N° 1955 - Rapport d'information de Mme Élisabeth Guigou déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des affaires étrangères sur la "Contribution de la commission des affaires étrangères au débat sur l'avenir de l'Union européenne"




N
° 
1955

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 20 mai 2014

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ETRANGÈRES

sur la contribution de la commission des affaires étrangères au débat sur l’avenir de l’Union européenne

ET PRÉSENTÉ PAR

Mme Elisabeth GUIGOU

Présidente

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SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS 5

COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA COMMISSION 7

1. Mardi 14 janvier 2014, séance de 17h, compte-rendu n° 32 : Table ronde, sur l’Union politique européenne et le contrôle démocratique avec M. Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, M. Arnaud Chneiweiss, membre de l’Observatoire européen de la Fondation Jean-Jaurès et M. Jean-Paul Tran Thiet, membre du comité directeur de l’Institut Montaigne (ouverte à la presse). 9

2. Mardi 19 février 2014, séance de 9h30, compte-rendu n° 46 : Table ronde sur l’Union politique européenne et le contrôle démocratique, en présence de M. Yves Bertoncini, directeur de Notre Europe, Mme Mathilde Bouyé, coordinatrice du pôle Europe à Terra Nova, et M. Guntram Wolff, directeur de l’Institut Bruegel  (ouverte à la presse). 27

CONTRIBUTIONS DES THINK TANKS 47

I. CONTRIBUTION DE LA FONDATION ROBERT SCHUMAN 49

II. CONTRIBUTION DE LA FONDATION JEAN JAURES 67

III. CONTRIBUTION DE L’INSTITUT MONTAIGNE 77

IV. CONTRIBUTION DE NOTRE EUROPE 95

V. CONTRIBUTION DE TERRA NOVA 127

VI. CONTRIBUTION DE L’INSTITUT BRUEGEL 143

ANNEXE : LETTRE DE SAISINE DE MME ELISABETH GUIGOU 157

AVANT-PROPOS

Sans nul doute, l’Union européenne traverse la plus grave crise de son histoire. La question de l’Europe puissance stratégique, de sa crédibilité à exercer un rôle d’envergure dans le monde multipolaire de demain, demeure ouverte. Mais surtout, ce qui semblait jusqu’alors acquis, à savoir une Europe puissance-douce, promouvant la force de la norme et non pas la norme de la force, porteuse d’un modèle juridique, social et environnemental, fondée sur la réconciliation des peuples et visant la prospérité partagée, cette idée de l’Europe a été fortement atteinte par la crise financière, économique et sociale qui l’a percutée à partir de 2008. L’Europe a vacillé jusqu’au cœur même de sa manifestation la plus politique : l’euro.

Les responsables politiques et économiques convaincus d’un destin européen commun ont été au rendez-vous pour restaurer la crédibilité externe de l’Union européenne. Malgré l’impression de tâtonnement – comment aurait-il pu en être autrement ? – la construction européenne a considérablement avancé en quelques années. Les failles profondes révélées par la crise ont été ou sont en passe d’être comblées. L’Union monétaire a été consolidée, le pilier économique, jusqu’alors atrophié, commence à être renforcé. Sous l’impulsion du Président de la République, la nécessité et l’urgence de stimuler la croissance est maintenant un objectif partagé. Il reste encore beaucoup à faire pour l’harmonisation sociale et fiscale mais et chaque pays de la zone euro et au-delà s’est engagé à agir dans un mouvement coordonné, selon des règles parfois uniques, souvent dans la douleur compte tenu des sacrifices à accomplir.

Mais dans ce temps de l’action, les citoyens ont été en partie laissés sur le bord du chemin, non par choix mais par nécessité de répondre à l’urgence, alors même qu’ils ont subi la crise et les plans de redressement de plein fouet. Et l’urgence a changé de bord : il s’agit désormais de répondre à l’urgence sociale et politique, réponse qui conditionne l’adhésion des peuples au projet européen et donc sa légitimité. Nombre de nos concitoyens ont perdu confiance en l’avenir et en la capacité des responsables politiques et de l’Europe à faire de leurs préoccupations la priorité, de leur bien-être l’horizon de l’action. Tel est l’enjeu central pour les équipes qui sortiront des urnes européennes le 25 mai.

La Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale s’est étroitement associée aux décisions et aux réflexions sur l’avenir de l’Union européenne. Elle est compétente au fond s’agissant des traités européens, qu’ils soient communautaires ou intergouvernementaux comme le mécanisme européen de stabilité, le traité sur la coordination et la gouvernance (TSCG ou traité budgétaire) ou le futur accord sur le fonds de résolution unique bancaire. Elle est également compétente pour suivre et contrôler l’action du Gouvernement en matière de politique étrangère, la politique européenne en étant une composante.

Mais au-delà de ces considérations juridiques, l’accélération de l’intégration européenne sous l’effet de la crise a posé avec une acuité accrue la question du rôle des parlements et du contrôle démocratique de l’Union européenne, question dont la Commission a souhaité pleinement se saisir. La construction européenne est un objet politique original dont le caractère démocratique procède d’une double légitimité : celle du Parlement européen, dont le rôle au sein de l’ordre décisionnel européen doit continuer à s’accentuer, et celle des parlements nationaux, qui doivent dès lors plus et mieux contrôler l’action de leur gouvernement en matière européenne. Il ne saurait y avoir de transferts de compétences, d’accroissement des contraintes sur le budget, le cœur de la souveraineté, qu’à cette condition.

Pour appréhender de manière exhaustive les insuffisances de la gouvernance européenne actuelle à chacun de ces deux niveaux de légitimité et envisager les moyens d’y pallier, des laboratoires d’idées (think tanks) ont été sollicités. Ils ont produit et présenté des contributions, en s’attachant à identifier aussi les marges de progression qui existent à traités constants, compte tenu de la fatigue institutionnelle observée en Europe et en France en particulier. En regroupant ces travaux et les échanges qui ont eu cours au sein de la Commission, le présent rapport entend mettre à disposition de tous ceux qui s’intéressent à l’Europe des analyses éclairantes et des propositions pour avancer sur la voie d’une Europe différenciée, efficace et démocratique.

Il ressort nettement de l’ensemble de ces réflexions que la légitimité de l’action européenne et sa popularité au sens noble nécessitent de mettre un terme à l’opacité et à une technicité débordante. D’une part, dès le début de la mise en place des nouvelles équipes, il faudra clarifier et rendre efficace le mécano institutionnel et l’articulation entre les niveaux de responsabilité, excessivement complexifiés ces dernières années. D’autre part, ces équipes devront démontrer leur compétence en se concentrant sur l’essentiel, dans l’intérêt général européen, et dans un esprit de collégialité qui a parfois fait défaut. Les propositions soumises se rejoignent souvent, se complètent certainement. Lisible et visible, l’Europe sera plus accessible, son rôle plus concret aux yeux des citoyens qu’elle sert et elle apparaîtra comme ce qu’elle est depuis toujours : un projet politique.

Les parlementaires nationaux devront prendre toute leur part dans ce processus de relégitimation de l’Union européenne, comme relais, vigie et moteur, en assumant leur responsabilité à l’égard du gouvernement et en prenant bonne place dans le débat public. Les enjeux nationaux, européens et internationaux, dont le traitement s’opère pour partie à Bruxelles et Strasbourg, sont nombreux, à commencer par la refonte et la préservation d’un modèle social européen, la construction d’une politique européenne de l’énergie et l’affirmation du pôle européen sur la scène internationale. La gouvernance européenne qui fait l’objet des propositions contenues et débattues dans ce rapport, n’est pas une fin en soi, mais bien l’instrument d’une ambition à remettre au goût du jour.

COMPTES RENDUS DES TRAVAUX DE LA COMMISSION

1. Mardi 14 janvier 2014, séance de 17h, compte-rendu n° 32 : Table ronde, sur l’Union politique européenne et le contrôle démocratique avec M. Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, M. Arnaud Chneiweiss, membre de l’Observatoire européen de la Fondation Jean-Jaurès et M. Jean-Paul Tran Thiet, membre du comité directeur de l’Institut Montaigne (ouverte à la presse).

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je remercie la Fondation Robert Schuman, la fondation Jean-Jaurès et l’Institut Montaigne, représentés respectivement par MM. Jean-Dominique Giuliani, Arnaud Chneiweiss et Jean-Paul Tran Thiet, d’avoir accepté mon invitation à fournir une note sur les perspectives de l’Union politique européenne, la lutte contre le déficit démocratique de l’Europe et les moyens d’améliorer le contrôle démocratique des institutions communautaires. Il a en effet paru nécessaire à notre commission, à l’approche des élections européennes, d’organiser des débats sur ces sujets, dans une optique non partisane, et de faire le point sur les propositions des différents laboratoires d’idées actifs dans ce domaine.

Les trois contributions établissent des diagnostics très proches. Toutes trois insistent sur le fait que l’Union européenne traverse la plus grave crise économique de son histoire – voire, par ricochet, la plus grave crise tout court. Elles constatent le progrès de la gouvernance économique de l’Union monétaire, qui lui a permis de sortir de la zone de graves turbulences dans laquelle elle se trouvait encore à l’été 2012. Même s’il reste beaucoup à accomplir, ce qui a été réalisé aurait été jugé inconcevable il y a encore quelques années.

Pour autant, ces progrès ne se sont pas accompagnés d’un approfondissement de la légitimité démocratique de l’Union, ce que nos invités, tout comme nous, regrettent. Il ne leur apparaîtrait toutefois pas raisonnable – et c’est aussi mon point de vue – de se lancer aujourd’hui dans un nouveau processus de modification des traités. Non seulement les douze années de négociations institutionnelles ininterrompues que nous venons de connaître n’ont pas donné de grands résultats, mais elles sont la source d’une forme de « fatigue institutionnelle ». La réforme des institutions européennes n’est donc pas de nature à apporter des réponses aux préoccupations des citoyens ni à diminuer l’écart qui se creuse entre eux et l’Union. Il est préférable de faire d’abord en sorte que l’Europe renoue avec les résultats.

Cependant, vos contributions évoquent des évolutions nécessitant une révision des traités en vigueur, tout en soulignant qu’elles ne peuvent être envisagées qu’à long terme. Mais elles mettent surtout en lumière les marges de progression dont dispose l’Union pour améliorer sa légitimité dans le cadre des institutions existantes.

Certaines de vos propositions se rejoignent. Vous préconisez par exemple une utilisation plus intense des coopérations renforcées. Plus généralement, une plus grande différenciation vous paraît constituer une solution dans une Europe à vingt-huit.

Vous êtes aussi d’accord sur la nécessité de renforcer la Commission européenne. Un des moyens serait de faire du leader du parti arrivé en tête lors des prochaines élections le nouveau président de la Commission.

Plutôt que de présenter de façon exhaustive le contenu de vos contributions, qui seront de toute façon mises à la disposition des députés, je vous invite à développer de manière précise et concrète les avancées que vous proposez dans quatre domaines.

Tout d’abord, comment améliorer le contrôle démocratique du système européen et donc sa légitimité ? Quelle place doit être donnée au Parlement européen et aux parlements nationaux ? La Fondation Jean-Jaurès propose de renforcer les pouvoirs du Parlement européen ; M. Chneiweiss nous dira de quelle façon.

Ensuite, comment améliorer la lisibilité et l’efficacité du système institutionnel, et en particulier le fonctionnement de la Commission européenne ? La Fondation Robert Schuman suggère une réforme ambitieuse destinée à accroître le rôle d’initiative et de proposition qui lui est essentiellement dévolu.

De même, comment améliorer la gouvernance et le contrôle démocratique de la zone euro ? Cette question va se poser de façon plus aiguë avec les progrès de l’intégration : une fois l’union bancaire réalisée, il faudra se diriger vers un rapprochement des politiques économiques, ce qui induira, je l’espère, une harmonisation sociale et fiscale et des moyens budgétaires augmentés. La France et l’Allemagne sont favorables à une présidence à plein-temps de l’eurogroupe. Cela peut-il suffire ?

Enfin, l’Institut Montaigne s’est intéressé à la politique énergétique européenne, laquelle constitue en effet, à mes yeux, une question cruciale sur laquelle j’aimerais connaître votre point de vue. Au sein de la commission des affaires étrangères, une mission sur les nouveaux enjeux géopolitiques de l’énergie devrait d’ailleurs nous occuper une grande partie de l’année 2014. Certains ont présenté des propositions audacieuses, telles que la création d’une Communauté européenne de l’énergie.

M. Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman. Je vous remercie de l’honneur que vous nous faites en portant intérêt à nos réflexions.

La crise économique, voire politique, que traverse l’Europe s’est accompagnée, à tort ou à raison, d’une mise en cause de l’efficacité de l’Union européenne. Elle a nourri un nouveau procès en légitimité de ses décisions, et fait apparaître plus fortement l’absence des enjeux sociaux dans les débats européens. C’est ce que nous avons traduit dans le document que vous nous avez demandé.

J’exposerai ce qui, selon nous, peut-être réalisé tout de suite pour répondre à ces trois défis – efficacité, légitimité, prise en compte des questions sociales –, puis ce qui pourrait être proposé comme perspective à moyen et long terme, avant d’aborder enfin les moyens par lesquels nous pourrions atteindre ces objectifs.

L’année 2014 est particulière pour l’Union européenne, puisqu’elle verra le renouvellement intégral de toutes les institutions – Commission, Parlement, présidence du Conseil européen, Haut représentant de l’Union pour la politique étrangère et la politique de sécurité. À la Fondation Robert Schuman, où nous estimons que l’Union européenne tire sa légitimité de l’engagement des États, que traduisent plus de dix traités, nous pensons que cette situation offre aux États membres une occasion exceptionnelle de modifier les pratiques ou le fonctionnement de certaines institutions, de façon rapide et sans changer ces traités.

En ce qui concerne la Commission, tout d’abord, nous suggérons aux chefs d’État et de gouvernement d’en réorienter l’organisation, le fonctionnement et la conduite de ses politiques à l’occasion de la nomination de son président. L’idée serait, pour les grands États – et même peut-être les petits – de lier cette nomination à l’adoption d’une sorte de cahier des charges.

La Commission européenne devrait être organisée autour de quatre ou cinq vice-présidents – responsables, par exemple, des affaires extérieures, de l’économie et des finances, des affaires intérieures et de l’environnement – qui auraient autorité sur tous les services. Une telle organisation ne remettrait pas en cause le fonctionnement collégial de la Commission, dans la mesure où chaque commissaire conserverait son droit de vote, mais elle serait susceptible d’améliorer la participation de cette institution à la relance de l’activité économique et de mieux coordonner les politiques économiques qu’elle insuffle.

La politique de communication nous semble par ailleurs devoir être entièrement revue. Les commissaires, comme les grands responsables politiques nationaux, doivent impérativement assumer la parole de l’institution et non la déléguer – surtout à des fonctionnaires pouvant facilement être mis en difficulté. Quelques règles de base devraient par ailleurs être rappelées, comme le fait de ne communiquer que lorsque l’on a quelque chose à dire, afin d’éviter de déraper sur des sujets mineurs. Enfin, il convient d’établir des priorités dans le travail de la Commission, dans sa communication et dans la conduite et la présentation de ses politiques. La Commission dispose de compétences extrêmement larges, qui vont de la protection du grand hamster d’Alsace à la politique de concurrence. Il n’est pas nécessaire de les mettre toutes sur le même plan devant l’opinion publique.

Notre document contient d’autres propositions, parfois très détaillées, sur le fonctionnement de la Commission. Certaines pourraient immédiatement être mises en œuvre sous l’impulsion de son président, dès lors que celui-ci aurait accepté le cahier des charges.

J’en viens ensuite à la fonction parlementaire, au sein de l’Union ou dans les États membres. La politique législative du Parlement européen s’améliore incontestablement d’année en année. D’ailleurs, si aujourd’hui le droit d’initiative appartient exclusivement à la Commission, nous envisageons à plus long terme qu’il soit partagé avec le Parlement. Mais cette politique législative doit faire l’objet de priorités, car elle donne le sentiment – d’ailleurs en partie justifié – d’être excessive, les réglementations européennes venant s’ajouter aux réglementations nationales, parfois pour les contredire.

Au niveau européen, une procédure s’apparente à celle de la navette parlementaire : le « trilogue » entre le Parlement, le Conseil et la Commission, qui permet d’aboutir à des compromis. Or elle ne nous paraît pas suffisamment transparente. Elle ne repose que sur une personnalité – certes compétente –, le rapporteur, mais n’est pas satisfaisante sur le plan démocratique.

Par ailleurs, nous jugeons nécessaire de créer une sous-commission au sein de la commission des affaires économiques et monétaires afin de s’occuper du contrôle parlementaire de la zone euro. Elle serait susceptible de travailler avec les parlements nationaux.

S’agissant de ces derniers, nous souhaiterions vivement une traduction concrète de l’article 13 du Pacte budgétaire européen, qui offre aux parlements nationaux des pays signataires la possibilité de s’organiser pour contrôler la mise en œuvre du traité. À cet égard, la réunion qui s’est tenue cet automne à Vilnius n’a débouché sur aucune décision. Or il nous paraît important que les commissions parlementaires intéressées – celles des finances, des affaires étrangères ou des affaires européennes, selon le choix de l’assemblée concernée – se réunissent régulièrement afin d’évoquer la situation de la zone euro, surtout si cette dernière est amenée à s’intégrer davantage.

En raison de mon expérience de dix-sept ans au sein d’une autre assemblée parlementaire, je sais quel énorme bénéfice il est possible de tirer de la coopération entre les commissions des parlements nationaux de l’Union. J’estime que les assemblées françaises n’y ont pas suffisamment recours. Un rapporteur budgétaire de l’Assemblée nationale ne devrait pas accomplir son travail sans prendre l’attache de son homologue allemand ou britannique, par exemple, ne serait-ce que pour porter à la connaissance de ses collègues la vision différente susceptible d’être adoptée au-delà d’une frontière, ou au contraire les éventuelles convergences avec certains pays.

Enfin, j’ai bien noté, madame la présidente, les efforts réalisés par votre commission pour travailler avec les institutions européennes. Je sais que le président Mario Draghi, ainsi que plusieurs commissaires européens, a été reçu en ces lieux, et je crois que les parlementaires en ont été profondément satisfaits. Il faut absolument multiplier ce type d’initiatives, ce que les représentants des institutions européennes ne peuvent refuser.

Parmi les mesures qu’il serait possible d’envisager immédiatement se trouve la fusion de la présidence de la Commission avec celle du Conseil européen. Les chefs d’État et de Gouvernement en ont la possibilité juridique. Certes, une telle décision entraînerait toute une série de questions concernant l’équilibre institutionnel de l’Union européenne, mais elle constituerait un événement et permettrait de donner à l’Union une voix unique.

De même, nous proposons de rapprocher les règles d’indemnisation du chômage applicables dans les pays européens. Il nous paraît possible de présenter rapidement à nos concitoyens un mécanisme fondé sur la reconnaissance mutuelle de ces règles, voire sur leur harmonisation lorsque cela est possible.

Par ailleurs, les questions de la mobilité des travailleurs et de la portabilité de leurs droits ont été délaissées au cours des dernières années. Or elles peuvent faire l’objet d’avancées concrètes susceptibles d’être reconnues immédiatement par les citoyens.

Enfin, le renouvellement des institutions européennes en 2014 peut également être l’occasion d’aborder la question de la représentation extérieure de l’Union et de la coordination entre la Commission et le nouveau service diplomatique commun. Celui-ci, après des débuts difficiles, commence à enregistrer des résultats extrêmement positifs. Ainsi, sur l’Iran, Mme Ashton, pourtant très critiquée, a joué un rôle déterminant. Il en est de même au Kosovo – les Serbes et les Kosovars se parlent désormais –, en Somalie et dans certains États faillis. Enfin, l’Union joue un rôle important en Afrique en termes d’aide humanitaire et de développement. Cette politique représente près de 12 milliards d’euros de dépenses par an, dont 8 milliards dépendent directement de la Commission, sans que le service diplomatique ait vraiment son mot à dire. Quant aux 3 milliards du Fonds européen de développement, ils sont cogérés par la Commission et les États. Une meilleure coordination nous paraît donc nécessaire.

Nos propositions à moyen et long terme, sur lesquelles je ne m’attarderai pas, concernent notamment la composition de la Commission européenne. Il nous paraît nécessaire de modifier la règle selon laquelle un commissaire est nommé pour chaque membre de l’Union et de mieux prendre en compte le poids respectif de ces États au sein de l’exécutif communautaire. Ainsi, nous regrettons que, depuis le Traité de Nice, la France et les autres grands pays de l’Union ne puissent plus désigner deux commissaires.

S’agissant de la politique de concurrence, une modification des traités devrait conduire à ce que la Commission renonce à un strict juridisme et prenne mieux en compte les impératifs de la concurrence au niveau mondial en permettant l’émergence de grands champions européens.

Quant à l’élection du président de la Commission au suffrage universel, elle nous paraît relever d’une perspective lointaine, même si la CDU et d’autres organisations sont favorables à une telle avancée.

Par ailleurs, le Parlement européen devrait pouvoir partager avec la Commission – qui, pour le moment, en a le monopole –, voire avec le Conseil, un droit d’initiative législative européen. Ce serait peut-être l’occasion d’introduire les parlements nationaux dans le jeu institutionnel.

Enfin, non seulement nous sommes bien sûr favorables à la nomination d’un président de l’eurogroupe, mais nous souhaiterions que la réorganisation de la Commission soit l’occasion de nommer un véritable « ministre » de la zone euro, soutenu par un secrétariat général, dont l’absence, aujourd’hui, se fait cruellement sentir.

Comment parvenir à ces résultats ? Comme vous, madame la présidente, nous ne jugeons pas souhaitable, dans le contexte européen actuel, de mettre en avant les modifications institutionnelles, ce qui reviendrait à vouloir à nouveau échapper à nos responsabilités. Il faut donc demander, dès cette année, des changements pratiques et concrets, dont les résultats pourraient être sensibles dès le début de l’année 2015. De cette façon, nous prendrions en compte les préoccupations que les citoyens font remonter vers nous.

Il faut une politisation, au sens le plus noble du terme, de l’action des institutions européennes, car nous avons le sentiment – parfois injuste – qu’une technocratie administrative dirige aujourd’hui l’Union.

Cette évolution passe par la différenciation. Nous ne pouvons pas avancer dans l’intégration à vingt-huit, mais inciter certains membres à réaliser des progrès de façon à montrer l’exemple.

Avant tout, nous pensons au noyau franco-allemand. Même si chaque alternance, d’un côté comme de l’autre du Rhin, est l’occasion d’apprentissages lents et difficiles en ce domaine, le temps nous semble venu de relancer la relation franco-allemande, d’autant que, au plus haut niveau, les autorités de l’un et de l’autre pays sont en place pour au moins trois ou quatre années.

Certes, nos différences sont réelles ; vous y avez d’ailleurs été confrontée, madame la présidente, lorsque vous exerciez des fonctions ministérielles. A priori, nous ne sommes jamais d’accord avec notre grand partenaire. Raison de plus pour se parler le plus souvent possible ! Le président Valéry Giscard d’Estaing a appelé un jour à parvenir à une « intimité politique » entre la France et l’Allemagne. Cela implique d’établir une proximité et de parler de tout. C’est sans doute le seul moyen de trouver des compromis, ce que l’on peine à faire aujourd’hui. Le noyau franco-allemand – ouvert à d’autres, naturellement – peut, par l’exemple, non seulement redonner une nouvelle impulsion à l’action européenne dans le cadre des traités actuels, mais aussi offrir des perspectives à nos concitoyens, ce que nous n’avons pas réellement su faire depuis le traité de Maastricht.

M. Arnaud Chneiweiss, membre de l’Observatoire européen de la Fondation Jean-Jaurès. C’est un honneur pour moi de partager avec vous les réflexions de la Fondation Jean-Jaurès sur l’Union politique en Europe. Comme vous l’avez rappelé, madame la présidente, notre contribution compte de nombreux points communs avec celles de la Fondation Robert Schuman et de l’Institut Montaigne. J’irai donc à l’essentiel.

Notre premier message est que la relance du rêve européen doit passer par une Europe à plusieurs vitesses. Notre ambition, en effet, ne peut que dépendre du cercle dans lequel elle s’inscrit : ainsi, dans une Europe à vingt-huit, l’aspiration à l’intégration est nécessairement plus modeste. Les ambitions, en termes d’harmonisation fiscale et sociale, ou de politique de la défense, par exemple, sont plus réduites dans un tel format, d’autant que l’Union européenne a encore vocation à s’élargir à certains pays des Balkans ou de l’ex-Yougoslavie, passant ainsi à trente, voire à trente-cinq États membres.

Spontanément, c’est dans le cadre de la zone euro – l’exemple le plus emblématique d’une coopération renforcée – que la réflexion est la plus active. Mais cet ensemble comprend tout de même dix-huit États membres, et on peut s’interroger sur le degré d’ambition que nous pourrions partager avec, par exemple, nos amis lettons ou chypriotes. Il faut donc partir d’une avant-garde – pour reprendre l’expression de Joschka Fischer lorsqu’il était ministre allemand des affaires étrangères –, celle constituée par tous les pays de la zone euro qui le souhaiteront.

Deuxième message : s’il est tentant de faire de l’Europe et de l’euro un bouc émissaire, en raison de la panne de croissance que nous connaissons depuis 2008, la Fondation Jean-Jaurès estime au contraire que nous avons besoin de plus d’Europe, de plus d’intégration. C’est de cette façon que nous pourrons surmonter une grande partie de nos difficultés.

Ainsi, nous regrettons l’absence d’une politique de change au sein de la zone euro, seule zone monétaire à avoir oublié l’existence de cet instrument, ou du moins à avoir renoncé à en faire usage. Or, compte tenu de la situation conjoncturelle de l’économie européenne, le taux de change de l’euro nous semble surévalué par rapport aux principales devises.

Par ailleurs, il est nécessaire de parvenir à une meilleure harmonisation fiscale. Certes, le principe de subsidiarité doit être respecté, mais chaque fois que l’échelon européen paraît le plus pertinent – et c’est bien le cas en matière de régulation financière, notamment pour ce qui concerne la taxe sur les transactions financières –, il faut favoriser l’intégration.

Reste à déterminer la méthode à suivre pour y parvenir, ce qui implique de faire ces deux constats lapidaires : les agences fédérales, ça marche ; la coopération intergouvernementale, ça ne marche pas, du moins pas dans une Europe à vingt-huit.

Parmi les exemples d’agences fédérales qui fonctionnent, on peut citer la Banque centrale européenne. Certes, son action peut faire l’objet de critiques, être jugée trop lente, par exemple. Mais nous pensons que, pendant la crise exceptionnelle que nous avons vécue depuis 2008, elle a été à la hauteur de ses responsabilités, même si l’on pourrait souhaiter que son mandat englobe plus explicitement les questions d’emploi et de croissance.

Un autre exemple est la politique de la concurrence, confiée à la Commission, agence fédérale par excellence. Là encore, on peut critiquer le manque de champions européens, et regretter certaines décisions relatives aux aides d’État. Il reste que des décisions sont justement prises et que cette institution fonctionne.

Un dernier exemple est la Cour de justice de l’Union européenne, dont les arrêts nous déplaisent parfois – dans le secteur de l’assurance, l’un d’entre eux a conduit de fait à majorer les cotisations versées par les jeunes conductrices, au nom de l’égalité entre hommes et femmes –, mais qui fait ce que l’on attend d’elle.

À l’inverse, la coopération intergouvernementale ne marche plus, du moins avec vingt-huit États membres. Sans doute a-t-elle fonctionné à six, à neuf, à douze, ou même à quinze – une configuration que j’ai connue lorsque je travaillais dans un cabinet ministériel, aux côtés de Dominique Strauss-Kahn et de Laurent Fabius. Mais, de fait, une union composée de vingt-huit pays ne peut que sombrer dans l’enlisement. C’est le triomphe de la vision britannique, qui considère avant tout l’Europe comme un grand marché dépourvu d’ambitions. On ne parvient pas à trouver des consensus, ou bien, quand on y parvient enfin, ils ne sont plus d’actualité.

Dès lors, deux voies sont possibles. On peut, au nom de l’efficacité, développer les agences fédérales, par exemple en renforçant la Banque européenne d’investissement et en créant un institut européen pour mieux coordonner les politiques budgétaires. Mais cela pose aussitôt la question du contrôle démocratique : on s’exposerait alors à relancer les accusations de dérive technocratique portées contre l’Europe.

Pour éviter cet écueil, une autre voie consisterait à conserver la méthode de la coopération intergouvernementale, mais à condition, alors, de développer le vote à la majorité qualifiée. En effet, compte tenu de l’organisation actuelle, tout progrès en matière de fiscalité de l’épargne, par exemple, est bloqué par le Luxembourg, et toute tentative de modifier la fiscalité des entreprises, par l’Irlande. Depuis quinze ou vingt ans, les entreprises se localisent en Irlande pour bénéficier d’un taux d’impôt sur les sociétés de 12,5 %. Même le fait d’avoir sauvé ce pays lors de la crise économique n’a pas conduit à remettre en cause ce dumping fiscal.

Bien sûr, l’adoption du vote à la majorité qualifiée signifie que la France pourrait, un jour, être mise en minorité. Sommes-nous prêts à en accepter les conséquences ?

Notre conclusion principale est donc qu’il faut développer l’Europe à plusieurs vitesses. Quel que soit le nom – avant-garde, noyau dur – donné aux États membres souhaitant se différencier des autres, il faut reconnaître l’existence de différents cercles. Nous ne regrettons pas l’élargissement de l’Union aux pays de l’Europe centrale et orientale. D’une certaine façon, les dérives que connaissent certains pays comme la Hongrie montrent que les vieux démons n’ont pas entièrement disparu et qu’il est donc très important d’ancrer ces nouveaux membres dans nos valeurs démocratiques. On peut donc admettre de nouveaux élargissements, mais faute d’approfondissement, une extension à trente ou trente-cinq pays se traduirait par la dilution de l’Union.

C’est pourquoi les réflexions se concentrent spontanément sur la zone euro. Nous avons ainsi lu avec beaucoup d’intérêt le document publié par des économistes allemands, le groupe de Glienicke, intitulé : « Vers une union de l’euro ». Une fois de plus, après l’appel de Wolfgang Schaüble et Karl Lamers à constituer un « noyau dur », et celui de Joschka Fischer en faveur d’une « avant-garde », ce sont nos amis allemands qui prennent l’initiative en proposant des intégrations renforcées. Saisissons, cette fois-ci, l’occasion d’entamer un dialogue sérieux sur le sujet.

La zone euro doit s’intégrer davantage. J’ai déjà évoqué la nécessité d’une politique de change, mais il faut également procéder à une harmonisation fiscale, au moins pour faire converger les assiettes quand la matière est facilement délocalisable. De même, nous devons aller vers une harmonisation sociale, même si l’on sait – et Mme la présidente plus que beaucoup d’autres – combien c’est difficile.

Par ailleurs, la zone euro doit s’affirmer sur la scène internationale. Comment se fait-il que les pays membres se présentent en ordre dispersé au sein du Fonds monétaire international, plutôt que d’y envoyer une représentation unique ? Les statuts de l’institution précisent que son siège est situé sur le territoire de son principal actionnaire. Or, si les pays de la zone euro fusionnaient leur représentation, ils se retrouveraient justement dans cette situation et auraient toute légitimité à réclamer l’installation du siège du FMI en Europe.

Toutefois, comme je l’ai rappelé en introduction, une zone euro comprenant dix-huit pays est encore bien large. S’ils doivent tenter d’accroître leur intégration – à cet égard, nous approuvons l’idée de créer une sous-commission ad hoc au sein du Parlement européen, devant lequel un président de l’eurogroupe nommé à plein-temps devrait rendre des comptes –, les déboires récents connus par Chypre ont montré combien les cultures des pays ayant adopté l’euro pouvaient demeurer différentes. C’est donc peut-être au sein d’un cercle encore plus restreint, et bien évidemment en se fondant sur le moteur franco-allemand, que nous sommes susceptibles de faire des progrès décisifs en matière d’union politique. Outre la fiscalité, il existe de nombreux domaines dans lesquels une politique commune pourrait être adoptée, et de nombreuses organisations internationales au sein desquelles une position commune pourrait être présentée. En matière d’aide au développement, par exemple, nos points de vue sont-ils si différents ? Dans les pays où nous avons peu d’intérêts stratégiques, ne pourrions-nous pas partager des ambassades ?

Beaucoup reste à faire, cependant, pour relancer le moteur franco-allemand. De part et d’autre du Rhin, aucune élection législative ne devrait avoir lieu pendant les années à venir : espérons, dès lors, que de belles initiatives pourront être prises.

M. Jean-Paul Tran Thiet, membre du comité directeur de l’Institut Montaigne. Vous avez pu constater, en comparant nos contributions, qu’il existe de nombreux points de convergence entre nous. Je me contenterai donc de compléter les propos précédents et de souligner certaines nuances.

J’évoquerai peu les institutions, un domaine dans lequel l’Institut Montaigne manque d’expertise et donc de légitimité pour s’exprimer. Mais j’insisterai sur la nécessité de refonder le projet européen, afin que de nouvelles politiques communes lui redonnent un nouveau souffle.

Depuis 1958, l’Europe a adopté une politique agricole commune, instauré une union douanière, installé les prémices d’une union économique et monétaire, réalisé le grand marché unique, créé l’euro, mais, depuis vingt ans, elle n’a rien fait.

Certes, je caricature : en réalité, certaines choses ont été faites, de nombreux textes ont été adoptés, on a fait progresser le troisième pilier – en partie à l’initiative de Mme la présidente, lorsqu’elle était garde des sceaux. Mais ces avancées s’adressent aux catégories sociales supérieures, c’est-à-dire à une petite partie de la population, et elles parlent assez peu à l’électeur moyen. Sans une refondation du projet européen, la construction européenne risque donc de perdre son souffle, ou plutôt de ne pas le retrouver.

Dans cette perspective, les institutions sont un moyen et non une fin. Or, à l’Institut Montaigne, l’idée d’une relance de la querelle institutionnelle nous fait un peu peur.

Les orateurs précédents ont déjà cité des exemples de domaines sur lesquelles cette refondation pourrait s’appuyer. L’énergie en est un, et faisait d’ailleurs, avec le traité Euratom, partie des politiques européennes clairement identifiées – ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

En matière économique et budgétaire, il convient également de progresser dans la voie déjà tracée, y compris dans des domaines aussi controversés que la fiscalité. Peut-être faudrait-il, dans un premier temps, harmoniser les assiettes avant de penser aux taux. Une assiette commune pour l’impôt sur les sociétés serait déjà un progrès considérable.

Il en est de même en matière de diplomatie et de défense. L’image que donne l’Europe lors de chaque intervention des forces françaises sur des théâtres extérieurs est catastrophique, pour les citoyens européens comme pour le reste du monde. Nous souffrons par ailleurs d’une dispersion de nos efforts diplomatiques et consulaires. Je compte beaucoup d’amis dans la diplomatie, qui se plaignent à juste titre d’une paupérisation du Quai d’Orsay. Pourquoi, dès lors, ne pas mettre des moyens en commun, en commençant par fusionner certains services consulaires ? L’Institut Montaigne fait cette proposition depuis au moins une douzaine d’années. On me rétorque que c’est impossible, en raison des différences de législations en termes d’état civil, par exemple. Et alors ? Dans ma profession, je peux m’appuyer sur une équipe comprenant des spécialistes français, polonais, espagnols, capables de résoudre sans difficulté des problèmes juridiques transnationaux !

Enfin, l’absence de politique européenne dans les domaines de la sécurité et de l’immigration constitue un scandale politique et humanitaire, car elle conduit à faire n’importe quoi. Les drames qui surviennent régulièrement en Méditerranée ne devraient pas être possibles en Europe.

De nombreux projets peuvent donc être mis en place sans pour autant modifier les institutions. Il faut « faire de l’Europe » à géométrie variable et de l’Europe de projets, et il faut même être prêt à bousculer les traités européens. De fait, le mécanisme de la coopération renforcée, par exemple, a été conçu pour ne pas fonctionner : les conditions qu’il prévoit en termes de quorum et de majorités sont si difficiles à remplir qu’il n’a été employé jusqu’à présent que pour le brevet et le divorce. Il faut donc mettre en œuvre la coopération renforcée avec un nombre d’États inférieur à ce que prévoient les traités. Ainsi, pour l’espace Schengen, trois États ont décidé d’alléger les contrôles aux frontières : la Commission européenne les a menacés d’une procédure d’infraction au motif qu’ils empiétaient sur ses prérogatives, mais le projet a eu un tel succès que tous les autres États ont voulu le généraliser. Dans le domaine de l’énergie comme dans ceux de la politique diplomatique et de sécurité, de l’intégration économique et budgétaire et de l’intégration fiscale, il faut, pour relancer les projets européens, que quelques États membres – moins de huit – les rendent crédibles et leur donnent du corps.

Cela suppose aussi d’accepter des partages de souveraineté. Nous ne ferons rien, en effet, si chacun se cantonne à son territoire et à ses compétences. J’en donnerai deux exemples.

Dans le domaine de l’énergie, tout d’abord, la déclaration qui conclut la plupart des sommets européens précise que la détermination du bouquet énergétique est une décision qui relève de la souveraineté nationale et dans laquelle l’Europe n’a rien à voir. Tant qu’on en restera là, aucune politique de l’énergie ne sera possible : chacun fait ce qu’il veut sans même se rendre compte que ses décisions dans ce domaine ont un impact sur ses voisins. Tant qu’on refusera la souveraineté partagée – laquelle signifie du reste « souveraineté retrouvée », car les marges de manœuvre y sont plus importantes –, les projets ne pourront pas progresser.

Le deuxième exemple est très polémique : dans une récente interview, le dirigeant d’une entreprise très connue dans le domaine des industries de défense déclarait, en réponse à une question sur les activités européennes de son entreprise, qu’« on n’oblige pas des ingénieurs à travailler ensemble ». Mais ne peut-on pas le faire lorsque les produits qu’ils fabriquent sont payés essentiellement par des fonds publics ?

Enfin, il est choquant que certains considèrent la Commission européenne comme une agence fédérale et n’acceptent plus de lui reconnaître un rôle politique. Peut-être la Commission elle-même est-elle responsable de cette situation, du fait de la politisation de ses décisions et du nombre excessif des commissaires, ou parce qu’elle est sûre de remplir sa salle de presse quand elle inflige une amende de plusieurs centaines de millions d’euros, qu’elle privilégie de telles actions par rapport à son rôle politique, mais peut-être aussi les États ne sont-ils pas prêts à accepter une instance politique qui serait plus qu’une agence.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je souhaiterais également connaître vos réflexions sur la politique de la concurrence et sur les actions possibles dans le domaine social.

M. Avi Assouly. Outre les améliorations dans le fonctionnement des institutions, il faut proposer des politiques européennes qui pourraient affecter la vie de nos concitoyens, notamment européens – je pense particulièrement à la formation et à l’emploi. Le projet européen visant à retrouver la confiance des citoyens doit se traduire par des opportunités professionnelles et s’adresser en priorité aux jeunes. La garantie jeunesse qui a été créée, dotée de 6 milliards d’euros mobilisables en 2014 et 2015, est une excellente chose à cet égard, mais il faut parallèlement mettre en place des dispositifs qui répondront sur le long terme aux défis de l’emploi.

J’ai relevé trois idées intéressantes. La première est la poursuite du développement des programmes Erasmus pour les jeunes, notamment pour les apprentis, car Erasmus ne doit pas être seulement une respiration dans un parcours étudiant, mais aussi la possibilité de se former d’une manière différente et d’élargir les débouchés. La deuxième est l’accroissement de la mobilité des travailleurs, qui suppose aussi d’avancer dans l’harmonisation et dans la reconnaissance des formations. La troisième est la création d’un mécanisme d’indemnisation du chômage qui pourrait ne concerner que la zone euro. Cette piste avait été évoquée par la France dans le cadre des contrats de compétitivité et de croissance.

Qu’est-il possible et souhaitable de faire dans ces directions pour renforcer chez les citoyens le sentiment d’appartenir à un espace commun ?

Enfin, vous avez tous les trois proposé de fusionner la présidence de la Commission européenne avec celle du Conseil européen, la Fondation Schuman précisant même qu’un accord institutionnel serait insuffisant à cette fin et qu’il serait nécessaire de modifier les traités. Quelles sont les chances de voir cette évolution aboutir et, le cas échéant, à quel terme ?

M. Jean-Paul Dupré. Une harmonisation économique, fiscale et sociale au sein de l’Union européenne est impérative.

Quels ont été les effets des exigences imposées par l’Union européenne aux États de la zone euro en matière de réduction des déficits ? Constate-t-on une amélioration économique et sociale réelle dans les pays concernés ? Enfin, vers quel avenir la Grèce s’oriente-t-elle ?

M. Boinali Said. L’Europe est souvent confrontée à des défis en termes de solidarités internationales et de gestion des conflits. Quel est votre point de vue sur le contrôle démocratique de la politique extérieure européenne en cas de conflit ou d’urgence, comme en Afrique aujourd’hui ?

Mme Chantal Guittet. On peut craindre que le prochain scrutin européen ne soit marqué par des records d’abstention et par une montée des extrêmes, ce qui prouve qu’un fossé démocratique ne cesse de se creuser. Savez-vous ce que M. Hollande et Mme Merkel avaient à l’esprit lorsqu’ils ont appelé à l’émergence d’une union politique dont ils n’ont pas précisé les contours ? Une telle union pourrait-elle rendre l’Europe plus attractive pour nos concitoyens ?

Pour ce qui est de l’Europe de l’énergie, qu’en est-il du partenariat entre l’Union européenne et la Russie, qui est parvenu à échéance en 2007 et n’a toujours pas été renouvelé, du fait notamment des difficultés liées à Gazprom ?

Enfin, le Conseil européen a engagé une réflexion sur l’ouverture de l’Europe en vue d’améliorer sa croissance économique, et des accords ont été conclus avec plusieurs partenaires, dont la Corée du Sud, le Canada et le Japon, mais les négociations multilatérales restent bloquées. Le « plurilatéral » dont on parle aujourd’hui est-il une bonne solution pour assurer à l’Europe un accès aux marchés émergents comparable à celui que nous accordons aux entreprises issues de ces marchés ?

M. Jean-Louis Destans. Les trois exposés que nous venons d’entendre sont un peu désespérants : entre le choix d’une Europe faite d’agences – dont la Commission est la principale –, efficaces, mais qui éloignent l’Europe des citoyens, et l’impossibilité de prendre des décisions au moyen de majorités qualifiées, on ne voit guère comment avancer. Vous avez pourtant rappelé que, sur certains sujets – des projets industriels ou des politiques telles que celle qui a présidé à la mise en place du dispositif de Schengen –, la volonté politique permettait de dépasser les blocages politiques et institutionnels, même si certains pays, souvent petits, profitent parfois de l’Europe pour se constituer des niches financières, fiscales, économiques ou industrielles sans que les grands pays réagissent. La personnalité des dirigeants actuels permet-elle d’espérer que le couple franco-allemand exprimera, au-delà des discours, une volonté politique assez forte en ce sens ?

M. Jean-Dominique Giuliani. Monsieur Destans, l’important est que la France et l’Allemagne aient systématiquement envie de cohabiter pour convaincre. Comme l’a montré un documentaire diffusé sur Arte, Helmut Schmidt et Valéry Giscard d’Estaing entretenaient une relation qui était devenue amicale bien qu’ils ne fussent pas du même bord politique : ils se téléphonaient plusieurs fois par semaine – comme le faisaient aussi, du reste, le président Mitterrand et Helmut Kohl – pour aborder des sujets très divers. Dans un tel contexte, lorsque la France décide, par exemple, d’intervenir en Centrafrique, son partenaire allemand doit être dans la confidence, même si on ne lui demande pas son avis – ce qui n’a du reste pas été le cas en l’espèce et ne l’a pas non plus été, depuis quelque temps, sous le mandat d’autres présidents.

Cette volonté forcée de proximité peut renforcer nos positions dans un dialogue franco-allemand marqué depuis toujours par de nombreuses divergences. Sans une telle « intimité », les décisions sont impossibles, car ces décisions peuvent consister en des compromis plus ou moins favorables selon les circonstances. Le débat public est à cet égard contre-productif et un dialogue plus étroit permettrait à chacune des deux parties de découvrir un partenaire autre – et plus intéressant – que ce que la presse en dit. Cette relation privilégiée est un impératif catégorique pour la défense de nos intérêts nationaux.

Madame Guittet, l’accord commercial conclu avec la Corée s’est révélé très favorable, en particulier pour les entreprises françaises. L’Union européenne a conclu trente-deux accords commerciaux bilatéraux qui correspondent à nos intérêts compte tenu de la structure de notre commerce extérieur, aujourd’hui déficitaire. Les exportations françaises dépendent en effet pour 40 % des produits importés. L’ouverture des marchés est donc vraiment dans l’intérêt de l’Europe.

Certains points sont plus difficiles, comme le projet d’accord avec les États-Unis, intervenu dans des conditions un peu suspectes alors que la Commission européenne était en fin de mandat et dont je ne suis pas sûr qu’il préserve pleinement nos intérêts. L’accord avec la Corée, en revanche, plus favorable pour la France que pour d’autres partenaires, a permis à L’Oréal une percée extraordinaire dans ce pays et a fait entrer des firmes d’avocats et des banques françaises sur le marché coréen, qui est l’un des plus dynamiques d’Asie.

Monsieur Said, contrairement à ce qu’ont pu laisser entendre mes collègues, la politique étrangère et la politique de défense européennes ne peuvent progresser que par une coopération intergouvernementale, prélude à des développements communautaires ultérieurs. Des questions qui, dans le domaine militaire, concernent la vie et la mort des soldats ne sauraient relever d’un organisme collégial ou d’une agence fédérale. Si la coopération en la matière peut être renforcée, elle n’en doit pas moins rester de la compétence des États. À cet égard, pour ce qui est des problèmes migratoires en Méditerranée, je me fie davantage à la marine française qu’à l’agence Frontex. De fait, et à l’exception de la Banque centrale européenne, les agences fédérales européennes, faute de mandat clair et d’une autorité leur permettant d’exercer leurs missions, coûtent plus cher qu’elles ne rapportent. Durant les trois ans où j’ai été conseiller spécial de M. Jacques Barrot, vice-président de la Commission européenne chargé successivement des transports et des migrations, le fonctionnaire français que j’étais a été choqué par l’inefficacité de certaines de ces agences. Tout cet édifice est en construction.

Le débat entre politiques communautaires et Europe des nations est largement dépassé et nous devons adopter un pragmatisme absolu. Pourquoi ne pas recourir, comme cela a été le cas lors de l’adoption du traité budgétaire pour contourner l’opposition de certains États, dont la Grande-Bretagne, à un accord intergouvernemental, si difficile que soit cette démarche ? Le plus important est en effet de répondre aux besoins.

Monsieur Dupré, l’harmonisation fiscale est le prochain dossier qu’il faudra, à quelques-uns, faire avancer. Sous le précédent quinquennat, la chancelière allemande et le Président de la République avaient annoncé que leurs pays appliqueraient un taux identique d’impôt sur les sociétés au 1er janvier 2013. Il semble que, depuis, les ministères des finances aient oublié ce dossier. Pourtant, l’objectif paraît particulièrement important.

La proposition de fusionner la présidence du Conseil européen et de la Commission européenne figure dans le document rédigé par la Fondation Schuman, mais je ne crois pas que cette fusion se fera. Nous voulions cependant montrer que nos dirigeants, qui se plaignent que l’Europe ne puisse faire entendre une voix unique, avaient la possibilité de le décider.

Monsieur Assouly, dans le domaine de l’emploi et de la formation, notre fondation a en effet proposé d’ouvrir une porte nouvelle aux partenaires sociaux au sein des institutions européennes : ces acteurs pourraient, dans le cadre d’un groupe restreint d’États fondateurs, imaginer ce que pourrait être un régime minimal d’indemnisation du chômage en Europe. Les autorités politiques ne pourraient sans doute pas résister à un accord associant trois ou quatre pays significatifs.

Je conclurai en soulignant que la fondation Schuman est par nature optimiste et que, malgré les moments difficiles qu’elle a traversés, le bilan qui se dégage de l’histoire de l’Europe est positif. Nous n’étions pas prêts à affronter cette crise, car nous n’avions pas parachevé ce que nous devions faire depuis vingt ans, mais cette crise démontre précisément que, lorsque l’urgence est à nos portes, nous savons répondre. Ainsi, les avancées réalisées dans la crise sur le plan économique et en matière de gouvernance auraient été impensables avant la crise, notamment pour nos partenaires allemands. Sur le plan de la défense, monsieur Said, en cas de crise grave en Europe, nous avancerions beaucoup plus vite.

M. Arnaud Chneiweiss. Je peux souscrire à bien des égards au constat désespérant dressé par M. Destans. De fait, le désenchantement prévaut quant au projet européen, alors que nous avons longtemps vu dans l’Europe la projection de nos ambitions nationales. Les acquis semblent naturels – paix sur le continent, marché européen et libre circulation dans l’espace Schengen. Il nous semble aller de soit que nos enfants fassent des études dans d’autres pays européens dans le cadre du programme ERASMUS, ce qui n’avait rien d’évident voilà vingt ans, et il nous paraît banal d’avoir des euros dans nos poches. Or, depuis l’euro, une grande fatigue se manifeste, alors que l’euro aurait dû être un point de départ et que nous savions bien que l’union monétaire devait être suivie d’autres partages de souveraineté pour une meilleure coordination budgétaire et une meilleure harmonisation fiscale. Lors du traité de Maastricht, deux grandes négociations étaient en cours. L’une, sur l’union économique et monétaire, a abouti. L’autre, sur l’union politique, a largement échoué. La crise de 2007-2008 nous a conduits à corriger l’union économique et monétaire, avec notamment la supervision bancaire et une meilleure coordination budgétaire.

Madame Guittet, la reconstruction d’un projet politique ambitieux doit se faire en cercle restreint – et il n’y a pas à cet égard d’alternative au couple franco-allemand. Combler le fossé démocratique suppose de la part de nos dirigeants, comme l’a souligné M. Giuliani, une grande « intimité », une sorte de rage de mieux connaître notre partenaire allemand, afin d’inventer, à force de volonté, des politiques communes. Pourquoi ne parvient-on pas à adopter des positions communes dans les enceintes internationales ? Au sein du FMI, nous préférons que la France et l’Allemagne aient chacune un siège, qui leur permet de parler librement et sans concertation, avec 5 % des voix : est-il si difficile de nous associer, avec en outre l’Italie et de l’Espagne, pour réunir 20 % des voix et faire de l’Europe le premier actionnaire du Fonds ? La réponse devrait être naturelle et nous devrions fusionner nos représentations. L’union monétaire implique une plus grande concertation et une plus grande intégration.

La boutade de Henry Kissinger, secrétaire d’État américain de la présidence Nixon, qui demandait : « L’Europe ? Quel numéro de téléphone ? », est toujours d’actualité. Quand on veut parler à l’Europe, c’est Angela Merkel qu’on appelle – M. Van Rompuy ou M. Barroso incarnent-ils l’Europe ? La fusion des présidences que nous proposons vise à permettre à l’Europe de s’incarner mieux. De fait, comme le dit une autre boutade, nous avons trop de dirigeants et trop peu de leaders. Cette multiplication des leaders européens est un peu ridicule et il faut nous efforcer d’y mettre un peu d’ordre. Au demeurant, ce sont les dirigeants européens qui ont nommé ces personnes à ces responsabilités, alors que d’autres choix auraient été possibles.

Les progrès de l’harmonisation fiscale et sociale sont impossibles à vingt-huit, du fait de la règle de l’unanimité, et ne peuvent se faire qu’en cercle restreint – dans le cadre de la zone euro ou dans un cadre encore plus étroit. Nous avons jusqu’à présent toujours refusé de le faire, de crainte de favoriser ceux qui, comme la Grande-Bretagne, resteraient hors de cette union et de ses règles contraignantes. Or cet argument nous empêche de progresser depuis plus de vingt ans et peut-être faut-il tout de même décider d’avancer dans ces domaines.

M. Jean-Paul Tran Thiet. À quoi sert le débat sur la fusion de la présidence de la Commission européenne et du Conseil européen ? Outre que nous n’avons guère de chances de voir cette fusion à échéance prévisible, cette question préoccupe-t-elle les citoyens ? À quoi bon incarner une Europe si on ne lui transfère pas de compétences en matière de politique diplomatique, fiscale, économique ou budgétaire ?

Les projets évoqués, en revanche, sont intéressants. L’Europe de l’énergie, par exemple, a bien évidemment une dimension internationale. Vouloir la faire sans savoir qui négocie avec qui alors que le principal fournisseur de gaz est aux portes de notre territoire ne sert à rien. Cela ne signifie pas qu’une seule personne à Bruxelles aurait le monopole de la discussion avec M. Poutine, mais qu’il faut coordonner nos politiques énergétiques et nous efforcer de définir nos intérêts communs et de jouer le jeu d’une politique articulée pour les dix à vingt prochaines années : c’est le contraire de la réaffirmation d’une décision entièrement autonome de chacun des États membres.

Quant à l’ouverture évoquée à propos des traités, de l’OMC, des accords avec la Corée et du pacte transatlantique, elle est indispensable, mais doit aussi s’accompagner d’une revendication forte en termes d’égalité d’accès au marché : l’Europe ne doit pas s’ouvrir à des partenaires qui resteraient fermés et il faudrait être naïf pour ne pas voir que les politiques commerciales des grands pays partenaires de l’Europe sont axées sur leurs intérêts nationaux.

Je ne sais pas plus que quiconque ce que Mme Merkel et M. Hollande avaient à l’esprit lorsqu’ils ont parlé d’union politique, mais il n’est déjà pas si mal qu’ils en parlent. Définissons des thèmes et décidons de faire des choses en commun : le mouvement se prouve en marchant.

En matière de conflits internationaux, l’Europe ne peut pas tout. Je souscris à l’idée que la compétence en la matière n’est pas une souveraineté transférée – mais il s’agit néanmoins d’une souveraineté partagée : on ne saurait demander des investissements dans les industries de défense sans accepter de faire des efforts communs et de les imposer à nos industriels ni sans instaurer un juste partage des tâches, des responsabilités et des charges budgétaires en cas d’interventions entreprises au nom de l’Union européenne dans le cadre des Nations Unies ou de l’OTAN. Les projets en ce sens doivent être développés rapidement, quelles que soient les contingences institutionnelles que nous avons évoquées.

Il n’est pas vrai, enfin, que l’Europe soit responsable des politiques d’austérité et des politiques budgétaires : elle est un révélateur de quarante ans de laxisme, où nous avons vécu à crédit. Que l’union monétaire nous impose un minimum de rapprochement et de rigueur peut être salvateur : il n’est pas mauvais que les institutions européennes nous imposent en commun un peu de discipline.

Je conclurai en observant que le rapport intitulé L’Europe présence, publié par l’Institut Montaigne voilà une douzaine d’années, n’a hélas guère pris de rides : peu des projets proposés ont été mis en œuvre et tous sont aussi nécessaires aujourd’hui qu’ils l’étaient alors.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. La priorité devrait être de donner une visibilité concrète aux projets européens – et au projet européen lui-même. Au-delà d’une démarche concrète pour faire avancer les dossiers touchant à la vie quotidienne des gens, il faut aussi répondre à la profonde anxiété des Européens quant au devenir de l’Union européenne. Ce que de grands dirigeants européens ont su faire dans le passé – être à la fois des artisans et des architectes, avec la volonté politique évoquée par M. Destans, est fondamental et c’est ce qui manque aujourd’hui. Si nous parvenions à le faire pendant la campagne des élections européennes, peut-être parviendrions-nous à combattre la tentation de l’abstention ou de l’extrémisme.

Il ne faut pas opposer les politiques concrètes et les institutions – du reste, le tout institutionnel nous a porté tort. Je ne crois pas, moi non plus, à la fusion des présidences, et n’y suis même pas très favorable, car le Conseil européen risquerait d’absorber la Commission européenne, alors que celle-ci doit rester forte et jouer un rôle de proposition, sans se substituer à la décision des États membres.

Quant au couple franco-allemand, ses divergences ne sont pas nouvelles : dans une période pourtant considérée comme faste des relations entre les deux pays, j’ai assisté à des discussions et à des parties de bras de fer quotidiennes autour de la monnaie unique, que l’Allemagne n’a pas acceptée sans peine. L’important, c’est la volonté de faire des choses ensemble.

Dans la conférence de presse qu’il vient de tenir cet après-midi, le Président de la République a annoncé trois propositions franco-allemandes : une convergence économique et sociale avec priorité à l’harmonisation des règles fiscales, une coordination pour la transition énergétique, avec une grande entreprise franco-allemande, et une action franco-allemande pour l’Europe de la défense. Il a également souligné qu’il fallait se coordonner en amont sur tous les grands projets. Il reste à savoir si nous y parviendrons.

Pour ma part, je quitte cette réunion avec une certaine confiance, car, bien que des inquiétudes s’expriment, on voit ce qu’il faudrait faire pour améliorer les choses. Il ne reste plus qu’à en persuader nos concitoyens, mais je suis certaine que nous saurons le faire, car il existe toujours un angle d’approche qui permet d’entrer – en Seine-Saint-Denis, je ne parle pas de l’Europe comme je le fais ici, mais, quand j’évoque les relations euro-méditerranéennes, on me comprend.

2. Mardi 19 février 2014, séance de 9h30, compte-rendu n° 46 : Table ronde sur l’Union politique européenne et le contrôle démocratique, en présence de M. Yves Bertoncini, directeur de Notre Europe, Mme Mathilde Bouyé, coordinatrice du pôle Europe à Terra Nova, et M. Guntram Wolff, directeur de l’Institut Bruegel  (ouverte à la presse).

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Après avoir entendu la fondation Robert Schuman, l’Institut Montaigne et la fondation Jean Jaurès, nous accueillons, pour une deuxième table ronde consacrée à l’Union politique européenne et au contrôle démocratique de ses institutions, les laboratoires d’idées Notre Europe, Terra Nova et l’Institut Bruegel. Je les remercie pour leur analyse des carences du système actuel en termes de légitimité et d’efficacité et leurs propositions pour y remédier. À mes yeux, le déficit démocratique ne se résume pas aux problèmes institutionnels et il faut une vision plus large de la démocratie.

Nos invités mettent en exergue ce qu’il est possible de faire sans modifier les traités, une démarche précieuse en ces temps de fatigue institutionnelle, après toutes les négociations qui ont mené au traité de Lisbonne.

La contribution de Notre Europe interroge la réalité du renforcement de l’échelon européen dans le sillage de celui de l’Union économique et monétaire (UEM), qui a considérablement complexifié le système et accru l’exigence de contrôle démocratique dans la mesure où le cœur des prérogatives des Parlements est touché. Notre Europe recommande de procéder d’abord à une clarification des compétences des institutions européennes dans un sens démocratique, et présente de nombreuses propositions sur la gouvernance de la zone euro. Sont aussi envisagés les moyens d’assurer l’efficacité et la lisibilité des différentes institutions de l’Union.

Terra Nova, face à ce qu’elle appelle une crise de transition, plaide pour une politisation de l’Union européenne, en rupture avec l’approche fonctionnaliste qui a guidé jusqu’ici sa construction et à qui l’on reproche maintenant d’être trop technocratique et pas assez démocratique. Par ailleurs, une véritable politique étrangère et de sécurité commune est devenue indispensable pour mettre fin au sentiment généralisé de déclassement. Il s’agit en priorité de garantir une démocratie représentative efficace en faisant des élections européennes un moment clé du débat. La légitimité électorale doit être renforcée avec un rôle accru du Parlement européen, notamment dans la politique économique, et en corollaire un ancrage plus légitime de la Commission. La création d’un espace public européen est jugée essentielle pour prévenir le divorce qui est en train de s’installer entre les citoyens et les institutions.

Enfin, l’Institut Bruegel s’est intéressé à l’efficacité et la légitimité des politiques économiques européennes, en particulier du semestre européen, et à leurs effets sur les politiques nationales, et in fine à la légitimité formelle et réelle des nouveaux droits d’intervention. Votre critique principale concerne les recommandations de la Commission qui n’ont pas fait de l’intérêt général européen l’horizon des politiques nationales et un pouvoir parlementaire que vous estimez trop faible de jure et de facto. Vous esquissez trois pistes de parlementarisation de l’Union.

M. Yves Bertoncini, directeur de Notre Europe. Eu égard au sujet de l’exercice, nous avons axé notre argumentation sur les enjeux politico-institutionnels comme le contrôle démocratique, mais cela ne veut pas dire que, pour redynamiser l’Union politique, il ne faille pas mettre l’accent aussi et peut-être même d’abord sur les politiques, y compris sur le projet politique européen. On voit bien que certains de ses éléments sont à consolider ou à parachever, comme l’Union économique et monétaire (UEM), l’espace de libre circulation. Plus globalement, le projet européen doit trouver un nouveau souffle, une nouvelle légitimité. Porté à l’origine par une volonté de réconciliation, le projet européen doit désormais s’inscrire dans la mondialisation et se décliner dans les domaines commercial, énergétique, migratoire, climatique et diplomatique.

Nous formulons, concernant l’Union politique, trois séries de recommandations.

La première porte sur les compétences de l’Union. Notre ancien président, Tommaso Padoa-Schioppa, disait souvent que le mot démocratie renvoyait non seulement au δημος, aux citoyens, mais aussi au κρατος, aux pouvoirs de l’Union européenne à l’égard des États membres. Aussi la première priorité doit-elle être de clarifier leurs compétences respectives. Il ne s’agit pas d’en donner encore davantage à l’Union ; le traité de Lisbonne lui en donne déjà beaucoup et des clauses de flexibilité permettent de les étendre si nécessaire. Mais il faut leur préciser car plus personne ne comprend qui fait quoi au sein de l’Union européenne et au sein de l’UEM.

Un quart seulement des directives de l’Union européenne a une portée législative ; les trois quarts d’entre elles sont transposés par l’administration parce que ce sont des directives d’exécution adoptées souvent par la Commission européenne dans le cadre de ce que le jargon bruxellois appelle des procédures « comitologiques ». Il faudrait donc dissiper le mythe selon lequel 80 % de nos lois viendraient de Bruxelles.

Au sein de l’UEM, la crise a conduit à une forme d’intégration solidaire en contrepartie d’un contrôle accru. Ces évolutions ont bouleversé les frontières entre ce qui relève de l’UEM et ce qui relève des États membres. Là encore, il faut clarifier les rôles avant d’aller plus loin le cas échéant.

L’Europe a joué quatre rôles différents.

Elle s’est d’abord comportée comme le FMI, mais à titre temporaire et à l’intérieur d’une zone géographiquement limitée. Ainsi, le programme d’aide de l’UE-FMI s’est appliqué à quatre États membres qui ont de facto aliéné leur souveraineté vis-à-vis des marchés financiers. En échange des financements obtenus, ils ont dû subir un contrôle très approfondi de l’Union et du FMI. Se comportant comme le FMI, elle est devenue aussi populaire que lui.

Dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance, l’Union agit un peu comme l’ONU puisqu’elle fait respecter des limites, des ratios économiques au lieu des frontières. À ce titre, l’Union fixe des obligations de résultat, mais pas de moyens. La mutualisation des dettes bouleverserait la donne dans la mesure où, en donnant sa garantie aux eurobonds ou aux eurobills, elle gagnerait le droit d’avoir son mot à dire dans les budgets nationaux.

L’Union fait aussi figure d’hyper-OCDE puisqu’elle fait des recommandations sur presque tous les sujets, l’âge de départ à la retraite par exemple, sans avoir les pouvoirs de les mettre en œuvre. Ces prises de position tous azimuts créent un flou dramatique dans le partage des responsabilités et des compétences entre l’Union et ses membres.

Enfin, l’Union est apparue comme une sorte de Banque mondiale qui, parce qu’elle paie, donne des conseils. Je vous renvoie au projet d’arrangement contractuel entre l’Union et les pays de la zone euro, et même au-delà. Jacques Delors a parlé à ce sujet d’un super-fonds de cohésion et son intervention donnerait plus de légitimité aux recommandations de l’Union.

Cette typologie montre qu’il n’est pas besoin de modifier les traités pour clarifier d’ores et déjà les compétences. Il suffit de préciser que les directives sont des directives d’exécution. L’Union peut aussi réfréner ses tendances à faire des recommandations du type OCDE car il n’en a jamais été question dans le projet européen.

La deuxième série de remarques concerne le δημος, les citoyens. Dans ce domaine, le plus urgent consiste à mettre des visages sur des clivages car c’est ce qui manque à l’Union. Les prises de position existent au niveau européen, mais les visages qui les incarnent ne sont pas suffisamment visibles aux yeux des citoyens. Cela est particulièrement vrai au sein de la zone euro. Ces dernières années, elle a eu surtout l’apparence de la troïka : trois technocrates représentant une même pensée monolithique. La troïka était sûrement une nécessité économique, mais c’est un désastre politique.

On peut reprocher à l’Union européenne dans la dernière période d’avoir été en déficit d’efficacité, de popularité, mais plus difficilement de démocratie, la troïka mise à part, car le clivage dominant ces dernières années ne séparait pas Bruxelles et les peuples, mais les peuples entre eux – les Allemands et les Grecs par exemple. C’est pour cela qu’il a été si difficile de se mettre d’accord lors des Conseils européens à qui l’on peut en effet reprocher d’avoir agi trop peu, trop tard. Il s’agit donc d’un manque d’efficacité plutôt que de démocratie. La BCE n’a pas eu les mêmes problèmes puisqu’elle n’a pas d’ancrage démocratique.

Cela dit, pour mettre des visages sur la gouvernance européenne, on peut organiser des sommets de la zone euro plus réguliers, avoir un président à plein-temps pour l’Eurogroupe. Et, si des crises venaient à se reproduire, il faudrait un trio, et non plus une troïka, composé d’Européens, des représentants de la Commission, de la BCE et de l’Eurogroupe, afin d’éviter une dilution des responsabilités.

Il faut aussi faire connaître le visage des parlementaires, en renforçant leur rôle. Il y a ainsi au Parlement européen un projet de sous-commission pour la zone euro. L’article 13 du TSCG donne une base juridique pour créer une conférence interparlementaire traitant des sujets relatifs à l’UEM. C’est une nécessité et il faut aussi lui donner des pouvoirs clairs et retransmettre ses débats.

Au niveau de l’Union européenne, l’incarnation des politiques et la politisation des débats est déjà en marche, mais elle est opaque au niveau du conseil des ministres où l’on ne sait pas qui dit quoi, bien que le traité de Lisbonne stipule qu’en formation législative, les délibérations doivent être totalement transparentes. Au Parlement aussi, cette évolution est en cours et il suffirait par exemple des relevés de vote. Dans votre Assemblée, les citoyens peuvent savoir qui a voté quoi. Au Parlement européen ou au conseil des ministres aussi, mais il faut appartenir à un think tank pour savoir où chercher. Il s’agit pourtant d’une information majeure sur un plan strictement démocratique.

Autre échéance essentielle, l’élection du prochain président de la Commission européenne qui sera issu de la majorité du Parlement. Chaque visage portera un projet et il y a déjà des candidats. C’est une excellente occasion de renforcer le contrôle démocratique.

La troisième et dernière série de remarques a trait au fonctionnement des institutions européennes, pour les rendre plus légitimes et efficaces.

S’agissant de la Commission, sa composition qui prévoit un commissaire par État membre garantit sa représentativité. Maintenir ce principe ne veut pas dire que son fonctionnement ne puisse pas être plus vertical : son président, puisqu’il est issu de la majorité du Parlement européen, pourrait avoir plus de pouvoir et davantage de latitude pour organiser son équipe. Il faudrait qu’il désigne les six vice-présidents en fonction de leur poids politique et qu’à eux sept, ils se répartissent le travail.

Il n’est pas raisonnable de conserver la présidence tournante semestrielle du conseil des ministres ; elle ne sert à rien. Il faudrait instaurer un mandat d’au moins dix-huit mois assumé par un trio, et mettre les bons présidents à la tête des bons conseils.

Le déficit démocratique européen trouve aussi sa source au niveau national. Il y a une très grande hétérogénéité dans la nature et l’étendue des contrôles exercés par les Parlements nationaux sur leurs gouvernements respectifs. Nous avions fait une étude sur ce sujet pour le Parlement européen, qui place la France au milieu du peloton. Le Bundestag contrôle bien mieux Angela Merkel que l’Assemblée nationale François Hollande. Il y a des améliorations à apporter qui sont de votre ressort.

La plupart des recommandations que nous formulons n’impliquent pas nécessairement un changement des traités. Une modification des pratiques politiques suffit souvent. L’articulation entre l’Union européenne et la zone euro gagnerait en efficacité s’il était fait appel au mécanisme des coopérations renforcées plutôt qu’à des traités parallèles. Il a précisément pour but de gérer l’unité dans la diversité, dans le cadre d’un contrôle démocratique exercé par la Commission, le Parlement européen et les Parlements nationaux. Jacques Delors a souligné que la coopération renforcée est un outil qui n’a pas été suffisamment utilisé.

Mme Mathilde Bouyé, coordinatrice du pôle Europe à Terra Nova. La fracture entre les citoyens et « l’Europe de Bruxelles » doit être appréhendée à la lumière de la crise globale que traverse l’Union européenne, ce qui conduisait en 2004 déjà le groupe de réflexion, mandaté par Romano Prodi et dont Olivier Ferrand était le rapporteur, à appeler à la construction d’une Europe politique.

L’Union politique est toujours, pour Terra Nova, la réponse à apporter à cette crise que nous qualifions de crise de transition. L’Union s’est construite grâce à une méthode technocratique, aujourd'hui rejetée par les citoyens, à l’apogée d’un modèle capitaliste issu de la deuxième révolution industrielle, dont les limites économiques, sociales et environnementales sont désormais patentes à l’échelle mondiale, et en reportant sine die une véritable politique étrangère et de sécurité commune, indispensable en ce début de xxiè siècle. Cette crise, qui nourrit une angoisse du déclin, une perte de repères, une défiance croissante à l’égard du politique, fragilise in fine les valeurs européennes. Nous n’en sortirons pas sans redéfinir un projet européen pour le xxiè siècle.

Il doit comporter trois promesses nouvelles : garantir une démocratie de plein exercice ; rechercher un modèle de développement durable, plus équitable et plus soutenable ; et fonder sur nos valeurs une politique étrangère européenne qui soit à la hauteur des défis globaux.

Notre contribution, en réponse à la commande de votre Commission, se focalise sur l’enjeu de la démocratisation. Le système politique européen présente des insuffisances structurelles et il faut les pallier. S’agissant de la priorité à donner aux réformes institutionnelles ou à une Europe des projets, nous sommes partisans d’une avancée concomitante d’une démocratisation par étapes, à traités constants puis avec une réforme, et d’une intégration différenciée autour du noyau de la zone euro, pour laquelle une Union politique est désormais vitale.

Cette démocratisation doit aller de pair avec l’approfondissement de l’Union politique. L’élargissement des compétences européennes en matière économique et monétaire, accéléré par la crise, ne s’est pas accompagné d’un transfert de souveraineté et d’un contrôle démocratique suffisants. Cet entre-deux est intenable : l’UEM reste bancale tandis que ses décisions pont perçues comme un diktat renforcé des grands États membres et des institutions technocratiques, Commission ou BCE. Nous risquons malheureusement d’en voir les conséquences aux prochaines élections. Il y a urgence à agir.

Dans cette perspective, Terra Nova vous propos cinq axes de réforme à engager rapidement.

Premièrement, une parlementarisation et une modernisation du système institutionnel européen sont essentielles pour faire de l’Union une démocratie représentative efficace. Les élections européennes doivent devenir l’échéance capitale pour l’orientation de l’Union. La crise européenne a renforcé les clivages entre une approche progressiste et une approche conservatrice. Il s’agit maintenant de veiller à ce que le Conseil de l’Union européenne n’ait pas une interprétation restrictive du traité de Lisbonne et qu’un lien clair soit établi entre la majorité parlementaire et la présidence de la Commission européenne, de façon à renforcer la légitimité démocratique de cette institution.

Au vu des exigences d’une démocratie représentative, il est essentiel à terme que le Parlement européen bénéficie du droit d’initiative.

La représentativité et la légitimité européennes mériteraient d’être renforcées par une répartition des sièges du Parlement selon le principe de dégressivité proportionnelle aux élections suivantes, par l’abandon prévu par Lisbonne de la règle d’un commissaire par État membre, par la mise en place à terme d’un système électoral unique avec des circonscriptions paneuropéennes et de véritables financements pour les partis européens.

Enfin, les processus décisionnels européens gagneraient en efficacité et en transparence grâce à une collégialité mieux garantie au Conseil de l’Union monétaire, à la mise en place accélérée des nouvelles règles de décision à majorité qualifiée, à la fin des accords internes au Parlement européen pour que prime la politisation des enjeux, et à une retransmission publique des séances du Conseil de l’Union.

Deuxièmement, une clarification et un renforcement de l’exécutif européen seraient permis par la démocratisation de la Commission. Je ne citerai que trois mesures possibles à traités constants.

La première consisterait à fusionner les présidences de la Commission européenne et du Conseil européen, le président de la Commission étant nommé à la seconde fonction pour privilégier concrètement le poste jouissant de la plus forte légitimité démocratique. Le traité de Lisbonne permet d’ores et déjà au Président de la Commission européenne de se porter candidat. Il s’agit certes d’un serpent de mer mais cette avancée clarifierait considérablement la gouvernance européenne et rendrait le système européen plus lisible pour les citoyens qui, aujourd'hui, ne s’y retrouvent plus.

La deuxième porterait sur la nomination par le Président de la Commission des commissaires, si possible parmi les parlementaires européens, et des vice-présidents, qui auraient, comme Mme Ashton, une double casquette pour présider des conseils sectoriels prioritaires comme l’économie et les finances, les affaires sociales, l’environnement.

La troisième mesure serait d’instituer un discours de politique générale par le Président de la Commission après son élection.

Troisièmement, il y a urgence à démocratiser la gouvernance économique européenne. Le Parlement européen et les Parlements nationaux doivent pouvoir jouer un rôle plus important dans le semestre européen.

Le président du Parlement européen devrait systématiquement prendre part aux sommets de la zone euro. Le Parlement européen devrait également, grâce à une modification des traités, devenir colégislateur dans le cadre du semestre européen. La mise en place prévue en octobre 2014 des accords contractuels, qui conditionnent un soutien financier aux États membres en difficulté, ne peut se concevoir que si elle est intégrée au semestre européen et associe pleinement le Parlement européen en tant que colégislateur.

Le renforcement du rôle des Parlements nationaux est tout aussi essentiel, compte tenu de leurs prérogatives budgétaires. À ce jour, la conférence interparlementaire n’est satisfaisante ni dans son calendrier ni dans son objet. Il faudrait organiser une deuxième réunion pendant le semestre européen, entre le Conseil européen de mars et la remise par les États membres en avril de leurs programmes de stabilité et de convergence, afin que les Parlements nationaux jouent véritablement le rôle d’interface et aient davantage de prise sur les orientations. La conférence doit couvrir tous les enjeux économiques et financiers, comme prévu par l’article 13 du TSCG. Son champ a été quelque peu restreint dans les derniers ordres du jour fixés unilatéralement par le Parlement européen.

Par ailleurs, l’implication des Parlements nationaux dans les réactions aux recommandations des institutions européennes reste fort hétérogène. Il faut assurer aux législateurs nationaux un accès plus transparent et simplifié à l’ensemble des documents des institutions européennes.

Le Parlement européen devrait également renforcer son contrôle démocratique sur la troïka et la Banque centrale européenne. La Commission européenne, qui est davantage responsable devant le Parlement européen, devrait être le pivot de la troïka. Par ailleurs, le dialogue monétaire devrait être renforcé, et la BCE faire preuve d’une plus grande transparence, notamment s’agissant des aides urgences accordées à un État membre en difficulté, comme l’appelle de ses vœux la commission économique du Parlement européen. Celui-ci pourrait encadrer les prérogatives de la BCE, ne serait-ce qu’en précisant son mandat, à savoir l’objectif de la stabilité des prix, ce qui est tout à fait possible dans le cadre des traités actuels. Les ministres des finances de la zone euro ont également un rôle à jouer en matière de politique de change, pour donner un cap plus précis à la BCE, en fonction notamment des orientations économiques et sociales qu’ils définissent dans le cadre du semestre européen. À terme, le mandat de la BCE devrait se rapprocher de celui de la Fed afin qu’elle ait une approche plus globale de l’impact de sa politique monétaire sur l’économie.

Quatrièmement, une étape supplémentaire s’impose pour la zone euro. Les déséquilibres macroéconomiques et les inégalités y sont en effet bien plus élevés que dans le reste de l’UEM, car ils sont exacerbés par le caractère bancal de l’union monétaire. La crise souligne l’urgence de pas concrets vers l’approfondissement d’une union budgétaire, fiscale, bancaire, économique et sociale, corollaire indispensable d’une monnaie unique, pour mettre fin aux stratégies non coopératives et à la concurrence entre les territoires qui grèvent la compétitivité européenne. Une telle union politique pourrait également se doter de meilleurs mécanismes d’absorption des chocs et de péréquation. La zone euro, en tant que troisième phase de l’UEM, constituerait le noyau de l’Union politique.

Quelques mesures phare pourraient être proposées aux élections :

La zone euro a besoin d’une chambre parlementaire de la zone euro pour dialoguer avec l’Eurogroupe, qu’elle soit issue du Parlement européen, comme l’y invite la Commission européenne et le groupe allemand Glienicke, ou des Parlements nationaux, comme le proposent Joschka Fischer et les signataires de la tribune parue dans Le Monde lundi, parmi lesquels Thierry Pech, directeur de Terra Nova.

La création d’un budget de la zone euro pourrait être étudiée. Il aurait pour corollaire une union fiscale embryonnaire et des ressources propres pourraient être trouvées en lui allouant une part des impôts sur les sociétés assis sur une assiette commune, de la TVA, ou, à terme, une taxe sur les transactions financières internationales.

Le commissaire/président de l’Eurogroupe pourrait à terme représenter la zone euro dans les institutions économiques et monétaires internationales. Un siège unique européen ferait de l’Union européenne le premier contributeur au FMI, ce qui lui permettrait légitimement de demander un déménagement du Fonds en Europe…

Cinquièmement, la création d’un espace public européen est également essentielle. L’espace politico-médiatique doit être étendu en demandant aux médias nationaux d’assurer leurs obligations de service public et en travaillant à un meilleur enseignement de la citoyenneté européenne.

M. Guntram Wolff, directeur de l’Institut Bruegel. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, mon intervention porte sur la tension entre l’efficacité et la légitimité des recommandations sur les politiques macroéconomiques en Europe. Pour les marchés, la gouvernance économique européenne fait face à une crise d’efficacité ; pour les citoyens, l’Union européenne souffre d’une légitimité démocratique insuffisante. Le semestre européen, qui introduit un système de surveillance des politiques économiques, n’a pas réconcilié les points de vue.

Les recommandations formulées dans ce cadre ne se concentrent pas suffisamment sur les grandes politiques dont les effets se font sentir jusque dans les pays voisins – c’est ce qu’on appelle le spillover. Par ailleurs, les mesures de conformité prises au niveau national portent davantage sur la forme que sur le fond. Se pose donc la question de l’efficacité et de la légitimité démocratique de cette nouvelle modalité d’intervention du niveau européen. Le semestre européen ne peut fonctionner sans légitimité. In fine, les Parlements nationaux restent source de légitimité puisqu’ils conservent la prérogative de voter le budget national, la politique fiscale et toutes les réformes relatives aux marchés financiers et au marché du travail.

Face à l’échec de Maastricht, une réforme de la gouvernance économique européenne a été lancée en 2010. Elle a consisté notamment à permettre, avec le semestre européen, que l’Union européenne rende un avis sur les budgets nationaux avant qu’ils soient votés. L’objectif est d’assurer une synergie entre les priorités nationales et européennes. Depuis 2011, le semestre a fusionné avec plusieurs réglementations plus strictes concernant les politiques structurelles et fiscales. Le semestre européen peut donc être perçu comme une tentative de redistribuer le pouvoir entre les niveaux européen et national sans réviser les traités. Toutefois, comme les autorités nationales, dont la légitimité procède de l’élection, ne transposent pas systématiquement les recommandations qui leur sont faites, l’efficacité du semestre européen a été limitée jusqu’à présent. Une meilleure utilisation des règlements obligatoires pourrait être imposée, mais cela rendrait aussitôt brûlante la question de leur légitimité. Les aides financières en fournissent un exemple frappant : leur caractère conditionnel est très intrusif pour les quatre pays sous programme. La démarche est très efficace, mais pas forcément démocratique.

S’agissant du rôle des Parlements, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ne confère qu’une autorité très limitée au Parlement européen dans la coordination des politiques économiques. Depuis l’introduction du semestre européen, il peut cependant intervenir de sa propre initiative à n’importe quel moment pour commenter les priorités annuelles et réagir aux recommandations faites à chacun des pays, mais sans pouvoir les amender. Il peut exercer une pression morale mais il n’a pas de pouvoir décisionnel.

Sur le plan national, le vote du budget constitue la prérogative fondamentale du Parlement. Pour apprécier leur rôle, nous avons demandé à chacun d’entre eux la place et le rôle du semestre européen. Premier constat : sur les vingt-sept interrogés, seuls les Parlements français, italien, luxembourgeois, portugais, slovaque, espagnol et britannique débattent des programmes du semestre européen. Deuxième constat : les commissions parlementaires sont davantage impliquées dans les discussions mais, très souvent, il s’agit de la commission des affaires européennes et non la commission du budget, pourtant plus directement concernée par les recommandations. Dernier constat : nombreux sont les pays à n’avoir pas débattu des recommandations du Conseil. Les Parlements nationaux n’apportent donc qu’une légitimité très limitée aux recommandations et elles sont nombreuses à n’être pas mises en place.

Trois changements peuvent être envisagés pour améliorer la situation, pour réduire les tensions entre le niveau européen et le niveau national en renforçant à la fois l’efficacité et la légitimité du semestre européen.

Que Bruxelles aille à la rencontre des capitales. Autrement dit, les commissaires européens et le président de la BCE doivent être plus présents dans les capitales et les Parlements nationaux, pour expliquer leurs politiques.

Que les capitales se rendent à Bruxelles. Il s’agit de la coopération interparlementaire qui est destinée à favoriser les échanges entre le Parlement européen et les Parlements nationaux. Mais la décision finale resterait de leur ressort.

Dépasser les traités pour instaurer un budget commun à la zone euro, dont je suis convaincu de la nécessité. Un changement de traité serait indispensable pour autoriser le Parlement européen à lever l’impôt pour créer un fonds de stabilisation suffisant pour venir en aide aux pays en difficulté. En dotant l’Union d’un budget ad hoc, une forme d’union fiscale verrait le jour. Ses dépenses seraient légitimées par une participation accrue du Parlement européen puisqu’il approuverait ce budget, comme il le fait pour celui des Vingt-sept. Il faudrait alors sans doute envisager une formation resserrée à la zone euro pour toutes les décisions relatives à cette zone.

M. Avi Assouly. Madame, vous avez évoqué la mise en place du vote à la majorité qualifiée pour surmonter les blocages causés par l’exigence de l’unanimité. Quelles sont les réticences rencontrées parmi les gouvernements et les parlementaires ? Une évolution des traités est-elle envisageable ? Et selon quel calendrier ?

M. Lionnel Luca. Le débat d’aujourd’hui est vain dans la mesure où, depuis l’origine, l’Europe s’est construite sur un mensonge. Il ne s’agit pas de savoir s’il faut que la politisation pseudo-démocratique prenne le pas sur la technocratie puisque, dès le départ, ses artisans ont voulu construire une Europe fédérale, au mieux sans les peuples, au pire contre eux. Ils s’en rendent compte, mais l’Europe continue à avancer. Quand ils ont l’occasion de s’exprimer, ils le font, mais ils ne votent pas comme on avait envie qu’ils votent. Parfois, on les fait même revoter pour être sûr qu’ils répondent bien. Il ne faut pas croire que les peuples sont idiots et qu’on pourra leur imposer indéfiniment une construction irréelle, même si elle avait sa logique à une certaine époque. Or, si les peuples européens appartiennent bien à une même civilisation, ils ont des différences et, à vouloir obstinément les gommer, on s’expose à un violent retour de bâton. On peut continuer à débattre du sexe des anges, mais la réalité des peuples, des nations s’imposera. Nous avons donc besoin d’une Europe des nations, des peuples et des projets.

M. Nicolas Dupont-Aignan. Le débat est intéressant mais il faudrait, madame la présidente, entendre un point de vue moins monolithique et inviter par exemple la Fondation Res Publica.

À intervalles réguliers, on nous tient le même discours – ça ne va pas, mais il faut aller plus loin et ça ira mieux – qui me rappelle celui des congrès du Parti communiste soviétique jusqu’au jour où tout s’est écroulé. Malheureusement, on perd beaucoup de temps.

Très paradoxalement, vous prônez sans cesse l’amélioration de la démocratie alors que les résultats des référendums ont été bafoués. Le pouvoir a été confié à des organismes non élus : la Cour de justice, la Banque centrale européenne et la Commission. Leur boulimie et l’absence de contrôle font qu’ils prennent des décisions contraires à l’intérêt des peuples, lesquels s’en aperçoivent.

En effet, nous sommes bien dans un entre-deux, c'est-à-dire au bout d’une logique qui faisait semblant de respecter les peuples avec pour idéal de les réunir. Désormais, il ne reste plus que deux options : le coup de force, qui est en cours, et qui conduira à de graves désordres avec le retour des nationalismes ; ou le retour à une vision plus saine et réaliste qui est l’Europe des nations et des projets.

Contrairement à ce que vous croyez, la démocratie ne peut pas être européenne parce qu’il n’existe pas de peuple européen : il n’y a ni langue commune, ni partis communs. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le taux de participation aux élections européennes. Vous poursuivez donc un mirage, celui d’une Europe politique. Elle ne peut pas exister. La preuve en est que l’Angleterre s’en va et que Mme Merkel ne défend que les intérêts allemands. Il n’y a guère que la France qui ne sait plus ce qu’elle défend. La vision qui est la vôtre est tellement décalée par rapport à la réalité qu’elle ne peut que s’écrouler. Je le déplore parce que nous perdons du temps.

Depuis que des discours comme les vôtres sont tenus, aucun grand projet industriel a été lancé, à part Galileo qui a du mal à se développer. La seule action concrète des institutions a consisté à prêter 1 000 milliards d’euros à 1 % à des banques pour qu’elles les reprêtent aux États entre 3 % et 7 %. L’Europe est obsédée par les normes et les rapports entre les pouvoirs mais elle ne s’intéresse pas aux projets.

Ajoutez à ces difficultés un élargissement forcé, qui persiste, et sans consulter les peuples. Il est facile de venir ensuite expliquer qu’il faut des visages et des hochets pour les Parlements nationaux, et que tout s’arrangera. Vous êtes tous les trois prisonniers d’une vision idéologique qui vous empêche de voir la réalité et je crains malheureusement que tout cela ne se termine mal.

C’est pourquoi je préfère une autre solution : l’Europe des nations à la carte, plus souple, avec des coopérations concrètes mises en œuvre par des agences. Le xxiè siècle n’est pas le siècle des conglomérats ; c’est celui des réseaux au sein desquels peuvent tirer leur épingle du jeu de petits pays agiles, comme la Corée du Sud, Singapour, la Malaisie ou même l’Angleterre. Nous devons continuer à travailler avec nos amis allemands, italiens,… à des projets. Parce que la guerre est désormais économique, scientifique, industrielle, il serait plus adapté de rapatrier au niveau national tout ce qui concerne la vie quotidienne, et de s’atteler à bâtir une quinzaine de projets concrets dont dépend la hiérarchie des continents au xxiè siècle.

M. Pierre Lellouche. Très bien !

M. Pierre Lequiller. Je suis au moins d’accord avec Nicolas Dupont-Aignan sur le fait que des projets sont nécessaires. Les citoyens attendent de l’Europe qu’elle s’occupe de leurs préoccupations, plutôt qu’elle réforme ses institutions.

En effet, le rôle des Parlements nationaux doit être accru. Mais c’est à eux de prendre le pouvoir. Contrairement au Bundestag, le Parlement français ne joue pas son rôle. Par exemple, l’aide à la Grèce a été validée ici sans même avoir regardé les montants ! Au Bundestag, les commissions se sont réunies les unes après les autres, chacune examinant combien on allait donner à la Grèce, selon quelles modalités… La France fait preuve d’une grande naïveté en la matière et il faudrait absolument que le Parlement français prenne le pouvoir. Il ne peut pas le faire de la même façon qu’en Allemagne puisque la France est un régime quasi présidentiel. Au moins pourrions-nous interroger les ministres et leur donner un cadre de négociation avant qu’ils assistent au Conseil à Bruxelles, et entendre le Premier ministre préalablement aux Conseils européens où il se rend avec M. Hollande. La première chose à faire consiste à améliorer le fonctionnement du Parlement français.

La conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière, prévue par l’article 13 du TSCG, et dont je suis à l’origine, est un progrès en ce qu’elle offre une instance commune aux Parlements nationaux et au Parlement européen. Cela dit, il manque totalement de bonne volonté car il ne comprend pas la nécessité de travailler avec les Parlements nationaux. Nous n’avons même pas réussi à nous entendre sur un règlement intérieur.

La Commission européenne a complètement dévié de son rôle. M. Dupont-Aignan reproche aux commissaires de ne pas être élus. Je ne suis pas d’accord dans la mesure où ce sont en général des responsables politiques et où ils sont soumis à un examen et à un vote de chacune des commissions. À deux reprises, des candidats ont été refusés. En revanche, je m’inquiète qu’il y ait autant de commissaires que d’États membres. Cela conduit à diviser de plus en plus les portefeuilles au détriment également de la collégialité. Il est arrivé à Jacques Delors d’être désavoué par un vote du collège des commissaires. Aujourd'hui, chacun d’eux, soucieux de marquer son mandat, arrive avec son dossier et la décision est prise sans que personne ne l’ait étudiée. Voilà la raison de l’inflation technocratique et tatillonne. Là non plus, les Parlements nationaux n’ont pas exercé leur contrôle sur la subsidiarité. Nous devrions aussi faire un exercice d’autocritique.

La solution est sans doute dans une zone euro mieux identifiée, et dont la présidence soit stable. En plus, le titulaire actuel n’est pas bon. Il faut une Europe constituée de deux cercles : celui de la zone euro et celui de l’Union européenne, avec des coopérations renforcées dans certains domaines comme la défense.

La fusion de la présidence de la Commission et de celle du Conseil européen est tout à fait possible sans changement des traités. Elle aurait l’avantage de donner un visage à l’Europe, mais il sera malheureusement difficile de revenir sur les habitudes prises.

M. Michel Vauzelle. Le point important à retenir, c’est le clivage entre les peuples. L’Europe peut agir sur tel ou tel point, mais elle n’a pas de vision globale. La légitimité démocratique ne réside pas exclusivement dans le suffrage universel. Ce n’est pas parce que l’on élirait l’assemblée générale des Nations unies au suffrage universel qu’elle serait plus légitime.

M. Jacques Myard. Très bien.

M. Michel Vauzelle. Plutôt que de parler de δημος et de κρατος, je soulignerai la summa divisio entre la culture du centre et de l’est de l’Europe et celle des pays du « club Méditerranée », qui réunit Français du Sud, Italiens, Espagnols, Portugais et Grecs. Nous avons d’autres valeurs, une autre éthique… Nous n’avons pas forcément envie de parler tous anglais pour trouver du travail, de vivre dans une société en phase avec la mondialisation ultralibérale. Nous gardons pour référence le Conseil national de la résistance et sa sécurité sociale et son régime de retraite. Nous n’avons pas envie d’adopter la culture et la politique américaines. Au xixè siècle, le printemps des peuples qui a marqué l’éveil des nations a été vécu comme une libération à l’égard des empires ottoman, austro-hongrois et russe, et non comme un retour à une horreur moyenâgeuse. Aujourd'hui, n’imposons pas par le suffrage universel des visages falots puisqu’ils auraient été choisis pour l’être. Le suffrage universel ne suffira à pas à rendre acceptables une éthique et une culture différentes de celles des peuples.

M. Jacques Myard. Franchement, je me suis cru sur une autre planète tant le discours que vous avez tenu, les uns et les autres, est décalé par rapport à la réalité.

La démocratie, c’est la cité et la nation. Vouloir organiser vingt-huit États et vingt-huit peuples différents autour de la démocratie telle que vous la concevez est une erreur tragique. Il ne peut pas y avoir de démocratie au niveau européen comme il en existe au niveau national.

Vous défendez des positions « négationnistes ». Ainsi, vous voulez transformer la zone euro en union de transferts alors que personne n’en veut, les Allemands les premiers. Allez donc leur parler d’eurobonds ! Ils ont calculé que pour qu’une telle union soit viable, il faudrait transférer chaque année entre 8 et 12 points de leur PIB à perpétuité. Quel peuple accepterait ? C’est complètement u-to-pique !

La refonte de l’Europe est inévitable car celle-ci va à vau-l’eau. Il faut sabrer dans les compétences et garder dans la main des États des politiques communes comme le marché intérieur. Tout le reste doit redescendre au niveau national sous peine de voir l’Europe frappée d’apoplexie. L’Europe s’est élargie, l’obésité la guette et il faut revenir à une coopération entre États. Vous préconisez au contraire une fuite en avant. Comment, vous qui êtes des universitaires brillants, pouvez-vous tenir pareils discours – à moins de toucher beaucoup de subventions de la Commission ? (Protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Vous auriez pu vous abstenir de cette dernière remarque, monsieur Myard.

M. Jacques Myard. Je veux savoir d’où viennent les financements de ces organismes.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Cette information est publiée sur Internet.

M. André Schneider. Vous avez cité sept fois Bruxelles, jamais Strasbourg. Où placez-vous le siège du Parlement européen ?

Mme Estelle Grelier. Favorable à la parlementarisation renforcée du système politique européen, je reste perplexe devant la chronologie de la procédure budgétaire, échéance primordiale pour les projets européens. Le cadre financier pluriannuel (CFP) a été élaboré jusqu’en 2020 avant même les élections européennes, et les clauses de revoyure sont réduites au minimum. À cause de ce décalage, les parlementaires européens ne peuvent pas décider du cadre budgétaire, surtout qu’ils n’ont la main que sur les dépenses. Ne pourrait-on pas caler le CFP sur la durée du mandat parlementaire ?

Ancienne parlementaire européenne, j’ai assisté à des conférences interparlementaires. Elles ressemblaient beaucoup à des shows dans lesquels ceux qui sont en permanence à Bruxelles captaient l’attention. Ce n’est pas avec la présence épisodique de deux ou trois parlementaires nationaux qui passent de salle en salle que la permanence de la représentation nationale est assurée. Faute d’accès à la connaissance, elle ne peut guère espérer exercer une influence politique dans ce cadre. Partagez-vous les mêmes réserves ?

C’est vrai, notre prise en main des questions européennes n’est pas bonne. J’ai beaucoup regretté que le prélèvement sur recettes, qui correspond à la contribution de la France au budget européen, 22 milliards d’euros, fasse l’objet d’une minute et demie d’attention. Seul un amendement de suppression a été examiné. J’en appelle à notre présidente qui sait que je suis attachée à un débat particulier sur ce sujet. Il est impératif de rendre l’Union européenne plus visible, de tisser des relations entre le Parlement européen et les Parlements nationaux.

M. Pierre Lellouche. Je trouve aussi la situation surréaliste, moi qui suis revenu ce matin même de Bangui avec mon collègue Bacquet. On nous fait des propositions passionnantes, comme remplacer M. Van Rompuy par M. Barroso à la tête du Conseil européen, choisir les commissaires parmi les parlementaires européens, lever des impôts européens… Pendant ce temps-là, dans une situation aussi désespérée que celle dans laquelle est plongée la Centrafrique, les Européens se renvoient la balle. Dans ce pays, il n’y a pas d’État, pas de gendarmes, pas de gardiens de prison, pas de juges. Les quelques gendarmes que l’on rencontre dans la rue sont payés par l’ambassade de France trois euros par jour, pour qu’ils puissent manger. La première chose à faire, c’est de mettre un peu d’ordre. Quand on demande à l’ambassadeur de l’Union européenne de faire quelque chose, il ne peut pas. Quand on demande au représentant de la commissaire chargée de l’aide humanitaire, il attend une visite éventuelle de M. Piebalgs. En mars, peut-être… Madame, vous comprendrez que le modèle irénique que vous nous avez présenté ne correspond pas du tout à ce que nous vivons, nous pauvres parlementaires nationaux qui sommes confrontés parfois à des vrais gens et à des situations terribles.

Franchement, j’ai beaucoup de respect pour les think tanks ; j’y ai même passé les dix premières années de ma vie professionnelle. Mais, de grâce, essayez de garder les pieds sur terre. Cela ne sert rigoureusement à rien de nous présenter des schémas institutionnels fédéralistes au moment où le bateau prend l’eau de toutes parts. Nous allons vers des élections très difficiles, pour la droite comme pour la gauche, tant l’Europe est déconnectée des réalités, qu’il soit question de la Centrafrique, de l’immigration – les accords de Schengen ne marchent pas –, d’industrie ou d’énergie faute de politiques européennes. Regardez ce qui se passe en Ukraine. Pourquoi l’Union européenne n’a-t-elle pas pris de sanctions contre les autorités ukrainiennes avant qu’elles utilisent la force ? Pourquoi n’a-t-on pas saisi les comptes des bourreaux qui envoient la troupe sur des gens qui réclament l’Europe ?

La faillite est totale, madame, messieurs, – je n’éprouve aucun plaisir à le dire parce que je suis européen – et le débat institutionnel n’apporte rien.

Quant au rôle de l’Assemblée, je partage le diagnostic de mes collègues de droite et de gauche. Mais la Ve République n’est pas un régime parlementaire et le Gouvernement a la maîtrise de l’ordre du jour. Notre présidente, que je respecte, sait très bien ce qui s’est passé concernant le mandat de Karel De Gucht pour négocier le traité commercial États-Unis-Union européenne, le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP). Il n’y a pas eu de séance publique sur ce sujet. Je l’avais pourtant demandée. À aucun moment, la représentation nationale n’a pu s’exprimer sur nos intérêts stratégiques. Et le traité ne reviendra pas devant l’Assemblée nationale parce qu’il ira directement au Parlement européen. Il est là, le scandale ! Que répondre aux chefs d’entreprise qui nous demandent ce qui est fait pour leur filière ? Désormais, M. De Gucht dispose d’un mandat exclusif et on ne peut plus rien faire d’autre que de placer notre ambassadeur sous la surveillance d’une équipe permanente de députés pour exposer nos desiderata. C’est compliqué à mettre sur pied mais sans doute faudrait-il intervenir.

Pardonnez-moi, madame, mais quand je vous entends proposer un impôt européen pour aller sauver les pays en déficit excessif, je me pince ! Les pays les plus riches accepteraient d’investir à fonds perdus ? La Grèce a coûté à la France 140 milliards d’euros, 7 points de PIB, soit la totalité de la dette accumulée après la crise sous le précédent gouvernement. Quand j’étais ministre des affaires européennes, j’avais appelé l’attention sur les volumes en cause, mais tout le monde a voté des deux mains, droite et gauche confondues.

Pendant ce temps-là, les débats au Bundestag étaient extrêmement mouvementés. Les parlementaires demandaient si on pouvait contrevenir aux traités pour aider un pays en déficit excessif. Ils posaient des questions sur les conditions, les garanties à demander. En France, rien. Nous devons nous interroger sur nos pratiques. Il ne serait pas absurde que la commission des affaires étrangères réfléchisse à la façon de renforcer les contrôles de l’Assemblée nationale sur ce qui se passe en Europe.

Je conjure ceux qui ont le temps de réfléchir d’essayer de répondre aux problèmes concrets des citoyens plutôt que de chercher quelles dispositions des traités il faudrait modifier. Le système ne fonctionne pas et les bidouillages institutionnels ne régleront pas les problèmes ni a fortiori ne convaincront les peuples.

M. François Rochebloine. Dans la perspective d’un élargissement de l’Union, l’entrée de la Turquie vous semble-t-elle possible ?

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Ce genre de réunion a le mérite de nous faire débattre de sujets que nous n’abordons que rarement et de faire surgir des désaccords profonds.

Ce qui se passe en Ukraine est épouvantable. Nous craignions depuis longtemps une guerre civile. J’ai demandé en mon nom propre la convocation d’un Conseil européen pour que toutes les options soient examinées au plus niveau. À la sortie du conseil des ministres franco-allemand, Laurent Fabius a annoncé qu’il y aurait probablement des sanctions.

M. Pierre Lellouche. Il serait temps !

Mme la présidente Élisabeth Guigou. M. Steinmeier a réclamé hier soir des sanctions personnelles pour ne pas frapper le peuple ukrainien.

Avant de laisser répondre nos interlocuteurs, je tiens à souligner l’utilité de leur travail qui nous force à réfléchir et à étayer nos points de vue. Il nous a été demandé à la fois par le Président de la République et par la Chancelière d’étudier comment aller vers une union politique. Et la réponse n’est pas qu’institutionnelle, loin de là.

M. Yves Bertoncini. Les élus du peuple rencontrent les citoyens ; les think tanks moins, c’est vrai. Il m’arrive tout de même de retourner dans mon petit village de Savoie, Chamoux-sur-Gelon, peuplé de Français normaux. Quand Jacques Delors a créé ce think tank, il l’a appelé Notre Europe, précisément pour montrer que l’Europe devait être nôtre et qu’il fallait des dialogues citoyens. Nous en organisons avant les élections européennes, à Albi notamment et ailleurs.

L’Union européenne, c’est un produit du despotisme éclairé dans le but d’instaurer la paix, de sceller la réconciliation. Si on avait fait voter Français et Allemands en 1950, je ne suis pas sûr qu’ils auraient porté la CECA sur les fonts baptismaux. Aujourd'hui, les objectifs sont différents et il faut autour d’eux un grand débat démocratique car certains choix, je pense au TTIP, ne profitent pas à tout le monde.

L’Union européenne, c’est aussi la subsidiarité. Beaucoup des propos qui viennent d’être tenus me confirment que la France ne va pas très bien. Ailleurs, on n’entend pas tout à fait la même chose. D’autres pays se plaignent moins de l’Union européenne. Par ailleurs, plusieurs d’entre vous ont pointé l’insuffisant contrôle que vous exercez sur le Gouvernement français. Ce problème ne peut être réglé qu’à Paris.

L’Union européenne est une fédération d’États nations ; et l’Union monétaire une fédération monétaire. La BCE est une institution fédérale et les traités ont été ratifiés, parfois par référendum, parfois par voie parlementaire, laquelle est pleinement légitime et démocratique.

L’Union monétaire est une source de clivage mais elle est aussi, paradoxalement, une source de consensus. Tous les peuples veulent y rester même s’ils ne l’aiment pas. Regardez les sondages sur ce thème et le résultat des élections. Aucun peuple n’a jamais voulu retourner à sa monnaie nationale car tous savent qu’elle serait alors soumise à la spéculation internationale et aux dévaluations compétitives agressives que nous avons connues.

L’Europe, c’est aussi la différenciation. L’euro en est une illustration, Schengen également. En matière de politique étrangère et de sécurité, de défense, il y a des initiatives qui ne concernent pas tous les États membres. Dans une fédération d’États nations, il faut mettre l’accent sur les coopérations renforcées ou les formes d’intégration différenciée afin de concilier efficacité et légitimité. Mais il faut un creuset pour accueillir tout le monde, et qui puisse aussi servir de socle à des constructions différenciées.

Je terminerai en citant Jean Monnet : « Rien n’est possible sans les hommes, rien n’est durable sans les institutions. » Quant à notre financement, il est détaillé sur notre site Internet. Notre Europe s’appelle désormais Institut Jacques Delors. Alors, oui, nous sommes pro-européens et nous continuerons à l’être même quand la Commission ne nous versera plus un seul euro. D’ailleurs, les subventions que nous recevons de sa part ne cessent de diminuer. Jacques Delors et ceux qui le servent ne sont pas guidés par des considérations matérialistes.

Mme Mathilde Bouyé. L’appel à plus d’Europe n’est pas l’apanage de technocrates ou d’experts aux visions empreintes d’angélisme. Il émane des citoyens eux-mêmes. Les euro-baromètres montrent qu’une large majorité d’Européens demande plus d’Europe dans les domaines de l’énergie, du numérique, de l’environnement. Mais les Européens sont passablement schizophrènes dans la mesure où ils trouvent la situation actuelle intolérable et dénoncent un vrai manque de démocratie. Nous nous efforçons, à la demande de votre commission aussi, d’apporter des réponses selon deux axes. Il faut aussi une Europe des projets, notamment pour accélérer la transition vers un modèle de développement durable, une stratégie industrielle soutenable.

Il se trouve que je négocie aux Nations unies pour la France et je peux vous assurer qu’au sein de l’assemblée générale, l’Europe est bien tangible. Elle existe. Les peuples européens ont des préférences collectives distinctes de celles d’autres zones géographiques. Dans le monde actuel, l’Europe est une nécessité.

Monsieur Assouly, les traités prévoient une réforme de la prise de décision et un recours accru à la majorité qualifiée serait indispensable pour que le Conseil européen soit plus efficace, surtout si on envisage un approfondissement dans le domaine fiscal. Mais il s’agit d’un sujet particulièrement sensible.

Quant à une échéance pour modifier les traités, le renforcement de l’UEEM a déjà donné lieu à des réformes ad hoc, passées pour la plupart inaperçues. On peut donc mettre en œuvre certaines propositions à court terme. Certains réclament de nouveau une conférence interparlementaire pour réviser plus largement les traités en dépit de la fatigue ressentie devant les changements. Terra Nova place la clarification des compétences et le renforcement de la démocratie en tête des priorités, car la situation actuelle n’est pas tenable. Pour être plus efficace et répondre aux attentes des citoyens, l’Europe doit être plus légitime.

Madame Grelier, je considère aussi comme une absurdité le décalage entre le calendrier de la négociation du budget pluriannuel et le calendrier politique. La convergence s’impose.

Il faut laisser plus de place aux Parlements nationaux, mais ils doivent également tenir leur rôle. Il faudrait certainement des représentants permanents en leur sein qui participent à la conférence interparlementaire et assurent un suivi des réunions qui seraient plus nombreuses.

Pas de projet sans budget. Or les budgets nationaux sont sous pression alors que les investissements d’avenir sont nécessaires, notamment les infrastructures énergétiques. La seule solution réside dans la mutualisation, ce qui implique de renforcer le budget européen, donc de lui affecter des ressources propres. D’où nos propositions pour avancer vers une union fiscale.

M. Guntram Wolff. Nos interventions correspondent à ce qui nous a été demandé : réfléchir aux institutions. Mais la politique industrielle est un thème tout aussi intéressant.

De nombreux commentaires expriment un malaise vis-à-vis de la mondialisation, plus qu’ils ne visent l’Union économique et monétaire. Or la mondialisation est une réalité à laquelle on ne pourra pas échapper.

S’agissant de l’UEM, j’ai exposé les conditions minimums pour qu’elle soit viable. Y appartenir ou non est un choix politique que je n’ai pas à discuter. Je me contente de dire qu’il lui faut une clause de no bail out, de non-renflouement, crédible, même si elle a été suspendue par les institutions nationales, françaises notamment. Il s’agit pourtant d’un principe clé pour avoir une Europe des nations, qui laisse à ses membres la plus grande autonomie possible. Pour être crédible, une telle clause a besoin d’une union bancaire disposant d’un fonds de résolution centralisé qui soit démocratiquement légitimé. Actuellement, il n’y a pas de mécanisme pour le faire. D’où le débat actuel. À défaut, vous risquez d’avoir à payer encore plus pour d’autres pays. Il faut en outre un fonds de stabilisation qui puisse, dans des proportions limitées, servir d’assurance aux pays contre des chocs majeurs. Sans cette sécurité, l’Union monétaire risque de ne plus être acceptée politiquement.

Quant à notre financement, il figure sur notre site Internet. Si je me souviens bien, en 2013, moins de 10 % de notre budget provenaient de la Commission européenne.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Le processus d’adhésion de la Turquie est l’occasion d’un débat de fond. Les opposants ne pensent pas possible d’intégrer un pays aussi différent, certains d’entre eux évoquant explicitement l’islam, oubliant au passage la prochaine adhésion de l’Albanie ; les autres, dont je fais partie, considèrent qu’il est difficile, dès lors que le général de Gaulle a promis à la Turquie en 1963 qu’elle avait vocation à être membre, de remettre en cause un tel engagement qui a été répété plusieurs fois. Par ailleurs, arrimer à l’Europe ce grand pays au nationalisme souvent agressif a un intérêt géostratégique évident. Le plus sage est donc de continuer les négociations sachant que le Président de la République turque et d’autres dirigeants considèrent comme très important de consolider le lien avec l’Europe. Nous serons très exigeants sur les critères et les rapports de la Commission détaillent les insuffisances turques en matière de justice, de libertés… Si nous arrivons au bout, après avoir surmonté le problème des Kurdes et de Chypre, viendra le temps de la ratification par chacun des États membres qui permettra de se prononcer.

On voit bien se profiler une Europe différenciée dont la zone euro serait le premier cercle qui va forcément s’intégrer davantage, et l’Union à vingt-huit le deuxième. Un troisième cercle pourrait à terme englober la Turquie, voire l’Angleterre si elle décidait de sortir de l’Union européenne. L’architecture de l’édifice européen va être remaniée dans les prochaines années, le sujet prioritaire demeurant la démocratisation d’une zone euro nécessairement plus intégrée. La démocratie ne se résume pas aux institutions, elle est aussi synonyme d’adhésion des peuples. Elle sera obtenue par les projets et le projet européen. Je souscris totalement aux propos d’Yves Bertoncini qui a souligné qu’au xxiè siècle, le projet européen ne saurait être qu’interne. Il doit impérativement s’ouvrir sur le monde. J’espère que les élections européennes seront l’occasion de débattre sur le thème de notre influence et de notre action à l’extérieur.

M. André Schneider. Et Strasbourg ?

M. Guntram Wolff. Le siège du Parlement européen est bien à Strasbourg.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Madame, messieurs, je vous remercie très vivement d’avoir répondu à notre invitation de venir nous exposer le fruit de vos réflexions.

CONTRIBUTIONS DES THINK TANKS

I. CONTRIBUTION DE LA FONDATION ROBERT SCHUMAN

Pour une Union politique européenne

Contribution à la consultation lancée par la
commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale

L’Union européenne traverse la première grave crise économique de son existence.

Elle met en évidence le caractère inachevé de son intégration et ses insuffisances connues et décelées depuis longtemps. La principale erreur que semblent avoir commise ses acteurs est vraisemblablement d’avoir interrompu le lent et progressif travail d’intégration, qui n’avait jamais cessé depuis 1950. Depuis le Traité de Maastricht, aucun projet précis, aucun objectif majeur n’a été proposé aux Européens comme but de l’intégration. Au contraire, les débats se sont focalisés sur les institutions conduisant à l’échec du Traité établissant une Constitution. Or, justement, ce sont les institutions communes qui ont le plus souffert des transformations de l’Union et, notamment, de son élargissement. Leur efficacité est désormais mise en doute, leur légitimité contestée. Le soutien dont elle bénéficie chez les Européens est inférieur à celui dont reste gratifiée la nécessaire dimension européenne.

Il apparaît donc indispensable de recréer un lien avec les opinions publiques en réformant les pratiques européennes avant même d’envisager la refonte des traités, qui s’avèrera nécessaire à terme.

Après la paix, la reconstruction, la prospérité par le grand marché et le couronnement de la monnaie unique, des objectifs clairs doivent être proposés aux Européens. Rester dans le peloton de tête des principaux pôles de développement de la planète en est certainement un dans le mouvement de mondialisation actuel. Mais ce but doit trouver des applications concrètes pour les citoyens de l’Europe. L’Union politique est de celles-là, pour peu qu’elle soit déclinée dans des changements notables du fonctionnement de l’Union, dans la réorientation de certaines de ses politiques et le développement d’actions communes nécessitées par la crise.

1. La crise et les limites du système politique de l’Union européenne

Depuis près de cinq ans, la priorité a été donnée à la résolution de la crise économique et c’était compréhensible. Les conditions d’une union économique européenne réellement opérationnelle sont désormais plus claires : d’une part, la supervision macroéconomique et financière doit être exercée au niveau européen avec les instruments correctifs nécessaires pour être crédible et efficace ; d’autre part, la zone euro doit se doter de moyens et de procédures qui lui soient propres pour prévenir et résoudre les crises auxquelles un Etat seul ne saurait faire face.

Face à la fédéralisation croissante des décisions de politique économique, les citoyens européens restent perplexes. Les enquêtes d’opinion mettent en évidence de manière inquiétante un niveau de confiance systématiquement minoritaire des citoyens vis-à-vis des institutions européennes. Ainsi, au moment même où elles voient leurs compétences s’étendre et sont appelées à prendre des décisions dans des domaines sensibles touchant au cœur de la souveraineté des Etats, leur action est mise en doute et elles ne semblent pas disposer d’un capital de légitimité suffisant.

Une crise d’efficacité

S’agissant de l’efficacité, il existe de plus en plus de décalage entre le mode de fonctionnement actuel des institutions européennes et les exigences de la crise. Le temps des négociations diplomatiques est trop lent : il a fallu plusieurs mois pour négocier un plan d’aide à la Grèce début 2010, augmentant l’ampleur et le coût de l’aide nécessaire. Le sentiment s’est progressivement développé que l’Europe était toujours « en retard d’une crise ». En outre, ce mode de fonctionnement est anxiogène et déstabilisateur : l’issue des négociations est toujours incertaine, les positions des différents gouvernements semblent par trop soumises aux calendriers électoraux, les décisions prises par les gouvernements peuvent ensuite être remises en cause au niveau national, dans un contexte où nombre d’entre eux sont politiquement fragilisés dans leurs pays. L’incertitude qui en résulte accroît fortement la perception du risque économique par les investisseurs et réduit la crédibilité des engagements européens. Le mode de fonctionnement actuel, qui donne notamment la primauté au Conseil sur le Parlement européen, pose un problème de lisibilité et de légitimité pour les citoyens européens : il n’existe que peu d’occasion de débat démocratique où soient débattues explicitement les décisions à prendre au niveau européen sur les solutions à apporter à la crise. Les débats nationaux ne le permettent que difficilement dans la mesure où la décision sera en définitive le résultat d’une négociation avec les autres chefs d’Etat et de gouvernement. Les questions du fédéralisme budgétaire et de la politique économique, notamment des réformes structurelles, ne font pas suffisamment l’objet de discussions approfondies dans des enceintes démocratiques incontestées. La crise de la démocratie représentative de type occidental vient, enfin, aggraver cette carence.

Tout ceci a un coût politique et économique. Les partis populistes progressent en Europe. De la Suède à la Hongrie en passant par la France, l’Italie, la Finlande ou l’Autriche, les différentes élections confirment la force des populismes et des partis extrémistes qui imposent dans le débat public un protectionnisme à la fois économique, culturel, voire identitaire. Ces populismes antieuropéens dénoncent le pouvoir des élites nationales et européennes. Ils s’appuient sur la contestation de la légitimité politique et démocratique des institutions européennes.

Sur le plan économique, les tensions sur les marchés financiers fragilisent les banques et les Etats, freinant in fine l’investissement et la croissance en Europe. Tout ceci conduit également au sentiment général que le statu quo est fragile et que la crise n’est pas terminée.

Une crise de légitimité

En outre, la question de la légitimité des décisions européennes se pose avec de plus en plus d'acuité. L’Union traverse en effet depuis le début des années 90 une crise de légitimité sans précédent. Les analyses les mieux informées mettent en évidence un processus de structuration progressive des opinions (dans les années 1980 et 1990) puis de lente « politisation » (pleinement révélée lors des referendums en France et aux Pays-Bas au printemps 2005, puis en Irlande en 2008). Ce lent processus d’ « apprentissage politique » par les citoyens a mis fin au « consensus permissif » qui caractérisait les opinions publiques vis-à-vis de l’Europe depuis le début de la construction européenne : plus aucun Etat membre ne connaît désormais une situation où ses citoyens font « aveuglément » confiance à leurs élites pour gérer au mieux leurs intérêts à travers la construction européenne. Les citoyens souhaitent avoir leur mot à dire. C’était évident depuis plusieurs années, cela l’est encore davantage avec la crise.

La crise et la méfiance croissante des citoyens vis-à-vis des institutions européennes et les réformes en cours placent en réalité l’Union européenne face à un défi politique majeur. Soit les leaders européens sont capables de s’entendre sur des avancées suffisamment concrètes pour répondre aux critiques formulées à l’égard de son déficit de légitimité et de son déficit exécutif ; soit ils prennent le risque de voir l’euroscepticisme se renforcer dès lors que les progrès dans l’intégration ne s’accompagneront pas d’un contrôle démocratique et d’une capacité de décision suffisants. Beaucoup d’Européens risquent de se replier sur leur appartenance nationale, dont ils auront le sentiment qu’elle est la seule qui garantit leurs droits politiques.

L’enjeu social

Dans les difficultés, la nécessité de développer la dimension sociale des politiques européennes est devenue plus pressante.

La mise en cause de la zone euro a rendu indispensable la solidarité financière des Etats qui la composent. Avec la crise de la dette (Grèce, Irlande) en 2010, la zone euro s’est dotée des instruments nécessaires pour faire face aux chocs qui, en affectant certains de ses membres, étaient de nature à fragiliser la monnaie unique et l’ensemble de l’économie européenne. En tenant compte des fonds alloués à l’Espagne pour assainir son système bancaire, les interventions européennes au titre de la solidarité financière directe de la zone euro atteignaient fin 2012, près de 435 milliards €. Si l’on ajoute l’ensemble des fonds mobilisés depuis 2008 (prêts, garanties, plans de relance, achats de dette, LTRO, etc.) pour surmonter la crise des dettes publiques et le déficit de croissance, c’est l’équivalent de trois « Plan Marshall » (3 000 milliards $) que l’Union et ses Etats membres ont su engager. Défaut de communication, complexité ou effets d’affichage trop rapide ? Les Européens ont pourtant le sentiment que l’Union européenne n’a pas été efficace pour faire face à la crise, dont les effets ont remis en cause leurs « acquis sociaux ». Car, au-delà de cette exigence de solidarité financière », habitués à la croissance et à un niveau de vie privilégié, ils ne s’attendaient pas au ralentissement, voire au recul d’un pouvoir d’achat et de garanties sociales qui n’avaient, jusque là, que progresser.

2. Renforcer l’efficacité de la gouvernance européenne. Résoudre le « déficit exécutif »

La crise économique lance à la gouvernance européenne un défi en termes de leadership, de cohérence et d’efficacité. Dans une situation de crise, qui exige que l’Union européenne et ses Etats membres puissent apporter des réponses aux difficultés qu’ils traversent, les Européens découvrent avec frustration les limites de la gouvernance européenne et son « déficit exécutif » : faiblesse du pouvoir exécutif européen ; caractère polyarchique des institutions communautaires et son corollaire, l’absence d’un leadership politique clair ; concurrence entre les institutions, entre celles-ci et les Etats ; lenteur et imprévisibilité du processus de négociation entre Etats membres. Dans cette perspective, résoudre le « déficit exécutif » européen doit passer par la création d’un leadership plus clair, plus légitime et plus responsable. On ne peut laisser accréditer l’idée que l’Union européenne n’organise que des pouvoirs faibles.

A traité constant, les mesures suivantes pourraient être adoptées :

• Concernant les élections européennes, il serait opportun de s’assurer que les listes présentées par des partis nationaux appartenant à un parti européen suivent la même dénomination et le même programme dans l’ensemble des Etats membres. Chaque parti devrait en outre présenter un candidat au poste de président de la Commission européenne. Des tentatives sont en cours pour les prochaines élections européennes de mai 2014. La question de la représentativité du Parlement européen (voir infra), contrainte par les traités, fait largement obstacle à cette évolution.

Réforme envisageable à traité constant.

• Redéfinir la composition de la Commission européenne. Cette question, qui avait été réglée par le Traité de Lisbonne (suspendu sur ce point par le Conseil européen) est essentielle pour l’efficacité du travail de la Commission. Pour rompre avec le principe de « représentation » des Etats membres au sein du Collège des commissaires, il serait indispensable de revenir à l’esprit du Traité de Rome, consacré par le Traité de Lisbonne : un Collège restreint de personnalités réputées pour leur engagement européen et présentant toutes les garanties de compétence et d’indépendance. Le président de la Commission aurait alors la possibilité de choisir plus librement les portefeuilles attribués aux commissaires (sans que cela résulte d’une négociation entre Etats) et de hiérarchiser ces portefeuilles avec la création de "commissaires délégués".

Une modification du nombre des membres de la Commission européenne est possible sans modification des traités par une simple décision du Conseil européen statuant à l’unanimité (art. 17 §5 TUE). De même, le renouvellement de la Commission en 2014 pourrait être l’occasion d’exiger du Président de la Commission qu’il organise différemment le collège, conformément au § 6 autour de vice-présidents, assumant la responsabilité de grands pôles de compétence et composant un Bureau restreint en application du § 5 qui stipule que la composition de la Commission tient compte de « l’éventail démographique et géographique ».

En revanche, une évolution des règles de composition de la Commission s’affranchissant du principe de rotation égale entre les Etats membres et des principes fixés à l’article 244 TFUE, nécessite une révision des traités selon la procédure ordinaire (CIG précédée d’une Convention).

• Engager la réforme du fonctionnement de la Commission européenne.

« L’intégration européenne doit, d’une façon générale, éviter les erreurs de nos démocraties nationales, surtout les excès de la bureaucratie et de la technocratie. La complication des rouages et l’accumulation des emplois ne sont pas une garantie contre les abus, mais sont parfois, elles-mêmes le résultat de la surenchère et du favoritisme. L’ankylose administrative est le premier danger qui menace les services supranationaux » écrivait Robert Schuman en 1963 (Pour l’Europe, 5ème édition, Fondation Robert Schuman - Nagel, Paris, avril 2010, p. 102).

50 ans plus tard, le jugement s’impose au regard des méthodes de fonctionnement de la Commission. Ne pas s’en préoccuper accroît chaque jour le doute envers la construction européenne.

Conçues pour une Europe à six, les institutions de l’Union ont particulièrement souffert des élargissements successifs et de l’absence de remise en cause de leur mode de fonctionnement. La Commission, tout spécialement.

La réforme « Kinnock », menée à bien par son actuel président, a marqué un tournant majeur dans le fonctionnement de la Commission. Elle est la cause de lourdeurs administratives justifiées par la responsabilité qui pèse désormais principalement sur ses fonctionnaires, alors qu’une véritable Union politique aurait dû en faire porter le poids principal sur les commissaires.

Administration de mission, chargée de concevoir les propositions législatives et de faire respecter les traités, elle a échoué dans les tâches de gestion qui lui ont été progressivement confiées et qu’elle délègue à des acteurs extérieurs (consultants, experts, comités, agences), qu’elle n’est pas en mesure de diriger efficacement.

Ayant perdu de sa créativité, de son imagination et de sa souplesse, elle n’a pas réussi à valoriser son monopole d’initiative législative au profit d’un contrôle des traités positifs et apparaît ainsi, de plus en plus, comme une instance punitive. Cette caractéristique a été critiquée à plusieurs reprises par Jacques Delors, considéré comme l’un des meilleurs à avoir occupé cette fonction.

Arc-boutée sur le strict respect des traités, faisant preuve d’un juridisme excessif, la Commission n’a pas su faire usage des ses importantes prérogatives pour faire évoluer, comme c’était nécessaire, les politiques communes et les politiques en voie de communautarisation. C’est particulièrement flagrant pour ce qui concerne la politique de concurrence et la politique commerciale, la première plus sévère que toutes les autres dans le monde, la seconde plus ouverte que n’importe quelle autre. Confrontée à des divergences entre Etats membres, elle a pris l’habitude, dans ces domaines, de se réfugier dans l’application du droit applicable sur le continent sans considération des transformations géostratégiques intervenues ou des effets concrets de ses décisions.

A traités constants, avec l’aide du Parlement européen et des Parlements nationaux, sous l’impulsion du Conseil européen, il devient indispensable de préciser le rôle et les prérogatives de la Commission, d’en fixer avec précision les limites et de lui imposer une pratique politique et administrative renouvelée. La nomination en 2014 d’un nouveau Collège devrait être l’occasion de cette redéfinition. Le couple franco-allemand devrait prendre l’initiative de cette exigence posée à la nouvelle Commission.

Les prochaines modifications des traités devraient être utilisées pour modifier le rôle et le fonctionnement de la Commission, au regard de la création du SEAE et des Agences européennes décentralisées. Elle devrait être aussi une réelle opportunité de modifier certaines politiques. Comment peut-on justifier, par exemple, que la seule dimension continentale demeure l’aune à laquelle sont appliqués les critères d’une concurrence libre et loyale (art. 101 TFUE) ? Elles devraient aussi être l’occasion de modifier l’article 17 du TFUE, pour régler la question de la représentation de l’Union à l’extérieur.

• Fusionner la présidence de la Commission avec celle du Conseil européen ? Ceci permettrait à l’Union de parler d’une seule voix. Le traité de Lisbonne permet cette innovation : c’est pour ouvrir cette possibilité que l’interdiction du cumul avec un mandat national a été conservée dans le traité, alors que celle avec un autre mandat européen en a été retirée. Il suffirait que le Conseil européen décide de nommer la même personne pour les deux fonctions. Utiliser cette possibilité reviendrait à renforcer la légitimité politique du titulaire de cette présidence qui cumulerait ainsi les légitimités communautaire et intergouvernementale et qui serait responsable politiquement devant le Parlement européen.

• Ce Président unique pourrait, à terme, être élu au suffrage universel indirect sur le modèle en vigueur dans la grande majorité des Etats membres de l’Union européenne (désignation par le Parlement), ce qui supposerait que le Conseil européen s’engage, même informellement, à nommer au poste de président de la Commission, le candidat proposé par le parti ou la coalition majoritaire au Parlement européen. Ultérieurement, la question pourrait être posée d’une élection au suffrage universel direct, comme l’a proposé la CDU lors de son congrès à Leipzig en novembre 2011.

A traité constant, le Conseil européen peut décider de proposer comme président de la Commission le candidat présenté par le parti qui sort vainqueur des élections européennes (ce qui serait cohérent avec l'obligation prévue par les traités que le Conseil européen prenne en compte le résultat de ces élections), et d'élire comme président du Conseil le président de la Commission européenne.

3. Renforcer la légitimité des décisions européennes

Le besoin de légitimité démocratique se manifeste avec évidence dans le contexte de la crise actuelle et des réformes adoptées ou envisagées pour y remédier. Le Rapport du Groupe des 4 (composé des Présidents du Conseil européen, de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et de l’Eurogroupe) le souligne explicitement : « Les décisions relatives aux budgets nationaux sont au cœur des démocraties parlementaires européennes. Dès lors, progresser vers une plus grande intégration des prises de décisions budgétaires et économiques entre les pays, nécessitera de puissants mécanismes permettant l’instauration d’un processus décisionnel légitime et responsable. Il est essentiel de faire en sorte que l’opinion publique soutienne les décisions prises au niveau européen et ayant des répercussions importantes sur la vie quotidienne des citoyens ».

En matière de renforcement de la légitimité démocratique, les parlements nationaux et le Parlement européen ont un rôle décisif à jouer.

A traité constant

• Une mise en œuvre ambitieuse de l’article 13 du Traite budgétaire2 prévoyant d’accroître l’association des Parlements nationaux et de renforcer ainsi la légitimité démocratique des décisions prises en matière de contrôle pourrait se concrétiser, dans un premier temps, par une Conférence de la zone euro réunissant les membres de la commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen (à l'exclusion de ceux qui sont issus d'Etats membres n'ayant pas ratifié le TSCG), ainsi que les présidents des commissions des Finances et des Affaires économiques des Parlements nationaux. Cette conférence de la zone euro pourrait adopter des rapports d’initiative, émettre des avis ou des résolutions.

Les modalités de mise en œuvre de l’article 13 du TSCG pourraient être fixées dans le cadre d’un accord interinstitutionnel.

• Placer l’Eurogroupe sous le contrôle du Parlement européen en créant un vice-président de la Commission et du Conseil en charge de l'euro et des affaires économiques, de façon à créer le « ministre des Finances européen » souhaité par Jean-Claude Trichet et Wolfgang Schäuble. Cette personnalité assurerait conjointement le rôle de commissaire aux Affaires économiques et monétaires et de président de l'Eurogroupe, qui serait dès lors responsable devant le Parlement européen. Il aurait autorité sur le groupe de travail Eurogroupe pour la préparation et le suivi des réunions en format zone euro et sur le Comité économique et financier en vue des réunions concernant l’ensemble des Etats membres de l’Union. Il aurait sous son autorité un secrétariat général de la zone euro dont l'étendue des missions serait fonction des objectifs de l'union budgétaire en cours de constitution (notamment au travers des mécanismes d’assurance et des instruments budgétaires déjà existants). Le vice-président de la Commission et du Conseil en charge de l'euro et des Affaires économiques serait le visage et la voix politique de l'euro, notamment vis-à-vis de la Banque centrale européenne. Mais il serait aussi chargé de la communication des décisions de l’Eurogroupe et de la représentation externe de la zone euro au sein des institutions financières internationales. Enfin, il devrait s'exprimer régulièrement devant la Conférence de la zone euro.

Les attributions de ce vice-président de la Commission et du Conseil en charge de l’euro et des affaires économiques pourraient être précisées dans le cadre du Protocole sur l’Eurogroupe.

• Une « sous-commission » en charge de l’euro serait créée au sein du Parlement européen. Les organes de la zone euro (FESF, MES) devraient rendre compte de leur action devant cette « sous-commission ». Le président de cette sous-commission pourrait en outre être invité aux réunions de l’Eurogroupe et aux sommets de la zone euro pour y être entendu.

Cette modification pourrait intervenir dans le cadre d’une révision du Protocole sur l’Eurogroupe.

Dans le cadre d’une révision des traités

• La Conférence de la zone euro se verrait confier un rôle important dans les mécanismes de supervision économique et budgétaire prévus pour les Etats membres de l'Union économique et monétaire. Elle se réunirait lors de sessions régulières, ou de sessions extraordinaires. Sur le fondement des rapports présentés par les Etats membres et la Commission, qui devraient permettre d'établir une vision consolidée des comptes publics de la zone euro, mais également de missions d'enquête qu'elle pourrait décider de sa propre initiative, cette institution pourrait s'assurer de la solidité de la zone euro et du respect des engagements pris par les Etats membres. Il pourrait être envisagé de confier à une minorité qualifiée de parlementaires le pouvoir de saisir la Cour de justice de l'Union en cas de manquement. Elle aurait aussi à connaître l'état d'avancement des mesures prises dans le cadre de la conditionnalité des programmes d'aide. Elle aurait le pouvoir d'auditionner les ministres des Etats membres, le président de la BCE et le président de l'Eurogroupe.

Une révision du traité est nécessaire selon la procédure simplifiée visée à l’article 48 § 3 TFUE. Toutefois, selon le périmètre de compétence de la conférence de la zone euro, il n’est pas à exclure que soit requise une modification des traités selon la procédure de révision ordinaire (CIG précédée d’une convention).

Une modification institutionnelle dans le domaine monétaire (pour l’audition du président de la BCE, si obligation lui est faite de se rendre à l’invitation de la conférence de la zone euro) est possible selon la procédure de révision simplifiée prévue à l’article 48 § 6 TUE mais requiert une décision du Conseil européen statuant à l’unanimité après consultation du Parlement européen, de la Commission et de la Banque centrale européenne.

• Une représentation plus proportionnelle à la population renforcerait la légitimité démocratique du Parlement européen. A l'heure actuelle, la composition du Parlement européen est éloignée du principe d'équité démocratique et de la « proportionnalité dégressive » : le nombre de députés par habitant est, par exemple, plus de deux fois plus élevé en Finlande qu'en France. La France est l’Etat membre le plus sous-représenté au Parlement européen. Or, les citoyens devant tous avoir les mêmes droits politiques dans un système démocratique, leur vote devrait avoir le même poids. Autrement dit, le nombre d'habitants par député devrait être le même dans tous les pays (avec une représentation minimale néanmoins pour s’assurer que même les Etats membres les moins peuplés sont représentés)3, ce qui constitue un critère objectif difficilement contestable. Or, compte tenu de l'accroissement substantiel des pouvoirs du Parlement européen au fil des traités, renforcer la légitimité démocratique de cette institution, par ailleurs la seule à être élue au suffrage universel direct, constitue un véritable enjeu, comme le rappelle régulièrement la jurisprudence de la Cour constitutionnelle allemande4. La représentation strictement proportionnelle des citoyens au Parlement européen doit être un objectif de long terme, affiché et assumé par les institutions. La France et l’Allemagne devraient, d’ores et déjà, porter cette revendication dans le cadre d’une démarche conjointe.

Une telle modification nécessite une révision de l’article 14 §2 TUE selon la procédure de révision ordinaire des traités (CIG précédée d’une Convention).

• Reconnaître un droit d’initiative législative conjoint du Parlement européen et du Conseil. Un partage de l’initiative entre la Commission, qui conserverait cette prérogative, les députés européens et les gouvernements des Etats membres, au travers du Conseil ou individuellement, présenterait une double valeur ajoutée : en permettant d’abord de répondre aux exigences démocratiques au fondement de la démocratie représentative (dans laquelle les organes exécutif et législatif partagent le pouvoir de proposer les lois); en donnant ensuite le sentiment aux citoyens qu’ils peuvent être entendus et que leurs représentants européens et nationaux ont la capacité de relayer leurs demandes. La Commission, jusqu’ici résolument hostile à cette évolution, y gagnerait vraisemblablement le statut de « gouvernement de l’Union ».

Une telle modification nécessite une révision des traités (art. 225 TFUE) selon la procédure ordinaire (CIG précédée d’une Convention).

4. Quelle dimension sociale pour une véritable Union politique ?

Répondre au défi du chômage et de l’emploi

Le taux de chômage a fortement progressé en Europe. Il atteint désormais 10,9% de la population active dans l'Union et 12% dans la zone euro. La crise a également rappelé la fragilité structurelle de catégories de population dont l'inclusion dans le marché du travail est plus faible : les jeunes (moins de 25 ans), les seniors (plus de 50 ans), les intérimaires, ou encore les femmes seules ayant des enfants à charge.

Renforcer l'employabilité des seniors, des jeunes, des femmes ayant des enfants à charge et des personnes peu qualifiées est un objectif prioritaire, de même que celui de réduire la durée de recherche d'emploi en améliorant l'accompagnement des transitions professionnelles. Enfin, la désindustrialisation que connaissent certaines régions rend nécessaire la reconversion des salariés et la formation professionnelle.

A traité constant, plusieurs mesures pourraient être adoptées :

• Définir une convention d’indemnisation du chômage pour les Etats de la zone euro. L’enjeu est important si l’on veut permettre l’émergence d’un marché du travail étendu et intégré en Europe, où la mobilité soit accrue. Les conditions d’indemnisation du chômage constituent un facteur décisif. Fluidifier le marché du travail européen est une nécessité. Aujourd’hui, les travailleurs espagnols, notamment des ingénieurs, rencontrent l’attente d’entreprises allemandes en travail qualifié, dessinant, sous la contrainte, les contours d’un marché du travail plus mobile. Pour organiser ce mouvement, l’Allemagne et la France pourraient prendre l’initiative de rapprocher leurs règles d’indemnisation, malgré des traditions différentes. L’Italie et l’Espagne pourraient les rejoindre. C’est autour des Etats fondateurs – en y ajoutant l’Espagne – que la taille critique d’un marché plus mobile serait atteinte. A partir d’une analyse « européenne » de la situation du chômage, les partenaires sociaux devraient définir un objectif pour chacune des composantes de l’indemnisation du chômage et fixer un calendrier progressif d’harmonisation pour chacun des Etats participants.

Sur la conclusion d'une convention d'indemnisation du chômage, l’article 155 TFUE énonce que "le dialogue entre les partenaires sociaux au niveau de l'Union peut conduire, si ces derniers le souhaitent, à des relations conventionnelles, y compris des accords". Néanmoins, la mise en oeuvre de ces accords semble devoir être laissée à la discrétion des Etats membres qui, en tout état de cause, ne peuvent être contraints à une harmonisation des dispositions législatives et réglementaires.

• Adopter des propositions législatives au niveau européen visant l'interdiction des discriminations à l'embauche en fonction de l'âge, comme cela existe aux Etats-Unis et l'aménagement des conditions de travail des séniors, en vue de faciliter leur emploi.

Sur l'interdiction des discriminations à l'embauche en fonction de l'âge, on peut se fonder sur la base juridique de l'article 19 du TFUE.

• Lancer une initiative européenne en faveur de la responsabilité sociale des entreprises.

L’harmonisation des règles de responsabilité sociale des entreprises est possible à traité constant, dès lors que cela n'est pas contraignant. La Commission européenne a d'ailleurs déjà adopté une communication sur ce sujet le 25 octobre 2011 (COM(2011) 681 final)5.

Dans le cadre d’une révision des traités :

• Adopter un cadre européen garantissant l'accès des chômeurs de longue durée à des dispositifs de formation renforcés en vue de faciliter la reprise d'emploi ou d'études. Les Etats membres seraient également invités à développer des catalogues de formation en adéquation avec le marché du travail, de l'évolution des technologies numériques TIC et des différents niveaux de formation initiale des personnes concernées. Plus généralement, il conviendrait d'envisager l'institution d'un droit à la formation tout au long de la vie et de faciliter l’intégration de salariés et des chômeurs au sein des universités, soit dans le cadre des programmes universitaires existants, soit dans le cadre de nouveaux programmes.

L'instauration d'un dispositif européen de droit à la formation tout au long de la vie, se heurte à l'article 166 § 4 TFUE, qui exclut toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres.

L’enjeu de la protection sociale

Au-delà de la question de l'emploi se pose la question de la protection sociale. La lutte contre la pauvreté doit faire l’objet de mesures plus ambitieuses afin de préserver le modèle social européen. Le vieillissement de la population pose aussi la question du financement de la protection sociale. Au sein de l’Union, la part de la population âgée de plus de 65 ans est de 17% : elle devrait atteindre 30% en 2030. Ce vieillissement, combiné au recul de la population en âge de travailler, va déséquilibrer les comptes sociaux en accroissant les dépenses de santé et de retraite et ralentir la croissance potentielle.

Compte tenu de ces défis, les mesures suivantes pourraient être adoptées à traité constant :

• Présenter des programmes nationaux de réforme des systèmes de protection sociale indispensables pour préserver la viabilité financière des systèmes de santé et de retraite et pour favoriser la portabilité des droits d'un Etat membre à l'autre ;

S’agissant des programmes nationaux de réforme des systèmes de protection sociale, il est possible d’avancer à traité constant vers un rapprochement, mais sans force contraignante pour les Etats. Sur la question de la portabilité des droits, il faut plutôt envisager une coopération renforcée.

• Créer un objectif européen de réduction de la pauvreté, avec une attention particulière accordée aux enfants et travailleurs pauvres, ainsi qu’aux parents isolés. Chaque Etat membre serait invité à présenter un programme national de lutte contre la pauvreté ainsi qu’un catalogue des meilleures pratiques associatives ou publiques recensées. L'Union pourrait participer directement à cette initiative au travers du Fonds social européen.

Coordonner les programmes nationaux de lutte contre la pauvreté est possible à traité constant mais sans force contraignante pour les Etats.

Répondre au défi du capital humain

Au-delà de la question de l'emploi et de la protection sociale, c'est plus largement celle du capital humain qui se pose. Les compétences sont un facteur décisif de la compétitivité et des choix de localisation des entreprises. Le niveau de qualification de la population et sa capacité d'adaptation au changement technologique, ont un impact direct sur le niveau du chômage. L'effort de formation est dès lors décisif : il doit concerner à la fois la formation initiale, où les objectifs prioritaires doivent être de réduire l'échec scolaire et de faciliter l'insertion professionnelle des jeunes, et la formation continue pour laquelle la mise à jour des compétences, notamment en matière de TIC, et la capacité à réorienter les personnes perdant leur emploi doivent être renforcées. Enfin, la santé est une composante essentielle du capital humain. Le maintien en activité et en bonne santé des personnes âgées, la protection de la santé des travailleurs exposés dans leur vie professionnelle et l'accès au soin des jeunes menacés de pauvreté en vue d'éviter qu'ils ne soient pénalisés dans leurs études, sont des conditions du bien-être de la population et du dynamisme économique européen.

Compte tenu de ces défis, les mesures suivantes pourraient être adoptées :

• Créer un plan européen de lutte contre l'échec scolaire ;

Un plan européen de lutte contre l'échec scolaire est possible à traité constant mais sans force contraignante pour les Etats.

• Renforcer la mobilité des étudiants européens en créant des examens européens standardisés pour l'entrée en licence et en master dans des pays autres que le pays de résidence (sur le modèle des examens "SAT", "GRE" et "GMAT" américains).

Sur l'instauration d'examens européens standardisés, il faut plutôt envisager une coopération renforcée entre établissements européens d'enseignement supérieur et faire en sorte que ces examens européens s'imposent naturellement. Mais l'Union n'a pas de pouvoir contraignant en la matière.

5. Une Europe plus présente dans le monde 

Donner sa chance au Service européen d’Action extérieure

L’une des innovations principales du Traité de Lisbonne a été la création du Service européen d’Action extérieure et de la fonction de Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité.

Force est de reconnaître que l’esprit du traité n’a pas été respecté et que les difficultés rencontrées par le Haut Représentant dans l’exercice de ses fonctions sont dues principalement au défaut de conception du compromis adopté entre la Commission et le Conseil pour le mettre en œuvre.

En choisissant de conserver à la Commission quatre commissaires en charge d’Affaires extérieures (Haut représentant, développement, coopération internationale, aide humanitaire et réaction aux crises, élargissement et politique européenne de voisinage) avec les directions générales qui les concernent, et en lui appliquant le règlement financier de droit commun de l’Union, ce compromis vidait de sa substance la volonté des signataires du traité de garder la définition et la gestion de la politique extérieure dans le champ intergouvernemental.

Dans la pratique, il a entrainé une guerre interservices digne des meilleures technocraties et a privé le Haut représentant des moyens d’action indispensable à l’accomplissement de sa mission.

Le renouvellement de la Commission en 2014 pourrait être l’occasion d’exiger de son nouveau président le respect du traité en réorganisant le Collège autour de ses vice-présidents et donc du Haut représentant qui devrait disposer de l’autorité sur tous les services de la Commission en charge d’affaires extérieures (ECHO, DEVCO, ELARG, FPI) et d’une autorité conjointe sur les directions et services de support nécessaires à son action (HR, DGT, CNECT) ou sur les compétences communautaires connexes (TRADE). Cela peut être réalisé à traités constants.

Une renégociation du compromis ayant conduit à la création et l’organisation du SEAE est peu probable, compte tenu de l’opposition certaine de la Commission et peut-être de celle du Parlement. Les Etats membres accepteront-ils, pour leur part, de remettre en cause ce compromis laborieux ? Dans le cadre d’une révision des traités devraient être adapté le Règlement financier de l’Union et précisée l’autonomie administrative du Service par rapport à la Commission.

Donner aux missions civiles et militaires de l’Union leur pleine autonomie

Ces missions fonctionnent avec les règles de la Commission qui ne sont pas adaptées aux exigences du terrain. La lourdeur des procédures européennes et leur inadéquation sont des facteurs d’inefficacité. Ainsi la mission EUBAM-Libye, qui a vocation à sécuriser les frontières de l’Union, est-elle toujours confinée à Tripoli pendant que la mission EUCAP-Nestor en Somalie attend toujours de pouvoir assurer la sécurité de ses personnels ! La mission EULEX au Kosovo vient de déplorer son premier décès et l’on a découvert, à cette occasion, le statut précaire des agents qu’elle employait. Il pourrait s’avérer opportun que la commission des Affaires étrangères auditionne à cet effet leurs responsables, anciens (certains Français) ou actuels.

Un mode de financement adapté, basé sur l’autonomie des chefs de mission et la mise à leur disposition d’un budget autonome, sous le contrôle exclusif du Conseil, pourrait être élaboré. Il exigerait vraisemblablement une exception au règlement financier de l’Union et donc un acte législatif à traités constants.

Régler la question de la représentation extérieure de l’Union

Le Traité de Lisbonne a ajouté à la confusion en conférant au président du Conseil européen une fonction de « représentation », à son niveau, de l’Union. Le président de la Commission en a éprouvé la nécessité de multiplier déplacements et représentations à l’extérieur. Le constat est établi : dans les pays tiers, la confusion européenne au plus haut niveau est incompréhensible. L’unité d’action de l’Union en pâtit gravement.

Le renouvellement de l’ensemble des responsabilités européennes au plus haut niveau devrait être l’occasion, en l’absence de toute révision des traités, d’élaborer une Charte de bonnes pratiques institutionnelles que devrait accepter tout postulant à une haute fonction, préalablement à sa désignation. La France et l’Allemagne devraient prendre l’initiative de la définir et de la faire accepter par les intéressés avant que d’accepter leur nomination.

6. Quelle méthode ?

La crise actuelle a mis en lumière les divergences économiques et les désaccords politiques au sein de l’Union européenne : traditions économiques diverses ; divergences de compétitivité et des modèles de croissance ; visions différentes des stratégies de désendettement à mettre en œuvre, etc. Plus généralement, il est possible de distinguer différents modèles socioéconomiques au sein de l’Union européenne : latin, scandinave, anglo-saxon et rhénan. En raison de cette diversité de modèles, d’histoires et de stratégies, l’Union européenne est encore loin de l’harmonisation, pourtant nécessaire, sur les plans économique et social.

• En matière sociale, en raison des différences de vues des Etats, la différenciation pourrait seule permettre d’aller plus loin sur quelques points précis et de relancer un mouvement de convergence. Dans un contexte où la mobilité intra-européenne s’accroît sous l’effet de la crise, il convient d’engager le débat sur la portabilité des droits, le rapprochement des règles relatives aux conventions collectives dans le cas d’entreprises opérant dans plusieurs pays de l’Union afin d’éviter les risques de dumping. Il serait possible de prendre d’autres exemples d’application de « l’Europe à plusieurs vitesses » comme modalité d’une Europe plus intégrée.

La création d’un salaire minimum européen pourrait ainsi être envisagée. Ce salaire minimum serait fixé en pourcentage du salaire moyen de chaque Etat membre. Le pourcentage serait identique pour l’ensemble des Etats participants et le niveau du salaire minimum varierait donc en fonction du salaire moyen de l’Etat considéré. Les Etats membres conserveraient la possibilité de fixer un salaire minimum supérieur à ce seuil. Cette solution permettrait de respecter la diversité des niveaux de vie et de productivité en Europe.

• Dans le domaine fiscal, la différenciation pourrait s’avérer très utile. Les décisions qui concernent ce domaine sont en effet prises à l’unanimité et certains Etats sont très réticents à une plus grande convergence de la fiscalité des Etats membres (l’Irlande, le Royaume-Uni et les Pays-Bas notamment, mais aussi les pays baltes). Or, cette situation est dommageable : la complexité et la diversité des fiscalités des Etats membres constituent un obstacle majeur à la circulation du capital, des travailleurs et des services. Elles ont donc un coût objectif pour le développement du marché intérieur, le niveau des prix et la croissance de l’Union. Une harmonisation au moins partielle permettrait un système plus simple pour les travailleurs mobiles, une plus grande attractivité pour les investisseurs et des économies de coûts administratifs non négligeables pour les entreprises opérant dans plusieurs Etats membres.

Ainsi, définir un plan d’action pour rapprocher les fiscalités des Etats membres pourrait d’abord passer par une « coopération renforcée », voire des accords hors-traités entre les Etats membres de la zone euro souhaitant une harmonisation des assiettes de l’impôt sur les sociétés, dans un premier temps, de leur taux dans un second. La décision prise par l’Allemagne et la France l’été dernier à ce sujet ouvre la voie.

Autre piste : il serait possible d’imaginer l’harmonisation, sous une forme différenciée, de la fiscalité environnementale européenne pouvant prendre la forme d’un rapprochement du calcul de l’assiette et du taux de la fiscalité environnementale actuellement applicable.

Sur la fiscalité, soit la règle de l'unanimité, soit une coopération renforcée dans le cadre des traités, soit des traités bilatéraux ou multilatéraux, dans le cadre de « groupes pionniers », comme ont su le faire l’Allemagne, la France et le Benelux pour les accords de Schengen.

• En matière de politique étrangère et de défense, les avancées nécessaires ne pourront vraisemblablement être réalisées, dans un premier temps, que par des méthodes intergouvernementales. Les tentatives de la Commission pour organiser les marchés de défense sont considérées, à juste titre, comme des incursions dans un domaine que le Traité de Lisbonne (art. 24 TUE) avait voulu laisser au champ intergouvernemental. Poursuivre dans cette voie ne conduira qu’à des échecs et des lenteurs tant ces domaines régaliens ne font pas l’objet de consensus entre les 28 Etats membres de l’Union. La « géométrie variable » paraît, en l’espèce, la seule voie possible de progrès par l’exemple. Seule la volonté d’au moins deux Etats membres, susceptibles d’être rejoints peu à peu par d’autres, semble permettre d’avancer dans ces domaines qui relèvent par excellence de la souveraineté nationale.

Conclusions 

Le renouvellement de toutes les institutions européennes communes en 2014 offre une opportunité exceptionnelle de réformes de la gouvernance et des pratiques institutionnelles, grâce à une forte pression politique exercée par au moins deux, ou plusieurs, Etats membres. La France et l’Allemagne s’honoreraient à définir un « cahier des charges » applicable à chaque fonction, qui préciserait les changements indispensables dans les pratiques institutionnelles européennes.

Sans modification des traités, ces réformes constitueraient déjà une avancée importante tenant compte de l’opinion des citoyens et des impératifs d’efficacité.

La différenciation, c’est-à-dire l’intégration à quelques uns, ouverte à tous, paraît le meilleur moyen de relancer l’intégration par l’exemple, d’une Union en panne de projets concrets. A cet égard, la France et l’Allemagne devraient prendre l’initiative en matière fiscale et sociale afin de fixer des objectifs précis et compréhensibles, assortis d’un calendrier de réalisation (feuille de route).

L’objectif de réussir une véritable Union politique impose une réflexion plus large et plus libre envers le processus d’intégration. La méthode communautaire demeure, mais l’essentiel des efforts exigeant désormais de s’attaquer à des sujets relevant du cœur des souverainetés nationales, il faut accepter, à titre transitoire, que la méthode intergouvernementale puisse être utile. C’est le cas à l’évidence de la politique étrangère et de sécurité commune qui ne pourra avancer que de cette manière. Mais une Europe « plus démocratique » passe aussi par une action plus résolue des Etats membres et de leurs parlements.

Avancer par l’intergouvernemental et avoir ensuite recours aux institutions communes, quand elles font preuve de leur utilité, est le seul véritable moyen de surmonter les blocages en ces domaines, de même que pour les secteurs de la fiscalité. Les parlements nationaux doivent « s’européaniser » et s’engager plus fermement dans la politique européenne de leur Etat.

Soixante trois ans après le commencement du processus de construction européenne, parvenu à un réel niveau d’intégration, il appartient d’abord aux Etats membres et à leurs citoyens de le parachever et de le poursuivre démocratiquement. C’est de leur volonté, défaillante depuis plus de vingt ans, que dépendra la poursuite d’un mouvement indispensable à l’avenir du continent.

« L’avenir du continent ne se fera ni uniquement ni principalement par des institutions européennes ; leur création suivra le cheminement des esprits ». Robert Schuman, Pour l’Europe (5ème édition, Ed. Fondation Robert Schuman-Nagel, Paris 2010, p.38).

Beaucoup reste à faire, d’abord au niveau des Etats, ensuite en coopération, enfin seulement au niveau supranational.

II. CONTRIBUTION DE LA FONDATION JEAN JAURES

I. CONTRIBUTION DE L’INSTITUT MONTAIGNE

« Comment renforcer l’Europe politique »

Depuis 2005 et le rejet du projet de traité établissant une constitution pour l'Europe (par les Pays-Bas et la France), le débat sur l'Europe politique est piégé. Les responsables politiques craignent qu'une grande initiative en la matière impliquant une révision des traités ne conduise à un nouveau rejet par les citoyens, qui pourrait être fatal à la construction européenne. A minima, ils redoutent que des projets européens trop ambitieux ne leur soient préjudiciables lors des élections nationales. À quelques mois des élections européennes, ces craintes sont exacerbées. Les sondages indiquent en effet que ce scrutin devrait être caractérisé par une abstention record et un renforcement du poids des extrêmes au Parlement européen. Dans ce contexte, si Angela Merkel puis François Hollande ont appelé à l'émergence d'une union politique (respectivement en janvier 2012 et en mai 2013), ils se sont tous deux gardés de préciser quelle forme elle devrait prendre et surtout quels nouveaux transferts de compétence vers l’échelon communautaire seraient nécessaires.

L'évolution qu'a connue l'Union européenne depuis 2005 contraste avec cette prudence du débat public. En effet, la crise financière venue des États-Unis et surtout la crise des dettes souveraines ont conduit à une évolution rapide de la gouvernance économique de la zone euro. Ces réformes, qui ont été peu débattues, ont entraîné un renforcement très sensible des pouvoirs des institutions européennes, en particulier de la BCE en matière monétaire et de la Commission dans le domaine budgétaire. La souveraineté budgétaire des États membres, et notamment des Parlements nationaux, est désormais contrainte par le nouveau cadre fixé par les règlements européens (2-pack et 6-pack) et le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance. Or, ce mouvement ne s'est pas accompagné d'avancées dans l'organisation politique de l'Union et s’est même opéré sans véritable débat citoyen. Une crainte se nait désormais jour du fait du manque de légitimité démocratique d'institutions dont le rôle budgétaire a été sensiblement accru. Elle s'exprime notamment dans les décisions de la Cour constitutionnelle fédérale allemande qui a critiqué à plusieurs reprises l'insuffisant contrôle démocratique des institutions européennes.

Pour répondre à cette difficulté, il peut sembler séduisant de se focaliser une fois de plus sur l'organisation institutionnelle de l’Union européenne et de rechercher des solutions innovantes : création d'un haut représentant de la zone euro qui cumulerait les fonctions de commissaire aux affaires économiques et de président de l'Eurogroupe ; création d'une commission de la zone euro au Parlement européen ; fusion des postes de président du Conseil européen et de la Commission, etc.

Pour l’Institut Montaigne, si de telles évolutions peuvent être envisageables à terme, elles ne sauraient constituer un préalable à ce qui doit être une véritable refondation du projet européen. Depuis Maastricht, les débats européens se sont trop souvent concentrés sur ces questions institutionnelles, entraînant l'incompréhension puis le rejet des citoyens. Avant d'envisager une nouvelle réforme des institutions, il paraît donc urgent de faire émerger une Europe des politiques (« policies » dirait-on en anglais) en lieu et place d’une Europe des politiciens, afin de mieux répondre aux attentes des citoyens européens et de permettre à l'Union européenne de faire la preuve de son efficacité et de sa valeur ajoutée par rapport aux structures nationales ou locales. Le développement de ces nouvelles politiques européennes constituerait ainsi le fer de lance d’un vrai retour de l'Europe politique dans le débat public.

1) Un contexte morose pour le projet politique européen

1.1) L’Europe face à un triple choc : politique, économique et géopolitique

L’Europe fait face à une crise politique majeure. L’exécutif européen souffre d’un déficit de lisibilité : aucun leadership n’émerge et la création d’un président du Conseil européen n’est pas venue clarifier la donne. Au contraire, elle est même source de confusion, notamment sur la scène internationale, où les présidents de la Commission et du Conseil européen, voire du Parlement, sont désormais en concurrence dans la prise de parole. Le Parlement européen souffre d’un déficit de visibilité : les citoyens ne sont pas vraiment informés sur son rôle et son activité, si bien que les parlementaires européens se retrouvent isolés des opinions publiques nationales. Le Conseil des ministres – Conseil de l’Union européenne – souffre d’un déficit de transparence : les discussions se déroulent à huis-clos et les décisions sont prises sans que les citoyens soient informés – et encore moins consultés – sur le contenu des débats. Le Conseil européen – qui rassemble les chefs d’État et de gouvernement – souffre d’un déficit de légitimité : intervenant sur tous les sujets, parfois très techniques, son rôle n’est pas clairement défini et sa capacité d'impulsion souvent insuffisante. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le fossé entre les « élites » – comprenant et soutenant la construction européenne – et le reste de la population s’accroisse dans tous les États.

L’Europe fait également face à une crise économique sans précédent dans son histoire. Si la crise des dettes souveraines a été l’occasion de faire avancer un certain nombre de sujets liés à la gouvernance de la zone euro, le sentiment a prévalu parmi les citoyens que l’Europe n’avait pas été un rempart contre la crise financière venue des États-Unis. Les critiques contre l’euro n’ont jamais été aussi fortes, entraînant dans leur sillage des interrogations croissantes sur l’intérêt économique de la construction européenne. Une enquête du Pew Research Center de mai 2013 a ainsi montré que seuls 37% des Européens pensent aujourd’hui que l’intégration économique a renforcé l’économie européenne.

Enfin, l’Europe fait face à des tensions géopolitiques majeures, devant lesquelles elle reste impuissante. Malgré quelques avancées, telles que la création du Haut Représentant pour les Affaires étrangères ou la constitution du Service européen d’Action extérieure, l’Europe n’a pas réussi à se doter d’une véritable politique étrangère commune. Les dernières crises internationales (Libye, Mali, Syrie) ont souligné de façon flagrante l’absence de capacité de réaction partagée au niveau européen. Si plusieurs pays européens assument un rôle militaire sur la scène internationale dans des actions de stabilisation (5 200 soldats allemands sont ainsi déployés à l’étranger dans ce cadre), seuls la France et le Royaume-Uni disposent des moyens nécessaires à la gestion de crise, en étroite coordination et avec le soutien logistique des États-Unis. De la même façon, le Service européen d’Action extérieure n’a pas permis de s’affranchir de la prégnance des services diplomatiques nationaux. Alors que « l’Europe puissance » pourrait être un vecteur très fort de constitution d’une Europe politique, les États membres ne souhaitent ni abandonner leurs prérogatives nationales, ni investir en commun dans les industries de défense et l’action diplomatique européenne se borne à tenter de fixer des orientations politiques, bien vite dépassées sur le terrain en cas de conflit.

1.2) La réassurance de la monnaie économique a été conduite en rupture avec les traités et au prix d’une montée des tensions politiques

La crise économique a montré les limites de la gouvernance qui avait été mise en place à Maastricht. Elle a nécessité une action rapide. Compte tenu de l’urgence de la situation, le sauvetage de l’euro s’est fait en rupture avec les traités et la réponse à la crise financière s’est faite à la limite de la légalité européenne :

• Lorsque, fin 2009, la crise des dettes souveraines a éclaté, la BCE a dû intervenir en acceptant, presque subrepticement, un rôle qu’elle n’avait jusque-là jamais endossé. Au printemps 2010, la BCE décide d’accepter tous les emprunts grecs présentés en garantie par les banques, sans prendre en compte la notation de ces emprunts par les agences de notation, et décide même d’intervenir sur le marché secondaire en rachetant les emprunts grecs. Une mesure étendue ensuite au cas de l’Irlande, du Portugal, de l’Espagne ou de l’Italie. Cette intervention a suscité l’ire de l’Allemagne, qui estimait que la BCE allait au-delà des traités en se livrant à ces rachats, tandis que la BCE se défendait en rappelant qu’elle n’intervenait que sur le marché secondaire, alors que les traités ne lui interdisaient qu’une intervention sur le marché primaire des obligations.

• Quant au renforcement de la gouvernance économique européenne, il a nécessité l’adoption d’un traité ad hoc (le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance), sans le Royaume-Uni, afin de contourner les lourdeurs de la procédure de révision prévue par les traités et de passer outre l’opposition de certains États membres.

Par ailleurs, les mesures d’austérité nécessaires dans les pays en crise et l’ampleur des sommes consacrées à la solidarité indispensable entre pays de la zone euro ont entraîné une montée très importante des tensions politiques dans l’ensemble de l’Union européenne. Dans les États membres les plus concernés par la crise des dettes souveraines, le sentiment a prévalu que les plans de sauvetage étaient imposés par « Bruxelles » pour défendre les marchés et les places financières européennes, au détriment des peuples. Chypre, Grèce, Espagne : les annonces successives de ces plans ont donné lieu à des manifestations parfois violentes et la défiance s’est installée du côté des citoyens, mais aussi des dirigeants. À l’inverse, les populations des États membres sollicités pour financer les aides aux pays en crise ont exprimé une réticence croissante à l’égard de la solidarité européenne. Ainsi, pendant la campagne électorale allemande, la nécessité d’accorder une nouvelle aide à la Grèce et le calendrier de cette décision se sont régulièrement trouvés au centre des débats.

2) Un moment particulier qui doit permettre de donner chair au projet politique de l’Europe

En raison même de ce contexte de crise, l’Institut Montaigne considère qu’il existe une opportunité pour relancer le projet politique de l’Europe.

2.1) Les conditions sont réunies pour une initiative majeure au printemps 2014

Face à la crise que connaît aujourd’hui la zone euro, l’Allemagne et la France ont affiché leur volonté de mettre en place une « union politique ». En novembre 2011, à l’occasion du 24ème congrès de la CDU, Angela Merkel avait fait de la construction de l’union politique, le « devoir de notre génération » :

« L'heure est venue pour une percée vers une nouvelle Europe […]. Le devoir de notre génération est de compléter l'Union économique et monétaire et de construire une union politique en Europe, étape par étape [...]. Cela ne signifie pas moins d'Europe, cela signifie plus d'Europe. »

Le Président de la République française lui a répondu le 16 mai 2013 en indiquant que la France était « également disposée à donner du contenu à cette union politique ». François Hollande semblait même considérer que ce projet devait voir le jour dans un délai beaucoup plus resserré que celui proposé par la Chancelière, puisqu'il proposait de définir cette union politique en l’espace de deux ans et d'en faire une « affaire d’urgence européenne ».

Cet objectif partagé entre la France et l’Allemagne pourrait être mis en œuvre dans les prochains mois. En effet, après les élections présidentielles et législatives françaises de mai et juin 2012, les élections législatives allemandes se sont tenues en septembre 2013 et l’équipe gouvernementale allemande devrait être constituée d’ici janvier 2014. Les deux pays disposeront alors de trois ans et demi pour développer une initiative politique européenne majeure, les prochaines élections étant prévues en 2017 dans les deux pays (mai en France, septembre en Allemagne).

Le renouvellement des institutions européennes au printemps et à l’automne 2014 contribue à l’opportunité de cette initiative. La campagne pour les élections au Parlement européen fournira l’occasion de porter un projet politique renouvelé pour l’Union européenne. Un tel débat sera néanmoins contraint par le cadre institutionnel tel qu’il existe aujourd’hui. Les élections européennes se fondent sur une base uniquement nationale, peu propice à un débat européen (partie 3.2.). En outre, bien que le traité de Lisbonne prévoie que le Conseil européen tienne « compte des élections au Parlement européen » pour proposer un candidat à la fonction de président de la Commission, il n’est à ce stade pas certain que le candidat ainsi désigné sera le candidat de la liste arrivée en tête aux élections européennes, alors même qu’une telle évolution serait souhaitable. En tout état de cause, à l’issue des élections du printemps prochain, la France et l’Allemagne pourront proposer un projet d’union politique qui serait alors mis en œuvre pendant le mandat du Parlement européen et de la Commission.

2.2) Il faut dessiner une Europe utile plutôt qu’une Europe idéale

Le « momentum » de 2014, qui permet d’envisager des évolutions à l’échelle européenne sur une période de trois ans, pourrait conduire à des propositions très ambitieuses qui dessineraient une « Europe idéale », notamment si elles se concentrent sur la réforme institutionnelle de cette Europe. De telles propositions ont régulièrement été évoquées, mais n’ont jusqu’à présent pu être traduites politiquement. Quant aux discussions sur le cadre institutionnel européen et sur la forme de gouvernement idéale pour le projet européen, elles sont souvent ésotériques pour les citoyens et ne permettent pas de susciter leur adhésion.

Dès lors, il parait opportun d’esquisser une « Europe utile », un projet qui réponde aux préoccupations des citoyens européens. Les jeunes européens sont favorables à l’idée européenne, mais la suppression des contrôles aux frontières ou l’existence de l’euro sont pour eux des acquis, tout comme la préservation de la paix pour leurs aînés. Dans ce contexte, il est nécessaire de leur présenter des politiques que l’Union européenne pourrait assumer et de leur expliquer la façon dont ces politiques européennes pourront améliorer, concrètement, leurs conditions de vie.

Telle est l’approche qui avait été retenue jusqu’au traité de Maastricht. Les avancées institutionnelles accompagnaient des avancées politiques (marché unique, création d’un espace sans frontières, mise en place de l’euro). Après Maastricht, les débats européens se sont concentrés sur les seules questions institutionnelles, suscitant une incompréhension puis un rejet. Ainsi, le projet de traité établissant une constitution pour l’Europe ne s’accompagnait d’aucune grande avancée en matière de politiques portées par l’Union européenne, ce qui peut expliquer pour partie son échec.

2.3) Accepter momentanément une Europe à plusieurs vitesses tout en prévoyant les mécanismes qui permettront à terme l’extension des collaborations à l’ensemble de l’Union européenne

Comme l’Institut Montaigne l’avait déjà indiqué en mars 2012, il est indispensable d’accepter une Europe à plusieurs vitesses qui permette de donner vie aux projets définis par un groupe réduit de pays, notamment les États membres de la zone euro. Cependant, l’Europe à plusieurs vitesses ne peut être en aucun cas une fin en soi. Elle n’est qu’un pis-aller pour sortir de l’impasse dans laquelle se trouve l’Union européenne. Plusieurs conditions doivent donc être respectées pour qu’une telle approche renforce effectivement le projet européen, au lieu de l'affaiblir.

Si plusieurs États décident d’avancer ensemble sur certains sujets, ils peuvent privilégier la voie intergouvernementale. Cependant, la méthode communautaire ayant montré son efficacité, l’ensemble des projets qui pourraient être conduits par les États membres devraient associer la Commission et le Parlement européen, tandis que le règlement des différends devrait être soumis à la Cour de justice de l’Union européenne.

Par ailleurs, l’ensemble des États membres de l’Union européenne ont vocation à participer à de tels projets. Certains États sont aujourd’hui contraints de mettre en place, entre eux, des coopérations plus étroites, du fait notamment de leur appartenance à la zone euro. Cependant, si l’adhésion du Royaume-Uni à la zone euro n’est pas envisageable à court terme, rien ne serait pire que de fermer la porte aux autres États membres. Dès lors, toute démarche impulsée dans le cadre de la zone euro devra associer, s’ils le souhaitent et sont prêts à concéder les transferts de souveraineté nécessaires, les autres États membres de l’Union européenne. Tel a d’ailleurs été le cas avec le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, signé par 25 États membres.

Enfin, le principe de subsidiarité doit être placé au cœur des projets qui seront ainsi développés. Il ne signifie pas que l’Europe doit se montrer pusillanime et n’intervenir que si chacun des 28 États est d’accord, mais qu’elle doit démontrer sa valeur ajoutée par rapport aux actions nationales ou locales. En outre, il implique, lorsque le transfert de certaines compétences au niveau de l’Union européenne est indispensable, que la mise en œuvre de ces compétences se fasse en respectant les différentes situations des États membres. Le respect de ce principe sera particulièrement nécessaire pour les projets qui pourraient être développés dans le domaine social.

3) De l’Europe politique à l’Europe des politiques attendues par les citoyens

L’heure est aujourd’hui à l’émergence d’une Europe des politiques, qui réponde concrètement aux attentes des citoyens. Il est donc nécessaire que les politiques européennes soient en mesure d’apporter des solutions aux préoccupations qu’ils expriment. Selon l’Eurobaromètre du printemps dernier6, les premières d’entre elles sont le chômage, la situation économique ainsi que la sécurité et l’immigration. Si l’Europe n’est pas active et efficace sur ces questions, l’adhésion des citoyens fera défaut et l’essor d’une Europe politique sera rendu impossible.

3.1) Se saisir de la question de l’emploi et de la formation au niveau européen

L’Europe de la jeunesse ne peut se résumer à Erasmus, qui ne concerne que 1% de la jeunesse européenne. Elle doit se préoccuper des questions clés que sont la formation et l’emploi. L’attente des jeunes Européens est forte en la matière, alors que 5,6 millions de jeunes de moins de 25 ans sont au chômage en Europe, soit 20% du total des chômeurs européens. Aucune modification de traité n’est nécessaire pour y parvenir, puisque l’UE est compétente pour assurer la coordination des politiques économiques et de l’emploi, en définissant des grandes orientations et des lignes directrices à destination des États membres. Sur cette base, l’Europe doit oser et aller au-delà d’une simple logique d’évaluation des politiques menées et d’échange des bonnes pratiques.

Il est essentiel pour l’Europe de construire une politique de la formation et de l’emploi structurée au niveau européen, pour faciliter la mobilité des Européens sans fragiliser les Etats plus en difficulté économiquement. Ainsi, du fait de la crise économique et des mesures d’austérité adoptées dans leurs pays, des milliers de Grecs, d’Espagnols ou d’Italiens ont émigré vers l’Allemagne en 2012 – les flux migratoires en provenance de ces trois États vers l’Allemagne ont augmenté de plus de 40% entre 2011 et 2012. Si, du fait du vieillissement de sa population, l’Allemagne se félicite de l’afflux de travailleurs jeunes et bien formés, cette situation pose la question du déséquilibre entre une Europe prospère attirant la jeunesse et une Europe du Sud en difficulté affaiblie par le départ d’une partie des diplômés dont elle a financé la formation. C’est donc au niveau européen qu’il faut trouver une réponse à la question de la formation et de l’emploi des jeunes.

Si la subsidiarité doit rester la règle en la matière, limitant les interventions de l’Union européenne aux problématiques sur lesquelles une action commune européenne serait plus efficace que des interventions nationales, l’Europe peut donner des impulsions fortes sur certains sujets clés, à charge pour les États d’y répondre par des dispositifs nationaux. Le plan de lutte pour l’emploi des jeunes, adopté en juin dernier par le Conseil européen, est un bon exemple de la façon dont l’Europe doit se saisir de ces grands enjeux. Une décision concrète : la « garantie jeunes », qui devra se traduire par des dispositifs nationaux et qui pose le principe qu'un jeune de 25 ans doit bénéficier, au maximum quatre mois après avoir perdu un emploi ou terminé une formation, d'une nouvelle formation, d'un stage ou d'un emploi.

Un ‘Erasmus’ de l’apprentissage devrait également voir le jour, afin de favoriser la mobilité des jeunes travailleurs et structurer un marché du travail intégré au niveau européen. Si l’effort budgétaire devrait être décuplé pour assurer une efficacité optimale au dispositif, il n’en demeure pas moins que la démarche est un bon exemple de proposition de réponse européenne concrète à un sujet qui inquiète les citoyens.

De façon plus ambitieuse, un mécanisme européen d’indemnisation du chômage pourrait être mis en place pour compléter les dispositifs nationaux. Un système comparable existe aux États-Unis avec une assurance chômage permanente au niveau des États fédérés, complétée par une assurance chômage contingente financée principalement par l’État fédéral. Cette assurance chômage européenne pourrait être assortie de mesures de soutien à la mobilité, afin de faciliter l’appariement entre l’offre et la demande d’emploi au niveau européen. La mise en place d’un tel système nécessiterait en parallèle une réforme des règles applicables au marché de l’emploi, faute de quoi il conduirait à un transfert permanent des États ayant les taux de chômage structurels les plus faibles vers ceux ayant les taux de chômage structurels les plus élevés. Ces derniers devraient donc s’engager à réduire leur taux de chômage structurel en réformant leur marché du travail afin de favoriser une plus grande flexibilité.

Ces réformes du marché de travail ne seront acceptables que si elles s’accompagnent de la définition d’un socle de conditions de travail et d’emploi qui seraient respectées, notamment dans les cas de détachement de travailleurs dans un autre État membre. En 2012, la Commission a proposé un projet de directive afin de clarifier l’exercice des droits sociaux des travailleurs détachés et de mettre fin aux abus constatés en la matière. Les négociations n’ont cependant pas pu aboutir à ce jour, en raison de la profonde division des États membres sur cette question. Il est indispensable qu’elles puissent être conclues rapidement, afin que les conditions d’une concurrence équitable au sein de l’Union européenne soient rétablies.

3.2) Faire de l’Eurozone un espace de prospérité

Pour être acceptée par les citoyens, il faut que l’Europe redevienne un espace de prospérité. Les institutions européennes doivent mettre la croissance au cœur de leur action et de leur communication. La crise a précisément conduit à définir un cadre qui permet aux institutions européennes de favoriser le développement d’une telle politique. Ce cadre repose sur deux piliers : un renforcement de la discipline budgétaire et une coordination des politiques économiques via l’examen des équilibres macro-économiques. Dans les deux cas, les procédures mises en place ont très sensiblement renforcé le rôle de la Commission européenne. Elle intervient désormais de manière beaucoup plus précoce dans les mécanismes nationaux de prise de décision : examen des programmes de stabilité et de convergence au printemps ; examen des projets de budget à l’automne. Elle pourra faire des recommandations sur l’ensemble de la politique économique des États membres : au printemps, les recommandations pourront porter tant sur la politique budgétaire à moyen terme que sur la correction des déséquilibres macroéconomiques ; à l’automne, elle pourra demander aux États membres de présenter un projet de budget révisé. À ce stade, les États membres n’ont pas souhaité que la Commission puisse opposer son veto à un projet de budget. Les Parlements nationaux restent donc libres de ne pas suivre les recommandations de la Commission. Cependant, les mécanismes de sanctions applicables si les États membres ne mettent pas fin aux déséquilibres signalés par la Commission, que ces déséquilibres soient budgétaires ou macro-économiques, ont été renforcés en parallèle. L’imposition de sanctions revêtira à l’avenir un caractère quasi automatique avec la généralisation de la règle dite de la majorité qualifiée inversée, qui prévoit que le Conseil ne pourra s’opposer à une proposition de la Commission qu’à la majorité qualifiée. Au total, la Commission peut donc désormais définir une politique économique au service de la croissance en Europe.

Ceci implique pour la Commission d’adopter une approche qui ne se réduise pas au seul redressement des comptes publics. Si ce cap doit être maintenu, sa mise en œuvre doit être adaptée, afin de favoriser le retour de la croissance dans la zone euro. C’est cet équilibre qu’a tenté de définir la Commission depuis un an dans le cadre des procédures de surveillance budgétaire, en autorisant les États membres à adapter le rythme de redressement de leurs comptes publics pour ne pas sacrifier la croissance et en focalisant son analyse sur les déficits structurels plutôt que sur les déficits nominaux. De la même façon, dans le cadre de la procédure de suivi des déséquilibres macroéconomiques de la zone euro, la Commission doit tenir compte de l’ensemble des déséquilibres (situation de la balance courante, taux d’endettement des ménages, etc.) susceptibles d’entraîner une divergence économique entre les États de la zone euro. Ainsi, les politiques d’ajustement imposées au pays confrontés à un déficit de leur balance courante doivent être plus clairement assorties de politique de reflation dans les pays en situation d’excédent.

Si le cadre qui a été défini constitue un progrès, il reste perfectible. En effet, il permettra essentiellement à la Commission d’infléchir les politiques économiques menées par les États membres, afin qu’elles servent au mieux la croissance dans l’ensemble de la zone euro. Mais, cette action reste tributaire de la mise en œuvre des recommandations de la Commission par les États membres. Or, les débats qui, au printemps, ont entouré en France la publication des recommandations de la Commission dans le cadre de l’examen, des programmes de stabilité et de convergence montrent que, malgré la crédibilisation des sanctions prévues en cas de non-respect des engagements européens, les gouvernements sont réticents à renoncer à leur souveraineté budgétaire. En outre, les mécanismes prévus pour soutenir des pays confrontés à un choc asymétrique sont limités. Le mécanisme européen de stabilité pourra leur venir en aide, mais il n’interviendra que dans des situations critiques. Aucun mécanisme n’a été mis en place pour faire face à un choc asymétrique limité, dans un pays où les marges de manœuvre budgétaires seraient réduites.

Dès lors, une réforme de la zone euro reposerait sur deux piliers. D’une part, la gouvernance économique devrait encore être renforcée, en donnant un droit de veto à la Commission européenne sur le budget des États membres. Une telle mesure constituerait une avancée majeure de la construction européenne, puisqu’elle obligerait les États à renoncer pour partie à leur souveraineté budgétaire. Elle permettrait de s’assurer que les États membres respectent les engagements pris au niveau européen. D’autre part, elle devrait s’accompagner de la constitution d’un budget au niveau de la zone euro qui financerait notamment des dépenses jouant un rôle de stabilisateur automatique en cas de crise. Pourraient notamment être financées par ce biais des dépenses d’assurance chômage (cf. supra), ces dépenses étant particulièrement cycliques. Un tel budget pourrait être financé par des recettes également cycliques, et notamment l’impôt sur les sociétés. Ceci impliquerait d’harmoniser l’assiette de l’impôt sur les sociétés (cf. infra) et d’en affecter le produit à ce projet européen7. Le caractère cyclique des recettes comme des dépenses pouvant entraîner un déficit en cas de crise, la création de ce budget devrait s’accompagner de la possibilité d’émettre des obligations au niveau de la zone euro.

Enfin, la question des salaires devrait également être prise en compte au niveau européen. Jusqu’à la mise en place de l’euro, les États disposaient en effet de la possibilité de dévaluer lorsque leurs industries faisaient face à un écart de compétitivité trop important avec leurs partenaires. Ils ont perdu cette possibilité avec la mise en place de la zone euro. Dans ce contexte, la résorption des écarts de compétitivité passe désormais par des politiques de diminution des salaires réels, socialement coûteuses. Des mécanismes de consultation entre partenaires sociaux pourraient utilement être mis en place au niveau européen, afin d’éviter l’accroissement des écarts de coûts salariaux dans les pays de la zone euro. À plus long terme, la création d’un salaire minimum dans chaque État membre permettrait une convergence minimale au sein de la zone euro. Chaque État membre devrait cependant rester libre de définir le mécanisme le plus adapté à sa situation (définition de salaires minimums par branche, par régions ou au niveau national), afin qu’il n’entraîne pas une augmentation du chômage structurel.

3.3) Définir une politique européenne de compétitivité des entreprises

Les institutions européennes peuvent créer un cadre macro-économique favorable au retour de la croissance. Mais, celui-ci ne sera possible que si les entreprises européennes sont compétitives. Cette question de la compétitivité des entreprises est aujourd’hui essentiellement traitée au niveau national. Or, l’Union européenne a un rôle majeur à jouer en la matière. Elle doit, d’une part, s’efforcer d’améliorer la compétitivité-prix des entreprises européennes, en agissant sur leurs coûts de financement ainsi que sur les prix de l’énergie. Elle peut, par ailleurs, favoriser la constitution d’entreprises européennes compétitives sur la scène internationale, notamment dans les secteurs d’avenir (comme le numérique par exemple) où l’innovation permet de lutter sur le terrain de la compétitivité « hors-prix ».

La crise a montré la difficulté, pour les pays touchés, à renouer avec la croissance dans un contexte de rationnement du crédit, rationnement qui ne s’expliquait pas par les fondamentaux économiques des entreprises mais par les incertitudes que faisait peser le poids des dettes souveraines sur les banques de ces pays. La création de l’union bancaire doit répondre à cette difficulté. Elle repose sur des règles prudentielles imposées aux fournisseurs de services financiers, un mécanisme de surveillance unique et un mécanisme de résolution unique. Les deux premiers éléments de l’union bancaire ont déjà été adoptés et le mécanisme de résolution unique devrait l’être avant les prochaines élections européennes. Une fois pleinement mise en œuvre, l’union bancaire brisera le cercle vicieux qui s’était établi entre crise budgétaire et crise bancaire. Si elle s’accompagne plus largement d’un achèvement du marché intérieur des services financiers, cette réforme pourrait permettre de faire converger les modalités de financement des entreprises dans l’ensemble des pays de la zone euro. Elle permettra ainsi aux entreprises des pays les plus affectés par la crise de retrouver des conditions de financement plus compétitives.

De la même façon, l’Union européenne doit faire de la transition énergétique un levier de compétitivité8. Alors que les États membres ont fait des choix de politique énergétique très différents, l’Union européenne est globalement confrontée à une hausse des prix de l’énergie, hausse qui est au cœur du débat public en France, en Allemagne comme au Royaume-Uni. Cette hausse est durable et s’explique par la conjonction de trois tendances : la hausse significative de la facture des importations d’hydrocarbures, les coûts du déploiement rapide des énergies renouvelables et, pour les pays qui n’ont pas abandonné cette source d’énergie, la hausse des coûts de l’énergie nucléaire à l’occasion du renouvellement du parc existant. À l’inverse, les États-Unis sont entrés dans une ère d’énergie bon marché grâce à l’exploitation massive des hydrocarbures non conventionnels. Cette évolution aura des conséquences économiques et géopolitiques majeures. Elle pourrait entraîner une perte de compétitivité importante des entreprises européennes par rapport à leurs concurrentes américaines. Face à ce défi, la politique énergétique européenne actuelle est déséquilibrée par la prégnance de la lutte contre le réchauffement climatique. Il est donc indispensable de procéder à un rééquilibrage de cette politique européenne, au profit de la compétitivité économique et de l’amélioration de la sécurité des approvisionnements. L’Institut Montaigne détaillait dans sa note Faire de la transition énergétique un levier de compétitivité des propositions concrètes : garantir la libre circulation du gaz et de l’électricité dans l’Union européenne ; hiérarchiser les objectifs en matière de politique climatique ; harmoniser les mécanismes de soutien à l’électricité d’origine renouvelable ; créer une véritable politique européenne de l’énergie qui s’accompagnerait d’une diplomatie européenne de l’énergie.

La diminution de ces coûts pour les entreprises ne suffira cependant pas à améliorer durablement leur compétitivité. Pour être présentes sur la scène internationale, les entreprises européennes doivent disposer d’une taille critique suffisante. Or, leur développement est notamment conditionné par la taille du marché sur lequel elles opèrent. L’achèvement du marché intérieur européen, notamment dans le domaine des services, est donc crucial pour permettre aux entreprises européennes de croître. Par ailleurs, cet achèvement pourra permettre d’adapter la politique de concurrence européenne. En effet, si le marché à l’aune duquel s’apprécient les distorsions de concurrence est mondial et non limité à l’Europe, la Commission européenne pourra plus facilement laisser se développer des entreprises de taille suffisante pour affronter la mondialisation. Enfin, l’Union européenne doit développer une stratégie industrielle plus lisible que celle qui a été menée jusqu’à présent. Elle doit engager une réflexion collective sur les secteurs d’avenir dans lesquels elle doit accroître ses investissements. À cet égard, la réflexion engagée au Conseil européen d’octobre 2013 sur l’Europe du numérique constitue un premier pas prometteur.

Enfin, l’Europe doit favoriser l’insertion de ses entreprises dans les chaînes de valeur globales. Pour ce faire, elle doit poursuivre sa politique d’ouverture aux partenaires extérieurs. À cet égard, l’agenda commercial de la Commission est déjà extrêmement ambitieux : accords conclus avec la Corée du Sud et le Canada, négociations en cours avec le Japon, les États-Unis, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), la Chine, le Mercosur et les pays du Sud de la Méditerranée. Parallèlement, si les négociations multilatérales semblent durablement bloquées, plusieurs initiatives plurilatérales se développent à Genève pour dépasser cet échec, initiatives auxquelles la Commission participe très activement. Elles concernent des secteurs d’avenir pour le commerce international : technologies de l’information, industrie des services, biens environnementaux, etc. L’enjeu de ces négociations est double. L’Union européenne doit tout d’abord s’efforcer d’obtenir une ouverture du marché des pays émergents équivalente à celle qu’elle offre déjà à leurs entreprises. À cet égard, l’incapacité de la Commission à conclure des accords commerciaux avec les grands émergents (Inde, Mercosur) est préoccupante. Avec les pays du G8 (Japon, États-Unis) et dans le cadre des négociations plurilatérales, l’enjeu reste la suppression des barrières dites « non tarifaires » qui freinent le développement du commerce. Le concept « d’égalité d’accès aux marchés » doit être assuré dans les relations avec nos grands partenaires commerciaux que sont les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud et la Chine. Dans ce contexte, l’Union européenne doit définir une approche qui réduise ces barrières sans que ne soient remises en cause les « préférences collectives » européennes (protection de l'environnement, sécurité alimentaire, diversité culturelle, service public de l’enseignement ou de la santé, précaution en matière de risque, droits sociaux)9.

3.4) Répondre aux attentes des citoyens en ce qui concerne la sécurité

En matière de sécurité, l’action de l’Union européenne doit être recentrée sur les questions d’intérêt pour les citoyens : lutte contre le terrorisme et politiques d’immigration. En matière de lutte contre le terrorisme, l’action d’Europol doit être rendue plus visible et sa communication améliorée sur les résultats obtenus grâce à la collaboration entre les services de sécurité des États membres.

Sur les questions d’immigration, l’action est urgente. Malgré les nombreux drames survenus en Méditerranée ces dernières années, l’Union n’est toujours pas parvenue à définir une approche commune de contrôle des frontières européennes. La responsabilité de ce contrôle incombe toujours principalement à la Grèce, l’Italie et l’Espagne, ces trois pays supportant l’essentiel des coûts liés. Quant à la protection des demandeurs d’asile, elle est assumée aux deux tiers par quatre États membres : Allemagne (22 200 en 2012), Suède (15 300), Royaume-Uni (14 600) et France (14 300)10. La solidarité européenne doit donc être très sensiblement renforcée en la matière. Le coût du contrôle aux frontières communes de l’Union européenne doit être partagé entre les États membres. À cette fin, les moyens de Frontex doivent être augmentés et, à terme, la création de gardes-frontières européens devra être envisagée. En ce qui concerne l’asile, le Parlement européen a déjà proposé11 l’élaboration d’un système européen qui permette de répartir les demandeurs d’asile en prenant en compte les intérêts des bénéficiaires, les perspectives d'intégration et des indicateurs objectifs, tels que le PIB, la population et la superficie des États membres. Sur ces questions, il faut que les citoyens comprennent ce que la construction européenne leur apporte, sous peine de ne rendre visible que ce qui a disparu (contrôle aux frontières).

Cette politique doit s’inscrire dans le cadre fourni par l’espace judiciaire européen dans le respect des principes affirmés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Celle-ci doit lutter contre les trafics mais également accueillir les réfugiés. Cette prééminence des droits fondamentaux qui a toujours été au cœur de la construction européenne doit aujourd’hui être réaffirmée et articulée avec une véritable politique d’aide au développement qui permette véritablement, par l’ampleur des moyens développés et le contrôle de leur utilisation, de réduire significativement, à terme, les flux migratoires causés exclusivement par le sous-développement.

Sur le plan diplomatique et militaire, l’Europe doit également renforcer sa présence dans le monde. L’absence d’envoi de groupements tactiques européens au Mali a souligné les carences de l’Europe en matière de capacité mais aussi de volonté d’action commune. Si la mise en place d’une Europe de la Défense garante de l’intégrité de son territoire et capable de mener des actions extérieures conjointes reste un objectif à plus ou moins long terme, des avancées concrètes sont possibles à traités constants. Le Conseil européen de défense de décembre 2013, qui sera consacré aux questions de défense et de sécurité, doit être l’occasion d’avancer concrètement sur des axes de coopération tangibles, au besoin sous la forme de coopérations renforcées. Ainsi, en matière d’industrie de l’armement, et alors que les programmes militaires européens restent aujourd’hui essentiellement le fait d’accords bilatéraux entre États membres, la mise en place de grands programmes structurants s’appuyant sur l’Agence européenne de Défense serait de nature à relancer l’Europe de la Défense au nom de la recherche des économies d’échelle qu’offre le développement de ces grands programmes à un niveau européen. Pour donner corps à cette volonté d’action commune, le Sénat français a proposé, dans un rapport de juillet 201312, la création d’un ‘Eurogroupe de la Défense’, qui correspondrait à la formation Défense du Conseil de l’Union européenne, avec une présidence stable. La mise en œuvre des programmes arrêtés (en matière de drones de surveillance ou de cyberdéfense par exemple) serait du ressort de l’Agence européenne de Défense. Le noyau dur serait l’accord franco-britannique de 2010, avec la participation nécessaire de l’Allemagne et de l’Italie.

4) En parallèle, créer un espace public européen pour renforcer le contrôle démocratique de l’Union Européenne

4.1) Le déficit démocratique européen est aussi … national

Au niveau européen, les instruments d’un contrôle démocratique existent et ils ont été renforcés par le traité de Lisbonne. Le Parlement européen contrôle la Commission. Le traité prévoit que le président de la Commission est choisi en tenant compte des élections au Parlement européen. Les Parlements nationaux sont associés à la prise de décision européenne, notamment via le contrôle du respect du principe de subsidiarité. Des améliorations peuvent encore être apportées. À cet égard, il parait notamment essentiel que les partis européens désignent des têtes de liste pour les élections européennes de mai 2014, le leader de la liste arrivée en tête étant proposé pour devenir le président de la Commission européenne. Une telle évolution implique que les partis européens désignent effectivement des têtes de liste et que le Conseil européen s’engage, à l’avance, à respecter leurs choix.

Cependant, à court terme, c’est peut-être davantage au niveau national que des changements doivent être apportés, notamment dans le contexte de pleine application, à l’automne 2013, des innovations prévues par le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (3.2). Il s’agit de remettre les affaires européennes au centre des débats politiques nationaux, notamment en renforçant le rôle du législatif sur ces questions.

Ceci passe d’abord par des évolutions internes à chaque État membre, en mettant réellement les questions européennes à l’ordre du jour des travaux des parlements nationaux. Une telle pratique existe déjà en Allemagne où la Chancelière vient présenter devant le Bundestag, avant chaque Conseil européen, les orientations qu’elle défendra, orientations qui sont débattues au sein de cette assemblée. De la même façon, en France, des rendez-vous réguliers consacrés aux questions européennes pourraient être institués : sessions de questions au gouvernement dédiées aux problématiques européennes, adoption d’une résolution du Parlement avant chaque Conseil européen, débat parlementaire en séance plénière après chaque « semestre européen » sur la base des recommandations de la Commission européenne, etc.

Par ailleurs, un dialogue doit s’instaurer entre les responsables européens et les parlementaires nationaux, notamment dans le domaine économique. À cette fin, des auditions régulières des responsables européens (président de la BCE, de l’Eurogroupe, commissaire aux affaires économiques, commissaire aux affaires sociales et à l’emploi, etc.) pourraient être organisées par les parlements nationaux. Afin de participer à l’émergence d’un débat européen, ces auditions devraient de préférence être organisées conjointement par plusieurs parlements nationaux.

4.2) Seule une opinion publique européenne redonnera sa légitimité au projet européen

Le poids de l’opinion est aujourd’hui très important dans la conduite des affaires publiques. Ainsi, les hommes politiques nationaux tiennent le plus grand compte des sondages lorsqu’ils prennent des décisions. À l’inverse, les commissaires européens sont « en apesanteur », ne craignant pas l’évolution de l’opinion publique européenne. En l’absence de principe majoritaire au sein de l’Union européenne, et compte tenu de leur processus de nomination, leur reconduction ne dépend pas du jugement des citoyens sur leur action. Si le poids des sondages est sans doute excessif dans la vie publique nationale, il est insuffisant au niveau européen. Dans ce contexte, l’introduction du fait majoritaire dans le système européen avec la désignation comme président de la Commission du leader de la liste arrivée en tête aux élections européennes parait indispensable et urgente.

Par ailleurs, le débat transparent devrait être encouragé au niveau européen. Pendant la crise, les décisions les plus importantes ont été prises au Conseil européen ou au sein de la BCE, dont les débats sont confidentiels. De fait, il n’y a pas eu de débat public entre François Hollande et Angela Merkel sur l’équilibre à trouver entre austérité et soutien à la croissance. Les seuls échanges publics entre les dirigeants français et allemand ont eu lieu par voie de presse interposée. Personne ne sait rien des discussions qui se sont tenues au Conseil de gouverneurs (et encore moins au Directoire) de la BCE. L’Union européenne aurait pourtant tout à gagner d’un débat public et argumenté sur ces questions. Il permettrait, le cas échéant, la diffusion plis large du débat au sein de la société.

Un tel débat ne peut cependant avoir lieu que par la voie des médias. Il est donc indispensable de favoriser le traitement des affaires européennes par les grands médias nationaux. Si la création d’un média public commun à l’ensemble de l’Union européenne a pu être considérée comme la solution à terme pour répondre à ce déficit de débat sur les questions européennes, les exemples d’Euronews ou d’Arte montrent la difficulté à faire émerger un média transnational. Dès lors, il parait plus efficace de tenter d’établir un débat européen via les médias nationaux.

Conclusion 

La question institutionnelle est un moyen et non une fin en soi

La crise de légitimité à laquelle la construction européenne fait face impose d’apporter des réponses rapides. C’est pourquoi cette note propose les pistes qui peuvent être mises en œuvre sans modification des traités. Cette approche paraît la mieux adaptée à la situation actuelle. Les débats sur les traités institutionnels négociés depuis Maastricht ont été marqués par un désintérêt des citoyens pour ces questions et par un décrochage par rapport à la complexité institutionnelle de l’UE. Tout débat sur une éventuelle réforme des traités devrait donc être précédé par l’émergence d’une Europe des politiques, qui répondra aux attentes des citoyens et redonnera à l’Union européenne de la visibilité sur son efficacité. Une telle démarche, si elle produit les résultats escomptés, permettra de redonner à l’Europe la légitimité dont elle a besoin. L’Europe des politiques doit être le tremplin de la relance de l’Europe politique.

À plus long terme, certaines évolutions institutionnelles sont cependant souhaitables. Ainsi, pour que les élections européennes deviennent le moment d’un véritable débat européen, il est indispensable de renoncer au mode de scrutin actuel qui conduit à la juxtaposition de 28 scrutins nationaux. Dans ce contexte, la constitution de listes transnationales apparait impérative pour redonner du sens à ce scrutin et de la légitimité aux parlementaires européens.

De même, le mode de ratification des traités européens devrait être révisé afin de simplifier les évolutions institutionnelles en Europe et de parvenir à ce que l’approbation de ces textes par les citoyens fasse l’objet d’un débat paneuropéen. Des progrès ont été accomplis avec le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, puisque le principe de l’unanimité a été abandonné. Cependant, ce changement est insuffisant pour renforcer l’adhésion des citoyens aux textes fondamentaux qui régissent le fonctionnement de l’Union. Lorsqu’un nouveau traité sera négocié, puis adopté, sa ratification devra être organisée le même jour dans tous les États membres, selon les règles constitutionnelles nationales (référendum en Irlande, ratification parlementaire en Allemagne, etc.) et avec un principe de majorité qualifiée.

Cette Note est le fruit des réflexions d’un groupe dirigé par Jean-Paul Tran Thiet, avocat associé chez White & Case et membre du Comité directeur de l’Institut Montaigne, auquel ont notamment participé :

Nicolas Baverez, avocat associé chez Gibson Dunn et membre du Comité directeur de l’Institut Montaigne

Rainier d’Haussonville, directeur des affaires européennes chez Veolia Environnement

Martin Koopmann, directeur de la Fondation Genshagen

Christian Lequesne, directeur du Centre d’études et de recherches internationales de Sciences Po

Jean-Pierre Mignard, avocat associé chez Lysias

Cyrille de Montgolfier, directeur des affaires européennes et institutionnelles chez AXA

Elle a été mise en forme par Jérôme Brouillet, conseiller référendaire à la Cour des comptes.

Les opinions exprimés dans la présente note n’engagent ni les personnes citées, ni les institutions qu’elles représentent.

II. CONTRIBUTION DE NOTRE EUROPE

Une Fédération européenne d’Etats nations

plus légitime et plus efficace

(AV-YB Février 2014)

Introduction - La Fédération européenne : une réalité et une perspective

L’Union européenne (UE) est une Fédération d’un type particulier, c’est-à-dire une « Fédération d’États-nations », pour reprendre l’expression de Jacques Delors. La portée du droit communautaire, le vote à la majorité qualifiée au Conseil des ministres, le « bicaméralisme » et l’émergence d’une citoyenneté européenne sont par exemple des éléments d’ordre fédéral. L’exercice par les Etats du pouvoir constituant, le droit pour un Etat de se retirer de l’Union, la pratique de l’unanimité ou le fractionnement de la fonction gouvernementale entre Conseil européen, Conseil et Commission sont des éléments d’ordre confédéral. Il est possible d’estimer que ce caractère hybride est une solution transitoire préludant à la naissance d’une « véritable » Fédération plus complète, mais aussi de souligner que mieux vaut améliorer l’existant, sur la base d’avancées concrètes, plutôt que de s’en remettre au « miracle de l’innovation institutionnelle »13. C’est dans cette perspective que les analyses et recommandations ci-dessous sont formulées, afin de proposer des réponses opératoires s’agissant des trois enjeux centraux que sont la répartition des compétences entre UE et Etats membres, le mode de gouvernement européen et la démocratie au sein de l’UE.

Ces analyses et recommandations portent tout d’abord sur l’Union Economique et Monétaire (UEM), et plus précisément la zone euro, qui constitue le creuset d’une « union politique » déjà substantielle, mais susceptible d’être approfondie. La crise de la zone euro a radicalisé la critique du « déficit démocratique » de l’UE, notamment en conférant un pouvoir jugé exorbitant à certains pays européens (symbolisé par le duo « Merkozy ») ou, plus encore, en attribuant un rôle décisif à l’aréopage d’experts désigné sous le vocable de « Troïka ». Il semble dès lors d’autant plus nécessaire d’analyser de manière précise la dimension démocratique de cette crise que le renforcement des critiques du « despotisme bruxellois » coexiste avec l’intensification sans précédent des débats publics auxquels cette crise donne lieu, partout dans l’UE. Un tel contraste doit inciter à aller au-delà des apparences et des réflexes pavloviens à l’œuvre vis-à-vis du fonctionnement de l’UE14, afin de ne pas confondre hâtivement déficit d’efficacité, déficit de popularité et déficit démocratique, puis envisager les évolutions nécessaires pour parachever l’UEM sur des bases claires15.

Les analyses et recommandations formulées ci-après portent également sur l’UE toute entière, qu’il s’agit aussi de rendre plus démocratique et plus efficace, afin qu’elle soit en mesure de servir au mieux ses Etats membres et ses citoyens, qui sont tous deux au fondement de sa légitimité comme le stipulent les Traités. Ces analyses et recommandations tiennent compte des avancées importantes liées à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne qui, comme les traités précédents, a amélioré le fonctionnement de l’UE, sans toutefois inclure l’ensemble des éléments d’améliorations institutionnelles possible, à court et moyen termes.

Sommaire

Introduction - La Fédération européenne : une réalité et une perspective

1 – Au-delà de la crise : parachever l’UEM

1.1 – Clarifier la réparation des compétences et des pouvoirs au sein de l’UEM

1.1.1. Le « régime FMI » (dans les « pays sous programme »)

1.1.2. Le « régime ONU » (pour le contrôle des excès budgétaires nationaux)

1.1.3. Le « régime hyper-OCDE » (pour le suivi des politiques économiques et sociales des États membres)

1.1.4. Le « régime Banque mondiale » (pour promouvoir davantage de réformes structurelles nationales) ?

1.2 – Mieux gouverner la zone euro

1.2.1. Des sommets réguliers pour la zone euro

1.2.2. Un Eurogroupe doté d’un président à temps plein

1.2.3. Le rôle hybride de la Commission

1.3 – Renforcer la dimension parlementaire de la zone euro

1.3.1. Un enjeu clé : le contrôle des gouvernements par leur parlement

1.3.2. Une « sous-commission zone euro » au Parlement européen

1.3.3. Une véritable conférence interparlementaire de l’UEM

1.3.4. Une répartition fonctionnelle des tâches entre parlements

1.4 – Organiser la différenciation autour de la zone euro

1.4.1. La coopération renforcée, outil privilégié pour la différenciation

1.4.2. Un budget et des normes pour la zone euro

2 – Consolider l’UE, au-delà du Traité de Lisbonne

2.1 – Mieux légitimer l’exercice des compétences de l’UE

2.1.1. Mieux séparer le législatif et le réglementaire

2.1.2. Le droit d’initiative législative : priorité aux citoyens

2.2 – Un Parlement européen plus lisible

2.2.1. Des seuils majoritaires à abaisser

2.2.2. Des pouvoirs appelés à être encore renforcés

2.3 – Un Conseil des ministres plus visible et plus efficace

2.3.1. Une transparence conforme à celle du PE en matière législative

2.3.2. Des présidences fixes plutôt qu’une présidence tournante

2.3.3. Des votes à la majorité qualifiée appelés à être plus nombreux

2.4 – Une Commission plus verticale et collégiale

2.4.1. Sur le plan humain: une Commission mieux composée

2.4.2. Sur le plan organisationnel : un collège plus fonctionnel

2.4.3. Sur le plan légal : un président de la Commission plus puissant

Conclusion - Un ajustement progressif des pratiques politiques et des traités

Annexes :

Annexe 1 - La portée des compétences exercées au sein de l’UEM

Annexe 2 - Des services européens renforcés pour le gouvernement de la zone euro

Annexe 3 - Le contrôle parlementaire des Conseils européens et sommets de la zone euro

Annexe 4 - Une coopération renforcée pour la zone euro : principaux points d’application

Annexe 5 - Une Commission fondée sur un système de « clusters » : un Président, six Vice-présidents et 21 autres Commissaires

I – Au-delà de la crise : parachever l’UEM

La crise de la zone euro a conduit à modifier la répartition des compétences et des pouvoirs entre niveau européen et niveau national. Elle a donné lieu à des actions de solidarité européenne inédites vis-à-vis des États en difficulté : plans de sauvetage d’abord bilatéraux, puis européens (via le FESF et le MES) et activisme de la BCE pour racheter la dette des États et afin de fournir d’énormes liquidités aux banques. En contrepartie, l’UE a vu ses compétences et ses pouvoirs renforcés en matière de suivi des politiques budgétaires nationales (via la réforme du pacte de stabilité et l’adoption du « Pacte budgétaire ») – le cas des « pays sous programmes », qui ont de facto perdu une part de leur souveraineté, portant ses pouvoirs à des niveaux exceptionnels, fut-ce temporairement. De nouvelles propositions sont aujourd’hui en discussion en matière d’union budgétaire, d’union économique et d’union bancaire, qu’il importe d’adopter sur la base d’un dispositif institutionnel européen à la fois efficace et légitime, c’est-à-dire fondée sur des organes et mécanismes permettant aux citoyens et à leurs représentants d’exercer leurs pouvoirs de décision et de contrôle.

L’identification d’un tel dispositif institutionnel paraît d’autant plus nécessaire qu’il constitue le débouché logique de la réaffirmation de l’ancrage démocratique de la zone euro auquel la crise a donné lieu. Les citoyens des pays membres de la zone euro ont désormais mieux pris conscience des droits et devoirs spécifiques liés à l’appartenance à l’union monétaire, tout en souhaitant tous majoritairement y demeurer: il est nécessaire d’un point de vue démocratique qu’ils puissent identifier et influencer les institutions qui la gouvernent de même que les pouvoirs qu’elles exercent. La crise a d’ores et déjà permis d’accoucher de certains progrès démocratiques, qui doivent encore être complétés afin de garantir la légitimité et l’efficacité de la gouvernance de l’UEM (voir Tableau 1), sur la base de quatre orientations complémentaires.

Tableau 1

Une architecture institutionnelle complétée pour la zone euro

Le « Gouvernement » de la zone euro

Niveau présidentiel

Sommets zone euro réguliers avec président permanent et contribution du président de la Commission

Niveau ministériel

Eurogroupe avec président à temps plein et contribution de la Commission

Niveau technique

MES/MESF et « Trio » Commission, Eurogroupe, BCE pour les sauvetages

La dimension parlementaire de la zone euro

Parlement européen

Sous-commission zone euro (ouverte à tous les parlementaires européens, dans la limite de 60 membres)

Parlements nationaux -

Niveau européen

Conférence interparlementaire de l’UEM (ouverte à des représentants des 25 parlements nationaux ayant ratifié le TSCG, dans la limite de 150) avec sous-conférence zone euro pour les parlementaires nationaux des pays de la zone euro. Participation de membres du Parlement européen (dans la limite de 30).

Parlements nationaux - Niveau national 

Renforcement du contrôle ex ante et ex post sur leur gouvernement lorsqu’il délibère et vote sur des enjeux zone euro

NB : déjà mis en place, à mettre en place

Source : Yves Bertoncini, Zone euro et démocratie(s) : un débat en trompe l’œil, NE-IJD, Juillet 2013

1.1. – Clarifier la réparation des compétences et des pouvoirs au sein de l’UEM

Tommaso Padoa-Schioppa rappelait souvent qu’il convient d’appréhender le débat sur la démocratie du point de vue du demos (la participation des citoyens notamment), mais aussi du point de vue du kratos (l’étendue des compétences et des pouvoirs concernés). C’est encore plus essentiel quand on étudie la gouvernance de l’UEM, dont les évolutions récentes sont à l’origine d’une grande confusion autour de l’influence des autorités européennes sur les politiques et les choix nationaux et sur les conditions d’exercice de leur souveraineté par les États-membres. Sur ce registre, ce qui est en cause n’est d’ailleurs pas tant le caractère insuffisamment démocratique des décisions de l’UE que sa capacité à peser sur les choix collectifs opérés dans le cadre des démocraties nationales.

Parce qu’elle est notamment une crise des « dettes souveraines », la crise de la zone euro est en effet aussi une « crise de la souveraineté », qui a conduit à modifier la répartition des compétences entre l’UE et ses État membres. Cette crise a ainsi conduit certains de ces États à prêter assistance à ceux dont les dettes, privées ou publiques, étaient devenues excessives, en contrepartie d’un renforcement du contrôle de l’UE sur les politiques budgétaires et économiques nationales. Dans ce contexte, la succession des « memorandums d’accord », « packs » et « pactes » semble cependant avoir engendré un système politique reposant sur des responsabilités mal définies, alors que les traités de l’UE s’appuient plus classiquement sur le principe de subsidiarité.

Tableau 2

Le mode d’exercice des compétences au sein de l’UEM

Finalité

Outils

Mot-clé

Acteurs Européens

Acteurs comparables

Sauvetage

Mémorandum d’accord

MES

Condition

Commission / BCE

Conseil européen

FMI

Contrôle des

excès budgétaires

Pacte de stabilité

TSCG

Sanction

Commission

Conseil

ONU

Suivi des politiques économiques et sociales

Europe 2020

TSCG / Pacte euro +

Incitation

Politique

Commission

Conseil

OCDE

Aide aux réformes structurelles

Fonds d’aide

aux réformes

Incitation financière

Commission

Conseil

Banque mondiale

Source : Yves Bertoncini, Zone euro et démocratie(s) : un débat en trompe l’œil, NE-IJD, Juillet 2013

Même si une certaine complexité est inévitable pour faire agir des États membres « unis dans la diversité », il est urgent, du point de vue politique, d’établir jusqu’à quel point les réformes de la gouvernance de l’UEM ont restreint le champ des souverainetés et des démocraties nationales. Il s’agit notamment de mettre en débat l’idée selon laquelle « Bruxelles » gouverne les États membres sans légitimité pour le faire, alors que ce n’est, dans l’ensemble, pas le cas. Cette clarification préalable est indispensable à la fois pour mettre en perspective les évolutions récentes et pour permettre d’engager sur des bases saines les ajustements dont a encore besoin la gouvernance de la zone euro.

Il est à cet égard éclairant d’analyser la nature des différentes compétences exercées par l’UE dans le cadre de la nouvelle gouvernance de l’UEM au regard de ceux qu’exercent des organisations internationales. Il ressort en effet de cet examen que les relations entre l’UE et ses États membres correspondent à quatre régimes politiques différents (si on laisse de côté l’union bancaire), en vertu desquels « l’atteinte » aux souverainetés nationales ou populaires est d’une portée politique extrêmement variable (voir Tableau 2), y compris d’un point de vue géographique et temporel (voir Annexe 1). Le fait de les distinguer clairement devrait dès lors constituer un préalable à toute discussion de fond sur les liens entre l’UE et les démocraties nationales. En promouvant une telle clarification, les dirigeants politiques et les observateurs contribueraient certainement à la pertinence du débat sur les réformes de la gouvernance de la zone euro, qui doivent intervenir au niveau exécutif comme au niveau parlementaire.

1.1.1. Le « régime FMI » (dans les « pays sous programme »)

Tout à fait inédit, le « régime FMI » a brutalement modifié les relations de pouvoir qu’entretiennent l’UE et quelques « pays sous-programme », au point qu’il semble parfois affecter la perception politique de l’ensemble des interventions européennes. Ces nouvelles relations ont été établies parce que ces pays ont de facto perdu une partie de leur souveraineté, en raison de leur incapacité à se financer sur les marchés financiers à un prix acceptable – or, « la souveraineté s’arrête là où cesse la solvabilité », comme l’a notamment rappelé le rapport du groupe Tommaso Padoa-Schioppa16. Elles se fondent sur une dialectique solidarité/contrôle en vertu de laquelle les États membres ayant accepté de secourir financièrement leurs homologues réclament en contrepartie de pouvoir peser sur leur solvabilité à moyen terme, et donc sur les choix budgétaires, économiques et sociaux immédiats.

De telles relations reposent toujours sur l’expression de choix démocratiques, notamment parce que les plans de sauvetage et de réformes sont, en bonne logique, votés par les parlements nationaux – et parfois rejetés, comme ce fut d’abord le cas à Chypre. Dans ce régime, la souveraineté des pays bénéficiaires de l’aide extérieure est toutefois restreinte et les représentants de la Troïka et du Conseil européen peuvent combiner obligations de résultats et obligations de moyens, en exigeant des engagements extrêmement précis et importants en compensation des prêts qu’ils accordent : tel un banquier face à des débiteurs en difficulté, l’UE peut donc temporairement commander, pour le meilleur et pour le pire. Il est utile de souligner que ce régime n’est que temporaire ; également utile de rappeler qu’il ne concerne, en tout cas à ce stade, que 4 des 27 pays de l’UE (en Espagne, seul le secteur bancaire est concerné), ce qui le distingue clairement des autres régimes décrits ci-après (voir Tableau 1).

Hors nouvelle nécessité de sauvetage, un tel contrôle européen sur les choix budgétaires, économiques et sociaux opérés au niveau national ne semble pouvoir être élargi que dans l’hypothèse où tout ou partie des États membres s’engageait dans la mutualisation de leurs dettes nationales. Cette mutualisation pourrait porter sur les stocks de dette accumulés au-delà du seuil de 60 % du PIB (c’est l’option du « Fonds d’amortissement de la dette » proposée par le Conseil des 5 sages allemands) ; elle pourrait aussi porter sur le flux d’émission de nouvelles dettes, avec des maturités courte (dans le cadre d’« Eurobills ») ou longue (via des « Eurobonds »). Cette forme d’« intégration solidaire » conduirait nécessairement à appliquer le principe selon lequel « qui paie contrôle », fut-ce de manière graduelle : le contrôle conjoint exercé par les États européens ayant décidé de mutualiser leur dette serait par exemple minimal si cette mutualisation représente des montants inférieurs à 10 % du PIB, puis renforcé au fur et à mesure qu’on approche du seuil des 60 % du PIB17. Dans tous les cas, une telle mutualisation conduirait à l’émergence d’un contrôle européen sur les choix budgétaires, économiques et sociaux nationaux beaucoup plus fort que celui qui est exercé jusqu’alors, sur la base de régimes de type « ONU » et « Hyper-OCDE ».

1.1.2. Le « régime ONU » (pour le contrôle des excès budgétaires nationaux)

Le « régime ONU » s’applique au contrôle des excès budgétaires nationaux (et non des budgets nationaux). Il repose sur l’engagement des États membres à ne pas franchir certaines limites budgétaires, au risque de menacer la stabilité de l’ensemble de la communauté (la crise en cours l’a bien rappelé). Les États membres sont ainsi principalement tenus de maintenir leur déficit courant sous la barre des 3 % de leur PIB et leur déficit structurel sous le seuil de 0,5 % de leur PIB. Dès lors qu’ils respectent ces limites, ils peuvent agir en toute liberté : l’UE n’intervient pas dans leurs choix budgétaires. Mais ils peuvent tous être placés sous surveillance s’ils approchent de ou dépassent ces limites, en écho aux dispositions du chapitre 6 de la charte des Nations unies. Si leur excès persiste, ils peuvent théoriquement faire l’objet d’une approche coercitive (l’équivalent du chapitre 7), reposant sur de possibles sanctions financières18, dont décide le Conseil des ministres sur proposition de la Commission.

Dans tous les cas, les États membres sont confrontés à une obligation de résultats (repasser sous la limite) mais non à une obligation de moyens : il leur appartient de définir comment y parvenir et de respecter ou non les recommandations détaillées de l’UE. En filant la métaphore automobile, on pourrait dire que les États membres sont naturellement libres de choisir la puissance de leur véhicule (leur niveau de dépenses publiques), les options qu’ils souhaitent privilégier (c’est-à-dire la répartition de ces dépenses). Mais aussi qu’ils doivent veiller à éviter les excès de vitesse ou sorties de route qui mettraient en péril les autres automobilistes, et contre lesquels ont été mis en place des radars et des glissières de sécurité.

Les réformes introduites par le Six-Pack, le Two-Pack et le « TSCG » n’ont pas fondamentalement modifié ce mode de relations – le Conseil constitutionnel français a par exemple constaté que le « TSCG » ne modifie pas les « conditions essentielles d’exercice de la souveraineté ». Le Six-Pack a notamment facilité l’adoption éventuelle de sanctions, puisque les propositions de la Commission seront adoptées par le Conseil sauf si une majorité qualifiée d’États membres s’y oppose, alors qu’il fallait jusqu’ici qu’une majorité qualifiée les approuve. Le Two-Pack a mis en place un suivi « en amont » des choix budgétaires (c’est-à-dire avant l’approbation des budgets nationaux), sans pouvoir de contrainte de la part de l’UE. Enfin le TSCG a conduit à intégrer un certain nombre d’éléments déjà existants au niveau communautaire dans les ordres juridiques nationaux, notamment l’objectif d’un déficit structurel limité à 0,5 % du PIB. Au même titre que la réforme du pacte de stabilité, l’adoption du TSCG a aussi conduit à élargir le champ du suivi opéré par l’UE sur la conduite des politiques économiques et sociales nationales. Mais, dans les deux cas, cette extension du suivi européen ne s’est pas accompagnée de la mise en place de mécanismes de sanctions comparables à ceux qui existent depuis 1997 afin de prévenir et corriger les excès budgétaires.

1.1.3. Le « régime hyper-OCDE » (pour le suivi des politiques économiques et sociales des États membres)

Le « régime hyper-OCDE » concerne les relations établies entre l’UE et ses États membres pour le suivi des politiques économiques et sociales nationales, et donc des fameuses « réformes structurelles ». Ces relations reposent sur l’analyse conjointe des principaux défis économiques et sociaux qu’affrontent les pays de l’UE et sur la définition d’objectifs communs, en particulier dans le cadre de la stratégie « Europe 2020 ». Elles se fondent également sur une combinaison d’incitations politiques (recommandations, contrôle et pressions mutuelles) entre États membres. Cette pression politique est bien supérieure à celle qu’exerce l’OCDE, où il est d’ailleurs assez rare de voir les chefs d’État et de gouvernement. Elle est même appelée à se renforcer dans le cadre du « semestre européen », afin d’éviter des divergences structurelles majeures entre les économies de la zone euro. Elle n’a cependant aucun effet contraignant sur les choix politiques domestiques des États membres. L’objectif parfaitement louable de consacrer 3 % du PIB aux dépenses de R&D ne doit ainsi pas être confondu avec la limite des 3 % de PIB fixée pour le déficit public : l’UE est compétente pour demander des efforts à ses États membres dans les deux cas, mais elle ne détient des pouvoirs de sanctions que dans le second. D’où d’ailleurs la tentation européenne de lier contrôle des excès budgétaires et suivi des réformes structurelles, même si ces deux exercices renvoient à des pouvoirs distincts. En matière de réformes structurelles, l’UE peut donc recommander, mais non commander.

Dans ce contexte, il est utile de rappeler avec Jacques Delors que la coopération entre États est le « chaînon manquant » au sein de l’UEM, et que c’est via une telle coopération, et non en usant de la coercition, que l’on pourrait renforcer de manière plus efficace et plus légitime la coordination des politiques économiques et sociales nationales. C’est parce que c’est leur intérêt bien compris que les États membres doivent davantage se convaincre de la nécessité de discuter en amont de leurs principaux arbitrages économiques et sociaux, simplement parce que ces arbitrages ont une influence directe sur leurs situations réciproques, et non parce qu’ils y sont poussés par une quelconque « contrainte bruxelloise ». Le document produit par les autorités allemandes et françaises semble indiquer que l’intérêt d’une telle coopération est mieux perçu face à une crise qui a rappelé l’interdépendance entre économies de la zone euro et les externalités positives et négatives qui en découlent : il aborde une vaste série d’enjeux, comme le régime des retraites ou le salaire minimum, qu’il serait peut-être plus délicat d’aborder dans un cadre communautaire. Un tel esprit de coopération semble également avoir progressé sur des enjeux aussi essentiels que la lutte contre l’évasion fiscale, dès lors que les États semblent avoir pris conscience de l’ampleur des ressources qui leur échappent en raison du manque de coordination entre leurs différentes législations. C’est par la voie d’un renforcement de coopérations de ce type qu’une approche européenne pourra le plus aisément être développée en matière de réformes structurelles nationales – sauf à ce que les impulsions européennes en la matière soient assorties d’incitations non plus seulement politiques, mais financières.

1.1.4. Le « régime Banque mondiale » (pour promouvoir davantage de réformes structurelles nationales) ?

Le « régime Banque mondiale » est fondé sur le principe que, si l’UE apporte une aide financière à ses États membres, cette aide doit servir à la promotion de réformes structurelles au niveau national. L’émergence de ce modèle découle directement des résultats mitigés des relations de type « hyper-OCDE » et reflète une transition des mesures d’incitation politique vers des mesures d’incitation financière, présumées plus efficaces car plus légitimes. La proposition européenne d’instaurer un nouvel « instrument financier pour la convergence et les réformes structurelles » illustre cette évolution, tout comme les tentatives répétées d’imposer une plus grande conditionnalité macroéconomique en contrepartie de l’accès aux fonds structurels européens.

La création d’un « Fonds d’aide aux réformes structurelles », qui ferait office de « Super fonds de cohésion » pour la zone euro, donnerait ainsi davantage d’influence politique aux institutions européennes sur la conduite des politiques économiques et sociales nationales. Son utilisation pourrait soit reposer sur la conclusion d’« arrangements contractuels spécifiques » entre les États membres concernés et les autorités européennes, tels qu’évoqués par le Rapport des 4 présidents. Elle pourrait aussi et de préférence reposer sur la définition d’objectifs communs qui donneraient lieu au versement d’une aide financière européenne aux États qui les atteignent, de manière à ne pas reproduire un schéma bilatéral aussi intrusif que celui en vigueur dans les « pays sous programme »19. Un « Fonds de stabilisation cyclique » visant à lisser les effets de la conjoncture pourrait aussi être financé par les États membres de la zone euro, le cas échéant sur la base d’une logique assurantielle et de critères permettant un relatif équilibre entre États membres20. La création de ce Fonds permettrait elle aussi aux États membres participants d’exercer une influence plus grande sur la définition de leurs choix économiques et sociaux, dès lors qu’ils seraient tous parties prenantes de ses recettes et de ses dépenses. Une telle approche plus « intrusive » est également susceptible de se développer dans le cadre des initiatives européennes visant à combattre le chômage des jeunes, dès lors que les États financeurs s’efforceront probablement d’assortir leur aide de demande de contreparties, notamment en termes de pratiques à privilégier pour la formation et l’entrée sur le marché du travail. Dans tous les cas, c’est parce que le suivi des réformes structurelles opéré au niveau européen sera assorti d’incitations financières qu’il est susceptible d’avoir davantage d’impact que les seules incitations financières formulées jusqu’ici.

1.2 – Mieux gouverner la zone euro

La crise de la zone euro a conduit à renforcer le Conseil européen, reconnu comme institution à part entière par le traité de Lisbonne. Ce « gouvernement de crise » a été justement critiqué lorsqu’il s’est mué en duopole (« Merkozy »), dont l’existence consacrait une rupture d’égalité formelle entre les Etats de l’UE. Il est donc bienvenu qu’une concertation plus large soit désormais à l’œuvre, dont témoignent par exemple le « rapport des 4 » élaboré par les présidents de la Commission, du Conseil européen, de « l’Eurogroupe » et de la BCE. Dans ce contexte, si on laisse de côté la BCE et ses instances, appelées à continuer à gérer la politique monétaire de la zone euro et à assumer de nouvelles fonctions en matière de supervision bancaire, le Gouvernement de la zone euro doit désormais être consolidé aux niveaux présidentiel et ministériel selon les orientations suivantes (voir Annexe 2 pour le renforcement au niveau des services).

1.2.1. Des sommets réguliers pour la zone euro

Comme leur nom l’indique, les « Sommets de la zone euro » constituent tout d’abord un lieu de pouvoir spécifiquement dédié à la zone euro et dans lequel les chefs d’État et de gouvernement de cette zone sont appelés à trancher sur les grandes orientations à privilégier en termes de sauvetage des pays en difficulté et d’organisation de l’UEM. Le principe de tels sommets a longtemps été écarté, notamment par les autorités allemandes, au prétexte qu’ils auraient pu constituer une tentative de mise sous tutelle ou sous pression de la BCE. C’est la crise qui a précipité leur avènement en 2008, à la faveur de la présidence française de l’UE. Ils ont depuis lors été dotés d’un Président stable (actuellement Herman Van Rompuy) ainsi que d’un « Règlement intérieur » détaillant leur organisation et leur fonctionnement. Ce règlement intérieur prévoit notamment que le Président de la Commission est membre de droit de tels sommets, que le Président de la BCE est « invité à y participer », que le président de l’Eurogroupe peut être « invité à être présent » et que le Président du Parlement européen peut être « invité à être entendu ». De part leur composition, ces sommets ont donc vocation à se réunir régulièrement afin d’exercer un « leadership » sur l’ensemble des enjeux clés de la zone euro, en sollicitant l’expertise et les recommandations du Conseil, de la Commission et de la BCE. Dans cette perspective, il serait très utile que, comme l’ont proposé les autorités françaises et allemandes, les Sommets de la zone euro puissent s’appuyer sur l’Eurogroupe, mais aussi sur le Conseil des ministres des Affaires sociales et de l’emploi et toute autre formation du Conseil susceptible de nourrir une vision non réduite aux seuls enjeux économiques et financiers.

1.2.2. Un Eurogroupe doté d’un président à temps plein

Mis en place dès 1997, le Conseil des Ministres de l’économie et des finances des pays de la zone euro, ou Eurogroupe, constitue la composante ministérielle naturelle du gouvernement de la zone euro. La crise de la zone euro a cependant mis en évidence les lacunes démocratiques d’un tel organe en termes de visibilité et de responsabilité : les conditions d’adoption du plan de sauvetage de Chypre, dont quasiment aucun membre de l’Eurogroupe n’a semblé ouvertement revendiquer la paternité, reste de ce point de vue un contre-exemple particulièrement catastrophique. Dans ce contexte, concrétiser rapidement la proposition de doter l’Eurogroupe d’un président à plein temps serait bienvenu en termes d’efficacité comme de légitimité. Le bien public qu’est l’euro a de fait vocation à être pris en charge et incarné de manière continue, et non intermittente : c’est à un tel Président que cette double mission doit incomber, non seulement afin qu’il puisse assurer le suivi des décisions prises dans le cadre de l’UEM mais aussi rendre des comptes aux État membres et aux parlementaires. À terme, l’éventuelle fusion de ce poste de président de l’Eurogroupe et de Commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires pourra le cas échéant être envisagée, conformément au schéma en vigueur en matière de PESC (UEM et PESC étant précisément deux domaines où il s’agit de combiner souverainetés nationales et approche européenne).

1.2.3 – Le rôle hybride de la Commission

La Commission a elle aussi vocation à jouer un rôle politique clé dans la gouvernance de la zone euro, pour laquelle elle doit exercer des missions de type à la fois « présidentiel » et « ministériel ». Mission de type « présidentiel » lorsqu’il s’agit de nourrir les travaux des sommets de la zone euro, sur la base d’analyses et de propositions préparées par ses services, puis débattues et endossées par le collège des Commissaires, afin qu’ils traduisent pleinement la valeur ajoutée intersectorielle de cette institution. Mission de type « ministériel » lorsqu’il s’agit de formuler les initiatives législatives et budgétaires nécessaires au bon fonctionnement et à l’organisation de la zone euro. Il va de soi que la pleine implication du Collège est là aussi de nature à renforcer le poids politique de la contribution de la Commission au sein du gouvernement de la zone euro, alors même que le Commissaire aux affaires économiques et monétaires aura une influence structurellement plus réduite vis-à-vis du président de l’Eurogroupe s’il apparaît comme agissant de manière trop isolée. C’est également parce que le collège des Commissaires, qui réunit des membres aux profils et aux responsabilités thématiques variés, assurera pleinement la tutelle sur ses services, que ses prises de positions et contributions pourront avoir une légitimité et une efficacité politiques renforcées au regard de celles formulées par l’Eurogroupe.

1.3 – Renforcer la dimension parlementaire de la zone euro

La crise de la zone euro aura confirmé la nécessité d’un débat approfondi entre les représentants directs des citoyens, et qui ne peut se limiter aux « grands messes » épisodiques que constituent les Conseils européens et Sommets de la zone euro. Cette crise a stimulé la réflexion sur la manière de mieux associer parlementaires européens mais aussi nationaux à un tel débat, au point de générer d’importantes tensions entre ces deux catégories de représentants des citoyens. Il est donc primordial de souligner que l’enjeu central et d’organiser un accompagnement plus démocratique des progrès qui ont récemment été rendus possibles dans la gouvernance de l’UEM, et non l’affaiblissement de la dimension démocratique de l’UE ou du rôle du Parlement européen. Il s’agit de combler certains éléments du déficit démocratique européen, pas de redistribuer une quantité limitée de prérogatives parlementaires. En d’autres termes, tous les parlements de l’UEM sont en réalité confrontés à un agenda positif, qu’il convient de mettre en œuvre à plusieurs niveaux. Indépendamment du nécessaire renforcement des activités de contrôle des gouvernements nationaux par leurs propres parlements, deux initiatives complémentaires doivent aussi être encouragées au niveau européen, afin de renforcer la dimension parlementaire de la zone euro.

1.3.1. Un enjeu clé : le contrôle des gouvernements par leur parlement

Les Parlements nationaux ont classiquement ratifié les amendements au TUE, le traité instituant le MES et le TSCG – ces deux derniers traités n’étant approuvés par référendum qu’en Irlande. Cette forte intervention des principaux organes de la démocratie représentative au niveau national a rappelé la pleine légitimité des élus des peuples à prendre des décisions structurantes pour le fonctionnement de l’UEM. Elle contraste avec l’implication beaucoup plus hétérogène de ces parlements dans le contrôle régulier des orientations défendues par leurs chefs d’État et de gouvernement, et même leur gouvernement, au niveau européen (voir Annexe 3).

Un tel contrôle parlementaire est en effet extrêmement précis dans des pays comme le Danemark et l’Allemagne, mais beaucoup plus distant dans des pays comme le Luxembourg ou la Roumanie21. Angela Merkel a dû rendre régulièrement des comptes au Bundestag, dont les décisions ont souvent été attendues avec anxiété ; le Président français n’a quant à lui pas la possibilité juridique de se rendre devant le Parlement, où il doit déléguer le Premier Ministre ou, plus souvent encore, le Ministre des Affaires européennes. Cette hétérogénéité traduit des choix constitutionnels et des cultures politiques eux-mêmes très variables selon les États membres. Elle est cependant dommageable pour la gouvernance de l’UEM comme pour celle de l’UE toute entière: c’est en effet au sein des États membres que le « déficit démocratique » relatif à cette gouvernance est le plus substantiel, dès lors que de nombreux gouvernements peuvent prendre des décisions clés au niveau européen sans que leur action ne soit soumise à un contrôle et à un débat public approfondis. Dans ce contexte, il est utile que l’article 13 du TSCG ait appelé à renforcer le rôle des parlements nationaux au niveau européen; mais il serait tout aussi utile que des ajustements institutionnels et juridiques soient réalisés au sein des États membres dans lesquels les parlements joue un rôle insuffisant, afin de renforcer la dimension démocratique de la gouvernance de l’UEM.

1.3.2. Une « sous-commission zone euro » au Parlement européen

Une « sous-commission zone euro » doit être instaurée au sein du Parlement européen, ce qui suppose simplement la modification de son règlement intérieur, par exemple immédiatement après les élections européennes de mai 2014. De telles sous-commissions existent déjà dans des domaines où l’UE n’a pas forcément plus de pouvoirs que pour la gouvernance de la zone euro, comme les droits de l’homme ou la défense : il est donc logique qu’une sous-commission du même type puisse être établie, pour des raisons à la fois fonctionnelles et politiques (l’euro est un bien public suffisamment précieux pour mériter une formation parlementaire spécifique).

Cette sous-commission a vocation à être principalement composée de députés issus des commissions « Affaires économiques et monétaires », « Emploi et affaires sociales » et « Budget ». Cette sous-commission n’a pas vocation à être réservée aux seuls parlementaires élus dans les pays de la zone euro, mais doit être ouverte à l’ensemble des parlementaires qui souhaitent la rejoindre (dans la limite de 30 membres titulaires et autant de suppléants), et ce pour des raisons à la fois juridiques (articles 10.2 et 14.2 du TUE), politiques (ne pas rétablir des frontières au sein du PE) et philosophiques (l’ensemble des pays de l’UE sont concernés par l’UEM).

1.3.3. Une véritable conférence interparlementaire de l’UEM

Une meilleure implication des parlementaires nationaux dans la gouvernance de l’UEM doit par ailleurs être organisée sur la base de l’article 13 du TSCG, qui prévoit l’instauration d’une « conférence réunissant les représentants des commissions concernées » des parlements nationaux et européen afin de débattre des questions économiques et budgétaires. Il ne s’agit pas de créer une nouvelle « institution » européenne, mais de donner l’occasion aux parlementaires nationaux et européens de se rencontrer pour discuter des questions relatives à l’UEM, afin d’accroître leur degré d’implication et de compréhension mutuelle. L’organisation d’une telle conférence sera utile à deux égards : elle permettra une plus grande implication des parlementaires nationaux au niveau de l’UEM, compte tenu de leur rôle dans l’adoption des plans de sauvetage de la zone euro ainsi que dans les décisions relatives aux choix budgétaires et économiques nationaux. Elle réunira des représentants de toutes les commissions spécialisées liées à la gouvernance de l’UEM, notamment la commission des finances ou des affaires économiques, et pas seulement celle des affaires européennes. Cette conférence jouera en somme le rôle d’une sorte de « COSAC de l’UEM », qui devra être à la fois un lieu d’échanges et un acteur influent. Cet objectif sera naturellement plus facile à atteindre si cette conférence dispose des ressources et de la publicité nécessaires pour renforcer et entretenir la motivation des parlementaires nationaux concernés. Le TSCG ayant été ratifié par tous les États membres, sauf le Royaume-Uni et la République tchèque, il pourra par ailleurs être envisagé de créer un « sous-comité de la zone euro »22 qui se réunira en amont ou en aval des réunions de la Conférence interparlementaire, sur le modèle suivi pour l’Eurogroupe et le Conseil Ecofin.

Les premiers pas de cette conférence interparlementaire de l’UEM, réunie à Vilnius à l’automne 2013, laissent apparaître la nécessité d’une formalisation beaucoup plus forte : c’est parce qu’elle aura adopté un véritable règlement intérieur, fixant le nombre de ses membres et la nature de ses activités, que cette conférence pourra jouer le rôle politique utile qui lui revient, sur la base d’une répartition fonctionnelle des tâches entre parlements.

1.3.4. Une répartition fonctionnelle des tâches entre parlements

L’établissement parallèle de deux organes parlementaires dédiés à la Zone euro renforcera d’autant plus la dimension démocratique de la gouvernance de l’UEM qu’il se fera sur la base d’une répartition des tâches fonctionnelle, et non rigide ou exclusive23.

Outre sa contribution l’exercice des pouvoirs législatifs du Parlement européen, la sous-commission zone euro pourra ainsi opérer un suivi global et permanent des orientations et décisions de l’UEM, et adopter des résolutions sur les décisions prises par les autorités exécutives. De son côté, la Conférence interparlementaire de l’UEM pourra utilement se réunir au printemps et à l’automne afin d’adopter des résolutions portant sur les stratégies économiques et budgétaires nationales. Ces deux organes pourront également procéder à des auditions régulières de responsables de la zone euro, la sous-commission zone euro se concentrant sur les responsables européens tandis que la Conférence interparlementaire de l’UEM questionnerait les responsables nationaux et intergouvernementaux – des auditions communes pouvant ponctuellement être organisées, en particulier pour les présidents des sommets de la zone euro et de l’Eurogroupe.

Le suivi des décisions liées aux « capacités budgétaires » de la zone euro doit également être partagé. À titre d’exemple, le suivi de l’utilisation des fonds de sauvetage doit être assuré par la Conférence interparlementaire de l’UEM pour le MES, et par la sous-commission de la zone euro pour le MESF. Le contrôle des fonds européens alloués à la mise en œuvre de réformes structurelles nationales ou qui émaneraient d’un éventuel « Fond de stabilisation cyclique » serait attribué en fonction de l’origine de ces fonds : Conférence interparlementaire s’il s’agit de fonds nationaux, sous-commission zone euro si ces fonds sont européanisés, y compris via une coopération renforcée.

La création de deux organes parlementaires consacrés à la gouvernance de l’UEM pourrait enfin permettre d’anticiper sur l’organisation possible des mécanismes de mutualisation de l’émission des dettes nationales (fonds d’amortissement, euro-bills, euro-obligations, etc.). À court terme, la Conférence interparlementaire de l’UEM sera indubitablement le lieu idéal pour débattre de ces questions, puisque les dettes sont aujourd’hui émises au niveau national pour financer les budgets votés par les parlements nationaux. La sous-commission zone euro du Parlement européen doit aussi explorer la possibilité d’émettre une dette commune, conformément aux termes du compromis conclu pour l’adoption du Two-Pack. Elle a particulièrement vocation à être impliquée si des euro-obligations étaient émises pour financer les dépenses de l’UE, en matière d’investissement dans les réseaux transeuropéens par exemple.

1.4. – Organiser la différenciation autour de la zone euro

La crise a suscité des incertitudes sur les relations entre Etats membres de l’UE et Etats membres ayant adopté l’euro. Elle a conduit à l’adoption d’un « Pacte budgétaire » signé par 25 États membres ainsi qu’à l’adoption d’un pacte Euro + sur la compétitivité. Elle a relancé le débat sur la « différenciation », concept souvent invoqué par Jacques Delors, et qui est préférable à la notion plus négative « d’Europe à plusieurs vitesses ». La différenciation est parfois inévitable au sein de l’UE – c’est ainsi quel l’euro a été lancé : il faut la promouvoir aussi souvent que nécessaire, en préservant la méthode communautaire et le marché intérieur. Dans cette perspective, il serait utile de privilégier le recours à la procédure de coopération renforcée pour parachever l’efficacité et la légitimité de la gouvernance de la zone euro.

1.4.1. La coopération renforcée, outil privilégié pour la différenciation

L’UEM n’est certes pas issue d’une coopération renforcée, mais d’un traité en vertu duquel l’ensemble la quasi-totalité des États membres ont accepté de faire partie de l’union économique ainsi que, à terme, de l’union monétaire. Mais l’UEM traduit une « intégration différenciée » qui correspond bien à l’esprit de la procédure de coopération renforcée. Cette intégration différenciée a récemment été approfondie sur la base de traités non communautaires, qui ont permis la mise en place du « Mécanisme européen de stabilité » au niveau de la zone euro, mais aussi du TSCG, ratifié par les pays de la zone euro et par 8 autres pays de l’UE. Il est notable que le TSCG ait prévu un recours direct aux institutions européennes (Commission et Cour de Justice), notamment considérées comme les garantes de l’efficacité de la démarche entreprise, mais qui sont aussi porteuses d’un meilleure contrôle démocratique des décisions prises (via le Parlement européen).

Dans ce contexte, il serait souhaitable que les progrès ultérieurs de l’intégration économique et monétaire puissent s’appuyer sur le recours au mécanisme de la coopération renforcée, sur la base de deux options. Soit, de préférence, le recours à une coopération renforcée globale pour l’UEM, portant sur un ensemble d’initiatives – la conclusion de ce paquet global étant susceptible de faciliter les compromis entre États et d’accroître la visibilité de l’ensemble. Soit le recours à plusieurs coopérations renforcées, pour tenir compte des « géométries variables » dégagées entre États, au risque de complexifier la gouvernance de l’UEM.

1.4.2. Un budget et des normes pour la zone euro

L’article 20 du TUE prévoyant qu’une coopération renforcée ne peut avoir pour effet d'accroître les compétences de l'UE et ne peut s'exercer que dans le cadre de ses compétences non exclusives (ce qui exclut la politique monétaire par exemple), recourir à la coopération renforcée dans le cadre de l’UEM devrait principalement porter sur des enjeux à la fois budgétaires et normatifs (voir Annexe 4). Plusieurs composantes d’un budget de la zone euro pourraient ainsi être mises en place hors budget communautaire (conformément à l’article 332 TFUE), et notamment un « Fonds d’aide aux réformes structurelles » et d’un « Fonds de stabilisation cyclique ». Si la « convergence » des politiques économiques et sociales des États membres ne fait pas partie des objectifs du TUE et du TFUE, certaines de leurs dispositions prévoient par ailleurs le « rapprochement des législations » dans des domaines importants pour le bon fonctionnement de l’UEM. Dans ce cadre, au moins deux initiatives visant à éviter que des divergences trop nettes n’apparaissent entre États membres de la même union monétaire ont vocation à être lancées dans le cadre d’une coopération renforcée : l’une relative à l’harmonisation des taux de l’impôt sur les sociétés ; l’autre en matière de règles relatives au salaire minimum et de mesures facilitant la mobilité transfrontalière.

2. – Consolider l’UE, au-delà du Traité de Lisbonne

Le système politique et institutionnel sur lequel repose le fonctionnement de l’UE a fait l’objet d’ajustements importants à la faveur de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, dont les dispositions découlent pour une bonne part des conclusions de la « Convention sur l’avenir de l’Europe ». Ces ajustements ont eu un impact limité sur la répartition des compétences entre l’UE et ses Etats membres, mais ils se sont efforcés de clarifier leur mode d’exercice. Ils ont principalement conduit à un renforcement des pouvoirs du Parlement européen, à rendre le Conseil européen et le Conseil plus visible (présidence stable pour le premier, transparence des travaux législatifs du deuxième) et à redéfinir la composition de la Commission (réforme finalement non appliquée suite à une décision du Conseil européen consécutive au « non » irlandais). C’est sur ces 4 registres que des ajustements complémentaires pourraient être opérés à court et moyen termes, selon les orientations décrites ci-après.

2.1 – Mieux légitimer l’exercice des compétences de l’UE

Il n’est pas certain que l’UE ait besoin de se voir confier de nouvelles compétences à court et moyen termes, dès lors que les Traités actuels inventorient déjà 5 domaines de compétences exclusives, 13 domaines de compétences partagées et 7 domaines dans lesquels l’UE dispose de compétences d’appui et de coordination. Un nouvel ajustement formel de la répartition des compétences paraît d’autant moins nécessaire que l’usage de la clause de flexibilité figurant dans les traités (article 352 TFUE) permettrait d’autoriser d’éventuelles interventions novatrices. Cet ajustement formel ouvrirait en outre une « boite de pandore » de laquelle pourrait surgir toute une série de demande de rapatriement de compétences ou de pouvoirs au niveau national, y compris au risque de porter atteinte au marché intérieur et à la cohésion politique de l’UE.

Dans ce contexte, la priorité doit être de procéder à des ajustements relatifs aux conditions d’exercice des compétences de l’UE, qui font souvent l’objet de contestations se cristallisant sur la nature de la production normative communautaire24 tout comme sur le droit d’initiative législative : c’est dans cette double perspective que sont formulées les analyses et recommandations qui suivent.

2.1.1. –Mieux séparer le législatif et le réglementaire

Au niveau des Etats membres de l’UE, une séparation nette est opérée entre pouvoir législatif et pouvoir exécutif : le premier est exercé par le Parlement, qui est seul habilité à adopter des lois ; le fait que le Parlement puisse, dans des cas exceptionnels, déléguer ses prérogatives au Gouvernement (exemple de la technique des ordonnances en France) ne fait que confirmer cette règle.

Cette « séparation des pouvoirs » n’a pas cours au niveau communautaire, malgré les efforts de clarification entrepris par la CJCE puis les rédacteurs des Traités :

- il n’y a tout d’abord pas de distinction « instrumentale » entre les actes normatifs de portée générale : l’UE adopte des directives ou des règlements sans que l’un de ces instruments soit réservé au législateur (Conseil et Parlement européen), sur le modèle des « lois » au niveau national.

- la caractérisation d’acte « législatif » ne repose pas non plus sur une distinction « organique » : le « législateur » (Conseil et Parlement européen) et l’exécutif (Commission et Conseil) communautaires peuvent tous deux adopter des directives et des règlements ; on peut certes considérer les actes normatifs adoptés par le législateur comme des actes de droit « secondaire » et les actes normatifs adoptés par le second comme des actes de droit « tertiaire » (les Traités constituant le droit « primaire »), mais cela ne préjuge pas complètement du contenu matériel de tels actes.

- la distinction législatif – exécutif ne peut en effet pas être fondée non plus sur des éléments « matériels » : les actes de droit dérivé portent certes plutôt sur des « éléments essentiels » et de grands « choix politiques » lorsqu’ils sont adoptés par le « législateur » communautaire ; mais ils peuvent être indifféremment « législatifs » ou « non législatifs » au regard du droit national, qu’ils soient adoptés par le « législateur » ou même par « l’exécutif », comme le confirment par exemple les données relatives à la transposition des directives en France (voir Tableau 3).

Tableau 3

Mode de transposition des directives en France entre 2000 et 2008

Proportion

De directives

Transposition

Législative*

Transposition réglementaire**

Conseil

58,2%

41,8%

Conseil et PE

48,1%%

51,9%

Commission

3,5%

96,5%

Total

26,6%

73,4%

Source : Yves Bertoncini, Les interventions de l’UE au niveau national, NE-IJD, 2009

* Transposition par la loi ou par voie d’ordonnance

** Transposition par voie de décrets, d’arrêtés et d’actes divers

Le fait que la proportion d’actes de nature réellement législative soit beaucoup plus substantielle pour le Conseil et le Parlement européen que pour la Commission doit tout d’abord inciter à modifier les termes utilisés pour les désigner. Le Traité de Lisbonne stipule certes déjà (dans son article 289, alinéa 3 - TFUE) que « les actes juridiques adoptés par procédure législative constituent des actes législatifs ». Mais il faut utiliser d’autres termes pour désigner les actes d’exécution présumés non législatifs adoptés par la Commission (dans le cadre de procédures comitologiques): il suffit pour cela de les appeler directives d’exécution et réglements d’exécution afin de donner une première indication claire de ce qui relève de l’essentiel et de l’accessoire; cela ne nécessite pas de révision des traités mais simplement une modification des termes en usage au niveau communautaire.

Le fait que la proportion de directives « non législatives » adoptée par l’un ou l’autre des « législateurs » communautaires soient non négligeable (environ la moitié des directives adoptés en co-décision) doit inciter à une autre clarification plus ambitieuse, dans le prolongement de celle introduite par le Traité de Lisbonne avec la création de “l’acte délégué” (article 290 TFUE).

Celui-ci constitue en effet un nouvel acte communautaire réputé « non législatif », mais qui permet à la Commission de compléter ou de modifier « certains éléments non essentiels d’un acte législatif », dans des conditions particulières. La création de ce nouvel acte juridique a en grande partie été décidée afin de permettre à la Commission de définir elle-même des règles sur des enjeux très techniques, après délégation du « législateur » communautaire ; elle a pour effet d’introduire une forme de hiérarchie des normes entre « actes législatifs », « actes délégués » et classiques « actes d’exécution » (article 291 TFUE) adoptés par la Commission. Pour que ce nouvel ordonnancement soit clair d’un point de vue politique et civique, il convient désormais que les autorités communautaires (et leurs services juridiques) veillent à ce les textes soumis aux législateurs se bornent à contenir des dispositions de nature authentiquement législative, tandis que les actes d’exécution et les actes délégués doivent s’en tenir à des dispositions non législatives. C’est aussi de cette manière que la production normative communautaire pourra à la fois associer en amont les décideurs les plus légitimes pour l’adopter, puis être mieux perçue en aval pour ce qu’elle est, à savoir une production normative en partie législative, mais en majorité non législative. Une telle clarification apparaît indispensable afin de clarifier la nature des compétences et des pouvoirs exercés par l’UE au regard de celles des Etats membres.

2.1.2. Le droit d’initiative législative : priorité aux citoyens

L’exercice du monopole de l’initiative législative confié à la Commission est fortement encadré : le Collège bruxellois s’inspire en effet sur ce registre des conclusions du Conseil européen d’une part, des orientations du Parlement européen d’autre part, dans le cadre de son programme de travail annuel. Mais ce monopole lui permet de jouer un rôle irremplaçable au moment de la rédaction du contenu des propositions de directive et de règlement, après consultation de l’ensemble des parties prenantes concernées, en s’efforçant de servir l’intérêt général européen. Mettre en cause ce monopole de l’initiative législative, en le confiant par exemple au Parlement européen, pourrait fragiliser la position de la Commission au sein du triangle institutionnel, au sein duquel son rôle d’intercesseur a d’ores et déjà été relativisé au regard de la forte hausse du nombre d’accords en première lecture entre le Conseil et le Parlement européen25.

Introduit par le Traité de Lisbonne, le « droit d’initiative citoyenne », c’est-à-dire la possibilité donnée à un groupe représentatif de citoyens de l’UE de demander à la Commission de proposer une initiative législative, offre un potentiel d’évolution plus prometteur, puisqu’il donne corps à la notion de démocratie participative au niveau européen. Ce nouveau droit a d’ores et déjà été exercé par plus d’une vingtaine de groupes de citoyens issus d’au moins 7 pays de l’UE et ayant réuni plus d’un million de signatures. Plusieurs des initiatives éligibles lancées ont réussi à franchir ce seuil d’un million de signatures et ont donc généré un authentique débat pan-européen, auquel la Commission est désormais en position de donner suite. Mais de nombreuses autres mobilisations ont été confrontées à des difficultés à la fois techniques, juridiques et politiques qui ont entravé leur développement, et qui ont fait apparaître la nécessité de simplifier les conditions d’exercice de ce droit d’initiative, notamment s’agissant des conditions de recueil des signatures et des seuils imposés. Il appartient aux autorités européennes et nationales de procéder à ces simplifications sur la base des premiers bilans d’étape établis après quelques années d’exercice du droit d’initiative citoyenne.

2.2. – Un Parlement européen plus lisible

La consolidation politique de l’UE passe également par le Parlement européen, dont les pouvoirs ont été considérablement renforcés par le Traité de Lisbonne et qui a vocation à être le réceptacle des aspirations des électeurs désignant ses membres. Cela suppose d’abord de revoir la manière dont cette institution prend ses décisions, sans exclure un éventuel renforcement complémentaire des pouvoirs qu’elle détient.

2.2.1 – Des seuils majoritaires à abaisser

Le fonctionnement du Parlement européen repose pour une bonne base sur des règles proportionnelles (pour l’attribution des responsabilités, des rapports et des temps de parole etc.), ce qui est une bonne chose d’un point de vue démocratique pour permettre une expression pluraliste des différents courants d’opinion représentatifs des citoyens de l’UE.

Que nombre de votes du Parlement européen ne puissent être adoptés à la majorité des suffrages exprimés n’est en revanche pas positif en termes de lisibilité démocratique, car c’est l’application d’une telle règle qui permet le plus aisément d’atteindre des seuils majoritaires propices au regroupement de forces politiques proches sur des enjeux clés (par exemple libéraux et conservateurs ou socialistes et écologistes), surtout compte tenu du taux d’absentéisme lors des séances plénières. A l’inverse, la nécessité de réunir la « majorité des membres qui composent le Parlement européen », voire des majorités supérieures (2/3 des membres, et plus rarement 3/5) impose très souvent la formation de majorités trans-partisanes et de circonstance, et brouille par la même la lisibilité politique et idéologique des décisions de l’assemblée de Strasbourg.

Il ne convient certes pas d’abaisser tous les seuils majoritaires actuellement fixés par le Règlement intérieur du Parlement européen et, dans certains cas, par les Traités eux-mêmes : il n’est en particulier par utile de changer le seuil d’adoption d’une motion de censure (2/3 des suffrages exprimés représentant une majorité des membres composant le PE), car cela serait susceptible de fragiliser la Commission. Mais l’abaissement des seuls majoritaires en vigueur serait très utile dans d’autres domaines, par exemple pour les votes portant sur : une demande d’initiative législative adressée à la Commission (actuellement majorité des membres composant le PE - article 225 TFUE) ; l’adoption des projets d’amendements en matière budgétaire lors de la 1ère phase de discussion (majorité des membres composant le PE) ; un avis conforme visant à constater la violation des principes du Traité (2/3 des suffrages exprimés représentant une majorité des membres composant le PE – article 7.6 TUE) ; etc. L’abaissement de ces seuils permettra une plus libre expression des clivages partisans au Parlement européen, et donc une meilleure lisibilité démocratique de cette institution.

2.2.2 – Des pouvoirs appelés à être encore renforcés

Le Traité de Lisbonne s’est inscrit dans la lignée des Traités précédents, en étendant le champ d’application de la procédure de « codécision » (désormais appelée « procédure législative ordinaire ») à 40 nouveaux articles, qui se sont ajoutés aux 33 qui en relevaient déjà (pour un total de 73 articles désormais couverts par cette procédure). Les pouvoirs décisionnels du Parlement européen portent désormais sur des domaines tels que le contrôle des personnes aux frontières (art 77-2 TFUE), les dispositions régissent l’accueil et le traitement des demandeurs d’asile (art 78-2 TFUE), ou encore la lutte contre l’immigration clandestine (art 79-2 et -4 TFUE). En matière de coopération policière, l’article 87 TFUE étend également la codécision à tous les aspects non opérationnels. Enfin, dans le cadre de la PAC, le Traité soumet la définition des organisations communes de marché à la procédure législative ordinaire, mais le Conseil conserve ses prérogatives telles que la fixation des prix, des aides et des quotas26.

Le Traité de Lisbonne a aussi accru les pouvoirs du Parlement européen par le biais de « procédures législatives spéciales ». La procédure de consultation a par exemple été étendue à une quarantaine d’articles, parmi lesquels certains portent sur l’énergie (art 194-3 TFUE) ; sur des dispositions concernant la protection des travailleurs (art 153-2 TFUE) ; sont également concernés des domaines tels que la coopération policière opérationnelle (art 87-3 TFUE), les mesures concernant les passeports, cartes d'identité, titres de séjour (art 77-3 TFUE) ainsi que les mesures relatives au droit de la famille ayant une incidence transfrontalière (art 81-3 TFUE). Le champ d’application de la procédure d’approbation a lui été étendu à des décisions portant sur le retrait d’un Etat de l’Union (art 50 TFUE), la création d’un parquet européen (art 86-1 TFUE) ou encore l’adoption du règlement fixant le cadre financier pluriannuel (art 312-2 TFUE).

Une révision ultérieure des traités européens aurait vocation à approfondir ce mouvement de renforcement progressif des pouvoirs du Parlement européen, afin de conforter l’assise démocratique du fonctionnement de l’UE. A titre d’exemples, on peut citer un passage de la procédure d’approbation à la procédure de codécision pour l’adoption de sanctions pour violation grave et persistante des principes de l’Union par un État membre (art 7 TFUE) ; le passage de la consultation à la co-décision pour l’adoption des programmes spécifiques de mise en œuvre du programme cadre pour la recherche (art 182.4 TFUE) ; ou encore le passage à la procédure de consultation pour l’octroi d’aides dans le domaine de l’agriculture (art 42.2 TFUE), pour lequel le Conseil décide seul ce stade.

2.3. – Un Conseil des ministres plus visible et plus efficace

Le Conseil des ministres est au cœur du pouvoir décisionnel communautaire, alors même qu’il s’agit de l’institution européenne la moins connue. Ce paradoxe politique doit conduire à trois séries d’ajustements visant à renforcer la légitimité et l’efficacité de cette institution. Il est d’autant plus important de renforcer l’efficacité et la légitimité du Conseil que cela contribuera à ce que ce soient prises à son niveau les décisions qui ne relèvent pas du Conseil européen, lequel pourrait ainsi être moins utilisé comme une « chambre d’appel » et se concentrer sur l’adoption des grandes orientations et arbitrages dont l’UE a besoin.

2.3.1. – Une transparence conforme à celle du PE en matière législative

Le Traité de Lisbonne a introduit une forme de parallélisme entre le fonctionnement du Parlement européen et celui du Conseil des ministres, lorsque ce dernier se réunit en formation législative. L’article 16.8 du Traité sur l’UE dispose en effet désormais que « le Conseil siège en public lorsqu’il délibère et vote sur un projet d’acte législatif », et ce afin de garantir une transparence comparable à celle en vigueur au Parlement européen pour l’exercice de pouvoirs de nature similaire (en l’espèce législatifs). Il est fondamental d’un point de vue juridique comme d’un point de vue politique que de telles dispositions soient pleinement appliquées, afin que les parties prenantes, médias et au-delà les citoyens puissent avoir accès à la confrontation des positions en présence et à la manière dont les négociations communautaires peuvent conduire à un compromis ancrés dans la diversité des intérêts nationaux (et non pas imposé par « l’Europe de Bruxelles »).

Un tel parallélisme des formes entre Parlement européen et Conseil doit aussi conduire à assurer davantage de publicité aux votes exprimés au sein de ce dernier. Même si le Conseil fonctionne largement sur la base du consensus, il est essentiel que ses décisions soient formalisées via des relevés de votes indiquant la position des Etats membres et rendus publics via le site du Conseil, comme cela est désormais largement le cas. Cette formalisation, qui permet de donner plus de transparence démocratique au fonctionnement du Conseil, ne porte à ce stade que sur les seuls projets d’actes législatifs adoptés par les Etats membres. Mais aucune publicité n’est donnée aux conclusions des négociations n’ayant pas débouché sur un accord, alors qu’il est de coutume au Parlement européen de rendre public également les votes ayant conduit au rejet des projets présentés par la Commission. Même si un passage systématique au vote formel n’est sans doute pas compatible avec le fonctionnement effectif du Conseil, il serait utile que ce dernier puisse aussi rendre publics les raisons pour lesquels un projet d’acte n’a pu être adopté après plusieurs réunions successives, en produisant un relevé de votes exposant la liste des Etats membres ayant voté pour ou contre. Ce surcroît de transparence serait de nature à mieux faire percevoir les logiques de confrontation et de compromis à l’œuvre au sein de cette institution, et qui sont en phase avec celles qui traversent les opinions publiques nationales.

2.3.2 – Des présidences fixes plutôt qu’une présidence tournante

La présidence tournante du Conseil des ministres a longtemps présenté l’intérêt politique de favoriser l’ancrage politique de l’UE au niveau des gouvernements nationaux, amenés à s’impliquer plus directement dans la gouvernance commune, y compris afin d’insister sur des priorités en phase avec leurs agendas. Cet objectif est désormais hors d’atteinte dans une UE de 28 pays, qui conduit les Etats membres à exercer la présidence tournante du Conseil tous les 14 ans. La désignation très anticipée des pays appelés à exercer la présidence tournante conduit par ailleurs à des désignations déconnectées des cycles électoraux nationaux nationaux et du contexte politique global. La durée semestrielle des présidences tournantes ne permet guère d’agir dans la durée, problème que l’établissement de « Trio » de présidence n’a qu’imparfaitement réglé. Au total, le principe de présidence tournante au Conseil semble désormais présenter plus d’inconvénients que d’avantages.

Ce principe de rotation a d’ores et déjà été doublement altéré ; d’une part au niveau du Conseil européen, avec l’institution d’un Président stable désigné pour un mandat de deux ans et demi renouvelable ; d’autre part en matière de politique étrangère et de défense, puisque c’est le Haut Représentant, Vice président de la Commission, qui assure la présidence du Conseil dans ces secteurs. Une logique comparable a été utilisée pour la désignation du Président de l’Eurogroupe. Les titulaires de ces postes sont par ailleurs choisis par les Etats membres en raison de leur compétence présumée et sur la base d’arbitrages englobant un ensemble de postes à pourvoir (à la Commission notamment), à rebours du caractère aléatoire des désignations induites par le système de présidence tournante semestrielle, en vertu duquel les présidents sont choisis en raison de leur seule nationalité.

Une démarche inspirée de celle utilisée pour la Présidence du Conseil Affaires extérieures devrait donc être utilisée pour désigner les présidents appelés à présider l’ensemble des 10 formations du Conseil des ministres. Le fait d’avoir à désigner 9 présidents de manière plus ouverte est en effet susceptible de favoriser l’identification de personnalités plus adaptées, tout en créant les conditions d’un compromis entre Etats membres, puisqu’il devrait être possible de respecter les principaux équilibres politiques (petits et grands pays, droite et gauche, Nord-Sud-Est-Ouest). Il conviendrait a minima qu’une telle désignation ait lieu à l’intérieur du « Trio » de présidences successives, déjà amenées à conclure un programme d’action portant sur 18 mois, et qui pourrait inclure la désignation des présidents des 9 formations du Conseil. Les 3 Etats membres concernés pourraient ainsi exercer 3 présidences du Conseil chacun, en fonction de leurs priorités respectives et des domaines dans lesquels ils peuvent bénéficier d’un Ministre suffisamment légitime et disponible pour exercer sa présidence de manière efficace. Opter pour une durée d’un an et demi permettrait par ailleurs aux Ministres concernés d’être un peu moins soumis aux urgences liées aux échéances d’une présidence semestrielle. Le fait de travailler davantage dans la durée devrait donc être profitable tant du point de vue de l’efficacité que du point de vue démocratique (cette innovation permettra de donner des visages au Conseil, et donc à l’UE).

Il conviendrait d’apporter un soin particulier à la désignation du Président du Conseil Affaires générales, dont le profil et la légitimité doivent correspondre à ses deux fonctions essentielles : d’une part la tâche de coordonner les travaux des autres formations du Conseil ; d’autre part la mission d’assurer le suivi de la mise en œuvre des conclusions du Conseil européen, en liaison avec le Président du Conseil européen et le Président de la Commission.

2.3.3. Des votes à la majorité qualifiée appelés à être plus nombreux

Si le Traité de Lisbonne a porté de 70 à 109 le nombre d’articles pour lesquels le Conseil des ministres vote à la majorité qualifiée, 75 articles demeurent aujourd’hui soumis à un vote à l’unanimité, de sorte qu’il est inadéquat de parler de « généralisation » du vote à la majorité qualifiée27. L’observation de la pratique du vote à la majorité qualifiée au Conseil sur période longue permet de constater qu’il s’agit d’une incitation puissante pour favoriser la convergence des positions entre Etats membres, sans se muer pour autant en instrument de mise en minorité des pays récalcitrants, cette institution étant largement guidé par une culture du consensus28.

Une révision ultérieure des traités européens aurait vocation à approfondir ce mouvement d’extension progressive du champ d’application du vote à la majorité qualifiée, afin de conforter l’efficacité du fonctionnement de l’UE, souvent jugée insuffisante par les citoyens, sans porter atteinte à sa légitimité aux yeux des Etats membres, surtout si elle est appliquée aux domaines les moins sensibles en termes de souveraineté nationale. A titre d’exemples, on peut notamment citer l’adoption des mesures relatives au combat contre les discriminations (article 19.1 TFUE), la nomination des juges et avocats généraux de la CJUE et des membres du Tribunal de l’UE (art 253 et 254 TFUE) ou encore la décision du Conseil de nommer un représentant spécial sur proposition du Haut représentant pour la Politique extérieure (art 33 TUE).

2.4. – Une Commission plus verticale et collégiale

La Commission doit continuer de dépendre de la double confiance du Conseil européen et du Parlement européen, mais son fonctionnement et son efficacité pourraient être améliorés sur la base de trois séries de changements, dont les fondements communs consistent à s’appuyer sur la logique du jeu politique européen usuel plutôt que sur une révision en profondeur des traités (à savoir : le profil des commissaires, le rôle des vice-présidents et les pouvoirs du président).

2.4.1 – Sur le plan humain: une Commission mieux composée

Il peut sembler naïf et vain de rappeler que la légitimité et l’efficacité de la Commission repose d’abord sur le profil de ses membres, dont la sélection relève des États membres, sous le contrôle du PE : ils ne peuvent dès lors pas se plaindre d’avoir une Commission inefficace s’ils ne placent pas eux-mêmes les bons commissaires aux bons endroits sur base des principes politiques suivants.

Il convient d’une part de continuer à considérer la zone euro comme creuset de l’union politique européenne, ce qui suppose de désigner un président de la Commission issu d’un pays de la zone euro et d’un pays de l’espace Schengen, ainsi qu’un Commissaire en charge de l’Ecofin issu d’un pays de la zone euro.

Il convient d’autre part de procéder aux ajustements suivants :

- le président de la Commission doit être nommé sur base d’un profil proactif et de sa volonté de servir le Conseil européen et le Parlement européen ; il ou elle ne doit pas nécessairement être un ancien membre du Conseil européen (Jacques Delors n’a pas été Premier ministre, mais fut néanmoins un très bon président de la Commission) ; les Commissaires proposés par les États membres devraient également être choisis sur la base de leur contribution potentielle à l’intérêt général de l’Europe, plutôt que pour des raisons de politique intérieure (conformément aux dispositions de l’article 17.3 du TUE) ;

- le président de la Commission devrait choisir le candidat qu’il ou elle souhaite nommer parmi ceux proposés par les États membres, dans la mesure où il/elle est le mieux placé pour évaluer les profils des commissaires potentiels répondant au plus près aux besoins concrets de l’institution et de son organisation interne ;

- le président de la Commission paraîtrait plus légitime aux yeux des autres membres de la Commission, si il ou elle était non seulement membre du Conseil européen, mais si il ou elle était également choisi(e) parmi les candidats nommés par les partis politiques en vue des élections européennes ou au moins au sein de la famille politique qui a obtenu le plus de votes aux élections européennes et pourra garantir la majorité nécessaire au Parlement européen : cette légitimité civique renforcée lui donnerait davantage de latitude pour mettre sur pied un collège plus efficace, sur des bases verticales et fonctionnelles.

2.4.2 – Sur le plan organisationnel : un collège plus fonctionnel

L’efficacité politique de la Commission est étroitement liée au bon fonctionnement du principe de collégialité. La réduction de la taille de la Commission n’ayant pas été mise en œuvre par le Conseil européen, il s’avère nécessaire de s’appuyer sur une organisation interne plus verticale, en attribuant un rôle-clef aux six vice-présidents actuels (il n’y a, dès lors, pas besoin de créer une nouvelle catégorie de « commissaires junior », ce qui serait perçu de façon négative).

Il s’agit d’une part de maintenir les États membres sur un pied d’égalité, ce qui suppose que :

- le nombre de portefeuilles des commissaires reste le même (28), en dépit du fait que ces portefeuilles sont inégaux en termes de substance et même si le nombre de Directions générales pourrait être réduit ;

- les commissaires soient toujours susceptibles de participer aux votes du collège sur un pied d’égalité (pas de droits de vote différents : la Commission n’est pas un COREPER III).

Il s’agit d’autre part de procéder aux ajustements fonctionnels suivants :

- la hiérarchie interne à mettre en place au sein du collège devrait reposer sur une redéfinition du statut des six « vice-présidents de la Commission » : sur la base de l’article 248 du TFUE, le président devrait sélectionner ces six vice-présidents, non pas dans la perspective de compenser l’étroitesse de leur portefeuille, mais en fonction de leur poids politique et de leur origine (voir l’exemple du Directoire de la BCE) ;

- le président et les vice-présidents de la Commission seraient secondés par les autres commissaires, dont les portefeuilles seraient liés à leurs sept sphères de compétences respectives, sur base d’un « système de clusters » (voir les propositions formulées dans l’Annexe 5) ;

- le président ou les vice-présidents de la Commission devraient se réunir tous les mois avec les commissaires agissant au sein de leur sphère de compétences respective (collégialité sectorielle au sein des réunions des clusters) ; le président de la Commission et ses six vice-présidents devraient se réunir périodiquement afin de promouvoir une meilleure coordination politique de l’institution ;

- la collégialité globale de la Commission sera renforcée par des rencontres basées sur les apports des réunions des clusters et des réunions de coordination mentionnées plus haut, leurs finalités principales étant l’organisation de débats d’orientation politique et l’adoption finale des propositions législatives.

2.4.3 – Sur le plan légal : un président de la Commission plus puissant

La double légitimité de la Commission revêtira toujours une dimension diplomatique clé (un commissaire par État membre et un président de la Commission désigné par le Conseil européen). Mais son efficacité sera à coup sûr renforcée si les changements politiques proposés plus haut étaient complétés par un amendement – mineur mais décisif – du Traité, faisant passer le pouvoir de nomination des commissaires du Conseil européen au président de la Commission.

Il conviendrait ainsi de s’en tenir au statu quo juridique actuel sur les deux enjeux suivants:

- toujours un commissaire par État membre, de façon à préserver la légitimité diplomatique de la Commission – ce qui est incontournable pour la plupart des États membres. Cela ne devrait en rien bloquer le processus de prise de décisions de la Commission, dans la mesure où la règle de majorité simple est appliquée en cas de vote.

- la nomination du président de la Commission par le Conseil européen, sur base des résultats des élections européennes (pas de changement dans l’article 17.7 du TUE) : sa double légitimité diplomatique et civique est ainsi affirmée.

Mais il s’agit de procéder aux ajustements juridiques suivants s’agissant de la nomination des Commissaires:

- après avoir reçu le pouvoir de renvoyer les membres du collège (article 17.6 du TUE), le président de la Commission devrait aussi avoir la faculté de nommer personnellement les commissaires, au lieu que ce soit le Conseil qui agisse sur base d’un commun accord avec lui (article 17.7 du TUE à amender) ; cette légère modification renforcerait la probabilité de retrouver les commissaires adéquats aux bons endroits, mais octroierait aussi au président de la Commission de véritables pouvoirs verticaux ;

- le président de la Commission nommera naturellement les commissaires en étroite relation avec les gouvernements nationaux ;

- au sein de ce nouveau cadre légal, le président de la Commission pourrait nommer plus facilement les vice-présidents et les commissaires, comme dans n’importe quel gouvernement national ; le président devrait choisir les vice-présidents en respectant les équilibres politiques de l’UE (grands/plus petits États membres et nord/sud/est/ouest en particulier) ; les États membres pourraient accepter plus aisément une telle hiérarchie politique interne de facto, alors qu’ils sont peu disposés à accepter une hiérarchie de jure.

- si le commissaire d’Ecofin devait obtenir le poste de président permanent du l’Eurogroupe (sur le modèle du statut du Haut représentant), sa désignation se ferait conjointement par le Conseil européen et le président de la Commission (voir l’article 18 du TUE).

Tous ces changements humains, organisationnels et légaux pourraient être complétés par d’autres évolutions, notamment s’agissant de la nature et du nombre des accords inter-institutionnels conclus par la Commission. Il serait par exemple utile que des accords entre les trois institutions soient conclus s’agissant de la définition des grandes orientations de la législature en cours, afin d’éviter que la Commission ne puisse être soumise aux contradictions entre conclusions du Conseil européen d’une part, programme de travail annuel soumis au Parlement européen d’autre part. Il conviendrait aussi qu’un accord interinstitutionnel puisse porter sur les grandes lignes des procédures de contrôle à mettre en place vis-à-vis de la Commission, notamment en matière budgétaire, accord institutionnel sur la base duquel pourraient être établis des accords bilatéraux, notamment entre Commission et Parlement européen.

Conclusion -Un ajustement progressif des pratiques politiques et des traités

Même s’ils ne sont pas révolutionnaires au regard de la nature des traités et du jeu politique européen, les changements fonctionnels proposés ci-dessus semblent parmi les meilleures options disponibles pour donner à la zone euro et à l’UE le socle institutionnel dont elles ont besoin pour renforcer leur efficacité et leur légitimité, et ainsi mieux faire face aux défis qu’elles affrontent.

L’Union politique européenne est déjà une réalité, qu’il convient de parachever et de consolider sans nécessairement recourir au “grand soir” ou à un “saut fédéral”, mais en procédant à toute une série d’ajustements plus ou moins amples. Certains de ces changements sont possibles à très court terme, telle ceux portant sur la création d’une sous-commission zone euro au Parlement européen, la nomination des prochains commissaires ou la facilitation de l’usage du droit d’initiative citoyenne. D’autres ajustements semblent envisageables à moyen terme, par exemple s’agissant de l’extension du champ d’application de la procédure de co-décision ou du vote à la majorité qualifiée.

L’important est que l’ensemble de ces changements soit clairement inscrit dans une dynamique politique visant à renforcer l’ancrage du fonctionnement de l’UE auprès de ses citoyens et de ses Etats-membres, afin de lui permettre d’être plus efficace et légitime. L’important est aussi de ne pas oublier que les institutions de l’UE continueront à refléter par leur fonctionnement les choix formulés par les représentants appelés à y siéger, et dont le renouvellement prévu au cours de l’année 2014 aura donc lui aussi des incidences cruciales pour l’avenir de l’intégration européenne.

Une Fédération européenne d’Etats nations

plus démocratique et plus efficace

Annexes

Annexe 1

La portée des compétences exercées au sein de l’UEM

Outils

Portée politique

Portée géographique

Portée temporelle

Mémorandum d’accord

MES

Définition des politiques économiques et sociales nationales

Grèce, Irlande,

Portugal, Chypre

2009-2014 (GR/IE/PT)

2013-2016 (Chypre)

Pacte de stabilité

TSCG

Excès budgétaires nationaux

UE27/8 ?

UE26 (sauf RU et Rép. tch).

Depuis 1997 (PSC)

Depuis 2012 (TSCG)

Europe 2020/Pacte euro +

TSCG

Coordination des politiques économiques et sociales nationales

UE28

Depuis 2000 (Stratégie de Lisbonne)

Fonds d’aide aux réformes

Réformes structurelles nationales

Zone euro

À partir de 2014 ?

Source : Yves Bertoncini, Zone euro et démocratie(s) : un débat en trompe l’œil, NE-IJD, Juillet 2013

Annexe 2

Des services européens renforcés pour le gouvernement de la zone euro

Le « gouvernement de la zone euro » doit s’appuyer sur un ensemble de services européens capables d’assurer plusieurs types de fonctions.

1. En matière de sauvetage :

- il convient à court terme de continuer à s’appuyer sur la structure ad hoc gérant le « MES », dont le responsable doit faire l’objet d’auditions parlementaire fréquentes au niveau européen et national.

- à moyen terme, il conviendrait d’augmenter substantiellement le plafond des garanties qui peuvent être accordées dans le cadre du « MESF », dont l’utilisation placera la Commission en première ligne, sous le contrôle du Parlement européen.

- l’expertise européenne accumulée dans la mise en œuvre des récents plans de sauvetage devrait permettre de former une équipe pleinement européenne à l’avenir, en lieu et place de l’actuelle Troïka : composée du Trio Commission, Eurogroupe et BCE (pour la partie bancaire), cette équipe pourra ainsi agir sous le contrôle direct du « Parlement de la zone euro » (voir ci-après), sans que la co-gestion avec le FMI ne vienne constamment obscurcir les responsabilités exercées par les uns et les autres.

2. En matière de suivi des politiques budgétaires nationales :

- les services de la Commission semblent jouer pleinement leur rôle sous l’autorité du Collège, notamment afin de fournir au Conseil les analyses et recommandations liées aux procédures de déficit excessif.

- la mutualisation des dettes nationales leur donnerait un rôle accru si elle était engagée dans le cadre d’une coopération renforcée : elle aurait sinon plutôt vocation à être confiée aux services de l’Eurogroupe, à qui il reviendrait alors de former l’embryon d’un « Trésor » européen.

Un partage des tâches comparables pourra être opéré pour la gestion d’un Fonds d’incitation aux réformes structurelles (par les services de la Commission) et pour celle d’un Fonds de stabilisation cyclique (par les services de l’Eurogoupe).

3. En matière de coordination des politiques économiques et sociales nationales :

- il convient de permettre au Président de l’Eurogroupe de s’appuyer sur des services substantiellement renforcés : « Eurozone Working group » doté d’un secrétariat permanent et se réunissant régulièrement à Bruxelles, « Comité économique et financier » et même COREPER se réunissant en formation zone euro.

- ces services seront ainsi en mesure de fournir des contributions davantage ancrées dans les réalités économiques, sociales et politiques des États membres, en complément de celles fournies par les services de la Commission, et qui seront donc susceptibles d’être davantage audibles et utiles au niveau national.

Annexe 3

Le contrôle parlementaire des Conseils européens et sommets de la zone euro

EX-ANTE

IMPLICATION RÉDUITE

COMMISSION

SÉANCE PLÉNIÈRE

IMPLICATION EN COMMISSION ET EN SÉANCE PLÉNIÈRE

Ex-post

Implication réduite

LE CONTRÔLEUR LIMITÉ

Hongrie

Luxembourg

Roumanie

LE CONTRÔLEUR HABITUEL

République tchèque

Estonie

Italie

Lettonie

Pologne

Slovaquie

Pays-Bas

 

Commission

Chypre

L’EXPERT

Belgique

Finlande

Lituanie

Slovénie

France

LE DÉCISIONNAIRE

Allemagne

Séance plénière

LE CONTRÔLEUR DU GOUVERNEMENT

Bulgarie

Malte

Espagne

Royaume-Uni

Autriche

Suède

LE FORUM PUBLIC

Irlande

 

Implication en commission et en séance plénière

Grèce

Portugal

 

L’EUROPÉANISÉ

Danemark

Explication :

Implication réduite = moins de 3 réunions de la commission des affaires européenne, moins de 3 débats en plénière.

Commission = 3 réunions ou plus de la commission des affaires européennes, moins de 3 débats en séance plénière.

Séance plénière = moins de 3 réunions de la commission des affaires européennes, 3 débats ou plus en séance plénière.

Implication égale = 3 réunions ou plus de la commission des affaires européenne, 3 débats ou plus en séance plénière.

Source : « Le contrôle démocratique et parlementaire du Conseil européen et des sommets de la zone euro », Olivier Rozenberg, Valentin Kreilinger, Wolfgang Wessels et Claudia Hefftler, Janvier 2013

Annexe 4

Une coopération renforcée pour la zone euro : principaux points d’application

Il serait souhaitable que les progrès ultérieurs de l’intégration économique et monétaire puissent s’appuyer sur le recours au mécanisme de la coopération renforcée, sur la base de deux options. Soit, de préférence, le recours à une coopération renforcée globale pour l’UEM, portant sur un ensemble d’initiatives – la conclusion de ce paquet global étant susceptible de faciliter les compromis entre États et d’accroître la visibilité de l’ensemble. Soit le recours à plusieurs coopérations renforcées, pour tenir compte des « géométries variables » dégagées entre États, au risque de complexifier la gouvernance de l’UEM.

1 - Mettre en place les composantes d’un « budget de la zone euro »

Un « Fonds d’aide aux réformes structurelles » (sorte de « Super fonds de cohésion » pour la zone euro) a vocation à concerner les pays de la zone euro (comme contributeurs et bénéficiaires). Il pourra être administré par la Commission, déjà chargée de la gestion des fonds structurels et du suivi de la mise en œuvre des réformes structurelles (stratégie Europe 2020) – cette option correspondant au modèle utilisé pour la gestion du Fonds européen de développement, hors budget communautaire.

Un « Fonds de stabilisation cyclique » visant à lisser les effets de la conjoncture pourra être financé par les États membres de la zone euro, le cas échéant sur la base d’une logique assurantielle. Ce Fonds pourra être administré par l’Eurogroupe et/ou le Conseil – cette option correspondant peu ou prou au modèle utilisé pour la gestion du mécanisme Athéna en vigueur pour les opérations extérieures (partage des coûts communs).

2 - Progresser en matière de rapprochement normatif au sein de la zone euro

L’harmonisation en matière fiscale doit d’abord concerner l’impôt sur les sociétés : en complément des travaux déjà en cours au niveau de l’UE pour harmoniser l’assiette de cet impôt, il s’agit pour un nombre plus limité d’États membres de s’engager vers une forme d’encadrement des taux tenant notamment compte des spécificités géographiques des pays, sur le modèle des trois niveaux de fourchettes déjà en vigueur en matière de TVA ;

L’harmonisation en matière sociale doit elle aussi être engagée de manière progressive et pourrait d’abord rassembler un nombre plus limité de pays autour des éléments mentionnés par la récente déclaration franco-allemande, et notamment les règles relatives au salaire minimum et les mesures facilitant la mobilité transfrontalière des travailleurs (portabilité des qualifications et des pensions complémentaires notamment).

Annexe 5

Une Commission fondée sur un système de « clusters » :

un Président, six Vice-présidents et 21 autres Commissaires

Sur base de la répartition actuelle des portefeuilles des commissaires, il conviendrait d’encourager un réagencement du collège dans une perspective fonctionnelle et verticale. La distribution des tâches entre le président, les six vice-présidents et les vingt-et-un autres commissaires pourrait alors être définie en fonction des exemples proposés ci-dessous :

0 - Président de la Commission assisté de 2 commissaires chargés:

- des Relations inter-institutionnelles, de l’Information et de la Communication,

- de la Programmation financière et du Budget, de l’Administration, des Statistiques, de l’Audit et de la Lutte contre la fraude.

1. Vice-président chargé du « Marché et des réseaux intérieurs », assisté de trois commissaires chargés :

- des Services financiers,

- des Transports,

- de l’Énergie.

2. Vice-président chargé de l’« Économie et des Finances », assisté de trois commissaires chargés:

- de la Concurrence,

- de l’Industrie et de l’Économie numérique,

- de la Fiscalité et de la Politique des consommateurs.

3. Vice-président chargé du « Développement économique », assisté de quatre commissaires chargés :

- de l’Agriculture et du Développement rural,

- de la Politique régionale,

- des Affaires maritimes et de la pêche,

- de l’Environnement et de l’Action pour le climat.

4. Vice-président chargé des « Affaires sociales », de l’Emploi, l’Intégration sociale et la Santé, assisté de deux commissaires chargés :

- de l’Emploi,

- de la Santé.

5. Vice-président chargé de « la Citoyenneté européenne », assisté de trois commissaires chargés :

- de la Justice et des Droits fondamentaux,

- des Affaires intérieures,

- de l’Éducation, la formation et la jeunesse, de la Culture et du multilinguisme,

6. Vice-président chargé des « Relations extérieures », haut représentant de l’UE pour la PESC, assisté de quatre commissaires chargés :

- du Commerce et des Douanes,

- de l’Élargissement et du Voisinage,

- du Développement

- de l’Aide humanitaire.

III. CONTRIBUTION DE TERRA NOVA

Une Europe politique : un impératif démocratique.

La fracture entre les citoyens et « l’Europe de Bruxelles » est un trait majeur de la crise globale que traverse l’Union européenne. Le sentiment qu’ont de nombreux citoyens d’être dépossédés de leur choix politiques, les records successifs de l’abstention aux élections européennes, le renforcement du clivage entre pro- et anti-européens en sont autant de symptômes. Ce malaise démocratique est aujourd’hui un frein majeur à toute nouvelle étape de l’intégration et en vient à hypothéquer la poursuite du projet européen.

L’instrumentalisation des enjeux européens par les acteurs politiques nationaux alimente cette défiance, mais n’explique pas tout. Il est désormais temps de pallier les insuffisances structurelles du système politique européen au regard des exigences des démocraties modernes. Ce modèle sui generis a certes permis l’union de 28 Etats, mais pas son appropriation effective et durable par les citoyens.

Le système institutionnel européen n’a pas été conçu à l’image d’une démocratie parlementaire classique à dessin. Il s’agissait avant tout pour les « pères fondateurs » de favoriser la prévalence de l’intérêt général européen sur les intérêts nationaux et la loi du plus fort, le triomphe de l’Union sur le concert des nations. L’intégration devait certes conduire à l’Europe politique, mais ne pouvait se faire par elle. Le système politique européen privilégie ainsi la recherche du consensus au débat contradictoire, l’expertise technocratique à la dialectique politique, la stabilité au court terme, les accords institutionnels à l’alternance de majorités. Le triangle institutionnel du Traité de Rome vise l’interdépendance des institutions, et non une stricte séparation des pouvoirs. La poursuite de la construction européenne s’est accompagnée d’une certaine démocratisation grâce au renforcement du Parlement européen, mais elle reste insuffisante. Le basculement dans une Europe élargie de l’équilibre institutionnel en faveur des instances intergouvernementales s’est opéré sans que le rapport de force qui y prévaut, a fortiori en tant de crise, ne puisse être suffisamment tempéré par la Commission et le Parlement. L’approfondissement de l’Union économique et monétaire est particulièrement peu démocratique. L’architecture institutionnelle européenne s’est également complexifiée, au gré de réformes censées la simplifier, au détriment de sa lisibilité : le « Conseil » s’est dédoublé, les présidences se sont multipliées et les troïkas, métamorphosées selon les enjeux.

Force est de constater aujourd’hui les limites de ce système : les études ne cessent de souligner que la plupart des citoyens perçoivent insuffisamment le lien entre leur vote ou les positions de leurs Etats et les prises de décisions européennes. Or la démocratie se définit en premier lieu par ce processus de dévolution, direct ou indirect, du pouvoir des citoyens à des institutions redevables. Outre la mauvaise foi des gouvernements, ce sont bien les insuffisances du système institutionnel de l’Union et la carence de débats politiques européens qui nourrissent le fantasme d’un « diktat technocratique », entendre celui de la Commission, ou, de plus en plus, d’un « directoire » des grands Etats membres. La ligne politique poursuivie n’est pas identifiée comme celle d’une majorité choisie par les citoyens et les Etats, mais des entités non élues et non redevables, une institution technocratique ou d’autres gouvernements.

La démocratisation de l’Union suppose quelques clarifications et surtout sa politisation, soit une rupture avec l’approche originelle de la construction européenne. Les citoyens doivent pouvoir confier leur pouvoir aux institutions et donc être en mesure de déterminer leur orientation politique. L’Union n’avancera plus sans démocratisation, et cette démocratisation suppose une politisation. L’Europe politique en est devenue pour beaucoup synonyme d’Europe démocratique.

Qu’entendre par « Europe politique »? Objectif plurivoque, elle est synonyme d’Europe des Etats pour les souverainistes, estimant que ceux-ci sont seuls dépositaires de la légitimité démocratique, et d’Europe fédérale pour les partisans d’un projet devant unir in fine les peuples européens dans un seul démos. La détermination de la source et l’accueil de la légitimité démocratique rend le débat particulièrement contentieux. Le rôle de la Commission européenne cristallise les clivages : elle devrait pour les uns devenir le gouvernement de l’Union issu indirectement des élections européennes, pour les autres, s’effacer devant le Conseil, ou encore rester indépendante. En dépit de l’antagonisme des options, il y a urgence à agir pour créer une démocratie européenne de plein exercice.

Cet enjeu n’implique pas nécessairement un saut intergouvernemental ou fédéral radical. L’échelon régional s’est politisé avec la décentralisation sans que l’Etat français ne se fédéralise. Mais un changement dans la conception du système institutionnel de l’Union s’impose bel et bien. Renforcer ce lien de dévolution entre le vote et la décision suppose avant tout que les citoyens puissent choisir entre des alternatives politiques pour l’Europe. La légitimité électorale, fondée sur l’affrontement politique, doit donc être affirmée par rapport à la légitimité de l’expertise et du consensus initialement recherchée, comme celle du rapport de force qui tend à se développer. L’absence de candidat en 2009 face au Président de la Commission sortant, Manuel Barroso, était symptomatique d’une forte carence démocratique. Une parlementarisation du système institutionnel européen ayant pour corollaire une légitimation démocratique indirecte de la Commission permettrait d’assurer que la ligne majoritaire sortie des urnes pèse sur les orientations politiques de l’Union.

La création d’un espace public européen est également essentielle. Les réformes institutionnelles seules seraient limitées sans la sphère politico-médiatique nécessaire à l’organisation de ce débat, à l’implication des citoyens et au développement de leur sentiment d’appartenance à une même communauté de destin.

Il y a urgence à construire une telle Europe politique  au vu de la sévérité du divorce entre l’Union et les citoyens et la montée de l’euroscepticisme, terreau des partis populistes et d’extrême droite.

Si les propositions suivantes se focalisent sur cet enjeu, le malaise démocratique européen devrait également être appréhendé à la lumière de la situation générale de l’Union qui traverse une crise de transition. Le cadre dans lequel s’est bâti le projet européen au cours de ses cinquante premières années est remis en question : l’Union a progressé selon une méthode fonctionnaliste, discréditée par la désaffection des Européens, à l’apogée de la deuxième révolution industrielle, dont la crise systémique est patente, en reportant au lendemain le développement d’une politique étrangère et de sécurité commune, aujourd’hui indispensable. Cette crise de transition insuffisamment appréhendée nourrit une défiance globale à l’égard de la politique et des politiques, une peur du déclin collectif et du déclassement individuel, et in fine des crispations identitaires et nationalistes, l’Europe exacerbant le tout. En découlent une montée généralisée de l’abstention, du populisme et de l’extrême droite, a fortiori aux élections européennes. Un climat de confiance ne pourra être retrouvé qu’avec une réponse politique globale à cette crise de transition qui redonne du sens au projet européen en ce début du XIXème siècle, en le refondant sur une démocratie de pleine exercice, un modèle de développement durable et une politique extérieure à la hauteur des enjeux.

I. POLITISER LE SYSTÈME INSTITUTIONNEL EUROPÉEN.

L’équilibre institutionnel européen ne permet pas d’assurer un processus lisible et satisfaisant de dévolution du pouvoir des citoyens aux institutions, condition démocratique pourtant fondamentale.

La Commission européenne, mandatée pour veiller à l’intérêt général européen, devait initialement tendre vers l’indépendance. Sa faible légitimité démocratique n’est que le revers de cette dépolitisation. Elle est ainsi à la fois garante des Traités, dotée du monopole du pouvoir d’initiative et la principale institution exécutive de l’Union, mais son Président et son collège étaient désignés selon un processus très indirect, privilégiant un accord au sein Conseil, à un vote du Parlement européen. Sa légitimation démocratique permise par le Traité de Lisbonne reste limitée, l’élection du Président de la Commission par les nouveaux députés n’intervenant toujours que sur la proposition du Conseil.

Le Parlement européen, qui est pourtant la seule institution qui émane directement du corps électoral de l’Union, est le parent pauvre de la construction européenne. Il ne valide même pas le programme politique de l’Union qui découle des grandes orientations du Conseil européen. Le renforcement constant de ses pouvoirs n’est pas encore à la hauteur des décisions prises au niveau européen.

Or le Conseil de l’UE ne devrait être que la chambre haute de l’Union, représentant les Etats et bénéficiant d’une moindre légitimité que le Parlement européen, représentant les citoyens. Le Conseil européen instaure une nouvelle tête exécutive, peu redevable dans le système institutionnel européen.

L’avancée démocratique permise par le Traité de Lisbonne la plus médiatisée fut l’introduction de l’initiative citoyenne européenne. Elément de démocratie directe important, elle pourrait néanmoins rester qu’une concession symbolique tant son encadrement demeure restrictif et un espace politique européen fait défaut. Surtout, avant de développer la démocratie directe dans le système politique européen, il semble prioritaire d'y garantir une démocratie représentative efficace. Le Traité de Lisbonne a certes également renforcé les pouvoirs du Parlement européen et le lien entre les élections européennes et la désignation du Président de la Commission, mais ces progrès restent insuffisants.

Le système politique européen doit devenir conforme aux critères des démocraties modernes. Une évolution vers une parlementarisation permettrait une légitimation démocratique de la Commission européenne et une politisation de l’Union. Le Parlement et le Conseil se verraient doter du pouvoir d’initiative et leurs compétences seraient rééquilibrées dans un système parlementaire bilatéral: ils deviendraient respectivement l’assemblée élue au suffrage universel direct représentant les citoyens et une chambre représentant les Etats. Un rééquilibrage parait également nécessaire entre, d’une part, les deux Conseils, représentant les Etats, et d’autre part, le Parlement et la Commission, dont les orientations devraient être définies lors des élections européennes.

Une parlementarisation nécessaire.

Parent pauvre du Traité de Rome, le Parlement européen est l'institution du « triangle institutionnel » qui a le plus évolué depuis les débuts de la construction européenne, à la fois dans sa composition, avec l'élection au suffrage universel direct de ses membres en 1979, et dans ses attributions, par le renforcement constant de ses prérogatives en matière législative et budgétaire. Le Traité de Lisbonne fait du Parlement le législateur principal de l'Union aux côtés du Conseil. Cela étant, il ne peut pas encore élire directement le Président de la Commission européenne, n’a toujours pas l’initiative des directives et règlements comme la Commission, n’a qu’à un pouvoir consultatif dans l’adoption du cadre financier pluriannuel, ne peut modifier les dépenses de l’Union, et son pouvoir de « co-décision » est écarté de domaines sensibles comme la justice, les affaires intérieures, la fiscalité et la politique étrangère. Il reste, qui plus est, le grand perdant des réformes entreprises depuis 2010 pour renforcer l’UEM. Il devrait être le principal bénéficiaire d’un rééquilibrage du triangle institutionnel européen.

1. Garantir un lien clair entre la majorité parlementaire et le Président de la Commission européenne.

Le Traité de Lisbonne prévoit que le Parlement européen sorti des urnes élise le Président de la Commission européenne, certes toujours sur la base des propositions de candidats du Conseil, mais ces dernières devront prendre en compte les résultats des élections européennes [art. 9B29] et pourront être refusées par le Parlement. Cette réforme a suscité dans la Convention des débats houleux. Les propositions favorables à un parlementarisme majoritaire, visant à rapprocher la Commission européenne d'un gouvernement reflétant la majorité du Parlement européen et pouvant le dissoudre, ont été écartées. Le dialogue entre institutions continue donc de prévaloir. Cela étant, si elle est pleinement exploitée, cette réforme pourrait conduire à un système politique européen plus parlementaire, doter la Commission européenne d’une véritable légitimité démocratique, grâce à une dévolution indirecte du pouvoir des citoyens, et, par là-même, politiser bien davantage l’échéance électorale européenne.

La présentation par les partis politiques européens de leurs candidats à la Présidence de la Commission en vue des élections européennes est essentielle pour accroître l’enjeu de ce scrutin et européaniser une campagne encore essentiellement nationale. En effet, les électeurs choisiraient désormais une majorité politique pour le Parlement, co-législateur, et la Commission, à l’initiative. La confrontation de grandes têtes de listes permettrait un débat ouvert sur différentes orientations possibles pour l’Union, aujourd’hui fixées par le Conseil européen. L’incarnation d’un programme par un candidat à la Présidence de la Commission, donnée fondamentale de nos démocraties, constituerait une avancée majeure pour rapprocher l’Union des électeurs. La démocratie européenne gagnerait considérablement en vitalité.

Le poids du Parlement européen, celui du Président de la Commission et de la Commission elle-même, en seraient également renforcés par rapport au Conseil européen et au Conseil de l’UE, permettant ainsi de rééquilibrer un tant soit peu, au profit des institutions européennes les plus directement désignées, le rapport de force que les dernières réformes institutionnelles ont clairement fait pencher en faveur des enceintes intergouvernementales dominées par les considérations nationales. La préférence du système politique européen pour le dialogue interinstitutionnel devrait rassurer ceux qui redoutent une confrontation, voire un blocage, dans l’hypothèse où la majorité dégagée aux élections européennes serait différente de celle des Conseils. Un système de cohabitation pourrait également se mettre en place entre la Commission et le Conseil européen, et entre les deux chambres que seraient le Parlement et le Conseil de l’UE, comme en sont coutumier de de nombreux Etats membres (Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas…). Si les Traités donneraient encore le dernier mot aux Conseils, les citoyens retrouveraient leurs orientations dans des débats interinstitutionnels plus politiques et transparents. Une fusion des présidents de la Commission et du Conseil européen clarifierait, à terme, la source de l’orientation politique européenne.

La fracture entre les citoyens et « l’Europe de Bruxelles » est telle, qu’il faudra certainement plus d’une élection pour la dépasser, mais l’exploitation de ce progrès démocratique apportée par le Traité de Lisbonne est un impératif. Il en va de la poursuite du projet européen.

▪ Il s’agit, dans l'immédiat, d’utiliser pleinement le potentiel de ce nouveau cadre, en faisant de l'élection du Président de la Commission en 2014 une échéance politique majeure, qui détermine l'orientation des politiques européennes, et non plus un simple arrangement diplomatique entre États membres sur le candidat le moins dérangeant, qui serait adoubé par le Parlement européen faute d’alternative. L’annonce par les grands partis européens d’un candidat tête de liste à la présidence de la Commission en 2014 va dans le bon sens. Cela étant, le risque d'une interprétation restrictive du Traité de Lisbonne par les Etats membres est réel, si ce n’est déjà tangible au vu des déclarations de certains chefs d’Etat en 2013. Les partis politiques devraient donc insister sur l’avancée majeure que représente cette réforme et œuvrer pour que le candidat de la majorité qui se dégagera au Parlement européen s'impose au Conseil. Cette institution intergouvernementale doit accepter la suprématie du choix des urnes, et l’élection de 2014 offre l’opportunité de créer un précédent en ce sens.

Les partis politiques européens pourraient encore davantage démocratiser ce scrutin et mobiliser les électeurs en organisant des primaires, à minima pour leurs militants, au mieux les citoyens, pour désigner leurs candidats à la Présidence de la Commission. Des primaires à l’américaine permettraient un débat de fond, assez en amont, sur le programme de chaque parti et renforceraient le lien entre les citoyens et leur candidat, donc le futur Président de la Commission. L’organisation d’un marathon électoral pour les grands partis européens aurait, qui plus est, un impact politico-médiatique de grande ampleur de nature à, enfin, faire des élections européennes un rendez-vous démocratique capital.

▪ A ce jour, l’avancée permise par le Traité de Lisbonne reste insuffisante. Le Conseil de l’UE continue de s’interposer entre le suffrage des citoyens et le choix du Président de la Commission. L’intermédiation du Conseil de l’UE, qui se rapproche d’une chambre haute dans un système parlementaire classique, confirme l'infériorité du Parlement européen, pourtant seule institution européenne élue au suffrage universel, et, par conséquent, déprécie le vote des électeurs, ainsi moins engagés à participer au scrutin. Une réforme des traités devrait, à terme, le supprimer.

2. Démocratiser la gouvernance économique européenne : donner le pouvoir de codécision au Parlement européen et assurer sa collaboration avec des parlements nationaux.

Le Parlement européen a été insuffisamment associé au renforcement de l’Union économique et monétaire suite à la crise. Seul le Conseil, sur proposition de la Commission, fixe au cours du semestre européen les grandes orientations des politiques économiques, sociales et budgétaires des Etats membres et les conditions imposées aux Etats qui ont recours au Mécanisme européen de Stabilité (MES). Cette carence démocratique a renforcé la perception d’un Diktat exercé par les grands Etats membres du centre de la zone euro, en position de force au Conseil, par « Bruxelles », entendre la Commission, de plus en plus perçue comme un « père fouettard », et la « troïka », constituée par la Commission, le FMI et la Banque mondiale, dépourvue de toute légitimité démocratique. Le fossé entre les citoyens et l’Union s’en est élargi et la défiance à l’égard des meneurs du jeu au Conseil s’est considéraient développée, menant à des manifestations germanophobes en Espagne et en Grèce. L’implication des parlements nationaux dans la réaction aux recommandations des institutions européennes reste, qui plus est, très hétérogène. La démocratisation de la gouvernance économique européenne est urgente.

▪ Le Parlement européen devrait devenir co-législateur avec le Conseil de l’Union dans le cadre du semestre européen, participer systématiquement au Sommets de la zone euro, intervenir sur les recommandations que la Commission européenne adresse aux Etats sur leurs budgets nationaux, et exercer un contrôle démocratique sur la « troïka ». L’article 12.5 du Traité du 2 mars 2012 devrait donc être modifié pour le Président du Parlement européen participe systématiquement aux Sommets de la zone euro, et non plus uniquement sur invitation.

▪ Le Parlement devrait également exercer un rôle renforcé en matière de contrôle des déficits excessifs et pouvoir engager une procédure suite à une recommandation de la Commission, a fortiori si le Conseil ne la suit pas, grâce à une révision simplifiée (art 48§6 TUE) de l'article 126 TFUE.

Au-delà de ses enjeux économiques, la mise en place d’accords contractuels envisagée en octobre 2014 pour les Etats membres en difficultés ou simplement jugés fragiles et associés à un soutien financier ne pourra être concevable que si elle est intégrée au semestre européen et associe pleinement le Parlement européen en tant que co-législateur. L’introduction de tels contrats sans légitimité démocratique ne ferait que renforcer l’hostilité à l’égard de « Bruxelles ».

▪ La collaboration entre le Parlement européen et les Parlements nationaux devraient également être renforcés dans le cadre du semestre européen, au sein de la conférence interparlementaire, réunissant les délégations compétentes. L’adoption au niveau européen des orientations de politique économique, sociale et budgétaire, qui devront être mises en œuvre par les Etats membres, impliquent une meilleure association des Parlements nationaux, qui restent souverains sur le budget national. Cette coopération est d’autant plus fondamentale que si les Parlements nationaux ont le dernier mot en cas de désaccord avec les recommandations de la Commission, tout affranchissement de la coordination budgétaire européenne entraine la suppression de l’accès aux mécanismes de solidarité européenne. Prévue à l’article 13 du Traité de Stabilité, cette association devrait être garantie de manière effective, notamment pour renforcer la légitimité démocratique des décisions de contrôle budgétaire.

3. Créer une formation du Parlement européen dédiée à l’Eurozone.

Le renforcement du contrôle démocratique de la définition des orientations économiques européennes suppose une configuration à même de dialoguer avec l’Eurogroupe et les Sommets mensuels de la zone euro. Le débat sur la représentation parlementaire de la zone euro est particulièrement délicat. En effet, le Parlement européen et donc ses membres représentent « les citoyens de l’Union » (Art. 14 TUE). Cela étant, il serait difficilement compréhensible pour les citoyens, à l’étape actuelle de l’intégration, de voir des députés britanniques s’exprimer sur la situation de la Grèce au sein de la zone euro. La poursuite d’une intégration différenciée, impliquant un approfondissement par des coopérations renforcées, en premier lieu autour de la zone euro, invite également à une formation dédiée à la zone euro. Elle seule disposerait aux yeux des citoyens de la légitimité nécessaire pour progresser vers l’harmonisation fiscale, sociale et budgétaire, corolaire de l’Union monétaire.

▪ En écartant la perspective d’une Assemblée distincte dédiée à la zone euro, qui concurrencerait le Parlement européen, il semble, à ce jour, essentiel de réunir une formation du Parlement européen dédiée à la zone, à l’instar de l’Eurogroupe, sous-formation du Conseil. Cette configuration restreinte devrait rester ouverte à tous les Etats membres qui rejoindraient l’Union monétaire.

4. Reconnaître un droit d’initiative législative au Parlement européen et au Conseil.

L’octroi du pouvoir d’initiative au parlement fut une étape clé dans la constitution des démocraties modernes. Ce pouvoir figure dans le système institutionnel de tous les États démocratiques, que le Parlement en ait le monopole, comme aux Etats-Unis, où qu’il le partage avec le gouvernement, comme en France. Le monopole de l’initiative détenu par la Commission européenne constitue une exception problématique qui limite le pouvoir des députés européens et contribue au manque de légitimité du système politique de l’Union.

▪ Le Parlement européen, directement élu par les citoyens devraient disposer de ce droit, comme le Conseil, composé de représentant nationaux, pour répondre aux exigences de la dévolution du pouvoir dans une démocratie représentative. Les candidats à la députation européenne pourraient ainsi enfin véritablement s’engager sur un programme politique et des mesures concrètes à initier. Une telle réforme s’insérerait aisément dans les habitudes de travail du Parlement européen et réduirait considérablement la fracture entre les citoyens et Bruxelles en empêchant tout verrouillage institutionnel. Une révision des traités, prévue à l’art. 225 TFUE, selon la procédure ordinaire, conférence intergouvernementale précédée d'une Convention serait nécessaire.

5. Renforcer la politisation du parlement européen : mettre fin aux accords internes et soutenir les initiatives en faveur d’une plus grande transparence démocratique.

Le débat européen s’est politisé ces dernières années grâce à la proposition de réponses antagonistes à la crise économique. Cela dit, les clivages politiques structurent encore insuffisamment la vie du Parlement et son organisation.

▪ Il devrait être mis fin aux accords internes du Parlement européen qui prévoient une répartition des postes équilibrée par un système de rotation entre formations politiques, et non une attribution proportionnelle aux résultats obtenus dans les urnes. Des commissions pourraient être réservées à l’opposition, comme celle du budget en France, mais les citoyens doivent pouvoir comprendre aisément l’influence de leur vote sur le rapport de force dans les instances du Parlement européen. Une révision

▪ Le lien entre élus européens et citoyens pourrait par ailleurs être renforcé grâce à un soutien d’initiatives ayant recours aux nouveaux médias. Le site Internet « Parlement et citoyens » (www.parlement-et-citoyens.fr) qui permet un échange avec les députés français sur les débats parlementaires constitue, par exemple, un modèle de réussite à promouvoir au niveau européen. De même, l’initiative « Vote Watch », qui rend accessibles au public les votes de chaque parlementaire et de chaque groupe politique, est un outil très utile pour politiser les enjeux européens.

6. Européaniser l’élection du Parlement européen : un système électoral unique pour le Parlement unique, des circonscriptions paneuropéennes, des financements pour des campagnes européennes et une montée en gamme des candidatures.

La prégnance des enjeux nationaux lors des élections européennes nuit à la vitalité de la démocratie de l’Union. Ce biais est renforcé par la permanence d’un cadre national pour l’organisation de ces élections, insuffisamment harmonisé au niveau européen. Or l’uniformité du système électoral pour désigner une chambre représentative est une condition essentielle des démocraties modernes. Une réforme des procédures électorales pourrait contribuer à l’européanisation de ce rendez-vous majeur pour la démocratie européenne et permettre ainsi que les citoyens se prononcent effectivement sur une orientation pour l’Europe, et non sur la politique de leur gouvernement. Elle contribuerait également à renforcer la représentativité du Parlement européen, les capacités de partis européens, et la conscience chez les citoyens d’appartenir à une société européenne.

▪ Tout d’abord, une véritable harmonisation du mode scrutin s’impose. Prévue par le Traité de Rome dès 1957, l’Acte unique rend possible son report en précisant que les élections européennes pourraient se dérouler selon les lois électorales nationales en attendant que cette réforme soit définie. Nécessitant l’unanimité au Conseil et la majorité au Parlement, une telle mesure est certes difficile à adopter. Le Traité d’Amsterdam définit des principes communs, notamment l’adoption d’un scrutin de liste de type proportionnel, mais les règles relatives au vote, notamment à l’éligibilité, au droit de vote ou à la méthode de répartition des sièges, restent diverses. Les élections européennes de 2009 se sont tenues avec 26 modes de scrutins différents. Rappelée dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union (art. 190-4), une harmonisation d’envergure n’est toujours pas à l’ordre du jour alors que se préparent les élections de 2014. Or elle faciliterait l’émergence des partis européens, renforcerait la lisibilité des résultats et clarifierait les responsabilités des députés. Pour ce qui est du mode de scrutin, le choix d’une combinaison des approches majoritaire et proportionnelle, sur le modèle allemand, faciliterait l’émergence de majorité au Parlement européen. La méthode de réparation des sièges dite d’Hondt, utilisée en France et dans neuf autres Etats membres, pourrait être généralisée. Les conditions d’éligibilité et celles à remplir pour les partis candidats devraient également être harmonisées. L’organisation des élections à la même date dans tous les Etats membres mettrait également l’accent sur l’unicité du corps électoral européen et son rassemblement pour choisir sa majorité politique. Elle faciliterait un traitement médiatique consacré aux débats européens et non aux implications du scrutin sur la politique nationale.

▪ Le développement des circonscriptions paneuropéennes, telle que proposé par le rapport du député Andrew Duff30 en 2013 serait une réforme plus significative encore pour limiter les interférences nationales et véritablement européaniser les élections.

▪ L’européanisation du scrutin, comme la politisation du Parlement, suppose également la mise en place d’un financement suffisant des partis politiques européens. Le règlement de 2004, révisé en 200731, est un compromis qui ne permet que le financement d’une structure permanente au niveau européen. Elles ne peuvent en aucun cas soutenir une campagne électorale véritable européenne. Cette situation limite considérablement le rôle des partis européens face aux partis nationaux, qui tendent à conserver un traitement national de l’échéance européenne. L’organisation d’une campagne pour les citoyens européens suppose une réforme du système de financement des partis européens: un accroissement du système existant sur la base de la représentation au Parlement européen, et le remboursement des frais de campagne aux élections européennes dans la limite d’un plafond important, sous réserve bien entendu d’un résultat électoral minimal dans plusieurs pays. Seule une telle réforme permettra aux partis européens de structurer le débat démocratique au niveau de l’Union et d’imposer des thèmes communs au moment des élections.

▪ La sélection des candidats à la députation devrait enfin donner ses lettres de noblesse au scrutin européen. La mainmise des partis nationaux sur les candidatures conduit dans de nombreux pays à ne désigner pour le Parlement européen que des ténors en mal passager de mandat national. En France, la régionalisation des scrutins amène en outre des soucis de représentativité micro-locale objectivement sans lien avec les enjeux européens. Les bulletins de vote aux élections européennes devraient porter, clairement et lisiblement, le nom du Parti européen auquel ils s’affilient et son logo. Lorsque ce parti a désigné une tête de liste européenne candidat à la présidence de la Commission, son nom doit également être visible sur le bulletin, ainsi le cas échéant que sa photo.

7. Améliorer la représentativité du Parlement pour renforcer sa légitimité démocratique.

L’écart entre la représentation des députés selon leur pays d’origine est aujourd’hui excessif : un député maltais représente 69.000 citoyens, contre 800.000 pour un français. Cet enjeu pourrait être encore plus important si le Conseil renonce in fine au principe « un Etat, un commissaire ». Initialement prévue pour le 1er novembre 2014, cette réforme, qui avait suscité d'importantes tensions au sein de la CIG, aurait dû renforcer l'enjeu de la représentativité au sein du Parlement.

▪ Conformément au Traité de Lisbonne, le Parlement européen devra proposer au Conseil, qui statuera à l’unanimité, une nouvelle application du principe de dégressivité proportionnelle32 pour les 750 prochains députés qui seront élus en 2014.

Une commission européenne pleinement légitime au leadership assumé.

La Commission est le bouc émissaire qui endosse le blâme de tous les atermoiements sur l’Europe. Son rôle dans le processus institutionnel est certes souvent mal expliqué et le double jeu des Etats qui se défaussent sur elle de leurs décisions impopulaires contribue à l’accabler. Mais ses difficultés ne se résument à un problème de communication. La Commission européenne souffre d’un problème de légitimité plus profond.

Trois faiblesses peuvent l’expliquer. Elle manque tout d’abord d’un ancrage démocratique. Le choix du Président et du collège de la Commission par la majorité qualifiée des membres du Conseil reposait, jusqu’à 2014 nous l’espérons, davantage sur des arbitrages tactiques et le choix d’une personne qui ne contestera pas la mécanique intergouvernementale que sur la représentativité d’une vision politique et l’adhésion des citoyens à un programme défini. Par ailleurs, le profil du collège des commissaires n’est pas encore à la hauteur des enjeux. Les considérations nationales priment toujours sur l’évaluation des compétences. Pour pallier ce biais, le traité de Lisbonne prévoyait qu'à partir du 1er novembre 2014, la Commission serait composée d'un nombre de Commissaires correspondant aux deux tiers du nombre d'Etats membres, sauf si le Conseil européen en décidait autrement à l'unanimité. Or, c’est ce qu’il a fait en décembre 2008, pour faire accepter par l’Irlande la tenue d’un second référendum sur le Traité rejeté en juin. Enfin, la Commission n’a pas montré ces dernières années une grande initiative politique, conséquence de son affaiblissement par rapport au Conseil et du choix politique de ce dernier en faveur d’un Président qui lui était acquis.

Ces difficultés pourraient être surmontées par une légitimation démocratique et une politisation de la Commission, soit par un lien clair entre le vote des citoyens et le choix de ses dirigeants et de ses orientations.

Les défenseurs du caractère supposé technocratique de la Commission sont divers : souverainistes refusant d’accorder une légitimité démocratique à la Commission pour limiter son pouvoir, réalistes renonçant à renforcer les prérogatives d’une institution affaiblie, mais aussi fidèles de l’approche communautaire initialement définie par Jean Monnet préférant un gouvernement éclairé d’experts affranchie des clivages politiciens, et donc du système majoritaire du Parlement européen et du Conseil.  Les premiers portent une idéologie anachronique dont ils refusent de voir les conséquences, les seconds, une analyse contreproductive et dangereusement court-termiste, les troisièmes, une vision dépassée par le besoin de légitimité des institutions européennes. Cette troisième vision est également devenue largement théorique, car il est évident que le président de la Commission choisi par la majorité qualifiée du Conseil applique bien une ligne politique. Or ce choix historique d’une légitimité technocratique de la Commission empêche d’assumer cette politisation et de l’assoir sur des bases véritablement démocratiques. L’Europe est ainsi devenue libérale par nature aux yeux de nombreux citoyens ne percevant pas le lien entre la couleur politique du Conseil et celle de la Commission, essentiellement présentée comme une technocratie faussement « neutre ». La défiance des citoyens européens à l’égard de la Commission impose aujourd’hui l’établissement d’un lien direct entre leur vote et son orientation, garantissant par là même une dévolution de pouvoir conforme aux exigences des démocraties représentatives modernes.

8. Affirmer le rôle d’orientation d’un Président démocratiquement élu, fusionner à terme les présidences de la Commission et du Conseil européen.

Les élections européennes doivent devenir une échéance capitale pour la détermination de l’orientation de l’Union, aujourd’hui décidée de fait par le seul Conseil européen sans association des autres institutions. Le respect du choix politique des citoyens européens doit conduire à l’élection par le Parlement européen de la tête de liste du parti qui a remporté les élections sur la base de son programme. Cette exigence démocratique de base renforcerait l’importance du Parlement européen et la légitimité politique du Président de la Commission européenne, qui gagnerait en autonomie.

Cette politisation de la Commission ne devrait pas nuire à l’intérêt général européen, bien au contraire. Sûr de sa légitimité, le Président de la Commission serait davantage en mesure de veiller à sa préservation et de faire face aux grands Etats membres, tentés dans un passé récent par l’exercice d’un directoire.

▪ A la suite de son élection puis chaque année, le Président de la Commission européenne devrait donner un grand discours de politique générale devant les députés européens, sur la base duquel il devra leur rendre des comptes. La transparence et la redevabilité de l’institution seront ainsi considérablement renforcées et la démocratie européenne s’en porterait beaucoup mieux. La promotion de l’orientation choisie par les citoyens européens serait d’autant plus essentielle dans l’hypothèse où la majorité du Parlement européen à laquelle appartiendrait le Président de la Commission européenne ne serait pas celle des Conseils.

▪ L’étape suivante, qui ne nécessite pas nécessairement une réforme des traités, consiste à privilégier la Présidence jouissant de la plus forte légitimité démocratique pour impulser les grandes orientations de la conduite de l’Union. Le Président de la Commission européenne, qui pourrait être élu au suffrage universel indirect sur la base de son programme, l’emporterait clairement sur celui du Président du Conseil européen, élu par les Etats membres à majorité qualifié, soit très indirectement. Afin de clarifier le système politique européen, renforcer sa tête exécutive et éviter toute concurrence institutionnelle, une fusion des deux postes semblerait essentielle. Le Président de la Commission présiderait ainsi le Conseil européen. Le traité de Lisbonne permet à une telle avancée. Si les membres de la Convention ont maintenu l’interdiction du cumul de la fonction de Président du Conseil européen avec un mandat national, ils ont supprimé, au dernier moment, dans cette optique, celle du cumul avec un autre mandat européen. Le Président de la Commission pourrait ainsi soumettre son programme aux Etats membres. Le pilotage de l’Union en serait plus solide et efficace.

9. Laisser le Président de la Commission choisir son collège de commissaires sur les seuls critères de leur légitimité politique et leur compétence.

Le système actuel laisse le choix des commissaires au Conseil, avec l’accord du Président de la Commission qu’il vient juste de désigner, ce qui limite considérablement la marge de manœuvre de ce dernier. Les négociations intergouvernementales prennent ainsi davantage en considération les rapports de force entre Etats que les compétences des candidats, a fortiori dans un cadre où prime encore le ratio « un Etat, un Commissaire », suite à la suspension en 2008 de la clause du Traité de Lisbonne (art 17.5), déjà prévue par le Traité de Nice, qui prévoyait un collège ne représentant que les deux tiers du nombre d’États membres et la possibilité d’abaisser à l’avenir cette proportion. Un tel processus serait insensé avec une légitimité démocratique, certes indirecte, mais pour autant claire, du Président de la Commission. Dans un tel cadre, ce dernier devrait pouvoir choisir ses collaborateurs pour mettre en œuvre le programme de la majorité.

▪ Le collège des commissaires devrait être désigné par le Président de la Commission nouvellement élu, avec l’accord du Conseil, et non l’inverse. Une telle réforme permettrait de s’extraire un tant soit peu des négociations pour privilégier la légitimité politique et de l’expertise. Une révision de l'article 244 TFUE selon la procédure ordinaire (CIG précédée d'une Convention) serait nécessaire.

▪ L’octroi de marge de manœuvre au Président de la Commission suppose de décolérer le nombre des commissaires de celui des Etats membres. Cette évolution est tout à fait cohérente avec le mandat des commissaires devant représenter l'intérêt général européen, et non les intérêts de leur pays d'origine. La France, ayant proposé la suspension de la réforme en 2008 pour obtenir un second référendum en Irlande, devrait inviter le Conseil à tenir la promesse du Traité, cette décision requérant l’unanimité (art. 17 §4 TUE). La Commission mise en place au 1er novembre 2014 comporterait ainsi 19 commissaires, et non 28.

▪ Choisir les commissaires prioritairement, voire exclusivement parmi les députés européens élus est également proposé, notamment en 2010 par l’ancien président du parlement européen, Jerzy Buzek. Ils seraient ainsi dotée une forte légitimité démocratique et seraient soumis à une obligation plus directe de rendre des comptes s’ils souhaitaient solliciter un autre mandat.

10. Nommer des Vice-Présidents de la Commission – Président de Conseil sectoriel sur des sujets prioritaires pour renforcer l’exécutif européen.

La présidence de formations du Conseil par des Vice-Présidents de la Commission sur des sujets prioritaires garantirait une meilleure cohérence dans la gestion des dossiers que celle assurée la Présidence tournante, et permettrait à la Commission de mieux porter son programme en concertation avec le Conseil. La conduite des politiques européennes sur des enjeux de premier plan serait également mieux incarnée. Ces Vice-présidents piloteraient avec le Président de la Commission européenne les groupes de commissaires en charge de sujets entrant dans leurs champs. Ces groupes existent déjà, notamment « croissance, compétitivité, emploi et développement durable », « égalité des chances », ou « relations extérieures ». Leurs contours seraient à définir par le nouveau Président de la Commission et ses Vice-Présidents.

▪ Sur le modèle de la Vice-Présidente de la Commission et Haute représentante pour les affaires extérieures, d’autres Vice-présidents de la Commission et de Conseil sectoriel pourraient être désignés pour couvrir des secteurs prioritaires, comme « l'Economie, les Finances et la zone euro », les « Affaires sociales » et le « développement durable ». Le Vice-Président aux affaires économiques et monétaire présiderait l’Ecofin et l’Eurogroupe, celui aux Affaires sociales, le Conseil Politique sociale, Santé et Consommateurs (EPSSCO), et celui au développement durable, le Conseil environnement (ENVIR), mais également l’ECOFIN sur l’agenda qui relèverait de la transition écologique. Ces Vice-présidents assureraient la fonction de porte-parole et de représentation extérieure de l’Union dans les institutions où l’Union a un siège. Les attributions du vice-président de la Commission et du Conseil en charge des affaires économiques et de l'euro devraient également être précisées dans le Protocole sur l'Eurogroupe.

▪ Une étape supplémentaire consisterait à recourir à la dénomination de « ministre » initialement prévue par la Traité sur la Constitution de l’Europe pour la Haute représentante. Elle clarifierait la responsabilité exécutive de ces détenteurs d’une double casquette à la Commission et au Conseil.

Un conseil plus efficace et transparent

11. Clarifier le nombre et les compétences des Présidences au sein de l’Union européenne.

La création du Président du Conseil européen crée un bicéphalisme de l’instance intergouvernemental et marque de facto un certain recul de la Commission.

▪ La fusion des présidences du Conseil européen et de celle de la Commission permettrait de clarifier le système institutionnel européen pour les citoyens et les partenaires de l’Union et rendrait la conduite des politiques européennes plus cohérente.

▪ La Présidence tournante de l’Union pourrait être conservée, pour l’appropriation des enjeux européens qu’elle permet au sein du pays l’assurant pendant six mois.

12. Garantir la collégialité du Conseil.

La gestion de la crise des dettes souveraines a conduit à des pratiques peu collégiales où prévalaient les options d’un nombre très restreint de grands Etats membres en position de force économique, financière et politique.

▪ La promotion de la collégialité par les présidences est essentielle. La présidence des Vice-présidents de la Commission sur des enjeux prioritaires pourrait favoriser la prise en compte de l’intérêt général européen.

▪ La mise en place des nouvelles règles de décision à majorité qualifiée, définie par le Traité de Lisbonne, devrait également être accélérée et son extension, recherchée.

13. Filmer les séances du Conseil de l’UE

A ce jour, seules les conférences de presse à l’issue des Conseil sont filmées, contrairement aux séances du Parlement européen et de ses commissions.

▪ La transparence des séances du Conseil de l’UE permettrait de clarifier les compétences des différentes institutions aux yeux des citoyens et de renforcer la redevabilité de l’institution et de ses membres.

II. CRÉER UN ESPACE PUBLIC EUROPÉEN

Un espace public européen est essentiel pour organiser un débat à l’échelle de l’Union sur ses politiques, renforcer le sentiment d’appartenance des citoyens à une société européenne et dégager un véritable intérêt général européen. Or il reste à ce jour très embryonnaire.

La citoyenneté européenne existe. Elle est tout d’abord juridique, et confère des droits et des devoirs, qui peuvent être développés. Elle repose également sur un modèle de société en partage, mais dont la perception commune doit se développer.

Soutenir un espace médiatique européen

L’existence d’un espace public est l’un des éléments constitutifs d’une démocratie réelle, comme a notamment pu le montrer l’Ecole de Francfort. Son manque de concrétisation à l’échelon européen a été identifié par la Cour de Karlsruhe comme le chaînon manquant à une démocratie européenne de plein exercice dans sa décision sur le Traité de Lisbonne33 Solange III, s’opposant ainsi à de nouveaux transferts de souveraineté. L’atrophie cet espace public européen s’explique notamment par le manque cruel de relai médiatique.

A ce jour, les institutions communautaires ont principalement soutenu la création de médias transnationaux, avec, il faut le reconnaitre, peu de succès. Si certaines réussites dispensent une information de qualité sur l’Union, leur diffusion est restée confidentielle. Une stratégie complémentaire s’impose : inviter l’Europe dans les médias nationaux.

14. Mieux diffuser les programmes de la chaîne parlementaire européenne.

Le Parlement européen dispose de sa chaine de télévision pour diffuser ses débats, EuroparlTV. Elle retransmet en direct des sessions parlementaires et des réunions de commissions, des programmes d'information, des débats et des vidéos éducatives, de trois types différents : Actualités du Parlement, Le Parlement des jeunes et Découvrez le Parlement. Essentielle au développement d’un espace public européen, cette chaîne n’est pourtant pas diffusée auprès des citoyens en raison de quatre difficultés principales. Elle n’est accessible que par Internet, n’étant pas une chaîne hertzienne. Pour atteindre les publics nationaux sur la télévision, elle doit signer des partenariats avec les agences et chaînes nationales. Si 150 accords ont été conclus à ce jour, peu de chaines de grande audience sont concernées et en particulier aucune chaîne française, généraliste et parlementaire, ne fait partie de cette liste de partenariat. Seuls l’ENA et l’IEP de Strasbourg y figurent. Par ailleurs, cette chaîne ne vise qu’un public averti et ses bulletins d’information ne sont qu’au nombre de quatre par semaine. Enfin, la moitié des financements accordés à la chaîne est consacré à la traduction, la chaîne souhaitant disposer de sous-titres dans les 22 langues officielles de l'Union pour l'ensemble des vidéos présentées. A titre de comparaison, Euronews ne diffuse qu’en huit langues. Cette situation n’est naturellement pas à la hauteur des enjeux.

▪ Les difficultés d’EuroparlTV doivent urgemment être surmontées en lui permettant d’accéder au réseau hertzien diffusé sur toutes les télévisions européennes. Il devrait s’agir d’une obligation de service public pour les chaines publiques. Ses programmes devraient être revus en conséquence pour laisser une plus grande place aux bulletins d’information qui devraient a minima être biquotidiens. Son ambition de traduction pourrait également être réévaluée pour rendre ce projet possible, par exemple, en se recentrant sur les bulletins d’information ou le résumé des séances.

15. Faire respecter les obligations de services publics des médias audiovisuels nationaux, français en l’occurrence.

 

La Constitution française reconnaît l'importance du débat démocratique et le protège. Elle prévoit en son article 4 que « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation », mission confiée au Conseil supérieur de l'audiovisuel34.Une révision constitutionnelle pourrait y ajouter explicitement « la vie démocratique de la Nation et [de l’Union européenne] », mais la prise en compte du débat politique européen est une extension nécessaire du principe constitutionnel de protection du pluralisme des opinions. Le titre XV de la Constitution précise les modalités institutionnelles d'insertion de la République française dans le processus normatif de l'Union européenne et l'article 13 de la loi de 1986 ne restreint pas au niveau national le pluralisme dont le CSA assure la protection. Sur des fondements constitutionnels similaires, le CSA prend d’ailleurs en compte de manière spécifique l'actualité politique locale. Enfin, le cahier des charges de France Télévisions mentionne expressément le débat politique européen à son article 14 et le rôle d'information des chaînes publiques sur le Parlement européen à son article 16.

▪ Plusieurs dispositifs permettent la visibilité et la diffusion des débats parlementaires nationaux. Leur extension, sous une forme adaptée, au Parlement européen est indispensable. Les chaînes de service public devraient ainsi retransmettre les séances d'interpellation des membres de la Commission européenne, comme elles diffusent la séance des questions au Gouvernement. Les assemblées parlementaires françaises disposent avec LCP/AN d'une chaîne propre leur permettant de diffuser leur activité et d'organiser le débat selon leurs propres critères.

Dans le cadre de sa mission de régulation du débat public, le Conseil supérieur de l'audiovisuel devrait assurer un temps de parole équilibré dans les médias audiovisuels aux représentants politiques européens, comme il le fait au niveau national selon la méthode dite des « trois tiers ». Le critère de comptabilisation de ce temps de parole pourrait être similaire à celui employé par le CSA pour déterminer ce qui relève de l'actualité politique locale ou de la participation du Président de la République au débat politique national. De la même manière que pour l'actualité politique locale, la norme de répartition devrait prendre en compte l'équilibre politique européen, tel qu'il résulte des élections européennes. Elle devrait notamment réserver une part adéquate du temps de parole aux représentants des institutions politiques européennes, telles que la Commission européenne ou les membres du Parlement européen, français ou étrangers. Le CSA pourrait prendre l’initiative de communiquer un relevé des temps de parole relatifs au débat public européen au Président du Parlement européen, aux responsables des groupes parlementaires européens et aux responsables des partis politiques européens représentés, comme il le fait chaque mois au niveau national aux présidents des assemblées et aux responsables des partis politiques qui y sont représentés.

Selon ces principes, le CSA devrait contrôler le respect par les chaînes de service public de leurs obligations d’informer sur le débat politique européen, dans la lignée des préconisations du rapport Herbillon de juin 2005. Il pourrait de surcroît introduire des obligations similaires dans les conventions d'autorisation d'émission le liant aux éditeurs de services conformément à l'article 28 de la loi de 86.

Pour une citoyenneté européenne active

La citoyenneté européenne est une pierre essentielle de l’Europe politique. Introduite par le traité de Maastricht, elle a aujourd’hui plus de vingt ans. Or les droits liés à la citoyenneté européenne, essentiellement économiques et sociaux, compte tenu des domaines d’intégration originels de l’Union, sont méconnus. Les taux d’abstention record aux élections européennes soulignent l’urgence qu’il y a à revigorer la conscience et l’exercice de cette citoyenneté.

16. Assurer une éducation citoyenne européenne : enseignement des droits et création d’une carte d’électeur indiquant la double citoyenneté des Européens.

Peu de citoyens européens peuvent citer les droits garantis par les Traités (art. 20-25 du TFUE) et la Charte des droits fondamentaux, et savent qu’ils peuvent avoir recours à des moyens juridictionnels (tribunaux) ou non juridictionnels (médiateur) pour les défendre face aux actes des institutions européennes. Pour ce qui est de leurs devoirs, il y est qu’aucun traité ne les énumère. Seul le préambule de la Charte des droits fondamentaux pose le principe que « la jouissance de ces droits entraîne des responsabilités et des devoirs ».

▪ Une introduction à la citoyenneté européenne devrait être intégrée dans les programmes du cours préparatoire pour qu’elle soit assimilée indissociablement à la citoyenneté nationale. Un fascicule sur la citoyenneté européenne devrait être envoyé à chaque citoyen européen accédant à la majorité, au même titre que le livret sur la citoyenneté française.

▪ L’inscription de la double nationalité sur la carte d’électeur des européens est également, après le passeport et le permis de conduire, un également pas essentiel.

17. Renforcer les droits du citoyen européen 

Les droits du citoyen européen pourraient également être développés :

L’Union doit garantir les droits des citoyens qui "vivent" l'Europe au quotidien parce qu'ils sont mobiles ou confrontés à des situations transfrontalières, notamment les problèmes de droit civil, liés à la portabilité des droits sociaux ou spécifiques aux populations nomades. Les carences de l'Union face à ces situations, qui devraient pourtant être sa première raison d'être, doivent trouver des réponses. La portabilité des droits économiques et sociaux, promises depuis des décennies, devrait être une priorité.

▪ L’adoption au niveau européen de la clause de l’Européenne la plus favorisée, promue par Gisèle Halimi et approuvée par l’Assemblée nationale le 18 avril 2010, permettrait l’alignement par le haut des conditions de vie et de travail des femmes en Europe, sur la bases des plus favorables pour les femmes en Europe, dans les domaines de compétences de l’UE (égalité des salaires, protections des travailleurs, égalité femme homme).

18. Forger un peuple européen : garantir à tous une culture européenne, la possibilité d’une expérience étudiante ou professionnelle européenne, et un service civique européen.

De nombreuses propositions existent pour faire émerger le sentiment d’appartenance à l’Union ; trois semblent particulièrement essentielles.

▪ Beaucoup de progrès restent à faire en matière culture européenne. Les Etats membres devraient s’engager à assurer des modules d’histoire et d’instruction civique européenne à l’école, l’enseignement obligatoire d’une deuxième langue européenne dès l’école primaire, et le développement des enseignements en langues étrangères comme c’est déjà le cas dans les filières européennes, et ce dès le secondaire. La réintroduction des symboles de l’Union s’impose également pour garantir des identifiants communs, comme le drapeau européen adopté en 1985 avec le passeport européen et le choix en 1988 de L’Hymne à la Joie de Beethoven comme hymne européen. Le budget européen affecté à la culture devrait également être augmenté, pour soutenir en priorité la production d’œuvres européennes et le réseau des musées de l’Europe.

▪ Tout européen devrait avoir la possibilité de faire l’expérience d’un autre pays d’Europe, comme lycéen, étudiant, apprenti ou jeune professionnel. La généralisation du programme Erasmus, qui ne touche aujourd’hui qu’un million d’étudiants sur les 30 que comptent les universités européennes, a minima son extension à 20% des étudiants, est une priorité. Les échanges entre lycéens devraient également être encouragés.

▪ La création d’un service civique européen obligatoire sur la base du service volontaire européen (SVE), qui connait déjà un grand succès depuis 2010, garantirait à tout jeune européen âgé de 18 à 30 ans de participer à un projet avec d’autres jeunes européens dans un autre pays de l’Union ou à l’étranger. Les jeunes recevraient une indemnité mensuelle. A noter que la première initiative citoyenne européenne enregistrée par la Commission européenne le 9 mai 2012, Fraternité 2020, vise à obtenir 3 % du budget de l'UE consacré à des programmes comme le SVE à partir de 2014 (la part est actuellement de 1,2 %).

IV. CONTRIBUTION DE L’INSTITUT BRUEGEL

ANNEXE : LETTRE DE SAISINE DE MME ELISABETH GUIGOU

1 Un accord interinstitutionnel est un acte adopté conjointement par les institutions de l’Union européenne dans leur domaine de compétences, par lequel celles-ci règlent les modalités de leur coopération ou s’engagent à respecter des règles de fond. Les accords interinstitutionnels sont nés de la nécessité pratique éprouvée par les institutions de préciser certaines dispositions des traités les concernant afin d’éviter les conflits et d’ajuster leurs compétences respectives. Non prévus à l’origine par les traités, ils ont été formellement introduits par le traité de Lisbonne, à l’article 295 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

2 L’article 13 prévoit que « le Parlement européen et les parlements nationaux des parties contractantes détermineront ensemble l’organisation et la promotion d’une conférence de représentants des commissions compétentes des parlements nationaux et de représentants des commissions compétentes du Parlement européen pour débattre des politiques budgétaires et d’autres sujets couverts par ce traité ». La Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière de l’Union européenne, instituée par le TSCG, a tenu sa première session les 16 et 17 octobre 2013 à Vilnius.

3 Une solution serait d’avoir un député pour x milliers (ou million) d’habitants avec un minimum d’un député par Etat membre. On peut se référer à l’exemple de la Chambre des Représentants des Etats-Unis où les petits Etats ont un représentant.

4 L’arrêt de la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe sur le traité de Lisbonne souligne que le principe démocratique, appliqué à un Etat, impose de respecter certaines conditions que l’Union ne remplit pas, et notamment le fait que les élections européennes ne s’effectuent pas selon le principe « un homme, une voix ».

5 http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2011:0681:FIN:fr:PDF

6 http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/eb/eb79/eb79_first_fr.pdf

7 A ce sujet, voir notamment le rapport Vers un impôt européen, Institut Montaigne, octobre 2003.

8 Note de l’institut Montaigne, Faire de la transition énergétique un levier de compétitivité, novembre 2012.

9 Pascal Lamy, septembre 2004, L’émergence des préférences collectives dans le champ de l’échange international : quelles implications pour la régulation de la mondialisation ?

10 Source : Eurostat, juin 2013.

11 Résolution du Parlement européen du 11 septembre 2012 sur le renforcement de la solidarité au sein de l'Union européenne dans le domaine de l'asile.

12 Rapport d'information de MM. Daniel REINER, Jacques GAUTIER, André VALLINI et Xavier PINTAT, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées - n° 713 - 3 juillet 2013

13 SUR CES ENJEUX VOIR GAETANE RICARD-NIHOUL, POUR UNE FÉDÉRATION EUROPÉENNE D'ETATS-NATIONS : LA VISION DE JACQUES DELORS REVISITÉE, LARCIER, 2011.

14 Sur ces enjeux, voir Yves Bertoncini et Valentin Kreilinger, Séminaire sur la méthode communautaire – Eléments de synthèse, avec des contributions de José-Manuel Barroso, Jacques Delors et Antonio Vitorino, Synthèse, Notre Europe, mai 2012.

15 Pour de plus amples développement sur ces enjeux, voir Yves Bertoncini, Zone euro et démocratie(s) : un débat en trompe l’œil, Policy paper n°94, Notre Europe – Institut Jacques Delors, juillet 2013.

16 Voir Henrik Enderlein et alii, Parachever l’euro. Feuille de route vers une union budgétaire en Europe, Préface J. Delors et H. Schmidt, Études & Rapports No. 92, Notre Europe, juin 2012.

17 Voir Henrik Enderlein et alii, Parachever l’euro. op.cit.

18 Sauf les deux pays ayant négocié une clause d’exemption, à savoir le Danemark et le Royaume-Uni.

19 Voir Eulalia Rubio, Quel instrument financier pour faciliter les réformes structurelles dans la zone euro? Policy Paper n°104, Notre Europe – Institut Jacques Delors, décembre 2013

20 Voir Henrik Enderlein, Lucas Guttenberg et Jann Spiess, Un fonds assurantiel d'ajustement cyclique pour la zone euro, Policy Paper No. 61, Notre Europe – Institut Jacques Delors, janvier 2013.

21 Sur ces enjeux, voir Olivier Rozenberg, Valentin Kreilinger, Wolfgang Wessels et Claudia Hefftler, Le contrôle démocratique et parlementaire du Conseil européen et des sommets de la zone euro, Etude pour le Parlement européen, Notre Europe – Institut Jacques Delors / TEPSA, janvier 2013

22 Sur ce point, voir Christophe Caresche, « Rapport d’information de l’Assemblée nationale portant observations sur le projet de loi de ratification du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’UEM », n°202, septembre 2012

23 Pour des analyses et propositions détaillées sur ce thème, voir Yves Bertoncini, Les parlements et la gouvernance de l’UEM, Tribune, Notre Europe – Institut Jacques Delors, avril 2013.

24 Sur cet enjeu, voir Yves Bertoncini, Les interventions de l’UE au niveau national : quel impact ?, Etude&Rapport n°73, Notre Europe – Institut Jacques Delors, juin 2009

25 Sur ce sujet, voir Olivier Costa, Renaud Dehousse et Aneta Trakalova, La co-décision et les accords précoces Progrès ou détournement de la procédure législative ? Etude&Rapport n°84, Notre Europe, mars 2011

26 Pour une description détaillée du partage du pouvoir entre Conseil et Parlement européen, voir Yves Bertoncini et Thierry Chopin, Politique européenne. Etats, pouvoirs et citoyens de l’UE, Sciences-Po Dalloz, Annexe 3, septembre 2010.

27 Pour une description détaillée du partage du champ d’application des votes à la majorité qualiiée et à l’unanimité au Conseil, voir Yves Bertoncini et Thierry Chopin, Politique européenne. Etats, pouvoirs et citoyens de l’UE, Sciences-Po Dalloz, Annexe 3, septembre 2010.

28 Sur ce point, voir Stéphanie Nowak, Usages du vote à la majorité qualifiée de l’Acte unique européen à nos jours : une permanence inattendue, Etude&Rapport n°88, Notre Europe, novembre 2011.

29 « En tenant compte des élections au Parlement européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées », le Conseil européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement européen un candidat à la fonction de président de la Commission. Ce candidat est élu par le Parlement européen à la majorité des membres qui le composent ».

30 Rapport adopté par le Parlement européen sur l’amélioration de l’organisation des élections au Parlement européen en 2014 (2013/2102(INI)), 12 juin 2013.

31 Règlement (CE) N° 2004/2003 du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relatif au statut et au financement des partis politiques au niveau européen (JO L 297 du 15.11.2003, p. 1)

32 Le projet de Constitution, en son article I-20, prévoit désormais que le Parlement est composé d'un maximum de 750 membres avec un seuil minimal relevé à six députés par pays –au lieu de quatre députés selon le texte de la Convention - et que « la représentation des citoyens européens est assurée de façon dégressivement proportionnelle » (plus un Etat membre est peuplé, plus chacun de ses députés représente d'habitants).

33 Bundesverfassungsgericht, décision du 30 juin 2009 sur la ratification du Traité de Lisbonne.

34 Loi n°86-1067 du 30 décembre 1986 dite « Léotard » relative à la liberté de communication, Conseil constitutionnel, Décision n° 86−217 DC du 18 septembre 1986


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