

Source : Banque de France et direction générale du Trésor

c. Une nouvelle séquence ouverte en 2013 et à consolider en 2014

Le Président de la République François Hollande a été le premier chef d’État étranger à avoir été reçu à Pékin en visite d’État par la nouvelle équipe, les 25 et 26 avril 2013. C’est un signe important du souhait des autorités chinoises de donner un nouvel élan au partenariat avec la France et, par son intermédiaire, au partenariat euro-chinois. Le Président de la République a eu plusieurs heures d’entretien avec son homologue. Les deux chefs d’État ont affirmé leur volonté d’une relation bilatérale stable, équilibrée et tournée vers le long terme.

Cette visite était l’occasion de fixer à la fois le cadre et le rythme de la relation bilatérale pour les années à venir. Elle a aussi été l’occasion de l’inscrire dans la durée. Les chefs d’État sont convenus de faire de l’année 2014 un temps fort pour le partenariat global stratégique franco-chinois, avec les célébrations du cinquantième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques. Cette visite d’État a permis à la relation bilatérale de progresser dans trois directions principales. Sur le plan de l’architecture du dialogue politique, le principe d’une rencontre annuelle entre les deux chefs d’État a été décidé. La visite d’État a réaffirmé le rôle du dialogue stratégique, ainsi que des échanges plus réguliers entre ministres des affaires étrangères pour le suivi et la coordination de la relation bilatérale. Le ministre des Affaires étrangères chinois est venu en France en octobre dernier, une première depuis trois ans, alors que le Président chinois est attendu en France au printemps 2014.

Sur les objectifs du partenariat, il s’agissait en premier lieu d’acter le renforcement du partenariat global stratégique, cadre de la relation bilatérale. La Chine et la France, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et du G20 notamment, souhaitent renforcer leur concertation sur les grandes questions internationales (crises régionales, notamment la situation au Mali sur laquelle la Chine a réaffirmé son soutien, crises de prolifération) et globales (G20, développement, climat). Notre présence au Conseil de sécurité de l’ONU nous donne une influence et il faut donc nourrir notre relation politique avec la Chine. Certes, « l’hyperpuissance américaine a fait son temps et les Occidentaux ne mènent plus le monde » pour citer Hubert Védrine, mais que cela doit-il signifier pour la France et sa politique étrangère ?

La bonne approche est évidemment d’engager la Chine, au sens anglo-saxon du terme. Nous avons des désaccords de fond sur certains dossiers, mais qui n’ont pas d’impact sur la qualité de la relation et c’est une réalité que la Chine souhaite aujourd’hui endosser une plus grande responsabilité et que nous devons l’y encourager. Il en va de la crédibilité des organisations internationales fondées après la seconde guerre mondiale, de leur faculté d’adaptation au monde d’aujourd’hui, qui ne peut se réaliser sans les grands émergents, mais aussi de la crédibilité de la Chine elle-même, qui doit convertir les attributs de la puissance en puissance responsable et proactive. Il est essentiel que la France intensifie son dialogue avec la Chine sur les enjeux multilatéraux et que la concertation soit améliorée dans les enceintes multilatérales. La réforme du système monétaire international est également un sujet majeur. Car sur tous ces sujets de régulation de l’ordre économique mondial, nous partageons des objectifs communs : la croissance et le développement. Parallèlement, nous devons également réfléchir à la structuration des dialogues d’hommes d’affaires. La mise en place d’un P20 (équivalent du G20 pour le patronat), par exemple, pourrait constituer un outil efficace.

Un dossier particulier appelle un commentaire spécifique : celui du climat. L’implication de la Chine dans la préparation de la COP 21 de 2015 qui se tiendra à Paris pourrait être un terreau fertile pour lancer une initiative commune sur le sujet majeur de la lutte contre le changement climatique. La Chine démontre qu’elle souhaite se saisir de ces enjeux et qu’elle conduit une politique déterminée sur le plan intérieur qui pourrait se prolonger par un rôle actif dans les instances multilatérales. La France est en pointe. Il y a là une belle action à conduire ensemble.

En deuxième lieu, sur le plan économique, les chefs d’État ont décidé la création d’un dialogue économique et financier de haut niveau, qui sera conduit par le ministre français de l’Économie et des Finances et le vice-Premier ministre chinois en charge de ces questions, M. Ma Kai. Il doit permettre de parler notamment de discipline en matière de crédits à l’exportation, de système concurrentiel plus respectable, de politique commerciale, d’environnement des affaires et d’équilibre des monnaies. La première session de ce dialogue a eu lieu les 25 et 26 novembre derniers.

La réciprocité est un mot qui ne plaît guère aux Chinois, qui lui préfèrent l’expression gagnant-gagnant (win-win). Mais plutôt que de s’attarder sur les mots, examinons le contenu qu’il conviendrait de leur donner pour déterminer si nos positions convergent. Très clairement, s’agissant de l’accès au marché, les Chinois estiment que la réciprocité ne peut être que proportionnelle au niveau de développement et de maturité des entreprises nationales. C’est ce qui les gêne dans l’idée d’une réciprocité, qui sous-entend selon eux une symétrie. Or, le principe de réciprocité n’exclut pas des limitations, pour des raisons économiques ou politiques (la France défend avec vigueur l’exception culturelle). Si tant est qu’elles soient justifiées…

La Chine n’est plus un pays en voie de développement. Dans un certain nombre de secteurs, les entreprises chinoises sont performantes, parfois meilleures, et disposent de conditions privilégiées par rapport aux entreprises étrangères, particulièrement en termes de financement et de procédures administratives. Ensuite, la participation des entreprises étrangères est bénéfique à la Chine, notamment pour développer la montée en gamme de son économie et accélérer la transformation du modèle économique vers une croissance qualitative et durable. Comme le souligne d’ailleurs le treizième « Position paper » de la Chambre européenne de commerce en Chine, rendu public le 5 septembre 2013, il n’est plus question pour la Chine de choisir entre réformes structurelles, dont l’élargissement de l’accès au marché, et objectifs de croissance : les premières sont devenues une condition nécessaire à une croissance durable. Pour la France, la présence de ses entreprises en Chine est positive pour soutenir la croissance, au travers des exportations, des remontées financières et de l’effet d’entrainement induit, notamment en matière de recherche et développement. C’est donc bien un partenariat gagnant-gagnant qui découle de l’application du principe de réciprocité. C’est ainsi que la France l’entend. Ce principe signifie aussi que les investisseurs chinois sont bienvenus dans notre pays.

La France dispose d’atouts importants, d’entreprises de grande qualité, disposant d’un savoir-faire et portées à l’excellence. Des filières ont été identifiées qui entrent en adéquation avec les besoins de la Chine, pour lesquelles l’accès au marché pourrait être amélioré. Au cours de la visite présidentielle en Chine, les deux chefs d’État ont clôturé un Forum économique réunissant 600 participants et organisé au tour de quatre tables-rondes correspondant aux quatre filières identifiées, ce qui était là un fait inédit pour un Président chinois. La visite d’État du Président de la République en Chine en avril dernier a ainsi démontré qu’il existe une volonté commune des deux pays de rééquilibrer la balance commerciale « par le haut ». L’amélioration de l’environnement des affaires en Chine est un prérequis pour ce faire, mais cela ne suffira pas si nous ne sommes pas capables de structurer notre offre économique pour concrétiser un partenariat renouvelé.

d. Pertinence et régularité pour assurer une relation dense

La qualité de notre relation politique dépend d’abord de la poursuite de l’intensification du dialogue politique de haut niveau. L’impulsion donnée doit se poursuivre – et ce après 2013 et 2014, année au cours de laquelle les célébrations du Cinquantenaire de la relation diplomatique se traduiront par d’importantes visites croisées. 2013 aura vu se succéder en Chine les visites du Président de la République, du ministre des Affaires étrangère, de la ministre du Commerce extérieur, de la Représentante spéciale et de plusieurs ministres sectoriels, séquence qui devrait s’achever avec la visite du Premier ministre. Plus que l’escorte impressionnante de la Chancelière allemande Angela Merkel, c’est la régularité de ses déplacements – six pendant son mandat et deux fois en 2012 – qui permet d’atteindre une certaine efficacité, car les dossiers sont accélérés à l’approche d’une réception. Toute la question avec un État planifié d’une telle dimension est en effet de déterminer quels dossiers seront sur le dessus de la pile. En outre, la Chine est culturellement réceptive à la répétition. Cela implique évidemment que les visites de responsables politiques à la tête d’une délégation d’entreprises donnent lieu à un suivi, ce qui n’a pas toujours été le cas...

À ces visites politiques de haut niveau, s’ajoutent les visites des élus, des entreprises, des universitaires, de manière isolée ou en délégation. Tous les canaux doivent être utilisés pour construire un tissu de relations dense et divers : celui des relations interparlementaires évidemment, et nous savons que le groupe d’amitié de l’Assemblée nationale est très actif et que nous avons une utile Grande Commission France-Chine, et celui des relations avec les membres et courants du parti communiste chinois, qui n’est pas un bloc monolithique.

De très nombreuses personnes se rendent chaque année en Chine et y représentent la France, à un titre ou un autre. Il est important à cet égard de coordonner l’ensemble des visites sur un plan géographique, en s’assurant que les villes visitées ne sont pas toujours les mêmes (à l’exception de Pékin et Shanghai naturellement), que le centre et l’ouest du pays de même que des villes de moyenne importance (à l’échelle chinoise !) ne sont pas négligés car ce sont des territoires d’avenir et qu’ils recèlent des opportunités pour notre pays. Si possible, la coordination devrait aller au-delà et permettre une convergence des messages portés au regard des intérêts de la France et de sa diplomatie. Certaines personnes auditionnées suggéraient la mise en place d’une cellule dont l’objet serait précisément d’intervenir en amont des visites et de canaliser certaines initiatives. Cette solution paraît excessive. Néanmoins, il conviendrait de trouver le moyen pour que le ministère et l’ambassade soient mieux informés et qu’un contact même informel puisse être assuré.

Par ailleurs, la coopération décentralisée, en forte progression, exige une meilleure coordination pour limiter la concurrence entre régions pour l’accompagnement des PME, et pour garantir l’efficacité de leurs actions. Les Bureaux de représentation des collectivités territoriales en Chine se réunissent une fois par an pour échanger sur leurs expériences et leurs difficultés et approfondir les synergies entre les actions qu’elles conduisent et avec les services et opérateurs de l’État. Une réflexion est en cours pour créer une commission spéciale chargée de coordonner les différentes actions. Mme Martine Aubry a présidé le 12 mars 2013 une table-ronde spécifique qui a réuni les ambassadeurs pour les Régions et les représentants de certaines collectivités territoriales françaises (présidents de régions et maires). Elle avait pour objet d’identifier plus précisément les enjeux et synergies possibles pour les collectivités territoriales françaises entretenant des coopérations en Chine avec les villes de Wuhan, Chengdu, Chongqing, Shanyang et Qigdao, ainsi qu’avec les provinces concernées et à identifier le meilleur portage dont elles pourraient bénéficier de la part du ministère des Affaires étrangères.

On notera enfin que l’Institut français tient des réunions annuelles avec les régions afin de faire le point et que 27 conventions ont été signées afin de mieux organiser la coordination. La direction du développement et des partenariats de l’Institut est chargée de cette information réciproque, en lien avec la direction des collectivités territoriales de la direction générale de la mondialisation sur les questions de coopérations techniques. Cela permet d’établir une complémentarité en termes de secteurs et de financements. L’Institut et le MAE travaillent ainsi ensemble sur des projets communs et font en sorte que leurs actions soient concertées et cohérentes. Dans le dispositif, le principe retenu est 1 euro acquitté par l’Institut / 1 euro acquitté par la collectivité.

Car la coopération décentralisée franco-chinoise constitue aujourd’hui un socle précieux pour le renforcement de la présence française, notamment économique. Elle s’est fortement développée ces dernières années. Tous les niveaux de collectivités sont engagés (17 conseils régionaux, 7 Conseils généraux, 42 communes et 4 structures intercommunales) dans des partenariats de coopération qui concernent avant tout les domaines de l’économie et de l’éducation : 69 collectivités territoriales françaises engagées à l’international, 93 collectivités locales partenaires, 147 projets de coopération décentralisée et 40 projets dans le cadre d’autres actions extérieures.

À certaines coopérations anciennes et dynamiques, comme celle entre Rhône-Alpes et Shanghai ou Bordeaux et Wuhan, de nouvelles coopérations se mettent en place, comme par exemple entre Charente-Maritime et le Dongbei. Concernant la coopération économique, les exemples des villes du Havre et de Toulouse sont intéressants. La ville de Grenoble a quant à elle développé une coopération diversifiée avec la ville de Suzhou sur un socle universitaire et de recherche.

La ville du Havre est jumelée avec Dalian depuis 1985. La dimension économique de cette coopération a été confirmée en 1995 avec l’objectif de soutenir davantage la création de liens économiques et commerciaux entre les entreprises de Dalian, du Havre et de la Région Haute‐Normandie. À noter qu’un bureau économique de l’association "Le Havre Dalian" fonctionne depuis 2000 afin de développer les relations et échanges de nature commerciale, industrielle, scientifique et universitaire entre les deux ports, les deux cités, les entreprises des deux régions. Une convention européenne d’Affaires entre l’Europe et la Chine « China Europa 1 » a été signée en décembre 2006 pour développer les liens économiques réciproques.

La ville de Toulouse a lancé en 2003 un projet visant à accompagner la Municipalité de Chongqing dans la mise en œuvre d’un plan de transports intégré aux objectifs de son développement urbain. À travers une assistance aux responsables techniques et politiques de Chongqing, ce projet tend à promouvoir dans cette importante agglomération les principes de développement durable permettant de maîtriser à court, moyen et long terme les évolutions attendues en matière d’urbanisme et de gestion des déplacements.

Un nouveau protocole signé en 2008 pour l’année 2009 s’articule autour des axes suivants : l’amélioration de l’efficacité des transports en commun, la recherche d’une stratégie de transport en commun, le plan de Bus Rapides en Site Propre (BRT) et l’assistance dans la définition d’un schéma de transport local pour le district de Yuzhong.

Ce projet associe le ministère des Transports, le ministère du Développement durable, CETE, Tisséo‐Syndicat Mixte des Transports en Commun, Tisséoexploitant réseau, l’Agence d’Urbanisme de l’Agglomération Toulousaine, Ubifrance, l’Ambassade de France à Pékin et le Consulat Général de France à Chengdu.

Un protocole d’amitié a été signé entre Grenoble et Suzhou en 1992, renouvelé en septembre 1998. La relation avec Suzhou a été relancée dès 2012 avec, aujourd’hui, un appui du Ministère des affaires étrangères français. Elle se développe autour de plusieurs axes :

– la coopération hospitalière : avec le CHU de Grenoble et l’Hôpital sino‐français de Suzhou, qui ont développé une coopération technique exemplaire, notamment en matière de neurosciences. Plusieurs chercheurs sont accueillis de part et d’autre ;

– la coopération éducative : entre le Lycée Argouges et l’Institut du design de Suzhou avec la mise en place de programmes communs, notamment sur la filière textile. Chaque année des étudiants de Suzhou viennent faire leur stage à Grenoble et inversement. Le Lycée Argouges a accueilli fin 2012 une exposition de calligraphies de Suzhou ;

– le développement d’échanges économiques : avec l’implication de nos chambres consulaires et l’AEPI. Une mission de l’AEPI se rendra fin mai 2014 à Shanghai et Suzhou ;

– des relations institutionnelles entre services des deux villes, notamment en matière de préservation du patrimoine bâti et d’urbanisme. Des délégations de techniciens de Suzhou ont été accueillies début janvier 2013.

– des échanges culturels : la Maison de l’international a monté en février 2013 une grande exposition à Grenoble, « Regards de Chine », avec des calligraphies anciennes et modernes du Jiangsu, des conférences et des lectures de poésie. En octobre, le Festival Ethnociné a été consacré à la Chine et la Ville de Grenoble appuie, via la convention avec l’Institut français, les échanges développés par le collectif La Forge en matière musicale, et par l’association Dauphylactère pour la bande dessinée.

Suzhou a annoncé en janvier 2013 l’ouverture de son incubateur « Suzhou Nanopolis », qui compte attirer plus de 200 entreprises étrangères de nanotechnologies et 10.000 experts du domaine d’ici 5 ans. Il vient renforcer la politique d’innovation du « CHInano » en R&D et production de pilotes. Minatec étudie actuellement attentivement les possibilités de s’engager dans un partenariat avec ce campus d’innovation.

Depuis 2004, le Comité France Chine organise, avec l’Institut de Politique Étrangère du Peuple Chinois (CPIFA), une Table Ronde réunissant à chaque fois une dizaine de maires français et une dizaine de maires chinois. L’objectif de ces Tables Rondes est de présenter l’expertise des entreprises françaises sponsors autour de questions d’actualité se rapportant à la gestion quotidienne des collectivités des maires, afin d’illustrer par des solutions concrètes les problématiques rencontrées. 28 villes françaises y participent. La huitième édition s’est déroulée à Yanghzou du 29 au 31 mai 2013 sur le thème « Mieux vivre en Ville ». La prochaine se tiendra à Lille du 12 au 14 juin 2014. Des rencontres entre des responsables de région pourraient aussi être organisées, sur le modèle du forum des gouverneurs sino-américains.

Lors du déplacement d’une délégation de la Mission d’information en Chine début septembre, il a été choisi de se rendre dans une ville de l’intérieur du pays : Chengdu, capitale du Sichuan, dont l’attractivité et la capacité financière sont tout à fait intéressantes : près de 18 milliards d’euros ont été investis par la municipalité en 2012. Montpellier est jumelée avec la ville depuis 1981 (ouverture d’un bureau de représentation en 2001) et quatre projets sont conduits en matière hospitalière, de pharmacie, de santé et de protection des espaces menacées. Les autorités locales ont systématiquement fait état de ces liens anciens et profonds. Elles se sont dès lors montrées très intéressées par la possibilité, pour le cinquantième anniversaire de la relation diplomatique, de soutenir des initiatives au niveau des villes et des régions.

Principales orientations et préconisations

Ancrer la relation exceptionnelle dans la durée

1. Tenir sur le long terme l’engagement d’une rencontre annuelle entre les deux chefs d’État

2. Pérenniser l’existence d’un Représentant spécial pour la Chine, haute personnalité de rang ministériel occupant une position « non officielle », au vue des résultats très positifs de cette initiative

3. Réaffirmer la vocation globale du dialogue politique franco-chinois et le compléter par un dialogue entre sociétés civiles (« people to people »)

4. Élaborer une initiative commune sur le climat en vue de la COP 21 de 2015, application concrète du renforcement du partenariat global stratégique

5. Parvenir à un rééquilibrage par le haut des relations commerciales franco-chinoises concourant à l’objectif d’équilibre de la balance commerciale française

6. Coordonner les visites effectuées en Chine, aux plans géographique (couvrir un panel de villes chinoises large) et politique (assurer la convergence du discours français par un contact préalable)

7. Soutenir la coopération décentralisée comme vecteur de rapprochement, en organisant des rencontres, au niveau des villes comme celle qui se tiendra du 12 au 14 juin 2014 à Lille mais aussi des régions, et en assurant une bonne coordination au moyen de table-rondes spécifiques du type de celle organisée le 12 mars 2013 et éventuellement d’une commission spéciale à vocation générale

8. Faciliter la structuration des dialogues d’hommes d’affaires, en soutenant par exemple la mise en place d’un P20 (équivalent du G20 pour le patronat)

(…)

2. Structurer notre offre économique par une sélectivité forte et une approche groupée

La diplomatie économique française doit être pragmatique. La France a une relation politique très singulière avec la Chine par rapport à ses partenaires européens, y compris le Royaume-Uni, mais elle a vécu durant trop longtemps sur l’idée exprimée par Zhou Enlai qu’à prix égal et qualité égale le choix sera en faveur de la France. Pendant ces années, d’autres pays, moins galonnés sur le plan politique, ont avancé leurs pions et ont fait preuve de bien plus d’efficacité.

Il ne faut pas rejeter sur la Chine le résultat de nos propres faiblesses et verser dans une attitude revendicative en déplorant notre déficit commercial abyssal et la modestie de notre part du marché chinois. C’est d’abord à notre pays de mobiliser ses atouts et ses forces pour renverser la vapeur. Faire la part des choses est essentiel. Cela ne doit pas empêcher pour autant de tenir un discours franc et ferme pour faire comprendre que nous attendons de la Chine une attitude plus compréhensive et plus globale. « Notre intérêt n’est pas la somme des intérêts allemands et chinois ! » insistait Jean-Louis Beffa.

L’amélioration de la place de la France en Chine passe par la poursuite de l’ouverture de la Chine, par un accompagnement très fin de nos entreprises sur ce marché complexe et hyperconcurrentiel et par un renforcement des liens entre les communautés d’affaires en assurant une bonne interaction avec les échelons politiques. Le moment est propice pour porter ces évolutions.

a. Une fenêtre d’opportunités pour des filières organisées

La France a incontestablement une carte à jouer : le potentiel économique et commercial est devant nous, et ce pour trois raisons.

Tout d’abord, la Chine, première puissance commerciale du monde, devrait représenter dans les années à venir environ 20 % des importations mondiales, ce qui représente un fort potentiel macroéconomique. Pour la France, le potentiel chinois est également fort au niveau microéconomique, puisque les besoins futurs de l’économie chinoise correspondront probablement davantage à ce que la France peut offrir à l’exportation. Si les entreprises allemandes sont trois fois plus nombreuses, c’est parce qu’aujourd’hui la Chine a surtout besoin d’équipements, de machines-outils... Mais sur l’investissement, la consommation intérieure et tous les piliers d’ouverture du pays, ce sont d’autres entreprises qui sont attendues : celles qui répondront à l’augmentation de la consommation intérieure. Comme l’a exprimée la ministre du Commerce extérieure Mme Nicole Bricq lors de son audition par la commission des Affaires étrangères : « une deuxième phase de la mondialisation commence dans les grands pays émergents, avec la montée des classes moyennes, qui veulent consommer et vivre dans un environnement agréable [ ;] c’est une chance pour la France qui a des entreprises performantes pour répondre à cette demande » (47) .

Ensuite, le besoin d’une croissance qualitative produit une demande d’excellence par exemple en matière de technologies vertes, d’efficacité énergétique et de sécurité des processus. La France pourrait ainsi fournir à la Chine ses technologies en matière d’énergies renouvelables, d’environnement, de développement urbain, de technologies de l’information, de biotechnologies, de nouveaux matériaux... De même, la France répond à une exigence de sécurité alimentaire et sanitaire qui est prégnante aujourd’hui. Dans tous ces domaines, un partenariat franco-chinois serait gagnant-gagnant si l’on est rigoureux dans son application.

Enfin, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les classes moyennes deviennent majoritaires dans la population mondiale, notamment dans des pays comme la Chine, l’Inde et le Brésil. Cette classe moyenne est d’autant plus intéressante pour nos entreprises qu’elle a accès à la société de consommation et donc la capacité de consommer des produits importés, souvent considérés par les classes moyennes comme des produits de haut standing. La hausse des salaires et le soutien à la consommation des ménages devraient ainsi favoriser le développement des marchés des biens de consommation, ainsi que celui des biens supérieurs (luxe, alcools, voyages, santé et cosmétiques …). Concernant par exemple le marché du vin, la France a été parmi les premiers pays à s’implanter en Chine et y possède aujourd’hui 50 % des parts de marché.

La Chine est une des cibles privilégiées du plan d’action décidée par la Ministre du Commerce extérieur, Mme Nicole Bricq, autour de quatre démarches structurées où se concentre l’offre gagnante de la France : « Mieux se nourrir », « Mieux se soigner », « Mieux vivre en ville » et « Mieux communiquer ». Trois domaines – la santé, l’agroalimentaire et le développement durable – dans lesquels nos parts de marché peuvent croître rapidement apparaissent prioritaire. En effet, il s’agit de secteurs en forte croissance en Chine, dans lesquels la France possède des compétences particulières et où l’on retrouve cette demande de qualité et de sécurité à laquelle notre offre répond. Ce sont d’ailleurs ceux retenus par la Représentante spéciale Martine Aubry, avec des projets et des avancées concrets.

« Mieux se soigner » 

L’expertise française en matière de santé et de protection sociale justifierait que la France soit en première ligne pour accompagner les réformes profondes qui s’engagent en Chine. Tous les grands groupes français sont présents en Chine depuis les années 1980 et y ont développé des usines de production de médicaments « basiques » : Biomérieux, IPSEN, Sanofi, Pierre Fabre, Servier, Ethypharm, LFB, Transgène, Air Liquide Santé. Ils bénéficient d’un positionnement historique et d’un effet de réputation positif tiré par l’excellence de notre système médical.

Des propositions sont également en cours dans le secteur des maisons de retraite et le cabinet d’architecte AIA est présent sur plusieurs appels d’offres ; il a notamment remporté celui de l’hôpital de Shenyang. Enfin en 2004, le Président Jacques Chirac et Michel Barnier, alors ministre des affaires étrangères, avaient signé un accord avec la Chine afin de créer un comité de lutte contre les maladies infectieuses – coprésidé par M. Mérieux et M. Chen Zhu – et un laboratoire de très haute sécurité, dit P4, à Wuhan.

Pour nos entreprises, le marché de la santé est en plein développement, offre d’immenses opportunités avec l’élévation du niveau de vie et l’objectif affiché du développement de la protection sociale. Les dépenses de santé en Chine s’élèvent (données 2011) à 400 milliards de dollars, soit 5,1 % du PIB. Le marché pharmaceutique pèse 45 milliards de dollars (4,7 % du marché mondial, contre 1,4 % en 2009), mais la quasi-totalité des dépenses des ménages n’est pas remboursée. Le marché des cosmétiques représente, toujours en 2011, 17 milliards de dollars ; il est devenu le deuxième marché mondial derrière le Japon.

De janvier à octobre 2012, les exportations françaises de produits pharmaceutiques et d’équipements médicaux ont représenté 488 millions d’euros (respectivement 451 millions, soit +18,3 % en glissement annuel, et 37 millions, soit +28 % en glissement annuel). Des obstacles demeurent néanmoins, notamment en matière d’autorisation de mise sur le marché des médicaments. Le marché de la « silver économie » est également porteur. Le groupe Colisée Patrimoine, rencontrée par la délégation de la Mission d’information qui s’est rendue en Chine, est depuis plusieurs années en Chine et, à la faveur d’un contrat signé avec un fonds d’investissement chinois à l’occasion de la visite du Président en avril dernier, devrait exploiter des résidences pour personnes âgées.

Dans son douzième plan quinquennal, la Chine a décidé de mettre l’accent sur l’hôpital ; or, la France jouit aujourd’hui du meilleur système hospitalier du monde, tant en matière de gestion des établissements, de suivi du malade et de lutte contre les maladies nosocomiales, que d’organisation même du système de santé. En outre, certaines personnalités disposent en Chine d’une reconnaissance particulière. C’est le cas d’Alain Mérieux, dont le groupe BioMérieux est implanté en Chine depuis de nombreuses années et y développe des partenariats de recherche majeurs. C’est aussi celui d’Hugues de Thé, professeur à l’université Paris Diderot, membre de l’Académie des sciences et lauréat du Prix de la coopération internationale scientifique et technologique de la République Populaire de Chine (remis le 14 février 2012). On ajoutera que l’ancien ministre de la santé, M. Chen Zhu, aujourd’hui vice-Président de l’Assemblée populaire nationale, est francophone et francophile, séduit par la médecine à la française. Il a notamment beaucoup développé la « médecine de quartiers » (médecine de ville) et la spécialité généraliste pour désengorger les hôpitaux. Il a aussi apporté un soutien sans faille à la filière de formation médicale francophone de Shanghai dont il était lui-même issu. La question n’est pas uniquement pécuniaire, elle est aussi liée à la progression de carrières qu’offrent les villes aux jeunes médecins. Des coopérations avec la France seraient fructueuses sur ce dossier de l’accès aux soins.

La Chine cherchant toujours à prendre exemple sur ce qui marche chez les autres, nous devons exposer notre savoir-faire dans des vitrines exemplaires. Le groupe lyonnais de cliniques privées Noalys projette par exemple d’ouvrir une maternité franco-chinoise à Shanghai. Ce type d’initiative nous ouvrirait d’autres marchés, notamment celui des systèmes d’information et du matériel médical. Il faut souligner qu’à la demande des ministres chinois et français chargés de la santé, développement depuis 2010 d’une coopération institutionnelle dans le cadre de la réforme chinoise des hôpitaux publics entre 17 CHRU français et les 16 villes et 15 province impliquée dans la première vague de cette réforme, sous la coordination, du côté français, de la direction générale de l’offre de soins. Il y a des visites d’études de part et d’autre et des séminaires de travail organisés tant à Pékin, en province que du côté français à Paris depuis fin 2010. Un séminaire sur la réforme sanitaire devrait être organisé en Chine en 2014.

« Mieux se nourrir » 

L’agro-alimentaire est sans nul doute le secteur où les marges de progression sont les plus importantes. Que l’on songe seulement au fait qu’il existe plus de restaurants allemands que français à Pékin et que la charcuterie allemande est plus présente en supermarché que la charcuterie française ! Il faut dire aussi qu’il existe sur ce secteur un problème particulier qui est celui de la concurrence que l’on peut juger déloyale de la part de l’Allemagne, avec l’absence d’un salaire minimum généralisé et des salariés détachés sous-payés. Toujours est-il qu’à ce jour la Chine (hors Hong Kong) compte pour seulement 2,6 % de nos exportations agro-alimentaires en valeur, même si la tendance est à une forte progression (+136 % entre 2009 et 2011).

La dynamique des exportations de produits agroalimentaires est à souligner en 2012 (+14 %), avec 1,7 milliards d’euros de produits agricoles et agro-alimentaires vers la Chine continentale (plus 608 millions vers Hong Kong). La structure de nos exportations dans ce secteur reste assez similaire à celle de 2011 : 60 % de vins et spiritueux, 30 % de produits semi-finis (dont principalement les viandes de porc, volaille et les produits laitiers) et 10 % de produits finis, particulièrement les biscuits, confiseries et l’épicerie fine, encore au stade de niches. Elles représentent le deuxième ou troisième poste d’exportation français en Chine, suivant les années.

La balance agro-alimentaire est largement bénéficiaire avec la Chine, et même, pour la première fois, hors vins et spiritueux, grâce notamment à la bonne dynamique des produits laitiers (poudre de lait infantile, lactosérum notamment) (+59 % en 2012, +46 % sur les poudres de lait infantiles). On notera que la croissance des importations chinoises de vins a fortement ralenti en 2013, sous l’effet combiné de l’ouverture d’une enquête anti-dumping par la Chine et, surtout, de la politique d’appel à la retenue du gouvernement. La baisse serait de 6 % en valeur.

Pour ce secteur encore, l’élévation du niveau de vie de la population chinoise élargit le marché, d’autant que cette évolution s’accompagne d’une diversification de la structure de consommation (augmentation de la consommation de viande et de produits laitiers notamment). La France peut en outre jouer la carte de la sécurité sanitaire et alimentaire. Un séminaire devrait être organisé sur ce thème l’an prochain. La visite du ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll a aussi permis d’accélérer la signature de plusieurs protocoles et de délivrances d’agréments : charcuteries sèches et cuites, exportation de viande de palmipèdes, agrément d’entrepôts, augmentation de la superficie des vergers autorisés à exporter à plus de 1500 hectares, reconnaissance de l’appellation champagne…

Si ce marché est complexe, notamment sur le plan règlementaire (la longueur des quarantaines est particulièrement à signaler), la présence française pourrait se renforcer par des actions sur l’amont comme l’aval. En amont, l’émergence de structures de production agro-industrielles chinoises permettent aux entreprises de se positionner, particulièrement sur les filières lait et viande et sur la vigne. En aval, la France doit conforter sa position sur le marché des vins et spiritueux – 50 % des vins importés en Chine étaient français en 2012, mais aussi investir massivement le marché de l’épicerie chinois, qui constituera en 2015 le premier marché mondial du secteur. L’on sait que Mme Martine Aubry soutient la réimplantation du groupe Paul en Chine.

« Mieux vivre en ville »

Concernant la ville durable, il s’agit d’un enjeu majeur en Chine et il nous faut être offensif car c’est aussi une filière très concurrentielle, du fait de la présence d’entreprises chinoises performantes et d’entreprises étrangères, particulièrement européennes, bien implantées. Mais la France dispose de nombreux atouts et d’une présence forte. Les entreprises françaises sont performantes pour l’obtention de marchés chinois en matière de traitement de l’eau et des déchets (Veolia et Suez environnement), même si la concurrence chinoise est maintenant très vive, de ferroviaire (Alstom, Thalès, Faiveley, Geismar, Ansaldo, STS …), de nucléaire (EDF, Areva et les PME embarquées) et de bâtiment (Lafarge, Saint-Gobain et différents bureaux d’architectes). Disons pour résumer que l’offre des entreprises françaises couvre une grande partie des besoins chinois en matière de ville durable et que nos entreprises sont bien positionnées en matière de « systèmes intelligents » (smart cities).

Les autorités chinoises ont signé plusieurs accords de coopération avec la France en matière d’urbanisation durable. Un accord de coopération sur le développement urbain durable a été signé entre le ministère chinois du Logement et du développement urbain et rural (MoHURD) et le ministère français de l’écologie, du développement durable et de l’énergie en novembre 2007, qui a été renouvelé, alors qu’il était arrivé à terme en novembre 2012, lors de la visite du président de la République en Chine en avril 2013. Une lettre d’intention entre le MEDDE et la province de Hubei en avril 2010 avait désigné Wuhan et ses 8 villes satellites zone-pilote. De nombreux projets ont été menés dans ce cadre, notamment un programme de formation « 100 urbanistes chinois en France », plusieurs études ou ateliers, une série de projets sur la ville pilote de Wuhan : étude sur le traitement des boues d’épuration, atelier d’urbanisme sur la préservation et la mise en valeur de la zone écologique du Lac Liangzi, projet de réhabilitation thermique de bâtiments publics financés à hauteur de 20 millions d’euros par l’AFD et projet de hub intermodal de transports dont les équipements seront également financés par un prêt de 100 millions d’euros de l’AFD (exploitation assurée par Keolis et un partenaire local et une offre française qui peut se positionner sur tous les équipements).

Votre rapporteur ne souhaiterait pas laisser entendre que seules les entreprises relevant de ces filières ont leur place en Chine. S’organiser n’est pas s’autocensurer de façon systématique. Ainsi, par exemple, la place financière française est insuffisamment présente, alors que les transactions sur des régions stratégiques pour la Chine, notamment le Moyen-Orient, se font à Paris, et qu’il serait aussi préférable pour la zone euro que la place de Paris fasse au moins jeu égal avec celle de Londres. À cet égard, la création d’une zone de libre-échange à Shanghai est une opportunité à ne pas manquer.

Un autre exemple intéressant est celui du tourisme et des loisirs. La classe moyenne chinoise voyage, notamment en Chine et sur des courts séjours, y compris pour fuir la mauvaise qualité de vie et de l’air en ville, et découvre les activités sportives. La délégation de la Mission qui s’est rendue en Chine a pu rencontrer un représentant de la société Décathlon, dont le succès est foudroyant (80 magasins supplémentaires et 100 projetés dans les trois ans à venir). Elle a pu aussi auditionner à Paris M. Henri Giscard d’Estaing qui ouvre un nouveau Club Med en Chine. Cet attrait pour les activités de pleine nature a été confirmé par M. Bernard Accoyer, qui était en Chine au même moment que la Mission, offrant des opportunités pour la ville d’Annecy-le-Vieux, jumelée à Yangshuo, ville entourée d’imposantes formations karstiques montagneuses le long de la rivière Li, et plus généralement pour le secteur de la montagne. La définition de filières ou familles n’est évidemment pas le signe d’une stratégie exclusive.

b. Des entreprises bien sélectionnées et en forte synergie

L’objectif fixé par le Premier Ministre, avec le pacte pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, est d’accompagner dans la durée 1000 entreprises de taille intermédiaire et petites et moyennes entreprises de croissance, au niveau mondial. Cependant, la Mission a pu se rendre compte de l’unanimité des acteurs économiques sur le fait que le marché chinois n’est pas pour toutes les entreprises, aujourd’hui encore moins qu’hier.

La taille et les ressources constituent de bons critères de sélection : l’entreprise type serait une entreprise de taille intermédiaire, bénéficiant de soutiens financiers dans ses démarches d’implantation en Chine, avec des services solides de développement à l’international. C’est une des raisons de l’importance de la présence allemande en Chine, qui s’ajoute à l’adéquation qui existait entre le besoin chinois et la production allemande. Le tissu économique de l’Allemagne est composé d’entreprises de taille intermédiaire (le Mittlestand), qui sont donc mieux à même de se développer à l’international que nos PME. Elles disposent d’un service export développé et sont présentes dans tous les pays émergents. Ce n’est pas en envoyant nos PME au « casse-pipe » que nous renforcerons la présence française en Chine. Soyons donc méthodiques : à défaut de disposer du nombre, proposons juste.

Plusieurs éléments-clé d’une stratégie économique ont émergé des travaux de la Mission d’information :

– pour toutes les entreprises, la question centrale, au-delà, des ressources et des modalités d’implantation, doit être : suis-je dotée d’avantages compétitifs durables sur ce marché ? ;

– si l’internationalisation des entreprises est porteuse de croissance et d’emplois, il faut sélectionner les destinations car il n’y a pas que la Chine : il y a l’Inde et le Brésil bien sûr, mais aussi les pays du Maghreb ou encore tous les autres pays émergents, de l’Indonésie au Mexique ;

– il n’est pas recommandable d’aller sur plusieurs pays hors Europe dans un même temps. C’est une fois une implantation dans un pays réussie que le processus peut être reproduit ailleurs ;

– pour nos PME, la pénétration du marché chinois ne se conçoit bien que dans deux cas de figure : la PME est sur une niche – et encore faut-il qu’elle puisse supporter les délais très longs de lancement d’une affaire en Chine ; la PME est « embarquée » par un grand groupe. Il faut ne pas faire venir en Chine des PME trop fragiles, mais au contraire accompagner les entreprises dans la durée, en les aidant à s’étendre, à se renforcer et à faire face par exemple aux problèmes de propriété intellectuelle.

Concernant le rôle des grands groupes, il faut dire clairement les choses : en majorité, ils ne jouent pas le jeu. Les entreprises allemandes font par exemple venir leurs sous-traitants, quand bien même le coût est majoré. Elles mettent aussi à disposition de ces PME une assistance non financière. Certains exemples doivent être valorisés comme Pacte PME (cf infra) car ces initiatives produisent des résultats. On peut ainsi penser au succès de Faurecia en Chine. Dès son entrée, pourtant difficile, sur le marché chinois, PSA a entrainé avec lui ses fournisseurs français qui se sont ensuite développés avec l’ensemble de l’industrie automobile chinoise. L’équipementier Faurecia, spécialisé dans l’intérieur véhicule et les lignes d’échappement emploie aujourd’hui 8000 personnes en Chine, dans 35 usines, pour un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros. Ses centres de R&D à Pékin et Shanghai emploient 600 ingénieurs et techniciens. Mais dans l’ensemble, à la différence des Allemands, mais aussi des Italiens, les pouvoirs publics français n’ont jamais réussi à persuader les grands groupes d’amener les petites entreprises dans leur sillage ; il s’agit d’organiser cette synergie.

L’association Pacte PME a été créée en 2010 et regroupe aujourd’hui 56 grands comptes – dont 17 des groupes du CAC 40 et 15 des 20 plus importantes entreprises publiques –, 21 organisations professionnelles et 21 pôles de compétitivité. Son objet est de faciliter la croissance des PME et l’émergence de nouvelles entreprises de taille intermédiaire (ETI). Son président est depuis 2011 le directeur général délégué d’Airbus, Fabrice Brégier. Dans cette démarche, les grands groupes s’engagent à s’ouvrir à des PME innovantes, à les promouvoir à l’étranger, à avoir des relations différentes pour leurs achats. Cette méthode « d’achats partenariaux » concernant l’entrée de nouveaux fournisseurs innovants et le renforcement des PME fournisseurs clés se rapproche du capitalisme rhénan d’investissement à long terme, en rupture avec la culture anglo-saxonne de réduction des coûts. En 2012, les achats des 56 grands comptes membres du Pacte PME aux PME françaises ont atteint 16 milliards d’euros, soit 455 millions de plus qu’en 2011. Des échanges sont également proposés aux membres pour identifier des meilleures pratiques, bénéficier de retours d’expérience, formuler des recommandations aux pouvoirs publics, construire des outils qui sont ensuite mis à leur disposition.

Deux initiatives récentes doivent être signalées. Lors de sa visite d’État en avril 2013, le Président de la République François Hollande a inauguré un « Club Santé » à Shanghai, qui réunit sept entreprises françaises en vue de promouvoir collectivement les intérêts français dans ce domaine. Cette démarche prévoit un effort de promotion et de portage de l’offre française, notamment pour les dispositifs médicaux et la biotechnologie. Un regroupement au sein d’un groupement d’intérêt économique implanté en Chine de plusieurs biscuiteries, confiseries et chocolateries est aussi envisagé. L’idée serait qu’Auchan et de Carrefour, bien implantés dans le pays, fassent la promotion de ces produits dans leurs magasins en 2014.

La nécessité de fédérer les entreprises et de « jouer groupé » est plus que jamais nécessaire sur certains volets. C’est en procédant ainsi, avec l’appui des pouvoirs publics lorsqu’il le faut, que des marchés pourront être remportés. C’est particulièrement vrai pour la ville durable avec deux aspects : la constitution d’une solution intégrée et la désignation d’un interlocuteur unique pour un pool de PME. La PME Corys, rencontrée en Chine, fabrique des simulateurs d’aide à la conception, l’ingénierie et la formation des opérateurs de centrales ou de trains. Son représentant expliquait à la Mission qu’il est impossible en Chine pour une PME, même bien positionnée sur une niche, d’obtenir un marché auprès d’une ville, car les autorités municipales conduisent des projets d’envergure et souhaitent qu’on leur apporte une solution pour l’ensemble de leurs demandes, sans prendre le risque d’être responsable en cas de problème sur chaque segment. Proposer une solution intégrée, quand bien même l’on sait que certains éléments seront in fine réalisés par des entreprises chinoises, est le seul moyen de pouvoir commencer à négocier un contrat. Cela justifie que Mme Michèle Pappalardo, la fédératrice export de la famille « mieux vivre en ville » se soit rendue en Chine en juillet et novembre de cette année.

Sur ce segment de la ville durable, plusieurs éco-quartiers sont en projet. On signalera l’accord de coopération économique et commerciale en matière d’éco-quartiers signé en novembre 2010 entre le ministère chinois du Commerce (MofCOM) et le ministère de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi. Trois villes pilotes ont été désignées : Chengdu, Chongqing et Shenyang. Peu de suite ont été données à cet accord, mais depuis cette année, alors que l’accord vient à échéance en novembre 2013, un regain d’intérêt se fait sentir. Ubifrance a organisé une mission d’entreprises menées par le Maire du Havre dans les trois villes, des échanges ont eu lieu au Havre en avril 2013 lors de la convention d’affaires China Europe entre les villes et les entreprises françaises. La ville de Shenyang pourrait être choisie. Il faut souligner que c’est la première municipalité à ouvrir un bureau de représentation en Europe, à Paris, dans le but d’attirer des investisseurs étrangers. Il est important de concrétiser notre coopération alors que d’autres projets sont menés par d’autres pays européens : l’Allemagne à Qingdao, l’Autriche à Nantong et la Suisse à Zhenjiang.

Un projet initié par la Représentante spéciale Mme Martine Aubry est particulièrement intéressant : il s’agit de la création d’une ville nouvelle à Wuhan qui pourrait être dupliquée. C’était l’objet de la table ronde organisée à Wuhan lors du déplacement de la Représentante spéciale début juillet 2013 sur le thème du développement urbain durable. Elle s’est tenue avec l’implication des autorités locales (province de Hubei et ville de Wuhan), en présence des représentants d’une trentaine d’opérateurs et d’entreprises françaises. La proposition française qui en a résulté, de réaliser, sous couvert d’une offre française globale et intégrée, avec le concours d’entreprises chinoises, une ville nouvelle et durable, a été appuyée par une lettre officielle du Premier ministre Jean-Marc Ayrault à son homologue chinois Li Keqiang, datée du 25 juillet dernier. Des délégations chinoises conduites par les autorités de la ville de Wuhan et de la province de Hubei ont effectué des visites officielles en France, respectivement, du 24 au 26 septembre et du 23 au 25 octobre, date à laquelle un procès-verbal sur le projet a été signé.

Pour résumer, il faut désormais aller plus loin que d’offrir à nos entreprises la possibilité de se positionner sur le marché chinois en application d’un accord de coopération, fut-il opérationnel. En effet, une telle vision juridique conduit à une implantation fragmentée. Ce sont des offres intégrées qu’il convient de proposer et dans la ville durable, la France a incontestablement les moyens de le faire au regard de son offre sur le continuum. Eco-cités, éco-quartiers, tels sont les projets à développer. Nous savons pertinemment que le déploiement de telles solutions sera réalisé en partie par des entreprises chinoises, mais une approche « commerciale » complète, concertée en amont, permettrait indubitablement de valoriser nos offres, d'influencer la prise de décision et d’ouvrir les marchés à nos PME, sans nécessairement aller jusqu’à élaborer des solutions totalement intégrées du point de vue technique. Pour faciliter la mise en avant d’une offre française et inciter les grandes entreprises à devenir chef de file de projets complexes, il faut souligner la mise en place d’un portail « développement urbain durable » par Ubifrance, organisant et rendant lisible l’offre de l’ensemble du savoir-faire français en ce domaine, notamment celle des entreprises de taille intermédiaire. Un simulateur virtuel de ville à la française devrait aussi voir le jour.

La nouvelle approche qui se met en place ne s’adresse pas uniquement au marché chinois. Des initiatives analogues prennent forme dans d’autres pays, par exemple à Hong Kong avec le projet « Wise Hong Kong », qui rassemble 13 entreprises autour de Schneider Electric. Mais réussir de tels projets en Chine, là où les enjeux de marché et les difficultés sont parmi les plus grands, apporterait la preuve de la capacité de notre pays à rebondir dans la compétition internationale et constituerait peut-être un tournant pour la performance de notre offre économique au plan mondial. 

c. Des entreprises mieux accompagnées

En termes d’accompagnement, plusieurs actions doivent se combiner pour permettre, en amont, une sélection pertinente des entreprises susceptibles de s’implanter avec succès en Chine et leur financement, en aval, la réussite des projets et leur bon développement. À chaque fois, l’efficacité, la cohérence et la lisibilité du dispositif d’accompagnement doit être assurée.

● L’importance de la sélection et de l’accompagnement en amont

En amont, la mise à disposition d’informations et de conseils, en France, est primordiale pour effectuer une sélection des entreprises qui présentent les caractéristiques compatibles avec le marché chinois. Il s’agit d’offrir une vision très pragmatique quant aux opportunités de marchés réellement « prenables » en fonction d’une analyse lucide des forces et faiblesses de l’offre nationale. Il est à cet égard nécessaire de traiter différemment l’internationalisation par l’export et par l’implantation à l’étranger. Certaines filières dans le secteur agro-alimentaire sont dans le premier cas de figure et posent une difficulté particulière qui est la prépondérance des très petites entreprises, à l’image du marché du vin. Il faut sélectionner en amont, dans les régions, les entreprises qui auront le potentiel de développement requis avec des assistants-exports.

Ubifrance réalise une cinquantaine de panoramas sectoriels argumentés sur les opportunités de marché pour les entreprises françaises en Chine et de la concurrence internationale et chinoise. Les résultats sont bons : 34 % des entreprises accompagnées par Ubifrance ont conclu au moins un courant d’affaires et 59 % des entreprises interrogées dans le cadre de la procédure qualité ont conclu ou ont prévu de conclure un courant d’affaires dans les deux ans de la prestation reçue.

De même, un plan Chine a été mis en place par les Chambres de commerce en France pour 2007 à 2009, autour de trois axes principaux, encore actifs aujourd’hui : essayer de trouver les bonnes entreprises pour les bons endroits en Chine, compte tenu de la taille du marché, sa difficulté, les problèmes interculturels et les problèmes de protection juridique notamment ; conduire des actions de promotion renforcées auprès de l’ensemble des entreprises ; appuyer et être au plus près des besoins des entreprises (besoins d’information, démarches de prospection, d’identification des partenaires), sur l’ensemble des domaines (juridiques, fiscaux, interculturels) soit en faisant appel aux ressources propres du réseau des Chambres soit en recourant aux compétences et aux domaines de compétences de la Chambre de commerce en Chine.

Si l’on prend l’exemple de la CCIP en 2012, la Chambre a conseillé 183 entreprises (approches ciblées) et informé 123 entreprises avec des journées d’information à vocation pédagogique à Paris ou dans les délégations sur tel ou tel point de droit, telle ou telle ville etc. La CCIP s’assure ensuite que les entreprises ont les moyens en temps, en ressources humaines et financières pour les accompagner. Cinq ateliers techniques ont été organisés : Propriété intellectuelle, Fiscalité, Implantation, Recrutement, Transport ; trois forums, notamment un sur le « green business » et les « clean technologies », et des missions collectives à Pekin/Tianjin/Chengdu, orientées vers les secteurs de l’éco-construction, transport et mobilité durable, énergies nouvelles, « smart grid » et Mission TIC à Pékin et Wuhan avec le pôle de compétitivité Systematic.

Un effort est engagé pour améliorer le lien entre repérage et financement. Car il faut non seulement répondre à la demande des entreprises mais aussi aller les chercher avec des outils à leur proposer. Ubifrance-Chine s’est engagée à appuyer l’internationalisation des ETI et PME de croissance françaises avec des plans d’action personnalisés pour 150 à 200 entreprises « Premium » à horizon 2015. Ces entreprises lui seront amenées par les équipes internationales d’Ubifrance au sein de la Banque Publique d’Investissement (BPI). La création de BPI France est en effet à la fois une forme d’aboutissement et le début d’une dynamique. Le partenariat entre Oséo et Ubifrance a démarré il y a quatre ans et est aujourd’hui très fort. Des collaborateurs Ubifrance (Chargés d’Affaires Internationaux) ont rejoint le réseau régional de BPI France, couvrant ainsi tout le territoire français. Une entreprise qui souhaite se développer à l’international a besoin de financement. Afin de répondre à ce besoin, Oséo a déjà mis en place un certain nombre de produits financiers (prêts à long-terme), mais l’apport en fonds de BPI France et de la Caisse des Dépôts et Consignations permettra aux entreprises d’avoir la trésorerie nécessaire pour partir à l’international.

Lors du CIMAP du 17 juillet 2013, Le Gouvernement a décidé de rendre plus cohérent, plus efficace et plus lisible le dispositif français de soutien à l’internationalisation de l’économie française. Une « bannière » commune aux partenaires de l’export (CCI, Ubifrance, CCEF…), France international, un site internet pour l’ensemble des procédures et un réseau social des exportateurs seront mis en place avant la fin de l’année. Le Gouvernement affirme également l’objectif d’une coordination renforcée avec la branche internationale des CCI pour assurer une plus grande cohérence et complémentarité des actions.

● A la recherche de l’efficacité en aval

Plusieurs acteurs interviennent pour accompagner les entreprises en aval. Des efforts de coordination sont faits pour assurer une répartition du travail à la fois naturelle et pertinente. L’Ambassade joue évidemment un rôle important pour porter politiquement un certain nombre de projets et s’implique surtout dans les phases de lancement, par exemple pour la mise en liaison ou en participant à l’inauguration d’un site, de fermeture en cas de difficultés, ou lorsque sont en jeu des montants importants ou un nombre significatif d’emplois. Ubifrance s’occupe du travail de première approche, moins « rentable », notamment au service de jeunes entreprises, tandis que les chambres de commerce prennent en charge l’accompagnement dans la durée. La Chambre de commerce et d’industrie française en Chine vient de fêter ses 20 ans et est forte de 1 400 entreprises françaises adhérentes, avec une couverture géographique importante (11 implantations) et une stratégie de poursuite de son développement. Cette structure reste pour autant légère et opérationnelle (40 personnes, 2,5 millions d’euros), la troisième après le Maroc et l’Allemagne. Il faut ajouter à ces acteurs, les bureaux de représentation des collectivités territoriales en Chine et les services ministériels d’assistance à l’export, comme la Sopexa.

Clairement, l’État doit veiller à ne pas disperser les moyens d’accompagnement et à agir pour la mise en cohérence de leurs actions. La délégation de la mission d’information qui s’est rendue en Chine a été frappée par le rôle de Rhône-Alpes International (RAI) à Shanghai. Sans remettre en cause la qualité de leurs interventions, on peut légitimement s’interroger sur la raison pour laquelle c’est cet acteur régional et non le réseau « national » qui apporte son expertise. En tout état de cause, il faut renforcer les synergies, supprimer les concurrences et unifier les objectifs. Des réunions de coordination économique, pilotées par le Service économique régional ont été mises en place. Elles pourraient préfigurer la structure de gouvernance d’un dispositif d’accueil unifié, afin de gagner en lisibilité pour les PME et ETI qui souhaitent aborder le marché chinois, réputé complexe. Des rapprochements ont déjà eu lieu entre opérateurs, notamment suite à une convention signée en France entre ERAI et Ubifrance en juin 2012, suivie d’un avenant le 27 mai 2013. De telles conventions, qui auront des conséquences sur les dispositifs des signataires à l’étranger, démontrent la volonté des opérateurs de travailler ensemble. Une coopération étroite avec certaines collectivités locales dans des points stratégiques du territoire se déploie, avec notamment le portage de collaborateurs dédiés à Wuhan avec la Région Aquitaine et le département de l’Essonne. Les actions conduites par tous ces acteurs doivent s’intégrer dans la stratégie définie par l’État.

Il est utile que cette réflexion soit conduite en ayant à l’esprit l’importance de parfaire la couverture territoriale, du dispositif et de la présence économique française, au-delà des villes phares où elle se concentre (50 % dans la région de Shanghai, ainsi que dans le delta de la rivière des Perles). Cela doit se traduire par une montée en puissance des bureaux de Chengdu et Wuhan, notamment en matière de développement durable, une diversification des opérations collectives dans les villes secondaires, une implication forte dans la mise en œuvre de l’accord intergouvernemental « France Chine Ecocités » précité (Shenyang, Chongqing, Chengdu). Ubifrance doit continuer à inciter les entreprises entrant par un certain bureau à aller vers d’autres régions, notamment les régions de l’ouest, en fonction des secteurs (40 % des prestations d’Ubifrance sont multi-sites). À l’inverse, on ne peut pas tout faire partout et il faut donc cibler les filières prioritaires et décliner localement en fonction des besoins et du degré de concurrence du marché. On notera que près de la moitié des 45 opérations collectives de la programmation Ubifrance Chine 2013 concernent un des quatre grands plans filières : 450 accompagnements collectifs d’entreprises ont été programmés pour 2013 dans ces quatre axes (65 % de l’objectif global).

Enfin, les rencontres avec les acteurs économiques ont mis en exergue certaines étapes particulièrement critiques dans le développement d’un projet. C’est sans doute en concentrant une partie des moyens sur celles-ci que l’efficacité de l’intervention du réseau sortira renforcée :

– le réseau peut accompagner dans la recherche de partenaire : « Il n’y a pas de règles en termes d’échecs ou de succès […]. Le seul critère discriminant, c’est la qualité du partenaire. C’est aussi une donnée clé dans un pays où, culturellement, l’acte fondateur n’a pas d’importance et seule l’évolution, la transformation compte. Un contrat signé continue à évoluer sans que cela ne constitue un signe de déloyauté » (Jean-Pierre Raffarin). On pourrait ajouter que si l’importance du partenaire est déterminante en Chine, c’est aussi parce que l’accès à l’information y est difficile et qu’il faut identifier les personnes efficaces dans le monde des affaires comme dans l’administration et le parti, sachant qu’il faut composer avec différents niveaux (gouvernements locaux, provinciaux et central notamment, dont les intérêts peuvent diverger). De la même manière, le réseau peut labelliser des importateurs fiables pour les filières d’export françaises ;

– le réseau doit faciliter le démarrage des implantations en offrant des infrastructures d’accueil, sorte de pépinière appuyée sur des services notamment autour du développement commercial des entreprises (communication, marketing, présence commerciale, promotion). La Chambre de commerce et d’industrie française en Chine met ainsi 56 postes de travail à implantation légère à disposition des entreprises qui démarrent une activité commerciale ou une action de prospection. Les bureaux d’ERAI à Shanghai offrent aussi ces services. Biomérieux est impliqué dans cette même démarche ;

– enfin, le réseau peut faciliter les opérations de croissance externe, pour lesquelles les entreprises françaises apparaissent plus réticentes que leurs consœurs européennes. Pourtant, l’acquisition d’une entreprise peut être une bonne solution d’implantation. Ubifrance expérimente la mise en place d’un système d’accompagnement chaîné qui, après identification des cibles potentielles, favorise la mise en relation avec des conseils spécialisés pour la réalisation des dues diligences, à l’instar du cabinet de conseil Pramex International. On peut rappeler qu’OSEO et Pramex International ont signé en octobre 2012 une convention qui a pour objectif de favoriser et de sécuriser le développement international des entreprises françaises par croissance externe, permettant d’assurer la jonction entre l’amont et l’aval.

d. Le rôle de la culture d’affaires

Le déficit commercial français par rapport à la Chine est révélateur d’un certain malaise. Il reflète moins un problème chinois qu’un problème français et le décalage s’est accru ces quinze dernières années. Nous savons que la compétitivité de la France s’est d’abord dégradée en Europe-même et cela se traduit à l’international par un net avantage à l’Allemagne, notamment à l’égard de la Chine dont ce pays a fait une priorité depuis plusieurs années, avec une vision différente de la bataille économique. Nous continuons à avoir une vision d’un monde qui pratique la concurrence selon des règles du jeu comparables qui seraient les nôtres. Or, le monde n’est plus celui-là. « L’efficacité d’un pays se mesure aujourd’hui aux interactions entre l’État et ses entreprises nationales » rappelait Jean-Louis Beffa.

Le concept de « China Inc » recouvre bien la réalité de l’organisation de la puissance chinoise : c’est un pays où tous les acteurs travaillent ensemble pour développer cette puissance. Le sentiment nationaliste est le creuset d’une union qui se manifeste par des ponts entre gouvernement, entreprises, autorités qui garantit une véritable compréhension mutuelle entre les milieux. Tous les pays qui tirent aujourd’hui avantage de la mondialisation attachent une importance à l’industrie, aux politiques exportatrices, à disposer d’entreprises avec un actionnariat stable, de long terme et favorisant l’innovation. L’Allemagne dispose d’une culture politique mais aussi d’entreprise adaptée, avec un actionnariat familial et stable.

Le marché chinois exige d’importants investissements humains, car beaucoup dépend des contacts personnels et des réseaux tissés, ce qui exige des expatriés expérimentés, du temps et de l’argent. La réussite allemande ne s’explique pas seulement par les moyens d’appui aux entreprises, publics ou privés, ou par le nombre de ses entreprises de taille intermédiaire, mais aussi par des motifs « culturels ». Les participations dans les entreprises allemandes sont souvent familiales, ce qui facilite les rapports avec les entrepreneurs chinois eux-mêmes très attachés aux relations humaines. La France ne dispose pas de cette culture des relations personnelles et il est donc impératif que des lieux de rencontre et d’échanges soient susceptibles à la fois de mettre en contact les mondes des affaires, de faire partager les expériences acquises et de favoriser les sessions d’information sur le monde des affaires.

L’importance des réseaux est un élément déterminant de la réussite d’une entreprise en Chine. Tous les Chinois ont un réseau (familial, politique, camarades de classe, y compris école primaire). C’est ce que l’on appelle le guanxi, ce réseau relationnel d’une personne dont le noyau dur est formé par la famille et les proches amis puis, par cercles concentriques, s’étend à travers les amis des amis, les anciens collègues de travail… Les guanxi forment une des dynamiques majeures dans la société chinoise. Elles font partie intégrante du langage chinois des affaires depuis les siècles derniers. Toute affaire conclue dans cette société chinoise passe inévitablement par les dynamiques de guanxi, que ce soit pour les firmes locales ou pour les investisseurs étrangers. « Aucune entreprise ne peut véritablement réussir à moins qu’elle ne possède un large réseau de guanxi » (48). Cela s’applique aussi aux entreprises étrangères en Chine. La Chine est actuellement dans une phase intermédiaire de différenciation entre son patronat et sa fonction publique, qui jusque-là se confondaient. La privatisation de l’économie chinoise initialement contrôlée par l’État conduit à une autonomisation progressive du monde des affaires. Il commence à être possible d’organiser des dialogues avec les hommes d’affaires chinois, parallèlement aux dialogues avec les hommes politiques.

Le Comité France-Chine est un acteur essentiel dans cette dynamique de création d’un réseau d’affaires. Il s’agit d’une association loi 1901 qui existe depuis plus de trente ans et réunit les 100 grandes entreprises françaises implantées en Chine. Son rôle est reconnu en Chine, malgré la modestie de ses moyens, puisqu’elle n’emploie que trois personnes à temps plein ainsi que la Directrice générale. Cette structure légère développe plusieurs actions : fédérer les experts au travers d’échanges sur différents thèmes, par exemple la propriété intellectuelle, recevoir des délégations en réunissant les milieux d’affaires, reconduire des rendez-vous annuels comme la table ronde des maires ou encore la visite d’une délégation d’entreprises françaises en Chine pour des rencontres de haut niveau (pour « chasser en meute »), organiser des colloques sur l’économie, la santé, les villes durables ou la sécurité alimentaire.

Son XIXe Colloque Économique franco-chinois s’est tenu à Pékin les mercredi 4 et jeudi 5 décembre 2013. Co-organisées avec le China Council for Promotion of International Trade (CCPIT) et le State Council Development Research Centre (DRC), conduites par M. Jean-Pierre Raffarin, ces rencontres annuelles sont l’occasion pour les membres de la Délégation officielle de participer à des rendez-vous officiels avec les autorités chinoises de haut niveau et de renforcer les liens d’affaires entre les entreprises chinoises et françaises participantes au cours de la Ve édition des « Rencontres French CEO meet Chinese CEO ».

Cette culture du réseau ne doit pas s’arrêter aux frontières chinoises. Les équipes de direction des sociétés implantées à Paris connaissent mal les cultures des pays dans lesquels leurs filiales opèrent, ce qui peut les conduire à des analyses erronées sur les projets développés. Eu égard au poids de la Chine, des personnes bilingues et biculturelles au sein des directions seraient très utiles pour jouer un rôle d’interface ou, à défaut, des personnes qui ont une connaissance approfondie de la Chine et des conditions dans lesquelles y faire affaires. RéseauxChine lancé en 2009 par la CCIP travaille sur les aspects culturels, pour faciliter la connaissance et la compréhension mutuelles, soit avec des intervenants techniques, soit sur des questions proprement culturelles, par exemple la cérémonie du thé réunissant des japonais et des chinois. Les retours sont là aussi très positifs. Ce RéseauxChine a été dupliqué à Pékin et Shanghai.

De même, il existe un réseau de biculturels en France sur lequel il faudrait s’appuyer : celui constitué par la diaspora chinoise. Le nombre de Français d’origine chinoise n’est pas connu pour des raisons constitutionnelles, mais le peu d’études sur cette population révèle à quel point elle est bien intégrée. Une communauté d’affaires importante existe, notamment à Aubervilliers. On sait qu’environ 90 000 Chinois vivent en situation régulière en France. Les caractéristiques de cette immigration sont intéressantes. C’est une population en moyenne plus jeune (60 % a entre 20 et 29 ans), plus diplômée et donc plus active que celle des autres communautés, puisque le taux d’emploi est de 56 % (60% pour les hommes, 53 % pour les femmes). Une enquête de l’Insee a révélé que les motifs d’entrée des migrants chinois en France sont professionnels pour une part importante d’entre eux (16 %, contre 9 % en moyenne dans les autres communautés), y compris parmi la population féminine (14 % des femmes, contre seulement 3 % en moyenne dans les autres communautés). Sur le plan professionnel, les immigrés chinois (dont 80 % sont actifs) s’intègrent très bien sur le marché du travail. La communauté chinoise est en effet celle qui, en moyenne, subit le moins d’interruptions d’activité : 85 % des membres de la communauté chinoise possèdent ainsi un emploi un temps plein, dont 45 % un CDI et 18 % un CDD. Leur revenu est également supérieur, en moyenne, à celui des autres communautés : 57 % des foyers chinois ont un revenu supérieur à 2000 euros par mois, et la part de travailleurs chinois en France touchant moins de 1000 euros par mois est trois fois inférieure à celle que l’on trouve dans les autres communautés.

La communauté chinoise d’Aubervilliers

Avec près de 800 négoces tenus par des commerçants d’origine asiatique, Aubervilliers est devenue la première plateforme européenne d’import-export avec la Chine. Une activité d’import qui s’est notablement développée autour de la Porte d’Aubervilliers au cours des 20 dernières années. Dans ce périmètre, près de 10 000 personnes d’origine chinoise viennent essentiellement de la région de Wenzhou située à 500 kilomètres de Shanghai. Cette zone albertivillarienne accueille quotidiennement 12 000 commerçants européens qui viennent y faire leurs achats. Les négociants chinois d’Aubervilliers forment une communauté dynamique qui contribue à l’essor économique du territoire. Avec leurs spécificités culturelles, ils participent de plus en plus à la vie sociale locale. Hsueh Sheng Wang, que la Mission a pu rencontrer, a commencé par un restaurant dans les années 80 en région parisienne, avant de le revendre pour se lancer dans la confection textile, puis les solderies, puis de développer une activité dans l’immobilier. Aujourd’hui, son groupe Eurasia, cotée

sur Alternext, gère 300 000 m2 d’entrepôts et d’immobilier commercial à Aubervilliers qu’il loue à des grossistes d’origine chinoise pour la plupart, mais aussi à Pôle Emploi. Au Havre, dont il a racheté une partie du port en 2011 pour 8 millions euros, il envisage de dépenser 14 millions d’euros pour rénover 15 hectares d’entrepôts et le transformer en centre d’import-export vers la Chine. À 46 ans, c’est désormais un homme d’affaires incontournable qui promet 700 emplois à la ville normande.

Le renforcement de la proximité des mondes d’affaires français et chinois peut aussi passer par le développement de fonds d’investissements franco-chinois. La Cathay Private Equity par exemple est une société de gestion franco-chinoise qui, avec 400 millions d’euros, finance des PME françaises désirant s’installer en Chine ainsi que des PME chinoises désireuses de se développer en Europe. L’équipe de gestion, biculturelle, a pour mission de nouer des contacts avec les entreprises françaises, notamment celles suffisamment solides (20 à 30 millions d’euros de CA) pour pouvoir se développer en Chine, mais qui n’oseraient pas franchir le pas en raison des différences culturelles et de la complexité du marché. Un autre exemple est le label export, pour lequel 150 millions d’euros sont consacrés afin de labelliser des fonds d’investissements possédant des compétences particulières à l’export et capables d’accompagner les entreprises sur ce type de marché. Tout en étant peu coûteux, ce label encourage les fonds à mettre en valeur leurs compétences à l’export, leur permet d’être identifiés par les entreprises et aide les PME françaises à se développer sur ces marchés.

Principales orientation et préconisations

(…)

Structurer notre offre économique

9. Poursuivre la démarche d’organisation de l’offre française en familles / filières mettant l’accent sur la santé, l’agro-alimentaire et le développement durable, sans exclure des secteurs en phase avec les évolutions de la Chine comme le tourisme et les loisirs

10. Insister sur la sélectivité du marché chinois, la taille et les ressources constituant de bons critères de sélection

11. Valoriser les initiatives de grands groupes chefs de file, comme Pacte PME,

12. Regrouper les entreprises en vue de promouvoir collectivement leurs intérêts, comme Club Santé ou la création d’un GIE biscuiteries, confiseries et chocolaterie

13. Désigner des interlocuteurs uniques pour des pools de PME

14. Promouvoir des solutions intégrées, à même de permettre aux PME de niche de remporter des marchés, comme les éco-quartiers ou le projet de ville nouvelle à Wuhan

15. Optimiser le dispositif de sélection des entreprises en région et assurer la lisibilité du dispositif général avec des acteurs de l’export regroupés sous une bannière commune

16. Assurer la cohérence et la complémentarité des différents services d’accompagnement des entreprises en Chine, avec en ligne de mire l’existence d’un dispositif d’accueil unifié et efficient au regard des objectifs de notre diplomatie économique : couverture territoriale, ciblage des filières prioritaires avec une déclinaison locale pertinente, coopération avec les collectivités, incubateurs…

17. Développer les réseaux franco-chinois d’affaires, l’intercompréhension culturelle en reconnaissant le rôle des bilingues et biculturels et en soutenant les initiatives communes et croisées en matière d’investissements, comme le fonds d’investissement franco-chinois de la Cathay Private Equity

(…)

3. Redéfinir la place de la France dans le monde

Pour la France, l’intérêt de l’échelon européen réside assez peu dans le dialogue politique, l’essentiel étant à cet égard d’assurer la cohérence entre ses positions au sein des instances internationales, notamment au Conseil de sécurité de l’ONU, et les positions prises au niveau européen. En outre, si l’Union européenne a un partenariat stratégique avec la Chine, il faut qu’elle détermine une stratégie ! Pour l’Union européenne, ce partenariat est un cadre pour élargir la coopération, alors que pour les Chinois il doit comporter un volet stratégique, c’est-à-dire portant sur les questions stratégiques en Asie et la levée de l’embargo sur les armes (49). Les Chinois avancent toujours les cinq principes de la coexistence pacifique et l’Union européenne essaie de faire valoir qu’un dialogue va au-delà de la simple coexistence pacifique, qu’il doit permettre d’avancer sur la voie d’un multilatéralisme efficace qui peut épouser les contours du concept d’harmonie. Les Chinois ne semblent en revanche pas du tout sensibles aux problématiques de convergence normative.

À ce jour, le SEAE conduit quelques soixante dialogues, sans que la Mission ait été convaincue de l’utilité de tous parallèlement aux dialogues conduits par les États. Deux peuvent être signalés. Le premier est un dialogue sécurité et défense, initié en juillet 2012 pour développer les contacts avec les généraux de l’armée populaire, mieux connaître la stratégie militaire de la Chine et conduire des actions concrètes de coopération, par exemple contre la piraterie en Somalie, et de formation (tenue à Bruxelles en novembre 2012 d’un séminaire de formation des officiers chinois). Des participations de la Chine aux missions de la politique européenne de sécurité et de défense sont envisagées. Le second dialogue est celui sur les droits de l’homme.

a. L’Union européenne, échelon indispensable pour peser au niveau économique

C’est évidemment pour la structuration du rapport de forces économique qu’une UE forte serait utile à la France. La question des règles commerciales peut certes être abordée à l’échelle nationale, mais les avancées réelles ne se feront qu’à l’échelon européen. Des questions comme le rééquilibrage des échanges commerciaux, l’accès au marché et sa transparence, le respect de la propriété intellectuelle et le renforcement des investissements restent sources de difficultés majeures qui supposent un dialogue entre entités de taille critique. Il faut donc soutenir la chambre de commerce européenne en Chine et ne pas se priver des outils juridiques de la Commission européenne. Car la diversité européenne est évidemment un handicap avec des pays centralisés politiquement, qui ne comprennent pas – ou feignent de ne pas comprendre – une méthode fonctionnant différemment.

L’Europe doit adopter une position forte, commune et coordonnée, visant au rééquilibrage commercial entre la Chine et l’UE et sans minimiser ses intérêts. La Chine applique – elle – un principe de réciprocité fort : elle adopte des mesures de rétorsion en cas de décisions contraires à ses intérêts. La France et les pays européens devraient eux-aussi menacer de riposte lorsque certaines lignes rouges sont franchies : par exemple en matière de barrières non tarifaires, de responsabilité ou de propriété intellectuelle. De façon complémentaire, rien n’empêche les Européens d’adopter des règlementations équivalentes à celles que la Chine met en œuvre. Deux exemples sont intéressants. Le premier est celui des normes. Les Chinois créent leurs propres normes. La norme CCC est une norme calquée sur la norme UL en électrique, ce qui permet à des ingénieurs chinois de se rendre dans toutes les usines pour valider les produits, comme le font les Américains sur leur norme, ce qui est une démarche logique avec des effets utiles en matière d’intelligence économique. L’Europe aurait pu publier sa propre norme, au lieu de quoi le label CE est apposé sans contrôle au motif qu’il ne faut pas brider la concurrence, ce qui dénote un manque de professionnalisme et de vision stratégique. L’autre exemple est celui des clauses de responsabilité illimitée, présentant un risque excessif pour les entreprises étrangères et qui produisent de facto une éviction du marché. Rien n’empêche l’Europe de faire de même.

Nous devons aussi continuer à insister sur l’ouverture des marchés publics. Le Conseil européen du 16 septembre 2010 a considéré que « l’Europe devrait défendre ses intérêts et ses valeurs … dans un esprit de réciprocité et de bénéfice mutuel ». En conséquence, le Conseil du 23 octobre 2011 a demandé à la Commission européenne de présenter une proposition d’instrument de l’Union européenne « visant à ouvrir les marchés publics, en précisant que l’Europe continuera à favoriser des échanges commerciaux libres, équitables et ouverts tout en défendant avec force ses intérêts dans un esprit de réciprocité et de bénéfice mutuel ». Une proposition de règlement, présenté par la Commission européenne, instaurant le principe de réciprocité dans l’ouverture des marchés publics au sein de l’Union européenne a été déposée le 21 mars 2012 ((COM (2012) 124 final), mais les États-membres ne sont pas parvenus à un consensus. La Commission a proposé une adhésion de la Chine à l’accord sur les marchés publics de l’OMC (GPA). C’est devenu la priorité.

Par ailleurs, l’Europe cherche à négocier un accord bilatéral sur les investissements, en vertu de la compétence nouvelle conférée en la matière par le traité de Lisbonne. Les négociations en vue de son adoption ont été placées au premier rang des priorités par Bruxelles lors du sommet UE-Chine du 20 septembre 2012, et comprennent notamment un volet services. Les Chinois sont intéressés par la protection des investissements et les Européens souhaitent la lier à un meilleur accès au marché chinois ; un signe positif de la Chine est attendu pour qu’elle inclue ce volet dans l’accord. Le 18 octobre 2013, à l’occasion du Conseil Affaires étrangères en formation « commerce », les États-membres ont donné mandat à la Commission européenne pour entamer les négociations. Le Vice-Premier ministre Ma Kai, qui préside aussi les dialogues de haut niveau sino-britannique et sino-français, a réaffirmé l’intérêt de la Chine pour une coopération approfondie avec l’Union européenne lors de la tenue du 4è Dialogue économique et commercial de haut niveau Chine-UE le 24 octobre dernier. Les autorités chinoises manifestent un vif intérêt pour des négociations rapides qu’elles entendent voir doublées d’une négociation en faveur d’un accord de libre-échange, perspectives qui pourrait à terme être intéressante mais qui est très prématurée.

Pour la France, un tel accord incluant l’accès au marché constituerait une avancée par rapport à l’accord bilatéral entré en vigueur le 20 août 2010, qui présente des faiblesses, notamment en matière de protection contre des mesures discriminatoires et de possibilités de recours à l’arbitrage investisseur-État. Certains secteurs pourraient utilement bénéficier d’un accès élargi au marché, qu’il s’agisse des professions libérales, des banques et assurances, des télécommunications, de l’automobile ou du secteur énergétique. L’investissement européen en Chine pourrait s’accroitre de plus d’un milliards d’euros, comme le chiffre d’affaires des entreprises européennes présentes en Chine. Lors du Dialogue économique et stratégique sino-américain qui s’est tenu à Washington les 10 et 11 juillet derniers, la Chine a autorisé l’inclusion de clauses d’accès au marché, ce qui est très encourageant.

Enfin, l’Europe conduit des travaux utiles tendant à améliorer la protection effective des indications géographiques. Le projet 10+10, lancé en 2007, vise à assurer la protection de 10 IG célèbres de denrées alimentaires en Chine. Ce projet récemment finalisé, a permis l’enregistrement de 10 IG européennes au registre des IG de l’AQSIQ. En parallèle, 10 IG chinoises ont été ajoutées à la liste des dénominations protégées dans l’UE. En outre, le mandat pour un accord bilatéral sur les IG a été adopté en 2010. Les négociations, qui se poursuivent, achoppent sur la coexistence des IG et des marques déjà enregistrées côté chinois, sur la généricité et le nombre d’IG européennes protégées dans un premier temps par l’accord, ainsi que sur la reconnaissance par l’UE des IG artisanales de la Chine.

b. Une Union trop souvent désunie

L’Europe apparaît encore trop faible et une part des difficultés actuelles est liée à des approches nationales encore trop fragmentées. En pratique, les Chinois négocient davantage avec les États membres pris individuellement, essentiellement avec l’Allemagne (son premier partenaire commercial au sein de l’Union européenne – elle représente environ 25% du commerce sino-européen); le Royaume-Uni et la France. Cette concurrence est évidemment une bonne chose. Mais les Chinois ont été adeptes à exploiter les différences entre l’ensemble des États membres. Or, sur le terrain, les entrepreneurs européens s’en inquiètent car la position concurrentielle de nos entreprises pourrait souffrir encore plus, sans une approche plus unie des intérêts stratégiques de nos sociétés européennes. Karine Lisbonne de Vergeron suggérait de mettre en place un forum de coordination politique de haut niveau, soit au sein du SEAE, soit entre les États membres, afin d’établir une véritable stratégie européenne sur le long terme au plan commercial vis-à-vis de la Chine, de coordonner davantage les différentes opérations commerciales des États européens et de maximiser les opportunités pour nos entreprises. Malgré la concurrence entre les entreprises européennes, il faut en tous les cas à l’Europe une stratégie commune au plan commercial vis-à-vis de la Chine.

Concernant la France, la procédure sur les panneaux photovoltaïques se révèle comme une mise en garde cinglante contre une naïveté désolante. À l’origine de la plainte, se trouvent des sociétés allemandes. La France a soutenu la Commission alors même qu’elle n’avait plus d’enjeux nationaux, intervenant d’une certaine façon trop tard. Seulement quatre États membres ont voté la position de la Commission européenne, l’Allemagne n’hésitant pas à prendre position contre ses entreprises après une rencontre tenue la veille entre la Chancelière allemande et le Premier ministre chinois en visite à Berlin. Fin juillet, un accord a été trouvé avec la Chine par la Commission européenne pour les quelques 90 exportateurs chinois, consistant en un engagement de prix (0,56 centimes) sur les panneaux photovoltaïques et un maximum d’exportation vers l’Europe (7 gigawatts), en lieu et place d’un droit anti-dumping. L’enquête court jusqu’à ce mois de décembre, lorsque les Européens se prononceront définitivement sur cet engagement, qui s’appliquera pendant deux ans. La Commission européenne a proposé le 2 décembre que les fabricants chinois ne respectant pas l’accord soient soumis à un droit anti-dumping. Si l’accord de juillet est positif, y compris pour aider la Chine à restructurer un secteur en surcapacités dans un marché international qui se ferme, il a un goût amer pour notre pays.

Nous devons bien choisir nos combats, et nous assurer de la solidité de nos partenaires, car à défaut, c’est le plus faible qui subit les conséquences d’un rapport de forces mal conduit. C’est la France qui est la principale victime de la procédure anti-dumping contre le vin qui a été lancée en mesure de rétorsion par la Chine et qui à ce jour n’est pas close malgré l’accord trouvé. On voit aussi à travers cet exemple la différence d’approche : la France, comme la Commission européenne, a eu une vision technique de l’instrument anti-dumping, alors que la Chine en a une vision politique.

Par ailleurs, la désunion des Européens se manifeste par la constitution de blocs d’États au sein de l’UE. Par exemple, la Chine a lancé un dialogue 1+16 (Chine + PECO) qui est très gênant pour le SEAE. Les Chinois veulent mieux connaître ces nouveaux entrants un peu négligés et qui constituent des zones d’investissements potentiels pour leurs entreprises. Ils essaient notamment d’y obtenir des privilèges. Il serait même question que des sommets de groupe se tiennent en parallèle au sommet UE – Chine. Cela ajoute à la confusion et enfonce encore un coin dans la solidarité européenne.

Enfin, il n’existe pas de stratégie industrielle européenne. Il est clair que malgré l’appel du commissaire européen en charge de l’industrie il y a quelques années, aucune décision n’a pour le moment été prise afin d’harmoniser les dispositifs nationaux dans le domaine des investissements étrangers. Les pays européens – et même les régions entre elles – sont donc en concurrence, chacun défendant ses propres intérêts. Le document de la Commission sur la politique industrielle paru en 2012 devait permettre de renverser la tendance à la désindustrialisation, en ciblant quelques domaines où le potentiel va augmentant : voitures propres, produits bios, villes intelligentes, technologies de manufacture avancées, c’est-à-dire en ciblant des marchés et pas des secteurs de production. Nous en sommes encore loin.

Pourtant, la France doit continuer à soutenir ces démarches communes en ciblant les filières dans lesquelles elle dispose d’intérêts élevés. L’Union européenne s’est construite à partir de coopérations concrètes. C’est peut-être par ce biais qu’il est possible d’envisager une action collective en Chine. Certains programmes européens existent par exemple pour promouvoir l’expérience européenne en matière de villes durables. L’exposition euro-chinoise sur le développement urbain de novembre 2013 à Pékin ou la plate-forme UE-Chine sur l’eau en sont des exemples. Peut-être la ville, forcément durable, offre-t-elle une possibilité de promouvoir un modèle européen. Les villes européennes (pas seulement les villes françaises – accordons-le !) sont belles et construites et organisées pour que leurs habitants y vivent agréablement.

Enfin, à défaut d’union et pour la susciter, l’axe franco-allemand peut être un bon vecteur. « Pour organiser un rapport de force crédible sur le plan économique, il faut impérativement développer une vision commune du développement de la Chine avec l’Allemagne ». Cette remarque de Jean-Pierre Raffarin est pertinente. C’est un point qui n’est pas à l’agenda des relations franco-allemandes et c’est sans doute un tort. Naturellement, cela n’effacera pas la compétition que peuvent se livrer nos entreprises, mais sur certains sujets, de l’embargo sur les armes à la défense des droits de propriété intellectuelle en passant par les investissements chinois en Europe et la politique de taux de change, une vision commune des enjeux permettrait une meilleure coordination et confèrerait un poids plus fort à nos positions. Cela éviterait en tous les cas certains désastres diplomatiques… et commerciaux.

c. Des problématiques à aborder avec nos partenaires

Des règles communes, au moins avec les Européens, en matière d’accueil des investissements chinois devraient être élaborées. Trois remarques doivent être formulées :

– la part des IDE chinois en Europe représentait environ 1,5 % des IDE entrants dans l’Union européenne en 2011 malgré une forte croissance. Ceci étant, la part totale de ces investissements reste encore difficile à évaluer avec certitude, notamment parce qu’il n’existe aucun instrument consolidé à l’échelle européenne qui permette de mesurer la proportion de dettes souveraines européennes détenues par des investisseurs étrangers, notamment chinois. Il faudrait pouvoir y remédier ;

– les entreprises chinoises qui investissent ne devraient pas avoir d’avantage concurrentiel injustifié par rapport aux entreprises européennes (y compris une coopération possible avec des financements publics au travers des sociétés d’État chinoises, notamment sur l’obtention de contrats de marchés publics). La présence en Europe des deux grandes entreprises chinoises, soutenues par l’État, du secteur des télécommunications est préoccupante. Cette question se pose aussi à l’international. Il n’est pas compréhensible que l’OMC n’exerce pas de compétences en matière de subventions ;

– Il existe dans certains États membres des mécanismes pour suivre les investissements étrangers dans des secteurs jugés stratégiques, mais ce n’est pas le cas dans l’ensemble des pays membres de l’Union européenne ni aux États-Unis. Il y a là une réflexion à mener. La France est l’un des rares pays à avoir identifié clairement les activités pour lesquelles l’investissement étranger doit faire l’objet d’une autorisation et à avoir un dispositif particulièrement lisible (50) .

Enfin, sur le plan éthique, deux sujets relatifs au marché chinois mériteraient une réflexion coordonnée.

Le premier est celui du dualisme. La France, comme d’autre pays, ne met pas en œuvre un partenariat structuré en matière de recherches, mais développe des collaborations contextuelles, recherchant aussi des ressources et des opportunités. Il faut trouver un moyen de se prémunir contre les usages par le secteur militaire de recherches à des fins civiles et définir une stratégie de préservation de certains domaines stratégiques-clé, car dans le domaine de la défense et dans les domaines où la dualité est importante, on joue contre nos intérêts à moyen terme. Ceci essentiellement parce que face à un système planifié, centralisé et organisé, nous jouons la décentralisation, la délégation et l’opportunité. Notre approche est conçue pour réussir sur un marché global et ouvert, mais ce n’est pas le cas de la Chine ou l’État demeure un acteur central dans le domaine économique et financier.

Le second sujet est celui de l’utilisation des produits vendus et des technologies transférées en matière de gestion des communications aux villes chinoises. Ces dernières peuvent mettre en œuvre des programmes organisant la supervision et la surveillance des populations (c’est-à-dire des safe cities plutôt que des smart cities), et potentiellement dans des conditions que les États démocratiques ne souhaitent pas cautionner. La France ne peut pas porter un discours sur les droits et libertés et ne pas exercer une certaine vigilance en la matière. Elle n’est pas la seule dans ce cas.

d. Reformuler une politique en direction de l’Afrique

Les besoins du continent africain, qui correspondent surtout à des produits relevant de la moyenne technologie constituant 69 % de ses importations (véhicules, machines, fournitures électriques, métaux ...), sont de plus en plus satisfaits par la Chine, qui voit ses parts de marché sur le continent africain progresser (12,5 % en 2010). Cette évolution s’exerce au détriment de la France, qui résiste néanmoins dans certains secteurs d’excellence où elle dispose d’une avance technologique (mais pour combien de temps ?) comme l’aéronautique et la pharmacie, ainsi que sur les marchés où la Chine est peu présente (céréales, produits de toilette, produits pétroliers raffinés). Cette performance chinoise doit comme toujours être relativisée car les produits exportés en Afrique peuvent avoir été assemblés en Chine et exportés par des filiales étrangères implantées localement, avec au final une valeur ajoutée purement chinoise assez faible. On soulignera toutefois qu’en 2012 la Chine a évincé la France comme premier pays fournisseur de l’Afrique centrale (CEMA, République démocratique du Congo et Sao Tome et Principe).

EVOLUTION DES PARTS DE MARCHÉ CINQ PREMIERS FOURNISSEURS DE L’AFRIQUE

(en %)

Source : Base Chelem, CEPII

La France a engagé depuis quelques années un dialogue avec la Chine sur l’Afrique. L’objectif est d’avoir une approche convergente et de lui faire adopter les standards des bailleurs de fonds. L’aide de la Chine atteint des montants considérables (en juillet 2012, elle a annoncé une enveloppe de 20 milliards de dollars de prêts bonifiés pour l’Afrique). Or, la connaissance des projets chinois en Afrique demeure lacunaire, avec des processus opaques. Il conviendrait d’améliorer les données dont nous disposons à partir d’informations recueillies sur le terrain, par exemple par l’AFD. Mais la vérité, c’est que plus l’Europe s’investira en Afrique, plus elle imposera son modèle de développement, ses normes, ses pratiques…

Peut-on mettre en place des coopérations tripartites en Afrique? Les avis divergent. Le Rapporteur estime pour sa part que les Chinois sont demandeurs de ce types de coopérations, d’une part pour partager notre savoir-faire, ensuite parce qu’ils sont souvent mal perçus dans les pays où ils sont présents. La Chine est un bailleur en Afrique qui évolue de manière intéressante, notamment en termes de gouvernance, pour améliorer son image. Il y a une demande de dialogue avec l’AFD sur le réseau de coopération internationale, par exemple sur la conduite de projets et l’évaluation. Si l’octroi d’aides déliées n’est pas à l’ordre du jour, la possibilité de faire alliance avec des entreprises françaises ou locales n’est pas exclue. En outre, un partenariat entre la Banque mondiale et la Chine sur l’Afrique pourrait voir le jour. La France aurait alors une carte à jouer en matière de coopération tripartite dans le cadre d’une évolution des programmes de la Banque mondiale en Afrique.

Néanmoins, ce genre de coopérations est à manier avec prudence, car les approches française et chinoise du marché africain et du développement économique divergent. Il faut être pragmatique, analyser les conditions d’intervention, financières, sociales, environnementales et l’impact pour l’image de la France de ces coopérations. Dans certains secteurs, faute de moyens la France se trouve face au dilemme suivant : renoncer ou s’allier. C’est le cas dans le secteur de la santé publique, que les Chinois utilisent comme porte d’entrée. La Chine a ainsi investi dans 17 méga-hôpitaux en Afrique. La Chine fait également aujourd’hui en Afrique ce que la France y faisait autrefois : elle envoie ses jeunes médecins se former dans la brousse. La Fondation Mérieux a créé un laboratoire à Bamako construit par une entreprise chinoise, où une cinquantaine de personnes travaillent actuellement. Un autre exemple de coopération a été donné par EDF. L’entreprise avait un projet avec le Brésil au Mozambique, mais l’emprise chinoise sur le pays était telle que les autorités mozambicaines ont demandé à EDF de traiter avec les Chinois. Cela s’est soldé par une coopération tripartite.

Selon Alain Mérieux, la France doit prendre conscience de son histoire et de son potentiel et intervenir intelligemment, par exemple, s’agissant du secteur de la santé, en envoyant de jeunes médecins, pharmaciens et vétérinaires se former sur le terrain en Afrique et en coopérant à niveau utile ; il ne faut pas se contenter de cours professoraux. La France en Afrique perd du terrain, alors qu’elle possède l’atout de la langue qui, tout comme la médecine, constitue un vecteur fantastique. Les Chinois ont d’ailleurs bien compris l’intérêt de maîtriser la langue française, comme les Sud-Africains d’ailleurs.

En d’autres termes, ce que la présence chinoise en Afrique révèle en creux, c’est notre singulière absence. « Tout le monde a une politique africaine, qu’il s’agisse du Brésil ou de la Chine, qui essaient d’ailleurs de délégitimer les pays européens. Seule la France s’interroge encore… » faisait remarquer Hubert Védrine lors de son audition par la Mission. L’Afrique, forte de sa dynamique démographique (1 milliard d’habitants, 15 % de la population mondiale) et de son développement (4,9 % de croissance en 2010) est le continent de demain. Outre les liens particuliers que nous entretenons avec une partie de ce continent, notre proximité linguistique, historique, affective et notre intérêt commun au développement de nos voisins, l’Afrique constitue un gisement de croissance à nos portes qu’il ne faut pas délaisser.

De plus, le plus grand atelier du monde dans peu de temps ne sera pas la Chine, mais l’Afrique. Le numéro deux mondial du prêt-à-porter, Hennes et Mauritz (H&M), a indiqué vendredi 16 août 2013 qu’il allait étendre son réseau de fournisseurs à l’Éthiopie, après avoir concentré 80 % de sa production sur le continent asiatique. Les coûts de production y sont deux fois moindres et les coûts de transport et les délais de livraison pourraient s’en trouver réduits, du fait de la plus grande proximité entre les côtes africaines et le marché européen. Fatale serait donc l’erreur consistant à concentrer notre diplomatie économique sur les grands émergents, qui ont eux-mêmes pris conscience de la nécessité de se tourner vers l’Afrique.

Principales orientations et préconisations

(…)

Redéfinir la place de la France dans le monde

18. Soutenir l’échelon européen pour la négociation d’un accord bilatéral UE-Chine sur les investissements, incluant un meilleur accès au marché chinois

19. Face à des approches nationales trop fragmentées au sein de l’Union européenne, lutter contre les lignes de fractures internes, bien choisir ses combats et promouvoir les initiatives communes en phase avec la stratégie et les atouts français, comme par exemple la ville européenne durable

20. Discuter avec nos partenaires des possibilités d’action commune en matière de subventions chinoises aux investissements qui crée des distorsions de concurrence en Europe et en pays tiers

21. Mettre la Chine à l’agenda des relations franco-allemandes

22. Réfléchir de manière pragmatique à la mise en œuvre de coopérations tripartites en Afrique accompagnées d’un dialogue nourri sur les pratiques d’aide

(…)

B. VALORISER L’IMAGE DE LA FRANCE ET CULTIVER DES RELATIONS DE PROXIMITÉ

La France est un pays dont les Chinois ont une bonne image ; un pays romantique, dont ils aiment la culture et la littérature en particulier. La formation en France des Pères fondateurs, Zhou Enlai et Deng Xiaoping, suscite aussi l’admiration. De plus, même ceux qui ne connaissent pas la France expriment une forme de respect lié notamment à la reconnaissance de la République populaire de Chine par le Général de Gaulle. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous nous devons de donner un éclat particulier aux célébrations du cinquantième anniversaire de cette reconnaissance le 27 janvier prochain.

Mais ce discours sur la France « romantique », c’est le terme récurrent employé en Chine, pour positif qu’il soit, n’est pas très utile pour développer un commerce de technologies ! Il peut même être assez handicapant. En outre, notre société ne bénéficie pas toujours d’une image positive ; elle apparaît parfois suspicieuse, fermée, craintive. Un travail permettant d’améliorer l’image de la France en Chine doit être conduit avec deux axes : l’enrichissement par une meilleure valorisation de nos atouts dans la compétition mondiale, le développement d’une plus grande ouverture de notre société envers les Chinois. C’est à ces conditions que le rapprochement entre nos deux pays pourra s’inscrire dans la durée sur des bases solides.

1. Une France « romantique » mais aussi moderne

a. Capitaliser sur le rayonnement culturel de la France

La force d’attraction que constitue la culture française est un atout inestimable pour notre pays. Il existe en Chine une admiration pour les grands auteurs français, une fascination pour Paris, une image de la France comme pays du romantisme, des beaux-arts, du bon goût et du raffinement. Il convient de s’appuyer sur cet imaginaire, cette France rêvée, promouvoir cette « touche française », pour déployer une présence culturelle forte et plus diversifiée et par ailleurs une attractivité touristique. Car après Paris, Londres et New York, Pékin et Shanghai deviennent les centres d’un nouveau mouvement culturel et artistique international. La maison Christie’s, leader mondial de la vente d’objets d’art, vient d’ailleurs d’ouvrir une succursale à Shanghai, après obtention en avril 2013 d’une licence spécifique lui permettant de réaliser des ventes autonomes en Chine, la première vente aux enchères ayant eu lieu le 26 septembre dernier. Cet événement s’inscrit dans le processus de maturation du marché des biens culturels en Chine.

La visibilité de la France en Chine sur le plan culturel est plutôt bonne, notamment dans le domaine de la littérature et de la traduction et dans celui des sciences humaines et sociales. Il faut à cet égard signaler l’existence du Centre d’études français sur la Chine contemporaine de Hong-Kong, l’École française d’Extrême Orient de Pékin et le Centre franco-chinois en sciences sociales de l’Université Tsinhua à Pékin, relais important pour les chercheurs en sciences humaines et sociales. Elle est en revanche plus faible dans le domaine des arts visuels, où c’est plutôt l’art chinois qui est exporté. Cette faiblesse est liée pour partie à la contrainte que représentent le protectionnisme, la censure, le piratage ainsi que l’absence de volonté politique chinoise, en particulier concernant le cinéma. Un lieu comme Yishu8, maison des arts privée, située en plein cœur de Pékin dans le bâtiment de l’ancienne université franco-chinoise mêlant architecture impériale et occidentale, est un exemple magnifique de cette ambition d’un échange culturel authentique et de haute qualité, inscrit dans une tradition renouvelée et projetée dans l’avenir. Cette maison unique est une résidence d’artistes, un ilot de créativité et un lieu de manifestations et de rencontres.

La Chine, notamment les grandes villes comme Pékin et Shanghai, est une priorité pour l’action culturelle extérieure de la France. En 2004-2005 déjà, une Année de la France en Chine a été organisée.

La principale difficulté pour l’action de l’Institut français en Chine est due à la taille et la masse du pays et à une implantation récente, puisqu’elle a démarré il y a seulement une vingtaine d’années. Ces éléments, ajouté au fait qu’il y existe une nouvelle génération d’intellectuels et d’artistes qui ne sont pas toujours dans la mouvance du pouvoir, font de la Chine un cas particulier. La question des médias est évidemment aussi problématique : il serait important que France24 puisse enfin être autorisée en Chine qu’il soit à nouveau possible d’accéder au site de RFI.

Quelques points positifs doivent être soulignés. Sur le plan culturel, le dispositif de manifestations « Croisements », un festival annuel de trois mois inauguré en 2011, possède une grande visibilité en Chine, attirant un très grand nombre de visiteurs, ce qui montre bien la curiosité et le grand intérêt des Chinois à l’égard de la culture française. « Croisements » s’est inscrit dans le sillage des années croisées France-Chine (2003-2005) et est devenu le plus grand festival culturel français à l’étranger ainsi que le plus grand festival culturel étranger en Chine : 77 évènements dans 19 villes accueillent plus de 500 000 visiteurs.

Dans le domaine culturel, la France privilégie trois leviers :

l’apprentissage du français et la promotion de la francophonie, avec des programmes en direction des étudiants et des universités : mise en place de programmes de mobilité « LabCitoyen » et « Culture lab » (projets qui mobilisent plus d’une centaine d’universités et pour lequel 400 candidats se sont présentés pour seulement 4 places) et de diverses coopérations universitaires (170 lecteurs de français dans 115 universités chinoises) et éducatives, soutien à l’UNIFA (Université francophone d’Asie du nord-est), un accent sur les didacticiels et les formations bilingues… Sur le plan éducatif, un accord portant sur l’évolution du système éducatif chinois vers des formations bilingues a été signé en septembre 2012. Il permettra à l’Institut d’accompagner, à travers des outils, des contacts ou des formations, le développement de la francophonie dans le système éducatif chinois. Par ailleurs, le festival du film francophone a réuni, en 2012, 10 370 spectateurs ;

la publication et la traduction : programme d’aide à la publication Fu Lei (5 % de l’enveloppe de l’Institut français), prix Fu Lei pour les deux meilleures traductions d’ouvrages français chaque année et deux sessions annuelles de formation de traducteurs (en littérature et SHS). À noter que la Chine est très en pointe dans le domaine de l’édition numérique grâce à la distribution sur téléphone portable qui connaît une croissance exponentielle sous l’influence des commandes de l’État. L’Institut français à Paris vient de lancer un cycle Digital Asia (après Digital Africa) sur les pratiques du numérique en Asie en commençant par la Chine ;

– le débats d’idées et la culture scientifique : des cycles de conférences-débats consacrées à la notion de soft power, une semaine franco-chinoise de l’eau en 2013 après un cycle sur la ville alternative et un cycle exceptionnel du collège international de philosophie en 2012, une revue de Sciences humaines, Croisements, ouverte aux chercheurs francophones de l’Asie du Nord-est et du Sud-est, l’Université francophone d’Asie et récemment la mutualisation entre le Japon, la Corée du sud et la Chine du réseau de chercheurs francophones pour les mobiliser dans les débats d’idées organisés chez leurs voisins d’Asie du nord.

Français et chinois, deux langues d’avenir

La France est le premier pays de l’Union européenne pour l’apprentissage du chinois, avec 50 000 apprenants, et avec la pertinence de le proposer dans le secondaire. La France renforce son offre de sections internationales en langue chinoise, qui permettent d’accueillir des enfants d’expatriés chinois en leur proposant un enseignement partagé en français et en chinois. Alors que la première section a été créée il y a seulement 5 ans, il en existe déjà 29, étant précisé que la spécialité enseignée en chinois est, conformément au souhait des autorités chinoises, les mathématiques. La dernière section de ce type a été créée à Montpellier, conformément à une décision prise lors du conseil stratégique de l’attractivité du 28 mars 2011. La France accueille aussi 16 Instituts Confucius et 3 classes Confucius.

Il convient de souligner l’existence en Chine d’un programme des « Volontaires de l’enseignement du chinois à l’étranger », lancé en 2004, qui consiste à recruter de jeunes enseignants chinois (de niveau Bac + 3) pour apporter un soutien à l’enseignement du chinois dans les établissements secondaires français. En 2011, 12 professeurs de mathématiques ont ainsi enseigné en chinois. La demande dans le domaine de l’enseignement du chinois connaît en effet un développement rapide en raison des perspectives économiques ouvertes par les relations franco-chinoises. Ces volontaires peuvent avoir le statut d’assistant volontaire. Dans ce cas la partie chinoise prend en charge le transport, une allocation mensuelle et la couverture sociale et la partie française fournit l’hébergement et les repas. Ils peuvent également être affectés dans les sections internationales de langue chinoise, sur la base d’un accord bilatéral. La partie chinoise les rémunère alors partiellement, la partie française complétant à hauteur de 700 euros par mois. Les séjours étant de trois ans, ces enseignants viennent en France avec une « carte compétences et talents ». C’est pourquoi la Chine est l’un des pays où la France délivre le plus ce type de cartes (13 en 2012).

En Chine, la dynamique en faveur de la langue française est également manifeste. On y compte aujourd’hui près de 100 000 apprenants de français, ce qui est peu mais en forte progression, et on évalue à 37 000 le nombre d’étudiants dans les départements de français et les unités d’enseignement dépendant des universités. Après les Années croisées linguistiques de 2011-2012, s’est tenue en 2012 l’Année de la langue française en Chine, qui se sera traduite par quelques 200 manifestations au bénéfice des communautés scolaires, étudiantes et du grand public. Sa clôture, en présence de la ministre déléguée chargée de la Francophonie aura permis de signer une convention relative à l’ouverture de sessions des diplômes de langue française (DELF/DALF) qui était en négociation depuis plusieurs années.

Les raisons de l’attrait pour notre langue sont multiples : rayonnement culturel de notre langue, valorisation de la maîtrise d’une deuxième langue étrangère sur un CV, mais aussi étendue de l’espace francophone. On apprend le français parce que c’est une langue parlée sur les cinq continents, et surtout une des langues du continent africain. Au Canada, en Colombie britannique, les premiers apprenants de français dans les alliances françaises sont les Chinois, car ils ont besoin de notre langue. L’avenir de la francophonie se joue en Afrique. 124 départements de français existent aujourd’hui dans les universités chinoises ; il n’y en avait que 32 en 2006. Il y a environ 170 lecteurs de français dans les universités chinoises. En revanche, il n’existe pas de programme officiel d’assistants de langue française en Chine, alors que la France accueille une cinquantaine d’assistants chinois (58 en 2012).

Les universités de Hefei (province de l’Anhui) sont un excellent exemple car l’enseignement de la langue française y bénéficie des liens forts que l’Anhui entretient avec les pays d’Afrique francophone. Un nouveau département de français a ouvert à la rentrée de septembre dernier, portant à quatre le nombre de départements de français délivrant des diplômes de benke (licence) dans cette province.

L’Université d’agriculture de l’Anhui, université clé de niveau provincial, est reconnue pour ses formations dans les disciplines touchant à l’agriculture et à la filière du bois. Cette université a vocation aujourd’hui à devenir pluridisciplinaire et de plus en plus ouverte à l’international, notamment vers les pays africains francophones. L’Université a un département de français depuis septembre 2007. Il s’agit, notamment, d’un centre de formation du français pour les personnels du Ministère de l’Agriculture envoyés en Afrique. Du 15 juillet au 26 août, une formation intensive à la langue française de 35 agronomes chinois, débutants complets en français, est assurée par les enseignants chinois et étrangers du département de français. Âgés entre 28 et 57ans et provenant de la Chine entière, les agronomes ont été sélectionnés après avoir déposé leurs dossiers de candidature auprès de leurs entreprises respectives, dossiers ensuite validés par le Ministère d’Agriculture qui finance le programme de formation. À l’issue de la formation d’un mois et demi, les agronomes experts dans la culture du riz, du maïs ou de la sylviculture passeront un test de français organisé par le Ministère et décisif quant à leur départ en Afrique en mission de deux ans. Les missions débuteront en 2014 au Mali et au Bénin et les experts travailleront auprès d’entreprises locales.

Cette appétence pour le français constitue une formidable opportunité pour notre pays en offrant des points d’appui pour développer notre diplomatie d’influence, notamment économique. Shen Shiwei, doyen adjoint de la faculté de tourisme de Ningbo, précédemment citée, est francophone ; c’est un interlocuteur privilégié du poste pour développer la coopération universitaire. Le développement de filières francophones en Chine est donc un levier à ne pas négliger.

Concernant la coopération franco-chinoise universitaire dans le domaine de la santé, la filière de formation médicale francophone (FFMF), qui s’inscrit dans le cadre de l’accord intergouvernemental de « coopération santé » depuis 1997, occupe une place toute particulière par la formation de médecins et de chercheurs chinois francophones. Après la création en 1907 de l’Hôpital Sainte-Marie, les Jésuites fondent en 1911 une école de médecine, berceau de l’université francophone Aurore, au sein de la concession française, qui devient en 1952, par fusion avec d’autres établissements non francophones, l’Université médicale de Shanghai n°2. Fermée pour raisons politiques, elle fut rouverte en 1982 avec le soutien des autorités de Shanghai et l’aide de professeurs français. La filière francophone compte aujourd’hui cinq centres : Shanghai, Wuhan, Chongqing, Kunming et Suzhou. Depuis 1997, la filière recrute chaque année trente étudiants parmi les meilleurs candidats à l’entrée de l’Université médicale de Shanghai n°2 (UMS II).

La première année est consacrée uniquement à la formation au français, avant d’entamer la formation médicale en français. En 6ème année, un jury paritaire franco-chinois sélectionne sur épreuves écrites et orales en langue française les meilleurs étudiants de chaque promotion (25–30 étudiants/promotion), qui effectuent ensuite leur 7ème année en France en tant que « Faisant fonction d’interne » (FFI). Ce séjour en France permet aux étudiants de valider un nouveau diplôme, d’acquérir des compétences supplémentaires dans leur spécialité dans un service de pointe ou encore d’initier et de poursuivre un travail de recherche dans un service hospitalier français partenaire de leur service chinois d’origine. La filière accueille aussi chaque année des médecins, des chercheurs et des stagiaires français qui participent aux activités médicales d’enseignement et de recherche de la filière.

En revanche, l’apprentissage du français ne se développe que de façon anecdotique dans le secondaire. Des sections françaises pourraient voir le jour, comme mesure de réciprocité au développement des sections internationale de chinois en France. Il serait à cet égard souhaitable qu’une option internationale de français soit inscrite dans les épreuves du Gaokao.

D’autres actions participent de l’influence culturelle. Ainsi, les architectes français, qui réalisent 60% de leurs exportations vers la Chine, donnent aussi une image moderne et esthétique de la France. Cette valorisation de l’architecture française et de l’urbanisme français présente l’avantage de mélanger les dimensions socio-culturelle, académique et économique. Citons les magnifiques opéras de Pékin et Shanghai (Andreu et Arte Charpentier), les gares TGV (Arep), le Pavillon français de l’Exposition universelle de Shanghai (Jacques Ferrier) ou encore la maison des Wuhanais. Le projet d’ADPI pour le nouvel aéroport de Pékin constituerait à cet égard une belle vitrine. Promouvoir les études françaises d’architecture, présenter leur originalité en matière d’enseignement et de recherche et diffuser notre expertise, notamment pour la formation des architectes et la rénovation des musées, sont autant de pistes intéressantes.

L’action culturelle extérieure de la France n’a pas que pour seul effet d’assurer le rayonnement culturel de la France à l’étranger, mais de renforcer son influence au sens large, influence économique comprise. La pénétration économique qu’offre la présence culturelle en Chine est exactement le point de vue chinois. À leurs yeux, l’action culturelle est une priorité pour l’économie chinoise, comme le montrent les Jeux olympiques de 2008 et le fleurissement d’opéras et d’instituts culturels chinois. La Chine a commencé à créer des instituts culturels Confucius (plus proche du modèle Alliances françaises) dans les années 2000 et l’on compte aujourd’hui 400 centres (et 500 classes) dans 105 pays ainsi que 9 centres culturels dans le monde. La Chine a clairement la volonté de construire une infrastructure culturelle afin de développer son économie : lors du XVIIe Congrès du Parti communiste chinois, le développement culturel comme vecteur économique a été élevé au rang de priorité, par exemple en ce qui concerne le patrimoine, les industries culturelles et le secteur du numérique.

En étant présente culturellement en Chine, la France entre dans un secteur économique porteur. Nous avons besoin de nous positionner comme un leader dans les industries culturelles et d’apporter une image positive. La culture est pour la France un point d’entrée et un vecteur pour influencer l’économie française en Chine. Dans le cadre de la mise en œuvre d’une diplomatie économique érigée au rang de priorité par le ministre des Affaires étrangères, figure la volonté de renforcer les synergies entre les différentes composantes de l’action culturelle et le développement des relations économiques. Cela se traduit notamment par la mise en place au sein des postes diplomatiques d’un conseil d’influence. Un des objectifs recherchés est de mieux appréhender les retombées économiques des industries culturelles, mais également de développer de façon connexe et plus large, les industries à connotation culturelle. Ce conseil rassemblera, aux côtés de représentants du réseau de coopération et d’action culturelle, ceux des services économiques, des services consulaires, des établissements de l’enseignement et de recherche et des acteurs économiques locaux des domaines de la culture, de l’audiovisuel et du tourisme.

Concernant les industries culturelles, outre le développement de certaines filières comme le livre et le cinéma, en facilitant la mise en réseau des différents publics des actions diplomatiques, cette initiative peut se traduire par un développement du mécénat sur des initiatives diverses. L’exposition de l’artiste chinois Zeng Fanzhi, qui se tient au Musée d’art moderne de la Ville de Paris jusqu’au 23 février 2014, n’aurait pu se monter sans l’appui de Budi Tek, riche homme d’affaires chinois qui ouvrira en décembre son musée privé à Shanghai, et qui apporte pour l’évènement 740 000 euros sur un budget total de 800 000 euros. De tels mécènes recherchent ainsi à rencontrer d’autres collectionneurs internationaux, à comprendre le fonctionnement des grands musées français pour « importer » un savoir-faire. Un autre exemple intéressant est celui de l’organisation à Paris par la collectionneuse Deng Xihong, sur les Champs-Elysées, de l’exposition « CHIFRA », regroupant 28 peintres chinois et 14 Français, du 22 au 28 octobre dernier. Elle aura investi plus d’un million d’euros. Et lorsqu’elle est interrogée sur sa motivation, elle répond que « pour tous ces artistes chinois, Paris, c’est le temple de l’art » (51). L’Asie s’octroie 43 % des recettes de l’art contemporain en salle et la Chine représente 90 % de ce marché. L’Institut français soutient donc et doit continuer à soutenir les galeristes français à la foire de Hong Kong afin d’approcher ce marché prometteur et, avec le ministère de la culture, met en place des relais spécialisés pour agir auprès des collectionneurs pour les aider à y promouvoir l’art français.

b. Une marque France, gage de qualité

La marque France doit véhiculer une image d’extrême qualité, avec plusieurs types d’application.

La première concerne les industries à connotation culturelle. Nous savons que le développement économique de la Chine se traduit par une augmentation très forte de produits haut de gamme liés à l’art de vivre. Les secteurs du luxe, des vins et alcools, de la gastronomie, mais aussi des voitures haut de gamme sont fortement dépendants de l’image de la France véhiculée en Chine. La DS produite en Chine, conduite par Sophie Marceau, l’exposition Christian Dior à Shanghai en septembre dernier, les restaurants des grands chefs implantés en Chine, tout ceci donne un avant-goût de la France et, notons-le aussi, incite les Chinois à choisir la France comme destination touristique et à remporter des cadeaux onéreux. La distinction et le raffinement, le chic parisien et l’art de vivre, le sens des plaisirs créent le marché. On ajoutera aussi le tourisme haut de gamme, que le Club Med par exemple développe à destination d’une clientèle chinoise, à l’étranger et en Chine, et qui est un succès grâce à ce positionnement sur ce segment.

L’image des marques associées au luxe est aujourd’hui excellente et il faut la préserver. C’est la raison pour laquelle dans ces secteurs, si l’on met de côté les biens d’équipement de luxe, l’accent est souvent mis sur les exportations, et non pas sur une production locale qui ferait courir un risque de réputation. Ainsi, tous les produits de la marque Avene sont par exemple fabriqués en France, du produit même à l’emballage ; seul le mode d’emploi est fabriqué en Chine, en chinois. Les exportations françaises dans le secteur des cosmétiques ont atteint 260 millions d’euros de janvier à octobre 2012, en augmentation de 11 % malgré le blocage administratif des produits.

La demande est aussi en forte expansion pour une marque comme Christofle et elle concerne d’abord les collections traditionnelles (théières, cafetières, plateaux, orfèvrerie). La société a ouvert en 2004 un point de vente à Shanghai et devrait en compter trente dans trois ans. Les Chinois y recherchent une qualité, une rareté et achètent beaucoup à la commande (trois à six mois de réalisation) des modèles fabriqués à la main, en édition limitée, en France (à Limoges et en Normandie pour les articles de haute couture) et dans d’autres pays d’Europe (Allemagne et Italie). C’est l’origine des produits, la marque « France », qui séduit. Il faut donc valoriser cette marque et en faire la publicité, à l’image de ce que fait Christofle en formant les candidats à Miss China à l’art de vivre.

Même dans les secteurs qui ne sont pas associés au luxe, comme le prêt à porter, le fait d’être une marque française constitue un avantage. La société Etam, présente depuis 1992 en Chine, essaie de faire valoir son origine, elle que l’on croît chinoise tant elle est intégrée dans le paysage, tandis que des entreprises chinoises jouent des symboles français, accrochant ici et là une tour Eiffel par exemple, pour attirer les clients.

La seconde application de l’image de qualité associée à la France doit être l’excellence industrielle et technologique. La question de l’excellence est à manier avec précaution. Car il ne faut pas non plus se réfugier derrière cet argument pour occulter le problème des prix. À Wuhan, par exemple, le marché afférent à un hôpital a été attribué à des Japonais qui ont proposé une offre deux fois moins chère. Néanmoins, dans un environnement aussi concurrentiel que celui du marché chinois, du fait de la présence de nombreuses entreprises étrangères mais aussi d’entreprises chinoises de plus en plus compétitives, il faut cultiver l’image d’excellence qui est celle de notre savoir-faire et de notre technologie.

Un représentant de GDF-Suez l’a très bien exprimé : en développant des réseaux de chaleur et de froid qui sont bien dimensionnés et efficaces en énergie et en coût, fondés sur une analyse fine du besoin, la société apporte l’excellence aux villes et aux entreprises chinoises. Un autre exemple est celui de la SSCMA (détenue à 60 % par Air China et à 40 % par CFM qui est une joint-venture paritaire entre la Snecma et General Electric), qui depuis 1999 effectue à Chengdu la maintenance des moteurs d’avion CFM et l’assistance aux compagnies aériennes. Plus de 600 moteurs ont été maintenus et 900 interventions sur avion ont été effectuées ; aucun retour moteur n’a été constaté. C’est cette qualité de prestation qui explique la forte croissance de la société et la confiance dont elle bénéfice de la part du gouvernement chinois. Un nouveau contrat a été conclu le 7 juin 2013 pour ouvrir une nouvelle usine sous douane aux meilleurs standards mondiaux devant permettre de faire face à l’augmentation de l’activité liée au développement d’Air China. Cette société crée de l’emploi en France comme explicité supra.

La troisième application concerne le haut niveau d’exigence des processus et la sécurité. En premier lieu, l’aéronautique et le nucléaire français doivent continuer à être soutenus. Il faut pour cela valoriser l’atout que constituent le label et la réputation français, notamment en matière de sécurité. Certes, cela ne suffira pas si la capacité technologique n’est pas au rendez-vous face à des entreprises chinoises de plus en plus performantes. À cet égard, la question qui se pose à la France aujourd’hui est de savoir quelle sera sa stratégie vis-à-vis de la Chine. Pourra-t-on garder une avance technologique durable sur la Chine ? Quel partenariat peut-on construire avec les Chinois à l’international et à quelles conditions, étant précisé que nous disposons d’un partenariat précieux avec le Japon sur l’énergie nucléaire ? En second lieu, la France peut se positionner comme une réponse aux nouvelles exigences de sécurité sanitaire et alimentaire. C’est un avantage concurrentiel considérable à mettre en avant.

Enfin, l’image « de marque » française devrait aussi se traduire par des pratiques irréprochables sur le plan des droits des travailleurs. La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) a créé avec le groupe Carrefour une association, Infans (52), pour l’application des règles internationales, onusiennes et de l’organisation internationale du travail. Ce partenariat se traduit notamment par la mise en œuvre d’un contrôle externe indépendant par une société d’audit sur la base d’une méthodologie créée par la FIDH, appelant le cas échéant des mesures correctrices. Ce sont des bonnes pratiques à généraliser pour nos entreprises. Aujourd’hui le mandat d’Infans – devenu un « forum de discussion et d’échanges » est centré sur le développement d’une norme internationale sur la responsabilité des entreprises en matière de droits de l’Homme. Ainsi dès avril 2003, Carrefour a pris publiquement position pour un tel instrument et en novembre 2005 a soutenu les Normes des Nations unies sur la responsabilité en matière de droits de l’homme des sociétés transnationales et autres entreprises et d’un mécanisme de contrôle.

c. Promouvoir l’innovation et la technologie françaises

La promotion de l’innovation et de la technologie françaises passe par plusieurs canaux.

Le premier est la densité de notre coopération scientifique et technologique. Cette coopération est très dynamique (plus de 2 000 chercheurs se sont rendus en Chine pour des missions courtes en 2012) et très diversifiée. La coopération franco-chinoise est encadrée par un accord intergouvernemental du 21 octobre 1987 auquel ont fait suite de nombreux accords sectoriels et inter-organismes. Lors de la treizième commission mixte franco-chinoise pour la science et la technologie, qui s’est réunie à Paris le 30 mai 2011, les deux parties ont identifié cinq thématiques prioritaires de coopération : développement durable, biodiversité et gestion de l’eau ; Chimie et technologies vertes ; Énergie ; Sciences de la vie dont les maladies infectieuses et émergentes ; Sciences et technologies de l’information, villes intelligentes ; matériaux avancés. Une quarantaine de laboratoires conjoints existent, impliquant plus de 2 300 chercheurs, issus de plus de 340 laboratoires français et chinois. 34 structures publiques conjointes de recherche franco-chinoises étaient recensées en 2012 et plusieurs bureaux de représentation d’organismes français étaient ouverts à Beijing et Shanghai (CNRS, CEA, INRA, CIRAD, IRD etc.).

La France dispose donc d’une belle vitrine et jouit d’une réputation d’excellence. L’Institut Pasteur de Shanghai et le Laboratoire franco-chinois d’informatique, d’automatique et de mathématiques appliquées, pour ne citer que ces deux exemples, sont considérés par nos partenaires chinois comme des modèles de coopération d’excellence et reconnus par l’administration chinoise comme des centres internationaux. La France dispose aussi d’un partenariat historique en archéologie. Depuis 1990, la Commission des fouilles soutient la mission archéologique franco-chinoise au Xinjiang, première mission archéologique étrangère autorisée en Chine, à sa réouverture, en 1991. L’année 2013 a aussi vu la création du premier laboratoire international associé du CNRS dans le domaine des Sciences humaines et sociales (LIA Sociologie post-occidentales et Sciences du terrain en Chine et en France). Plus de 1400 publications scientifiques hors sciences humaines et sociales ont été recensées en 2010.

Le deuxième canal, complémentaire, est la capacité à utiliser cet effet de levier en apportant les moyens suffisants, d’une part pour financer la mobilité des chercheurs et l’émergence de projets scientifiques conjoints, d’autre part pour obtenir des cofinancements chinois pour des projets stratégiques. L’ambassade de France anime ainsi des clubs R&D à Shanghai, Pékin, Canton et Wuhan, en association avec la Chambre de commerce et d’industrie franco-chinoise, afin de faciliter l’échange d’expériences entre acteurs académiques et industriels français présents en Chine. Certains accords permettent le cofinancement de projets, par exemple celui qui lie la Fondation pour les sciences naturelles de Chine et l’Agence nationale pour la recherche française (ANR) en matière de recherche fondamentale et appliquée, ou encore ceux signés par le ministère chinois des sciences et technologies avec l’ANR, la Direction Générale de la Compétitivité, de l’Industrie et des Services du ministère de l’Industrie et OSEO.

Le troisième canal est celui de la conduite d’une démarche active pour repérer et faire venir en Chine des entreprises innovantes. Le moment est propice pour saisir les opportunités de la montée en gamme de l’économie chinoise vers l’innovation. Ubifrance s’est engagé dans cette voie en partenariat avec OSEO et a choisi d’installer dans chaque bureau régional d’OSEO des chargés d’affaires à l’international, ce qui permet d’identifier et d’aller chercher les entreprises dans les régions pour les inciter à venir s’installer en Chine. S’est tenue en 2013 la deuxième édition du premier programme « Chinnovation » avec la venue d’une quinzaine d’entreprises innovantes décelées par le réseau régional des chargés d’affaires Oséo et accompagnées par Ubifrance en Chine qui a été un véritable succès, certaines entreprises ayant déjà noué des relations d’affaires de long terme. Un VIA OSEO est aussi en poste permanent au sein d’Ubifrance Chine dans l’Ambassade à Pékin. Par ailleurs, un accord de cofinancement de projets collaboratifs d’innovation a été signé avec le MOST en septembre 2011.

Le dernier canal dépend peu des pouvoirs publics mais souvent des entreprises elles-mêmes : il s’agit de la promotion au sens large. La visibilité des entreprises, des marques et de la technologie françaises est trop faible. Pourtant, nous avons, en Chine, dans les domaines aéronautique, de la santé, de la maîtrise de l’énergie, du nucléaire, des transports, des logiciels informatiques, de l’imagerie 3D, des banques, de l’assurance, de la biochimie, du contrôle qualité, des services à la personne, pour ne citer que quelques secteurs, de très belles réussites d’entreprises, qui ont notamment su répondre aux demandes du marché intérieur chinois. Ces réussites ne concernent pas seulement des entreprises du CAC 40 mais aussi des PME et ETI. Encore faut-il le faire savoir !

Cette présence d’entreprises françaises dans des secteurs industriels et de services n’est pas assez connue du grand public chinois. Nous devons tous faire des efforts pour promouvoir les talents français et montrer que la France est en pointe dans de nombreux secteurs d’activité. Saint-Gobain a fabriqué les vitres du train à grande vitesse chinois, mais personne ne le sait. En revanche, lorsque l’on arrive à l’aéroport, on voit partout des publicités pour des voitures allemandes. Des initiatives comme celle de Schneider Electric qui a édité un livre en mandarin sur son histoire chinoise, livre que l’on trouve dans les kiosques d’aéroport, est un bon exemple de communication.

Les pouvoirs publics peuvent évidemment contribuer à cette promotion. D’abord, il faut signaler le nouveau plan de communication centré sur l’innovation de l’AFII avec l’INPI, avec la Campagne « Say oui to France, Say oui to innovation », lancée en Chine début décembre 2012. Nous devons également lister les secteurs dans lesquels les Français excellent et communiquer sur cette excellence, par exemple via les réseaux sociaux. Il ne faut pas oublier que la Chine compte 600 millions de blogueurs et que le marché de l’e-commerce chinois est supérieur à celui des États-Unis. Certains organismes pourraient intégrer une dimension promotion des sociétés françaises dans leurs activités, par exemple l’Autorité de Sûreté nucléaire, notamment sous forme de courriers insistant sur la qualité et la sûreté de la filière française.

Enfin, nous devons contribuer au travers de nos postes à l’organisation de manifestations mettant en avant la compétence et le savoir-faire français. À l’occasion du 50ème anniversaire de la reconnaissance de la République Populaire de Chine par la France, une démarche associant les pouvoirs publics et les entreprises est en définition. Elle semble à l’ensemble des membres de la Mission tout à fait indispensable pour promouvoir auprès des autorités chinoises, des leaders du monde des affaires, mais aussi de l’opinion publique chinoise, l’image d’une France innovante, créative, en pointe dans de nombreux domaines.

Principales orientations et préconisations

(…)

Diffuser l’image d’une France moderne et d’une marque France

23. Déployer une présence culturelle forte et diversifiée, appréhendée dans une stratégie globale d’influence, y compris d’attractivité touristique

24. Développer l’apprentissage du français et promouvoir la francophonie

25. Véhiculer la marque France comme gage d’une extrême qualité, mêlant raffinement et excellence, pour les industries à connotation culturelle, les filières technologiques, comme les secteurs soumis à des contraintes de sécurité particulières

26. Promouvoir les initiatives forgeant l’image d’entreprises respectueuses des normes éthiques, notamment avec des pratiques irréprochables sur le plan des droits des travailleurs

27. Intensifier la coopération scientifique et technologique, élargir le cercle des organismes conjoints jouissant d’une réputation d’excellence et repérer et faire venir les entreprises innovantes françaises en Chine

28. Améliorer la promotion des réussites françaises en Chine et des produits français présents sur le marché chinois, y compris par l’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux, pour ancrer l’image d’une France innovante, créative et à la pointe du progrès

(…)

2. Une France ouverte et accueillante

La France ne parviendra à nouer des relations étroites et de confiance avec la Chine que si elle fait preuve d’une ouverture et d’une bienveillance qui font parfois défaut aux dires des Chinois (et d’autres !). Il s’agit parfois de manques d’attention, parfois de négligences, souvent d’un réflexe de peur. Il existe pourtant des éléments de culture proches, comme l’attention portée à la qualité de la vie, aux contacts personnels, à la connaissance.

Une forme d’appétence existe manifestement, comme le montrent l’affluence pour les festivités du nouvel an chinois, le succès de l’opéra chinois, l’apprentissage de la langue chinoise. Le régime chinois et la question tibétaine jouent sans nul doute un rôle dans l’image plutôt négative de la Chine, mais cela n’explique pas tout. La chancelière allemande reçoit le Dalaï-Lama et pourtant la société allemande est plus bienveillante que la nôtre envers la Chine. C’est donc autant affaire de pédagogie que de signes tangibles de bienvenue. La proximité affective doit être cultivée. Elle suppose de bien accueillir les investisseurs, de mieux recevoir les touristes chinois dont le flux ne cessera d’augmenter, de porter une attention particulière aux étudiants chinois, en France et en Chine, tout en favorisant l’échange par le partage des langues dans un monde plurilingue.

La France constitue déjà une destination de poids pour les Chinois, ce que révèlent les flux migratoires. Le nombre de visas délivrés en Chine par nos Consulats est de 295 083, un chiffre sans commune mesure avec celui des visas délivrés aux Indiens (64 861), aux Brésiliens (6 298) ou mêmes aux États-Uniens (41 575) ! Parmi ces détenteurs de titres de séjour, la population étudiante en France compte 30 349 Chinois, à comparer aux 2 235 étudiants indiens, 4 939 étudiants brésiliens et 4700 étudiants États-Uniens. Des marges de progression existent néanmoins et notre politique migratoire, même si c’est loin d’être le seul facteur, doit pouvoir accompagner le rapprochement entre nos deux pays et nos deux peuples. La réciproque doit bien entendu être vraie également.

Des efforts importants, règlementaires et procéduraux, ont été fournis au cours des derniers mois par la France, ce dont il faut se réjouir car l’attractivité de notre pays en est nettement renforcée. Comme les développements qui suivent le démontreront, nous avons intérêt à susciter et accompagner les échanges de populations. Ils sont au cœur de la dynamique de rapprochement de nos deux pays et assurent l’établissement de relations diversifiées et de long terme entre nos sociétés et leurs différents acteurs. À cet égard, pour manifester, non seulement aux autorités chinoises, mais aussi à l’ensemble des Chinois, qu’ils sont bienvenus en France, une opération médiatisée sur les visas, au moins, de court séjour pourrait être organisée en 2014. Elle aurait une symbolique forte et le coût qui en résulterait serait amorti, même à court terme, par le supplément de croissance induit par la présence en France de touristes dépensiers. L’ouverture est un investissement d’avenir.

a. Conforter et pérenniser les dispositifs favorables en matière de migrations

Parmi les irritants récurrents, figure la délivrance des visas. Les ressortissants chinois sont soumis à visa par l’ensemble des États Schengen. Il n’existe pas d’accord sur les migrations. Les visas sont délivrés sans consultation préalable, ni du ministère de l’intérieur, ni des partenaires Schengen. Toutefois, les titulaires de passeports de la région administrative de Hong-Kong et de celle de Macao sont dispensés de visa de court séjour, sauf en cas d’exercice d’activité rémunérée. En outre, depuis la publication de l’accord au journal officiel le 10 juillet 2013, notre poste à Hong-Kong est en mesure de délivrer des visas vacances-travail. Un accord de « destination touristique autorisée » (ADS), signé entre l’UE et la Chine, est entré en vigueur le 1er septembre 2004. Il prévoit que les demandes de visas touristiques présentées par le canal d’agences de voyage agréées soient instruites avec des justificatifs moins nombreux que ceux imposés par le droit commun. Concernant l’Outre-mer, la Polynésie française et la Réunion font elles aussi partie des destinations touristiques agréées. En outre, pour la Réunion, un visa de maximum 15 jours est délivré aux points de passage contrôlés du département, après accord du préfet, pour les ressortissants chinois séjournant à l’île Maurice ou aux Seychelles dans le cadre d’un séjour touristique.

Depuis l’ouverture en 2008 d’un poste consulaire à Shenyang, au Nord Est du pays, la France dispose de sept représentations en Chine. Shenyang ne délivre toutefois pas encore de visas, l’ouverture du service est néanmoins prévue à la mi-octobre 2013. Aussi, les 64,63 ETP que la France consacre aux visas en Chine sont actuellement répartis entre 6 postes (18,50 à Pékin, 22,5 à Shanghai, 9,83 à Canton, 4,83 à Wuhan, 1,97 à Hong Kong et 7 à Chengdu). Les flux migratoires chinois se caractérisent par une forte croissance. On notera toutefois le net repli constaté en 2008. La demande globale a augmenté de 166 % en 10 ans et de 14,86 % en 2012 par rapport à 2011, soit presque un doublement en 3 ans. Pour 2013, la demande a déjà atteint plus de 272 000 dossiers en 9 mois.

Les visas de long séjour enregistrent une forte progression (+ 72 % entre 2003 et 2012). Ils portent très majoritairement (70 %) sur des séjours pour études. S’agissant des étudiants chinois, plus de 10 000 visas de long séjour pour études ont été délivrés à des ressortissants chinois (contre 9 500 pour les États-Uniens, 3 500 pour les Brésiliens et 1 700 environs pour les Indiens). Il existe beaucoup de fantasmes autour d’éventuels faux étudiants chinois, qui se serviraient de leur visa étudiant pour en réalité venir travailler en France. Bien que de tels cas aient été relevés, ils demeurent extrêmement minoritaires et ne justifient pas le procès fait aux étudiants chinois dans les médias et l’opinion publique. La politique de visas mise en place par la France depuis 2005-2006 permet aujourd’hui d’éviter que de telles situations se produisent. S’agissant des visas de long séjour pour établissement professionnel délivrés aux ressortissants chinois, leur nombre a presque triplé entre 2003 et 2012 (passant de 605 à 1845).

Les visas pour des courts séjours, dont presque la moitié de type ADS (destination touristique agréée), représentent 95 % des visas délivrés. La délivrance de visas de court séjour a fortement augmenté, passant de 141 116 en 2003 à 280 947 en 2012 (soit près de 100 % en 10 ans). En 2012, les bénéficiaires de visas au titre de voyages touristiques en

groupe (SDA) ont été 135 831, soit 48 % des visas de court séjour délivrés en Chine. L’attribution de ce statut par les autorités chinoises a donc un impact très important pour le tourisme en France. Le nombre de chinois qui ont bénéficié de ces visas touristiques est en augmentation substantielle, avec une baisse notable en 2008, toutefois, due en partie à la crise financière.

 

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

Visas CS

102 229

141 116

143 936

155 829

156 215

127 077

142 218

202 270

241 285

280 947

272 721

Visas LS

8 357

7 890

8 426

9 401

11 603

13 458

13 511

14 399

14 459

14 068

12 098

Transit

2 694

3 275

3 082

3 676

3 043

2 486

992

59

 

 

 

V.T.A.

203

357

275

300

428

501

356

342

179

68

27

 

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

CANTON

29540

32588

33272

28518

27367

23638

21982

32603

44266

50057

47590

CHENGDU

         

9842

17164

24196

29091

32710

30948

HONG-KONG

3736

2779

2537

2597

2600

2404

2192

2428

2389

2764

2434

PEKIN

49298

79700

86922

102607

105467

75538

74154

87125

102003

105183

99170

SHANGHAI

32440

38464

36350

38363

36289

40116

47905

83339

89704

110943

108673

WUHAN

9268

12984

12305

14719

14448

9643

8870

9330

12789

20237

17531

L’analyse des statistiques relatives à la délivrance de visas pour la Chine présente certaines particularités : un nombre important de visas de court séjour délivrés, un potentiel touristique en pleine expansion et un risque migratoire, notamment concernant les étudiants. En 2012, le taux de refus global en Chine (7,6%) est resté inférieur à la moyenne mondiale (9,6 %). Mais s’agissant des visas pour études, le taux de refus avoisine les 28 % (risque migratoire ou de détournement de procédures, identifiés notamment par la faible qualité pédagogique du dossier ou l’incohérence des cursus).

La tendance récente qui a vu les conditions d’octroi des visas fortement améliorées au bénéfice des différentes catégories de demandeurs doit être confirmée. Il faudrait toutefois l’inscrire dans une démarche de réciprocité plus marquée. En effet, nos compatriotes subissent en Chine le durcissement des procédures de délivrance et de renouvellement des titres de séjour des ressortissants étrangers, aboutissant notamment à une rétention pénalisante des passeports pendant 15 jours, en application de la nouvelle loi sur les entrées et sorties du territoire chinois promulguée le 30 juin 2012 et entrée en vigueur le 1er juillet 2013 (ses textes d’application sont effectifs depuis le 1er septembre dernier). La situation des stagiaires français en Chine appelle également une certaine compréhension pour ne pas contraindre au départ des jeunes qui ont fait le choix de venir en Chine. Les membres de la Mission souhaitent attirer l’attention sur la baisse du nombre de Volontaires internationaux en entreprise (VIE), quand un objectif de 25 % d’augmentation a été fixée dans le cadre du Pacte national pour la croissance : alors qu’on en recensait 702 en 2012, ils ne sont déjà plus que 558 et, si cette tendance se poursuit, seront moins de 500 en 2014. Outre les contraintes sociales et fiscales qui ont été posées et qui renchérissent le coût de leur embauche, les conditions d’octroi des visas ont été durcies en imposant notamment une condition de deux ans d’expérience.

On soulignera aussi que Hong-Kong est le seul poste à délivrer des visas biométriques depuis le 14 septembre 2009. Face aux réticences des autorités chinoises, la France a en effet différé l’introduction en Chine continentale de la biométrie jusqu’à ce que celle-ci s’impose à tous les partenaires dans le cadre du raccordement progressif au VIS (Système d’information européen sur les visas imposant la prise d’empreintes).

Un différend tenace sur les visas biométriques

La Chine considère que la France a mis en œuvre le visa biométrique avec un zèle jugé inapproprié et inamical, notamment dans les consulats africains. Depuis longtemps, elle réclame avec force la signature d’un accord d’exemption de visa pour les titulaires chinois de passeport diplomatique ou, à défaut, de dispense de prise d’empreintes.

Le 10 mai 2010, les autorités chinoises ont pris des mesures de rétorsion dirigées spécialement contre notre pays : suppression de la procédure de « fast track » dont bénéficiaient les ressortissants français (notamment les opérateurs économiques) à Hong Kong ; remise en cause de la possibilité de délivrance aux frontières (cette disposition a notamment causé des difficultés pour les équipages de la marine marchande à Tianjin) ; conditions de délivrance plus contraignantes (allongement des délais, justificatifs plus nombreux, etc.) ; refoulement de tout ressortissant français porteur d’un visa non valide (alors qu’ils pouvaient être auparavant régularisés à l’aéroport ou à Hong Kong).

En juillet 2012, le différend a franchi un nouveau palier lorsque la Chine a étendu ses restrictions à huit nouveaux partenaires Schengen, en ciblant principalement les pays n’ayant pas d’accord d’exemption (pour l’heure, seules la Hongrie, la Lituanie, Malte, la Pologne et la Slovénie accordent cette exemption aux titulaires de passeport diplomatique ou de service. La Slovaquie étend cette facilité aux titulaires de passeport officiel également).

L’affaire s’est donc désormais déplacée sur la scène des relations sino-européennes. Or, à ce stade, la commission ne dispose que d’un mandat l’autorisant à négocier une clause « migration et mobilité » dans le cadre de l’accord de partenariat et de coopération (APC). Ce mandat lie l’exemption de visa pour les diplomates à des clauses en matière de réadmission que les Chinois contestent vivement. Pour notre poste à Pékin « seul un nouveau mandat autorisant la commission européenne à négocier un accord d’exemption de biométrie pour les diplomates chinois, sans lien avec la réadmission et hors APC », serait de nature à débloquer le dossier.

Concernant le traitement des demandes, il faut souligner les améliorations apportées par la sous-traitance du dépôt, de la saisie et de la vérification formelle des demandes de visa. Tous les postes, sauf celui de Hong Kong, ont externalisé la collecte des dossiers avec saisie des données alphanumériques. En Chine, la France et l’Allemagne ont mutualisé leurs moyens d’accueil du public dans des centres communs. Celui de Pékin a été inauguré le 30 octobre 2012. La délégation de la Mission qui s’est rendue en Chine a pu constater l’efficacité du Centre mutualisé de dépôts de demandes de visa à Shanghai, qui dispose de 52 comptoirs, peut traiter jusqu’à 2 500 demandes par jour et 550 000 par an. En outre, dans ces centres, certaines catégories de demandeurs ont été exemptées de comparution personnelle. Dans les faits, les délais de délivrance des visas varient entre 48 à 72 h - délai identifié en prenant en compte le nombre de VCS demandés et délivrés dans le mois de juillet 2013 pour en tirer un taux moyen qui donne (en jour) : Canton : 3,28 ; Chengdu : 2,40 ; Pékin : 2,51 ; Shanghai : 2,30 ; Wuhan : 3,93.

Ensuite, le 30 janvier 2013, les ministres de l’Intérieur et des affaires étrangères ont validé une série d’initiatives prises en faveur d’une délivrance de visas facilitées en faveur de certaines catégories de demandeurs. En pratique, les mesures suivantes ont été prises au cours du premier semestre 2013 pour les catégories de demandeurs de visas suivantes aux fins de simplifier les conditions de délivrance des visas :

– télégramme destinés aux Postes chinois, russes et indiens du 5 mars 2013 afin de délivrer, à titre dérogatoire, des visas de court séjour « visites professionnelles » sans production d’APT aux équipes de tournage chinoises et indiennes souhaitant séjourner sur le territoire français sur une période maximum de 40 jours, soit une durée de tournage de moins de 25 jours ;

– télégramme destiné aux Postes consulaires français en Chine du 24 avril 2013 prévoyant des mesures spécifiques accordées aux ressortissants chinois destinées à renforcer l’attractivité de la France, et notamment l’assouplissement des règles de compétence territoriale pour respecter une logique de groupe, à savoir la possibilité de déposer des demandes de visas dans un seul consulat dès lors que la moitié au moins des membres du groupe réside dans la circonscription consulaire,

– télégramme circulaire du 15 mai 2013 visant à favoriser la mobilité des partenaires étrangers concernés par des accords de coopération décentralisée.

De plus, concernant les étudiants, la circulaire dite « Guéant » a été abrogée. Par télégramme circulaire du 27 mai 2013, les ministres de l’Intérieur, des Affaires étrangères et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ont décidé de prendre plusieurs mesures destinés, d’une part, à faciliter le dépôt et l’instruction des demandes de visas de long séjour pour études (adaptation de la grille de rendez-vous, renforcement de la concertation entre les services de l’Ambassade, amélioration des campagnes de communication) et, d’autre part, à améliorer la mise en œuvre des critères de délivrance (rappel de l’importance de l’analyse du dossier sur un plan académique).

Enfin, les ministres ont pris l’initiative en mars dernier de simplifier la délivrance des visas de circulation, valables entre six mois et cinq ans, pour les « talents étrangers », « universitaires, scientifiques, artistes ou [les] touristes ayant la France comme destination privilégiée ». Il s’agit de simplifier les procédures pour ceux « qui veulent créer des emplois, développer des échanges, participer à l’effort de recherche ou de création artistique », selon un engagement de campagne du Président de la République. La proportion de visas de circulation reste toutefois modeste (4,6% en 2012). En effet, les visas pour visite professionnelle ne représentent que 35 % des visas Schengen délivrés par ce poste et près de la moitié d’entre eux (48 %, soit 13 600 visas délivrés en 2012) sont apposés sur des Passeports pour Affaires Publiques (P.A.P) (53). Les titulaires de ces Passeports pour Affaires Publiques représentent une partie importante du public visé par le télégramme n° 2013/5206 susceptible de se rendre fréquemment dans notre pays ou en Europe.

Dispositions en faveur des « talents »

Il est demandé de garantir au demandeur de visa les meilleures conditions de traitement en sollicitant des services de l’Ambassade (services de coopération et d’action culturelle l’établissement, missions économiques, chancellerie diplomatiques …) sous la responsabilité de l’Ambassadeur, des listes d’attention positive, regroupant le nom des personnalités susceptibles de bénéficier de visas de circulation.

Afin de faciliter la délivrance d’un premier visa, une attention particulière sera accordée aux demandeurs figurant sur ces listes ; ainsi, des mesure de simplification peuvent être introduites tant pour les primo-demandeurs connus du poste (dispense de certains justificatifs) que pour le renouvellement des visas de circulation (allégement des pièces justificatives et assouplissement des contrôles). Au cas par cas, il pourra être demandé à la structure ou aux personnes invitantes de se porter garantes, dans l’hypothèse où toutes les conditions de droit commun d’octroi du visa ne seraient pas réunies.

Il est demandé d’octroyer des visas de circulation d’un an aux demandeurs ayant une activité professionnelle à caractère artistique, culturel, universitaire et de recherche ayant déjà bénéficié de deux visas de court séjour Schengen. À l’expiration de ce premier visa de circulation d’un an, ils pourront faire une demande de visa de circulation pour une période pouvant aller jusqu’à 5 ans.

Enfin, il est demandé de développer des accords de partenariat, pour les hommes d’affaires avec allocation d’un créneau de rendez-vous hors grille normale pour les entreprises membres des Chambres de Commerce et d’Industrie Françaises à l’Étranger (CCIFE) ou franco-nationales et simplification des dossiers (54).

b. Mieux recevoir les touristes chinois en France

En 2012, la France a accueilli 1,4 million de touristes chinois (+23,3 % par rapport à 2011) qui dépensent en moyenne 1 600 euros sur notre territoire. 900 000 Américains visitent le Louvre ; ils sont déjà 500 000 Chinois. Si la France est le premier pays européen accueillant des touristes chinois, près de 90 millions de Chinois sortent de Chine continentale chaque année, les trois-quarts d’entre eux restant dans la zone Asie, et ce chiffre est amené à progresser fortement avec l’élévation du niveau de vie et le goût qui se développe en Chine pour les voyages, y compris individuels. Un objectif de 5 millions de touristes dans dix ans ne serait pas inatteignable, avec des retombées économiques très positives.

Le secteur touristique français concerne deux millions d’emplois directs et indirects et génère 7 % du PIB. Le tourisme est une industrie qui apporte donc des recettes et des emplois pour notre pays. La Banque de France évalue le tourisme chinois à 500 millions d’euros, soit un excédent pour la France de 200 millions d’euros. Lorsque la France est le point d’entrée en Europe, les dépenses y sont beaucoup plus importantes. Les marques de luxe sont moitié moins chères qu’en Chine et les touristes sont devenus la première clientèle duty free en France. Le tourisme est aussi un levier d’influence important. Nous avons un atout qui est notre art de vivre : les paysages, la culture, la gastronomie et il faut davantage les « marchandiser », ce qui passe par des prestations touristiques de qualité.

Atout France mène une politique offensive, notamment sur les plateformes numériques, qui doit être amplifiée. Si l’accueil des touristes nécessite de façon générale une plus grande attention, le nombre potentiellement élevé de touristes chinois et le niveau des dépenses qu’ils consentent à l’étranger nous impose de prendre en considération certaines particularités de la clientèle chinoise et de prendre des dispositions dans les meilleurs délais.

La première de ces particularités est l’exposition des touristes chinois aux vols, compte tenu du fait qu’il est de notoriété publique qu’ils se déplacent avec beaucoup d’argent liquide, la non convertibilité du renminbi étant évidemment un obstacle à l’utilisation d’autres moyens de paiement. Leur inexpérience à l’étranger est aussi un facteur de manque de vigilance : de l’argent, mais aussi des billets d’avion et des passeports sont subtilisés. Au total 1 100 victimes d’agression ont été recensées au premier trimestre 2013. Il faut donc assurer leur sécurité. Des mesures ont été prises et ont pu être annoncées par le Président de la République lors de sa visite d’État. Le nombre de patrouilles dans les lieux de visite et d’hébergement a été augmenté, des caméras de vidéo-surveillance ont été déployées et les hôtels et commerçants qui les accueillent ont été sensibilisés et des brochures en chinois comportant des consignes de sécurités sont diffusées.

Ensuite, les habitudes chinoises doivent être prises en considération dans notre offre touristique. Cela commence par une offre de cuisine chinoise, notamment au petit-déjeuner des hôtels. Cela se poursuit par la conception de programmes par des agences performantes et au fait des demandes de cette clientèle. À ce jour, les touristes chinois sont pris en charge par des agences chinoises. L’offre en ligne doit aussi être de qualité et accessible en chinois.

Par ailleurs, la clientèle chinoise recherche du haut de gamme et nous devons donc être en mesure d’y répondre. L’image de la France est celle du luxe, du raffinement ; il faut en être à la hauteur. Ce n’est pas seulement les prestations hôtelières dont il est question, mais de l’accueil en général. Les touristes chinois ont besoin de repères, d’attentions. Certains progrès sont notables, s’agissant des guides (visites guidées ou audioguides) ou encore de la présence de traducteurs, notamment dans les avions. La signalétique en revanche est particulièrement problématique : aucune indication n’est donnée nulle part en chinois, à commencer par l’aéroport Charles de Gaulle. De façon générale, l’arrivée à l’aéroport est la première impression donnée de la France et on ne peut pas dire qu’elle soit excellente.

Un accord sur le tourisme a été conclu en 1998 avec la Chine et un protocole de mise en vigueur a été signé en 2005. Un nouveau mémorandum a été signé à l’occasion de la visite d’État du Président Hollande par la ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme, Sylvia Pinel. Son article premier prévoit trois objectifs généraux : faciliter les flux touristiques, encourager la promotion mutuelle et renforcer la coopération dans le domaine de la sécurité touristique. L’article 2 développe les méthodes de coopération : coopérations régionales, augmentation des partenariats et jumelages et développement des itinéraires touristiques thématiques.

Sur ce dernier point, il faut en effet pouvoir valoriser nos territoires et proposer des séjours diversifiés. Les touristes chinois ont généralement un circuit de trois jours à Paris, alors qu’ils pourraient rester plus et aller en province, pas seulement sur la Côte d’Azur et au Mont Saint-Michel... Les châteaux de la Loire, les escapades gastronomiques, les routes des vins, la montagne française et ses stations, les plages de l’Atlantique, pourraient constituer autant de modules de séjour. Il est intéressant de noter qu’Atout France mène depuis deux ans une campagne « Oenotourisme et patrimoine », dont les retombées ont été encore plus importantes que la campagne « France romantique ».

c. Porter une attention particulière aux étudiants chinois

Pour un pays, assurer la formation des étudiants offre un double intérêt : les entreprises nationales y trouvent un vivier de main d’œuvre, les anciens étudiants deviennent des contacts privilégiés et des relais d’influence, particulièrement utiles pour la diplomatie économique et universitaire. C’est la raison pour laquelle deux types d’actions doivent être conduits : la définition d’une stratégie de « recrutement » pertinente, d’une part, la constitution et l’animation d’un réseau des anciens étudiants, d’autre part.

En Chine, le dispositif « Espace Campus France » est le lieu d’accueil, d’information et de conseil à l’usage des étudiants chinois désireux de venir se former en France. La sélection des étudiants chinois est faite par les établissements français. Depuis quelques années, la Chine est équipée de la procédure informatique CEF (Centre pour les études en France), qui permet aux étudiants chinois de constituer un dossier de candidature électronique. Campus France apporte son expertise sur l’aspect académique du dossier, vérifiant en particulier, en liaison avec les établissements d’enseignement supérieur, que les candidatures s’inscrivent dans le contexte de notre politique de formation des étudiants étrangers. Les étudiants sont ensuite auditionnés sur place par l’ambassade de France afin de déterminer leur parcours et leur motivation, puis les dossiers sont envoyés aux établissements français, qui sont les seuls

maîtres de la décision d’acceptation. Les dossiers acceptés sont ensuite directement transmis au consulat. Un test de langue est parfois nécessaire lorsqu’il est demandé par les établissements. Parmi les éléments d’attractivité de la France, on constate d’ailleurs que le français représente moins une barrière pour les étudiants chinois que pour les autres étudiants étrangers, qui préfèrent souvent s’orienter vers des pays anglophones. Les conditions de revenus des étudiants constituent également un élément essentiel du dossier, élément sur lequel il revient au consulat de statuer.

Les étudiants chinois en France, avec un flux annuel supérieur à 10 000, sont actuellement environ 30 000. Ils constituent ainsi la deuxième population d’étudiants étrangers en France (derrière les étudiants marocains, au nombre de 31 000), mais pourraient devenir la première population à court-terme. L’objectif fixé est d’atteindre les 50 000 étudiants chinois à l’horizon 2015, comme l’a réaffirmé le Président de la République lors de sa visite d’État en Chine en avril dernier. La France se place ainsi au sixième rang mondial des pays d’accueil des étudiants chinois en mobilité, derrière l’Australie, le Japon, la Corée – suivant une logique régionale – ainsi que le Royaume-Uni et les États-Unis, mais devant l’Allemagne depuis 2010 (données UNESCO). Le fait que la France se place aujourd’hui devant l’Allemagne – ce qui n’était pas le cas il y a encore cinq ans – s’explique notamment par le changement de stratégie récemment opéré par cette dernière (cf. infra).

Les étudiants chinois en France sont majoritairement inscrits en licence. Dans les universités françaises, les étudiants chinois sont principalement répartis au sein de trois filières : économie-gestion (34%), langues-lettres-sciences humaines (30%) et sciences exactes (30%). La progression a été très importante ces dernières années : le nombre des étudiants chinois était de 25 000 en 2010. L’université, qui offre une formation de qualité financièrement accessible, est privilégiée, mais d’après les enquêtes menées par la Conférence des Grandes écoles, les inscriptions des étudiants chinois dans les grandes écoles n’ont pas cessé d’augmenter depuis 2003-2004 (+242,3 % !), avec une prédominance des écoles d’ingénieurs, qui accueillaient en 2010 plus de 60 % des inscriptions dans les grandes écoles, soit 3 376 étudiants sur 5 532 (2 073 pour les écoles de management). La mobilité étudiante chinoise est une mobilité de diplôme (poursuite d’études et double diplomation) plutôt qu’une mobilité d’études (échanges ou stages).

L’ensemble de ces mobilités s’accompagne d’une politique de bourses active, dans le cadre de la réorientation de nos dispositifs au profit des pays émergents. La Chine est le septième bénéficiaire des bourses du gouvernement français. 33 % des étudiants chinois boursiers effectuent des études en sciences de l’ingénieur et 28 % en administration / économie / gestion. 85 % suivent un cursus de master. Depuis 2011, le programme France Excellence finance 35 à 40 bourses d’études de Master dans les domaines du droit, du journalisme et des sciences de l’information et de la communication, des sciences économiques et sciences de la société, des sciences exactes et sciences de l’ingénieur, de l’urbanisme, développement durable et environnement. Depuis 2010, le programme Cai Yuanpei soutient la mobilité doctorale en partenariat avec le China Scolarship Council. Enfin, 114 étudiants chinois ont bénéficié en 2012 d’une bourse d’excellence Eiffel sur les 480 offertes (26,9 %).

Les stratégies développées par nos partenaires

Sachant que la mobilité des étudiants chinois vers les pays de l’OCDE ne cessera de prendre de l’ampleur dans les prochaines années, les universités étrangères, qui cherchent à renforcer leur image internationale sur un marché de l’éducation mondialisé et de plus en plus compétitif, portent une attention particulière à la Chine. En matière de mobilité et de doubles diplômes, les pays occidentaux développent des stratégies différentes pour recruter ces étudiants.

Au Royaume-Uni, quatrième destination des étudiants chinois, en 2011-2012, les Chinois arrivent en tête du classement des étudiants étrangers en premier cycle (23 990) et en doctorat (3 690) dans les universités britanniques.

Entre 2010 et 2011, les États-Unis ont connu une augmentation de plus de 40 % du nombre d’étudiants chinois de 1er cycle (licence), si bien qu’en 2011/2012, le nombre d’étudiants étrangers suivant des cursus de niveau undergraduate (309 342) a dépassé celui des étudiants suivant des cursus de niveau graduate (300 430). Cela traduit la volonté du gouvernement américain de former les étudiants étrangers bien plus tôt, avec un raisonnement économique (ces étudiants restent plus longtemps et donc rapportent plus).

L’Allemagne se distingue nettement des autres pays étudiés par une politique exigeante qui consiste à privilégier la qualité à la quantité. Depuis 1998, le pays propose de solides partenariats (doubles diplômes) avec des établissements chinois de premier rang (sur 14 partenariats de doubles diplômes, 5 ont été conclus avec des établissements d’excellence du programme 211) principalement dans le domaine des sciences de l’ingénieur. La quête de l’excellence notamment dans les partenariats germano-chinois, apparaît indéniablement comme l’une des priorités du ministère allemand de l’Éducation.

● Quelle stratégie ?

Si un objectif quantitatif est fixé, la question se pose de l’approche qualitative à retenir, notamment au regard de la politique très sélective choisie par l’Allemagne. La question de savoir si la France doit accepter plutôt des étudiants chinois en licence ou en master fait débat. Naturellement, il faut drainer des étudiants de qualité, ce qui suppose de fixer des objectifs sur les niveaux master et doctorats. Une proportion de 66 % à horizon 2015 a été retenue, sachant que l’évolution qualitative de la mobilité chinoise est déjà engagée : 63 % des flux en 2012 concernaient des cursus de L3, master et doctorat, contre 54 % en 2011. Mais beaucoup considèrent que les études sont le moment où l’on peut le mieux marquer une empreinte sur une personnalité et que beaucoup d’éléments structurants de la démarche intellectuelle se créent à ce niveau. Les étrangers venant se former chez nous garderont ainsi « quelque chose » de la France une fois rentrés chez eux. Les besoins de la France correspondent aux besoins des entreprises françaises qui souhaitent travailler en Chine et ont besoin localement de personnes connaissant notre langue et notre façon de travailler et pourront servir de lien avec la réalité complexe de la Chine. Il n’y a pas de raison particulière de refuser des étudiants chinois qui, de toute façon, iront étudier à l’étranger, pas plus qu’il n’y a de raison de former uniquement des élites et non pas des techniciens supérieurs.

Un axe pour infléchir cette situation et combiner recherche de qualité et nombre serait d’aller vers davantage de partenariats et de mobilité encadrée, la mobilité chinoise étant aujourd’hui principalement une mobilité spontanée, qui résulte de stratégies et de projets individuels. C’est la voie empruntée par Campus France, l’objectif fixé étant d’atteindre 50 % de mobilité encadrée en 2015, contre 36 % en 2012 (mais 28 % en 2011). Une cartographie des coopérations universitaires entre établissements français et chinois a été lancée par l’ambassade de France en Chine. On sait qu’il existe plusieurs centaines d’accords bilatéraux, mais ils ne sont pas recensés.

Encourager la création d’instituts franco-chinois et de consortiums d’universités françaises en Chine est également une piste intéressante car ces systèmes de cogestion des institutions permettent de faciliter l’envoi d’étudiants français en Chine et vice-versa. En Chine, la France dispose de sept campus délocalisés (55) en Chine et deux sont en projet : pour Pékin, Centrale Pékin, l’Institut sino-européen d’ingénierie aéronautique à Tianjin et l’Institut d’ingénierie et de management du CNAM avec l’université de technologie de Pékin dont le projet de création a été signé en avril 2013, pour la région de Shanghai, l’Institut franco-chinois de l’université du Peuple de Chine à Suzhou (IFC Renmin) inauguré en 2012, l’École d’ingénieurs de ParisTech-Shanghai Jiaotong, inauguré en avril 2013, l’Université de technologie sino-européenne de l’Université de Shanghai (UTSEUS) fondée en 2006, pour la région de Cantin, l’Institut sino-européen de l’énergie nucléaire, IFCEN, à Zhuhai et, pour la région de Wuhan, l’Institut franco-chinois d’ingénierie et de management entre le CNAM et l’université de Wuhan et le projet de création d’un campus délocalisé de l’université Aix-Marseille avec l’université de technologie de Wuhan. S’y ajoutent les trois établissements sino-européens : China Europe International Business School (CEIBS), China – EU School of Law et l’Institut euro-chinois pour les énergies propres et renouvelables (ICARE). Ce dernier institut, avec ParisTech comme chef de file, et un doyen européen de nationalité française, accueille chaque année cent cinquante étudiants et délivre deux diplômes de master, l’un chinois, l’autre européen (cours en anglais).

Au-delà des coopérations engagées par nos universités et grandes écoles pour des partenariats d’excellence, afin d’accompagner notre diplomatie économique, certains secteurs rendent utiles le développement de formations professionnelles conjointes. Un certain nombre d’initiatives sont en cours, particulièrement en matière restauration, hôtellerie et tourisme. L’encadré suivant donne plusieurs programmes de coopération et de formations délocalisées développés dans la région de Shanghai.

Hôtellerie

L’Université de Huangshan a des partenariats avec le lycée polyvalent Hyacinthe Friant, le lycée des Métiers de l’Hôtellerie et de la Restauration et avec le lycée Dole. Cette coopération se traduit pour chaque lycée par l’accueil de 3 étudiants pour des stages de 3 à 6 mois, dans les deux sens. 20 étudiants ont été reçus l’an dernier.

Le lycée hôtelier Robin de St Vincent de Paul a également un accord avec la Shanghai Business and Tourism School. Dans le cadre de ce partenariat, plusieurs hôtels de la circonscription de Shanghai accueillent les apprentis.

L’association Shanghai Young Bakers (SYB) a développé un partenariat avec le lycée Caoyang de Shanghai et avec l’Ecole Française de Boulangerie et de Pâtisserie d’Aurillac (EFPBA). Lancé en 2009, ce partenariat se traduit par une formation d’un an combinant cours intensifs et stages dans des hôtels partenaires de 4 ou 5 étoiles, se calquant sur le système français de l’alternance. Le programme est sponsorisé par les fondations de grands groupes français, tels que Carrefour, PSA Peugeot- Citroën et Accor. Ce programme accueille entre 20 et 30 étudiants par an. Ils suivent des cours de pâtisserie française, de pâtisserie chinoise ainsi que des cours d’anglais.

Tourisme

Il existe une coopération de l’Institut sino-européen du tourisme et de la culture de Ningbo avec l’Esthua d’Angers. Ce programme est une double licence en management du tourisme avec un parcours en 3+1. Les étudiants suivent 10h de français en première année de Benke puis 8h par semaine les deux autres années. Pour la L2 et L3, des professeurs invités viennent d’Angers pour donner des cours de spécialité. Le programme concerne 58 étudiants ; les premiers étudiants du programme partiront en France cette année. Cet accord permet également des échanges d’étudiants non diplômant en tourisme (19 étudiants chinois en France, 2 étudiants français à Ningbo) et l’organisation d’un colloque sino-européen sur le tourisme (dont la deuxième édition a eu lieu en juin 2013). Une série de projets devrait être lancée entre l’Université d’Angers et l’Université de Ningbo, notamment un double diplôme de Master professionnel dans le domaine du tourisme et de la valorisation économique du patrimoine, prévu pour l’année universitaire 2014-2015 (20 étudiants) et un laboratoire de recherche commun dont les travaux porteront sur le tourisme et de la valorisation économique du patrimoine, prévu pour l’année universitaire 2013-2014.

Restauration

Le Restaurant-École de l’Institut Paul Bocuse, où la délégation de la mission a déjeuné lors de son passage à Shanghai, accueille 120 étudiants chinois du Shanghai Institute of Tourism, qui sont formés aux techniques culinaires et au management de la restauration, depuis sa création au mois de mai 2010 pour l’Exposition universelle de Shanghai. Ils sont encadrés et formés par 7 jeunes diplômés de l’Institut Paul Bocuse en France. À deux périodes de l’année, au printemps et à l’automne, l’équipe est soutenue par 16 étudiants des deux programmes de l’Institut Paul Bocuse, Management International de l’Hôtellerie et de la Restauration et Arts Culinaires et Management de la Restauration, sélectionnés pour effectuer leur stage de 2e année.

Un campus devrait être ouvert à Shanghai en 2014, par le Cordon Bleu, en joint-venture avec la Shanghai Business & Tourism School. L’établissement accueillerait 100 étudiants la première année et pourrait accueillir jusqu’à 400 étudiants les années suivantes. Le Cordon Bleu voudrait en faire un Center of Excellence for Culinary Programs, en prodiguant notamment des cours de français lié à l’industrie culinaire et hôtelière. Le modèle économique de l’école repose sur des subventions de la région Rhône-Alpes, des financements d’une dizaine d’entreprises à hauteur de 200 000 RMB par an et des activités commerciales de l’école.

Chaque année, trois élèves viennent se former à l’école française de Boulangerie et de pâtisserie d’Aurillac. Ils obtiennent un CAP français. Ces élèves sont préalablement formés à la langue française à l’Alliance française, avec qui SYB a également noué un partenariat.

Dans certains secteurs, le rôle des entreprises, qui seront les premières bénéficiaires de ces stratégies de formation, est essentiel. Dans le domaine du nucléaire par exemple, les spécialistes chinois parlent français car ils ont été formés en France ces trente dernières années. D’après Henri Proglio, il en découle une grande proximité entre équipes françaises et chinoises et « il faut oser créer une filière de formation de stagiaires et d’ingénieurs pour les Chinois, qui constituerait un argument immatériel pour l’avenir ». La SSAMC (en partie détenue par la Snecma, activité de maintenance de moteurs d’avion) a mis en place un accord avec une université locale pour créer une filière de formation technique permettant de recruter comme stagiaires environ 10 % du personnel (la société embauche 300 personnes à Chengdu, dont 80 % de diplômés des universités et collèges locaux). Cela lui permet de disposer de personnels avec un parcours qualifié, incluant un passage en France et aux États-Unis.

● Quel accueil en France ?

Comme le réaffirme l’article 8 de la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche, les établissements français d’enseignement supérieurs bénéficient d’une autonomie et ce sont eux qui organisent l’accueil des étudiants non boursiers. Ces derniers sont en contact direct uniquement avec leur établissement d’accueil qui peut, via par exemple son bureau de la vie étudiante, aider et accompagner les étudiants dans leurs démarches sur place (démarches administratives, recherche de logement…). Ce vide parfois laissé dans l’accompagnement des étudiants chinois en France a conduit au développement de nombreuses sociétés privées chinoises qui proposent à ces étudiants des services d’accompagnement payants. Pas toujours fiables, ces officines ont fait l’objet de plusieurs plaintes d’étudiants chinois auprès de l’ambassade chinoise en France. Il faut cependant noter que dans certaines villes de France, des structures telles que des guichets sont parfois mises en place temporairement (environ 2 mois) afin d’accueillir et d’accompagner les étudiants au moment de leur arrivée sur place.

Concernant les boursiers, la situation est différente, car ils bénéficient d’un accompagnement par les services de Campus France, chargés d’assurer la gestion des bourses. Cet accompagnement est en cours de renforcement. Le projet de nouveau contrat d’objectif et de moyens de l’Établissement prévoit en effet plusieurs améliorations : mise en place d’un système d’information partagé avec le CNOUS visant à faciliter l’accueil dans les résidences universitaires des étudiants boursiers gérés par Campus France ; aide à la constitution de guichets uniques d’accueil des étudiants étrangers en France dans le cadre de la politique conduite par les établissements au niveau de leur site en partenariat avec les préfectures et l’Office français de l’immigration et de l’intégration ; développement d’une offre adéquate de services d’accueil et d’information (du type « hot line », dispositif d’accueil à l’aéroport, etc.), promotion des outils en ligne facilitant l’arrivée, l’adaptation et la réussite des étudiants venant en France…

Il conviendrait qu’une réflexion soit engagée pour que ce type de prestation d’accompagnement soit offert à des étudiants étrangers non boursiers, par exemple sous la forme de bouquets de prestations payants. L’on comprend les réticences à créer des systèmes payants, mais, alors que ces étudiants coûtent à l’État français, il serait opportun qu’ils puissent s’adresser à un opérateur français, à même de leur prodiguer des services de qualité, plutôt qu’à des officines, pratiquant des tarifs élevés avec une qualité de service qui nuit parfois à l’image de notre pays.

Enfin, encourager les étudiants chinois à rester en France après leurs études en leur permettant d’avoir une expérience professionnelle en France conforte également l’attractivité de notre pays, tout en approfondissant les liens qui se sont créés avec notre pays et avec notre tissu économique et ses méthodes de travail.

● Quel suivi des alumni ?

En mars 2008, l’Ambassade de France en Chine a lancé Club France, réseaux regroupant, sur une base volontaire, les Chinois diplômés d’un établissement d’enseignement supérieur français. Ce réseau d’influence est un joli succès, avec plus de 16 000 inscrits à sa lettre d’information, 5 000 membres et quatre sous-groupes thématiques : aéronautique, développement durable, juridique et finance. Club France propose des activités socio-culturelles et y sont référencés de nombreux évènements à caractère professionnel (ateliers thématiques, conférences etc.) permettant aux entreprises françaises d’identifier des interlocuteurs biculturels et bilingues, disposant souvent d’une expérience professionnelle en France.

La délégation de la Mission qui s’est rendue en Chine a rencontré des membres du Club France de Shanghai, diplômés dans les filières les plus diverses (musique, gestion, sciences exactes, architecture…), venus en France pour des raisons très différentes (rayonnement culturel, hasard, initiative du poste…). C’était très émouvant d’entendre leur parfaite maîtrise de notre langue, de constater les liens très forts qu’ils ont créés et souhaitent entretenir avec notre pays et de les écouter raconter leur expérience du biculturalisme, notamment le décalage qu’ils ont pu ressentir à leur retour en Chine. C’était aussi éclairant sur l’intérêt puissant qu’il y a à disposer de tels réseaux, pour nos entreprises, pour l’avenir de nos pays, pour la capacité à se projeter ensemble dans le monde de demain. Ces alumni sont autant des ambassadeurs de la France que des amis des Français et ce réseau autant un outil d’influence qu’une enceinte de dialogue entre les peuples.

Si l’on s’en tient à la dimension d’influence, le ministère des Affaires étrangères a assigné à Campus France une nouvelle priorité : celle de doter notre réseau d’un outil de suivi des étudiants venus en France. Un comité d’orientation s’est mis en place pour associer dans cette démarche les futurs usagers, les associations d’anciens élèves, les établissements et le réseau français, mais aussi les entreprises. Ce réseau, il faudra le constituer, mais aussi l’animer, par zone, par secteurs d’activité, en impliquant les entreprises et en alimentant l’outil informatique d’informations diverses. Le cahier des charges créant le fichier, en cours d’élaboration, devrait permettre de lancer le projet dans une dizaine de pays-pilote au printemps 2014, avec à terme l’intégration du réseau Club France.

On ajoutera que, déjà, un accord a été conclu entre Ubifrance et ParisTech pour la mise en relation du réseau des 3 000 anciens élèves (alumni) de ParisTech en Chine avec les PME françaises exportatrices faisant appel à l’opérateur du ministère du commerce extérieur. Cela permettra de mettre ce carnet d’adresses important au service des intérêts des entreprises françaises en Chine. Par ailleurs, il serait évidemment utile de travailler en amont des décisions d’investissement des entrepreneurs chinois en s’appuyant sur ceux ayant étudié en France ou dans des filières francophones. L’AFII a engagé un travail de réflexion et de rapprochement avec des structures, notamment l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) et l’INSEAD.

d. Positiver et bien accueillir les investissements chinois en France

Les investissements chinois constituent pour la France un enjeu fort et sont au cœur de la dynamique économique entre l’Europe et la Chine. Les investisseurs chinois s’intéressent peu à peu à l’Europe, même s’ils viennent encore de façon dispersée et désordonnée. Les ambitions chinoises sont pour le moment mesurées et la plupart des investissements actuels font office d’investissements « de découverte ». Il reste donc de grandes marges de progression pour les années à venir : les entreprises ayant réalisé des investissements réussis à l’étranger vont ensuite y renforcer leur présence avec de nouveaux investissements et de nouvelles entreprises vont suivre. Comme les autres pays émergents, la Chine possède déjà un fort potentiel de croissance sur son marché domestique, qu’elle n’a pas encore fini d’exploiter. La véritable exploitation du marché européen se fera dans un deuxième temps. Le Royaume-Uni se positionne très nettement, avec 8,9 milliards de dollars en stock (+95 % par rapport à 2012), arguant de leur environnement des affaires plus familier et accommodant.

Il ne faut pas dissuader les investisseurs chinois de venir en France en laissant se développer un discours de crainte profondément injustifié. Que l’on songe à l’hyper-réaction lors de l’achat d’un château dans le Bordelais (56)! Nous devons tirer les leçons du passé, se souvenir de la peur du péril jaune japonais, des fonds de pensions américains voraces, pour ne pas recommencer encore les mêmes erreurs. L’implantation d’entreprises étrangères en France est bénéfique pour nos exportations. Les 20 000 entreprises étrangères implantées en France, qui représentent environ 1 % du nombre total d’entreprises dans le pays et emploient un peu moins de deux millions de personnes, sont à l’origine d’un tiers des exportations françaises. Dans le domaine manufacturier, ce chiffre atteint même 40 %. En outre, le rachat d’entreprises en difficulté par des entreprises chinoises permet de sauvegarder des emplois en France, car lorsqu’ils viennent en Europe, les Chinois travaillent avec les salariés locaux, n’impliquant qu’un ou deux cadres chinois. « Ces derniers créent des emplois, mais également des relations humaines – essentielles pour tisser les relations commerciales », comme le soulignait Mme Martine Aubry (57). Le message doit être le suivant : les investissements sont les bienvenus en France et la France est une porte d’entrée sur le continent européen, voire sur l’Afrique.

C’est le message qui a été adressé aux entrepreneurs chinois du Club des entrepreneurs chinois (CEC) venus en délégation à Paris en juin dernier, qui ont été reçus à l’Élysée. Le CEC réunit une cinquantaine d’entreprises qui ont réalisé un chiffre d’affaires supérieur à 2 000 milliards de Yuan en 2012 (près de 4 % du PIB chinois). Il est présidé par M. Liu Chuanzhi, fondateur de Lenovo, premier fabricant de matériels informatiques et troisième producteur de Smartphones. Cette attention du Président de la République a eu un fort retentissement dans le milieu des affaires en Chine. C’est une initiative à réitérer, notamment dans le cadre du cinquantième anniversaire de la relation diplomatique franco-chinoise en 2014. Il serait aussi intéressant pour notre pays de faciliter la création d’une association d’investisseurs qui pourrait servir d’embryon à une future chambre de commerce chinoise à Paris.

La présence chinoise en France est en augmentation. On entend souvent dire que l’Allemagne attire plus d’investisseurs chinois que la France. Cela n’est pas certain. Si l’on regarde les méthodes de chiffrage, on s’aperçoit que l’Allemagne décompte un investissement chinois à partir du premier emploi créé ou maintenu – ce qui implique que des bureaux commerciaux employant une ou deux personnes sont pris en compte –, tandis que la France applique, sauf exception, un seuil de 10 emplois. La France est en réalité tout aussi attractive que ses concurrents, et se situerait même devant eux si l’on raisonnait en montant total d’investissements, investissements financiers inclus. On dénombre ainsi 92 groupes chinois implantés en France au travers de 243 établissements, situés principalement en Ile-de-France (48 %) et en Rhône-Alpes (58). Le nombre des projets d’investissement chinois en France a ainsi crû de plus de 80 % en cinq ans, passant de 17 en 2008 à 31 en 2012. Les 128 projets recensés sur cette période représentent 3,7 % de l’ensemble des projets d’investissement étrangers. Cette part encore faible de la Chine dans les investissements étrangers réalisés en France tend néanmoins à augmenter puisqu’elle est passée, entre 2008 et 2012, de 2,6 % à 4,5 %.

Ces entreprises emploient aujourd’hui environ 11 000 personnes. Une quinzaine emploient plus de 100 salariés ; un grand nombre de ces implantations sont des bureaux commerciaux, à effectif réduit. Ils ont créé ou maintenu plus de 5 000 emplois (5 034), soit 3,4 % de l’ensemble des emplois créés ou maintenus par les projets étrangers sur la période. La majorité de ces emplois sont des emplois créés, mais certains sont des emplois maintenus, résultant d’une reprise d’entreprise. Plus précisément, les 31 projets d’investissement chinois créateurs d’emploi en France de 2012 vont créer ou maintenir 845 emplois.

Des exemples d’investissements chinois qui maintiennent ou créent de l’emploi

En 2012, peuvent être cités :

– ICICLE FASHION, spécialisé dans le prêt à porter féminin haut de gamme en Chine, a ouvert fin 2012 un centre de design à Paris. L’effectif devrait atteindre une vingtaine de personnes en 2013 ;

– SYNUTRA a annoncé l’ouverture d’une unité de production de poudre de lait à Carhaix, en Bretagne. L’usine, qui devrait être opérationnelle début 2015, doit accueillir 160 salariés ;

– HAIER GROUP, spécialisé dans l’électroménager, investit dans la création d’un centre de R&D à Caluire-et-Cuire, dans la région Rhône-Alpes. Le centre est dédié au développement d’une gamme complète de systèmes de chauffage et de rafraichissement pour les marchés européens. Une vingtaine d’emplois seront créés.

L’année 2011 avait été marquée, notamment, par :

– la création d’une filiale en Ile-de-France par la China Guangdong Nuclear Power Holding Company, qui y créera 30 emplois ;

– la reprise d’un site de fabrication de boîtes de vitesses pour tracteurs par le groupe Yto, employant 220 salariés, en région Champagne-Ardenne ;

– l’extension en Rhône-Alpes du site de Rotam Cropsciences, groupe hongkongais spécialisé dans les produits phytosanitaires et vétérinaires, qui a créé 20 emplois supplémentaires.

Les stratégies d’implantation combinent rachats d’entreprise et implantations en propre. Les reprises ou extensions de capacités existantes représentent environ 15 % des investissements chinois en France. Il faut souligner que les reprises d’entreprises en difficulté permettent de sauvegarder en moyenne plus d’emplois qu’un simple investissement ne pourrait en créer. On recense par ailleurs une dizaine de projets de centres de recherche et de développement entre 2001 et 2011. Pour la Chine, le rachat d’entreprises étrangères en difficulté permet de prendre pied dans le pays plus vite et plus facilement qu’une création d’entreprise ex nihilo, et permet également de se constituer une base pour rebondir vers le marché européen, voire vers le marché africain 

Les entreprises chinoises privilégient les centres de décision (39 %) et les unités de production (23 %). Les projets chinois représentent environ 7 % de l’ensemble des centres de décision créés chaque année par l’investissement étranger en 2010, 2011 et 2012, soit le double de la part de la Chine dans l’ensemble de l’investissement étranger sur la période 2008-2012. Ces centres de décision chinois consistent pour la plupart en primo-implantations, qui s’expliquent par l’émergence de l’économie chinoise sur la scène internationale.

Les secteurs de l’énergie, de l’agroalimentaire, du verre, bois, papier et de l’aéronautique sont leurs principaux secteurs d’investissement. Les entreprises chinoises investissent dans le secteur des services et de la distribution, mais également dans le secteur industriel, bien que l’on dénombre encore très peu de créations de sites industriels par des entreprises chinoises – la création en Bretagne d’un site de production de poudre de lait est l’un des premiers exemples de ce genre. Ce type d’implantation industrielle présente trois intérêts pour les entreprises chinoises : s’implanter dans le marché européen afin de bénéficier de son potentiel ; acquérir une technologie qui fait défaut dans le pays d’origine pour en faire bénéficier les sites de production dans le pays d’origine ; se positionner par rapport à une concurrence elle-même mobile, c’est-à-dire se renforcer sur le marché étranger pour être ensuite en mesure de faire face à une vive concurrence sur le marché domestique.

Le développement des investissements chinois en France se traduit par la volonté d’intensifier le trafic aérien entre nos deux pays. Plusieurs projets de plateforme d’accueil d’investisseurs chinois sont ainsi à l’étude : Châteauroux, Roissy, Thionville (TerraLorraine) et Vatry. À ce stade, seul le projet de Vatry a fait l’objet d’une mise en œuvre : suite à un accord franco-chinois signé à la mi-octobre 2011 à Chengdu, une ligne de fret régulière (plusieurs vols par semaine) a été ouverte depuis avril 2012 entre Vatry et Chengdu, exploitée par la compagnie chinoise HNA (59).

Un panorama des investissements chinois en France qui illustre l’attractivité de notre territoire

Le plus gros investissement industriel chinois en France a été réalisé par le groupe Bluestar, dont la filiale Chemchina a racheté Adisseo (spécialiste de la nutrition animale) et l’activité silicone de Rhodia en 2007. Deux ans plus tôt, le distributeur de parfums et produits cosmétiques Marionnaud était racheté par le groupe hongkongais Hutchison Whampoa.

Plusieurs reprises de sites en difficulté par des groupes chinois ont suivi le rachat de la coopérative provençale « Le Cabanon » (fabrication de concentré et de purée de tomates) en 2004 par le groupe Chalkis : en 2007, Northern Heavy Industry (NHI), un groupe d’État du Liaoning, a acquis le fabricant de tunneliers NFM (240 emplois sauvegardés) près de Lyon ; Weichei Power, fabricant chinois de moteurs diesel, a repris en 2009 l’entreprise marseillaise « Moteurs Baudoin ».

Les investissements en France ouvrent aux industriels chinois le marché européen et ceux de la Méditerranée et de l’Afrique francophone. Ainsi, le groupe Chalkis joue du « Made in France » et de la notoriété de la marque « Le Cabanon » pour développer ses ventes dans plusieurs pays africains ; le tunnelier NHI entend utiliser son implantation en France pour emporter, avec des partenaires français le cas échéant, des contrats à l’international.

Les implantations en propre ne se limitent pas à des créations de bureaux commerciaux. L’équipementier de télécommunications Huawei a ouvert, en 2009, un centre de R&D pour les technologies sans fil en Ile-de-France. La même entreprise, son concurrent ZTE, ou Lenovo, qui opère dans l’informatique, ont établi leurs sièges européens en région parisienne. La banque ICBC, première banque mondiale, a ouvert, en janvier 2011 à Paris, sa première succursale en France, et a inauguré en novembre 2012 son centre européen de banque privée. Synutra, en partenariat avec le français Sodiaal, a décidé en septembre 2012 d’investir dans la construction en Bretagne d’une usine de séchage de lait et de lactosérum ;

L’immobilier est également concerné. Trois hôtels de luxe appartenant à des chaînes de Hong-Kong viennent enrichir l’offre parisienne : Shangri-La (2010), Mandarin Oriental (2011) et Peninsula (2014). Shangri-La envisage de localiser un second hôtel en France. Par ailleurs, un accord a été signé en novembre 2011 entre Jinjiang, chaîne d’hôtels leader en Chine, et le groupe Louvre Hôtels pour estampiller de leurs deux marques (Campanile et Jinjiang Inn) quinze hôtels dans cinq villes françaises (dont Paris, Lyon, Marseille et Nice) et quinze hôtels en Chine. Enfin, le groupe Huatian a racheté en 2011 le site Chinagora à Alfortville, en Ile-de-France, et y investit 44 millions d’euros pour moderniser ce site qui comprend désormais un hôtel haut de gamme et un restaurant gastronomique (la première phase de la réhabilitation ayant été terminée en octobre 2012). Il s’agit du premier groupe de Chine continentale à investir dans l’hôtellerie en France.

Créée en 2001, l’Agence française des investissements internationaux (AFII) est en charge de l’identification des investisseurs à l’étranger et de leur accompagnement en France. Bien que les investissements financiers et immobiliers soient importants, l’Agence se concentre sur les investissements créateurs d’emploi. L’AFII accompagne environ la moitié des investissements étrangers en France, toutes origines confondues. L’Agence dispose de deux « pôles », argumentaires et expertise, dotés de spécialistes du droit du travail, du droit des affaires, du droit fiscal et du droit de l’immigration. L’AFII s’appuie, en parallèle, sur l’expertise des administrations françaises. L’AFII travaille en partenariat étroit avec ses partenaires territoriaux pour présenter des offres répondant aux cahiers des charges des projets, assurer la visite des sites d’implantation potentiels, et accompagner la mise en œuvre des projets une fois décidés. L’Agence a des objectifs concrets et, en Chine comme ailleurs, elle axe ses efforts sur quinze segments d’activités, considérés comme prioritaires en raison de leur intensité technologique ou de l’excellence française dans ce domaine. Ces segments sont actualisés chaque année avec l’aide du Ministère de l’économie et des finances, de la D.A.T.A.R. et des régions et recouvrent des secteurs tels que les nanotechnologies, les biotechnologies, les écotechnologies…

En Chine, l’AFII continue de renforcer sa présence. Elle dispose actuellement de trois points d’appui, à Pékin, Shanghai et Hong Kong. L’Agence s’appuie, en outre, sur le dispositif public français sur place, notamment sur la mission économique de l’ambassade de France en Chine et les consuls généraux. Elle entretient, enfin, des relations partenariales avec des sociétés privées, qui apportent leur expertise aux investisseurs chinois. Les investisseurs chinois font l’objet d’une prise en compte spécifique par l’Agence :

– à Paris, un chargé d’affaires de l’Agence suit les projets d’investissement chinois, en lien avec nos bureaux de Pékin, Shanghai et Hongkong (qui réalisent près de 700 entretiens d’affaires approfondis avec des entreprises chinoises chaque année). Il est clairement identifié auprès des divers organismes et institutions qui représentent ou aident les entrepreneurs chinois dans notre pays ;

– l’AFII entretient, en France, le lien avec les sociétés chinoises implantées, en s’appuyant notamment sur l’Association des entreprises chinoises en France (AECF) et l’ambassade de Chine en France. Elle a signé en 2009 avec son homologue chinois (CIPA, service du MOFCOM, le ministère chinois du commerce) une convention de partenariat ;

– l’AFII a créé un « club Chine » ouvert à l’ensemble des investisseurs chinois présents en France, qui se réunit chaque année pour un séminaire d’information et d’échanges sur des thèmes choisis conjointement avec leurs représentants. Ce club est organisé par l’AFII, l’Ambassade de Chine en France, l’AECF et la CCIP. La dixième et dernière édition s’est tenue le 5 juin 2013 ;

– enfin, depuis 10 ans, la CCIP, l’AFII et l’AECF organisent sur un séminaire pour l’implantation des entreprises chinoises en France, qui traite des aspects comptables, juridiques, fiscaux mais aussi des problématiques de visas avec le ministère de l’Intérieur.

Face à l’accroissement des investissements chinois en France, il faut souligner trois points.

Tout d’abord, le besoin d’accompagnement des entreprises chinoises est plus fort que pour les autres entreprises étrangères, notamment européennes. Les entreprises chinoises possèdent en effet moins d’expérience à l’international et réclament donc plus d’informations et de conseils pour les aider à décrypter l’environnement administratif et règlementaire français. L’instabilité de notre système fiscal et la densité des dispositions de droit social sont évidemment sources de réticences pour les investisseurs chinois. En revanche, nous avons en France un dispositif fiscal très favorable pour la R&D (le crédit d’impôt recherche) qui n’a pas d’équivalent en Europe et joue en notre faveur. 20 % de la R&D entrepreneuriale en France est ainsi assurée par des groupes étrangers. Les Chinois comparent l’ensemble de ces facteurs avant de choisir leur lieu d’implantation. Nous devons donc être très réactifs pour pouvoir répondre à l’investisseur et lui faire des propositions solides le plus rapidement possible.

Ensuite, le taux d’échec des implantations d’entreprises chinoises en France est très faible. Les difficultés rencontrées par certains investisseurs chinois en France peuvent également tenir au manque d’expérience à l’international, tels que le rachat de la branche téléviseurs de Thomson par TCL, en 2003, ou la reprise de la société Plysorol et de ses concessions africaines d’exploitation forestières en 2009 par la société « Honest Timber ». Or, une seule implantation chinoise réussie en France produit davantage d’effets positifs que tout autre moyen de persuasion sur les atouts offerts par le territoire français. Les Chinois sont culturellement très sensibles à la réussite de leurs concurrents sur des marchés étrangers : ils sont très rapides à leur emboîter le pas. Il est donc indispensable de créer des réussites chinoises en France dès aujourd’hui, à l’image de Naboustar qui emploie en France 2000 personnes. L’AFII réunit une fois par an les investisseurs chinois et compile actuellement un recueil de témoignages qui devrait améliorer l’image de la Chine en France et de la France en Chine. C’est une excellente initiative.

Enfin, les investisseurs chinois recherchent avant toute chose de la rentabilité de marché – ils ont peu d’appétit pour accompagner les politiques publiques –, mais également des entreprises présentant un intérêt stratégique pour eux, c’est-à-dire un avantage soit technologique (accès à un savoir-faire), soit en termes d’accès à un marché, notamment du Sud. Un investisseur chinois peut par exemple s’intéresser à une PME française susceptible de faciliter son accès au marché de l’Afrique francophone. Pour mettre en avant des perspectives de rentabilité, il est essentiel de s’interroger sur la manière dont on structure les opérations. À cet égard, dans la réflexion engagée au niveau européen sur les project bonds, un des volets concerne le financement des infrastructures (titrisation). Plutôt que des bons du trésor européens ou américains, avec une rentabilité faible, il peut être intéressant d’acquérir des instruments équivalents ou quasi-équivalents (instruments de taux), mais adossés à des actifs réels. La CDC a mis en place, avec les partenaires européens du club des investisseurs de long-terme (BEI, KFV…), un groupe de travail sur les project bonds. Un des problèmes est qu’ils sont aujourd’hui pensés comme des mécanismes de rehaussement de crédit et mono-actifs, avec la BEI, mais on pourrait aller plus loin en faisant des portefeuilles de projet.

Signalons pour terminer l’existence du fonds franco-chinois créé par la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Dans une perspective d’ouverture vers des fonds souverains internationaux émergents, le groupe CDC a engagé depuis 2007 une politique active en direction d’investisseurs chinois. La China Development Bank a rejoint le club des investisseurs de long-terme créée en 2009. Ce partenariat multilatéral est complété par un accord bilatéral à visée opérationnelle, qui créé un fonds PME franco-chinois parfaitement paritaire (75 millions d’euros chacun) dont la gestion a été confiée à une société privée. Un accord-cadre de partenariat avec la CDB a été signé à l’occasion de la visite du Président en Chine avec trois axes : le développement urbain durable ; l’établissement d’une présence commerciale de la CDB en France, avec une ligne de prêt en renminbi qui pourrait éventuellement être commercialisée via la BPI pour les PME françaises allant vers le marché chinois ; le financement des infrastructures et du Grand Paris, pour lequel la Chine montre un intérêt. La CDC est par exemple en train de travailler avec la CDB sur une opération dans le Val-de-Marne, avec 3000 emplois à la clé. Cet exemple montre que la coopération entre les institutions financières françaises et chinoises, qui est un élément de sécurité et de confort pour les investisseurs chinois, fonctionne. Ce message est important aussi pour positionner la France comme destination privilégiée.

Principales orientations et préconisations

(…)

Démontrer que la France est un pays ouvert et accueillant

29. Conforter les assouplissements opérés en matière de délivrance des visas, tant dans le traitement des demandes que dans l’octroi facilité à certaines catégories de demandeurs, notamment les « talents »

30. Organiser une opération médiatisée sur les visas, au moins, de court séjour, pour 2014

31. Fixer un objectif de 5 millions de touristes chinois annuels d’ici dix ans

32. Assurer la sécurité des touristes, adapter notre offre pour tenir compte des habitudes des Chinois, leur proposer le haut de gamme et un panel de séjours diversifié en jouant les thèmes et les territoires

33. Encourager la création d'instituts franco-chinois et de consortiums d'universités françaises en Chine

34. Poursuivre la politique d’accueil des étudiants chinois en France, en développant la mobilité encadrée et en confirmant la priorité aux niveaux masters et doctorats

35. Développer l’accueil dans des filières de formation cohérentes avec les besoins de nos entreprises

36. Réfléchir à une offre de prestations de soutien et d’accompagnement des étudiants chinois non boursiers à leur arrivée en France

37. Encourager une première expérience professionnelle en France des étudiants chinois

38. Conforter Club France et les initiatives complémentaires de constitution, d’animation et de mobilisation des réseaux d’anciens étudiants

39. Faire œuvre de pédagogie sur les investissements chinois en France et leur concours positif à l’économie nationale

40. Créer des réussites chinoises qui contribueront à développer l’attractivité de notre territoire

41. Organiser des rencontres d’investisseurs chinois, à l’image des rencontres du Club Chine et conforter le rôle de l’AFII dans le traitement des dossiers d’investissements et le conseil aux entrepreneurs chinois

42. Valoriser les initiatives de fonds PME franco-chinois

CONCLUSION

La visite du Président de la République française en Chine en avril 2013 a enclenché une nouvelle étape dans le partenariat fort qui lie la France et la Chine. La célébration du cinquantième anniversaire de la reconnaissance de la République populaire de Chine par le Général de Gaulle, le 27 janvier 2014, donnera le coup d’envoi à une année entière de manifestations tendant à faire valoir et consolider la diversité et la profondeur des relations entre nos deux pays.

Martine Aubry, lors de son audition par la Commission des Affaires étrangères en juin dernier, a eu cette phrase très juste au sujet de cet anniversaire : « Cette date, très attendue par les Chinois, nous offrira l’occasion de leur montrer que loin de se réduire aux délocalisations et aux désaccords sur les droits de l’homme, nos rapports s’inscrivent dans une relation historique entre deux terres chargées de culture, véritable tremplin pour l’avenir ; que nous ne les craignons pas, mais voulons recréer une relation de franchise et de réciprocité. »

À côté du programme culturel en cours de préparation, qui sera nous n’en doutons pas d’une grande qualité, les autres volets de notre partenariat seront aussi mis à l’honneur. S’agissant de la partie française du programme, qui débutera véritablement avec la venue du Président chinois en France au printemps prochain, certaines pistes en discussion apparaissent particulièrement judicieuses aux membres de la Mission :

Évènements à organiser dans le cadre des célébrations du cinquantenaire de la relation diplomatique

a. Un forum de responsables territoriaux français et chinois, eu égard au rôle essentiel joué par la coopération décentralisée ;

b. Des visites de sites technologiques organisées à destination du monde des affaires et des responsables politiques chinois, en différents lieux du territoire français, pour montrer la France innovante ;

c. La tenue d’un forum des investisseurs franco-chinois reçu au plus haut niveau de l’État, comme le furent les entrepreneurs du CEC, pour manifester le souhait d’être une destination privilégiée des investissements étrangers chinois ;

d. Un moment réunissant des jeunes français et chinois étudiant en France, qui sont l’avenir de nos pays et forgerons nos liens futurs ;

e. Une opération de facilitation des conditions de délivrance des visas, pour tous les Chinois qui voudraient, en cette année particulière, venir dans notre pays et que nous accueillerons avec soin.

Au-delà de 2014, il convient que l’élan ne s’essouffle pas, mais au contraire inscrive notre partenariat dans une durée longue, appelant de la part de notre pays et des acteurs français, ce que nous avons résumé par l’expression « constance et consistance ». Le rapport de la Mission aura essayé de livrer une analyse la plus objective possible des conditions actuelles de notre partenariat et de mettre en exergue des orientations souhaitables. En conclusion, quelques-unes méritent d’être rappelées.

Le dispositif français en Chine est aujourd’hui à la mesure du poids et du rôle de la Chine, même si naturellement des moyens supplémentaires sont toujours bienvenus. Les enjeux sont clairement identifiés et intégrés dans la stratégie et les actions développées au quotidien par le réseau. La diplomatie économique et d’influence fait en particulier l’objet d’une grande attention.

La Chine est un acteur politique majeur dont le rôle sur la scène internationale est amené à croître. Notre démarche doit être constructive, dans la concertation et le dialogue, pour approfondir nos rapprochements et surmonter nos divergences. Le monde est instable. Nous avons des responsabilités communes à assumer. Notre partenariat doit s’exercer dans la franchise et le respect mutuel.

L’accès au marché chinois et les conditions d’investissement demeurent une question prioritaire. L’échelon européen, avec une bonne coordination franco-allemande, est indispensable pour avancer dans cette voie et faire valoir notamment la pertinence du principe de réciprocité. Beaucoup de sujets pourraient être utilement abordés et portés de manière commune. Cela ne nous dispense évidemment pas d’une approche nationale claire et offensive, ni de faire preuve de clairvoyance sur nos intérêts et les limites de l’Union européenne.

Le développement de la présence économique française impose une démarche organisée et très sélective, qui s’intègre dans un paysage chinois remodelé, avec un dispositif d’accompagnement plus cohérent, plus lisible et plus efficace. Elle impose aussi de promouvoir l’image de la France, d’un pays de culture, de savoirs et de goût, profondément moderne, dynamique et porté à l’excellence, en somme un pays attractif. Cet objectif ne peut être atteint par l’action des seuls pouvoirs publics.

De façon plus générale, assurer la qualité et la densité des relations bilatérales dépend avant tout des liens que nos deux sociétés sauront construire en s’ouvrant l’une à l’autre, à tous les niveaux de la société – hommes d’affaires, universitaires, scientifiques, artistes, jeunes bilingues ou biculturels, voyageurs... En 1996, vingt-trois ans après le célèbre Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera, qui résulta de ses travaux et voyages d’études effectués lorsqu’il était parlementaire, Alain Peyrefitte publiait La Chine s’est éveillée. Pour les membres de cette Mission d’information parlementaire, il est temps que notre pays s’éveille résolument à la Chine.

ASSURER LA CONSTANCE ET LA CONSISTANCE D’UNE RELATION EXCEPTIONNELLE : RÉCAPITULATIF DES ORIENTATIONS ET PRÉCONISATIONS

ETRE MIEUX ORGANISÉS ET PLUS OFFENSIFS DANS NOS RAPPORTS AVEC LA CHINE

Ancrer la relation franco-chinoise dans la durée

1. Tenir sur le long terme l’engagement d’une rencontre annuelle entre les deux chefs d’État

2. Pérenniser l’existence d’un Représentant spécial pour la Chine, haute personnalité de rang ministériel occupant une position « non officielle », au vue des résultats très positifs de cette initiative

3. Réaffirmer la vocation globale du dialogue politique franco-chinois et le compléter par un dialogue entre sociétés civiles (« people to people »)

4. Élaborer une initiative commune sur le climat en vue de la COP 21 de 2015, application concrète du renforcement du partenariat global stratégique

5. Parvenir à un rééquilibrage par le haut des relations commerciales franco-chinoises concourant à l’objectif d’équilibre de la balance commerciale française

6. Coordonner les visites effectuées en Chine, aux plans géographique (couvrir un panel de villes chinoises large) et politique (assurer la convergence du discours français par un contact préalable)

7. Soutenir la coopération décentralisée comme vecteur de rapprochement, en organisant des rencontres, au niveau des villes comme celle qui se tiendra du 12 au 14 juin 2014 à Lille mais aussi des régions, et en assurant une bonne coordination au moyen de table-rondes spécifiques du type de celle organisée le 12 mars 2013 et éventuellement d’une commission spéciale à vocation générale

8. Faciliter la structuration des dialogues d’hommes d’affaires, en soutenant par exemple la mise en place d’un P20 (équivalent du G20 pour le patronat)

Structurer notre offre économique

9. Poursuivre la démarche d’organisation de l’offre française en familles / filières mettant l’accent sur la santé, l’agro-alimentaire et le développement durable, sans exclure des secteurs en phase avec les évolutions de la Chine comme le tourisme et les loisirs

10. Insister sur la sélectivité du marché chinois, la taille et les ressources constituant de bons critères de sélection

11. Valoriser les initiatives de grands groupes chefs de file, comme Pacte PME,

12. Regrouper les entreprises en vue de promouvoir collectivement leurs intérêts, comme Club Santé ou la création d’un GIE biscuiteries, confiseries et chocolaterie

13. Désigner des interlocuteurs uniques pour des pools de PME

14. Promouvoir des solutions intégrées, à même de permettre aux PME de niche de remporter des marchés, comme les éco-quartiers ou le projet de ville nouvelle à Wuhan

15. Optimiser le dispositif de sélection des entreprises en région et assurer la lisibilité du dispositif général avec des acteurs de l’export regroupés sous une bannière commune

16. Assurer la cohérence et la complémentarité des différents services d’accompagnement des entreprises en Chine, avec en ligne de mire l’existence d’un dispositif d’accueil unifié et efficient au regard des objectifs de notre diplomatie économique : couverture territoriale, ciblage des filières prioritaires avec une déclinaison locale pertinente, coopération avec les collectivités, incubateurs…

17. Développer les réseaux franco-chinois d’affaires, l’intercompréhension culturelle en reconnaissant le rôle des bilingues et biculturels et en soutenant les initiatives communes et croisées en matière d’investissements, comme le fonds d’investissement franco-chinois de la Cathay Private Equity

Redéfinir la place de la France dans le monde

18. Soutenir l’échelon européen pour la négociation d’un accord bilatéral UE-Chine sur les investissements, incluant un meilleur accès au marché chinois

19. Face à des approches nationales trop fragmentées au sein de l’Union européenne, lutter contre les lignes de fractures internes, bien choisir ses combats et promouvoir les initiatives communes en phase avec la stratégie et les atouts français, comme par exemple la ville européenne durable

20. Discuter avec nos partenaires des possibilités d’action commune en matière de subventions chinoises aux investissements qui crée des distorsions de concurrence en Europe et en pays tiers

21. Mettre la Chine à l’agenda des relations franco-allemandes

22. Réfléchir de manière pragmatique à la mise en œuvre de coopérations tripartites en Afrique accompagnées d’un dialogue nourri sur les pratiques d’aide

Valoriser l’image de la France et cultiver des relations de proximité

Diffuser l’image d’une France moderne et de la marque France

23. Déployer une présence culturelle forte et diversifiée, appréhendée dans une stratégie globale d’influence, y compris d’attractivité touristique

24. Développer l’apprentissage du français et promouvoir la francophonie

25. Véhiculer la marque France comme gage d’une extrême qualité, mêlant raffinement et excellence, pour les industries à connotation culturelle, les filières technologiques, comme les secteurs soumis à des contraintes de sécurité particulières

26. Promouvoir les initiatives forgeant l’image d’entreprises respectueuses des normes éthiques, notamment avec des pratiques irréprochables sur le plan des droits des travailleurs

27. Intensifier la coopération scientifique et technologique, élargir le cercle des organismes conjoints jouissant d’une réputation d’excellence et repérer et faire venir les entreprises innovantes françaises en Chine

28. Améliorer la promotion des réussites françaises en Chine et des produits français présents sur le marché chinois, y compris par l’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux, pour ancrer l’image d’une France innovante, créative et à la pointe du progrès

Démontrer que la France est un pays ouvert et accueillant

29. Conforter les assouplissements opérés en matière de délivrance des visas, tant dans le traitement des demandes que dans l’octroi facilité à certaines catégories de demandeurs, notamment les « talents »

30. Organiser une opération médiatisée sur les visas, au moins, de court séjour, pour 2014

31. Fixer un objectif de 5 millions de touristes chinois annuels d’ici dix ans

32. Assurer la sécurité des touristes, adapter notre offre pour tenir compte des habitudes des Chinois, leur proposer le haut de gamme et un panel de séjours diversifié en jouant les thèmes et les territoires

33. Encourager la création d'instituts franco-chinois et de consortiums d'universités françaises en Chine

34. Poursuivre la politique d’accueil des étudiants chinois en France, en développant la mobilité encadrée et en confirmant la priorité aux niveaux masters et doctorats

35. Développer l’accueil dans des filières de formation cohérentes avec les besoins de nos entreprises

36. Réfléchir à une offre de prestations de soutien et d’accompagnement des étudiants chinois non boursiers à leur arrivée en France

37. Encourager une première expérience professionnelle en France des étudiants chinois

38. Conforter Club France et les initiatives complémentaires de constitution, d’animation et de mobilisation des réseaux d’anciens étudiants

39. Faire œuvre de pédagogie sur les investissements chinois en France et leur concours positif à l’économie nationale

40. Créer des réussites chinoises qui contribueront à développer l’attractivité de notre territoire

41. Organiser des rencontres d’investisseurs chinois, à l’image des rencontres du Club Chine et conforter le rôle de l’AFII dans le traitement des dossiers d’investissements et le conseil aux entrepreneurs chinois

42. Valoriser les initiatives de fonds PME franco-chinois

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères a examiné le présent rapport d’information au cours de sa séance du mercredi 4 décembre 2013.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Mes chers collègues, nous examinons ce matin le rapport de la mission d’information sur la Chine présidée par M. Patrice Martin-Lalande et dont le rapporteur est M. Michel Destot. Participaient également à cette mission Gwenegan Bui, Philippe Cochet, Seybah Dagoma, Pascale Boistard, Nicole Ameline et votre présidente.

C’est la première fois que la Chine fait l’objet d’un rapport sur la base de travaux conduits dans le cadre de la Commission des Affaires étrangères. Il était essentiel que notre Commission puisse apporter une contribution à la réflexion sur les conséquences de la montée en puissance de la Chine sur notre politique étrangère, particulièrement notre diplomatie économique.

Ce travail a été accompli à un moment opportun, puisque nous célébrerons en 2014 le cinquantième anniversaire de la reconnaissance de la République populaire de Chine par le Général de Gaulle, reconnaissance à laquelle les Chinois se réfèrent encore aujourd’hui lorsqu’ils évoquent notre pays et qui est un atout politique considérable.

Je crois que ce rapport est une contribution utile et nous continuerons de nous intéresser à l’Asie, notamment avec une mission d’information sur l’Asie du sud-est en 2014, qui concentre également des enjeux importants.

M. Patrice Martin-Lalande, président de la Mission. Je souhaiterais indiquer dans quel état d’esprit, avec quels objectifs et selon quelle méthode la Mission d’information sur la Chine a travaillé pendant une année.

Nous avons d’abord souhaité aborder le sujet de la Chine d’une manière complète et équilibrée pour appréhender ce pays dans sa complexité et en restituer une image la plus fidèle possible. La Mission a choisi de ne pas restreindre son champ d’étude. Tous les sujets sont abordés dans le rapport, même si tous ne sont pas approfondis. Par exemple, la relation sino-russe ou sino-indienne est traitée essentiellement au travers de la question du groupe des BRICS, les rapports complexes entre les niveaux de collectivités en Chine sont évoqués en rapport avec des enjeux particuliers, comme la mise en place de la protection sociale. Le choix a été fait d’insister sur les aspects économiques car c’est là avant tout que la France doit mieux se positionner, peut mieux faire valoir ses atouts.

Ensuite, la Mission a inscrit ses travaux dans la perspective d’un moment particulier : le cinquantième anniversaire de la reconnaissance de la République populaire de Chine par le Général de Gaulle. Le souvenir de cette reconnaissance est important et bien réel. Son cinquantenaire constitue une opportunité pour marquer la volonté commune d’un nouvel élan dans la relation diplomatique à inscrire dans le long terme.

Dans cette optique, le souci a été celui d’une démarche positive et constructive. Sans dénier la dure réalité des rapports de forces et sans abandonner la lucidité dont nous devons être armés, il est important de rechercher les points de convergence pour les élargir, dans la relation politique comme économique. Nous ne devons pas rejeter sur la Chine les faiblesses de notre offre économique et commerciale. Nous avons aussi essayé de déconstruire certaines idées reçues, notamment sur l’effet supposé systématiquement négatif pour la France de la présence de nos entreprises sur le marché chinois. Ce marché est très difficile, en termes d’accès, de concurrence, de propriété intellectuelle, mais les entreprises y sont parce qu’il faut rechercher la croissance où elle est. La taille du marché, les perspectives ouvertes par l’augmentation de la consommation intérieure, la capacité à rester concurrentiel au plan mondial, sont autant de facteurs qui font que l’avenir de nombreuses entreprises se joue assez largement sur le marché chinois. Nous avons rencontré de nombreux représentants d’entreprises et effectué plusieurs visites de sites qui démontrent qu’il y a désormais peu de délocalisations pures et des effets positifs : des exportations, des retours financiers et de la recherche-développement maintenue en France, avec des exemples concrets dans le rapport.

Pour toutes ces raisons, la mission a multiplié les rencontres pendant toute une année. Elle a effectué une trentaine d’auditions à Paris, dont plusieurs auditions conjointes, afin de couvrir le plus large spectre possible, aussi bien de thématiques que de manières d’appréhender la Chine avec les points de vue de grands connaisseurs de la Chine et de la relation franco-chinoise, comme Alain Mérieux ou Jean-Pierre Raffarin. S’y ajoutent les auditions organisées par la commission des Affaires étrangères sur ce thème dès novembre 2012, notamment celle de Martine Aubry en juin dernier. Pour donner une idée de la variété des auditions, la mission a entendu ministres et anciens ministres, diplomates, spécialistes de politique étrangère chinoise, économistes, démographes, politologues, administrations centrales, opérateurs (Institut français, Campus France), organisations internationales (Organisation mondiale du commerce, Organisation pour la coopération et le développement économique), services économiques (Trésor, Ubifrance, Agence française des investissements internationaux, Chambres de commerces), grands chefs d’entreprises évidemment, Caisse des dépôts et consignation, gérants de fonds, consultants, associations dans le domaine des droits et libertés…

La Mission a aussi effectué plusieurs déplacements. Elle s’est rendue à Bruxelles (DG concurrence, DG industrie, SEAE, et un entretien commun – format semble-t-il inédit – des RP française et allemande) pour prendre le pouls d’une relation sino-européenne un peu bancale et surtout déterminer ce que l’on peut attendre de l’échelon européen, comment on peut y faire valoir nos intérêts. Nous avons aussi été à la rencontre de la Communauté chinoise d’Aubervilliers, communauté d’affaires importante en Europe, très organisée, car la carte de la diaspora ne doit pas être sous-estimée. Enfin, une délégation a effectué un déplacement en Chine en septembre 2013, dans les villes de Pékin, Chengdu, Shanghai et Suzhou, avec un programme extrêmement dense : rendez-vous institutionnels de haut niveau, volet universitaire à Shanghai à Suzhou, entrevue avec les membres du Club France ayant étudié en France, rencontres économiques (visites de plusieurs entreprises dans des domaines variés, des table-rondes thématiques à Pékin et Shanghai, soit plus d’une vingtaine d’entreprises en tout, et rencontres avec une trentaine de conseillers du commerce extérieur), visite du centre des visas, chercheurs chinois sur différentes problématiques sociales et politiques et représentants actifs de la société civile (blogueurs, journalistes, juristes, membres d’associations, dont les noms ne figurent d’ailleurs pas dans le rapport).

Avant de passer la parole à Michel Destot qui présentera le résultat des travaux et de l’analyse de cette masse conséquente d’informations pour ce qui concerne directement notre pays, je voudrais brosser à grands traits le portrait de la Chine d’aujourd’hui. Je précise que tous les défis que je vais citer sont parfaitement identifiés par les autorités chinoises et qu’elles s’attèlent à les relever, de manière prudente au vu du nombre de paramètres qui interagissent, comme le démontre encore le Plénum du mois dernier.

On assiste en Chine à une mutation accélérée. La Chine est une immense civilisation, un pays multimillénaire et qui a la mémoire de son histoire, élément important. Son histoire moderne a été tourmentée : Traités inégaux, fin de l’Empire, échecs de la première République, rivalité entre le parti communiste et le Guomindang, invasion japonaise, expériences tragiques de la RPC, avec la famine du « grand bond en avant » (30 millions de morts), et les dérives de la révolution culturelle (on estime à 4 millions le nombre de victimes et un adulte sur deux aurait durant cette période subi de graves sévices).

La renaissance chinoise a commencé à partir du choix de la politique d’ouverture de Deng Xiaoping : le PIB chinois par habitant n’atteignait que 2 % du PIB américain en 1978 alors qu’il dépasse aujourd’hui les 10 %, alors que la population a atteint 1,35 milliard d’habitants, l’espérance de vie y est passée de 45 ans en 1940 à 75 ans en 2011, des centaines de millions de personnes sont sorties de la misère, même si 220 millions de personnes vivent encore aujourd’hui avec moins de 2 dollars par jour.

La réussite économique aujourd’hui est frappante. La Chine a connu une croissance moyenne au cours de ces trente dernières années de l’ordre de 10 % et encore 7,8 % en 2012. Elle est devenue le premier exportateur mondial devant l’Allemagne en 2009 et la deuxième puissance économique mondiale en 2010 avec un PIB dépassant les 7000 milliards de dollars. C’est le premier partenaire commercial au monde et le premier détenteur de réserves de change avec 3400 milliards de dollars de réserve au premier trimestre 2013, soit 30 % des réserves mondiales. La Chine est le troisième investisseur en flux d’investissements directs étrangers (IDE) avec 87,8 milliards de dollars en 2012. Le pays a changé. Pour donner un exemple, il existe désormais plus de 50 villes de plus de deux millions d’habitants.

Nous le savons, le modèle économique chinois montre des limites. Les défis à relever sont notamment ceux du vieillissement, du renchérissement du coût du travail et la hausse du coût de la vie, une dépendance en volume et en structure aux exportations et poids excessif de l’État par rapport au marché qui aboutit à une allocation déficiente des ressources se traduisant notamment par des surcapacités.

Une mutation vers une croissance fondée sur la consommation intérieure a été entamée, avec déjà des signes forts de changement, comme la poursuite de l’ouverture, la priorité donnée au marché, élément essentiel décidé par le Troisième Plénum, la mise en place d’une protection sociale, certes encore embryonnaire, des objectifs ambitieux sur le plan environnemental, une réforme annoncée de la propriété foncière, un nouvel assouplissement de la politique de l’enfant unique, la création d’une zone de libre-échange. Il faut également noter que la Chine possède des marges de croissance encore élevées, y compris pour ses exportations, et relever l’effort massif et continu dans la recherche et l’innovation.

Les questions sociales, environnementales et politiques sont évidemment des enjeux essentiels pour l’avenir de la Chine. L’impact environnemental de la croissance est dramatique (pollution de l’air et des eaux, problèmes sanitaires majeurs, insécurité alimentaire). Les inégalités sociales sont très élevées, notamment entre les villes et les campagnes, avec la question des droits des migrants du fait du système du Hukou, l’enregistrement à l’état civil, sans parler de la corruption et de la concentration des richesses. Des transformations sociales importantes sont en cours. Le pourcentage d’urbains atteint déjà 52 %, la progression du niveau d’éducation, la politique universitaire ambitieuse, l’ouverture sur l’étranger, l’ébullition autour d’Internet et des réseaux sociaux façonnent une nouvelle société chinoise qui est aussi plus individualiste et cela a des effets politiques.

Le régime politique est fondé sur la puissance du parti (80 millions de membres), qui est loin d’être monolithique, mais qui cherche à maîtriser son évolution avec les deux lignes rouges que sont l’unité et la stabilité du pays et l’autorité du parti. On constate des améliorations réelles, une liberté d’expression plus grande, un droit du travail étoffé, des progrès de l’information, une possible évolution de l’institution judiciaire. Des contestations débouchent sur des résultats, mais il s’agit dans l’ensemble de mouvements spontanés, pas organisés. Les atteintes aux droits perdurent. La situation est toujours préoccupante au Tibet et au Xinjiang avec des centaines de morts. Un contrôle fort s’exerce sur l’exercice des libertés collectives. La réglementation appliquée à Internet a été durcie et les « activistes » et les professionnels du droit sont sous surveillance, sans parler des prisonniers politiques comme le prix Nobel de la paix Liu Xiabao. Pour le moment, la priorité a été au renforcement de l’autorité du parti, à travers la lutte contre la corruption (s’attaquant aux « tigres » et aux « mouches ») et la mise à profit du procès de l’ancienne étoile montante Bo Xilai qui a défrayé la chronique. Le pari chinois aura été celui du développement de la Chine par la « ligne bleue », avec la conviction que la seule structure capable de transformer la Chine est le parti, ce qu’il a fait, mais le parti saura-t-il se transformer à mesure que la Chine change ?

Concernant enfin l’affirmation de la puissance chinoise sur la scène internationale, la politique étrangère chinoise est essentiellement motivée par sa stabilité et son développement intérieur alors que la puissance globale appelle la responsabilité globale. Culturellement, la Chine n’est pas un pays expansionniste, mais il y a enchainement mécanique, notamment au regard des besoins d’approvisionnement, avec deux limites très visibles aux discours pacifistes : un comportement en Asie relativement agressif et un effort militaire conséquent, notamment en faveur de la marine. Par ailleurs, la Chine est très active en Amérique latine et en Afrique, avec des pratiques parfois dénoncées comme parfois néo-colonialistes. On observe une insertion et une responsabilité accrue sur les questions économiques, commerciales et monétaires, avec par exemple la demande de présider le G20 en 2016 et l’internationalisation du yuan en cours. La responsabilité est en revanche inégalement assumée dans les crises.

Ce tour d’horizon des problématiques abordées dans la première partie du rapport reflète notre vision de la Chine et permet de poser les enjeux pour notre pays, que va développer Michel Destot.

M. Michel Destot, rapporteur de la Mission. La question à laquelle j’essaie de répondre est celle de la place et du rôle de la France face à l’affirmation de la Chine, de la manière dont nous pouvons tirer au mieux notre épingle du jeu, sans être candides.

La réussite chinoise, pour époustouflante qu’elle soit, est arrivée à un moment charnière car on voit bien la complexité de la transformation du modèle économique. Elle doit à la fois opérer un rééquilibrage entre l’économique et le social et l’environnemental et déplacer le curseur de l’investissement et les exportations, vers la consommation intérieure. Pour augmenter la consommation, il faut augmenter les revenus des ménages, ce qui pèse sur la compétitivité. Il faut alors augmenter la productivité, mais cela pose un problème d’emploi, pour créer de l’emploi il faut de l’innovation etc. En outre, augmenter les revenus ne suffit pas en soi à stimuler la consommation, car les Chinois sont obligés d’épargner des sommes importantes pour faire face aux dépenses de retraite, de santé et d’éducation notamment. Décréter l’établissement d’une protection sociale ne suffit pas en soi à régler les problèmes, car il faut en déterminer les contours et trouver les financements.

Mais ce qui frappe tous ceux qui s’intéressent à la Chine, c’est l’efficacité du système, sa capacité à fixer des objectifs et à les atteindre ou les dépasser. Il ne faut pas sous-estimer cette force. L’expérience laisse penser que la Chine parviendra à accomplir les réformes qui ont été annoncées, notamment au Troisième Plénum.

Quelles conséquences en tirer pour nous ? La France est considérée comme un partenaire majeur sur le plan politique, mais elle apparaît trop faible sur le plan économique et insuffisamment organisée. Le partenaire économique, c’est l’Allemagne ! Même sur le plan du partenariat politique, la crise de 2008 a incontestablement laissé des traces, comme si l’on châtiait plus fort un ami. Nous pouvons nous appuyer sur le cinquantième anniversaire de la reconnaissance de la République populaire de Chine par le général de Gaulle pour reformuler une relation équilibrée, sans arrogance, ni servilité, ni naïveté.

Ce rapport de la Mission est ainsi une contribution à la définition d’une politique chinoise, avec l’idée que certaines propositions peuvent être généralisées, notamment concernant la structuration de notre offre économique. Une impulsion a été donnée avec la priorité à la diplomatie économique, mais comment ne pas être sceptique lorsque l’on apprécie la situation sur le terrain ?

Le rapport avance quarante-deux propositions, qui peuvent être regroupées autour de deux directions : être mieux organisés et plus offensifs dans nos rapports avec la Chine, d’une part, valoriser l’image de la France et cultiver des relations de proximité, d’autre part.

Concernant la nécessité d’être mieux organisés et plus offensifs, sur le plan politique d’abord, la répétition, le temps, sont essentiels en Chine. Il faut tenir sur le long terme l’engagement d’une rencontre annuelle des deux chefs d’État, car la régularité est importante, comme l’a compris Mme Merkel qui se rend régulièrement en Chine. Il faut aussi pérenniser l’existence d’un Représentant spécial, auparavant Jean-Pierre Raffarin, aujourd’hui Martine Aubry, car les résultats sont très positifs et c’est aux yeux des Chinois très important de disposer d’un tel interlocuteur.

Concernant les enjeux globaux, il convient d’accroître la concertation et une initiative commune sur le climat en vue de la COP 21 de 2015, serait une application concrète du renforcement du partenariat stratégique.

Par ailleurs, il est essentiel de parvenir à coordonner les visites effectuées en Chine, aux plans géographique, car il faut couvrir un panel de villes chinoises large et pas uniquement Pékin et Shanghai, et aussi politique. Énormément de personnes, de délégations, se rendent en Chine, de manière dispersée, sans aucune concertation en amont.

Enfin, la coopération décentralisée comme vecteur de rapprochement et enjeu de gouvernance, doit être soutenue et approfondie, dans une approche également mieux coordonnée. Des rencontres de maires existent déjà – la prochaine se tiendra à Lille les 12 au 14 juin 2014 – et des actions similaires pourraient se développer au niveau des régions.

Sur le plan strictement économique, notamment dans la perspective d’un rééquilibrage par le haut de la balance commerciale – notre déficit avec la Chine est de 26 milliards d’euros, l’augmentation de la consommation intérieure de même que l’exigence des populations en matière de qualité sont des atouts supplémentaires pour notre pays. Mais il nous faut être sélectifs, méthodiques et offensifs.

Il faut d’abord poursuivre la démarche d’organisation de l’offre française en familles ou filières, mettant l’accent sur la santé, l’agro-alimentaire et le développement durable, sans exclure des secteurs en phase avec les évolutions de la Chine comme le tourisme et les loisirs.

Ensuite, il faut insister sur la sélectivité du marché chinois, la taille et les ressources constituant de bons critères de sélection. Il ne faut pas inciter toutes nos PME à partir sur le marché chinois, car c’est suicidaire. Le marché chinois est devenu hyperconcurrentiel, et la PME qui a ses chances, soit est sur une niche – et encore faut-il qu’elle puisse supporter les délais très longs de lancement d’une affaire en Chine – soit est « embarquée » par un grand groupe. Or les grands groupes ne jouent pas le jeu dans leur majorité. La Mission en déduit qu’il faut : valoriser les initiatives de grands groupes chefs de file, comme Pacte PME, regrouper les entreprises en vue de promouvoir collectivement leurs intérêts, comme cela se fait désormais avec le Club Santé ou comme le permettrait la création d’un GIE biscuiteries, confiseries et chocolaterie, désigner des interlocuteurs uniques pour des pools de PME, et enfin promouvoir des solutions intégrées, à même de permettre aux PME de niche de remporter des marchés, comme les éco-quartiers ou le projet de ville nouvelle à Wuhan.

Enfin, en termes d’accompagnement il est indispensable d’assurer aussi une sélectivité en amont et de renforcer l’efficacité de notre organisation en Chine. Il ne faut pas se disperser mais agir pour la mise en cohérence des actions et la lisibilité. Il faut ainsi optimiser le dispositif de sélection des entreprises en région et assurer la lisibilité du dispositif général avec des acteurs de l’export regroupés sous une bannière commune. Il faut aussi assurer la cohérence et la complémentarité des différents services d’accompagnement des entreprises en Chine, avec en ligne de mire l’existence d’un dispositif d’accueil unifié et efficient au regard des objectifs de notre diplomatie économique : couverture territoriale, ciblage des filières prioritaires avec une déclinaison locale pertinente, coopération avec les collectivités, incubateurs… Il y a des marges de progression énormes !

De manière complémentaire à cette approche politique et économique, le rapport pose la question des répercussions de l’importance de la Chine dans les relations avec les partenaires et aboutit à plusieurs constats.

La France doit soutenir l’échelon européen chaque fois que cela lui permet d’avancer. C’est le cas aujourd’hui pour la négociation d’un accord sino-européen sur les investissements, incluant un meilleur accès au marché chinois et pour marteler le principe de réciprocité. Il faut toujours plaider pour l’union des Européens car les chinois jouent des divisions.

Mais l’affaire des panneaux solaires sonne comme une mise en garde cinglante contre une naïveté désolante, je le dis comme je le pense. Dans l’Union, il faut bien choisir ses combats, mesurer le rapport de forces et veiller à ses intérêts. Il faut promouvoir les initiatives communes en phase avec la stratégie et les atouts français, comme par exemple la ville européenne durable. Pas seulement en Chine, l’urbanisation accélérée est mal maîtrisée et pose des problèmes environnementaux, sociaux, d’organisation… Nous détenons avec nos villes européennes un atout majeur.

Au vu du fonctionnement actuel, on gagnerait à inscrire la Chine à l’agenda des relations franco-allemandes, pour parvenir sur un certain nombre de sujets à une vision commune et des actions concertées, car le comportement de l’Allemagne nous est particulièrement défavorable.

Le rapport traite aussi de la présence chinoise en Afrique, qui pose des difficultés, et révèle en creux notre singulière absence. Il faut réfléchir de manière pragmatique et prudente, à la mise en œuvre de coopérations tripartites en Afrique, accompagnées d’un dialogue nourri sur les pratiques d’aide.

La deuxième grande orientation du rapport concerne la valorisation de l’image de la France et les moyens de cultiver des relations de proximité.

La France est un pays dont les Chinois ont une bonne image ; un pays romantique, dont ils aiment la culture et la littérature en particulier. Mais ce discours sur la France « romantique », c’est le terme récurrent employé en Chine, pour positif qu’il soit, n’est pas très utile pour développer un commerce de technologies ! En outre, notre société ne bénéficie pas toujours d’une image positive ; elle apparaît parfois suspicieuse, fermée, craintive. Un travail permettant d’améliorer l’image de la France en Chine doit être conduit avec deux axes : l’enrichissement par une meilleure valorisation de nos atouts dans la compétition mondiale, le développement d’une plus grande ouverture de notre société envers les Chinois.

Il est essentiel de travailler à diffuser l’image d’une France moderne, à la pointe, et de la marque France. Cela signifie que nous devons capitaliser sur l’atout culturel et déployer une présence culturelle forte et diversifiée, appréhendée dans une stratégie globale d’influence. Ensuite, il faut véhiculer, c’est essentiel, la marque France comme gage d’une extrême qualité, mêlant raffinement et excellence, pour les industries à connotation culturelle certes (le luxe, la mode, les cosmétiques, etc.), mais aussi les filières technologiques, comme les secteurs soumis à des contraintes de sécurité particulières (sécurité alimentaire, nucléaire, santé…). Notre pays doit intensifier la coopération scientifique et technologique, élargir le cercle des organismes conjoints jouissant d’une réputation d’excellence et repérer et faire venir les entreprises innovantes françaises en Chine.

Il est indispensable aussi d’améliorer la promotion des réussites françaises en Chine et des produits français présents sur le marché chinois, y compris par l’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux, pour ancrer l’image d’une France innovante, créative et à la pointe du progrès. La visibilité de la présence française en Chine est faible.

Assurer la qualité et la densité des relations bilatérales dépend avant tout des liens que nos deux sociétés sauront construire à tous les niveaux de la société. Il faut éveiller la bienveillance à l’égard des Chinois, démontrer que la France est un pays ouvert et accueillant. Cela commence par le souci de conforter les assouplissements opérés en matière de délivrance des visas, qui a longtemps été défaillante, tant dans le traitement des demandes que dans l’octroi de facilités à certaines catégories de demandeurs.

Ensuite il faut savoir recevoir les touristes, ne serait-ce que pour compenser le déficit commercial car ces touristes dépensent plus en France que les Français en Chine. On peut fixer un objectif de 5 millions de touristes chinois annuels d’ici dix ans avec des milliards d’euros de rentrées de devises supplémentaires chaque année. Pour cela, il faut assurer la sécurité, adapter notre offre pour tenir compte des habitudes des Chinois, leur proposer le haut de gamme et un panel de séjours diversifié en jouant les thèmes et les territoires.

Il faut aussi porter une attention particulière aux étudiants chinois : en encourageant la création d'instituts franco-chinois et de consortiums d'universités françaises en Chine, en poursuivant la politique d’accueil, en développant la mobilité encadrée et en confirmant la priorité aux niveaux masters et doctorats, en encourageant une première expérience professionnelle en France des étudiants chinois et la création de filières de formation cohérentes avec les besoins de nos entreprises et en confortant Club France et les initiatives complémentaires de constitution, d’animation et de mobilisation des réseaux d’anciens étudiants.

Enfin, les investissements chinois en France constituent un enjeu majeur. On ne dénombre aujourd’hui que 92 groupes chinois implantés en France, moins que de groupes américains à Grenoble. Ils emploient 11 000 personnes. Pour enclencher une vraie dynamique, il est important de créer des réussites chinoises et de les valoriser, car c’est par l’exemple que l’on développera l’attractivité de notre territoire. Il faut aussi organiser des rencontres d’investisseurs chinois et conforter le rôle de l’AFII.

Je crois avoir restitué l’essentiel des propositions du rapport. En cohérence avec elles, le rapport soutient aussi cinq propositions pour les célébrations du cinquantenaire de la relation diplomatique : un forum de responsables territoriaux français et chinois, des visites de sites technologiques pour montrer la France innovante, la tenue d’un forum des investisseurs franco-chinois reçu au plus haut niveau de l’État, un moment réunissant des jeunes français et chinois étudiant en France, une opération de facilitation des conditions de délivrance des visas, pour tous les Chinois qui voudraient, en cette année particulière, venir et que nous accueillerons avec soin.

Le rapport s’achève sur une allusion à Alain Peyrefitte. La Chine s’est éveillée et il est temps que la France s’éveille à la Chine. Je dirais même qu’il est temps qu’elle se réveille, pour, je cite Jean Cocteau, « passer d’un regard qui dévisage à un regard qui envisage ». Je souhaiterais proposer à la Présidente que nous puissions, au-delà de ce rapport, une fois par an, faire un point sur l’application des propositions qu’il contient, les ajuster éventuellement, et ainsi assurer un suivi de l’efficacité de notre diplomatie notamment économique avec ce grand pays.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Je vous remercie pour cet exposé très complet. Vous avez abordé de nombreux sujets, forcément de manière succincte, et la discussion pourra permettre d'apporter des précisions sur certains points. Notamment, les intitulés du plan du rapport peuvent laisser penser que les questions sociales sont évoquées de manière pudique par rapport à d'autres. Je souhaiterais que vous reveniez sur les inégalités sociales qui existent en Chine, en particulier la situation des migrants ruraux qui sont privés d'un certain nombre de droits dans les villes où ils travaillent, du fait d’un système d’enregistrement à l'état civil, le hukou. En ce qui concerne la proposition d’organiser un suivi de l’évolution des rapports franco-chinois au regard des propositions du rapport, je pense qu'il faut réfléchir aux modalités de sa mise en œuvre et je précise par avance que pour des raisons budgétaires ce suivi ne pourra pas comporter de déplacement en Chine.

M. Gwenegan Bui. Je souligne à mon tour la qualité et l’abondance du travail qui a été fourni, ainsi que le très bon état d'esprit dans lequel la Mission a travaillé. Je tiens à mettre en exergue trois points.

Tout d’abord, la continuité de l’effort est un élément essentiel : il faut s'inscrire dans le long terme et agir avec régularité. La stratégie de la présence de la France en Chine n’est pas anecdotique. Michel Destot insistait sur le rôle du représentant spécial, la perception qu’en ont les Chinois. Il faudrait que côté Français nous comprenions l'importance de ce représentant spécial, qu'il soit à ce titre doté d’un certain nombre de prérogatives, et qu'il incarne une continuité de la politique française. Dans cette optique d'une relation à inscrire dans le temps, la Commission devrait effectivement faire chaque année le point pour constater si l’évolution de la présence française est en progrès.

Concernant spécifiquement le volet économique, l’agroalimentaire est un domaine aux potentialités exponentielles en matière d’exportations françaises, même s'il nous faut forcer certaines filières à travailler ensemble et non à se concurrencer. Par ailleurs, il nous faudrait disposer d’une stratégie d’aide à l’investissement en France efficiente pour les grands groupes chinois et nous organiser pour rechercher des accords « gagnant-gagnant » avec eux. Je pense notamment aux investissements qui commencent à être effectués en région Bretagne.

Enfin, je voulais aborder une question assez délicate. La France et la Chine sont amies et l’amitié nécessite parfois de la franchise. La France devrait appeler la Chine à une certaine modération sur l’épineux sujet des iles Senkaku/Diaoyu car les tensions montent inexorablement et nous ne sommes pas à l’abri d’un incident qui pourrait avoir des répercussions à l'échelle internationale.

M. Philippe Cochet. Je suis en total adéquation avec le Président et le Rapporteur. Je souhaiterais seulement insister sur quelques points.

D'abord, il nous est impensable de concevoir une relation avec la Chine autrement que dans la durée. Le suivi annuel souhaité par le Rapporteur me semble être un service minimum. Au-delà des alternances politiques, nous devons avoir des référents. Voilà pourquoi le rôle joué avant par Jean Pierre Raffarin et maintenant par Martine Aubry est indispensable. Il faut souhaiter que la personnalité désignée soit maintenue dans la durée quelles que soient les alternances politiques, de même que les engagements pris.

Ensuite, la question de la coordination est fondamentale. Le nombre d’initiatives individuelles vouées à l’échec est considérable. Si elles étaient coordonnées, au niveau de l’État, au niveau des entreprises ou des branches, nous aurions certainement des résultats autres. Il faut dire à nouveau que les grands groupes français ont un rôle majeur et que bien souvent ils font travailler tout le monde sauf les entreprises françaises. Nous devons les sensibiliser pour que cela change et que nous soyons mieux coordonnés.

Nous avons la chance que la Chine et les Chinois perçoivent la France comme un pays romantique, car cela fait de notre pays une destination touristique. Nous avons tous les éléments pour bénéficier des sommes importantes que les touristes chinois dépensent à l'étranger et la France est le pays où ils dépensent le plus en Europe. Or, la classe « moyenne » chinoise est en train d’exploser et les Chinois seront probablement demain les principaux pourvoyeurs de devises. C'est peut-être ce qui nous permettra de compenser notre déficit commercial. Ayant conscience de cette opportunité, nous ne pouvons plus les accueillir comme nous le faisons, c'est-à-dire sans aucune signalétique, aucun idéogramme, et avec les problèmes de sécurité que nous connaissons. Lorsqu’ils arrivent et qu’ils se font détrousser, cela véhicule une image absolument déplorable pour le développement des liens entre nos deux pays.

Sur le volet économique, certes la France est romantique, mais les Chinois ne sont pas des poètes. Nous devons avoir une approche beaucoup plus pragmatique, comme nos collègues allemands. Je le dis aussi, si nous commençons les discussions commerciales par des sujets relatifs aux droits de l’Hommes, nous repartirons bredouille sur tous les plans.

Enfin, j’insisterai vraiment sur le fait que nos efforts à l’égard de la Chine, en matière de diplomatie parlementaire, doivent être continus. Je comprends les contraintes budgétaires de la Commission, mais la Chine fait partie des priorités, et si la diplomatie parlementaire peut contribuer au développement de notre politique vis-à-vis de la Chine en permettant au moins au président et au rapporteur de la mission d'exercer un suivi, j’en serai très heureux.

M. Jean Paul Bacquet. Je tiens bien sûr à féliciter les rapporteurs, d’autant plus qu'ils n'ont pas utilisé la langue de bois comme nous sommes trop souvent contraints de le faire lorsque nous évoquons la Chine. Je souhaiterais formuler quelques observations sur l’export. Nous devons effectivement comprendre que l’on ne peut pas envoyer toutes nos PME en Chine car c'est un marché difficile. Il faut préalablement effectuer des études de marché et de la prospective, ce qui sera toujours moins coûteux pour une entreprise que de manquer son entrée sur le marché chinois. En outre, pour gagner de l’argent en Chine, il faut commencer par en perdre ; c’est une forme d’investissement. Une fois sélectionnées les entreprises qui peuvent pénétrer le marché chinois, elles doivent y être accompagnées. Nous devons donc coordonner notre action et agir avec cohérence, en amont et pour l'accompagnement. Je précise que cet accompagnement devrait être fait par des gens du cru, par des équipes surtout chinoises.

Le raisonnement doit être poussé à son terme concernant notre dispositif. Pour être cohérent nous devons envisager le regroupement d'Ubifrance, Sopexa, la chambre de commerce internationale et, pour que le tourisme soit partie intégrante de notre action, Atout France, car le tourisme c’est de l’export et les devises chinoises pourraient bien en effet rééquilibrer notre balance commerciale. Je suis en revanche fortement opposé au projet de Bercy qui vise à marier Ubifrance avec l’AFII.

Concernant les régions, elles sont indispensables pour le travail en amont, mais beaucoup d’inégalités persistent entre elles en matière d’export. Nombreuses sont celles qui ne savent même pas quelles sont leurs compétences. Il ne faudrait pas non plus qu’elles deviennent des obstacles à l’exportation et la cohérence de l’action publique. Il nous faut donc œuvrer dans le sens d’une meilleure coordination. Michel Destot insistait sur les conséquences de l'urbanisation. C’est en effet le problème auquel sont confrontés tous les pays émergents, qui risquent d’avoir des villes dans lesquelles il deviendra impossible de travailler, de vivre, de respirer. En la matière, la France dispose d’une expertise reconnue et de savoir-faire que nous devons exporter. La ville durable est un formidable marché potentiel et c’est à l’État d’être en charge de la promotion de notre expertise, pas aux régions. Enfin, les coopérations décentralisées sont effectivement très utiles avec la Chine, et tel n'est pas le cas partout. Elles n'ont cependant de sens que si les actions sont coordonnées et il faudrait mettre en place des structures assurant cette coordination.

Mme Elisabeth Guigou, présidente. L’accueil de touristes chinois représente un potentiel de développement économique fondamental pour la France et un levier d’influence important, d’ailleurs parfaitement identifié par le ministre Laurent Fabius.

M. Pierre Lellouche. Concernant le tourisme, je rejoins tout à fait ce qui a été dit par les orateurs précédents. 50 % du chiffre d’affaire des commerces de ma circonscription sont réalisés grâce aux ressortissants Chinois. Les magasins ont fait des efforts en termes de signalétique et ont adopté les idéogrammes chinois ; ce n’est pas le cas de la ville ni de la région. Je regrette que peu de municipalités prennent ce type d’initiative pour accueillir au mieux les visiteurs chinois.

Nos collègues ont également abordé le problème majeur de sécurité auquel nous sommes aujourd’hui confrontés. Sans vouloir stigmatiser qui que ce soit, il est anormal de laisser des Roms prendre pour cible des touristes chinois sur les Champs Elysées.

Par ailleurs, comme le souligne à juste raison Philippe Cochet, si les Français sont romantiques, les Chinois, eux, ne sont pas des poètes. La Chine sait non seulement utiliser ses entreprises implantées en France pour bénéficier de transferts de technologies, mais parvient à tirer profit de la présence des entreprises étrangères technologiquement performantes sur son territoire. Or dans les domaines où notre expertise est la plus importante, je pense notamment au secteur agro-alimentaire ou aux nouvelles technologies, nous ne parvenons pas à protéger nos entreprises et à valoriser notre savoir-faire. Si toutes les entreprises françaises font le choix, comme Schneider Electric, de s’implanter et de se développer en Chine sans se prémunir contre les risques de captation technologique, c’en est fini de la « maison France ». Je pense aussi à Airbus, qui a commis l’erreur, à la différence de Boeing, de signer un partenariat prévoyant la production d’A320 en Chine. Je soulignerai que les technologies ainsi captées peuvent être intégrées à des produits chinois vendus ensuite sur le sol européen à des prix largement inférieurs aux nôtres.

Je regrette également que l’État français soit incapable de définir une stratégie économique et financière cohérente qui lui soit profitable. Le Pavillon français de l’Exposition universelle de Shanghai en était l’illustration parfaite : les différents intervenants, que ce soit Ubifrance, le groupe Sopexa ou encore les régions ne s’étaient manifestement pas coordonnés et étaient éparpillés entre différents stands.

J’insiste à nouveau sur les difficultés rencontrées par les entreprises françaises en Chine, du fait d’une insuffisante protection de la propriété intellectuelle. Il faut savoir que la législation en matière d’investissement prévoit que toute invention intervenue sur le sol chinois devient la propriété de la Chine. La contrefaçon y est de plus particulièrement courante et peu combattue par les autorités, comme en témoigne la récente décision de la Cour suprême relative à la marque Lacoste. C’est un véritable système de non droit. Je pourrais multiplier les exemples, mais sachez qu’il existe désormais des huîtres Gillardeau contrefaites, de même que du papier à cigarette OCB.

Pour reprendre les termes employés par le rapporteur, nous n’avons donc pas à nous laisser « châtier » par les autorités chinoises. Il nous faut trouver les moyens politiques de gagner leur respect.

Pour terminer, dans le jeu de la mondialisation, la France pèse très peu. Il nous faut donc à la fois connaître nos atouts et veiller à nos intérêts, sans faire preuve de naïveté. En un mot, protéger la technologie française, et coordonner les différents acteurs – on peut à ce titre souhaiter la fusion entre Ubifrance et Sopexa. Enfin, il pourrait être utile, dans les domaines qui le nécessitent, que le Medef s’entende sur une stratégie commune avec son homologue allemand, le BDI.

Mme Elisabeth Guigou, présidente. Nous avons en effet pu constater à Shanghai que la contrefaçon prospérait. Mais comme cela a été souligné, l’élévation du niveau de vie des Chinois et leurs goûts les portent vers des produits haut de gamme. C’est donc sur cette gamme que nous devons nous positionner dans nos échanges économiques avec la Chine. Quant à la sécurité des touristes chinois, il s’agit d’un problème majeur, auquel nous sommes régulièrement confrontés. À Aubervilliers ou à Pantin, les ressortissants chinois sont fréquemment victimes de vols et se sont mêmes organisés pour assurer eux-mêmes la sécurité de leurs commerces. Le problème est bien identifié : Laurent Fabius a saisi Manuel Valls du sujet et nous y serons particulièrement attentifs.

M. Jean-Luc Bleunven. Je ne voudrais pas insister sur l’agroalimentaire car ce thème a déjà été évoqué à plusieurs reprises. Je crois cependant que c’est un sujet majeur dans les échanges franco-chinois et notamment concernant la sécurité alimentaire. C’est un des secteurs pour lesquels nous sommes performants à l’exportation et qui retient l’attention des Chinois. Je voudrais simplement m’assurer que, dans une période où l’on travaille sur un Pacte d’avenir pour la Bretagne et sur lequel on pourrait avancer, la diplomatie économique était bien sensibilisée à ces questions agroalimentaires.

M. Jacques Myard. Je voudrais apporter un témoignage. J’ai participé à la négociation de l’accord de promotion et de garantie des investissements en tant que conseiller juridique avec mon ami Jean-Claude Trichet. Nous avons réalisé un certain nombre d’aller-retour entre la France et la Chine. Je retire de cette expérience plusieurs choses. D’abord, il ne faut pas parler au niveau des États français et chinois d’amitié. Les Chinois servent un discours compassé mais cela ne correspond à rien en terme de relation d’État à État : ce sont des matérialistes. Bien sûr, ils nous rappellent le Général de Gaulle, mais c’est tout simplement pour nous faire plaisir. Il ne faut pas tomber dans ce piège.

Ensuite, en matière de politique industrielle, la copie et la contrefaçon sont évidentes. Lors d’un récent voyage en Chine dans le cadre d’un rapport sur la politique industrielle, avec Jérôme Lambert, nous nous sommes rendus compte de l’ampleur du phénomène. Je ne suis pas certain que Siemens ne se fasse pas copier. Le TGV construit entre Pékin et Tianjin est en train d’être dupliqué ailleurs. Il y a donc un réel risque et je partage l’avis de Pierre Lellouche.

Autre élément, il faut comprendre la manière suivant laquelle les Chinois travaillent. Le long terme est le seul objectif qui vaut. Quand nous avons ouvert les négociations en 1984-1985 sur l’accord de promotion et de garantie des investissements, j’ai eu en face de moi un jeune étudiant chinois qu’ils avaient envoyé à Rouen quatre ans avant la décision de l’annonce de l’ouverture des négociations avec nous. C'est-à-dire qu’ils avaient présupposé qu’ils allaient ouvrir des négociations, ils avaient envoyé un étudiant s’informer sur tous les accords que nous avions déjà signés. Je dois dire qu’il connaissait extrêmement bien ses dossiers. D’autre part, il y a eu un moment où les négociateurs posaient toujours les mêmes questions et où la négociation tirait en longueur. Je me souviens d’un incident qui s’est déroulé rue de Rivoli où Jean-Claude Trichet me disait qu’ils nous faisaient perdre notre temps. Je lui ai répondu qu’il avait tort de raisonner ainsi : la France est éternelle et la Chine est millénaire. La notion de temps pour eux est très particulière dans leur diplomatie et leurs actions. Il faut garder cette idée en tête et ne pas jouer aux hommes pressés. Les Chinois comprennent aussi très bien la réciprocité.

Enfin, les Chinois avaient accepté dans l’accord de promotion et de protection des investissements une clause CIRDI, issue du traité de Washington : l’arbitrage entre l’État et l’investisseur privé, ce que les Soviétiques à l’époque refusaient. Accepter de porter à l’arbitrage CIRDI était pour moi un signe d’ouverture de la Chine. Quand je suis retourné en Chine, j’ai demandé s’il y avait eu une application de cette clause CIRDI. Une entreprise française s’était plainte et avait commencé des démarches pour mettre en œuvre un arbitrage CIRDI. Les Chinois ont expulsé l’entreprise et ne sont jamais allés devant le CIRDI… Entre l’affichage et la réalité dure des relations commerciales et d’investissement, il y a donc un monde. Les Chinois sont extrêmement durs en affaire et ne changeront pas, à mon avis.

Par ailleurs, les autorités chinoises ont aujourd’hui une grande crainte de la théorie du chaos. C’est une société duale : à quelques dizaines de kilomètres de Tianjin ou de Pékin, c’est la Chine comme Godard l’avait décrite. Il y a un réel problème de cohésion interne avec les paysans chinois qui viennent travailler en ville et qui se font véritablement exploiter.

Mme Chantal Guittet. Je vais tenter d’être plus synthétique que notre collègue Jacques Myard. Je souhaite poser une question sur les étudiants étrangers. Je vois des flux d’étudiants étrangers, qui n’existaient pas il y a dix ans, venir dans toutes les universités françaises. A l’Université de Brest, il n’y en avait aucun et il y a aujourd’hui une communauté de 5 000 étudiants ! Ce sont souvent des étudiants qui viennent parce qu’ils sont refusés dans leur université d’excellence. Il y a aussi beaucoup de corruption. Nous nous sommes aperçus qu’il y avait des étudiants qui payaient 25 000 à 30 000 euros pour venir, on ne sait pas trop pourquoi ni comment, pensant que c’était le coût du droit d’inscription à l’université française… Comment ces flux sont-ils gérés ?

Je voulais aussi savoir s’il ne serait pas utile de mettre en place un suivi des étudiants, comme le font très bien les universités anglo-saxonnes. On reçoit de nombreux étudiants qu’on forme, mais il n’y a ensuite aucune traçabilité sur ce qu’ils deviennent et sur ce qu’ils font. Il faudrait tisser des liens de partenariat : l’intérêt d’accueillir des étudiants étrangers, c’est qu’après ces étudiants aient envie de travailler avec la France. Le suivi de ces étudiants est défaillant.

M. François Rochebloine. Je pense que l’on peut féliciter le rapporteur et le président pour l’excellent rapport qu’ils ont présenté. J’aurais deux types de questions. La première concerne la langue française. Quelle est son évolution en Chine depuis une dizaine d’années  et quelle est la présence des médias français, que ce soit France 24 ou TV 5 ? Ensuite, quel est votre sentiment concernant l’évolution politique, quelle perception avez-vous retiré de votre voyage ? Au-delà de l’attentat d’il y a quelques mois, est-ce qu’il y a une véritable opposition en Chine ?

M. Michel Terrot. Je vois, Madame la Présidente, que vous abritez dans votre circonscription la maison Hermès. J’ai dans la mienne la partie d’Hermès qui fabrique les carrés de soie et la maroquinerie, et notamment les sacs. On a exactement le même problème que celui signalé à Paris avec des touristes chinois qui sont littéralement agressés par des bandes organisées.

Ma question portera sur la politique étrangère chinoise. Je voudrais savoir si à l’occasion du déplacement de la Mission vous avez évoqué les questions de sécurité régionale et notamment en Mer de Chine, au regard des tensions croissantes entre le Japon et la Chine au sujet de quelques îlots inhabités. La Chine a encore accru cette tension au mois de novembre en créant une zone aérienne dite d’identification. Les autorités chinoises vous donnent-elles des éléments précis sur l’objectif poursuivi ? Qu’il s’agisse d’une puissance qui veuille montrer des dents, on peut le comprendre, mais jusqu’où sont-ils capables d’aller dans ce domaine ?

M. François Loncle. Il ne faudrait pas passer d’une période de négligence à l’égard de la Chine, voire de grande maladresse, à une adoration naïve. Je ne parle pas du rapport de la Mission, bien sûr, mais de l’ambiance générale. Ne négligeons pas non plus Taïwan. Les relations avec le continent ont changé, mais nous restons d’une frilosité invraisemblable ! Alors qu’il y a là un potentiel économique formidable, on n’ose toujours pas demander à un membre du Gouvernement, quel qu’il soit, de faire le déplacement. S’agissant de l’Afrique enfin, je marquerai un léger désaccord avec ce qui a été exprimé. Il est faux de dire que nous sommes en train de la déserter. En tout cas, ce n’est plus vrai depuis un an et demi. S’il fallait être sévère, ce serait avec le passé, peut-être, mais certainement pas avec le présent.

M. Pierre Lequiller. Le président du syndicat des constructeurs automobiles allemands m’a dit très clairement que la France n’a aucune stratégie dans cette filière. Nous n’avons pas compris que les Chinois veulent du haut de gamme. Selon vous, est-ce la seule raison de la situation actuelle ? Je constate que Mme Merkel s’est rendue à de très nombreuses reprises en Chine et je crois que nous avons besoin de beaucoup de continuité, mais aussi de patriotisme économique. Les Allemands emmènent avec eux leurs sous-traitants, ce que nous ne savons pas faire. Je m’interroge aussi sur votre proposition d’une opération de facilitation de la délivrance de visa pour un an seulement dans le cadre des initiatives prises pour célébrer le cinquantenaire des relations diplomatiques. Je trouve cette annonce presque blessante. J’aimerais enfin vous interroger sur les relations entre les États-Unis et la Chine et sur la présence chinoise en Amérique du Sud.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Peut-être pourriez-vous aussi nous dire ce qui est prévu pour célébrer le cinquantième anniversaire de la reconnaissance diplomatique de la Chine au-delà d’une annonce sur les visas ?

M. Michel Destot, rapporteur de la Mission. Les Chinois veulent de la qualité, c’est indiscutable. Nous avons pu le voir sur place et c’est sur ce créneau qu’il faut se positionner. Mais ils attendent aussi une adaptation de nos produits à leurs habitudes. Nous retrouvons d’ailleurs ces deux besoins s’agissant de l’accueil des touristes : ils veulent du haut de gamme et une offre adaptée, par exemple qu’on leur serve de la soupe au petit déjeuner. Pour revenir aux entreprises françaises en Chine, puisque la filière automobile a été évoquée, l’exemple de PSA est très intéressant, car le groupe a développé une stratégie gagnante en adaptant ses modèles et en jouant le luxe. Ils ont su aussi trouver leurs partenaires. Nous avons pu voir le modèle de DS lancé en Chine encore sous bâche. Le groupe vend en Chine un million de véhicules par an et pense être en mesure de doubler ou de tripler ce chiffre prochainement. L’entreprise pourrait ainsi vendre plus de véhicules en Chine qu’en France. Dans le cas allemand, leur réussite tient aussi à d’autres facteurs que le positionnement : leur tissu industriel, fort de nombreuses ETI, et une culture des affaires dont nous ne disposons pas encore.

En matière de visas, le ministre Laurent Fabius devrait annoncer une mesure dans le cadre du cinquantenaire, mais il est évident qu’une fois mise en œuvre, on imagine mal qu’elle ne puisse être pérennisée. Alors pourquoi l’annoncer d’abord pour un an ? Précisément pour l’inscrire dans le cadre de cette année particulière. Si les Chinois nous disent accorder de l’importance à la reconnaissance de la République populaire de Chine en 1964, alors appuyons nous sur cet anniversaire ; jouons le jeu. C’est en outre une mesure qui a une visibilité auprès de la population chinoise.

Concernant la relation avec les États-Unis, elle est empreinte de méfiance. La Chine défend la vision d’un monde multipolaire aussi pour ne pas être enfermée dans le G2. D’ailleurs, elle ne cherche pas à être à pied d’égalité avec les États-Unis. Si la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale, elle n’a pas le même poids, n’endosse pas les mêmes responsabilités, au plan politique. Son rôle au Conseil de sécurité le montre bien. Lorsqu’elle est renvoyée à cette contradiction, la Chine répond qu’elle n’a pas à intervenir dans les affaires intérieures des autres pays et même en matière de régulation elle se présente encore comme un pays en développement qui demande des statuts spéciaux ou des adaptations. Nous devons nous prévaloir des principes de réciprocité et d’équilibre.

Il y a de très nombreuses et très fortes révoltes en Chine, essentiellement pour des problèmes sociaux, mais il n’y a pas de contexte révolutionnaire. La contestation n’est pas organisée. La question du Xinjiang pose pour les autorités celle de l’unité et de la stabilité du pays. Il est intéressant de souligner l’annonce de la création d’un conseil de sécurité, qui aurait vocation à englober enjeux de sécurité intérieure et extérieure.

Cela me permet de faire la transition avec la politique étrangère chinoise et le rôle que joue le développement intérieur du pays dans sa conduite. La mer de Chine représente un enjeu de sécurité majeur, car 80 % de l’approvisionnement chinois y transite. La Chine n’a pas de tradition de politique étrangère expansionniste – c’était l’empire du Milieu – et son armée n’est pas encore une très grande armée. Mais il est clair que les Chinois la développent et prennent aussi des positions plus offensives, afin d’assurer la sécurité de leurs approvisionnements, et avec une certaine agressivité en Asie. La question de Taïwan a été soulevée et effectivement, nous ne devons pas négliger nos relations avec elle, car la situation a beaucoup évolué. Les Chinois savent jouer de notre malaise.

Je partage évidemment ce qui a été dit sur l’importance du temps ; c’est la grande règle dans les rapports avec la Chine. Il faut agir dans le long terme et toujours dans une optique de réciprocité, en sachant comme au judo, jouer des actions et réactions.

Pour ce qui est des étudiants chinois en France, nous sommes en train de passer d’une mobilité « spontanée » – avec tout ce que cela peut entraîner – à une mobilité encadrée, plus organisée. L’accompagnement de ces étudiants doit être amélioré, mais les enquêtes montrent que 90 % des étudiants étrangers sont satisfaits de leur séjour et des liens qu’ils ont noués avec notre pays. Il faut que nous nous donnions les moyens de faire de ces anciens étudiants des ambassadeurs de notre pays en Chine. C’est à cet effet qu’un Club France a été créé il y a quelques années, car jusqu’alors nous n’avions ni recensement ni suivi de ces étudiants, et c’est une initiative qui va être dupliquée ailleurs.

Je veux souligner l’importance, pour l’influence française, des réseaux, particulièrement en Chine et notamment pour développer nos échanges économiques. Il y a le décloisonnement de notre dispositif pour intégrer culture, économie et tourisme, l’animation du Club France et, de manière plus générale, le rôle que peuvent jouer tous les biculturels et bilingues.

À cet égard, concernant la langue française, il y a environ 100 000 Chinois qui apprennent le français, ce qui est très peu par rapport à la population mais en progression constante. Une demande existe et le rapport comporte un encadré spécifique sur cette question des langues. S’agissant de notre audiovisuel extérieur, RFI ne peut plus diffuser en Chine, France 24 n’est pas autorisée et TV5 Monde a une diffusion assez réduite. Il y a là des avancées à obtenir de la part des autorités chinoises.

Pouvons-nous mettre la Chine à l’agenda franco-allemand ? C’est une proposition que nous formulons, sans faire preuve néanmoins de naïveté sur le rapport de force avec les Allemands et la concurrence qui s’exerce sur le plan économique. Le dialogue avec l’Allemagne est indispensable pour définir des positions communes et des actions concertées là où c’est possible, où nous pourrions faire avancer nos intérêts ensemble. Il faudrait aussi mettre les Allemands devant leurs contradictions. Pourquoi pas, comme Pierre Lellouche l’a suggéré, imaginer dès lors des collaborations des patronats des deux pays ?

J’en viens à la question des transferts de technologie et des délocalisations. Il est clair qu’il n’y a pas d’avenir dans le milieu de gamme pour notre commerce avec la Chine et que cela comporte des risques. Mais nous ne devons pas renoncer à développer nos échanges pour autant. On peut aussi être malin. Je connais Jean-Pascal Tricoire, qui dirige Schneider Electric : certes, le groupe emploie 30 000 personnes en Chine suite à leur implantation à Hong Kong, mais l’emploi a aussi progressé dans ses centres de R&D de la région de Grenoble pendant la même période. Une vigilance est exercée par les grands groupes sur les éléments transférés, y compris lorsque l’on observe les activités localisées dans les pôles de technologies chinois. L’accompagnement des entreprises est important.

L’enjeu du tourisme chinois a été abordé à plusieurs reprises. En 2012, 1,4 millions de touristes chinois ont visité notre pays. Or, 90 millions de Chinois ont voyagé à l’extérieur cette même année. Nous en recevons donc une proportion relativement faible, même si nous sommes le premier pays européen visité. En outre, les flux de touristes vont fortement augmenter dans les années à venir. Nous pouvons faire un calcul simple. Un touriste chinois dépense en moyenne 1600 euros lors de son séjour en France. Cela représente 2,240 milliards d’euros au total en 2012. Si on multipliait le nombre de Chinois en visite en France par trois, on aurait 7 milliards d’euros de dépenses, soit un supplément de 5 milliards d’euros. Le déficit commercial est de 26 milliards. Tout est dit. Si on multiplie le nombre de touristes par cinq, on arrive à compenser le tiers de notre déficit avec le seul tourisme.

En ce qui concerne la coopération décentralisée, je suis d’accord avec tout ce qui a été dit et qui rejoint les développements consacrés à ce sujet dans le rapport. J’ajoute que les coopérations ne doivent pas se développer uniquement avec Shanghai. Quelle erreur de penser qu’il n’y a que cette ville en Chine ! L’urbanisation est un enjeu majeur pour tous les pays émergents. Ce qui sera mis en place pour la Chine servira ailleurs. Le rôle des collectivités territoriales est essentiel en ce domaine et, s’il faut coordonner l’action des régions, il ne faut pas oublier les grands pôles urbains. Il vaut mieux que ce soit le maire d’une grande ville qui aille vendre un métro plutôt que le président de région.

Concernant les inégalités sociales, la situation des migrants ruraux a été soulevée. Ils quittent les campagnes pour les villes sans que leur enregistrement à l’état civil ne soit modifié, c'est-à-dire qu’ils demeurent rattachés à leur lieu d’origine, ce qui emporte toute une série de conséquences pour l’accès aux prestations sociales, aux soins et à l’éducation notamment. On estime ainsi que, sur les 52 % de Chinois vivant en ville, 17 % sont des migrants sans titre. Ce sont des sans-papiers en situation de grande précarité, souvent victimes d’exploitation. Des aménagements ont été apportés dans certaines villes, avec des changements de statut ou la création de statuts intermédiaires, mais pour le moment, la grande réforme n’a pas eu lieu. On est face une situation très choquante.

Pour finir, j’insisterai moi aussi sur l’importance de la continuité, de la coordination, sur l’agroalimentaire entre autres, et des investissements chinois en France, dans une optique « gagnant-gagnant ». Le suivi parlementaire de la présence française en Chine à la suite de ce rapport serait je crois vraiment utile ; nous pourrions par exemple être associés aux travaux de la grande Commission France Chine.

Mme Elisabeth Guigou, présidente. Le président chinois viendra en France pour les célébrations du 50e anniversaire. On peut très bien envisager de faire le point d’ici l’été, en entendant Martine Aubry notamment, et je vais demander à ce que vous puissiez participer aux travaux de la Grande commission.

M. Michel Destot, rapporteur de la Mission. S’agissant des célébrations du cinquantenaire, je n’ai pas répondu à la question relative aux évènements organisés car les deux Premiers ministres devraient ce vendredi, à l’occasion du déplacement en Chine de Jean-Marc Ayrault, en présenter le logo et donner le coup d’envoi à la labellisation et l’organisation de ces évènements. Nous avons déjà quelques informations, mais l’annonce officielle et exhaustive interviendra début janvier. Le rapport met en exergue cinq initiatives qui devraient pouvoir figurer dans la liste de celles retenues.

Mme Élisabeth Guigou, présidente. Vous avez répondu à toutes les questions. Je vous remercie pour ce rapport de grande qualité qui réussit à dire beaucoup de choses tout en le faisant de manière constructive.

ANNEXES

ANNEXE N° 1 : CARTE DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE

ANNEXE N° 2 : RÉSEAU D’INFLUENCE CULTUREL ET ÉDUCATIF FRANÇAIS EN CHINE (2013)

Source : Campus France

ANNEXE N° 3 : LES TENSIONS EN MER DE CHINE

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Source : daniellesabai.wordpress.com

ANNEXE N° 4 : 

LISTE DES PERSONNALITÉS RENCONTRÉES

(PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE)

1) À Paris60

– Mme Irène Hors, conseillère principale responsable de la Chine au sein du secrétariat des relations mondiales de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) et M. Richard Herd, économiste principal en charge du bureau Chine-Inde dans le département économie de l’OCDE (17 janvier  2013)

– Mme Elisabeth Laurin, directrice Asie au ministère des affaires étrangères (24 janvier 2013)

– M. Jean-Pierre Raffarin, ancien Premier-ministre (24 janvier 2013)

– M. Jean-Vincent Brisset, Général de brigade aérienne, directeur de recherche à l’Institut des Relations internationales et stratégiques (IRIS) et cofondateur de l'Observatoire des stratégies chinoises et asiatiques (31 janvier 2013)

– M. Emmanuel Puig, enseignant à Sciences-Po Lille, chercheur associé à Asia Centre et au Centre national de la Recherche scientifique (CNRS), responsable de l’Observatoire stratégique de la Chine pour la délégation aux affaires stratégiques (31 janvier 2013)

– Son Exc. M. Quan Kong, ambassadeur de Chine en France (6 février 2013)

– M. David Appia, président de l’Agence française des investissements internationaux (AFII) et Bertrand Buffon, Chef de cabinet (14 février 2013)

– M. Jean-Pascal Tricoire, comité France-Chine du Medef international et directeur général de Schneider Electric, Mme Sybille Dubois Fontaine Turner, directrice générale et M. André Chieng, vice-président du Medef international et président directeur général de l’Asiatique européenne du commerce (14 février 2013)

– Mme Isabelle Attané, démographe et sinologue à l’Institut national d’études démographiques (INED) (21 février 2013)

– M. André Marcon, président de la Chambre de Commerce et d’Industrie Française (CCI France), M. Pierre-Antoine Gailly, président de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris (CCI Paris) et président de l’Union des Chambres de Commerce et d’Industrie Françaises à l’Etranger (UCCIFE), M. Dominique Brunin, délégué général de CCI France et de l’UCCIF et Mme Xiaoqing Su-Pellemele, secrétaire générale du Comité d’échanges Franco-Chinois (CEFC) de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris (CCI Paris) (21 février 2013)

– M. Antoine Chéry, sous-directeur relations bilatérales à la direction du trésor du ministère de l’Economie et des finances (21 février 2013)

– M. Jean-Louis Beffa, président de la branche Asie de la banque Lazard et ancien membre de plusieurs conseils d’administration dont Siemens (21 février 2013)

– M. Paul-Jean Ortiz, conseiller diplomatique du Président (21 février 2013)

– M. Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) (27 février 2013)

– Mme Stéphanie Balme, politologue au centre de recherches en sciences sociales de l’international et à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (28 février 2013)

– M. Luc Derepas secrétaire général à l’immigration et à l’intégration au ministère de l’intérieur et M. François Lucas, directeur de la direction de l'immigration (28 février 2013)

– M. Xavier Darcos, président de l’Institut français et M. Pierre Colliot, secrétaire général (27 mars 2013)

– M. Hubert Védrine, ancien Ministre des Affaires étrangères (11 avril 2013)

– Mme Karine Lisbonne-de Vergeron, chercheure associée à la Fondation Robert Schuman et Chatham House, spécialiste des relations sino et indo européennes (11 avril 2013)

– M. Alain Juppé, ancien Premier-ministre, ancien Ministre des Affaires étrangères, maire de Bordeaux (18 avril 2013)

– M. Christophe Lecourtier, directeur général d’Ubifrance, Mme Isabelle Fernandez, directrice Ubifrance et de M. Julien Ravalais Casanova, chargé des affaires institutionnelles à la Direction générale (25 avril 2013)

– M. Jean-Raphael Chaponnière, chercheur associé à Asia Centre (25 avril 2013)

– M. Laurent Vigier, directeur des affaires européennes et internationales de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), Mme Isabelle Bébéar, directrice déléguée en charge du business development et du soutien aux PME de CDC Entreprises, membre du comité de direction de CDC Entreprise au titre de Bpifrance, M. Alain Renck, responsable de l’international d’Oséo, au titre de Bpifrance, M. Xavier Tessier, secrétaire général de CDC International, Mme Marie-Michèle Cazenave, responsable des affaires publiques (16 mai 2013)

– M. Jean-Pierre Cabestan, professor and head department of Government and International Studies - Faculty of Social Sciences - Hong Kong Baptist University (5 juin 2013)

– Mme Isabelle Bouillot, présidente de China Equity Links (6 juin 2013)

– M. Antoine Grassin, directeur général de Campus France et Mme Mathilde Mallet, directrice-adjointe de la promotion de l’enseignement supérieur (6 juin 2013)

– M. Alain Mérieux, président directeur général de l’Institut Mérieux (4 juillet 2013)

– M. Charles-Edouard Bouée, membre du comité exécutif de Roland Berger Strategie consultant (4 juillet 2013)

– M. Luc Oursel, président du directoire du groupe AREVA, accompagné de M. Jacques Gérault, directeur des Affaires publiques et M. Emmanuel Mignot, directeur-adjoint au directeur des Affaires publiques, en charge de l'international, M. Henri Proglio, président directeur général d’EDF, accompagné de M. Denis Lépée et M. Bertrand Le Thiec, M Philippe Delleur, directeur International d’ALSTOM (16 juillet 2013)

– M. Bruno Gensburger, directeur des affaires extérieures de Sanofi China, président du groupe de travail pharmaceutique de la Chambre de commerce européenne en Chine (EUCCC) et vice-Président de la CCIFC, M. Ronan Diot, Senior Associate chez Norton Rose Fulbright, président du groupe de travail affaires juridiques de l’EUCCC et M. François Bernard, dirigeant fondateur de FJA & Partners, secrétaire général de la section des conseillers du commerce extérieur de la France en Chine et Trésorier de l’EUCCC (19 septembre 2013)

– M. Jean-Marie Fardeau, directeur France de Human Right Watch (HWR) et Mme Sophie Fournier, assistante plaidoyer de HWR, M. David Knaute, responsable du Bureau Asie de la Fédération internationale des Droits de l’Homme (FIDH), M. Benjamin Ismaïl, Responsable du Bureau Asie de Reporters sans frontières (RSF) et Mme Marie Lemaire (16 octobre 2013)

– M. Henri Giscard d’Estaing, président directeur-général du Club Méditerranée, accompagné de Mme Caroline Bruel, directrice de la communication (17 octobre 2013)

– Mme Nicole Bricq, Ministre du commerce extérieur, accompagnée de Madame Béatrice Marre, conseillère, M. Yohann Petiot, chef de cabinet adjoint, conseiller technique chargé des relations avec le Parlement et les élus, M. Jonathan GINDT, conseiller technique chargé des relations bilatérales (5 novembre 2013)

– M. Jean-Marie Le Guen, député de Paris, président du Groupe d’amitié France-Chine, et les membres du Groupe d’amitié (27 novembre 2013)

2) À Bruxelles (le 14 mai 2013)

– Mme Rebecca Fabrizi, chef de la division en charge de la Chine auprès du service européen d'action extérieure

– M. Jean-Luc Demarty, directeur général en charge du commerce, commission européenne

– M. Tanguy de Wilde d’Estmael et M. Tanguy Struye de Swielande, chercheurs auprès de l'université catholique de Louvain

– Mme Stefanie Seedig, conseillère de la représentation permanente de l'Allemagne auprès de l'Union européenne

– M. Eric Sayettat, conseiller de la représentation permanente de la France auprès de l'union européenne

– M. Didier Herbert, directeur en charge de la compétitivité des entreprises, de l'industrie et des politiques de croissance, direction générale "Entreprises et Industrie" de la commission européenne

3) À Aubervilliers (le 16 mai 2013)

– M. Jacques Salvator, maire d'Aubervilliers, vice-président de Plaine Commune, M. Jean-François Monino, adjoint au Maire, vice-président de Plaine Commune, délégué général de l'association Aubervilliers-Plaine Commune-Shanghai 2010, M. Bernard Vincent, conseiller municipal, vice-président à l'Habitat et au Foncier de Plaine Commune et M. Mickaël Dahan, directeur de cabinet du maire

– M. Yves Wang, président de la société Fk immobilier

– M. Hsueh Sheng Wang, président du groupe Eurasia, société cotée

– M. Eric Tong, président du groupe Union

– M. Ling Lenzi, chargée de mission à la ville d'Aubervilliers pour les relations avec la communauté chinoise

– Visite de deux boutiques présentées par M. Hsueh Scheng Wang

– Visite du CIFA (Centre International France Asie)

– Visite du chantier du Fashion Center présenté par M. Eric Tong et M. Cliye Hu

4) En Chine (du 8 au 13 septembre 2013)

a) à Pékin (les 8 à 10 septembre 2013)

– Son Exc. Mme Sylvie-Agnès Bermann, ambassadeure de France en Chine, et ses collaborateurs : M. Jacques Pellet, ministre-conseiller ; M. Jean Leviol, ministre-conseiller pour les affaires économiques et financières, Colonel Serge Cholley, attaché de défense, M. Laurent Le Godec, premier secrétaire, Mme Sophie Maysonnave, première secrétaire, M. Joan Valadou, premier secrétaire, Mme Myriam Pavageau, première secrétaire, M. Anthony Chaumuzeau, conseiller de coopération et d’action culturelle, M. Norbert Paluch, conseiller pour la science et la technologie, Mme Elvire Aronica, conseillère pour les affaires sociales et la santé, Mme Sandrine Boucher, directrice de l’agence de Pékin de l’AFD, M. Pascal Gondrand, directeur du bureau Chine de l’AFII, M. Vincent Perrin, directeur du bureau de Pékin d’Ubifrance, M. Philippe Devaud, attaché de coopération technique, Mme Estelle Jacques, attachée sectorielle, politique commerciale

– Mme Fu Ying, présidente de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale populaire et M. Shao Ning, vice-président de la Commission des affaires économiques et sociales de l’Assemblée nationale populaire, M. Wang Longde, vice-président de la Commission de l’éducation, de la science, de la culture et des arts de l’Assemblée nationale populaire, M. Zheng Gongchang, membre de la Commission des affaires internes et juridiques de l’Assemblée nationale populaire

– Mme Wei Nanzhi, spécialiste des questions de vieillissement de la population et de protection sociale et Mme Elvire Aronica, conseillère pour les affaires sociales et la santé

– M. Li Wei, président du centre de recherche et de développement du Conseil d’Etat (DRC), M. Yu Bin, directeur du département de recherche macro-économique du DRC, M.Ge Yanfeng, directeur du département de recherche sur le développement social du DRC

– Mr. Francisco Perez Canado, responsable commerce et investissement de la délégation de l’union européenne en Chine

– Mme Christine Cayrol – centre d’art franco-chinois Yishu 8

– M. Li Jinjun, vice-ministre chargé de l’Europe de l’Ouest, de l’Afrique du Nord et de l’Asie de l’Ouest, du département de liaison internationale du Parti communiste chinois, et M. Qu Xing, président de l'Institut d'études internationales chinois (CIIS), M. Ding Yifan, directeur adjoint de l'Institut de recherche sur le développement mondial - centre de recherche sur le développement du Conseil des affaires de l'Etat (DRC), M. Zhang Jianping, directeur chargé de la coopération économique internationale à l'Institut de recherche sur l' économie internationale au sein de la commission nationale pour la réforme et le développement (NDRC), M. Feng Zhongping, directeur adjoint des Instituts de recherche sur les relations internationales contemporaines (CICIR)

– M. Marc Fressange, président-directeur général d’Ouhlala France, M. Ismaël Loncle, représentant en Chine de la société I-Tek, M. Frédéric Potie, directeur de l’assistance médicale pour l’Asie du Nord-Est d’Hôpital SOS International, M. Olivier Dessajan, directeur des opérations Chine de Colisée Patrimoine, M. Pierre Letêcheur, directeur du centre international pour la recherche thérapeutique de Servier Pharmaceutical R&D, ; M. Renaud Perez, directeur des opérations de Corys Beijing Simulation Technology, M. Loïc Herbe, représentant de Bureau Véritas, M. Didier Usclat, Senior Gas International Expert de GDF-Suez China et M. Pascal Gentil, chargé de mission de Veolia Environnemental Services China (Table-ronde avec des entreprises membres de la Chambre de commerce et d’industrie française en Chine, sur les thèmes de l’agro-alimentaire, la santé et la ville durable / transport)

– M. Wang Hongyi et Mme Jin Ling, chercheurs à l’Institut pour les études internationales de Chine et MM. Zhao Minghao et Wang Xun, chercheurs au centre chinois pour les études mondiales contemporaines

– M. Song Tao, vice-ministre des Affaires étrangères, chargé de l’Europe, accompagné notamment de M. Liu Haixing, directeur général d’Europe et M. Zhao Bin, sous-directeur chargé de la France

– Des représentants de la société civile actifs dans les domaines environnemental et de la gouvernance

– Des intellectuels, des chercheurs et des bloggeurs chinois

b) à Chengdu (le 11 septembre 2013)

– M. Emmanuel Rousseau, consul général de France à Chengdu, et ses collaborateurs : M. Sébastien Jouin, délégué du service économique de Pékin pour la Chine du Sud-Ouest et Mme Violaine Leloup, attachée de coopération et d’action culturelle

– M. Pierre Jorant, general manager de la Sichuan Aero Engines Company Maintenance (SSCMA) et M. Philippe Deloze, directeur du projet de nouveaux ateliers et leurs collaborateurs

– M. Zhu Zhihong, vice-maire de Chengdu, et ses collaborateurs

– M. Peng Yu, vice-président de l’Assemblée populaire de la province du Sichuan, Mme Qin Lin, présidente de la Commission des affaires étrangères et des affaires relatives aux ressortissants chinois à l’étranger de l’Assemblée populaire provinciale, Mme Zhang Tao, directrice-générale adjointe du département des affaires étrangères de la province ; M. Yan Dengchen, chef du bureau de la Commission des affaires étrangères et des affaires relatives aux ressortissants chinois à l’étranger de l’Assemblée populaire provinciale, M. Li Biao, directeur-adjoint de la division du protocole et de la presse du département des Affaires étrangères de la province et M. Yang Shimin, directeur-adjoint de la division des affaires consulaires du département des affaires étrangères de la province

– M. Jean Francois Vallée, directeur du studio d’Ubisoft (Chengdu High tech Zone)

c) à Shanghai (les 12 et 13 septembre 2013)

– M. Emmanuel Lenain, consul général de France à Shanghai, et ses collaborateurs : M. Laurent Triponey, consul général adjoint, M. Laurent Martin, conseiller économique, Mme Amaëlle Mayer, attachée universitaire, Mme Chen Youyao, assistante de l’Attachée universitaire, Mme Marion Bertagna, attachée culturelle, M. Frédéric Bretar, attaché pour la Science et la Technologie, Mme Isabelle Fernandez, directrice Chine d’Ubifrance et directrice du bureau de Shanghai, Mmes Xiling Rao et Huixin Guo, assistantes

– M. Jean-Maurice Hébrard, directeur d’ERAI Chine, M. Kong De, directeur général Chine de la société MGJ et Mme LiangYe, directrice générale de la société SIC Marking (Espace Rhône-Alpes/ incubateur Implantis)

– M. Francis Canet, directeur général de Pierre Fabre en Chine, M. Pannya Khamphommala, directeur général d’Oxylane (Decathlon), Mme Marine Dronet, directrice des ventes Asie Pacifique de Christofle, Mme Laure Kruithof, directrice des ventes Chine de ÏD Group, M. Thomas Morlot, directeur de la stratégie et du développement commercial d’Etam Chine

– M. Arnaud Favry, responsable du développement de l'Institut Mérieux en Chine et M. Pascal Vincelot, vice-président opérations commerciales Biomérieux

– Mlle Zhu Yuan, directrice académique de l’Institut franco-chinois d’ingénierie et de management de l’Université Tongji, Mlle Li Zejun, coordinatrice des projets francophones au bureau des relations internationales de l'université de Tongji, M. Yves Demay, directeur général de l'Ecole Polytechnique, Mme Gaëlle Legoff, représentante de ParisTech en Chine et M. Cédric Denis-Remi, directeur français de l’école ParisTechn Shanghai Jiatong

– M. Bernard Arnault, président directeur-général de LVMH

– M. Dominique de Boisseson, président du fonds d’investissement A-Capital Asia et vice-résident à Shanghai de la section Chine des conseillers du commerce extérieur et près d’une trentaine de conseillers du commerce extérieur (sur 48)

– Les agents du centre de traitement externalisé des demandes de visas TLS

– M. Pierre-Frédéric Lebelle, directeur du China Tech Center de PSA à Shanghai

– M. Chen Tao, professeur agrégé de communication visuelle, M. Mao Kaili, médecin, M. Zhang Yong, directeur des relations internationales de Rujin Hospital, Mme Juliette Huang, chargée de la pédagogie à l’Alliance française de Shanghai, Mme Song Siheng, pianiste, Mme Huang Yaqin, éditrice francophone, M. He Jiawei, éditeur, Mme Qiu Shuwei, chanteuse lyrique, Mme Ren Yi, professeure de français, M. Sheng Song, scientifique, M. Zhang Chen, ingénieur, M. Li Linjie, manager, tous membres de Club France

e) à Suzhou (le 13 septembre 2013)

– M. Jean-François Vergniaud, directeur français de l’Institut franco-chinois (IFC) Renmin de l’Université du Peuple de Chine, M. Hugues Boiteau, secrétaire général de l’IFC, M. Alain-James Palisse, responsable scolarité de l’IFC, M. Pascal Aquien, vice-président du conseil scientifique de l’Université de Paris-Sorbonne (Paris IV), M. Yann Bisiou, vice-président du conseil d’administration de l’Université Paul Valéry (Montpellier 3), M. Yang Weiguo, doyen de l’IFC, Mme Liu Xiaomei et M. Li Mingkui, vice-doyens du campus de Suzhou de l’Université Renmin

1 La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

2 () La liste des personnes auditionnées figure en annexe au rapport.

3 () Le 15 novembre 2012, la première session plénière du Comité central du Parti communiste chinois a permis d’élire sept membres du Comité permanent du Bureau politique du Comité central du PCC. Il s’agit de Xi Jinping, Li Keqiang, Zhang Dejiang, Yu Zhengsheng, Liu Yunshan, Wang Qishan et Zhang Gaoli. Le premier a été élu Président de la République populaire de Chine le 14 mars 2013 et le second Premier ministre le 15 mars 2013 par l’Assemblée nationale populaire chinoise.

4 () Lettre du CEPII n°298, avril 2010, intitulée : Chine, fin du modèle de croissance extravertie.

5 () Président Directeur-général de Schneider Electric.

6 () Le renminbi est le nom officiel de la monnaie chinoise, ou monnaie du peuple, le yuan étant l’unité de compte.

7 () Il est très difficile de donner le nombre d’habitants des villes car les statistiques intègrent des zones péri-urbaines, parfois mêmes rurales.

8 () D’après les données du ministère chinois du Commerce, les filiales d’entreprises chinoises établies en Europe emploient 45 000 personnes. Les destinations européennes privilégiées par les entreprises chinoises sont l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France (plus l’Espagne dans une moindre mesure) qui, à eux seuls, accueillent environ la moitié des investissements chinois physiques en Europe.

9 () Global Economics Paper N° 99. Dreaming with the BRICs. The path to 2050.

10 () Global Economics Paper n°192, The Long-Term Outlook for the BRICs and N-11 Post Crisis.

11 () The BRICS remain in the fast lane.

12 () Lettre du CEPII n°298 précitée.

13 () « high cost era », expression empruntée au rapport du Think tank Marco Polo, L’entreprenariat en Chine, Pékin, 2013.

14 () Audition devant la commission des Affaires étrangères du 21 novembre 2012.

15 () « An Asia-Pacific crisis remains unlikely but the signs are here » (une crise en Asie-Pacifique demeure improbable mais les signes sont là).

16 () Cette masculinisation n’est autre que la conséquence directe de la forte baisse de la fécondité depuis les années 1970, dans un contexte de préférence traditionnelle pour les fils. Les avortements sélectifs sont encore aujourd’hui monnaie courante, et cette tendance continue même d’augmenter malgré l’interdiction pour les médecins, depuis 1994, de révéler le sexe de l’enfant à naître – interdiction largement contournée. Depuis quelques années, il est même possible d’acheter sur internet des kits ADN permettant de déterminer soi-même le sexe de l’enfant (mais qui ne sont théoriquement pas commercialisés en Chine). Ces discriminations envers les filles ne sont pas uniquement le résultat de la politique de l’enfant unique ; en Chine, la réussite sociale est surtout projetée sur les fils.

17 () Il convient de rappeler que la démographie, contrairement aux sciences économiques, est une discipline marquée par l’inertie : 2050 c’est déjà demain. À moins d’une politique nataliste à grande échelle – ce qui n’est absolument pas à l’ordre du jour aujourd’hui –, la politique générale n’aura pas d’impact significatif sur ces évolutions démographiques et les mesures qui seraient prises aujourd’hui n’auraient de toute façon d’effet réel qu’au-delà de 2050. Il en va de même concernant les migrations internationales, qui restent marginales si on les ramène à la population chinoise totale (quelques millions de migrants sur plus de 1,3 milliard de Chinois).

18 () Professeur à la Faculté des Sciences sociales de la Hong Kong Baptist University.

19 () L’automatisation pourrait ainsi jeter à la rue des centaines de migrants. Foxcom (entreprise taïwanaise d’Apple) emploie 1,2 million d’employés et vient de commander un million de robots pour numériser et digitaliser la production en Chine (le foxbot).

20 () Rapport sur le développement humain 2013, L’essor du Sud : le progrès humain dans un monde diversifié, Programme des Nations-Unies pour le développement.

21 () Il est de 0,27 en France.

22 () Audition devant la Commission des Affaires étrangères au cours de sa réunion du 8 novembre 2012.

23 () Ce système, directement inspiré de celui de la propiska soviétique, a été légalisé le 9 janvier 1958, lorsque le Comité permanent de l’Assemblée populaire nationale (APN) avec les Règlements concernant l’enregistrement des ménages en République populaire de Chine. Sur ce livret figurent notamment le statut du hukou possédé : agricole ou non agricole, les personnes travaillant pour l’État en milieu rural relevant de ce dernier statut, et le nom de la localité où le hukou a été enregistré. Le statut non agricole permettait de bénéficier d’une prise en charge complète par l’État. En effet, jusque dans les années 1990, les salariés urbains dépendaient d’une unité de travail, qui remplissait un rôle de « structure-providence » en fournissant à ses travailleurs un logement, une couverture santé, un système d’éducation pour leurs enfants, ainsi qu’une pension de retraite une fois l’âge de la retraite atteint. C’était le système « du berceau à la tombe » institué par Mao. Le lieu d’enregistrement du Hukou déterminait quant à lui l’unité de travail et donc les droits et devoirs associés.

24 () Jiang Qing, la femme de Mao Zedong, Zhang Chunqiao, Wang Hongwen et Yao Wenyuan, arrêtés le 6 octobre 1976, un mois après la mort de Mao.

25 () Benke, c’est-à-dire licence longue (bac + 3 ou 4) et Zuankhe, c’est-à-dire licence courte, Bac +2 ou3.

26 () Ces données, ainsi que celles qui suivent, sauf mention contraire, sont extraites du n°14 de la série Les Dossiers de Campus France, consacré à la Chine et daté de juin 2013, et du n°32 de la série Les notes de Campus France, consacré à la mobilité des étudiants d’Asie et d’Océanie, daté de juillet 2011.

27 () A titre de comparaison, la France compte au total environ 100 000 étudiants en mobilité internationale, dont 60 000 en Erasmus, sur un total de 2,8 millions d’étudiants, soit un taux de mobilité d’environ 4%.

28 () Crise de l’eau potable en Chine de Jin Jing, La Grande époque, 30 avril 2011.

29 () À titre d’exemple, on dit qu’une page a été « harmonisée » lorsqu’elle est effacée, en référence à la société harmonieuse, la session parlementaire de mars de cette année a été surnommée la « fashion show ».

30 () membre du comité exécutif de Roland Berger Strategie consultant.

31 () La date du 1er octobre n’est pas anodine : il s’agit de la date anniversaire de la fondation par Mao Zedong du régime communiste.

32 () Frédéric Thomas, De quoi la relation Chine – Amérique latine est-elle le nom ?, Mémoire des luttes, décembre 2012.

33 () Selon la land matrix d’avril 2013 (www.landmatrix.org), les dix plus importants acteurs des acquisitions foncières en Afrique sont (en million d’hectares): les Émirats Arabes Unis (1,9), l’Inde (1,8), le Royaume-Uni (1,5), les USA (1,4), l’Afrique du Sud (1,3), l’Italie (0,6), l’Allemagne (0,5), le Soudan (0,5), l’Éthiopie (0,4) et le Portugal (0,4). Données exploitées par Phiippe Kersting, La Chine est-elle un acteur majeur de l’accaparement des terres en Afrique?, ICTSD, Passerelles, Août 2013.

34 () Chiffre donné par Stéphanie Balme dans son ouvrage La tentation de la Chine, Nouvelles idées reçues sur un pays en mutation, Le Cavalier Bleu, 2013, p 283.

35 () Henry Kissinger, De la Chine, Fayard, 2012.

36 () . Contrairement à l’idée répandue, la Chine n’est pas historiquement un acteur naval sur le plan militaire. Les expéditions maritimes de Zheng He, célèbre explorateur chinois du XVème siècle, n’étaient en réalité que des expéditions à visée commerciale effectuées à bord de grands bateaux.

37 () On soulignera à la lecture de ces programmes que l’armée américaine ne sert pas de modèle seulement pour les uniformes. Des observateurs résument la situation en ces termes, rapportés par Jean-Vincent Brisset : « tout ce que les Américains ont, les Chinois le veulent ; tout ce que les Chinois ont, les Indiens le veulent ».

38 () Les États-Unis ne l’ont pas ratifié non plus.

39 () Un « swap » (échange en anglais) peut se définir comme étant un accord entre deux parties qui s’entendent pour procéder à un échange d’actifs financiers. Il en découle ainsi que c’est une forme d’arrangement qui consiste à effectuer une transaction à double sens d’actifs financiers.

40 () Jean-Pierre Raffarin s’est rendu en Chine pour la première fois en 1971 et y a effectué de nombreux déplacements depuis lors. Il jouit en Chine d’une grande popularité par suite notamment du maintien de sa visite officielle en qualité de Premier ministre en avril 2003, c'est-à-dire au moment où l’épidémie de SRAS battait son plein. Il continue à œuvrer pour le renforcement des relations bilatérales notamment économiques. Il est ainsi Président du Forum annuel du Comité France-Chine et membre du Forum de Boao (le « Davos » asiatique).

41 () Formule pertinente empruntée à Charles-Edouard Bouée.

42 () Sa mission est financée par le programme 185 « Diplomatie culturelle et d’influence » de la Mission « Action extérieure de l’État » pour ses déplacements et missions, elle peut s’appuyer sur les directions centrales du ministère des Affaires étrangères et dispose d’un point de contact dédié à la Direction des entreprises et de l’économie internationale.

43 () C’est à cette date que le partenariat sino-britannique lancé en 1998 a été rehaussé en partenariat stratégique global.

44 () Dialogue stratégique et économique annuel (S&ED)

45 () Dialogue stratégique annuel au niveau des ministres des Affaires étrangères.

46 () Entreprises qui d’une part occupent moins de 10 personnes et d’autre part ont un chiffre d’affaires annuel ou un total de bilan n’excédant pas 2 millions d’euros

47 () Audition devant la commission des Affaires étrangères le 26 mars 2013.

48 () LUO, 2007, Guangxi and Business, ASIA-PACIFIC BUSINESS SERIES, volume 5, 2è edition, cite par Wikipédia.

49 () Si la France a déjà fait savoir qu’elle était favorable à la levée de l’embargo institué le 27 juin 1989, la tentative d’obtenir sa levée en 2004-2005 s’est soldée par un échec cuisant. D’abord, il y a eu des menaces concrètes et précises de représailles de la part des États-Unis. Ensuite, les institutions européennes et une partie des États membres n’y étaient pas favorables. Enfin, il n’y avait pas, côté chinois, le début d’une évaluation d’une compensation. Il faudra donc le jour venu trouver une conjoncture plus favorable.

50 () Le décret du 30 décembre 2005 fixe, de façon transparente, une série d’une dizaine d’activités considérées comme sensibles par les autorités françaises. Il s’agit notamment d’activités susceptibles d’intéresser la sécurité nationale ou l’ordre public. Certains projets d’investissement suscitent parfois des interrogations, comme par exemple dans le secteur des télécommunications, où le matériel peut être produit ou vendu par des groupes étrangers. Dans un tel cas, on fait alors appel aux services compétents afin d’obtenir une expertise technique. Toute entreprise étrangère désireuse d’investir dans l’un des domaines cités par le décret doit soumettre une demande d’autorisation préalable au ministère de l’Économie et des finances, qui se prononce dans un délai de deux mois.

51 () Citée par Roxana Azimi, dans son article paru dans le Monde du 24 octobre 2013, Les musées français courtisent les collectionneurs chinois.

52 () Le nom de l’association s’explique par le fait qu’initialement Carrefour cherchait à participer à la lutte contre le travail des enfants, avant que les négociations pour un partenariat avec la DIFH n’aboutisse à un objet plus large.

53 () Comme leur intitulé le laisse suggérer, ces passeports sont délivrés par le Ministère des Affaires étrangères chinois aux membres des collectivités territoriales, aux scientifiques et universitaires ainsi qu’aux dirigeants et personnels des entreprises publiques et parapubliques au niveau local et national. Or ces demandes sont déposées, conformément aux instructions, sous couvert d’une note verbale du Ministère des Affaires étrangères chinois, qui stipule la durée de validité du visa demandé (souvent très courte, limitée aux strictes dates d’un séjour), durée à laquelle le consulat est tenu de se conformer.

54 () passeport valable + copie des précédents visas et cachets, 1 formulaire de demande de visa + 2 photos, une lettre d’invitation de la société ou de l’organisation invitante (la lettre d’invitation reprendra les coordonnées de la personne invitée, les coordonnées complètes de la société invitante ainsi que le nom et la fonction de la personne ayant signé l’invitation), preuve de moyens financiers pour la durée du séjour et une assurance-voyage (valable pour l’ensemble des États Schengen et d’une couverture minimale de 30.000 €).

55 () Tout établissement qui souhaite avoir une implantation en Chine doit se soumettre à un règlement strict, imposé par le gouvernement chinois, qui le contraint à s’associer obligatoirement avec une université chinoise. Tout campus délocalisé doit avoir un président de nationalité chinoise, être contrôlé au moins à 50 % par la partie chinoise. Un institut à but lucratif est interdit. Toutefois, il est possible de prévoir un retour raisonnable sur investissement après avoir réinvesti au moins 25 % de la croissance annuelle des actifs nets dans un fonds de développement pour la construction et la maintenance de l’institut et l’achat et le remplacement des équipements éducatifs. Le processus d’accréditation permettant à une école ou université étrangère d’avoir son diplôme/curriculum reconnu par le ministère de l’Éducation chinois est long, il l’est d’autant plus en cas de demande de déplafonnement de frais de scolarité, dont les montants sont extrêmement réglementés.

56 () Une quarantaine de domaines viticoles, bordelais en grande majorité, sont détenus par des intérêts chinois).

57 () Audition devant la commission des Affaires étrangères du 5 juin 2013.

58 () C’est-à-dire des entreprises détenues par des capitaux chinois et ayant réalisé une implantation en France. La structure juridique de ces implantations est française. Les personnels, en revanche, peuvent être de toute nationalité.

59 () HNA a pris également, à l’automne 2012, une participation importante dans la compagnie aérienne française Aigle Azur.

60 À cette liste de personnes rencontrées dans le cadre spécifique des travaux de la Mission d’information, s’ajoutent les auditions de la Commission des Affaires étrangères suivantes :

– Table ronde sur la Chine en présence de M. Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au CERI-Sciences Po, et de M. François Godement, professeur des universités à l’Institut d’études politiques de Paris (21 novembre 2012)

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Valérie Niquet, responsable Asie à la Fondation de la recherche stratégique, et de M. Pascal Dayez-Burgeon, directeur-adjoint de l’Institut des sciences de la communication du CNRS, sur la Corée du Nord (24 avril 2013)

– Audition de Mme Elisabeth Laurin, Directrice d’Asie et d’Océanie au ministère des Affaires étrangères (15 mai 2013)

– Audition, ouverte à la presse, de Mme Martine Aubry, représentante spéciale pour la diplomatie économique avec la Chine (5 juin 2013)


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