N° 3617 - Rapport d'information de Mme Monique Orphé sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs




N° 3617

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 29 mars 2016.

RAPPORT D’INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATON AUX OUTRE-MER (1) SUR LE PROJET DE LOI (n° 3600) visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises
et les actifs

PAR Mme Monique ORPHÉ

Députée

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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation aux Outre-mer est composée de : M. Jean-Claude Fruteau, président ; Mme Huguette Bello, Mme Chantal Berthelot, Mme Marie-Anne Chapdelaine, Mme Sonia Lagarde, M. Serge Letchimy, M. Didier Quentin vice-présidents ; Mme Brigitte Allain, M. Dominique Bussereau, M. Bernard Lesterlin, secrétaires ; M. Ibrahim Aboubacar, M. Bruno Nestor Azerot, M. Jean-Jacques Bridey, M. Ary Chalus, M. Alain Chrétien, M. Stéphane Claireaux, M. Édouard Courtial, Mme Florence Delaunay, M. René Dosière, Mme Sophie Errante, M. Georges Fenech, M. Jean-Marc Fournel, M. Hervé Gaymard, M. Daniel Gibbes, M. Philippe Gomes, M. Philippe Gosselin, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, M. Mathieu Hanotin, M. Philippe Houillon, M. Guénhaël Huet, Mme Monique Iborra, M. Éric Jalton, M. Serge Janquin, M. François-Michel Lambert, M. Guillaume Larrivé, M. Patrick Lebreton, M. Gilbert Le Bris, M. Patrick Lemasle, M. Bruno Le Roux, M. Michel Lesage, Mme Gabrielle Louis-Carabin, M. Victorin Lurel, M. Thierry Mariani, M. Alfred Marie-Jeanne, M. Hervé Mariton, M. Olivier Marleix, M. Philippe Naillet, M. Jean-Philippe Nilor, M. Patrick Ollier, Mme Monique Orphé, M. Napole Polutélé, M. Thierry Robert, M. Camille de Rocca Serra, Mme Maina Sage, M. Boinali Said, M. Paul Salen, M. François Scellier, M. Gabriel Serville, M. Jonas Tahuaitu, M. Jean-Charles Taugourdeau, M. Jean-Paul Tuaiva, M. Jean Jacques Vlody.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 7

I. EMPLOI ET FORMATION DANS LES OUTRE-MER : UN ÉTAT DES LIEUX 9

A. UN CHÔMAGE STRUCTUREL ET DE LONGUE DURÉE 9

B. DES BESOINS DE FORMATION AMPLES ET SPÉCIFIQUES 11

1. Les faiblesses de la formation initiale 12

2. La problématique de la formation professionnelle 13

II. LE DIALOGUE SOCIAL DANS LES OUTRE-MER : UNE REFONDATION NÉCESSAIRE 14

A. LES LIMITES NATIONALES ET LOCALES DU DIALOGUE SOCIAL, LEUR EFFET DANS LES OUTRE-MER 15

1. Les outre-mer et les conventions collectives nationales : l’exclusion est la règle, l’applicabilité, l’exception 15

2. L’état du dialogue social et ses conséquences sur l’appréciation de la loi Perben 16

III. LES POLITIQUES DE L’EMPLOI ET DE LA FORMATION EN OUTRE-MER 25

A. LES POLITIQUES MISES EN œUVRE EN FAVEUR DE L’EMPLOI 25

1. Le soutien direct de l’emploi par la participation de l’État aux rapports contractuels 25

a. Les contrats aidés 25

b. Les emplois d’avenir 27

c. La « garantie jeunes » 27

d. L’aide à l’embauche au premier salarié dans les très petites entreprises 28

2. L’action indirecte par la dynamisation économique des départements d’outre-mer 28

B. LA FORMATION EN OUTRE-MER : UNE MULTIPLICITÉ D’INTERVENANTS POUR UNE ACTION VITALE 29

1. Revoir la formation initiale en fonction des enjeux du décrochage scolaire 30

2. Renforcer l’efficacité des structures actuelles de formation et d’insertion professionnelle 30

a. Faciliter la transmission d’informations entre les prescripteurs de formation 31

b. Consacrer LADOM comme acteur essentiel de la formation par la mobilité 32

c. Reconnaître le rôle des structures d’insertion 33

3. Pour une formation professionnelle au service de l’insertion individuelle 36

a. Pour la mise en place d’un guichet unique numérique de la formation et de l’insertion professionnelle 37

b. Pour la création d’un service de formation professionnelle de proximité dans les outre-mer 38

IV. PROPOSITIONS POUR UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES OUTRE-MER DANS LA RÉFORME DU CODE DU TRAVAIL 40

A. L’INTÉGRATION DES OUTRE-MER DANS LA REFONDATION DU DROIT DU TRAVAIL 40

B. LA MODIFICATION DES RÈGLES RELATIVES À L’APPLICATION DANS LES OUTRE-MER DES CONVENTIONS COLLECTIVES NATIONALES 41

1. Adapter les critères de représentativité des organisations syndicales locales 41

2. Refonder l’insertion juridique des conventions collectives nationales dans les relations collectives de travail des outre-mer 42

3. Organiser l’information et la consultation réciproques des partenaires sociaux locaux et nationaux sur la négociation collective dans les outre-mer 43

4. Définir les modalités d’information réciproque des partenaires sociaux nationaux et locaux dans le cadre de la négociation collective nationale 43

5. Organiser le fonctionnement de la négociation collective dans le cadre de chaque département d’outre-mer. 44

6. Définir la place des accords collectifs départementaux dans la hiérarchie des normes conventionnelles. 45

C. FAVORISER LE PARCOURS INDIVIDUEL DE FORMATION DES SALARIÉS ULTRAMARINS 45

1. Faciliter l’accès des demandeurs de formation professionnelle aux offres de formation 45

2. Adapter aux spécificités des outre-mer le droit à l’accompagnement des jeunes vers l’autonomie et l’emploi 46

3. Créer un droit opposable à la formation pour les demandeurs d’emploi de longue durée. 47

D. DÉFINITION CONVENTIONNELLE DES EMPLOIS SAISONNIERS DANS LES OUTRE-MER 47

E. APPLICATION DU CODE DU TRAVAIL À MAYOTTE 48

AUDITION DE MME GEORGE PAU-LANGEVIN, MINISTRE DES OUTRE-MER 49

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 65

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES 77

AUDITIONS DE LA RAPPORTEURE 79

Mesdames, Messieurs,

Une coïncidence de calendrier conduit le Parlement à entamer la discussion du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs à peu près au moment où est commémoré le 70e anniversaire de la loi n° 46-451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion et de la Guyane française. Bien sûr, depuis cette date, les choses ont bien changé, les institutions ultramarines se sont diversifiées (1). Mais l’esprit de la loi de 1946 demeure, en particulier l’orientation de son article 2, qui dispose que « les lois et décrets actuellement en vigueur dans la France métropolitaine et qui ne sont pas encore appliqués à ces colonies feront, avant le 1er janvier 1947, l’objet de décrets d’application à ces nouveaux départements ». Comme on le sait, cet article met en œuvre le principe, à valeur constitutionnelle, posé par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « La France forme avec les peuples d’outre-mer une Union fondée sur l’égalité des droits et des devoirs, sans distinction de race ni de religion ». Le principe d’assimilation législative prévu par l’article 73 de la Constitution du 4 octobre 1958 donne une nouvelle formulation à la règle. Il trouve particulièrement à s’appliquer au droit du travail, qui fait la matière du projet de loi désormais soumis à notre examen. C’est pourquoi la délégation aux outre-mer a décidé de se saisir de ce projet, en tant qu’il est susceptible d’affecter les départements et collectivités d’outre-mer régies par l’article 73 précité.

Au seuil du présent rapport, il n’est pas inutile de rappeler que l’assimilation législative n’a pas empêché une marginalisation de fait des outre-mer dans l’application du droit, notamment du droit du travail. Le constat des nombreuses inégalités sociales dont souffrent les ultramarins n’est pas nouveau (2). C’est ainsi que, le 20 décembre 1995, M. Jean-Jacques de Peretti, alors ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé de l’Outre-mer, se félicitait de « l’achèvement de l’égalité sociale entre les DOM et la métropole » réalisé par le décret n° 95-1312 du 20 décembre 1995 portant relèvement du salaire minimum de croissance dans les départements ultramarins au 1er janvier 1996 ; sans doute aurait-il été utile de préciser que cet alignement intervenait plus d’un quart de siècle après le remplacement du SMIG, créé par la loi du 11 février 1950, par le SMIC, le 2 janvier 1970. Le même décalage peut être observé dans l’établissement des indicateurs sociaux de base : ainsi, il a fallu attendre 2014 pour que le taux de chômage soit évalué en France d’outre-mer tout au long de l’année, comme cela se faisait déjà depuis longtemps en France hexagonale ; jusqu’alors, le taux de chômage n’était évalué, outre-mer, que sur le second trimestre. Et ce ne sont là que des exemples. De manière générale, vingt ans après l’alignement du SMIC, force est de constater que l’on n’est pas encore parvenu, dans les relations sociales, à l’égalité réelle entre la France outre-mer et la France hexagonale, au risque de créer ou d’accentuer les malentendus.

Il était du devoir de la délégation aux outre-mer, première instance de représentation et de débat des outre-mer dans notre Assemblée, de s’interroger sur l’adéquation aux spécificités de la situation sociale dans les départements et collectivités d’outre-mer de la réforme que le nouveau projet de loi propose d’introduire. Cette interrogation conduit à un constat de fait : ni dans l’exposé des motifs, ni dans le dispositif de ce projet, on ne trouve de mention des outre-mer. Faudrait-il penser qu’une fois de plus, les outre-mer sont au ban de l’application du droit ?

Le Gouvernement a déclaré qu’en présentant ce projet de loi, il avait l’ambition de donner au dialogue social une place beaucoup plus importante dans la définition des règles du droit social, pour que le pays passe enfin d’une culture de l’affrontement à une culture du compromis et de la négociation. Cet objectif vaut aussi, naturellement, pour les départements d’outre-mer. Cependant, pour en apprécier les chances et les conditions de réalisation dans ces départements, il convient de se rappeler que l’histoire des relations sociales y est marquée par une profonde culture de l’affrontement, certainement plus que dans l’hexagone. La raison en est que les inégalités sont plus nombreuses et plus accusées ; de plus, elles sont ressenties par les populations avec une coloration historique particulière.

Cette culture de relations sociales vécues sur le mode du conflit a été attisée et entretenue par l’aménagement apporté par la « loi Perben » (3) au régime des conventions collectives outre-mer. On se souvient que l’article 16 de cette loi subordonne l’application aux départements d’outre-mer d’une convention collective à compétence nationale à l’insertion dans la convention d’une stipulation expresse en ce sens. Cet article crée de fait une inégalité entre les salariés ultramarins et les salariés de France hexagonale et peut provoquer un sentiment d’exclusion, que le retour sur le régime des négociations collectives proposé par le projet de loi risque d’attiser encore, d’autant que ce projet n’a apparemment pas pris en compte le problème spécifiquement posé par les difficultés des négociations collectives dans les départements d’outre-mer. Situation paradoxale pour une réforme dont le but avéré est de promouvoir le dialogue social.

Le projet de loi contient également plusieurs mesures destinées à encourager la formation professionnelle tout au long de la vie de travail. L’objectif que traduisent ces mesures rencontre un écho certain dans les outre-mer, où sévit un chômage structurel, qui frappe particulièrement les jeunes, et où les difficultés d’accès à la formation sont nombreuses. Mais, à nouveau, le texte qui nous est proposé ne fait aucune mention spécifique des outre-mer.

Dans ces conditions, le premier souci de votre Rapporteure a été de dresser un état des lieux de la situation de l’emploi et de la formation dans les départements d’outre-mer. Dans un deuxième temps, le rapport évoquera les deux principaux points d’attention qui justifient l’intérêt porté au projet de loi par la délégation aux outre-mer : la situation du dialogue social et la nécessité de revitaliser ce dialogue en donnant un cadre adapté à la négociation collective, d’une part ; les réponses qui doivent être apportées aux attentes exprimés pour la formation professionnelle d’autre part. Enfin, dans un troisième temps, il expose les propositions de la délégation aux outre-mer en vue de la modification du texte déposé par le Gouvernement.

I. EMPLOI ET FORMATION DANS LES OUTRE-MER : UN ÉTAT DES LIEUX

Sans prétendre à l’exhaustivité, votre Rapporteure voudrait rappeler quelques données élémentaires sur la situation de l’emploi et de la formation professionnelle, afin de permettre une prise de conscience plus précise des enjeux de la réforme proposée pour les outre-mer.

A. UN CHÔMAGE STRUCTUREL ET DE LONGUE DURÉE

Le chômage structurel et de longue durée qui affecte tous les départements d’outre-mer y gangrène les rapports économiques et sociaux. Les chiffres qui en manifestent l’ampleur spécifique illustrent le décalage existant entre les préoccupations qu’il inspire en France hexagonale et dans les départements d’outre-mer.

À La Réunion (4), 26,8% des actifs sont au chômage en 2014 (5), ce qui représente 94 200 personnes. Les jeunes de 15 à 24 ans sont les plus vulnérables puisque 54.4 % des jeunes actifs sont au chômage. L’Insee révèle que 151 400 personnes qui sont au chômage ou se situent dans le halo autour du chômage, souhaitent travailler ou recherchent un emploi (6). Avec seulement 46 % de la population en âge de travailler qui occupe un emploi, La Réunion présente le second plus faible taux d’emploi des outre-mer après Mayotte.

De plus, en 2014, 13 % des personnes en emploi sont en situation de sous-emploi ; on trouve notamment dans cet ensemble des personnes occupant un emploi à temps partiel subi (7).

Par ailleurs, les données sur les revenus fiscaux publiées par l’Insee pour l’année 2011 font apparaître La Réunion comme le département le plus inégalitaire de France ; les écarts de situation révélés par ces chiffres ne peuvent que favoriser le développement de crispations entre les partenaires sociaux.

La Guadeloupe (8) est le département français d’Amérique où le chômage est le plus élevé : 23,7 % en moyenne en 2014 (9) ; les jeunes et les femmes sont les plus touchés par le chômage. En décembre 2015, l’INSEE dénombrait plus de 65 000 demandeurs d’emploi, chiffre confirmé par la DIECCTE et la Direction régionale de Pôle emploi qui évaluent à 65 120 le nombre de personnes inscrites en catégorie A, B et C à la fin de l’année 2015. Ce chômage est structurel puisqu’en 2014, plus de la moitié 56,2 % des inscrits sont des demandeurs d’emplois dits de longue durée (10). De plus, le climat des affaires est atone en Guadeloupe. La baisse d’activité constatée frappe les secteurs susceptibles de porter des emplois : l’industrie, le BTP et le tourisme (11). La diminution des offres d’emplois dans le secteur salarié marchand, qui est de 5 % en moyenne, peut atteindre jusqu’à 15 % dans le secteur de la construction.

En Martinique (12), le nombre de demandeurs d’emploi tenus de rechercher un emploi figurant dans les catégories A, B, C s’établit à 52 948 personnes fin décembre 2015, dont plus de 6.000 jeunes de moins de 25 ans. En décembre 2015, 29 207 personnes étaient inscrites auprès de Pôle emploi depuis un an ou plus (13). Ces quelques chiffres permettent de constater que le marché du travail martiniquais « bien que mieux orienté, présente encore une situation dégradée » (14). En 2011, l’INSEE relevait que la Martinique était le troisième département français le plus inégalitaire.

En Guyane (15), le nombre de demandeurs d’emploi de catégories A, B, C inscrits à Pôle emploi s’établit à 25 510, fin 2015 (16). Là encore, les jeunes de moins de 25 ans sont particulièrement touchés puisqu’ils représentent 14 % du total des chômeurs (17). Par ailleurs, l’IEDOM note, comme en Guadeloupe, l’influence défavorable de l’atonie de l’activité économique sur le marché du travail. Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi, particulièrement celui des chômeurs de longue durée, progresse (18). L’analyse des flux d’entrées et de sorties de Pôle emploi par motif révèle la forte précarité des emplois et donc l’instabilité structurelle du marché de l’emploi (19).

À Mayotte, le chômage atteint un taux de 36,6 % pour une population d’environ 227 000 habitants (20). C’est le taux le plus élevé de l’ensemble des outre-mer. L’écart des revenus est également très important. Les faibles revenus sont illustrés par l’écart entre les revenus moyens par habitant constatés à Mayotte (7 900 euros) et ceux constatés au niveau national (31 500 euros) (21).

D’une manière générale, les chiffres que l’on vient de citer amènent à un constat commun : le caractère structurel et la longue durée du chômage dans les départements d’outre-mer compliquent la recherche des solutions les plus efficaces aux problèmes spécifiques de l’emploi dans ces départements, qui ne peuvent consister uniquement en des réponses temporaires.

B. DES BESOINS DE FORMATION AMPLES ET SPÉCIFIQUES

Le niveau de formation des jeunes ultramarins constitue un premier indicateur des difficultés d’insertion rencontrées sur les territoires ultramarins, relayé par le constat du manque de formation tout au long de la vie professionnelle

1. Les faiblesses de la formation initiale

La comparaison entre les territoires d’outre-mer et la France hexagonale révèle de profondes inégalités dans l’accès à la connaissance. Ces inégalités se traduisent sur le marché du travail par une inadéquation entre l’offre et la demande.

Ainsi, trop de jeunes ultramarins sont en situation d’illettrisme. La part de jeunes ultramarins en situation d’illettrisme varie entre 15,5 % à La Réunion et 44 % à Mayotte contre 4,1 % pour la France hexagonale (22).

De plus, la comparaison avec la moyenne hexagonale fait apparaître que trop de jeunes ultramarins de 18 ans sont en difficulté de lecture :

Département d’outre-mer

Part des jeunes de 18 ans en difficulté de lecture

Guadeloupe (971)

33,1 %

Martinique (972)

30,4 %

Guyane (973)

48.4 %

La Réunion (974)

27,6 %

Mayotte (975)

74,9 %

France Hexagonale

9,9 %

L’appréciation du niveau de scolarisation est un autre indicateur d’une situation critique. En outre-mer, le taux de jeunes de 20 à 24 ans ayant quitté le système scolaire avec un niveau primaire varie entre environ 25 % pour La Réunion, la Martinique et la Guadeloupe et 53 % pour la Guyane (23). La situation de Mayotte est encore plus préoccupante. En effet, 40 % des jeunes de 18 à 24 ans n’auraient jamais été scolarisés et 60 % ont au plus le niveau primaire (24).

Les difficultés de formation rencontrées par les jeunes ultramarins sont d’autant plus dommageables que « le diplôme reste la protection la plus efficace contre le chômage ». Ce constat semble valable pour tous les départements d’outre-mer, en dépit de quelques améliorations (25), Ainsi, l’Insee relevait, en mai 2002 (26), aux Antilles-Guyane que seuls 23 % des natifs restés sur leur territoire d’origine ont un diplôme de niveau Bac ou plus. Ces éléments sont révélateurs d’une inadéquation entre les systèmes de formation et les nécessités du développement économique. On constate, à l’étude de la formation des individus tout au long de la vie professionnelle, que ce décalage ne se réduit pas par la suite.

2. La problématique de la formation professionnelle

Personne ne conteste le lien nécessaire entre la qualité de la formation professionnelle tout au long de la vie et le développement des départements français d’outre-mer. Le tout est, naturellement, de tirer les conséquences du constat.

L’évaluation de la formation professionnelle a fait l’objet, il y a quelques années, d’un rapport commandé à MM. François de Lavergne et Julien Nègre par l’Agence française de développement (27). Bien que ce rapport ne s’intéresse qu’à trois des cinq départements d’outre-mer (Guadeloupe, Mayotte, Réunion), il offre une première analyse éclairante des difficultés liées à la formation professionnelle dans les départements insulaires.

En Guadeloupe, le rapport considère notamment que « l’intervention publique, notamment par le biais du FSE, demeure capitale afin de lutter contre l’exclusion et la discrimination et pour favoriser l’élévation du niveau de qualification et des compétences pour l’accès à l’emploi. » (28)

À La Réunion, le rapport met en relief les effets de « l’explosion démographique » qui « nécessitera une gestion d’autant plus fine de l’appui à la formation et à la création d’emplois locaux, entre le développement intérieur et les perspectives offertes par la mobilité. » (29)

Pour Mayotte, les auteurs insistent sur les enjeux spécifiques d’une action de formation professionnelle qui doit tenir précisément compte du niveau de scolarisation des demandeurs d’emplois et des salariés en général. « La formation constitue un outil essentiel pour permettre un développement pérenne de Mayotte profitant aux habitants de l’île, et en particulier dans la lutte contre l’illettrisme. C’est pourquoi le développement de la formation professionnelle en direction des salariés du privé et des agents publics, mais aussi des demandeurs d’emploi, s’est accéléré ces dernières années face à des besoins importants et récurrents » (30) Pour les auteurs, l’action en ce sens doit être renforcée.

Les analyses du rapport enregistrent, une fois de plus, la diversité des situations locales, et signalent, en même temps, des points communs spécialement importants pour la politique de formation et qui sont souvent revenus dans les entretiens et les correspondances de votre Rapporteure : la prédominance des PME et des TPE dans l’économie locale et la nécessité d’améliorer l’adéquation des outils de la formation professionnelle par une connaissance plus fine des besoins de formation.

Dans les outre-mer plus encore que dans l’Hexagone, l’instauration d’un véritable dialogue social pourrait contribuer à la recherche en commun des solutions les plus efficaces possibles aux problèmes dont l’ampleur vient d’être rappelée. Malheureusement les conditions d’un tel dialogue ne sont pas actuellement réunies. Il conviendrait à tout le moins de réviser les dispositions législatives qui lui font obstacle et qui, de ce fait même, se trouvent en contradiction avec l’incitation générale à une négociation sociale rénovée qui inspire le projet de loi.

II. LE DIALOGUE SOCIAL DANS LES OUTRE-MER : UNE REFONDATION NÉCESSAIRE

Le projet de loi contient de très abondantes dispositions destinées à remodeler le droit des conventions collectives et des accords collectifs de travail. Mais il ne touche pas aux règles particulières qui fixent le régime de ces conventions et accords et qui, depuis la loi du 25 juillet 1994, communément appelée « loi Perben », prévoient que les conventions collectives nationales et accords collectifs nationaux ne sont applicables dans les départements d’outre-mer que si les partenaires sociaux le décident expressément. Il ne donne pas davantage les moyens juridiques de contribuer à modifier un état de fait où les partenaires sociaux au niveau local disposent de leviers limités pour faire vivre un véritable dialogue social. Votre Rapporteure, pensant à nouveau, en cela, être fidèle à l’esprit général de la loi qui est de créer les conditions de ce véritable dialogue, souhaite une réévaluation du schéma retenu par la loi de 1994 et conclut, pour sa part, à la nécessité de revoir complètement le droit positif.

A. LES LIMITES NATIONALES ET LOCALES DU DIALOGUE SOCIAL, LEUR EFFET DANS LES OUTRE-MER

Pour l’application dans les outre-mer des conventions collectives nationales, l’exclusion est le principe posé par le droit positif. La crise du dialogue social dans ces territoires permet de mesurer les enjeux d’une modification de ce principe.

1. Les outre-mer et les conventions collectives nationales : l’exclusion est la règle, l’applicabilité, l’exception

L’article L. 2222-1, alinéa 1er, du code du travail dispose que les parties déterminent le champ d’application territorial des conventions et accords collectifs de travail. Ce champ d’application peut couvrir simplement une fraction de territoire déterminée par référence aux limites administratives des différentes collectivités territoriales, régions, départements, communes ou encore une entreprise ou un simple établissement de celle-ci. Il peut également recouvrir exactement le territoire national dans son ensemble.

Cependant, par principe, une convention collective dont le champ d’application est national ne s’applique pas dans les départements d’outre-mer sauf clause contraire insérée par les organisations signataires de cette convention. La règle est posée par les articles 16 et 17 de la loi précitée du 25 juillet 1994, codifiés dans le code du travail aux articles L. 2222-1 et L. 2622-2. L’article L. 2222-1 alinéa 3 du code du travail dispose que « Les conventions et accords dont le champ d’application est national précisent si celui-ci comprend les départements d’outre-mer, Saint-Barthélemy, Saint-Martin ou Saint-Pierre-et-Miquelon ». Par ailleurs, l’article L. 2622-2 du code du travail dispose que « lorsqu’une convention ou un accord collectif de travail national s’applique dans les départements d’outre-mer, ses clauses peuvent prévoir des modalités d’adaptation à la situation particulière de ces départements ».

Un bref retour sur les travaux parlementaires du printemps 1994 permet de constater que ces deux articles n’ont pas suscité, à l’époque, de très abondants débats. À l’Assemblée nationale, ils ont été adoptés par la commission puis en séance publique sans aucun débat de fond sur leurs motifs ou leur contenu. Au Sénat, la discussion fut un peu plus fournie. On rappela naturellement le droit alors existant, selon lequel les départements d’outre-mer étaient compris par principe dans le champ d’application des conventions collectives. On fit cependant valoir que des clauses spécifiques se multipliaient afin de les en exclure. L’objectif alors affiché du renversement de principe opéré par les dispositions en cause était de faciliter la signature de conventions ou d’accords spécifiques aux départements d’outre-mer. Se situant dans la continuité de cette argumentation, une note transmise par le ministère des outre-mer à votre Rapporteure, sur l’application outre-mer des conventions et accords collectifs nationaux de travail explique que le droit en vigueur depuis 1994 et la loi Perben vise à permettre à chacun de connaître sans ambiguïté la position des partenaires sociaux nationaux quant à l’application de leurs accords dans les outre-mer. En pratique, il n’en est pas ainsi ; comme l’a indiqué le ministère du travail au cours d’une audition de votre Rapporteur, les partenaires sociaux s’interrogent rarement, de fait, sur l’applicabilité aux départements d’outre-mer des conventions collectives nationales qu’ils sont en train de négocier.

La faiblesse du taux de couverture des départements d’outre-mer par les conventions collectives nationales est attestée par les chiffres : en 2011, seuls 68 % des conventions collectives nationales sont applicables aux départements d’outre-mer. Des statistiques récentes, disponibles pour le seul département de La Réunion, il ressort que 62,3 % des emplois de l’île sont couverts par une convention collective, soit régionale, soit nationale. Selon la liste publiée par la DIECCTE, 210 conventions collectives nationales sont applicables à La Réunion. Aucun document comparable ne fournit de chiffre pour les conventions collectives nationales applicables en Guadeloupe, en Martinique ou à Mayotte.

En 2014, seulement deux accords collectifs à champ d’application national ont été conclus : la nouvelle convention d’assurance-chômage signée le 14 mai 2014 et l’accord national interprofessionnel relatif au contrat de sécurisation professionnelle du 8 décembre 2014. L’incidence statistique de la loi Perben peut donc paraître limitée pour l’avenir. L’image de la « double peine » s’impose ici : non seulement les partenaires sociaux représentatifs au niveau national ne se saisissent pas systématiquement de la question de l’application aux outre-mer des conventions qu’ils signent, mais les partenaires locaux ne bénéficient pas des leviers institutionnels nécessaires pour engager le dialogue social. Or c’est à la lumière de cette question globale que l’opportunité d’une remise en cause des conditions d’application des conventions collectives nationales dans les outre-mer doit être examinée.

2. L’état du dialogue social et ses conséquences sur l’appréciation de la loi Perben

La volonté de mieux assurer les conditions de la négociation collective est l’un des objectifs prioritaires de la réforme proposée par le Gouvernement. Elle justifie la structuration en trois catégories : ordre public, champ de la négociation et dispositions supplétives, des nouvelles dispositions insérées dans le code du travail. La qualité du dialogue social est la condition indispensable de la mise en œuvre de cette nouvelle architecture des relations du travail. C’est pourquoi votre Rapporteure s’est attachée à demander aux partenaires sociaux, et notamment aux organisations patronales et syndicales des outre-mer, leur opinion à ce sujet. Cette opinion paraît largement déterminante dans l’appréciation portée par ses interlocuteurs sur l’éventuelle remise en cause de la loi Perben.

a. Les difficultés du dialogue social

Les réponses apportées aux demandes de votre Rapporteure (31) et d’autres documents d’analyse disponibles concordent pour établir la médiocre qualité, et parfois l’inexistence, du dialogue social dans les outre-mer.

L’écho de ce constat retentit, tout d’abord, dans les analyses développées par deux organisations qui représentent le monde des entreprises sans être engagées, en tant que partenaires sociaux, dans la négociation de conventions ou d’accords collectifs du travail. Ainsi, après avoir rappelé que son organisation n’avait pas et ne revendiquait pas la qualité d’organisation représentative au sens de la législation sur la négociation collective, M. Jean-Pierre Philibert, président de la FEDOM, reçu le 15 mars 2016 par votre Rapporteure, faisait le constat que les conditions n’étaient pas actuellement réunies pour un développement optimal du dialogue social dans les outre-mer, dans la mesure où, du côté patronal, les organisations locales y étaient encore très inégalement préparées et où, du côté syndical, certaines organisations faisaient intervenir dans la discussion, à côté de revendications sociales, des considérations qui relevaient manifestement du seul domaine politique. Dans une note préparée en vue de l’audition de son représentant, le 30 mars 2016, l’Association des chambres de commerce et d’industrie des outre-mer écrit, évoquant la nécessité de veiller à l’application effective des innovations positives que contient, à ses yeux, le projet de loi : « Un certain nombre de ces mesures devront s’appuyer sur des négociations collectives qui risquent d’être très difficiles à mettre en œuvre dans un contexte économique et social ultramarin dont on connaît les tensions particulièrement fortes ».

À la Martinique, une étude récente (32) réalisée à l’initiative de l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, à partir d’entretiens avec des responsables syndicaux et patronaux, manifeste l’extrême difficulté de relations parfois marquées par une grande violence et profondément « surdéterminées » par le poids de l’histoire de la société martiniquaise, avec une revendication spécialement affirmée de la considération.

À La Réunion, il existe une instance singulière qui tend à donner une forme plus consistante aux relations paritaires, le PRISME (Pôle régional pour l’innovation sociale et la modernisation des entreprises). Structure informelle, elle regroupe, depuis mars 2012, le MEDEF, la CGPME et les syndicats de travailleurs réunionnais. Elle a été notamment évoquée par les membres du bureau du comité économique et social régional lors de leur rencontre avec votre Rapporteure, le 22 mars 2016. De leurs propos, il ressort que le PRISME a constitué une amélioration certaine par rapport à la situation antérieure marquée par l’absence de dialogue dans les entreprises, mais que le « dialogue social territorial » recherché à travers sa création a été limité, notamment, par la difficulté de choisir les thématiques à aborder au cours de ses rencontres en dehors de la négociation annuelle obligatoire sur les salaires. Du moins les interlocuteurs ont-ils été amenés à mieux se connaître.

À Mayotte, où les récentes manifestations autour du thème de l’égalité réelle ont mis au jour, à nouveau, de grandes tensions sociales, la CGT Mayotte a répondu à votre Rapporteure : « Le constat est clair : le dialogue social n’existe pas à Mayotte. Depuis la création de la CGT Mayotte en 2001, le progrès social pour les travailleurs ne se fait et ne se crée qu’à la suite de grèves générales ou dans les entreprises. Ces grèves générales successives soulignent précisément cette absence de dialogue social à tous les niveaux. Enfin, le constat général d’absence de dialogue social est également partagé au niveau des branches professionnelles, des administrations et des entreprises. »

b. La remise en cause de la loi Perben : des opinions contrastées

L’éventualité d’une remise en cause de la loi Perben, selon les modalités qui seront détaillées un peu plus loin, a été soumise à l’appréciation des divers interlocuteurs de votre Rapporteure.

Cette remise en cause suscite l’opposition des organisations représentatives du patronat. Aussi bien M. de Prince, s’exprimant au nom du MEDEF national, que M. Tissié, directeur des affaires sociales à la CGPME, ont fait état, le 1er mars 2016, lors de leur audition conjointe, de l’attachement unanime de leurs mandants au maintien du statu quo. M. de Prince a déclaré que, pour son organisation, l’application aux outre-mer de conventions collectives nationales à la place d’éventuelles conventions régionales ou simplement en complément du code du travail conduirait à déséquilibrer l’économie d’un grand nombre d’entreprises par le renchérissement du coût du travail, avec des effets négatifs sur l’emploi. Il a fait valoir que certaines clauses des conventions nationales ne trouvaient pas à s’appliquer aux outre-mer faute d’objet dans ces territoires. Enfin, il a rappelé que certaines clauses de ces conventions ne tenaient pas compte des spécificités ultramarines, en particulier des conditions climatiques qui caractérisent la plupart des outre-mer. De même, M. Tourvieille de Labrouhe, délégué général de l’Association des chambres de commerce et d’industrie des outre-mer, a exprimé son scepticisme à l’égard de l’efficacité d’une application automatique des conventions collectives nationales.

Du côté des organisations syndicales représentatives nationales, signataires des conventions collectives dont l’application aux outre-mer est envisagée, la réponse est argumentée de façon différente (33). Le renversement de principe proposé par votre Rapporteure est considéré de manière positive, dans la mesure où il est perçu comme un moyen d’assurer aux travailleurs ultramarins davantage d’accès aux droits conférés par la négociation collective. En revanche, l’idée de renforcer l’échelon territorial de la négociation collective, contrepartie de ce renversement, suscite une certaine réticence : ainsi M. Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC, insiste sur la nécessité de sauvegarder, via la négociation des conventions collectives nationales, un socle commun de droits sociaux dans la République une et indivisible.

Votre Rapporteure considère évidemment que l’inversion de la règle posée par la loi Perben ne doit être envisagée que dans une perspective d’élargissement de la négociation collective en vue de la définition de nouveaux droits sociaux pour les travailleurs ultramarins. C’est dans cet esprit qu’elle propose cette inversion, comme il convient maintenant de l’expliquer.

B. CONDITIONS ET MODALITÉS DE LA RÉVISION DES CONDITIONS D’APPLICATION DES CONVENTIONS COLLECTIVES NATIONALES DANS LES OUTRE-MER

La révision des modalités d’exercice de la négociation collective que souhaite votre Rapporteure suppose que la loi crée les conditions juridiques d’une meilleure représentativité des organisations syndicales ultramarines. Si ce préalable indispensable est satisfait, il sera possible de jeter les bases d’un fonctionnement apaisé de la négociation.

1. L’aménagement des critères de représentativité syndicale dans les outre-mer

Pour l’appréciation de la représentativité des organisations syndicales appelées à signer des conventions collectives, l’article L. 2232-2 du code du travail retient les critères suivants :

1° Le respect des valeurs républicaines ;

2° L’indépendance ;

3° La transparence financière ;

4° Une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation, appréciée à compter de la date légale de dépôt des statuts ;

5° L’audience établie selon les niveaux de négociation, conformément aux dispositions pertinentes du code du travail

6° L’influence, prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience ;

7° Les effectifs d’adhérents et les cotisations.

La représentativité syndicale s’apprécie à quatre niveaux : l’entreprise et l’établissement ; le groupe ; la branche professionnelle ; le niveau national interprofessionnel. La reconnaissance de la représentativité nationale interprofessionnelle des syndicats est soumise à l’application de critères spéciaux fixés par l’article L. 2122-9 du code du travail, en plus des critères généraux de représentativité énumérés plus haut.

De plus, la règle de concordance exige que la représentativité soit appréciée dans le cadre au sein duquel le syndicat entend exercer les prérogatives liées à la reconnaissance de cette qualité, qui est, par conséquent, appréciée au niveau où elle doit être reconnue. Par ailleurs, le monopole accordé par la loi aux organisations déclarées représentatives s’oppose à ce que des organisations non représentatives soient habilitées à négocier des conventions ou des accords.

Les règles de représentativité des syndicats qui, sur le territoire hexagonal, encadrent efficacement les relations conventionnelles, constituent, dans les départements d’outre-mer, de véritables freins à l’établissement et au maintien d’un dialogue social efficace. En effet, les organisations syndicales actives en Guadeloupe, en Guyane et en Martinique, ne remplissent pas, par définition, les critères leur permettant de négocier des accords ou des conventions collectives à champ d’application national, Pourtant, leur audience locale est comparable, en proportion, à celle des grandes confédérations syndicales dans l’ensemble du territoire national et il arrive qu’elles rassemblent le plus grand nombre de salariés aux élections professionnelles : c’est le cas actuellement en Guadeloupe. À l’inverse, le niveau d’affiliation des salariés ultramarins aux confédérations nationales est notoirement peu élevé.

La réalité des rapports de force syndicaux dans les outre-mer où est applicable le code du travail métropolitain n’est guère compatible avec la situation juridique actuelle, où les confédérations nationales ont la maîtrise absolue, à supposer qu’elles s’y intéressent, de la décision sur l’applicabilité dans ces outre-mer des conventions qu’elles signent et où les syndicats locaux ne peuvent intervenir dans la négociation sur l’extension de ces conventions dans leurs territoires ou sur l’adaptation aux conditions locales de leurs clauses.

La difficulté n’est pas nouvelle, elle était déjà expressément abordée – en quelques lignes – par M. Raphaël Hadas-Lebel dans son rapport « Pour un dialogue social efficace et légitime » présenté en mai 2006 au Premier ministre. Il identifiait déjà cette question en retenant que la représentativité des organisations syndicales pose des questions particulières dans les départements d’outre-mer.

En Guyane, l’Union des travailleurs guyanais (UTG) a fait le choix de se séparer de la CGT nationale. Des dissensions au sein de ses instances dirigeantes, ayant conduit tour à tour à la démission de deux secrétaires généraux et de plusieurs membres administrateurs en moins de deux ans, expliquent sans doute que l’UTG n’ait pas exprimé auprès de l’État de revendications notables autour de la reconnaissance de représentativité.

En Guadeloupe et en Martinique, où des confédérations nationales sont implantées, les relations entre la confédération et la fédération peuvent être particulièrement tendues, comme c’est le cas en Guadeloupe entre la CGT et la CGTG ou la confédération nationale SUD-PTT et sa fédération locale. Il existe aussi des affiliations de fait, telles que les relations qui unissent la Centrale des Travailleurs Unis (CTU) en Guadeloupe et la CDMT en Martinique à la CFDT. Enfin, des organisations syndicales interprofessionnelles, telles que l’UGTG en Guadeloupe, ont une existence complètement autonome.

À La Réunion, la question ne se pose pas de la même manière que dans la Caraïbe. En effet, les organisations syndicales représentatives au niveau de l’hexagone ont des fédérations réunionnaises, la CGTR jouissant cependant d’une réelle autonomie d’action par rapport à la CGT.

La diversité de l’expression syndicale, manifestation normale de l’exercice d’un droit fondamental, se traduit malheureusement par des contestations sur la représentativité de chacune des organisations, dont certaines trouvent leur prolongement devant les tribunaux, et dont la conséquence est de rendre difficile le fonctionnement habituel des instruments de la négociation collective et du dialogue social dans les outre-mer.

2. Le développement souhaitable de la pratique des salariés mandatés

Si maintenant, on s’interroge sur la possibilité d’ouvrir, comme le souhaite, de manière générale, le Gouvernement, des espaces de négociation collective permettant l’adoption d’accords au niveau du groupe, de l’entreprise ou encore de l’établissement, on constate à nouveau l’inégalité des situations entre les salariés hexagonaux et les salariés des départements d’outre-mer. En effet, le tissu économique des départements d’outre-mer est composé essentiellement de PME qui ne dépassent pas le seuil de cinquante salariés permettant la nomination d’un délégué syndical, et, ainsi, la création des conditions juridiques minimales pour l’ouverture dans l’entreprise, de la négociation collective. Bien sûr, le code du travail prévoit, depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, la désignation d’un « défenseur syndical » dès que l’entreprise compte plus de onze salariés. Mais ce représentant, dont l’existence peut être utile pour le développement concret du dialogue social, n’a pas compétence pour négocier et conclure des accords collectifs.

La pérennisation, proposée par le projet de loi, du mandatement de salariés par les organisations syndicales pour la discussion, dans l’entreprise, de toutes les mesures pouvant être négociées par accord d’entreprise ou d’établissement sur le fondement du code du travail, a été prévue pour faciliter la négociation dans les TPE-PME. Cependant, la capacité de désigner de tels « élus mandatés » a été seulement conférée aux organisations syndicales représentatives dans la branche ou, à défaut, aux organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel. L’inadéquation des critères de représentativité nationaux à la situation spécifique des outre-mer ne permet pas, dans l’état initial du projet, de faire bénéficier les salariés des PME ultramarines de ce dispositif conçu pour améliorer la couverture conventionnelle : l’inégalité de situation ainsi créée n’a pas de justification.

C’est pourquoi votre Rapporteure propose, pour faire toute leur place aux organisations syndicales spécifiquement ultramarines, d’organiser leur représentativité à partir de critères spécifiques. Cette condition préalable étant satisfaite, il sera possible de poursuivre la « refondation », pour reprendre le terme utilisé dans l’article premier du projet de loi, du cadre législatif de la négociation collective dans les outre-mer. Les modalités de mise en œuvre de cette suggestion seront précisées plus loin lors de la présentation des propositions.

C. L’EXTENSION DE PRINCIPE AUX OUTRE-MER DU CHAMP D’APPLICATION DES CONVENTIONS COLLECTIVES NATIONALES

La place nouvelle que le projet de loi souhaite faire aux négociations collectives risquerait d’aboutir paradoxalement, compte tenu de l’état du dialogue social dans les outre-mer, à une marginalisation croissante de ceux-ci, si l’on ne saisissait pas l’occasion de la discussion de ce projet pour renverser le principe de non-application des conventions nationales posé par la loi Perben. Si, comme le souhaite votre Rapporteure, le principe d’un tel renversement est accepté, il conviendra de définir les modalités du réexamen de la question de l’applicabilité aux outre-mer des conventions collectives nationales, non seulement à venir, mais encore existantes.

1. Consacrer le rôle essentiel de la négociation collective

L’ambition souvent rappelée du projet de loi est de donner plus d’ampleur à la négociation collective. Elle se traduit par l’articulation désormais donnée au code du travail par les dispositions qui distinguent successivement, pour telle question de droit du travail, dispositions d’ordre public, questions ouvertes à la négociation collective et normes supplétives applicables à défaut d’accord collectif. Les partenaires sociaux pourront déterminer la périodicité, le calendrier ainsi que la méthode des négociations collectives, et en fixer plus librement les thèmes. Les règles de dénonciation et de révision des accords sont revues de manière à rendre la négociation plus dynamique. L’incitation au regroupement des branches professionnelles poursuit le même objectif. Au total, le Gouvernement recherche l’établissement d’un rapport de confiance amélioré entre les partenaires sociaux d’une part, l’État et les partenaires sociaux d’autre part.

Pour soutenir concrètement la mise en œuvre de cette politique dans les PME, un service d’appui aux entreprises de moins de 300 salariés est créé auprès du ministère du travail. Sa mission consiste à répondre aux questions de ces entreprises sur l’application des dispositions du code du travail et des conventions collectives qui les concernent.

La mise en regard de la rénovation du droit de la négociation collective de la stabilité du régime ultramarin des accords collectifs inspiré de la loi Perben crée un sentiment paradoxal de défaveur. Elle ne fait que rendre plus urgente la réforme de la règle héritée de cette loi. Votre Rapporteure, pour sa part, pense que l’élargissement souhaité du champ de la négociation collective va de pair avec la reconnaissance d’une capacité de négocier propre aux organisations présentes dans les outre-mer, qui sont les mieux placées pour savoir quelles sont les évolutions conventionnelles adaptées aux outre-mer et à quelles conditions ces évolutions seront supportables pour l’économie. Bien entendu, cette capacité de discernement sera d’autant plus élevée que la pratique de la négociation collective sera régulière.

Ces considérations ont dicté les propositions faites pour la modification de la législation sur l’application outre-mer des conventions collectives.

2. La méthode retenue pour la négociation collective

Souhaitant promouvoir un dialogue social réel et de rétablir l’égalité entre les salariés des départements français d’outre-mer et les salariés de l’hexagone, votre Rapporteure estime opportun d’inverser le principe de non-applicabilité outre-mer des conventions collectives nationales et de prévoir que, désormais, à défaut de clause contraire, les conventions et accords dont le champ d’application est national s’appliquent aux départements et régions d’outre-mer. Il faut cependant prévoir les dispositions propres à assurer le respect des spécificités des territoires d’outre-mer et aménager la transition entre l’ancien et le nouveau régime.

Le souci de la transition amène à traiter différemment les conventions et accords collectifs selon qu’ils sont signés avant ou après la promulgation de la loi nouvelle.

Les conventions et accords collectifs dont le champ d’application est national qui viendraient à être adoptées à l’avenir obéiront à la règle nouvelle et s’appliqueront de plein droit, en totalité, aux outre-mer, à moins que les organisations signataires d’une telle convention n’y aient inséré une clause contraire.

Quant aux conventions et accords collectifs signés antérieurement à la promulgation de la loi nouvelle, il reviendra aux organisations patronales et syndicales reconnues représentatives dans un territoire de déterminer si elles souhaitent, de leur propre mouvement, que ces conventions et accords s’appliquent dans ce territoire. L’ouverture des négociations relatives à cette possibilité d’élargissement du champ d’application suppose qu’il soit statué rapidement sur la représentativité territoriale des organisations locales, actuellement non reconnues. Une commission paritaire de négociation pourra ensuite être constituée dans chaque territoire, et servir de cadre aux discussions sur l’applicabilité. Un délai de trois ans à compter de la promulgation de la loi serait donné aux partenaires sociaux locaux pour conduire la négociation.

Les entretiens préalables auxquels a procédé votre Rapporteure ont révélé une difficulté pratique susceptible d’entraver, dans un premier temps du moins, la bonne marche du processus de négociation : l’information dans les outre-mer sur les négociations collectives nationales et leurs résultats n’est pas systématiquement prévue. Les défaillances du recensement des conventions collectives applicables dans les départements d’outre-mer aboutissent à une totale illisibilité du droit applicable aux rapports entre les employeurs et leurs salariés qui évoluent de part et d’autre dans le plus grand flou. L’accessibilité et l’intelligibilité de la règle de droit – objectifs constitutionnels – en pâtissent. Il conviendrait d’assurer partout dans les outre-mer un accès effectif et de qualité à la connaissance de ce droit conventionnel.

Les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau local doivent, enfin, bénéficier de la même garantie d’information que celle qui est donnée aux organisations syndicales de salariés représentatives dans chacune des entreprises ou des établissements compris dans le champ de l’accord. Il faut que cette information mette les syndicats, et au-delà les salariés, en état de savoir clairement quelles sont les normes conventionnelles applicables et appliquées dans les départements d’outre-mer.

III. LES POLITIQUES DE L’EMPLOI ET DE LA FORMATION EN OUTRE-MER

La portée réelle de la réforme du droit du travail dans les outre-mer dépend dans une large mesure des résultats des politiques de l’emploi et de la formation professionnelle qui y sont appliquées depuis un certain nombre d’années, et dont les principaux instruments vont être présentés dans les pages qui suivent.

A. LES POLITIQUES MISES EN œUVRE EN FAVEUR DE L’EMPLOI

De nombreuses politiques ont été conduites, avec en perspective la réduction du chômage structurel que connaissent les départements d’outre-mer. À côté des diverses formes de soutien direct à l’emploi par la création de régimes spécifiques de contrats (emplois d’avenir, contrats aidés de toutes sortes), existent des mécanismes d’intervention économique dont l’effet sur l’emploi est indirect.

1. Le soutien direct de l’emploi par la participation de l’État aux rapports contractuels

Plusieurs textes ont organisé, à travers la création d’instruments spécifiques, le soutien direct de l’État à l’emploi, notamment à travers les contrats aidés, les emplois d’avenir, la garantie jeunes et l’aide à l’embauche au premier salarié dans les très petites entreprises.

a. Les contrats aidés

La loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion a créé, en France hexagonale, un contrat unique d’insertion (CUI), qui, en vertu de son article 21, peut prendre deux formes : le contrat d’accompagnement dans l’emploi (CUI-CAE) pour le secteur non-marchand et le contrat initiative-emploi (CUI-CIE) pour le secteur marchand. Les dispositions correspondantes sont entrées en vigueur dès le 1er janvier 2010.

Dans les départements d’outre-mer, l’unification n’a pas été réalisée : seuls les contrats d’accompagnement dans l’emploi, du secteur non marchand, y ont été introduits. Pour le secteur marchand, le contrat d’accès à l’emploi outre-mer (CAE-DOM) a été, dans un premier temps, maintenu en place, étant considéré comme le volet marchand du CUI dans les outre-mer. En outre, la réforme n’a pas remis en cause, initialement, un autre type de contrat préexistant prévu pour le secteur non marchand, le contrat d’insertion par l’activité (CIA), qui était destiné notamment aux allocataires du Revenu Minimum d’Insertion (RMI), puis du Revenu de Solidarité Active (RSA).

Le maintien par dérogation, de deux types anciens de contrats aidés dans les outre-mer n’a pas répondu aux attentes qui l’avaient justifié. Les CAE-DOM se sont révélés de moins en moins attractifs : 4 370 contrats conclus en 2012 ; 3 946 contrats en 2013 ; 3 894 contrats en 2014. Au premier semestre de l’année 2015, seuls 1 609 contrats ont été effectivement conclus, au lieu des 6 000 escomptés. Quant au CIA, maintenu nominalement en vigueur, il est tombé en désuétude dès 2012, les collectivités ayant cessé d’y avoir recours au profit du CUI-CAE (34).

Tirant les conséquences de telles évolutions, qui attestent l’inadéquation du dispositif dérogatoire existant aux besoins nés du chômage galopant que connaissent les départements d’outre-mer, l’ordonnance n°2015-1578 du 3 décembre 2015, adoptée en application de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques supprime, en outre-mer, les anciens CAE et y introduit à partir du 1er janvier 2016, par substitution, le contrat initiative emploi, en vigueur auparavant sur le seul territoire hexagonal.

Le Gouvernement attend de cette substitution un effet favorable pour les outre-mer. En effet, le CIE comporte une aide de l’État plus substantielle, à hauteur de 35 % du SMIC brut ; il paraît donc plus attractif pour les employeurs puisqu’il peut réduire jusqu’à 200 € le reste à charge mensuel pour un SMIC. La situation de l’emploi outre-mer et l’ampleur des besoins des publics susceptibles de bénéficier de ce type de dispositif, laissent augurer que l’alignement sur l’Hexagone, via le CIE, s’accompagnera d’une pleine consommation des crédits alloués. La réforme vise également à remobiliser les employeurs du secteur marchand, à favoriser l’insertion des publics éloignés de l’emploi – notamment des jeunes – dans le secteur marchand, sur des emplois de l’économie réelle en entreprise, à fort potentiel d’insertion professionnelle.

Les contrats aidés constituent un véritable moyen de lutte contre le chômage de longue durée dans ces départements. À La Réunion, 21 970 contrats aidés, au total, ont été conclus en 2012 ; le Gouvernement y mène par ailleurs une expérimentation qui porte le taux de prise en charge des emplois d’avenir non-marchands à 90 % jusqu’au 31 décembre 2015.

L’effort ainsi accompli est considérable, mais il est à craindre qu’il soit d’une efficacité relative. Le risque, déjà rencontré dans la gestion des précédents types de contrats aidés, est bien celui d’un essoufflement du dispositif. De plus, arrivés à la fin du contrat, les salariés aidés ne trouvent pas nécessairement d’emploi durable. Ainsi, les contrats aidés ne sauraient permettre à eux seuls de répondre à l’état d’urgence social reconnu dans les outre-mer français.

De plus, la pratique a conduit à observer parfois, en outre-mer, en dehors de tout cadre légal, une substitution de fait des collectivités locales à Pôle emploi dans l’attribution des contrats aidés Cette substitution conduit à décrédibiliser Pôle emploi dans son rôle d’acteur majeur de l’insertion professionnelle et conduit à une véritable illisibilité dans l’octroi des contrats. Il conviendrait de prendre les dispositions nécessaires pour assurer dans les départements d’outre-mer comme partout en France l’effectivité du monopole que la loi a entendu conférer à Pôle emploi pour la gestion des contrats aidés.

b. Les emplois d’avenir

Institués par la loi n° 2012-1189 du 26 octobre 2012, les emplois d’avenir ont pour cadre juridique à un contrat à durée indéterminée ou un contrat à durée déterminée de un à trois ans, à temps plein, et leurs modalités d’attribution ont connu diverses évolutions. L’objectif national de ce dispositif est d’inciter les employeurs à embaucher des jeunes de 16 à 25 ans (de moins de 31 ans pour les travailleurs handicapés), peu ou pas diplômés et à la recherche d’un emploi.

Par disposition spéciale, le bénéfice des emplois d’avenir est élargi aux jeunes résidant dans une zone urbaine sensible, de revitalisation régionale ou en outre-mer. Ceux-ci peuvent accéder à de tels emplois jusqu’au niveau du premier cycle de l’enseignement supérieur, à la condition d’être à la recherche d’un emploi depuis plus d’un an.

Les contrats d’avenir ont été destinés, à titre principal, aux employeurs du secteur non marchand. Ils visent des activités qui comportent une utilité sociale ou de protection de l’environnement et qui sont susceptibles d’offrir des perspectives de recrutement durables : filières vertes et numériques, secteurs social et médico-social, aide à la personne, animation socio-culturelle, tourisme. Les employeurs impliqués dans le dispositif à ce titre sont principalement des associations, d’autres organismes à but non lucratif, des établissements publics, des collectivités territoriales. À titre exceptionnel, les emplois d’avenir sont ouverts à des employeurs du secteur marchand, entreprises privées exerçant dans des secteurs d’activités ciblés au niveau régional et sur la base de projets innovants. Le succès national des emplois d’avenir en a entraîné la pérennisation par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014. Le Gouvernement a accordé une attention spéciale et prioritaire aux outre-mer auxquels 10 % des emplois d’avenir devraient être attribués.

c. La « garantie jeunes »

Autre instrument d’insertion, en vue de favoriser l’insertion professionnelle dans les départements d’outre-mer, le décret n° 2013-880 du 1er octobre 2013 institue jusqu’au 31 décembre 2017, à titre expérimental, une « garantie jeunes ». Ce dispositif a pour objet d’amener les jeunes en situation de grande précarité vers l’autonomie par l’organisation d’un parcours d’accompagnement global, social et professionnel, vers l’emploi ou la formation. La garantie jeunes comporte, d’une part, un accompagnement individuel et collectif des jeunes par les missions locales, permettant l’accès à une pluralité d’expériences professionnelles et de formation, en vue de construire ou de consolider un projet professionnel et, d’autre part, une garantie de ressources.

Selon les chiffres communiqués à votre Rapporteure par le ministère des outre-mer, le dispositif des emplois aidés et la garantie jeunes ont permis d’amorcer une vraie baisse du chômage dans les outre-mer : le nombre de jeunes demandeurs d’emploi a diminué de 8,5 % sur un an au total, pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion et Mayotte (données à fin novembre 2015) (35). Le mouvement, selon le ministère, devrait s’amplifier avec l’entrée en vigueur d’une mesure nouvelle, prise en 2015, visant à réserver une part des marchés publics aux entreprises qui embauchent des jeunes et faisant ainsi de la commande publique un levier pour l’emploi des jeunes dans les outre-mer.

Par ailleurs, le Gouvernement encourage, dans chaque département d’outre-mer, la définition de solutions concertées, dont l’exemple est donné par le pacte pour l’emploi des jeunes signé en Guadeloupe, avec pour objectif de baisser le coût du travail et d’augmenter la compétitivité des entreprises.

d. L’aide à l’embauche au premier salarié dans les très petites entreprises

Le décret n° 2015-806 du 3 juillet 2015 institue une aide à l’embauche d’un premier salarié dans les très petites entreprises. Ce dispositif a pour objectif la création de 1000 emplois supplémentaires chaque année et le développement de l’économie sociale et solidaire. La structure économique des outre-mer, où prédominent les TPE, devrait en faire un terrain d’élection pour la mise en œuvre de cette aide.

2. L’action indirecte par la dynamisation économique des départements d’outre-mer

À côté des divers régimes présentés ci-dessus, d’autres dispositifs, par leur action sur l’activité économique, contribuent indirectement à créer les conditions d’une diminution du chômage.

C’est tout d’abord le cas de la défiscalisation des investissements productifs dans les outre-mer, dont le régime actuel, applicable jusqu’au 31 décembre 2016, est organisé par la loi de programme pour l’outre-mer (n° 2003-660 du 21 juillet 2003). L’évaluation des voies et moyens annexée au projet de loi de finances pour 2016 chiffre, en 2014, à 313 millions d’euros la dépense fiscale correspondant à la réduction d’impôt sur le revenu pratiquée à ce titre, et à 170 millions d’euros le coût pour le Trésor public de la déduction, correspondant à ces investissements, opérée sur la base imposable retenue pour le calcul de l’impôt sur les sociétés.

D’autres mesures incitatives, prises quelques mois après les mouvements sociaux du début 2009, ont été inscrites dans la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (ci-après LODEOM) : l’exonération de cotisations patronales et la reconduction de l’aide au « projet initiative jeune ».

L’exonération de cotisations patronales d’assurances sociales et d’allocations familiales bénéficie aux employeurs situés dans les départements d’Outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion) ainsi qu’à Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Ce dispositif a été « rationalisé» par la loi de finances pour 2016. D’après la revue des dépenses annexée au projet de loi de finances, la réforme vise à centrer « ce dispositif d’exonération sur les plus bas salaires, pour lesquels les exonérations ciblées sont plus efficientes. La mesure prévoit ainsi l’abaissement des seuils d’exonération totale pour le dispositif de droit commun, et diminue les niveaux de rémunération à partir desquels l’exonération cesse pour l’ensemble des entreprises, concentrant l’effort sur les salaires proches du SMIC » (36). L’annonce de l’économie de 75 millions d’euros qui, selon le ministère du budget, devrait être permise par cette modification, a suscité de vives réactions chez les partenaires sociaux dans les différents territoires d’outre-mer (37). Les incidences effectives de la réforme ne peuvent évidemment pas encore être perçues à ce jour.

Quant à l’aide au projet initiative-jeune, dont l’origine remonte à la loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 d’orientation pour l’outre-mer, son objectif est de faciliter la réalisation d’un projet professionnel par les jeunes âgés de dix-huit à trente ans ainsi que par les bénéficiaires du contrat emploi-jeune arrivant au terme de leur contrat. L’aide prend la forme d’une subvention dont le montant est déterminé en fonction de la nature du projet et des besoins en financement du demandeur, dans la limite de 7 320 euros.

Rappelons enfin que la politique de l’emploi public, dans les services de l’État comme dans les administrations des collectivités locales, n’est pas menée sans lien avec la nécessité de diminuer la pression du chômage.

Quoi qu’il en soit de l’efficacité particulière de chacun de ces dispositifs, il ne faut pas en attendre plus que ce qu’ils sont construits pour donner : des réponses conjoncturelles à un déséquilibre structurel. La formation professionnelle fait partie des réponses à long terme à ce déséquilibre.

B. LA FORMATION EN OUTRE-MER : UNE MULTIPLICITÉ D’INTERVENANTS POUR UNE ACTION VITALE

Le renforcement de formations initiales adaptées ainsi qu’une véritable coordination entre la formation professionnelle et l’insertion professionnelle sont autant de moyens d’accompagner l’offre et la demande d’emploi et de répondre aux nécessités du développement des départements d’outre-mer.

1. Revoir la formation initiale en fonction des enjeux du décrochage scolaire

Dans la conception de la formation initiale, le niveau d’illettrisme et de décrochage scolaire révélé par les statistiques dans les départements d’outre-mer, appelle une réaction déterminée.

L’enseignement professionnel est bien développé dans la plupart des territoires d’outre-mer, au point que le rapport Lavergne-Nègre a pu parler de la « surreprésentation des filières professionnelles » (38) en outre-mer. On pourrait être tenté d’en conclure qu’il exerce une séduction authentique sur les jeunes ultramarins. L’affirmation mérite d’être fortement nuancée, car le choix de la voie professionnelle ne relève pas, chez les élèves, d’une vocation ou de la prise de conscience des nécessités économiques : il s’agit le plus souvent d’un choix par défaut. « Il en résulte logiquement des problèmes de motivation – voire de comportement – des élèves orientés sur ces formations, et un taux de sortie sans qualification particulièrement important » (39). Ainsi, les maux s’ajoutent aux maux. Les conséquences sont claires : les taux de réussite en BEP et CAP dans les outre-mer sont inférieurs au taux de réussite national, et les taux d’insertion dans l’emploi sont particulièrement faibles. La spirale semble sans fin puisque l’absence de qualification empêche les jeunes de s’insérer dans le monde du travail et aboutit à un taux d’emploi des jeunes particulièrement faible dans les départements d’outre-mer.

La formation initiale doit être revue de fond en comble dans ces territoires afin de mieux prendre en compte les nécessités du développement économique. Votre Rapporteure souhaite qu’une étude soit menée sur les adaptations qui peuvent être apportées, dans le respect des institutions et du statut propre de chacun des territoires d’outre-mer, afin de conformer la formation initiale aux impératifs imposés par leur situation économique et sociale. Bien évidemment, la perspective d’une forte probabilité d’emploi à l’issue de la formation initiale est un moyen concret d’incitation à l’achèvement de cette formation

2. Renforcer l’efficacité des structures actuelles de formation et d’insertion professionnelle

Un lien plus clair entre la formation professionnelle et l’insertion professionnelle doit être établi afin que les jeunes en formation demeurent motivés jusqu’au terme de la formation. Il suppose une coordination plus efficace entre les organismes chargés de chacune de ces missions.

L’article L. 6311-1 du code du travail dispose que « la formation professionnelle continue a pour objet de favoriser l’insertion ou la réinsertion professionnelle des travailleurs, de permettre leur maintien dans l’emploi, de favoriser le développement de leurs compétences et l’accès aux différents niveaux de qualification professionnelle, de contribuer au développement économique et culturel ainsi qu’à leur promotion sociale ». L’inadéquation persistante entre les nécessités du développement économique dans chacun des départements d’outre-mer et la formation professionnelle aboutit à ce que ces objectifs généraux soient très imparfaitement atteints dans les outre-mer. On est ainsi amené à s’interroger sur la pertinence des dispositifs d’aide à l’emploi et à la formation et sur l’efficacité des instances qui ont la charge de leur mise en œuvre. Ce questionnement conduit à souhaiter la facilitation de la transmission d’informations entre les organismes prescripteurs de formations, et la résolution des conflits de concurrence qui peuvent les opposer. Il doit, de façon générale, conduire à se demander si, aujourd’hui, dans les outre-mer, la pratique assure vraiment l’accès concret des bénéficiaires potentiels aux dispositifs existants, ou, dit autrement, la rencontre effective de l’offre et de la demande de formation professionnelle et d’emploi.

a. Faciliter la transmission d’informations entre les prescripteurs de formation

Il conviendrait d’affirmer plus clairement le rôle central de Pôle emploi dans le parcours de formation, tout en facilitant la transmission entre les différents intervenants des informations nécessaires à la définition de ce parcours.

Pôle emploi a reçu par la loi mission d’être l’acteur de principe de l’accompagnement, de l’insertion professionnelle et de formation professionnelle des personnes sans emploi. À ce titre, il est le principal prescripteur de formations professionnelles au niveau national. Dans les départements d’outre-mer, son action s’appuie sur un véritable travail d’analyse sur le chômage.

Pourtant, une étude menée par l’institut Ipsos pour Pôle emploi, publiée le 26 janvier 2016, révèle que les chômeurs des outre-mer sont en moyenne moins satisfaits de ses services d’accompagnement que les chômeurs de l’hexagone. Le faible taux de retour à l’emploi, la longue durée des périodes de chômage et la précarité des emplois trouvés par les personnes au chômage expliquent l’insatisfaction patente des usagers et la perte de confiance constatée par l’enquête.

Par ailleurs, que ce soit en tant que prescripteur de formation ou d’accompagnement vers le retour à l’emploi, Pôle emploi apparaît comme l’interlocuteur de principe des personnes en situation de chômage ou des jeunes désirant accéder à des formations qualifiantes. En tant que tel, il centralise des informations personnelles précieuses. Ces informations sont souvent les mêmes que celles demandées aux usagers par les autres acteurs de la formation professionnelle et de l’insertion professionnelle. Mais elles sont protégées notamment par les dispositions applicables aux données personnelles, et notamment le régime de protection des fichiers reposant sur la loi Informatique et Libertés.

Il résulte de cet obstacle juridique que les acteurs de la formation professionnelle autres que Pôle emploi doivent eux-mêmes entretenir un fichier de données personnelles de contenu identique à celui qu’a constitué, à l’origine, Pôle emploi et le maintenir à jour. Cette tâche mobilise, pour des organismes qui n’ont pas les mêmes ressources humaines, financières et logistiques que Pôle emploi, des moyens conséquents qui pourraient utilement être affectés à d’autres tâches. La situation devient encore plus paradoxale lorsque ces organismes sont amenés à signer des conventions de collaboration avec Pôle emploi et que celui-ci ne partage pas, pour autant, les informations qu’il a seul les moyens de collecter conformément à sa mission légale.

Or, dans le même temps, la multiplication des interlocuteurs et des intermédiaires vers la formation et l’emploi décourage les jeunes et les demandeurs d’emploi. L’offre pléthorique d’acteurs a un effet contreproductif.

Dès lors, votre Rapporteure propose une levée des obstacles empêchant la transmission des données personnelles entre les différents acteurs de la formation et de l’insertion professionnelle. Conformément à sa mission, que nul ne conteste, Pôle emploi doit demeurer, dans les outre-mer comme partout ailleurs en France, le destinataire et traitant principal des informations communiquées par les demandeurs d’emploi et les autres usagers de ses services. Par ailleurs, bien entendu dans le cadre de conventions qui sont déjà pratiquées avec certains acteurs de la formation professionnelle, la qualité de co-traitant devrait être reconnue aux intervenants de la chaîne de formation et impliquerait, sous réserve de l’accord préalable des personnes intéressées, le partage des données personnelles dont la disposition est a priori nécessaire à ces intervenants – par exemple l’agence de l’outre-mer pour la mobilité (LADOM) – qui devrait être systématiquement envisagé et permis.

b. Consacrer LADOM comme acteur essentiel de la formation par la mobilité

L’agence de l’outre-mer pour la mobilité (LADOM) a été constituée pour servir de cadre juridique à la mise en œuvre de la continuité territoriale entre l’outre-mer et la métropole. Depuis la loi d’orientation pour l’outre-mer (LOPOM) du 21 juillet 2003, la dotation de continuité territoriale permet de financer la réduction du prix du billet payé par les ultramarins se rendant en métropole lorsque leur déplacement est justifié par des raisons professionnelles. La création du fonds de continuité territoriale par l’article 50 de la LODEOM a été justifiée par la nécessité d’améliorer l’encadrement et la gestion de l’aide apportée par le biais de la dotation.

La gestion de ce fonds a été confiée à l’agence de l’outre-mer pour la mobilité (LADOM). Initialement société d’État et, depuis le 1er janvier 2016, établissement public administratif, elle a été constituée pour servir de cadre juridique à la mise en œuvre de la continuité territoriale. Dans le discours qu’elle a prononcé, le 15 janvier 2016, pour marquer officiellement le changement de statut de LADOM, la ministre des outre-mer a souligné que celui-ci « [marquait] son ancrage dans le champ des acteurs du service public de l’emploi et de la formation et [mettait] plus que jamais en lumière son rôle essentiel dans la mise en œuvre des politiques de mobilité et d’insertion des ultramarins ». Ce propos général introduisait le rappel de la place croissante prise par LADOM dans la prescription de formation professionnelle en mobilité et dans l’accompagnement des Français d’outre-mer dans leur insertion professionnelle.

LADOM gère ainsi le passeport mobilité études, qui, par la prise en charge d’une partie du voyage aérien de l’étudiant, est destiné à encourager la mobilité de celui-ci lorsque la formation qu’il souhaite suivre ne se trouve pas sur son territoire d’outre-mer d’origine, et le passeport mobilité formation professionnelle, visant à l’accompagnement de parcours de formation en mobilité entrepris par des demandeurs d’emploi ultramarins de plus de dix-huit ans, en vue d’occuper un emploi sous contrat à durée déterminée. LADOM se préoccupe d’assurer la cohérence de l’offre de parcours proposée aux demandeurs d’emploi en complémentarité avec les dispositifs régionaux déployés en outre-mer.

Dans la plupart des outre-mer, l’offre de filières universitaires est insuffisante en quantité comme en diversité, et les possibilités de formation et d’insertion professionnelle y sont faibles. Les compétences reconnues à LADOM en font a priori un acteur décisif du développement des catégories socio-professionnelles de cadres et de professions supérieures originaires des outre-mer. Le rapport défavorable entre l’offre de formation et les besoins de l’économie locale, en faisant de la mobilité une nécessité première, rend hautement désirable que l’agence soit à même de remplir complètement et effectivement les missions qui lui ont été conférées au service de cette mobilité.

À ce titre, LADOM devrait notamment figurer parmi les organismes considérés comme co-traitants des informations collectées auprès des demandeurs d’emploi ultramarins par Pôle emploi, dont la situation a été précédemment évoquée de manière globale. Cette mesure serait d’autant mieux venue, dans le cas de LADOM, qu’elle est dès à présent signataire de plusieurs conventions avec des partenaires sociaux, des organismes collecteurs, mais aussi des organismes qui dispensent des formations professionnelles, tels que la SNCF, ou encore le service militaire adapté (SMA). La coordination des interventions de LADOM et des cosignataires de ces conventions n’en serait bien souvent que mieux assurée.

c. Reconnaître le rôle des structures d’insertion

Le Service Militaire Adapté et les écoles de la deuxième chance apportent une contribution efficace et reconnue à l’insertion professionnelle des jeunes dans les outre-mer.

• Le rôle grandissant du Service Militaire Adapté

Créé en 1961, le Service Militaire Adapté a pour mission, aujourd’hui, d’assurer l’insertion socioprofessionnelle des jeunes volontaires ultramarins les plus éloignés de l’emploi, placés sous statut militaire. Il compte sept régiments, un par territoire (y compris la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française). Il s’adresse particulièrement aux jeunes en décrochage scolaire (notamment les personnes illettrées ou celles qui ne sont pas titulaires du brevet des collèges), aux chômeurs de longue durée et aux jeunes en péril de désocialisation. La proportion, parmi les volontaires, de jeunes non diplômés est de 63,1 %. Le SMA prépare les jeunes à des métiers en dispensant des formations militaires professionnalisantes, qui se distinguent par la mise en place d’un véritable suivi individualisé et un accompagnement individuel des jeunes.

Parmi les institutions de formation professionnelle dans les outre-mer, le SMA se distingue par la cote de popularité dont il bénéficie, car il est perçu comme le seul organisme susceptible de ramener vers le marché du travail des jeunes éloignés des parcours professionnels. Ses taux de réussite et d’insertion surpassent ceux qu’obtiennent tous les autres organismes de formations professionnelles initiales. Selon le rapport d’activité du SMA pour 2015, « le taux d’insertion des volontaires stagiaires s’élève à 76,3 %, dont plus des trois quarts dans l’emploi direct » (40). Un peu moins de la moitié (49,2 %) obtiennent un emploi durable, sous la forme d’un contrat de plus de six mois.

En 2015, un protocole d’accord national 2015-2017 a été conclu entre le SMA et Pôle emploi, en vue d’une coopération renforcée. Il a pour objectif de lutter efficacement contre le chômage des jeunes ultramarins sur les territoires où les deux organismes sont implantés ; il vise la sécurisation des parcours professionnels des jeunes bénéficiaires du SMA en s’appuyant sur la complémentarité des offres de services des deux partenaires.

En 2015, 5 764 jeunes éloignés de la qualification et du marché de l’emploi ont pu bénéficier d’un parcours au sein du dispositif, soit 100 personnes de plus qu’en 2014. L’objectif de 6 000 jeunes fixé au SMA pour 2017 sera atteint sans difficulté, car la pression de la demande est considérable. Aller plus loin supposerait, selon le général de Revel, commandant le SMA, l’octroi de moyens supplémentaires pour assurer l’encadrement, ne serait-ce que pour maintenir le taux d’encadrement actuel – 1 105 personnes pour 6 000 jeunes – qui n’est pas particulièrement élevé pour une institution de formation de ce type.

Il convient de pérenniser et de renforcer la réussite traduite par ce bilan. Peut-être pourrait-il servir utilement d’inspiration pour la construction d’un véritable plan de formation professionnelle global en outre-mer.

• Les écoles de la deuxième chance

Les écoles de la deuxième chance fournissent un autre exemple de méthodes de formation professionnelle aboutissant à une insertion sur le marché de l’emploi réussie.

L’objectif des Écoles de la 2e Chance (E2C) est de favoriser l’insertion sociale et professionnelle de jeunes adultes de 18 à 25 ans déscolarisés, sans qualification et sans emploi. La création en France d’écoles de la 2e chance correspond à une des propositions du Livre blanc sur l’éducation et la formation, Enseigner, apprendre, vers la société cognitive, publié le 30 novembre 1995 par la Commission européenne. Parmi les 5 objectifs transversaux identifiés par ce Livre Blanc figurait la lutte contre l’exclusion.

L’association Réseau E2C a vocation à regrouper ces écoles sur tout le territoire national. Elle délivre, pour une durée de quatre ans, un label « école de la deuxième chance » à tout organisme de formation se conformant aux critères définis par le cahier des charges qu’elle a établi après avoir consulté le ministère de l’éducation et de la formation professionnelle.

Les écoles dispensent une formation d’une durée allant de 4 à 18 mois, dont l’objectif est de permettre à leurs élèves de parvenir à la maîtrise de savoirs tels que : lire, écrire, compter, notions d’informatique, notions d’une langue étrangère. Pendant cette période, les élèves doivent effectuer des stages dans des entreprises de la région pour découvrir le monde du travail. La formation se veut personnalisée. Un référent effectue le suivi de chacun des élèves à l’intérieur de l’école. Les élèves peuvent s’entretenir avec lui de leurs problèmes tant pédagogiques que personnels. Dans l’entreprise, c’est un tuteur qui effectue le suivi de l’élève.

En fin de formation, le jeune se voit remettre une Attestation de Compétences Acquises (ACA) qui lui sert de passeport pour entrer dans la vie active.

Les écoles de la deuxième chance sont co-financées par les collectivités régionales, l’État et le Fonds social européen. De façon générale, elles peuvent fournir aux régions qui acceptent de s’en servir – dans l’hexagone comme dans les outre-mer – un outil d’intervention affûté pour la lutte contre le chômage et les difficultés liées à la formation. Leur action rencontre parfaitement les besoins spécifiques de formation des jeunes ultramarins, et a reçu un accueil très positif, depuis la fin des années 2000, dans les départements d’outre-mer.

À La Réunion, le dispositif, créé en décembre 2010, accueillait en 2011 145 jeunes. Dès le courant de l’année 2011, 28 de ces jeunes avaient été dirigés vers un emploi ou une formation diplômante en alternance. Aujourd’hui, il existe quatre écoles de la deuxième chance réparties sur l’ensemble de l’île.

Depuis 2007, la Guadeloupe expérimente également le dispositif E2C. Deux établissements ont obtenu le label « écoles de la deuxième chance » et accueillent 400 jeunes. Une troisième école vient d’ouvrir ses portes. La limite d’âge de principe de 25 ans a été relevée à 30 ans pour tenir compte des difficultés dont pâtissent les jeunes Guadeloupéens au moment de s’insérer sur le marché de l’emploi. Le rôle des écoles de la deuxième chance s’accroît dans la formation des jeunes en Guadeloupe.

En Martinique, le projet de labellisation initié dès 2010 a permis la création d’une école labellisée « de la deuxième chance » et deux autres sont en cours de labellisation. En 2013, le projet École de la 2e chance du Centre a accueilli 192 jeunes. En 2014, les effectifs ont été revus à la baisse – une centaine d’élèves – afin de garantir le meilleur encadrement aux jeunes formés.

Il n’existe pas, actuellement, d’école de la deuxième chance en Guyane et à Mayotte.

Les centres de service militaire adapté et les écoles de la deuxième chance entrent en concurrence avec l’offre de formation dispensée par les centres de formation des apprentis, les chambres de commerce et d’industrie ou encore les établissements locaux d’enseignement. La pluralité des lieux ainsi énumérés participe de la diversité de l’offre de formation dans les départements d’outre-mer. Diversité qui peut être considérée comme une force, mais qui est aussi une source de risques. L’expérience montre, en effet, que jeunes comme moins jeunes ont du mal à se retrouver dans une offre abondante et complexe, au détriment de l’efficacité globale. Pourtant il est vital de mettre la formation professionnelle au service de l’insertion professionnelle des ultramarins.

3. Pour une formation professionnelle au service de l’insertion individuelle

L’orientation de l’ensemble des ressources de la formation professionnelle vers une insertion professionnelle individualisée permettrait d’inscrire pleinement la formation professionnelle en outre-mer, selon la formule d’un ouvrage de référence, « dans le renouveau des solidarités professionnelles dont le droit du travail est le creuset, à côté de la prévoyance complémentaire ou de l’assurance chômage » (41). Il faut en finir avec les difficultés d’accès aux possibilités de formation rencontrées régulièrement dans la préparation de ce rapport, avec e sentiment d’illisibilité exprimé par de nombreux demandeurs d’emploi et relayé auprès de votre Rapporteure.

Pour atteindre cet objectif d’une clarification nécessaire, votre Rapporteure propose tout d’abord de coordonner l’offre d’emploi avec la formation professionnelle par la création d’un guichet unique numérique sur lequel le demandeur retrouvera de manière centralisée l’ensemble des dispositifs mis à sa disposition. De plus, la formation professionnelle doit répondre aux nécessités de développement de chacun des territoires ; il faut donc considérer l’organisation de la formation professionnelle sous le signe du service de proximité.

a. Pour la mise en place d’un guichet unique numérique de la formation et de l’insertion professionnelle

Comme votre Rapporteure l’indiquait plus avant, le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs ne contient aucune disposition manifestant une prise en compte spécifique des problématiques de l’emploi et de la formation professionnelle en outre-mer. L’ampleur des difficultés rencontrées par les jeunes ultramarins à la recherche d’un emploi rend cette lacune regrettable et peu compréhensible. Il est impératif de réparer ce qui apparaît à tout le moins comme un oubli, en insérant dans le projet de loi des dispositions relatives à la création d’un guichet unique numérique qui centraliserait les informations portant sur la formation et l’insertion professionnelle.

En proposant la création de ce guichet unique, votre Rapporteure s’inscrit tout à fait dans l’esprit du projet de loi, et plus spécialement du vingtième des « principes essentiels du droit du travail » qui doivent, selon l’article premier, premier alinéa du projet, présider à la « refondation » du code du travail : « chacun doit pouvoir accéder à une formation professionnelle et en bénéficier tout au long de sa vie ». Sur ce fondement, l’article 22 du projet de loi prévoit, par exemple, la mise en place d’un compte personnel d’activité qui, intégrant le compte personnel de formation et le compte pénibilité actuels, comportera des mesures de soutien telles que le crédit d’heures de formation destiné aux jeunes « décrocheurs » ou à ceux qui effectuent un service civique. D’autre part, les articles 32 et suivants contiennent des mesures visant à « renforcer la formation professionnelle et l’apprentissage ».

Pour permettre la création du guichet unique de la formation et de l’insertion professionnel dans les départements d’outre-mer, il convient bien sûr de lever le préalable constitué par les éventuels obstacles juridiques pouvant s’opposer à la mise en commun des données personnelles entre les différents organismes prescripteurs afin de faciliter le parcours des usagers. Il faut ensuite veiller, dans la définition des conditions courantes de fonctionnement du guichet unique, à ce que la plate-forme numérique appelée à recenser, pour « alimenter » ce guichet, soit gérée d’une manière respectueuse des conditions de mise en concurrence des organismes privés de la formation professionnelle.

La création de ce guichet unique de la formation et de l’insertion professionnelle dans les départements d’outre-mer devrait être complétée par une individualisation des procédés de formation professionnelle tout au long de la vie des actifs, ayant pour corollaire la création d’un véritable service de formation professionnelle de proximité dans les outre-mer.

b. Pour la création d’un service de formation professionnelle de proximité dans les outre-mer

Au cours de la préparation du présent rapport, la question de l’adaptation des dispositifs actuels de formation professionnelle aux besoins exprimés et ressentis dans les outre-mer est souvent revenue. La réponse à cette question peut prendre de multiples formes. Certaines relèvent d’une décision purement politique, et ne nécessitent pas une initiative législative : il en va ainsi des actions de communication telles que la campagne nationale de promotion de la formation professionnelle des salariés dans les très petites entreprises, très nombreuses dans tous les outre-mer, souhaitée par certaines organisations professionnelles.

D’autres supposent la modification et l’enrichissement du projet de loi : c’est précisément le cas des dispositions nouvelles à prendre pour le renforcement des moyens des organismes paritaires au niveau local, propre à permettre le développement de services de formation professionnelle de proximité.

Rappelons que les organismes paritaires de collecte agréés sont des personnes morales agréées par l’autorité administrative conformément aux dispositions de l’article L. 6333-1 du code du travail, dans le but de collecter et gérer les fonds de la participation financière des entreprises à la formation professionnelle. Il existe différentes catégories d’organismes collecteurs : les organismes collecteurs agréés par le législateur (OCPA ou OPCA, selon la pratique), sous statut d’association ; les fonds d’assurance-formation (FAF) ; les organismes agréés pour la professionnalisation et le droit individuel à la formation, et enfin, les organismes collecteurs chargés de la collecte et de la gestion du financement du congé individuel (AGECIF et FONGECIF). Seuls les OPCA et les FONGECIF retiendront l’attention dans le cadre du présent rapport. La simplification des règles de fonctionnement de ce système, recherchée successivement par la loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993 puis par la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, a été poursuivie par la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie, à travers trois moyens : l’élargissement de la surface financière de ces organismes, une organisation par grands secteurs d’activité et une meilleure transparence des circuits de gestion des fonds.

Enfin, la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale a créé un compte personnel de formation qui suivra chaque individu tout au long de sa vie professionnelle. Elle a pour objectif la réorientation des fonds de la formation vers des bénéficiaires qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire les demandeurs d’emploi, les salariés les moins qualifiés, les jeunes en alternance, les salariés des petites entreprises. Enfin, elle apporte transparence et simplicité pour les entreprises en faisant désormais de la formation professionnelle plus un investissement qu’une charge pour les entreprises.

Ces éléments dessinent la perspective des propositions présentées par votre Rapporteure. Il importe en effet de renforcer et d’individualiser le rôle des organismes paritaires collecteurs agréés afin de mieux assurer la formation professionnelle qui se déroule tout au long de la vie du salarié. La réforme des règles de la représentativité patronale et de celles de la représentativité syndicale pour les départements d’outre-mer telle que proposée par votre Rapporteur va dans ce sens, en permettant la conclusion de conventions collectives qui prévoient la création de tels organismes au niveau local.

Il doit en effet être possible pour les partenaires sociaux locaux de créer des organismes paritaires collecteurs au niveau local, lorsque l’absence de représentation locale des organismes collecteurs nationaux se traduit par un amoindrissement de l’offre de formation professionnelle. Cette idée trouve une justification dans l’observation faite à votre Rapporteure au nom du MEDEF par son représentant qui regrette l’absence d’une présence de proximité dans les départements d’outre-mer de l’organisme paritaire de collecte rattaché au MEDEF, l’OPCALIA. Pourtant, les missions de conseil et d’accompagnement sont normalement dévolues à l’OPCALIA pour les entreprises relevant du MEDEF. A contrario le représentant de la CGPME, entendu conjointement avec le MEDEF, explique que la structuration régionale de l’AGEFOS-PME permet une bonne couverture des entreprises affiliées en terme de collecte et de formation professionnelle y compris dans les départements d’outre-mer. Cette analyse rejoint l’évaluation des résultats de l’AGEFOS développée par sa représentante au cours de son audition par votre Rapporteure (42).

On prend la pleine mesure de la difficulté en constatant le faible taux d’affiliation des entreprises ultramarines aux organisations nationales représentatives des employeurs. Selon la Présidente de la CGPME Guadeloupe, sur 38 000 entreprises présentes sur l’archipel guadeloupéen, seules 120 entreprises sont affiliées à la CGPME et donc bénéficient des services de l’AGEFOS-PME en matière de formation professionnelle. Par conséquent, les salariés de la majorité des entreprises composant le tissu économique guadeloupéen connaissent des difficultés en termes d’accès à la formation professionnelle. Il résulte de cette situation, déplorée par les organisations patronales elles-mêmes, de réelles difficultés pour les salariés qui ne font pas l’objet d’un suivi par des conseils et un accompagnement individualisé et efficace dans le cadre de leur formation professionnelle.

Afin d’éviter ces inégalités dans l’accès à la formation professionnelle, une meilleure structuration des organismes paritaires collecteurs agréés doit être envisagée.

D’abord, des moyens plus conséquents doivent être attribués aux conseillers en évolution professionnelle (CEP) notamment à ceux qui interviennent auprès des organismes collecteurs chargés de la collecte et de la gestion du financement du congé individuel de formation (le FONGECIF). Un renforcement analogue de moyens, tant juridiques que financiers, doit être prévu au bénéfice des organismes paritaires de collecte agréés interprofessionnels des territoires d’outre-mer doivent être renforcés. Sans doute les politiques d’accompagnement relèvent-elles, dans leur ensemble des conseils d’administration des OPCA nationaux ; mais, par analogie, il importe que les partenaires sociaux locaux acquièrent les moyens de la détermination de politiques locales.

Ainsi, des structures paritaires susceptibles de collecter des cotisations en vue d’organiser et de financer la formation professionnelle et d’accompagner les personnes formées doivent être développées dans chacun des départements d’outre-mer et des moyens doivent leur être conférés en vue de la réalisation de cet objet.

Naturellement, la réforme doit également porter sur le financement des organisations paritaires de collecte agréées qui seront ainsi installées dans chacun des départements d’outre-mer. Il convient de donner à la formation les moyens nécessaires tout en assurant une transparence accrue. Dans l’esprit de la loi du 5 mars 2014, le financement du paritarisme et celui de la formation professionnelle doivent être clairement déconnectés.

La cohérence de la réforme, à laquelle ces diverses propositions entendent contribuer, passe également par la modification des règles relatives au dialogue social dans les départements d’outre-mer.

IV. PROPOSITIONS POUR UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES OUTRE-MER DANS LA RÉFORME DU CODE DU TRAVAIL

Dans cette dernière partie, seront exposées les propositions faites par votre Rapporteure pour renforcer la prise en compte des outre-mer au cours de la réalisation des réformes engagées par le projet de loi

A. L’INTÉGRATION DES OUTRE-MER DANS LA REFONDATION DU DROIT DU TRAVAIL

L’article premier du projet de loi institue une commission d’experts chargée de faire des propositions pour la « refondation » du code du travail, sur le fondement de 61 « principes essentiels » dont la liste a été établie par une commission placée sous la présidence de M. Robert Badinter, ancien garde des sceaux, ministre de la justice.

Si l’on peut admettre, au regard de leur degré de généralité, que ces principes ne fassent aucune mention des spécificités des outre-mer, il apparaît en revanche nécessaire prudent d’assurer la prise en compte de ces spécificités dans les travaux de la commission, à partir des deux propositions suivantes :

Proposition 1. Assurer dans la commission d’experts et de praticiens des relations sociales chargée de réfléchir à la refondation du droit du travail la présence d’experts et de praticiens formés aux spécificités des relations du travail outre-mer.

Proposition 2. Prévoir expressément d’associer aux travaux de la commission des représentants des organisations ultramarines d’employeurs et de salariés.

B. LA MODIFICATION DES RÈGLES RELATIVES À L’APPLICATION DANS LES OUTRE-MER DES CONVENTIONS COLLECTIVES NATIONALES

Les mesures que votre Rapporteure propose visent à renforcer la capacité des organisations patronales et syndicales à assurer l’effectivité du dialogue social et de la négociation collective dans les outre-mer.

1. Adapter les critères de représentativité des organisations syndicales locales

En premier lieu, il convient de créer une représentativité locale des syndicats professionnels, appréciée au niveau de chacune des collectivités d’outre-mer. Cette mesure a été préconisée en 2006 par le rapport Hadas-Lebel. Elle permet de prendre en compte le poids des organisations non affiliées dans certains départements d’outre-mer comme la Martinique ou la Guadeloupe.

Pour la définition nécessaire des critères propres à caractériser la représentativité locale, on dispose d’un précédent juridique, qui est fourni par l’article 11 de l’ordonnance n° 2012-792 du 7 juin 2012 relative à la partie législative du code du travail applicable à Mayotte, aux termes duquel la représentativité des syndicats mahorais est reconnue « d’après les critères suivants : les effectifs ; l’indépendance ; les cotisations ; l’expérience et l’ancienneté du syndicat ». Il faut en outre rappeler que l’application de critères spéciaux de représentativité est déjà prévue par les § IV et V de l’article 10 du projet de loi (articles L. 7111-9 du code du travail et L. 6524-4 du code des transports) afin de tenir compte des spécificités de certains secteurs, comme le journalisme ou les entreprises de transport.

Proposition 3. Créer des critères de représentativité propres aux organisations patronales et syndicales exerçant leur activité dans un département d’outre-mer particulier.

2. Refonder l’insertion juridique des conventions collectives nationales dans les relations collectives de travail des outre-mer

Pour les raisons exposées en détail précédemment dans le rapport, il paraît nécessaire d’inverser le principe posé par l’article 16 de la loi du 25 juillet 1994, actuellement codifié à l’article L. 2222-1 du code du travail, selon lequel les conventions collectives nationales ne sont applicables dans les territoires d’outre-mer que si les organisations signataires en conviennent expressément. L’inversion s’appliquerait aussi bien aux conventions nouvelles qu’aux conventions conclues avant l’entrée en vigueur de la loi en discussion. Cependant, afin de donner toute sa place à la négociation collective et d’assurer la sécurité juridique des relations collectives de travail, aussi bien pour les entreprises que pour les salariés, la mise en œuvre de la règle nouvelle se ferait sous certaines conditions permettant l’aménagement d’une transition négociée et les adaptations nécessaires du dispositif conventionnel aux spécificités des outre-mer.

Les conventions et accords collectifs dont le champ d’application est national qui viendraient à être adoptées à l’avenir s’appliqueront aux départements d’outre-mer sauf clauses contraires ; s’ils souhaitent exclure les départements d’outre-mer de ce champ d’application, les partenaires sociaux représentatifs au niveau national devraient expressément le stipuler dans la convention ou l’accord. En outre, préalablement à toute négociation d’une convention collective nationale, les organisations représentatives dans les outre-mer devraient être obligatoirement consultées.

Proposition 4. Rendre applicables de plein droit aux outre-mer les conventions collectives à champ d’application national, sauf stipulation contraire.

Proposition 5. Prévoir, à l’occasion de la négociation d’une convention ou d’un accord collectif à champ d’application national, la consultation préalable des organisations reconnues représentatives au niveau local dans les outre-mer.

En ce qui concerne le « stock » existant de conventions collectives nationales, c’est-à-dire les conventions en vigueur à la date de la promulgation de la loi nouvelle, il convient de rouvrir la négociation sur leur applicabilité dans chacun des départements d’outre-mer entre les organisations représentatives dans ce département ; celles-ci peuvent convenir d’aménagements au dispositif national, à condition bien sûr qu’ils soient plus favorables que lui aux salariés. La formulation du principe de l’ouverture obligatoire des négociations est inspirée des dispositions contenues dans l’article 39-III du projet de loi relatif aux négociations sur l’emploi saisonnier. Un délai de deux ans, à compter de la promulgation de la loi, est ouvert pour l’engagement de ces négociations : faute de telles négociations dans un département, la convention collective nationale y devient applicable de plein droit.

Proposition 6. Pour les conventions collectives nationales en vigueur à la date de promulgation de la loi, prévoir, dans un délai de deux ans, l’ouverture obligatoire de négociations entre les organisations locales sur le principe et les conditions éventuelles de leur application dans chaque département. À défaut, les dire applicables de plein droit.

3. Organiser l’information et la consultation réciproques des partenaires sociaux locaux et nationaux sur la négociation collective dans les outre-mer

L’innovation introduite par les propositions 4, 5 et 6 dans le cadre juridique du dialogue social dans les outre-mer suppose, pour être effective, que l’information des partenaires sociaux locaux sur l’état des conventions collectives nationales applicables dans chaque département soit à la fois exhaustive et suivie. Les auditions et entretiens auxquels a procédé votre Rapporteure donnent à penser que cette exigence est inégalement satisfaite dans les outre-mer ; en faisant de l’application aux outre-mer une exception spéciale, la loi du 25 juillet 1994 a contribué à l’illisibilité du droit social dans ces territoires. À l’heure où, pour la France entière, le mot d’ordre – légitime – est le développement de la négociation collective sur des bases claires et rénovées, une telle et malencontreuse « exception ultramarine » ne peut perdurer. Il revient au ministère du travail d’organiser la notification globale aux organisations syndicales représentatives dans les outre-mer de l’ensemble des conventions collectives nationales, en précisant notamment si elles sont applicables ou non aux outre-mer et de tenir à jour une application informatique permettant à tout salarié ultramarin d’avoir, à tout moment, la libre disposition de ces données essentielles pour la défense de ses intérêts.

Proposition 7. Assurer l’information systématique, exhaustive et à jour, des organisations syndicales et des salariés sur l’état des conventions collectives applicables dans chaque département d’outre-mer.

4. Définir les modalités d’information réciproque des partenaires sociaux nationaux et locaux dans le cadre de la négociation collective nationale

L’aménagement de la négociation collective résultant de la modification des conditions d’application des conventions collectives nationales dans les départements d’outre-mer suppose l’organisation des procédures d’information et de consultation qui sont la conséquence nécessaires de cette modification. Il n’est en effet pas praticable si les partenaires sociaux, tant nationaux que locaux, ne sont pas informés de leurs intentions respectives.

C’est pourquoi il convient d’organiser spécifiquement :

- L’information préalable, en vue de leur consultation, des organisations syndicales représentatives au niveau local dans les départements d’outre-mer de l’ouverture de négociations sur l’extension à ces départements des conventions collectives à champ d’application national et leur avis est recueilli par les organisations représentatives au niveau national ;

- Les modalités d’expression et de transmission aux organisations nationales de l’avis éventuellement exprimé par les organisations représentatives ultramarines.

Proposition 8. Prévoir les modalités d’information préalable des partenaires sociaux locaux sur les négociations collectives nationales et les modalités de transmission aux organisations nationales de l’avis sur ces négociations des partenaires sociaux locaux.

5. Organiser le fonctionnement de la négociation collective dans le cadre de chaque département d’outre-mer.

L’organisation de la représentativité locale permettra de donner un cadre juridique au développement d’une véritable capacité de négociation collective dans les outre-mer. Les syndicats dont la représentativité serait ainsi reconnue seront en effet habilités à négocier des conventions et des accords collectifs dont le champ d’application est local. Dans le cadre d’un comité paritaire local, la négociation pourrait aussi bien porter sur l’adaptation aux outre-mer des conventions et accords collectifs signés par les organisations représentatives au niveau national ou sur la signature de conventions ou accords propres à tel ou tel territoire. La pratique du PRISME à La Réunion peut servir de précédent pour la constitution de telles instances, dont la qualité, comme cadre de négociation, dépend bien entendu de la volonté de dialogue des partenaires sociaux locaux.

Proposition 9. Créer, sur une base paritaire, des comités servant de cadre à la négociation collective pour l’adaptation, dans chaque département, des conventions nationales ou la conclusion d’accords collectifs locaux.

Le développement souhaité de la négociation collective dans les outre-mer ne saurait être efficacement réalisé sans la garantie d’une formation des représentants syndicaux à la négociation collective. Mais cette formation a un coût : un fonds devra donc assurer sa prise en charge ainsi que la compensation du manque à gagner résultant pour les entreprises de l’exercice de fonctions de représentation syndicale par leurs salariés.

Proposition 10. Organiser la formation des représentants des salariés au dialogue social et à la négociation des conventions et accords collectifs de travail/

Parmi les difficultés, propres aux outre-mer, qui entravent l’organisation de la négociation collective, on a relevé, en tout premier lieu, la prépondérance des très petites entreprises dans l’économie de tous les territoires. La réorganisation de la représentativité syndicale dans les outre-mer pourrait permettre d’utiliser effectivement les ressources procurées au dialogue social par l’institution du mandatement syndical, auquel les organisations locales pourraient recourir au même titre que les organisations représentatives nationales. Les salariés mandatés par les syndicats représentatifs au niveau local devraient bénéficier des mêmes protections contre le licenciement et des mêmes garanties de formation et de temps de négociation que les délégués syndicaux.

Proposition 11. Permettre la nomination d’élus mandatés par les organisations représentatives de salariés dans les outre-mer aux fins d’animer la négociation collective dans les entreprises à faible effectif salarié, en leur accordant les mêmes protections juridiques qu’aux délégués syndicaux.

6. Définir la place des accords collectifs départementaux dans la hiérarchie des normes conventionnelles.

L’article 11 du projet de loi détermine la hiérarchisation des normes conventionnelles. Un accord d’entreprise dont le but est la préservation ou le développement de l’emploi prime les clauses contractuelles individuelles dès lors qu’il n’a pas pour effet une diminution de la rémunération mensuelle du salarié et que celui-ci n’a pas refusé par écrit la modification de son contrat de travail. Si l’employeur engage une procédure de licenciement sur le fondement d’un tel refus, ce licenciement ne constitue pas un licenciement pour motif économique mais est considéré comme reposant sur une cause réelle et sérieuse. L’objectif de cette disposition est de permettre aux entreprises d’ajuster leur organisation pour répondre à des objectifs de préservation ou de développement de l’emploi. Elle introduit une hiérarchisation des normes dans laquelle il est nécessaire de définir la place des conventions et accords collectifs adoptés au niveau local. C’est pourquoi il est proposé de prévoir que ces conventions et accords priment sur les conventions et accords adoptés au niveau national et sont primés par les conventions et accords adoptés au niveau de groupes locaux, d’entreprises ou d’établissement locaux.

Proposition 12. Définir la place des accords collectifs conclus dans chaque territoire, entre les conventions collectives nationales, qu’ils priment, et les accords de groupe ou d’entreprise, qui l’emportent sur eux.

C. FAVORISER LE PARCOURS INDIVIDUEL DE FORMATION DES SALARIÉS ULTRAMARINS

1. Faciliter l’accès des demandeurs de formation professionnelle aux offres de formation

L’article 21 du projet de loi institue le compte personnel d’activité, par fusion du compte personnel de formation, du compte personnel de prévention de la pénibilité et du compte d’engagement citoyen actuellement existant. Il concerne tous les actifs, quel que soit leur statut (salariés du secteur privé ou du secteur public, indépendants, personnes en recherche d’emploi). Les droits inscrits au compte personnel d’activité sont acquis à la personne active quels que soient les changements d’emploi ou de statut.

Chaque titulaire est informé des droits inscrits sur son compte et peut les utiliser via un service en ligne gratuit géré par la Caisse des dépôts et consignation. En outre, le compte personnel d’activité donne accès à une offre de services associés, ayant trait notamment à l’information sur les droits sociaux et à la sécurisation des parcours professionnels, qui s’appuie sur des interfaces de programmation permettant à des tiers de développer et de mettre à disposition ces services.

L’idée d’accompagnement individuel et adapté du salarié en formation professionnelle qui sous-tend ce dispositif prend une résonance particulière dans les outre-mer où, comme on l’a expliqué dans la troisième partie de ce rapport, le besoin de formation est particulièrement impérieux et où, pourtant, l’état actuel de dispersion des structures de formation crée au détriment du bénéficiaire potentiel de leurs activités un sentiment de grande difficulté d’accès et de prise en considération.

C’est pourquoi il est proposé d’inscrire dans la loi, à travers un article additionnel, le principe de la création d’un « guichet unique » d’accès aux divers dispositifs de formation qui pourrait prendre la forme de l’aménagement d’un service en ligne où le demandeur de formation trouverait l’ensemble des offres relatives à la formation professionnelle et à l’insertion professionnelle et de l’accompagnement social et professionnel des personnes. Il conviendrait aussi de développer résolument, et de manière coordonnée, les activités de conseil et d’accompagnement individualisé des salariés.

Par ailleurs, l’article 36 du projet de loi matérialise l’objectif de transparence et l’information sur la formation professionnelle, à des fins d’information des usagers et de pilotage des politiques publiques. Les enquêtes mesurant le taux d’insertion à la sortie des lycées et des centres de formation des apprentis sont rendues publiques dans le cadre du portail d’alternance. Les obligations des régions en termes d’information sur l’offre de formation continue sont renforcées : elles doivent désormais fournir des informations sur les conditions et les délais d’accès aux formations, leurs modalités de déroulement, les résultats obtenus à leur issue ainsi que sur leur qualité. Enfin, en vue de moderniser le système d’information sur la formation professionnelle, une plateforme de recensement en temps réel des entrées et des sorties en formation est mise en place. À cette fin, les organismes de formations sont tenus de transmettre les informations nécessaires aux financeurs. La mise en place de cette plateforme aura vraisemblablement un impact considérable sur le pilotage des politiques de formation. Sa réalisation serait particulièrement opportune dans les territoires d’outre-mer

Proposition 13. Développer et simplifier, par la mise en place d’un « guichet unique » en ligne, l’accès des demandeurs de formation en outre-mer aux offres de formation disponibles.

2. Adapter aux spécificités des outre-mer le droit à l’accompagnement des jeunes vers l’autonomie et l’emploi

L’article 23 du projet de loi institue un droit à l’accompagnement des jeunes vers l’autonomie et l’emploi. Il fait de « la garantie jeunes », créée par le décret n° 2013-880 du 1er octobre 2013, une « modalité spécifique » de réalisation de ce droit. Instituée à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2017, la garantie jeunes bénéficie aujourd’hui à 50.000 jeunes. Le ministère des outre-mer la considère comme un véritable levier de lutte contre le chômage. Les difficultés particulières des jeunes ultramarins, liées à l’inégale qualité de la formation disponible dans leurs territoires de résidence et à la nécessité particulière de la formation en mobilité, nécessiteront, dès lors qu’elle est pérennisée, une évaluation de l’adéquation de la garantie jeunes aux besoins nés de ces difficultés.

Proposition 14. Adapter aux besoins spécifiques des jeunes ultramarins le dispositif pérennisé de la garantie jeunes, compte tenu des difficultés particulières de leur parcours de formation.

3. Créer un droit opposable à la formation pour les demandeurs d’emploi de longue durée.

Le développement d’une formation professionnelle ouvrant, par ses méthodes et la recherche de la meilleure adéquation aux besoins économique, l’accès à une qualification effective et reconnue est unanimement considéré comme un instrument prioritaire de la politique de l’emploi. Un effort particulier doit être consenti, à cet égard, pour les chômeurs de longue durée. La création d’un droit à la formation opposable revêt, dans cette perspective, une double portée juridique et symbolique. Les modalités d’exercice de ce droit ont été inspirées par la mise en œuvre du droit au logement opposable institué par la loi n° 2007-290 du 5 mars 2007.

Proposition 15. Créer un droit opposable à la formation professionnelle au bénéfice des demandeurs d’emploi inscrits depuis plus de deux ans.

D. DÉFINITION CONVENTIONNELLE DES EMPLOIS SAISONNIERS DANS LES OUTRE-MER

L’article 39 du projet de loi introduit dans le code du travail [article L. 1242-2 (3°)] une définition du caractère saisonnier des emplois : est emploi saisonnier celui dont les tâches sont appelées à se répéter chaque année selon une périodicité fixe, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs ou emplois. Le texte prévoit l’ouverture, dans les six mois de la promulgation de la loi, des négociations sur les modalités de reconduction du contrat de travail saisonnier et de prise en compte de l’ancienneté du salarié, lorsque ces modalités ne sont pas déjà prévues par de telles clauses dans les accords collectifs.

Compte tenu de l’ampleur du travail saisonnier dans les départements d’outre-mer, notamment dans les secteurs de la canne à sucre, de la banane, du melon ou du tourisme, ces dispositions devront s’appliquer dans les d’outre-mer avec une vigueur particulière. Les négociations sur les modalités de reconduction du contrat de travail saisonnier et de prise en compte de l’ancienneté du salarié devront être menées avec la participation des organisations représentatives au niveau local.

Proposition 16. Favoriser l’ouverture, dans le cadre des négociations collectives entre partenaires sociaux locaux, de discussions sur la définition spécifique du travail saisonnier dans les outre-mer.

E. APPLICATION DU CODE DU TRAVAIL À MAYOTTE

Le droit du travail applicable à Mayotte a été fixé, après la départementalisation, par l’ordonnance n° 2012-792 du 7 juin 2012 qui a établi un code du travail spécifique. Les partenaires sociaux mahorais attachent une grande importance à l’application rapide de la partie législative du code du travail de droit commun à Mayotte. Le document stratégique Mayotte 2025 fixe comme objectif d’« étendre et adapter à Mayotte certaines dispositions législatives et réglementaires non encore applicables à Mayotte en transposant le code du travail, le cas échéant avec les adaptations nécessaires ». La date du 1er janvier 2018 a été évoquée depuis pour l’entrée en vigueur de l’extension. Il paraît opportun d’inscrire cette date dans la loi, tout en prenant les précautions juridiques nécessaires pour assurer une succession claire dans le temps des règles applicables, compte tenu en particulier des modifications apportées au code du travail national par le projet de loi. C’est ainsi que les dispositions nouvelles relatives à la négociation collectives devraient elles aussi s’appliquer à compter du 1er janvier 2018.

Proposition 17. Prévoir l’entrée en vigueur de la partie législative du code du travail national dans le département de Mayotte au 1er janvier 2018.

AUDITION DE MME GEORGE PAU-LANGEVIN, MINISTRE DES OUTRE-MER

Au cours de sa réunion du mardi 29 mars 2016, la délégation procède à l’audition de Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer, sur le projet de loi tendant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Mes chers collègues, c'est avec plaisir que j'accueille Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer, en introduction de notre débat sur le projet de loi de réforme du code du travail que le Conseil des ministres a adopté le 24 mars dernier.

Il est évident qu'un projet conçu pour rénover, refonder le code du travail et la conception de la négociation collective, ne peut qu'intéresser au premier chef les outre-mer. Pour autant, sauf erreur de ma part, il ne semble pas que ceux-ci aient fait l'objet d'une attention spéciale dans la préparation et la présentation de ce projet de loi. Or nous savons tous que, dans nos territoires, le dialogue social n'est pas toujours facile et que la contestation peut être vigoureuse. Nous savons aussi que les économies ultramarines se caractérisent par une forte prépondérance des petites et très petites entreprises, situation qui complique l'organisation pratique des nécessaires négociations collectives. Nous connaissons aussi les très grandes difficultés que rencontrent dans nos territoires la formation des jeunes et la formation professionnelle.

Sur toutes ces questions et sur les autres enjeux, pour les outre-mer, de la discussion qui va s'ouvrir, je serais heureux que notre réunion de ce jour permette d'engager l'échange avec la ministre des outre-mer

Par ailleurs, la Délégation s’est saisie de cette question en confiant un rapport d’information – comme nous le faisons habituellement pour les sujets qui nous semblent importants – à Mme Monique Orphé. Celle-ci nous fera part de l'état d'avancement de sa réflexion et nous donnera les grandes lignes de son rapport d’information, qu’elle nous présentera définitivement la semaine prochaine.

Madame la ministre, vous avez la parole.

Mme Georges Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés je vous remercie de m’accueillir pour travailler sur ce projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, projet que Myriam El Khomri et Emmanuel Macron ont présenté en conseil des ministres jeudi dernier.

Ce projet fait l’objet de débats très vifs et nourris. Je me demande d’ailleurs si tout le monde a bien lu ce texte.

L’objectif du projet de loi est de donner plus de place à la négociation collective dans le droit du travail, pour renforcer la compétitivité de l’économie et développer l’emploi. Ce texte s’inscrit dans le prolongement des réformes que le Gouvernement a engagées depuis 2012 pour sécuriser l’emploi, renforcer l’accès à la formation professionnelle et améliorer le dialogue social. Pour nous évidemment, dans les outre-mer, c’est un sujet particulièrement important. Déjà, ici, en France métropolitaine, la question de l’emploi, et de l’emploi des jeunes est une préoccupation majeure ; pour nous, c’est un enjeu primordial.

Je vous rappellerai pourquoi ce sujet a une acuité particulière dans les outre-mer, et quels ont été nos leviers d’action pour lutter contre le chômage.

Depuis de très nombreuses années, la situation de l’emploi est très préoccupante dans les outre-mer, avec des taux de chômage allant de 20 à 27 % selon les territoires, de 40 à 56 % pour les moins de vingt-cinq ans – très souvent des jeunes qui ont quitté l’école sans formation ni qualification.

Cette situation est difficile à supporter pour nos sociétés et de nature à compromettre la cohésion sociale des territoires. Depuis 2012, nous avons mis en place des actions volontaristes pour encourager la création d’emploi, en soutenant la compétitivité des entreprises, en accompagnant les chefs d’entreprise dans le recrutement des salariés, tout particulièrement dans le cadre de l’économie sociale et solidaire – car ce sont des emplois pérennes et non délocalisables.

Nous avons pris des mesures ambitieuses pour favoriser l’accès à l’emploi des publics les plus éloignés de l’emploi, en allouant aux territoires ultra-marins un nombre important de contrats aidés, ou en mettant en place des dispositifs spécifiques pour les jeunes, comme, par exemple, des emplois d’avenir ou la garantie jeunes. J’ai ainsi rencontré à Saint-Denis, des jeunes qui avaient pu s’en sortir grâce à la garantie jeunes qui a été expérimentée à la Réunion.

C’est sans doute grâce à l’intensité de notre politique que la situation s’est stabilisée dans les outre-mer. Nous avons même observé, en un an, une baisse de 8 % du chômage des jeunes. Mais nous sommes conscients que nous devons encore améliorer l’accès à l’emploi pour la jeunesse des outre-mer, qui est tellement en difficulté. À un âge où l’on forme des projets pour soi, pour son territoire, il n’est pas supportable de ne pas pouvoir exercer un emploi pérenne, à la hauteur de ses compétences, ou de devoir quitter son territoire, souvent d’une manière durable, pour pouvoir le faire.

Nous essayons d’agir sur plusieurs leviers.

Nous connaissons le rôle essentiel de la commande publique outre-mer, pour l’économie et la création d’activité. Nous savons que, notamment dans les contrats de plan, on a prévu des niveaux d’engagement assez importants de commande publique, de nature à développer l’activité dans ces territoires. Mais il nous faut évidemment faire en sorte de renforcer l’effet d’entraînement de cette commande publique sur l’emploi des jeunes.

Voilà pourquoi j’ai souhaité que l’on prenne une mesure spécifique aux outre-mer dans le cadre des marchés publics. Nous avons donc fait insérer dans l’ordonnance sur la commande publique une disposition prévoyant que, lorsqu’il y a un taux de chômage extrêmement élevé, notamment chez les jeunes, l’entreprise qui soumissionne a l’obligation d’employer un certain nombre de jeunes du territoire. Je forme beaucoup d’espoir dans cette mesure puisque nous savons que c’est à travers la commande publique que nous pourrons améliorer la situation.

Bien évidemment, il faut que ce ne soit pas seulement une clause « sociale » pour des jeunes qui ne sont pas formés, mais une clause qui puisse s’appliquer à tous les niveaux dans les entreprises. Quand on sait le montant d’investissements que la route du littoral à la Réunion représente, on pourrait en espérer des retombées à la hauteur de la somme. Or force est de reconnaître que ce n’est pas encore le cas.

On souhaite également offrir aux jeunes des parcours de formation sécurisés, en rapport avec leurs besoins et porteurs d’emploi. La loi du 5 mars 2014 a rénové la gouvernance des instances de l’emploi et de la formation sur les territoires. Aux acteurs compétents sur les territoires d’établir un diagnostic partagé des besoins, et d’apporter des réponses articulées et complémentaires.

Par ailleurs, nous avons récemment modernisé le statut de LADOM pour lui permettre de mieux répondre aux besoins du territoire, et faire en sorte qu’elle puisse agir en cohérence avec les forces économiques du territoire pour proposer aux jeunes des formations aboutissant à un emploi.

Ce qui nous préoccupe aujourd’hui, c’est que s’il faut relever le niveau de compétences des jeunes, beaucoup de ceux qui sont formés et qualifiés n’accèdent pas non plus au marché du travail. C’est du gâchis, dans la mesure où les jeunes que l’on a pris le soin de former se retrouvent sans emploi. Et cela détruit la confiance des jeunes dans le pacte républicain.

Nous sommes donc en train de travailler avec LADOM et Pôle emploi pour voir comment mieux sécuriser le passage entre la formation et l’accès à l’emploi. En effet, notamment à travers la commande publique et Pôle emploi, on doit pouvoir anticiper sur quelques années les besoins en emplois sur les territoires. Souvent, le jeune qui part en formation et obtient son diplôme n’a pas accès aux offres d’emploi sur son territoire, par manque de procédure organisée. Certes, LADOM lui paie son billet de retour. Sauf qu’ensuite, il doit se débrouiller pour trouver des opportunités.

Nous nous sommes dit qu’il fallait mieux structurer les procédures, notamment avec les régions qui sont elles aussi concernées, dans la mesure où elles participent au coût de formation des jeunes. Il faut donc qu’elles fassent connaître à ces jeunes les opportunités existant sur le territoire.

Nous sommes vraiment engagés dans une bataille pour l’emploi. Comme l’a dit le président, il ne semble pas que dans le projet de loi, on se soit particulièrement préoccupé de la situation dans les outre-mer. C’est peut-être à nous de faire en sorte que nos préoccupations y soient prises en considération.

Ce qui me fait douter, c’est que la philosophie du projet de loi est d’essayer de sortir d’une codification précise de tous les items, et de renvoyer nombre de décisions à la négociation collective, entre branches, dans les entreprises. Or, comme l’a très bien dit Jean-Claude Fruteau, dans les outre-mer, la négociation est beaucoup plus heurtée qu’en métropole. Et dans de nombreuses TPE, la négociation n’est pas capable, selon moi, de prendre à bras le corps certaines questions importantes que le texte lui délègue.

En outre, nos organisations syndicales ne sont pas toujours exactement à l'image des organisations syndicales métropolitaines. Nous devons donc réfléchir à ces questions de représentativité, et voir comment transposer dans les outre-mer ce qui est aujourd’hui en train de s’esquisser en métropole.

Je pense qu’avec vos questions et vos observations, nous allons définir comment faire pour que ce projet de loi prenne en compte nos problématiques ultramarines, et quelles améliorations proposer pour qu’il nous soit utile.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Le diagnostic est posé. Il nous faut maintenant trouver des solutions, en particulier pour régler les problèmes de représentativité liées à la structure de nos économies, qui sont encore extrêmement fragiles. Peut-être notre rapporteure, Monique Orphé va-t-elle nous en suggérer.

Mme Monique Orphé, rapporteure. Madame la ministre, je tiens d’abord à vous remercier d’être venue devant notre délégation pour cet échange sur les implications de la réforme générale du code du travail, sur les relations collectives du travail, et plus largement sur le dialogue social dans les outre-mer.

Si j’ai personnellement souhaité que nous nous saisissions de ce projet de loi, c’est parce qu’une fois de plus, sur un sujet qui a autant, sinon plus d’importance dans les outre-mer que dans l’hexagone, on a peu parlé de la situation spécifique de nos territoires au cours des semaines de controverse qui ont précédé l’ouverture du débat parlementaire. Ce fut le cas avec la loi sur la sécurisation des parcours professionnels, et le cas de la loi sur le dialogue social. Le constat n’est donc pas nouveau : on oublie facilement les outre-mer au moment d’ouvrir une grande discussion nationale.

Le rôle de la Délégation aux outre-mer est aussi de faire entendre la voix des oubliés, et d’introduire les problématiques ultramarines dans le champ de la délibération parlementaire. C’est d’autant plus nécessaire, dans le cas présent, que la volonté affirmée du Gouvernement, à laquelle je souscris, est de renforcer le dialogue social, notamment en adaptant le cadre juridique de la négociation collective. C’est un des premiers points de mon rapport d’information.

Le droit en vigueur crée, depuis la loi Perben de 1994, un handicap au détriment des outre-mer, en posant le principe que les conventions collectives de portée nationale ne sont applicables dans les outre-mer que si les partenaires sociaux en conviennent expressément.

Au terme des auditions que j’ai menées dans le cadre de ce rapport, tous s’accordent à dire que le dialogue social n’existe pas dans les territoires ultramarins. Ou que, quand il existe, cela se fait dans la violence, notamment par des mouvements de grève – nous avons tous en tête celles de 2009.

Tous sont également d’accord, sauf bien sûr le patronat, pour dire que les choses ne peuvent rester en l’état. Je suis convaincue, madame la ministre, de la nécessité de mettre un terme à la règle posée par l’article 16 de la loi Perben, et de prévoir que les conventions collectives nationales seront applicables de plein droit dans les outre-mer.

Il faudrait, par corrélation, que pour les conventions collectives nouvelles, une consultation des syndicats actifs dans les outre-mer soit organisée préalablement à la signature de la convention. Pour les conventions collectives anciennes, antérieures à la promulgation de la loi, et qui n’ont pas été rendues applicables aux outre-mer, il faudrait que les partenaires sociaux, dans les territoires, soient mis à même, pendant un certain délai, d’engager une discussion sur leur extension aux outre-mer. Passé ce délai, qui pourrait être de deux ans, la convention serait applicable de plein droit.

Je souhaiterais naturellement, madame la ministre, connaître votre avis sur ce renversement de la règle de la loi Perben et sur ses conséquences.

La mise en œuvre d’un nouveau régime de conventions collectives suppose réglées un certain nombre de questions dont certaines sont plutôt juridiques et d’autres plutôt pratiques.

Il faut d’abord régler la question de la représentativité des syndicats actifs dans les territoires, afin d’assurer sur une base juridique claire leur participation au dialogue social, et notamment aux processus de négociation collective.

Il faut également créer les conditions de l’effectivité du dialogue social. Force est de reconnaître que la nécessité de ce dialogue est très inégalement admise parmi les partenaires sociaux. La prépondérance des petites et très petites entreprises dans les économies ultramarines est, comme l’a dit le président, un handicap pour le développement normal des relations collectives du travail. La formation des partenaires sociaux au dialogue social apparaît particulièrement importante. Elle a un coût. Comment le Gouvernement entend-il l’assurer dans les outre-mer ? Enfin, l’information des partenaires sociaux et des salariés sur les conventions collectives applicables outre-mer est très inégale selon les territoires. Comment remédier à cette inégalité ?

Un autre point important de mon rapport est la formation professionnelle, qui est également fondamentale pour les outre-mer. C’est la raison pour laquelle les dispositions du projet de loi qui s’y rapportent doivent retenir l’attention de la Délégation. Les problèmes que la formation professionnelle pose spécifiquement dans les outre-mer sont nombreux.

Ils tiennent d’abord aux fragilités particulières de la formation à l’école, liées à l’illettrisme, et plus tard au décrochage scolaire, spécialement importants dans les outre-mer.

Ils tiennent ensuite aux insuffisances de l’offre de formation, notamment universitaire, qui contraignent de nombreux jeunes à quitter leur territoire d’origine dès lors qu’ils atteignent un certain niveau d’études.

Ils tiennent enfin aux défauts de l’offre de formation. Le demandeur d’emploi en quête de formation se trouve en face d’une pluralité de prescripteurs, faisant de son parcours de formation un parcours du combattant. La qualité des organismes de formation est très inégale, et me semble appeler un contrôle accru, voire un renforcement des conditions d’agrément.

La nécessité d’une formation professionnelle est vitale pour les salariés des outre-mer. Je m’interroge, dès lors, sur l’opportunité d’inscrire dans la loi le principe d’un droit opposable à la formation bénéficiant aux demandeurs d’emploi en situation précaire, en situation de demande d’emploi pendant plus de deux ans.

Je vous remercie par avance, madame la ministre, d’indiquer à la Délégation ce que vous pensez de ces diverses analyses et propositions. Êtes-vous prête à les soutenir ?

Mme la ministre des outre-mer. Sur les observations de Mme la rapporteure, nous serons assez d’accord. La loi veut donner davantage de poids à la négociation collective, ce qui pose évidemment la question de la reconnaissance des organisations syndicales locales, et des critères à définir. Nous avons en effet à vous proposer des critères propres pour reconnaître la représentativité des organisations syndicales outre-mer.

Nous avons évoqué cette question, notamment, dans la loi d’actualisation du droit des outre-mer. À l’article 7, nous avons prévu la présence, dans les caisses agricoles, de l’organisation des exploitants agricoles la plus représentative dans le ressort de la caisse.

Un fonds destiné à favoriser le dialogue social en finançant la formation des salariés serait le bienvenu. Le fonds paritaire national, institué par la loi du 5 mars 2014 pour la formation professionnelle poursuit ce même objectif. Il est abondé notamment par des contributions de l’État et des entreprises, afin d’assurer la formation économique, sociale et syndicale des salariés. Il faudrait mobiliser effectivement ce fonds pour améliorer le dialogue social en outre-mer.

Depuis des années, la formation à un dialogue social de qualité fait partie de nos préoccupations. À la Martinique, on s’y essaie depuis une dizaine d’années, et cela a donné des résultats tout à fait significatifs, en permettant de faire baisser la pression en cas de conflits – qui jusqu’alors se terminaient toujours de manière « virulente ». Nous avons donc vraiment besoin de continuer sur cette lancée, si nous voulons des négociations de qualité.

On peut aussi améliorer les moyens des acteurs du dialogue social, à travers des crédits d’heures supplémentaires, et de nouvelles formations.

En tout cas, nous souhaitons, et nous allons nous efforcer de faire en sorte que ces dispositions bénéficient à tous les outre-mer, y compris dans la fonction publique. De fait, avant cette réunion, nous avons discuté avec le ministre de la fonction publique de l’intérêt de faire bénéficier les délégués syndicaux ou les représentants du personnel des administrations de ce type de formations.

Il me semble que dans la loi, telle qu’elle existe, un certain nombre de mesures visent les négociations avec de petites entreprises ; cela mériterait d’être précisé. Il est également possible d’avoir un représentant à l’extérieur de l’entreprise, susceptible de négocier pour un certain nombre d’entreprises. Je pense que c’est sur des dispositions comme celles-là qu’il faudrait se pencher, pour essayer de mettre en place des dispositifs qui permettent réellement d’améliorer le dialogue social.

Se pose aussi la question de l’applicabilité des conventions collectives et des accords nationaux du travail en outre-mer. Plus on s’appuiera sur les accords, et plus ce sera difficile. Évidemment, je n’ai pas de ressource miracle pour faire bouger cette situation.

M. Perben avait sans doute voulu s’assurer de la position des partenaires sociaux sur les champs concernés et sur l’application géographique des accords, et tenir compte des spécificités ultramarines. Mais il faut reconnaître qu’un tel dispositif va à l’encontre de ce que l’on avait cherché dans la départementalisation : en effet, l’idée était plutôt de dire que les lois s’appliquaient directement en outre-mer, sauf disposition contraire. De surcroît, comme vous l’avez souligné, un tel dispositif compromet très souvent l’accès effectif des salariés aux dispositions des conventions et des accords qui ne prévoient pas leur application outre-mer. Je crois donc qu’il conviendrait de proposer de renverser la présomption contenue dans la loi Perben.

Il faudrait sans doute que l’on rencontre les organisations syndicales nationales pour les sensibiliser à cette question, car elles ne sont sans doute pas suffisamment nombreuses à s’intéresser à la situation des salariés dans les outre-mer.

De nombreux droits qui relèvent de la négociation locale ne sont pas ouverts aux salariés de l’outre-mer. Ainsi, 40 % des salariés de la Réunion, et 70 % des salariés de Guyane ne bénéficient pas de la couverture conventionnelle. On ne peut pas se satisfaire de telles situations.

Mon idée était surtout d’essayer de renverser la clause de la loi Perben, et de dire que dorénavant, si l’on n’a pas prévu de disposition contraire, les conventions s'appliqueront automatiquement dans les outre-mer.

Maintenant, il faut s’assurer que c’est efficace. Si nous n'avons pas d’organisations syndicales susceptibles de faire vivre de tels projets, on n’ira peut-être pas beaucoup plus loin. En tout cas, il me semble que le réclamer est déjà une manière de poser le problème et de sensibiliser tant les organismes patronaux que – surtout – les organisations syndicales ouvrières à cette difficulté. On pourrait aussi prévoir un dispositif local de consultation, qui permettrait d’éclairer les partenaires sociaux nationaux et de promouvoir la négociation au niveau local.

Enfin, vous avez parlé de la formation dans les territoires. Il est exact que les parcours de formation ressemblent à des parcours du combattant. Pour les jeunes, nous avons des moyens particuliers. Nous nous appuyons sur LADOM qui a été rénovée pour mieux répondre aux besoins. Mais nous savons que les dispositions prévues par la loi de mars 2014 pour renforcer l’effort de formation dans les PME et les TPE ne sont pas encore suffisamment appliquées dans les outre-mer. Il est sans doute nécessaire de lancer des concertations avec les partenaires sociaux et les OPCA pour améliorer la situation actuelle. Le cas échéant, au ministère des outre-mer, nous pourrions y travailler avec vous. Nous le ferons volontiers.

M. Ibrahim Aboubacar. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je m’associe totalement à l’analyse qui vient d’être faite par notre rapporteure Monique Orphé sur l’approche de ce texte en outre-mer, notamment dans les deux grands domaines sur lesquels elle a insisté, le dialogue social et la formation professionnelle.

Il s’agit d’un texte qui lance la refondation du code du travail, et dont l’article 1er précise qu’une commission de refondation sera mise en place. Il serait bon de préciser que cette commission de refondation doit expressément étudier ou envisager l’impact que le texte aura dans l’outre-mer. J’irai même plus loin : il faudrait se pencher sur la composition de la commission de refondation, compte tenu de l’observation de Mme la ministre sur le comportement des syndicats dits « nationaux » par rapport aux salariés des outre-mer. Cette commission devrait comprendre des experts sur le droit du travail, spécialisés dans l’outre-mer.

Cela étant dit, je voudrais revenir sur la situation de Mayotte, qui est difficile. Un énième texte traite du droit du travail, qu’il vise à refonder. Et ce texte va bousculer l’architecture même du code du travail dans un délai de deux ans. Mais dans notre département de Mayotte, un processus de convergence du droit du travail a été lancé par la loi du 14 octobre 2015 sur l’actualisation des outre-mer – au II de son article 76. Ce processus devrait s’achever au 1er janvier 2018, mais une ordonnance est encore prévue en septembre 2018. Ma question est simple, madame la ministre : dans ces conditions, comment articuler ce travail de convergence ?

Concernant le département de Mayotte, j’évoquerai les dispositifs qui, dans ce projet de loi, abordent des points supplémentaires, ou anticipent sur cette refondation du code du travail. Mais pour éviter de soulever des arguments qui ne seraient pas pertinents, j’aimerais savoir où en est exactement le Gouvernement en matière d’ordonnances.

M. Dominique Ledemé, chargé de suivre spécialement la question de la réforme du code au ministère du travail, a indiqué aux partenaires sociaux locaux qu’un certain nombre d’ordonnances étaient « dans les tuyaux ». Inutile donc de débattre des sujets sur lesquels des ordonnances sont déjà prévues. Il me semblerait donc intéressant, comme il semblerait sans doute intéressant aux partenaires sociaux qui, demain, à Mayotte, observeront une grève liée à la refondation du code du travail, de connaître le planning de travail, les textes en cours d’élaboration, et l’articulation entre ces dispositions – puisque c’est la première application concrète de Mayotte 2025 – et les dispositions refondant le code du travail.

Aujourd’hui, le code du travail applicable à Mayotte comporte encore huit parties. Il est question de le refonder en trois parties : un périmètre englobant les dispositions d’ordre public, un périmètre englobant les dispositions d’ordre conventionnel, et un périmètre englobant les dispositions supplétives. C’est à l’occasion de la définition de ces trois périmètres que nous devons soulever la question des outre-mer. Ces trois périmètres doivent-ils, ou non, être identiques pour les outre-mer ? Je précise, en disant cela, que je ne vise pas la partie d’ordre public qui, dans mon esprit, doit être identique sur tout le territoire national.

Par ailleurs, j’avais envisagé de soulever la question des conventions. Mais Mme la rapporteure l’a fait, et je n’y reviendrai donc pas. Je signalerai toutefois que d’un point de vue pratique, cette question nous pose un grave problème, en raison de l’instabilité et des conflits sociaux qui se produisent aujourd’hui à Mayotte.

L’article 16 de la loi Perben rappelle la règle applicable aux départements d’outre-mer. Mais cette règle n’est pas du tout applicable à Mayotte, où prévalent des dispositions et des modalités conventionnelles purement locales. Il n’empêche que, dans le texte en question, les entreprises nationales ayant des établissements locaux bénéficient de dispositions spécifiques, qui leur permettent d’être assujetties à cette règle. D’où un grave problème d’inégalité des salariés dans les entreprises, qui est à la base des conflits actuels. De fait, les salariés et les syndicats de salariés dénoncent des situations discriminatoires.

Concernant le dialogue social et la formation professionnelle, vous avez longuement évoqué la situation de l’emploi.

Concernant Mayotte, vous nous avez dit – c’est du moins la réponse que vous nous aviez donnée en séance – qu’il y avait deux textes différents : l’ordonnance sur le code du travail, et une autre ordonnance reprenant tout ce qui relève de l’emploi de manière disparate. Jusqu’à présent, je n’ai entendu parler que de l’ordonnance « travail ». J’aimerais donc savoir encore si l’ordonnance « emploi » est de la compétence de M. Ledemé, ou si c’est un chantier à part, qui sera mené en parallèle. Dans ce dernier cas, le sera-t-il dans le cadre de cette loi, ou dans le cadre de la loi Sapin ?

Voilà, en quelques mots, les points les plus importants que je souhaitais lever, les autres pouvant être abordés ultérieurement, d’ici à la séance.

Mme la ministre des outre-mer. Effectivement, la situation de Mayotte est tout à fait particulière. Comme vous l’avez dit, on avait entrepris une démarche progressive pour introduire à Mayotte le droit du travail, tel qu’il existe et que nous le connaissons ; de fait, certains dispositifs n’existaient pas dans ce département. C’est ainsi que l’on est en train de structurer le marché du travail à Mayotte

Il est exact que toutes les attentes qui ont été soulevées s’expriment aujourd’hui avec une certaine virulence chez les salariés. Mais l’engagement qui avait été pris d’introduire, par ordonnances, le code du travail à Mayotte par ordonnances se réalise progressivement, l’idée étant d’aboutir pour 2018.

Seulement, alors que l’on est en train d’adapter, par voie d’ordonnances, le droit existant, la refonte du code du travail propose une démarche assez différente : comme vous l’avez dit, il est question de distinguer ce qui est d’ordre public et conventionnel, et ce qui va relever d’une négociation totalement locale. Or il faudra bien faire en sorte d’harmoniser ces deux démarches. Si l’on introduit à Mayotte des dispositions figurant dans l’ancien code du travail, l’évolution ainsi obtenue ne pourra être que provisoire, puisque la législation sera amenée à changer rapidement.

Il me semble que les outre-mer, en général, doivent participer à la fameuse commission qui procédera à la réécriture du code à partir de principes qui sont essentiels. Il devra en être de même de Mayotte, qui se trouve dans une situation particulière. Sinon, on risque de s’engager dans deux démarches qu’on aura beaucoup de mal à concilier.

De surcroît, nous avons l’obligation de faire évoluer le droit de Mayotte pour aller vers l’égalité entre les salariés mahorais et les autres, tout en veillant à faire en sorte que ce soit supportable pour l’économie, et selon des procédures qui seront peut-être chamboulées par la nouvelle loi.

Je pourrais me contenter de vous dire quels sont les textes « dans les tuyaux ». Mais je pense que cela ne répond pas totalement au problème qui nous est posé aujourd’hui. Il faudra bien que l’on se demande comment harmoniser la démarche prévue par la loi d’actualisation du droit des outre-mer, avec la démarche différente qui consiste à réécrire le code en distinguant ce qui est obligatoire pour tous et ce qui peut faire l’objet d’une adaptation.

Maintenant, je pense que M. Dominique Ledémé, qui a vu tout le monde, a fait son travail. Mais il n’a pas encore déposé son rapport. Bien évidemment, dès qu’il sera disponible, on vous le communiquera. On verra comment faire évoluer les choses d’une manière conforme au droit, tout en tenant compte au maximum des desiderata des populations.

Aujourd’hui, à Mayotte, on est dans une situation que l’on a bien connue ailleurs dans les outre-mer : essayer d’assurer des droits à des personnes qui n’ont pas cotisé. Il n’est pas normal qu’après avoir travaillé toute leur vie, certaines personnes n’aient pas de retraite. En même temps, comment l’État peut-il se substituer aux employeurs ou aux collectivités qui n’ont pas versé de cotisations ? En effet, nous sommes dans un système de retraite par répartition et, par conséquent, même si on peut essayer de rattraper quelques années de cotisations qui n’ont pas été versées, il sera très compliqué d’en rattraper trente. Il faudra sans doute que l’on prenne des mesures particulières. J’ai rencontré des personnes qui avaient été employées par le Conseil général, des personnes qui avaient été employées dans le privé, et dont les employeurs avaient disparu !

Les enjeux financiers sont très importants. D’une certaine façon, nous payons le fait qu’à l’époque, certains n’ont pas rempli leurs obligations.

Donc, à partir du rapport de M. Ledémé, il faudra que nous nous revoyions pour examiner et discuter ses propositions. Il est clair qu’il faudra procéder à un rattrapage sur tous ces droits non acquis sur Mayotte. Mais le défi est considérable.

Mme Huguette Bello. Madame la ministre, je suis un peu choquée de vous entendre nous dire qu’il faut rencontrer les syndicats nationaux pour faire le lien avec les syndicats locaux. Je pense que jeudi prochain, à la Réunion, la grève sera très importante. Il n’y a pas eu de dialogue avec les syndicats locaux, ceux de l’outre-mer, ceux de la Réunion et ceux d’ailleurs. Et il faudrait passer, comme au beau temps de la colonie, par les syndicats de la France hexagonale, parlant en notre nom et servant de courroie de transmission ? Je ne comprends pas.

Mme la ministre des outre-mer. Madame Bello, je vous respecte beaucoup, mais vous êtes parlementaire depuis longtemps. Par conséquent, cette question de la représentativité des organisations locales par rapport aux organisations syndicales nationales se posait avant que je ne devienne ministre des outre-mer.

C’est un sujet sur lequel nous n’avons peut-être pas progressé les uns et les autres comme nous l’aurions dû, puisqu’aujourd’hui encore, on en est à essayer de résoudre une contradiction manifeste. Dans de nombreux endroits, des organisations syndicales locales très représentatives localement n’ont pas de rapports avec les organisations nationales. Tout notre travail est d’essayer de voir comment les rendre représentatives.

La loi a déjà changé, s’agissant de la représentativité des organisations locales : on a défini des critères afin de permettre à une organisation qui est représentative, localement ou dans une entreprise, de se faire entendre.

Depuis la Libération, on vivait sur une espèce de présomption de représentativité d’un certain nombre d’organisations syndicales. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Nous essayons d’améliorer la situation. Mais je ne prétends pas avoir la solution, et je ne suis pas sûre que vous l’ayez. Il faut voir comment faire.

Pour ma part, je trouve positif qu’il y ait des organisations syndicales locales proches du terrain et des gens. J’observe par ailleurs que certaines d’entre elles sont en train de créer des liens avec des organisations nationales. Elles se sont rendu compte d’elles-mêmes que le fait de ne pas avoir de relais au niveau national les mettaient dans une situation difficile.

Vous voyez bien que ce n’est pas en quelques mois ou en deux ans que je pourrai régler ce problème important. C’est une question de dialogue social. Or, dans les outre-mer, il n’est pas toujours facile à mener. Comme vous l’avez dit, très souvent, le passé pèse sur des relations qui devraient être simplement des relations de travail.

Je suis ouverte à toutes les pistes qui permettraient d’aller plus vite. Mais il faut bien se dire que cette loi ne règlera pas immédiatement la question de la refonte du code du travail. Quand vous aurez voté la loi, vous aurez voté le cadre dans lequel le travail se fera. Le fait que l’on envisage aujourd’hui d’introduire l’outre-mer dans cette fameuse commission de réécriture du code du travail signifie que le travail n’est pas terminé.

La loi nous propose un calendrier et une méthode pour réécrire le code du travail, nous ne sommes donc pas à la fin du processus. Nous disons qu’il faut que l’outre-mer soit présent, mais nous avons le temps de peigner le texte pour voir ce qui est pertinent, ou non, pour l’outre-mer, et de faire des propositions pour transposer à la réalité de chacun des territoires les principes que la loi énonce. C’est un travail que nous sommes prêts à faire avec vous.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je ne pense pas qu’il ait été dans les intentions de Mme Bello de vous agresser personnellement. Il n’en reste pas moins que, pour la plupart, nous ne sommes pas des novices ; certains d’entre nous sont parlementaires depuis longtemps. De mon côté, je considère – je livre mon sentiment personnel et non celui du président de la Délégation – que, par exemple, s’agissant de la départementalisation, nous sommes tous collectivement responsables de la situation des outre-mer que nous décrivons aujourd’hui. Personne ne peut s’exonérer, sinon les plus jeunes d’entre nous, de cette responsabilité collective. Mais je crois qu’il y a aussi une prise de conscience collective vis-vis-des outre-mer, sur laquelle je fonde beaucoup d’espoir.

Mme la rapporteure. Je voudrais préciser à Mme la ministre que mon rapport comporte une quinzaine de propositions. Je n’ai parlé que de deux d’entre elles, qui me tiennent particulièrement à cœur.

À propos de la représentativité des organisations syndicales, je voudrais – et je le ferai au travers d’un amendement – m’appuyer sur des critères applicables à Mayotte, au titre de l’article 11 de l’ordonnance du 6 juin 2012 concernant la représentativité au niveau local. Cet article retenait comme critères de représentativité les effectifs, l’indépendance, les cotisations, l’expérience et l’ancienneté du syndicat. Nous pourrions travailler à le transposer dans les autres territoires d’outre-mer.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Je tiens à rappeler que ce sont des propositions de la rapporteure. Il faudra que nous les approuvions pour qu’elles deviennent la volonté de la Délégation, et qu’elles soient ensuite transmises à qui de droit.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Mes chers collègues, c’est mon premier mandat, et je vous demande d’être indulgents !

Une question m’est venue en écoutant Mme la ministre et Mme la rapporteure : comment rendre les organisations syndicales crédibles dans les négociations ? Selon le projet de loi, tout le monde doit pouvoir bénéficier d’une formation. Cela peut se décliner au plan national, mais comment le faire localement ? Va-t-on augmenter les moyens alloués à la formation ? Il faudra en passer par là si l’on veut aider les organisations, ou même les salariés mandatés par les syndicats. Et s’il faut de la formation, et que l’on part de plus loin, je pense qu’il faudra y consacrer encore davantage de moyens. Est-ce envisageable ?

Ensuite, dans le compte personnel d’activité, qui est une très bonne mesure, on parle du droit à la formation. Mais comment garantir ce droit quand la formation n’est pas accessible ? Quand je suis allée en Guyane, j’ai vu que la mission locale de Maripasoula était fermée. En conséquence de quoi, les jeunes ne pouvaient s’adresser nulle part. Cela m’a beaucoup marquée.

Ces questions sont peut-être annexes, mais elles se poseront vraiment si l’on veut que la loi s’applique partout, et que tous aient les mêmes chances.

Enfin, vous avez parlé de la prise en compte de la spécificité des outre-mer au sein de la commission. Mais comment va-t-elle l’être ? Ne risque-t-elle pas d’être diluée ?

M. le président Jean-Claude Fruteau. Cela dépendra de la portée de voix de ceux qui seront désignés pour représenter les outre-mer dans ces instances.

Mme la ministre des outre-mer. Effectivement, la formation est un enjeu très important dans les outre-mer. C’est un domaine dans lequel on peut obtenir des moyens supplémentaires, notamment grâce aux fonds européens, qu’il faut arriver à mobiliser correctement ; aujourd’hui, par exemple à la Réunion, je crois que c’est le cas. Et comme vous le savez, les régions vont devenir autorités de gestion des fonds européens. Elles auront donc en main des leviers pour gérer cette formation, non seulement la formation initiale, mais aussi celle de ceux qui sont déjà en emploi.

On faisait déjà un certain nombre de choses. Mais comme vous le disiez, très souvent, pour avoir accès à une formation, il faut quitter l’île, au moins le temps de la formation. C’est un peu le travail que l’on fait avec LADOM.

Vous avez parlé de la mission locale. Je pars en Guyane demain. Nous aurons l’occasion de reparler de tout cela avec les élus. Mais le Gouvernement a décidé de faire un effort supplémentaire sur la formation des chômeurs. Une enveloppe de 2 milliards est destinée à abonder l’effort déjà fait par les régions en ce domaine. La question, aujourd’hui, est de savoir comment les régions d’outre-mer vont réagir face à cette nouvelle manne financière. En effet, il ne faudrait pas qu’elle se substitue à l’effort qu’elles font. Il faut que qu’elle vienne le compléter.

J’ai tendance à penser qu’il serait bien qu’une partie de cette enveloppe soit directement utilisable par des opérateurs comme LADOM ou le SMA qui sont, on le sait, assez efficaces pour pouvoir agir rapidement. La secrétaire d’Etat chargée de la formation professionnelle a demandé que les régions lui renvoient leur projet ces jours-ci. Or nous savons que certains exécutifs régionaux viennent de prendre leurs fonctions, parfois avec des équipes nouvelles. Je crains donc que les propositions n’arrivent pas assez vite, et que l’on perde une partie des fonds. C’est la raison pour laquelle, s’il n’y avait pas suffisamment de réponses dès les premiers jours d’avril, nous reviendrions à la charge pour obtenir un budget propre permettant à LADOM et au SMA de renforcer leur action.

Je terminerai sur le CPA. Nous savons tous que, malheureusement, l’effort de formation est souvent capté par des gens qui en ont le moins besoin, par exemple des cadres qui recherchent un perfectionnement. En revanche, ceux qui ont eu des difficultés scolaires n’ont pas envie de retourner se former. Il faut donc que la formation soit faite de telle façon que celui qui a quitté l’école assez tôt puisse ne pas se sentir mal à l’aise quand il la suit.

C’est un peu le but des mesures qui figurent dans la loi de l’année dernière sur la formation professionnelle, et dans la loi de cette année qui, à travers le CPA, vise notamment à permettre à chacun d’améliorer sa qualification tout au long de sa vie. Maintenant, il faudra se battre pour que, dans la réalité, ce projet bénéficie effectivement à ceux qui en ont le plus besoin. Faire en sorte que chacun conserve, à travers ses emplois ou ses périodes d’inactivité, le droit de se former et de se qualifier est un projet qui me semble tout à fait important. J’espère qu’on arrivera à le mettre en application.

M. le président Jean-Claude Fruteau. Madame la ministre, je sais que vous avez un emploi du temps serré. Encore merci d’être venue rencontrer notre délégation pour parler d’un sujet sur lequel on commence à réfléchir. Le fait d’avoir marqué l’intérêt des outre-mer dès le début de cette réflexion me semble important.

Merci aussi, madame la rapporteure, d’avoir sollicité notre délégation pour conduire ce rapport d’information. Merci pour votre travail, dont nous connaitrons tous les résultats la semaine prochaine.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation aux outre-mer a examiné le présent rapport d’information au cours de sa réunion du mardi 5 avril 2016.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Mes chers collègues, notre président Jean-Claude Fruteau m’a chargé de vous transmettre ses excuses : retenu en circonscription, il ne pouvait être parmi nous cette après-midi.

Nous sommes aujourd’hui réunis pour examiner le rapport d’information de Mme Monique Orphé sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs. Je lui rends hommage d’avoir su travailler, dans le temps très restreint dont elle a disposé, à la fois à la rédaction de ce rapport et aux amendements qui seront déposés au nom de notre délégation sur le texte qui va être débattu en séance publique.

Mme Monique Orphé. Madame la présidente, mes chers collègues, l’ampleur du débat national suscité par la présentation du projet de loi inscrit aujourd’hui à l’ordre du jour de la délégation n’a pas permis la prise en compte des particularités des outre-mer. C’est pourquoi j’ai souhaité que notre délégation se saisisse de ce projet, et je vous remercie d’avoir bien voulu me confier la tâche de vous le présenter.

Le report de l’adoption du projet de loi par le conseil des ministres et les modifications qu’il a subies par rapport à la version communiquée aux partenaires sociaux au début du mois de mars ont créé des complications supplémentaires. D’une part, le texte stabilisé du projet n’a été connu que cinq jours avant la réunion de la délégation où il était initialement prévu de l’examiner, mardi dernier. D’autre part, l’incertitude ainsi créée sur le texte définitif a été invoquée par certaines personnes que j’ai interrogées pour répondre plus tard, voire pas du tout, à mes questions. Enfin, le calendrier de l’examen en commission des affaires sociales du projet était tel que, si je souhaitais que soient prises en compte les idées essentielles que j’ai partagées avec vous lors de l’audition de la ministre des outre-mer la semaine dernière, je n’avais d’autre ressource que de déposer vendredi dernier, date limite, devant cette commission les amendements traduisant juridiquement ces idées.

Sous le bénéfice de ces observations liminaires, je voudrais souligner, de manière générale, combien l’objectif gouvernemental de donner au dialogue social une place beaucoup plus importante dans la définition des règles du droit social, de passer en quelque sorte d’une culture de l’affrontement à une culture du compromis et de la négociation, a de résonance dans les départements d’outre-mer. Nous savons tous combien l’histoire des relations sociales est marquée dans nos territoires par la culture de l’affrontement, et alimentée par des inégalités bien plus accusées que dans l’Hexagone.

Or, le projet de loi ne remet pas en cause, par exemple, la règle posée depuis presque un quart de siècle par la loi du 25 juin 1994 dite « loi Perben ». L’application aux départements d’outre-mer d’une convention collective à compétence nationale est subordonnée par ce texte à l’insertion dans la convention d’une stipulation expresse en ce sens. Le sentiment d’exclusion ainsi créé n’est pas apaisé par le projet de loi, qui n’en parle pas. Je dirai tout à l’heure pourquoi et comment je souhaite la modification de l’état du droit sur ce point.

Avec ce point crucial de la négociation collective, les dispositions relatives à la formation professionnelle ont été mon deuxième sujet de préoccupation. J’y suis d’autant plus sensible que la situation actuelle de l’emploi et de la formation dans les outre-mer révèle de très importants problèmes de structure. Mon rapport écrit contient, sur ces deux sujets, un certain nombre de données statistiques auxquelles je vous renvoie pour le détail des chiffres.

Pour l’emploi, je rappellerai seulement, pour fixer les termes du débat, une réalité que tous les députés ultramarins connaissent : dans les outre-mer, le chômage structurel et de longue durée est malheureusement d’une ampleur spécifique, bien plus importante que dans l’Hexagone. Cela est vrai partout, bien sûr avec des nuances propres à chaque territoire. Il en résulte un sentiment de révolte que des solutions conjoncturelles ne paraissent pas propres à apaiser.

L’action de formation, initiale comme au long de la vie professionnelle, doit tenir compte d’un certain nombre de handicaps propres aux outre-mer. Malgré les efforts accomplis, notamment depuis la départementalisation, le taux d’illettrisme chez les jeunes est partout très supérieur à ce qu’il est en métropole ; le même constat vaut pour la mesure de la difficulté de lecture à l’entrée dans l’âge adulte, ou pour l’appréciation du niveau de scolarisation. On note, enfin, un fort décalage entre le niveau moyen de formation des jeunes qui sont restés sur leur territoire d’origine et les besoins en personnel des entreprises de ces territoires. Sur tous ces points encore, des détails figurent dans le rapport écrit.

Quant à la formation professionnelle au long de la vie active, les études disponibles et les informations que j’ai recueillies au cours de la préparation de mon rapport convergent pour souligner la nécessité de prendre en compte, dans le cadre d’éventuelles réformes, les effets de la prédominance des PME et des TPE dans l’économie locale et la nécessité d’améliorer l’adéquation des outils de la formation professionnelle par une connaissance plus fine des besoins de formation.

Telles sont les observations générales qui ont servi de cadre à la réflexion dont sont issues les propositions que je vais vous présenter dans un instant. Elles se présentent, par rapport au projet de loi lui-même, d’une manière très différente des propositions que j’ai faites il y a un peu plus d’un an sur le projet de loi relatif à la santé. Il s’agissait alors de compléter les dispositions du texte initial pour qu’elles tiennent mieux compte des situations spécifiques des outre-mer. Dans le cas présent, il s’agit le plus souvent d’introduire des dispositions entièrement nouvelles, même si elles sont en lien étroit avec le domaine juridique dont le projet de loi propose la modification.

C’est notamment le cas du principal domaine dans lequel je préconise une modification complète du droit existant : l’application dans les outre-mer des conventions collectives nationales. Pourtant, l’assouplissement des règles de la négociation collective est bien un objectif revendiqué du projet de loi ; on en trouve notamment l’empreinte dans son article 7. La révision du cadre imposé à l’application outre-mer des accords collectifs pourrait être une traduction supplémentaire et bienvenue de cet objectif.

L’effet concret de la restriction imposée en 1994 à cette application est clairement négatif : les deux tiers seulement des conventions collectives nationales sont en vigueur dans les outre-mer, et l’applicabilité, quand elle est décidée par les partenaires sociaux, se fait sans concertation préalable avec les représentants des syndicats actifs dans les territoires.

La loi Perben a-t-elle atteint son but, qui était de favoriser la négociation dans les outre-mer d’accords locaux, et plus largement, de développer par ce biais le dialogue social dans ces territoires ? On peut légitimement en douter quand on considère la vision que les partenaires sociaux – aussi bien le patronat que les syndicats de salariés – ont de l’état de ce dialogue.

Si les opinions divergent quant aux causes de la situation, le constat est unanime : le dialogue social ne fonctionne pas dans les outre-mer. De façon prévisible, chacune des parties est tentée de renvoyer sur l’autre la responsabilité de la situation. Cependant certains, d’un côté ou de l’autre, prennent conscience de la nécessité de se parler dans l’intérêt commun du territoire : ainsi est né, à la Réunion, le Pôle régional pour l’innovation sociale et la modernisation des entreprises (PRISME), instance informelle de concertation qui existe depuis 2012.

Les organisations patronales et syndicales ne tirent pas les mêmes conséquences, pour l’avenir de la loi Perben, d’un constat qu’en réalité elles partagent. Le MEDEF national et la CGPME se prononcent pour le statu quo. Le MEDEF fait notamment valoir que certaines dispositions des conventions collectives nationales sont inapplicables dans les outre-mer, soit qu’elles n’y aient point d’objet, soit qu’elles soient inadaptées aux conditions concrètes du travail. Les organisations syndicales se prononcent pour un cadre de négociation qui, tout en sauvegardant les acquis nés des relations collectives nouées au niveau national, développe, au niveau local, la prise en compte des spécificités ultramarines.

Au vu de ces réactions à la fois opposées et concordantes, il apparaît que la promotion du dialogue social dans les outre-mer passe – condition nécessaire mais pas suffisante – par la reconnaissance d’un statut de représentativité, au sens des règles de la négociation collective, aux organisations syndicales propres aux outre-mer, qui ne peuvent pas, par définition, intervenir dans les négociations menées au plan national. Parallèlement, l’institution des élus mandatés pourrait être opportunément utilisée pour permettre l’organisation du dialogue social dans les entreprises de petite et de très petite taille, prépondérantes en outre-mer.

Au prix d’une telle organisation de la représentativité locale, il serait possible de donner un nouveau souffle à la négociation collective dans les outre-mer sans remettre en cause la garantie que peut représenter le socle national des conventions collectives. Pour les conventions nouvelles, peu nombreuses en vérité, il faudrait prévoir une consultation préalable systématique des organisations ultramarines par les partenaires sociaux négociateurs nationaux.

Pour les conventions actuellement en vigueur, il faut organiser la négociation sur leur applicabilité au niveau local entre les organisations syndicales représentatives à ce niveau, en enfermant l’ouverture de la négociation correspondante dans un délai de deux ans et en rendant les conventions nationales applicables, à défaut de négociation pendant ce délai.

La mise en œuvre de ce système suppose acquis plusieurs corollaires, en particulier une information adéquate des partenaires sociaux locaux sur l’état d’application des conventions collectives nationales, ce qui passe par un effort accru de formation des responsables syndicaux à la négociation collective.

J’en viens maintenant aux politiques de l’emploi et de la formation professionnelle dans les outre-mer, en rappelant que plusieurs dispositions du projet de loi modifient les règles applicables nationalement à ce sujet. Mon rapport écrit contient une description des dispositifs actuellement prévus en faveur de l’emploi : contrats aidés, emplois d’avenir, Garantie jeunes et aide à l’embauche au premier salarié dans les très petites entreprises. Aucun n’est complètement spécifique aux outre-mer, mais leur application dans nos territoires tient compte de leurs besoins particuliers et leur efficacité est fortement déterminée par la prise en compte de ces besoins. Je rappelle aussi, pour mémoire, la contribution indirecte de la défiscalisation et de diverses autres aides aux entreprises à la sauvegarde de l’emploi.

J’insiste sur la nécessité d’assurer le relais de dispositifs essentiellement conjoncturels par une attention soutenue aux actions de formation, qu’il s’agisse de la lutte contre le décrochage scolaire pendant la période de la formation initiale, ou de la recherche d’une adaptation optimale des outils de formation professionnelle disponibles aux besoins effectifs de l’économie dans chaque territoire.

Cette adaptation suppose notamment que l’accès aux offres de formation professionnelle ne soit plus, pour les demandeurs déterminés et de bonne volonté, un parcours du combattant. Il faut en particulier que des échanges d’informations interviennent entre organismes prescripteurs, à partir des données détenues par Pôle emploi, dont le contenu de la mission pourrait être utilement redéfini.

Je souhaite notamment que le rôle de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité (LADOM) comme outil au service de la formation par la mobilité soit reconnu et, si nécessaire, encore accru. Je salue également le rôle éminent du service militaire adapté (SMA) et des écoles de la deuxième chance dans l’amélioration des connaissances personnelles et professionnelles des jeunes en quête de formation.

L’accès des demandeurs à l’intégralité des offres de formation nécessite une information complète, universelle et systématique via un guichet unique numérique dédié, et cet accès prend tout son sens à la lumière de l’organisation, que nous préconisons, d’un service de proximité. L’organisation d’un tel service nécessite des moyens financiers supplémentaires.

Voici les propositions qui découlent de l’analyse que je viens de présenter.

Les propositions 1 et 2 tendent à inclure expressément les outre-mer dans le processus de refondation du droit du travail autour de 61 principes essentiels énumérés à l’article 1er du projet de loi, que ce soit par la composition de la commission de réflexion ad hoc ou l’association des syndicats ultramarins. Cela dit, Christophe Sirugue, rapporteur du projet de loi, a déposé un amendement visant à supprimer l’énumération de ces principes, et il reste à savoir quel sort lui sera réservé.

La proposition 3 crée des critères de représentativité propres aux organisations patronales et syndicales exerçant leur activité dans un département d’outre-mer particulier.

Les propositions 4, 5 et 6 reprennent les trois aspects de la substitution d’un nouveau régime de la négociation collective dans les outre-mer au système restrictif fondé sur la loi Perben de 1994.

La proposition 7 a trait à l’organisation de l’information systématique des syndicats et des salariés sur l’état des conventions collectives applicables dans chaque département d’outre-mer ; la proposition 8 envisage les modalités d’information réciproque des partenaires sociaux nationaux et ultramarins à l’occasion de la négociation des conventions collectives nationales.

La proposition 9 vise à la création d’instances paritaires de négociation collective dans les territoires d’outre-mer.

La proposition 10 concerne la formation indispensable des représentants des salariés au dialogue social et à la négociation des conventions et accords collectifs de travail.

La proposition 11 tend à permettre la nomination d’élus mandatés par les organisations représentatives de salariés dans les outre-mer aux fins d’animer la négociation collective dans les entreprises à faible effectif salarié, en leur accordant les mêmes protections juridiques qu’aux délégués syndicaux.

La proposition 12 consiste à définir la place des accords collectifs conclus dans chaque territoire, entre les conventions collectives nationales, qu’ils priment, et les accords de groupe ou d’entreprise, qui l’emportent sur eux.

La proposition 13 suggère de développer et simplifier, par la mise en place d’un « guichet unique » en ligne, l’accès des demandeurs de formation en outre-mer aux offres de formation disponibles.

La proposition 14 demande que soit adapté aux besoins spécifiques des jeunes ultramarins le dispositif pérennisé de la Garantie jeunes, compte tenu des difficultés particulières de leur parcours de formation.

La proposition 15 crée un droit opposable à la formation pour les demandeurs d’emploi de longue durée.

La proposition 16 demande de favoriser l’ouverture, dans le cadre des négociations collectives entre partenaires sociaux locaux, de discussions sur la définition spécifique du travail saisonnier dans les outre-mer.

Enfin, par la proposition 17, je propose d’inscrire dans la loi la date du 1er janvier 2018 comme date d’entrée en vigueur du code du travail national dans le département de Mayotte.

J’ai rencontré tout à l’heure les ministres du travail et de l’outre-mer, ainsi que la secrétaire d’État chargée de la formation professionnelle, qui vont nous accompagner dans le processus de rédaction d’un amendement relatif à la représentativité des syndicats en outre-mer. D’autre part, le Gouvernement envisage d’accorder, à titre expérimental, un droit opposable à la formation, notamment pour les chômeurs de longue durée, c’est-à-dire inscrits depuis plus de trois ans – c’est notre proposition 15.

M. Gilbert Le Bris. Comment se fait-il que, dans votre rapport écrit, la proposition 15 concerne les chômeurs inscrits depuis plus de deux ans ?

Mme la rapporteure. Ce point pourra être modifié par amendement. J’ai retenu la durée de deux ans dans mon rapport au vu des chiffres pour La Réunion : on y compte environ 40 000 personnes au chômage depuis deux ans, dont 50 % ne sont pas formés.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Combien d’amendements avez-vous déposés ?

Mme la rapporteure. J’ai déposé quatre amendements.

Le premier vise à ce que la commission d’experts et de praticiens des relations sociales créée par l’article 1er comprenne des partenaires sociaux des outre-mer, car ils sont souvent oubliés – c’est le sens des propositions 1 et 2.

Deux autres amendements ont trait à l’inversion de la loi Perben et à la représentativité dans les outre-mer. Ils ont été retirés afin que nous rediscutions de leur contenu avec les ministres.

Enfin, le quatrième amendement porte sur le droit opposable à la formation ; il va également être retiré.

D’autres amendements seront déposés en séance dans le cadre de l’article 88.

Mme Chantal Berthelot, présidente. Ce rapport, rédigé dans un délai très court, nous est précieux en ce qu’il constitue un instantané de la situation dans les cinq départements d’outre-mer, où le dialogue social n’est pas chose facile pour des raisons culturelles, mais aussi du fait d’un cadre légal souvent inadapté. Le taux de chômage dans les outre-mer est globalement deux fois plus élevé qu’en métropole. L’accompagnement des demandeurs d’emploi constitue une importante problématique pour nos territoires et, de ce point de vue, l’expérimentation relative aux chômeurs de longue durée est susceptible de répondre aux attentes des ultramarins.

Les particularités de l’outre-mer ne sont pas toujours prises en compte aussi finement qu’il le faudrait pour que les dispositifs s’appliquant à nos territoires constituent des outils vraiment pertinents et efficaces. Il me semble, en particulier, qu’il conviendrait de procéder systématiquement à des études d’impact pour permettre à ces dispositifs de gagner en efficacité. Bien souvent, ce ne sont pas les crédits qui font défaut : il faudrait simplement apporter un plus grand soin à la mise en œuvre des mesures dont nous bénéficions.

Alors même que nous devons faire face à des difficultés particulières, et au fait que chacun de nos territoires présente des problématiques spécifiques, nous ne disposons souvent que d’un délai très court pour examiner les textes nous concernant. Outre-mer habitent 1,5 million de Français se trouvant dans une situation qui justifie que l’on prenne le temps nécessaire pour rendre plus efficaces les dispositifs s’appliquant à ces territoires.

Mme Florence Delaunay. Je félicite Mme Orphé pour son rapport qui dresse un constat fidèle de la situation en outre-mer. Ce rapport met en évidence une inadéquation du dispositif dérogatoire, notamment en ce qui concerne les jeunes. En revanche, le service militaire adapté fonctionne très bien outre-mer, puisque 76 % des jeunes concernés entrent en insertion avec des emplois durables.

Cela montre bien que l’on ne peut pratiquer l’insertion à marche forcée : cette démarche ne peut s’accomplir qu’en recueillant la volonté de la personne concernée et en tenant compte de la structure du travail spécifique aux départements d’outre-mer. En Guadeloupe, un département que je connais, les petits boulots – ceux de pompiste ou de porteur, par exemple –, qui peuvent tout à fait fournir les revenus nécessaires au fonctionnement d’une famille, ont été préservés jusqu’à présent et doivent continuer à l’être : il ne faut pas tout bouleverser en cherchant à appliquer sans discernement des recettes qui ne seraient pas efficaces.

Les territoires d’outre-mer sont également marqués par une importance particulière du travail saisonnier dans les domaines de l’agriculture et du tourisme. S’il faut une définition du travail saisonnier, comme vous l’indiquez, il faut aussi mettre en place des formations professionnelles débouchant sur des diplômes, car ce sont les seules qui permettent d’accéder à des emplois stables. En effet, le tourisme représente à la fois un important vivier d’emplois et, pour les personnes concernées, un moyen d’accroître leurs compétences et, à partir d’une formation initiale qualifiante, de devenir progressivement de vrais professionnels – ce qu’ils ne pourront pas faire en passant continuellement d’un emploi saisonnier à un autre.

Vous dites qu’il y a peu de dialogue social en outre-mer, mais votre proposition ne me semble pas très rassurante sur ce point, en situant la négociation prioritairement au niveau des entreprises. La faiblesse en nombre et en formation de la représentation syndicale dans les départements d’outre-mer risque de déséquilibrer encore plus la négociation collective, d’où l’extrême importance de vos propositions relatives à la formation des représentants des salariés – c’est la proposition 10 – et à la nomination d’élus mandatés par les organisations représentatives de salariés dans les outre-mer – c’est la proposition 11.

Pour ce qui est du temps partiel, le projet de loi prévoit une réduction du délai de prévenance, qui aura vocation à s’appliquer aux nombreuses femmes travaillant dans la grande distribution. Or, en outre-mer – je me réfère à nouveau à l’exemple de la Guadeloupe –, la grande distribution est une activité souvent exercée en situation de quasi-monopole, ce qui risque d’aggraver la situation de précarité des salariés concernés, qui sont en grande partie des femmes. Si la loi passe en l’état, nous devrons être très attentifs à ce problème.

Enfin, pour améliorer la situation de l’emploi, il nous faut lutter contre l’économie souterraine, que ce soit en outre-mer ou en métropole. Chacun sait que des jeunes travaillant au noir ou se livrant à des trafics peuvent gagner plus en quelques jours que leurs parents en un mois de travail : il y a là un vrai problème que nous devons combattre sans relâche.

M. Gilbert Le Bris. Je m’associe aux félicitations qui ont été adressées à Monique Orphé pour la qualité et la rapidité de son travail : il n’est jamais simple de s’adapter à une réglementation à la fois en gestation et en mouvement.

Pouvez-vous nous donner des explications plus détaillées au sujet de votre proposition 14, relative à l’adaptation aux besoins spécifiques des jeunes ultramarins du dispositif pérennisé de la Garantie jeunes ?

Par ailleurs, pour ce qui est de la proposition 15, je suis tout à fait d’accord sur le rôle très positif du service militaire adapté et des écoles de la deuxième chance qui, sur la base du volontariat, apportent une réelle plus-value en matière de formation – à tel point que ces dispositifs ont été accaparés en métropole, où l’on en attend beaucoup.

En revanche, je suis plus réservé en ce qui concerne les droits opposables, car l’expérience a montré que la mise en œuvre de tels droits n’était jamais facile et que, plus on crée de droits opposables, plus les chances qu’ils soient appliqués se réduisent. À mon sens, en préalable à une telle démarche, il convient de définir quel sera le réceptacle de la formation, car il faut éviter de créer un droit opposable sans que soit disponible une formation correspondante.

Mme la rapporteure. Le service militaire adapté, qui est effectivement né en outre-mer en 1961 et n’a été étendu qu’à deux départements de métropole à titre expérimental, à la demande du Président de la République, présente un taux de réussite de 70 %. Le général de Revel, que j’ai rencontré, m’a expliqué que ce taux impressionnant n’était possible que grâce à l’accompagnement individualisé des jeunes. Il souhaite d’une part que ce dispositif reste attaché au ministère des outre-mer, même lorsqu’il sera étendu à d’autres départements de métropole, d’autre part que le niveau d’encadrement reste élevé : si le dispositif fonctionne si bien, cela s’explique en grande partie – comme pour la Garantie jeunes – par le fait que des moyens exceptionnels ont été déployés. J’ai donc l’intention d’interpeller la ministre du travail sur ce point.

On assiste aujourd’hui à une sorte de compétition entre les différents dispositifs proposés aux jeunes ultramarins – SMA, Garantie jeunes, service civique – ce qui fait que le SMA peut sembler moins attractif. Nous devons veiller à bien orienter les jeunes afin que chacun bénéficie du dispositif qui lui correspond le mieux.

Pour ce qui est des emplois saisonniers, nous avons été alertés, notamment par la CGT, sur la particularité qu’ils présentent outre-mer : alors qu’en métropole, certaines personnes peuvent enchaîner les emplois saisonniers quasiment toute l’année, chez nous, les saisonniers ne trouvent du travail que durant une partie de l’année, et sont au chômage le reste du temps. La culture de la canne à sucre fournit en général six mois de travail par an, mais dans d’autres secteurs, la période de travail ne dure que deux mois. Nous demandons donc qu’une réflexion soit engagée sur ce point – c’est la proposition 16.

Pour améliorer la qualité du dialogue social outre-mer, dont chacun s’accorde à reconnaître la piètre qualité, il conviendrait de renforcer la formation dans ce domaine. Certes, des outils sont d’ores et déjà à disposition : ainsi le crédit d’heures est-il plus élevé outre-mer, afin de permettre aux salariés de mieux négocier. La CFDT a demandé que les salariés, notamment du public, soient formés au dialogue social, et à ce que la présence des salariés du privé dans les négociations soir renforcée. En effet, à l’heure actuelle, les salariés du privé sont souvent représentés par les salariés du public – du moins est-ce le cas à La Réunion –, ce qui s’explique par le fait que les chefs d’entreprise sont réticents à libérer leurs employés en raison de la difficulté à les remplacer. Nous réfléchissons à des amendements en ce sens, visant à ce qu’il soit tenu compte de nos spécificités en la matière.

La délégation aux droits des femmes s’est saisie de la question du temps partiel et de la réduction du délai de prévenance, et proposera des amendements à ce sujet, notamment afin de répondre à la problématique des femmes travaillant dans la grande distribution.

Notre proposition 14 vise à adapter aux besoins spécifiques des jeunes ultramarins le dispositif pérennisé de la Garantie jeunes, compte tenu des difficultés particulières de leur parcours de formation. La Garantie jeunes a bien fonctionné en outre-mer, mais on a constaté que le dispositif avait été quelque peu détourné de sa cible initiale, à savoir les jeunes très éloignés de l’emploi : actuellement, il est mis à profit par des jeunes ayant un diplôme et ayant parfois même bénéficié d’une formation SMA. Nous souhaitons que le dispositif soit recentré sur le public auquel il était destiné, que la formation proposée soit plus adaptée aux secteurs créateurs d’emploi en outre-mer – actuellement, les jeunes bénéficient souvent de formations ne correspondant pas à notre tissu économique, principalement constitué de très petites entreprises –, et que l’accent soit mis sur la formation en mobilité.

La création d’un droit opposable à la formation, qui fait l’objet de notre proposition 15, constitue un projet très lourd, comme l’a souligné le ministère du travail. Cela dit, la situation de l’emploi dans les outre-mer – un taux de chômage de 30 %, et même 60 % chez les jeunes, et 100 000 personnes au RSA – est hors norme par rapport à la métropole, ce qui, à mon sens, justifie que des mesures exceptionnelles soient adoptées. Les demandeurs d’emploi sont insuffisamment formés : non seulement ils n’ont pas de diplôme, mais nombre d’entre eux sont en situation d’illettrisme. Très souvent, Pôle emploi n’a pas les moyens d’accompagner ces personnes, en raison d’un taux d’encadrement insuffisant. Quant au conseil régional, chargé de la formation professionnelle et de l’emploi, il propose plus fréquemment des formations aux salariés qu’aux chômeurs.

Si je demande la création d’un droit opposable à la formation pour les chômeurs de longue durée, c’est pour éviter qu’ils ne se trouvent déconnectés de la réalité et ne perdent leur dignité, mais aussi pour obliger l’État et la région à ouvrir les yeux sur ceux que l’on a laissés au bord du chemin, que je considère un peu comme les oubliés de la République : ces personnes veulent travailler et souhaitent pour cela bénéficier d’une formation et d’un accompagnement social, mais on ne s’occupe pas d’elles et on ne leur propose rien – dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner ensuite d’avoir un taux si important de bénéficiaires du RSA. Ma demande porte sur la mise en place d’une expérimentation dans les territoires ultramarins, suivie d’une évaluation de ses effets.

Mme Chantal Berthelot, présidente. En début d’année, le Président de la République a dit vouloir faire de la formation professionnelle une priorité. Qu’est-il fait dans ce domaine actuellement ?

Mme la rapporteure. La secrétaire d’État chargée de la formation professionnelle m’a dit que, sur les 500 000 formations supplémentaires qui vont être proposées aux personnes en recherche d’emploi, la situation exceptionnelle des outre-mer leur donnerait un droit de tirage. Ainsi le nombre de formations professionnelles va-t-il doubler pour la Réunion, passant de 6 000 à 12 000 – ce qui, à mon avis, sera encore insuffisant. Ce que je souhaite éviter, c’est qu’une personne au chômage depuis deux ou trois ans ne puisse pas accéder à une formation parce que l’État et la région ne disposent pas de suffisamment de moyens.

La Délégation, à l’unanimité, adopte les propositions présentées par la rapporteure et autorise la publication du rapport d’information.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

Proposition 1. Assurer dans la commission d’experts et de praticiens des relations sociales chargée de réfléchir à la refondation du droit du travail la présence d’experts et de praticiens formés aux spécificités des relations du travail outre-mer.

Proposition 2. Prévoir expressément d’associer aux travaux de la commission des représentants des organisations ultramarines d’employeurs et de salariés.

Proposition 3. Créer des critères de représentativité propres aux organisations patronales et syndicales exerçant leur activité dans un département d’outre-mer particulier.

Proposition 4. Rendre applicables de plein droit aux outre-mer les conventions collectives à champ d’application national, sauf stipulation contraire.

Proposition 5. Prévoir, à l’occasion de la négociation d’une convention ou d’un accord collectif à champ d’application national, la consultation préalable des organisations reconnues représentatives au niveau local dans les outre-mer.

Proposition 6. Pour les conventions collectives nationales en vigueur à la date de promulgation de la loi, prévoir, dans un délai de deux ans, l’ouverture obligatoire de négociations entre les organisations locales sur le principe et les conditions éventuelles de leur application dans chaque département. A défaut, les dire applicables de plein droit.

Proposition 7. Assurer l’information systématique, exhaustive et à jour, des organisations syndicales et des salariés sur l’état des conventions collectives applicables dans chaque département d’outre-mer.

Proposition 8. Prévoir les modalités d’information préalable des partenaires sociaux locaux sur les négociations collectives nationales et les modalités de transmission aux organisations nationales de l’avis sur ces négociations des partenaires sociaux locaux.

Proposition 9. Créer, sur une base paritaire, des comités servant de cadre à la négociation collective pour l’adaptation, dans chaque département, des conventions nationales ou la conclusion d’accords collectifs locaux.

Proposition 10. Organiser la formation des représentants des salariés au dialogue social et à la négociation des conventions et accords collectifs de travail.

Proposition 11. Permettre la nomination d’élus mandatés par les organisations représentatives de salariés dans les outre-mer aux fins d’animer la négociation collective dans les entreprises à faible effectif salarié, en leur accordant les mêmes protections juridiques qu’aux délégués syndicaux.

Proposition 12. Définir la place des accords collectifs conclus dans chaque territoire, entre les conventions collectives nationales, qu’ils priment, et les accords de groupe ou d’entreprise, qui l’emportent sur eux.

Proposition 13. Développer et simplifier, par la mise en place d’un « guichet unique » en ligne, l’accès des demandeurs de formation en outre-mer aux offres de formation disponibles.

Proposition 14. Adapter aux besoins spécifiques des jeunes ultramarins le dispositif pérennisé de la garantie jeunes, compte tenu des difficultés particulières de leur parcours de formation.

Proposition 15. Créer un droit opposable à la formation professionnelle au bénéfice des demandeurs d’emploi inscrits depuis plus de deux ans.

Proposition 16. Favoriser l’ouverture, dans le cadre des négociations collectives entre partenaires sociaux locaux, de discussions sur la définition spécifique du travail saisonnier dans les outre-mer.

Proposition 17. Prévoir l’entrée en vigueur de la partie législative du code du travail national dans le département de Mayotte.

AUDITIONS DE LA RAPPORTEURE43

Table ronde des organisations patronales – 1er mars 2016

Participent à la table ronde :

--  M. Yann de Prince, président du MEDEF Réunion

--  M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales à la CGPME

Mme Monique Orphé précise que l’objectif du rapport d’information pour la Délégation aux outre-mer est de proposer des adaptations au projet de loi sur les nouvelles protections et les nouvelles libertés pour les entreprises et les salariés en fonction des problématiques des départements d’outre-mer, notamment pour un renforcement du dialogue social, pouvant impliquer la remise en cause de la loi Perben sur les conventions collectives nationales, et pour le développement de la formation professionnelle. Elle interroge successivement les représentants du MEDEF et de la CGPME sur divers points importants de la réforme, en commençant par leur demander leur appréciation globale du projet.

Évaluation générale du projet de loi

M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales à la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). Il convient de distinguer deux problématiques : le projet de loi tel qu’il a été communiqué aux organisations représentatives est-il définitif ? comment spécifiquement envisager le dialogue social outre-mer ?

La CGPME porte un jugement globalement mitigé sur un texte d’allure compacte. Il comporte des éléments positifs, ou qui pourraient l’être, et d’autres qui ne correspondent pas à la présentation qui a pu en être faite.

Parmi les points positifs :

- le barème sécurisé des indemnités pour licenciement sans motif réel et sérieux donne une visibilité souhaitable ;

- la possibilité de conclure des forfaits annuels en jours ou en heures et la possibilité d’organiser le temps de travail sur une durée allant jusqu’à seize semaines sur décision du chef d’entreprise. Toutefois, cette possibilité est ouverte à défaut d’accord d’entreprise ou de branche. Au passage, la CGPME rappelle qu’elle n’est pas favorable au « tout entreprise » ; la négociation de branche ou nationale a aussi son rôle. En effet, dans la majorité des entreprises, il n’y a pas de présence syndicale, et donc, en dessous de 50 salariés, les possibilités d’assouplissement ne pourront pas être utilisées.

Parmi les éléments « pervers » :

- la mécanique découlant du rôle privilégié donné à la négociation d’entreprise : par exemple, sur le taux de rémunération des heures supplémentaires, les grandes entreprises ont les moyens de donner des contreparties dans la négociation sur ce sujet. Les PME, elles, à supposer qu’elles aient des organisations syndicales avec qui négocier, ne pourront pas donner de contreparties à la baisse de la rémunération des heures supplémentaires qui permettraient d’obtenir la signature des organisations syndicales ;

- au surplus, les TPE/PME ressentiront particulièrement la difficulté d’obtenir l’obligation d’une majorité d’engagement (au moins 50 % des voix aux élections professionnelle).

La CGPME demande la faculté, dans les entreprises de moins de 50 salariés, de recourir au référendum à l’initiative du chef d’entreprise, avec exigence de la majorité des deux tiers, comme en matière d’intéressement et de participation, dans les entreprises où il n’y a pas d’organisation syndicale.

D’une manière générale, il ne faudrait pas qu’un processus d’assouplissement des négociations soit utilisable par les seules grandes entreprises.

Par ailleurs, la CGPME s’interroge sur l’inversion proposée de la règle actuelle, sur le format papier du bulletin de paie, en rappelant que celui-ci doit être conservé sans limite de temps. Nous souhaiterions que, dans les entreprises de moins de 300 salariés, la règle demeure l’établissement d’un bulletin de paie sur papier, sauf si le salarié demande la dématérialisation. Dans les PME et singulièrement en outre-mer, la remise d’un bulletin de la main à la main conserve une valeur symbolique.

Sur un autre plan, les PME des départements d’outre-mer ne souhaitent pas la modification de la loi Perben. A La Réunion, par exemple, 75 % des salariés sont couverts par une convention collective nationale étendue ou par un accord local.

M. Yann de Prince, président du MEDEF de La Réunion. Je m’exprimerai seulement sur l’impact de la réforme proposée dans les territoires d’outre-mer, après avoir rappelé que, le 28 janvier 2016, tous les partenaires sociaux nationaux à l’exception de la CGT, ont signé une lettre commune sur la négociation collective.

Lorsqu’elles sont applicables, le MEDEF souhaite que les conventions collectives s’appliquent le plus largement possible, pour éviter les distorsions de concurrence. Sa volonté de continuer à négocier selon la loi Perben est partagée par une partie des salariés.

A La Réunion, existe une institution paritaire, le PRISME, où les partenaires sociaux débattent des problématiques territoriales, au-delà des conflits qui peuvent opposer dans des situations particulières. Selon une étude effectuée par un cabinet spécialisé, 62,3 % des salariés réunionnais sont couverts par des conventions nationales ou régionales. Le niveau est comparable à ce qu’on peut observer en métropole, hors entreprises publiques et parapubliques. 68 % des conventions nationales sont applicables dans les DOM. A l’inverse, certains, notamment dans le secteur automobile, ne veulent pas de l’extension aux DOM.

Le MEDEF est attaché au maintien de la loi Perben, tout en relevant que certaines conventions nationales qui n’ont pas été rendues expressément applicables aux départements d’outre-mer par les partenaires sociaux nationaux sont spontanément appliquées outre-mer.

Les conventions régionales ont permis de donner des avantages spécifiques aux salariés de ces régions. L’extension automatique des conventions nationales ne saurait remettre en cause ces avantages ; le cumul créerait une hausse des coûts de production et, partant, une baisse de productivité.

Sur le nouveau cadre de la négociation collective

M. Georges Tissié. Le projet de loi, dans son état actuel, comporte deux divergences avec la lettre du 28 janvier 2016 : la disparition des branches professionnelles de moins de 5 000 salariés, et un processus de fusion qui ne tient pas suffisamment compte de la réalité économique et sociale des secteurs en privilégiant des éléments purement arithmétiques. La restructuration des branches peut avoir des conséquences sur le dialogue social ; le problème ne concerne pas seulement les outre-mer. Quelles seront les méthodes utilisées pour effectuer cette restructuration, et quelle place donne-t-on aux organisations représentatives ? Le comité paritaire de restructuration des branches est complètement ignoré par le projet de loi, alors qu’il a travaillé sur ces restructurations.

M. Yann de Prince. Pour les branches où la négociation collective n’est pas régulière, les décisions concernant les DOM doivent répondre au minimum aux mêmes critères que ceux concernant les conventions nationales : les partenaires sociaux concernés ne doivent pas être dépossédés de leur capacité à négocier, au profit d’une décision purement ministérielle, et le délai accordé par la loi pour étudier l’avenir des conventions des DOM doit être le même que celui accordé aux conventions nationales, c’est-à-dire trois ans. Il faut laisser aux partenaires sociaux la possibilité d’adapter et de transposer les conventions dans un délai raisonnable, en leur donnant le temps d’engager des négociations. A défaut, on aura du mal à trouver des partenaires sociaux capables de négocier.

M. Georges Tissié. La loi permet des accords-types construits dans le cadre de la négociation de branche et applicables directement aux entreprises de moins de cinquante salariés. Mais elle ne dit pas les sujets qui pourraient faire l’objet de ces accords-types. Il y a par ailleurs, dans le projet de loi, une contradiction : on laisse un rôle à l’organisation de branche, mais on vide ce rôle en privilégiant la négociation d’entreprise. La CGPME pense que c’est au niveau de la branche professionnelle que l’on peut créer les conditions de l’égalité de concurrence. Si les branches professionnelles peuvent prévoir des dispositions adaptées aux plus petites entreprises, elle n’y est évidemment pas opposée. Mais, tel qu’il est conçu, le texte ajoutera une complexité au dispositif actuel.

M. Yann de Prince. Au 31 décembre 2016, le ministère du travail engage la négociation nationale sur la fusion des branches. La question se pose de savoir ce qu’il adviendra des salariés des DOM.

Il faut organiser la concertation pour tenir compte de la spécificité des outre-mer, sinon ce sera la catastrophe. Par exemple, le seuil de pénibilité est fixé à une température de 30° Celsius : cela semble vraiment inadapté à la plupart des DOM. L’application de ce seuil posera un problème de gestion de la pénibilité.

En ce qui concerne la formation au dialogue social, il faut souligner que la plupart des représentants syndicaux travaillent dans la fonction publique et n’ont pas tous une bonne connaissance des problèmes spécifiques des entreprises du secteur privé et à fortiori des TPE. Les grandes entreprises peuvent avoir une représentation syndicale et du personnel détaché, pas les TPE/PME.

Sur la formation professionnelle

M. Yann de Prince. Au-delà de la formation professionnelle, il faut poser la question de la qualification. Nous proposons un dispositif expérimental, des contrats d’apprentissage à vase communicant entre la métropole et les outre-mer, avec engagement de retour sur le territoire.

Par ailleurs, certains OPCA collectent depuis Paris et sont difficilement accessibles au niveau local. Tout OPCA qui entend collecter la taxe d’apprentissage sur un territoire doit s’engager à créer une telle représentation.

M. Georges Tissié. L’AGEFOS-PME est un OPCA national interprofessionnel décentralisé, avec des structures régiona les, y compris des antennes dans les départements d’outre-mer. Cet instrument fonctionne correctement.

Nous avons de nos organisations locales des remontées négatives plus d’un an après la signature de l’accord sur la formation, portant sur les moyens financiers de la formation des salariés dans le cadre du plan formation. La logique de l’accord est de diminuer les moyens du plan de formation au profit d’une formation individualisée, qui risque de ne pas tenir compte des besoins en formation liés au fonctionnement de l’entreprise.

Il faut remettre l’accent sur le contrat de professionnalisation, pour d’autres formations que celles couvertes par le contrat d’apprentissage. Nous préconisons une formation des dirigeants non salariés, sur le bon exemple de la « mallette de formation ».

Contrats aidés et distorsion de concurrence

M. Yann de Prince. Un contexte de distorsion concurrentielle est créé dans les DOM par les GIE ou encore par des associations d’aide à l’insertion issues de collectivités qui emploient du personnel sous régime de contrats aidés et qui se retrouvent en situation de concurrence avec des entreprises du secteur privé (sécurité, espaces verts, aide à la personne), lesquelles appliquent souvent par ailleurs leurs conventions collectives, ce qui renforce la distorsion. Il faudrait, soit imposer des règles de saine concurrence à ces GIE et associations, soit étendre plus largement les contrats aidés au secteur marchand, et leur donner les mêmes conditions qu’au secteur non-marchand pour lutter contre cette destruction d’emplois pérennes par la concurrence de ces structures du secteur non-marchand !

Table ronde des organisations syndicales – 29 mars 2016

Participent à la table ronde :

-- CGT, MM. Claudi Ménard , conseiller fédéral à la fédération de la métallurgie, et Wolf Jäcklein, animateur de l’espace international

-- Force Ouvrière, Mme Marie-Alice Médeuf-Andrieu, secrétaire confédérale 

-- CFTC, MM. Joseph Thouvenel, vice-président, et Michel Charbonnier, conseiller du président

Mme Monique Orphé rappelle les raisons qui ont conduit à sa nomination comme rapporteure de la Délégation et les deux thèmes principaux de ses travaux à ce titre : le dialogue social en outre-mer, avec la remise en cause éventuelle de la loi Perben ; la formation professionnelle. Elle précise qu’elle a souhaité réunir les organisations syndicales nationales pour connaître leur vision de la loi, en tant qu’elle s’applique aux outre-mer, et leur avis sur les améliorations possibles.

M. Claudi Ménard. La CGT nationale n’a pas la prétention de représenter les organisations syndicales des outre-mer, dont elle ne préjuge pas les décisions.

M. Joseph Thouvenel, vice-président de la CFTC : Le dialogue social, qui est tout à fait souhaitable, appelle la réorganisation des branches professionnelles, avec la suppression des branches qui n’existent que sur le papier. Telle branche professionnelle, en Guyane, ne comporte que trois votants sur quatre ans.

Pour la métropole, le système comporte des conventions collectives de branches, de territoires et d’entreprises. Nous souhaitons, dans le respect des accords nationaux métropolitains, que soient créées les conditions favorables à la négociation d’accords dans les outre-mer qui tiennent compte des spécificités territoriales. Que les accords soient conclus dans le cadre d’une branche complète ou soient des accords particuliers de branche, nous n’avons pas d’idée préconçue sur ce point. Il revient aux territoires de décider sur quels points ils négocient.

À propos de la loi Perben, nous considérons qu’un accord national doit concerner tout le monde, sous réserve que, dans les outre-mer, les partenaires sociaux ne veuillent pas faire autre chose. Le retour à la règle ancienne serait une bonne chose.

Mme Monique Orphé évoque le risque de déstabilisation des très petites entreprises qui est souvent mis en avant par ceux qui s’opposent à la remise en cause de la loi Perben.

M. Wolf Jäcklein. L’abrogation de la loi Perben est une revendication ancienne de la CGT. Les arguments avancés à l’époque pour la justifier étaient fallacieux : ils revenaient, puisque les conventions collectives n’étaient, de fait, pas appliquées dans les outre-mer, à faire en sorte qu’elles ne le soient plus du tout. Nous revendiquons l’abrogation de la loi Perben et l’application des conventions collectives nationales et de branche aux territoires d’outre-mer, comme l’application du code du travail à Mayotte. Sans doute le patronat n’est-il pas favorable à ces thèses ; ce n’est pas une raison pour éviter l’applicabilité que nous demandons.

En ce qui concerne la formation professionnelle, le problème des départements d’outre-mer tient en premier lieu à la formation initiale. L’essor de l’économie est rendu possible par la disponibilité de travail qualifié et expérimenté. S’il n’y a pas d’institutions de formation au-delà du premier cycle, tous ceux qui souhaitent aller plus loin doivent quitter les outre-mer. Or, l’on ne leur donne pas les moyens. Cela conditionne la suite. La politique de la formation professionnelle ne peut rattraper cette situation incongrue. Les gens n’ont pas la possibilité d’acquérir une formation professionnelle sur place. Une fois partis, ils n’ont plus de raison de revenir.

En Guyane, par exemple, il faut au moins partir en Guadeloupe, sinon en métropole, pour avoir une formation universitaire. L’Aérospatiale, chacun le sait, est très implantée dans ce territoire. Mais les travailleurs sont parachutés et ils n’ont pas vocation à rester. Les filières du secteur aéronautique ne sont pas accessibles aux locaux.

M. Claudi Ménard Le problème est structurel. Dans le secteur automobile, les gens ont manifesté pour défendre leurs droits pour une véritable égalité réelle. C’est ce qui s’est passé à Saint Pierre avec les apprentis de l’automobile. On transfère le centre de formation de l’automobile à Maurice . Les difficultés commencent avec la formation initiale.

Mme Monique Orphé estime nécessaire de donner aux jeunes les moyens financiers de se former et constate que l’accessibilité de la formation, tant initiale que continue, n’est actuellement pas assurée. Elle évoque la possibilité, pour la Guyane, d’une coopération avec le Brésil voisin, tout en reconnaissant que le développement effectif de cette coopération suppose au préalable une formation linguistique des étudiants potentiellement bénéficiaires.

M. Claudi Ménard. Le délai de deux ans imparti pour négocier est bien long. La CGTR et la CGT ont eu un échange avec Mme Bareigts sur les difficultés d’application de la convention collective de l’automobile. Le blocage vient des concessionnaires locaux qui sont visiblement puissants. Nous demandons l’élargissement de la convention collective nationale des services de l’automobile pour éviter une situation bancale, où on ne négocie plus. On a négocié pendant plus de 10 ans, élaboré un texte et et les concessionnaires ont tout rejeté. . La fédération CGT de la métallurgie et la CGTR ne peuvent se complaire dans la situation actuelle. Elles demandent une clarification es intentions du législateur.

A la Martinique, la convention collective de la métallurgie n’a pas été renégociée depuis 1988, au risque de créer une situation difficile et complexe. Elles demandent une clarification es intentions du législateur.

Mme Monique Orphé affirme que la loi Perben ne peut pas rester en l’état. Elle constate les divergences entre les points de vue exprimés par le patronat et par les organisations syndicales. A la Réunion, les syndicats demandent que les choses bougent, tout en se disant attentifs à l’impact de l’application immédiate des conventions collectives sur les entreprises réunionnaises. C’est pourquoi elle propose, pour sa part, que la loi permette une réouverture des négociations au niveau de chaque territoire autour de l’applicabilité et de l’adaptation éventuelle des conventions collectives nationales. Elle demande enfin des précisions sur l’état actuel des négociations dans le secteur de l’automobile à la Réunion.

M. Claudi Ménard. On n’est plus, sur ce sujet, dans une problématique de négociation sur la convention collective. En réalité le CNPA [Conseil national des professions de l’automobile] ne veut pas signer ce que tout le monde acceptait. La procédure est lancée vers un élargissement. Les organisations syndicales ont eu un contact avec la DIECCTE [direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi] ; après intervention de la direction générale du travail, un groupe de travail a été constitué à la DIECCTE. Actuellement, il n’y a pas de négociation entre patronat et syndicats. Nous demandons des explications sur l’amendement qui porterait sur la négociation des conventions en vigueur.

Mme Monique Orphé rappelle les lacunes constatées dans l’information des partenaires sociaux sur les conventions collectives et sa propre volonté de favoriser le dialogue social, et d’ouvrir le débat à d’autres sujets que les salaires, comme par exemple la santé au travail ou l’égalité hommes-femmes.

M. Claudi Ménard : Demander l’application de la Convention Collective Nationale de la branche n’empèche pas la CGTR, avec la CGT, de se préoccuper de la santé au travail. Sur ce point nous coopérons (CGT et CGTR) avec la DIECCTE et la CGSS dans des actions de formation des militants.

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu, secrétaire confédérale de Force Ouvrière. Notre confédération est attachée à la pratique contractuelle au niveau de la branche. Elle milite pour une négociation constructive dans les départements d’outre-mer. L’exemple des difficultés rencontrées dans certains départements, comme la Martinique, illustre la nécessité du dialogue social constructif et l’importance de la capacité des interlocuteurs sociaux à se saisir de tous les thèmes de négociation, pas seulement du strict sujet des salaires. Quels sont les outils à la disposition des interlocuteurs sociaux des outre-mer et comment sortir des conflits sociaux, en Martinique et en Guadeloupe notamment (une amorce de dialogue social se met en place en Martinique) ? Comment répondre aux vides conventionnels ? Après de nombreux conflits, tels que celui de Toyota en Martinique, une structure paritaire appelée DSM (Dialogue social Martinique) avait été mise en place pour permettre la fluidité du dialogue social et de mieux négocier entre organisations syndicales et patronales. Nous dénonçons des pratiques inacceptables, dues au fait qu’à la différence de la France métropolitaine, on constate un manque de moyens relatifs à l’accessibilité des informations en matière de droits conventionnels, législatifs et règlementaires.

Avant la loi Perben, les outre-mer bénéficiaient des conventions collectives nationales, sauf clause contraire. La loi Perben, en remettant ce principe en cause, a rendu les choses plus complexes. Les interlocuteurs sociaux des branches ne sont pas forcément au courant de son contenu. Lors de leur conclusion, les accords ne prennent pas toujours en compte les particularités de l’outre-mer et oublient souvent de préciser la notion d’extension aux salariés de l’organisation.

Dans les départements d’outre-mer, il y a de nombreuses IDCC territoriales dont 53 IDCC d’outre-mer. Seules 17 de ces 53 branches ont déposé un accord au cours des cinq dernières années. Les négociations ne doivent pas servir uniquement à conclure des accords mais à les faire vivre. Il est urgent de régler ce problème, surtout face au chantier de la restructuration des branches qui doit être engagé en 2016.

La question de la représentativité est aussi un vrai sujet, d’autant plus qu’elle donne accès à la négociation. En Martinique et en Guadeloupe notamment, on note une forte présence de syndicats locaux adossés à des groupes politiques, qui crée une certaine confusion des expressions, mélangeant défense des salariés et actions politiques. Les valeurs républicaines évoquées par la loi du 20 août 2008 ne sont pas toujours respectées et jamais contrôlées pour respecter la paix sociale. Nous sommes souvent face à des manœuvres d’appareil politico-syndicales au détriment d’un véritable dialogue social.

Il serait opportun que les DIECCTE prennent plus souvent l’initiative de mettre autour de la table les organisations patronales et syndicales sur l’évolution du dialogue social et les conséquences de la mise en œuvre des réformes qui ne tiennent pas toujours compte des spécificités locales. Par ailleurs, il n’existe pas dans les départements d’outre-mer d’institutions comparables aux instituts du travail de France métropolitaine, pour la formation des responsables syndicaux. Il faut les faire venir en France métropolitaine, mais ils ne sont pas pris en charge. Pour les syndicats confédérés, les militants peuvent venir en France métropolitaine pour bénéficier de formations, ce qui n’est pas le cas des syndicats locaux. Se pose donc la question de l’accès à la formation économique et sociale pour les syndicats et de l’égalité d’accès aux mêmes droits que les métropolitains.

La problématique de l’outre-mer est absente du projet de loi, que ce soit pour la restructuration des branches ou pour les négociations collectives.

Dans les départements d’outre-mer, environ 98 % des entreprises sont des TPE. A l’approche des « compétitions » électorales, certains syndicats ont tendance à s’orienter plus facilement vers la grève pour arracher des avancées sociales. Qui fera respecter les critères cumulatifs de la loi du 20 août 2008 ? Il faut donner aux interlocuteurs sociaux les moyens de mener le dialogue social. Quant à l’accès aux entreprises, les très petites entreprises sont nombreuses et fragiles. Les entreprises, en général, sont-elles prêtes à jouer le jeu ? Certaines sont parfois dans le déni du droit syndical et des dispositions légales et règlementaires.

Mme Monique Orphé demande comment renforcer les DIECCTE pour favoriser le dialogue social.

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu. Les DIECCTE ne doivent pas jouer le rôle de pompier en cas de grève, mais mener un travail d’anticipation en matière de dialogue social. La DIECCTE de la Réunion publie les conventions collectives étendues. Il y a une absence d’information de la DIECCTE vers l’administration centrale ou les structures locales. On peut s’interroger sur la l’exhaustivité des chiffres donnés par la DARES [Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques] concernant les DOM, issus des informations remontant des échelons locaux. L’obligation de dépôt des accords n’est pas respectée. Beaucoup d’accords n’ont pas fait l’objet de demandes d’extension. Si la situation est difficile pour les syndicats, elle l’est encore plus pour les salariés.

Veut-on des négociations locales ? En Martinique, certains syndicats demandent la reconnaissance du « fait syndical martiniquais ». Nous ne sommes pas favorables à créer un droit spécifique outre-mer sans tenir compte du niveau national. Il est important de respecter les trois niveaux : le national interprofessionnel, la branche, l’entreprise. Nous sommes favorables à des possibilités d’adaptation des dispositions de niveau supérieur au niveau local permettant de prendre en compte des particularités des régions d’outre-mer en raison du contexte économique et social.

Il serait dommageable de dire qu’on va créer un propre droit outre-mer. L’existence de syndicats locaux s’explique par l’histoire sociale locale. Sur les conventions collectives locales existantes, très peu de branches ont négocié ces dernières années, comme nous le constatons.

Mme Monique Orphé se demande si la facilitation du dialogue social ne pourrait pas passer par les CPRI [commissions paritaires régionales interprofessionnelles].

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu. Les CPRI n’ont pas cette vocation. Le prévoir pour l’outre-mer, c’est prendre le risque de l’étendre sur le territoire métropolitain.

Mme Monique Orphé insiste sur la nécessité de régler le problème du dialogue social en tenant compte des spécificités ultramarines.

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu. Les CPRI ont vocation à exister là où les branches n’ont pas prévu de dispositions particulières pour les salariés des TPE de la branche. Mais que fera-t-on si les branches s’organisent entre temps ? Quand elles s’organisent, cela empêche le dumping entre les entreprises qui en font partie. Pour que les CPRI interviennent pour toutes les branches, il faudrait modifier la loi du 17 août 2015 et prévoir des droits spécifiques pour les salariés.

M. Joseph Thouvenel. Les CPRI sont totalement inadaptées à cela. Il faut mener des réflexions pour trouver le bon lieu. Le premier principe de toute action doit être le socle national ; l’adaptation pour les TPE vient ensuite. La République française est indivisible. Les lois de la République valent pour toute la République.

M. Claudi Ménard. On ne peut pas tout demander aux CPRI, avec les moyens très faibles dont elles disposent. Regardez ce qu’est le tissu TPE/PME ramené au nombre de salariés couverts par les grandes entreprises. Les stagiaires que nous formons à la négociation syndicale appartiennent souvent à de grands groupes.

Mme Monique Orphé demande quelle autre solution que les CPRI peut être envisagée.

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu. Il faut accepter de concevoir que le dialogue social s’adresse à l’ensemble des entreprises, et donner la possibilité aux organisations représentatives de défendre les intérêts des salariés dans les TPE par une représentation syndicale.

Mme Monique Orphé demande quel peut être le rôle des syndicats locaux dans cette perspective.

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu. Le rôle du syndicat, c’est d’œuvrer pour appliquer les dispositions légales, négocier des droits nouveaux dans le cadre des commissions paritaires. La montée de la représentativité des syndicats locaux est due au refus opposé par les employeurs au dialogue social. Ils utilisent des moyens de pression pour défendre les salariés, réclament des cotisations dérisoires, de l’ordre de dix euros, alors que les autres organisations ont des cotisations plus élevées, mais fournissent des prestations en contrepartie.

Mme Monique Orphé rappelle que l’objectif du texte est de donner plus de pouvoir aux salariés.

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu. Les organisations syndicales ont de moins en moins de possibilités de défendre les salariés et le texte vise à fragiliser davantage les salariés en inversant la hiérarchie des normes.

M. Joseph Thouvenel. Être proche du terrain et laisser chaque entreprise organiser sa loi, c’était la version initiale du projet de loi. Il suffit, dès lors, que dix pour cent des entreprises ne jouent pas le jeu et fassent du moins-disant social pour que tout le monde aille à la baisse.

Il faut une régulation sociale nationale et une régulation de branche de bon niveau pour éviter la concurrence déloyale. L’entreprise ne peut pas faire sa propre loi : toute l’histoire enseigne que cela a des conséquences désastreuses.

M. Claudi Ménard. On ne peut pas aller vers un renversement permanent de la hiérarchie des normes et vers une société où le libéralisme – la loi des rapports de force – devient la loi générale. À Mayotte, les salariés seraient les principales victimes d’une libéralisation du droit du travail. Nous posons la question de la continuité territoriale : il doit y avoir une unité dans un même pays. Dans la métallurgie, on a cessé toute négociation quand le rapport de forces est devenu faiblesse.

Mme Monique Orphé demande s’il faut prévoir l’application automatique immédiate des conventions collectives nationales dans les outre-mer ou laisser un délai aux entreprises.

M. Claudi Ménard Dans l’automobile, à la Réunion, cela fait dix ans qu’on est à la recherche d’une solution négociée. On ne va pas donner un nouveau délai de deux ans au patronat !

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu. Les organisations patronales des outre-mer interviennent souvent auprès du patronat métropolitain pour qu’il n’y ait pas d’extension, et c’est ainsi que se créent des non-droits pour les salariés. Le niveau national est le niveau pertinent pour couvrir l’ensemble des salariés et éviter le dumping entre les entreprises. Rien n’empêche de prévoir dans la loi des dispositions d’adaptation au niveau local.

M. Claudi Ménard. Il ne peut pas y avoir d’adaptations conduisant à une baisse des droits des salariés. Dans les secteurs d’activité où des négociations ont déjà été menées et ont été infructueuses, il ne peut pas y avoir de délais supplémentaires. Dans les secteurs où il n’y a eu aucune négociation depuis cinq ans, on ne va pas encore ouvrir des délais.

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu. Nous sommes favorables à ce que les branches nationales permettent l’adaptation au niveau local.

À propos de la formation professionnelle dans les outre-mer, une récente étude du CESE a identifié plusieurs problèmes : la formation initiale, les difficultés des enseignants pour les langues vernaculaires, la situation particulière de la Guyane, l’illettrisme et l’insertion. Les Missions locales jouent le jeu, et les régions aussi. Mais il n’y a pas de garantie sur les centres de formation, concernant la qualité des enseignements et les compétences des enseignants. Les formations sont souvent inadaptées. Il faudrait être plus rigoureux sur l’agrément.

Nous préconisons une coordination entre les acteurs, en vue d’un guichet unique pour les salariés comme pour les entreprises, informant sur l’intérêt des formations et les débouchés – avec Pôle emploi, les missions locales, et les organisations locales, souvent absentes.

Le SMA est un dispositif qui a fait ses preuves. La garantie jeune n’est pas une panacée. Trop de jeunes Antillais et Guyanais sont en souffrance parce qu’ils ne sont pas assurés d’avoir un accès aux entreprises pour effectuer leur stage en alternance.

M. Michel Charbonnier, conseiller du président de la CFTC. Pour traiter le problème des décrocheurs, les régions ont l’objectif d’abonder les heures de formation destinés aux jeunes sans niveau de qualification.

M. Claudi Ménard. La lutte contre l’illettrisme est permanente dans notre organisation et doit être le combat de tous.

Mme Monique Orphé s’interroge sur l’efficacité des contrats aidés.

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu. Ces contrats génèrent des gens dans la précarité. L’absence de contrôle facilite la multiplication de ce type de contrats. Ils peuvent être utilisés pour éviter le CDI. La multiplication de ces contrats ne règlera pas la montée du chômage.

Audition de M. Jean-Pierre Philibert, président de la Fédération des entreprises des Outre-mer (FEDOM) – 15 mars 2016

La FEDOM est la fédération des entreprises des outre-mer, regroupant 120 000 entreprises qui emploient environ 700 000 salariés. Mais elle n’est pas partenaire social au sens de la législation sur les conventions collectives comme le sont les MEDEF et les CGPME. Ceci étant d'autres acteurs économiques territoriaux ont demandé à la FEDOM d’être leur expression dans le cadre de cette audition. La FEDOM n’existe en effet que par ses membres dans les territoires qu'elle représente à Paris.

Il reste dans le projet de loi actuel des choses intéressantes pour les communautés entrepreneuriales. Mais, très rapidement, les réseaux sociaux ont fait circuler une information partielle et partiale, qui a fait perdre une chance de dynamiser les relations sociales dans l’entreprise. En dehors de son appréciation globale sur le texte, la FEDOM souhaite présenter des propositions sur le compte-pénibilité, le dispositif de pré-retraite encadré et l’extension du code du travail à Mayotte.

Considérations générales

Dès que le projet a été connu, nous avons dit qu’il était trop beau et que le Gouvernement allait devoir reculer sur la flexisécurité. On a tout expérimenté en France, sauf la flexisécurité, passant de la protection à tout prix de l’emploi par l’autorisation administrative de licenciement, dont on a fini par comprendre qu’elle ne fonctionnait pas en matière contractuelle, à un dispositif plus souple à l’embauche et au licenciement, encore excessivement formel. L’embauche repose d’abord sur une entreprise qui se développe et crée des richesses. Aucun système d’aide à l’emploi ne marche s’il n’y a pas d’activité économique pour le sous-tendre. Ce n’est pas l’assouplissement des règles qui est premier, c’est le développement économique.

Par le passé, les gouvernements successifs ont voulu un code du travail protecteur du salarié, à l’encontre de la dynamique de l’entreprise. Avec la version initiale du projet de loi, on avait, pour la première fois, un texte équilibré, dont les dispositifs protecteurs pour les jeunes n’ont pas été suffisamment mis en avant.

Le problème de l’indemnisation du licenciement

Le contentieux du travail a connu une judiciarisation excessive, dont les inconvénients sont illustrés par les incertitudes sur le montant des indemnités prud’homales. Il y a parfois un vrai réflexe collectif, conduisant les entreprises à considérer qu’après l’entrée d’un salarié dans leurs effectifs, la judiciarisation crée véritablement le risque d’ouvrir une période d’incertitude trop lourde sur cette question des indemnités. La perception du risque est accrue par les effets de seuil, notamment le seuil de cinquante salariés retenu pour la création du comité d’entreprise.

Le recul du Gouvernement sur le plafonnement des indemnités prud’homales n’est pas une bonne nouvelle, mais ses inconvénients sont heureusement assez limités. En effet, le quantum des indemnités est fixé, pour les licenciements abusifs, dans les conventions collectives et dans le code du travail. Le licenciement abusif relève des articles 1382 et suivants du code civil, le juge appréciant le montant des dommages-intérêts. Seulement, l’examen de la jurisprudence montre un hiatus, systématisant un plafond d’indemnités qui ne correspond pas toujours à l’appréciation réelle du processus. On en est maintenant à l’idée d’un plafonnement indicatif : les juges n’en tiendront aucun compte et on en reviendra sur un dispositif important, d’autant plus que le Conseil constitutionnel a reconnu que le salarié licencié pour faute lourde avait droit aux indemnités de congés payés. Il aurait fallu trouver un autre dispositif maintenant le plafonnement mais réservant l’appréciation par le juge des situations d’exceptionnelle gravité, en prenant en considération, par exemple, l’âge ou la grossesse.

Sur le licenciement pour motif économique, il ne faut pas toucher au texte actuel par lequel le Gouvernement propose une simplification et une déjudiciarisation bienvenues. Il faut sortir de l’incertitude juridique découlant de la requalification judiciaire.

Le dialogue social dans les outre-mer

Le dialogue social est plus compliqué dans les outre-mer qu’en métropole, en raison de la pression d’organisations syndicales qui jouent un rôle qui n’est pas exclusif de la seule défense des intérêts des salariés. La violence est récurrente, avec le blocage des entreprises, des hôtels, des ports, l’établissement de barricades, etc. On constate que les vieux relents ou clichés d’une organisation du système économique issue de la puissance colonisatrice et donc par nature "profiteuse" ne sont jamais loin comme on l'a vu lors des évènements sociaux de 2009 aux Antilles dont nous nous remettons à peine.

Cependant, le patronat ultramarin a beaucoup changé. Le schéma de partage informel qui jadis attribuait le pouvoir politique aux Noirs et le pouvoir économique aux Blancs, est dépassé depuis longtemps. Aujourd’hui, de jeunes entrepreneurs ont investi dans de nouveaux secteurs. Ce patronat est plus jeune, plus ouvert au dialogue social mais attend de la "réciprocité".

Le risque réel de carence concrète des entreprises dans le dialogue social incite à privilégier les accords de branche, plutôt que les accords d’entreprises. Nous sommes favorables au statu quo pour la négociation collective au niveau territorial, sous réserve d’une dérogation permettant la conclusion directe d’accords.

Il existe des instances de médiation et de concrétisation permettant d’essayer de trouver des solutions d’apaisement, mais le dialogue social est, naturellement, très perfectible.

La représentativité des organisations

Comment faire pour avoir une meilleure représentation ? Le passage par des organisations syndicales est obligatoire. Or le paysage syndical évolue, mais pas quantitativement : il y a éparpillement. Aujourd’hui la CGT n’est plus, et de loin, majoritaire dans le pays. Les organisations syndicales devraient faire leur aggiornamento. Pourquoi sont-elles si peu attractives ? Leur taux de couverture est sans commune mesure avec celui des organisations patronales (celui de la FEDOM est de 95 %).

La politique des contrats aidés

La politique des contrats aidés est un cataplasme, qui va permettre à des gens d’avoir une activité pendant un certain temps. Par la suite, le taux de maintien sur le marché du travail est très faible. Nous pensons qu’il devrait y avoir un mixage favorisant un peu plus le secteur marchand. L’ouverture de l’apprentissage au SMA donnerait un coup d’accélérateur. Il conviendrait de transformer les contrats aidés en primes d’accès à l’activité.

Nous ne sommes pas choqués par l’obligation d’une contrepartie de l’entreprise qui souscrit un contrat aidé. Ce qui nous gêne, c’est l’obligation de conclure un contrat à durée indéterminée. En revanche, nous pourrions accepter, sous certaines conditions, l’obligation de rembourser une partie des aides en cas de non-embauche.

Audition de M. Jean-Paul Tourvieille de Labrouhe, directeur général de l’Association des chambres de commerce et d’industrie des outre-mer – 30 mars 2016

Le cœur de la mission des chambres de commerce et d’industrie, dans les outre-mer, est la formation des hommes. L’importance prise dans leurs activités, au fil des ans, par la gestion des équipements – parenthèse historique, en réalité – a pu le faire perdre de vue de la part de nos partenaires extérieures. Aujourd’hui, la parenthèse est fermée, et les CCI sont, ainsi, passées des années-béton aux années-matière grise.

Appréciation générale sur le projet de loi

L’Association approuve le choix du Gouvernement de faire des réformes structurelles, quitte à n’en recueillir les fruits qu’au bout de cinq ans. Il faut mettre de la flexibilité dans un monde qui a beaucoup bougé. Aussi bien les CCI de l’outre-mer regrettent-elles certains abandons de dispositions initiales du projet de loi, d’autant plus qu’ils affectent par priorité les TPE/PME qui représentent 98 % du tissu économique dans les outre-mer.

Elle approuve plus précisément, dans le projet de loi, les dispositions de l’article 7 qui prévoient la constitution d’une base de données nationale sur la négociation collective. Ces dispositions impliquent la réalisation d’études d’impact sectorielles sérieuses, dont il est nécessaire de se donner les moyens.

L’objectif de la loi, qui est de donner une plus forte à l’accord collectif, est louable en soi. Mais, en outre-mer, où encore une fois 98 % des entreprises sont des TPE/PME, le nouveau dispositif proposé marchera pour un très petit nombre d’entreprises. Les CCI des outre-mer craignent qu’il n’aboutisse à des distorsions de concurrence, les TPE/PME ne pouvant pas négocier ni obtenir des accords.

Sur une éventuelle remise en cause de la loi Perben

Les CCI des outre-mer souhaitent le statu quo, mais à condition que les parties aux accords collectifs aient les informations nécessaires. Le patronat est prêt à dialoguer, à condition que les syndicats soient prêts au dialogue. Or, aujourd’hui, le comportement des centrales syndicales est daté. L’application automatique des conventions collectives nationales ne fera pas renaître le dialogue social.

Sur les dispositions du projet de loi relatives à la formation professionnelle

L’Association est favorable au guichet d’information des entreprises prévu par l’article 28 du projet de loi, qui sera utile aux patrons des PME.

Sur l’apprentissage, elle est favorable à l’élargissement du contrat de professionnalisation aux compétences professionnelles identifiées. Elle émet, en revanche, des réserves sur la réduction à un an de la durée de valorisation des acquis.

Les CCI ont la conviction de l’alternance. Elles se réjouissent donc de la reconnaissance du monde de l’apprentissage, qui est le meilleur processus pédagogique, en outre-mer, pour donner une bonne formation aux jeunes et les conserver dans les territoires. Elles déplorent, en revanche, la suppression de l’exception consentie aux outre-mer pour la collecte de la taxe d’apprentissage, qui s’est traduite par une réduction des moyens à leur disposition.

Lorsqu’on évoque les difficultés à trouver des stages, il faut se rappeler que les responsables des TPE/PME ont un comportement de cueillette, en ce sens qu’il convient de leur apporter l’information sur les intérêts relatifs à l’embauche d’un apprenti (apport d’un jeune dans l’entreprise, coûts réduits, avantages sur charges sociales , responsabilisation du maitre d’apprentissage, renouvellent des compétences et pérennisation du savoir-faire de l’entreprise etc…) et de les aider à identifier le jeune. Par suite la prospection est la meilleure réponse, ce qui génère beaucoup de travail mais porte des fruits quand elle est bien organisée.

Audition du général Luc du Perron de Revel, commandant le Service militaire adapté. – 30 mars 2016

Le service militaire adapté (SMA) est un dispositif militaire d’insertion professionnelle pour les jeunes des outre-mer déscolarisés, sans emploi, sans formation. Trois missions lui ont été confiées.

La principale, et de loin, affirmée au cours de l’histoire, se décline en trois objectifs : recruter, former, insérer.

La deuxième, liée au statut militaire des unités du SMA, est la participation aux plans de secours pour les populations en cas de phénomènes climatiques majeurs tels que les cyclones ou les inondations.

La troisième, aujourd’hui résiduelle mais très importante à la création du service en 1961, est la participation au développement des infrastructures. Elle se fait désormais de manière ponctuelle, sur de petits chantiers d’insertion professionnelle.

Une progression constante des effectifs

Trois périodes peuvent être distinguées dans l’histoire du SMA :

- à partir de sa création et jusqu’en 1980, l’implantation aux Antilles et en Guyane et, en 1965, à La Réunion.

- de 1980 à 1995, l’extension à Mayotte (1988), en Nouvelle Calédonie (1986) et en Polynésie française (1989).

- depuis 1995, l’installation à Périgueux d’un détachement destiné à accueillir les volontaires SMA qui poursuivent une formation en métropole, avec l’aide de LADOM.

Le SMA a été maintenu, sur la base du volontariat, en dépit de la disparition du service militaire en 1997.

En 2009, le SMA comptait quelque 3 000 volontaires répartis entre ses sept régiments, un par territoire. Après les émeutes de la vie chère de cette année, l’une des mesures prises en réponse a été l’extension du SMA pour faire face aux difficultés des jeunes. L’objectif de 6 000 volontaires lui a été fixé, après quelques aléas budgétaires, à l’horizon 2017. Il sera atteint. En 2016, le SMA accueillera 5 850 jeunes.

La nature des formations dispensées par le SMA

Les volontaires du SMA se répartissent en deux catégories :

- les volontaires stagiaires, à qui on donne une formation professionnelle. Le cœur de cette catégorie est ceux qui n’ont aucune formation, et à qui on propose une formation de dix mois ; pour les autres, qui ont déjà reçu une formation mais qui sont éloignés de l’emploi, la formation est de six mois ;

Les volontaires stagiaires longs suivent une formation professionnelle complète. Les volontaires stagiaires courts reçoivent des compléments de formation (reprises de stages ; stages en entreprise ; réorientation ou approfondissement de la formation reçue)

- les volontaires techniciens, disposant d’une formation, à qui le SMA donne un premier emploi afin de leur permettre une meilleure insertion professionnelle.

L’ingénierie de formation du SMA

- une formation militaire. Le caractère militaire de la formation dispensée par le SMA est un des aspects expliquant sa réussite, car il donne aux jeunes un cadre et des codes. Il leur apprend à reconnaître ce qu’il est nécessaire de respecter dans la vie d’une collectivité de travail. Le premier mois du SMA est entièrement consacré à donner aux jeunes une formation militaire initiale.

- une formation globale, technique et professionnelle, d’une part, civique et morale (dans ce qu’elle a de plus commun), d’autre part.

- une formation tournée vers l’employabilité. Son objectif est l’insertion professionnelle. Les filières sont retenues en accord avec les autorités préfectorales (autorités fonctionnelles du SMA) et les milieux économiques, en fonction des besoins et des possibilités économiques du territoire. Dans ce cadre, le SMA ne peut pas être un précurseur, mais un suiveur par rapport aux filières économiques L’impératif est donc d’insérer les jeunes volontaires dans un emploi disponible. Les cadres militaires du SMA recherchent avec obstination stages, emplois et formations disponibles dans le territoire où ils sont présents.

Le parcours-type de formation

Le parcours de formation commence systématiquement par un mois de formation militaire. Il comprend également une formation citoyenne, une préparation au passage du permis de conduire, l’acquisition des gestes de premier secours, et la préparation au certificat de formation générale par une remise à niveau scolaire (il faut rappeler que par contrat le SMA est tenu d’accueillir 30 % d’illettrés, et qu’en réalité 40 % des jeunes accueillis sont des illettrés au sens de la définition de l’agence nationale de lutte contre l’illettrisme). Enfin, le jeune reçoit une formation professionnelle dans une filière.

À la fin de 2015, le SMA accueillait 5 764 jeunes, dont 4 606 volontaires stagiaires en séjour court ou long et 1 158 volontaires techniciens. Les volontaires techniciens, dont le séjour peut durer de un à cinq ans maximum et est en moyenne de trois ans, ont suivi un parcours de CAP, de BEP, parfois de niveau universitaire.

En 2015, le taux d’insertion des volontaires stagiaires a été de 76,23 %, dont 49,2 % en insertion durable (contrat à durée indéterminée ou contrat à durée déterminée de plus de six mois), 26 % en insertion de transition (contrat à durée déterminée de moins de six mois) et 24 % en poursuite de formation.

26 % des stagiaires sont des jeunes filles ou des jeunes femmes.

Le SMA a connu des problèmes de recrutement. D’abord, sa montée en puissance accroît, selon une pente naturelle, la pression de la demande, car il représente aujourd’hui, selon les territoires, de 10 à 13 % d’une classe d’âge. Ensuite, la concurrence entre les formations est un fait connu : les jeunes, pendant un certain temps, peuvent être tentés de passer d’un dispositif de formation à l’autre, notamment en prenant en considération, par exemple, l’écart entre la rémunération mensuelle du SMA (340 euros) et celle de la garantie jeunes (461 euros).

En réponse aux questions de votre rapporteure, le général du Perron de Revel a notamment fourni les précisions suivantes :

- les jeunes accueillis par le SMA sont, au départ, éloignés de l’emploi. La plupart du temps, les emplois auxquels il conduit sont des emplois en entreprise, faisant suite à des stages en entreprises, et ce parce que le SMA a des liens suivis avec les entreprises. Il forme en priorité à des emplois marchands (95% des insertions) mais les volontaires peuvent prétendre aux emplois aidés.

- le SMA n’a pas la capacité d’augmenter le nombre des jeunes pouvant bénéficier de ses formations, dans l’état actuel de ses infrastructures et de son encadrement. Il compte 1 105 cadres : le taux de 16 % d’encadrement est un taux faible, qui crée un vrai facteur de risque. En effet, les jeunes accueillis forment une population qui peut être difficile au quotidien : le risque de débordement est constant, les fautes de comportement sont régulières. Les objectifs fixés par les autorités publiques au SMA sont aujourd’hui atteints, mais il n’est pas sûr que, compte tenu du taux d’encadrement, ils puissent toujours l’être sur la durée.

- à propos de la répartition des jeunes entre les diverses filières de formation, il faut rappeler que le SMA travaille, comme les responsables de la mise en œuvre de la garantie jeunes, avec les missions locales. Si celles-ci peuvent identifier les jeunes pour lesquels une formation au SMA est opportune, elles le font de manière inégale. Compte tenu de la masse des demandeurs, et de l’approche du caractère militaire de la formation, le SMA n’est pas nécessairement prioritaire. Il faut d’ailleurs reconnaître que la nature militaire du SMA donne du poids à la sélection sur critères physiques.

- le SMA est tenu de recruter au moins 60% de non-diplômés. Il tient cet objectif, même si certains jeunes, titulaires de « diplômes de papier », sont en réalité aussi éloignés de l’emploi que des illettrés.

- s’il est vrai que le passage obligatoire par une formation de type militaire peut être très utile pour des jeunes en complet décrochage, il paraît difficile de limiter cette formation à une certaine catégorie de population. Pour autant on sent bien, dans la nation, l’impression qu’il manque quelque chose pour apprendre à tous repères et critères de la vie collective. La décision sur ce point appartient évidemment aux autorités politiques.

Audition de Mme Valérie Sort, déléguée veille stratégique et relations institutionnelles à l’AGEFOS-PME – 30 mars 2016

La modification récente du cadre d’intervention des OPCA et ses incidences dans les outre-mer

Les OPCA (organismes paritaires collecteurs agréés) sont des associations de la loi de 1901 agréées à la fois pour collecter les contributions obligatoires à la formation professionnelle et les reverser au profit du financement de la formation des salariés et de la formation en alternance. L’AGEFOS-PME regroupe sur la France entière 15 000 entreprises employant 51 000 salariés. Elle a le souci du service de proximité aux entreprises, notamment dans les outre-mer, avec 500 conseillers en formation répartis dans ses implantations locales44. Sur les 20 OPCA existants, seul un tiers assure de tels services de proximité.

En vertu d’une dérogation connue communément sous le nom d’« amendement de Peretti », il n’existait jusqu’à une date récente que deux OPCA actifs dans les outre-mer, l’AGEFOS-PME et OPCALIA. Mais le décret du 14 novembre 2014, qui a refondu le système de formation professionnelle, a abrogé cette règle. Aujourd’hui, toute branche professionnelle peut prétendre à installer une délégation territoriale outre-mer et, ainsi, collecter les contributions. Sans doute la règlementation contient-elle des limitations, telles qu’un montant minimum de collecte ; mais le souci de permettre la perpétuation des petits OPCA existants a conduit à fixer un minimum très faible, ce qui réduit considérablement la portée de la garantie recherchée.

L’AGEFOS-PME a appelé l’attention du ministère des outre-mer sur le risque que faisait peser la règle nouvelle : il ne faudrait pas que l’installation de nouveaux OPCA dans les outre-mer se traduise simplement du côté de la collecte de la contribution, sans la contrepartie indispensable de la mise en place d’un service de proximité. À ce jour, un seul OPCA, l’OPCALIM, actif dans le secteur alimentaire, s’est nouvellement implanté outre-mer.

Restant vigilante sur la question, l’AGEFOS-PME souhaite que toute nouvelle implantation se fasse dans le cadre d’une large concertation et que la décision d’agrément rendue sur une telle demande n’intervienne qu’après audition de l’organisme demandeur par le Comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (CREFOP) et par le Conseil paritaire interprofessionnel régional pour l'emploi et la formation (COPAREF), dont les avis éclaireront utilement la décision finale. Elle n’est pas hostile au processus de multiplication des acteurs qui sera la conséquence du décret de 2014, mais sous conditions.

Les publics prioritaires

L’actualité récente a mis en lumière les difficultés rencontrées, à La Réunion, dans la mise en place des contrats uniques d’insertion (CUI). Il faut rappeler que les bénéficiaires des CUI sont, juridiquement des salariés des entreprises privées. Le concours de l’État à leur financement est subordonné à l’acquisition par les salariés d’une formation.

L’AGEFOS-PME intervient dans la gestion des CUI parce que les bénéficiaires de ces contrats sont essentiellement des salariés de très petites entreprises. Ils sont accompagnés pour une période de professionnalisation, avec un objectif de 1 200 heures de formation officiellement reconnue leur permettant d’accéder à une qualification reconnue à la fois par le territoire et par le secteur.

Malheureusement, depuis 2014, le Fonds Paritaire de Sécurisation des Parcours Professionnels (FPSPP), ne finance plus les contrats de professionnalisation. Rien n’a été fait pour dégager un financement alternatif, ce qui a engendré localement une crise et des manifestations. Finalement, la solution trouvée a consisté à assurer sur des fonds paritaires le soutien d’une politique publique d’aide aux demandeurs d’emploi : l’AGEFOS-PME a assuré, à hauteur de 11 millions d’euros, la sécurisation provisoire du dispositif, et elle n’a pu le faire que parce qu’elle recevait parallèlement un financement pour la formation des personnels dans les TPE/PME.

Depuis, l’AGEFOS-PME n’a eu aucun contact en vue de trouver une solution pérenne par une mesure spécifique. Le conseil régional est resté extrêmement discret. Or l’AGEFOS ne peut poursuivre seule le soutien aux CUI. Ce faisant, elle porterait préjudice à d’autres salariés qui méritent aussi l’accès à son aide, au risque de créer une inégalité de traitement.

Les salariés ainsi aidés bénéficient de la part professionnalisation de la collecte, qui représente 6 millions d’euros. L’AGEFOS-PME a alloué, en outre, 20 millions d’euros au financement de trois actions :

- Les contrats de professionnalisation ;

- Les contrats de sécurisation professionnelle ouverts aux personnes licenciées pour motif économique ;

- 1 000 personnes en préparation opérationnelle à l’emploi, en coopération avec Pôle Emploi pour anticiper sur les besoins des secteurs.

L’AGEFOS-PME se situe en soutien à la formation des salariés et en relais des pouvoirs publics locaux. Cela veut dire qu’elle est physiquement présente dans les territoires et qu’elle met en place des réseaux d’acteurs. Elle collecte et met systématiquement en ligne toutes les informations qui lui parviennent à l’occasion de ses différents contacts avec les chefs d’entreprise pour vérifier auprès des entreprises adhérentes que les formations envisagées sont bien demandées par leurs dirigeants. Les contacts réguliers suscitent en effet réflexes, projets et demandes, et de plus les patrons de TPE font face à des besoins permanents et ne vont pas attendre : si on ne leur répond pas rapidement, le projet disparaît.

La qualité des formations dispensées par les organismes de formation professionnelle

La règlementation en vigueur impose aux financeurs publics de n’intervenir auprès d’organismes de formation que lorsqu’ils ont vérifié que les critères de qualité de la formation sont respectés.

Deux cas peuvent se présenter :

1. L’AGEFOS ne procède à aucune vérification, parce que l’organisme de formation a déjà été labellisé par l’AFNOR ou par l’ISO. Elle incite d’ailleurs les organismes, en dépit du travail que cela suppose, à se rapprocher de tels certificateurs pour sécuriser leur certification.

Pour les autres labels -qui ont leurs propres référentiels-, l’AGEFOS peut procéder à un contrôle interne. Rappelons que l’AGEFOS est elle-même contrôlée par la Cour des Comptes, notamment.

2. Elle achète de la formation par appel d’offres au plan local, instruit avec les partenaires sociaux et les co-financeurs. Elle peut exprimer des besoins que, potentiellement, une PME ne peut pas énoncer.

Une étude est en cours à La Réunion sur la qualité des formations, avec évaluation de l’accès à l’emploi et de l’accès à la qualification. Il est prévu de financer une formation spécifique pour vérifier la qualité du parcours d’accompagnement.

Le décret du 30 juin 2015 relatif à la qualité des actions de la formation professionnelle continue, va renforcer la qualité des actions de formation en déterminant un certain nombre de critères. Si un organisme de formation ne respecte pas ces critères, ses ressources financières se tariront et l’organisme devra fermer.

La tarification des actions de formation

Le coût horaire de formation retenu par l’AGEFOS-PME est de 12 €. C’est un taux, certes élevé, mais qui lui paraît crédible et légitime au regard des besoins des publics visés, qui sont prioritaires, et de ce qui est demandé aux organismes de formation. L’argument n’est pas entendu par les pouvoirs publics locaux, qui invoquent la raréfaction des moyens. Une difficulté analogue était apparue nationalement il y a quelques années, en raison de l’écart constaté avec la politique tarifaire de Pôle emploi. Il faut assurer impérativement la cohérence locale des politiques de formation.

L’aide fiscale à l’investissement formation dans les outre-mer

L’article 4 de la LODEOM a créé un abattement, plafonné à 12 000 €, sur les bénéfices des entreprises ultramarines au titre des versements de formation professionnelle effectués, soit sous la forme d’un plan propre de formation, soit par une contribution à l’OPCA correspondant à des besoins anticipés. Pour l’île de La Réunion, ce dispositif a produit en 2015 2,5 millions d’euros de versements, réaffectés à 90% à la formation des salariés de TPE/PME, sans capitalisation (le solde correspondant aux frais de gestion).

Ce dispositif cesse d’être appliqué en 2017. Pour en mesurer l’effet, il faut en rapprocher le produit de la collecte globale à La Réunion : 2,5 millions d’euros et 7,8 millions d’euros). L’AGEFOS de La Réunion demande un dispositif permettant le maintien de l’investissement-formation.

Le compte personnel de formation

Tel qu’il se présente aujourd’hui, ce dispositif est monstrueux. En effet, il n’existe aucune politique de ressources humaines dans les TPE et il faudra du temps pour installer les conseils prévus. Or leur enjeu de service aux salariés est crucial.

1 () Rappelons que depuis le 31 mars 2011, Mayotte est venu rejoindre la liste des départements d’outre-mer. Saint-Martin et Saint-Barthélemy qui étaient auparavant des communes de Guadeloupe, ont été qualifiées de Collectivités d’outre-mer par la loi organique du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer. La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 est venue offrir aux départements et régions d’outre-mer la possibilité de se doter d’une collectivité unique. À la suite de consultations organisées en 2010, et conformément à la volonté des populations guyanaise et martiniquaise, la loi du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique crée ces deux nouvelles collectivités et leurs institutions : l’Assemblée de Guyane et l’Assemblée de Martinique. Ces collectivités sont régies par une septième partie du code général des collectivités territoriales créée par la même loi. En décembre 2015, les Martiniquais et les Guyanais ont élu, pour la première fois, les présidents de ces deux collectivités.

2 () Cf. Michael Bernier, « Des départements d’outre-mer marqués par les difficultés sociales et les inégalités », Compas études, n° 9, octobre 2013.

3 () C’est-à-dire la loi n° 94-638 du 25 juillet 1994 tendant à favoriser l’emploi, l’insertion et les activités économiques dans les départements d’outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Mayotte, défendue au Parlement par M. Dominique Perben, alors ministre des départements et territoires d’outre-mer du gouvernement de M. Edouard Balladur.

4 () Selon les estimations de l’Insee arrêtées fin 2015, 843 529 personnes vivent à La Réunion.

5 () Cf. Annexe 1 sur le taux d’activité des réunionnais en 2014.

6 () Insee Flash Réunion, n° 32, juin 2015.

7 () Selon l’Insee, le sous-emploi « recouvre les personnes qui ont un emploi à temps partiel, qui souhaitent travailler davantage et qui sont disponibles pour le faire, qu’elles recherchent ou non un emploi (temps partiel subi). Sont également en sous-emploi les personnes ayant involontairement travaillé moins que d’habitude, en raison de chômage technique ou partiel par exemple » (Insee Flash Réunion, n° 32, juin 2015).

8 () Selon les estimations de l’Insee arrêtées fin 2015, 400 132 personnes vivent en Guadeloupe.

9 () Cf. Annexe 2 sur le taux d’activité des Guadeloupéens en 2014.

10 () DIECCTE, Le marché du travail et les politiques de l’emploi en Guadeloupe et Îles du Nord, Bilan 2014 p. 9.

11 () Note expresse n° 321 de l’IEDOM de mars 2015 : Conjoncture outre-mer au 4e trimestre 2014.

12 () Selon les estimations de l’Insee arrêtées fin 2015, 378 243 personnes vivent en Martinique.

13 () DIECCTE MARTINIQUE, DR Pôle emploi Martinique, Demandeurs d’emploi inscrits à pôle emploi en Martinique en décembre 2015.

14 () Note expresse n° 321 de l’IEDOM de mars 2015 : Conjoncture outre-mer au 4e trimestre 2014.

15 () Selon les estimations de l’Insee arrêtées fin 2015, 284 541 personnes vivent en Guyane.

16 () Ce nombre augmente de 4.7 % par rapport à novembre 2014.

17 () DIECCTE Guyane, DR Pôle emploi Guyane, Demandeurs d’emploi inscrits et offres collectées par pôle emploi en Guyane en décembre 2015.

18 () Note expresse n° 321 de l’IEDOM de mars 2015 : Conjoncture outre-mer au 4e trimestre 2014.

19 () DIECCTE Guyane, DR Pôle emploi Guyane, Demandeurs d’emploi inscrits et offres collectées par pôle emploi en Guyane en décembre 2015.

20 () Selon les estimations de l’INSEE arrêtées à la fin de 2015, 226 915 personnes vivent à Mayotte.

21 () Rapport de la Cour des comptes : « La départementalisation de Mayotte : une réforme mal préparée, des actions prioritaires à conduire ». Rappelons que le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, est venu en présenter les principales conclusions à la délégation aux outre-mer le 13 janvier 2016.

22 () Journée défense et citoyenneté 2012 : un jeune sur dix rencontre des difficultés de lecture, Ministère de l’éducation, note d’information n° 13.09, juin 2013, éléments concernant les départements d’outre-mer.

23 () Compas études n° 9 – octobre 2013, Des départements d’outre-mer marqués par les difficultés sociales et les inégalités. Le bureau d’études Compas est spécialisé dans l’analyse des besoins sociaux des territoires d’outre-mer.

24 () Compas études n° 9 – octobre 2013, Des départements d’outre-mer marqués par les difficultés sociales et les inégalités.

25 () « Communication écrite, un adulte sur cinq en situation préoccupante », Insee, Réunion, n° 2 octobre 2008.

26 () Aucune étude ne semble avoir été menée sur la question depuis celle : « Les jeunes adultes de retour au pays, Partir multiplie les chances de réussite », N° 52 – mai 2002, Antiane.

27 () F. de Lavergne et J. Nègre; Quelle formation professionnelle pour quel développement dans les DOM ?, Agence Française de développement, collection Focales, n° 12, juin 2012.

28 () F. de Lavergne et J. Nègre, op. cit., p. 21.

29 () F. de Lavergne et J. Nègre, op. cit., p. 16.

30 () F. de Lavergne et J. Nègre, op. cit. p. 19

31 () Un questionnaire a été adressé à l’ensemble des organisations syndicales actives dans les outre-mer, qu’elles soient ou non affiliées à une confédération syndicale nationale. Il comportait notamment une question sur l’évaluation que faisaient ces organisations de la qualité du dialogue social.

32 () Philippe Auvergnon et Patrick Le Moal, Conflictualité et dialogue social à la Martinique, Paris, INEFP, 2015.

33 () Avant toute réponse sur le fond, la CGT a souhaité rappeler, lors de l’audition des organisations syndicales nationales, qu’elle ne saurait engager les organisations syndicales des territoires ultramarins, qui déterminent souverainement leurs orientations et les modalités de leur action.

34 () Source : rapport de présentation au Président de la République de l’ordonnance n°2015-1578 du 3 décembre 2015.

35 () Note ministérielle adressée par le ministère des outre-mer le 12 février 2016.

36 () Annexe au projet de loi de finances pour 2016, Revue des dépenses, p. 10.

37 () http://lekotidien.fr/2015/11/04/lodeom-les-socio-professionnels-disent-stop-aux-rabotages/

38 () F. de Lavergne et J. Nègre, op.cit., p. 33.

39 () F. de Lavergne et J. Nègre, op.cit. p. 33.

40 () Rapport d’activité 2015, p. 3.

41 () J. Pélissier, A. Supiot et A. Jeammaud, Droit du travail, Paris, 2008, Précis Dalloz, p. 249 s. – cf. A. Supiot, « L’avenir d’un vieux couple : travail et sécurité sociale », Droit social, 1995. 823

42 () Le premier des objectifs assignés à l’AGEFOS-PME par l’accord constitutif du 6 janvier 2015 est de « répondre, sur l’ensemble du territoire national, de façon souple et efficace, aux besoins des entreprises adhérentes et aux aspirations et droits de leurs salariés en matière de formation tout au long de la vie professionnelle, en développant notamment dans l’OPCA la solidarité interprofessionnelle, interrégionale et interbranches. »

43  Les comptes rendus des auditions collectives sous forme de tables rondes, et des auditions personnelles qui suivent ont été établis sous forme analytique et ne constituent donc pas la reproduction littérale des propos tenus.

44  A La Réunion, 25 collaborateurs de l’AGEFOS-PME sont directement chargés de missions de conseil et de rencontre avec les entreprises.


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