N° 1919 - Rapport d'information de M. Frédéric Barbier déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des affaires économiques, en conclusion des travaux d'une mission d'information sur l'impact économique de l'exploitation des gaz de schiste




N° 1919

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 avril 2014

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

en application de l’article 145 du Règlement

sur l’impact économique de l’exploitation
des
gaz de schiste

ET PRÉSENTÉ PAR

M. Frédéric BARBIER

Député

——

La mission d’information sur l’impact économique de l’exploitation
des gaz de schiste est composée de :
M. Frédéric Barbier, M. Yves Blein, Mme Marie-Hélène Fabre, M. Fabrice Verdier, Mme Michèle Bonneton, M. Jean-Claude Bouchet, Mme Josette Pons, M. Eric Straumann, M. André Chassaigne, M. Joël Giraud et M. Jean-Paul Tuaiva.

.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 7

I. LA RÉVOLUTION DES GAZ DE SCHISTE AUX ÉTATS-UNIS : QU’EST-CE QUE C’EST ? 9

A. LA CONJUGAISON DE TROIS FACTEURS : UNE INNOVATION TECHNOLOGIQUE, UN CONTEXTE INDUSTRIEL PROPICE ET UN CADRE JURIDIQUE FAVORABLE 9

1. L’utilisation conjointe de deux techniques répandues : la fracturation hydraulique et le forage horizontal. 9

2. Une industrie américaine particulièrement dynamique. 9

3. Un cadre juridique favorable 10

B. LA RÉVOLUTION DES GAZ DE SCHISTE : UNE EXPRESSION JUSTIFIÉE 10

1. Un boom de la production d’hydrocarbures sur le sol américain depuis 2008 10

2. Un phénomène durable et non une bulle spéculative 13

a. Les arguments des tenants de la bulle spéculative 13

b. Les raisons pour lesquelles ces arguments sont insuffisants 13

c. Conséquence 1 : un maintien de la production américaine à un haut niveau 14

d. Conséquence 2 : des réserves et ressources considérables 17

e. Conséquence 3 : un prix du gaz américain durablement inférieur aux prix des autres marchés mondiaux 18

II. LA RÉVOLUTION DES GAZ DE SCHISTE : L’ÉTINCELLE QUI RALLUME LA CROISSANCE AMÉRICAINE. 21

A. LES EFFETS DÉMONTRÉS ET DIRECTS DU GAZ DE SCHISTE 22

1. La réduction de la dépendance des États-Unis vis-à-vis de ses fournisseurs étrangers de pétrole 22

2. La diminution des émissions de CO2 grâce à la substitution du charbon par le gaz dans le mix électrique 23

3. Un rabais sur la facture énergétique des ménages 24

4. Un coût de l’énergie parmi les plus faibles au monde pour les entreprises américaines 24

5. Un véritable boom de l’industrie pétrochimique américaine, qui innerve de nombreux secteurs industriels 25

6. Des exportations massives de gaz américain dans un futur proche. 26

B. LES EFFETS INCERTAINS OU DIFFUS 27

1. Quel impact sur la compétitivité de l’ensemble du secteur manufacturier ? 27

2. Quel effet sur la croissance et combien d’emplois créés ? 28

III. L’EUROPE : LA GRANDE PERDANTE DE LA RÉVOLUTION DES GAZ DE SCHISTE 29

A. DÈS AUJOURD’HUI : LA FERMETURE DES CENTRALES À GAZ EUROPÉENNES EN RAISON DES EXPORTATIONS DE CHARBON AMÉRICAIN 29

B. DÈS 2016 : LES INDUSTRIES ÉNERGO-INTENSIVES FORTEMENT MENACÉES 30

1. Un coup supplémentaire porté au secteur du raffinage 30

2. La chimie européenne : un sujet d’inquiétude majeur 30

a. Un cumul de handicap 30

b. Une déstabilisation prévisible d’un fleuron de l’industrie française ; la chimie organique de base 31

C. À PARTIR DE 2016 : DES EXPORTATIONS AMÉRICAINES PERMETTANT À L’ASIE DE RÉDUIRE SON DIFFÉRENTIEL DE COMPÉTITIVITÉ AVEC L’EUROPE 33

1. Aujourd’hui : des prix du gaz européens plus compétitifs que les prix asiatiques 33

2. Demain : un différentiel qui se réduit grâce au gaz américain, voire s’annule grâce à l’exploitation des gaz de schiste en Chine 33

IV. QUEL LEVIER ACTIONNER POUR RÉAGIR ? 34

A. LEVIER N° 1 : L’EXPLOITATION DES GAZ DE SCHISTE SUR LE TERRITOIRE FRANÇAIS 34

1. Une absence totale d’éléments fiables sur l’ampleur réelle des réserves françaises sans forages exploratoires 34

2. À partir de quand ? À quel coût ? Pour quelle part de la consommation totale ? 35

3. Des effets positifs réduits en raison du faible différentiel entre coût de revient de l’exploitation et prix de marché et de la faible part des hydrocarbures de schiste dans l’approvisionnement européen 35

4. L’estimation des ressources : une arme de négociation ? 36

B. LEVIER N° 2 : ACCROÎTRE LE PRIX DU CARBONE 36

1. Un impact positif sur la compétitivité des centrales à gaz 36

2. Un impact négatif sur le prix de l’électricité et sur le coût de production des énergo-intensifs 37

C. LEVIER N° 3 : DÉFINIR DES CONDITIONS D’APPROVISIONNEMENT SPÉCIFIQUES POUR LES ÉNERGO-INTENSIFS 38

1. Électricité 38

2. Gaz 39

3. La nécessité d’une prise de conscience européenne 41

EXAMEN EN COMMISSION 43

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 61

INTRODUCTION

Dès le début de la XIVème législature, la Commission des affaires économiques a décidé de lancer une mission d’évaluation de l’impact économique de l’exploitation des gaz de schiste au niveau mondial. Pourquoi un tel sujet ? Suivant l’intuition de son président, elle a considéré que le phénomène des gaz de schiste américains pouvait avoir des répercussions très fortes sur l’économie européenne, et devait donc à ce titre être pris en compte dans le cadre du débat sur la transition énergétique. Les travaux menés par cette mission ont révélé que cette intuition était fondée : c’est une certitude, la révolution des gaz de schiste aura des conséquences, malheureusement défavorables, sur l’économie européenne.

Vingt-cinq auditions menées, des échanges avec une cinquantaine d’acteurs « de tous bords », la lecture de plusieurs rapports et études ont fait apparaître que le sujet économique était beaucoup plus consensuel que le sujet environnemental. Les discours des « pro » et des « anti » gaz de schiste ne s’opposent pas frontalement : bien sûr, chacun retient les éléments qui sont favorables à ses positions, mais, dans l’ensemble, les divergences relèvent plutôt de la nuance d’interprétation que de l’opposition frontale et certains points font l’objet d’un consensus clair.

Conformément à l’intention « pédagogique » de cette mission, le présent rapport restitue ces points de vue de façon synthétique. Dans un premier temps, il décrit les causes du phénomène des hydrocarbures de schiste américains et explique pourquoi l’exploitation industrielle de ces hydrocarbures doit être considérée, sans contestations possibles, comme une révolution. Il entre ensuite dans le sujet de l’évaluation économique, en démontrant pourquoi le gaz de schiste est le facteur qui ravive la croissance américaine et, au contraire, va peser sur l’industrie européenne. Enfin, il présente les différents curseurs sur lesquels les décideurs politiques peuvent – doivent ? – jouer, dès aujourd’hui, afin d’anticiper les conséquences prochaines de la révolution des gaz de schiste sur l’économie européenne.

À travers ce rapport, votre rapporteur poursuit un objectif : susciter la discussion autour de deux sujets d’importance majeure, l’évolution du mix énergétique européen et le devenir de l’industrie énergo-intensive française, dans la perspective de l’examen du projet de loi sur la transition énergétique.

I. LA RÉVOLUTION DES GAZ DE SCHISTE AUX ÉTATS-UNIS : QU’EST-CE QUE C’EST ?

A. LA CONJUGAISON DE TROIS FACTEURS : UNE INNOVATION TECHNOLOGIQUE, UN CONTEXTE INDUSTRIEL PROPICE ET UN CADRE JURIDIQUE FAVORABLE

1. L’utilisation conjointe de deux techniques répandues : la fracturation hydraulique et le forage horizontal.

Les hydrocarbures de schiste – gaz et pétrole de schiste – sont de nature et d’usage équivalent aux hydrocarbures conventionnels, mais sont piégés dans la « roche mère » (1) . En raison de la faible perméabilité de cette roche, il est difficile de les extraire. Jusqu’à il y a une dizaine d’années, ces pétroles et gaz n’étaient pas exploitables de façon rentable.

La situation a évolué sous l’impulsion de petites entreprises d’exploration-production américaines, qui ont eu l’idée de combiner deux techniques déjà existantes et couramment utilisées :

– la fracturation hydraulique, qui améliore artificiellement la perméabilité de la roche en créant un réseau de fissures ;

– le forage horizontal, qui permet de suivre les couches de réservoir sur leur longueur (1 à 2 km) avec un nombre limité de puits.

La mise au point des techniques nécessaires à l’exploitation des gaz de schiste résulte d’un programme de R&D ambitieux, financé en partie par la puissance publique, qui avait anticipé, dans les années 1990, la diminution de la production d’hydrocarbures conventionnels sur le sol américain.

2. Une industrie américaine particulièrement dynamique.

L’industrie américaine du secteur de l’exploration-production est particulièrement dynamique, en raison d’une activité intense depuis plusieurs décennies. De nombreuses sociétés de services, principalement de forage, sont présentes sur les sites, avec les équipements et un personnel expérimenté, à des prix compétitifs. On compte environ 1 770 équipements de forage en activité sur le territoire américain en janvier 2014 (2) , contre seulement 126 en Europe (3) .

Parmi elles, les sociétés françaises (Total, Vallourec, Nexans, Saint Gobain, Imerys, etc.) sont très présentes sur le sol américain et ont déjà investi plus de 3,5 milliards de dollars dans les hydrocarbures de schiste.

INVESTISSEMENTS DE SOCIÉTÉS FRANÇAISES IMPLIQUÉES DANS L’ÉTUDE OU L’EXPLOITATION DES HYDROCARBURES DE SCHISTE

Société

Type d’investissement

Montant de l’investissement

Total

Exploration et exploitation d’hydrocarbures

1,5 G$ (US), 2 G$ (monde)

Pétrochimie : modernisation du vapocraqueur de Port Arthur

Non disponible

Vallourec

Usines de tubes sans soudures

1 G$

GDF Suez

Usines de liquéfaction de GNL

Plusieurs centaines de M$ à terme

Imerys

Achat d’une usine de Propants

250 M$

OPA sur Amcol (*)

1,6 à 1,8 G$

Nexans

Achat d’Amercable

250 M$

Saint-Gobain

Achat d’une usine de Propants

-

SNF Floerger

Polyacrylamides pour fluides de fracturation

100 M$

(*) L’OPA d’Imerys sur Amcol a finalement été abandonnée en raison d’une surenchère de Minerals Technologies

Source : d’après Pierre-René Bauquis

3. Un cadre juridique favorable

Aux États-Unis, le sous-sol appartient aux propriétaires du terrain ; ces derniers avaient donc un intérêt direct à accueillir les compagnies pétrolières chez eux, ce qui a considérablement simplifié la question de l’acceptabilité environnementale. Les règles environnementales étaient d’ailleurs lacunaires aux débuts de l’exploitation des gaz de schiste, ce qui a engendré les polémiques que l’on sait et qui ne seront pas abordés dans le cadre de ce rapport – le sujet de la fracturation hydraulique a déjà fait l’objet de travaux parlementaires fournis (4).

B. LA RÉVOLUTION DES GAZ DE SCHISTE : UNE EXPRESSION JUSTIFIÉE

1. Un boom de la production d’hydrocarbures sur le sol américain depuis 2008

Entre 2008 et 2013, la production annuelle de gaz de schiste – shale gas – aux États-Unis a été multipliée par 4 ; elle est passée de 60 à 240 milliards de mètres cubes (Gm3) et représente désormais 36 % de la production américaine de gaz (5) .

PRODUCTION AMÉRICAINE DE GAZ PAR CATÉGORIE ENTRE 1990 ET 2013 (GM3 /AN)

Source : d’après Energy information agency (EIA) http://www.eia.gov/energy_in_brief/article/about_shale_gas.cfm

Depuis 2010, date à laquelle ils ont dépassé la Russie, les États-Unis sont le premier producteur de gaz à l’échelle planétaire, et totalisaient 20,4 % de la production mondiale en 2012 contre 18,5 % en 2007 (6) .

S’agissant des pétroles de schiste – tight oil –, une révolution similaire est peut-être devant nous. Entre 2008, date à laquelle elle a atteint un plancher de 5 millions de barils par jour (Mb/j), et 2013, où elle était de 7,7 Mb/j, la production de pétrole brut a connu une hausse de plus de 50 % aux États-Unis. Dans ce total, le pétrole de schiste représentait 3Mb/j (7) .

PRODUCTION AMÉRICAINE DE PÉTROLE BRUT ENTRE 1990 ET 2013 (MB/J)

Source : d’après Energy information agency (EIA) http://www.eia.gov/forecasts/aeo/section_issues.cfm#tight_oil

Mesurer la révolution des gaz de schiste : quelles données choisir ?

Les chiffres permettant de mesurer la production ou les ressources d’hydrocarbures varient très sensiblement selon les sources, en raison des différences dans les définitions retenues. Par exemple, la production pétrolière des États-Unis en 2012 était de 5,75 Mb/j selon le département de l’énergie américain, de 6,50 Mb/j selon l’EIA (Energy information agency) et de 9,85 selon l’agence internationale de l’énergie (AIE) (8). Afin de garantir la validité des comparaisons, il est donc préférable de définir une source préférentielle.

Votre rapporteur a privilégié les données issues de l’Agence américaine d’information sur l’énergie (EIA) pour trois raisons : elles sont très complètes ; contrairement aux informations issues des « energy outlooks » des compagnies pétrolières, elles sont élaborées par un organisme indépendant du pouvoir politique et des entreprises du secteur (9)  ; à l’inverse des données de l’AIE, elles sont d’accès gratuit et aisé sur le site internet de cette agence (http://www.eia.gov/), ce qui permet à tout lecteur de vérifier l’exactitude des chiffres cités dans ce rapport.

2. Un phénomène durable et non une bulle spéculative

a. Les arguments des tenants de la bulle spéculative

Premier argument, la production de chaque puits décroît très rapidement dans le temps. Cet argument est admis par les producteurs eux-mêmes : selon les informations données par Total à la mission, les débits diminuent de 60 à 80 % dès la première année.

Pour conserver un niveau de production élevé, il faut donc maintenir un rythme de forage important. Les tenants d’une « bulle des gaz de schiste » en concluent que le rythme de forage nécessaire pour maintenir la production serait intenable et que les estimations de ressources seraient de ce fait surévaluées.

Second argument, le coût de revient des producteurs de gaz de schiste est trop élevé par rapport au prix de marché, ce qui mènerait les producteurs vers la faillite. Les ressources techniquement récupérables ne sont donc pas économiquement rentables et le nombre d’années de production est surévalué. La baisse des prix sur le marché du gaz en 2012 a ainsi amené l’agence américaine d’information sur l’énergie à diminuer les ressources prouvées – c’est-à-dire exploitables aux conditions économiques actuelles – de gaz naturel de 7,5 % (10) .

b. Les raisons pour lesquelles ces arguments sont insuffisants

Deux phénomènes compensent largement les effets cités. D’une part, l’exploitation industrielle permet de faire des progrès considérables sur le taux de récupération de gaz par puits en améliorant à la fois les technologies de fracturation hydraulique et de forage horizontal.

ÉVOLUTION DE LA PRODUCTIVITÉ DES PUITS DANS
LE BASSIN DE L’EAGLE FORD ENTRE 2008 ET 2013

Année

Nombre de puits

Quantité totale de pétrole récupéré par puits (*) (milliers de barils)

2008

33

36

2009

75

57

2010

514

117

2011

1 627

153

2012

2 717

191

2013 (**)

418

169

(*) Estimated ultimate recovery : quantité récupérée sur l’ensemble de la durée de vie du puits ; cette quantité est calculée en faisant des hypothèses sur le taux de récupération dans les années futures.

(**) Le décompte s’arrête au mois de juin 2013.

Source : d’après EIA http://www.eia.gov/forecasts/aeo/section_issues.cfm#tight_oil

D’autre part, la baisse des prix sur le marché du gaz n’est pas une fatalité pour les producteurs. Ils bénéficieront sans doute d’une remontée du prix du gaz à un niveau d’environ 4,5$/Mbtu (11) d’ici quelques années, leur permettant de mettre en production un plus grand nombre de champs (cf. infra, I.B.2.e). D’autre part, ils sélectionnent aujourd’hui les gisements les plus rentables aux prix du marché actuel. Ces gisements sont notamment situés dans les zones où le gaz extrait est accompagné de condensats (« gaz humide »), qui ont une valeur importante pour l’industrie ; le méthane (« gaz sec ») n’est en réalité qu’un co-produit pour beaucoup de producteurs, qui peuvent donc continuer à dégager des marges tout en vendant le méthane à un faible prix. On constate par ailleurs que le rythme de forages est resté stable depuis deux ans, mais que l’activité s’est en partie déplacée sur l’exploitation des huiles de schiste, plus rentables.

NOMBRE D’ÉQUIPEMENTS DE FORAGE EN ACTIVITÉ AUX ÉTATS-UNIS

Source : d’après EIA, http://www.eia.gov/dnav/pet/pet_crd_drill_s1_m.htm

c. Conséquence 1 : un maintien de la production américaine à un haut niveau

Les États-Unis ont connu une hausse de leur production de gaz naturel durant sept années consécutives. Quelles que soient les hypothèses retenues, cette tendance devrait se poursuivre jusqu’en 2025, ainsi que le démontrent les trois scénarios d’évolution élaborés par l’EIA :

– un scénario tendanciel ;

– un scénario « ressources basses », dans lequel la quantité totale d’hydrocarbures récupérée (Estimated ultimate recovery, cf. supra) par puits de gaz de schiste est 50 % plus basse que dans le scénario de référence ;

– un scénario « ressources élevées », dans lequel la quantité totale d’hydrocarbures récupérée par puits de gaz de schiste est 50 % plus haute que dans le scénario de référence ; la distance entre chaque puits est diminué et les autres types de gaz connaissent également un développement.

PROJECTIONS DE PRODUCTION DE GAZ NATUREL AUX ÉTATS-UNIS (2013-2040)

(En Gm3)

Source : d’après EIA, http://www.eia.gov/forecasts/aeo/MT_naturalgas.cfm#natgas_prices?src=Natural-b1

L’accroissement de la production de gaz naturel américain entre 2012 et 2040 devrait reposer pour la plus grande part sur le gaz de schiste (78 % dans le scénario tendanciel), qui deviendrait le premier type de gaz produit en 2025. Sa production doublerait (+ 112 %) sur la période alors que la production des autres types de gaz ne croîtrait que de 19 %.

CONTRIBUTION DU GAZ DE SCHISTE À LA PRODUCTION TOTALE DE GAZ AMÉRICAIN (2013-2040)

(En Gm3)

Source : d’après EIA, http://www.eia.gov/forecasts/aeo/MT_naturalgas.cfm#natgas_prices?src=Natural-b1

S’agissant du pétrole de schiste, les perspectives de développement sont moins importantes : la production totale de pétrole diminue à partir de 2017 dans le scénario « ressources basses » et de 2021 dans le scénario tendanciel.

PROJECTIONS DE PRODUCTION DE PÉTROLE BRUT AUX ÉTATS-UNIS (2013-2040)

(En Mb/j)

Source : d’après EIA, http://www.eia.gov/forecasts/aeo/section_issues.cfm#tight_oil

d. Conséquence 2 : des réserves et ressources considérables

La révolution des gaz de schiste s’illustre également à travers la hausse des réserves prouvées (12) et des ressources techniquement récupérables (13) et, corrélativement, par l’allongement des perspectives de production sur le sol américain.

GAZ ET PÉTROLE DE SCHISTE AUX ÉTATS-UNIS : RÉSERVES PROUVÉES

 

Prix moyen en 2012

Réserves prouvées

au prix 2012

Production 2012

Ratio réserves/production

Gaz (« wet gas »)

dont Gaz de schiste

2,75$/Mbtu

9 040 Gm3

3 620 Gm3

730 Gm3

290 Gm3

12 ans

Pétrole brut

94$/b

30,5 Gb

2,11 Gb

14 ans

Source : d’après EIA, http://www.eia.gov/naturalgas/crudeoilreserves/pdf/uscrudeoil.pdf

Même dans l’hypothèse où le prix du gaz se maintenait à un prix très faible de 2,75$/Mbtu et sans tenir compte des progrès technologiques futurs, le nombre d’années de production des gaz de schiste aux conditions actuelles est de 12 ans.

S’agissant du pétrole, les chiffres relatifs aux réserves prouvées de pétroles de schiste ne sont pas disponibles. Toutefois, la courbe de l’évolution des réserves prouvées de pétrole brut américain illustre clairement l’impact de ces derniers : en cinq ans, les États-Unis ont effacé trente années de diminution de leurs réserves.

EVOLUTION DES RÉSERVES PROUVÉES DEPUIS 1900

(en Gb)

Source : d’après EIA, http://www.eia.gov/dnav/pet/pet_crd_pres_dcu_NUS_a.htm

Lorsque l’on examine les chiffres des ressources techniquement récupérables, les hydrocarbures de schiste représentent environ un quart du total et le ratio ressources sur production est, respectivement, de 93 et 106 ans pour le gaz et le pétrole.

GAZ ET PÉTROLE AUX ÉTATS-UNIS : RESSOURCES TECHNIQUEMENT RÉCUPÉRABLES

 

Ressources estimées en 2012

Ratio ressources/production

Gaz

Part du gaz de schiste

68 Tm3

27 %

93 ans

Pétrole

Part du pétrole de schiste

223 Gb

26 %

106 ans

Source : d’après EIA, http://www.eia.gov/analysis/studies/worldshalegas/

Ces chiffres illustrent à quel point le phénomène des hydrocarbures de schiste change le paradigme énergétique : nous sommes passés d’un monde de la raréfaction progressive à celui de l’abondance.

e. Conséquence 3 : un prix du gaz américain durablement inférieur aux prix des autres marchés mondiaux

En 2008, les prix du gaz américain (8,9 $/Mbtu), européen (11,6$/Mbtu) et asiatique (12,6$/Mbtu) étaient comparables car les conditions d’approvisionnement de chacune de ces zones étaient similaires. La quasi-totalité des contrats d’approvisionnement du marché européen étaient des contrats de long terme indexés sur le prix du pétrole, portant en grande majorité sur du gaz « gazeux » (Russie, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni) mais avec une composante de gaz naturel liquéfié (GNL) provenant essentiellement d’Algérie. Le marché asiatique était lui aussi alimenté par des contrats de long terme indexés sur le prix du pétrole, majoritairement sous forme de GNL venant du Qatar, de Malaisie, d’Indonésie et d’Australie. Le marché nord-américain était, quant à lui, quasi-autonome, avec des échanges croisés entre le Canada et les États-Unis par voie de gazoduc. Anticipant une tension sur l’offre, les États-Unis s’étaient lancés dans la construction de terminaux méthaniers destinés à importer du gaz naturel liquéfié (GNL).

Depuis cette date, des changements profonds ont affecté les marchés asiatique et américain :

– en raison de la forte croissance chinoise et de la catastrophe nucléaire de Fukushima (14) , la consommation de gaz de la zone Asie-Pacifique a cru de 30 % entre 2008 et 2012, entraînant une hausse des prix comparable (+ 33 %) ;

– à l’inverse, les prix américains se sont effondrés (- 69 % sur la même période) sous l’effet de la révolution des gaz de schiste en raison d’une surabondance d’offre sur le marché nord-américain ;

– seule l’Europe n’a pas connu de bouleversement majeur (diminution de la consommation de 5 %, maintien des prix du gaz autour des 10$/Mbtu) : la seule évolution notable est la renégociation progressive des contrats signés avec les fournisseurs norvégien et russe, entraînant une désindexation partielle des contrats sur les prix des produits pétroliers.

EVOLUTION DES PRIX DU GAZ SUR LES MARCHÉS AMÉRICAIN, EUROPÉEN ET ASIATIQUE

(en $/Mbtu)

Source : d’après BP statistical review of world energy, juin 2013 http://www.bp.com/en/global/corporate/about-bp/energy-economics/statistical-review-of-world-energy-2013.html

Les déterminants des marchés gaziers des trois zones sont très différents, ce qui mène à des différentiels de prix considérables : alors que le prix américain s’élève à 4$/Mbtu, les prix européens sont compris entre 10 et 12$/Mbtu et les prix asiatiques sont de l’ordre de 16$/Mbtu.

Cette situation semble durable. Quels que soient les scénarios, l’EIA prévoit que les prix du gaz aux États-Unis devraient demeurer inférieurs ou, dans le cas le plus défavorable, légèrement supérieurs à la limite des 5$/Mbtu jusqu’en 2020. Seul le scénario « ressources basses » fait état d’une remontée des prix importante à partir de cette date, jusqu’à un niveau de 7$/Mbtu.

PROJECTIONS D’ÉVOLUTION DU PRIX DU GAZ NORD-AMÉRICAIN

(en $/Mbtu)

Source : d’après EIA, http://www.eia.gov/forecasts/aeo/MT_naturalgas.cfm#natgas_prices?src=Natural-b1

De tels niveaux de prix rendront possible la mise en production d’un plus grand nombre de champs tout en faisant subsister un différentiel de prix important avec les autres zones géographiques ; les prix européens ne devraient pas connaître d’infléchissement lié à l’exploitation des hydrocarbures de schiste (cf. infra, IV.A.3) ; seule l’Asie pourrait profiter du phénomène à son tour (cf. infra, III.C.2)

*

* *

Personne ne peut prédire l’avenir avec certitude, particulièrement lorsqu’il s’agit des marchés de l’énergie. Les chances que l’économie des hydrocarbures de schiste se retourne, que leur exploitation devienne insupportable pour les populations ou que d’autres scénarios conduisent à leur abandon rapide ne sont pas nulles. Mais, en l’état des connaissances actuelles, le scénario d’un phénomène durable est, de très loin, le plus probable. Il serait donc irresponsable de la part des décideurs politiques ne pas en anticiper les conséquences.

II. LA RÉVOLUTION DES GAZ DE SCHISTE : L’ÉTINCELLE QUI RALLUME LA CROISSANCE AMÉRICAINE.

Le gaz de schiste nourrit un discours particulièrement optimiste outre-Atlantique. Pour certains, et notamment le plus illustre d’entre eux, M. Barack Obama, la révolution des gaz de schiste offre une opportunité de croissance exceptionnelle aux États-Unis. Ce point de vue se fonde-t-il sur des éléments solides ou relève-t-il plutôt de la méthode Coué ?

A. LES EFFETS DÉMONTRÉS ET DIRECTS DU GAZ DE SCHISTE

1. La réduction de la dépendance des États-Unis vis-à-vis de ses fournisseurs étrangers de pétrole

Dans son discours sur l’état de l’Union, le 24 janvier 2012, Barack Obama affirmait que « la dépendance des États-Unis vis-à-vis du pétrole étranger était à son minimum depuis 16 ans ». La même année, le candidat républicain à la présidence, M. Mitt Romney, promettait l’indépendance énergétique pour 2020, proposant de développer les forages et de distribuer davantage de permis. Le thème de la sécurité d’approvisionnement scelle l’adhésion des Américains à l’exploitation des gaz et pétrole de schiste.

Cette nouvelle antienne politique repose sur des éléments incontestables. La diminution des importations énergétiques américaines de pétrole depuis 2007 est spectaculaire : le taux de dépendance aux importations des produits pétroliers est passé de 59 % en 2007 à 34 % en 2013 (15) .

L’exploitation des huiles de schiste jouera durablement sur l’approvisionnement énergétique des États-Unis. Selon le scénario « ressources basses » de l’EIA (cf. supra I.B.2.c), le taux de dépendance demeurerait autour de 36 % de la consommation totale de pétrole en 2030 ; le scénario « ressources élevées » permettrait d’envisager l’autosuffisance à l’horizon 2040.

TAUX DE DÉPENDANCE AUX IMPORTATIONS DE PRODUITS PÉTROLIERS

Source : d’après Energy information agency (EIA) http://www.eia.gov/forecasts/aeo/section_issues.cfm#tight_oil

2. La diminution des émissions de CO2 grâce à la substitution du charbon par le gaz dans le mix électrique

En raison de la baisse du prix du gaz, cette source d’énergie a fortement concurrencé le charbon pour la production d’électricité aux États-Unis. Alors que le gaz représentait 20 % du mix électrique au début de l’année 2011, sa part est désormais de près de 30 %. À l’inverse, le charbon, dont la part dans le mix électrique était restée comprise entre 48 et 51 % entre 2001 et 2008, représentait 37 % du total en 2012.

PART DU CHARBON ET DU GAZ DANS LE MIX ÉLECTRIQUE AMÉRICAIN

Source : d’après Energy information agency (EIA) http://www.eia.gov/electricity/annual/html/epa_03_01_a.html

Cet effet de substitution a eu un effet direct sur le niveau des émissions de dioxyde de carbone du secteur énergétique : en 2012, elles étaient 12 % en-deçà de leur niveau de 2005. Toutefois, en raison d’une remontée du prix du gaz en 2013, cette année devrait être marquée par une hausse des émissions de 2 %.

ÉMISSIONS DE CO2 DU SECTEUR DE L’ÉNERGIE

(% d’évolution par rapport à 2005

Source : EIA http://www.eia.gov/todayinenergy/detail.cfm?id=14571&src=Environment-b1

Sur les 3,8 % de réduction des émissions américaines de CO2 tous secteurs confondus entre 2011 et 2012, l’effet de substitution entre le charbon et le gaz compte pour 1,4 point de pourcentage.

Ces chiffres montrent que, s’agissant de l’un des objectifs environnementaux majeurs, le réchauffement climatique, le gaz de schiste a eu un effet bénéfique aux États-Unis.

3. Un rabais sur la facture énergétique des ménages

En 2012, les ménages ont bénéficié d’un rabais sur leur facture annuelle de gaz qui atteignait 150 dollars par rapport à leur facture de 2005, soit une diminution de 29 % (16)  ! En moyenne, les ménages des États-Unis et du Canada paient leur mégawattheure de gaz 28 € TTC contre 68 € en France et 74 € en Allemagne, soit un différentiel de 2,5 (17).

4. Un coût de l’énergie parmi les plus faibles au monde pour les entreprises américaines

Les industries américaines bénéficient déjà d’un prix TTC de l’électricité très attractif, de l’ordre de 50 €/MWh, contre 120 €/MWh en moyenne en Europe. Le ratio de prix entre ces deux zones, qui était d’environ 70 % au début des années 2000 se situe aujourd’hui à 40 % (18) .

S’agissant des prix du gaz, les États-Unis, le Canada et la Russie forment le peloton de tête, avec un prix de détail offert aux industriels de 10 €/MWh, contre environ 35 €/MWh pour la Chine et 40 €/MWh en moyenne en Union européenne.

5. Un véritable boom de l’industrie pétrochimique américaine, qui innerve de nombreux secteurs industriels

La chute des prix du gaz a poussé les producteurs à cibler les bassins riches en gaz liquides comme Marcellus. La production de liquides de gaz naturel (LGN) est ainsi en forte augmentation. Notamment, la production d’éthane a connu une hausse de 38 % entre 2008 et 2012 ; cette surabondance d’offre a entraîné une chute des prix de 55 % sur la même période  (19).

L’éthane est une matière première particulièrement importante pour la pétrochimie : en concurrence avec le naphta, qui est un dérivé du pétrole, elle sert de base à la production de l’éthylène, l’un des grands intermédiaires de la production des plastiques. Contrairement à l’éthane, le naphta voit son prix augmenter, car il est indexé sur le prix du pétrole. Entre deux vapocraqueurs, l’un sur base éthane et l’autre sur base naphta, le différentiel de compétitivité est devenu considérable : le coût de production de l’éthylène est d’environ 350$/tonne en Amérique du Nord et au Moyen-Orient (sur base éthane), contre 1 100$/tonne en Europe (sur base naphta) (20) .

Constatant ce phénomène, et anticipant sa durabilité, toutes les compagnies pétrochimiques mondiales investissent dans de nouvelles capacités de production d’éthylène aux États-Unis alimentées à l’éthane, parfois en convertissant des vapocraqueurs naphta. De nombreux projets sont ainsi annoncés, chacun d’une taille considérable. Grâce à la révolution des gaz de schiste, 100 milliards de dollars d’investissement supplémentaires sont enregistrés dans l’industrie chimique, dont 53 % sont engagés par des sociétés non américaines (21) . Par exemple, Total convertit son usine pétrochimique de Port Arthur, construite en 2001. Ces nouvelles unités, ultramodernes, entreront en fonctionnement pour la plupart en 2016-2017.

L’avantage compétitif que procure le prix du gaz se répercute sur d’autres industries. Les industries en aval de la production de l’éthylène sont nombreuses : grâce à la formation d’un véritable écosystème autour des nouvelles unités pétrochimiques, les États-Unis devraient ainsi devenir exportateurs nets de produits chimiques dans les prochaines années. Selon les estimations de l’American Chemistry Council, l’excédent commercial du poste chimie devrait passer de 800 millions à 46 milliards de dollars entre 2012 et 2020. Le nombre d’emplois directs engendrés par les investissements liés au gaz de schiste s’élèverait à 91 000 en période de pic d’investissement (2016) et à 55 000 sur le long terme (d’ici 2023). Si l’on ajoute les emplois indirects et les emplois induits, les créations d’emplois seraient de 222 000 en 2016 et 637 000 d’ici 2023.

Tous les secteurs utilisant le gaz comme matière première, au premier rang desquels les engrais et fertilisants, ou la céramique sont également concernés. Enfin, certains secteurs utilisent intensivement le gaz comme source d’énergie : l’aluminium, l’acier, etc.

Plusieurs secteurs industriels, directement concernés par la révolution des gaz de schiste et représentant 1,2 % du PIB américain (22) , bénéficient par conséquent d’un avantage comparatif décisif par rapport à leurs concurrents étrangers.

6. Des exportations massives de gaz américain dans un futur proche.

En 2013, la production de gaz américain a connu sa septième année consécutive de hausse et atteint son plus haut niveau de production depuis 1977. Confrontés à un prix bas sur le marché américain, les producteurs de gaz souhaiteraient valoriser au mieux leur production en l’exportant là où les prix sont les plus élevés.

Les compagnies gazières ont déposé des demandes d’autorisation pour des projets de construction de terminaux méthaniers. Le projet de Sabine Pass, mené par Cheniere, dispose déjà de toutes les autorisations ; il devrait entrer en fonctionnement en 2016. Le total des dossiers déposés devant le ministère de l’énergie américain représente une capacité d’exportation de gaz naturel d’environ 270 Gm3 par an (23) , soit 2,6 fois les exportations actuelles du Qatar  (24) !

Les exportations de GNL peuvent-elles être bloquées par l’administration américaine ?

Deux types d’autorisations sont requis pour construire et opérer des terminaux de liquéfaction aux États-Unis. La première est une autorisation d’export attribuée par le Département de l’énergie ; elle peut être accordée pour l’ensemble des pays du monde ou seulement pour les pays avec lesquels les États-Unis ont un accord de libre-échange. La seconde est une autorisation technique attribuée par la Commission de régulation de l’énergie ; accompagnée de nombreuses études techniques, elle coûte plusieurs millions de dollars aux entreprises ayant déposé un dossier. La demande d’une telle autorisation est donc un bon indicateur du sérieux des projets envisagés.

L’opinion majoritaire est que l’administration américaine se prononcera en faveur de l’exportation de GNL en faisant valoir la surabondance du gaz sur le marché américain. Elle donnera ainsi gain de cause aux producteurs de gaz plutôt qu’aux consommateurs domestiques et industriels. En revanche, la question des exportations de pétrole demeure en suspens car les États-Unis dépendent encore pour une large part de produits pétroliers importés et du fait de perspectives de production moins optimistes (cf. I.B.2.c).

Quels que soient les scénarios, les États-Unis devraient devenir un exportateur majeur de gaz naturel liquéfié à partir de 2020.

PROJECTIONS D’EXPORTATIONS AMÉRICAINES DE GNL 2015-2040

(en Gm3)

Source : d’après EIA, http://www.eia.gov/forecasts/aeo/MT_naturalgas.cfm#natgas_prices?src=Natural-b1

B. LES EFFETS INCERTAINS OU DIFFUS

1. Quel impact sur la compétitivité de l’ensemble du secteur manufacturier ?

L’impact de la révolution du gaz de schiste est direct pour les secteurs industriels dont le prix du gaz représente une part significative de la valeur ajoutée. Mais plus on descend dans la chaîne de valeur, plus cet effet devient faible. Faut-il toutefois en conclure qu’il est négligeable ?

L’effet macroéconomique de la révolution des gaz de schiste est compris entre 0,3 % et 1 % du PIB américain (25) . D’un point de vue microéconomique, le coût de l’énergie, en comptabilisant la fabrication des divers équipements, s’élève à 1,7 % de la valeur d’une voiture (26) .

Il est intéressant de constater que ces chiffres sont interprétés de façon différente par les « anti » et les « pro » gaz de schiste : pour les premiers, un coût de 1,7 % peut vite être compensé par d’autres facteurs et un accroissement de 1 % du PIB ne constitue pas un résultat de nature à justifier l’exploitation du gaz de schiste ; pour les seconds, cet accroissement est significatif, et 1,7 point de marge permet de faire beaucoup de choses.

2. Quel effet sur la croissance et combien d’emplois créés ?

La révolution des gaz de schiste a eu un effet certain mais faible dans le secteur de l’exploration-production. Entre 2004 et 2012, le nombre d’emplois de ce secteur est passé de 300 000 à 570 000 (27) .

Les estimations macroéconomiques de l’institut américain IHS, qui reposent sur des calculs d’emplois indirects et d’emplois induits, indiquent que les gaz de schiste représentaient 600 000 emplois en 2010, soit 0,4 % de la population active, et 1,6 million en 2035.

* * *

Pour résumer, l’effet des gaz de schiste est :

– décisif pour certains secteurs : le charbon, qui le subit de plein fouet ; le secteur pétrolier et parapétrolier, ainsi que les industries énergo-intensives, pour qui c’est un véritable moteur ;

– un élément globalement favorable à l’ensemble de l’économie américaine.

III. L’EUROPE : LA GRANDE PERDANTE DE LA RÉVOLUTION DES GAZ DE SCHISTE

A. DÈS AUJOURD’HUI : LA FERMETURE DES CENTRALES À GAZ EUROPÉENNES EN RAISON DES EXPORTATIONS DE CHARBON AMÉRICAIN

Conséquence de la baisse de compétitivité du charbon sur le sol américain, les États-Unis ont accru leurs exportations de charbon vers l’Europe. Suivant un mouvement inverse à la situation américaine, la consommation de charbon sur le Vieux continent a progressé de près de 10 % entre 2009 et 2012, dans un contexte énergétique pourtant déprimé (28) . Elle alimente la production d’électricité.

En Allemagne, la production d’électricité à partir de charbon a cru de 23 TWh entre 2010 et 2013 (sur un total de 560 TWh), tandis que celle à partir du gaz a diminué dans une ampleur exactement inverse (– 23 TWh). Au Royaume-Uni, les chiffres sont de +32 TWh pour le charbon et de – 47 TWh pour le gaz (sur un total de 360 TWh) entre 2011 et 2012. La France est moins touchée en raison de la part très majoritaire du nucléaire et de l’hydraulique dans le mix : + 5 TWh pour le charbon, – 7 TWh gaz entre 2011 et 2012 (sur un total de 540 TWh) (29) .

Conjuguée à l’arrivée massive des énergies renouvelables sur le réseau, la révolution des gaz de schiste a détruit la rentabilité des centrales à gaz européennes. Les énergéticiens européens ont été conduits à mettre sous cocon ou fermer plus de 50 GW de capacités (30), qui sont pourtant parmi les plus récentes du parc européen. Parallèlement, les centrales à charbon, dont la grande majorité ont entre 20 et 40 ans et qui émettent deux fois plus de CO2 par mégawattheure produit, tournent à plein régime.

La situation frise l’absurde et ses conséquences financières sont désastreuses : GDF Suez a ainsi comptabilisé 13,8 milliards d’euros de dépréciations d’actifs sur le périmètre de son activité européenne au cours de l’exercice 2013, essentiellement pour cette raison (31).

B. DÈS 2016 : LES INDUSTRIES ÉNERGO-INTENSIVES FORTEMENT MENACÉES

Alors que certains secteurs connaissent un renouveau outre-Atlantique, les industries énergo-intensives européennes font face à un avis de tempête. Deux secteurs, en particulier, doivent faire l’objet d’une attention particulière.

1. Un coup supplémentaire porté au secteur du raffinage

Le raffinage européen a déjà payé un lourd tribut à la crise. 14 unités ont été fermées en raison des surcapacités du marché. La France était au premier rang de ces efforts, avec une réduction de 24 % de ses capacités ; le mouvement devrait se prolonger et toucher d’autres pays.

Les raffineries françaises seront bientôt sous la pression de leurs homologues américaines, qui bénéficient d’un prix du gaz très bas et d’un prix du baril moins cher de 11 dollars.

COMPARAISON DES PRIX DU BRENT ET DU WTI

(en dollars)

 

West Texas Intermediate (WTI) – marché américain

Brent – marché mondial

Différence

2008

100

97

3

2009

62

62

0

2012

94

111

- 17

2013

98

109

- 11

Source : d’après EIA

Elles seront concurrencées sur leurs débouchés traditionnels, notamment l’Afrique. Or, en raison d’un déséquilibre structurel – les unités françaises produisent majoritairement de l’essence alors que le marché français consomme du diesel –, les exportations sont essentielles à la survie des raffineries françaises.

2. La chimie européenne : un sujet d’inquiétude majeur

a. Un cumul de handicap

La pétrochimie européenne cumule plusieurs handicaps :

– le marché fait face à des surcapacités, qui ont déjà conduit à des fermetures de vapocraqueurs ; en France, Total a annoncé la fermeture du vapocraqueur mosellan de Carling en septembre 2013, malgré une reconversion du site dans le domaine de la résine d’hydrocarbure ;

– 90 % des vapocraqueurs européens ont plus de 30 ans et requièrent donc des coûts de maintenance plus élevés ; ils sont aussi plus petits que les unités modernes, et ne bénéficient donc pas d’effets d’échelle ;

– contrairement à la situation américaine, 75 % des capacités européennes produisent leur éthylène à partir du naphta ; comme nous l’avons vu, le différentiel de compétitivité entre ces deux sources de production est très important ; il assure aux unités américaines un taux de marge très élevé leur permettant d’investir pour se renouveler et ainsi améliorer leurs marges futures.

Conséquence de ces handicaps, la pétrochimie européenne est décrochée dans la compétition internationale. Alors qu’en 2005, elle rivalisait avec la Chine et devançait les États-Unis, elle se situe désormais loin derrière.

EVOLUTION DE LA COMPÉTITIVITÉ COÛT DES CAPACITÉS DE PRODUCTION D’ÉTHYLÈNE DANS LE MONDE ENTRE 2005 ET 2012

Source : American chemistry council, http://www.americanchemistry.com/Policy/Energy/Shale-Gas

b. Une déstabilisation prévisible d’un fleuron de l’industrie française : la chimie organique de base

Les conséquences d’une telle situation sont claires : d’une part, des capacités de production d’éthylène sont menacées en Europe ; d’autre part, les chimistes européens dépendront bientôt du polyéthylène américain ; si l’éthylène est difficilement transportable, le polyéthylène, en revanche, présente un coût de transport très faible.

Le déficit de compétitivité en amont de la filière, sur l’éthylène et le polyéthylène, se répercutera tout au long de la chaîne, menaçant ainsi l’ensemble de la chimie de base française. Ce secteur, qui représente 78 000 emplois (32) , est un très bel outil industriel menacé par la révolution des gaz de schiste. D’autres secteurs pourraient également en pâtir indirectement : l’automobile, la plasturgie, le bâtiment, etc.

Il existe tout de même des raisons d’espérer. Premièrement, la pétrochimie sur base naphta génère certains co-produits en plus grande quantité que la pétrochimie sur base éthane ; le marché américain pourrait ainsi connaître des pénuries de propylène (33) ou de butadiène, ce qui est favorable aux vapocraqueurs européens. Rappelons que le butadiène, par exemple, est le composant à la base de la fabrication des pneus.

CO-PRODUITS ISSUS DU CRAQUAGE DU NAPHTA ET DE L’ÉTHANE

 

Vapocraquage naphta

Vapocraquage éthane

Hydrogène – H2

1,5 %

9 %

Ethylène – C2

30 %

78 %

Propylène – C3

16 %

2 %

Méthane – fuel

21 %

6 %

Coupes C4 – butadiène, etc.

9 %

5 %

Coupes C6 – benzène, etc.

11 %

Coupes C7 – toluène, xylène, etc.

7,5 %

Lourds

3,5 %

 

Total

100 %

100 %

Source : Arkema

Deuxièmement, l’effet de plateforme, particulièrement important dans le secteur de la pétrochimie, est susceptible de ralentir les mouvements de délocalisation sur le court terme.

Troisièmement, le repositionnement vers des produits de niche, à forte valeur ajoutée, est le mieux à même de limiter l’impact du prix de l’énergie.

Enfin, de manière générale, l’industrie européenne est plus efficace énergétiquement que sa concurrente américaine : elle a su compenser le handicap des prix de l’énergie élevés par une amélioration de ses procédés de production. Toutefois, cet avantage pourrait ne pas suffire à compenser les déficits de compétitivité futurs : les améliorations d’efficacité énergétique suivant la règle des rendements décroissants, les marges d’amélioration sont moins importantes que par le passé.

C. À PARTIR DE 2016 : DES EXPORTATIONS AMÉRICAINES PERMETTANT À L’ASIE DE RÉDUIRE SON DIFFÉRENTIEL DE COMPÉTITIVITÉ AVEC L’EUROPE

1. Aujourd’hui : des prix du gaz européens plus compétitifs que les prix asiatiques

Le prix du gaz européen, qui oscille entre 10 et 12$/Mbtu, demeure inférieur au prix du gaz asiatique, de l’ordre de 16$/Mbtu. Par conséquent, les industriels européens disposent encore d’un avantage par rapport aux Japonais ou Coréens et sont sur un pied d’égalité par rapport aux Chinois.

Un tel différentiel s’explique par deux facteurs. D’une part, la demande asiatique est très forte, en raison de la croissance économique chinoise et de l’arrêt des centrales nucléaires japonaises suite à la catastrophe de Fukushima. D’autre part, les contrats d’approvisionnement en gaz asiatiques sont quasi-intégralement indexés sur le prix du pétrole, alors que les énergéticiens européens sont parvenus à intégrer une composante ou une indexation spot dans leurs contrats avec certains de leurs fournisseurs.

En raison de cet écart de prix, certains méthaniers sont re-routés vers l’Asie avant d’arriver en Europe. Le déficit de GNL créé des tensions dans la zone sud de l’Europe, qui est coupée des circuits de gazoducs et dépend donc de son approvisionnement par GNL.

2. Demain : un différentiel qui se réduit grâce au gaz américain, voire s’annule grâce à l’exploitation des gaz de schiste en Chine

L’Asie sera la première bénéficiaire des exportations américaines. En effet, le gaz produit aux États-Unis, une fois exporté, ira en priorité en Asie, où les prix sont plus élevés. Il est donc illusoire de penser que ce gaz pourrait permettre à l’Union européenne de diversifier ses approvisionnements et de faire pression à la baisse sur les prix octroyés par ses fournisseurs.

À l’inverse, l’exportation du gaz de schiste américain en Asie serait tout à fait rentable. Le coût de liquéfaction et de transport entre l’Amérique du Nord et l’Asie est estimé à environ 7$/Mbtu (34) . En y ajoutant les 5$/Mbtu du coût de la matière, l’Asie pourrait bénéficier, à partir de 2016, d’une source d’approvisionnement pérenne à un prix de 12$/Mbtu, soit approximativement le prix européen. Aujourd’hui disqualifiés, les Asiatiques pourraient revenir dans le jeu grâce au gaz de schiste.

Enfin, la Chine s’est d’ores et déjà lancée dans l’exploration des gaz de schiste. Ses ressources techniquement récupérables de gaz de schiste seraient considérables, de l’ordre de deux fois les ressources américaines (35) .

*

* *

La révolution des gaz de schiste est donc particulièrement défavorable au continent européen :

– l’importation massive de charbon américain a conduit à la fermeture très brutale des centrales à gaz, enfonçant encore plus les énergéticiens européens dans la crise ;

– déjà sous la pression de leurs concurrentes du Moyen-Orient, les industries énergo-intensives, et particulièrement les secteurs du raffinage et de la pétrochimie, sont directement menacées par leurs concurrentes américaines.

IV. QUEL LEVIER ACTIONNER POUR RÉAGIR ?

A. LEVIER N° 1 : L’EXPLOITATION DES GAZ DE SCHISTE SUR LE TERRITOIRE FRANÇAIS

Le premier levier auquel tout le monde pense naturellement, est celui de l’exploitation des gaz de schiste. Si les États-Unis ont bénéficié de l’exploitation des gaz de schiste et que la France dispose de réserves, pourquoi ne pas les imiter ? Le problème n’est en réalité pas aussi simple.

1. Une absence totale d’éléments fiables sur l’ampleur réelle des réserves françaises sans forages exploratoires

Le « vent de folie » qui a saisi le débat sur les gaz de schiste vient d’estimations publiées par l’administration américaine, selon lesquelles la France disposerait des 2èmes ressources les plus importantes en Europe, derrière la Pologne et des 10èmes ressources mondiales (36) . Cela représenterait 85 ans de consommation domestique, ou encore 15 gisements de Lacq. Le bassin Sud-Est contiendrait des gaz de schiste tandis que l’Île-de-France serait riche en huiles de schiste.

En réalité, ces estimations théoriques n’ont que très peu de valeur : tant qu’aucun forage exploratoire n’aura été mené, tout ce qui est dit sur les conditions économiques d’exploitation des hydrocarbures de schiste sur le sol français ne repose sur aucun fondement solide.

2. À partir de quand ? À quel coût ? Pour quelle part de la consommation totale ?

Tout d’abord, il faut envisager un délai de dix ans avant d’entrer dans une phase industrielle, d’ici 2025 : environ 5 ans pour mener la phase exploratoire, puis 5 ans de plus pour mettre en place les conditions d’exploitation industrielles. Par comparaison, l’industrie pétrochimique rencontrera des problèmes de compétitivité dès 2016.

De plus, les industriels du secteur s’accordent sur une hypothèse : le coût de production des hydrocarbures de schiste sera bien plus élevé qu’aux États-Unis car les conditions favorables qui sont rencontrées là-bas ne sont pas réunies en Europe : il n’y a pas d’industrie de l’exploration-production présente sur le sol français, sans parler des problèmes d’acceptation. Le coût de production envisagé aujourd’hui serait de l’ordre de 8-9$/Mbtu, soit seulement 1 à 2 $ de moins que le prix de marché actuel.

Enfin, les hydrocarbures ne représenteront qu’une part marginale de l’approvisionnement européen. Il est donc peu probable que l’arrivée d’une nouvelle source d’approvisionnement induise un déséquilibre d’offre et fasse plonger les prix de marché, à l’image de ce qui a été constaté aux États-Unis.

3. Des effets positifs réduits en raison du faible différentiel entre coût de revient de l’exploitation et prix de marché et de la faible part des hydrocarbures de schiste dans l’approvisionnement européen

Premièrement, les créations d’emplois seront mesurées. S’agissant de la création d’emplois directs, les estimations proposées, pour l’Europe et pour la France, font état des chiffres suivants :

IMPACT D’UNE EXPLOITATION DES HYDROCARBURES DE SCHISTE EN EUROPE ET EN FRANCE

 

Nombre de puits

Production totale

Emplois créés

Effet sur la balance commerciale

Pöyry

Estimation des effets macroéconomiques d’une production de gaz de schiste à l’échelle européenne en 2035 (année de pic de production)

« Some shale gas »

Entre 1 800 et 3 500 puits par an en 2035

2 500 Gm3 sur 30 ans

400 000 emplois

+ 25 Mds€/an

« Shale gas boom »

4 400 Gm3 sur 30 ans

800 000 emplois

+ 59 Mds€/an

IFP Énergies nouvelles

Estimation sommaire de l’impact macroéconomique d’une exploitation des hydrocarbures de schiste en France

Gaz

Total de 4 000 drains sur 200 plateformes

504 Gm3 sur 30 ans (*)

75 000 emplois

+ 5  Mds€/an

Pétrole

1 à 2Gb sur 30 ans (**)

75 000 emplois

+ 3 à 5 Mds€/an

(*) Soit 50 % de la consommation actuelle (**) Soit 5-10 % de la consommation actuelle

Quant aux effets induits, ils seront bien moindres qu’aux États-Unis, dans la mesure où l’exploitation du gaz de schiste ne devrait pas avoir d’effet significatif sur les prix.

Deuxièmement, les retombées fiscales, qui sont sans doute la principale perspective de ressource, dépendent de la marge entre coût de production et prix de marché : imposer fortement la production d’hydrocarbures de schiste pourrait annihiler toute perspective d’activité.

Troisièmement, afin de résister à l’affaiblissement de la pétrochimie, il pourrait être envisagé de mettre en place un approvisionnement privilégié des usines pétrochimiques. Mais les vapocraqueurs actuels étant sur base naphta, la production de gaz nécessiterait de les convertir à l’éthane, moyennant des investissements considérables.

Enfin, au niveau européen, la production des gaz de schiste ne contribuera que faiblement à la diversité d’approvisionnement des États membres ; dans sa communication de janvier 2014 sur l’exploration et la production de gaz de schiste, la Commission européenne indique que, selon le scénario le plus optimiste, le taux de dépendance en gaz hors-UE serait de 80 % en 2035 contre 90 % sans production de gaz de schiste.

4. L’estimation des ressources : une arme de négociation ?

Le seul effet massif à escompter est une arme de négociation face aux Russes, Norvégiens et Algériens. Si les forages exploratoires prouvaient que les réserves sont considérables, les fournisseurs des pays de l’Union européenne pourraient accorder des rabais significatifs pour détruire la rentabilité de l’exploitation du gaz de schiste sur le territoire européen. La Russie dispose de marges de manœuvre : elle a par exemple consenti des rabais importants à l’Ukraine, avant de faire marche arrière pour des raisons géopolitiques.

B. LEVIER N° 2 : ACCROÎTRE LE PRIX DU CARBONE

1. Un impact positif sur la compétitivité des centrales à gaz

Les variations du prix du CO2 peuvent induire des effets de substitution entre le charbon et le gaz pour la production d’électricité. L’une des façons de mesurer ces effets est le « prix du switch », qui est le prix fictif quotidien du CO2 au-dessus duquel il devient intéressant, pour un producteur électrique, de passer du charbon au gaz, et en dessous duquel il est intéressant de passer du gaz au charbon (37) . En avril 2014, le prix switch était de 27 € la tonne de CO2 (38) , soit un niveau bien supérieur au prix de marché du CO2 actuel (6 €/t).

Porter le prix du CO2 à un tel niveau, par une évolution du système européen d’échanges de quotas, modifierait le merit order du mix électrique européen. Les centrales à cycle combiné gaz seraient appelées durant un nombre d’heures plus important, ce qui permettrait d’accroître les revenus des opérateurs. Ces derniers seraient alors incités à conserver leurs capacités de production en service.

Restaurer la compétitivité des centrales à cycle combiné gaz présente deux avantages. D’une part, en raison du développement des énergies renouvelables, il pourrait être nécessaire de développer des capacités de back-up. Si le différentiel de compétitivité entre le gaz et le charbon persistait, cela nécessiterait de rémunérer les propriétaires de ces centrales (39). À l’inverse, maintenir les centrales actuelles sur le réseau permettrait de ne pas alourdir le montant de la contribution demandée par le consommateur. D’autre part, même si les prix de marché indiquent qu’il n’y a pas de tension sur le réseau électrique européen aujourd’hui, il est possible que cette situation s’inverse dans quelques années, en raison d’hypothèses variées (reprise de la croissance économique, fermetures d’autres moyens de production, etc.). La mise en place du marché de capacité, dont le fonctionnement est encore entouré d’incertitudes et qui ne fait pas encore l’objet d’une harmonisation européenne, n’apporte pour l’instant aucune garantie de ce point de vue. Conserver en activité les centrales à cycle combiné gaz constitue une assurance pour la sécurité du réseau des années futures.

2. Un impact négatif sur le prix de l’électricité et sur le coût de production des énergo-intensifs

Une hausse du prix du carbone aurait toutefois un effet corrélatif : la hausse du prix de l’électricité. En effet, quelle que soit la centrale marginale (centrale à charbon ou centrale à gaz), son coût marginal de production serait plus élevé.

Pour les industries énergo-intensives, dont le présent rapport montre qu’elles sont soumises à une concurrence de plus en plus féroce, la hausse du prix du carbone doit donc s’accompagner de compensations ou d’exemptions spécifiques.

C. LEVIER N° 3 : DÉFINIR DES CONDITIONS D’APPROVISIONNEMENT SPÉCIFIQUES POUR LES ÉNERGO-INTENSIFS

Le présent rapport démontre que le principal problème à résoudre est celui des énergo-intensifs. Il s’agit d’une question générale à laquelle nous devons trouver des solutions fortes et pérennes. La solution envisageable est d’accorder des conditions d’approvisionnement spécifiques aux industriels qui ont besoin de bas prix et de visibilité

1. Électricité

En matière de prix de l’électricité, le différentiel de compétitivité est réel avec les États-Unis, ce qui impose d’agir sur les trois composantes de la facture des électro-intensifs pour y remédier.

Diminuer la part « réseau » acquittée par les gros consommateurs constitue une piste très sérieuse, pratiquée par l’Allemagne. Selon un rapport de la Commission de régulation de l’énergie (CRE)  (40) , les industriels allemands peuvent bénéficier d’exonérations partielles ou totales du tarif d’accès au réseau. Les consommateurs intensifs ayant un profil de consommation régulier (durée d’utilisation supérieure à 7 000 heures) peuvent être exonérés. Les consommateurs « anticycliques », qui consomment peu aux heures de pointe et beaucoup aux heures creuses, disposent de réductions pouvant atteindre 80 % du tarif de base. Le rapport de la CRE précise que la Commission européenne avait annoncé, en mars 2013, qu’elle procéderait à une enquête approfondie sur une aide d’État potentielle à travers ces exonérations. Lorsque nous l’avons interrogée, la Commission a nié enquêter sur un tel sujet : elle concentrait son attention sur les exonérations de subventions aux énergies renouvelables.

Ainsi que l’a déclaré M. Philippe de Ladoucette devant la commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire (41) , la CRE a décidé de mettre en place une mesure transitoire destinée à copier le dispositif allemand :

« Pour faire bénéficier les industriels allemands d’avantages spécifiques, l’autorité de régulation allemande peut s’appuyer sur un support législatif, lequel fait aujourd’hui défaut en France. Pour autant, comme nous ne sommes pas du tout insensibles à la situation de nos entreprises électro-intensives, nous avons décidé hier, je vous l’indique ici en avant-première, d’abaisser pour elles d’environ 50 % le TURPE (tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité) pour l’année à venir, sous certaines conditions de volume de consommation. »

Toutefois, afin d’être pérennisée, cette mesure devra être confirmée par une mesure législative :

« Toutefois, il s’agit d’une mesure « à un coup ». Pour la suite, si le Gouvernement ou le législateur estime nécessaire de soutenir la compétitivité des entreprises électro-intensives en France, une loi sera nécessaire, précisant les niveaux de consommation à partir desquels telle ou telle réduction pourra être accordée sur le TURPE. »

La part « fourniture » de la facture des électro-intensifs pourra également bénéficier de mesures spécifiques liées à la commercialisation de l’électricité hydraulique. Le rapport d’information de Mme Marie-Noëlle Battistel et de M. Éric Straumann propose ainsi de mettre à disposition des électro-intensifs, au coût de production, une partie de l’hydroélectricité produite (42) .

Enfin, s’agissant de la part « taxes », les subventions accordées aux énergies renouvelables ont fait l’objet d’une clarification récente de la part de la Commission européenne. Les entreprises issues de 68 secteurs industriels inscrits sur une liste établie par la Commission ont le droit de bénéficier d’une exonération sur les charges qui servent à financer les énergies renouvelables. Des entreprises d’autres secteurs sont éligibles si elles sont fortement consommatrices d’énergie et font réellement face à la concurrence internationale. L’exonération ne peut plus être totale : chaque entreprise doit payer l’ensemble des charges sur 15 % des coûts additionnels liés à la promotion des énergies renouvelables, dans la limite de 4 % de la valeur ajoutée brute pour les électro-intensifs, et de 0,5 % pour les plus gros consommateurs. Enfin, les systèmes d’exonération actuels bénéficient d’une période transitoire jusqu’au 1er janvier 2018. Ces lignes directrices élaborées par la Commission européenne laissent une marge de manœuvre importante au secteur industriel dont la France devra profiter.

2. Gaz

La loi du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine du développement durable a créé le statut du consommateur gazo-intensif. L’article L. 461-1 du code de l’énergie dispose que les entreprises reconnues comme gazo-intensives « peuvent bénéficier, pour certains de leurs sites, de conditions particulières d'approvisionnement et d'accès aux réseaux de transport et de distribution de gaz naturel ». Les critères permettant de définir les entreprises éligibles à ce statut sont fixés à l’article L. 461-2. Il s’agit :

– de la part de la facture énergétique dans la valeur ajoutée produite ;

– de l’exposition internationale de l’activité ;

– de la structure de consommation des sites bénéficiaires et son impact sur les infrastructures gazières.

Le statut de gazo-intensif a trouvé une première application avec la question du différentiel de prix entre la zone Nord et la zone Sud.

Les zones Nord et Sud sont insuffisamment interconnectées entre elles par des infrastructures de transport. Il peut donc y avoir des différentiels de prix entre les deux zones, en fonction de l’offre et de la demande respectives de chacune de ces zones. Leurs caractéristiques d’approvisionnement sont différentes : la zone nord est approvisionnée par du « gaz gazeux », venant de Russie, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de Norvège par gazoduc ; la zone sud est approvisionné par « gaz liquide », venant d’Algérie ou du Qatar.

Comme le prix du gaz est plus élevé en Asie, les méthaniers sont re-reroutés vers l’Asie au lieu d’approvisionner les terminaux méthaniers de Fos-sur-Mer. Le déficit d’offre dans la zone sud, qui ne peut être comblé par l’offre de la zone nord en raison de la congestion de l’interconnexion, créé des écarts de prix du gaz significatifs entre le PEG (43) Nord et le PEG Sud. Par exemple, au 4ème trimestre 2013, l’arrivée du GNL en France a été affectée par des indisponibilités inattendues dans la production algérienne – notamment sur les installations de Skikda – et par une demande très importante en Asie. Bien que les niveaux de consommation ne soient pas exceptionnels en raison d’un hiver clément, la situation à Fos-sur-Mer a créé des congestions physiques au sein du réseau de GRTgaz et a accentué les tensions sur les marchés, où les prix spot ont atteint des niveaux records. L’écart de prix entre le PEG Nord et le PEG Sud s’est situé en moyenne à 5,65 €/MWh au 4ème trimestre 2013.

ÉCART DE PRIX ENTRE PEG NORD ET PEG SUD

Source : UNIDEN

À long terme, la congestion devrait être effacée par la création d’une nouvelle liaison Nord-Sud. Dans l’attente de la mise en service d’une telle infrastructure, prévue en 2018, la CRE a souhaité mettre en place des dispositions transitoires, sur le fondement des articles L. 461-1 et L. 461-2. Ces dispositions ont fait l’objet de vives discussions entre, d’une part, les industriels gazo-intensifs et, d’autre part, les fournisseurs de gaz :

– les premiers souhaitaient le rattachement des sites gazo-intensifs à la zone Nord, afin de supprimer tout différentiel de prix entre les deux zones pour ces clients ;

– les seconds étaient tout à fait défavorables à un tel rattachement, au motif que cela créerait des distorsions de concurrence entre les consommateurs.

Par une délibération en date du 17 octobre 2013, la CRE a finalement retenu une proposition intermédiaire : des capacités d’interconnexion Nord-Sud seront réservées aux industriels gazo-intensifs dans une première phase de commercialisation. Cette délibération n’a satisfait aucune des parties en présence : elle a fait l’objet d’un recours gracieux à la fois de GDF Suez et de l’Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN). Il convient donc que le législateur examine cette question dans le cadre de ses travaux préparatoires au projet de loi sur la transition énergétique, afin de déterminer s’il convient de modifier les équilibres inscrits dans le code de l’énergie ou d’en préciser certains points.

3. La nécessité d’une prise de conscience européenne

Lors de son déplacement à Bruxelles, la mission a pu constater que cette prise de conscience des menaces pesant sur le devenir de l’industrie énergo-intensive n’était que partielle, et que la lutte d’influence entre les différentes directions pouvait avoir raison de notre industrie. Ce constat souligne la nécessité de parler au nom de la France, en unissant nos voix dans l’intérêt de ces industries et des emplois qui en dépendent.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 30 avril 2014, la commission a examiné le rapport d’information sur l’impact économique de l’exploitation des gaz de schiste.

La commission a examiné le rapport de la mission d’information sur l’impact économique de l’exploitation des hydrocarbures de schiste au niveau mondial sur le rapport de M. Frédéric Barbier.

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la Commission des affaires économiques. Nous examinons aujourd’hui le rapport de la mission d’information sur l’impact économique de l’exploitation des hydrocarbures de schiste au niveau mondial. Avant de laisser la parole au rapporteur, M. Frédéric Barbier, voici le message que le président de la Commission des affaires économiques, M. François Brottes, souhaitait que je vous transmette, et qui s’adresse plus particulièrement à M. Barbier :

« Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser mon absence aujourd’hui. Je suis retenu par les dernières auditions de la commission d’enquête sur le coût de la filière nucléaire. Je tiens à m’excuser tout particulièrement auprès de notre collègue Frédéric Barbier qui partage une dernière fois les bancs de notre commission…. Avant, je l’espère, de revenir parmi nous. Je veux ici le remercier pour le travail considérable qu'il a accompli dans le cadre de cette mission d’information. Bravo, cher ami pour le résultat auquel vous êtes parvenu, vous pouvez en être fier. »

Je me permets de vous remercier à mon tour, cher Frédéric, au nom de la Commission et en mon nom propre, pour votre investissement sur cette mission et dans le travail législatif en général, notamment dans le cadre du projet de loi sur la consommation. Après ces deux années quasi-complètes à nos côtés, je suis certaine que les occasions de travailler ensemble sur des sujets sur lesquels vous avez recueilli une vraie expertise se présenteront bientôt.

Je vous laisse la parole pour présenter votre rapport, en rappelant que cette mission d’information a été lancée au mois de juillet 2013. Il ne s’agissait en aucun cas de rouvrir le débat sur l’exploitation des gaz de schiste, mais de décrire cet élément de contexte qu’est l’exploitation de ces hydrocarbures aux États-Unis et ses conséquences sur les filières énergétiques et l’industrie françaises. Les membres de cette mission sont : Frédéric Barbier, Yves Blein, Marie-Hélène Fabre, Fabrice Verdier, Michèle Bonneton, Jean-Claude Bouchet, Josette Pons, Éric Straumann, André Chassaigne, Joël Giraud et Jean-Paul Tuaiva.

À l’issue de votre présentation et des questions, la Commission votera pour l’autorisation de la publication de ce rapport.

M. Frédéric Barbier. Je vous remercie, Madame la présidente ainsi que François Brottes, pour vos bons mots et pour m’avoir donné la possibilité de présenter ce rapport malgré le contexte précipité. Je remercie également les personnes présentes pour un sujet comme les gaz de schiste qui suscite tout de même un vif intérêt. Pour clore cette « séquence émotion », j’ai mesuré le travail considérable qui était celui de la Commission des affaires économiques et l’atmosphère de convivialité qui y régnait : cela ne nuit pas de travailler dans un climat serein, loin de là !

La Commission des affaires économiques a décidé, dès le début de la législature, de lancer une mission d’évaluation de l’impact économique de l’exploitation des gaz de schiste au niveau mondial. Pourquoi un tel sujet ? Suivant l’intuition de son président, elle a considéré que le phénomène des gaz de schiste américains pouvait avoir des répercussions très fortes sur l’économie européenne, et devait donc à ce titre être pris en compte dans le cadre du débat sur la transition énergétique. Je peux d’ores et déjà vous indiquer sans briser le suspense que cette intuition est fondée : c’est une certitude, la révolution des gaz de schiste aura des conséquences, malheureusement très défavorables, sur l’économie européenne.

J’ai eu l’honneur de conduire cette mission aux côtés d’Yves Blein et Marie-Hélène Fabre, que je remercie tout particulièrement pour leur participation, ainsi que Michèle Bonneton. Nous avons auditionné environ 25 acteurs, soit 50 personnes et il nous est apparu, à la fin de notre programme, que les choses revenaient de façon récurrentes, que les chiffres annoncés lors des premières auditions étaient sensiblement les mêmes que ceux que l’on retrouvait par la suite. J’ai été interrogé sur la nature pessimiste ou optimiste de ce rapport, notamment en comparaison avec les conclusions d’une étude de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). En réalité, il n’est ni l’un ni l’autre : il est la synthèse des auditions que nous avons pu mener, des contributions des acteurs et des éléments recueillis dans divers rapports.

Il s’agissait d’étudier l’impact économique des gaz de schiste au niveau mondial : un tel cahier des charges n’appelait donc pas précisément de préconisations particulières, mais nous nous sommes tout de même permis de tirer quelques grandes conclusions, qui, je l’espère, attireront l’attention de ceux qui auront à débattre du projet de loi sur la transition énergétique.

J’évoquerai aujourd’hui, dans un premier temps, la situation américaine, avant d’en décrire les conséquences pour l’Europe et, enfin, de décrire les conséquences à en tirer. Ainsi que Mme la présidente l’a rappelé, il ne s’agit pas de raviver les oppositions sur la fracturation hydraulique, mais d’évoquer l’impact économique. À quel prix le gaz de schiste peut-il être exploité en France ? En fin de compte, à quoi bon rouvrir un débat pour une énergie si celle-ci n’était pas compétitive par rapport aux prix de marché européen ?

Faisons sept mille kilomètres à l’Ouest et rendons-nous aux États-Unis pour un premier temps de cette présentation. La révolution des hydrocarbures de schiste : qu’est-ce que c’est ? Je signale en incise que j’emploierai pour des raisons de commodité le terme d’hydrocarbures « de schiste », même si certains spécialistes comme Pierre-René Bauquis nous ont indiqué qu’ils préféraient le terme de « roche mère ». La révolution des hydrocarbures de schiste, c’est la conjugaison de trois facteurs favorables : un tissu d’entreprises très dynamiques, le développement d’une nouvelle méthode de production grâce à l’utilisation combinée de deux techniques répandues – la fracturation hydraulique et le forage horizontal – ; un cadre juridique favorable – une réglementation environnementale peu stricte au départ et une propriété du sous-sol aux propriétaires des terrains.

Il s’agit d’une authentique révolution car les gaz de schiste représentent désormais 35 % de la production américaine de gaz. Les États-Unis sont devenus très rapidement le premier producteur mondial de gaz depuis 2010 devant les Russes. La synthèse qui vous a été distribuée contient un graphique qui illustre la progression du gaz de schiste dans la production américaine totale de gaz ; il en représente désormais la composante la plus importante.

Entre 2008 et 2013, la production de pétrole – il y a aussi des pétroles de schiste – a augmenté de près de 50 % aux États-Unis, passant de 5 millions de barils par jour à 7,4 millions de barils par jour. Dans ce total, le pétrole de schiste – « tight oil » – représentait 3 millions de barils par jour en 2013. Je signale au passage que les chiffres de production diffèrent assez sensiblement selon les sources, car ils dépendent de la méthode de comptabilisation. Grâce à la production d’huiles de schiste, les États-Unis ont annulé 30 ans de baisse de leurs réserves et la part des importations dans la consommation américaine de pétrole est passée de 59 % en 2007 à 34 % en 2013.

Quels que soient les scénarios, il s’agit d’un phénomène durable. Certains nous ont affirmé que les gaz de schiste étaient une bulle spéculative. Ils s’appuient sur un argument technique : la production de gaz décroît très fortement au cours de la première année de mise en service du puits. Mais cet argument n’est pas suffisant : on peut constater que les Américains continuent de développer et de mettre en production de nouveaux puits. Dans le même temps, les techniques progressent : le forage horizontal va plus loin – 1,5 kilomètre aujourd’hui, davantage demain – et le taux de récupération des hydrocarbures par la fracturation hydraulique s’accroît. Si bien que leurs ressources techniquement récupérables sont estimées à 93 ans. Preuves supplémentaires, les grandes compagnies pétrochimiques engagent des investissements considérables, comme nous le verrons tout à l’heure. Les États-Unis deviendront exportateurs de GNL à partir de 2016 et stabiliseront leurs importations de pétrole jusqu’en 2030.

La révolution des gaz de schiste s’est accompagnée d’une baisse des prix du gaz qui a entraîné un bénéfice économique et environnemental pour les États-Unis.

Tout d’abord, les consommateurs ont obtenu un rabais de 30 % sur leur facture de gaz annuelle entre 2005 et 2012 : les ménages américains ont vu leur pouvoir d’achat s’améliorer. De même, les industriels profitent d’un prix de l’électricité équivalent à 40 % du prix payé par les industries européennes. L’électricité y est produite de façon croissante à partir du gaz au lieu du charbon. Quant aux prix de détail du gaz, ils sont parmi les plus bas au monde, de l’ordre de 10 euros par mégawattheure (€/MWh), soit l’équivalent des prix russes, contre 35 €/MWh en Chine et 40 €/MWh en Union européenne. Ces prix de détails sont la conséquence d’un prix de marché très faible : 3,70 dollars par million de btu ($/Mbtu) en 2013 et autour de 4,4$/Mbtu sur le long terme, contre 10-12$/Mbtu sur les marchés européens et 16$/Mbtu sur les marchés asiatiques. Le Mbtu (British termal unit) est une unité de mesure énergétique anglo-saxonne, équivalente à 293 kilowattheures. Retenez ces ordres de grandeur : ils sont très importants pour comprendre les prévisions d’exportations américaines.

Ce phénomène de baisse des prix conduit à un âge d’or des industries énergo-intensives nord-américaines, en particulier la pétrochimie. Il s’agit d’une conséquence très importante de la révolution des gaz de schiste : et c’est l’un des points saillants des travaux de notre mission. Comment l’expliquer ? De plus en plus, les producteurs de gaz de schiste américain valorisent la production de liquides de gaz naturel, et considèrent le méthane comme un co-produit. Par exemple, la production d’éthane a cru de 38 % entre 2008 et 2012, ce qui a fait baisser son prix de 55 % sur la même période. Comme son nom l’indique, l’éthane est utilisé par la pétrochimie, en concurrence avec le naphta, pour la production de l’éthylène. En raison de l’effondrement des prix de l’éthane et, parallèlement, de la hausse du prix du naphta, indexé sur le prix du pétrole, les vapocraqueurs fonctionnant sur base éthane sont très compétitifs. Leur coût de production est de 350 dollars la tonne, contre 1 100 dollars la tonne pour les vapocraqueurs sur base naphta.

L’éthylène est l’un des grands intermédiaires de la production de plastique, dont nous aurons un besoin croissant dans les prochaines années. Par exemple, nous parviendrons à la voiture « deux litres » par l’allègement du véhicule, grâce au recours au plastique en substitution du métal. La rénovation thermique (fenêtres, bardages, etc.) repose également sur le plastique. La pétrochimie nord-américaine est idéalement placée sur ces marchés. De nombreuses sociétés souhaitent investir dans de nouvelles capacités de production aux États-Unis pour y bénéficier de l’effet prix induit par les gaz de schiste : 90 milliards de dollars d’investissements entreront en service à partir de 2016, dont 50 % par des sociétés non américaines. Ces sociétés n’exporteront sans doute pas l’éthylène, dont le coût de transport est élevé, mais elles exporteront du polyéthylène, très facilement transportable, et des produits finis.

Enfin, les Américains exporteront bientôt leur gaz. Ce gaz ira très probablement en Asie, où le prix du gaz est le plus élevé. Un tel mouvement permettra peut-être au marché asiatique de combler son différentiel de compétitivité avec le marché européen : la différence entre les 16 $/Mbtu asiatiques et les 10-12 $/Mbtu en Europe se réduira de facto.

À l’inverse, l’Europe est la grande perdante de la révolution du gaz de schiste.

La révolution des gaz de schiste est en grande partie responsable de la fermeture des centrales à gaz européennes. Moins compétitif sur le marché américain, le charbon s’exporte sur le marché européen, où il alimente des centrales thermiques anciennes qui viennent directement remplacer le gaz comme moyen de production d’électricité. Les énergéticiens européens ont lancé une alerte – nous avions reçu ici même Gérard Mestrallet qui s’en était fait l’écho – : ils envisagent la mise sous cocon, voire la fermeture de 50 GW de capacités électriques. Par comparaison, les deux réacteurs de Fessenheim représentent 1,8 GW de puissance. L’arrivée du charbon américain en Europe représente la fermeture de 25 Fessenheim et, pour GDF Suez, la dépréciation de 14,5 milliards d’euros d’actifs.

La pétrochimie européenne va rencontrer des difficultés supplémentaires. Fonctionnant à 75 % sur base naphta, elle ne pourra pas lutter contre sa concurrente américaine. Le cas de Total l’illustre bien : l’entreprise va investir à Port Arthur, aux États-Unis, pour convertir l’un de ses vapocraqueurs de la base naphta à la base éthane. Certains secteurs utilisant le gaz intensivement, comme matière première ou source d’énergie, seront également directement touchés : les engrais et fertilisants, l’acier, etc.

Enfin, comme je l’ai indiqué précédemment, c’est l’Asie qui profitera sans doute du gaz américain, et non l’Europe.

Nous sommes donc face à deux défis : relancer la production d’électricité à partir de gaz et soutenir les industriels énergo-intensifs, dans une situation de concurrence féroce face à leurs homologues américains. De quels leviers disposons-nous pour ce faire ? Le premier d’entre eux, celui qui vient assez naturellement à l’esprit – je vois que les regards du banc écologiste se tournent vers moi –, c’est l’exploitation des gaz de schiste sur notre territoire. Selon ce que certains ont affirmé, les réserves du sous-sol français seraient très prometteuses : pourquoi, alors, ne pas reproduire le miracle américain ?

M. Frédéric Barbier, rapporteur. Encore une fois, je l’ai dit, nous ne nous sommes pas du tout penchés sur la fracturation hydraulique. Nous nous sommes centrés sur l’aspect économique, et la conclusion était assez claire : la rentabilité d’une exploitation en France est assez aléatoire. Les entreprises que nous avons rencontrées, comme Total, Exxon et d’autres, ont eu un discours très différent de celui auquel nous nous attendions. Ils nous ont dit que la rentabilité française ne serait pas la rentabilité américaine. Alors que le prix du gaz s’élève à 4 dollars le Mbtu aux États-Unis, tout concourt à penser que nous serions plutôt autour des 8-9 dollars en Europe car le cadre fiscal, juridique et environnemental n’est pas le même et l’acceptation des populations non plus. Les prix en Pologne sont d’ailleurs autour des 8-9 dollars. Beaucoup d’entreprises d’extraction ont déjà quitté le territoire. La Pologne, à mon avis, sera une illustration et il sera donc intéressant d’en faire un retour d’expérience. La situation à laquelle nous faisons face est simple : d’un côté, la fracturation hydraulique est interdite aujourd’hui et les techniques alternatives ne pourront pas être mises en œuvre avant plusieurs années. De l’autre, les problèmes de compétitivité des entreprises françaises sont immédiats : ils frapperont notre économie d’ici un an ou deux, à partir du moment où les Américains commenceront à mettre, ne serait-ce que sur la pétrochimie, leurs investissements en route et produiront massivement un certain nombre de produits à partir de l’éthane et de l’éthylène.

La première question est donc : faut-il attaquer le débat par la fracturation hydraulique ou faut-il avant toute chose confirmer le coût auquel nous serions capables, en France, d’extraire du gaz de schiste ? Si ce coût est de 8 ou 9 dollars le Mbtu, cela en vaut-il la chandelle par rapport aux prix actuels du marché qui sont de 10 à 12 ? Cela serait certainement de nature à favoriser une meilleure négociation avec les pays qui nous fournissent. Mais dans le même temps, nous sentons bien que, pour tuer une industrie qui naîtrait en France sur le gaz de schiste, ces pays pourraient faire baisser les prix, comme ils l’ont fait en Ukraine à une certaine époque, sur quelques mois ou quelques années de façon à ce que nos productions ne soient plus rentables. Ce risque est aussi à prendre en compte.

Sur la question de l’exploitation du gaz de schiste en France, nous ne sommes pas allés plus loin. À titre personnel, je le redis ici, je suis favorable à la recherche économique afin de valider le prix auquel nous serions capables d’extraire le gaz de schiste. Si nous avons des réserves dans nos territoires, je ne serais pas opposé, à titre personnel, à ce que l’on sache effectivement ce que l’on a en termes de potentiel. Cela permettrait peut-être de tuer le débat de manière définitive si, comme on le constate en Pologne, l’eldorado du gaz de schiste n’est pas au rendez-vous.

Le deuxième levier d’action est l’augmentation du prix du carbone. Comme nous l’avons évoqué avec la direction climat de la Commission européenne, je pense que nous ne pouvons pas laisser nos énergéticiens dans la situation dans laquelle ils sont aujourd’hui. Ils ont beaucoup investi, ont été obligés de déprécier des actifs et, dans le même temps, ont émis massivement du CO2 en produisant de l’électricité à base de charbon alors que nous avons des équipements alternatifs tout à fait intéressants. Je pense qu’il faut réformer rapidement le marché du CO2. L’Europe en est d’ailleurs aussi convaincue. Il y avait des quotas, qui étaient certainement corrects à l’époque où ils ont été définis, mais depuis, avec la crise économique, le développement des énergies renouvelables et l’amélioration de l’efficacité énergétique de certains pays, le prix du carbone est tombé à 5 euros la tonne. Pour relancer nos centrales classiques au gaz, il faudrait plutôt qu’il soit à 30 euros la tonne. Réformons donc notre marché du carbone, de façon à ce qu’à terme nous revenions sur une production d’électricité à partir de gaz, qui est d’ailleurs complémentaire avec les énergies renouvelables, et non à partir de charbon, émetteur de gaz à effet de serre.

Le troisième levier, qui est aussi notre conclusion la plus importante et ce sur quoi portait notre mission, concerne les problèmes que vont rencontrer nos industries fortement consommatrices d’énergie, c’est-à-dire celles pour lesquelles la part de l’énergie dans le produit fini est importante. Celles-ci vont se trouver dans une concurrence féroce, quasi-déloyale, très rapidement à partir de 2015-2016, face aux entreprises américaines. Dans le débat qu’il y aura sur la transition énergétique, il faudra donc y penser et favoriser à chaque fois, le plus possible, l’accès de ces entreprises à une énergie compétitive en jouant sur les trois composantes du prix de l’énergie : l’accès aux réseaux, la fourniture de l’énergie et les taxes. Cela passe par une sensibilisation de l’Europe, de la part de notre pays, de façon à ce que nos industries énergo-intensives puissent avoir accès à une énergie la moins cher possible en agissant sur ces trois composantes. Nous avons un statut des énergo-intensifs en électricité, un également en gaz, il faut poursuivre dans ce sens-là.

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques. Merci monsieur le rapporteur pour ce travail très fouillé et très intéressant qui servira à nos futurs travaux sur la transition énergétique. Votre conclusion et vos pistes en matière de compétitivité pour nos industries sont une préoccupation pour notre commission et l’ensemble de nos collègues.

M. Éric Straumann. Je salue le travail équilibré et approfondi du rapporteur Frédéric Barbier qui me paraît pertinent. La loi de 2011, que notre majorité avait votée, était nécessaire au moment où elle a été adoptée parce que nous n’avions pas le niveau de connaissance que nous avons aujourd’hui. Pour autant le débat ne doit pas être clos car il y a un enjeu considérable lorsqu’on voit l’impact de ce gaz sur la production mondiale de gaz. Comme vous l’avez rappelé, les États-Unis sont devenus le premier producteur de gaz depuis 2010. Le gaz est aujourd’hui quatre fois moins cher aux États-Unis par rapport à l’Europe, ce qui va poser un problème d’attractivité pour les industries européennes et de pouvoir d’achat pour les particuliers. Il y a également un aspect stratégique qu’il faut soulever. Comme vous l’avez dit, on parlait, il y a quelques années, de bulle mais aujourd’hui on se rend compte que les stocks américains représentent 90 années de réserve. Il s’agit donc aussi d’un élément de notre indépendance énergétique. D’après vous, monsieur le rapporteur, vous paraît-il utile de revoir la loi de 2011 afin de permettre des forages exploratoires auxquels vous semblez a priori plutôt favorable ? Ensuite, concernant Fessenheim, vous savez que le gouvernement a annoncé la fermeture du site. L’une des idées évoquées dans le cadre de la reconversion du site est l’installation d’une centrale à gaz. Ne serait-ce pas contradictoire avec ce que vous nous avez indiqué, à savoir que nous nous apprêtons à fermer 50 gigawatts de capacité au niveau européen ?

Mme Delphine Batho. Je salue également le rapporteur. Il n’y a, pour moi, pas de surprise dans ce que j’ai entendu. Le rapport contribue à démystifier le prétendu miracle économique qu’il y aurait derrière l’exploitation des gaz de schiste. Pour être clair, les États-Unis ont en réalité inventé le dumping environnemental. Dans les prix qui sont donnés, les dégâts environnementaux ne sont pas comptabilisés. Ces dégâts environnementaux seront supportés par la collectivité et par les générations futures. Ils sont considérables : 200 000 forages, 3 milliards de mètres cubes d’eau polluée avec un certain nombre de substances chimiques qui sont soit stockés dans les sous-sols, soit à l’air libre. C’est une réalité qui est passée sous silence dans le prix américain du gaz. De ce point de vue, l’étude de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), que vous avez évoquée, est intéressante sur le fait que seuls certains secteurs de l’économie américaine, qui représentent 1,2 % du PIB, profitent du faible coût du gaz. Il existe d’ailleurs des contradictions et des tensions entre le secteur de la chimie par exemple, qui en profite, et celui de l’extraction du gaz qui, en raison du faible prix, se retrouve face à un problème de surproduction et souhaiterait davantage exporter sa technologie. En revanche, je ne suis pas tout à fait d’accord avec l’expression « L’Europe, grande perdante de la révolution du gaz de schiste », que vous utilisez. Je pense qu’il est plus juste de dire que l’Europe subit aujourd’hui une concurrence déloyale sans réagir. C’est l’inertie européenne qui est un problème. Je crois personnellement qu’il faut refuser les gaz de schiste et la position de la France à cet égard, au niveau mondial, est très importante. La question de la fracturation hydraulique, c’est-à-dire celle de la technique d’exploitation, est absolument majeure. Ce n’est pas un sujet secondaire. Il en est de même pour la question de l’effet de serre car le bilan en matière de méthane de l’exploitation du gaz de schiste est bien plus catastrophique que ce qui est dit. Mais le problème pour l’Europe est d’avoir une alternative au gaz de schiste. C’est l’enjeu de la transition énergétique. De ce point de vue-là, je souscris entièrement à ce que dit le rapporteur. Nous avons besoin d’un choc de compétitivité pour les industries électro-intensives et gazo-intensives. Nous devons, dans le cadre de la transition énergétique, apporter une réponse à leurs problèmes. C’est l’enjeu aussi des débats actuels sur l’avenir de l’hydroélectricité.

Mme Michèle Bonneton. Merci monsieur le rapporteur pour votre travail. Vous avez bien noté la grande différence de l’intérêt de l’extraction non conventionnelle des hydrocarbures de roche-mère entre les États-Unis et la France. La densité de population n’est pas la même dans les zones d’extraction aux États-Unis et en France. Ces hydrocarbures, lorsqu’on les brûle, sont fortement émetteurs de gaz à effet de serre. Le méthane, par exemple, est 20 fois plus efficace pour l’effet de serre que le dioxyde de carbone. Les facilités que semblent offrir ces hydrocarbures ne vont pas dans le sens d’une meilleure efficacité énergétique, ce qui est pourtant un axe très fort à développer pour limiter le réchauffement climatique. Ce changement climatique aura un coût très important que l’on ne peut pas négliger. Le rapport de Nicholas Stern, vice-président de la Banque mondiale, en 2006, avait estimé un coût sur dix ans à 5 500 milliards d’euros. Peut-on, dans ces conditions, parler de « bénéfice environnemental » dû à ces hydrocarbures non conventionnels ?

Par ailleurs, du fait de l’économie de la France, pour laquelle le tourisme apporte une part non négligeable, a-t-on chiffré l’impact sur le tourisme en France que pourrait éventuellement avoir l’implantation de puits de forage ? En outre, il faut remarquer que le secteur de l’énergie aux États-Unis, et particulièrement celui du forage, est très subventionné par les pouvoirs publics afin que les États-Unis maintiennent leur souveraineté énergétique. Les prix seraient deux fois plus élevés s’il n’y avait pas ces subventions. Le PDG d’Exxon disait d’ailleurs, le 27 juin 2012, en parlant des gaz de schiste : « Nous sommes tous en train d’y laisser notre chemise ». Shell a vendu ses puits au Texas en disant qu’ils n’étaient pas rentables. Savez-vous quelle est la répartition géographique des puits rentables aux États-Unis ? Combien sont-ils par rapport aux puits forés ? C’est de l’ordre de quelques pourcents, voire 10 % je crois, mais je n’ai pas les nombres exacts. Savez-vous combien de nouveaux forages sont réalisés chaque année ? De mémoire, je crois qu’il y en a plusieurs milliers voire dizaines de milliers pour maintenir la production annuelle. Avez-vous des informations sur les subventions aux États-Unis ?

M. Lionel Tardy. Ce rapport interroge. Il n’aborde, comme l’a fort bien souligné Delphine Batho, que l’aspect économique et il faut l’inscrire dans une globalité. L’extraction de gaz de schiste s’accompagne de la production de liquides de gaz naturel très bien valorisés. Quand on lit votre troisième partie sur « L’Europe, grande perdante de la révolution du gaz de schiste », cela pose un certain nombre de questions. La question du dumping environnemental est réelle. Le secteur français de l’énergie, comme Alstom, avait beaucoup investi dans les centrales à gaz et aujourd’hui le retournement de situation lui est préjudiciable. Cela est, pour partie, responsable du dossier que l’on connaît actuellement. Quand on voit que les énergéticiens européens ont prévu la fermeture de 50 GW de capacité électrique, des questions se posent. Cela a été dit et c’est vrai, on retrouve les mêmes problématiques que l’on peut avoir sur des politiques fiscales et salariales. Que fait-on ? Encore une fois, le temps passe et l’Europe est en mauvaise position.

Même si ce n’est pas le but de votre rapport, quel impact a, par exemple, la fermeture des puits ? On parle de dix à douze fracturations avant de passer à un autre puits. Vous dites que maintenant nous allons à 1,5 kilomètre à l’horizontale et non plus 200 mètres. Il serait intéressant de savoir si toutes ces fracturations aux États-Unis ont permis d’améliorer le système ou pas. Sur l’aspect purement économique, un certain nombre de questions de concurrence se posent effectivement. Encore une fois, l’Europe est en retard. On regarde les choses passer au détriment de notre industrie et de notre énergie.

Mme Audrey Linkenheld. Je tiens à féliciter, tout particulièrement, le rapporteur, non seulement pour la qualité de son rapport, fort intéressant – cela a déjà été souligné à plusieurs reprises – mais également pour la manière dont il nous l’a présenté. Vous avez réussi à rendre compréhensible et passionnant un sujet technique et complexe pour des non spécialistes au nombre desquels je suis. Cela mérite d’être dit !

J’ai deux questions : une principale et une accessoire. Lors de l’exploration d'un gisement, on accède parfois à d’autres types de ressources que le gaz de schiste comme le gaz de houille, sans utiliser la technique de la fracturation hydraulique qui pose les problèmes environnementaux que certains dénoncent. Sans pour autant négliger les éventuels problèmes environnementaux que leur exploitation pourrait poser, j'aimerais savoir si vous avez pu obtenir, lors des différentes auditions que vous avez menées, des informations particulières sur ces nouvelles ressources, sur leur coût, sur leur exploration, sur l’avantage prix que l’on pourrait en tirer. La région Nord-Pas-de-Calais a missionné une enquête, très approfondie, sur ce sujet, néanmoins, nous disposons de peu de retours d’expérience.

Est-il possible d’exploiter ces ressources plus facilement en France et en Europe ? Peut-on en retirer un avantage économique pour les industriels comme pour les particuliers ?

J’en viens à ma question accessoire. À la page 2 de la synthèse que vous nous avez distribuée, votre titre II s’intitule « la baisse du prix du gaz : un bénéfice économique et environnemental pour les États-Unis ». Le bénéfice environnemental m'a échappé, s'agirait-il d'une coquille ou d'un oubli dans la synthèse ? Si ce n’est pas le cas, pourriez-vous nous expliquer de quelle nature est ce bénéfice environnemental ?

Mme Brigitte Allain. Je tiens, moi aussi, à féliciter le rapporteur pour la qualité de son rapport même si l'on peut noter quelques oublis dans la présentation qui en a été faite. Selon un rapport du Post Carbon Institute, depuis décembre 2011, la production de gaz de schiste aux États-Unis plafonne, et l'on observe que 80 % de cette production est concentrée sur seulement deux grands sites. Pour maintenir le niveau de cette production, il faudrait forer 7 000 puits par an. Si l’on tient compte des subventions qui ont déjà été évoquées, combien de temps cela peut-il durer ?

Concernant justement les subventions à la production, même si celles-ci sont indirectes, quelle sera la réaction de l’OMC, dont le rôle, comme chacun sait, est de contrôler les distorsions à la concurrence ?

Pour quelles raisons le rapport n’évoque-t-il pas le coût des pollutions diffuses ni leur coût sur la santé des riverains ? Vous avez précisé que l’approche que vous aviez adoptée dans votre rapport était prioritairement une approche économique. Or parler du coût des pollutions n'est-ce pas justement privilégier une approche économique ?

Concernant l’Europe, vous avez évoqué un problème économique, cela n'empêche pas de s’intéresser aux alternatives à développer, notamment pour les industries énergo-intensives, en termes d’énergies plus compétitives, durables et renouvelables.

Je partage aussi l’analyse faite par ma collègue Delphine Batho sur le dumping environnemental. Cet axe, doit, en effet, être retenu et exploré.

M. Yves Blein. Je souscris à l’ensemble des conclusions de ce rapport. Je souhaite seulement souligner un aspect particulier, non véritablement évoqué, à ce stade : un grand danger menace sérieusement les industries chimiques et pétrochimiques françaises. Celui-ci n’est pas véritablement perceptible à l'heure actuelle même si le coût de l’énergie commence à affecter le prix de revient des matières premières.

De nombreux groupes industriels indiens, américains, mais également européens, construisent des complexes pétrochimiques, aux États-Unis, à proximité des sites d’exploitation de gaz de schiste, qui vont concurrencer par l’utilisation massive de l’éthane, par exemple, des productions qui sont à la base, à la source, d’un grand nombre de productions industrielles qui entrent dans la fabrication des plastiques, de nombreux matériaux de construction, des matériaux composites que l’on trouve dans l’assemblage des voitures, de certains outils utilisés quotidiennement tels que la coque de cet iPad.

Ces stratégies, développées par les entreprises, très consommatrices de capitaux, se font sur le long terme. Les investissements réalisés aujourd’hui auront donc un impact sur les industries de demain. Ces nouvelles stratégies des grands groupes consistent à s’implanter en aval, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, des sites de production de matières premières et en particulier des sites d’extraction du gaz de schiste pour développer des activités chimiques et pétrochimiques.

Il serait intéressant de se demander quelles analyses les entrepreneurs et surtout des grandes entreprises comme Arkema, Solvay, KemOne font de ces nouvelles stratégies, d'envisager des pistes nouvelles en termes de reconversion et de développement et d'apprécier la question du prix de l’énergie. Le temps n’est-il pas venu de s'interroger sur l’avenir des industries chimiques et pétrochimiques dès lors qu’elles sont concernées par ce problème d’exploitation incidente de gaz de schiste aux États-Unis ?

M. Frédéric Barbier, rapporteur. Qui a dit que le gaz de schiste ne passionnait pas ? Je vais répondre, tout d’abord, à mon collègue M. Straumann. La question de l’exploration du gaz de schiste ne rentrait pas dans l’objet de la lettre de mission de la mission d’information. Pour les industries énergo-intensives, celles qui utilisent de l’électricité ou du gaz pour faire tourner des machines, des solutions sont envisageables. Il n’en demeure pas moins vrai que pour les industries pétrochimiques, si l’on ne souhaite pas rester lié au nafta pour produire de l’éthylène ou si l'on privilégie l'accès à une matière première à un coût avantageux comme l’éthane sans contracter de nouveaux marchés, il faudra envisager de développer d’autres ressources.

Un pays comme la France ne peut pas faire l’économie du développement de la recherche économique et technique dans ce domaine. Ce travail est celui du législateur : il n’est pas du ressort des grands groupes privés mais de celui de grands établissements d’État d'évaluer les capacités et les réserves énergétiques que l’on possède. À mon sens, le modèle américain n’est pas transposable en France. Cependant, sauvegarder notre industrie pétrochimique nécessitera peut-être d’obtenir une matière première - peut-être pas le nafta mais l’éthane - à des prix davantage compétitifs afin de maintenir notre place dans le secteur de la plasturgie.

L’industrie pétrochimique représente, en France, 80 000 emplois dont 10 000 emplois directs et 40 000 emplois indirects pour les raffineries. Dans le secteur des hydrocarbures, des pans entiers de l’industrie ont disparu ou se sont trouvés en grande difficulté comme la sidérurgie, par exemple. L’industrie pétrochimique française occupe la seconde place en Europe : si l’on peut éviter une restructuration de ce secteur, il va de soi que l’on ne doit pas en faire l’économie !

Concernant la fermeture de Fessenheim : je ne sais pas à quel horizon temporel, quarante ans, cinquante ans, il faudra l’envisager. J’ignore aussi si la transformation de la centrale en usine alimentée par le gaz est la première reconversion envisageable. Néanmoins toutes les solutions novatrices sont à prendre en compte même si elles ne font pas l’objet du débat de ce jour.

S’agissant du dumping environnemental, et sans pour autant faire de la publicité pour un certain film, certes à charge, oui, les débuts de l’exploration et de l’exploitation du gaz de schiste aux États-Unis et au Canada se sont bien traduits par des catastrophes environnementales. C'est la conséquence d'une exploitation sauvage, faite par de petites entreprises, prêtes à tout pour vivre ou survivre, n’ayant pas eu accès à des réserves importantes pour se développer, qui ont cherché à atteindre, par tous les moyens, les gisements de gaz emprisonnés dans la roche mère, tout d’abord, par l'utilisation de puits verticaux, ensuite, par celle de forages horizontaux. Le secteur n’était alors pas réglementé et autorisait ces comportements irresponsables.

Depuis de nombreux enseignements en ont été tirés. Les techniques de fracturation hydrauliques – je le répète qui ne sont pas l’objet du débat à l’ordre du jour - ont particulièrement évolué. Selon la Direction climat de la Commission européenne, les nouvelles normes sont bien plus contraignantes : l’utilisation de nouvelles techniques de fracturation hydraulique aux États-Unis vise à empêcher tout dégagement des gaz extraits, oblige à les récupérer ainsi qu'à les traiter, effluents compris. Je rappelle que la pollution des nappes phréatiques a eu, en grande partie, pour origine les effluents rejetés, épandus, lessivés au fil du temps par les averses qui se sont ensuite déversés dans les sols.

Cette nouvelle technologie n’est probablement pas encore aboutie, ce n’est peut-être pas la panacée - c’est mon opinion personnelle - mais comme pour toute nouvelle technologie le recul, l’expérience ont permis une amélioration substantielle des moyens techniques utilisés.

Une empreinte environnementale a été laissée, mais elle n’est pas la seule. La seconde empreinte environnementale, elle, est positive : il s'agit de la réduction des émissions de dioxyde de carbone. Le développement de l’exploitation du gaz de schiste aux États-Unis s’est accompagné d’une baisse de 3,8 %, en un an de ces émissions ! L’effet gaz de schiste, selon les estimations relayées par l’étude de l’IDDRI, c’est 1,4 point de ces 3,8 %.

Dans le même temps, en Europe, la réduction des émissions de CO2 marque le pas. Alors que les États-Unis ont délaissé le charbon au profit de la production de gaz, en Europe, on observe l’effet inverse : le gaz est progressivement abandonné au profit de l'exploitation du charbon avec pour corollaire une augmentation des rejets de CO2 dans l’atmosphère.

En 2002, les spécialistes prévoyaient un réchauffement climatique avec une élévation de la température de l'ordre de 2 degrés. Les prévisions actuelles privilégient davantage un scénario tendant vers une élévation du niveau des températures de 4 à 6 degrés. Il y a urgence !

Pour répondre à mon collègue Lionel Tardy, ce sont également les conséquences de l’importation du charbon américain que l'on paie. Une solution, pour déstabiliser le marché américain, consisterait à imposer un marché carbone autour de 30 euros la tonne de façon à ne plus importer de charbon américain ainsi et à relancer la production de gaz.

Je partage entièrement vos remarques sur le choc de compétitivité, l’hydroélectricité, très compétitive en France : nos industries énergo-intensives doivent privilégier l’utilisation de l’énergie électrique que l’on peut obtenir à bas coût en France.

S’agissant des entreprises qui tiennent un discours alarmiste sur leurs risques de faillite, je reste très méfiant. J’ai déjà entendu le discours consistant à dire qu’à 2,7 $ le Mbtu la faillite était assurée, depuis lors le prix est monté à 3,7, atteindra bientôt 4,5 $ le Mbtu et elles n’ont pour le moment toujours pas fait faillite, et à mon sens, elles ne le feront pas !

À ma connaissance, il n’y a pas de subventions. Certes, il y a eu un programme, aux États-Unis, développé par la puissance publique, pour encourager l’exploitation, l’exploration et la mise au point de la fracturation hydraulique, mais c’est tout.

Le nombre de puits en activité est resté stable depuis 2011 avec 490 000 puits en activité. Quant à la production de gaz de schiste elle ne cesse d’augmenter depuis 7 années consécutives, elle n’est donc ni en stagnation ni en baisse.

Sur le changement climatique, il faut aller sur un objectif de baisse de la production du carbone en favorisant les énergies renouvelables.

Sur la question du tourisme, il est évident qu’il n’y a pas le même degré d’acceptation entre la France et les États-Unis. Dans certains états américains, des puits de pétrole côtoient des orangers, des vacanciers ou des vaches. Je ne suis pas convaincu que les Français sont prêts à accepter cette cohabitation. J’étais président d’un pays, dans ma région de Franche Comté, où s’est installé le plus grand parc éolien régional, ce qui a développé le tourisme. J’étais très réservé mais les touristes sont venus. Iront-ils visiter des puits d’extraction de gaz de schiste ? Je ne saurai dire mais l’attractivité touristique peut surprendre.

Sur le futur de la chimie et pour répondre à la question d’Yves Blein, ce point est évoqué dans le rapport. Vous y trouverez un paragraphe sur les raisons d’espérer mais je pense qu’il faudra être très vigilant. Nous disposons d’une pétrochimie capable d’une production de pointe et de bénéficier d’effets de plateformes. Il est également envisageable de la repositionner sur des produits de niche à partir du moment où ils ne seraient pas en concurrence sur la partie éthylène. Mais incontestablement, l’industrie pétrochimique n’est pas très euphorique pour les années à venir malgré les perspectives de positionnement sur des produits de niche que je viens d’évoquer.

Pour répondre à la question sur l’effet de bulle spéculative, je crois qu’il n’existe pas. Aujourd’hui, les États-Unis produisent le Mbtu à 3,70 $. Ce tarif pourrait monter à 5 ou 6 $ mais malgré ce montant, les États-Unis resteraient compétitifs par rapport aux mix européen et français. Ils gardent donc de solides marges de manœuvres et ce d’autant plus que l’on estime les réserves disponibles de gaz de schiste à près de 100 ans de production. C’est pourquoi cette énergie ne peut être assimilée à une bulle spéculative.

M. Lionel Tardy. Je réponds à votre question sur le préjudice subi par Alstom. Nous sommes d’accord sur ce point. En revanche, je suis moins pessimiste que vous sur l’Union européenne. Nous avons rencontré les différentes directions de la Commission européenne en charge du dossier, qu’il s’agisse de la Direction énergie, la Direction climat ou la Direction environnement. Si la position de cette dernière consiste à souligner le caractère polluant du gaz de schiste, les directions énergie et climat ont pris en compte les nécessités de réformer le marché du CO2 et de favoriser les énergo-intensifs sans quoi il y a un risque de mettre à mal tout un pan de l’industrie européenne face à une concurrence contre laquelle elle n’arrive pas à lutter. Je veux tout de même préciser que des entreprises françaises sont implantées aux États-Unis et ont déjà lourdement investi dans le gaz de schiste, qu’il s’agisse de Vallourec, Schlumberger ou Total.

Sur le gaz de houille, les Russes possèdent certainement les réserves les plus importantes. La France en dispose également et les a exploitées par le passé. Faut-il reprendre cette exploitation ? Pourquoi pas ? Le rapport aborde indirectement le sujet des gaz de houille à travers la question de la fracturation hydraulique. Lorsqu’un sous-sol est pénétré à 3 000 mètres de profondeur sur une distance de 1 500 mètres, il est possible de trouver différents produits comme les gaz humides, les pétroles, le charbon mais aussi les gaz de houille. Tout dépend donc des forages et de leur exploitation.

Pour répondre à votre interrogation sur la mention, dans le rapport, de « bénéfice environnemental » de la baisse du prix du gaz, je répète que les gaz de schiste ont concouru à faire baisser la production de CO2 aux États-Unis de 1,4 %, ce qui n’est pas négligeable. Mme Batho ne semble pas d’accord avec moi sur ce point mais ce sont les chiffres dont on dispose.

Mme Delphine Batho. Effectivement, sur le bilan environnemental de l’exploitation des gaz de schiste aux États-Unis, il n’est pas possible de parler d’un « bénéfice environnemental ». Les calculs sur la réduction des gaz à effet de serre permise par les gaz de schiste sont faux et en tout cas vigoureusement contestés. Les dernières études rendues publiques montrent que les chiffres de l’EPA, l’agence américaine de protection de l’environnement, concernant les émanations de méthane des puits de gaz de schiste, se trompent d’un facteur de 100 à 1 000. Non seulement il n’y a pas eu de réduction des gaz à effet de serre avec l’exploitation des gaz de schiste, mais au contraire le bilan effet de serre des gaz de schiste est pire que celui du charbon. Il n’est donc pas possible d’écrire qu’il y a eu un quelconque facteur d’amélioration de l’impact sur le réchauffement climatique. Par ailleurs, je veux dire que le débat sur la recherche est fictif parce que la loi française, en particulier l’article 1er de la loi du 13 juillet 2011, interdit la fracturation hydraulique que ce soit pour l’exploitation ou pour l’exploration. Lorsque certaines positions défendent la possibilité de faire de la recherche pour l’exploration, elles remettent en cause la loi française. Les choses doivent être claires sur ce point : la loi française, validée par le Conseil constitutionnel, ne permet pas de faire de l’exploration en matière de gaz de schiste. Je ne suis pas non plus favorable à la recherche publique en la matière et ce d’autant plus dans un contexte de baisse des crédits de recherche du ministère de l’écologie et particulièrement ceux pour la recherche sur les énergies renouvelables. Le budget de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise des énergies (ADEME) a également failli être amputé de 80 millions d’euros. Il ne me semble pas opportun d’investir de l’argent public pour les gaz de schiste alors même que les compagnies pétrolières, à en croire leurs bilans financiers de l’année dernière, ne sont pas à plaindre. Vous avez évoqué de façon positive la DG énergie. Je regrette qu’elle s’oppose aux contrats de long terme pour les électro-intensifs notamment. C’est pourtant un débat que l’on a avec plusieurs pays européens. Sur la pétrochimie, je disais tout à l’heure en aparté à Yves Blein, qu’il y a un vrai enjeu en matière d’économie circulaire, sur les transformations et retransformations des produits dérivés du pétrole. Il faut que l’industrie pétrochimique s’en empare car je regrette que ce soit aujourd’hui en Italie que se développent un certain nombre de technologies. La France en a aussi la capacité. Pour finir un mot sur le secteur de la raffinerie française. Sans esprit perfide, je rappelle que si l’on alignait la fiscalité de l’essence sur celle du diesel, une économie de 13 milliards d’euros pourrait être réalisée sur le déficit de la balance commerciale de la France et la compétitivité du secteur du raffinage en serait particulièrement améliorée. En effet, on exporte de l’essence produite en France pour importer du diesel. Rééquilibrer la donne en matière de fiscalité aurait un effet positif pour le secteur pétrolier en France.

M. Frédéric Barbier, rapporteur. Étant élu de Sochaux, territoire de l’automobile, je pense qu’il y aurait sans doute un bon effet sur la partie fiscalité mais pas sur la partie automobile. Pour répondre à vos interrogations quant au CO2, je cite les chiffres contenus dans l’étude de l’IDDRI, pourtant peu en faveur des gaz de schiste, qui indiquent que ces derniers ont concouru à hauteur de 1,4 point à la baisse de 3,8 % de CO2 enregistrée aux États-Unis. Mais cette baisse ne tient pas compte de la production de méthane, nous sommes d’accord sur ce point. Du seul point de vue du CO2, cette baisse aux États-Unis doit être soulignée et comparée à l’absence d’une telle diminution en Europe du fait de l’utilisation massive du charbon. Sur la recherche publique, j’ai pris toutes les précautions pour expliquer qu’à titre personnel je pense qu’il ne faut jamais s’interdire la recherche, même si la loi aujourd’hui ne le permet pas.

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques. Merci monsieur le rapporteur. Je soumets maintenant au vote l’autorisation de la publication du rapport. Je rappelle que ce vote ne concerne pas le contenu du rapport mais bien seulement l’autorisation de sa publication. La synthèse qui vous a été distribuée accompagne la présentation de M. le rapporteur. Le rapport contiendra également les débats de notre commission. Si vous votez contre, le rapport ne sera pas publié. Le vote ne vaut ni approbation ni désapprobation du contenu du rapport.

Mme Delphine Batho. J’informe la Commission que je ne participe pas à ce vote.

La Commission autorise la publication du rapport sur l’impact économique de l’exploitation des gaz de schiste.

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques. La publication du rapport est autorisée. Je répète que ce vote ne vous engage pas sur le contenu du rapport. Si le vote avait été négatif, le rapport ne serait pas sorti et les commentaires qui ont été faits à son sujet n’auraient pas été publiés.

Mme Clotilde Valter. Cela signifie-t-il que la parole du rapporteur est complètement libre dans les rapports d’information ? En fait, le vote sur l’autorisation de la publication permet simplement d’ouvrir le débat.

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques. L’autorisation de publication permet de mettre ce rapport de l’Assemblée nationale à la disposition du public. Les députés ne s’expriment pas sur le contenu du rapport mais autorisent simplement sa publication.

Mme Clotilde Valter. On autorise la liberté de parole du rapporteur.

M. Frédéric Barbier, rapporteur. Je veux simplement vous dire que le rapport reprendra intégralement ce que je vous ai dit. J’assume totalement. Il n’y aura pas de scoop par rapport aux chiffres présentés. Je vous remercie pour votre participation à cette réunion.

Mme Frédérique Massat, vice-présidente de la commission des affaires économiques. Je vous remercie M. le rapporteur pour ce travail. La séance est levée.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Arkema

M. Nicolas de Warren, directeur des relations institutionnelles

Association française du gaz

M. Georges Bouchard, délégué général

M. Pascal Baylocq, président du groupe de réflexion sur les hydrocarbures de roches mères (GEP- AFTP)

Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG)

M. Marc Boudier, président

M. Jean-Baptiste Decultot, vice-président du collège Gaz

M. Arnaud Wyers, directeur d’Endesa France

Caisse des dépôts et consignations climat (CDC climat)

Mme Émilie Alberola, chef de pôle Marchés du carbone et des énergies

Mme Lise Bazalgette, en charge des affaires publiques au sein de la direction générale de la Caisse des dépôts et consignations

M. Benoît Leguet, directeur de la recherche

Mme Maria Scolan, responsable de la communication

Centre de recherche en économie & droit de l’énergie (CREDEN)

M. Jacques Percebois, directeur

Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Mme Catherine Locatelli, chercheuse

Commission de régulation de l’énergie (CRE)

M. Philippe de Ladoucette, président

Mme France de Saint-Martin, chargée de mission pour les relations institutionnelles

Direction générale de l’énergie et du climat

M. Laurent Michel, directeur général

Esso SAF – ExxonMobil Chemical France

M. Benoit de Saint Sernin, directeur des relations institutionnelles

M. Jean-François Dussoulier, directeur des affaires générales

France Nature Environnement

Mme Adeline Mathien, chargée de mission Énergie

Mme Morgane Piederrière, chargée des relations institutionnelles et du suivi législatif

GDF Suez

Mme Valérie Ruiz Domingo, directeur de la stratégie de la branche Global Gaz & LNG

Mme Valérie Alain, directeur des relations institutionnelles

GRT Gaz

M. Thierry Trouvé, directeur général

M. Julien Mintz, direction de la stratégie

Mme Agnès Boulard, responsable des relations institutionnelles

Institut du développement durable et des relations internationales (IDRRI)

M. Thomas Spencer, directeur de programme climat

M. Michel Colombier, directeur scientifique

Institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFPEN)

M. Olivier Appert, président

M. François Kalaydjian, directeur adjoint du Centre de résultats ressources

Institut français des relations internationales (IFRI)

Mme Sylvie Cornot-Gandolphe, chercheur associé, consultante en énergie, spécialiste des questions internationales

Réseau Action Climat

M. Stephen Kerckhove, délégué général – Agir pour l’environnement

Mme Sophie Bordères, coordinatrice de campagne – Agir pour l’environnement

Réseau de transport d’électricité (RTE)*

M. Hervé Mignon, directeur économie, prospective et transparence.

Société générale

M. Thierry Bros, analyste senior sur les marchés gaziers

Total*

M. Bruno Courme, directeur général Total Gas Shale Europe

M. Régis Althoffer, branche Chimie Raffinage de Total

M. François Tribot Laspière, adjoint au directeur affaires publiques France et ONG

Union des industries chimiques (UIC)

M. Jean Pelin, directeur général

M. Philippe Prudhon, directeur des affaires techniques

M. Daniel Marini, directeur des affaires économiques et internationales

Union des industries utilisatrices d’énergie (UNIDEN)

M. Claude Conrard, président de la commission Pétrole et Gaz

M. Emmanuel Rodriguez, membre du Comité directeur

M. Fabrice Alexandre, conseil de l’UNIDEN, directeur associé de Communication & Institutions

Union française des industries pétrolières (UFIP)

M. Jean-Louis Schilansky, président

M. Bruno Ageorges, directeur des relations institutionnelles et des affaires juridiques

M. Thierry Monmont, directeur exploration et production

Personnalités qualifiées

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

1 () Pour cette raison, certains spécialistes considèrent qu’il convient de parler d’« hydrocarbures de roche mère ». Néanmoins, en raison du caractère usité de l’expression « gaz de schiste », nous emploierons cette dernière dans le présent rapport.

2 () http://www.eia.gov/dnav/pet/pet_crd_drill_s1_m.htm

3 () http://www.wtrg.com/rotaryrigs.html

4 () Rapport d'information sur les gaz et huile de schiste, M. François-Michel Gonnot et M. Philippe Martin, députés, 8 juin 2011

Rapport sur les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels, M. Jean-Claude Lenoir, sénateur, et M. Christian Bataille, député, 27 novembre 2013

5 () EIA, http://www.eia.gov/energy_in_brief/article/about_shale_gas.cfm

6 () BP Statistical review of world energy, june 2013 http://www.bp.com/en/global/corporate/about-bp/energy-economics/statistical-review-of-world-energy-2013.html

7 () http://www.eia.gov/forecasts/aeo/section_issues.cfm#tight_oil

8 () Source : Pierre-René Bauquis

9 () http://www.eia.gov/about/legislative_timeline.cfm

10 () EIA, http://www.eia.gov/naturalgas/crudeoilreserves/

11 () Le btu (British thermal unit) est une unité énergétique anglo-saxone utilisée couramment pour le gaz.

1 Mbtu = 0,293 MWh

12 () Les réserves prouvées sont les quantités qui peuvent être récupérées de réservoirs existants sous les conditions techniques et économiques actuelles ; elles sont aussi connues sous le nom de 1P ou réserves dont la probabilité d’extraction est supérieure à 90 %.

13 () Les ressources techniquement récupérables sont celles qui peuvent être produites aux conditions techniques actuelles en faisant abstraction des conditions économiques.

14 () L’arrêt du fonctionnement des centrales nucléaires a rendu nécessaire le fonctionnement de centrales à gaz en substitution pour la fourniture d’électricité.

15 () http://www.eia.gov/forecasts/aeo/section_issues.cfm#tight_oil

16 () Spencer, Spencer, T., Sartor, O., Mathieu, M. (2014). Unconventional wisdom : an economic analysis of US shale gas and implications for the EU, Studies N° 02/14, IDDRI, Paris, France, 36 p.

17 () Energy prices and costs in Europe, Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Conseil économique et social et au Conseil des régions, Commission européenne, 17 mars 2014 http://ec.europa.eu/energy/doc/2030/20140122_swd_prices.pdf

18 () Energy prices and costs in Europe, Commission européenne, ibid.

19 () Impact du développement du gaz de schiste aux États-Unis sur la pétrochimie européenne, Sylvie Cornot-Gandolphe, IFRI, octobre 2013.

20 () Source : Arkema.

21 () Source : American chemistry council, http://www.americanchemistry.com/Policy/Energy/Shale-Gas/Slides-US-Chemical-Investment-Linked-to-Shale-Gas-Reaches-100-Billion.pdf

22 () Spencer, Spencer, T., Sartor, O., Mathieu, M. (2014), ibid.

23 () Source : Thierry Bros.

24 () BP Statistical review of world energy, june 2013 http://www.bp.com/en/global/corporate/about-bp/energy-economics/statistical-review-of-world-energy-2013.html

25 () IMF Country Report No. 13/237, United States, selected Issues, July 2013

26 () Spencer, Spencer, T., Sartor, O., Mathieu, M. (2014), ibid.

27 () IMF Country Report No. 13/237, ibid.

28 () BP Statistical review of world energy, ibid.

29 () Andreas Rüdinger, Commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire, 23 janvier 2014, http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cenucleaire/13-14/c1314008.asp.

30 () À titre de comparaison, 50 GW de puissance installée représentent environ 27 Fessenheim.

31 () http://www.gdfsuez.com/wp-content/uploads/2014/02/presentation-fy-2013_vf_analysteweb-diff.pdf

32 () INSEE, Fabrication de produits chimiques de base, azotés, engrais, plastiques & caoutchoucs synthétiques, nombre de postes rémunérés, http://www.alisse2.insee.fr/Fiche.jsp?p=19133595

33 () Le propylène a de nombreuses applications : béton, emballage alimentaire, pare-chocs, tableaux de bord, etc.

34 () After the US shale gas revolution, Thierry Bros, ed. Technip, août 2012.

35 () Selon l’EIA, les ressources américaines non prouvées techniquement récupérables de gaz de schiste sont de 18,6 Tm3, contre 31,2 Tm3 en Chine http://www.eia.gov/analysis/studies/worldshalegas/

36 () Ibid.

37 () Pour plus de détails sur le calcul du prix du switch, voir notamment http://www.cdcclimat.com/IMG//pdf/methodologie_tendances_carbone_fr__v8.pdf

38 () Caisse des dépôts climat recherche, Tendances carbone n° 90, avril 2014, http://www.cdcclimat.com/IMG//pdf/tc90_fr.pdf

39 () Deux mécanismes de rémunération peuvent être envisagés à ce titre : une rémunération par la CSPE après appel d’offre (sur l’exemple du cycle combiné à gaz installé en Bretagne) ou une rémunération de la capacité.

40 () Commission de régulation de l’énergie, Analyse de la compétitivité des entreprises intensives en énergie : comparaison France-Allemagne, juin 2013.

41 () Commission d’enquête sur les coûts de la filière nucléaire, 30 avril 2014, http://www.assemblee-nationale.fr/14/cr-cenucleaire/13-14/c1314058.asp#P3_562.

42 () Rapport d’information sur l’hydroélectricité (n° 1404), Mme Marie-Noëlle Battistel et M. Éric Straumann, députés, 7 octobre 2013, http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i1404.asp#P636_142780

43 () Point d’échange de gaz


© Assemblée nationale