N° 3673 - Rapport d'information de M. Philip Cordery déposé en application de l'article 151-1-1 du règlement, par la commission des affaires européennes portant observations sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs




No 3673

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 avril 2016

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)


portant observations sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs (n°3600),

ET PRÉSENTÉ

par M. PHILIP CORDERY,

Député

——

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; M. Christophe CARESCHE, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; M. Philip CORDERY, Mme Sandrine DOUCET, MM. Arnaud LEROY, André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Kader ARIF, Philippe BIES, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Jean-Jacques BRIDEY, Mmes Isabelle BRUNEAU, Nathalie CHABANNE, MM. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Jean-Patrick GILLE, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Rémi PAUVROS, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 7

PREMIÈRE PARTIE : LE PROJET DE LOI DANS SON CONTEXTE EUROPÉEN 9

I. UNE RÉFORME DU MARCHÉ DU TRAVAIL EN FRANCE QUI S’INSCRIT DANS UN MOUVEMENT DE RÉFORMES DU MARCHÉ DU TRAVAIL MIS EN œUVRE À L’ÉCHELLE EUROPÉENNE 9

A. LA CRISE A EU UN IMPACT FORT SUR L’EMPLOI EN EUROPE ET ENTRAINÉ DES RÉFORMES DU MARCHÉ DU TRAVAIL DANS DE NOMBREUX PAYS DE L’UNION 9

1. La crise a accéléré le besoin d’adaptation des marchés du travail partout dans l’Union européenne… 9

2. … où, malgré des similitudes, deux types de réformes se dégagent 10

B. LES DIFFERENTES REFORMES MENÉES CHEZ NOS PARTENAIRES EUROPÉENS SE SONT FONDÉES A DES DEGRÉS DIVERS SUR LA FLEXISECURITÉ 11

1. Les réformes au Danemark et en Suède : maintenir la flexisécurité malgré la crise 11

2. Les lois Hartz et la réforme du marché du travail en Allemagne : plus de souplesse et décentralisation de la négociation collective 13

3. Les réformes du marché du travail au Royaume-Uni : flexibiliser le marché du travail 14

4. Les réformes du marché du travail en Espagne : faciliter les conditions d’embauche et la flexibilité interne pour lutter contre les effets de la crise 16

5. Les réformes du marché du travail en Italie : allier souplesse pour les entreprises et meilleure sécurité pour les salariés 17

II. LE PROJET DE LOI VISANT À INSTITUER DE NOUVELLES LIBERTÉS ET DE NOUVELLES PROTECTIONS POUR LES ENTREPRISES ET LES ACTIFS : DONNER A LA FRANCE LES OUTILS DE LA FLEXISÉCURITÉ POUR RELANCER L’EMPLOI ET RÉDUIRE LE CHÔMAGE TOUT EN RESPECTANT LES FONDEMENTS DU DROIT EUROPÉEN DU TRAVAIL 21

A. UN PROJET DE LOI QUI VISE À INSTAURER LA FLEXISECURITÉ POUR SÉCURISER LES PARCOURS PROFESSIONNELS TOUT EN AIDANT LES ENTREPRISES À S’ADAPTER AUX RÉALITÉS ÉCONOMIQUES 21

1. La flexisécurité : un système gagnant-gagnant pour les entreprises et les salariés 21

2. Le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs : des actifs mieux protégés, des entreprises à même d’anticiper les mutations économiques 22

B. UN PROJET DE LOI EN COHÉRENCE AVEC LES FONDAMENTAUX DU DROIT DU TRAVAIL EUROPÉEN 22

1. L’article 1 du projet de loi en filiation directe avec la Charte sociale européenne et les principes fondamentaux du droit social européen 22

2. Un projet de loi qui respecte la directive 2003/88/CE sur l’aménagement du temps de travail 24

DEUXIÈME PARTIE : COMPTE PERSONNEL D’ACTIVITÉ (CPA), GARANTIE JEUNES ET DÉTACHEMENT DES TRAVAILLEURS AU CœUR DES PROBLEMATIQUES EUROPÉENNES 29

I. LE COMPTE PERSONNEL D’ACTIVITÉ : UN INSTRUMENT ESSENTIEL DE LA SÉCURISATION DES PARCOURS PROFESSIONNELS QUI DOIT PRENDRE EN COMPTE LA DIMENSION EUROPÉENNE 29

A. LE CPA, INSTRUMENT ESSENTIEL DE LA SÉCURISATION DES PARCOURS PROFESSIONNELS 29

1. Le CPA : une avancée essentielle de la présente législature pour sécuriser les parcours professionnels 29

2. Les dispositions sur le CPA du présent projet de loi, première étape d’une réforme appelée à se poursuivre sur plusieurs années 30

B. ADAPTER LE CPA AUX RÉALITÉS DE LA MOBILITÉ EUROPÉENNE 31

1. La mobilité des travailleurs, une réalité européenne 31

2. Prendre en compte la mobilité européenne dans les dispositions relatives au CPA 32

II. L’EXTENSION DE LA GARANTIE JEUNES EN COHÉRENCE AVEC LA POLITIQUE EUROPÉENNE EN FAVEUR DE L’EMPLOI DES JEUNES 35

1. Le projet de loi établit un « droit à l’accompagnement des jeunes vers l’autonomie et l’emploi » 35

2. La généralisation de la Garantie jeunes : un droit universel en cohérence avec la politique européenne en faveur de l’emploi des jeunes 35

III. DES AMELIORATIONS POSSIBLES AU PROJET DE LOI POUR LUTTER CONTRE LA FRAUDE AU DÉTACHEMENT DES TRAVAILLEURS 37

A. LE DÉTACHEMENT DES TRAVAILLEURS, UNE RÉALITÉ EUROPÉENNE 37

1. Le détachement des travailleurs : un phénomène encore peu important mais en augmentation constante 37

2. La fraude au détachement : un outil de dumping social 41

B. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI RELATIVES AU DÉTACHEMENT DES TRAVAILLEURS : UN RENFORCEMENT IMPORTANT DE LA LUTTE CONTRE LE DETACHEMENT ILLEGAL 41

1. La modification récente de notre législation a produit des effets positifs… 41

2. … que le projet de loi entend consolider 43

CONCLUSION 47

TRAVAUX DE LA COMMISSION 49

CONCLUSIONS ADOPTÉES 53

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS 55

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Depuis le début de la législature, notre pays a fait de la lutte contre le chômage une priorité absolue, traduite de manière concrète dans plusieurs textes votés dans notre assemblée ayant pour ambition de doter la France d’un modèle social adapté aux réalités de l’économie d’aujourd’hui, mondialisée et marquée par l’importance croissante du numérique : la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, la loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale et la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi.

Les derniers chiffres publiés par l’Insee, qui marquent un recul de 1,8 % du chômage en un an, sont encourageants.

Pourtant, tout ceci ne suffit pas. Ces chiffres ne sont que les prémices d’une baisse qui s’amorce. Le nombre de chômeurs – 2,86 millions – demeure très élevé. Si toutes les catégories ont bénéficié de cette baisse, celle-ci a été moins forte chez les jeunes et chez les seniors, soit respectivement 0.3 % et 0.1 %. En outre, malgré les 46 000 créations nettes d’emplois en 2015, et même si le bilan est plus positif que les années précédentes, nous sommes loin des 150 000 emplois qu’il faudrait créer pour absorber le différentiel entre les départs à la retraite – 700 000 – et les nouvelles entrées sur le marché du travail – 850 000. Avec près de 3 millions de chômeurs, un chômage très important des jeunes (24 % au dernier trimestre 2015) et de longue durée (42,7 % de chômeurs l’étaient depuis plus de un an), la France doit être lucide sur la nécessité de réformer son marché du travail pour consolider la baisse du chômage qui vient de s’amorcer et lui permettre de rejoindre la liste des pays qui voient leur courbe du chômage s’inverser.

Le présent projet de loi parachève ainsi le travail engagé depuis le début de la législature, visant à bâtir un marché du travail à la fois plus protecteur des personnes et plus inclusif. L’ambition, globale, est de doter les salariés de nouvelles protections, attachées à leur personne et non à leur emploi afin de les accompagner tout au long de leur parcours professionnel, notamment grâce au compte personnel de formation (CPF), aux droits rechargeables à l’assurance chômage, à la généralisation de la complémentaire santé et à la portabilité de la prévoyance.

Saluons le travail de la ministre qui, ayant fait preuve de capacités de dialogue avec la société civile, les organisations professionnelles et les parlementaires, porte à présent ce projet de loi avec courage et détermination, afin de rénover le droit du travail et ainsi d’améliorer le fonctionnement du marché du travail. Ce texte, nécessaire, va dans le bon sens : l’amélioration du fonctionnement du marché du travail par la création des conditions d’une flexisécurité à la française, permettant d’allier plus de souplesse pour les entreprises et une plus grande sécurité pour les salariés ainsi qu’un dialogue social rénové, au plus près du lieu de travail. Cette flexisécurité est au cœur des réformes qui ont été menées par nombre de nos partenaires européens, Danemark, Suède, mais aussi d’une certaine manière, Allemagne, et Italie, alors que d’autres, comme le Royaume-Uni ou l’Espagne, ont mis l’accent uniquement sur la libéralisation et la flexibilisation du marché. Soulignons en effet que la flexisécurité n’est pas la dérégulation, mais bien la mise en place d’un équilibre entre le besoin de souplesse des entreprises et la nécessaire protection des actifs. Le présent projet de loi s’inscrit pleinement dans ce double objectif.

L’expérience de nos partenaires européens, riche en enseignements, doit en effet nous permettre d’enrichir nos débats. Au-delà, la prise en compte des réalités européennes doit, de son côté, être transcrite de manière concrète dans le texte de loi. D’une part, la création d’un compte personnel d’activité – CPA – avancée considérable – sans doute le point le plus important de ce texte – que nous approuvons, doit tenir compte de la réalité de la mobilité européenne sous toutes ses formes. Il faudra notamment s’assurer que les droits acquis dans le cadre du CPA pourront perdurer et être utilisés en cas de périodes d’activité à l’étranger. D’autre part, dans une Europe ouverte à la mobilité des travailleurs, le respect des dispositions législatives européennes, dans leur lettre mais aussi dans leur esprit, est absolument primordial pour lutter contre toutes les formes de concurrence déloyale entre les travailleurs. Ainsi, nous ne pouvons que nous féliciter du renforcement des dispositions législatives nationales visant à lutter contre la fraude au détachement des travailleurs, telles que traitées par les articles 45 à 50 du projet de loi. Enfin, l’extension de la Garantie jeunes prévue par le texte répond aux inquiétudes de la jeunesse et au souci de créer des conditions favorables à son insertion professionnelle. Ces dispositions s’inscrivent pleinement dans la politique européenne en faveur de l’emploi des jeunes, impulsée par le président de la République et avec laquelle elles entrent en synergie.

PREMIÈRE PARTIE : LE PROJET DE LOI
DANS SON CONTEXTE EUROPÉEN

I. UNE RÉFORME DU MARCHÉ DU TRAVAIL EN FRANCE QUI S’INSCRIT DANS UN MOUVEMENT DE RÉFORMES DU MARCHÉ DU TRAVAIL MIS EN œUVRE À L’ÉCHELLE EUROPÉENNE

A. LA CRISE A EU UN IMPACT FORT SUR L’EMPLOI EN EUROPE ET ENTRAINÉ DES RÉFORMES DU MARCHÉ DU TRAVAIL DANS DE NOMBREUX PAYS DE L’UNION

1. La crise a accéléré le besoin d’adaptation des marchés du travail partout dans l’Union européenne…

Du fait de bouleversements économiques, sociaux et financiers liés notamment au ralentissement de la croissance, à la financiarisation et à la tertiarisation de l’économie, les marchés du travail des pays européens ont été confrontés depuis le milieu des années 1970 à la montée du chômage de masse. Des réformes ont été entreprises dès les années 1990, au Danemark notamment où a été inventée la flexisécurité (2).

La crise déclenchée en 2008 a, dans ce contexte, accéléré le besoin de réforme des marchés du travail qui s’est fait sentir partout en Europe, bien qu’à des degrés divers. Même le Danemark et la Suède, pays berceaux de la flexisécurité, ont mené à bien des réformes afin d’adapter leur législation à ces réalités.

Partout, la crise a augmenté le chômage des jeunes et de longue durée, nécessitant la mobilisation des pouvoirs publics. Souvent prises sous la pression extérieure, les réformes se sont inscrites dans des processus plus larges, dépassant le seul domaine du marché du travail stricto sensu. Elles ont suivi plusieurs grandes tendances :

- une tendance générale à l’assouplissement du droit concernant les contrats de travail, marquée pour les emplois permanents, moins nette pour les emplois temporaires ou atypiques (Italie, Espagne, Portugal, Royaume-Uni) ;

- une décentralisation de la négociation collective et un assouplissement des mécanismes de flexibilité interne (Portugal, Espagne) ;

- une recherche de modération salariale et de baisse du coût du travail, la mise en place ou une refonte récentes du salaire minimum national dans certains pays (Portugal, Suède, Espagne, Royaume-Uni et récemment Allemagne).

Les monographies suivantes sont issues des analyses du Conseil d’orientation pour l’emploi, qui a publié en novembre dernier un rapport sur les réformes du marché du travail en Europe (3). Il faut noter que l’Allemagne avait entrepris sa réforme avant la crise de 2008 mais que celle-ci répondait à la même problématique.

Les pays (Allemagne, Royaume-Uni, Autriche, Danemark et Suède) qui avaient corrigé les déséquilibres structurels sur le marché du travail et activé leurs politiques de l’emploi avant la crise ont été moins touchés par le chômage et se sont rétablis plus facilement. Les autres (Irlande, Espagne, Italie, Portugal), malgré des réformes plus poussées mais plus tardives, ont connu une dégradation plus forte et plus durable de la situation de l’emploi.

2. … où, malgré des similitudes, deux types de réformes se dégagent

Au-delà des spécificités nationales, des orientations communes aux réformes engagées par nos partenaires européens ont pu être observées, concernant notamment :

- la dynamisation des politiques actives du marché du travail avec une recherche d’efficacité des services publics de l’emploi et des régimes d’assurance chômage devenus plus incitatifs au retour à l’emploi ;

- la décentralisation de la négociation collective ;

- l’assouplissement du droit concernant les contrats de travail ;

- la modération salariale et baisse du coût du travail.

Pour autant, au-delà de ces orientations communes, deux groupes se distinguent :

- le groupe des pays qui ont privilégié la flexibilité des entreprises comme axe de réforme (Grande-Bretagne, Espagne) ;

- le groupe des pays qui ont mis en place des politiques de flexisécurité (Danemark, Suède, Italie, et, dans une moindre mesure, Allemagne), à savoir des réformes plus équilibrées entre souplesse pour les entreprises et politiques d’accompagnement des salariés.

B. LES DIFFERENTES REFORMES MENÉES CHEZ NOS PARTENAIRES EUROPÉENS SE SONT FONDÉES A DES DEGRÉS DIVERS SUR LA FLEXISECURITÉ

1. Les réformes au Danemark et en Suède : maintenir la flexisécurité malgré la crise

Pionnier dans la mise en place de la flexisécurité, le Danemark a réformé dans les années récentes les règles régissant son marché du travail.

Les réformes ont été conduites selon plusieurs axes, visant non seulement à modifier les règles relatives au droit du travail, mais aussi aux assurances chômage et aux minima sociaux. Les modalités des négociations collectives ont été modifiées dès les années 1990 : les grandes négociations ont laissé la place aux négociations sectorielles, tandis que les accords collectifs sectoriels ne s’occupent plus de la fixation des salaires, réservée au niveau local.

Depuis 2010, les ouvriers qui ont une ancienneté supérieure à trois ans peuvent toucher une indemnité en cas de licenciement, ce qui est une innovation. Les conditions de l’assurance chômage ont par ailleurs été restreintes : la durée de l’indemnisation est passée de quatre à deux ans, et la durée de cotisation préalable de 26 à 52 semaines.

En 2012, des mesures temporaires ont été prises, visant à faciliter la transition vers le nouveau système plus strict. Ces mesures, ayant pour objectif le retour à l’emploi des personnes éloignées du marché du travail, ont contribué au sentiment partagé par les syndicats d’une érosion du filet de sécurité traditionnel danois.

Des mesures spécifiques ont été adoptées afin d’inclure les publics les plus vulnérables : âge d’entrée en pré-retraite retardé, introduction des « flexi-jobs » (emplois subventionnés pour les personnes ayant une capacité de travail réduite), mesures prises pour raccourcir la durée des études des jeunes afin qu’ils rentrent plus tôt sur le marché du travail. Par ailleurs, tous les ressortissants étrangers ayant reçu des allocations pendant au moins six mois sont désormais obligés d’accepter un travail.

Un autre axe a été le renforcement des politiques actives : des efforts importants ont été menés depuis 2013 pour revaloriser la formation professionnelle et l’apprentissage, et, en 2014, le pays affichait le plus fort taux de participation à la formation des adultes. La dernière réforme, en 2015, vise à améliorer le suivi et le niveau de formation des chômeurs. Le service public de l’emploi a connu des ajustements ; depuis la refonte majeure de 2008 et 2009, les municipalités prennent en charge une partie des transferts de revenus, cela dans le but de les inciter à accroître leurs efforts concernant l’employabilité des chômeurs.

Le pays a en outre mis en place une politique, très controversée, de modération salariale, et les négociations de 2010 et 2012 ont débouché sur une très faible augmentation salariale, impliquant souvent une baisse réelle des salaires.

Dans l’ensemble, le marché du travail danois a bien résisté à la crise. Les politiques actives ont été maintenues et renforcées, limitant ainsi l’augmentation du chômage de longue durée et la formation d’un chômage structurel. Le système est moins généreux mais n’a pas changé de nature.

La réduction de la durée d’indemnisation du chômage et le durcissement des conditions d’accès à l’assurance chômage ont été interprétés comme un écart par rapport à la tradition de sécurité danoise, mais l’introduction d’indemnités de licenciement dans les conventions collectives en 2010 peut, à l’inverse, être vue comme une contrepartie. Le rôle des syndicats s’est toutefois affaibli dans la gestion de la politique de l’emploi.

De son côté, la Suède avait elle aussi réformé dès les années 2000 sa réglementation du travail et développé une logique d’incitation à la reprise d’emploi, assortie d’une diminution conséquente des dépenses sociales. Le pays a, suite à la crise de 2008, concentré ses efforts sur l’ajustement de certains paramètres d’un marché du travail déjà globalement performant. La Suède a été moins affectée que d’autres pays par la crise, mais a néanmoins mis en place un certain nombre de mesures visant à soutenir les publics les plus en difficulté.

Les réformes mises en œuvre ont, comme au Danemark, été de nature à la fois conjoncturelle et structurelle. De manière conjoncturelle, le Gouvernement suédois a mis en place des allégements fiscaux et sociaux pour les entreprises, et les partenaires sociaux ont signé des accords de crise permettant de maintenir l’emploi en échange d’une réduction temporaire du temps de travail et des salaires.

Les mesures structurelles ont porté d’une part sur l’indemnisation du chômage : le système d’activation est devenu plus exigeant, le taux de remplacement a diminué et est devenu régressif. Par ailleurs, les chômeurs peuvent être sanctionnés s’ils ne respectent pas le calendrier de l’agence et les frais d’adhésion aux fonds d’indemnisation du chômage ont été augmentés. Des mesures d’incitation pour le retour à l’emploi ont été mises en œuvre : la garantie emploi et développement a instauré un accompagnement renforcé. Les « emplois nouveau départ » ont été introduits en 2007 pour les salariés du secteur privé au chômage depuis un an tandis que des réductions fiscales sur les revenus les plus faibles encouragent à rester en activité. Le service public de l’emploi a quant à lui été réformé.

Les modifications du droit du travail ont été peu nombreuses :

- licenciement : l’employeur a le pouvoir unilatéral de décider de l’existence d’une juste cause justifiant un licenciement économique. Avant de licencier, il n’est pas tenu d’appliquer des mesures alternatives et la loi ne fixe pas d’indemnités. Les CDI sont protégés grâce à des règles d’ancienneté, de reclassement et de réembauche. En cas de contestation, il est obligatoire de tenter de régler le litige par conciliation avant de saisir le tribunal ;

- contrats flexibles : suite à un assouplissement jugé excessif de la loi concernant les CDD, une clause a été introduite en 2010 pour que les employés puissent saisir la Cour du travail en cas d’abus dans le renouvellement des CDD. En revanche, le CDI est très protégé. En Suède, la différence CDD/CDI est une des plus importantes des pays de l’OCDE ;

- flexibilité interne : en 2011, une loi a assoupli les possibilités de recours aux heures supplémentaires.

Il convient de noter la hausse du plafond de l’assurance chômage. L’allocation journalière maximale pour les cents premiers jours et le montant plancher de l’allocation ont été légèrement augmentés.

Le renforcement des politiques actives a visé :

- les jeunes : les résultats du pays se détériorant dans le classement PISA, des mesures ont été prises telles que : la réduction des charges patronales, la possibilité de travailler temporairement tout en bénéficiant des allocations chômage ou encore des « contrats d’éducation » incitant les jeunes à reprendre leurs études ;

- les chômeurs de longue durée : des « emplois nouveau départ » ont été introduits et le dispositif a été élargi, notamment pour les seniors ;

- les immigrés bénéficient du programme Introduction Act depuis 2010 qui offre des cours de suédois et des formations professionnelles. En 2012, de nouveaux fonds ont été alloués pour ce programme ;

- promotion de la formation professionnelle : les partenaires sociaux de certains secteurs ont signé des accords pour faciliter des « contrats d’initiation professionnelle » comportant 25 % de formation professionnelle. Les employeurs ayant recours à ces contrats sont subventionnés. Le système de formation continu est très développé en Suède.

2. Les lois Hartz et la réforme du marché du travail en Allemagne : plus de souplesse et décentralisation de la négociation collective

Suite à la crise de 2008, le Gouvernement allemand a réagi rapidement, mettant en place des mesures de flexibilité de l’emploi et de chômage partiel. Dès 2009, les conditions d’accès au chômage partiel ont été assouplies et l’agence fédérale pour l’emploi a été chargée d’une partie des cotisations. Mais les réformes mises en place avant la crise de 2008 et la politique de modération salariale expliquent la bonne performance économique du pays depuis 2008.

En effet, dès 2003, l’Allemagne a engagé des réformes de grande ampleur à travers les lois Hartz, mises en place entre 2003 et 2005, et visant à inciter les chômeurs à trouver un emploi ou à créer une entreprise.

Ces réformes se sont faites au prix du développement de l’emploi atypique :

- « mini jobs », représentant 16 % des salariés en 2008 : pour lesquels le salarié n’est pas assujetti au versement de cotisation sociale et dont la rémunération est au maximum de 450 euros. Ils n’ont pas joué le rôle de tremplin vers l’emploi stable ;

- « midi jobs », 1,1 million d’emplois en 2014 : pour une rémunération comprise entre 450 et 800 euros, avec des charges patronales allégées ;

- les jobs à 1 euro, 80 000 bénéficiaires en 2014, qui permettent aux chômeurs indemnisés de travailler en franchise de toutes cotisations salariales et patronales pour un revenu complémentaire de 1 euro de l’heure.

Parallèlement aux réformes Hartz, la modification des conditions de la négociation collective a été notable, avec le développement d’un système de négociation dual au niveau de l’entreprise et l’affaiblissement du niveau de la branche dans les négociations collectives, par le développement de l’opt out et la diminution des procédures d’extension.

En outre, réformes et évolutions structurelles du marché du travail allemand ont été adoptées afin d’agir sur la situation économique du pays : réforme de la formation professionnelle permettant d’orienter la formation des salariés et des demandeurs d’emploi, mise en place de bons de formation et de bons de placement, hausse de la TVA et réduction des cotisations sociales.

La mise en place d’un salaire minimum national interprofessionnel, enfin, est la seule mesure d’importance prise après la crise de 2008. Dans un pays qui laissait traditionnellement ce sujet dans la main des partenaires sociaux, cette mise en place répond toutefois moins à la nécessité de réformer le marché du travail qu’à celle de doter le pays d’un outil pour lutter contre le dumping social et le dumping salarial.

3. Les réformes du marché du travail au Royaume-Uni : flexibiliser le marché du travail

La crise de 2008 a été particulièrement ressentie au Royaume-Uni. Dans un pays qui a connu des réformes structurelles importantes depuis 25 ans – dérégulation du marché du travail, réduction des cotisations sociales pour les employeurs et mise en place de politiques d’incitation à la reprise rapide d’un emploi –, des ajustements conjoncturels ont également été mis en place suite à la crise de 2008 :

- un plan de relance (2008) : réduction temporaire de la TVA, augmentation des allocations familiales pour les familles avec les revenus les plus faibles et les personnes âgées, déploiement d’un plan d’investissements publics de 3 milliards de livres destiné à créer ou sauvegarder 100 000 emplois en 2009 ;

- un plan de soutien à l’emploi (2009), doté de 500 millions de livres sur deux ans : instauration d’une prime à l’embauche pour les demandeurs d’emploi de plus de six mois, création de places d’apprentissage, création de places de formation pour les chômeurs de plus de six mois, augmentation des effectifs du service public de l’emploi.

Dans le même temps, la réforme du service public de l’emploi, décidée avant la crise, a été mise en œuvre en 2009, avec pour objectif d’accroître les obligations du demandeur d’emploi tout en lui offrant plus d’aides dans ses recherches, tandis qu’ont été adoptées des mesures ciblées sur les jeunes et l’innovation à caractère social.

Après l’arrivée de David Cameron en 2010, le « Work Program » a été lancé en juin 2011 afin de se concentrer sur les chômeurs qui rencontrent le plus de difficultés pour retrouver un emploi. La politique de l’emploi a également été réorientée vers les chômeurs de longue durée qui représentent 40 % du nombre de chômeurs. Les jeunes ont fait l’objet d’un traitement spécifique : le gouvernement a mis en place un plan appelé « Youth Contract », comportant une aide à l’embauche des jeunes et des apprentis pour les TPE, le financement des stages non rémunérés ainsi qu’un renforcement de l’accompagnement par le service public de l’emploi.

Par ailleurs, le gouvernement de David Cameron a décidé un assouplissement des règles en matière de droit du travail, et notamment :

- l’allongement de l’ancienneté minimale permettant de contester devant les tribunaux un licenciement abusif ;

- la réduction de moitié du délai de consultation des syndicats pour les licenciements collectifs, afin de simplifier la procédure de licenciement et d’en réduire le coût pour les employeurs ;

- la mise en place d’un nouveau statut de travailleur actionnaire destiné à céder des actions aux employés qui, en contrepartie, renoncent à soutenir une action en justice pour licenciement abusif ordinaire et à pouvoir prétendre à une indemnité de licenciement ;

- la possibilité de recours aux contrats « zéro heure », forme d’organisation du travail particulièrement flexible qui consiste à n’offrir aucune garantie au salarié en termes de nombre minimal d’heures travaillées, et permettant de disposer d’une réserve de main d’œuvre, disponible en fonction de l’activité.

Par ailleurs, le gouvernement a axé son plan de réforme sur le système de crédits d’impôts (« tax credit ») pour les travailleurs à faibles revenus et sur la création d’un nouveau salaire de subsistance nationale garantissant à chaque salarié un certain niveau de vie. Le gouvernement britannique a enfin supprimé l’âge obligatoire de départ à la retraite fixé à 65 ans.

Les réformes ont permis de parvenir à un taux de chômage parmi les plus bas observés dans les pays de l’OCDE, avec un taux d’emploi avoisinant les 75 % et un taux de chômage tombé à 5,4 % en août 2014. La situation reste néanmoins préoccupante en matière d’emploi des jeunes pour lesquels on constate un chômage demeurant élevé à 15 % et une stagnation du niveau des compétences de base. En outre, la précarité au Royaume-Uni est forte. Les inégalités se sont creusées depuis la crise de 2008. Aujourd'hui, 1 % de Britanniques possède autant que les 55 % les plus pauvres. Ces « super riches » ont doublé leur fortune depuis 2009 : ils possèdent 547 milliards de livres (763 milliards d'euros) contre 258 milliards (340 euros) il y a six ans. Selon l'UNICEF, un enfant britannique sur quatre vivrait désormais en dessous du seuil de pauvreté, tandis que nombre de Britanniques ayant recours aux banques alimentaires au moins trois fois par semaine a dépassé le million pour la première fois en 2015.

4. Les réformes du marché du travail en Espagne : faciliter les conditions d’embauche et la flexibilité interne pour lutter contre les effets de la crise

La crise de 2008 a brutalement mis fin en Espagne aux années de prospérité économique artificiellement gonflée par le boom des secteurs de la construction et de la consommation des biens et services. Frappée de plein fouet, l’Espagne a vu son chômage considérablement augmenter, notamment pour les personnes peu qualifiées, les jeunes et les plus de 50 ans.

Afin d’éviter une dégradation durable du marché du travail, les pouvoirs publics ont mis en œuvre un train de réformes visant quatre objectifs principaux :

- réduire la dualité du marché du travail ;

- favoriser le recours par les entreprises aux mécanismes de flexibilité interne comme alternative aux licenciements ;

- décentraliser la négociation collective au niveau de l’entreprise ;

- améliorer l’employabilité des personnes.

Des mesures conjoncturelles ont été mises en place afin de soutenir l’emploi et les personnes qui ont perdu leur emploi : plans de relance économique pour soutenir des secteurs spécifiques, des mesures visant à soutenir les chômeurs en fin de droit, réduction des cotisations salariales.

Par ailleurs, trois réformes structurelles visant à accroître la flexibilité des entreprises ont été mises en place de 2010 à 2012 (gouvernement Zapatero en 2010 et 2011 et gouvernement Rajoy en 2012), se traduisant notamment par :

- un assouplissement du régime de licenciement en CDI (secteur public et privé) : notion de licenciement économique élargie et précisée, simplification de la procédure de licenciement et réduction de son coût ;

- un nouveau contrat pour favoriser l’embauche en contrat permanent assorti d’une période d’essai d’un an pour les entreprises de moins de cinquante salariés (« contrat d’appui aux entrepreneurs ») ;

- la limitation du recours abusif au CDD ;

- la modification des conditions de la négociation collective : la convention d’entreprise a depuis 2012 la priorité absolue sur la convention de branche et possibilité d’opt out pour les entrepreneurs pour la convention de branche en cas de difficultés économiques, techniques ou organisationnelles ;

- une augmentation de la flexibilité interne : modification unilatérale du contrat de travail facilitée, tout comme le régime du chômage partiel ;

- la réduction de la fiscalité – abattements de cotisations – et l’encouragement à la modération salariale ;

- le renforcement du lien entre les allocations chômage et les politiques actives de l’emploi, et le renforcement de ces dernières : insertion des jeunes, formation, portail unique pour l’emploi, partenariat de placement ;

- la lutte contre le travail au noir (sanctions et actions de sensibilisation et de communication).

Les études économiques semblent montrer que ces réformes ont eu un impact positif sur la situation de l’emploi dans le pays, notamment en favorisant le recours à la flexibilité interne comme alternative aux licenciements. Plusieurs points demeurent problématiques Le taux de chômage demeure élevé, à 22,7 % en avril 2015. En outre, du fait de la réforme du marché du travail, les salariés espagnols sont de plus en plus précarisés et les inégalités ont explosé. Treize millions d’Espagnols sont au bord de l’exclusion sociale. La situation est particulièrement préoccupante pour les jeunes et les chômeurs de longue durée.

5. Les réformes du marché du travail en Italie : allier souplesse pour les entreprises et meilleure sécurité pour les salariés

De son côté, l’Italie a fait face depuis 2008 à des taux de chômage très élevés qui s’expliquent aussi par des difficultés structurelles préexistantes, et notamment la faiblesse de l’investissement et de la recherche et du développement, et la dualité du marché du travail, qui porte surtout préjudice aux jeunes et aux femmes.

Entre 2008 et 2011 ont été prises de nombreuses mesures conjoncturelles pour limiter les effets de la crise : réallocation des dépenses vers les aides sociales et le soutient à l’industrie.

À partir de 2012 ont été adoptées des mesures structurelles, dans un contexte de persistance de la crise économique et sous la pression de l’Union européenne, des marchés financiers et des entreprises.

En 2012, le gouvernement Monti a mis en place une réforme structurelle selon deux axes principaux : l’introduction de plus de flexibilité tout en facilitant le recours au CDD (tout en encadrant le travail temporaire), en parallèle d’une réforme de l’assurance chômage.

Par la suite, la réforme du Jobs Act de Matteo Renzi a été de plus grande ampleur, avec une réforme constitutionnelle, une réforme du système éducatif, et une réforme de l’administration publique. L’objectif est de dynamiser le marché du travail en alliant flexibilité et sécurité.

Ces réformes se sont structurées autour d’un certain nombre d’axes principaux, qui sont, pour le volet flexibilité :

- l’assouplissement du régime de licenciement : aménagement des procédures, logique d’indemnisation, création du CDI « à protection croissante » avec un nouveau régime de licenciement, institution d’une procédure de « conciliation rapide », réduction du coût du licenciement ;

- la flexibilisation de l’entrée dans le marché du travail afin de favoriser l’embauche ;

- la baisse de la durée du travail et de la rémunération horaire.

Un important volet « sécurisation » a également été mis en place, avec :

- la sécurisation de la sortie du contrat de travail ;

- l’encadrement et le toilettage des contrats existants et la promotion de l’embauche en CDI ;

- l’évolution vers le modèle de la « flexisécurité » en matière d’assurance chômage et de minima sociaux – augmentation de la durée de l’indemnisation et extension de l’assurance chômage ;

- des politiques actives d’emploi : réforme du service public de l’emploi, apprentissage et formation favorisées, soutien à l’embauche des personnes les plus fragiles, élargissement du marché du travail – ouverture aux femmes, aux seniors et mesures prises pour lutter contre le travail informel.

Par ailleurs, le droit de la négociation collective a été décentralisé, la fiscalité sur le travail a été réduite et l’introduction d’un salaire minimum légal est en cours de négociation entre les pouvoirs publics et les partenaires sociaux.

S’il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de ces réformes, des effets positifs semblent poindre avec l’amélioration depuis 2014 de l’état du marché du travail.

II. LE PROJET DE LOI VISANT À INSTITUER DE NOUVELLES LIBERTÉS ET DE NOUVELLES PROTECTIONS POUR LES ENTREPRISES ET LES ACTIFS : DONNER A LA FRANCE LES OUTILS DE LA FLEXISÉCURITÉ POUR RELANCER L’EMPLOI ET RÉDUIRE LE CHÔMAGE TOUT EN RESPECTANT LES FONDEMENTS DU DROIT EUROPÉEN DU TRAVAIL

Les réformes du marché du travail entreprises chez nos partenaires européens n’ont pas toutes été de même nature. Certains ont privilégié la seule flexibilité pour répondre à l’augmentation croissante du chômage, sans contrepartie pour les salariés. Si les résultats ont pu être probants en termes de baisse du nombre de demandeurs d’emploi, ils ont été accompagnés d’une forte augmentation de la précarité et des inégalités. D’autres, au contraire, se sont inspirés du modèle danois de flexisécurité pour combiner souplesse pour les entreprises et sécurité pour les travailleurs, tout en renforçant souvent le rôle des partenaires sociaux.

Le présent projet de loi va clairement dans la direction de ces derniers et entend mettre en place les conditions d’une plus grande souplesse pour les entreprises, mais aussi d’une plus grande sécurisation des parcours des actifs.

A. UN PROJET DE LOI QUI VISE À INSTAURER LA FLEXISECURITÉ POUR SÉCURISER LES PARCOURS PROFESSIONNELS TOUT EN AIDANT LES ENTREPRISES À S’ADAPTER AUX RÉALITÉS ÉCONOMIQUES

1. La flexisécurité : un système gagnant-gagnant pour les entreprises et les salariés

La notion de flexisécurité a été théorisée aux Pays-Bas par le ministre du travail Adrianus Melkert dans les années 1990 et a donné lieu à l’adoption dans ce pays d’une loi « flexibilité et sécurité » en 1999 dont l’objectif était de réduire le dualisme du marché du travail, en sécurisant les parcours professionnels tout en donnant plus de libertés aux entreprises dans la gestion de leur main-d’œuvre. Cette loi a ainsi, d’une part, facilité le recours aux contrats temporaires par les entreprises, et, d’autre part, attribué aux salariés les mêmes droits et non de droits différenciés en fonction de la nature de leur contrat de travail. La flexisécurité est donc porteuse, dès son origine, d’une volonté de sécurisation des parcours professionnels et d’autonomisation des salariés. Dans le même temps, elle vise à permettre aux entreprises de s’ajuster à leurs besoins en termes de main-d’œuvre en fluidifiant les conditions d’embauche et de licenciement.

C’est toutefois au Danemark, en 1999, sous l’impulsion du Premier ministre Poul Nyrup Rasmussen, qu’est institutionnalisée la flexisécurité qui servira de référence à de nombreuses politiques. La notion de flexisécurité danoise répond à un « triangle d’or » :

- la flexibilité des règles du marché du travail, notamment avec des règles souples de licenciement ;

- un système d’indemnisation généreux des salariés au chômage ;

- des politiques actives de l’emploi visant à éviter le chômage de longue durée et à mobiliser les chômeurs dans leurs recherches d’emploi.

La flexisécurité vise l’adaptation aux réalités du marché et non la protection des emplois existants ; elle vise à garantir l’employabilité des actifs. 

2. Le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs : des actifs mieux protégés, des entreprises à même d’anticiper les mutations économiques

Le présent projet de loi s’inscrit dans la volonté de donner à la France les outils de flexisécurité nécessaires tant à ses entreprises qu’à ses actifs.

En effet, dans une économie mondialisée et marquée par l’importance des mutations technologiques, le droit du travail doit évoluer pour permettre à notre pays de rester compétitif et lutter contre le chômage de masse.

Les actifs sont au cœur des préoccupations du projet de loi, qui vise à sécuriser leurs parcours et à leur donner les moyens de leur autonomie professionnelle. Le compte personnel d’activité (CPA) est en ce sens une avancée majeure. Son but est de donner à chaque travailleur la capacité de construire son parcours professionnel dans un monde du travail moins statique qu’auparavant.

Du côté de l’entreprise, une place sans précédent est donnée à la négociation collective, et notamment à la négociation d’entreprise. Le rôle de la loi – fondamental garant des principes essentiels du droit du travail – est recentré sur son rôle premier tandis que les négociations de branche et d’entreprise sont favorisées, afin de permettre aux entreprises de s’adapter aux évolutions économiques. L’emploi et l’investissement sont en outre soutenus dans les PME et les TPE, avec une définition précisée du motif économique du licenciement, un recours au mandatement facilité, ou encore la création d’un service d’appui aux entreprises de moins de 300 salariés pour l’application des dispositions du travail et des conventions collectives.

B. UN PROJET DE LOI EN COHÉRENCE AVEC LES FONDAMENTAUX DU DROIT DU TRAVAIL EUROPÉEN

1. L’article 1 du projet de loi en filiation directe avec la Charte sociale européenne et les principes fondamentaux du droit social européen

Le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs reprend dans son article premier un certain nombre de principes et libertés fondamentales garantis aux travailleurs dans une relation de travail équilibrée avec l’employeur.

S’inspirant du rapport dit « Badinter » (4) rendu en janvier 2016 au Premier Ministre, l’article 1 a pour vocation à servir de socle aux travaux de la Commission d’experts qui sera chargée de la refondation de la partie législative du code du travail.

Ainsi, l’article premier réaffirme-t-il les droits fondamentaux garantis aux salariés, tout en rappelant les possibles limitations qui peuvent leur être apportées. Le respect de la dignité et le secret de la vie privée quant aux données personnelles sont notamment garantis par ce texte, qui édicte en outre qu’une relation de travail équilibrée ne peut être acquise que par la confiance mutuelle entre l’employé et son employeur. De même, cet article marque la volonté de conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale de l’employé – notamment avec la disposition portant sur le droit à déconnexion de l’employé en dehors de ses heures de travail –, qui doit disposer de véritables périodes de repos. L’esprit de ces dispositions est de garantir la bonne santé du travailleur. En ce sens, le droit à un congé maternité est posé par le texte, en précisant que la grossesse et la maternité ne peuvent entraîner des mesures spécifiques autres que celles requises par l’état de santé de la future mère. L’une des obligations majeures de l’employeur est de garantir à son salarié la sécurité et la protection de sa santé au cours du temps de travail. Cette obligation est rappelée dans la liste de principes que constitue cet article premier. La protection du salarié est une condition primordiale à l’établissement d’une relation de travail et est un droit fondamental de l’individu ; une activité salariale ne peut constituer en aucune façon un danger pour la santé ou la vie du travailleur, il en va du respect de son intégrité physique.

De plus ce texte rappelle l’importance de l’égalité dans l’entreprise, interdisant de facto toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. Enfin, un rappel est effectué quant à la protection de la jeunesse. En effet, s’il est en principe interdit d’employer un mineur de moins de 16 ans, certaines dérogations sont prévues par la loi, et les conditions pour l’emploi des mineurs sont circonscrites.

Cet article, par l’énoncé des principes essentiels du droit du travail, est en conformité avec la Charte sociale européenne de 1996 du Conseil de l’Europe. En effet, cette Charte reprend en son cœur une liste exhaustive de garanties fondamentales accordées aux travailleurs mais plus largement à l’individu.

Pour rappel, la Charte sociale européenne de 1996 réunit en un instrument les droits garantis par la Charte de 1961 et son Protocole additionnel de 1988 ainsi que les nouveaux droits et amendements adoptés par les parties. La Charte garantit des droits économiques et sociaux fondamentaux à tous les individus dans leur vie quotidienne. La Charte a introduit de « nouveaux droits » en 1996 tels que : le droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale, le droit au logement, le droit à la protection en cas de licenciement, le droit à la protection contre le harcèlement sexuel et moral, les droits des travailleurs ayant des responsabilités familiales à l’égalité des chances et de traitement, et les droits des représentants des travailleurs.

La Charte aborde par ailleurs le droit à la négociation collective. La question de la négociation collective est largement envisagée par le projet de loi, l’objectif étant de favoriser la consultation des employés dans le devenir de l’entreprise. Outre le droit syndical qui est garanti par la Charte, des droits et libertés fondamentales sont également énoncés, qu’il s’agisse de la protection des enfants face à l’emploi, les droits des travailleurs à une protection de leur santé, ou le droit au respect de la vie privée et familiale.

Les dispositions fondamentales de la Charte se retrouvent ainsi au cœur du projet de loi, comme le droit à l’orientation professionnelle et à la formation qui constituent des garanties fondamentales dans la Charte Sociale européenne et se trouvent être des dispositions clés du projet de loi. Le texte est aussi en adéquation avec les dispositions du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la Charte des Droit fondamentaux et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

2. Un projet de loi qui respecte la directive 2003/88/CE sur l’aménagement du temps de travail

La directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail a pour objectif de protéger la santé des travailleurs en instaurant des règles minimales communes à tous les États membres.

Aux termes de la directive, chaque État membre doit faire en sorte que chaque travailleur ait droit à :

- un temps de travail hebdomadaire limité, qui ne peut dépasser 48 heures en moyenne, heures supplémentaires incluses ;

- une période minimale de repos quotidien, à raison de 11 heures au cours de chaque période de 24 heures ;

- un temps de pause pendant le temps de travail, si le travailleur est actif pendant plus de six heures ;

- une période de repos hebdomadaire minimale de 24 heures sans interruption pour chaque tranche de sept jours, qui s’ajoute au repos quotidien de 11 heures ;

- un congé payé annuel d’au moins quatre semaines par an ;

- une protection supplémentaire en cas de travail de nuit (le temps de travail moyen ne peut dépasser 8 heures par tranche de 24 heures ; les travailleurs de nuit ne peuvent accomplir des travaux pénibles ou dangereux pendant plus de 8 heures par tranche de 24 heures ; les travailleurs de nuit ont le droit à des examens de santé gratuits et, dans certaines situations, à un transfert au travail de jour).

La directive fixe en outre des règles spécifiques pour les travailleurs dans un nombre limité de secteurs, notamment pour ce qui concerne les médecins en formation, les travailleurs offshore, les travailleurs à bord des navires de pêche en mer et les personnes travaillant dans le transport urbain de passagers. Des directives spéciales sur le temps de travail ont été formulées pour les travailleurs de secteurs spécifiques du transport.

Les dispositions prévues par le projet de loi apparaissent conformes à la directive sur l’aménagement du temps de travail.

Le tableau suivant liste ainsi les dispositions, contenues dans l’article 2, du projet de loi concernant le temps de travail et l’organisation du travail au regard de leur compatibilité avec la directive 2003/88/CE.

Article du projet de loi

Disposition modifiée ou créée dans le code du travail

Directive 2003/88/CE

Article 2

Art. L.3121-15 : dès que le temps de travail quotidien atteint 6 heures, le salarié bénéficie d'un temps de pause d’une durée minimale de vingt minutes.

Art. 4 : dès que le travail journalier est supérieur à 6 heures, le travailleur bénéficie d’un temps de pose fixé par convention collective ou par la législation

Article 2

Art. L.3121-17 : la durée quotidienne de travail effectif par le salarié ne peut excéder 10 heures sauf dérogation

Art. L.3121-18 : une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement, ou, à défaut, un accord de branche peut prévoir le dépassement de la durée maximale quotidienne de travail, en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise, à condition que ce dépassement n'ait pas pour effet de porter cette durée à plus de douze heures.

Art. 5 : la directive prévoit une durée minimale de repos de 11 heures

Article 2

Art. L.3121-2 : la durée légale du travail effectif des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine.

Art. L.3121-27 : toute heure accomplie au-delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale, ou le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.

Art.L.3121-28 : les heures supplémentaires se décomptent par semaine.

Art. 6 : la durée hebdomadaire du travail est limitée au moyen de dispositions législatives ou par accord collectif

La durée moyenne du travail pour une période de 7 jours n’excède pas 48h

Article 2

Art. L.3121-19 : au cours d’une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de quarante-huit heures.

Art. L.3121-20 : en cas de circonstances exceptionnelles et pour la durée de celles-ci, le dépassement de la durée maximale définie à l’article L. 3121-19 peut être autorisé par l’autorité administrative dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État, dans la limite de soixante heures.

Art. L.3121-21 : la durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ne peut dépasser quarante-quatre heures, sauf dans les cas prévus aux articles L. 3121-22 à L. 3121-24.

Art. 6 : la durée hebdomadaire de travail est limitée pour une période de 7 jours à 48 heures

Article 2

Art. L.3121-26 : la durée légale effective du travail est fixée à trente-cinq heures par semaine. Toute heure accomplie au-delà de cette durée entre dans la catégorie des heures supplémentaire

Art. 6 : la durée moyenne du travail ne dépasse pas quarante-huit heures, y compris pour les heures supplémentaires

Article 2

Art. L.3122-6 : la durée quotidienne du travail accompli par un travailleur de nuit ne peut excéder huit heures, sauf dans cas prévus par la loi.

Art. L.3122-7 : la durée hebdomadaire de travail du travailleur de nuit, calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives, ne peut dépasser quarante heures, sauf dans les cas prévus à l’article L. 3122-18.

Art. L.3122-8 : le travailleur de nuit bénéficie de contreparties au titre des périodes de nuit pendant lesquelles il est employé, sous forme de repos compensateur et, le cas échéant, sous forme de compensation salariale.

Art. 8 : le travail de nuit ne dépasse pas 8 heures

Art. 13 : concernant le rythme de travail, les États membres s’assurent que le principe d’adaptation du travail à l’homme est respecté

Article 2

Art. L.3131-1 : tout salarié bénéficie d'un repos quotidien d'une durée minimale de onze heures consécutives sauf dans les cas prévus aux articles L. 3131-2 et L. 3131-3 et en cas d’urgence dans des conditions déterminées par décret.

Art. 3 : au cours de chaque période de 24 heures le travailleur bénéficie d’une période de repos minimale de 11 heures consécutives

Article 2

Art. L.3141-3 : le salarié a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail effectif chez le même employeur. La durée totale du congé exigible ne peut excéder trente jours ouvrables.

Art. 7 : congé annuel d’au moins 4 semaines

DEUXIÈME PARTIE : COMPTE PERSONNEL D’ACTIVITÉ (CPA), GARANTIE JEUNES ET DÉTACHEMENT DES TRAVAILLEURS AU CœUR DES PROBLEMATIQUES EUROPÉENNES

I. LE COMPTE PERSONNEL D’ACTIVITÉ : UN INSTRUMENT ESSENTIEL DE LA SÉCURISATION DES PARCOURS PROFESSIONNELS QUI DOIT PRENDRE EN COMPTE LA DIMENSION EUROPÉENNE

A. LE CPA, INSTRUMENT ESSENTIEL DE LA SÉCURISATION DES PARCOURS PROFESSIONNELS

1. Le CPA : une avancée essentielle de la présente législature pour sécuriser les parcours professionnels

La création du compte personnel d’activité (CPA), annoncée par le président de la République en avril 2015, a été inscrite dans la loi relative au dialogue social et à l’emploi d’août 2015. Par la suite, France Stratégie a été chargée par le Premier ministre d’étudier les différentes options envisageables pour sa mise en œuvre, ce qui a donné lieu à la publication d’un rapport en octobre 2015 (5).

Conformément à l’article 38 de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, une négociation interprofessionnelle a été engagée, à l’issue de laquelle les partenaires sociaux ont adopté une position commune le 8 février 2016, qui n’est toutefois pas encore valide, faute de signature d’une organisation représentative d’employeurs. C’est sur cette base que le présent projet de loi met en place le CPA. Il s’agit d’une première étape, cette réforme étant appelée à se poursuivre sur plusieurs années.

Selon France Active, le CPA unit trois mots-clés :

- « compte » signifie que le salarié peut capitaliser des droits acquis dans son activité ou accordés par la société ;

- « personnel » signifie que l’individu est au cœur du dispositif et non plus son statut ;

- « activité » signifie que le travail n’est pas que dans le salariat.

Comme le notait Jean Pisani-Ferry dans son avant-propos au rapport de France Stratégie consacré au CPA « pour que le CPA soit une réussite, il faut d’abord qu’il soit utile, il faut qu’il couvre large (…). La réussite du CPA passe aussi par son utilisation comme instrument de politique publique. »

Dans un contexte de mutation du travail, où la dualité est forte entre les salariés bénéficiant d’une stabilité de l’emploi et ceux qui enchaînent les emplois précaires, le CPA a pour objectif d’assurer la protection des travailleurs en permettant à chacun d’être mieux couvert, en sécurisant les parcours et en rendant aux personnes la maîtrise de ces parcours, et en compensant les inégalités par le versement de dotations supplémentaires. Il s’agit aussi de lever les freins à la mobilité.

2. Les dispositions sur le CPA du présent projet de loi, première étape d’une réforme appelée à se poursuivre sur plusieurs années

Le titre III du présent projet de loi, visant à « sécuriser les parcours et construire les base d’un nouveau modèle social à l’ère numérique », comporte dans son premier chapitre deux articles consacrés au compte personnel d’activité (CPA), l’article 21, relatif au CPA, et l’article 22, qui habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions nécessaires à l’application du CPA aux agents publics.

Le CPA a pour objectif, par l’utilisation des droits qui y sont inscrits, de renforcer l’autonomie et la liberté d’action de son titulaire et de sécuriser son parcours professionnel, en levant les freins à la mobilité. Il regroupe le compte personnel de formation (CPF), le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) et le « compte engagement citoyen », nouvellement créé.

Le CPA pose les bases d’un droit universel à la formation et contribue au droit à la qualification professionnelle mentionné à l’article L. 6314-1. Ce droit universel à la formation bénéficie en premier lieu aux personnes sans diplôme. Les jeunes sortis sans diplôme du système éducatif se verront doter d’un capital formation permettant de financer le nombre d’heures nécessaires à la réalisation d’une formation qualifiante. Pour les salariés peu qualifiés, les droits à la formation seront augmentés de 24 à 40 heures par an, et le plafond porté de 150 à 400 heures. Afin de renforcer les capacités d’action des personnes pour construire leurs parcours professionnels, outre les formations aujourd’hui éligibles au compte personnel de formation, les titulaires du CPA pourront accéder à l’accompagnement à la validation des acquis de l’expérience (VAE), à l’accompagnement à la création d’entreprise et au bilan de compétence. Le compte personnel de formation est étendu aux travailleurs indépendants. Ceux-ci bénéficieront désormais, comme les salariés, d’un droit quantifié à un nombre d’heures de formation alimenté annuellement dans la limite de 150 heures. Les formations seront prises en charge par les fonds d’assurance-formation des non-salariés.

Le CPA favorise l’engagement citoyen, avec la création d’un compte engagement citoyen, qui valorisera l’engagement en tant que réserviste, l’exercice de responsabilités associatives importantes ou le rôle de maître d’apprentissage.

Le CPA concerne tous les actifs, quel que soit leur statut (salarié du secteur privé, agent public, travailleur indépendant, personne en recherche d’emploi). Les droits qui y sont inscrits demeurent acquis quels que soient les changements d’emploi ou de statut.

L’article 22 du projet de loi habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions du CPA nécessaires à son application aux agents publics. Chaque agent public sera doté d’un CPA, portable en cas de changement d’employeur public ou privé. Par ailleurs, les garanties applicables aux agents publics concernant la formation et la protection de la santé et de la sécurité au travail seront renforcées.

Aux termes du projet de loi, le titulaire du compte personnel d’activité a droit à un accompagnement global destiné à l’aider à exercer ses droits dans la mise en œuvre de son projet professionnel. Chaque titulaire d’un compte a connaissance des droits inscrits sur celui-ci et peut les utiliser en accédant à un service en ligne gratuit. Il a également accès à une plateforme de services en ligne qui lui fournit une information sur ses droits sociaux, lui donne accès à un service de conservation de ses bulletins de paie, et lui donne accès à des services utiles à la sécurisation des parcours professionnels.

B. ADAPTER LE CPA AUX RÉALITÉS DE LA MOBILITÉ EUROPÉENNE

1. La mobilité des travailleurs, une réalité européenne

La mobilité des travailleurs en Europe est une réalité permise en premier lieu par le droit de l’Union. La liberté de circulation des travailleurs en Union européenne est inscrite notamment à l’article 45 du TFUE qui pose le principe de non-discrimination des travailleurs dans l’Union européenne et consacre la liberté de circulation des travailleurs, entendue comme le droit de se déplacer, de séjourner pour les travailleurs et le droit d’exercer une activité professionnelle dans un autre État membre, et la liberté, limitée, de demeurer dans le pays d’accueil, après emploi. Tout citoyen de l'Union a le droit de résider sur le territoire d'un autre État membre sans aucune condition ou formalité pendant les trois premiers mois. Le droit des travailleurs migrants de séjourner dans un autre État membre pendant plus de trois mois reste soumis à certaines conditions, qui dépendent du statut du citoyen : ressources suffisantes, et disposer d’une assurance maladie (directive 2004/38/CE).

Si des limites à la liberté de circulation des travailleurs existent – d’ordre culturel et linguistique, liées aux professions réglementées ou aux fonctions régaliennes, celle-ci est une réalité statistique vécue par nombre de nos concitoyens européens.

En 2013, un peu plus de 7 millions de citoyens européens travaillaient et résidaient dans un pays de l’Union européenne autre que le leur, soit 3.3 % du nombre total de travailleurs de l’Union. À ces 7 millions travaillant et résidant dans un autre État membre, s’ajoutaient cette même année 1,1 million de travailleurs frontaliers et 1,2 million de travailleurs détachés dans un autre État membre.

L’Allemagne, l’Autriche, la Belgique et les pays nordiques sont les principaux pays de destination. Sur le plan de l’âge, les personnes qui se déplacent sont en général des jeunes entre 15 et 29 ans – 41 % du total – et avec un niveau de qualification élevé – 41 % du total.

2. Prendre en compte la mobilité européenne dans les dispositions relatives au CPA

Alors que la question de la portabilité des droits est essentielle pour la mobilité des personnes en Europe, les dispositions du présent projet de loi sur le CPA sont l’occasion de construire au niveau national des conditions favorables à la mobilité européenne.

La plupart des États membres disposant aujourd’hui de dispositifs de formation continue, il serait utile de réfléchir à la portabilité des droits à la formation au niveau européen, comme c’est le cas pour les droits à l’assurance chômage, à l’assurance-maladie ou à la retraite dans le cadre du Règlement 883/2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.

Si cette question devra sans nul doute à l’avenir faire l’objet d’une réponse globale, un certain nombre de points devraient d’ores et déjà faire être aménagés dans le projet de loi afin d’anticiper sur une telle avancée et de permettre au CPA d’accompagner les citoyens dans la mobilité européenne.

La première question est celle du devenir du CPA lorsque le titulaire part s’installer dans un autre pays européen. La rédaction actuelle de l’article 21 du projet de loi prévoit que « sauf disposition contraire, les droits inscrits sur le compte personnel d’activité demeurent acquis par leur titulaire jusqu’à leur utilisation ou à la fermeture du compte ». Il semble toutefois nécessaire de mentionner explicitement que les droits du titulaire demeurent même en cas de départ à l’étranger.

Deux questions essentielles se posent concernant l’acquisition des droits du CPA :

- pour les salariés bénéficiant d’un contrat de droit français même s’ils résident dans un autre État membre de l’Union européenne, il semble nécessaire de préciser dans la loi que ces salariés (détachés, expatriés, frontaliers…) acquièrent des droits dans leur CPA ;

- en second lieu, une attention particulière doit être apportée aux apprentis qui suivent une formation dans un établissement français et leur formation pratique dans un autre État membre, souvent avec un contrat de droit étranger – ceci est notamment le cas dans les zones frontalières ou existent des accords-cadres sur l’apprentissage : Alsace/Bade-Wurtemberg/Rhénanie-Palatinat, Lorraine/Sarre, Champagne-Ardenne/Wallonie…, et concerne aussi les quelque 10 000 apprentis qui partent effectuer leur formation pratique à l’étranger, notamment dans le cadre du programme Erasmus + (anciennement Leonardo). Ce programme européen permet d’effectuer un stage en entreprise, d’une durée allant de deux à trente-neuf semaines, reconnu comme partie intégrante du cursus de formation. D’après une étude menée par l’agence Europe-Éducation-Formation France, 96 % des apprentis ayant connu une expérience à l’étranger étaient satisfaits. Il convient dès lors de faire en sorte que la mobilité ne soit pas pour eux source de perte de droits : leur permettre d’acquérir des droits dans le cadre du CPA est une nécessité pour ne pas freiner la mobilité des apprentis, objectif que défend la France dans le cadre du programme Erasmus +.

Des questions se posent également quant à l’utilisation du CPA dans le cadre de la mobilité :

- il paraît important de préciser que les droits à la formation acquis dans le cadre du CPA puissent être utilisés auprès d’un organisme de formation situé dans un autre Etat membre de l’Union européenne. Il s’agit là de respecter le droit à la libre-circulation ;

- la question ensuite de l’utilisation des droits à la formation acquis dans le cadre du CPA pour un salarié ou un demandeur d’emploi qui ne réside plus en France. Les dispositifs actuels réservent en effet l’utilisation du CPA aux salariés de droit français ou aux demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi. Or, des personnes peuvent avoir accumulé des droits en France avant de travailler à l’étranger, et doivent pouvoir en bénéficier tout en résidant dans un autre pays de l’Union européenne. Il s’agira de trouver l’organisme compétent pour gérer les droits des CPA des salariés ayant quitté le territoire français ;

- la question, enfin, de l’articulation des points acquis dans le cadre du compte personnel de pénibilité – C3P – et du règlement de coordination européen en matière de retraite. L’utilisation des droits du C3P devrait donner lieu à validation de trimestres lorsque les droits seront transférés dans un autre pays de l’Union.

Votre Rapporteur se réjouit par ailleurs de la prise en compte du volontariat international en administration (VIA) et du volontariat international en entreprise (VIE) au titre des activités bénévoles ou de volontariat permettant d’acquérir des heures inscrites sur le compte personnel de formation.

Votre Rapporteur, approuve enfin la création de la plateforme de services en ligne par le projet de loi afin de fournir au titulaire du CPA une information sur ses droits sociaux et lui donner accès à un service de conservation de ses bulletins de paie, et lui donner accès à des services utiles à la sécurisation des parcours professionnels. Celle-ci pourrait utilement diffuser aussi une information sur les droits liés à la mobilité européenne.

II. L’EXTENSION DE LA GARANTIE JEUNES EN COHÉRENCE AVEC LA POLITIQUE EUROPÉENNE EN FAVEUR DE L’EMPLOI DES JEUNES

1. Le projet de loi établit un « droit à l’accompagnement des jeunes vers l’autonomie et l’emploi »

L’article 23 du projet de loi instaure pour tous les jeunes en difficulté et confrontés à un risque d’exclusion professionnelle le droit à un parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie conclu avec l’État. Contrairement au droit existant, il ne s’agit plus de favoriser l’accès à la vie professionnelle du jeune mais bien son emploi et son autonomie. Ces dispositions spécifiques aux jeunes sont donc en cohérence avec l’esprit global de la loi qui vise à autonomiser les actifs.

Le jeune qui s’engagera dans un parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie, conclu avec l’État, élaboré avec le jeune et adapté à ses besoins identifiés lors d’un diagnostic, pourra bénéficier d’une allocation incessible et insaisissable versée par l’État et modulable en fonction de la situation de l’intéressé. Elle pourra être suspendue ou supprimée en cas de non-respect par son bénéficiaire des engagements du contrat.

2. La généralisation de la Garantie jeunes : un droit universel en cohérence avec la politique européenne en faveur de l’emploi des jeunes

La Garantie jeunes, expérimentée depuis 2013, est inscrite dans le présent projet de loi. La Garantie jeunes devient une modalité spécifique du parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie.

Celle-ci s’adresse aux jeunes de 16 à 25 ans qui vivent hors du foyer parental ou au sein de ce foyer sans recevoir de soutien financier de leurs parents et qui ne sont ni étudiants, ni en formation, qui ne travaillent pas et dont le montant de ressources ne dépasse pas un plafond fixé par décret, et qui s’engagent à respecter les engagements réciproques conclus dans le cadre de leur parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie.

Tous les jeunes remplissant les conditions d’éligibilité du dispositif pourront en bénéficier. La Garantie jeunes deviendra ainsi un droit universel.

Outre un accompagnement renforcé d'un an pour la recherche d'emploi et des périodes en entreprise et l’accès à la formation, la Garantie jeunes, réservée aux jeunes, offre une allocation mensuelle d'environ 450 euros. Déployée depuis 2013 dans 72 départements, elle doit être étendue à 19 nouveaux départements en 2016 pour atteindre 91 en fin d'année. 

On estimait en 2013 que 900 000 jeunes n’étaient pas en emploi, pas en étude, pas en formation. Le coût de l’extension de la garantie dépendra du nombre de jeunes qui solliciteront le bénéfice du dispositif sous réserve du respect des conditions. Selon le ministère, si 100 000 jeunes supplémentaires bénéficient de la Garantie jeunes en 2017, le coût sera de 400 millions d’euros ; il serait de 600 millions d’euros pour 150 000 bénéficiaires. Cette extension sera financée par plusieurs dispositifs d'accompagnement dans le projet de loi de finances ainsi que des aides de l'Union européenne. En effet, la Garantie jeunes est en cohérence avec la politique européenne en matière d’emploi et d’insertion des jeunes, concrétisée par la « Garantie pour la jeunesse (6) » et « l’Initiative pour l’emploi des jeunes » qui toutes deux visent à concentrer les efforts des pouvoirs publics sur l’accès à l’emploi des « NEET », c’est-à-dire des jeunes ni en emploi, ni en formation, ni en étude, population la plus fragile parmi les 16-25 ans.

III. DES AMELIORATIONS POSSIBLES AU PROJET DE LOI POUR LUTTER CONTRE LA FRAUDE AU DÉTACHEMENT DES TRAVAILLEURS

A. LE DÉTACHEMENT DES TRAVAILLEURS, UNE RÉALITÉ EUROPÉENNE

1. Le détachement des travailleurs : un phénomène encore peu important mais en augmentation constante

Un travailleur est considéré comme détaché s'il travaille dans un État membre de l'Union européenne parce que son employeur l'envoie provisoirement poursuivre ses fonctions dans cet État membre. La prestation de services transnationale donne lieu à une catégorie distincte, les « travailleurs détachés », envoyés pour travailler dans un autre État membre que celui dans lequel ils exercent habituellement leurs fonctions. Cette catégorie ne comprend pas les travailleurs migrants qui se rendent dans un autre État membre pour y chercher un emploi ou qui y travaillent.

Pour garantir la protection dans toute l'Union européenne des droits et des conditions de travail d'un travailleur détaché et afin d'éviter le « dumping social », situation dans laquelle les prestataires étrangers fournissent un service à un prix inférieur à celui pratiqué par les prestataires locaux grâce à des normes de travail moins restrictives, la directive 96/71/CE relative au détachement des travailleurs a établi un ensemble de règles obligatoires relatives aux conditions de travail d'un travailleur détaché dans un autre État membre. Ces règles doivent refléter les normes appliquées aux travailleurs de l'État membre d'accueil (c'est-à-dire l'endroit où le travailleur est envoyé pour exercer ses fonctions). Ainsi, si un État membre prévoit des conditions d'emploi minimales, ces dernières doivent également s'appliquer aux travailleurs détachés dans cet État.

Le détachement des travailleurs fait, à tort ou à raison, couler beaucoup d’encre sans que l’on en connaisse les contours précis à l’échelle européenne. L’analyse du détachement à travers les formulaires émis par les pays montre des différences notables selon les pays.

En 2014 (7), le volume global des formulaires A1 ou E101 émis par les pays de l'EEE-Suisse a été de 1,45 millions (ce chiffre ne prend pas en compte les formulaires émis dans le cadre de la pluriactivité, des dérogations et des activités de personnels navigants techniques et commerciaux soit environ 470 000 formulaires).

L'Allemagne est de loin le pays le plus impacté par le phénomène du détachement puisque sur les 1,45 million de formulaires émis, plus de 22 % le concernait soit au titre de pays d'accueil soit au titre de pays d'envoi. La France (10,7 %) et la Pologne (9,7 %) sont les deux autres pays les plus concernés. Ceci se vérifie encore plus fortement en termes de flux « entrants ». En effet, en 2014, l’Allemagne a accueilli près de 30 % des travailleurs détachés par l'EEE-Suisse. La France et la Belgique sont les deux autres principaux pays d'accueil des travailleurs détachés, avec respectivement 13,7 % et 11,5 % du flux « entrants ». Au total, ces trois pays ont donc accueilli près de 55 % des travailleurs détachés.

En termes de flux « sortants », la Pologne et l'Allemagne apparaissent comme les deux principaux pays « fournisseurs » de travailleurs détachés avec respectivement 18,3 % et 16 % du contingent des travailleurs détachés de l'EEE-Suisse.

Néanmoins, ces taux méritent d'être mis en perspective avec la population active de ces pays. L'Allemagne a, par exemple, une population active de 42 millions d'individus (la plus importante en Europe), ce qui rend le nombre de 414 220 travailleurs détachés tout à fait normal (soit 0,55 % de sa population active). Pour la Pologne, le constat est plus ou moins identique.

À l’inverse, le Royaume-Uni, malgré une population active importante (la 2ème en Europe), est très peu touché par le phénomène du détachement sortant (0,07 % de sa population active). Sur les 32 pays de l'EEE-Suisse, ce pays se positionne ainsi au 16ème rang en termes de flux sortants.

À l'autre extrême, le Luxembourg et la Slovénie sont les deux pays les plus exportateurs de travailleurs détachés avec respectivement 19,3 % et 10,1 % de leur population active.

Dans tous les autres pays de l'EEE-Suisse, le ratio détachés sortants/population active est inférieur à 3 % (avec une moyenne de 0,58 % au sein de la zone EEE-Suisse).

Il est ainsi possible de distinguer deux types de pays : ceux dont les flux sortants sont supérieurs aux flux entrants et ceux dont les flux entrants sont supérieurs aux flux sortants. À l’intérieur de la première catégorie, deux pays se distinguent particulièrement : la Pologne et la Slovénie avec un ratio « sortants/entrants » respectivement de 18,4 et 15,7, les autres pays oscillant entre 1,1 et 9,7. Dans la seconde catégorie, les ratios sont plus homogènes, variant entre 1,2 et 8,3. Chypre est le pays avec le ratio « entrants/sortants » le plus élevé (8,3) mais le faible volume des détachés rend l'indicateur peu significatif. Le ratio de la Suisse (8,1) est plus significatif au regard de son volume « d’entrants » et « sortants ».

Les ratios par pays ont très peu varié entre 2013 et 2014. Les évolutions entre 2013 et 2014 permettent de dégager les constats suivants :

- en matière de flux « sortants », trois pays sont en forte hausse, si l'on combine volume et pourcentage : Luxembourg (+ 43,6 % /+ 21 938) ; Autriche (+ 38,15 % /+ 15 684) ; et Slovaquie (+ 28,5 % /+ 21 001). Trois pays sont en forte baisse si l'on tient compte de ces mêmes critères : Estonie (- 63,55 % /- 4 542) ; Royaume-Uni (-27,4 % /- 6 434) ; Portugal (- 9,3 % / - 6 952) ;

- en matière de flux « entrants », deux pays sont en forte hausse si l'on combine volume et pourcentage : Belgique (+ 18,9 % /+ 25 413) ; et Allemagne (+ 10,85 % /+ 40 554).

Parmi les pays accueillant moins de travailleurs détachés entre 2013 et 2014, on peut citer l’Irlande (- 28,5 % /- 1 587) ; et la Finlande (- 19,6 % /- 3 328). La Croatie est le pays dont l'augmentation en pourcentage des entrants et sortants est la plus élevée entre 2013 et 2014. Cette augmentation est néanmoins à relativiser car la Croatie est entrée dans l'Union européenne le 1er juillet 2013.

En France, selon le ministère du travail et de l’emploi (8), le nombre de salariés détachés ne cesse d’augmenter. En 2014, le nombre des déclarations de prestations de services réalisées par des entreprises étrangères est de 73 593 et concerne 228 649 salariés détachés, soit 16 000 salariés de plus qu’en 2013. En 2006, première année de mise en place d’un dispositif de quantification, le nombre de travailleurs détachés déclarés n’était que de 38 000 ; 230 000 salariés détachés, cela correspond à 42 000 emplois équivalents temps plein (ETPT) contre 32 000 en 2013.

La progression des déclarations effectuées sur un an est de + 10 % avec près de 6 500 déclarations supplémentaires enregistrées pour l’ensemble des secteurs (+ 6 497). Tous les secteurs ne sont pas concernés de manière identique par cette évolution. C’est dans le domaine des entreprises de travail temporaire que la hausse du nombre de déclarations est la plus significative (+ 26 %), ainsi que dans l’intra-groupe (+ 21 %).

Au total, le nombre de jours d’emploi de salariés détachés en 2014 est estimé à 9,6 millions. Par rapport aux 7,4 millions de jours estimés en 2013, le nombre de jours détachés est en hausse de + 30 %.

Avec 47 jours en moyenne en 2014, la durée moyenne de détachement par salarié est en hausse de 7 jours par rapport à 2013.

La main-d’œuvre polonaise représente la première nationalité détachée en France, devant les salariés de nationalité portugaise, puis roumaine. En sens inverse, environ 140 000 attestations émises par la France sont détachées à l’étranger par des entreprises établies en France.

Tableau sur les flux « entrants » et « sortants » dans la zone EEE-Suisse (2013/2014)

(1) : Entrants et sortants du pays rapportés au volume global de détachés tous pays confondus

(2) : La population active regroupe la population active occupée (appelée aussi « population active ayant un emploi ») et les chômeurs.

La mesure de la population active diffère selon l'observation statistique qui en est faite. On peut actuellement distinguer trois approches principales : au sens du BIT, au sens du recensement de la population, au sens de la Comptabilité nationale.

Source : Eurostat (extraction du 21 juillet 2015) pour les pays de l'UE et Banque mondiale pour l'Islande, la Norvège et la Suisse.

2. La fraude au détachement : un outil de dumping social

Conçue à l’origine comme un outil protecteur, la directive sur le détachement des travailleurs a été dévoyée, laissant le champ libre au développement des fraudes au détachement parfois massives, comme dans les secteurs de la construction ou de l’agriculture où de nombreux prestataires offrent à des entreprises nationales des salariés à « bas coûts » en maquillant leurs conditions de travail afin de répondre en apparence aux obligations de la directive. En réalité, ces salariés sont utilisés en dehors des règles de législation minimales nationales qui doivent être respectées aux termes de la directive, notamment en matière de rémunération et de temps de travail. Selon le ministère du travail, en 2013, entre 220 000 et 300 000 auraient ainsi été présents sur le sol français sans avoir fait l’objet d’une déclaration préalable obligatoire. Les fraudes au détachement peuvent ainsi être « simples » (manquement aux principes de la directive, et en particulier au noyau dur : défaut de déclaration de détachement, défaut de certificat d’affiliation au régime de sécurité sociale, non-paiement des salaires et des heures supplémentaires, dépassement de la durée légale du travail) ou « complexes » (travail illégal, non-déclaration intentionnelle des accidents de travail, abus de vulnérabilité par des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine, esclavage moderne et trafic d’êtres humains). Dans tous les cas, ces fraudes sont constitutives d’un dumping social préjudiciable à notre économie, à nos salariés et à nos comptes sociaux.

B. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI RELATIVES AU DÉTACHEMENT DES TRAVAILLEURS : UN RENFORCEMENT IMPORTANT DE LA LUTTE CONTRE LE DETACHEMENT ILLEGAL

1. La modification récente de notre législation a produit des effets positifs…

L’amélioration de la législation concernant le détachement des travailleurs est depuis le début de la législature une priorité du Gouvernement, que cela soit au niveau des négociations européennes – où la France a joué un rôle décisif dans la renégociation de la directive 96/71/CE – qu’au plan national.

Notre législation a en effet été récemment modifiée, à la suite notamment des travaux de notre Commission, afin de nous donner les moyens de contrôler au mieux l’utilisation de la prestation de service internationale et du détachement, en renforçant les exigences à l’égard des employeurs établis à l’étranger qui détachent des salariés en France, et étayer les moyens de contrôle à disposition des agents de contrôle.

La loi no 2014-790 du 10 juillet 2014 visant à lutter contre la concurrence sociale déloyale, qui a procédé à la transposition anticipée de la directive européenne du 15 mai 2014 relative au détachement de travailleur, a considérablement renforcé les moyens à la disposition des agents en charge de la lutte contre le travail illégal et les fraudes aux prestations de services internationales. Elle a notamment consacré dans la loi la déclaration préalable de détachement et rendu obligatoire la désignation d’un représentant en France par l’employeur établi à l’étranger. Elle a instauré de nouvelles sanctions administratives tant à l’égard de l’employeur recourant à du détachement qu’à l’égard du donneur d’ordre en cas, notamment, de non-respect de l’obligation de dépôt d’une déclaration de détachement en France. Elle a mis en place de nouveaux cas de responsabilité solidaire de la chaîne de sous-traitance, en cas de non-respect, par l’employeur des salariés et avec l’accord tacite des donneurs d’ordre ou maîtres d’ouvrage, des dispositions relevant des éléments essentiels du droit du travail, en cas de non-paiement du salaire au minimum légal ou conventionnel ou en cas d’hébergement de salariés dans des conditions indignes.

Par la suite, la loi no 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a également renforcé les moyens de lutte contre la fraude au détachement. Elle a créé la suspension de la prestation de service internationale en cas de manquement grave au droit du travail, généralisé l’obligation pour les salariés du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), y compris détachés, de disposer d’une carte d’identification professionnelle, renforcé la responsabilité solidaire du maitre d’ouvrage en cas de non-paiement des salaires par son cocontractant ou sous-traitant étranger.

Dans le même temps, les pouvoirs publics ont renforcé les objectifs de contrôles des services habilités, notamment de l’inspection du travail, en matière d’emploi ou de détachement transnational de travailleurs étrangers.

On constate de premiers résultats positifs. Sur le second semestre 2015, 139 amendes ont été notifiées, pour non-présentation d’une déclaration de détachement représentant un total cumulé de 680 000 euros ; 35 % de ces amendes ont été adressées à des donneurs d’ordre ou des maîtres d’ouvrage, faute pour eux d’avoir vérifié le respect des formalités déclaratives par le prestataire étranger (déclaration de détachement et désignation d’un représentant en France).

En outre, dans la période récente, 15 fermetures préfectorales qui ont été prises en ce sens, sur proposition des directeurs régionaux des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE).

À côté de cette montée en puissance de sanctions administratives nouvelles ou renouvelées, l’action pénale se poursuit. La montée en puissance de l’amende administrative vient donc globalement compléter et non se substituer à l’action pénale des services. Depuis juillet 2015, 116 639 infractions en matière de détachement ont été relevées par procès-verbal et transmises aux parquets. Les infractions relevant de la catégorie du travail illégal – qui sont aussi les plus complexes en matière de fraudes au détachement – représentent les ¾ des infractions relevées par procès-verbal.

2. … que le projet de loi entend consolider

Pour autant, notre arsenal législatif demeure encore perfectible. C’est pourquoi le présent projet de loi complète les dispositions sur la lutte contre le détachement illégal, ce dont votre Rapporteur se félicite, en utilisant des leviers encore inexploités et en réponse à plusieurs objectifs : une meilleure visibilité sur les détachements et les conditions dans lesquelles ils s’exécutent, responsabiliser d’avantage les maîtres d’ouvrage et les donneurs d’ordre, compenser les coûts administratifs générés par les fraudes au détachement, achever la transposition de la directive détachement de 2014 pour pleinement tirer profit des outils, et Mieux adapter la lutte contre la fraude au détachement aux spécificités du secteur rural.

Le présent projet de loi contient donc six articles relatifs au détachement de travailleurs, les articles 45 à 50, regroupés au sein du titre VI intitulé « Renforcer la lutte contre le détachement illégal ».

L'article 45 crée une obligation de vigilance à la charge des maîtres d’ouvrage envers l’ensemble de la chaîne de sous-traitance au regard de l’accomplissement de la déclaration de détachement. Il crée en outre une obligation de transmission par voie dématérialisée de la déclaration de détachement subsidiaire des maîtres d’ouvrage ou donneurs d’ordre. Il prévoit qu'un décret en Conseil d’État pris après avis de la CNIL précisera les modalités de déclaration dématérialisée de salariés détachés par un donneur d'ordre ou un maître d'ouvrage Il réaffirme par ailleurs sur ce point le devoir de vigilance du maître d’ouvrage à l'égard de l'ensemble de la chaîne de sous-traitance. Enfin, il consacre au niveau législatif l’obligation de déclaration qui pèse sur les donneurs d’ordre co-contractants d’une entreprise non établie en France dont un salarié est victime d’un accident du travail .Le non-respect de cette disposition sera passible d'une sanction administrative prévue à l'article L.1264-3 du Code du travail.

L’article 46 instaure une contribution pécuniaire visant à compenser les coûts administratifs engendrés par le détachement en France de salariés par des employeurs établis à l’étranger, dont devra s'acquitter tout employeur établi hors de France qui détache un salarié en France. Le montant forfaitaire de cette contribution sera déterminé par décret, dans la limite de 50 euros.

L'article 47 est relatif à la suspension de la prestation de services internationale pour absence de déclaration de détachement par le maître d’ouvrage ou donneur d’ordre. La loi du 6 août 2015 précitée a introduit la possibilité de suspendre la réalisation de la prestation de services concernée pour une durée ne pouvant excéder un mois en cas de manquement grave aux droits des salariés détachés en matière de salaire, de durée du travail ou d’hébergement notamment. Le présent article étend la possibilité de suspendre la prestation de service en cas d’absence de déclaration de détachement, à l’issue du délai de 48 heures laissé au donneur d’ordre et au maître d’ouvrage co-contractant pour procéder eux-mêmes à la déclaration subsidiaire de détachement.

L’article 48 procède à la transposition de la directive 2014/67/UE du 15 mai 2014, relative à l’exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs, en ce qui concerne le recouvrement des sanctions. Aux termes de la directive, la demande d’exécution d’une sanction est réputée produire les mêmes effets que si elle était le fait de l’État membre saisi de la demande. En conséquence, le présent article a pour objet de préciser les modalités de recouvrement des amendes administratives prononcées par un autre État membre à l’encontre d’un prestataire de services français ayant enfreint la réglementation de l’autre État membre en matière de détachement de travailleurs.

L'article 49 permet aux agents de contrôle compétents en matière de lutte contre le travail illégal de pouvoir accéder aux données issues des déclarations de détachement traitées dans la base centrale automatisée gérée par le ministère.

Enfin, l'article 50 adapte les dispositions issues de la loi du 6 août 2005 précitée relatives à la suspension d’une prestation de service internationale aux activités régies par le code rural et de la pêche maritime.

Votre Rapporteur se félicite de toutes ces propositions, qui vont dans le sens de la consolidation de notre législation.

Deux interrogations demeurent à ce stade.

D’une part, bien que le Conseil d’État ait validé cette disposition, une interrogation demeure quant à la conformité au droit européen de la contribution créée à l’article 46, et notamment au principe de libre-circulation des travailleurs et d’égalité de traitement.

Certes, l’article 9 de la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l'exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur (« règlement IMI ») dispose que, afin de respecter les stipulations de l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, relatives à la libre prestation de services, « les États membres ne peuvent imposer que les exigences administratives et les mesures de contrôle nécessaires aux fins du contrôle effectif du respect des obligations énoncées dans la présente directive et la directive 96/71/CE, pour autant que celles-ci soient justifiées et proportionnées, conformément au droit de l’Union », mais aussi que « les États membres peuvent imposer d'autres exigences administratives et mesures de contrôle au cas où surviendraient des circonstances ou des éléments nouveaux dont il ressortirait que les exigences administratives et mesures de contrôle qui existent ne sont pas suffisantes ou efficaces pour permettre le contrôle effectif du respect des obligations énoncées dans la directive 96/71/CE et la présente directive, pour autant qu'elles soient justifiées et proportionnées ».

Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, aucune restriction ne peut être imposée par un État membre, lorsqu’elle est de nature à prohiber ou gêner autrement les activités du prestataire établi dans un autre État membre ; le Conseil d’État a toutefois estimé que les exigences et mesures mentionnées à l’article 9 précité pouvaient être « motivées par la protection effective du droit des travailleurs et la lutte contre le détachement illégal, qui constituent des raisons impérieuses d’intérêt général. »

Ainsi le Conseil d’État a considéré que l’instauration d’une contribution obligatoire à acquitter par un employeur qui déclare le détachement en France d’un ou de plusieurs travailleurs n’était pas de nature, par elle-même, à constituer une restriction à la libre prestation de services au sein de l’Union et ne présentait pas de caractère discriminatoire, à la double condition qu’aucune autre mesure moins contraignante ne soit possible pour garantir la protection effective du droit des travailleurs et que les coûts engendrés soient strictement proportionnés à ces nécessités. Une incertitude demeure toutefois quant à l’appréciation qui pourrait être éventuellement portée par la Cour de justice de l’Union européenne sur cette contribution, notamment au regard de des principes fondamentaux de libre circulation et de non-discrimination des travailleurs ressortissant des pays membres de l’Union.

D’autre part, les discussions autour de ce projet de loi ne devraient-elles pas être l’occasion d’anticiper la nouvelle révision de la directive 96/71/CE, notamment sur le « détachement d’intérim » ? En effet, la proposition de révision de la directive présentée le 8 mars dernier par la Commission européenne (9) contient une disposition, soutenue par la France, visant à encadrer le détachement effectué via des entreprises de travail temporaire, en établissant qu’un travailleur intérimaire est employé aux mêmes conditions qu’il relève d’une agence d’intérim française ou qu’il soit détaché en France par une agence transfrontalière de travail temporaire. Votre Rapporteur estime qu’une modification du projet de loi pour intégrer dès à présent cette disposition serait opportune.

CONCLUSION

La France poursuit sa réforme du marché du travail aujourd’hui comme nombre de pays européens l’ont fait avant nous. Elle s’inscrit en cela clairement dans la mouvance de nos partenaires qui recherchent un réel équilibre entre souplesse pour les entreprises et sécurisation des parcours pour les salariés, et non de ceux qui privilégient la flexibilité. Le présent projet de loi n’est pas un projet de déréglementation du marché du travail. Il n’y est question ni de « mini jobs », ni de contrats « zéro heures », et il s’agit bien d’un projet de loi équilibré alliant à la fois plus de souplesse, même si elle reste maîtrisée, et une plus grande sécurisation des parcours professionnels avec la création du compte personnel d’activité (CPA) notamment.

Cette réforme est l’occasion de mettre en place les conditions d’une meilleure mobilité pour nos concitoyens. La question de la portabilité des droits est fondamentale ; l’objectif est que, pour nombre de nos concitoyens qui partent à l’étranger, les droits demeurent acquis mais aussi portables. Ceci est particulièrement important, dans un monde où les qualifications des actifs doivent être constamment adaptées. Alors que l’Europe a mis en place avec succès une vraie politique européenne de la formation initiale à travers les programmes Erasmus, il est temps à présent de s’assurer de la portabilité des droits à formation. Cette réforme est en effet aussi l’occasion de lancer à nouveau le débat sur une meilleure coordination au niveau européen des politiques du marché du travail dans tous leurs aspects : assurance chômage, formation, mais aussi politique salariale.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 5 avril 2016, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

M. Marc Laffineur. Je ne peux que constater que cette loi est vraiment le type même de la loi qui participe à la dégradation de l’image du Parlement. Sur le fond de vos propositions, pourriez-vous expliciter plus avant ce que vous envisagez concernant l’acquisition des droits pour le titulaire du CPA parti à l’étranger, notamment concernant le C3P ? Souhaitez-vous que l’acquisition des droits se poursuive à l’étranger de la même manière que sur le territoire national, ce qui paraît pour le moins étrange ?

Mme Sandrine Doucet. Merci pour ce rapport et ces conclusions qui sont importants en ce qu’ils font prédominer notre vision de la nécessaire prise en compte de l’environnement européen dans l’élaboration de notre législation nationale. Je m’interroge toutefois non sur vos conclusions, avec lesquelles je suis en accord, mais sur leur mise en œuvre au niveau européen. Nous sommes à des vitesses complètement différentes. Par exemple, pour la mise en place d’un portail d’accès au droit, il risque d’y avoir des difficultés de coordination entre les pays concernés. En outre, et d’évidence, l’expérience – et notamment celle, mise en lumière dans le rapport, de nos voisins européens – montre que la mise en œuvre de la flexibilité est malheureusement plus rapide que celle de la sécurisation. Il va falloir se montrer attentif à cette concordance des temps ainsi qu’à la lisibilité des droits acquis pour les citoyens français dans le paysage européen.

La Présidente Danielle Auroi. Merci d’avoir fait ce rapport qui permet de mettre en lumière la nécessaire prise en compte de la dimension européenne dans ce projet de loi. Je note toutefois que votre travail a porté surtout sur les parties consensuelles de la loi, laissant de côté les sujets, nombreux, qui ne le sont pas – seriez-vous venus place de la République avec moi que vous n’en douteriez pas. J’approuve tout ce qui concerne les travailleurs détachés dans votre projet de conclusions, notamment concernant les donneurs d’ordre ; tout cela est positif. Il est évident que l’article 45 du projet de loi, créant une obligation de vigilance à la charge des maîtres d’ouvrage envers l’ensemble de la chaîne de sous-traitance au regard de l’accomplissement de la déclaration de détachement, est une avancée. Pour le reste, je trouve ce rapport très laudatif par rapport à ce projet de loi qui est, comme l’a dit Alain Supiot, spécialiste du droit du travail, « un mauvais procès instruit contre le code du travail ». La situation n’a pas changé depuis le constat qu’il avait dressé en 1999, lors de la rédaction d’un rapport commandité par la Commission européenne sur les transformations du travail et le devenir du droit du travail en Europe : à l’époque, déjà, le résultat positif de la flexibilisation de l’emploi pour lutter contre le chômage ne sautait pas aux yeux, et les différents dispositifs ciblés sur les jeunes, vieux, ou chômeurs de longue durée n’avaient pas empêché le chômage de ces populations d’augmenter. Puisque ces dispositifs ont montré leur impuissance, pourquoi continuer à les utiliser et à affirmer qu’ils sont l’alpha et l’oméga des réformes du marché du travail ? L’embellie dont que vous avez mentionnée n’est d’ailleurs pas aussi claire que cela, comme l’indiquent les chiffres du chômage pour le mois de mars. Rappelons que le Conseil de l’orientation pour l’emploi, dans sa note de synthèse sur les réformes des marchés du travail en Europe, a bien souligné que les réformes ont tendance à accentuer la fracture entre les personnes à bon niveau de formation et tous ceux qui ont, au contraire, de niveaux de formation insuffisants. Je crois que c’est bien de réciter une antienne – c’est très religieux – mais la réalité est là. Comparaison n’est pas raison : le Danemark et les pays nordiques sont des cas très particuliers, où la protection sociale était bien plus générale et bien plus diversifiée que ce que nous connaissons, et les modes de fonctionnement sont très différents. Vous faites en outre la comparaison avec l’Italie : il ne faut pas oublier de mentionner aussi les mouvements sociaux actuellement en œuvre dans ce pays, comme d’ailleurs aussi actuellement en France. Rien n’est choquant dans vos conclusions mais la volonté de faire de la flexibilité sous toutes ses formes et de la baisse ou de l’allégement des charges l’alpha et l’oméga de la politique sociale en Europe n’est pas de mon point de vue la solution. On voit bien que le chômage des jeunes européens, qui est pourtant une priorité depuis la présidence irlandaise, n’est pas réglé. Je note en outre que pour ce qui est du travail « classique », la France est bien plus mauvaise élève que l’Allemagne, ce qui est un comble. Pour toutes ces raisons, je m’abstiendrai donc de voter les conclusions de votre rapport.

M. Philip Cordery. En réponse à Marc Laffineur, précisons qu’il ne s’agit pas de permettre l’accumulation des droits à l’étranger, mais l’utilisation des droits acquis quand on part à l’étranger et de s’assurer que les droits acquis ne disparaissent pas avec la mobilité. L’objectif est de favoriser la mobilité européenne. Concernant le point particulier de la retraite, il s’agit de s’assurer que les autres États reconnaissent les trimestres validés dans le cadre du CPA au titre du C3P comme des trimestres effectifs. Il ne s’agit pas d’acquérir des droits à l’étranger mais de maintenir des droits acquis en cas de départ dans un autre pays.

En réponse à Sandrine Doucet, l’objectif à terme devrait être d’avoir un règlement de coordination européen des droits à la formation. Des dispositifs de formation existent aujourd’hui dans quasiment tous les pays de l’Union européenne mais ne sont pas coordonnés ; or, le droit à la formation est aussi important aujourd’hui que le droit au chômage. Il faut réfléchir à un règlement européen qui faciliterait le passage d’un pays à un autre tout en gardant ses droits acquis à la formation. Ceci étant un projet de moyen ou long terme, il faut en attendant permettre aux salariés français de maintenir leurs droits, ce qui est l’objet de la proposition de conclusions.

En réponse à Danielle Auroi, il est évident qu’il faut trouver un équilibre entre la souplesse et la sécurisation des parcours professionnels. C’est tout l’objet de cette loi. Il y a bien deux façons de réformer le marché du travail, et on distingue en Europe deux groupes de pays : ceux qui ont privilégié la flexibilité et libéralisé à outrance, comme au Royaume-Uni et en Espagne, et ceux qui, face à un chômage qui ne cesse de croître dans une situation où l’emploi à vie n’existe plus, où les parcours professionnels sont mouvants avec des périodes sans emploi, ont cherché à ce que la période entre deux emplois soit la plus sécurisée possible. Certes le Danemark et la Suède sont de plus petits pays que le nôtre, mais ils sont parvenus à mettre en place cette flexisécurité et à être moins impactés par les crises. Ce qu’est en train de faire l’Italie actuellement relève de la même logique. Il faut effectivement trouver, au niveau de notre pays et au niveau européen, un équilibre entre souplesse et, en même temps, une beaucoup plus grande sécurisation. C’est l’enjeu du modèle européen que nous allons développer dans les années à venir.

Puis, la commission des Affaires européennes a approuvé les conclusions ci-après.

CONCLUSIONS ADOPTÉES

La Commission des affaires européennes,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 151-1-1 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu la Charte sociale européenne révisée,

Vu la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail,

Vu le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, et notamment ses articles 21, 22, 23 et 45 à 50,

Considérant que la situation de l’emploi en France nécessite la mobilisation des pouvoirs publics,

Considérant que les différentes réformes menées dans plusieurs pays de l’Union européenne sont un champ d’inspiration pour notre pays,

Considérant que le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs contient des avancées majeures mais doit être envisagé dans son contexte européen, et notamment prendre en compte les spécificités liées à la mobilité des actifs,

1. Concernant l’accumulation des droits contenus dans le compte personnel d’activité (CPA) à l’article 21, considère qu’il est important de préciser dans le texte de loi que :

- les droits acquis seront maintenus même en cas de départ à l’étranger du titulaire ;

- l’accumulation des droits se fera même si le lieu d’exercice du contrat est dans un autre pays de l’Union européenne, notamment pour les travailleurs détachés et frontaliers ;

- dans le cas de l’apprentissage, si la formation en entreprise est effectuée dans un autre pays de l’Union dans le cadre d’une formation française, celle-ci donne les mêmes droits que les formations effectuées en France dans le cadre du CPA ;

2. Concernant l’utilisation des droits contenus dans le compte personnel d’activité (CPA), considère :

- qu’il convient de s’assurer que l’utilisation des droits contenus dans le CPA pour effectuer une formation dans un autre pays de l’Union européenne soit possible ;

- qu’il convient de s’assurer que l’utilisation des droits contenus dans le CPA lorsque le titulaire du CPA n’est ni titulaire d’un contrat de travail français ni affilié à pôle emploi soit possible ;

- qu’il convient de clarifier le lien entre la validation des trimestres de retraite dans le cadre du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) et la portabilité des droits à la retraite dans les autres pays de l’Union, conformément aux règlements de coordination, et ainsi de s’assurer que ces trimestres seront bien validés dans les autres pays membres en cas de validation d’une retraite dans un autre pays membre.

3. Qu’il convient de mener une réflexion au niveau européen sur la portabilité du droit à la formation

4. Concernant la plateforme en ligne prévue à l’article 22, considère que son contenu doit être étendu à l’information sur les droits à la mobilité européenne ;

5. Concernant les dispositions visant à renforcer la fraude au détachement des travailleurs, considère :

- qu’il convient de s’assurer de la compatibilité avec la législation européenne de la contribution pécuniaire prévue à l’article 46 visant à compenser les coûts administratifs engendrés par le détachement en France de salariés par des employeurs établis à l’étranger, dont devra s'acquitter tout employeur établi hors de France qui détache un salarié en France ;

- qu’il convient d’anticiper la future législation européenne sur le détachement d’intérim en modifiant l’article L.1262-2 du code du travail, en le complétant par l’alinéa suivant : « les conditions d’emploi et de travail applicables aux salariés mentionnés à l’alinéa précédent sont identiques à celles des salariés des entreprises exerçant une activité de travail temporaire établies sur le territoire national. »

ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS

M. Philippe Sanson, directeur du Centre de Liaisons Européennes et Internationales de Sécurité Sociale (CLEISS)

Mme Claire Rabès et M. Nicolas Vignolles, conseillers parlementaires, M. Laurent Cyterman, conseiller CPA, cabinet de Mme Myriam El Khomri, ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social.

No 3673 – Rapport d’information portant observations sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs (n°3600) (Philip Cordery) (7/04/2016)

Le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs : un éclairage européen

La France poursuit sa réforme du marché du travail aujourd’hui comme nombre de ses partenaires européens l’ont fait avant elle. Certains pays ont déréglementé le marché du travail ; d’autres ont au contraire développé un modèle de flexisécurité. Le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs s’inscrit clairement dans la mouvance de ce deuxième groupe de pays qui recherchent un réel équilibre entre souplesse pour les entreprises et sécurisation des parcours pour les salariés.

La Commission des affaires européennes s’est saisie de ce projet de loi au titre de l’article 151-1-1 du règlement, et, notamment, des articles concernant le CPA, l’extension de la Garantie jeunes et la lutte contre la fraude au détachement des travailleurs, qu’elle a approuvés pour l’essentiel, tout en formulant un certain nombre de propositions pour s’assurer que ce texte soit ancré dans la réalité de la mobilité européenne des travailleurs.

1 () La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

2 () Voir infra.

3 () Les réformes du marché du travail en Europe, Conseil d’orientation pour l’emploi, 5 novembre 2015.

4 () Comité chargé de définir les principes essentiels du droit du travail - Rapport au Premier ministre, Robert Badinter, janvier 2016.

5 () Le compte personnel d’activité, de l’utopie au concret, Commission Compte personnel d’activité présidée par Selma Mahfouz, France Stratégie, octobre 2015.

6 () Sur ce point, consulter le Rapport d’information sur l’emploi des jeunes en Europe, Philip Cordery, Assemblée nationale, n°2620, 4 mars 2015.

7 () Les données suivantes sont issues d’une étude du CLEISS.

8 () In Exposé des motifs du projet de loi.

9 () Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services, COM(2016) 128 final


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