N° 1753 - Rapport d'information de Mme Ségolène Neuville déposé par la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale




N
° 
1753

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 janvier 2014.

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1) SUR LE PROJET DE LOI (n° 1721) relatif
à la
formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale,

PAR

Mme Ségolène NEUVILLE,

Députée

——

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Catherine Coutelle, présidente ; Mme Conchita Lacuey, Mme Monique Orphé, M. Christophe Sirugue, Mme Marie-Jo Zimmermann, vice-présidents ; Mme Édith Gueugneau ; Mme Cécile Untermaier, secrétaires ; Mme Marie-Noëlle Battistel ; Mme Huguette Bello ; M. Jean-Louis Borloo ; Mme Brigitte Bourguignon ; Mme Marie-George Buffet ; Mme Pascale Crozon ; M. Sébastien Denaja ; Mme Sophie Dessus ; Mme Marianne Dubois ; Mme Virginie Duby-Muller ; Mme Martine Faure ; M. Guy Geoffroy ; Mme Claude Greff ; Mme Françoise Guégot ; M. Guénhaël Huet ; Mme Valérie Lacroute ; Mme Sonia Lagarde ; M. Serge Letchimy ; Mme Geneviève Levy ; Mme Martine Lignières-Cassou ; M. Jacques Moignard ; Mme Dominique Nachury ; Mme Ségolène Neuville ; Mme Maud Olivier ; Mme Barbara Pompili ; Mme Josette Pons ; Mme Catherine Quéré ; Mme Barbara Romagnan ; M. Philippe Vitel.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. DES INÉGALITÉS DE GENRE PERSISTANTES EN MATIÈRE DE FORMATION PROFESSIONNELLE ET D’APPRENTISSAGE 9

A. DES DISPARITÉS D’ACCÈS À LA FORMATION, EN PARTICULIER POUR LES FEMMES PEU QUALIFIÉES 9

1. Un système de formation professionnelle à bout de souffle 9

a. Des enjeux majeurs 9

b. Un dispositif cependant complexe et inégalitaire 11

2. Des difficultés accrues pour les femmes 14

a. Des disparités femmes-hommes en matière d’accès à l’apprentissage et la formation continue, par ailleurs moins souvent qualifiante 14

b. Des contraintes plus fortes pour accéder à la formation liées notamment à la réorganisation de la vie personnelle 16

B. UNE RÉPARTITION SEXUÉE DES MÉTIERS ET DES TYPES DE FORMATIONS : LES « PAROIS DE VERRE » 18

1. Une ségrégation professionnelle qui s’opère au détriment des femmes 18

a. Une surreprésentation dans les emplois peu qualifiés et à temps partiel 18

b. Une concentration de près de la moitié des femmes sur une dizaine de métiers 19

2. Des facteurs multiples qui appellent une action systémique mobilisant tous les leviers, dont l’orientation et la formation 21

a. La division sexuée du travail : entre héritage scolaire et construction sur le marché du travail 21

b. Un enjeu central : déconstruire les stéréotypes de genre 22

C. UNE NOUVELLE DYNAMIQUE : UN PROJET DE LOI S’INSCRIVANT DANS LE PROLONGEMENT DE PLUSIEURS AVANCÉÉS 23

1. Dans le cadre d’une dynamique partenariale mobilisatrice 23

a. Un plan de formations prioritaires pour l’emploi, engagé avec les régions et les partenaires sociaux 23

b. Un dialogue social revivifié : les accords nationaux conclus en 2013 sur la sécurisation de l’emploi, l’égalité et la qualité de vie au travail 25

2. Dans le cadre d’une approche intégrée de l’égalité (gender mainstreaming) s’appuyant sur une feuille de route interministérielle 28

a. Un objectif d’égalité pris en compte dans le déploiement des politiques publiques en matière d’emploi, d’orientation et de formation 29

b. Un programme d’actions ambitieux annoncé en janvier 2014 et dont l’une des priorités est de promouvoir la mixité des métiers 31

II. UNE RÉFORME STRUCTURANTE ET AMBITIEUSE QUI DOIT AUSSI BÉNÉFICIER AUX FEMMES 32

A. UNE PLUS GRANDE ÉQUITÉ DANS L’ACCÈS À LA FORMATION 32

1. Une innovation majeure : la création du compte personnel de formation, clé de voûte de la réforme (article 1er) 32

a. Une réforme qui permettra d’accroître l’efficacité du système de formation professionnelle et de mieux l’orienter vers les plus fragiles 33

b. Une amélioration nécessaire du dispositif proposé pour donner aux salarié-e-s à temps partiel les mêmes droits à la formation 35

2. Des mesures d’accompagnement pour faciliter l’accès des femmes à la formation 37

a. Dans le cadre du dialogue salariés-employeurs (article 2), au niveau individuel et collectif : entretiens professionnels et accords de branche 37

b. Une adaptation de l’offre de formation aux contraintes des femmes 39

B. UNE AMÉLIORATION DE LA GOUVERNANCE ET DU PILOTAGE SUSCEPTIBLE DE FAVORISER AUSSI LA MIXITÉ PROFESSIONNELLE 42

1. Concernant l’apprentissage et l’orientation tout au long de la vie 42

a. Promouvoir une plus grande mixité de l’apprentissage (articles 6 et 7) 42

b. Promouvoir une plus grande mixité grâce au service public de l’orientation et au conseil en évolution professionnelle (article 12) 45

2. Concernant la coordination des politiques d’orientation, de formation et d’emploi aux niveaux national et régional 47

a. Un renforcement nécessaire du pilotage des politiques (article 14) 47

b. Un objectif de mixité et de lutte contre les stéréotypes de genre à intégrer clairement dans les documents de programmation régionaux et les missions des instances de coordination (articles 11, 13 et 14) 48

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 51

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES 63

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION 65

ANNEXE 1 113

ANNEXE 2 115

Mesdames, Messieurs,

Le 14 décembre dernier, les partenaires sociaux parvenaient à un accord sur la formation professionnelle, au terme de longues négociations qui apparaissent aujourd’hui comme une belle réussite du dialogue social. Qualifié dès le lendemain de sa signature de « majeur » par le président de la République, M. François Hollande, cet accord, après avoir été ratifié par la plupart des organisations syndicales et par le patronat (2), garantit enfin à tous les salariés un droit à la formation professionnelle.

C’est une étape décisive du processus de modernisation et d’enrichissement du système français de formation professionnelle qui a été ainsi franchie, et qui va permettre de mettre en œuvre l’un des engagements pris par le chef de l’État, alors candidat, pendant la campagne présidentielle : chaque salarié doit pouvoir accéder à la formation professionnelle.

Le Parlement est aujourd’hui invité à apporter sa contribution à l’édification de ce nouveau dispositif de formation professionnelle, en donnant force de loi aux dispositions de l’accord. Tel est l’objet principal du projet de loi que le Gouvernement vient de déposer sur le bureau de l’Assemblée nationale, qui transpose donc cet accord dans notre droit positif. Mais sa portée va bien au-delà, avec l’ambition de remettre la France au niveau des pays européens, la qualification insuffisante des salariés et des chômeurs étant un des handicaps de notre économie pour affronter les mutations inévitables. Le texte comporte en effet un certain nombre de dispositions intéressant l’apprentissage et les politiques d’emploi, de formation et d’orientation, avec la poursuite de la décentralisation, ainsi qu’un volet relatif à la démocratie sociale, le dernier titre étant consacré à l’inspection du travail et au contrôle des politiques.

Cette réforme d’envergure de la formation professionnelle, laquelle est, aux termes de l’article L. 6111-1 du code du travail, « une obligation nationale », offrira aux salariés de nouveaux moyens pour sécuriser leur parcours professionnel, à son commencement et tout au long de son déroulement.

Votre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a considéré qu’il entrait dans ses attributions d’évaluer ces nouveaux moyens du point de vue des femmes. Faut-il rappeler que le code du travail comporte, dans sa sixième partie consacrée à la formation professionnelle, une subdivision interne intitulée : « Égalité d’accès entre les femmes et les hommes » (articles L. 6112-1 et suivants) ? La formation professionnelle apparaît ainsi, du moins en théorie, comme un levier pertinent pour promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, même si, de fait, cette question est restée un angle mort des réformes engagées dans ce domaine au cours de la dernière décennie.

Pourtant, alors que les femmes occupent deux tiers des emplois non qualifiés et représentent plus de 80 % des temps partiels, alors même qu’elles devraient donc légitimement être l’un des publics prioritaires, on observe encore des écarts de huit à neuf points entre les taux d’accès des hommes et des femmes à la formation continue, pour ce qui concerne les catégories socio-professionnelles les moins qualifiées (ouvrières et employées). De façon générale, les femmes bénéficient aussi moins souvent de formations qualifiantes.

La recherche d’une plus grande équité dans l’accès à la formation professionnelle tout au long de la vie, pour nécessaire qu’elle soit, ne doit pas pour autant occulter l’autre enjeu majeur d’une réforme de ce dispositif, c’est-à-dire la volonté d’une plus grande mixité des métiers et des filières de formation. Faut-il encore rappeler qu’en France, près de la moitié des femmes se concentre toujours dans une dizaine d’emplois, souvent peu valorisés, et que seuls 19 métiers sont vraiment mixtes aujourd’hui (3) ?

Ainsi, comme l’a souligné le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, lors d’un discours prononcé le 6 janvier 2014, « l’emploi des femmes doit devenir un pilier de notre nouveau modèle social. (…) C’est aujourd’hui l’un des objectifs du compte personnel de formation. (…) Mais chacun doit aussi être conscient qu’il n’y aura pas de progression de l’emploi des femmes sans une amélioration de la qualité des emplois qu’elle occupe. Et cela implique une véritable mixité des métiers (4) ». La mixité des métiers est une des clés pour aboutir à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, et par ricochet l’égalité des retraites entre les femmes et les hommes.

Au regard de ces enjeux, votre Délégation a donc décidé de se saisir du projet de loi et a désigné votre rapporteure le 14 janvier dernier, avant même l’adoption du texte en Conseil des ministres, le 22 janvier. Compte tenu du calendrier très contraint dans lequel ses travaux se trouvaient enserrés, votre Délégation a commencé ses premières auditions dès le 14 janvier, pour, indépendamment du contenu même du projet, pouvoir faire rapidement un état des lieux et évaluer la situation des femmes dans le dispositif général de formation professionnelle.

En dépit de ces brefs délais, la Délégation a pu entendre, au cours de cinq réunions, les représentant-e-s des régions, des organisations syndicales de salariés et du ministère du travail, ainsi que le président de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). L’audition de plusieurs expertes sur ces questions – notamment la vice-présidente de la Délégation aux droits des femmes du Conseil économique, social et environnemental (CESE), par ailleurs vice-présidente de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), ainsi que la dirigeante d’une société de gestion de carrière au féminin – a également permis d’apporter une contribution précieuse à ces travaux. Par ailleurs, votre rapporteure a pu prendre part aux auditions organisées par le rapporteur au nom de la commission des Affaires sociales saisie au fond, M. Jean-Patrick Gille.

Au terme de ces travaux, la Délégation a adopté une série de recommandations, fondées sur trois orientations stratégiques : faciliter l’accès des femmes à la formation, promouvoir la mixité des métiers et développer la parité. Cela suppose notamment d’améliorer le pilotage des politiques, d’adapter l’offre de formation et de soutenir la diffusion des bonnes pratiques, mais aussi, et avant tout, de lutter activement contre les stéréotypes de genre, à tous les niveaux.

I. DES INÉGALITÉS DE GENRE PERSISTANTES EN MATIÈRE DE FORMATION PROFESSIONNELLE ET D’APPRENTISSAGE

En dépit de progrès dans certains domaines, on observe encore des écarts sexués d’accès à la formation, mais aussi des divergences marquées quant à la nature même des formations suivies, avec une véritable « ségrégation professionnelle » liée à la répartition des métiers entre les hommes et les femmes.

Cependant, l’impulsion d’une nouvelle dynamique a d’ores et déjà permis plusieurs avancées tangibles, dans le prolongement desquelles s’inscrit le présent projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale aujourd’hui soumis à notre examen.

A. DES DISPARITÉS D’ACCÈS À LA FORMATION, EN PARTICULIER POUR LES FEMMES PEU QUALIFIÉES

1. Un système de formation professionnelle à bout de souffle

Alors que des moyens importants sont consacrés à la formation professionnelle, le système actuel peine à répondre aux enjeux prioritaires, du fait notamment de la complexité et du cloisonnement qui le caractérisent.

a. Des enjeux majeurs

● Au regard des finalités de la formation professionnelle

Le droit à la formation professionnelle est inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 (5), mais c’est la loi du 16 juillet 1971, portée par Jacques Delors, suite à l’accord national interprofessionnel (ANI) du 9 juillet 1970, qui va jeter les bases du système de formation professionnelle français (6).

Dans un contexte de chômage quasiment inexistant, la loi était alors pensée pour les seuls salariés et visait à garantir le financement pérenne de la formation continue. Il s’agissait ainsi de permettre l’adaptation des salariés aux évolutions de l’entreprise et donc aux mutations économiques, mais aussi de donner une « deuxième chance  » après la formation initiale.

La loi de 1971 fonde le système de formation continue sur trois piliers : une obligation de financement par les entreprises de 10 salariés et plus ; une gestion paritaire de la collecte des fonds, assorti d’un principe de mutualisation de ceux non utilisés directement par les entreprises ;  la recherche d’un équilibre entre les besoins des entreprises, à travers le plan de formation, et ceux des salariés, avec la création du congé individuel de formation (CIF).

Le système actuel repose encore sur ce trépied. Cependant, avec la crise économique, la progression du chômage et la discontinuité croissante des trajectoires professionnelles, les objectifs initiaux ont évolué. À partir des années 1980, les pouvoirs publics ont en effet mobilisé la formation professionnelle pour lutter contre le chômage, à travers des dispositifs en direction des jeunes en insertion et des demandeurs d’emploi. Elle s’est ainsi progressivement imposée comme un instrument essentiel de la politique de l’emploi.

Cette tendance a instauré une césure croissante entre la formation des salariés, financée et organisée par les entreprises, et celle des demandeurs d’emploi, sous la responsabilité de l’État et, à partir de la première décentralisation, des régions. Prenant acte de cette évolution, la loi du 4 mai 2004 sur la formation professionnelle a notamment inscrit parmi ses objectifs celui de « favoriser l’insertion ou la réinsertion professionnelle des travailleurs » et de « permettre leur maintien dans l’emploi ». Le concept de « formation professionnelle tout au long de la vie » fait alors son apparition : il désigne un processus devant intégrer la formation initiale (FPI), dont l’apprentissage, la formation professionnelle continue (FPC) et la validation des acquis de l’expérience (VAE).

Aux termes de l’article L. 6111-1 du code du travail, tel qu’issu de la loi du 24 novembre 2009, la formation professionnelle tout au long de la vie « vise à permettre à chaque personne, indépendamment de son statut, d'acquérir et d’actualiser des connaissances et des compétences favorisant son évolution professionnelle, ainsi que de progresser d’au moins un niveau de qualification au cours de sa vie professionnelle. Une stratégie nationale coordonnée est définie et mise en œuvre par l’État, les régions et les partenaires sociaux ».

Dans les faits, la réalité est cependant toute autre, compte tenu du cloisonnement des dispositifs de formation professionnelle, ciblés sur des publics spécifiques et mal articulés entre financeurs (cf. infra). Or, les réformes engagées au cours de ces dernières années n’ont eu qu’une portée limitée, en multipliant les ajustements, parfois positifs, sans jamais réinterroger le système dans sa globalité, et en occultant par ailleurs les questions d’égalité femmes-hommes.

Enfin, l’objectif d’adaptation aux mutations économiques a été enrichi de celui de la « sécurisation des parcours professionnels (7)  ». Dans un contexte de précarisation de l’emploi, il convient en effet de faciliter les transitions, et pour cela, au-delà de la responsabilité de l’employeur, de donner aux individus (salariés et demandeurs d’emploi) les moyens de suivre des formations pour améliorer leur qualification professionnelle. Il s’agit là d’un enjeu important de la création du compte personnel de formation (cf. infra). Cela suppose aussi une adaptation réactive de l’appareil de formation aux besoins de l’économie.

● Au regard des moyens importants qui lui sont consacrés

En 2011, 32 milliards d’euros ont été consacrés à la formation professionnelle continue et à l’apprentissage (8), soit un effort financier de près de 1,6 % du produit intérieur brut (PIB), comme l’illustre le graphique ci-dessous. Les entreprises restent de loin le principal financeur de la formation professionnelle continue et de l’apprentissage, avec 43 % de la dépense totale. L’État est le deuxième contributeur, avec 15 % de la dépense, les régions étant le troisième financeur, avec 14 % de la dépense globale.

DÉPENSE GLOBALE POUR LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET L’APPRENTISSAGE

(en millions d’euros)

Source : Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), « La dépense nationale de formation professionnelle et d’apprentissage en 2011 » (décembre 2013)

Votre rapporteure observe cependant que ni les documents budgétaires, ni les études de la Dares ne permettent actuellement de mesurer, ni a fortiori de suivre dans le temps, la part de cette dépense bénéficiant aux femmes.

b. Un dispositif cependant complexe et inégalitaire

Le système français de formation professionnelle se caractérise par l’obligation de dépense qui pèse sur l’ensemble des entreprises, lesquelles consacrent une part importante de leur masse salariale au financement de la formation (9). Elles peuvent s’acquitter de leur obligation selon trois modalités : le financement direct d’actions de formation, le versement à un organisme paritaire collecteur agréé (OPCA), ou encore à défaut, un versement au Trésor public. L’expression « former ou payer » illustre cette particularité du système.

Les OPCA collectent et redistribuent environ 40 % des dépenses totales des entreprises. Outre la gestion des fonds, ils doivent informer les entreprises et les salariés afin de favoriser le développement de la formation continue. L’État et les régions interviennent auprès des jeunes et des demandeurs d’emploi.

Le système actuel présente toutefois plusieurs limites, et d’abord la singulière complexité qui le caractérise. En effet, à l’émiettement de l’offre de formation (plus de 53 000 organismes privés, mais aussi l’Afpa, les Greta, le Cnam (10), le réseau des chambres consulaires, etc.), s’ajoute une organisation « en tuyaux d’orgue », avec un cloisonnement des dispositifs de formation, selon les publics, et des financements (11). Or ceci peut constituer un frein à la continuité des actions de formation, lorsque le statut de la personne change, et générer des délais d’attente.

Reposant essentiellement sur le respect d’une obligation de financement, le système actuel s’inscrit finalement davantage dans une logique de moyens, au détriment des finalités, et l’accès à la qualification en particulier (12).

LES PRINCIPAUX DISPOSITIFS ACTUELS

Demandeur d’emploi

Si l’employeur le propose

À l’initiative du salarié

– Formation de la région ou de Pôle Emploi

– CIF-CDD

– Aides individuelles diverses

– Formation courte d’adaptation

– Formation qualifiante en période de professionnalisation

– Droit individuel à la formation (DIF), 120 h/6 ans

– Congé individuel de formation (CIF) pour une longue formation selon les priorités du Fongecif

On observe par ailleurs de fortes disparités, dans l’accès à la formation, comme l’a notamment mis en lumière une étude intéressante du CEREQ, publiée en 2009 (13), dont il ressort notamment les enseignements suivants :

– plus l’entreprise est grande et plus elle forme ses salariés (dans une grande entreprise de plus de 1 000 salariés, le taux d’accès aux cours et stages est presque trois fois supérieur à celui d’une petite entreprise de 10 à 19 salariés) ; l’intensité de l’effort de formation est aussi très variable d’un secteur d’activité à l’autre ;

– le taux d’accès à la formation continue s’élève en même temps que le niveau de diplôme obtenu en formation initiale : ainsi, par rapport à un taux de formation de 44 % pour l’ensemble des salariés, cette proportion s’élevait à près des deux tiers pour les diplômés de l’enseignement supérieur, selon cette étude ;

– en cours de vie active, plus on vieillit et moins on se forme, l’âge ne faisant qu’aggraver les inégalités d’accès entre catégories socioprofessionnelles.

En outre, alors que l’un des principaux objectifs de la formation devrait être de remettre le pied à l’étrier des personnes ayant perdu leur emploi, les demandeurs d’emploi ne représentaient que 12 % de la dépense totale de formation professionnelle et d’apprentissage en 2011. Les actifs occupés du secteur privé sont toujours les principaux bénéficiaires des fonds de la formation professionnelle continue et de l’apprentissage avec 43 % de la dépense totale, et la dépense en leur faveur s’accroît (près de 4%).

RÉPARTITION DE LA DÉPENSE GLOBALE DE FORMATION PROFESSIONNELLE ET D’APPRENTISSAGE PAR PUBLIC BÉNÉFICIAIRE EN 2011


Source : graphique réalisé à partir des données présentées dans l’étude de la Dares sur « La dépense nationale pour formation professionnelle et l’apprentissage » (décembre 2013

En définitive, la formation professionnelle apparaît tout à la fois « trop opaque dans son organisation, trop concentrée sur les salariés déjà qualifiés et trop dispersée pour les demandeurs d’emploi », comme l’a souligné le Président de la République (14), en rappelant les critiques adressées à ce dispositif et en appelant également à « revenir à l’esprit de la grande loi de 1971 sur la promotion sociale et professionnelle. Ce qui implique de clarifier les rôles de chacun ».

Un nouvel élan est donc nécessaire pour adapter la formation aux mutations économiques et sociales, l’orienter davantage en direction des publics les plus fragiles, en particulier les chômeurs et les peu qualifiés, mais aussi, et corrélativement, compte tenu de la structure sexuée des emplois, pour mieux répondre aux difficultés particulières d’accès à la formation pour les femmes.

2. Des difficultés accrues pour les femmes

a. Des disparités femmes-hommes en matière d’accès à l’apprentissage et la formation continue, par ailleurs moins souvent qualifiante

Selon l’étude précitée du CEREQ, dont il convient toutefois de rappeler qu’elle date de 2009, hommes et femmes accèderaient globalement dans les mêmes proportions à la formation continue, avec un taux d’accès de 45 % pour les premiers et de 43 % pour les secondes.

Cette proximité masque toutefois de nombreux écarts selon les catégories socioprofessionnelles. Parmi les cadres, l’inégalité d’accès est sensible (57 % des femmes cadres formées, contre 62 % pour les hommes) et la tendance s’accentue en ce qui concerne les moins qualifiés. Pour les employés, huit points séparent ainsi les taux d’accès à la formation des hommes (44 %) et des femmes (36 %) employés, et jusqu’à neuf points s’agissant des ouvriers (30 % contre 21 %).

Les professions intermédiaires constituent la seule catégorie où les femmes se forment un peu plus que les hommes. Elles y occupent en effet des fonctions plus souvent tertiaires pour lesquelles les taux d’accès à la formation sont parmi les plus élevés.

Point important, les salariés à temps partiel, qui sont des femmes dans 80 % des cas, se forment moins que ceux à temps complet (37 % contre 45 %). L’écart enregistré renvoie dans une large mesure aux types d’emplois concernés par le temps partiel, qui sont massivement peu ou pas qualifiés. Cumuler emploi à temps partiel et faible qualification réduit donc considérablement les chances d’accéder à la formation. Or, ce cumul concerne principalement les femmes : 30 % d’entre elles sont à temps partiel, contre 5 % des hommes.

Les taux d’accès des femmes et des hommes se distinguent aussi selon la taille et le secteur d’activité de l’entreprise (15). En effet, les taux d’accès des premières sont supérieurs à ceux des seconds dans les entreprises de moins de 50 personnes, et uniquement dans celles-ci. Ailleurs, les hommes accèdent plus à la formation et particulièrement dans les entreprises de 250 à 499 personnes où l’écart est de 11 points (51 % contre 40 %).

Il convient cependant de noter que l’annexe au projet de loi de finances pour 2014 relative à la formation professionnelle présente des chiffres différents (dans sa section relative au plan de formation des salariés), concernant l’accès à la formation des hommes et des femmes en 2011, qui s’établirait ainsi à 39,6 %, soit nettement en deçà de celui des hommes à 45,2 %, dans les entreprises de plus de 10 salariés. L’analyse de données sexuées sur la formation professionnelle mériterait en tout état de cause d’être approfondie.

TAUX D’ACCÈS À LA FORMATION CONTINUE SELON LA CATÉGORIE SOCIOPROFESSIONNELLE ET LE TEMPS DE TRAVAIL

Source : CEREQ, étude sur les pratiques de formation des employeurs (2009)

S’agissant des caractéristiques des formations suivies par les hommes et les femmes, elles présentent des similarités sur plusieurs points, selon l’étude précitée du CEREQ, par exemple la durée moyenne par stagiaire des cours et stages financés par les entreprises (16), qui est globalement équivalente (28 heures pour chacun des deux sexes). Les objectifs visés par les formations suivies s’ordonnent dans des mesures proches. Largement en tête, les formations destinées à être plus à l’aise ou plus efficace dans son travail représentent un peu plus des trois quarts de l’ensemble. Parmi elles, les formations visant le maintien à niveau dans l’emploi concernent davantage les hommes. Les formations visant un changement d’emploi concernent femmes et hommes dans la même proportion (5 %).

En revanche, la différence est plus marquée pour les formations qui visent un diplôme ou une qualification reconnue, puisque les hommes déclarent cet objectif pour 21 % des formations qu’ils ont suivies, contre 13 % en ce qui concerne les femmes. En outre, 11 % des formations des hommes préparent à un concours ou un examen, et seulement 4 % s’agissant des femmes.

Il existe par ailleurs certaines disparités femmes-hommes selon les différents dispositifs de formation professionnelle, avec par exemple une surreprésentation concernant la validation des acquis de l’expérience (VAE) ou les bilans de compétences, mais une proportion faible s’agissant des périodes et actions de professionnalisation, dont la POE (préparation opérationnelle à l’emploi) en direction des demandeurs d’emploi (17) .

Enfin, les filles ne représentent qu’environ un tiers des jeunes en apprentissage, même si cette proportion augmente lentement (18). La féminisation reste plus marquée dans les secteurs du tertiaire (46 % des nouveaux apprentis), tandis que d’autres filières d’apprentissage sont encore assez peu mixtes (cf. infra). En matière d’insertion, sept mois après leur sortie de l’apprentissage, 46 % des apprenties titulaires d’un CAP ou d’un BEP de la production occupaient un emploi, selon des données portant sur l’année 2010, contre 60 % des garçons.

b. Des contraintes plus fortes pour accéder à la formation liées notamment à la réorganisation de la vie personnelle

Se former exige parfois de réorganiser sa vie personnelle : c’est une nécessité dans 16 % des formations suivies par les salariés (19), mais hommes et femmes ne sont pas logés à la même enseigne. En effet, les formations suivies par les femmes sont deux fois plus nombreuses à demander une telle réorganisation que celles suivies par les hommes. Par ailleurs, les femmes se réorganisent relativement plus souvent pour faire face aux soins du ménage et aux gardes d’enfants, quand les hommes le font plus fréquemment dans le cadre des loisirs.

Le temps de travail imprime également sa marque, les hommes en formation qui travaillent à temps partiel se réorganisant moins souvent que les hommes à temps complet. En revanche, les femmes en formation doivent se réorganiser dans 27 % des cas lorsqu’elles travaillent à temps partiel, et dans 17 % des cas lorsqu’elles travaillent à temps complet.

Cette nécessité est aussi liée au moment pendant lequel se déroule la formation. Les formations suivies en tout ou partie en dehors du temps de travail appellent évidemment des adaptations plus fréquentes pour les femmes que pour les hommes : 33 % des formations des femmes se déroulant tout ou partie hors du temps de travail nécessitent une réorganisation pour 21% de celles des hommes. De plus, le recours au hors temps de travail concerne plus fréquemment les femmes, et ce, d’autant plus qu’elles sont salariées de petites entreprises.

Il est clair que les contraintes familiales pèsent plus lourdement sur les femmes et freinent sensiblement leur accès à la formation, alors qu’elles n’ont que peu d’incidence sur celle des hommes. La possibilité de trouver un mode de garde qui représente également un coût, la nécessité de trouver parfois un logement sur place lorsque la formation a lieu loin du domicile, sont autant de freins pour l’accès à la formation professionnelle des femmes. Le président de l’AFPA, M. Yves Barou, a d’ailleurs fait observer, lors de son audition par la Délégation, que lorsque l’AFPA propose une formation sans que l’hébergement soit fourni, les annulations d’inscription des femmes entre trente et cinquante ans sont massives en raison de ce problème.

Près de quatre femmes sur dix connaissent une modification de leur activité professionnelle après une première naissance, elles sont près de six sur dix au troisième enfant. Aussi, lorsqu’un enfant de moins de six ans est présent au sein du foyer familial, les femmes se forment moins que les hommes, à âge égal. Selon l’enquête Familles et employeurs (20), les femmes donnent la préférence aux emplois qui offrent une compatibilité des horaires avec ceux des modes de gardes ou de l’école, quand les hommes privilégient le salaire et la perspective de carrière.

Il faudrait ajouter l’inégale répartition des tâches au sein du couple et l’assignation des rôles qui perdurent et n’offrent pas aux femmes la même disponibilité pour se former, sans oublier les difficultés particulières des mères de famille monoparentale. Il existe également des freins psychologiques, liés notamment à un phénomène d’autocensure (21).

Les inégalités d’accès à la formation reflètent également la structure sexuée des emplois, ce qui doit conduire à examiner le type de formations suivies par les femmes (initiales ou continues) et leurs déterminants.

B. UNE RÉPARTITION SEXUÉE DES MÉTIERS ET DES TYPES DE FORMATIONS : LES « PAROIS DE VERRE »

Depuis trente ans, le taux d’emploi des femmes de 15 à 64 ans, qui représentait près de 60 % en 2011, a continûment augmenté en se rapprochant progressivement de celui des hommes (22), comme l’illustre le graphique ci-après.

ÉVOLUTION DU TAUX D’EMPLOI DES FEMMES ET DES HOMMES DE 15 À 64 ANS

Source : Dares (décembre 2013)

Cette dynamique se heurte cependant à la permanence d’un « ordre sexué (23) », qui se manifeste par un traitement différencié et inégalitaire des femmes et des hommes sur le marché du travail, s’agissant non seulement des écarts de rémunération et d’un accès plus difficile aux postes à responsabilité (« plafond de verre »), mais aussi de la nature des formations suivies et des emplois exercés (« parois de verre »).

1. Une ségrégation professionnelle qui s’opère au détriment des femmes

a. Une surreprésentation dans les emplois peu qualifiés et à temps partiel

En France, comme ailleurs en Europe, les salariés à temps partiel sont très majoritairement des femmes (82 %). En 2011, 31 % des femmes occupaient ainsi ce type d’emplois, contre moins de 7 % des hommes. Par ailleurs, les situations de temps partiel subis (lorsqu’une personne déclare vouloir travailler davantage) sont près de trois fois plus fréquentes pour les femmes (24).

ÉVOLUTION DU TAUX DE TEMPS PARTIEL DES FEMMES ET DES HOMMES DEPUIS 1982

Source : Insee (étude d’impact du projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi, mars 2013)

Par ailleurs, les catégories d’emplois occupés par les femmes restent très différentes de ceux des hommes, puisqu’elles sont près de deux fois plus souvent sur des métiers non qualifiés : dans 27 % des cas, il s’agit de postes d’employées ou d’ouvrières, contre 14 % pour les hommes (25). Or c’est précisément aux salariés peu diplômés que le système actuel de formation professionnelle bénéficie le moins, et il en va de même pour les temps partiel.

b. Une concentration de près de la moitié des femmes sur une dizaine de métiers

Les hommes et les femmes se répartissent encore très inégalement dans les différents métiers. Des travaux très récents de la Dares (26) ont permis de mesurer l’étendue de cette « ségrégation professionnelle (27) ».

Il en ressort que près de la moitié des femmes (47 %) se concentre toujours dans une dizaine de métiers, comme infirmière (87,7 % de femmes), aide à domicile ou « assistantes maternelles » (97,7 %) – un terme, encore une fois genré, auquel il faudrait donc substituer celui d’ « assistant parental » – , agents d’entretien, secrétaire ou enseignantes. En particulier, la proportion de femmes s’élève à plus de 95 % dans trois métiers non qualifiés de service aux particuliers (assistantes, maternelles, aides à domicile, employées de maison).

LES VINGT MÉTIERS CONTRIBUANT LE PLUS À L’INDICE DE SÉGRÉGATION PROFESSIONNELLE EN 2011

 

Décomposition de l’indice ID par métier

Nombre d’emplois féminins (en milliers)

Part des femmes dans l’emploi (en %)

Métiers comptant beaucoup de femmes

     

Aides à domicile et aides ménagères

3,9

969

97,7

Agents d’entretien

2,2

870

70,5

Aides-soignants

1,9

521

90,4

Infirmiers, sages-femmes

1,7

476

87,7

Secrétaires

1,7

424

97,6

Vendeurs

1,7

610

73,5

Employés administratifs de la fonction publique

1,6

592

73,4

Enseignants

1,5

685

65,7

Employés de la comptabilité

1,0

283

84,6

Employés administratifs d’entreprise

0,9

303

76,9

Employés de maison

0,9

230

94,3

Métiers comptant peu de femmes

     

Conducteurs de véhicules

2,2

79

10,5

Ouvriers qualifiés du second œuvre du bâtiment

1,9

12

2,1

Ouvriers qualifiés du gros œuvre

1,4

9

2,1

Techniciens et agents de maîtrise de la maintenance

1,3

39

8,9

Ouvriers qualifiés de la manutention

1,1

69

15,8

Armée, police, pompiers

1,0

58

14,8

Techniciens et agents de maîtrise du bâtiment et des travaux publics

0,9

23

7,9

Agriculteurs, éleveurs, sylviculteurs, bûcherons

0,9

147

27,1

Ingénieurs de l’informatique

0,7

72

20,3

Ensemble des métiers

52,1

12 244

47,5

ID : Indice de ségrégation professionnelle

Champ : France métropolitaine.

Source : « La répartition des hommes et des femmes par métiers », Dares Analyses (décembre 2013)

La ségrégation professionnelle augmente avec le nombre d’enfants et elle varie également très sensiblement selon le niveau de diplôme : ainsi, si les hommes et les femmes les plus diplômés occupent de plus en plus les mêmes emplois, la ségrégation est la plus forte pour les titulaires d’un CAP ou d’un BEP.

Du côté des hommes, la répartition des métiers est plus dispersée, les dix professions les plus « masculines » n’employant que 31 % d’entre eux : conducteurs de véhicules (près de 90 % d’hommes), l’armée, la police ou les pompiers (environ 75 %), ouvriers du bâtiment ou manutentionnaires.

Cette répartition inégalitaire des métiers a certes diminué sur la longue périodemais les progrès sont bien trop lents dans ce domaine, puisque l’indice de ségrégation établi par la Dares n’a baissé que de quatre points sur trente ans. En définitive, il faudrait aujourd’hui qu’un peu plus de la moitié des personnes change d’emploi pour atteindre une répartition égalitaire des métiers.

Au regard de ce défi considérable, votre rapporteure souligne la nécessité d’une action particulièrement volontariste dans ce domaine, et ce d’autant plus que « la segmentation des métiers entre les hommes et les femmes explique nombre d’inégalités professionnelles, qu’il s’agisse de moindre salaire ou de temps partiel subi », comme le souligne un rapport récent du Commissariat général à la stratégie et à la prospective sur les stéréotypes (28).

2. Des facteurs multiples qui appellent une action systémique mobilisant tous les leviers, dont l’orientation et la formation

a. La division sexuée du travail : entre héritage scolaire et construction sur le marché du travail

En amont du fonctionnement du marché du travail, plusieurs facteurs contribuent à la ségrégation professionnelle, parmi lesquels l’éducation a une importance particulière.

Selon une étude réalisée en 2006 (29), près de 60 % de la ségrégation professionnelle pourraient être attribués à une « ségrégation éducative ». Dans ce sens, on constate toujours des différences marquées dans les filières suivies par les jeunes femmes, plus présentes dans les filières littéraires ou tertiaires, et les hommes, plus nombreux dans les filières scientifiques ou techniques. C’est d’ailleurs également le cas pour l’apprentissage, où les filles sont très peu représentées dans le secteur de la construction (4 %) et, dans une moindre mesure, dans les secteurs de l’industrie (26 %) et de l’agriculture (22 %).

RÉPARTITION PAR SEXE DES LYCÉENS EN CLASSE DE TERMINALE EN 2011

 

Part des garçons

Part des filles

Terminale L

21,3 %

78,7 %

Terminale ES

39 %

61 %

Terminale S

54,8 %

45,2 %

Terminale Sciences et technologies industrielles (STI)

89,4 %

10,6 %

Terminale Sciences et technologies de la santé et du social

7,2 %

92,8 %

Source : d’après les données du ministère de l’Éducation nationale (DEPP), selon les données présentées dans le rapport précité sur les stéréotypes de genre du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (janvier 2014)

Le paradoxe est connu : les filles ont de meilleurs résultats scolaires que les garçons mais leurs choix d’orientation restent assez traditionnels, et trop souvent restreints à quelques secteurs d’activités. Il y a donc là une première forme de ségrégation, induite par des orientations sexuellement clivées.

Cependant, la répartition inégalitaire des métiers entre les femmes et les hommes, avec des secteurs d’activité qui s’apparentent à de véritables « ghettos professionnels », ne s’explique pas seulement par la reproduction dans le système productif de la ségrégation opérée, en amont, dans le système éducatif.

Pour expliquer ce phénomène (soit les 40 % restants, si l’on retient l’hypothèse qu’environ 60 % de la ségrégation professionnelle trouverait son origine dans le système éducatif), il convient nécessairement d’interroger le fonctionnement du marché du travail, s’agissant aussi bien des entreprises, que du service public de l’emploi et du système de formation professionnelle.

De fait, celui-ci ne parvient pas suffisamment à corriger les inégalités de départ, qu’elles soient liées à des orientations sexuées, ou à un bas niveau de qualification obtenu à l’issue de la formation initiale, et aurait même plutôt tendance à les accentuer. C’est du moins clairement le cas en matière de formation professionnelle, à laquelle accèdent bien plus difficilement les femmes peu qualifiées, les privant ainsi d’une possibilité de progression professionnelle. Il s’agit donc d’une question essentielle pour lutter contre la précarité des femmes.

b. Un enjeu central : déconstruire les stéréotypes de genre

Comme cela a été souligné à de multiples reprises pendant les auditions devant la Délégation aux droits des femmes, les disparités d’accès à la formation et l’insuffisante mixité des filières tiennent aussi, pour une large part, à la persistance de stéréotypes de genre, qui jouent un rôle important dans les choix d’orientation. Ces représentations collectives constituent un obstacle important à l’égal accès des hommes et des femmes à la vie professionnelle et aux opportunités d’évolution de carrière.

À cet égard, il est révélateur que plusieurs métiers dans lesquels les femmes sont surreprésentées (cf. le tableau présenté supra) peuvent sembler prendre le relais des travaux effectués dans la sphère domestique (garde d’enfants, ménage…), ou sont liés à des fonctions considérées comme relevant « naturellement » des femmes : métiers de l’éducation, de la santé et du social en général. Comme le relevait Hélène Périvier, économiste à l’OFCE, cette division sexuée du travail reproduit ainsi «un postulat social d’assignation prioritaire des hommes à la sphère productive et des femmes à la sphère reproductive (30) ».

Votre rapporteure souligne par conséquent l’importance de lutter contre les stéréotypes de genre, à tous les niveaux, et dès l’enfance, ce qui suppose aussi de mobiliser plus efficacement à cette fin les enseignants et les parents ainsi que les acteurs du service public de l’emploi, de la formation professionnelle et de l’orientation tout au long de la vie.

C. UNE NOUVELLE DYNAMIQUE : UN PROJET DE LOI S’INSCRIVANT DANS LE PROLONGEMENT DE PLUSIEURS AVANCÉÉS

Avant même la conclusion de l’ANI du 14 décembre 2013 sur la formation professionnelle, l’impulsion d’une nouvelle dynamique a d’ores et déjà permis plusieurs avancées significatives en matière d’égalité professionnelle depuis 2012, mais aussi de poser les premiers fondements en matière de formation.

Ces avancées méritent aussi d’être saluées au regard de la méthode suivie, fondée à la fois sur l’approfondissement du dialogue social et l’adoption d’une démarche intégrée pour placer l’égalité au cœur de toutes les politiques publiques.

1. Dans le cadre d’une dynamique partenariale mobilisatrice

Au-delà de mesures d’urgence, avec notamment le lancement d’un plan de formations prioritaires, des chantiers plus structurels ont parallèlement été ouverts, par la voie du dialogue social, suite aux deux grandes conférences sociales de 2012 et 2013. Ceux-ci ont notamment conduit à l’adoption de l’ANI et de la loi sur la sécurisation de l’emploi, qui a posé le principe du compte personnel de formation.

a. Un plan de formations prioritaires pour l’emploi, engagé avec les régions et les partenaires sociaux

Lors de la grande conférence sociale pour l’emploi des 20 et 21 juin 2013, l’État, les régions et les partenaires sociaux se sont entendus en faveur d’un plan d’action destiné à mobiliser la formation professionnelle pour aider à pourvoir les offres d’emplois non satisfaites faute de candidats ayant les compétences adaptées. C’est ainsi qu’a été lancé le plan « formations prioritaires pour l'emploi », dès le mois de juillet, afin de permettre au moins 30 000 entrées en formation supplémentaires de demandeurs d'emploi avant la fin de l’année 2013, dans des secteurs et des métiers offrant des opportunités d’emploi à court ou moyen terme.

La mise en œuvre du plan a étroitement associé l’État, les régions et les organisations syndicales et patronales, tant au plan national que régional. Des financements de Pôle Emploi, des régions, du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), de l’Agefiph (31) et du Fonds social européen (FSE) ont été mobilisés pour un total de l’ordre de 200 millions d’euros.

Selon le bilan présenté en janvier 2014 (32), à partir des entrées comptabilisées jusqu’au 6 décembre dernier, 35 475 inscriptions supplémentaires en stage avaient ainsi pu s’effectuer et 29 517 demandeurs d’emploi avaient d’ores et déjà pu commencer leur formation à cette date. L’objectif de 30 000 entrées à la fin de l’année 2013 sera donc dépassé.

Conformément aux objectifs du plan, les formations délivrées correspondent à des besoins d’emploi bien identifiés : les domaines de formation les plus représentés concernent le commerce, les transports, le secteur sanitaire et social, l’hôtellerie-restauration, le bâtiment et les travaux publics mais aussi l’industrie dans ses différentes composantes. Les dispositifs mobilisés (préparation opérationnelle à l’emploi, POE, contrat de sécurisation professionnelle, CSP, actions de formations financées par les régions, aide individuelle à la formation de Pôle Emploi) visaient à cibler sans délai les opportunités d’emploi existantes.

Ce premier bilan confirme que le plan de 30 000 formations prioritaires est l’un des outils majeurs de la bataille pour l’emploi, en misant sur le développement des compétences et des qualifications. Une nouvelle réunion, prévue le 27 janvier par le ministre chargé du travail avec les partenaires sociaux et les régions, doit permettre la programmation de 100 000 places supplémentaires pour les formations prioritaires pour l’emploi en 2014, en s’appuyant sur la mobilisation de l’État, de Pôle emploi, des organismes paritaires et des régions.

La mise en œuvre de ce plan conforte un partenariat de grande qualité entre les financeurs de la formation professionnelle. Comme le soulignait la communication du 8 janvier 2014, « cette logique de coordination, de même que l’effort supplémentaire en faveur de la formation des demandeurs d’emploi trouveront des prolongements pérennes à travers différentes dispositions du projet de loi relatif à la formation professionnelle, l’emploi et la démocratie sociale ».

Votre rapporteure se félicite naturellement de cette initiative, en préconisant toutefois également de veiller à la mixité au sein des formations, le cas échéant en fixant un objectif minimum de femmes parmi ses bénéficiaires.

b. Un dialogue social revivifié : les accords nationaux conclus en 2013 sur la sécurisation de l’emploi, l’égalité et la qualité de vie au travail

● L’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, traduit dans la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi

S’agissant de ses dispositions les plus en lien avec le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie, l’ANI du 11 janvier 2013a tout d’abord posé le principe, « en vue de franchir une étape supplémentaire en matière de portabilité des droits à la formation », de la création d’un compte personnel de formation (CPF):

– universel, toute personne devant disposer d’un compte dès son entrée sur le marché du travail et jusqu’à son départ à la retraite ;

– individuel, chaque personne bénéficiant d’un compte, qu’elle soit salariée ou demandeur d’emploi ;

– et intégralement transférable, la personne gardant le même compte tout au long de sa vie professionnelle et quel que soit son parcours.

À cet égard, il convient de rappeler que cet accord prévoyait que « les droits acquis par le salarié au titre du compte le sont à raison de 20 heures par an pour les salariés à temps plein. Des proratas sont effectués pour les salariés à temps partiel ou pour les salariés en contrat à durée déterminée ». Il ne remettait donc pas en cause le principe du prorata temporis pour les salariés à temps partiel, alors qu’il pénalise de fait l’accès des femmes à la formation, qui sont plus fortement exposées au risque de précarité.

Suite à l’adoption de la loi du 14 juin 2013, dont un extrait est présenté ci-dessous, une concertation quadripartite a été organisée entre l’État, les régions et les partenaires sociaux pour préciser les modalités de mise en œuvre du CPF, parallèlement à la négociation interprofessionnelle sur la formation professionnelle, qui a conduit à la conclusion d’un accord le 14 décembre 2013.

Les principes généraux du compte personnel de formation (CPF) posés par la loi du 14 juin 2013 sur la sécurisation de l’emploi

« Afin de favoriser son accès à la formation professionnelle tout au long de la vie, chaque personne dispose dès son entrée sur le marché du travail, indépendamment de son statut, d'un compte personnel de formation. Le compte personnel de formation est comptabilisé en heures et mobilisé par la personne lorsqu'elle accède à une formation à titre individuel, qu'elle soit salariée ou demandeuse d'emploi. Il est intégralement transférable en cas de changement ou de perte d'emploi et ne peut en aucun cas être débité sans l'accord exprès de son titulaire. Le service public de l'orientation mentionné à l'article L. 6111-3 est organisé pour assurer l'information, le conseil et l'accompagnement des personnes qui envisagent de mobiliser leur compte personnel de formation. Le compte est alimenté :

1° Chaque année selon les modalités prévues aux articles L. 6323-1 à L. 6323-5 ;

2° Par des abondements complémentaires, notamment par l’État ou la région, en vue de favoriser l'accès à l'une des qualifications mentionnées à l'article L. 6314-1, en particulier pour les personnes qui ont quitté le système scolaire de manière précoce ou qui, à l'issue de leur formation initiale, n'ont pas obtenu de qualification professionnelle reconnue.

Peuvent être mobilisés en complément du compte les autres dispositifs de formation auxquels son titulaire peut prétendre. »

Source : article L. 6111-1 du code du travail tel qu’issu de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013

L’article 1erdu projet de loi sur la formation professionnelle, l’emploi et la démocratie sociale, relatif au compte personnel de formation, s’inscrit ainsi dans le prolongement de ces avancées obtenues par la voie du dialogue, et prévoit par ailleurs, dans son article 12, la création du conseil en évolution professionnelle, qui était également prévu par l’ANI sur la sécurisation de l’emploi (cf. infra).

La loi du 14 juin 2013 a par ailleurs permis de renforcer la protection des salariés à temps partiel, en instaurant notamment une durée minimale hebdomadaire de vingt-quatre heures. Le législateur a toutefois prévu qu’une durée inférieure pourrait être fixée par convention ou accord de branche étendu s’il comporte des garanties quant à la mise en œuvre d’horaires réguliers ou permettant au salarié de cumuler plusieurs activités. L’article 10 du projet de loi relatif à la formation professionnelle prévoit de reporter au 1er juillet l’entrée en vigueur de ces dispositions (cf. infra), mais le principe même n’est pas remis en cause, ce dont votre rapporteure se félicite.

FORMATION PROFESSIONNELLE : UNE RÉFORME ANCRÉE DANS LE DIALOGUE SOCIAL

Source : dossier de presse sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle (23 janvier 2014)

● L’ANI du 19 juin 2013 sur l’égalité et la qualité de vie au travail

Conformément aux orientations arrêtées lors de la grande conférence sociale de 2012 et après neuf mois de discussion, les partenaires sociaux ont signé, le 19 juin 2013, un ANI intitulé « Vers une politique d’amélioration de la qualité de vie au travail et de l’égalité professionnelle », qui comporte de nombreuses avancées. Cet accord a été conclu pour une durée déterminée de trois ans, ses signataires ayant prévu d’examiner, au terme de cette période et après évaluation, les suites qu’ils entendent lui donner. Il a notamment permis de poser quelques premiers jalons en matière de formation, notamment sur les trois points suivants.

Les partenaires sociaux ont tout d’abord convenu de veiller à prendre toute mesure facilitant le retour à l'emploi des salariés en congé parental d’éducation. À cette fin, il prévoyait notamment de permettre aux salariés, qui en font la demande, de bénéficier d’un entretien, afin de maintenir le lien avec son entreprise, et d’anticiper sa reprise d'emploi ainsi que « les éventuels besoins de formation ». Il était aussi prévu d’étudier, au niveau des branches, « les possibilités d'adapter les formations et de faciliter les démarches de VAE des salariés ayant bénéficié d'un congé parental d'éducation », en tenant compte « autant que possible des contraintes liées à la parentalité dans l'organisation des formations ».

Dans ce sens, l’article 2 bis C du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, adopté par l’Assemblée nationale en première lecture le 28 janvier 2014, procède à l’élargissement du contenu de l’entretien préalable à la reprise d’activité à l’issue d’un congé parental d’éducation (33).

En vue de réduire les écarts de situation résultant d’un emploi à temps partiel, les organisations signataires ont également souligné que « les salariés à temps partiel doivent bénéficier des mêmes possibilités d'évolution de carrière que l'ensemble des salariés de l'entreprise ».

L’accord prévoyait par ailleurs des dispositions sur l’accompagnement des équipes de direction et le management, en soulignant le rôle de la formation destinée aux managers et dirigeants (34), en matière notamment d’égalité professionnelle. Votre rapporteure se félicite de ces dispositions, en préconisant également de renforcer les actions de sensibilisation et de formation en direction de l’encadrement, mais aussi des conseillers dans les organismes compétents en matière d’orientation, de formation et d’emploi (cf. infra).

2. Dans le cadre d’une approche intégrée de l’égalité (gender mainstreaming) s’appuyant sur une feuille de route interministérielle

Après la constitution du premier gouvernement paritaire de l’histoire de la République et la réinstallation d’un ministère de plein exercice chargé des droits des femmes, la politique des droits des femmes est redevenue une priorité politique inscrite au cœur de l’action publique.

Symbole de ce changement de perspective, le comité interministériel sur les droits des femmes (CIDF), qui n’avait plus été réuni depuis plus de douze ans, a permis l’élaboration d’un plan d’action ambitieux et transversal pour lutter contre les inégalités, dans toutes leurs dimensions. Les mesures mises en œuvre dans le cadre du plan d’action interministériel adopté en novembre 2012, et celles annoncées, suite à la réunion du CIDF du 6 janvier 2014, comportent ainsi plusieurs avancées, en matière notamment d’emploi et de formation.

a. Un objectif d’égalité pris en compte dans le déploiement des politiques publiques en matière d’emploi, d’orientation et de formation

Depuis 2012, la politique de l’égalité entre les femmes et les hommes s’inscrit dans une approche dite intégrée, c’est-à-dire interministérielle et mobilisant une approche transversale mais aussi spécifique :

– intégrée, pour prendre en compte les besoins respectifs des hommes et des femmes dans la conception et la mise en œuvre des politiques publiques ;

– spécifique, car subsistent de fait des inégalités, qui nécessitent encore des mesures positives en faveur des femmes. Il s’agit notamment de mettre en place des dispositifs particuliers concernant l’orientation, la mixité des métiers, l’accès ou le retour à l’emploi de qualité.

Cette double approche s’est traduite par une dynamique interministérielle et partenariale nouvelle, qui vise notamment à créer des relations plus étroites entre le ministère des droits des femmes et les autres ministères et organismes publics : c’est le sens de la réaffirmation d’un pilotage interministériel, rythmé par les réunions du comité interministériel aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes, présidé par le Premier ministre. C’est aussi celui de la constitution du réseau des hauts fonctionnaires en charge de l’égalité des droits, animé par la ministre des droits des femmes et la déléguée interministérielle aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes.

Le CIDF du 30 novembre 2012 a permis de donner une feuille de route complète de l’action du gouvernement sur les questions des droits des femmes, avec notamment plusieurs progrès sensibles en matière d’orientation, de formation et d’emploi, comme l’illustrent les quelques exemples suivants :

– comme pour les autres ministères, une feuille de route pour l’égalité femmes-hommes a été établie pour le ministère chargé du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social suite au CIDF de novembre 2012, puis de nouveau en janvier 2014 ; il prévoit notamment plusieurs actions en matière d’orientation, de mixité des métiers et de formation professionnelle ;

– des expérimentations ont été lancées dans neuf « territoires d’excellence », avec les partenaires sociaux et les régions, afin de créer les conditions d’une égalité professionnelle réelle ; ces expérimentations portent notamment sur l’orientation et la mixité pour développer la part des filles dans les filières scientifiques et techniques et dans les métiers correspondants, mais aussi valoriser auprès des garçons les métiers à prédominance féminine, ainsi que sur l’accompagnement vers l’emploi après un congé parental, par exemple via des formations à distance (cf. infra, l’encadré sur le e-learning dans la seconde partie du présent rapport) ;

– dès novembre 2012, la promotion de l’égalité a été identifiée comme un enjeu majeur du nouveau service public de l’orientation (SPO) ;

« La promotion de l’égalité sera un objectif à part entière du nouveau service public de l’orientation » : les mesures prévues en novembre 2012

« La création d’un service public de l’orientation, telle qu’envisagée dans la nouvelle étape de la décentralisation, doit permettre de prendre systématiquement en compte la nécessité de promouvoir la mixité dans les filières de formation, adapter les informations et les conseils délivrés et développer les outils de l’orientation. Les actions à conduire s’appuieront sur celles qui ont déjà été menées dans certaines branches professionnelles, comme par exemple le bâtiment.

Le nouveau service public s’attachera à renforcer et publier les statistiques qui rendent visibles et indiscutables la réalité des disparités d’orientation et de profession. Il rendra visible les réussites des femmes et des hommes experts dans un métier « de l’autre sexe » pour encourager les vocations. Au sein des établissements scolaires, la promotion de l’égalité entre les filles et les garçons dans l’accès aux formations et aux métiers sera assurée. Cette thématique sera développée dans les parcours d’information, d’orientation et de découverte du monde économique et professionnel mis en œuvre dès la 6e. Au sein de l’État, un comité de coordination sera mis en place entre le ministère des droits des femmes, et les ministères certificateurs pour promouvoir les formations qui sont les moins attractives pour les jeunes filles, mais aussi pour les jeunes hommes. Ces propositions serviront notamment de base aux accords-cadres de partenariat conclus entre le ministère de l’éducation nationale et les branches professionnelles.

Les ministères chargés de l’agriculture, du travail, de la formation professionnelle, des affaires sociales et de la santé, de l’enseignement supérieur, de l’écologie, du redressement productif, de l’artisanat, du commerce et du tourisme apporteront leur soutien directement ou via leur réseau à cet engagement pour la mixité des formations et l’égalité professionnelle. La semaine de l’industrie sera une occasion d’intensifier les actions de promotion des métiers de l’industrie auprès du public féminin. Dans le secteur de l’artisanat, des actions seront engagées avec le fonds national de promotion et de communication de l'artisanat (FNPCA) pour développer la place des femmes dans des métiers traditionnellement masculins et des hommes dans des métiers traditionnellement féminins. »

Source : relevé de décisions du comité interministériel sur les droits des femmes du 30 novembre 2012

– en juillet 2013, un accord-cadre sur la mixité et l’égalité professionnelle a été conclu entre Pôle Emploi, le ministère des droits des femmes et le ministère du travail, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Cette convention doit contribuer à renforcer la mixité dans les actions de recrutement et d’insertion dans les territoires ainsi que de faciliter le retour à l’emploi et contribuer à l’amélioration de la qualité des emplois des femmes, en agissant sur les freins à l’emploi en lien avec les acteurs de l’insertion sur les territoires. Il s’agit pour Pôle emploi de décliner ces objectifs dans ses actions et par la mobilisation des différents instruments de la politique de l’emploi. Pour contribuer à améliorer l’égalité femmes-hommes, Pôle emploi mobilise l’expertise des déléguées régionales et des chargé-e-s- de mission départementaux-ales aux droits des femmes et à l’égalité entre les femmes et les hommes

Plus largement, la politique mise en œuvre en faveur de l’emploi des femmes, s’agissant par exemple du plan d’accueil de la petite enfance (275 000 nouvelles solutions d’accueil d’ici 2017), peut également avoir pour effet de faciliter l’accès à la formation.

b. Un programme d’actions ambitieux annoncé en janvier 2014 et dont l’une des priorités est de promouvoir la mixité des métiers

Le Premier ministre a présenté au cours du deuxième comité interministériel aux droits des femmes, qui s’est tenu le 6 janvier 2014, le nouveau programme d’action du Gouvernement pour 2014. Il sera centré sur trois priorités ;  annuler l’écart de taux d’emploi des femmes et des hommes d’ici 2025, accélérer la mise en œuvre de l’égalité professionnelle dans la fonction publique et faire de 2014 l’année de la mixité des métiers.

Afin d’assurer l’ancrage dans la durée de cette méthode de travail interministérielle, l’orienter vers des objectifs précis, mais aussi illustrer ses effets sur la vie quotidienne des Français et sur l’économie, le Gouvernement a adopté un tableau de bord interministériel des politiques de l’égalité. Votre rapporteure salue les objectifs mobilisateurs définis dans ce cadre, également assortis d’une série d’indicateurs pertinents, en matière notamment d’égalité professionnelle.

TABLEAU DE BORD INTERMINISTÉRIEL DES POLITIQUES D’ÉGALITÉ EN MATIÈRE D’ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE

Des objectifs mobilisateurs :

 

État des lieux

Objectif

Écart de salaires

24 %

0 %

Pourcentage de salariés exerçant un emploi mixte

12 % (en 2009)

33 % en 2025

Des indicateurs de suivi pertinents :

Accès à la formation professionnelle

Écart d’accès à la formation professionnelle pour les salariés (catégorie ouvrière et employées)

8 % (en 2012)

Écart d’accès à la formation professionnelle ayant conduit à un diplôme ou une qualification reconnue

8 % (en 2006)

Mixité des métiers

Taux de présence féminine dans quelques métiers « masculins » :

En 2011 :

– Conducteurs de véhicules

– Ouvrier qualifié du second œuvre du bâtiment

– Armée /Police / Pompier

– Cadre du BTP

– Ingénieur de l’informatique

10 %

2 %

15 %

21 %

20 %

Taux de présence masculine dans quelques métiers « féminins » :

– Aide à domicile /Aide-ménagère / Assistante maternelle

– Agent d’entretien

– Aide-soignant

– Infirmier/ sage-femme

– Enseignant du premier degré public

2 %

29 %

10 %

12 %

8 %

NB : en matière d’égalité professionnelle, d’autres indicateurs sont prévus, concernant par exemple les écarts de salaires, de pension ou la part des femmes dans les emplois de cadres dirigeants dans la fonction publique, etc.

Source : tableau réalisé d’après les données chiffrées présentées dans le programme d’actions 2014 (6 janvier 2014)

II. UNE RÉFORME STRUCTURANTE ET AMBITIEUSE QUI DOIT AUSSI BÉNÉFICIER AUX FEMMES

Le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale procède à la transposition de l’ANI du 14 décembre 2013 sur la formation professionnelle, qui est le quatrième accord national interprofessionnel conclu depuis 18 mois (35).

La Délégation a décidé de concentrer ses travaux sur le titre Ier de ce texte (« Formation professionnelle et emploi »), qui comporte trois chapitres relatifs à la formation professionnelle continue (articles 1 à 5), à l’apprentissage et diverses mesures relatives à l’emploi (articles 6 à 10), ainsi qu’à la gouvernance et la décentralisation (articles 11 à 15). Leurs dispositions lui ont en effet semblé constituer les vecteurs législatifs les plus opérants pour asseoir ses recommandations en faveur d’une plus grande égalité entre les femmes et les hommes en matière de formation professionnelle et de mixité des filières.

À cet égard, les onze recommandations présentées par votre rapporteure sont fondées sur trois orientations stratégiques : faciliter l’accès des femmes à la formation continue (A), promouvoir la mixité des filières de formation (B) et développées la parité.

A. UNE PLUS GRANDE ÉQUITÉ DANS L’ACCÈS À LA FORMATION

Le document d’orientation pour la négociation sur la formation professionnelle, qui a été transmis par le Gouvernement aux partenaires sociaux en juillet 2013 (36), les invitait à porter une attention particulière à « la question de l’égalité entre les femmes et les hommes », notamment dans les périodes de transition entre inactivité et activité professionnelle.

Si le présent projet de loi comporte plusieurs avancées dans ce domaine, la Délégation préconise d’y apporter encore quelques améliorations, et d’abord pour favoriser l’accès des femmes à la formation continue.

1. Une innovation majeure : la création du compte personnel de formation, clé de voûte de la réforme (article 1er)

Les différentes réformes proposées par ce projet de loi sont d’abord le fruit d’un dialogue social, sous différentes formes, avec des dizaines de partenaires (syndicats, régions, branches, etc.). C’est notamment dans ce cadre qu’ont été précisées les modalités de mise en œuvre du compte personnel de formation (CPF), lesquelles doivent cependant être améliorées pour les salarié-e-s à temps partiel.

Une méthode de réforme fondée sur un dialogue permanent avec les acteurs

La préparation du projet de loi a permis d’associer étroitement les acteurs concernés, avec notamment :

– une négociation interprofessionnelle sur la formation professionnelle ;

– des concertations sur l’apprentissage ou le financement d’organisations sociales ;

– une concertation quadripartite État-régions-partenaires sociaux sur le compte personnel de formation ;

– un groupe de travail sur la transparence des comptes des comités d’entreprises, un rapport et une concertation sur la représentativité patronale ;

– pour la réforme du ministère, sept séminaires interrégionaux avec l’encadrement, puis avec les agents du ministère (3 000).

a. Une réforme qui permettra d’accroître l’efficacité du système de formation professionnelle et de mieux l’orienter vers les plus fragiles

La création du compte personnel de formation (CPF) par l’article 1erdu projet de loi s’inscrit dans le cadre d’une réforme profonde du système de formation professionnelle, dont les principales avancées sont présentées ci-après.

Les sept avancées du projet

La personne, au cœur du dispositif. Le compte personnel de formation (CPF) est attaché à chaque individu et le suivra tout au long de sa vie professionnelle.

Une « obligation de faire » plutôt qu’une « obligation de financer ». La cotisation obligatoire de 0,9 % de la masse salariale due au titre du financement du plan de formation est supprimée. L’employeur doit par ailleurs renforcer la négociation au sein de l’entreprise et conforter le rôle des instances représentatives du personnel.

Plus de justice, de solidarité. Les fonds de la formation sont réorientés vers la qualification et vers ceux qui en ont le plus besoin : jeunes en alternance, salariés peu qualifiés, salariés des petites entreprises et demandeurs d’emploi.

Plus de concertation. Le dialogue social sur la formation et les compétences est renforcé au sein des entreprises et dans les branches.

Plus de simplicité. Le système de collecte, d’affectation et de mobilisation des fonds est simplifié pour le rendre plus transparent, plus lisible et plus simple d’accès pour les entreprises comme pour les personnes.

Une meilleure prise en compte des besoins du salarié de l’entreprise et de la région. Le dispositif et les formations « obligatoirement qualifiantes » sont définis conjointement par l’ensemble des acteurs, conseils régionaux, partenaires sociaux et branches professionnelles.

Une réforme globale. Tous les champs de la formation sont pris en charge : des savoirs de base aux savoirs de pointe, de la sécurisation des parcours à la simplification des démarches, de l’envie de se former au contrôle de la formation.

Source : ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social (22 janvier 2014)

Clé de voûte de la réforme, le CPF prendra le relais, à partir du 1er janvier 2015, du droit individuel à la formation (DIF), qui se caractérisait notamment par un très faible taux d’usage (4,9 %) et qui contribuait peu aux formations qualifiantes (durée de moyenne de formations de 22,5 heures). Le CPF pourra être ouvert dès l’âge de 16 ans et suivra la personne, même au chômage ou après un changement d’emploi (37), contrairement au DIF, et sera crédité chaque année, à hauteur de 150 heures maximum sur neuf ans. Il s’agit là d’un progrès majeur en termes de sécurisation des parcours, en offrant aux salariés et aux demandeurs d’emploi les moyens et les droits de se former et de construire leur carrière.

Le CPF est aussi conçu comme une porte d’entrée dans la formation professionnelle. En effet, ce dispositif ne se limitera pas au financement des formations d’une durée maximum de 150 heures, ce qui constitue une autre innovation majeure : il pourra s’adosser aux dispositifs de formation existants, et ce faisant, augmenter et faciliter le nombre de formations qualifiantes pouvant être financées et effectivement suivies. Le compte pourra ainsi faire l’objet d’abondements par l’employeur, le salarié, un Opca, un Opacif (organisme paritaire agréé au titre du congé individuel de formation), l’État, l’Agefiph pour les personnes en situation de handicap ainsi que l’institution gérant le compte personnel de prévention de la pénibilité, les conseils régionaux et Pôle Emploi. Il sera donc la clé qui facilite la mobilisation de tous les autres dispositifs.

Le CPF peut servir à financer des formations permettant d’acquérir des compétences attestées (38) (qualification, certification, diplôme), en lien avec les besoins de l’économie prévisibles à court ou moyen terme et la sécurisation des parcours des salariés. La réforme proposée permettra de développer les formations longues et qualifiantes, en se donnant enfin les moyens de former ceux qui en ont le plus besoin, notamment les travailleurs moins qualifiés, les demandeurs d’emplois (avec près de 50 % de financements supplémentaires (39) pour les former).

Ainsi, en termes d’impact du projet de loi sur l’égalité entre les femmes et les hommes, la capacité qui est donnée à chaque individu de se former de sa propre initiative permettra de limiter les discriminations susceptibles d’exister dans certains choix de l’employeur en matière de formation professionnelle. Par ailleurs, la même logique d’égal accès à la progression professionnelle et aux évolutions salariales anime le dispositif d’abondement complémentaire du CPF en cas d’absence constatée pendant six ans d’actions de formation, de certification ou d’évolutions (cf. infra).

Il convient par ailleurs de rappeler que dans l’ANI du 14 décembre 2013, les partenaires sociaux ont demandé au conseil d’administration de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) d’ouvrir une réflexion sur la possibilité d’abonder le CPF à l’issue d’un congé parental d’éducation.

b. Une amélioration nécessaire du dispositif proposé pour donner aux salarié-e-s à temps partiel les mêmes droits à la formation

En dépit de ces avancées majeures, votre rapporteure observe que le projet de loi prévoit que, si l’alimentation du CPF se fait à hauteur de 20 heures par année de travail « à temps complet » (jusqu’à l’acquisition d’un crédit de 120 heures, puis de 10 heures par année dans la limite de 150 heures), « lorsque le salarié n’a pas effectué une durée de travail à temps complet sur l’ensemble de l’année, l’alimentation est calculée à due proportion du temps de travail effectuée (40)  ».

Cette question de l’accès des salariés à temps partiel à la formation, qui sont très majoritairement des femmes, a été évoquée à plusieurs reprises au cours des auditions de la Délégation (41), l’instauration d’un minimum de dix heures par an ayant par exemple été proposée. Il a également été indiqué que des négociations au niveau des branches avaient permis d’accorder un droit à 100% au DIF pour les salariés travaillant à 80 % à temps partiel (absence le mercredi par exemple).

Il convient à cet égard de rappeler que la feuille de route du ministère chargé du travail établie à l’issue du comité interministériel sur les droits des femmes de novembre 2012 comportait précisément un axe de travail visant à améliorer l’accès des femmes qui travaillent à temps partiel au DIF.

« Mesure 7 : Améliorer l’accès des femmes qui travaillent à temps partiel au DIF » 

Méthode : dans le cadre des réflexions qui vont s’engager sur le CIF (congé individuel de formation), le DIF (droit individuel à la formation) et le futur « compte individuel de formation », étudier la possibilité de généraliser un régime plus favorable pour les salariés à temps partiel que le " prorata temporis ". À noter que certains accords de branche prévoient déjà la possibilité d’acquérir des heures de DIF au‐delà de la règle du « prorata temporis » (à titre d’illustration, l’accord national de 2012 dans les entreprises de la plasturgie et relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie prévoit que pour les salariés à temps partiel dont le temps de travail est au moins égal à 50 % du temps de travail collectif applicable dans l’entreprise, l’acquisition des droits à DIF se fait sur la base d’un temps plein).

Source : extrait de la feuille de route du ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social (novembre 2012)

Pour votre rapporteure, il n’est pas acceptable que les salariés à temps partiel qui sont majoritairement des femmes (80 % des temps partiel) soient ainsi privés des mêmes droits que les autres salariés, et d’autant moins que ce sont précisément les salariées qui ont le plus besoin d’élever leur niveau de qualification et de consolider leur parcours professionnel. Or, pour apprendre un nouveau métier, il faut environ six mois, soit environ 1 000 heures de formation, comme l’a indiqué le président de l’Afpa, lors de son audition.

Certes, le projet de loi prévoit que lorsque la durée de la formation est supérieure au nombre d’heures inscrites sur le compte, ce dernier pourra faire l’objet, à la demande de son titulaire, d’abondements en heures complémentaires Il n’en demeure pas moins nécessaire de supprimer ce principe du prorata temporis, dans un objectif d’équité, d’élévation du niveau de qualification, et donc d’employabilité, et de lutte contre la précarité des femmes.

Recommandation n° 1 : Donner les mêmes droits aux salarié-e-s à temps partiel concernant l’alimentation du compte personnel de formation, soit 20 heures par an, sans préjudice des abondements complémentaires (suppression du principe du prorata temporis à l’article 1er du projet de loi).

À cet égard, l’article 10 du projet de loi propose un aménagement des nouvelles règles applicables au travail à temps partiel prévues par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, qui a permis de renforcer la protection des salarié-e-s à temps partiel, en instaurant notamment une durée minimale hebdomadaire de vingt-quatre heures. Cette durée minimale est applicable à tout contrat à temps partiel conclu à partir du 1er janvier 2014. Il était toutefois prévu qu’une durée inférieure pouvait être fixée par convention ou accord de branche étendu s’il comporte des garanties quant à la mise en œuvre d’horaires réguliers ou permettant au salarié de cumuler plusieurs activités.

Lors de son audition par la Délégation, le 11 décembre 2013, le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, M. Michel Sapin, avait toutefois fait observer que si « la règle des 24 heures peut paraître insuffisante aux yeux de certains », « elle est extrêmement difficile à mettre en œuvre », en évoquant notamment la situation de certaines branches, comme la grande distribution, les entreprises du secteur social et le réseau des aides à domicile en milieu rural.

C’est pourquoi, et afin de donner un délai supplémentaire aux branches pour mettre en œuvre ces nouvelles dispositions et leur permettre ainsi de négocier dans les meilleures conditions, l’article 10 suspend à compter du 22 janvier (date de présentation du projet de loi au conseil des ministres) jusqu’au 30 juin 2014 l’application des dispositions de la loi précitée sur la durée minimale hebdomadaire. Votre rapporteure prend acte de cet aménagement de la loi. Dans la mesure où le principe même de la loi, auquel la Délégation est très attachée, n’est pas remis en cause, elle s’y rallie.

2. Des mesures d’accompagnement pour faciliter l’accès des femmes à la formation

a. Dans le cadre du dialogue salariés-employeurs (article 2), au niveau individuel et collectif : entretiens professionnels et accords de branche

L’article 2 du projet de loi vise à faire de la formation professionnelle et des compétences des salariés un élément central du dialogue entre salariés et employeurs au sein des branches professionnelles et des entreprises. De nouveaux leviers sont créés à cette fin, au niveau individuel, par le biais de l’entretien professionnel, ou au niveau collectif (42).

Cet article prévoit ainsi la généralisation d’entretiens professionnels tous les deux ans dans les entreprises, consacrés « aux perspectives d’évolution professionnelle » du salarié, « notamment en termes de qualification et d’emploi ». Cet entretien sera proposé systématiquement après toute longue période d’absence de l’entreprise, et en particulier « au salarié qui reprend son activité à l’issue d’un congé de maternité » ou « d’un congé parental d’éducation ».

De plus, tous les six ans de présence continue du salarié dans l’entreprise, cet entretien sera l’occasion de dresser un bilan de son parcours professionnel et de son accès à la formation. Dans les entreprises de plus de 50 salariés, si lors de cet entretien, il est constaté que la situation du salarié n’a pas évolué et que le salarié n’a pas bénéficié au cours de cette période d’au moins deux mesures sur les trois types de mesures prévues (action de formation, progression salariale ou professionnelle, acquisition d’éléments de certification), le CPF du salarié sera abondé de 100 heures supplémentaires.

Entretiens professionnels : pratiques actuelles

Après un an d’ancienneté, seuls 38 % des salariés ont bénéficié d’un entretien professionnel avec leur supérieur hiérarchique. 53 % des entreprises de plus de 10 salariés organisent des entretiens professionnels avec tout ou partie de leurs salariés. Mais parmi celles-ci, seules 15 % le font pour l’ensemble du personnel. Par ailleurs, les entretiens professionnels constituent un levier important pour identifier des besoins de développement des compétences. Parmi les entreprises qui organisent de tels entretiens, 58 % considèrent en effet qu’ils constituent la seule voie pour évaluer les besoins en compétences des salariés.

Il y a donc un enjeu de formation pour le salarié, mais aussi de compétitivité pour l’entreprise.

Source : étude d’impact sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale (27 janvier 2014)

Ce dispositif consacre donc, du point de vue de l’employeur, une « obligation de faire » pour la formation des salariés, qui vient se substituer à la seule obligation de payer, prédominante dans le droit actuel. Dans le même sens, au niveau collectif, l’article 2 renforce le dialogue social avec les instances représentatives du personnel dans le cadre de l’information-consultation sur le plan de formation, et avec les organisations syndicales de salariés, dans le cadre de la négociation relative à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).

Votre rapporteure souligne la nécessité qu’à l’occasion de l’entretien professionnel, le responsable de l’entreprise veille à l’équité de traitement entre les hommes et les femmes, s’agissant des perspectives d’évolution et d’accès à la formation, et à ne pas entretenir les stéréotypes de genre. L’article L. 6112-1 du code du travail relatif à l’égalité d’accès des femmes et des hommes à la formation prévoit d’ailleurs clairement qu’ « aucune distinction entre les femmes et les hommes ne peut être faite », en précisant cependant également « sauf dans le cas où l'appartenance à l'un ou l'autre sexe est la condition déterminante de l'exercice de l'emploi ou de l'activité professionnelle donnant lieu à formation ». Cet article doit être modifié. Cet entretien devra également prendre en compte les besoins et désirs exprimés par le salarié en termes d’évolution, et pas seulement le souci de compétitivité de l’entreprise.

D’une manière plus générale et dans le droit fil de ses travaux sur le projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes (43), la Délégation juge nécessaire de développer les actions de sensibilisation et de formation à l’égalité, pour prévenir la reproduction de stéréotypes de genre.

Recommandation n° 2 : Veiller à assurer un traitement égal des salarié-e-s, en particulier lors de l’entretien relatif à leurs perspectives d’évolution professionnelle :

– en précisant que l’entretien doit se dérouler sans reproduire des stéréotypes de genre et conformément au principe d’égal accès des femmes et des hommes à la formation, en intégrant aussi les besoins et désirs exprimés par le salarié ;

– en développant la formation de l’encadrement et des responsables des ressources humaines aux questions d’égalité femmes-hommes et à la prévention des stéréotypes de genre.

L’article 2 vise à faire de la formation professionnelle un élément central du dialogue social dans les branches professionnelles et les entreprises. À cet égard, des branches ont prévu plusieurs mesures intéressantes concernant l’accès des femmes à la formation professionnelle.

Quelques bonnes pratiques identifiées dans les accords de branche concernant l’accès des femmes à la formation professionnelle

« La mobilisation de leviers concrets pour promouvoir l’égalité professionnelle et salariale (…) par la formation professionnelle. Plusieurs branches prévoient, d’une part, une majoration d’au moins 10 % de l’allocation de formation accordée au salarié qui engage des frais supplémentaires de garde d’enfants et recommandent, d’autre part, de privilégier la formation près des lieux de travail. La branche de la banque veille particulièrement à l’égalité d’accès aux formations professionnelles qualifiantes, en suivant la proportion de femmes et d’hommes qui y accèdent. Les entreprises doivent également veiller à intégrer la question de l’égalité professionnelle dans les formations destinées aux managers. La branche des industries chimiques invite les entreprises qui constatent des inégalités dans l’accès à la formation à se donner des objectifs quantifiés et ciblés de suppression des écarts. »

Source : rapport sur le bilan de l’application des dispositifs promouvant l’égalité professionnelle entre femmes et hommes, présenté par Mmes Sylvie Brunet et Maryse Dumas, rapporteures au nom du CESE (mars 2012).

Dans ce rapport de la Délégation aux droits des femmes du CESE, dont l’une des auteures, Mme Sylvie Brunet, a été entendue par la Délégation, il était notamment préconisé de recenser et diffuser les bonnes pratiques des branches et des entreprises. Dans ce sens, le Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (Cnefop), que le projet de loi prévoit d’instituer (cf. infra), pourrait contribuer à mieux faire connaître ces pratiques, en s’appuyant sur les éléments recueillis sur cette thématique dans le cadre du bilan annuel de la négociation collective, établi par le ministère du travail.

Recommandation n° 3 : Recenser et diffuser les bonnes pratiques des branches et des entreprises pour remédier aux disparités femmes-hommes en matière de formation, dans le cadre du bilan annuel de la négociation collective et du Cnefop, par exemple :

– la mise en place d’un indicateur de suivi de la proportion de femmes et d’hommes accédant à une formation qualifiante ;

– l’organisation des actions de formation au regard des contraintes de réorganisation personnelle, en privilégiant un déroulement sur le lieu habituel de travail ou à proximité ;

– l’indemnisation des frais supplémentaires occasionnés par la garde des enfants, lorsque la durée des sessions de formation excède les horaires habituels de travail.

b. Une adaptation de l’offre de formation aux contraintes des femmes

L’article 2 du projet de loi vise à permettre le développement encadré de la formation ouverte à distance, en clarifiant ce que doit prévoir dans ce cas le programme de formation, à savoir notamment la nature des travaux demandés, le temps estimé pour le réaliser et les modalités de suivi et d’évaluation. Votre rapporteure se félicite de ces dispositions, qui peuvent être de nature à faciliter le suivi d’une formation pour les femmes, comme cela a été souligné au cours des auditions de la Délégation et ainsi que l’illustre l’exemple ci-après.

Au cours des auditions de la Délégation (44), il a également été indiqué que l’élargissement de la définition de la formation aux certifications partielles peut contribuer à faciliter l’accès à la formation, notamment pour les femmes, qui ne peuvent pas se libérer pendant une année scolaire par exemple.

L’e-learning pour maman active : l’expérimentation lancée dans le Nord Pas de Calais

« Être maman et créer son entreprise, rien d’incompatible ! Pourtant les idées fausses vont bon train, prétendant notamment qu’il serait difficile d’effectuer des démarches entrepreneuriales tout en s’occupant de sa famille. Pour aider les femmes à concilier vie personnelle et projet professionnel, Inncomm propose des modules de sensibilisation en e-learning : les stages se font en visio-conférences, les évaluations se remplissent en ligne…de chez soi ! L’idée est à la fois de dissiper les préjugés qui planent sur la création d’activité — elle n’est pas réservée aux hommes ! — et d’encourager les femmes en congé parental à « oser » franchir le pas. Le programme se déroule en deux étapes : la création d’entreprise en tant que telle et l’approfondissement d’un projet personnel. Loin d’être jetées dans l’arène, les femmes sont accompagnées tout au long de la formation, avec des échéances pour garder la motivation. »

Source : « Territoires d’excellence pour l’égalité professionnelle femmes-hommes », ministère des droits des femmes (novembre 2013)

Par ailleurs, l’article 1er du projet de loi, relatif au CPF, comporte plusieurs dispositions relatives à la prise en charge des frais de formation pour les salariés et les demandeurs d’emploi, s’agissant des frais pédagogiques et des « frais annexes ». Cette dernière notion mériterait quelques éclaircissements quant à la nature des dépenses susceptibles d’être financées à ce titre. En particulier, la question pourrait se poser de la prise en charge des frais de garde d’enfants, par exemple lorsque la durée de la formation excède les horaires habituels de travail (soirée, samedi, etc.), et tout particulièrement pour les cheffes de famille monoparentale, pour lesquelles la difficulté est incontestablement plus aiguë.

De plus, l’un des enjeux de la réforme de la formation professionnelle sera d’assurer l’information de tous, y compris les moins qualifié-e-s, sur ce nouveau dispositif, mission à laquelle pourraient contribuer les centres d’information sur les droits des femmes (CIDFF), par exemple par la mise à disposition de supports d’information sur le CPF et le conseil en évolution professionnelle.

Par ailleurs, les questions liées à l’environnement de la formation et aux difficultés matérielles éventuelles (concernant l’hébergement, le transport, la garde d’enfants, etc.) peuvent constituer un obstacle significatif et concernent plus particulièrement les femmes, parce que de fait, ce sont elles qui assument le plus souvent les tâches domestiques. Au cours des auditions de la Délégation (45), il a été indiqué que plusieurs régions ont commencé à mettre en place un accompagnement renforcé, prenant en compte les questions liées à l’environnement du stagiaire (par exemple l’hébergement), qui sont intégrées à l’offre de formation, comme cela a été fait dans la région Poitou-Charentes. Une offre globale est ainsi proposée, en direction des demandeurs d’emploi, dont la formation est souvent plus longue, en intégrant l’accompagnement et le contenu de la formation.

Le service public régional de formation professionnelle (SPRF) en Poitou Charentes

Afin de combattre les inégalités d’accès à la formation et de lever les freins à l’acquisition d’une qualification par les personnes les plus en difficulté, la Région Poitou-Charentes a mis en place un service public régional de la formation professionnelle (SPRF), sous la forme d’un service d’intérêt économique général (SIEG). L’objectif de la Région est que tous les publics potentiels puissent bénéficier d’une formation professionnelle de qualité qui facilite leur insertion sur le marché du travail. Le SPRF complète l’offre régionale de qualification, en particulier le Programme régional de formation dont il fait partie. Il concerne les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi dont la qualification professionnelle la plus élevée est de niveau VI, V bis ou IV général et les personnes dont la certification est considérée obsolète.

Sur prescription de Pôle emploi, de la mission locale, de Cap Emploi ou du CIDFF, les personnes éligibles sont orientées, sans sélection préalable vers les organismes de formation mandatés par la Région, en fonction des domaines d’activité retenus dans le SPRF (GFE). Ces organismes ont alors en charge de construire des parcours individualisés de qualification professionnelle pour répondre aux besoins des personnes. Ces organismes et leurs partenaires co-traitants proposent aux bénéficiaires une offre de services garantie, notamment un accompagnement vers la qualification sur la durée de leur parcours, incluant des possibilités d'hébergement et de restauration. Les organismes de formation retenus sont mandatés pour une durée de cinq ans, avec une révision annuelle de la convention. La convention de mandatement précise les objectifs fixés en termes de nombre de parcours de formation menant à la qualification et de compensation financière prévue pour la réalisation des actions.

Le SPRF est mis en place sous la forme d’un SIEG, qui respecte les exigences du droit communautaire : la Région offre aux stagiaires des garanties en matière d’accès universel, de continuité, de qualité, d’accessibilité tarifaire (gratuité du coût pédagogique) et de protection. Les organismes intervenants doivent à ce titre respecter les obligations de service public incluses dans leur cahier des charges. La Région a confié à l'Université de Poitiers la réalisation d'une évaluation du SPRF de 2009 à 2011. Elle porte sur l'efficience et l'adaptation des parcours de formation, sur les pratiques des organismes de formation et sur la mesure de l'efficacité économique de cette offre de formation.

Source : Agence régionale pour la formation tout au long de la vie (ARTLV) de Poitou-Charentes

Mme Florence Perrin, représentante de l’Association des régions de France (ARF), a ainsi souligné devant la Délégation que ceci évite les ruptures de formation, qui sont très dommageables pour les bas niveaux de qualification, en soulignant l’importance de sécuriser les cursus, même s’ils ne sont que de trois mois.

On notera que la Région Rhône-Alpes a elle aussi lancé une expérimentation analogue en 2010 (« parcours formation emploi ») avec un accompagnement pédagogique et social proposé pour les demandeurs d’emploi sans qualification reconnue.

Recommandation n° 4 : Adapter les formations pour mieux prendre en compte les contraintes des femmes et assurer une large information sur la réforme :

– en précisant la notion de « frais annexes », s’agissant de la prise en charge des frais de formation pour les salarié-e-s et les demandeur-e-s d’emploi (question des frais de garde) ;

– en développant les possibilités de formations à distance ainsi que les offres de formations globales intégrant l’accompagnement de la personne (exemple du Poitou-Charentes) ;

– en veillant à l’information des femmes, notamment sur le CPF et le conseil en évolution professionnelle, dans le cadre des centres d’information sur les droits des femmes (CIDFF).

A. UNE AMÉLIORATION DE LA GOUVERNANCE ET DU PILOTAGE SUSCEPTIBLE DE FAVORISER AUSSI LA MIXITÉ PROFESSIONNELLE

Le projet de loi renforce le rôle des régions en matière d’orientation et d’apprentissage, en réformant également la gouvernance des politiques d’emploi, de formation et d’orientation. Dans ce cadre rénové, la promotion de la mixité des filières de formation et la prévention des stéréotypes de genre doivent être clairement identifiés comme des objectifs prioritaires de l’action publique.

1. Concernant l’apprentissage et l’orientation tout au long de la vie

a. Promouvoir une plus grande mixité de l’apprentissage (articles 6 et 7)

Le projet de loi vise à dynamiser les politiques d’apprentissage en élargissant les compétences de la région sur deux volets.

L’article 6 prévoit tout d’abord de renforcer le rôle de la région dans l’élaboration des contrats d’objectifs et de moyens (COM) pour le développement de l’apprentissage. Il est proposé que ces contrats, qui ont été créés par la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, soient dorénavant élaborés par la région et sous sa responsabilité, et signés avec d’autres acteurs de l’apprentissage, dont l’État à travers les autorités académiques. À travers ces instruments conclus entre le préfet de région et le président du conseil régional, l’État est intervenu en soutien de l’effort des régions sur la modernisation et le développement de l’apprentissage en attribuant à cet effet 1,4 milliard d’euros sur la période 2005-2010. La deuxième génération de contrats, portant sur la période 2011-2015, a été conclue en 2011 avec un engagement de l’État portant sur 1,7 milliard d’euros. Les régions s’étaient engagées dans ce cadre à atteindre un objectif global de près de 580 000 apprentis à l’horizon 2015.

Le même article prévoit aussi d’achever le mouvement de régionalisation des centres de formation d’apprentis (CFA). Les CFA à recrutement national seront ainsi transférés aux régions, qui disposeront désormais de la compétence pleine et entière en matière d’apprentissage et seront les seules à pouvoir créer un CFA.

L’article 7 de ce projet de loi vise à préciser les modalités de mise en œuvre de la gratuité de la conclusion du contrat d’apprentissage et introduit la possibilité de conclure un contrat d’apprentissage dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée (CDI).

Les femmes sont aujourd’hui minoritaires dans l’apprentissage et les spécialités suivies sont par ailleurs très sexuées, comme le souligne le rapport sur les stéréotypes du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, publié en janvier 2014 (cf. l’encadré ci-après). Or, la sous-représentation des filles dans l’apprentissage est un facteur aggravant pour leur insertion professionnelle (46) et « finalement, on peut se demander s’il n’y a pas une forme de maintien des filles peu diplômées en filière générale du fait des stéréotypes, en lieu et place d’une orientation dans un enseignement technologique ou professionnel porteur ».

Les filles dans l’apprentissage

Les apprenti-e-s sont des jeunes de 16 à 25 ans qui préparent un diplôme de l’enseignement professionnel ou technologique (ou une certification) dans le cadre d’un contrat de travail de type particulier, associant une formation en entreprise (sous la responsabilité d’un maitre d’apprentissage) et des enseignements dispensés dans un CFA (47). Tous niveaux confondus, les femmes sont minoritaires et représentent 31,8 % des apprentis, soit un tiers des effectifs. Elles sont surreprésentées dans le domaine des services (64 %), avec un pic dans les services à la personne (76,3 %). À l’inverse, dans le domaine de la production, elles sont sous-représentées à 9,7 %. Il faut noter également que, s’il y a plus d’apprentis dans les niveaux de formation moins élevés, la part des femmes augmente avec le niveau du diplôme (elles sont 39 % dans les formations de niveau III, 47 % dans celles de niveau II, et 36 % dans celles de niveau I).

Comme pour l’ensemble des formations professionnelles, les spécialités de formation suivies en apprentissage sont également très sexuées : près de 30 % des filles choisissent la coiffure et l’esthétique et 23 % le commerce et la vente, tandis que les choix des garçons sont moins concentrés, avec en tête l’agroalimentaire/alimentation/cuisine (23 %), le bâtiment /finition (12 %), et le bâtiment / construction et couverture (11 %).

Sources : « Lutter contre les stéréotypes filles-garçons. Un enjeu d’égalité et de mixité dès l’enfance », travaux coordonnés par Marie-Cécile Naves et Vanessa Wisnis-Weill, Commissariat général à la stratégie et à la prospective (janvier 2014), et « Les formations par apprentissage : un outil au service d’une démocratisation de ‘l’enseignement supérieur ? », Prisca Kergoat, CEREQ (décembre 2010)

Pour mieux promouvoir la mixité dans l’apprentissage, votre rapporteure préconise tout d’abord de mieux faire connaître et d’encourager le développement d’initiatives prises ici ou là dans les territoires. Par exemple, l’Île-de-France a mis au point un accompagnement des femmes apprenties s’engageant dans une filière à dominante masculine, avec le soutien du Fonds social européen. En Alsace, la région décerne chaque année un prix de la diversification de l’apprentissage au féminin à vingt apprenties engagées dans des filières à dominante masculine (des prix récompensent également des vocations masculines dans des métiers du sanitaire et du sanitaire social).

À cet égard, le rapport précité de janvier 2014 sur les stéréotypes préconisait « d’établir un catalogue de bonnes pratiques au niveau national et des performances mixité des CFA en région ». Cette mission pourrait par exemple être confiée au futur Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (Cnefop, cf. infra), où les régions seront notamment représentées.

Préconisations du rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective concernant la mixité des filières de formation et des métiers, en particulier dans l’apprentissage

Proposition n° 10 : Généraliser les conventions entre l’État et les régions en faveur de la mixité et de l’égalité à la fois dans les filières de formation et dans les métiers, en associant les rectorats. Dans le cadre de ces conventions État-région, déterminer des contrats d’objectifs sectoriels intégrant une logique de montée en mixité ciblée sur des secteurs ou des métiers (…) impliquant conjointement les employeurs (notamment via les fédérations professionnelles, les chambres de métiers et de l’artisanat) et les écoles (établissements, rectorats). (…)

Proposition n° 11 : Négocier avec les branches professionnelles, les fédérations professionnelles ou les réseaux locaux d’employeurs des objectifs chiffrés de montée en mixité ciblée dans l’apprentissage et les contrats de professionnalisation. Pour ce faire : développer des conventions avec les OPCA en particulier ceux qui sont le plus en lien avec les petites entreprises ;  développer le tutorat renforcé pour aider les jeunes filles à trouver des stages d’apprentissage dans les métiers ciblés, et à s’y maintenir ; établir un catalogue de bonnes pratiques au niveau national et des performances mixité des CFA en région ; développer l’action des ARACT (Associations régionales pour l’amélioration des conditions de travail) dans les secteurs ou les métiers qui auront été considérés comme stratégiques par rapport à une politique de développement de la mixité professionnelle ; inciter les entreprises à inclure un suivi de la montée en mixité dans les emplois et en apprentissage ; former et informer les missions locales sur ces objectifs pour les contrats de professionnalisation.

Source : rapport sur les stéréotypes filles-garçons du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (janvier 2014)

Par ailleurs, le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, présenté le 6 novembre 2012 par le Premier ministre, a fixé l’objectif de faire progresser le nombre d’apprentis de 435 000 aujourd’hui à 500 000 en 2017. Il pourrait être envisagé de prévoir également, dans ce cadre, un objectif chiffré en termes de mixité. La proportion de filles étant actuellement d’environ un tiers, cet objectif pourrait être, par exemple, de 40 % d’apprenties à l’horizon 2017. En tout état de cause, il conviendra de veiller à ce que les COM conclus entre l’État et les régions intègrent bien cette dimension dans le développement de l’apprentissage.

C’est l’occasion, ici, pour votre rapporteure, de saluer les mesures relatives à l’apprentissage prévues dans la feuille de route du ministère du travail, établie dans le cadre du comité interministériel aux droits des femmes de janvier 2014. Il s’agit en effet de promouvoir la mise en place d’indicateurs pour suivre la progression de la mixité dans l’apprentissage, en mesurant la part des femmes dans les recrutements, de constituer un référentiel des bonnes pratiques, au niveau national et régional, par exemple pour aider les filles à trouver des stages d’apprentissage.

Recommandation n° 5 : Accroître la part de filles en contrat d’apprentissage et développer la mixité des formations suivies :

– en fixant un objectif chiffré concernant la proportion de filles parmi les apprentis (par exemple un objectif intermédiaire de 40 % d’apprenties en 2017), avec un suivi annuel portant également sur la proportion de filles par filière ;

– en veillant à l’intégration de cette question dans les conventions État –régions ;

– en développant des actions de tutorat renforcé pour aider les filles à trouver et poursuivre des stages d’apprentissage, et en élaborant rapidement un catalogue des bonnes pratiques.

b. Promouvoir une plus grande mixité grâce au service public de l’orientation et au conseil en évolution professionnelle (article 12)

Aux termes de l’article L. 6111-3 du code du travail, toute personne dispose du droit à être informée, conseillée et accompagnée en matière d'orientation professionnelle, au titre du droit à l’éducation. Le service public de l’orientation tout au long de la vie (SPO) est organisé pour garantir à toute personne l’accès à une information gratuite, complète et objective sur les métiers, les formations, les certifications, les débouchés et les niveaux de rémunération, ainsi que l’accès à des services de conseil et d’accompagnement en orientation de qualité et organisés en réseaux.

L’orientation tout au long de la vie constitue ainsi un enjeu d’insertion, de sécurisation et d’évolution professionnelles pour les jeunes et les actifs, mais aussi d’adaptation des qualifications aux besoins des entreprises et des territoires. De fait, l’insertion dans l’emploi comme l’accès à la formation professionnelle ne peuvent se concevoir efficacement sans un travail préalable de la personne sur son projet.

Cependant, le SPO n’a pas aujourd’hui de chef d’orchestre, au regard de la multiplicité des opérateurs et l’absence de chef de file clairement établi. Par ailleurs, au-delà des publics jeunes, scolaires et du supérieur, il reste trop peu organisé pour accueillir, informer, conseiller et accompagner tout au long de leur vie professionnelle les actifs, dont les parcours sont de moins en moins linéaires.

C’est pourquoi la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi a créé un conseil en évolution professionnelle. Une concertation quadripartite entre l’État, les régions, les syndicats et les organisations d’employeurs a permis, depuis, de préciser les contours de ce conseil, ouvert à tous les actifs, afin de structurer les garanties collectives indispensables pour faciliter l’accès à la formation des moins qualifiés et le déploiement du CPF.

L’article 12 du projet de loi prévoit ainsi que tout personne peut bénéficier durant sa vie professionnelle d’un conseil en évolution professionnelle, dont l’objectif est de favoriser l’évolution et la sécurisation de son parcours professionnel, et en particulier de faciliter l’accès la formation (48). Ce service gratuit sera mis en œuvre dans le cadre du service public régional de l’orientation (cf. infra). Il sera délivré par cinq opérateurs (Pôle emploi, l’APEC, les Cap emploi, les missions locales et les Opacif) ainsi que par des opérateurs régionaux désignés par la région, après concertation au sein du bureau du comité régional de l’emploi, de la formation et de l'orientation (Crefop), nouvelle dénomination du comité de coordination régional de l’emploi et de la formation professionnelle (CCREFP). L’offre de service associée sera définie par un cahier des charges national, publié par voie d’arrêté.

En matière d’orientation, l’article 12 du projet de loi précise, d’autre part, les rôles respectifs de l’État et des régions, ces dernières étant désormais chargées de coordonner l’action des organismes participant au service public de l’orientation (SPO). Ce nouveau service public régional doit permettre à chacun de construire son parcours professionnel. Les régions pourront ainsi organiser une cohérence de services pour l’orientation des publics scolaires, des étudiants, des chômeurs, des salariés, des cadres, etc. Elles auront un rôle stratégique :

– veiller à la maîtrise par les membres du SPO des cartes de formation, des programmes et opportunités d’insertion sur le territoire ;

– s’assurer de la qualité et de l’objectivité des conseils en orientation, coordonner les offres de services disponibles dans une logique d’accompagnement tout au long de la vie ;

– organiser sur son territoire le réseau des centres et points d’information et de conseil sur la validation des acquis de l’expérience (VAE).

Votre rapporteure souligne l’importance particulière de l’orientation pour promouvoir l’égalité et la mixité professionnelles, concernant en particulier l’accès à la formation, comme cela a été évoqué au cours des auditions de la Délégation, ce qui soulève aussi la question d’un système de représentations collectives qui persiste au détriment des femmes. En conséquence, s’il est tout à fait positif que le projet de loi précise que le SPO « concourt à la mixité professionnelle », il conviendrait de compléter ces dispositions par la référence explicite à la prévention des stéréotypes de genre. De même, cet enjeu doit-il être pleinement pris en compte dans l’offre de services du conseil en évolution professionnelle.

D’une manière plus générale et dans le droit fil de ses travaux sur le projet de loi sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, la Délégation aux droits des femmes considère que la sensibilisation à l’égalité doit être introduite dans la formation des professionnels qui accompagnent la recherche d’un emploi ou l’orientation des différents publics. À cet égard, la Délégation se félicite de la signature de l’accord cadre national du 28 juin 2013 sur la mixité et l’égalité professionnelles entre les femmes et les hommes de Pôle Emploi (cf. supra). Il conviendrait dès lors de compléter en ce sens le projet de loi, s’agissant en particulier des organismes concourant au SPO et au conseil en évolution professionnelle

Recommandation n° 6 : Intégrer clairement l’objectif de développement de la mixité professionnelle et de lutte contre les stéréotypes de genre dans les missions du conseil en évolution professionnelle et du service public d’orientation.

Recommandation n° 7 : Prévoir la formation de l’ensemble des professionnels chargés de l’orientation, de l’emploi et de la formation sur les questions d’égalité professionnelle et de segmentation sexuée du marché du travail (prévention des stéréotypes)

2. Concernant la coordination des politiques d’orientation, de formation et d’emploi aux niveaux national et régional

Le projet de loi organise une gouvernance nouvelle et simplifiée, qui doit mettre fin aux cloisonnements et aux doublons entre les différentes interventions.

a. Un renforcement nécessaire du pilotage des politiques (article 14)

L’article 14 du projet de loi simplifie la gouvernance nationale et régionale de la formation professionnelle et de l’emploi, en procédant, tout d’abord, à la fusion du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (49) (CNFPTLV)  et du Conseil national de l’emploi  (50) (CNE).

Il en résulte une nouvelle instance, le Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (Cnefop), qui exercera les missions jusqu’à présent confiées aux organismes précités. Il sera notamment chargé d’assurer, au plan national, la concertation entre l'État, les régions et les organisations syndicales de salariés et d’employeurs pour la définition des orientations pluriannuelles et d’une stratégie nationale coordonnée en matière d’orientation, de formation professionnelle, d’apprentissage, d’insertion et de maintien dans l’emploi.

Placé auprès du Premier ministre, il sera composé de représentants élus des conseils régionaux, de représentants de l’État et du Parlement, des organisations professionnelles et syndicales ainsi que, sans voix délibérative, des principaux opérateurs de l’emploi, de l’orientation et de la formation. Dans le droit fil de ses recommandations sur le projet de loi relatif à l’égalité, la Délégation souhaite que cette nouvelle instance respecte la parité femmes-hommes dans sa composition.

En outre, le projet de loi précise très opportunément que le Cnefop devra « veiller au respect de l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes en matière d’emploi, de formation et d’orientation professionnelles ». Sans doute serait-il bon d’y ajouter formellement la lutte contre tous les stéréotypes de genre.

Le rôle d’ensemblier joué par cette instance quadripartite est réaffirmé par cet article, qui en fait le destinataire de l’ensemble des études et travaux d'observation ainsi que des bilans financiers, lui permettant à la fois d’améliorer le partage de l'information entre acteurs, mais aussi d’alimenter ses travaux en matière d’évaluation. Ce point est important car il paraît nécessaire d’améliorer la production de statistiques sexuées, la dépense globale pour la formation professionnelle ne permettant pas, par exemple, de connaître la part allouée aux femmes. Les conventions triennales conclues entre l’État et les Opca (prévues par la loi de 2009) pourraient d’ailleurs être adaptées dans ce sens.

Il serait également envisageable de prévoir l’établissement d’un rapport annuel, dans lequel le Cnefop présenterait les bonnes pratiques des branches et des régions s’agissant de l’accès des femmes à la formation.

Recommandation n° 8 : Améliorer le pilotage des politiques en matière de formation professionnelle pour mieux prendre en compte la dimension du genre :

– en développant les statistiques sexuées concernant le nombre et le type de formations suivies par les femmes, ainsi que les dépenses afférentes, en vue d’une meilleure répartition des fonds de la formation professionnelle vers les femmes les moins qualifiées et/ou à temps partiel ;

– en complétant à cette fin les documents budgétaires (annexes au projet de loi de finances) ainsi que les conventions triennales conclues entre l’État et les Opca ;

– en prévoyant la publication d’un rapport annuel par le Conseil national (Cnefop) afin de diffuser les bonnes pratiques des branches et des régions.

b. Un objectif de mixité et de lutte contre les stéréotypes de genre à intégrer clairement dans les documents de programmation régionaux et les missions des instances de coordination (articles 11, 13 et 14)

L’article 11 du projet de loi prévoit que la région organise et finance le service public régional de la formation professionnelle (51). Les conseils régionaux seront désormais compétents envers tous les publics privés d’emploi en matière de formation professionnelle et coordonneront l’achat public de formation. Dans le cadre de ce service public régional, il est prévu que la région exerce plusieurs missions spécifiques, et notamment « favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux filières de formation et contribue à développer la mixité de ces dernières », ce dont votre rapporteure se félicite.

Aux termes de l’article 13, le contrat de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelles (CPRDFOP), élaboré par la région et qui succédera au CPRDFP (52) a pour objet l’analyse des besoins à moyen terme du territoire régional en matière d’emplois, de compétences et de qualifications, ainsi que la programmation des actions de formation professionnelle des jeunes et des adultes, compte tenu de la situation et des objectifs de développement économique du territoire.

Le CPRDOFP définira notamment, sur le territoire régional et, le cas échéant, par bassin d’emploi, « dans sa partie consacrée aux jeunes, un schéma de développement de la formation professionnelle initiale, favorisant une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans chacune des filières » incluant le cycle d’enseignement professionnel initial dispensé par les établissements d’enseignement artistique et valant schéma régional des formations sociales et schéma régional des formations sanitaires. Il est à noter qu’une précision analogue n’est pas prévue concernant la formation des adultes.

Votre rapporteure préconise d’améliorer ces dispositions pour intégrer explicitement dans les documents de programmation régionaux (CPRDOFP) l’objectif de lutte contre les stéréotypes de genre.

En région, il est par ailleurs proposé, à l’article 14, d’enrichir les missions confiées au comité régional de l’emploi et de la formation professionnelle (53) (CCREFP), qui devient le comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (Crefop). Ses missions sont rédigées en articulation avec les compétences du Cnefop, afin de garantir par exemple que les bilans financiers produits en son sein sont conformes aux orientations méthodologiques définies au niveau national.

Recommandation n° 9 : Intégrer explicitement la prévention des stéréotypes de genre parmi les missions des instances nationale et régionales compétentes en matière d’emploi, d’orientation et de formation et dans les documents régionaux de programmation (Cnefop, Crefop et CPRDFOP).

Votre rapporteure souligne enfin l’importance de veiller à l’égale représentation des femmes et des hommes au sein du Conseil national et des comités régionaux pour l’emploi, la formation et l’orientation professionnelles.

Recommandation n° 10 : Veiller à l’égale représentation des femmes et des hommes au sein du Conseil national (Cnefop) et des comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (Crefop) ainsi que dans les comités paritaires national et régionaux pour la formation professionnelle et l’emploi.

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La Délégation a adopté une onzième recommandation relative à l’égale représentation des femmes et des hommes au sein des organisations syndicales (instances de direction et délégations) et à la formation des représentants syndicaux à l’égalité, en particulier sur les stéréotypes de genre.

Recommandation n°11 : Veiller à l’égale représentation des femmes et des hommes au sein des organisations syndicales (instances de direction et délégations) et prévoir une formation des représentants syndicaux à l’égalité, en particulier sur les stéréotypes de genre.

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Il serait également envisageable, en vue de mobiliser les entreprises et les acteurs de la formation autour de l’objectif de mixité :

– d’intégrer la question de la mixité des métiers dans la négociation des branches et des entreprises relative à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, à l’article 2 du projet de loi ;

– d’inscrire la promotion de la mixité et de l’égalité professionnelle parmi les missions des organismes collecteurs de la taxe d’apprentissage (OCTA), des centres de formation des apprentis (CFA) et des organismes paritaires collecteurs agréés (OCPA), respectivement aux articles 9, 8 et 5 du projet de loi ;

– de préciser que les actions de sensibilisation et de promotion de la mixité font partie des dépenses pouvant être financées par les OPCA, à l’article 5 ;

– d’inscrire la formation en matière d’égalité professionnelle (cf. supra), de mixité et de discriminations sexistes parmi les activités financées par le fonds paritaire dédié au financement des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d’employeurs, à l’article 18 du projet de loi.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation aux droits des femmes a examiné le présent rapport d’information, au cours de sa réunion du mardi 28 janvier 2014.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous examinons aujourd’hui le rapport d’information sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, qui sera discuté en séance publique la semaine prochaine. Il s’agit d’un texte très important sur lequel la Délégation a souhaité donner son avis en confiant à Ségolène Neuville, qui avait suivi cette question au sein de la commission des Affaires sociales, le soin d’établir le rapport qui va nous être présenté.

Auparavant, je tiens à dire combien je trouve légère et insuffisante l’étude d’impact annexée au projet de loi. Nous avions pourtant œuvré afin que les textes soient accompagnés d’une étude d’impact qui traite spécifiquement de l’égalité entre les femmes et les hommes. Si nous voulons favoriser des politiques transversales qui soient efficaces, et dans le prolongement du projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, nous devons disposer de chiffres et de données sur les répercussions des mesures que le Gouvernement propose. Or, s’agissant du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, l’étude d’impact ne permet pas d’évaluer ses dispositions à l’aune de l’égalité femmes-hommes. Je le redirai au ministre du Travail : il faut que le Gouvernement établisse des études d’impact qui nous donnent de réels moyens d’expertise.

Cette réserve exprimée, je répète qu’il s’agit d’un texte important qui peut et doit favoriser l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. À plusieurs reprises, lors de l’examen d’autres textes, des membres de la Délégation ont défendu des amendements relatifs à la formation. On les a écartés en nous renvoyant à l’examen ultérieur du projet de loi relatif à la formation professionnelle. J’espère donc que dans le cadre de la discussion qui s’ouvre, nous pourrons avancer sur un certain nombre de sujets et obtenir que certains de nos amendements soient intégrés.

Je vous remercie en tout cas, Madame la rapporteure, d’avoir réalisé ce travail dans les brefs délais qui nous était impartis, alors que nous venions juste d’achever l’examen du projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Je me félicite d’ailleurs que celui-ci ait été adopté à une large majorité, même si l’on peut regretter que quelques députés aient manifesté une opposition. Ce texte marque de très belles avancées. Par la suite, il nous faudra approfondir un autre sujet, celui de l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

Mme Ségolène Neuville, rapporteure. Depuis un an, nous avons légiféré dans de nombreux domaines qui concernent les femmes. À votre initiative, Madame la Présidente, la Délégation s’est saisie pour avis de plusieurs textes qui portent sur les conditions de travail et l’emploi, en particulier le projet de loi relatif à la sécurisation de l’emploi et le projet de loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, dont une partie traite de l’égalité professionnelle.

À l’occasion de l’examen de chacun de ces textes, nous avons constaté que les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes, notamment en matière salariale, tenaient, entre autres, au fait que les hommes et les femmes n’exercent pas les mêmes métiers. De même, dans la mesure des inégalités en matière de retraite entre les deux sexes, il apparaît que le montant des pensions diffère parce que les carrières sont plus hachées pour les femmes, mais aussi parce que les professions ne sont pas les mêmes, avec des écarts de salaires. Tous ces sujets renvoient à la question de la formation professionnelle et de l’orientation. La formation affecte la vie entière : elle a des conséquences d’abord sur les inégalités salariales pendant la période d’activité et, ensuite, pendant la retraite. C’est donc un sujet majeur.

D’un point de vue global, les chiffres relatifs à la formation professionnelle continue montrent qu’il n’existe pas tant de différences que cela entre les femmes et les hommes. Parmi les salariés, la part des femmes qui accèdent à la formation continue s’élève à 43 %, tandis que la part des hommes atteint 45 %.

Des différences apparaissent cependant lorsque l’on entre dans le détail des chiffres.

Ces différences sont d’abord d’ordre quantitatif. Ainsi, il s’avère que plus on travaille à temps partiel, moins on se forme : de fait, seuls 37 % des salariés à temps partiel accèdent à une formation. Or, 80 % des postes à temps partiel sont occupés par des femmes. Du reste, il apparaît que plus les entreprises sont petites, moins les salariés ont accès à la formation. Cela étant, je tiens à souligner ici que peu de statistiques sexuées précises sont disponibles en matière d’accès à la formation, ce qui constitue un manque flagrant sur ce sujet.

Sur un plan qualitatif, si l’on compare la situation des femmes et des hommes – ou des filles et des garçons si l’on parle d’apprentissage – on constate des différences énormes.

Quand on examine les chiffres de l’apprentissage, on peut tout d’abord relever qu’il y a moins de filles que de garçons. Ces chiffres montrent aussi et surtout que les filles ne s’engagent pas dans les mêmes filières que les garçons : dans les services d’aide à la personne, il y a 76 % de femmes ; en revanche, dans les filières d’apprentissage conduisant à des postes en rapport avec « l’appareil productif », on recense 81 % de garçons.

Cela veut dire que les stéréotypes de genre sont extrêmement prégnants dans le choix des jeunes pour tel ou tel type de filière d’apprentissage, et au-delà, dans un choix qui va conditionner leur vie entière. Ces représentations, qui conduisent les filles à s’orienter par exemple vers les services à la personne, sous-tendent qu’elles seraient naturellement plus disposées à effectuer des travaux ménagers, et, de fait, à la maison, elles s’occupent de 80 % des travaux domestiques. On les prédestine ainsi à accomplir ce genre de tâche à l’extérieur, dans le cadre du travail. Or, dans les métiers d’aide à la personne, les qualifications sont faibles, la précarité est grande et les salaires sont très bas.

Finalement, les femmes sont orientées presque naturellement puisque, comme chacun sait, les femmes sont porteuses de gènes qui les habilitent tout particulièrement à faire le ménage ! Les services à la personne comportent d’autres métiers mais du fait des stéréotypes, les femmes sont dirigées vers des tâches domestiques ou vers des activités où elles doivent s’occuper des autres car elles sont censées être plus qualifiées pour cela. Ceci explique la forte proportion de jeunes filles parmi les étudiantes infirmières, les étudiantes aides-soignantes, les esthéticiennes, les coiffeuses, en somme dans toutes les activités fondées sur les soins à la personne. Or, ces métiers offrent moins de débouchés et de perspectives de progression salariale, notamment par rapport aux métiers de l’appareil productif, tels que les métiers de l’industrie – par exemple, les ouvriers qualifiés, les mécaniciens et autres. Les garçons choisissent ces filières qui sont nettement plus porteuses.

En abordant la réforme de la formation professionnelle, nous devons avoir ces enjeux à l’esprit : il s’agit de modifier par la loi ces choix préférentiels entre les filles et les garçons, étant entendu que l’on ne pourra pas changer les mentalités et les stéréotypes uniquement par cet instrument.

Le projet de loi comporte trois parties, dont le titre Ier relatif à la formation professionnelle et l’emploi et le titre II, qui porte sur la démocratie sociale. Nos travaux se sont essentiellement concentrés sur la première partie du projet de loi, puisque c’est celle qui est la plus susceptible de concerner les droits des femmes, qu’il s’agisse de favoriser leur accès à la formation ou de lutter contre la ségrégation professionnelle dont celles-ci sont victimes.

Les deux premiers articles du projet de loi marquent des avancées très importantes pour les droits des salariés. En effet, l’article 1er porte sur la création du compte personnel de formation (CPF), tandis que l’article 2 pose l’obligation d’un entretien professionnel organisé tous les deux ans pour tous les salariés. Désormais, les salariés et les demandeurs d’emploi disposeront d’un compte personnel, dont ils assumeront la responsabilité et qui les suivra de leur entrée dans la vie professionnelle, le cas échéant à partir de seize ans s’ils commencent alors à travailler, jusqu’à leur retraite, et ce, même s’ils changent d’entreprise ou de travail. Ce dispositif donne une plus grande liberté aux salariés dans le choix des formations qu’ils peuvent vouloir effectuer.

L’entretien professionnel est destiné à permettre de vérifier que des formations ont bien été suivies. Si aucune formation n’a été réalisée au bout de six ans de travail dans une entreprise, l’entreprise encourt une sanction : elle doit abonder le compte personnel de formation en nombre d’heures.

Dès lors que le projet de loi conforte les droits des salariés dans leur globalité, il contribue à l’amélioration des droits des femmes. Il convient néanmoins d’améliorer encore ce texte, afin notamment de favoriser l’accès des femmes à la formation professionnelle continue. La Délégation pourrait adopter plusieurs recommandations dans ce sens.

La première d’entre elles – sans doute la plus importante – concerne le temps partiel. En l’état actuel, le texte prévoit en effet que le compte personnel de formation est abondé de vingt heures par année travaillée pendant une durée de six ans, puis de dix heures par an, le compte étant plafonné à cent cinquante heures. Dans le cas d’un temps partiel, il est prévu que le compte soit abondé au prorata du nombre d’heures travaillées. Or, toutes les études montrent que les travailleurs à temps partiel sont moins qualifiés que la moyenne de l’ensemble des salariés et qu’ils ont moins accès à la formation professionnelle continue.

Il nous apparaît donc nécessaire que les salariés à temps partiel disposent d’autant de droits que les salariés à temps complet en matière de formation professionnelle. Cette question figurait d’ailleurs dans la feuille de route du ministère du travail, établie suite au comité interministériel sur les droits des femmes, qui s’est tenu en novembre 2012. Notre première recommandation vise donc à donner les mêmes droits aux salariés-e-s à temps partiel concernant l’alimentation du compte personnel de formation, soit 20 heures par an, sans préjudice des abondements complémentaires : autrement dit, elle vise à supprimer le principe du prorata temporis.

La deuxième recommandation porte sur l’entretien professionnel organisé tous les deux ans. Il convient à cet égard de se montrer particulièrement vigilant en ce qui concerne la reproduction des stéréotypes de genre. Il se peut qu’au cours de l’entretien professionnel, les femmes ne reçoivent que des propositions de formations qui les maintiennent dans le rôle d’assistantes, quand les hommes se verront proposer des formations pour devenir managers ou, à tout le moins, leur permettant de progresser plus rapidement et plus haut dans la hiérarchie. Il nous semble donc important de préciser que la question des stéréotypes de genre doit être prise en compte dans la conduite de cet entretien professionnel.

C’est pourquoi – et c’est l’objet de la recommandation n° 2 – , il faut veiller à assurer un traitement égal des salarié-e-s, en particulier lors de l’entretien relatif à leurs perspectives d’évolution professionnelle. Pour cela, il serait opportun de préciser que l’entretien doit se dérouler sans reproduire des stéréotypes de genre et conformément au principe d’égal accès des femmes et des hommes à la formation, en intégrant aussi les besoins et désirs exprimés par le salarié. Parallèlement, il conviendrait de développer la formation de l’encadrement et des responsables des ressources humaines aux questions d’égalité femmes-hommes et à la prévention des stéréotypes de genre.

Même si la gestion des ressources humaines a fait de gros progrès ces dernières années, beaucoup de préjugés persistent quant à l’existence de métiers qui seraient plus adaptés aux femmes ou aux hommes. Au cours des auditions auxquelles j’ai procédé, lorsque j’ai proposé d’introduire en droit positif l’idée qu’il convenait de prévenir la reproduction des stéréotypes dans la conduite des entretiens professionnels, il m’a été répondu que le principe d’égalité entre les femmes et les hommes figurait déjà dans les dispositions du code du travail, en particulier dans le domaine de la formation professionnelle.

Il existe bien un article qui consacre le principe, mais cette affirmation est tempérée par un bout de phrase que je ne peux m’empêcher de vous citer et qui me laisse songeuse… Ainsi, à l’article L. 6112-1 du code travail, il est dit que  « pour l’application de la présente partie, aucune distinction entre les femmes et les hommes ne peut être faite, sauf dans le cas où l’appartenance à l’un ou l’autre sexe est la condition déterminante de l’exercice de l'emploi ou de l’activité professionnelle donnant lieu à formation ». Cette fin de phrase signifie donc qu’il existerait des métiers naturellement faits pour les femmes et d’autres naturellement faits pour les hommes, et elle figure toujours en 2014 dans notre code du travail…

À travers la recommandation n° 3, il s’agit de recenser et diffuser les bonnes pratiques des branches et des entreprises pour remédier aux disparités femmes-hommes en matière de formation. Les acteurs sont en effet si nombreux dans le domaine de la formation professionnelle que les bonnes pratiques, notamment dans certaines régions, ne sont pas toujours connues et conservent un caractère parcellaire.

Il paraît donc nécessaire d’en assurer la diffusion, s’agissant tout d’abord de la mise en place d’un indicateur de suivi de la proportion de femmes et d’hommes accédant à une formation qualifiante. Les chiffres montrent en effet que les hommes suivent plus souvent des formations dans le but d’obtenir une formation qualifiante. Il s’agit également d’encourager l’organisation des actions de formation en tenant compte des contraintes de réorganisation personnelle, par exemple en privilégiant un déroulement sur le lieu habituel de travail ou à proximité, dans la mesure où cette question de l’« organisation personnelle » est plus souvent posée aux femmes. Il convient par ailleurs d’évoquer le problème des frais supplémentaires inhérents au suivi d’une formation. Beaucoup de femmes renoncent en effet à une formation du fait, par exemple, des frais de garde auxquels elles doivent faire face – la question se posant rarement pour les hommes…

Le texte actuel comporte la notion de « frais annexes ». Il conviendrait de la préciser car on ne sait pas si cette notion peut recouvrir les frais de transport, d’hébergement ou de garde. Si c’est le cas pour les demandeurs et demandeuses d’emploi dans certaines régions, cette interprétation n’est pas générale. Nous avons d’ailleurs soulevé ce problème en commission des Affaires sociales lors de l’audition du ministre.

Ceci nous conduit à la recommandation n° 4 qui constitue la suite logique de la précédente. Cette recommandation incite à adapter les formations pour mieux prendre en compte les contraintes des femmes et assurer une large information sur la réforme. C’est l’un des problèmes auxquels nous sommes confrontés : le compte personnel de formation ne constituera une réelle avancée pour les salariés que si ces derniers connaissent son existence. Or, on le voit avec les mécanismes de formation existants, plus on se forme, plus on connaît les droits à formation et plus on en fait usage. Il est donc essentiel de bien informer les salariés, en particulier les femmes. Dans ce sens, les centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) seraient dans leur rôle d’informer les femmes de ce nouveau droit individuel.

Le projet de loi comporte des articles qui abordent d’autres aspects relatifs à l’amélioration du pilotage et de la gouvernance de la formation professionnelle. Il y a en effet beaucoup d’acteurs dans ce domaine, avec des financements partagés entre l’État, les régions et les partenaires sociaux. Le texte prévoit une certaine décentralisation à l’échelle des régions. La multiplicité des acteurs persistera néanmoins puisque les entreprises continueront à financer la formation continue, tandis que les régions prendront en charge, pour l’essentiel, les jeunes en apprentissage et les demandeurs d’emploi, en se voyant par ailleurs reconnaître le rôle de chef de file du service public de l’orientation.

Dans le domaine du pilotage et de la gouvernance des politiques de formation, il est préconisé, tout d’abord, d’accroître la part de filles en contrat d’apprentissage et de développer la mixité des formations suivies. Les filles sont en effet moins nombreuses dans les filières d’apprentissage que les garçons. Il faut aussi développer la mixité de sorte qu’il y ait davantage de filles dans les apprentissages de métiers très majoritairement masculins, mais aussi plus de garçons s’agissant des métiers dits « féminins ». L’idée est de se fixer un objectif chiffré : par exemple, 40 % des apprentis en 2017, avec un suivi annuel chiffré qui permette de connaître le nombre de filles par filières et de réaliser un suivi attentif de la situation. Il faudrait que cette question soit abordée au cours des discussions entre l’État et les régions. Nous recommandons également de développer les actions de tutorat renforcé afin d’aider les filles à trouver et à poursuivre des stages d’apprentissage et d’élaborer rapidement un catalogue des bonnes pratiques dans ce domaine.

Il paraît également important – c’est l’objet de la recommandation n° 6 – d’intégrer clairement l’objectif de développement de la mixité professionnelle et de lutte contre les stéréotypes de genre dans les missions du conseil en évolution professionnelle et du service public de l’orientation. À cette fin, il importe de prévoir la formation de l’ensemble des professionnels chargés de l’orientation, de l’emploi et de la formation sur les questions d’égalité professionnelle et de segmentation sexuée du marché du travail ainsi que sur la question des stéréotypes, comme le prévoit la recommandation n° 7.

Avec la recommandation n° 8, nous préconisons de mieux prendre en compte la dimension du genre dans le pilotage des politiques en matière de formation professionnelle – n’en déplaise à ceux qui pense que le genre n’existe pas…Il est important que le terme de « genre » figure clairement dans ce rapport, parce que s’il est un domaine où c’est une dimension essentielle, qui créé des inégalités entre les femmes et les hommes, c’est bien celui de la formation professionnelle.

Il est essentiel que dans le pilotage de la formation professionnelle, nous disposions de statistiques sexuées relatives aux formations suivies par les femmes et, plus encore, sur les dépenses consacrées à formation des femmes comparativement à celles relatives aux formations suivies par les hommes, car nous n’avons aucune visibilité dans ce domaine. Alors que la dépense nationale pour la formation professionnelle et l’apprentissage représente environ trente-deux milliards d’euros, qui proviennent à la fois des entreprises, des régions et de l’État, il est nécessaire d’avoir plus de visibilité sur l’utilisation de ces fonds, et il conviendrait en tout état de cause de les orienter davantage vers les femmes les moins qualifiées et à temps partiel.

Les documents budgétaires annexés au projet de loi de finances doivent être complétés à cette fin par des données sexuées dans ce domaine. De même, il convient de prévoir la publication par le futur Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (CNEFPOP) d’un rapport annuel, qui comporte des données chiffrées et permette aussi la diffusion des bonnes pratiques.

Par ailleurs, le projet de loi prévoit la création de nouvelles instances – en particulier le Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (Cnefop), que je viens d’évoquer, et les comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle (Crefop) – et de nouveaux instruments – contrat de plan régional de développement de la formation et de l’orientation professionnelles (CPRDFOP) – pour le pilotage de la formation professionnelle. Il paraît légitime d’intégrer explicitement la prévention des stéréotypes de genre parmi les missions de ces instances. Dans le domaine de la formation professionnelle, il doit être écrit dans la loi qu’il faut lutter contre les stéréotypes de genre, et c’est le sens de la recommandation n° 9.

Enfin, il importe que ces nouvelles instances, dans lesquelles siègent les représentants de nombreux acteurs et institutions (les partenaires sociaux, les représentants de l’État, les conseils régionaux, les organismes paritaires collecteurs agréés..), soient composées de manière paritaire. L’expérience montre qu’avec une égale représentation entre les femmes et les hommes, la question de l’égalité est mieux prise en compte.

Plusieurs amendements seront ainsi déposés sur le projet de loi, dans le sens de ces recommandations, et pourront être cosignés par des membres de la Délégation.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je remercie la rapporteure pour ce travail très intéressant, réalisé dans les brefs délais qui nous étaient impartis. Il s’agit réellement d’un travail de fond, qui a pu s’appuyer sur les différentes auditions que nous sommes parvenus à organiser, et les propositions formulées me semblent vraiment de nature à enrichir le texte.

Je souhaiterais revenir d’un mot à la question des études d’impact. Pour ce projet de loi, l’étude d’impact est fractionnée par article. Ce n’est guère satisfaisant car, de fait, elle prend souvent la forme de recommandations, alors qu’une étude d’impact doit donner des chiffres, offrir une analyse sur l’état présent et ce vers quoi nous allons. Sans quoi, nous ne pouvons avoir une idée de l’impact d’un projet de loi, s’agissant en particulier de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Toutes les recommandations de ce rapport me conviennent, et je suis très satisfaite que nous mettions l’accent sur la mixité des filières, car 2014 est précisément l’année de la mixité des métiers et le Gouvernement veut en faire un axe important de sa politique. Par ailleurs, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective vient de publier, à la demande de la ministre des Droits des femmes,  un rapport sur les stéréotypes de genre et qui évoque notamment la mixité des emplois. Il s’agit d’un rapport tout à fait passionnant et enrichissant, qui montre que les jeunes des milieux moins favorisés pâtissent de cette absence de mixité dans l’emploi : ils ont moins le choix de leur avenir professionnel et sont enfermés très tôt dans une orientation. La parité dans les fonctions et dans les postes est à peu près atteinte parmi les cadres, avec des inégalités suivant les métiers (par exemple, en informatique). En revanche, plus on descend dans la hiérarchie sociale, en particulier chez les employés les moins qualifiés, plus on trouve une majorité de femmes. La non-mixité constitue donc encore un facteur d’injustice. Il nous faut insister sur ce point.

Je suis très satisfaite des amendements proposés par la rapporteure et propose de compléter ses travaux sur les deux points suivants. Parmi les prescripteurs de l’orientation, il y a les enseignants. Or, on a le sentiment que tout le monde ne perçoit pas que l’orientation véhicule des stéréotypes de genre – ce n’est pas une invention ou une lubie  ! Les enseignements ne s’adressent pas nécessairement de la même manière aux filles et aux garçons. Par exemple, ils peuvent considérer d’emblée que les filles ne sont pas très bonnes en mathématiques, contrairement aux garçons. Cette perception conditionne l’orientation des filles vers les sciences. Dès lors, ne pourrait-on pas rajouter quelque chose sur la formation des enseignants en ce qui concerne les stéréotypes relatifs au sexe ? Cela a été dit pour les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE).

Par ailleurs, nous avions évoqué la possibilité d’inscrire le principe de parité dans les syndicats dans la partie du projet de loi relative à la démocratie sociale. Nous avions formulé une recommandation lors de l’examen du projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, mais sans la traduire par un amendement. Nous pourrions aujourd’hui émettre une recommandation dans ce sens et présenter un amendement concernant la représentation paritaire des salariés.

Certaines organisations syndicales nous ont exprimé leur accord. D’autres ont indiqué qu’elles avaient déjà réalisé cet objectif. Cependant, nous constatons que, dans le cadre de nos auditions, les organisations syndicales n’envoient la plupart du temps que des femmes – accompagnées parfois d’un homme – mais que lorsqu’ils sont entendus par des commissions permanentes, les syndicats ne sont souvent représentés que par des hommes…

Mme Conchita Lacuey. Je souscris aux recommandations formulées par la rapporteure. En définitive, il n’est pas aisé de savoir qui sera responsable de l’orientation dans les filières professionnelles, ce qui constitue une question importante. Est-ce l’Éducation nationale ? Les conseils régionaux ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il me semble qu’il y aura une rationalisation du choix des filières. Par exemple, dans les lycées, les régions seront associées aux décisions concernant le maintien des BTS (brevets de technicien supérieur) ou des CAP (certificats d’aptitude professionnelle). Il y aura une discussion entre l’État et les régions sur les filières.

Mme Conchita Lacuey. Il est intéressant de prendre en compte la dimension du genre dans ce domaine. Il faut que nous portions cette problématique, sinon on ne fera pas avancer l’égalité entre les femmes et les hommes.

En ce qui concerne l’amendement sur la parité dans la représentation des syndicats, je crois que les organisations s’y sont montrées favorables lorsque nous les avons reçues. Il est donc pour nous important de le confirmer ou de l’affirmer.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il faudra également que nous défendions un amendement sur le travail à temps partiel, même si nous aurons sans doute du mal à le faire adopter.

Que l’on travaille ou non à temps partiel, on a besoin de formation pour maîtriser un métier. Il y a là un combat à mener car la proratisation des droits à la formation est bien ancrée dans les esprits. On me fait valoir que la question se pose dans les mêmes termes que pour les droits à la retraite. Il nous faut défendre l’idée que la proratisation doit être écartée dans l’acquisition des droits à la formation professionnelle, d’autant que ce sont les travailleurs-ses à temps partiel qui éprouvent le plus de difficultés à se former.

Je ne sais pas si cette idée peut faire l’objet d’une recommandation, mais il me semble nécessaire d’évoquer les difficultés rencontrées par des femmes pour reprendre une activité professionnelle. Il existait des associations et des organismes qui, au fil du temps, ont disparu faute de financement. Or, lorsque l’on est sorti du marché du travail, que cela soit pour cause de chômage de longue durée ou pour un congé parental, il faut une formation pour retrouver un emploi. Je ne sais pas si c’est un problème typiquement féminin mais, de fait, ce sont plus souvent les femmes qui s’arrêtent. Je comprends bien que l’on ne souhaite pas encourager des interruptions de carrière et, en particulier, des congés parentaux longs, mais il faut aussi prendre en compte la réalité… Cela étant dit, je ne sais qui serait susceptible de financer des mesures dans ce domaine.

Mme Ségolène Neuville, rapporteure. Pour les personnes restées longtemps hors du marché du travail, le texte comporte une avancée : c’est l’entretien professionnel, qui sera organisé tous les deux ans, et après chaque absence prolongée. Il n’est pas conçu comme un entretien d’évaluation du salarié par l’employeur : il s’agit en effet de permettre au salarié de faire le point sur là où il en est et ce qu’il souhaite faire afin de construire sa carrière professionnelle, avec son employeur ou un responsable des ressources humaines.

La question est aussi de savoir si l’on doit abonder davantage le compte personnel de formation en cas d’absence du marché du travail. La question est difficile, dans la mesure où cela peut avoir pour effet d’encourager les congés parentaux de longue durée, alors que ces derniers handicapent les femmes dans leur carrière. Il faut également tenir compte de la situation des demandeurs d’emplois de longue durée.

Au-delà de l’alimentation systématique du compte personnel de formation selon les modalités précédemment évoquées, il convient également de rappeler que des abondements complémentaires ponctuels pourront être réalisés par les différents partenaires, en fonction du rôle de chacun. Par exemple, au-delà de l’abondement par l’employeur s’il s’agit d’une personne ayant un emploi, rien n’interdit que les autres partenaires de la formation professionnelle alimentent également les comptes personnels de formation. Il faudra examiner attentivement les conditions d’application de la loi s’agissant des personnes en situation de précarité et des personnes absentes du marché du travail, en particulier les chômeurs de longue durée ou ceux qui n’ont jamais trouvé un emploi.

Mme Conchita Lacuey. Concernant les salarié-e-s à temps partiel, on pourrait peut-être faire en sorte qu’ils obtiennent le même nombre d’heures de formation que les travailleurs à temps plein. Après tout, un salarié à temps partiel ne bénéficie pas moins de jours de congés payés.

Mme la présidente Catherine Coutelle. S’agissant d’un autre point en rapport avec l’orientation professionnelle, Pôle emploi peut financer des bilans de compétence auprès d’organismes œuvrant dans le domaine de la formation professionnelle. Cela étant, si rien ne change, on peut retomber dans les mêmes travers qui conduisent à orienter les femmes qui souhaitent retravailler ou se réorienter vers des métiers supposés nécessiter des qualités féminines. Je pense qu’il faut ouvrir le champ des possibles dans le cadre des bilans de compétence. Il faudrait peut-être envisager, pour ces nombreux organismes de formation, un « label égalité » ou un « label formation à l’égalité ». Je ne suis pas certaine que tous proposent des formations et tiennent des discours de nature à favoriser la mixité des métiers.

Mme Ségolène Neuville, rapporteure. Il existe en effet près de 53 000 organismes de formation… Il appartiendra aux conseils régionaux de « faire le ménage ». Ils vont assumer la pleine responsabilité en matière de formation professionnelle. Leur mission va consister à dresser un état des lieux du marché du travail sur leur territoire, le cas échéant par bassin d’emplois, et, en conséquence, à sélectionner de manière dynamique les formations adaptées au marché de l’emploi. Il s’agira également pour eux d’éliminer les doublons, par exemple entre centres de formation d’apprentis et lycées professionnels. Il arrive en effet que l’on trouve un même CAP dans un lycée et un centre de formation des apprentis (CFA) qui sont voisins. Désormais, les régions pourront exercer un droit de regard sur les formations dispensées dans les lycées professionnels, dans le cadre des BEP (brevet d’études professionnelles) et CAP.

En ce qui concerne la représentation syndicale, nous pourrions présenter un amendement de sorte que de manière systématique – certains d’entre eux le font déjà –, les syndicats organisent des formations pour leurs représentants et leurs délégués à propos des inégalités femmes-hommes et des stéréotypes de genre.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Certains syndicats ont déjà cette pratique, mais le rapport pourrait être complété par une recommandation sur ce point, en lien avec les dispositions du projet de loi relatives à la démocratie sociale.

Mme Ségolène Neuville, rapporteure. Nous pouvons effectivement ajouter une onzième recommandation, concernant la parité, dont l’objet serait de veiller à l’égale représentation des femmes et des hommes au sein des syndicats et de proposer une formation systématique aux représentants syndicaux en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, et en particulier sur les stéréotypes de genre.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cela pourrait donner lieu à un amendement après l’article 18 du projet de loi.

Il ne nous reste plus qu’à remercier la rapporteure pour son travail qui, encore une fois, pouvait relever d’une gageure. Avec l’accord de la rapporteure, il conviendrait de retenir un titre dynamique qui permette de rendre compte de sa « tonalité », ainsi que nous avions procédé pour le rapport consacré à la réforme des retraites.

La Délégation adopte le rapport d’information de Mme Ségolène Neuville sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale (n° 1721) ainsi que les recommandations présentées ci-après.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

Ces onze recommandations sont fondées sur trois orientations stratégiques.

• Favoriser l’accès des femmes à la formation professionnelle continue

Recommandation n° 1 : Donner les mêmes droits aux salarié-e-s à temps partiel concernant l’alimentation du compte personnel de formation, soit 20 heures par an, sans préjudice des abondements complémentaires (suppression du principe du prorata temporis à l’article 1er du projet de loi).

Recommandation n° 2 : Veiller à assurer un traitement égal des salarié-e-s, en particulier lors de l’entretien relatif à leurs perspectives d’évolution professionnelle :

– en précisant que l’entretien doit se dérouler sans reproduire des stéréotypes de genre et conformément au principe d’égal accès des femmes et des hommes à la formation, en intégrant aussi les besoins et désirs exprimés par le salarié ;

– en développant la formation de l’encadrement et des responsables des ressources humaines aux questions d’égalité femmes-hommes et à la prévention des stéréotypes de genre.

Recommandation n° 3 : Recenser et diffuser les bonnes pratiques des branches et des entreprises pour remédier aux disparités femmes-hommes en matière de formation, dans le cadre du bilan annuel de la négociation collective et du Cnefop, par exemple :

– la mise en place d’un indicateur de suivi de la proportion de femmes et d’hommes accédant à une formation qualifiante ;

– l’organisation des actions de formation au regard des contraintes de réorganisation personnelle, en privilégiant un déroulement sur le lieu habituel de travail ou à proximité ;

– l’indemnisation des frais supplémentaires occasionnés par la garde des enfants, lorsque la durée des sessions de formation excède les horaires habituels de travail.

Recommandation n° 4 : Adapter les formations pour mieux prendre en compte les contraintes des femmes et assurer une large information sur la réforme :

– en précisant la notion de « frais annexes », s’agissant de la prise en charge des frais de formation pour les salarié-e-s et les demandeur-e-s d’emploi (question des frais de garde) ;

– en développant les possibilités de formations à distance ainsi que les offres de formations globales intégrant l’accompagnement de la personne (exemple du Poitou-Charentes) ;

– en veillant à l’information des femmes, notamment sur le CPF et le conseil en évolution professionnelle, dans le cadre des centres d’information sur les droits des femmes (CIDFF).

• Promouvoir la mixité des filières de formation et des métiers

Recommandation n° 5 : Accroître la part de filles en contrat d’apprentissage et développer la mixité des formations suivies :

– en fixant un objectif chiffré concernant la proportion de filles parmi les apprentis (par exemple un objectif intermédiaire de 40 % d’apprenties en 2017), avec un suivi annuel portant également sur la proportion de filles par filière ;

– en veillant à l’intégration de cette question dans les conventions État –régions ;

– en développant des actions de tutorat renforcé pour aider les filles à trouver et poursuivre des stages d’apprentissage, et en élaborant rapidement un catalogue des bonnes pratiques.

Recommandation n° 6 : Intégrer clairement l’objectif de développement de la mixité professionnelle et de lutte contre les stéréotypes de genre, dans les missions du conseil en évolution professionnelle et du service public d’orientation.

Recommandation n° 7 : Prévoir la formation de l’ensemble des professionnels chargés de l’orientation, de l’emploi et de la formation sur les questions d’égalité professionnelle et de segmentation sexuée du marché du travail (prévention des stéréotypes)

Recommandation n° 8 : Améliorer le pilotage des politiques en matière de formation professionnelle pour mieux prendre en compte la dimension du genre :

– en développant les statistiques sexuées concernant le nombre et le type de formations suivies par les femmes, ainsi que les dépenses afférentes, en vue d’une meilleure répartition des fonds de la formation professionnelle vers les femmes les moins qualifiées et/ou à temps partiel ;

– en complétant à cette fin les documents budgétaires (annexes au projet de loi de finances) ainsi que les conventions triennales conclues entre l’État et les Opca ;

– en prévoyant la publication d’un rapport annuel par le Conseil national (Cnefop) afin notamment de diffuser les bonnes pratiques des branches et des régions.

Recommandation n° 9 : Intégrer explicitement la prévention des stéréotypes de genre parmi les missions des instances nationale et régionales compétentes en matière d’emploi, d’orientation et de formation et dans les documents régionaux de programmation (Cnefop, Crefop et CPRDFOP).

• Développer la parité

Recommandation n° 10 : Veiller à l’égale représentation des femmes et des hommes au sein du Conseil national (Cnefop) et des comités régionaux de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (Crefop) ainsi que dans les comités paritaires national et régionaux pour la formation professionnelle et l’emploi.

Recommandation n° 11 : Veiller à l’égale représentation des femmes et des hommes au sein des organisations syndicales (instances de direction et délégations) et prévoir une formation des représentants syndicaux à l’égalité, en particulier sur les stéréotypes de genre.

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE LA DÉLÉGATION

Audition de Mme Florence Perrin, conseillère déléguée aux formations sanitaires et sociales au Conseil régional de Rhône-Alpes, représentante de l’Association des régions de France (ARF), le mardi 14 janvier 2014 66

Audition de M. Yves Barou, président de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), le mardi 14 janvier 2014 74

Audition, sous forme de table ronde, de représentant-e-s d’organisations syndicales de salariés : Mme Anne Baltazar, secrétaire confédérale de Force ouvrière (FO) ; Mme Catherine Bourrut, secrétaire confédérale en charge de la formation professionnelle de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) ; Mme Chantal Guiolet, déléguée nationale en charge de l’égalité professionnelle, de la Confédération française de l’encadrement – Confédération générale des cadres (CFE-CGC) ; Mme Christine Lodewyckx, du réseau formation professionnelle continue de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), vice-présidente de l’AGEFOS-PME ; M. Djamal Teskouk, conseiller confédéral, et Mme Magali Bourdon, conseillère confédérale, de la Confédération générale du travail (CGT), le mardi 21 janvier 2014 80

Audition de Mme Sylvie Brunet, vice-présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité du Conseil économique, social et environnemental (CESE), vice-présidente de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) et professeure associée à Euromed Management- Kedge business school, de Mme Françoise Fillon, consultante en égalité et représentante des associations territoriales « Retravailler », et de Mme Garance Yverneau, fondatrice et dirigeante du cabinet 5 A, société de conseil en gestion de carrière au féminin, le mercredi 22 janvier 2014 93

Audition de M. Christophe Strassel, chef de service adjoint à la Déléguée générale à l’emploi et à la formation professionnelle, et de M. Jean-Marc Huart, sous-directeur des politiques de formation et du contrôle au ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, le jeudi 23 janvier 2014 101

Mme la présidente Catherine Coutelle. Madame, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Parce que la formation professionnelle appartient au domaine de compétence des régions, il nous a semblé intéressant de vous entendre, en tant que représentante de l’Association des régions de France (ARF) et conseillère déléguée aux formations sanitaires et sociales de la région Rhône-Alpes.

Dans la mesure où l’ARF a eu le temps d’étudier le projet de loi, j’aimerais savoir quelle vision les régions ont de la situation de la formation professionnelle, maintenant qu’elles sont aux commandes.

J’étais hier à dans un centre de l’AFPA avec le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, M. Michel Sapin, et la présidente de la région Poitou-Charentes, Mme Ségolène Royal. J’ai été frappée par les difficultés que les dix témoins présents nous ont dit avoir rencontrées pour obtenir une formation rémunérée : le nombre de critères auxquels il faut répondre ; le nombre de formations et d’opérateurs existants ; la longueur de la prise de décision. Il avait fallu deux ans à l’un d’eux pour pouvoir suivre une formation qualifiante, malgré l’accord de son entreprise ! À l’heure actuelle, pourtant, en France, l’insuffisance de formation des personnels constitue un problème. Ainsi, une coopérative agricole, installée dans ma région depuis vingt-huit ans, vient de faire faillite ; l’un de ses salariés, à son entrée dans cette coopérative, n’avait pas de CAP. Comme il ne l’a jamais passé, il se retrouvera sur le marché du travail sans avoir suivi aucune formation.

Que pensent donc les régions du projet de loi ? Quels problèmes avez-vous rencontrés ? Que proposez-vous, notamment pour les femmes, qui sont plus éloignées de la formation professionnelle que les hommes ?

Mme Florence Perrin. Je suis en effet, avec Pascale Gérard, vice-présidente de la commission « formation sanitaire et sociale » au Conseil régional de la région Rhône-Alpes, présidé par Jean-Jack Queyranne. Dans le groupe politique auquel j’appartiens, je suis la référente pour la formation professionnelle en région. J’ai par ailleurs été formatrice, puis directrice de l’Institut de formation Rhône-Alpes, directrice d’un plan local pour l’insertion (PLI), chef de projet politique de la ville de Feyzin, et chargée de mission. Je connais donc bien le secteur de la formation professionnelle – en particulier celle des femmes.

Nous avons dû réagir très vite pour nous approprier ce projet. Mais il faut dire que nous avions beaucoup travaillé la question avec M. Christian Ville, l’ancien directeur de cabinet auprès de M. Thierry Repentin, alors ministre délégué à la formation professionnelle et à l’apprentissage, puis avec Mme Catherine Beauvois et Mme Pascale Gérard. De la même façon, avec M. Philippe Meirieu, le vice-président en charge de la formation en région Rhône-Alpes, nous avons été très attentifs à ce qui se préparait.

Vous avez fait une sorte d’état des lieux, que je corrobore et dont les régions sont tout à fait conscientes : obtenir une formation relève du « parcours du combattant », que l’on soit demandeur d’emploi ou salarié – même si ce n’est pas la même chose d’attendre deux ans pour un demandeur d’emploi que pour un salarié.

La partie du projet de loi relative au compte personnel de formation, qui concerne aussi bien les salariés que les demandeurs d’emploi, est intéressante. À partir de l’âge de seize ans, le salarié disposera d’un compte personnel, d’un vivier d’où il pourra puiser 150 heures de formation. Certes, ce quota n’est pas suffisant pour une formation qualifiante, mais les régions et les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) seront présents en parallèle. Par ailleurs, le payeur sera la Caisse des dépôts et consignations. On peut donc penser que le processus sera beaucoup plus rapide qu’il ne l’est aujourd’hui.

Le salarié aura la capacité de se former à son outil de travail ou d’améliorer sa qualification professionnelle à partir de son compte personnel. Et s’il souhaite, par exemple, une formation pour un CAP qui requiert 800 heures, les régions pourront se concerter avec les partenaires sociaux pour assurer le financement des heures au-delà des 150 heures de son compte personnel.

Nous sommes heureux à l’idée que ce sera plus facile qu’aujourd’hui. Il est en effet fréquent qu’un OPCA réponde au demandeur d’un droit individuel à la formation (DIF) qu’il est sur une liste d’attente de deux à trois ans.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mais pourquoi tant d’attente ?

Mme Florence Perrin. Prenons l’exemple des formations sanitaires et sociales. Nous manquons d’infirmières. Toute région, quelle qu’elle soit, ne peut qu’être « partante » pour la mise en place de telles formations. Sauf que si la personne qui en demande une travaille en hôpital, dans une crèche ou pour tout autre employeur, la région n’interviendra pas : elle n’intervient qu’en faveur des demandeurs d’emplois. La formation des salariés dépend d’une cotisation patronale versée à un OPCA. Celui-ci aura sa propre politique en la matière et il la traduira par un certain nombre de places de formation d’infirmières.

En outre, si l’employeur de cette personne est un établissement très particulier, qui s’occupe, par exemple, du handicap, il sera moins prioritaire que ceux du secteur hospitalier – dont les cotisations « tombent ». L’OPCA mettra cette formation d’infirmière en quatrième ou cinquième position, et la personne qui en aura fait la demande pourra attendre très longtemps.

Autre problème : l’entrée dans ces formations dépend de concours dont le bénéfice n’est conservé que pendant deux ans. Du fait des délais, des personnes qui ont pourtant réussi le concours n’arrivent pas à entrer. Certaines peuvent même se mettre en danger, allant jusqu’à démissionner de leur situation professionnelle. Cette formation étant très onéreuse, et donc inabordable, elles attendent, attendent, et rencontrent de vraies difficultés.

Voilà pourquoi le compte personnel constituerait, selon nous, un levier important. À partir du moment où les personnes concernées disposeront de 150 heures, on peut imaginer que les OPCA, et nous-mêmes, pourrons assurer la poursuite de leur parcours de formation.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Si j’ai bien compris, c’est le conseil d’administration de l’OPCA qui décide de l’orientation de sa politique de formation et fixe le nombre de places, à partir du financement assuré par les entreprises ?

Mme Florence Perrin. Oui.

Mme la présidente Catherine Coutelle. De la même façon, Pôle Emploi finance des formations dans les métiers en tension. Et les régions ?

Mme Florence Perrin. Partons des personnes qui demandent la formation, en distinguant bien demandeurs d’emploi et salariés.

Si vous êtes salarié, vous dépendez de votre entreprise, qu’elle soit dans le secteur sanitaire et social, industriel ou tertiaire. Vous dépendez de la cotisation qu’elle verse obligatoirement à un OPCA et qui varie en fonction de son effectif, ou de son plan de formation s’il s’agit d’une entreprise de grande taille.

Dans ce dernier cas, les régions n’ont pas à intervenir puisque l’on n’est plus dans le cadre de politiques publiques, mais de politiques d’employeurs dans différents secteurs. En outre, les formations qu’elles proposent bénéficient surtout aux cadres moyens et supérieurs, et moins aux techniciens, employés et ouvriers. Il faudrait d’ailleurs faire en sorte que ces derniers, qui sont les moins formés du monde de l’entreprise, soient bien informés des modalités de mise en œuvre du compte personnel qui leur sera attribué. S’ils ne les connaissent pas, le dispositif ne servira pas à grand-chose. L’enjeu est donc important.

Maintenant, si vous êtes demandeur d’emploi, que vous soyez un jeune qui démarre dans la vie ou que vous ayez perdu votre emploi, vous pouvez vous adresser à deux acteurs : Pôle emploi et les régions. Pôle emploi intervient au titre des demandeurs d’emploi indemnisés ou non, de longue durée (au-delà d’un an) ou pas. Les régions interviennent également au titre des demandeurs d’emplois, en prenant en compte leur statut : homme ou femme, handicapé, jeune (de 16 à 25 ans), adulte (au-delà de 26 ans), senior (au-delà de 45 ans), etc. Ces statuts, qui sont fixés par les régions, sont partout les mêmes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les régions peuvent-elles choisir de favoriser tel ou tel public ?

Mme Florence Perrin. On peut dire que les régions ont majoritairement favorisé les jeunes. Elles ont mis en œuvre des plans « jeunes » tout en s’adressant, pour les mesures d’accompagnement, au service public des missions locales. Pôle emploi intervient davantage dans le secteur des adultes – accompagnement et accès à la formation.

À propos de Pôle emploi, la législation actuelle nous avait déjà donné en partie la main, dans la mesure où nous pouvions déjà déterminer les besoins de formation sur un bassin d’emploi ou sur un territoire, afin de pouvoir y répondre. La loi préparée par M. Sapin prévoit un lieu où nous devrons ensemble, avec l’éducation nationale, l’enseignement supérieur et Pôle emploi, déterminer l’offre de formation sur un territoire, si possible régionalement.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous dresserez donc à quatre une carte de la formation ?

Mme Florence Perrin. C’est la région qui sera le pilote, et qui dressera la carte de la formation dans la région.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Ne craignez-vous pas que les départements et les grandes collectivités veuillent également intervenir ?

Mme Florence Perrin. Non. Lorsqu’il s’agit d’insertion, de lutte contre la précarité ou l’exclusion, personne ne veut intervenir. Je pense donc qu’on laissera aux régions le soin de s’occuper de la formation des demandeurs d’emploi.

Le projet de loi relatif à la formation professionnelle renforce notre rôle – cartographies, analyses de l’offre, mise en œuvre des formations – et nous donne des outils juridiques pour agir. La procédure des marchés publics n’était pas adaptée et nous a empêchés de mettre route certaines formations : d’abord, on n’achète pas de la formation comme on achète de la savonnette ; ensuite, la formation doit pouvoir s’adapter à des micro territoires ; enfin, il faut entre un an et deux ans pour définir un marché, alors même que la demande change du jour au lendemain et que la plus grande souplesse serait nécessaire.

Le projet de loi nous donne la capacité de construire du qualitatif. Le service d’intérêt économique général (SIEG) permet en effet la mise en œuvre de mandatements par octroi de droits spéciaux. C’est important, dans la mesure où les régions interviennent surtout sur des qualifications de bas niveau – pour des personnes qui n’ont pas de qualification, qui n’ont pu mener leur qualification à terme, ou qui ont une qualification de niveau V et voudraient obtenir un niveau IV. Cela dit, nous avons des demandes pour les niveaux I et II, notamment dans les filières sanitaires et sociales, et pour l’apprentissage en enseignement supérieur.

Nous réagissons, au niveau régional, sur des postures techniques d’agrément. Je ne rentrerai pas dans les détails. Malgré tout, je pense que le projet de loi remet les régions au cœur de la décision. Jusqu’à présent, la question de l’orientation n’appartenait pas à la région. On en traitait ailleurs, au ministère de l’éducation nationale et, en partie, au ministère de l’enseignement supérieur.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous allez reprendre les centres d’information et d’orientation (CIO) ?

Mme Florence Perrin. Non, mais nous allons reprendre la question de l’orientation dans l’offre de formation, ce qui n’est tout de même pas négligeable. Je n’ai pas de commentaires à faire, sinon que les CIO ont refusé, il y a déjà un moment, de relever des régions, ou tout au moins d’accompagner le processus de prise de compétence des régions en matière d’orientation. Ils sont donc toujours, soit au ministère de l’éducation nationale, soit au ministère de l’enseignement supérieur. Ils seront avec nous, mais dehors …

Mme la présidence Catherine Coutelle. Allez-vous recréer des services d’orientation ?

Mme Florence Perrin. Non, nous allons travailler avec eux. Mais c’est nous qui aurons la main en matière d’orientation.

Mme la présidente Catherine Coutelle. L’enjeu est considérable, s’agissant des filles.

Mme Florence Perrin. En effet. Je remarque que, s’agissant des formations sanitaires et sociales, la question de la parité se pose dans l’autre sens : on a « trop » de filles, d’infirmières, de sages-femmes, etc. En revanche, parmi les kinésithérapeutes, les hommes sont plus nombreux. Dans le secteur social, le phénomène est le même : il y a surtout des éducatrices, des animatrices et des assistantes sociales. Et c’est maintenant le cas dans les métiers de l’animation.

Au regard de la question des femmes, l’orientation des filles est très importante. Les affectations ont lieu, globalement, à la sortie du collège et après le baccalauréat.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Comment les régions vont-elles faire ? Elles sont compétentes pour les lycées, mais pas pour les collèges. Or c’est à la fin du collège, lorsque l’on demande aux jeunes d’avoir une idée de leur futur métier, que tout se joue. Les régions ont-elles déjà mené des actions en matière d’orientation ?

Mme Florence Perrin. Non, mais plusieurs régions, dont la mienne, ont été retenues pour expérimenter le futur service public régional de l’orientation. Il s’agit de savoir comment les régions s’approprieront la question de l’orientation, avec des centres d’information qui relèvent de l’éducation nationale ; et comment nous pourrons mettre en adéquation nos analyses de demandes de formation avec leurs réponses et leur orientation dans les collèges et dans les lycées. On n’en est pas encore à savoir comment on va faire, mais comment on va travailler ensemble.

Mme Ségolène Neuville. Vous parlez de la difficulté que rencontreront les régions pour construire un service public de l’orientation en lien avec l’éducation nationale. Mais dans les lycées, et en particulier les lycées professionnels, il existe déjà un lien fort entre les régions et l’éducation nationale,

Mme Florence Perrin. Ce n’est pas parce que vous êtes en charge de la construction et du bien-être matériel des lycéens que vous êtes en charge du contenu de la formation ou de la façon dont se construira le parcours du jeune. Ce n’est pas à nous de faire remarquer au proviseur que dans telle section technique, il y a 80 % de garçons et 20 % de filles. La région est compétente sur les lycées, mais pas sur la formation initiale.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous êtes compétentes, quand il s’agit d’ouvrir ou de fermer des sections.

Mme Florence Perrin. En effet.

Si, du jour au lendemain, il n’y a plus que 5 ou 6 élèves dans une section, nous pouvons partager ce constat avec les recteurs et leur faire remarquer qu’il y a un problème. Mais il n’est pas question d’intervenir sur la méthodologie ou sur la construction du parcours de formation initiale.

Mme Ségolène Neuville. Je sais bien. Néanmoins, un certain nombre de régions ont signé la Charte européenne pour l’égalité des femmes et des hommes dans la vie locale. Elles s’y engagent à inciter leurs partenaires à travailler à davantage d’égalité entre les femmes et les hommes. Cela suppose de travailler, entre autres, sur les stéréotypes, notamment dans les lycées. Mais je reconnais que cela se discute, en général, au niveau des rectorats – pour ceux qui l’acceptent.

Ma question serait plutôt la suivante : dans la mesure où elles vont récupérer l’ensemble de la compétence « orientation », les régions feront-elles de l’égalité d’orientation entre les filles et les garçons une priorité ?

Mme Florence Perrin. Je voulais dire que nous n’avons pas de prise sur le contenu des formations, ni sur le moment où les enseignants délibèrent du parcours d’un élève. En revanche, nous sommes plus qu’incitatifs. Les conseillers régionaux sont présents dans les conseils d’administration des lycées. Je ne peux pas préjuger de l’attitude de chacun d’entre eux mais je sais, par exemple que, dans ma région, ils sont majoritairement sensibles à la question de la mixité entendue au sens large, dans quelque sens que ce soit, et quelque soit le niveau ou le quartier.

Grâce à la nouvelle loi, et par le biais du comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles, le CREFOP, nous pourrons agir. Si demain, en tant que conseillère régionale déléguée aux formations sanitaires et sociales, j’exige qu’il y ait 50 % de garçons et 50 % de filles dans une formation initiale, celle-ci ne s’ouvrira pas. Car désormais, c’est nous qui donnerons les agréments. J’observe que l’agence régionale de santé (ARS) a tendance à favoriser l’orientation des garçons vers des formations médicales et celle des filles vers les formations paramédicales. La proportion peut aller jusqu’à 90 % de garçons dans les premières et 90 % de filles dans les secondes, alors même que ce n’était pas le cas au départ. Il nous faudra donc une force politique, ou du moins la volonté de refuser l’agrément et donc, l’ouverture de certaines formations. Bien sûr, ce n’est pas parce qu’on refusera que tel lycée assure telle ou telle formation qu’on aura résolu la question de l’orientation. Malgré tout, les régions disposent maintenant d’un levier technique qui leur permettra d’assumer une position politique en matière de mixité.

Mme Ségolène Neuville. La question de la mixité des formations ne devrait-elle pas figurer dans le projet de loi ? J’ai entièrement confiance dans les régions, mais toutes ne feront peut-être pas de l’égalité filles/garçons une priorité. On pourrait par exemple écrire : « Au sein des CREFOP, l’égalité entre les filles et les garçons doit être privilégiée ». Qu’en pensez-vous ?

Mme Florence Perrin. Je pense que vous avez raison, car la question de la mixité des formations est un véritable enjeu. À ce propos, j’étais tout à l’heure en commission à l’ARF et nous avons travaillé sur des propositions de modification et sur d’éventuels amendements.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Pourriez-vous nous transmettre vos amendements en rapport avec la mixité et l’égalité entre les hommes et les femmes ?

Mme Florence Perrin. Je n’ai pas en tête le texte précis du projet de loi, et je ne peux pas vous affirmer que le terme de « mixité » y figure ou non. Mais il est clair que ne sera appliqué que ce qui sera écrit. Donc, il vaut mieux y faire allusion dans le texte. Cela nous servira de point d’appui et nous permettra d’exprimer qu’un changement est en cours. Maintenant, je ne peux pas vous dire à quel endroit du texte il faudrait l’écrire. Nous pourrions y réfléchir.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Certes, la compétence des régions va être renforcée. Mais n’avez-vous pas le sentiment qu’en matière d’orientation, tout aura déjà été décidé lorsque vous pourrez intervenir ? Vous ne pouvez pas influer sur les contenus du collège. Mais peut-être pourrez-vous travailler avec les CIO et, par la persuasion, agir de façon efficace. Qu’en pensez-vous ?

Les filles s’orientent souvent vers dix des quatre-vingt-sept métiers possibles. Est-ce une spécificité française ? Par ailleurs, les chefs d’entreprise sont nombreux à déplorer la méconnaissance des métiers de la part des jeunes. Présente-t-on les métiers, organise-t-on des stages dans les entreprises ? Dans les salons des étudiants, on ne présente pas les métiers. Or on ne s’oriente que vers ce que l’on connaît. Est-ce que la présentation des métiers fait partie des missions des régions ?

Mme Florence Perrin. Oui. Nous organisons des forums des métiers, afin que les jeunes puissent découvrir ceux-ci et connaissent la réalité qu’ils recouvrent. En effet, les outils changent et la recherche innove. Les métiers ont beaucoup évolué ; c’est par exemple le cas du métier de tourneur-fraiseur. Mais, de mon point de vue, cela ne suffira pas à infléchir l’orientation, car nous butons sur un problème de fond : il y a encore des pyjamas bleus et des robes roses ! Et j’aurais même tendance à penser qu’il y avait moins de robes roses que n’en a ma propre fille aujourd’hui.

Nous entendons beaucoup de jeunes dire qu’ils ne savent pas quel métier choisir. Mais la plupart du temps, ils ne vont voir personne pour les conseiller ; les CIO sont littéralement absents. Nous allons essayer de nous rapprocher d’eux. Les régions ont innové sur des lieux d’accueil, d’information et d’orientation, qui regroupent les accompagnateurs de demandeurs d’emploi, les accompagnateurs des jeunes, etc. Il faut absolument un guichet unique pour que les intéressés puissent se faire une idée des métiers qui existent et de la place qu’ils peuvent avoir dans la société.

À côté de cela, on voit sur des tee-shirts d’enfants : en bleu, « tu seras un super pilote », et en rose : « tu seras belle ». Cela contribue à conforter la répartition traditionnelle des fonctions au sein de la société. Souvent, des jeunes femmes qui réussissent dans leurs études, qui ont le même niveau que les garçons, ne s’autorisent pas à envisager un poste à responsabilité. Or, si les régions peuvent beaucoup, elles ne peuvent pas résoudre ce genre de problème.

Cela dit, les régions peuvent au moins intervenir à la sortie du lycée et à l’entrée des universités. Elles se sont mises à contractualiser avec les universités pour infléchir la question de l’orientation, tout en n’ayant pas la compétence. Maintenant, elles l’auront. Nous pouvons donc espérer aller un peu plus loin. Si les régions se positionnent juste à la fin des cursus, c’est parce que c’est juste à ce moment-là qu’il est possible d’engager un dialogue avec les jeunes. C’est l’occasion de dire aux filles que le métier de menuisier et le métier d’ingénieur leur sont autorisés et qu’elles peuvent devenir autre chose qu’infirmière, sage-femme ou animatrice, et aux garçons qu’ils peuvent devenir, par exemple, professeur des écoles. Aujourd’hui, dans les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE), il n’y a que des femmes. On peut d’ailleurs s’interroger sur un schéma d’éducation, dans lequel les femmes élèvent les enfants et sont professeures des écoles…

Je précise qu’avant le CREFOP, il y avait le contrat de plan régional de développement des formations professionnelles (CPRDFP). Nous étions présents, à côté des recteurs d’académie, pour donner notre avis sur les formations allant du « moins 3 » au « plus 3 ». C’est ainsi qu’au niveau régional, nous avons freiné l’enthousiasme de l’éducation nationale pour des filières féminines qui ne correspondaient plus à la demande en termes de créations d’emploi. De la même façon, nous nous sommes longuement manifestés en disant que les formations de menuisiers ne devaient pas comprendre 90 % de garçons et 10 % de filles. Maintenant, nous ferons davantage que de donner notre avis : nous aurons la capacité de dire « non ». Il ne s’agit pas de jouer directement sur l’orientation, mais de refuser de donner l’agrément à un lycée pour ouvrir tel bac pro, ce qui fait que la section ne sera pas créée. Et si une section n’est pas créée, il n’y a pas de public pour y entrer. Arrêtons, par exemple, de créer des sections d’aides-soignantes …

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vous sortez renforcés dans votre pouvoir de décision et dans votre pouvoir politique. J’ai relevé, notamment, que vous n’étiez plus obligés de passer par des appels d’offre. C’est une bonne chose, car j’ai moi-même constaté que cela avait parfois abouti à « casser » des formations. Pourriez-vous nous dire rapidement ce que nous pourrions ajouter au texte ?

Mme Ségolène Neuville. Il est écrit à l’article 11, qui traite des compétences des régions, que la région « favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux filières de formation et contribue à développer la mixité de ces dernières ». Nous devrons regarder s’il faut introduire cette phrase à d’autres endroits du texte.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Certaines femmes rencontrent des difficultés pour suivre une formation : difficultés à se libérer, problèmes d’hébergement, etc. Est-ce que les régions peuvent intervenir ? À moins que ce ne soit pas de leur compétence ?

Mme Florence Perrin. Plusieurs régions ont commencé à expérimenter ce que l’on appelle des « parcours de formation-emploi », où les questions d’hébergement, de garde d’enfants et de mobilité sont intégrées à la réponse à l’offre de formation. Nous avons été plusieurs à procéder par mandatement ; je me suis d’ailleurs moi-même rendue à Poitiers pour voir comment faisait Mme Ségolène Royal. En cas de mandatement, la région distingue le coût de la formation du coût de l’environnement de cette formation ; elle présente, dans son cahier des charges, ce qui relève du contenu de formation de ce qui relève de l’accompagnement ; puis elle fait une offre globale. Cela évite les ruptures de formation, qui sont très dommageables sur les bas niveaux de qualification. Il est important de sécuriser les cursus, même s’ils ne sont que de trois mois. Ainsi, la personne peut se poser et entrer en formation dans les meilleures conditions, au plan intellectuel comme au plan personnel.

Mme la présidente Coutelle. Le coût de l’accompagnement de la formation rentre-t-il dans le coût de la formation ?

Mme Florence Perrin. Oui, mais le prestataire, que ce soit l’AFPA, le GRETA (groupement d’établissements), etc., doit distinguer le coût pédagogique de la formation, qui est un face-à-face avec le formateur, du coût de l’accompagnement, qui se calcule à l’unité et dépend de la qualité de la restauration et de l’hébergement. Dans un marché, ce n’est pas possible.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Je vous remercie.

Audition de M. Yves Barou, président de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA)

Compte rendu de l’audition du mardi 14 janvier 2014

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mes chers collègues, nous accueillons à présent M. Yves Barou, président du conseil d’administration de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) depuis 2012, qui est également le fondateur du Cercle des directeurs des ressources humaines (DRH) européens pour la responsabilité sociale.

Monsieur Barou, le projet de loi sur la formation professionnelle, qui sera présenté en conseil des ministres le 22 janvier, fera l’objet d’un rapport de notre Délégation.

Disposez-vous d’éléments statistiques sur le nombre de femmes qui ont accès à la formation professionnelle ? Celle-ci aurait chuté de 35 % en 2008 à 27,5 % en 2011. Comment expliquez-vous cette évolution ? Dans ce contexte, quelles actions l’AFPA a-t-elle engagées en faveur de l’égal accès à la formation ?

Dans le cadre d’une table ronde qui s’est tenue hier avec des demandeurs d’emploi et des salariés en formation professionnelle, nous avons appris que, pour certains d’entre eux, le parcours de formation était très long, de plus deux ans parfois. Une telle durée est un élément de découragement pour les femmes.

M. Yves Barou, président de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA). L’AFPA est le premier opérateur de formation professionnelle en France. Elle accueille chaque année 140 000 personnes. Les femmes représentent environ 30 % de nos stagiaires.

Au cours des dernières décennies, l’activité des femmes s’est beaucoup développée, et elles ont accédé progressivement à des métiers plutôt réservés aux hommes. Il nous semble que cette mixité professionnelle s’est interrompue à cause de la crise économique.

La plupart des données statistiques entre hommes et femmes sont à peu près comparables.

Néanmoins, la réussite des femmes pour l’obtention d’un titre professionnel est sensiblement meilleure que celle des hommes – 82 % contre 80 % –, car elles sont généralement plus engagées. La non-obtention d’un titre professionnel s’explique par l’abandon de la formation ou l’échec à l’examen.

Il faut également noter que la population féminine en formation est sensiblement plus âgée que celle des hommes, car elles sont plus nombreuses à suivre des reconversions à des âges différents.

Pour avoir signé plusieurs accords sur l’égalité hommes-femmes lorsque j’étais DRH, je pense que les ruptures de vie professionnelle après une maternité sont source de difficultés pour les femmes, en particulier si le service où elle travaillait a été réorganisé pendant leur absence. Il faut répondre à ce problème spécifique des femmes en créant des mécanismes spécifiques. Au chapitre des bonnes pratiques, on peut citer les entretiens de retour et d’orientation menés par un grand nombre d’entreprises.

Il faut malheureusement se rendre à l’évidence que notre système d’orientation professionnelle est malade car, avec plusieurs guichets, il relève dans une large mesure du parcours du combattant. Cette faiblesse de notre système pèse davantage sur les femmes au regard de leurs problèmes spécifiques – métiers déqualifiés, précarité, longue interruption de travail.

Cette situation nécessite d’améliorer les mécanismes d’orientation. Certes, la loi transpose le dernier accord national interprofessionnel, mais il y a encore beaucoup de choses à faire. Nous sommes, en particulier, encore très loin du guichet unique.

L’AFPA aurait pu être un grand acteur de l’orientation, mais ne l’est plus depuis le départ des psychologues. Nous souhaitons que son rôle soit reconnu par un amendement au texte qui reconnaît quatre organismes et des acteurs régionaux, mais pas l’AFPA.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Selon la représentante de l’Association des régions de France (ARF), que nous avons auditionnée tout à l’heure, les régions sont très satisfaites de l’organisation du CREFOP, avec l’Éducation nationale, l’enseignement supérieur, la région... Je suppose que vous faites allusion à ce point.

M. Yves Barou. Notamment.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le texte cite des opérateurs institutionnels incontournables. Si nous en inscrivons un de plus, je crains des demandes sans fin.

M. Yves Barou. L’article 12 cite les institutions visées – les missions locales, les organismes paritaires agréés au titre du congé individuel de formation (OPACIF), Cap emploi et Pôle emploi –, puis les opérateurs régionaux, ce qui signifie qu’il n’y a pas de place pour d’autres opérateurs nationaux.

Mme la présidente Catherine Coutelle. L’AFPA est-elle toujours considérée comme un opérateur national ?

M. Yves Barou. Certes, les régions ont un rôle de pilotage en matière de formation, mais l’AFPA est une association indépendante qui a toujours fait partie du service public de l’emploi.

Le problème en matière d’orientation, outre l’absence de guichet unique, est le fait que les conseillers doivent donner des conseils sur les métiers, alors que la connaissance de tous les métiers est très difficile, que la discussion a lieu dans une salle avec des brochures, et que beaucoup de gens s’engagent dans une formation sans être sûrs que c’est ce qu’ils veulent faire. Face à cet énorme gâchis, nous avons décidé de systématiser une expérimentation remarquable menée en Basse-Normandie, en proposant un stage de découverte des métiers sur deux jours. Par exemple, un homme qui hésitait entre la menuiserie, la soudure et la plomberie a été orienté par la région à l’AFPA où il a passé deux jours dans les différents ateliers, il a vu les machines, parlé aux formateurs et aux autres stagiaires, ce qui lui a permis de faire un choix.

Voilà ce que l’AFPA peut apporter aux opérateurs de conseil : mettre les gens en situation professionnelle sur une courte durée, ce qui permet une forme de validation. En ce sens, l’AFPA peut être un des acteurs de l’orientation. Il s’agit d’une piste pour améliorer le système d’orientation français.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les jeunes chômeurs et les personnes sans qualification n’ont aucune connaissance des métiers.

M. Yves Barou. Certes, mais selon le profil de la personne, des métiers peuvent être éliminés d’emblée.

L’acte II de la régionalisation s’est fait sans règle du jeu, sur un mode libéral. Certains élus l’ont dénoncé, comme Pascale Gérard de la région PACA, en parlant de « délestage de l’État ». Aujourd’hui, les organismes de formation ne peuvent pas assurer dans toutes les régions le panel complet de leurs formations.

En effet, il existe des métiers très pointus, comme techniciens, machinistes agricoles, stratifieurs, etc. Malheureusement, aucune région ne les propose toutes. Seuls deux centres, à Paris et Marseille, proposent la formation d’ascensoriste. En outre, certains conseils régionaux, pour des raisons budgétaires, réservent certaines formations à leur population locale. Par conséquent, ce type de formation à rayonnement national, dont l’AFPA était le fer de lance, est en danger : elles sont à moitié vides, alors même que des emplois pourraient être créés. Notre centre de Laon qui forme des machinistes agricoles est à moitié vide. La Picardie, au vu de son budget, ne peut pas financer ces formations pour les populations des autres régions. Année après année, chaque région se replie sur elle-même en refusant de payer pour les autres. Ainsi, la mobilité interrégionale des stagiaires a été divisée par deux en trois ans ! Des formations uniques vont mourir et les emplois correspondants ne seront pas pourvus ! En Espagne et Italie, cette situation a été un des facteurs principaux de la désindustrialisation.

Le problème de la mobilité renvoie à un autre sujet, celui de l’hébergement. Au centre AFPA de Nice, une jeune femme m’a expliqué être arrivée un mois après le début de sa formation, faute de s’être vu attribuer une chambre à temps. Les annulations d’inscription des femmes entre trente et cinquante ans sont massives en raison de ce problème d’hébergement à l’AFPA. Il y a une dissymétrie entre hommes et femmes, car les premiers arrivent toujours à se débrouiller. Le mécanisme est implacable. Il est clair que l’hébergement est la condition pour un accès égal à la formation.

Face à ce problème, nous essayons de passer des accords avec des opérateurs du logement social.

L’hébergement renvoie à la question immobilière. Pendant soixante ans, l’État a géré notre immobilier, mais depuis quelques années, nous devons payer des loyers, assurer les travaux. Pour autant, l’AFPA n’aura jamais 600 millions d’euros pour faire des travaux d’accessibilité pour les handicapés et des travaux qui entrent dans le cadre du Grenelle de l’environnement, comme nous le demande France Domaine… Je précise que l’État n’a pas de titre de propriété sur ces biens.

En 2011, le précédent gouvernement a fait voter une loi pour donner tout l’immobilier à l’AFPA, loi qui a été annulée après le recours de plusieurs régions. Par conséquent, le problème de l’immobilier de l’AFPA est pendant.

Selon cette loi, l’immobilier de l’AFPA sera proposé aux régions. Si l’on considère que le droit à l’hébergement est fondamental pour les femmes, cet hébergement est lié à une forme de propriété sur les biens. Nous sommes donc dans une impasse.

Pour sortir de cette impasse, l’amendement rêvé serait de revenir à la loi de 2011. Aujourd’hui, les régions ne sont pas enthousiastes à l’idée de récupérer l’immobilier de l’AFPA. Cette solution ne réglera donc pas le problème. Nous proposons donc deux amendements qui nous semblent raisonnables.

Dans le domaine public, un bail de cinquante ans peut être donné en gage à une banque, mais uniquement pour le lieu en question, contrairement au domaine privé. Par conséquent, un gage à une banque pour le centre de Châtellerault permet de faire des travaux dans cette ville et pas ailleurs. Nous demandons donc que soit précisé dans la loi le domaine privé de l’État pour l’AFPA. Cela ne coûterait rien à Bercy.

En outre, nous ne voulons pas que nos 25 centres nationaux soient orphelins. Si les régions ne les prennent pas, nous demandons qu’ils soient dévolus à l’AFPA. Cela permettrait de faire vivre ces centres nationaux et d’y assurer l’hébergement. J’ai proposé cette solution au ministère, qui ne m’a pas encore répondu.

Je suis assez optimiste sur notre première proposition – c’est même une demande de Bercy. Je le suis moins sur la seconde, mais elle est tout aussi essentielle pour régler le problème de l’immobilier de l’AFPA.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Que pensez-vous du compte personnel de formation ?

Sachant que les femmes sont majoritaires à occuper des temps partiels, recevez-vous des demandes de formation en vue de permettre le passage à des temps pleins ?

M. Yves Barou. Je pense que le compte personnel de formation est un immense progrès. Néanmoins, pour apprendre un métier, il faut six mois, soit environ 1 000 heures de formation. Or beaucoup de personnes, des femmes en particulier, doivent se reconvertir. La loi vise la qualification, mais le droit à la formation est plafonné à 150 heures. Certes, le compte personnel de formation permet la mise en œuvre d’abondements, par la mobilisation des fonds des OPCA, par des accords d’entreprise, etc., mais cela permettra de récupérer 300 heures au plus, ce qui sera insuffisant pour obtenir une formation qualifiante !

En période de crise, nous avons besoin de formations longues et qualifiantes. La loi le dit clairement. Malheureusement, le mécanisme financier est un peu en deçà de cet objectif. Le compte personnel de formation risque d’être un échec à cause de cela.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Quelles améliorations représentent le compte personnel de formation par rapport au DIF ?

M. Yves Barou. Ce sont les abondements et la vraie portabilité. Mais, j’y insiste, il faudra être très vigilant sur le mécanisme des abondements.

Dans le cadre du projet de loi, il serait choquant qu’une personne à temps partiel ne bénéficie pas des vingt heures de formation par an, alors qu’elle en a réellement besoin ! Il s’agirait d’une grave discrimination, sachant que les reconversions sont fréquentes chez les femmes.

En cohérence avec le compte personnel de formation, l’AFPA envisage une modularisation de ses offres en proposant des stages de six à sept semaines. Néanmoins, quatre modules seront nécessaires pour une qualification complète. Pour les personnes ayant acquis des compétences et qui ont besoin d’un seul module, cela conviendra. Pour les personnes qui auront besoin des quatre modules, il faudra chercher les financements. À cet égard, les choses ne sont pas claires dans la loi sur le niveau d’abondement de Pôle Emploi, des OPCA et des régions.

En définitive, le système prévu me semble très intelligent. Cependant, j’attire votre attention sur l’écart au regard des chiffres.

Autre aspect très important que je tiens à souligner : l’AFPA s’est toujours battue pour la mixité des publics. C’est une bataille permanente car le système pousse encore à orienter les filles vers le tertiaire et les garçons vers l’industrie. Les stéréotypes ont la vie dure, y compris dans les familles. Pour autant, certains parcours sont magnifiques. J’ajoute que l’argument de la pénibilité du métier ne tient plus aujourd’hui.

Pour l’AFPA, le collectif de formation est un élément central dans le service rendu aux stagiaires. L’apprentissage en collectivité se fait d’autant mieux que celle-ci est variée, avec des âges différents, des parcours différents, des demandeurs d’emploi aussi bien que des salariés, des femmes comme des hommes. D’un point de vue pédagogique, les groupes trop homogènes sont beaucoup moins efficaces.

Le système de formation actuel fait que les femmes doivent faire preuve d’une énergie et d’un engagement qui ne sont pas demandés aux hommes, ce qui est anormal. Certes, la loi ne peut pas régler tous les problèmes. Néanmoins, je pense qu’il arrive un moment où des mesures symboliques sont nécessaires.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il me semble que l’AFPA a signé une convention avec le Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF).

M. Yves Barou. Oui, en 2002.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La démarche de reprise du travail, après une longue interruption, est très difficile. Avez-vous des éléments sur ce sujet ?

M. Yves Barou. En tant que DRH, j’ai proposé un accord prévoyant un mécanisme de réintégration, avec un entretien avant le retour dans l’entreprise, le bénéfice pour les femmes en congé de maternité d’au moins la moyenne des augmentations salariales, ce qui a fait hurler certaines personnes…

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous souhaitons introduire dans la loi sur l’égalité un entretien six mois avant la fin du congé parental.

M. Yves Barou. De même que se développent les formations pour le passage à la retraite, l’AFPA pourrait imaginer une action de formation-préparation avant la reprise du travail.

Pendant des années, on a vécu dans l’illusion qu’il n’y avait pas de problème. Or toute interruption, qu’elle qu’en soit la nature, pose un problème, en particulier parce que les entreprises évoluent très vite. L’expatriation est un exemple : à leur retour en France, les expatriés ont perdu tous leurs réseaux et les choses sont très difficiles pour eux pendant plusieurs années.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La reprise d’activité des femmes est d’autant plus difficile qu’elles occupaient avant leur congé parental un temps partiel ou un emploi peu qualifié. D’où l’importance de l’orientation et de l’accompagnement. La reprise est un passage très compliqué, sans compter les problèmes de réorganisation familiale.

M. Yves Barou. Nous voyons à l’AFPA des femmes entre trente et quarante ans qui, après une interruption d’activité, s’engagent dans une formation avec une réelle volonté de rebondir. En acceptant de vivre à distance de leur famille pendant plusieurs mois, elles consentent d’importants efforts, sur le plan financier et personnel.

Beaucoup de débats ont porté sur les réglementations européennes pour savoir si elles pouvaient conduire à un système concurrentiel, à une sorte marchandisation de la formation, avec la tentation du low cost. Un grand nombre de personnes considèrent que le « paquet Almunia » offre des possibilités. Si certains acteurs sociaux estiment que la formation peut être exclue du champ de la concurrence, cela me paraît excessif. Par contre, l’autorité régulatrice, l’État ou la région, peut contracter avec qui elle veut dans le cadre d’un service public. Cela n’est pas prévu dans la loi. Je suis donc persuadé qu’il existe des espaces de liberté. Le candidat François Hollande s’était engagé sur ce point auprès des organisations syndicales et en particulier l’AFPA.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les régions voient dans la loi la possibilité d’organiser des services d’intérêt économique général (SIEG) avec mandatement, c’est-à-dire sans appel d’offres.

M. Yves Barou. Ce n’est pas la lecture que font mes conseillers juristes. Selon eux, la loi sécurise les pratiques actuelles des régions et ne permet en rien d’échapper à la concurrence.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Avec le mandatement, les régions pensent qu’elles pourraient répondre rapidement et au plus près des besoins dans les bassins d’emploi.

M. Yves Barou. Pour avoir participé à plusieurs réunions à l’ARF, je sais qu’aucune région ne pense la même chose. Le Nord-Pas-de-Calais organise actuellement une délégation de service public, ce qui a l’avantage d’une contractualisation dans la durée, mais n’empêche pas la concurrence.

Par contre, je pense qu’il faudrait sortir du champ de la concurrence des publics donnés, je pense en particulier aux personnes en situation de handicap. L’accès à la formation pour les handicapés a été divisé par deux en France pour une raison simple : l’État a transmis cette responsabilité à l’AGEFIPH, sans le budget correspondant, laquelle l’a transmise aux régions. Or les régions n’ont pas vu leur budget grossir pour autant. Et la rémunération des stagiaires handicapés est deux à trois plus élevée que celles des non handicapés. Au final, les personnes les plus discriminées sont les femmes handicapées.

En conclusion, je dirai que ce projet est une belle loi, mais que tout n’est pas gagné…

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci beaucoup, monsieur le président.

Audition, sous forme de table ronde, de représentant-e-s d’organisations syndicales de salariés : Mme Anne Baltazar, secrétaire confédérale de FO ; Mme Catherine Bourrut, secrétaire confédérale en charge de la formation professionnelle de la CFDT ; Mme Chantal Guiolet, déléguée nationale en charge de l’égalité professionnelle, de la CFE-CGC ; Mme Christine Lodewyckx, du réseau formation professionnelle continue de la CFTC, vice-présidente de l’AGEFOS-PME ; M. Djamal Teskouk, conseiller confédéral, et Mme Magali Bourdon, conseillère confédérale, de la CGT

Compte rendu de l’audition du mardi 21 janvier 2014

Présidence de Mme Conchita Lacuey, vice-présidente.

Mme Conchita Lacuey, présidente. Je suis heureuse d’ouvrir cette table ronde réunissant des représentantes et des représentants d’organisations syndicales de salariés. La présidente Catherine Coutelle, retenue par une autre réunion, nous rejoindra d’un instant à l’autre. Mesdames, monsieur, je vous remercie d’avoir répondu favorablement à notre invitation ; nous souhaiterions recueillir votre opinion sur l’avant-projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.

Mme Anne Baltazar, secrétaire confédérale de Force ouvrière (FO). Secrétaire confédérale chargée de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, je n’ai pas participé à la négociation sur la formation professionnelle.

Ni l’accord national interprofessionnel (ANI) du 14 décembre dernier, ni sa transposition dans l’avant-projet de loi ne traitent spécifiquement de la situation des femmes ; toutefois, il ne me semble pas inutile d’aborder la question de la formation professionnelle sous cet angle – ne serait-ce que parce que tout texte de loi doit désormais prendre en considération la question de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Si l’accord aborde toute une série de sujets – par exemple l’entretien professionnel, le plan de formation, la négociation, la gouvernance ou le financement de la formation professionnelle –, il ne prévoit pas de dispositions à destination de populations particulières, hormis quelques mesures relatives aux salariés handicapés. Il n’en existe pas moins une spécificité féminine en la matière ; la formation professionnelle est un outil de qualification et de promotion des femmes, qui doit être utilisé comme tel par les entreprises et par les branches.

Cela soulève le problème de l’accessibilité des formations pour les femmes, car celles-ci s’interdisent souvent de participer à des formations éloignées de leur domicile ou difficilement conciliables avec les contraintes domestiques. Pour améliorer cette accessibilité, il convient de revoir l’articulation entre le temps professionnel et le temps personnel et de prévoir d’éventuelles compensations financières, par exemple pour la garde des enfants – mais cela se joue plutôt au niveau des accords de branche ou d’entreprise.

De même, la nature des formations relève de la négociation collective et des accords d’entreprise. Or le type de formation demandée varie suivant le sexe : les femmes veulent plutôt se former pour l’emploi qu’elles occupent, alors que les hommes demandent une formation pour celui qu’ils souhaiteraient occuper.

Mme Conchita Lacuey, présidente. Avant de donner la parole aux autres invités, je poserai quelques questions précises.

Quelles sont les raisons qui ont conduit vos syndicats à signer ou non l’ANI du 14 décembre dernier ? Quelles sont à vos yeux les principales avancées et limites de ce texte ? Cet accord et sa transposition dans la loi permettront-ils d’améliorer l’accès des femmes à la formation professionnelle ?

S’agissant du travail à temps partiel – qui concerne à 80 % des femmes –, seriez-vous favorable à la suppression ou à l’aménagement de la règle de l’accès à la formation professionnelle au prorata temporis ? Comment concevez-vous l’abondement du compte personnel de formation (CPF) pour ce type d’emploi ?

Mme Anne Baltazar. Plusieurs raisons ont conduit Force ouvrière à signer l’accord national interprofessionnel.

D’abord, la création du compte personnel de formation avait déjà été décidée par le législateur ; il fallait bien donner un contenu au dispositif. En la matière, ce qui est prévu par l’ANI est conforme à ce que nous avons toujours soutenu. Il convient maintenant d’être vigilant quant à la mise en œuvre.

Pour des raisons principalement d’affichage, le système de financement a fait l’objet de quelques modifications, ce qui introduit un peu d’insécurité dans le dispositif. Toutefois, nous avons obtenu la garantie qu’il n’y aurait aucune réduction des crédits alloués à la formation professionnelle, que ce soit dans les grandes entreprises ou dans les très petites et moyennes entreprises (TPE-PME).

Nous sommes également satisfaits de l’absence de mécanisme négatif et nous estimons que l’avant-projet de loi répond à la question de la mutualisation, essentielle pour les plus petites entreprises.

S’agissant du travail à temps partiel, nous sommes favorables à un minimum de dix heures de formation par an à créditer sur le compte personnel de formation de tous les salariés, quel que soit leur temps de travail.

Présidence de Mme Catherine Coutelle, présidente.

Mme la présidente Catherine Coutelle.  Je vous remercie toutes et tous d’avoir accepté de participer aux travaux de notre délégation.

Mme Catherine Bourrut, représentante de la Confédération française démocratique du travail (CFDT). Secrétaire confédérale chargée de la formation professionnelle, j’ai fait partie du groupe de négociation de l’accord national interprofessionnel sur la formation professionnelle. J’ai préparé mon intervention en liaison avec la secrétaire nationale responsable de l’égalité professionnelle et de la formation professionnelle, Mme Marie-Andrée Seguin, et avec la secrétaire confédérale à la recherche de la mixité. Le texte que nous avons établi analyse l’ANI sous l’angle de la mixité et de la situation des femmes ; je vous le transmettrai à l’issue de la table ronde. Pour l’heure, je me contenterai de développer certains points.

L’ANI, tel qu’il a été approuvé par la majorité des organisations syndicales, ne traite pas spécifiquement de la formation des femmes. Il se fonde sur une philosophie de la formation professionnelle et sur une certaine conception de la vie en entreprise pour privilégier une approche en termes de qualification ; après discussion, nous avons décidé de ne pas aborder la situation spécifique de certaines populations – hormis celle des travailleurs handicapés. Il reviendra à la loi, aux accords de branche et aux déclinaisons régionales de le faire.

Nous partons du constat que les femmes rencontrent des difficultés particulières pour accéder à des formations et à des qualifications et, au-delà, à un parcours professionnel. Or l’ANI met en place des outils transversaux qui devraient permettre d’y remédier. Il rend obligatoire dans toutes les entreprises un entretien professionnel, qui sera notamment l’occasion de vérifier, à échéance régulière, si le salarié a bénéficié d’une montée en qualification ou d’une validation de ses acquis ; si tel n’a pas été le cas, le salarié se verra garantir l’accès à une formation. Cette mesure favorisera de facto les publics les moins qualifiés et les plus éloignés de la formation, puisqu’elle se fonde sur des critères objectifs, non discriminants : soit cela a été fait, soit cela ne l’a pas été, auquel cas le salarié bénéficiera d’un abondement dit « correctif » sur son compte personnel de formation. C’est pourquoi l’on parle d’une « obligation de formation » pour l’employeur. En cas de défaillance de ce dernier, l’avant-projet de loi prévoit qu’il devra verser une somme forfaitaire. Nous estimons que c’est insuffisant ; nous demandons l’application d’une sanction, afin qu’un employeur ne puisse pas se décharger de son obligation de formation grâce à une simple compensation financière.

Nous espérons que le caractère automatique des entretiens professionnels dans l’entreprise favorisera la progression générale des qualifications, et tout particulièrement celles des populations les plus fragiles. On rejoint en cela la question des femmes, car beaucoup d’entre elles exercent des métiers précaires et n’ont pas de perspectives d’évolution de carrière.

L’ANI tend également à faciliter l’accès à la formation des personnes qui, jusqu’alors, en étaient éloignées ; certaines de ses dispositions intéressent tout particulièrement les femmes en situation difficile.

L’accord propose une définition extensive de la formation, qui a été reprise dans l’avant-projet de loi. On s’oriente vers une modularisation des formations, avec des certifications partielles qui permettront de diviser une formation en séquences ; on pourra ainsi organiser son cursus de formation en fonction de son activité professionnelle et de sa vie personnelle, ce qui bénéficiera aux personnes qui ne peuvent pas se libérer durant toute une année scolaire.

L’ANI évoque aussi la prise en charge des frais annexes : frais de déplacement, de garde, de logement.

Mme Ségolène Neuville. Le texte de l’accord est aussi explicite ?

Mme Catherine Bourrut. Non, il se contente de mentionner l’existence de frais annexes, sans en préciser la nature – certains ne l’ayant pas souhaité. Cela étant, il est ressorti des négociations que la mise en œuvre de l’accord sera l’occasion d’avancées sur ce point.

Pour ce qui est de l’abondement du compte personnel de formation en cas de temps partiel, il faudra réexaminer la question lors des négociations au niveau des branches et des régions. Le CPF ne se limite pas en effet à un crédit de 150 heures : il peut bénéficier d’abondements.

Mme la présidente Catherine Coutelle. À l’article 15 de l’ANI, il est pourtant précisé que le nombre d’heures portées au crédit du compte personnel de formation ne peut être supérieur à 150 heures. Dans ces conditions, comment pourrait-on l’abonder ?

D’autre part, dans un centre de formation de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) que j’ai visité avec Michel Sapin, il nous a été dit qu’en 150 heures, on ne pouvait pas disposer de formation qualifiante – il en faudrait 800.

Mme Catherine Bourrut. Le compte personnel de formation comprend plusieurs volets : le socle de base de 150 heures dû à l’ensemble des salariés ; la « formation initiale différée », mise en œuvre à l’échelon régional ; et les abondements, c’est-à-dire des dotations d’heures de formation supplémentaires réalisées par l’État, la région, les partenaires sociaux, les branches professionnelles, l’employeur ou un organisme public en fonction de priorités définies à un moment donné : c’est ce qui permettra d’avoir accès à une formation qualifiante.

Si l’on augmentait le seuil des 150 heures, on risquerait de remettre en cause l’accès de tous à la formation – certaines personnes auraient du mal à dégager un nombre d’heures suffisant – et son financement. Il y aurait en définitive moins de formation pour moins de personnes.

Mme Ségolène Neuville. Dans l’article 1er de l’avant-projet de loi, qui définit le compte personnel de formation, il est écrit :

« L’alimentation du compte se fait à hauteur de 20 heures par année de travail à temps complet jusqu’à l’acquisition d’un crédit de 120 heures puis de 10 heures par année de travail à temps complet dans la limite d’un plafond total de 150 heures.

« Lorsque le salarié n’a pas effectué une durée de travail à temps complet sur l’ensemble de l’année, l’alimentation est calculée à due proportion du temps de travail effectuée. »

Or les salariés à temps partiel, ce sont en général des femmes, qui occupent des emplois non qualifiés et subissent leurs conditions de travail ; en théorie, c’est à ces personnes-là qu’il faudrait offrir le plus grand nombre d’heures de formation ! Ne faudrait-il pas supprimer la dernière phrase et donner à tout le monde le droit à un crédit de vingt heures de formation par an ?

Mme Catherine Bourrut. Je n’ai pas de réponse tranchée à cette question, mais selon moi, il ne faut pas descendre en dessous de dix heures.

Mme Christine Lodewyckx, représentante de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC). Je suis membre de la commission confédérale pour la formation professionnelle. N’ayant pas participé à la négociation de l’accord interprofessionnel du 14 décembre, j’ai travaillé différemment de mes collègues, en annotant le texte en fonction de ce que me semblaient être, en 2014, les impératifs de mixité au travail – or, lorsqu’on parle de travail à temps partiel, on pense en priorité aux femmes.

L’ANI, nous l’avons signé parce que le compte personnel de formation reprend une proposition que nous avions faite par le passé : le chèque formation, d’une valeur inversement proportionnelle à la formation initiale.

S’agissant de l’abondement, nous aurions souhaité un dispositif plus ambitieux, qui se rapproche de notre projet de « statut du travailleur », avec une formation professionnelle d’une durée inversement proportionnelle à la formation initiale et un socle de base équivalent à une formation de niveau CAP, soit 800 heures : 400 heures de cours et 400 de pratique – la difficulté étant bien entendu de trouver le financement nécessaire.

Ce sont souvent des femmes qui subissent le travail à temps partiel, mais beaucoup essaient de se former sur leur temps libre. Pour nous, un travail à temps partiel est une activité à temps complet qui n’est que partiellement rémunérée. Il faudrait apporter des modifications sur ce point à l’avant-projet de loi, et aussi supprimer le plafond des 150 heures.

Le texte prévoit la possibilité d’effectuer une formation à distance, ce qui est une bonne chose, car les femmes sont souvent accaparées par les charges familiales. Il serait bon de développer ce type de formations.

Nous sommes nous aussi favorables à une plus grande mixité des filières et si les métiers des hommes doivent être ouverts aux femmes, l’inverse est également vrai.

S’agissant des frais annexes, je suis d’accord avec mes collègues.

Enfin, nous comptons sur les négociations de branches et les instances paritaires au sein des entreprises pour que la responsabilité sociale des entreprises et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences renforcent la mixité et améliorent la situation des femmes au travail.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Aucune d’entre vous n’a fait de distinction entre les demandeurs d’emploi et les salariés en activité. Pourtant, leurs situations ne sont pas tout à fait identiques. D’ailleurs, en matière de formation professionnelle, les régions ne s’occupent que des demandeurs d’emploi, alors que les salariés dépendent des organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA).

Une précision : à l’article 27 de l’ANI, il est dit que « Pôle emploi abonde [le] compte personnel afin de permettre [au demandeur d’emploi] d’accéder à la formation souhaitée, selon les conditions déterminées par son conseil d’administration ». Est-ce bien du conseil d’administration national de Pôle emploi dont il s’agit ?

Mme Chantal Guiolet, déléguée nationale de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), chargée de l’égalité professionnelle. Tout à fait.

Mme Christine Lodewyckx. Le texte ne mentionne pas non plus les « invisibles », c’est-à-dire les personnes qui, faute de trouver un emploi, choisissent de s’occuper des tâches domestiques. Elles ne sont répertoriées nulle part.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous examinons en ce moment en séance publique le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes et nous souhaiterions que le congé parental soit l’occasion d’un bilan de compétences. En effet, si certaines femmes prennent de longs congés parentaux, c’est souvent parce qu’elles occupent des emplois précaires et qu’elles n’ont pas de formation. Nous voulons leur donner la possibilité de faire une formation dès le congé parental, afin qu’elles puissent reprendre le travail et ne pas rester « invisibles » – pour reprendre votre terme.

Mme Chantal Guiolet. Je suis chargée de l’égalité professionnelle et de la responsabilité sociale de l’entreprise au niveau européen et international, et j’ai participé à la négociation sur la formation professionnelle.

Nous avons été signataires de l’ANI parce qu’il était nécessaire de procéder à une réforme et de préciser quels outils permettront, indépendamment du mode de financement, de pérenniser la formation professionnelle continue.

À mon sens, ce serait une erreur de tout miser sur le compte personnel de formation ; en particulier, celui-ci ne doit pas être un moyen pour l’entreprise de se décharger de ses responsabilités. Normalement, un plan de formation doit être mis en place. Or c’est trop rarement le cas, et nous avons demandé qu’un état des lieux soit réalisé au niveau des branches. Beaucoup de travail reste aussi à faire en matière de classification professionnelle et de revalorisation des emplois exercés majoritairement par des femmes. Nous avons en outre demandé l’instauration d’un mécanisme de bonus/malus : des commissions paritaires sont censées assurer au niveau des branches le suivi des accords en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, mais très peu ont été mises en place ; pourtant, cela permettrait de contrôler que les branches utilisent les financements à bon escient, d’examiner la situation des femmes sur le marché du travail et d’identifier les secteurs où il faudrait favoriser leur emploi.

Ce que l’on constate, c’est que le compte personnel de formation remplace le droit individuel à la formation, qui était un droit complémentaire. Il convient que les entreprises prévoient, dans le cadre des accords en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, un plan de formation qui tienne compte de la nécessité de faire évoluer la carrière des femmes, car la notion de promotion de la femme au sein des entreprises n’est guère présente dans les accords actuels. La balle est dans le camp des partenaires sociaux.

Le compte personnel de formation suivra le salarié tout au long de sa vie professionnelle et il pourra être abondé – par exemple par les régions pour les demandeurs d’emploi ou par le salarié lui-même pour compléter un plan de formation : il s’agit donc d’un complément, qui n’a pas vocation à remplacer le dispositif légal – ce que l’on a tendance à oublier. Si le plan de formation de l’employeur ou les accords d’entreprise sont mauvais, cela pénalise la carrière des femmes ; c’est pourquoi il est indispensable de mettre en place les commissions paritaires – d’où notre proposition de mécanisme de bonus/malus.

Je vous renvoie sur ce point à nos travaux en cours ; une première réunion a déjà eu lieu sur la classification des emplois.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cette classification, l’évaluez-vous aussi à l’aune de la division sexuée du travail ? Le Guide pratique pour une évaluation non discriminante des emplois à prédominance féminine du Défenseur des droits alimente-t-il vos réflexions ?

Mme Chantal Guiolet. Oui, tout à fait.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Dans toutes les branches ?

Mme Chantal Guiolet. Oui, quoique toutes n’en soient pas au même stade et n’envisagent pas les choses de la même manière. Cela impose une remise à plat complète : certaines descriptions d’emplois favorisent les hommes plutôt que les femmes – et vice-versa ; les emplois fortement féminisés sont généralement moins bien payés. Ce travail de fond durera au moins deux ans.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Savez-vous que ce soir, nous pourrions, par un amendement, introduire la parité femmes-hommes dans les organisations syndicales – qui avaient été oubliées par la loi ?

M. Djamal Teskouk, conseiller confédéral de la Confédération générale du travail (CGT). Cela ne risque-t-il pas de poser des difficultés dans certaines branches, où les femmes sont trop nombreuses ?

Mme la présidente Catherine Coutelle. Comme les fédérations sportives ?...

Mme Chantal Guiolet. Le compte personnel de formation demeure acquis au salarié en cas de changement de situation professionnelle ou de perte d’emploi, y compris à la suite d’un licenciement pour faute lourde – ce point est très important.

C’est quand on est en activité que tout se joue. Or l’évaluation des compétences, qui est censée être réalisée tous les deux ans, est peu pratiquée dans les entreprises et dans les branches. Nous demandons à ce que le dispositif soit vraiment appliqué.

La situation est encore plus compliquée lorsqu’il n’existe pas de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Tout le monde en parle pour les territoires, mais nous demandons depuis longtemps qu’elle soit rendue obligatoire, à défaut d’accord, dans les entreprises, ou tout au moins que le sujet soit abordé dans le cadre des négociations annuelles obligatoires (NAO) : cela permettrait d’examiner les perspectives d’évolution et d’identifier les métiers dans lesquels il faudrait accroître la proportion de femmes.

Nous avons introduit des dispositions en faveur des personnes en situation de handicap et nous avons insisté sur le fait que le compte personnel de formation devait bénéficier à tous les niveaux de formation, et pas seulement aux plus faibles. Les cadres, agents de maîtrise et techniciens ont eux aussi besoin d’un plan de formation, susceptible d’être complété par des certifications ; un CPF abondé soit par la région, soit par la branche, soit par le salarié, soit par l’employeur, pourra y contribuer.

Le rôle du comité paritaire régional de la formation professionnelle et de l’emploi (CPRFPE) est en revanche à clarifier ; c’est important, car c’est lui qui fixe en dernier ressort la liste des formations éligibles au compte personnel de formation – donc qui définit les actions prioritaires à l’échelle du territoire. Il conviendrait en particulier de préciser son statut par rapport au comité de coordination régional de l’emploi et de la formation professionnelle (CCREFP), qui était jusqu’à présent un lieu de discussion et de concertation, et non une instance de décision.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il y a une dizaine d’années, les syndicats étaient organisés verticalement, par branches, mais beaucoup moins horizontalement, par territoires. Cela a-t-il changé ?

Mme Chantal Guiolet. Dans notre cas, oui. Pour développer la GPEC territoriale, notamment, nous avons été contraints de revoir notre organisation.

Mme Anne Baltazar. Force ouvrière a des unions départementales.

Mme Christine Lodewyckx. La CFTC est divisée en unions régionales et départementales.

M. Djamal Teskouk. Historiquement, la CGT s’est constituée à partir des bourses du travail et des branches professionnelles ; elle présente donc cette double structuration depuis l’origine. La nouveauté, c’est que les lois de décentralisation ont donné une place nouvelle à la région ; il nous a donc fallu créer un échelon intermédiaire, qui n’a pas de véritable légitimité en interne, même s’il dispose d’une partie des moyens.

Mme Catherine Bourrut. La double organisation territoire/branche remonte elle aussi à la création de la CFDT. La difficulté est l’articulation avec le niveau régional – mais l’évolution actuelle va dans ce sens.

Mme Chantal Guiolet. Nous regrettons en outre que le dispositif du compte personnel de formation ne prévoie plus d’allocation de formation ; auparavant, l’employeur avait la possibilité de verser une dotation afin de réduire les frais annexes. Même s’il est prévu la possibilité d’avoir une formation à distance, une formation présentielle est parfois nécessaire. Il faudrait prévoir le dispositif adéquat dans le cadre de la responsabilité sociale de l’entreprise, ou tout au moins mettre en œuvre une coordination territoriale permettant de suivre une formation à moindre coût à côté de chez soi.

Enfin, nous avons abordé au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes le problème du travail à temps partiel – qui existe à tous les niveaux, y compris chez les personnels d’encadrement. En effet, il y avait un problème dans la loi de financement de la sécurité sociale, le « forfait jours » étant considéré comme un travail à temps réduit. Après examen, il a été reconnu qu’il serait nécessaire de changer le dispositif, parce qu’une femme qui déciderait de travailler à 80 % mais qui serait un cadre au forfait jours se trouverait pénalisée en cas d’arrêt maladie et pour le calcul de ses points de retraite.

Sur tous ces sujets qui font problème, je vous transmettrai la contribution de notre organisation.

M. Djamal Teskouk. Les réformes successives de la formation professionnelle – en 2003, en 2009 et aujourd’hui – ont toutes eu pour objectif de corriger des inégalités unanimement relevées. Les plus criantes concernent les salariés travaillant dans des TPE, ceux dont le niveau de formation initial est faible et les travailleurs précaires – c’est-à-dire souvent des femmes, pour les deux dernières catégories.

La question de la proratisation des heures de formation s’est posée bien avant la création du compte personnel de formation, notamment pour le DIF. Nous sommes favorables à la suppression de la proratisation, pour la simple et bonne raison qu’une personne travaillant à mi-temps ne peut pas être une personne à moitié formée ! Certes, cela poserait des problèmes de financement, mais sur le principe, il est fondamental que tous les salariés puissent être formés, même s’ils travaillent à mi-temps – d’autant que l’inégalité d’accès à la formation lèse tout particulièrement les femmes, qui sont souvent en CDD ou en situation de précarité. Lors des négociations de branche engagées à la suite de la réforme de 2003 et de la création du DIF, nous avions dans certains cas obtenu qu’un temps partiel de 80 % ouvre autant de droits au titre du DIF qu’un temps complet. Il ne me semblerait pas choquant d’envisager le même système pour le CPF.

Pourquoi la CGT n’a-t-elle pas signé l’ANI ?

Première raison : l’objectif aurait été d’aboutir à une loi « négociée », le texte issu de la négociation nationale interprofessionnelle étant censé servir de base à la future loi, aux termes d’une transcription soit « fidèle », soit « loyale » – c’est selon, mais cela revient au même. Or cela revient à se dessaisir du pouvoir législatif au profit des partenaires sociaux, d’autant que le Gouvernement peut compter sur le soutien du parti majoritaire à l’Assemblée nationale ! En vérité, la négociation avait déjà eu lieu, pour l’essentiel, ailleurs ; le cadrage général et les équilibres généraux ont été discutés en dehors de la négociation interprofessionnelle.

Deuxième raison : la création du compte personnel de formation – qui est incontestablement un progrès – a été décidée par l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, lui-même transcrit dans la loi du 14 juin 2013. Ce qui a été négocié dans l’ANI du 14 décembre ne sont que les modalités de la mise en œuvre du CPF, et non son principe.

Le CPF s’inscrit dans la continuité du DIF, qui fut la première concrétisation de l’aspiration à l’individualisation de l’accès à la formation formulée depuis des années par les salariés. Dans tous les débats syndicaux et dans toutes les assemblées générales, on retrouve cet espoir, parfois démesuré, d’être l’acteur de sa propre formation ; à mon avis, ces illusions se reporteront sur le CPF.

La présente réforme s’inscrit dans une certaine continuité de l’action gouvernementale, qui tend à réduire le coût du travail et à flexibiliser le marché du travail. Selon nous, cette politique n’est pas favorable aux salariés. Nous comprenons que d’autres organisations puissent considérer que c’est une voie nécessaire pour sauvegarder certains acquis, mais en ce qui nous concerne, nous nous y opposons.

Les organisations patronales ont obtenu potentiellement plus de deux milliards de diminution de ce qu’elles appellent des charges. Il est certain que le financement de la formation professionnelle va baisser.

Se pose également le problème de la formation en dehors du temps de travail. C’était déjà le cas pour le droit individuel à la formation, mais il y avait deux contreparties : premièrement, l’employeur s’engageait à reconnaître la qualification acquise et à proposer au salarié qui l’avait obtenue un poste en rapport ; deuxièmement, il devait verser une allocation de formation correspondant à 50 % de la rémunération nette. Résultat : le DIF, bien qu’il dût en principe se dérouler en dehors du temps de travail, était presque toujours utilisé pendant le temps de travail.

Le nouveau système prévoyant la suppression de l’allocation de formation, l’employeur aura le choix entre une formation pendant le temps de travail qui lui coûtera, selon nos évaluations, de 4000 à 4500 euros, et une formation en dehors du temps de travail qui lui reviendra à 1 500 euros : le calcul sera vite fait ! Sachant que 150 heures ne suffisent pas pour une formation qualifiante, qu’un éventuel abondement personnel du salarié est possible et que certains experts estiment qu’en France les ménages ne contribuent pas suffisamment aux dépenses de formation, on imagine ce qui va se passer.

Nous pensons par conséquent que la mise en œuvre du compte personnel de formation – qui est pourtant un dispositif utile – sera l’occasion d’une inversion de la logique du système de formation professionnelle français, avec un transfert de la responsabilité de celle-ci des entreprises aux personnes. D’ailleurs, le Gouvernement n’a-t-il pas parlé d’une réforme « systémique » ?

Mme Ségolène Neuville. Sait-on quels budgets sont alloués à la formation selon que les bénéficiaires sont des femmes ou des hommes ? Les OPCA ont-ils des statistiques sexuées sur les formations qu’ils achètent ? Dans le cas contraire, cela vous paraîtrait-il réalisable ?

Au niveau des branches, les observatoires prospectifs des métiers et des qualifications disposent-ils de telles données ? On peut toujours légiférer sur l’égalité professionnelle dans les entreprises, dès lors que les hommes et les femmes ne feront pas les mêmes métiers, il n’y aura jamais de vraie égalité des salaires !

Le projet de loi prévoit qu’un entretien entre l’employeur et le salarié aura lieu tous les deux ans afin d’étudier les perspectives d’évolution professionnelle dans l’entreprise. Dans l’état actuel du texte, il est simplement indiqué que « cet entretien professionnel est proposé systématiquement au salarié qui reprend son activité à l’issue d’un congé de maternité, d’un congé parental d’éducation, d’un congé de soutien familial, d’un congé d’adoption, d’un congé sabbatique, d’une période d’activité à temps partiel (…), d’un arrêt longue maladie (…) ou à l’issue d’un mandat syndical ». Ne faudrait-il pas ajouter : « L’employeur s’assure que les perspectives d’évolution professionnelle dans son entreprise ne sont pas différentes selon le sexe » ? À défaut, l’employeur risque de proposer à la salariée qui revient d’un congé maternité ou parental un stage de perfectionnement au secrétariat, plutôt qu’une formation pour devenir manager. Qu’en pensez-vous ?

Pourquoi voulons-nous instaurer la parité dans les syndicats ? Au vu des textes que nous avons étudiés à la Commission des affaires sociales depuis un an et demi, nous finissons par penser que l’on a remis les clefs aux partenaires sociaux. Je n’y suis pas opposée, mais encore faudrait-il s’assurer que les syndicats se sentent concernés par la question des droits des femmes. Or, si ce sont souvent des femmes qui sont envoyées pour être auditionnées par notre délégation, en général, sur les autres sujets, nous recevons des hommes. Nous nous interrogeons donc sur la représentation des femmes dans les instances dirigeantes des syndicats. Qu’en est-il ?

Le texte évoque en outre la formation des personnes appelées à assumer des responsabilités syndicales. Existe-t-il dans vos organisations respectives des formations sur les stéréotypes sexués ?

M. Djamal Teskouk. Dans les instances dirigeantes de la CGT, la parité est quasi exigée ; c’est plus difficile à imposer dans certaines branches professionnelles à très forte majorité d’hommes. Mais nous nous sommes engagés dans une démarche de progrès, avec des exigences très fortes. La personne que vous aviez initialement invitée, Mme Maryse Dumas, travaille beaucoup sur ces questions, tant à la CGT qu’au Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Pour ce qui est des données sexuées, la situation est à ma connaissance inégale d’un OPCA à l’autre.

Mme Magali Bourdon, conseillère confédérale de la CGT. Il en existe dans les états statistiques et financiers (ESF), que remettent les OPCA au ministère du travail.

M. Djamal Teskouk. Oui, mais il s’agit de données brutes : on n’entre pas dans le détail des types de formation et des niveaux de catégories socioprofessionnelles (CSP) – ce qui serait intéressant.

En revanche, il existe des données précises sur le congé individuel de formation (CIF) : les enquêtes quantitatives permettent de connaître le taux d’accès à la formation des femmes et le type de formations qu’elles obtiennent, tandis que les rapports post-CIF évaluent le résultat de l’accompagnement des projets individuels. Ces informations sont disponibles sur le site du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP).

La situation est la même pour ce qui est des observatoires prospectifs des métiers et des qualifications. Jusqu’à présent, la tâche de ceux-ci a surtout consisté à faire des photographies de l’existant ; peu s’inscrivent dans une démarche prospective. Néanmoins, on peut trouver dans certains travaux – notamment ceux sur les entreprises libérales – des données intéressantes sur l’accès des femmes à la formation.

Mme Chantal Guiolet. Les OPCA disposent de statistiques sexuées depuis deux ans. La CFE-CGC s’implique beaucoup dans ce dossier, notamment par l’intermédiaire du réseau Équilibre. Nous imposons aux OPCA d’avoir des statistiques non seulement par sexe, mais aussi par niveau de qualification, afin de pouvoir comparer le point de départ et le point d’arrivée : cela permet de définir des objectifs pour faire progresser la féminisation de certains métiers. Mais les résultats sont inégaux.

Étant donné qu’il existe 3 000 branches, les observatoires des métiers et des qualifications ne sont pas encore tous en place ; il entre cependant dans leurs prérogatives de répertorier ces données et de faire des études. Les observatoires analysent aussi le contenu des accords ; en tant que présidente de la commission paritaire de validation des accords d’entreprises signés dans les entreprises de moins de 200 salariés dans la branche de l’ingénierie et des bureaux d’études, où il y a très peu de femmes, j’essaie de faire en sorte que les femmes soient mieux représentées et qu’elles aient des perspectives d’évolution professionnelle. On peut aussi demander des statistiques par niveau de qualification et par filière métier : dans les filières conseil, par exemple, la situation des femmes est meilleure que chez les techniciens ou dans les bureaux d’étude. Nous essayons d’étendre cette approche à toutes les branches. C’est à nous de faire fonctionner ces observatoires, qui sont encore trop peu utilisés.

S’agissant de l’entretien professionnel, nous y sommes favorables à condition qu’il soit effectivement réalisé. Je ne suis pas opposée à votre ajout, mais je vous rappelle que cela est déjà prévu soit par les conventions collectives, soit par le code du travail : il faudrait commencer par appliquer le droit ! Toutefois, il est vrai que depuis la loi de 2004, il est possible de négocier des accords dérogatoires.

Je crois que la CFE-CGC a prouvé qu’elle appliquait la parité. Par contre, la procédure d’action collective nous permettra d’agir sur les discriminations. L’obligation de reconnaissance d’un mandat extérieur freinait en effet la représentation des femmes dans certaines instances, dans la mesure où, au quotidien, il est compliqué pour elles de tout faire.

Pour ce qui est de la formation de nos adhérents, nous avons mis en place, via notre centre de formation syndicale, un dispositif que nous étendons actuellement aux territoires.

Présidence de Mme Conchita Lacuey, vice-présidente.

Mme Catherine Bourrut. S’agissant des données sexuées, il existe en effet des disparités suivant les OPCA. Le Fonds paritaire en publie dans ses enquêtes statistiques sur le CIF et sur la professionnalisation. Toutefois, il importe de prendre aussi en considération d’autres informations, qui n’ont pas toutes trait à la formation, comme celles concernant les instances représentatives du personnel et la base de données unique ; c’est d’ailleurs précisé dans l’accord et dans l’avant-projet de loi.

Il reste du travail à faire sur les observatoires prospectifs des métiers et des qualifications, mais les mieux structurés disposent eux aussi de ce type de données. N’oublions pas non plus les observatoires régionaux emploi formation (OREF), dont l’approche est transversale, au plus près des salariés, et qui prennent de plus en plus d’importance.

Il importe qu’un entretien ait lieu non seulement tous les deux ans, pour étudier les perspectives d’évolution professionnelle du salarié, mais aussi tous les six ans, afin de voir si la qualification du salarié a progressé et si elle a été reconnue à sa juste valeur. En rendant ces échéances obligatoires, on évite toute discrimination.

Préciser dans le texte de loi que « les perspectives d’évolution professionnelle dans l’entreprise ne sont pas différentes selon le sexe » me semble inutile : c’est un fait. En outre, la question de la situation des femmes ne se pose pas uniquement au sein de l’entreprise, mais aussi dans la branche professionnelle.

Loin de nous l’idée que les partenaires sociaux doivent se saisir des textes de loi ! Un accord national interprofessionnel ne vaut que pour un champ d’action donné et ne concerne que les salariés et les demandeurs d’emploi. Il revient ensuite au législateur de faire son travail – que, bien entendu, nous suivons avec attention. Il ne s’agit pas de reprendre mot pour mot le texte de l’ANI : nous espérons que la discussion législative contribuera à l’enrichir.

Les accords de 2003 et 2009 ne concernaient qu’une partie des salariés et n’ont jamais été étendus. L’objectif est aujourd’hui de toucher le plus grand nombre. Je ne crois pas que le Gouvernement se défausse de ses responsabilités sur les partenaires sociaux ; il s’agit plutôt d’un choix politique. L’accord national aurait pu vivre en circuit fermé, mais il a été décidé de produire un texte de loi, qui inclura des apports parlementaires. Le résultat peut être différent de ce que les partenaires sociaux avaient initialement envisagé.

Quant à la parité dans notre syndicat, elle est en cours depuis plusieurs années. Elle s’applique aux instances nationales ; au niveau des branches, des régions et des syndicats, cela reste de la responsabilité de chacun. Il existe toutefois des orientations nationales, qui ne visent pas tant à la parité qu’à la représentation proportionnelle de la population ; en ce qui me concerne, bien que venant d’une branche ouvrière comprenant 70 % d’hommes, j’ai réussi à m’imposer : comme quoi, tout est possible ! Cependant, c’est pur hasard si je m’exprime devant vous aujourd’hui : cela aurait pu être un homme, puisque nous sommes six à avoir négocié l’accord et que nous nous partageons les auditions.

Il y a deux responsables de la mixité et de l’égalité hommes/femmes à la CFDT : un homme et une femme. En revanche, à la formation professionnelle, on ne trouve que des femmes – déduisez-en ce que vous voudrez !

Mme Ségolène Neuville. A-t-on une idée du budget consacré par les OPCA aux formations, suivant le sexe ?

Mme Catherine Bourrut. Non, nous l’ignorons. Dans certains secteurs, on a peut-être des chiffres, mais nous n’en avons pas connaissance. Il existe un problème général d’évaluation des formations mises en place.

M. Djamal Teskouk. Sauf pour le CIF.

Mme Ségolène Neuville. Quel pourcentage de la formation globale représente-t-il ?

M. Djamal Teskouk. Il représente pour les entreprises une dépense de 1 milliard sur un total de 13 milliards.

La CGT estime que le texte de loi devra préciser, corriger et améliorer certaines dispositions de l’ANI ; nous avons d’ailleurs fait des propositions en ce sens, que je vous transmettrai.

Mme Anne Baltazar. Il ne s’agit pas en effet de remettre les clefs aux partenaires sociaux ! On doit respecter les rôles de chacun. Nous sommes des négociateurs, et non des législateurs. Il se trouve que nous négocions des accords qui sont transposés dans la loi ; nous sommes satisfaits si le législateur les respecte, mais ce dernier conserve toute sa liberté d’expression. Il n’est pas question que la société entière soit régie par les partenaires sociaux !

En matière de parité, FO ne dispose d’aucune règle ni d’aucune norme, mais une dynamique a été impulsée par l’équipe confédérale et son secrétaire général. On compte de nombreuses femmes parmi les adhérents et les militants, mais il existe les mêmes freins qu’ailleurs pour l’accès aux responsabilités intermédiaires et nationales. Les femmes ne briguent pas les postes, il faut aller les chercher, leur offrir des conditions favorables pour qu’elles puissent exercer des responsabilités, et cela n’est pas encore entré dans les mœurs syndicales.

Avec ma collègue chargée de l’égalité interne, nous y travaillons. Nous organisons des formations pour les militantes et les militants, durant lesquelles nous évoquons les questions de l’égalité professionnelle et de la diversité – lors des prochaines journées nationales, nous ferons une mise au point sur les stéréotypes sexués et les classifications. Nous invitons les fédérations, les secteurs professionnels et les unions départementales à y participer ; nous essayons de toucher aussi les négociateurs d’accords de branche et d’entreprise, afin que la mixité des délégations soit renforcée.

Mme Conchita Lacuey, présidente. Mesdames, monsieur, nous vous remercions.

Audition de Mme Sylvie Brunet, vice-présidente de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) et vice- présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité du Conseil économique, social et environnemental (CESE), professeure associée à Euromed Management, Mme Françoise Fillon, consultante en égalité et représentante des associations territoriales « Retravailler », et Mme Garance Yverneau, fondatrice et dirigeante du cabinet 5 A, société de conseil en gestion de carrière au féminin

Compte rendu de l’audition du mercredi 22 janvier 2014

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci, mesdames, d’avoir répondu à notre invitation.

Madame Brunet, que pensez-vous du projet de loi relatif à la formation professionnelle – qui transcrit l’accord national interprofessionnel (ANI) du 14 décembre 2013 – du point de vue de l’égalité professionnelle entre femmes et hommes, à laquelle vous avez consacré une étude ? Quels sont selon vous les freins à la formation professionnelle des femmes ? Les formations leur sont-elles adaptées ? À quelles conditions les femmes peuvent-elles accéder à des formations qualifiantes afin de retrouver du travail après une interruption ou de progresser dans leur carrière ?

Mme Sylvie Brunet, vice-présidente de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH), vice-présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Dans le cadre de mes fonctions au CESE, j’ai en effet rédigé en 2012, avec Maryse Dumas, un rapport qui dresse le bilan de l’application des dispositifs promouvant l’égalité professionnelle entre femmes et hommes et aborde dans ce cadre l’accès à la formation professionnelle. Je suis par ailleurs chargée, au sein de l’ANDRH, de la commission emploi, compétences et formation, récemment réactivée. Enfin, ancienne directrice des affaires sociales du groupe Onet, j’ai conduit les négociations sur la formation professionnelle pour la branche propreté, dont les salariés sont majoritairement des femmes travaillant à temps partiel.

Au fil des études, et notamment à la lumière du rapport du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq) sur la formation professionnelle, on constate des disparités d’accès à la formation. Ce sont elles, d’ailleurs, qui ont motivé la négociation de l’ANI et sa transcription dans la loi. Or les victimes de ces inégalités sont les salariés les moins qualifiés – particulièrement les ouvriers –, les salariés des plus petites entreprises et les femmes.

Si les hommes et les femmes accèdent globalement à la formation continue dans des proportions assez semblables – en 2009, 45 % des hommes et 43 % des femmes –, l’écart se creuse d’autant plus que la catégorie socioprofessionnelle est moins élevée. Ainsi, alors que, chez les cadres, 62 % d’hommes se forment contre 57 % de femmes, l’écart atteint 9 points parmi les ouvriers. En outre, il se creuse nettement lorsqu’une qualification ou un diplôme est en jeu, puisque les hommes déclarent que 21 % des formations qu’ils ont suivies visaient cet objectif, contre 13 % pour les femmes.

Par ailleurs, comme le souligne l’étude menée par Françoise Milewski au nom de la section du travail et de l’emploi du CESE, les salariés travaillant à temps partiel, très majoritairement des femmes, sont moins nombreux à se former – 37 % – que les salariés à temps complet – 45 %.

De plus, le fait d’avoir des enfants de moins de six ans freine considérablement l’accès à la formation des femmes, alors qu’il ne l’affecte quasiment pas chez les hommes.

Enfin, les salariés des plus petites entreprises ont, eux aussi, davantage de difficultés à se former.

L’étude du CEREQ montre également que l’espérance annuelle de formation est moins élevée chez les femmes que chez les hommes, surtout parmi les catégories socioprofessionnelles les moins qualifiées.

De ce point de vue, quels leviers l’ANI et le projet de loi permettent-ils de mobiliser ? Il convient tout d’abord d’être particulièrement attentif à l’utilisation du compte personnel de formation, qui peut être très intéressante à condition d’être suffisamment accompagnée. Car il est très difficile d’inciter des personnels non qualifiés à se former. Les femmes, en particulier, pourront accumuler des heures de formation, mais pour en faire quoi ? Il faudra donc mener des actions incitatives soutenues, surtout au niveau des branches professionnelles où les femmes sont majoritaires et travaillent essentiellement à temps partiel – propreté, commerce de détail, etc.

Il faudra également articuler les nouvelles dispositions aux accords sur l’égalité professionnelle, lesquels devront systématiquement inclure un volet sur la formation professionnelle, en particulier lorsqu’elle est qualifiante, voire diplômante, puisque c’est notamment là que le bât blesse. Les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) seront en première ligne car les branches ont un rôle essentiel à jouer dans ce domaine, même compte tenu de la réforme et de la réduction des financements.

L’entretien professionnel, que le texte systématise tous les deux ans ainsi qu’à l’issue d’un congé de maternité ou d’un congé parental, devra également insister sur cet aspect. Mais il est difficile à mettre en œuvre dans certains secteurs. Il faudrait que, à tout le moins, les femmes – car ce sont elles qui prennent le plus souvent un congé parental, même si le projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes doit inciter les hommes à y recourir davantage – restent en contact avec l’entreprise et ses actions de formation lorsqu’elles interrompent leur activité, afin de se mettre à jour plus facilement à leur retour. Car ce sont ces interruptions de leur parcours professionnel qui limitent ou ralentissent leur progression et leur accès aux postes les plus qualifiés.

N’oublions pas le cas des femmes seniors qui ont arrêté de travailler, parfois très longtemps, le plus souvent pour s’occuper de leurs enfants. J’en ai rencontré beaucoup lorsque j’étais, il y a peu encore, responsable de l’antenne marseillaise de l’association Force Femmes, qui favorise le retour à l’emploi des femmes de plus de 45 ans. Il convient de passer le relais à Pôle Emploi ainsi qu’au Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) afin d’abonder le compte personnel de formation de ces femmes, particulièrement touchées par le chômage et qui ont besoin de se former pour retrouver un emploi. Si j’ai créé, en partenariat avec Orange, des ateliers de remise à niveau en bureautique et numérique, c’est parce que Pôle Emploi ne proposait pas assez rapidement à ces femmes les formations requises pour postuler à des emplois à pourvoir immédiatement.

Il faut également inciter les employeurs à abonder le CPF, en lien avec les accords qu’ils concluent sur l’égalité professionnelle. Pourquoi ne le créditeraient-ils pas systématiquement de quelques heures après chaque congé de maternité ou congé parental ?

Il serait également intéressant de développer la formation à distance – elle aussi évoquée dans l’ANI – en recourant à un tutorat, afin d’éviter une coupure trop brutale aux femmes en congé parental, par exemple lorsqu’un nouveau logiciel de gestion est adopté par l’entreprise en leur absence.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’aimerais savoir si les femmes concernées ont pâti d’une mauvaise orientation initiale ou – notamment dans le secteur du nettoyage – d’une orientation par défaut. Dans ce cas, la formation professionnelle continue leur permet-elles d’obtenir une qualification au sein de leur secteur d’activité ou de se réorienter dans un autre ?

Mme Garance Yverneau. Je dirige pour ma part deux entreprises. La première, 5A Conseil, cabinet de gestion de carrière au féminin, compte 12 consultants répartis entre cinq sites à Paris. Nous aidons chaque année 300 à 400 femmes à réaliser un bilan de compétences en vue d’une reconversion professionnelle. Nous travaillons particulièrement sur les mécanismes d’autocensure résultant des stéréotypes de genre, mécanismes auxquels j’ai consacré une recherche et qui, au-delà des freins conjoncturels et structurels au travail féminin, constituent des freins psychologiques qui peuvent engendrer des blocages très difficiles à surmonter. La seconde société que j’ai créée, Happy Families, propose aux parents un lieu multiservices de 450 mètres carrés, au pied de Beaubourg, dont un espace qui permet de réaliser un bilan de compétences tout en faisant garder son enfant sur place. Car les freins sont aussi d’ordre organisationnel : si les femmes en congé de maternité subissent des ruptures professionnelles, ce peut être faute d’un mode de garde adapté.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les femmes qui s’adressent à vous vous sont-elles envoyées par Pôle Emploi ?

Mme Garance Yverneau. Non, le bilan de compétences est pris en charge par les OPCA. Mais cette prestation, qui existe pourtant depuis plus de vingt ans, est très peu connue des demandeurs d’emploi et des salariés, notamment des femmes. Le bilan que propose Pôle Emploi – anciennement bilan de compétences approfondi (BCA) –, en recourant à des prestataires, est beaucoup plus succinct et de moindre qualité.

Mme Françoise Fillon, consultante en égalité et représentante des associations territoriales « Retravailler ». Ce qui est particulièrement grave s’agissant des femmes, vis-à-vis desquelles il y a beaucoup à faire. Je précise que je représente ici les associations territoriales Retravailler, qui ont survécu à la mise en liquidation de l’union nationale Retravailler, intervenue fin 2012.

Mme la présidente Catherine Coutelle. J’ai en effet constaté que le bilan proposé par Pôle Emploi ne semblait guère satisfaire les femmes.

Mme Françoise Fillon. La qualité de la prestation dépend des intervenants, eux-mêmes inégalement formés : sont entrées sur ce marché des personnes dont ce n’était pas le métier. En outre, le BCA, conçu comme un moyen d’aller à l’emploi sans se préoccuper des conditions dans lesquelles on le fait, ne convient pas du tout aux femmes, car il ne permet pas de réfléchir avec elles à la manière de lever l’autocensure qui, jointe aux discriminations, entrave leur accès à la formation. En outre, l’approche individuelle n’est pas toujours la plus appropriée.

Mme Garance Yverneau. Il faut que les consultants eux-mêmes soient convenablement formés.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Votre métier est-il reconnu ?

Mme Garance Yverneau. Oui, mais tous les consultants présents sur le marché n’y sont pas bien préparés, a fortiori lorsque les besoins spécifiques des femmes sont en jeu.

Mme Françoise Fillon. D’une manière générale, les acteurs de l’orientation nient la sexuation des conduites de carrière et le monde de la formation ne reconnaît pas les problèmes d’égalité et de mixité professionnelles. Or, pour parvenir à l’égalité, il est indispensable d’agir dans ces deux domaines de la formation et de l’orientation, qui sont indissociables. Mais pour cela, c’est-à-dire pour que les femmes en viennent à viser des formations qualifiantes et diplômantes, souvent organisées loin de chez elles, il faut travailler sur les freins, l’autocensure, voire les politiques d’entreprise, qui peuvent offrir de nouvelles perspectives de carrière.

Mme Garance Yverneau. Pour en revenir au bilan de compétences, il pourra apporter une aide précieuse aux salariés et demandeurs d’emploi qui souhaitent mobiliser leur compte personnel de formation, puisqu’il permet de choisir une formation adaptée à la personne concernée comme au marché du travail.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Peut-il être compris dans les 150 heures de formation du CPF ?

Mme Garance Yverneau. Oui : il correspond à une prestation de 24 heures.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Peut-il être financé par le CPF, ou est-ce un préalable à la mobilisation du compte ?

Mme Garance Yverneau. Il s’agit d’un préalable. Les sources de financement du bilan sont multiples : les OPCA pour les salariés, et parfois Pôle Emploi, bien que cela soit remis en question.

Mme Françoise Fillon. Le bilan de compétences est en effet un outil clé. Toutefois, mieux vaut parler plus généralement d’orientation.

Mme Sylvie Brunet. À cet égard, l’ANI mentionne le conseil en évolution professionnelle, concept nouveau et encore un peu flou.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Madame Yverneau, au-delà de l’accès à la formation, décelez-vous également, une fois le bilan engagé, des freins à l’orientation ou à la réorientation professionnelles des femmes ?

Mme Garance Yverneau. Oui, en permanence. Par exemple, les femmes ne savent pas parler d’argent – se vendre, négocier leur salaire – ni de leurs compétences. J’attribue ce phénomène à la prégnance des stéréotypes de genre ancrés depuis l’enfance.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Votre public est-il de tous niveaux ?

Mme Garance Yverneau. Oui.

Mme Sylvie Brunet. Les problèmes d’orientation se manifestent très en amont de l’entreprise, dès l’école.

Mme Françoise Fillon. Et au sein de la famille !

Mme Sylvie Brunet. Puis ils perdurent tout au long de la vie professionnelle, souvent à cause d’une méconnaissance des métiers qui recrutent et du marché du travail. Je me souviens d’une secrétaire que j’ai rencontrée à Force Femmes et qui est devenue soudeuse, aidée par un conseiller Pôle Emploi dans le cadre d’un bilan ; elle a dû surmonter beaucoup d’obstacles pour y parvenir.

Mme Garance Yverneau. Dans le contexte actuel de fragmentation des carrières et de multiplication des réorientations, le savoir-être et l’adaptabilité prennent une importance nouvelle, au-delà des seules compétences liées à un métier. Les femmes doivent apprendre à gérer les incertitudes, les ruptures, l’échec, que nous les aidons à valoriser pour mieux rebondir. Ces savoirs, moins palpables que les compétences dites techniques, n’en sont pas moins essentiels.

Mme la présidente Catherine Coutelle. D’une manière générale, le problème des qualifications, sur lequel travaillent actuellement les branches, est lié au genre. Les métiers considérés comme féminins sont décrits en termes beaucoup plus vagues – on parlera par exemple de « compétence d’accueil » – que les métiers dits techniques.

Mme Françoise Fillon. Je parlerais de freins psychosociologiques, plutôt que seulement psychologiques. Les femmes sont aujourd’hui victimes à la fois de l’autocensure et des discriminations, voire du sexisme. D’où la division actuelle du travail en métiers « féminins » et « masculins ». Je vous renvoie au rapport de Brigitte Grésy, auquel j’ai participé, sur les relations de travail entre les femmes et les hommes.

Le conseil en orientation et la formation doivent jouer un rôle stratégique dans la lutte contre cette division genrée du travail. Celle-ci nuit aux femmes – en témoigne l’écart de 27 % entre leurs rémunérations et celles des hommes, temps partiel inclus – et n’est plus compatible avec une société où de plus en plus de femmes vivent seules et élèvent seules leurs enfants, où il n’est plus question de salaire d’appoint et où les femmes ont autant besoin que les hommes de sécuriser leur avenir professionnel. Le plan de formation doit leur offrir des perspectives de mobilité promotionnelle et fonctionnelle.

Les femmes travaillent dans des métiers et des secteurs moins bien rémunérés que ceux qui emploient les hommes. Pour rétablir l’égalité, il faut par conséquent promouvoir la mixité des métiers et des professions, donc celle de l’orientation et des conduites de carrière. Ce chantier a été ouvert au niveau ministériel. J’y œuvre également pour le conseil général de Seine-Saint-Denis dans le cadre d’un projet lancé par Martin Hirsch : nous avons travaillé pendant trois ans avec tous les conseillers en formation, insertion et orientation des jeunes, afin de permettre à ces derniers, garçons et filles, de sortir des sentiers battus.

En matière de mobilité ascensionnelle – qui a légèrement progressé dernièrement –, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) est un formidable outil pour étudier la pyramide des âges, les besoins en qualifications techniques, etc., afin de promouvoir les femmes grâce aux différentes méthodes existantes – « assertivité », mentoring, tutorat... – et de les orienter vers des filières techniques mieux rémunérées. Les entreprises qui l’ont fait en constatent les effets positifs sur le climat social, le développement des compétences, l’exercice des métiers.

Mme Ségolène Neuville. Les entreprises font souvent valoir qu’elles n’ont pas de vestiaires pour femmes.

Mme Françoise Fillon. On invoque souvent, en effet, l’obligation de prévoir des vestiaires et sanitaires séparés, liée à la division genrée du travail. Mais les entreprises peuvent financer leur installation en faisant appel à la délégation régionale aux droits des femmes et à l’égalité, dans le cadre du contrat de mixité. Cette objection masque donc d’autres résistances, que la formation, appuyée sur des arguments chiffrés, peut vaincre. Encore faut-il assurer la formation générale, qui fait défaut : c’est un vaste chantier de plus.

Mme la présidente Catherine Coutelle. A-t-on les moyens de mesurer la compétitivité des entreprises où prévaut la mixité ?

Mme Garance Yverneau. Une étude de McKinsey montre que la présence de femmes au sein des organes de direction accroît les bénéfices de l’entreprise.

Mme Françoise Fillon. On a bien vu lors de la crise financière que les entreprises qui ont pris le moins de risques étaient celles dont les états-majors comptaient la plus forte proportion de femmes. Contrairement à un stéréotype de genre, les femmes ont ainsi montré qu’elles pouvaient être de fines stratèges en matière financière.

Pourtant, pour avoir travaillé sur le rapport des femmes à l’argent dans le cadre d’un programme européen, je confirme que le salaire ne fait pas partie des critères de choix professionnels des femmes, et que les conseillers – hommes ou femmes – qui les accompagnent ne sont pas formés à appeler leur attention sur cet aspect.

Mme Sylvie Brunet. Je doute que le comportement managérial des femmes soit aussi différent de celui des hommes que vous le dites. C’est la manière d’exercer le pouvoir dans l’entreprise qu’il faut réformer, plutôt que la proportion de femmes et d’hommes.

Au demeurant, pourquoi vouloir s’appuyer sur des indicateurs d’efficacité économique pour défendre le droit à l’égalité ? Il s’agit tout simplement d’un droit humain. On ne doit pas être écarté de certains métiers ou de certaines compétences parce que l’on est une femme. C’est encore trop souvent le cas.

L’essentiel est d’agir en amont, sur les stéréotypes. Il faut également passer par la loi, sans quoi ce combat est voué à l’échec. Mais, comme par hasard, c’est depuis l’adoption de la loi introduisant des quotas de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance que l’on a vu apparaître des formations d’administrateur !

S’agissant du temps partiel, on utilise dans certaines branches le passeport formation pour garantir une forme de traçabilité aux femmes « multi-employeurs », qui peinent à organiser un parcours de formation, surtout en vue d’une qualification.

Mme Ségolène Neuville. La lutte contre les stéréotypes sexués est engagée dès l’école maternelle. Notre Délégation devrait en recommander l’extension au service public de l’éducation et de la formation. La tâche est moins aisée s’agissant des OPCA. Les syndicats n’ont pas pu me dire quelle part de leur budget était consacrée aux femmes.

Mme Françoise Fillon. Pourtant, Agefos PME et Opcalia ont inscrit l’égalité et la mixité professionnelles dans leur stratégie de développement, et Retravailler a formé tous les conseillers des Fonds de gestion des congés individuels de formation (FONGECIF) afin que ces derniers promeuvent ces objectifs auprès de leurs adhérents.

Mme Ségolène Neuville. Vous jugeriez donc raisonnable que la loi impose cette obligation aux OPCA ?

Mme Françoise Fillon. Tout à fait.

Mme Ségolène Neuville. Alors que les salariés à temps partiel ont davantage besoin d’être formés puisqu’ils sont généralement moins qualifiés que les autres, le CPF n’est abondé qu’à proportion du temps de travail. Ne devrait-il pas l’être également pour tous les salariés ?

Mme Françoise Fillon. Il me semble que l’on pourrait appliquer la même règle qu’en matière de retraite pour ce qui concerne la durée d’assurance. En effet, le temps partiel ne joue pas sur la durée d’assurance, mais seulement sur le montant de la pension.

Mme Ségolène Neuville. Je regrette par ailleurs qu’à propos de l’entretien professionnel prévu tous les deux ans, l’ANI et le projet de loi n’assignent à l’employeur ou à la directrice ou au directeur des ressources humaines (DRH) aucun objectif d’égalité entre salariés ni de lutte contre les stéréotypes. Les perspectives d’évolution professionnelle risquent de demeurer très stéréotypées. Certains syndicats m’ont objecté que le principe d’égalité était déjà inscrit dans le droit. Qu’en pensez-vous ?

Mme Garance Yverneau. Pour que la mention soit utile, il faudrait d’abord que les DRH soient conscients des stéréotypes qu’ils véhiculent.

Mme Françoise Fillon. Mieux vaudrait parler de conduite de carrière plutôt que de stéréotypes, en précisant que les entretiens doivent ouvrir des perspectives aussi attrayantes aux femmes qu’aux hommes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cette formulation me paraît bienvenue.

Mme Françoise Fillon. Par ailleurs, la systématisation de l’entretien tous les deux ans est une bonne chose, mais un salarié qui a envie de changement doit être encouragé à interpeller son DRH à tout moment.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Alors que c’est généralement la dernière personne à qui il en parle !

Mme Françoise Fillon. En réalisant des bilans de compétences, nous commençons par étudier la faisabilité du projet au sein même de l’entreprise, quitte à nous charger ensuite de la médiation.

Mme Garance Yverneau. Nous le faisons aussi ; mais, sur les 400 femmes que nous accompagnons chaque année, 70 font leur bilan de compétences en dehors du temps de travail et sans en avertir leur employeur, ce qui est leur droit le plus strict.

Mme Françoise Fillon. J’insiste sur la nécessité de former les acteurs de la formation eux-mêmes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Notamment les élus des régions, lesquelles deviennent chefs de file de l’orientation et de la formation professionnelle.

Mme Ségolène Neuville. Pour ma part, j’ai organisé des formations sur les stéréotypes pour tous les élus du conseil général et de la région.

Mme Françoise Fillon. C’est également une bonne idée de diversifier les dispositifs de formation ouverte et à distance, car, au-delà du phénomène d’autocensure, les femmes ont parfois de véritables difficultés à quitter leur foyer.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Elles peuvent être hébergées dans un centre AFPA – Association pour la formation professionnelle des adultes.

Mme Françoise Fillon. Il y a eu des cas de violence dans ces centres.

Mme Ségolène Neuville. Et les enfants n’y sont pas hébergés. De sorte que 16 % des hommes vont se former à l’extérieur de leur région, contre 6 ou 7 % de femmes.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il faut que le père garde les enfants pendant que la mère suit une formation.

Mme Françoise Fillon. De plus en plus d’hommes y sont disposés.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La GPEC ne concerne que les entreprises de plus de 300 salariés. Qu’en est-il des très petites entreprises (TPE) ?

Mme Françoise Fillon. L’Agefos PME a dans son portefeuille de très petites entreprises, en deçà de 10 salariés – un seuil au-delà duquel la tâche est plus aisée. À leur intention, j’ai rédigé un guide qui doit leur permettre de faire le point sur leur situation en matière d’égalité, mais aussi d’étudier leur pyramide des âges et de réaliser des prévisions en termes de ressources humaines ; j’y propose en outre quelques pistes d’action. Elles peuvent par exemple se regrouper dans des zones industrielles pour y ouvrir une crèche d’entreprise.

Mme la présidente Catherine Coutelle. À Lyon, l’Agefos PME a joué un rôle moteur dans un projet sur l’articulation des temps de vie auquel j’ai participé avec l’association Tempo territorial. Nous avons aussi fait un travail considérable à Poitiers, où nous avons créé l’Agence des temps, dans le cadre de l’opération « Temps et territoires ». Mais les petites entreprises n’avaient aucune idée de leurs perspectives d’embauche un an plus tard. Et c’était avant la crise ! Comment pourraient-elles avoir une idée de leurs besoins aujourd’hui, alors qu’elles ne savent rien de ce que sera leur carnet de commandes dans les six mois à venir ?

Mme Garance Yverneau. Je puis témoigner de la difficulté de la tâche pour les TPE, même lorsque leurs dirigeants sont très engagés sur ces questions. En outre, ces entreprises sont très peu consultées sur leurs besoins.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il faut organiser des rencontres très efficaces dont l’initiative doit venir de l’extérieur, notamment de la collectivité : les chefs d’entreprise, qui manquent de temps, ne se concerteront pas spontanément.

Mme Ségolène Neuville. C’est le rôle des régions…

Mme la présidente Catherine Coutelle. Plutôt de l’agglomération, à ce niveau.

Mme Ségolène Neuville. Des régions, pourvu que la décentralisation soit suffisante ; c’est en tout cas le rôle de la puissance publique.

Mme Garance Yverneau. N’oublions pas que ce sont les PME et les TPE qui recrutent.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Et qui réunissent la majorité des salariés !

Merci, mesdames.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La Délégation aux droits des femmes proposera des amendements au projet de loi relatif à la formation professionnelle, dont elle s’est saisie. Les services du ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social nous ont communiqué un dossier de presse qui contient des illustrations et un glossaire particulièrement utiles au regard de la complexité et de la multiplicité des acronymes : en tant que législateur, nous avons à comprendre les textes que nous votons et, même si nous n’en sommes pas tous des spécialistes, nous devons être en mesure de les expliquer à nos concitoyens. Nul n’est censé ignorer la loi, et surtout pas ceux qui l’écrivent.

Mme Ségolène Neuville, notre rapporteure, ne peut être parmi nous ce matin, mais je me ferai l’écho des questions qu’elle souhaitait poser.

Quels sont les freins à la formation professionnelle pour les femmes, qu’elles soient au chômage ou en emploi ? L’orientation est un axe majeur. À cet égard, le Commissariat général à la stratégie et à la perspective vient de remettre à la ministre des droits des femmes un excellent rapport intitulé : « Lutter contre les stéréotypes filles-garçons, un enjeu d’égalité et de mixité dès l’enfance ». Quelles sont les dispositions du projet de loi pour améliorer l’orientation ? Pour les demandeuses d’emploi comme dans le cadre de la réorientation, le bilan de compétences me semble essentiel, même si, à en croire certaines sociétés de conseil, celui proposé par Pôle emploi est d’une qualité variable…

Nous avons demandé aux syndicats, lors d’une table ronde organisée avec eux, si les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), disposaient de statistiques sexuées sur l’accès à la formation professionnelle : devant notre insistance sur cette question, ils ont fini par répondre que ce n’était pas le cas.

L’entretien de formation tous les deux ans constituera-t-il une nouveauté ? Que peut-on en attendre ?

Le compte personnel de formation (CPF) est bien entendu une mesure intéressante, mais nous souhaiterions qu’il soit alimenté pour les salariés à temps partiel dans les mêmes conditions que pour les salariés à temps plein. Voir les temps partiels privés de telle ou telle partie d’une formation n’aurait aucun sens.

M. Christophe Strassel, chef de service adjoint à la déléguée générale à l’emploi et à la formation professionnelle. M. Huart et moi travaillons à la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), dirigée par une femme, Emmanuelle Wargon, que nous représentons ce matin.

La DGEFP met en œuvre la politique de l’emploi du Gouvernement, sous la houlette du ministre du travail ; elle est à ce titre chargée du suivi et de l’élaboration du projet de loi présenté hier en Conseil des ministres : le suivi de ce texte est notamment la tâche de la sous-direction de M. Huart.

Le projet de loi, qui résulte d’un accord national interprofessionnel (ANI) signé en décembre dernier, constitue sans doute l’évolution la plus importante en matière de formation professionnelle depuis la loi fondatrice de 1971. Celle-ci avait pour objectif de combler le retard que notre pays, en ce domaine, accusait par rapport à ses partenaires de la Communauté économique européenne. C’est donc l’ouverture au marché européen qui avait révélé cette carence française. Aux termes de la loi, les entreprises devaient consacrer 0,8 % de leur masse salariale brute à la formation professionnelle, soit en assurant elles-mêmes cette formation, soit en versant une somme à des organismes de mutualisation.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Il y a quinze jours, à Poitiers, une coopérative qui existait depuis trente ans a fait faillite ; l’un de ses salariés, en vingt-neuf ans de carrière, n’y avait reçu aucune formation – il n’a même jamais pu passer le certificat d’aptitude professionnelle (CAP).

M. Christophe Strassel. L’effort des entreprises françaises en matière de formation a beaucoup évolué ; aujourd’hui, elles y consacrent en moyenne 2,8 % de leur masse salariale, soit bien plus que le taux légal de 1,6 %. Cependant, on constate depuis environ dix ans que cet effort, en plus d’être mal réparti, bénéficie d’abord aux salariés qui, compte tenu de leur statut et de la taille de l’entreprise, occupent les postes les moins précaires. Tout l’enjeu du projet de loi est de réorienter cet effort vers les salariés qui en ont le plus besoin, à savoir les salariés ayant une faible qualification initiale, ou qui se trouvent en situation précaire, ou qui sont employés dans les plus petites entreprises – ces derniers sont d’ailleurs, en moyenne, moins formés que ceux des plus grandes.

Selon des données de 2010 du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ), 41,2 % des femmes accèdent à une formation professionnelle au cours d’une année, contre 58,6 % des hommes. La situation est donc inégale, même si différents phénomènes contribuent à l’expliquer.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Ne dispose-t-on pas de chiffres plus récents ?

M. Christophe Strassel. Non, mais ils évoluent peu : ce sont des tendances de long terme.

Le compte personnel de formation, c’est sa grande nouveauté, vise à réorienter l’effort vers ceux qui en ont le plus besoin, à les faire devenir acteurs de leur propre formation et à rendre leur droit en ce domaine effectif par l’octroi de moyens : c’est toute la différence avec le droit individuel à la formation (DIF). Dans ce cadre, le conseil aux salariés sera bien entendu déterminant, d’où l’importance du service public de l’orientation.

La réforme du système de financement, deuxième grande innovation du projet de loi, vise à accroître le degré de mutualisation entre les entreprises, aujourd’hui très faible. Les données des OPCA révèlent en effet que les grandes entreprises ne concourent pas à l’effort de formation des petites.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Comment est-ce possible ? La loi ne les oblige-t-elle pas à verser de l’argent aux OPCA ?

M. Christophe Strassel. Si, mais les OPCA redistribuent aux grandes entreprises des sommes plus élevées que le montant de leur contribution, si bien que la mutualisation opère en sens inverse, au détriment des petites entreprises, qui n’utilisent pas toutes les ressources auxquelles elles ont droit. La raison en est simple, d’ailleurs : une petite entreprise ne dispose pas toujours de la logistique nécessaire pour organiser une formation, et l’absence d’un salarié peut être perturbante pour l’organisation du travail.

Quant à la situation des femmes, il faut l’envisager au cas par cas. Parmi les salariés qui bénéficient, au cours d’une année, du plan de formation des entreprises, essentiellement destiné à l’adaptation des salariés aux postes, 1,8 million – soit 46,13 % – sont des femmes : cette répartition reflète en somme la réalité de la population active.

S’agissant de la préparation opérationnelle à l’emploi (POE), principalement destinée aux demandeurs d’emploi, la répartition est bien plus inégalitaire, puisqu’un tiers seulement des 414 000 personnes concernées sont des femmes. Certes, les femmes demandeuses d’emploi sont moins nombreuses que les hommes, mais c’est bien sûr ce secteur de la professionnalisation que l’inégalité est la plus marquée.

Pour les dispositifs ouverts à l’ensemble des salariés, en revanche, les chiffres sont beaucoup plus équilibrés. L’utilisation du DIF, par exemple, est quasiment paritaire puisque, sur les 497 000 bénéficiaires, 48 % sont des femmes.

Les femmes représentent même les deux tiers des salariés bénéficiant d’un bilan de compétences. Celui-ci, en effet, est souvent réalisé après une interruption de carrière, comme un congé maternité. Il en va de même pour la valorisation des acquis de l’expérience (VAE), dont 69 % des bénéficiaires sont des femmes. Là encore, la discontinuité des carrières est une explication ; de plus, la VAE est plus accessible dans les métiers du tertiaire, où les femmes sont majoritaires.

Enfin, sur 38 000 congés individuels de formation (CIF), 19 000 ont été accordés à des femmes : en ce domaine, la parité est donc quasi parfaite.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Mme Neuville souhaite savoir s’il s’agit de données collectées ou d’enquêtes réalisées sur la base d’échantillons Des divergences apparaissent en effet entre les chiffres du ministère du travail, tels qu’ils figurent sur le « jaune » budgétaire, et ceux du CEREQ. Peut-on obliger les OPCA à fournir des statistiques sexuées ?

M. Christophe Strassel. Nos données proviennent des OPCA, que la loi oblige à nous transmettre des états statistiques et financiers. Ceux-ci contiennent des statistiques sexuées.

Cependant, nous ne disposons pas de chiffres par branche : le plus souvent, les OPCA collectent pour plusieurs branches, quand ils ne sont pas interprofessionnels. D’autre part, la fiabilité des données dépend évidemment de la qualité des déclarations. Enfin, ces statistiques ne concernent que le secteur privé : pour avoir une vision globale, il faudrait y agréger celles du ministère de la fonction publique, avec lequel nous n’avons pas de connexion sur ce point, s’agissant de la formation des fonctionnaires.

M. Jean-Marc Huart, sous-directeur des politiques de formation et de contrôle. La Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) dispose de chiffres plus globaux.

Les données relatives au taux d’accès doivent être maniées avec une certaine précaution, car tout dépend aussi du niveau de représentation des femmes dans tel ou tel statut. Par exemple, les femmes sont plus nombreuses à utiliser les dispositifs ouverts aux contrats à durée déterminée.

Le projet de loi contient trois chapitres essentiels – regroupés dans le titre Ier –, auxquels on peut ajouter l’article 21, relatif au contrôle. Le premier a trait à la formation professionnelle continue ; le second, à l’apprentissage et à l’emploi ; le troisième, aux nouveaux modes de gouvernance. Ce dernier chapitre reprend, en y apportant quelques modifications – notamment en fonction de l’ANI du 14 décembre dernier –, le deuxième volet du projet de loi de décentralisation présenté en Conseil des ministres le 10 avril 2013.

L’entretien professionnel ne s’apparentera en aucun cas à un entretien d’évaluation, puisqu’il doit permettre de vérifier l’application de certains droits en matière de formation, de progression salariale ou professionnelle, et d’acquis par la formation ou l’expérience. Il aura lieu tous les deux ans et, si au bout de six ans, aucune évolution n’est intervenue dans deux des trois domaines que je viens d’évoquer, l’employeur sera fautif et le salarié verra son compte personnel de formation doté de 100 heures supplémentaires. En ce sens, le texte répond à la préoccupation que vous exprimiez à travers le cas de cette coopérative de Poitiers.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Un tel dispositif, à l’inverse, peut être regardé comme une obligation de formation pour les salariés ; or certains ne le souhaitent pas, par exemple au regard d’insuffisantes perspectives de carrière. La formation est tout de même un effort qui doit être assorti d’une gratification.

M. Jean-Marc Huart. Les formations dont nous parlons ne relèvent pas forcément du compte personnel de formation : elles peuvent être très courtes, par exemple dans le cadre d’une adaptation à un emploi.

Aux termes de l’article 2 du projet de loi, l’entretien professionnel « est proposé systématiquement au salarié qui reprend son activité à l’issue d’un congé de maternité, d’un congé parental d’éducation, d’un congé de soutien familial, d’un congé d’adoption, d’un congé sabbatique, d’une période de mobilité volontaire sécurisée mentionnée à l’article L. 1222-12 (du code du travail), d’une période d’activité à temps partiel au sens de l’article L. 1225-47, d’un arrêt longue maladie tel que prévu par l’article L. 324-1 du code de la sécurité sociale ou à l’issue d’un mandat syndical ». Ces différents cas peuvent concerner majoritairement les femmes.

La gouvernance est traitée dans trois articles. L’article 11, tout d’abord, parachève le processus de décentralisation ; à ce titre, il précise que la région « favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux filières de formation et contribue à développer la mixité de ces dernières ». Ce point répond sans doute à la question que vous posiez sur l’apprentissage : celui-ci étant beaucoup plus fréquent dans le secteur industriel, notamment au plus bas niveau de qualification, l’accès des femmes y est automatiquement moins élevé.

L’article 12, quant à lui, prévoit que le service public de l’orientation tout au long de la vie « concourt à la mixité professionnelle », et que la région coordonne les acteurs de ce service public. Cette disposition est logique au regard des principes énoncés dans l’article précédent.

Les acteurs de l’orientation sont, par exemple, les centres d’information et d’orientation (CIO) au sein de l’éducation nationale, les services universitaires dédiés et d’autres opérateurs privés, publics ou parapublics. On trouve des conseillers d’orientation à Pôle emploi, par exemple. Le projet de loi prévoit également des missions spécialisées dans les conseils en orientation et en évolution professionnelle ; l’une d’entre elles sera confiée au service public de l’emploi, à travers Pôle emploi, l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (AGEFIPH) et l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) ; d’autres pourront être assurées par les chambres consulaires. La région aura à coordonner l’ensemble du dispositif ; une plus grande décentralisation au sein de l’éducation nationale, notamment, n’aurait rien changé à ce rôle.

L’article 14, enfin, modifie plusieurs mécanismes de gouvernance. Le Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV) et le Conseil national de l’emploi (CNE) fusionnent en une nouvelle entité baptisée « Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles » (CNEFOP), décliné régionalement, pour remplacer le comité de coordination régional de l’emploi et de la formation professionnelle (CCREFP) et le conseil régional de l’emploi (CRE), en comité régional de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles (CREFOP), lequel devra veiller au respect de l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes en matière d’emploi, de formation et d’orientation professionnelle.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Sera-t-il lui-même paritaire ?

M. Jean-Marc Huart. Sa composition se veut plus resserrée que celle du CNFPTLV, mais aucune disposition législative n’est prévue sur sa parité.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Nous y veillerons. Les membres de cet organisme seront-ils désignés par les différentes structures ?

M. Jean-Marc Huart. Oui.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les acteurs seront nombreux : faut-il selon vous les former aux exigences de mixité ? Certains stéréotypes touchant à l’orientation sexuée ont la vie dure, et l’on peut les reproduire sans même en avoir conscience. La mixité n’est pas une lubie de notre part, mais l’on constate que, dans les corps de métiers où elle progresse, les entreprises trouvent plus facilement les profils qu’elles recherchent. Il y va donc aussi de l’efficacité économique.

M. Jean-Marc Huart. Le service public régional d’orientation est aujourd’hui expérimenté dans huit régions. Il permettra aux régions de délivrer des labels sur la base d’un cahier des charges qu’elles définiront elles-mêmes. Sans doute la mixité sera-t-elle l’un des critères.

M. Christophe Strassel. S’agissant des obstacles rencontrés par les femmes dans l’accès à la formation professionnelle, le tableau que nous venons d’esquisser montre qu’ils peuvent être généraux ou spécifiques. D’un point de vue général, les femmes sont surreprésentées dans les statuts précaires – contrat à durée déterminée (CDD) ou intérim, notamment – et ont en moyenne un niveau de formation initiale moins élevé. Sur ce point, le projet de loi offre des outils.

De façon plus spécifique, les femmes connaissent des interruptions de carrière plus fréquentes. Le problème qui se pose alors est celui du retour vers la formation et l’emploi. Une dizaine d’années après la naissance de leur premier enfant, 85 % des mères qui se sont arrêtées moins d’un an sont dans l’emploi, contre seulement 79 % de celles qui se sont arrêtées entre un et trois ans, et 63 % de celles qui se sont arrêtées plus de trois ans ; en d’autres termes, plus l’interruption est longue, plus la probabilité d’un retour à l’emploi est faible. L’effort gagnerait donc à être ciblé sur les catégories qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire celles qui ont connu les interruptions de carrière les plus longues.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Ces interruptions tiennent aussi, souvent, à des niveaux de qualification plus faibles : les inégalités sociales, de ce point de vue, se creusent.

La Délégation aux droits des femmes défend l’idée d’un congé parental d’un an mieux rémunéré, même s’il convient aussi de tenir compte de la conjoncture économique. On m’a récemment fait part du cas d’une femme cadre qui, après un congé maternité, s’est vue – passez-moi l’expression – « mise au placard ».

Quoi qu’il en soit, ne pourrait-on imaginer, pour les femmes qui n’ont pas d’emploi, un entretien d’orientation au terme du congé parental ? Comment remettre dans l’emploi des femmes qui l’ont quitté au moment de prendre ce congé – parce qu’elles étaient en CDD, en stage ou en contrat aidé, par exemple –, ou qui sont au chômage ? Peut-on trouver des financements pour cela ?

M. Jean-Marc Huart. Le compte personnel de formation et le service de conseil en évolution professionnelle sont des dispositifs universels, qui s’adressent aux salariés comme aux demandeurs d’emploi et aux jeunes sans qualification.

L’entretien professionnel et le conseil en évolution professionnelle sont deux choses bien distinctes ; le second est à l’initiative de l’intéressé, mais il ne saurait exempter l’employeur du financement du bilan de compétences, par exemple.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le conseil en évolution professionnelle pourra donc être gratuitement dispensé par des organismes tels que Pôle emploi, l’APEC et l’AGEFIPH. Il faudra le faire savoir, et définir la fréquence de ces entretiens.

Pensez-vous que Pôle emploi, au regard des bouleversements qu’il a connus à sa naissance, est aujourd’hui à même de conseiller des femmes sur des formations après un congé maternité ?

M. Christophe Strassel. L’offre de services de Pôle emploi évolue dans l’optique d’un accompagnement global. La situation du marché du travail exige en effet que nous portions une attention toute particulière au chômage de longue durée : celui-ci a déjà augmenté depuis le début de la crise, et sa part relative devrait continuer à suivre la même pente, puisque le retour de la croissance résorbera sans doute une partie du chômage conjoncturel. Le rôle de Pôle emploi en matière de conseil en formation est en ce sens l’une des clés de la réussite.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les femmes ont moins de capacités à la mobilité ; or l’éloignement peut être un obstacle à la formation, notamment au regard de l’hébergement. Lors d’une visite la semaine dernière, en présence du ministre, dans un centre de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) en Poitou-Charentes, on a vu que les possibilités d’hébergement étaient indispensables pour certaines femmes. Des financements sont-ils possibles ? Les salariés pourront accumuler jusqu’à 150 heures sur le compte personnel de formation, avec, pour les formations qualifiantes, un abondement possible jusqu’à 800 heures. Quid dans ces conditions de l’organisation pratique des formations, comme l’hébergement des personnes formées ou des facilités diverses qui peuvent être apportées aux intéressées ?

M. Christophe Strassel. Cela ne concerne pas directement le projet de loi, mais la façon dont les outils de formation évolueront au cours des prochaines années. L’AFPA, que vous avez évoquée, ne jouit d’aucun statut particulier, mais c’est aujourd’hui le seul opérateur capable de conjuguer une offre de formation, une capacité d’hébergement et un maillage territorial aussi dense.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La Cour des comptes lui en fait d’ailleurs le reproche…

M. Christophe Strassel. Le Sénat vient d’auditionner des représentants de la Cour à ce sujet. De fait, les coûts de structure de l’AFPA sont élevés au regard de son chiffre d’affaires déclinant. Reste que, sur la période 2013-2015, l’État a ouvert une enveloppe de 200 millions d’euros – dont 120 millions ont déjà été versés – au titre du plan de refondation de cet opérateur. Certains organismes financiers apportent également leur soutien. Si un tel effort a été consenti, c’est bien parce que l’AFPA répond à un besoin social tout particulier.

Mme la présidente Catherine Coutelle. La formation est un marché considérable et lucratif. Quels sont les critères de labellisation ? Comment s’assurer de la qualité des formations dispensées ?

Par ailleurs, l’Union européenne semble avoir desserré les conditions des appels d’offre, notamment en limitant les exigences de mise en concurrence auxquelles les collectivités sont tenues. L’AFPA doit assurément se rénover, mais la mettre en concurrence avec d’autres opérateurs pose tout de même problème, au vu des missions spécifiques qu’on lui confie. La mise en concurrence a fait perdre à des acteurs locaux de qualité certains marchés, par exemple dans le domaine de la lutte contre l’illettrisme.

Les labels sont-ils délivrés par le ministère ou par les régions ? Comment le suivi est-il assuré ? Comment trouver un équilibre entre les vertus de la concurrence et la protection du marché local ?

M. Christophe Strassel. Le marché de la formation professionnelle est vaste et éclaté : on y recense une cinquantaine de milliers d’organismes.

Pour accéder au statut d’organisme de formation, une déclaration suffit : le formalisme est donc très réduit. Il n’existe actuellement aucune labellisation publique.

Mme la présidente Catherine Coutelle. N’importe qui peut donc s’installer formateur ?

M. Christophe Strassel. Il suffit de déposer une déclaration d’activité au ministère du travail, en précisant les conditions d’exercice de cette activité : aucun autre critère qualitatif n’est demandé.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Vérifie-t-on qu’il n’y a pas de dérives sectaires ?

M. Christophe Strassel. Oui : dans les régions, des services sont en charge du contrôle, notamment financier. Par ailleurs, les organismes doivent transmettre à l’administration un bilan pédagogique et financier. Cela dit, l’examen de ces documents ne peut être que limité, compte tenu du nombre d’organismes et des moyens dont disposent les services dédiés, qui emploient quelque 180 personnes – et doivent aussi contrôler les OPCA.

M. Jean-Marc Huart. Le périmètre de la sous-direction dont j’ai la charge inclut le contrôle, assuré par des services régionaux, les SRC.

En tout état de cause, l’entreprise a, vis-à-vis de ses salariés, une obligation de formation. À ce sujet, l’article 2 du projet de loi accroît le rôle du dialogue social au sein des entreprises, notamment celles de plus de cinquante salariés – des amendements viseront probablement à étendre le dispositif à celles qui en comptent moins de cinquante.

Le contrôle sera donc renforcé au sein des entreprises elles-mêmes, et se fera par le jeu du marché, puisque les entreprises sont clientes des organismes prestataires. De plus, l’article 5 prévoit de confier aux OPCA une mission de contrôle de la qualité des formations. Enfin, pour éviter les dérives sectaires, le II de l’article 21 précise qu’« en cas de contrôle d’un organisme de formation, lorsqu’il est constaté que des actions financées par des fonds de la formation professionnelle continue ont poursuivi d’autres buts que la réalisation d’actions relevant du champ défini à l’article L. 6313-1, ces actions sont réputées inexécutées et donnent lieu à remboursement des fonds auprès de l’organisme ou de la personne qui les a financées. À défaut de remboursement dans le délai fixé à l’intéressé pour faire valoir ses observations, l’organisme de formation est tenu de verser au Trésor public, par décision de l’autorité administrative, un montant équivalent aux sommes non remboursées. »

Cette disposition a d’ailleurs occasionné un débat au Conseil d’État, qui a veillé à ce que la possibilité d’un reversement au Trésor public ne se substitue pas aux dispositions contractuelles relatives à l’obligation de remboursement du financeur.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les OPCA sont-ils les mieux placés pour évaluer les formations qu’ils financent ?

M. Jean-Marc Huart. Oui. On considère souvent que la mutualisation permet une redistribution au bénéfice des petites entreprises ; en fait, les entreprises décident des formations qu’elles achètent, même si, pour les financer, elles font valoir leur droit de tirage auprès de l’OPCA. En d’autres termes, celui-ci a un simple rôle de gestion.

M. Christophe Strassel. La collecte et la redistribution des fonds destinés à la formation est l’une des missions des OPCA : pour l’accomplir, ils doivent faire de l’information et du conseil auprès des entreprises. Aux termes de la législation actuelle, celles de plus de dix salariés peuvent d’ailleurs financer directement la formation : l’OPCA doit donc, pour inciter une entreprise à passer par lui, la convaincre qu’elle a un intérêt à le faire.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Les OPCA sont donc en quelque sorte des prescripteurs…

M. Christophe Strassel. Pas tout à fait : ils font plutôt du conseil. Il est vrai que, plus l’entreprise est petite, plus ce conseil peut avoir du poids.

L’esprit du projet de loi, en tout état de cause, est plutôt de renforcer la discipline de marché. Sauf si elles en décident ou que des dispositions conventionnelles le prévoient, les entreprises ne passeront plus par un OPCA : elles géreront elles-mêmes leur programme de formation.

On passera donc d’un système qui, avec une manne financière devant impérativement être redistribuée, ne pousse guère à l’économie, à un autre où les entreprises voudront, passez-moi l’expression, en avoir pour leur argent : cela devrait les inciter à un contrôle plus strict de la qualité des formations.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le niveau de financement, d’après ce que j’ai compris, variera en fonction de la taille des entreprises. Est-ce à dire que les petites entreprises auront un droit de tirage plus faible ?

M. Jean-Marc Huart. Pour les entreprises de moins de dix salariés, non visées par l’obligation de mettre en œuvre un plan de formation, la contribution est de 0,55 %.

Le projet de loi prévoit que les entreprises de plus de trois cents salariés ne seront soumises à aucune obligation fiscale au titre du plan de formation, contrairement à celles de moins de trois cents salariés ; pour ces dernières, le niveau de la contribution mutualisée sera fixé par voie réglementaire ; aux termes de l’ANI, il est de 0,2 % pour les entreprises de dix à cinquante salariés et de 0,15 % pour les entreprises de cinquante à deux cent quatre-vingt-dix-neuf salariés.

Par ailleurs, il est expressément précisé que les OPCA pourront utiliser les contributions des entreprises de plus de cinquante salariés pour les entreprises de moins de dix salariés.

Mme la présidente Catherine Coutelle. L’ANI prévoit de consacrer 20 % du Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) aux très petites entreprises (TPE) : le projet de loi reprend-il cette disposition ?

M. Jean-Marc Huart. Non.

Mme la présidente Catherine Coutelle. C’est dommage. Les députés amenderont peut-être le texte sur ce point. Les TPE, faut-il le rappeler, représentent 90 % des emplois dans le secteur industriel.

M. Jean-Marc Huart. La baisse du taux d’obligation fiscale de 1,6 % à 1 % a pu susciter quelques incompréhensions. D’une part, je le rappelle, la répartition variera selon la taille des entreprises ; de l’autre, seules les entreprises de plus de trois cents salariés seront exonérées de la cotisation relative au plan de formation.

Cette réduction de la contribution peut sembler paradoxale au regard des objectifs de formation pour les personnes les plus éloignées. Il faut cependant savoir, je le répète, que la contribution des entreprises, y compris des plus petites, au titre de la formation est supérieure à celle prévue par la loi ; plus elles sont grandes, d’ailleurs, plus ce niveau est élevé – il atteint 4 à 5 % pour les entreprises de plus de trois cents salariés, par exemple.

L’échec du DIF s’explique par le fait qu’il n’était ni transférable d’une entreprise ou d’un statut à l’autre, ni financé. C’est donc au vu des deux constats précédents que le financement a été repensé. Ajoutée aux sommes – d’un niveau de 0,2 % de la masse salariale – destinées au compte personnel de formation, la contribution de 0,2 % au FPSPP s’apparente à une contribution nouvelle, qui permettra une redistribution au profit des salariés les moins qualifiés.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le ministre fait souvent le constat que les demandeurs d’emploi ne bénéficient pas de la formation, alors que ce sont eux qui en ont le plus besoin : l’enveloppe qui leur est dédiée devrait passer de 600 à 900 millions d’euros.

Pour que le salarié devienne acteur de sa formation, il doit avoir une connaissance du monde du travail : un accompagnement est-il envisagé en ce domaine ? On ne demande pas un métier que l’on ne connaît pas, ou pour lequel on n’estime pas avoir les compétences requises. Sur ce plan, les femmes ont tendance à se sous-estimer bien davantage que les hommes.

M. Jean-Marc Huart. Un tel accompagnement est l’objet du conseil en évolution professionnelle, dont le cahier des charges sera fixé par un arrêté du ministère du travail. Les organismes du service public de l’emploi visent une population très large ; les régions pourront de surcroît en désigner d’autres, en plus de ceux mentionnés dans le projet de loi.

M. Christophe Strassel. La logique du compte personnel de formation est, en plus de garantir un financement pérenne, d’accueillir des financements ponctuels, de la part des régions, des branches ou des entreprises, en fonction des besoins spécifiques qu’elles pourraient identifier. C’est là un instrument qui peut bénéficier aux femmes également.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Une gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC) sera à cet égard nécessaire. Les syndicats s’y mettent, dans le cadre de leur organisation territoriale, mais ils devront désormais avoir une vision à l’échelle régionale plutôt que départementale.

M. Jean-Marc Huart. Le comité paritaire national pour la formation professionnelle (CPNFP), où les huit partenaires sociaux définissent leur politique en la matière, n’a pas de reconnaissance législative : il sera remplacé par la commission paritaire nationale de l’emploi et de la formation professionnelle (CPNEFP), qui, elle, sera consacrée par la loi, y compris dans sa déclinaison régionale – avec les commissions paritaires régionales de l’emploi et de la formation professionnelle, les CPREFP –, ce qui élargira la représentativité syndicale au plus près du terrain.

Mme la présidente Catherine Coutelle. L’apprentissage concerne surtout les métiers techniques, fortement sexués : en témoignent les enseignements délivrés dans les centres de formation des apprentis (CFA). Les orientations déterminent des inégalités sociales : plus un métier est féminisé, moins les rémunérations y sont élevées, et plus il apparaît dévalorisé.

M. Jean-Marc Huart. Le projet de loi vise à sécuriser les parcours d’apprentissage, notamment à travers la signature de contrats d’apprentissage en contrat à durée indéterminée (CDI).

Mme la présidente Catherine Coutelle. Cela ne risque-t-il pas de bloquer l’apprentissage ?

M. Jean-Marc Huart. Non, la signature en CDI n’est pas obligatoire : les employeurs pourront toujours opter pour un contrat d’apprentissage classique.

Mme la présidente Catherine Coutelle. À l’inverse, ils pourront être rassurés à l’idée de garder un jeune qu’ils ont formé.

M. Jean-Marc Huart. Tout à fait.

J’ajoute que la gratuité ne concerne que l’acte de signature du contrat, non les frais d’inscription.

De nouvelles missions seront par ailleurs confiées aux CFA, notamment l’aide à la recherche d’emploi.

Mme la présidente Catherine Coutelle. Le problème des apprentis en CFA est plutôt de trouver des entreprises qui les embauchent en alternance. Peut-être y a-t-il une inadéquation avec le marché, à moins que les employeurs ne soient réticents à signer ce type de contrats… Il va de soi que le système pénalise les jeunes qui n’ont pas de réseaux.

M. Jean-Marc Huart. Pour y remédier, l’article 8 du projet de loi prévoit que les CFA « assistent les postulants à l’apprentissage dans leur recherche d’un employeur, et les apprentis en rupture de contrat dans la recherche d’un nouvel employeur, en lien avec le service public de l’emploi ».

Mme la présidente Catherine Coutelle. Merci, messieurs, pour ces éclairantes analyses.

ANNEXE 1

ANNEXE 2

Les données relatives à la part des femmes dans les dispositifs de formation professionnelle, qui sont présentées ci-après, sont issues de l’exploitation des informations communiquées par les organismes paritaires collecteurs agréés (éléments transmis par le ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en janvier 2014).

PLAN DE FORMATION

 

Plan des entreprises de moins de 10 salariés

Plan des entreprises de 10 à 49 salariés

Plan des entreprises de plus de 50 salariés

Total

Nombre de stagiaires

584 766

927 501

2 481 828

3 994 095

Dont nombre de femmes

292 267

446 845

1 103 367

1 842 479

%

49,98 %

48,18 %

44,46 %

46,13 %

CONTRATS DE PROFESSIONNALISATION (CP)

 

CP CDI

CP CDD

Total

Nombre de stagiaires

17 883

155 188

173 071

Dont nombre de femmes

6 992

80 453

87 445

%

39,10 %

51,84 %

50,53 %

PÉRIODES DE PROFESSIONNALISATION ET ACTIONS DE PROFESSIONNALISATION (DONT PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE À L’EMPLOI, POE)

 

Périodes de professionnalisation

Actions pour demandeurs d’emploi

Total

Nombre de stagiaires

324 708

89 393

414 101

Dont nombre de femmes

99 130

38 328

137 458

%

30,53 %

42,88 %

33,19 %

DROIT INDIVIDUEL À LA FORMATION (DIF)

 

DIF PLAN-PRO

DIF CDD

Total

Nombre de stagiaires

497 045

589

497 634

Dont nombre de femmes

239 532

302

239 834

%

48,19 %

51,27 %

48,19 %

BILANS DE COMPÉTENCES

 

CDI

CDD

Total

Nombre de stagiaires

27 806

865

28 671

Dont nombre de femmes

18 837

649

19 486

%

67,74 %

75,03 %

67,96 %

VALIDATION DES ACQUIS DE L’EXPÉRIENCE (VAE)

 

CDI

CDD

Total

Nombre de stagiaires

8 030

196

8 226

Dont nombre de femmes

5 555

141

5 696

%

69,18 %

71,94 %

69,24 %

CONGÉ INDIVIDUEL DE FORMATION (CIF)

 

CDI

CDD

Total

Nombre de stagiaires

29 281

9 323

38 604

Dont nombre de femmes

14 595

4 823

19 418

%

49,84 %

51,73 %

50,30 %

FORMATION HORS TEMPS DE TRAVAIL (FHTT)

 

CDI

CDD

Total

Nombre de stagiaires

3 119

91

3 210

Dont nombre de femmes

1 613

45

1 658

%

51,72 %

49,45 %

51,65 %

1 () La composition de la Délégation figure au verso de la présente page.

2 () Les organisations signataires sont : la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), la Confédération française démocratique du travail (CDFT), la Confédération française de l’encadrement –Confédération générale des cadres (CFE-CGC), Force ouvrière (FO), et, pour les employeurs, le Mouvement des entreprises de France (Medef) et l’Union professionnelle artisanale (UPA).

3 () « La répartition des hommes et des femmes par métiers », Dares Analyses n° 79 (décembre 2013).

4 () Déplacement à Versailles sur le thème de la mixité professionnelle.

5 () Aux termes du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, « La nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture ».

6 () Selon la loi de 1971, il vise à « permettre l’adaptation des travailleurs au changement des techniques et des conditions de travail, de favoriser leur promotion sociale par l’accès aux différents niveaux de la culture et de la qualification professionnelle et de leur contribution au développement culturel, économique et social ».

7 () Expression introduite par la loi du 14 juin 2013 sur la sécurisation de l’emploi à l’article précité du code du travail.

8 () Selon le fascicule budgétaire de la loi de finances pour 2014 sur la formation professionnelle.

9 () Les entreprises consacrent en effet à la formation professionnelle des financements allant bien au-delà de leurs obligations légales (plus de 25 milliards d’euros, hors fonction publique).

10 () Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), Conservatoire national des arts métiers (Cnam), groupes d’établissements rattachés aux établissements scolaires (Greta).

11 () Le système de financement de la formation continue est en effet complexe, avec trois contributions obligatoires distinctes (professionnalisation, congé individuel de formation et plan de formation), des taux variables selon les tailles d’entreprise, pour lesquelles les collecteurs peuvent être différents (Opca/Fongecif) et qui se voient appliquer des règles de gestion qui peuvent également varier.

12 () La part des formations qualifiantes reste faible, avec seulement 11 % des formations suivies (Insee, 2013), soit l’un des taux les plus bas d’Europe.

13 () Quand la formation continue… Repère sur les pratiques de formation des employeurs et des salariés, Centre d’étude et de recherches sur les qualifications (CEREQ), 2009.

14 () Discours prononcé à l’occasion de la Grande conférence sociale pour l’emploi (juin 2013).

15 () Indépendamment des caractéristiques des emplois occupés et hors salariés de la fonction publique.

16 () Les types de formations sont également comparables. Plus de 7 formations sur 10 correspondent à des cours, stages, séminaires ou conférences.

17 () Voir sur ce point les données chiffrées présentées en annexe 2 du présent rapport recueillies auprès du ministère du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

18 () À l’entrée en contrat, 33 % des apprentis sont des filles, soit une hausse d’un point en un an, et de deux points en trois ans.

19 () Selon l’étude précitée du CEREQ.

20 () Entre famille et travail. Des arrangements de couples aux pratiques des employeurs, enquête « Famille et employeurs » de l’Institut national des études démographiques (Ined), réalisée en collaboration avec l’Insee et la Dares (2005).

21 () Voir sur ce point le compte rendu (en annexe du présent rapport) de l’audition, sous forme de table ronde, du 22 janvier 2014, et au cours de laquelle Mme Garance Yverneau, fondatrice et dirigeante d’une société de gestion de carrière au féminin, a notamment évoqué« les mécanismes d’autocensure résultant des stéréotypes de genre, (…) qui, au-delà des freins conjoncturels et structurels au travail féminin, constituent des freins psychologiques qui peuvent engendrer des blocages très difficiles à surmonter. »

22 () De 51,4 % en 1983, il est passé à 59,7 % en 2011, tandis que celui des hommes diminuait sur la même période, passant de 75,4 % à 68,2 %.

23 () Selon l’expression de Réjane Sénac, L’ordre sexué. La perception des inégalités femmes-hommes (2007).

24 () Entre 15 et 64 ans, 8,4 % des emplois féminins sont des temps partiels subis en 2010 (soit un peu plus d’un quart des emplois féminins à temps partiel), contre 2,3 % des emplois masculins (soit un peu plus d’un tiers des emplois masculins à temps partiel), selon la Dares.

25 () « Les disparités sur le marché du travail entre les femmes et les hommes : une analyse sur longue période », Dares Analyses (mars 2012).

26 () « La répartition des hommes et des femmes par métiers », Dares Analyses (décembre 2013)

27 () La « ségrégation professionnelle » se réfère à la mesure d’une distance entre les répartitions des hommes et des femmes selon les métiers, qui peut être mesurée par l’indice de dissimilarité de Duncan (ID).

28 () Lutter contre les stéréotypes filles-garçons. Un enjeu d’égalité et de mixité dès l’enfance, travaux coordonnés par Marie-Cécile Naves et Vanessa Wisnis-Weill (janvier 2014).

29 () « La ségrégation des hommes et des femmes dans les métiers : entre héritage scolaire et construction sur le marché du travail », Couppié et Epiphane, Formation emploi n° 93 (janvier-mars 2006).

30 () Lors de son audition par la Délégation aux droits des femmes du Sénat en mars 2012 (voir le rapport Femmes et travail : un nouvel âge de l’émancipation, rapport d’information n° 279).

31 () Agence chargée de gérer le fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph).

32 () Communication en Conseil des ministres, présentée par le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, le 8 janvier 2014.

33 () « Au cours de cet entretien, l’employeur et le salarié organisent le retour à l’emploi du salarié ; ils déterminent les besoins de formation du salarié et examinent les conséquences éventuelles du congé sur sa rémunération et l’évolution de sa carrière. À la demande du salarié, l’entretien peut avoir lieu avant la fin du congé parental d’éducation » (article L. 1225-57 du code du travail tel que modifié par le projet de loi).

34 () Les parties signataires ont notamment estimé que la formation au management proposée dans les différentes écoles ou universités ne prend pas suffisamment en compte le management des équipes, les dimensions permettant la qualité de vie au travail, « l’égalité professionnelle » et l’égalité d'accès des personnes handicapées à l'emploi ainsi que les risques professionnels et leur prévention.

35 () Après l’ANI du 19 octobre 2012 relatif au contrat de génération, l’ANI du 11 janvier 2013 sur la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés, et l’ANI du 19 juin 2013 sur la qualité de vie au travail et l’égalité professionnelle.

36 () Document d’orientation les invitant à ouvrir une négociation sur « la formation professionnelle pour la sécurisation des personnes et la compétitivité des entreprises », transmis aux syndicats (CGT, FO, CFDT, CFE-CGC et CFTC) et patronat (Medef, CGPME, UPA), le 8 juillet 2013).

37 () Le CPF sera attaché à la personne et non plus au contrat de travail, c’est-à-dire qu’il suivra l’individu tout au long de sa vie en lui permettant d’acquérir des heures de formation financées, sans limite de temps, quels que soient les changements de statut professionnel.

38 () Ces formations n’incluent donc pas, par exemple, les actions de sensibilisation et formations en matière d’égalité.

39 () La réforme fait passer de 600 à 900 millions les fonds consacrés par les partenaires sociaux à la formation des demandeurs d’emploi, dont 300 millions par le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnelles (FPSPP).

40 () Article L. 6323-10 dans sa rédaction proposée par l’article 1er du projet de loi.

41 () Par exemple, lors de l’audition du président de l’AFPA, le 14 janvier 2014, ou lors de la table ronde avec les syndicats de salariés, le 21 janvier 2014.

42 () Avec les instances représentatives du personnel (IRP), dans le cadre de l’information consultation sur le plan de formation, et avec les organisations syndicales de salariés dans le cadre de la négociation relative à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).

43 () Dans le rapport d’information n° 1655 sur le projet de loi (17 décembre 2013), la Délégation avait notamment recommandé de « former les responsables des ressources humaines et les élu-e-s des instances représentatives du personnel aux questions de l’égalité entre les femmes et les hommes, de l’égalité professionnelle et des violences sexistes » et d’ « orienter, par l’intermédiaire des OPCA, davantage de fonds de formation en direction des ateliers de sensibilisation des managers de proximité au sujet de la conciliation de la vie professionnelle et personnelle. Mettre au point des formations-action afin que les managers réagissent de manière positive aux événements familiaux ou personnels de leurs salariés ».

44 () Voir le compte rendu de la table ronde avec les organisations syndicales de salariés, le 21 janvier 2014.

45 () Audition le 14 janvier 2014 de Mme Florence Perrin, conseillère déléguée aux formations sanitaires et sociales au Conseil régional de Rhône-Alpes, représentante de l’Association des régions de France (ARF).

46 () Après une formation par apprentissage, cette insertion est significativement meilleure : toutes choses égales par ailleurs, filles et garçons confondus, le taux d’accès à un emploi salarié augmente de 6,5 points. Pourtant, selon ce rapport, seules 20 % des filles suivant un second cycle professionnel entrent en apprentissage, contre 34 % des garçons. La situation est encore plus contrastée au niveau V (CAP, BEP), avec 32 % de filles en apprentissage, contre 65% de garçons.

47 () Ces centres sont des établissements dispensant une formation générale, technologique et pratique qui doit compléter la formation reçue en entreprise et s’articuler avec elle. La tutelle pédagogique est en général exercée par le ministère de l’éducation nationale, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, ou par le ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Ils sont créés pour la plupart à la suite de la conclusion de conventions entre les régions et différents organismes pour une durée de cinq ans renouvelables. Parmi les organismes parties à ces conventions, on peut citer pour exemple les chambres consulaires (agriculture, commerce et industrie, métiers et artisanat), les collectivités locales, des établissements scolaires privés sous contrats ou des établissements de formation ou de recherche.

48 () Le projet de loi prévoit notamment que ce conseil « accompagne les projets d’évolution professionnelle, en lien avec les besoins économiques existants et prévisibles dans les territoires. Il facilite l’accès à la formation, en identifiant les qualifications et formations répondant au besoin exprimé et les financements disponibles et le recours, le cas échéant, du compte personnel de formation ».

49 () Le CNFPTLV a été institué par la loi n° 2009-1437 du 24 mai 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie. L’article L. 6123-1 du code du travail lui confie la mission de favoriser la concertation nationale entre l’État, les régions, les partenaires sociaux et les autres acteurs pour la définition des orientations pluriannuelles et des priorités annuelles des politiques de formation professionnelle initiale et continue. Ce conseil est également chargé d’évaluer ces politiques, et d’émettre un avis sur les projets de loi, d’ordonnances et de dispositions règlementaires dans ces domaines.

50 () Le CNE a été mis en place par la loi n°2008-126 du 13 février 2008 relative à la réforme de l’organisation du service public de l’emploi. Au titre de l’article L. 5112-1 du code du travail, ce conseil émet un avis sur notamment les projets de loi, d’ordonnance et de décret relatifs à l’emploi, ainsi que sur le projet de convention pluriannuelle d’objectifs et de gestion conclue avec Pôle Emploi et avec l’organisme de gestion du régime d’assurance chômage. Ce conseil veille à la mise en cohérence des actions des organismes participant au service public de l’emploi et procède à l’évaluation des actions engagées.

51 () « Toute personne cherchant à s’insérer sur le marché du travail dispose, quel que soit son lieu de résidence, du droit d’accéder à une formation professionnelle, afin d’acquérir un premier niveau de qualification, de faciliter son insertion professionnelle, sa mobilité ou sa reconversion. A cette fin, la région assure l’accès gratuit à une formation professionnelle conduisant à un diplôme ou à un titre à finalité professionnelle équivalent au plus au baccalauréat professionnel et enregistré au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) mentionné à l’article L. 335-6 du code de l’éducation.

52 () Contrats de plan régionaux de développement des formations professionnelles (CPRDFP).

53 () Dans chaque région, un comité de coordination régional de l’emploi et de la formation professionnelle (CCREFP) a pour mission de favoriser la concertation entre les divers acteurs afin d'assurer une meilleure coordination des politiques de formation professionnelle et d'emploi (article L. 6123-18 du code du travail). Ces comités ont été créés par la loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale.


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