N° 3866 - Rapport d'information de M. Michel Vauzelle déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des affaires étrangères, en conclusion des travaux d'une mission d'information constituée le 4 mars 2015 sur l'ouverture d'un dialogue culturel et politique avec l'Amérique latine




N
° 
3866

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 juin 2016

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 4 mars 2015 (1)

sur l'ouverture d'un dialogue culturel et politique avec l'Amérique latine

Président

M. Patrice MARTIN-LALANDE

Rapporteur

M. Michel VAUZELLE

Députés

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

La mission d’information sur l'ouverture d'un dialogue culturel et politique avec l'Amérique latine est composée de : M. Patrice Martin-Lalande, président ; M. Michel Vauzelle, rapporteur ; MM. Kader Arif, Edouard Courtial, Michel Destot, Lionnel Luca, Noël Mamère.

SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS DU RAPPORTEUR 9

INTRODUCTION 11

I. L’AMÉRIQUE LATINE, UNE RÉGION STRATÉGIQUE AU CœUR DE LA TRANSFORMATION DU « SYSTÈME-MONDE » 19

A. L’AMÉRIQUE LATINE SUR LA VOIE DE L’ÉMANCIPATION ÉCONOMIQUE ? 19

1. Une « décennie de prospérité » après les « décennies perdues » des années 1980 et 1990 20

a. Un nouveau cycle de développement en Amérique latine 20

b. A partir des années 2000, une croissance forte à la faveur d’une conjoncture internationale favorable et de politiques macroéconomiques volontaristes. 21

2. L’Amérique latine est aujourd’hui confrontée à un cycle, qui pourrait être durable, de ralentissement économique 22

a. Un ralentissement économique depuis 2009 22

b. L’Amérique latine va-t-elle perdre ce qu’elle a gagné en indépendance dans les années 2000 ? 24

B. AU PLAN POLITIQUE, UNE PÉRIODE DE TRANSITION POUR L’AMÉRIQUE LATINE : CRISE OU FIN DE CYCLE ? 25

1. Le cycle des gouvernements « progressistes » : une décennie de progrès économiques et sociaux 25

a. La vague des gouvernements progressistes : renouvellement des élites, nouvelles revendications sociales, ré enchantement du politique ? 26

b. Un bilan contrasté 27

2. Alternances, fortes polarisations politiques voire crises de régimes : le temps des incertitudes politiques pour l’Amérique latine 28

a. L’avenir incertain des gouvernements « progressistes » 29

b. Crises politiques et printemps d’Amérique centrale 31

c. Des transitions politiques en Colombie et à Cuba 33

C. AU PLAN GÉOPOLITIQUE, L’AMÉRIQUE LATINE TENDRAIT-ELLE À SORTIR DE LA « PÉRIPHÉRIE DU MONDE » ? 34

1. La consolidation d’un ensemble à l’identité diplomatique singulière : l’Amérique latine « contribution polymorphe à la formation progressive d’un monde multipolaire » 35

a. Une diplomatie « défensive » s’appuyant sur le droit international et le strict respect de la souveraineté des États 35

b. Des stratégies d’indépendance différenciées vis-à-vis de Washington 36

c. Des initiatives diplomatiques dissidentes portées principalement par le Brésil et le Venezuela 37

d. Tirer parti de l’interdépendance : une diplomatie des Sud ? 39

2. Quid demain de la constitution d’un hémisphère « post-américain » ? 41

a. L’Amérique, nouvel enjeu de rivalité entre les États-Unis et la Chine ? 41

b. Un continent aujourd’hui en « panne de leadership » et dont les processus de regroupement régionaux sont affectés par le pivot de l’économie mondiale vers l’Asie 44

D. EN AMÉRIQUE LATINE, LA FRANCE A UN HÉRITAGE, MAIS PAS DE STRATÉGIE POUR L’AVENIR 47

1. La France a eu une politique latino-américaine 47

a. Charles de Gaulle et l’Amérique latine comme enjeu de construction d’un monde multipolaire 47

b. La présidence Valery Giscard d’Estaing : accent sur la diplomatie économique mais absence de politique latino-américaine bien définie 48

c. François Mitterrand : solutions politiques pour l’Amérique centrale et articulation de notre diplomatie avec la politique européenne 48

d. Jacques Chirac va imbriquer les trois héritages : troisième voie, promotion de nos intérêts économiques et poursuite de la politique européenne 49

e. Nicolas Sarkozy : rupture avec l’héritage gaulliste, concentration sur les grands émergents 50

2. Intermittence, manque de réciprocité et défaut du dialogue politique : comment répondre aux critiques latino-américaines adressée aujourd’hui à la diplomatie française ? 50

a. Il faut saluer le regain d’attention pour la zone depuis 2012 50

b. Intermittence, manque de réciprocité, politique déclaratoire : lutter contre les travers de la politique latino-américaine de la France 51

c. Relancer le dialogue politique au plus haut niveau doit s’accompagner d’une réflexion stratégique sur ce que la France a à offrir à l’Amérique latine. 53

II. FAVORISER LA CONSTITUTION D’UN PÔLE LATINO-AMÉRICAIN, ALLIÉ NATUREL DE LA FRANCE DANS LA CONSTRUCTION DU MULTILATÉRALISME 55

A. NOTRE DIPLOMATIE DOIT EPOUSER LA DIVERSITÉ DU CONTINENT SANS RENONCER À PROMOUVOIR L’UNITÉ LATINO-AMÉRICAINE 56

1. Des partenariats stratégiques qui mériteraient d’être redynamisés et étendus à de nouveaux pays 56

a. Le partenariat stratégique avec le Mexique 56

b. Le partenariat stratégique avec le Brésil 58

2. Renforcer les partenariats stratégiques avec d’autres pays pivots de la zone : l’Argentine, le Chili, la Colombie, le Pérou 60

3. « Il n’y a pas de petit pays en Amérique latine » : le bilatéral ne peut-être négligé en raison des disparités sur le continent 62

4. La coopération au niveau local : un échelon à renforcer 63

a. La coopération décentralisée : un outil fondamental et sous-exploité par la France 63

b. La France est un État américain : les collectivités d’outre-mer sont des portes sur l’Amérique latine 64

B. AVEC OU SANS L’EUROPE ? PROMOUVOIR UN DIALOGUE STRATÉGIQUE ENTRE LES DEUX ENSEMBLES RÉGIONAUX 66

1. Un dialogue qui suscite aujourd’hui peu d’enthousiasme 67

a. Un partenariat fondé sur des accords régionaux et bilatéraux, qui fait la part belle au volet économique 67

b. Un dialogue actif dans les années 1990, qui s’essouffle aujourd’hui 69

c. D’un dialogue multilatéral et bi-régional, la politique de l’Union européenne s’est ensuite orientée vers des partenariats stratégiques avec les grands émergents. 71

2. La France est aujourd’hui un des seuls pays européens qui pourrait catalyser une reprise du dialogue politique entre les deux ensembles 72

a. Démultiplier notre action grâce aux actions conduites par l’Union européenne 72

b. Mettre l’accent sur les questions commerciales 73

c. Avoir un dialogue stratégique avec la CELAC et l’UNASUR 75

C. QUELLES INITIATIVES COMMUNES POUR CONSTRUIRE UN MONDE MULTILATÉRAL : TRANSFORMER DES CONVERGENCES DE VUE EN AGENDA POLITIQUE 76

1. Réforme de la gouvernance mondiale et régulation de la mondialisation : serpent de mer ou véritable axe de dialogue ? 76

a. Quelle place pour les grands émergents latino-américains dans la gouvernance mondiale ? 76

b. Comment réguler les effets de la mondialisation 78

2. Comment faire de l’environnement un axe plus fort de notre coopération ? 80

3. Narcotrafics : promouvoir une nouvelle approche 83

4. Dialoguer sur les questions numériques 85

a. Sur la gouvernance mondiale de l’internet 85

b. Sur la coopération en matière de cybersécurité 87

c. Sur la démocratie numérique 87

III. ACCOMPAGNER L’ÉMERGENCE : NOTRE DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE DOIT S’APPUYER SUR NOTRE DIALOGUE POLITIQUE 91

A. L’ACCENT A ÉTÉ MIS SUR LA DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE DANS LA RÉGION, AVEC DES RÉSULTATS MITIGÉS 93

1. Commerce extérieur et investissements : une place qui n’est que trop modeste et des situations contrastées 93

a. Une place modeste dans nos échanges commerciaux et nos investissements 93

b. Des situations contrastées selon les pays 94

2. La levée des obstacles aux échanges et le soutien à l’export ont été au cœur de notre stratégie 94

a. Le développement des échanges et la levée des obstacles au commerce sont au cœur de notre action dans la zone 94

b. Notre action s’appuie également sur un dispositif de soutien à l’export et des outils d’aide-projets encore peu mobilisés en lien avec les entreprises françaises 95

c. Les priorités ont porté sur les secteurs régaliens et les biens de consommation 96

d. Le positionnement de nos entreprises sur le financement des bailleurs multilatéraux doit encore s’affirmer 96

B. FAVORISER UNE DÉMARCHE INTÉGRÉE AUTOUR DE THÉMATIQUES CLÉS QUI CORRESPONDENT AUX BESOINS DES LATINO-AMÉRICAINS ET À LA SINGULARITÉ DU MODÈLE FRANÇAIS 97

1. Pour l’Amérique latine, l’enjeu majeur est de transformer l’embellie économique des dernières années en développement véritable 97

a. Re-primarisation de l’économie et dégradation des fondamentaux 97

b. Les classes moyennes, les inégalités et la lutte contre la pauvreté : un modèle social en construction 99

c. L’exploitation des ressources naturelles et le développement : un équilibre difficile à trouver 100

2. Articuler la diplomatie économique aux grands enjeux de développement de l’Amérique latine 101

a. Accompagner la transition vers une économie durable : une opportunité pour la France 102

b. Éducation, politiques fiscales, santé : favoriser l’émergence d’un développement équitable 105

c. La consolidation institutionnelle : un problème majeur en Amérique latine sur lequel la France a des solutions à apporter 108

IV. PENSER LA PARTICIPATION POLITIQUE, LES ECHANGES UNIVERSITAIRE ET LA DIVERSITÉ CULTURELLE DANS LA MONDIALISATION 113

A. DIALOGUE POLITIQUE : L’AMÉRIQUE LATINE, « LABORATOIRE DE L’OCCIDENT » ? 113

1. La réflexion sur le rôle de l’État, les politiques publiques et la participation politique : s’inspirer de la modernité latino-américaine ? 114

a. « L’éveil des sociétés civiles » : une réalité que notre diplomatie doit prendre en compte 114

b. Les nouvelles formes de participation politique : l’importance capitale du niveau local 116

c. Rôle de l’État et innovations en matière de politiques publiques : un dialogue à renforcer 117

2. Des « valeurs humanistes en partage » : le dialogue sur les droits de l’homme et les sujets sociétaux 119

a. Le dialogue sur les droits de l’homme 119

b. La réappropriation de valeurs culturelles et linguistiques jusque-là refoulées et les questions mémorielles 120

c. Liberté d’expression et de culte 121

B. LE DIALOGUE SCIENTIFIQUE ET UNIVERSITAIRE : NOTRE PLUS PUISSANT INSTRUMENT DE COOPÉRATION EN AMÉRIQUE LATINE, ENCORE SOUS-UTILISÉ 122

1. Enseignement supérieur et recherche : une problématique cruciale en Amérique latine, une opportunité pour la France 122

2. Notre attractivité universitaire et scientifique est aujourd’hui un axe central de la relation que nous entretenons avec les pays d’Amérique latine, dont les moyens doivent être préservés 123

3. La France est également un partenaire scientifique de tout premier plan de l’Amérique latine 125

C. LE DIALOGUE CULTUREL : LA DÉFENSE DE LA DIVERSITÉ ET L’INNOVATION 127

1. Diversité et exception culturelle : un axe de dialogue global à développer 127

a. La promotion de la diversité culturelle : une question politique 127

b. Un point de vue différent sur le monde : la France doit continuer d’attacher une importance particulière à la coopération médiatique 129

2. Francophonie et langues latines : promouvoir la diversité linguistique 131

a. La francophonie et les actions communes au niveau multilatéral en faveur de la défense de la diversité culturelle 131

b. Les relations avec les États membres de l’OIF 132

c. Les relations avec les États latino-américains observateurs à l’OIF 133

d. L’apprentissage du français sur le continent 135

3. Un dialogue culturel qui pourrait être dépoussiéré : plus de réciprocité, une plus grande attention portée aux nouvelles formes de création et à la jeunesse 136

a. Paris, capitale du monde latino-américain ? 136

b. Arts vivants et industries culturelles doivent être au cœur de notre dialogue culturel 137

c. Renforcer le dialogue avec la jeunesse 139

RÉSUMÉ DU RAPPORT ET DE SES PROPOSITIONS 141

EXAMEN EN COMMISSION 151

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES ET DES VISITES EFFECTUÉES PAR LA MISSION 163

ANNEXES 167

ANNEXE N° 1 : CARTE DE L’AMERIQUE LATINE 169

ANNEXE N° 2 : CARTE DES ACCORDS D’INTEGRATION REGIONAUX 171

1.  AVANT-PROPOS DU RAPPORTEUR

À l’origine de la demande faite à la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale de ce rapport, il y a d’abord l’observation faite en Amérique latine d’une « attente de France ».

Il ne s’agit plus bien sûr d’une époque déjà lointaine où le rayonnement de la France était spectaculaire et l’usage de la langue française commun dans les catégories sociales favorisées. Ce sont aujourd’hui des jeunes dirigeants politiques, des chefs d’entreprises, des universitaires, des responsables de la société civile qui se tournent vers la France. Sous forte influence des États-Unis, face à une présence nouvelle de la Chine, ces leaders d’opinion travaillent pour concevoir un modèle latin face au modèle unique de société mondialisée.

Leur culture et leur éthique latines les incitent à chercher des réponses qui soient modernes, nouvelles, à la mesure des défis de la puissance mondiale de certaines firmes financières et des nouvelles techniques de communication porteuses de progrès humain comme de dangers pour les libertés.

Cette latinité est à la fois un art de vivre-ensemble, une morale et un souci d’épanouissement selon une identité populaire propre qui constitue un lien séculaire.

La France ne semble pas reconnaitre, comme il conviendrait de manière positive, avec attention et respect cette attente. Pourtant la France connait elle-même une crise morale et culturelle qu’elle partage avec nombre de pays méditerranéens. Comme tous les pays latins, elle est en quête d’une pensée moderne qui lui permette de vivre ou de survivre dans un monde globalisé tout en refusant de perdre son âme, les valeurs de la République, la justice sociale, la solidarité, l’originalité de son identité.

Ce rapport est évidemment loin d’avoir des prétentions à répondre à un tel niveau d’interpellation. Il s’agit simplement d’appeler l’attention de l’Assemblée nationale sur la convergence des attentes des Français et des peuples d’Amérique latine dans cette période de crise très grave. Ceux-ci ne doivent pas être considérés seulement comme des clients pour notre commerce extérieur. Ils attendent une interrogation de notre part sur leur conception de l’avenir, une réflexion commune sur la politique sociale, l’éducation, l’aménagement du territoire ou la démocratie participative.

Pour les latins, la réponse n’est pas dans le modèle chinois, ni dans le modèle étatsunien. C’est cette question qui est posée dans ce rapport.

2.  INTRODUCTION

Notre diplomatie a rendu à l’Amérique latine une place plus conforme à son poids dans le monde, dans l’intérêt même de la France.

En témoignent de nombreuses visites à haut niveau, récemment la visite du Président de la République au Pérou, en Argentine et en Uruguay, ou encore la signature de partenariats stratégiques avec la Colombie et le Pérou. François Hollande l’a rappelé lors de la semaine de l’Amérique latine et des Caraïbes, «  nous portons des valeurs communes : valeurs d’indépendance, d’émancipation, de culture, de diversité, d’exception également pour nos langues. Nous voulons également que les défis de la planète soient relevés ensembles. »

Il faut saluer cette réorientation diplomatique et souhaiter qu’elle soit cette fois marquée par la constance, la cohérence et la continuité – beaucoup de nos interlocuteurs ont en effet fustigé l’intermittence et le manque de priorités stratégiques de notre dialogue avec l’Amérique latine. Surtout, l’action de la France « pourrait relever d’une attitude schizophrénique - non parce qu’elle dit une chose et en fait une autre, bien que cela se produise parfois, mais parce que la France dit une chose et ensuite ne fait rien en Amérique latine. ». Il faut se donner les moyens de notre discours. (1) Enfin, nos efforts se sont beaucoup concentrés sur la « diplomatie économique ». Aussi importante soit-elle, celle-ci n’est qu’une partie de nos rapports avec l’Amérique latine, qui attend beaucoup plus de la France en termes de dialogue politique.

En Amérique latine, la France a un héritage d’une richesse inouïe et elle dispose d’un réseau diplomatique dense et dynamique – ici la mission souhaite rendre hommage à nos diplomates dont elle a pu mesurer au cours de son déplacement l’engagement et le professionnalisme. Notre influence dans la zone leur doit beaucoup. Mais elle manque cruellement d’une stratégie pour l’avenir.

On ne peut que regretter le peu de place qu’occupe l’Amérique latine dans notre imaginaire diplomatique et notre paysage médiatique, absence qui est peut-être en réalité, selon certains interlocuteurs de la mission, le symptôme d’une difficulté française à dépasser le paradigme de la guerre froide, à penser le monde multipolaire qui demande encore à être inventé.

Il semblerait que nous n’ayons pas encore pris la mesure des transformations du sous-continent latino-américain : l’Amérique latine vient de vivre une décennie de progrès économiques et sociaux qui justifie son optimisme.

Le premier objectif de ce rapport parlementaire est donc avant tout de tenter de mieux comprendre et faire comprendre l’Amérique latine contemporaine et de convaincre nos pouvoirs publics de son importance stratégique pour la France.

La forte croissance économique de la dernière décennie, qui s’est accompagnée d’une réduction de la pauvreté et dans une moindre mesure des inégalités, s’est doublée d’une réelle stabilité politique, le continent étant désormais acquis à la paix et à la démocratie. Forte de ces réussites intérieures, l’Amérique latine a multiplié les initiatives diplomatiques pour faire entendre sa voix singulière sur les grands enjeux de la planète et diversifier ses partenariats pour se défaire d’une trop grande dépendance à l’égard des États-Unis.

Surtout, l’Amérique latine connaît aujourd’hui une période de transition, que certains qualifient même de « fin de cycle ».

Pour l’économie, le modèle de développement qui a fait le succès de nombreux pays latino-américains s’essouffle et pourrait faire taire l’espoir de voir la région sortir de sa dépendance pluriséculaire à des puissances étrangères. Toute la question est de savoir si son extraversion économique et son insertion dans la mondialisation peut ou non devenir aujourd’hui un atout avec le basculement du centre de l’économie mondiale vers l’Asie.

Le super cycle des matières premières qui a bénéficié aux économies était lié aux processus d’industrialisation de l’Asie, en particulier de la Chine. Les contraintes de change qui avait placé la région sous la tutelle de Washington pendant des années ont disparu et permis à certains pays d’accumuler des réserves de change importantes. De plus, la démographie, qui a représenté une part importante de la croissance ces dernières années, se rapproche de celle des pays développés, les questions de vieillissement de la population et de nécessaire amélioration de la productivité se font jour. Enfin, la nouvelle classe moyenne vulnérable, qui nourrissait la demande interne, est la première touchée par le retournement de conjoncture.

Au plan politique, la détérioration de l’économie place les gouvernements, notamment dits « progressistes » au pouvoir depuis les années 2000, au Brésil, au Venezuela par exemple, mais pas seulement car des pays comme le Chili ou le Pérou sont aussi concernés, dans une position délicate : la crise met en doute le financement durable des politiques sociales en faveur de la réduction de la pauvreté et des inégalités qui avait en partie forgé leurs succès électoraux et dont la poursuite est essentielle à l’émergence économique du sous-continent.

Au plan géopolitique enfin, l’Amérique latine s’est imposée depuis quelques années déjà comme un acteur diplomatique original (dénucléarisation du sous-continent, opposition à toute forme d’ingérence étrangère dans le règlement des crises ; défense du rôle des grandes instances et des valeurs du multilatéralisme). Mais les difficultés économiques et politiques actuelles annoncent peut-être une période d’introspection pour les diplomaties latino-américaines qui pourrait remettre en cause l’indépendance acquise sur la scène internationale ces dernières années.

L’hypothèse de ce rapport de mission est que ce n’est pas seulement la crise d’un continent que nous observons aujourd’hui, ce sont les effets sur ce continent d’une crise plus globale, à laquelle l’Europe, et en particulier la France, a du mal à faire face. Le système international continue de voir la puissance se diffuser. S’y ajoute une conjonction de facteurs de faiblesse voire de crise qui fragilise jusqu’aux grandes puissances qui assuraient le leadership mondial – les États-Unis, sans se désengager, se sont réorientés vers l’Asie. La Chine accorde la priorité aux questions intérieures et au changement de son modèle de croissance. L’Europe peine à sortir de la crise économique de 2008 et à s’imposer comme acteur diplomatique de poids dans son propre voisinage.

Il ressort des auditions menées par la mission d’information que l’Amérique latine est au cœur de la transformation du « système-monde ». Il compte parmi ses membres des grands émergents comme le Brésil ou le Mexique qui veulent peser sur la gouvernance mondiale et sur le règlement des grands enjeux de la planète. Il est au cœur de la question de l’équilibre entre préservation des ressources naturelles et croissance économique. Ainsi, selon un interlocuteur de la mission, on peut se demander si les mutations politiques et sociales à l’œuvre dans cette région sont le signe d’une reconfiguration géopolitique plus vaste, qui verrait s’éloigner chaque jour un peu plus les équilibres issus de la conférence de Yalta. (2) La sortie du sous-continent de son caractère périphérique, de son statut de pourvoyeur de matières premières au service de l’Europe, des États-Unis et aujourd’hui de l’Asie laisse-t-elle entrevoir un ordre mondial différent ?

De toutes ces questions il faut parler avec les latino-américains d’égal à égal, car l’Amérique latine est aussi bien au plan économique, culturel, que politique, un « laboratoire » de la mondialisation peut-être sans équivalent dans le monde. Elle cherche à inventer de nouveaux modèles de développement, de société, de régulation, le Brésil, mais aussi des pays moins médiatisés comme la Bolivie, l’Uruguay ou l’Équateur en ont donné des exemples étonnants (3) .

Or la France devrait se mettre à l’écoute de cette inventivité. Surtout, vos rapporteur et président ont pu constater à quel point, face à la reconfiguration des grands équilibres du monde, la France est attendue comme l’interlocuteur privilégié et l’allié naturel de l’Amérique latine.

Les membres de la mission ont fait le choix de s’intéresser aux nouvelles formes de dialogue politique et culturel qui permettraient de redonner du souffle aux relations entre la France et l’Amérique latine.

Pour l’Amérique latine, la France incarne à la fois :

– une capacité à être l’allié des grandes puissances de ce monde, les États-Unis en premier lieu, et un membre de l’Union européenne, sans perdre son indépendance de vue sur la scène internationale ;

– un modèle économique et social unique, une façon de penser le rôle de l’État dans la mondialisation, de promouvoir un modèle de développement qui s’appuie sur des valeurs humanistes héritées de la Révolution ;

– une identité culturelle et politique forte, attachée à promouvoir la diversité linguistique et les droits culturels.

Il ressort des travaux de la mission que notre alliance avec l’Amérique latine pourrait s’articuler autour de trois priorités.

En premier lieu, il faut favoriser l’émergence d’un pôle latino-américain avec lequel bâtir le monde multilatéral que la France appelle de ses vœux.

Le monde a changé depuis la fin de la guerre froide, pas la diplomatie française en Amérique latine. C’est un monde bouleversé, où la hiérarchie des puissances a changé. Aujourd’hui, trois pays européens comptent parmi les six puissances mondiales. En 2030, aucun ne figurera sur la liste, évincé par les puissances émergentes. Ce monde est aussi a-polaire, ce qui rend difficile toute réponse consensuelle à des problèmes globaux tels que le réchauffement climatique, explique les blocages à l’OMC, provoque des remises en question de l’architecture de la gouvernance mondiale.

Or sur ce sujet, l’Amérique latine n’est pas seulement une « réserve de voix » dans les grandes instances internationales. Elle est l’alliée naturelle de la France parmi les grands émergents. Les États d’Amérique latine, dans leur diversité, sont peut-être devenus indispensables pour orienter la sortie de la récession engendrée par la crise apparue en 2008 et pour légitimer les concertations multilatérales en vue d’améliorer la gouvernance mondiale.

Le modèle de regroupement régional, parfois difficile à lire pour les Européens, combine une forte solidarité et une affirmation non moins forte des identités nationales : notre diplomatie ne l’oublie pas en privilégiant les relations bilatérales, attentives à la diversité des trajectoires nationales – les latino-américains apprécient d’ailleurs que nos dirigeants soient capables de prendre en compte cette diversité.

Mais il faut aussi soutenir l’unification, car elle est de nature à faire de l’Amérique latine un véritable pôle de puissance dans le monde multipolaire de demain. La fragmentation du continent n’est pas favorable aux intérêts français. Pour cela, il faut promouvoir un partenariat plus stratégique entre l’Union européenne et la CELAC et l’Union des nations sud-américaines (UNASUR), et approfondir le dialogue global avec les grands émergents comme le Mexique ou le Brésil.

La mission parlementaire appelle également à faire de la question du multilatéralisme et de la gouvernance mondiale un axe plus affirmé de dialogue avec l’Amérique latine, notamment autour des priorités suivantes sur lesquelles il faudrait transformer les convergences de vue en agenda positif : la lutte contre les narcotrafics et la prolifération des armes, la lutte contre le réchauffement climatique, le numérique et la gouvernance de l’internet, la régulation de la mondialisation et la réponse à la crise économique.

En deuxième lieu, il faut soutenir l’émergence économique de la région : dans ce domaine, la France est en bonne position en Amérique latine, même si les échanges ne sont pas à la hauteur de notre relation culturelle notamment.

Le défi commun aux pays de la région est, au-delà des immenses disparités de développement dans le sous-continent, de transformer l’embellie des dernières décennies, largement tirée par le boom des matières premières, en développement véritable, dans un contexte de crise économique qui se double parfois d’une crise politique. C’est le cas au Brésil ou encore au Venezuela.

Il faudra pour cela s’attacher à corriger les handicaps qui grèvent leur compétitivité à long terme : infrastructures obsolètes et insuffisantes, faiblesse de la recherche et développement, dont le niveau est très inférieur à celui de l’Asie (moins de 1 % du PIB), lacunes de toute la chaîne de formation. Le renforcement de l’intégration régionale dans toutes ses dimensions s’impose pour faire front aux chocs extérieurs et créer des emplois. Les États de la région devront également s’organiser pour gérer leurs relations avec l’Asie, afin de ne pas se condamner à une nouvelle dépendance.

Ici, notre diplomatie économique doit s’appuyer sur notre dialogue politique et non l’inverse. Les échanges économiques avec l’Amérique latine doivent s’accompagner d’un dialogue politique renouvelé, attentif aux besoins d’un continent dont la réalité a changé, dont la diplomatie est devenue plus « pragmatique » et qui cherche à diversifier ses alliances pour relever les nombreux défis de son émergence.

Les questions de développement et de transition économique doivent occuper une place centrale dans nos discussions avec l’Amérique latine, d’autant que la France a des compétences à faire valoir dans nombre de domaines qui correspondent très exactement aux défis de l’Amérique latine, autour de trois axes essentiels :

– un développement durable : coopérations en matière de ville durable, transport, biodiversité, lutte contre la déforestation, eau, urbanisme ;

– un développement inclusif : la répartition des fruits de la croissance et la lutte contre les inégalités sont des questions qui vont s’imposer à l’agenda des gouvernements latino-américains. la France peut ici être un partenaire solide dans la mise en place de politiques fiscales efficaces, de politiques sociales redistributives ;

– les questions de gouvernance, de consolidation des institutions et de renforcement de l’État, la réflexion autour des services publics ne doivent enfin pas être oubliées;

Enfin, l’Amérique latine est l’interlocuteur naturel de la France pour penser la participation politique et la diversité culturelle dans la mondialisation.

Ici il faut dire un mot de l’usage même du terme Amérique latine, invention française, faut-il le rappeler, qui prête évidemment à discussion, et n’est pas toujours du goût des principaux intéressés, mais « parler d’Amérique latine, c’est affirmer l’unité de ce monde, en opposition à l’Amérique anglo-saxonne ». Non seulement cette union politique et culturelle a du sens, mais elle n’épuise pas la diversité du continent : l’Amérique latine, pour reprendre l’expression d’Alain Rouquié, c’est à la fois « l’Extrême-Occident » (4), ce monde « déduit », produit de l’invention folle de l’Europe, c’est aussi le creuset de riches syncrétismes, les pratiques religieuses nous le montrent, c’est enfin le lieu d’affirmations politiques et culturelles originales, comme celle des populations indiennes.

Les travaux de la mission font pour l’heure ressortir que la France a – mais rien n’est acquis – un capital de sympathie hors du commun principalement parce qu’elle a une « culture et des valeurs » qui exercent toujours une certaine attraction chez une partie de la population. Tous les interlocuteurs de la mission ont souligné ce point : la France dispose encore d’une aura culturelle et politique qui compense son statut de puissance moyenne et qui est peut-être son seul avantage comparatif par rapport aux autres puissances en Amérique latine.

La culture, la coopération universitaire et scientifique ne doivent pas être à la marge de notre dialogue politique avec l’Amérique latine, elles en sont au contraire le socle. La relation est déjà forte, elle se nourrit d’une réelle profondeur historique, s’appuie sur un riche réseau institutionnel et des relations dynamiques entre nos sociétés civiles. Notre coopération souffre cependant aujourd’hui de quelques défauts selon les interlocuteurs de la mission : manque d’une politique à l’égard de la jeunesse ; politique linguistique qui pourrait être plus offensive et s’appuyer notamment sur les langues latines ; même remarque pour la défense de la diversité culturelle ; dialogue universitaire et scientifique qui manque d’ambition et cruellement de ressources ; enfin, défaut d’instances de discussion des sujets politiques et sociétaux, sur lesquels les latino-américains sont en demande.

Le rapport propose ici des pistes pour réinventer le dialogue politique avec une Amérique latine qui en un sens se constitue comme le « laboratoire politique de l’Occident » en matière de participation citoyenne, de vitalité de la société civile, de réflexion sur la place de l’État dans la mondialisation. Ici, il faudra s’appuyer sur tous les volets de notre diplomatie, notamment la diplomatie parlementaire et la coopération décentralisée, instruments d’influence et de dialogue aujourd’hui sous-utilisés, mais aussi le dialogue des sociétés civiles.

Il propose ensuite d’axer le dialogue culturel autour des trois thématiques fortes : la défense de la diversité culturelle, linguistique et intellectuelle d’une part, l’innovation et la jeunesse de l’autre, enfin, les échanges universitaires et scientifiques sur lesquels la France a une carte à jouer.

Nos relations doivent surtout être marquées par plus de réciprocité, la France n’ayant pas mesuré la capacité d’innovation sociale, politique et institutionnelle des pays latino-américains.

Nos concitoyens sont peut-être ici en avance sur leurs dirigeants : cette année plus de Français sont partis vivre en Amérique latine que de latino-américains en France.

A. L’AMÉRIQUE LATINE, UNE RÉGION STRATÉGIQUE AU CœUR DE LA TRANSFORMATION DU « SYSTÈME-MONDE »

I. L’AMÉRIQUE LATINE SUR LA VOIE DE L’ÉMANCIPATION ÉCONOMIQUE ?

Dans son célèbre ouvrage, Les veines ouvertes de l’Amérique latine, Eduardo Galeano, écrivait que si l’Amérique latine n’est plus « le royaume des merveilles, où l’imagination pâlissait devant les trophées de la conquête, les mines d’or et les montagnes d’argent, mais elle a gardé sa condition de servante ».

L’Amérique latine a, depuis sa « découverte », toujours été un gisement de matières premières pour les économies dominantes du monde, un réservoir de main d’œuvre, et un modeste marché d’exportation de biens manufacturés.

Et l’auteur d’insister sur la division internationale du travail qui a relégué l’Amérique latine au rang de pourvoyeuse de ressources naturelles et humaines, ensuite transformées en capital européen, puis nord-américain. Le Nouveau Monde a toujours été rattaché au périmètre d’exploitation économique et de domination politique d’une ou plusieurs puissances étrangères, qu’elle soit espagnole et portugaise à partir du 16ème siècle, française hollandaise et anglaise à partir du 18ème, états-unienne à partir du 19ème. Ces différentes phases de domination ont déterminé la place de l’Amérique latine dans l’ordre mondial.

Qu’en est-il aujourd’hui ? L’Amérique latine vient de connaître une période de progrès économiques et sociaux inédits, elle compte parmi ses membres de grands émergents comme le Brésil, le Mexique ou l’Argentine, elle a largement bénéficié de la croissance asiatique, notamment chinoise. Des pays comme la Bolivie, le Pérou ou l’Équateur ont également enregistré des taux de croissance à faire pâlir d’envie les pays européens.

On assiste en effet aujourd’hui à une « reconfiguration des logiques de domination à l’échelle mondiale alors que l’expansion des échanges Sud-Sud bouscule les équilibres traditionnels ».

La phase actuelle de la mondialisation n’a pas mis fin au clivage nord sud, mais en a complexifié les contours, il n’y a plus de pays avancés d’un côté et de pays en voie de développement de l’autre. Cette nouvelle configuration étend le champ de la compétition internationale des acteurs économiques et des États à l’accès aux ressources naturelles, énergétiques, alimentaires, mais aussi pour leur acheminement. L’Amérique latine est au cœur de cette problématique.

Ses immenses ressources de l’Amérique latine et son positionnement géographique pourraient en faire une interface idéale entre le vieux monde économique et le nouveau, où elle pourrait être cantonnée à son rôle historique dans la division internationale du travail.

Les faiblesses d’hier se transformeraient-elles en atouts de demain ? La région est-elle véritablement sur la voie de l’émancipation économique ? Rien n’est moins sûr, car il y a des déséquilibres économiques entre nouveaux entrants : l’Asie est le moteur de l’économie mondiale ce qui ne se fait pas au profit de l’Amérique latine et son modèle de développement va être mis à rude épreuve dans les années à venir.

1. Une « décennie de prospérité » après les « décennies perdues » des années 1980 et 1990

a. Un nouveau cycle de développement en Amérique latine

Entre 2003 et 2008, la région a connu une période de très forte croissance et « les succès économiques engrangés par les principaux pays de la région, une fois dépassée la grave crise argentine de 2001-2002, sont allés de pair avec la réduction tant de la pauvreté que, dans une moindre mesure, des inégalités ». (5)

Comme l’a souligné Carlos Quenan lors de son audition par la mission, ce n’est pas la première période de croissance soutenue que connaît l’Amérique latine, mais la précédente s’appuyait sur un modèle de développement différent.

Car depuis la seconde guerre mondiale, l’Amérique latine a oscillé entre deux modèle de développement : extraversion économique et forte insertion dans l’économie mondiale à travers l’exportation de produits primaires vers les centres développés – modèle qui avait été rendu obsolète par la crise mondiale de 1930 ; politique volontariste tentations protectionnistes et tentatives pour re-nationaliser et renforcer le tissu productif.

Jusqu’en 1982, c’est un modèle de développement tourné vers l’intérieur, appliquant la politique d’industrialisation par substitution aux importations, qui a prévalu en Amérique latine. Entre 1950 et 1980, portée par une stratégie d’industrialisation par substitution des importations et une forte intervention de l’État dans l’économie, la croissance s’élevait en moyenne annuelle à 5 %, étant précisé que des disparités importantes existaient – et existent toujours – sur le continent (le Brésil et le Mexique représentent à eux deux les deux tiers de la population et de l’activité économique de toute la région.)

Mais l’inflation chronique, les déséquilibres budgétaires doublés d’un endettement externe croissant, ont montré les limites de ce modèle. Cette période s’est achevée par la crise des dettes extérieures qui a débuté au Mexique avant de gagner les principaux pays de la zone.

A suivi ce que les commentateurs nomment « la décennie perdue » des années 1980, marquée par une forte inflation, des crises graves de balances des paiements, des programmes d’ajustement structurel élaborés par le FMI. Les politiques d’ajustement structurel se sont généralisées, l’investissement privé et les exportations devaient devenir les locomotives de la croissance, et l’établissement d’un environnement institutionnel favorable aux intérêts privés. Durant cette période, le PIB par habitant a reculé de 0,4% par an en moyenne, alors que les pays d’Asie amorçaient à la même époque un rattrapage rapide qui s’est poursuivi jusque dans les années 2000.

Dans les années 1990, dans le sillage du plan Brady (6) prévoyant l’annulation partielle des dettes extérieures, l’hyperinflation a été réduite et les investissements étrangers ont à nouveau afflué (principalement en raison de la faiblesse des taux d’intérêt nord-américains qui rendaient les investissements latino-américains plus attractifs).

Cependant, selon Carlos Quenan, non seulement les résultats en termes de croissance ont été relativement médiocres (1,1% en moyenne entre 1991 et 2002), mais ce modèle de développement a eu des effets déstabilisateurs sur l’économie de nombreux pays de la région. On peut citer à nouveau le cas du Mexique et de la crise dite « tequila » en 1994 attribuable en partie à l’ouverture financière et à l’abandon des restrictions de convertibilité, doublés d’un système bancaire fragile. Les crises financières se sont multipliées dans la région : au Brésil en 1999, en Équateur en 2000, en Argentine l’année suivante, en Uruguay en 2002.

Enfin, selon Pierre Salama (7), les « réformes en faveur de la libéralisation ont surtout profité à des acteurs privés qui ont pu investir dans les domaines laissés par l’État ». De plus, l’élite technocratique qui a émergé à cette période avait une légitimité qui lui venait de l’extérieur, non de sa population.

Les deux dernières décennies du 20ème siècle resteront donc celles de l’application du « consensus de Washington »  (8) et de l’accentuation de l’écart entre Amérique latine et pays développés. Seuls ont fait exception certains petits pays comme la Bolivie ou la République dominicaine et le Chili.

b. A partir des années 2000, une croissance forte à la faveur d’une conjoncture internationale favorable et de politiques macroéconomiques volontaristes.

L’Amérique latine a retrouvé une croissance forte à partir du début des années 2000, en moyenne 5 % par an. Surtout, cette croissance s’est cette fois (contrairement aux années d’après-guerre) accompagnée d’un véritable rattrapage du PIB par habitant.

Il faut ici à nouveau insister sur les disparités à l’échelle du continent. Le Brésil et le Mexique ont connu un rattrapage moindre que la moyenne pour la région, alors que l’Argentine ou le Venezuela ont connu un rattrapage supérieur.

Deux facteurs principaux expliquent ce retournement de situation, après les deux décennies perdues précédemment évoquées :

– l’Amérique latine a tout d’abord bénéficié d’un « contexte international favorable, plus précisément de l’amélioration des termes de l’échange et d’un accès facilité aux financements internationaux ». Ainsi les pays exportateurs de produits de base ou de consommation courante ont bénéficié de la forte demande asiatique, surtout chinoise.

– la « région a aussi mis en place des politiques macro-économiques rigoureuses et réduit sa vulnérabilité financière, ce qui lui a permis de bien résister à la crise de 2008. »

Si la crise économique mondiale a perturbé le cycle de croissance amorcé en 2003, les interlocuteurs de la mission ont souligné la grande résilience de l’Amérique latine et la maturité des politiques macro-économiques mises en place.

Les gouvernements latino-américains ont su mettre en place des mesures de relance contra-cyclique visant à renforcer la demande domestique et atténuer les effets de la récession. On peut ainsi citer le Chili ou le Pérou qui ont lancé des plans de relance à hauteur de 3% du PIB en 2009. Or ces plans, fait notable, ne se sont pas traduits par une dégradation des comptes publics. Il faut enfin souligner la dé-dollarisation de nombreuses économies de la région, comme la Bolivie, le Paraguay ou le Pérou, qui a réduit les risques de solvabilité. Enfin, la faible dépendance aux financements externes des banques latino-américaines ont aussi été favorables à l’Amérique latine.

Cependant, la période qui s’ouvre en 2008-2009 est lourde d’incertitudes, voire d’inquiétudes, car « les fondamentaux » de la zone subiraient une véritable dégradation.

2. L’Amérique latine est aujourd’hui confrontée à un cycle, qui pourrait être durable, de ralentissement économique

a. Un ralentissement économique depuis 2009

L’activité économique a ralenti en Amérique latine et dans les Caraïbes mais la situation est contrastée selon les zones concernées. Selon le FMI, le PIB agrégé de l’Amérique latine et des Caraïbes s’est contracté en 2015 de 0,1 % du PIB après +1,3 % en 2014. La situation économique est néanmoins hétérogène : les pays d’Amérique centrale affichent une croissance globalement dynamique tandis que les pays d’Amérique du Sud enregistrent une récession en 2015 (1,4 %). Certains pays connaissent des difficultés économiques ou traversent de graves récessions (Argentine, Brésil, Venezuela). Selon les prévisions de croissance du FMI (WEO avril 2016), les zones Amérique du Sud et Caraïbes seraient à nouveau en récession en 2016.

Les pays d’Amérique latine pâtissent d’un contexte économique global dégradé et de difficultés internes. Les économies sont affectées par un environnement mondial défavorable en raison notamment du ralentissement de l’économie chinoise, de la baisse de l’activité dans la plupart des pays émergents au encore du durcissement des conditions internationales de financement liées à la remontée des taux directeurs américains. Ils sont par ailleurs pénalisés par la faiblesse persistante du cours des matières premières. A ces difficultés s’ajoutent pour certains pays des vulnérabilités internes croissantes. Les marges de manœuvres sont limitées en raison d’une inflation élevée, de la dépréciation de leurs devises et de la nécessité d’une consolidation budgétaire.

Certains pays d’Amérique latine sont affectés par le ralentissement de l’activité économique chinoise, notamment par le canal commercial. La Chine est en effet le premier partenaire commercial de certaines économies telles que le Brésil, le Chili ou encore le Pérou. Les liens commerciaux entre la Chine et l’Amérique latine ont progressé de manière importante ces deux dernières décennies. Selon un rapport de l’OCDE (Latin American Economic Outlook, 2016), les échanges commerciaux entre l’Amérique latine et la Chine ont été multipliés par 22 depuis 2000. Par ailleurs, entre 2000 et 2011, la participation de la Chine dans les chaînes de valeur mondiales de l’Amérique latine connait une expansion considérable et est supérieure à la participation intra-régionale de l’Amérique latine.

Les exportateurs latino-américains de matières premières sont touchés par la baisse du cours des matières premières, qui augmente le risque externe et pèse sur les finances publiques. Ce repli du prix des matières premières accroît le risque externe des pays exportateurs conduisant à une dégradation du solde courant et à des sorties de capitaux. Certaines devises se sont dépréciées de plus de 20 % en 2015 (Argentine, Brésil, Colombie, Paraguay et Uruguay). Afin de contenir la dépréciation de leurs devises, certains pays sont intervenus sur le marché des changes (Brésil, Bolivie, Mexique, Uruguay) réduisant ainsi leurs réserves. Le nouveau gouvernement argentin a flexibilisé son taux de change fin 2015 tandis que le Venezuela a dévalué sa monnaie en février et a modifié son système de change. La baisse des revenus issus des matières premières pèse également sur les finances publiques et conduit certains pays à mener des mesures de suppression de subventions à l’énergie et de consolidation budgétaire (Argentine, Brésil, Mexique)

Le ralentissement de l’activité s’explique également par des facteurs internes. Certains pays, comme le Brésil, pâtissent d’un déficit d’investissement qui pèse sur la productivité. D’autres pays sont insuffisamment diversifiés, notamment ceux dont le modèle de croissance est fondé sur les matières premières (Venezuela). Un certain nombre de pays font face à un essoufflement de leur modèle de croissance basé sur la consommation (Argentine, Brésil). Dans certains pays, des tensions politiques (Brésil, Venezuela) pénalisent l’investissement et parfois la croissance à long terme.

b. L’Amérique latine va-t-elle perdre ce qu’elle a gagné en indépendance dans les années 2000 ?

Selon les spécialistes auditionnés par la mission, bien qu’ayant mieux résisté que d’autres régions du monde au choc de la crise de 2008, l’Amérique latine pourrait aujourd’hui voir son modèle de développement profondément fragilisé (voir aussi IV.A). Les pronostics sont peu optimistes.

L’Amérique latine va devoir désormais compter avec un ralentissement de l’économie mondiale : moindre croissance chez les grands émergents, en particulier le « moteur » chinois, récession européenne et faible activité nord-américaine, ce qui devrait affecter négativement ses exportations.

De plus, elle devrait subir le retour de la contrainte financière externe avec les effets d’une politique monétaire moins accommodante du côté des États-Unis, ce qui pourrait produire une diminution, voire un renversement des flux de capitaux des pays émergents aux pays développés, flux dont certains pays d’Amérique latine ne peuvent se passer.

Les marges de manœuvre des gouvernements sont minces. Le contexte externe et les difficultés internes compliquent la mise en œuvre de politiques de soutien à l’activité. La dépréciation des devises a engendré des pressions inflationnistes parfois amplifiées par l’ajustement des prix administrés de l’énergie, conduisant à un relèvement des taux directeurs (Brésil, Chili, Colombie, Mexique). La politique monétaire est par ailleurs contrainte par le resserrement des conditions monétaires internationales et par le contexte inflationniste alimenté par la dépréciation des taux de change, par exemple au Brésil ou en Argentine. Les finances publiques sont, quant à elles, fragilisées par la faiblesse de la croissance et la baisse du prix des matières premières, obligeant de nombreux pays à mener une consolidation budgétaire (Argentine, Brésil, Mexique). Pour les pays qui étaient privés de financements internationaux (Argentine, Venezuela, Équateur), la Chine en a octroyé d’importants, renforçant la dépendance de ces pays à son égard.

Enfin, la question de la dépendance à l’égard de la Chine et de ses effets à long terme sur les économies latino-américaines se pose avec de plus en plus d’acuité (voir également I.C). Il semblerait que les relations qui se nouent entre l’Amérique latine et la Chine reproduisent aujourd’hui le schéma « centre-périphérie » qui s’appliquait à la relation avec les pays occidentaux : l’Amérique latine fournit des matières premières et la Chine des produits manufacturés.

Si l’Amérique se cantonne au rôle de pourvoyeur de matières premières pour l’Asie, elle peinera à « développer un secteur industriel de biens d’équipements solide et une capacité autonome d’innovation technologique »

Certes, les économies latino-américaines se sont diversifiées au cours des dernières années. Mais l’ensemble des interlocuteurs de la mission ont insisté sur la « re-primarisation » des économies. Ainsi le fait que le ratio entre PIB agricole et PIB manufacturier a augmenté au Brésil démontre une hausse des activités primaires dans une économie dont l’appareil productif est pourtant l’un des plus diversifié de la région. C’est aussi le cas de la Colombie et de l’Uruguay. La part des exportations industrielles du Brésil a fortement chuté depuis les années 1990, de même qu’en Bolivie, en Équateur et au Pérou. Ce phénomène accroit la vulnérabilité des économies latino-américaines.

II. AU PLAN POLITIQUE, UNE PÉRIODE DE TRANSITION POUR L’AMÉRIQUE LATINE : CRISE OU FIN DE CYCLE ?

1. Le cycle des gouvernements « progressistes » : une décennie de progrès économiques et sociaux

Après la décennie dite « perdue », des années 1980, suivie par la décennie 1990 des « transitions démocratiques » (3), mais surtout des changements de modèle de développement impliquant un désengagement de la puissance publique (4), les années 2000 sont qualifiées par certains de « décennie gagnée » pour la démocratie.

Bien que jeune, en effet, la démocratie, au moins sous sa forme procédurale, est devenue « le seul modèle politique légitime » en Amérique latine. Et les mouvements sociaux, bien que parfois puissants et fortement revendicatifs, ne remettent en question que marginalement les règles du jeu démocratique.

La décennie 2000 a été celle de la réinvention de la pratique politique, de l’innovation en matière de politiques publiques, du renouvellement de certaines élites politiques, et du réveil des sociétés civiles. Au point que « les anciennes puissances en perte de vitesse » se sont, ironie de l’Histoire, intéressées à « ce politique qui se renouvelle en Amérique latine pour s’en inspirer » (voir IV.B).

C’est aujourd’hui cette décennie dite également des « gouvernements progressistes » qui semble se clore. La question étant de savoir si les nouvelles alternances politiques et les crises politiques au Brésil ou encore au Venezuela marquent la fin d’un cycle historique ou une crise de croissance de la démocratie sur le continent.

En tout état de cause, il sera très difficile pour les gouvernements latino-américains de répondre aux attentes et revendications d’une population devenue plus exigeante au terme de cette décennie de progrès sociaux et économiques.

a. La vague des gouvernements progressistes : renouvellement des élites, nouvelles revendications sociales, ré enchantement du politique ?

Au début des années 2000, de nombreux pays latino-américains ont connu des alternances politiques dont l’effet a dépassé le simple changement de majorité politique. En permettant l’émergence de nouvelles élites, d’outsiders qui n’étaient pas issus du sérail, l’alternance des années 2000 a secoué les schémas politiques traditionnels.

De nouveaux dirigeants ont accédé au pouvoir, dont certains ont été hissés au rang de stars internationales : Ignacio Lula da Silva, Rafael Correa, Alejandro Toledo, Tabare Vasquez, José Mujica, Evo Morales ou Alvaro Uribe. Le phénomène excède la médiatisation de certains de ces leaders, et traduit un mouvement de fond.

Ces dirigeants sont en effet issus de nouvelles formations politiques qui sont apparues en marge des appareils partisans traditionnels, à partir des années 1990, en Argentine, en Uruguay, au Brésil, en Colombie, au Salvador, (le Chili faisant exception jusqu’à la disparation d’Augusto Pinochet), ils sont structurellement plus attentifs aux demandes sociales de la population.

Nombre d’interlocuteurs de la mission ont insisté sur le renouvellement des élites et l’émergence de leaders politiques différents. Dans l’ouvrage précité, Georges Couffignal insiste sur l’originalité de ces leaders dont la « base » se trouve non plus seulement dans des partis souvent portés au clientélisme, mais au niveau local (Mexique, Uruguay et Colombie), dans le cadre de processus syndicaux (Brésil, Bolivie), ou de mouvements d’opinion (Équateur, Pérou). Ignacio Lula, ouvrier syndicaliste, a fondé au Brésil le parti des travailleurs qui lui a permis de gagner les élections. En Uruguay, Tabaré Vasquez a d’abord dirigé la mairie de Montevideo avec sa formation, le Frente Amplio avant d’être élu président. En Bolivie, Evo Morales a lui aussi fondé le Mouvement vers le socialisme en s’appuyant sur ses bases syndicales. Son élection à la présidence bolivienne recèle une autre nouveauté qui mérite d’être soulignée : c’est la première fois qu’un indien devenait chef de l’État en Amérique latine.

La montée en puissance des revendications identitaires indiennes en Colombie, au Pérou, en Bolivie, au Nicaragua, au Guatemala, puis plus tard au Chili, au Paraguay et au Panama, constitue une autre « révolution culturelle » peu commentée par nos médias et peu connue de nos politiques, mais néanmoins capitale pour comprendre les dernières évolutions politiques latino-américaines. Ce mouvement a bénéficié d’un contexte international favorable – l’ONU ayant proclamé en 1993 une « décennie internationale des populations autochtones ». Il a vu des partis indigénistes se créer au Mexique, au Nicaragua, en Bolivie, au Pérou et au Panama. Par exemple, la confédération des nations indigènes d’Équateur a été très active politiquement à partir du début des années 1990, et a contribué à la destitution de deux présidents.

Même si ces mouvements ne se sont pas convertis en formations électorales de poids et bien qu’il semble qu’ils soient sur le déclin, ils comptent encore sur la scène politique. Surtout, le bilan politique de ces mouvements est loin d’être modeste : prise en compte du droit coutumier dans l’administration de la justice, restitution des terres, reconnaissance officielle de leur langue, parfois même reconnaissance de leur spécificité et de leur droit à être associés à la définition des politiques qui leurs sont appliquées.

Il faut aussi dire un mot de l’accès des femmes aux postes les plus élevés. On citera Michelle Bachelet, ancienne militante devenue la première femme d’Amérique du sud élue présidente en 2006 (après Violeta Chamorri au Nicaragua en 1990 et Mireya Moscoso au Panama en 1999). Dilma Rousseff également, ancienne opposante politique emprisonnée et torturée par le régime militaire brésilien. On peut enfin citer Laura Chinchilla au Costa Rica en 2010 et dans un autre registre Cristina Fernandez de Kirchner en Argentine. Comme le souligne Georges Couffignal, « la classe politique latino-américaine est plus féminisée que la classe politique européenne ».

Le renouvellement des mouvements sociaux et de leurs revendications s’est notamment exprimé avec force au moment de la commémoration officielle en 1992 du « Cinquième centenaire de la rencontre des deux mondes ». Promue par les gouvernements européens, cette commémoration a été fortement contestée par des mouvements qui revendiquaient au contraire un mémoire de « résistance indigène, noire et populaire ». La surprise de certains gouvernements européens à l’égard de ces mouvements de contestations montre qu’il n’est pas certain que nos dirigeants aient pris la mesure de ces transformations sociologiques sur le continent.

b. Un bilan contrasté

Hors Cuba, on peut compter parmi les pays qui peuvent être rangés dans la catégorie des gouvernements « progressistes » l’Uruguay, l’Équateur, la Bolivie, l’Argentine des Kirchner, le Brésil, le Salvador, le Nicaragua et le Venezuela.

Il existe des convergences importantes entre ces pays. Ainsi du renouvellement de la classe politique dirigeante, de ses méthodes et de ses thématiques privilégiées.

Sur le plan interne, l’ensemble de ces pays ont mené des politiques d’inclusion sociale qui ont donné des résultats parfois spectaculaires, que l’on pense à la réduction de la pauvreté au Brésil par exemple. Les dépenses sociales (elles sont passées de 14,8 % à 19,2 % du PIB) et l’investissement public ont ainsi été privilégiés, et des programmes sociaux ambitieux ont été lancés dans tous les pays en matière de santé, d’éducation, de lutte contre les inégalités. Il faut souligner les effets de ces politiques, doublés de ceux de la croissance économique et de l’augmentation des revenus du travail, sur la baisse de la pauvreté dans la région : selon la Banque mondiale, l’extrême pauvreté a baissé de moitié dans la région entre 1995 et 2011. Les inégalités ont de leur côté diminué, même si la région reste parmi les plus inégalitaires au monde (selon la CEPAL, le rythme de réduction des inégalités a été de 1% par an en Argentine, au Pérou, en Uruguay et au Venezuela).

Par ailleurs, les gouvernements progressistes ont tenté de « combiner l’ouverture contrôlée de leur économie au marché mondial et le refus d’un ajustement des sociétés aux exigences de ce dernier ». Tous ces pays ont ainsi, exemple intéressant pour la France, tenté de redéfinir (parfois définir à partir de rien) un nouveau contrat social entre marchés financiers et multinationales et État afin de donner à ce dernier les moyens de jouer son rôle de régulateur et de protecteur de la population. Ainsi par exemple, des efforts ont été menés pour renégocier les dettes souveraines, qui ont parfois abouti à des frictions voir à des ruptures avec le FMI et la Banque mondiale. Autre exemple, la nationalisation partielle ou l’effort de récupération, en Bolivie par exemple, ou en Équateur, de l’appareil énergétique ou de l’exploitation de certaines ressources naturelles.

Sur le plan international, la plupart de ces pays se sont engagés en faveur de l’autonomisation de la région, notamment face aux États-Unis, avec entre autre la recherche de partenariats alternatifs avec les autres grands émergents et les pays d’Afrique et du monde arabophone. Au plan régional, la volonté de gagner en indépendance s’est traduite par la création de nouvelles institutions telles que l’UNASUR en 2008, l’ALBA en 2004 ou la CELAC en 2011.

Il faut cependant souligner que depuis 1998, date de la première élection d’Hugo Chavez, les trajectoires nationales sont divergentes. Le Venezuela n’est pas le Brésil, qui n’est pas la Bolivie.

2. Alternances, fortes polarisations politiques voire crises de régimes : le temps des incertitudes politiques pour l’Amérique latine

Plusieurs crises et lignes de faille traversent aujourd’hui le continent : au Brésil ou au Venezuela la crise des gouvernements progressistes, qui peinent à répondre aux demandes sociales de leur population ; la mobilisation des populations, notamment des classes moyennes dans les pays émergents, qui portent également au Brésil ou encore au Chili ou au Mexique, de nouvelles exigences et réclament un autre style de politique ; des phases de transition politique enfin, comme en Colombie ou à Cuba.

Certains parlent de « crises de régimes », d’autres de « fin de cycle », d’autres encore de « défaillance progressiste » ou de « restauration conservatrice ».

On peut avoir diverses interprétations des causes de ces difficultés politiques, mais il ressort qu’elles sont en réalité le symptôme d’une crise de « croissance » et « d’approfondissement » de la démocratie en Amérique latine.

a. L’avenir incertain des gouvernements « progressistes » 

Comme le souligne le rapport annuel de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes, certes d’un point de vue électoral, il y a des constantes en Bolivie, au Nicaragua, au Pérou, en Uruguay : mais l’avenir de la gauche latino-américaine et des gouvernements progressistes est incertain. Le Brésil connaît une crise de régime, tandis que le Venezuela est en situation de cohabitation entre un président chaviste et un Parlement d’opposition. L’Argentine a élu l’outsider libéral Macri dont les premiers mois au pouvoir n’ont pas contribué à atténuer la polarisation croissante de la société.

Au Brésil, Dilma Rousseff, réélue en octobre 2014 avec une courte majorité, a traversé depuis le début de son mandat une crise politique majeure sur fond de scandale Petrobras (ou affaire du « Lavo jato »), qui l’a empêché de gouverner pleinement en raison d’une mauvaise relation avec les partis de sa coalition (notamment le Parti du mouvement démocratique brésilien ou PMDB qui occupe la présidence des deux Chambres), et avec le Parlement. L’enquête a généré au quotidien une imprévisibilité politique et judiciaire majeure. Elle a aussi miné l’héritage de douze ans de gouvernement du Parti des travailleurs (PT), particulièrement éreinté, jusqu’à l’ex-Président Lula, visé, avec certains de ses proches, par différentes enquêtes. Le processus a touché l’ensemble des partis de la coalition gouvernementale et notamment le PMDB, dont les figures principales ont fait l’objet en décembre dernier d’une vaste opération policière. Le Président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha (PMDB), est notamment l’objet de différentes procédures visant à sa destitution, depuis la confirmation par la Suisse de la présence de plus de 5 millions de dollars sur des comptes à son nom possiblement alimentés par les détournements de fonds liés à l’affaire Petrobas.

La destitution de Dilma Rousseff a été votée à la Chambre des députés (367 voix contre 137), puis au Sénat (55 contre 22). C’est Michel Temer, chef du parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), qui va assurer la présidence par interim et a déjà annoncé une réforme des retraites et d’autres remises en question des acquis sociaux de la période précédente.

Les interprétations de la crise sont multiples, mais en toute hypothèse, elle laissera des traces dans la vie politique brésilienne. Certains blâment la présidente pour son incapacité à « tenir » sa majorité et pour s’être aliénée le PMDB. D’autres y voient la marque d’un approfondissement de la démocratie brésilienne, l’effet d’un changement de génération notamment au sein de la magistrature brésilienne, et assimilent la crise à un « Mani Pulite » à la brésilienne. D’autres enfin parlent d’une tentative de coup d’Etat juridico-médiatique, porté par une droite qui, écartée du pouvoir depuis 15 ans, s’impatiente.

Au Pérou, le président Humala a vu sa côte de popularité tomber sous les 10 %. En 2015, le projet Tía María (cuivre), comme celui de Conga (or) en 2010-2011, suscite une vive résistance des secteurs paysans affectés dans le département d’Arequipa. Fin mai, une grève générale provoque la militarisation de huit départements du pays (Apurimac, Ayacucho, Cajamarca, Cusco, Moquega, Puno et Tacna), comme aux pires heures de la lutte contre le Sentier lumineux il y a vingt ans. Ollanta Humala, qui s’était engagé durant sa campagne à consulter systématiquement les populations concernées par les projets, a finalement privilégié l’industrie extractive, suscitant la colère des mouvements sociaux qui réclament en 2015 une déclaration de « vacance » du pouvoir. Le mandat d’Humala s’achève en juillet 2016.

Est-ce la fin d’un cycle politique ouvert au début des années 2000 ? C’est tout du moins l’ouverture d’une nouvelle séquence.

La détérioration de l’économie place les gouvernements dits « progressistes », au pouvoir depuis les années 2000, dans une position délicate : la crise met en doute le financement durable des politiques sociales en faveur de la réduction de la pauvreté et des inégalités qui avait en partie forgé leurs succès électoraux et dont la poursuite était essentielle à l’émergence économique du sous-continent. En 2014, la pauvreté n’a pas baissé pour la première fois depuis des années.

Selon Christophe Ventura, de la capacité des dirigeants latino-américains à répondre aux difficultés précédemment évoquées dépendront leur crédibilité politique à l’avenir : feront-ils le choix d’un renforcement de l’insertion de l’Amérique latine aux flux dominants du commerce international ? Ou faut-il favoriser le développement d’un marché intérieur à l’échelle nationale et régionale (rapprochement Alliance du Pacifique et du Mercosur) ?

Pour d’autres, ces crises sont le fait d’une difficulté latino-américaine à faire l’expérience de l’alternance politique.

Selon Olivier Dabène, dans les pays gouvernés par la gauche, l’opposition a été longtemps écartée du pouvoir, parfois plus d’une décennie et montre une certaine impatience. Cependant la difficulté de la droite à articuler un agenda politique solide et crédible ne rend pas l’alternance aisée.

Les campagnes de déstabilisation s’accentuent au point que Rafael Correa évoque, non sans raison, une nouvelle guerre froide. Certains secteurs de gauche, de leur côté, n’envisagent pas la défaite. De plus, certains leaders de cette vague progressiste, notamment Evo Morales (Bolivie), Rafael Correa (Équateur) et Daniel Ortega (Nicaragua), n’ont pas toujours favorisé l’émergence d’un successeur. Hugo Chávez, n’avait que très tardivement, et peut-être imprudemment, intronisé Nicolás Maduro.

Le Venezuela en est une illustration. Depuis 2014, le pays connaît une grave crise économique et politique. La chute des prix du pétrole a plongé le pays dans une récession économique dont les principaux effets, inflation et pénuries, affectent gravement les populations les plus modestes.

C’est dans ce contexte qu’ont émergé de fortes mobilisations sociales, encouragées par la coalition d’opposition MUD (Mesa de la unidad democratica) ayant appelé avant les élections législatives de 2015 à utiliser « la rue et le vote » pour obtenir les réformes exigées des autorités.

Ces dernières peinent à répondre efficacement au mécontentement de la population. D’un côté, les manifestations ont été durement réprimées en février 2014 et le gouvernement a arrêté des dirigeants de l’opposition. De l’autre, le gouvernement a annoncé une hausse du salaire minimum et des bourses pour apaiser la population.

En réalité, le gouvernement ne dispose plus de la marge de manœuvre financière nécessaire pour continuer de financer les politiques sociales qui ont fait son succès. Ces difficultés financières se doublent de dissensions au sein du camp « chaviste », dont une partie refuse de remettre en cause la politique actuelle, et l’autre prône des ajustements économiques (comme la hausse du prix de l’essence, aujourd’hui gratuit) pour faire face à la crise.

Quant à l’alliance hétéroclite de l’opposition, elle peine à contrôler toutes ses composantes. Certes la MUD dispose d’une forte majorité au Parlement : elle a obtenu deux tiers des sièges aux élections législatives de décembre 2015 (56 % des voix et 67 % des députés ; contre 42% et 33% pour le Grand Pôle Patriotique chaviste). Mais d’une part, le résultat traduit autant la désaffection à l’égard des politiques menées et de Nicolas Maduro, qu’un vote d’adhésion au MUD. D’autre part, le groupe sera soumis aux marchandages des nombreux petits partis qui le composent.

Les résultats des élections législatives vont désormais forcer le gouvernement à transiger avec un Parlement d’opposition. A la faveur de la médiation de l’UNASUR et de la CELAC, sollicitée début 2015 par Maduro lui-même, une forme de partage du pouvoir pourrait s’établir, mais de nombreuses incertitudes demeurent et la cohabitation ne sera certainement pas paisible.

b. Crises politiques et printemps d’Amérique centrale

Certes les difficultés économiques dues au ralentissement de l’économie mondiale expliquent les difficultés politiques. Mais, comme le souligne le rapport de l’OPALC précité, le mécontentement de la population porte aussi bien sur la baisse de son pouvoir d’achat que sur « la corruption et l’insécurité, deux domaines dans lesquels les politiques publiques peuvent faire la différence. Et de ce point de vue, les opinions publiques ont toutes les raisons de se montrer sévères. »

Il faut souligner ici la présence de nouvelles classes moyennes montantes porteuses de nouvelles exigences envers les décideurs politiques – il est à noter d’ailleurs que ces mouvements se retrouvent chez d’autres « émergents » comme la Turquie ou l’Inde. Ces « enfants de la démocratie » sont en pleine désillusion.

Au Brésil, ce sont aussi les jeunes de la nouvelle classe moyenne qui contestent les choix faits par le gouvernement et les dépenses de prestige des grandes rencontres sportives au détriment de la redistribution ou des dépenses d’éducation.

Au Chili, la présidente est en grande difficulté. Triomphalement élue en décembre 2013, Michelle Bachelet avait connu une première année plutôt favorable, avec notamment l’adoption d’une ambitieuse réforme fiscale. L’année 2015 débute par une série de scandales de corruption dont l’un concerne son propre fils. Les électeurs, surtout la jeunesse, commencent eux aussi à rejeter en masse la classe politique.

Comme le souligne par ailleurs le rapport annuel de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes, l’Amérique centrale est elle aussi en proie à une intense agitation sociale, à tel point que l’image d’un « printemps centraméricain » est évoquée.

Des manifestations hebdomadaires débutent au Guatemala le 25 avril 2015 pour protester contre la corruption au sein du gouvernement, provoquant la démission de la vice-présidente Roxana Baldetti. De son côté, le président Otto Pérez Molina, qui avait terminé la première année de son mandat en 2013 avec plus de 70 % d’opinions favorables, est désavoué en mai 2015 par 61 % des Guatémaltèques. Il tente en vain de survivre jusqu’à la fin de son mandat. La publication en juillet d’un rapport sur le financement de la politique, élaboré par la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG), apporte des preuves de l’emprise des groupes criminels sur les campagnes électorales. Le 31 août, le Congrès retire au président Pérez Molina son immunité et celui-ci démissionne le 2 septembre.

Au Honduras, les « marches des torches » quotidiennes ont réclamé la démission du président Juan Orlando Hernández, accusé d’avoir financé sa campagne électorale en détournant des fonds de l’Institut hondurien de sécurité sociale. L’instauration d’une Commission des Nations unies contre l’impunité a été réclamée. Au Nicaragua, outre la corruption et l’érosion continue de l’État de droit, le projet de construction d’un canal interocéanique de 278 kilomètres financé par la Chine, dont l’impact négatif sur l’environnement serait immense, a suscité la colère des 120 000 personnes devant être déplacées si un tel projet – ce qui semble pour l’heure peu probable – venait à se confirmer.

Ailleurs en Amérique latine, la vie politique est particulièrement polarisée. C’est notamment le cas du Venezuela on l’a vu, mais aussi de l’Argentine, où Mauricio Macri doit composer avec un Parlement d’opposition. En Équateur, les mesures fiscales proposées par Correa ont entraîné de vives protestations, le président les accuse de son côté de fomenter un coup d’État.

c. Des transitions politiques en Colombie et à Cuba

Il ne faut pas non plus oublier le pivot cubain : son rapprochement avec les États-Unis ne sera pas sans effet sur l’ensemble de la région.

Le dernier sommet des Amériques en 2012, sommet créé à l’initiative de William Clinton en 1994, avait été un échec et de nombreux chefs d’États du sous-continent avaient alors déclaré qu’ils n’assisteraient plus à cette réunion si Cuba devait continuer à en être exclu. Les Cubains ont donc accueilli avec satisfaction l’annonce de leur invitation au sommet de 2015, réuni cette fois au Panama.

C’est surtout l’ampleur des annonces faites le 17 décembre 2014 par le président Obama qui ont surpris : rétablissement des liens diplomatiques, libération de prisonniers cubains, rééxamen de son inscription sur la liste des États soutenant le terrorisme et allégement de certaines des conséquences de l’embargo.

Ce rapprochement était prévisible : l’arrivée au pouvoir de Raoul Castro s’est accompagné de mesures d’ouverture économique et politique ; surtout la Havane n’a guère le choix (sa dépendance à l’égard d’un partenaire vénézuélien durement touché par la baisse des prix du pétrole et en plein crise politique l’affaiblit). Coté nord-américain, Obama semble avoir acté la faillite de la stratégie de containment : Cuba n’est pas une menace stratégique pour les États-Unis, et le maintien du statu quo ne sert qu’à alimenter un discours anti-impérialiste et à pousser la Havane dans les bras de Caracas.

La question se pose désormais de la levée de l’embargo – ce qui est loin d’être acquis. Il semblerait qu’aux États-Unis, le camp de ceux qui souhaitent la normalisation des rapports avec Cuba soit majoritaire mais il est peu probable qu’un congrès républicain accorde cette faveur politique à un président démocrate.

Le revirement de la politique américaine à l’égard de Cuba, qui a radicalement changé la donne, devrait conduire à terme à des changements à Cuba, mais aussi sur tout le continent, tant son poids politique est important (au-delà des divergences idéologiques, Cuba est pour l’Amérique latine y compris pour un membre de l’ALENA, ou des pays comme le Mexique réputés proches des États-Unis, un sujet de dignité et de solidarité familiale).

Enfin, l’un des principaux rendez-vous de l’Amérique latine en 2016 est la paix en Colombie.

Le pays est aujourd’hui à un tournant de son histoire. L’accord négocié avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) doit être signé cette année. Si le processus aboutit, la période de post-conflit sera elle aussi lourde d’incertitudes et de défis.

La réforme agricole (1% de la population détient 50% des terres), les droits des victimes, le traitement judiciaire à accorder aux anciens guerilleros, font partie des problèmes qui seront à régler. L’accord ne mettra évidemment pas fin aux narcotrafics non plus qu’à la violence dans le pays. Selon le chercheur Fréderic Massé, de nombreux jeunes désœuvrés pourraient rejoindre les rangs d’autres groupes criminels armés. Sur le plan politique, le Président doit composer avec un Congrès fortement polarisé et divisé, et sans majorité suffisante pour faire face aux problèmes inhérents à la période de post-conflit, le pays pourrait connaître des turbulences politiques importantes.

III. AU PLAN GÉOPOLITIQUE, L’AMÉRIQUE LATINE TENDRAIT-ELLE À SORTIR DE LA « PÉRIPHÉRIE DU MONDE » ?

Aire géographique méconnue voire ignorée par les dirigeants politiques et les médias occidentaux, l’Amérique Latine apparaît marginalisée sur la scène internationale. Pourtant, l’Amérique latine émerge depuis quelques années déjà comme un pôle de stabilité dans l’ordre international, mais surtout un acteur diplomatique aux positions originales (dénucléarisation du sous-continent, opposition à toute forme d’ingérence étrangère dans le règlement des crises régionales ; défense du rôle des grandes instances et des valeurs du multilatéralisme).

Ces initiatives sont-elles à considérer comme des épiphénomènes ou résultent-elles d’une démarche concertée en vue de la constitution d’un pôle qui ferait entendre sa voix dans ce monde multipolaire? Est-ce le signe d’une émergence collective concertée ou l’addition d’initiatives nationales plurielles plus ou moins coordonnées ? Que deviendra cette diplomatie offensive avec la crise du Brésil et du Venezuela qui avaient été ses principaux porte-voix ?

Une autre question se pose aujourd’hui : une diplomatie latino-américaine a émergé à la faveur d’un contexte historique particulier, celui de la fin de la guerre froide, qui a vu les puissances occidentales, Europe et États-Unis principalement, se désintéresser du continent.

On note aujourd’hui, avec le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba, un regain d’intérêt nord-américain pour la zone dont on peut se demander s’il s’agit d’une bonne nouvelle ou non pour l’Amérique latine. En effet, c’est au moment où la Chine renforce son ancrage dans la région, devient le premier partenaire commercial de nombreux pays et un investisseur de poids, que les États-Unis tournent à nouveau leur regard vers le sud du continent.

L’Amérique latine serait-elle simplement en passe de changer de puissance tutélaire – au profit de la Chine notamment ? Serait-elle à nouveau, comme elle l’a été durant la guerre froide, le théâtre de la rivalité entre deux « grands », ici la Chine et les États-Unis ? Cette nouvelle donne géopolitique va-t-elle remettre en question les acquis de la « diplomatie d’autonomisation » et les tentatives pour faire émerger un continent post-américain ? Surtout, comment la France et avec elle l’Europe peut-elle à trouver sa place dans ce nouveau contexte ?

1. La consolidation d’un ensemble à l’identité diplomatique singulière : l’Amérique latine « contribution polymorphe à la formation progressive d’un monde multipolaire »

a. Une diplomatie « défensive » s’appuyant sur le droit international et le strict respect de la souveraineté des États

L’histoire de l’Amérique latine a été marquée par une succession de dominations étrangères, notamment, la dernière et la plus durable, celle des États-Unis. On comprend dès lors que les latino-Américains aient, dès les indépendances, été de fervents adeptes du droit international comme principal instrument d’autonomie.

Pour mettre fin à cette ingérence, des pays comme l’Équateur, l’Argentine et le Mexique ont élaboré très tôt une diplomatie défensive s’appuyant sur le droit international pour empêcher toute intervention étrangère sur leurs sols.

Les États d’Amérique latine, en signant les conventions de La Haye en 1907, ont fait acter sous le nom de convention Drago-Porter l’obligation de régler par la voie de l’arbitrage les conflits liés à une dette extérieure. Ils ont dans le même esprit ultérieurement participé à la création de la Cour internationale de justice. Ils ont avec un volontarisme identique adhéré en 1919 à la Société des Nations (SDN) et en 1945 à l’Organisation des Nations unies (ONU).

C’est au nom des mêmes considérations que les États latino-américains ont signé depuis cette date la plupart des traités portant création d’institutions judiciaires intergouvernementales, comme en 2002 avec la mise en place de la Cour pénale internationale. Cet engagement permet de comprendre que l’un de ses premiers procureurs ait été un juge argentin, Luis Moreno Ocampo.

La préservation de la paix et le refus de la guerre ont constitué une autre constante de leur diplomatie.

Elle a été reprise avec le plus de succès par le Mexique en 1967. Cette année-là, le traité de Tlatelolco, qui prétend dénucléariser l’Amérique latine, a été signé à Mexico. Complémentaire au traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP) signé le 1er juillet 1968, il a effectivement rempli ses objectifs. Aujourd’hui, tous les pays d’Amérique latine – l’Argentine, le Brésil et le Chili l’ayant fait en dernier (en 1990, 1991 et 1992) – ont signé cet engagement. Les cinq puissances nucléaires « officielles » – la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie – l’ont également paraphé.

Tous les pays latino-américains défendent le strict respect de la souveraineté des États. Cette doctrine de non-intervention, qui porte le nom d’Estrada, a été formulée pour la première fois en 1930 par le Mexique (9).

En vertu de cette doctrine, les Latino-Américains ont condamné, et condamnent, toute initiative militaire, ou toute prise de sanctions à l’égard d’un pays, si elle n’a pas reçu l’aval de l’ONU. Ainsi, la Colombie, pays pourtant allié des États-Unis, condamne depuis plusieurs années l’embargo unilatéral imposé par Washington à l’égard de Cuba. Les pays du GRULAC aux Nations unies sont dans l’ensemble peu favorables à toute forme d’ingérence ou encore à l’application de sanctions internationales.

b. Des stratégies d’indépendance différenciées vis-à-vis de Washington

La plus ou moins grande proximité avec les États-Unis est un marqueur fort des identités diplomatiques latino-américaines, à ce titre on peut les distinguer selon les stratégies diplomatiques développées vis-à-vis de Washington.

La première consiste à affirmer, dans un style « libérateur » pour le Venezuela, « progressiste » pour le Brésil, une indépendance d’action et de ton. Elle s’est traduite par exemple par le refus de l’intervention en Irak en 2003 ou encore le refus de la zone de libre-échange proposée par les nord-américains.

La deuxième consiste à cultiver une proximité avec les États-Unis en raison du voisinage proche des États-Unis : c’est le cas des pays d’Amérique centrale et des Caraïbes. Ainsi, le Guatemala, le Honduras, le Salvador et la République dominicaine ont envoyé quelques dizaines de soldats en Irak en 2011.

La seconde stratégie consiste à entretenir un lien étroit pour en tirer des bénéfices ; c’est le cas de la Colombie ou encore de l’Argentine des années 1990 qui avait théorisé le réalisme périphérique. C’est à Bogotá que s’est tenue, à la demande de Washington, la conférence fondatrice de l’OEA (Organisation des États américains) en 1948. Juan Manuel Santos, chef de l’État Colombien depuis 2010, a indiqué le 1er juin 2013 que son pays entendait renforcer et formaliser sa coopération avec l’Alliance atlantique.

La dernière consiste à s’organiser régionalement et à multiplier les partenariats, avec l’Espagne, la Chine et l’Inde notamment. Le Chili a par exemple privilégié le « régionalisme commercial ouvert », et multiplié la signature d’accords de libre-échange.

L’intégration régionale, inspirée de la construction européenne, a pu être conçue comme un moyen de gagner en indépendance. Sur ce point la créativité institutionnelle des pays latino-américains paraît sans limite, chaque année apportant sa nouvelle organisation à l’édifice. L’articulation de ces instances et la canalisation de ces initiatives n’est pourtant pas évidente.

c. Des initiatives diplomatiques dissidentes portées principalement par le Brésil et le Venezuela

À partir du début des années 2000, des pays latino-américains ont pris des initiatives diplomatiques singulières. Parmi les exemples les plus récents, on peut citer accords signés par l’Iran avec plusieurs pays d’Amérique latine, en particulier la Bolivie et le Venezuela ; l’initiative prise en 2010 par le Brésil et la Turquie sur la crise du nucléaire iranien ; les démarches du Brésil avec l’Afrique du Sud et l’Inde auprès de Damas en 2011.

Il s’agit là d’une diplomatie plus offensive, cherchant non plus seulement à gagner en indépendance vis à vis de son grand voisin, mais à affirmer sa place dans la gouvernance mondiale et à être entendue sur les problématiques globales, que ce soit les questions commerciales ou le règlement des crises. Selon Jean-Jacques Kourliandsky (10) , auditionné par la mission, les dissonances entre les capitales latino-américaines et Paris Washington ou Londres sur les crises d’Iran, de Libye et de Syrie depuis 2010 ont surpris les capitales occidentales. Elles reflètent « la direction prise par un « continent » géopolitique et culturel, avant-hier périphérique, hier revendicatif, aujourd’hui porteur d’initiatives dissidentes, en rupture avec l’ordre établi. »

La montée en puissance des pays de l’Amérique latine sur la scène internationale s’explique par une série de facteurs : la fin de la guerre froide, le désintérêt croissant des États-Unis et de l’Europe pour cette aire géographique ; l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales, Hugo Chavez et Luiz Inacio Lula da Silva qui ont défendu des programmes sociaux ambitieux et une conception plus démocratique et multilatérale de l’ordre international ; enfin, la conjoncture économique favorable permettant le désendettement de ces pays grâce à la reprise des cours des matières premières. Cette stratégie a enregistré de réels succès.

Selon certains interlocuteurs de la mission, c’est avant tout le Brésil qui a, selon ses intérêts bien compris, animé et assuré le leadership de cette diplomatie régionale, ainsi que, dans un style différent mais avec des positions qui se rapprochent, le Venezuela.

Le volontarisme diplomatique couplé au pétrole vénézuélien a effectivement réussi à constituer et à consolider un « réseau du refus », celui de l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA). Née en 2004 sur ces bases et devenue Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique en 2009, qui se définit comme un reflet inversé de la Zone de libre-échange des Amériques promue par Washington (ZLEA ou ALCA en espagnol). Au fil des mois, plusieurs pays ont rejoint le Venezuela et Cuba. Depuis le retrait du Honduras en 2010, ils sont au nombre de sept.

Si les ambitions du Brésil ne sont pas moindres que celles du Venezuela, c’est avec un style moins agressif qu’elles s’expriment (le Brésil n’a pas souhaité intégrer l’ALBA). Lula et sa formation, le Parti des travailleurs (PT), ont réactivé la Politique extérieure indépendante (PEI), invention diplomatique des années 1960, pour déployer une diplomatie d’acteur global. Depuis 2003, le Brésil a ainsi été à l’origine de la création du G10, acteur à part entière de l’OMC, regroupant pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. Il a également initié les sommets Amérique du Sud-pays arabes (Aspa) à partir de 2005 et les sommets Amérique du Sud-Afrique (ASA) en 2006, Afrique où il a ouvert une vingtaine de missions diplomatiques. Le pays est enfin, avec le Mexique et l’Argentine, actif au sein du G20.

Cette multilatéralité associe de façon plus large le Brésil avec les puissances montantes aspirant à jouer un rôle plus déterminant au sein des institutions internationales. Le Brésil coopère ainsi avec l’Allemagne, l’Inde et le Japon au sein du G4, ces différents pays aspirant eux aussi à un siège de membre permanent au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Depuis 2008, il fait également partie des BRICS, qui réunit les grands émergents que sont la Chine, la Russie, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud.

Le Brésil a favorisé les alliances avec d’autres pays latino-américains autour de projets concrets, comme par exemple la construction de réseaux routiers bi-océaniques, allant de l’Atlantique au Pacifique, en privilégiant une coopération avec le Pérou. En Haïti, l’opération de maintien de la paix, Minustah, tout à la fois latino-américaine et brésilienne, a donné à lire de façon concrète cette solidarité. Mais c’est surtout la création de l’UNASUR, autre initiative brésilienne, qui a donné corps à cette ambition.

Cette diplomatie plus offensive a enregistré quelques succès. Le commerce international a été par exemple l’une des premiers domaines où s’est exprimée cette aspiration collective à exister sur la scène internationale.

Au mois de septembre 2003, la cinquième Conférence ministérielle de l’OMC réunie à Cancún, au Mexique, n’a pas pu aboutir en raison de l’opposition des pays du G22 aux trois grandes puissances qui dominaient auparavant les négociations commerciales, les États-Unis, l’Europe et le Japon. Pour mémoire, le G22 est une initiative tricontinentale organisant des cohérences entre pays d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie. Ses initiateurs, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, avaient quelques mois plus tôt, en juin 2003, constitué le groupe IBAS (Inde, Brésil, Afrique du Sud). L’IBAS avait comme objectif de court terme de confier à ses fondateurs la responsabilité de convaincre les pays de leur environnement géographique d’intégrer un bloc ayant vocation à participer au processus de décision au sein de l’OMC. Fonctionnant hier en triangle, l’OMC d’aujourd’hui a quatre côtés, les États-Unis, l’Union européenne, le Japon et le G20.

Le règlement régional des crises a été l’un des autres terrains d’expression de l’autonomisation des Amériques. L’OEA, dont le siège est à Washington comme l’ONU, en dépit de leur caractère intergouvernemental, ont généralement été perçues en Amérique latine comme des institutions contrôlées par les grandes puissances. La réforme du système des Nations unies est une revendication partagée. Elle s’est traduite très concrètement en 2004 par la prise en charge pour la première fois, en Haïti, d’une opération de paix des Nations unies par un groupe de pays latino-américains. Dirigée par un général brésilien, la Minustah est appuyée par des contingents venus de plusieurs pays latino-américains.

d. Tirer parti de l’interdépendance : une diplomatie des Sud ?

Les pays latino-américains ont aussi cherché à diversifier leurs partenaires, pour s’imposer sur la scène internationale : partenariats avec les autres grands émergents on l’a vu (BRICS, IBAN), mais aussi intensification des liens avec les pays en développement, notamment en Afrique.

La France, qui entretient elle aussi des relations privilégiés avec l’Afrique et le monde arabophone, ne peut-être indifférente à cette tentative de consolidation d’une diplomatie des Sud.

Plusieurs gouvernements de gauche ont ainsi renoué ces dernières années avec une tendance « tiers-mondiste », pour reprendre l’appellation héritée de la guerre froide, de la diplomatie latino-américaine.

Dans la lignée de la Conférence de Bandung, certains pays latino-américains comme le Brésil, le Chili, le Venezuela ou Cuba, ont développé des diplomaties Sud-Sud. On pourra rappeler l’exemple cubain : le pays a accueilli le VIème sommet des non-alignés en 1979, a envoyé des troupes en Angola sans demander l’autorisation de Moscou. Le Venezuela a, lui aussi, eu très tôt une politique active à l’égard des pays arabes et africains. C’est l’exploitation du pétrole qui a pour lui été la porte d’entrée vers les pays en développement.

La chercheure Elodie Brun souligne cependant avec justesse qu’hier comme aujourd’hui, les raisons du rapprochement des pays latino-américains avec les pays en développement sont variables : efforts pour s’extraire de la tutelle d’une puissance étrangère, qu’elle soit nord-américaine ou russe à l’époque, volonté d’affirmation ou encore rivalités régionales, enfin (surtout ?) intérêts économiques et développement des échanges commerciaux.

Ce sont les gouvernements élus à la fin des années 1990 qui ont renoué avec cette diplomatie Sud-Sud, principalement des pays comme le Brésil ou le Venezuela. Avec le monde arabe (Doha 2009), l’Afrique (Abuja 2006) et, bien sûr, l’Asie, l’APEC comptant déjà trois membres latino-américains (le Chili, le Mexique et le Pérou). A titre d’exemple, Lula s’est rendu 10 fois en Asie, 34 fois en Afrique et 10 fois au Moyen-Orient. L’Itamaray avait aussi été complété par un département exclusivement africain et le Secrétariat en charge des questions relatives au Forum IBAS élevé au rang de Division. Hugo Chavez a lui aussi multiplié les visites (avec une concentration particulière sur l’Iran et la Libye).

On peut identifier quelques axes forts dans cette diplomatie. Ainsi, les projets d’aide au développement, particulièrement en direction des pays d’Afrique subsaharienne, ont fait l’objet d’une attention particulière (le budget de l’Agence brésilienne de coopération pour l’Afrique a augmenté de 1733,5% entre 2003 et 2009 ; le Venezuela a multiplié les gestes de solidarité à l’égard du Burkina Faso, de la Mauritanie ou encore du Niger en 2005 et apporté son soutien à l’éducation à partir de 2008 à une quinzaine d’États africains).

On peut également citer la reconnaissance de l’État palestinien comme axe fort de cette diplomatie : après Cuba et le Nicaragua dans les années 1980, le Brésil a lui aussi en 2010 établi des relations diplomatique avec la Palestine, ce qui a entraîné une vague de reconnaissances dans la région avec l’Uruguay, la Bolivie, l’Argentine, la Guyana, le Paraguay, mais aussi le Chili, le Pérou et le Suriname.

Mais cette stratégie est encore balbutiante : par exemple, les sommets Amérique du Sud-pays arabes de 2005 et 2009 ont plus donné lieu à des déclarations d’intention qu’à la définition de véritables axes stratégiques. La diplomatie de bloc à bloc a par ailleurs été percutée par les « printemps arabes » où la diplomatie de grand pays comme le Brésil a semblé hésiter allant d’un refus des sanctions contre le régime Assad en 2011 au CSNU (à l’instar de la Chine et de la Russie dans une optique de solidarité avec les BRICS) au vote d’une résolution non contraignante l’année suivante à l’assemblée générale condamnant le régime syrien. Surtout, « une sorte de malentendu plane sur l’ASPA : les Latino-Américains attendent des retombées économiques, tandis que les Arabes privilégient les déclarations politiques sans lendemains. », De plus, à l’intérieur des deux blocs, les tensions et rivalités compliquent davantage le jeu. C’est en fait le Brésil qui a le mieux bénéficié au plan économique notamment, de cette relance de la diplomatie en direction de l’Afrique et du Moyen-Orient. Ainsi le pays a vendu des avions du constructeur Embraer, et les exportations brésiliennes ont triplé depuis le premier sommet ASPA et dépassé les 15 milliards de dollars en 2011 (soit trois fois plus que les exportations argentines).

L’Amérique latine manque encore d’une véritable stratégie portée par des intérêts communs ce qui n’empêche pas certains pays pris individuellement (Brésil, Cuba ou même Venezuela) d’avoir de vrais atouts à faire valoir en dehors de l’Europe ou des États-Unis.

Enfin, il n’est pas possible de parler d’une diplomatie des Suds, tant ces Suds tendent à occuper des places différentes dans la nouvelle mondialisation : en effet, l’Asie fait aussi bien figure de concurrente que de partenaire pour les pays latino-américains (voir C.2)

2. Quid demain de la constitution d’un hémisphère « post-américain » ?

a. L’Amérique, nouvel enjeu de rivalité entre les États-Unis et la Chine ?

On l’a vu, les pays latino-américains ont, à la faveur de la fin de la guerre froide, desserré leur lien de dépendance vis-à-vis des États-Unis.

Cette autonomie de décision souveraine s’est notamment illustrée par l’échec du projet de zone de libre-échange des Amériques proposé par les États-Unis en 1994. Le Brésil et l’Argentine ont courtoisement mais fermement rejeté le grand dessein panaméricain au sommet des Amériques de Mar del Plata (Argentine), en 2005. L’ALCA n’est pas « réapparue » au sommet suivant, tenu à Trinidad-et-Tobago en 2009.

Par ailleurs, la signature d’accords commerciaux et de libre-échange avec l’Union européenne et des pays d’Asie, la présence active d’États latino-américains dans l’Association Asie-Pacifique pour la coopération économique (Apec), le rôle décisif de la Chine, devenue le deuxième partenaire commercial du sous-continent, dans le dynamisme économique de l’Amérique du Sud témoignent de l’ampleur des changements intervenus. Le temps d’un « hémisphère fermé dans un monde ouvert » dont rêvait le Département d’État dans l’immédiat après-guerre est totalement révolu. Comme le souligne Georges Couffignal, le mythe de la « famille américaine » ne fait plus recette.

Est-ce à dire que les États-Unis auraient abandonné la doctrine Monroe (11)  ou que les nord-Américains auraient perdu l’Amérique latine ?

Les États-Unis demeurent le premier partenaire commercial et politique de nombreux pays latino-américain. L’american way of life exerce son influence sur tout le continent. Les États-Unis n’ont pas perdu l’Amérique latine mais ils ne sont plus la seule puissance hégémonique qui fait et défait les pouvoirs comme cela a pu être le cas entre l’affirmation de la doctrine Monroe et la fin de la guerre froide. L’Amérique du nord doit aujourd’hui composer avec quelques puissances émergentes. Ce qui a contrario va lui permettre de rétablir des relations plus apaisées avec des pays et des régimes qui contestaient puissamment son ordre (au premier rang, Cuba). L’antiaméricanisme ne pourra plus servir de seul programme politique dans nombre de pays sud-américains.

Le président Obama semble avoir tiré les leçons de ce contexte avec la proposition d’un nouveau partenariat au sommet des Amériques à Trinité et Tobago en 2009, ou encore avec la tentative de resserrement des liens avec le Brésil, et un engagement humanitaire de grande envergure après le séisme en Haïti. Surtout, la reprise des liens diplomatiques avec Cuba ouvre un « nouveau chapitre » entre les États-Unis et l’Amérique latine.

Car le continent n’a rien perdu de son importance stratégique pour les États-Unis. En effet, l’espace continental « doit constituer le premier noyau concentrique de la politique énergétique États-unienne » : autonomes énergétiquement, les États-Unis pourraient s’appuyer sur les pays producteurs que sont l’Argentine, le Brésil, le Mexique, le Canada et le Venezuela, mais aussi la Colombie, l’Équateur et le Paraguay, pour bâtir un pôle énergétique où pétrole, gaz naturel liquéfié, schiste abondent, et qui au passage contrebalancerait le Moyen-Orient et les pays de l’OPEP.

Il faut lier l’inflexion récente de la diplomatie américaine dans la zone à celle de la nouvelle puissance qui menace son hégémonie : la Chine. Reste à savoir si l’Amérique latine saura tirer parti de cette rivalité ou en sera victime.

Le rétablissement des relations avec Cuba ne doit rien au hasard mais intervient au moment où la Chine renforce son ancrage en Amérique latine sur fond de déplacement du centre de l’économie mondiale vers la zone Asie-Pacifique. Ainsi selon le chercheur Christophe Ventura, « si le président américain affirme que le temps des ingérences est révolu, celui de l’endiguement de la puissance commerciale de la Chine ne fait que commencer. »

En effet, à la faveur du vide créé par le retrait des puissances occidentales et du basculement du centre de gravité de l’économie mondiale vers l’Asie, les pays latino-américains se sont de plus en plus tournés vers cette zone, en particulier la Chine.

La Chine, l’Inde, le Japon et de façon plus globale l’Asie, sollicitées par l’Amérique latine et encouragées par la recomposition des rapports mondiaux, ont très vite occupé la place de concurrent principal des Etats-Unis dans la zone, qui était jusque-là celle des Européens. La réorientation du commerce vers l’Asie est intense (elle est très marquée pour l’Argentine, le Brésil, le Chili et le Pérou) même si elle n’a pas encore occulté les autres partenaires que sont l’Europe et les États-Unis.

Cette réorientation économique signale un fait plus important au plan géopolitique : les latino-américains regardent vers la Chine, mais aussi la Corée du Sud ou l’Indonésie, symboles de réussite, plutôt que vers les « vieilles » puissances occidentales. Elle se double d’un phénomène migratoire important dans les grandes villes, de flux d’investissements d’initiatives diplomatiques naissantes.

C’est surtout pour la Chine que l’Amérique latine revêt une importance stratégique capitale. Elle lui fournit les matières premières nécessaires à son développement, constitue un marché pour ses produits intermédiaires, enfin, une plateforme de production pour des produits destinés aux économies du Nord. Ainsi, ses échanges avec la région ont été multipliés par 21 en 10 ans à peine. Entre 2006 et 2011, l’Amérique latine a triplé le volume de ses exportations et doublé ses importations en provenance de Chine. Le revenu tiré de cette hausse des exportations a permis de financer en partie des politiques sociales, il a aussi inscrit les rapports de l’Amérique latine et de la Chine dans une relation très asymétrique.

Certains pays sont devenus particulièrement dépendants de leur relation économique avec la Chine : cinq pays réunissent 88 % des exportations du sous-continent (l’Argentine, le Brésil, le Chili, le Mexique et le Pérou). Dépendance en effet, car ce sont principalement des matières premières non transformées qui partent vers la Chine (le fer, le soja, le pétrole, le cuivre, les composants électriques représentent non moins de 70 % des exportations). En sens inverse, les « importations de produits manufacturés par l’Amérique latine ont augmenté de 420 % entre 2000 et 2006 ».

La Chine investit également de manière massive en Amérique latine, dans des secteurs stratégiques : l’extraction minière représentait 24% des IDE dans la zone en 2011, dans six pays latino-américains, principalement au Pérou et en Équateur

Le pays a aussi signé de nombreux accords de libre-échange avec le Chili, le Costa Rica, le Pérou. La Chine s’apprête à en signer un avec le Mexique et la Colombie. Elle a signé un accord de partenariat stratégique avec le Brésil et proposé un accord de libre-échange au Mercosur. Enfin, sa diplomatie ne se limite plus à l’économique, les accords signés comportent des volets culturels scientifiques et technologiques. La Chine a présenté un premier livre blanc sur l’Amérique latine en novembre 2008. En juillet 2014, Xi Jinping a annoncé à Brasilia la mise en place d’un fonds de 20 milliards de dollars pour financer le développement d’infrastructures et d’un fonds de coopération régionale. Après s’être rendu en Argentine, au Brésil, et au Venezuela, il a terminé par Cuba.

Les États-Unis auraient-ils perdu l’Amérique latine quand la Chine l’aurait gagnée ? Quelle que soit la réponse à cette question, il est évident que la rivalité entre les deux grandes puissances ne sera pas sans effet sur les pays latino-américains. Surtout, le rapprochement de l’Amérique latine et de l’Asie est le signe que des espaces de développement et de dialogue politique se constituent qui non seulement n’obéissent plus au monopole des puissances occidentales, mais dont elles sont parfois exclues.

b. Un continent aujourd’hui en « panne de leadership » et dont les processus de regroupement régionaux sont affectés par le pivot de l’économie mondiale vers l’Asie

C’est plutôt une période de repli et d’introspection au plan diplomatique qui semble s’ouvrir pour l’Amérique latine : le continent a perdu ses deux leaders « charismatiques » et le pivot asiatique affecte son unité.

Selon Olivier Dabène, depuis la fin de la présidence Lula au Brésil en 2010 et la mort du président vénézuélien Hugo Chavez, l’Amérique latine « ne dispose pas de dirigeants susceptibles de s’imposer dans la région et de rayonner sur la scène internationale ».

L’essoufflement de la croissance économique, les changements intervenus à la tête des deux États, ont changé la donne. Au Brésil, la personnalité de la présidente la portait, selon la légende, peu vers les affaires internationales, et la crise politique actuelle devrait pousser son successeur à se concentrer lui aussi sur les affaires intérieures. Le Venezuela a perdu son leader charismatique et se trouve absorbé lui aussi dans une crise de régime. Les puissances moyennes du continent ne peuvent prendre la place laissée par le Brésil et, dans une moindre mesure, le Venezuela. Le Mexique est lui aussi affaibli par des scandales comme celui provoqué par la mort d’une vingtaine d’étudiants dans le Guerrero. La Colombie est toute entière concentrée sur la conclusion de l’accord de paix et l’après conflit, l’Argentine va devoir affronter des défis politiques et économiques importants dans un climat de forte polarisation politique.

Certes, une forte solidarité peut persister dans la relation de la région avec les États-Unis – sa dernière expression a été le soutien commun à l’invitation de Cuba au sommet des Amériques en avril 2015. Certains interlocuteurs de la mission ont souligné cependant les difficultés récentes des pays latino-américains à trouver des positions communes dans les grandes négociations.

Ainsi, au G20, depuis 2008, il n’y a pas de positionnement commun structuré entre les pays latino-américains. Aux dernières réunions, le Mexique, vantait ses réformes libérales quand le Brésil proposait de consolider le front alternatif des émergents et l’Argentine était concentrée sur la question des fonds vautours.

Autre exemple, sur les questions de climat, à Lima, seuls les membres de l’Alliance du Pacifique ont tenu une conférence de presse commune, malgré la concertation annoncée au sein du Mercosur. Il est vrai que les positions sont très divergentes sur ce point (le groupe formé à Doha, l’Alliance indépendante de l’Amérique latine et des Caraïbes, composée de la Colombie, du Costa Rica, du Pérou du Chili du Panama et du Guatemala, n’est que peu parvenu à élargir son audience).

De plus, le pivot de l’économie mondiale vers l’Asie n’est pas sans conséquence sur les processus d’intégration régionaux et les rapports de force au sein du sous-continent.

La résurgence des conflits frontaliers et maritimes entre la Bolivie, le Pérou, le Chili ou le Nicaragua et le Costa Rica « indique le poids de logiques nationales centrifuges qui dans le contexte de concurrence pour l’accès aux couloirs internationaux du commerce mondial, pèsent sur les perspectives et l’approfondissement de l’intégration régionale ».

De nombreux interlocuteurs de la mission ont évoqué une déconnexion croissante entre deux Amériques : l’Amérique du sud et du nord.

Grossièrement, dans la première, on trouve les pays du Mercosur et de l’Alternative Bolivarienne pour les Amériques (ALBA) , dans la seconde, les pays membres de l’Alliance du Pacifique.

Le Mercosur, fondé dans les années 1990, rassemble l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. Selon les interlocuteurs de la mission, le Mercosur est en crise. Cette organisation régionale a fait l’objet de toute l’attention de l’Union européenne aux débuts de leur dialogue bi-régional. Le Mercosur demeure le principal bloc régional dans la zone, au plan économique et démographique, avec 280 millions d’habitants et un PIB de près de 3300 milliards de dollars. Au-delà de la difficile gestion de l’asymétrie entre ses membres, l’organisation achoppe sur les questions commerciales, où d’autres différends (par exemple entre l’Uruguay et l’Argentine à propos de la construction d’usines de pâte à papier).

L’Alternative Bolivarienne pour les Amériques (ALBA) (12)est elle aussi impactée par la crise de son pays fondateur et leader, le Venezuela. Ce projet a en effet été annoncé en 2001 par le président vénézuélien Hugo Chavez pour concurrencer la ZLEA. L’idée était de reconstruire des relations entre pays qui ne soient pas centrées sur le commerce, mais sur les principes de solidarité, de coopération, de complémentarités et de réciprocité. Cette organisation aurait évolué au fil des ans vers une alliance politique essentiellement centraméricaine et caribéenne, ne parvenant que très faiblement à intéresser l'Amérique du sud. 

On observe en revanche la montée en puissance de l’Alliance du Pacifique, organisation plus jeune, créée en 2011. Elle compte le Chili, la Colombie, le Pérou et le Mexique et s’est traduite par le lancement de négociations pour la signature d’un accord de libre-échange entre ses membres. Riverains de cet Océan, partageant la même approche géopolitique, ils ont créé un arc de solidarité et d’intérêts communs. Ils s’opposent ainsi aux pays qui ont au contraire cultivé des solidarités visant à rompre avec Washington ou à renforcer des complémentarités internationales concurrentes, principalement le Mercosur.

Les deux blocs auraient une conception différente de l’intégration régionale : le premier viserait un marché commun entre ses membres et la consolidation du développement, le second la réalisation d’une zone de libre-échange et l’insertion au marché international.

Mais il y a aussi des nuances au sein de chaque bloc et des liens entre les deux. La diplomatie régionale en Amérique latine est plus pragmatique et moins marquée idéologiquement qu’on ne le dit.

Le Pérou, pays de l’Arc Pacifique a ainsi cultivé après l’élection du président Ollanta Humala, le 5 juin 2011, un partenariat privilégié avec le Brésil. La Colombie, membre de l’Alliance du Pacifique, dialogue à Cuba avec la guérilla communiste des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc). Associée à l’Otan depuis le mois de juin 2013, elle a enterré un accord pourtant négocié en 2010 qui donnait aux États-Unis un accès libre à neuf de ses aéroports et ports militaires.

Par ailleurs, le Mexique, pays leader du groupe partenaire des États-Unis, a des ambitions nationales et tente de jouer le rôle de pays pivot ou charnière entre les États-Unis et l’Amérique latine. Cette ambition s’est concrétisée en 2001 sous la forme d’un projet régional, le Plan Puebla Panama. Enrique Peña Nieto, le président élu en 2012, s’efforce de recomposer une influence continentale du Mexique et donc de retrouver la voie de partenariats avec Cuba comme avec le Brésil.

L’UNASUR/Unasul a été en 2008 la principale concrétisation institutionnelle de cette ambition, suivie en 2011 de la Communauté des États latino-américains et caribéens (CELAC). Or la Colombie aussi bien que le Mexique en sont membres.

Ainsi, Jean-Jacques Kourliandsky établit deux hypothèses principales. La première conduirait à l’ascension avortée des pays latino-américains en raison du blocage des pays occidentaux, de l’alternance politique et de la conjoncture économique fluctuante.  Au Brésil comme au Venezuela, l’alternance favoriserait des formations centristes et libérales, ce qui aurait nécessairement une traduction extérieure, réorientant les diplomaties vers l’Occident et les États-Unis. Un retournement de conjoncture économique en Asie et une victoire républicaine au Congrès des États-Unis pourraient hypothéquer les acquis diplomatiques des dernières années.

La seconde verrait l’émergence d’un pôle créant une nouvelle répartition des rôles dans le système international. Pôle et non bloc car de l’avis unanime des interlocuteurs de la mission, il n’y pas « une » Amérique latine – terme de géographie politique – mais « plusieurs », traversées par la diversité de ses diplomaties qui, grâce à des revendications communes, ont pris une place croissante sur la scène internationale.

IV. EN AMÉRIQUE LATINE, LA FRANCE A UN HÉRITAGE, MAIS PAS DE STRATÉGIE POUR L’AVENIR

1. La France a eu une politique latino-américaine

a. Charles de Gaulle et l’Amérique latine comme enjeu de construction d’un monde multipolaire

Il ne faut pas oublier que sur les 400 comités de la France libre, 300 avaient été constitués en Amérique latine : la proximité politique et intellectuelle était donc établie lorsque le général de Gaulle effectua son fameux voyage dans la région. Par ailleurs, cette région offrait la possibilité de contester une politique hégémonique américaine dans sa traditionnelle arrière-cour (de Gaulle condamnera d’ailleurs l’embargo décrété contre Cuba et l’intervention de 1965 en république dominicaine).

Surtout, Charles de Gaulle effectue un très long voyage du 21 septembre au 16 octobre 1964, qui restera dans les mémoires, visitant 10 pays. Selon l’historien Maurice Vaïsse (13), l’objectif était triple.

Il est question tout d’abord de manifester partout la présence de la France, éclipsée sous la IVème République.

Il s’agit ensuite de montrer l’importance qu’il attache à un continent qui l’attire « d’instinct et de nature ». Lors de ce périple (14), il souligne systématiquement l’appartenance de la France et des pays visités à une même communauté humaine dont les racines linguistiques, l’histoire, les valeurs, la civilisation, la religion sont communes, ce qui n’est pas le cas de États-Unis. Il développe à plusieurs reprises le concept de « latinité », qui d’ailleurs ne sera pas toujours parfaitement accueilli, notamment en Bolivie ou au Pérou, pays à fort pourcentage de population indienne. C’est en tout cas le « début d’une institutionnalisation des relations de coopération culturelle, que les successeurs de de Gaulle poursuivront jusqu’à une date récente ».

Enfin, il s’agit de dénoncer les hégémonies, qu’elles soient américaine ou soviétique. Ce voyage marque la volonté de conforter la position de la France comme puissance d’équilibre, capable d’autonomie face aux Etats-Unis notamment. Charles de Gaulle définit ainsi au moyen de l’Amérique latine un politique de la « troisième voie ».

Les retombées politiques immédiates du voyage de Charles de Gaulle en Amérique latine ont été limitées. Les régimes autoritaires se sont multipliés et face à la crise économique, c’est le poids des États-Unis qui s’est renforcé dans la zone. Mais Charles de Gaulle a eu le mérite de percevoir un « moment psychologique particulier du continent sud-américain. » et d’avoir « semé un message d’espoir » que la plupart de nos interlocuteurs latino-américains ont cité.

b. La présidence Valery Giscard d’Estaing : accent sur la diplomatie économique mais absence de politique latino-américaine bien définie

Valery Giscard d’Estaing décide de concentrer les moyens de la France et de préserver la stabilité dans les territoires français dans les caraïbes, de défendre les intérêts nationaux et de promouvoir le développement économique de la France.

Il inaugure également, fait important, la formule du dialogue Nord-Sud en 1974, et la rencontre des pays industrialisés qui donnera naissance au G8.

Il ouvrit enfin grandes les portes de la France aux réfugiés politiques la tout en entretenant des relations fluides avec tous les régimes, comme de Gaulle l’avait fait avant lui – nombreux sont d’ailleurs par la suite devenus des chefs d’États, des ambassadeurs, ou des figures intellectuelles célèbres, on pourra citer les noms de Raoul Ruiz, de Jacques Conchol, ancien ministre d’Allende, ou de Fernando Henrique Cardoso, futur président du Brésil.

c. François Mitterrand : solutions politiques pour l’Amérique centrale et articulation de notre diplomatie avec la politique européenne

La présidence de François Mitterrand marque un retour de l’engagement politique de la France en Amérique latine.

Trois thèmes ont été chers à cette diplomatie : la stabilisation des pays d’Amérique centrale (il a en effet contribué à faire prévaloir des solutions politiques en Amérique centrale, contre la logique strictement militaire de Ronald Reagan), les droits de l’homme, une nouvelle politique de développement à l’égard du tiers monde (l’Amérique latine était aussi pour la France un allié pour sortir de la bipolarité ou promouvoir le dialogue nord sud). Enfin, il concentre sa politique extérieure sur certains pays, l’Argentine, le Mexique, le Chili, Cuba, et l’Amérique centrale.

Surtout, pour la France l’Amérique latine devient alors un enjeu communautaire de la construction d’une politique étrangère commune : en 1985, Jacques Delors est nommé à la tête de la commission européenne, la France est résolument engagée dans la construction européenne. C’est aussi le moment où l’adhésion de l’Espagne et du Portugal, en 1986, pousse en faveur d’une diplomatie plus active dans la région. Ainsi, dès le second mandat de Mitterrand, la coopération va peu à peu devenir du ressort de l’Union européenne, logique qui ne s’est pas démentie jusqu’à aujourd’hui (voir II.B).

En 1982, l’Europe signe les accords de San José avec les pays d’Amérique centrale, ce qui restaure l’image de l’Union après la guerre des Malouines, et prévoit une réunion annuelle des ministres des affaires étrangères. La CEE, avec l’appui déterminé de la diplomatie française, soutient les efforts du groupe d’appui de Contadora (15), créé en 1983, pour qui les structures archaïques du pouvoir sont à l’origine des affrontements au Nicaragua. Contre la logique des États-Unis, l’Union européenne soutient enfin le plan Esquipulas établi en 1987 (16), met en place une aide au développement substantielle et devient le deuxième partenaire économique de la zone derrière les États-Unis.

d. Jacques Chirac va imbriquer les trois héritages : troisième voie, promotion de nos intérêts économiques et poursuite de la politique européenne

Sa présidence s’inscrit dans la lignée de Charles de Gaulle en affirmant l’alliance de la France et de l’Amérique latine sous les aunes de la « troisième voie », dans celle de Valéry Giscard d’Estaing pour la promotion de nos intérêts économiques, et de François Mitterrand, en poursuivant l’imbrication de la politique française avec la politique européenne.

Ainsi il œuvre activement pour que la diversité culturelle soit reconnue par les instances internationales : il défend l’exception culturelle au GATT à l’OMC et réussit à faire adopter en 2005 une convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles par l’UNESCO.

Il réoriente la politique culturelle en la liant à la diplomatie économique pour moderniser l’image du français comme langue de travail, et en créant les volontariats internationaux.

Enfin, il soutient les pays soucieux d’autonomie et recherche leur appui dans les grandes enceintes internationales. Ainsi, en 1997, la France apporte son soutien à la Bolivie dans sa volonté de faire admettre le principe de coresponsabilité dans le trafic de drogues. On peut aussi citer le fait que la France, le Chili et le Mexique voteront ensemble contre l’intervention militaire américaine en Irak en 2003.

Enfin, c’est à cette époque que s’engage un dialogue actif sur les droits de l’homme au niveau européen, que la France a porté. En 2000, la France a œuvré pour la construction d’un espace commun d’enseignement supérieur pour renforcer les liens universitaires entre les deux régions.

e. Nicolas Sarkozy : rupture avec l’héritage gaulliste, concentration sur les grands émergents

Notre diplomatie s’est durant cette période concentrée sur quelques pays émergents jugés prioritaires, le Brésil avant tout, et le Mexique, promus partenaires stratégiques en raison de leur positionnement géopolitique, et à un degré moindre l’Argentine, le Chili, ou la Colombie.

Surtout, la présidence de Nicolas Sarkozy a été marquée par des tensions dans la relation avec l’Amérique latine. « L’affaire Ingrid Betancourt » a selon, les interlocuteurs de la mission, monopolisé les efforts de la diplomatie française pendant les premiers mois de son mandat et son activisme n’a pas toujours été du goût des autorités colombiennes. C’est ensuite « l’affaire Florence Cassez » qui a affecté nos relations avec le Mexique, jusqu’à entraîner l’annulation de l’année France-Mexique en 2011.

Enfin, en 2008, à Lima, le Président de la République française n’a pas participé au sommet entre l’Union européenne et l’Amérique latine, ce qui a été mal perçu par les Péruviens et autres pays latino-américains, à quelques semaines seulement du début de la présidence française de l’Union européenne.

Selon nombre d’interlocuteurs de la mission, avec la présidence de Nicolas Sarkozy c’est l’héritage gaulliste dans la recherche d’indépendance vis à vis des États-Unis qui est perdu de vue. L’agenda français en Amérique latine est alors devenu plus flou.

2. Intermittence, manque de réciprocité et défaut du dialogue politique : comment répondre aux critiques latino-américaines adressée aujourd’hui à la diplomatie française ?

a. Il faut saluer le regain d’attention pour la zone depuis 2012

Le dialogue politique est redevenu particulièrement dense depuis 2012.

Les déplacements du Président de la République dans la région ainsi que les visites de chefs d’États latino-américains en France traduisent la volonté réciproque non seulement d’entretenir le dialogue mais aussi de l’intensifier fortement.

Ainsi, en avril 2014, M. François Hollande s’est rendu au Mexique pour une visite d’État. Il s’était auparavant rendu en décembre 2013 au Brésil et avait accueilli le président équatorien en novembre 2013 à Paris.

Pour sa part, M. Ollanta Humala, Président de la République du Pérou s’est entretenu avec François Hollande en juillet 2014 à Paris. Ce dernier a fait part de son intention de rendre visite à son homologue péruvien début 2015. Plus récemment, le 7 novembre 2014, le Président de la République, M. François Hollande, a accueilli M. Juan Manuel Santos, Président de la République de Colombie. A l’issue de cette rencontre, François Hollande a notamment annoncé la création d’un comité stratégique franco-colombien, manifestation de la relation durable qu’entretiennent les deux pays, confirmée par une nouvelle visite de M. Santos en France les 26 et 27janvier 2015.

M. Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, s’est entretenu à Paris, en mars 2014, avec son homologue brésilien, M. Luiz Alberto Figueiredo, ainsi qu’avec M. Héctor Timerman, ministre argentin des Relations extérieures. Il a reçu le 10 juin 2014 M. Luis Almagro, son homologue Uruguayen, ainsi que M. José Antonio Meade Kuribreña, son homologue mexicain, le 26 novembre 2014. En 2015, il s’est entretenu avec M. Eladio Loizaga, ministre des relations extérieures du Paraguay, le 5 mars et avec le ministre chilien des relations extérieures, M. Heraldo Muñoz, le 18 mars.

Le Premier ministre, Manuel VALLS, s’est rendu en 2015 en Colombie et en Équateur dont j’ai reçu les Présidents à Paris récemment.

Il faut aussi saluer la nomination de M. Jean-Pierre Bel comme envoyé personnel du Président de la République pour l’Amérique latine et les Caraïbes. Cette fonction devrait d’ailleurs être pérennisée.

b. Intermittence, manque de réciprocité, politique déclaratoire : lutter contre les travers de la politique latino-américaine de la France

Si les ambassadeurs latino-américains rencontrés par la mission se sont tous déclarés sensibles à l’inflexion récente de notre diplomatie dans la région, ils n’en ont pas moins émis quelques critiques à son égard.

Certaines remarques peuvent sembler sévères, mais elles doivent être entendues, car elles traduisent une réelle maturité de la diplomatie latino-américaine et parfois un changement d’image de notre pays qui a pu échapper à nos équipes dirigeantes.

La première critique adressée à notre diplomatie dans la zone est celle d’une trop grande intermittence.

Comme le souligne le chercheur Jean-Jacques Kourliandsky (17) , on peut compter trois moments forts dans la diplomatie française en Amérique latine. Le premier s’inscrit dans une phase d’expansion du IIème Empire, inspiré des Saint Simoniens, et s’appuyant sur l’expédition au Mexique. Le deuxième temps fort de cette diplomatie est celui du voyage de de Gaulle en Amérique latine, qui s’est traduit par la signature de grands contrats économiques et d’une rénovation du parc de nos ambassades et de nos structures de coopération économique et culturelle sur le continent. Le dernier grand moment intervient à la fin de la guerre froide. Mitterrand, qui connaît bien l’Amérique centrale, et tente, dès 1981 à Cancun, au Mexique, de renouer le fil de notre diplomatie initiée au XIXème siècle.

Mais après François Mitterrand, notre présence en Amérique latine a été moins structurée au point que certains interlocuteurs de la mission sont allés jusqu’à dire que la France n’avait pas eu de politique latino-américaine depuis la fin des années 1980.

La deuxième critique récurrente porte sur le manque de visibilité de l’Amérique latine en France au plan politique et médiatique : nombre d’ambassadeurs de la région ont insisté sur la quasi-absence de l’Amérique latine dans les grands discours de politique étrangère.

On reproche aussi parfois à la France de manquer de vision en Amérique latine. Selon Jean-Jacques Kourliandsky, « la France a vécu sur un acquis : des structures étaient là, sans qu’il y ait de vision ou de message particulier en direction de la région ». Il résume ainsi : « l’économie fonctionne via les réseaux d’Unifrance et la direction économique du ministère des Finances ; du coté́ universitaire il y a EduFrance, l’Alliance française, les lycées. De même on a maintenant des députés des Français à l’étranger : on a différentes choses créées, améliorées ou abondées à diverses époques, un feuilleté́ sans véritables ponts liant entre elles les différentes couches sédimentaires. » Notre action dans la région donne « l’impression d’une dynamique autonome, sans articulation visible sur un projet majeur. ». C’est une diplomatie qui fonctionne sur des acquis, des habitudes, une relation séculaire mais qui manque parfois de dynamisme ou d’orientation.

La sédimentation de nos différentes politiques donne une impression de richesse, mais aussi de « fouillis ». Pour reprendre l’excellente formule du député Sergio Coronado, « la politique française en Amérique latine donne l’impression d’un très bon orchestre sans chef » : les différents volets de notre politique, dont certains peuvent être particulièrement actifs, dans la zone ne sont pas articulés autour d’une réflexion stratégique sur ce que nous avons à apporter à l’Amérique latine. La multiplication des visites – dont le nombre en deux ans a été supérieur à la somme des échanges sous le quinquennat précédent est positive. Les latino-américains y sont sensibles, mais comme le souligne Olivier Dabène, une « visite ne fait pas une politique ».

De même, l’accent mis sur la diplomatie économique par Laurent Fabius, a eu au moins le mérite de normaliser nos rapports, de les inscrire sur une base plus partenariale, plus égalitaire (ils ne sont plus considérés comme « sous-développés »). Mais la diplomatie française ne tire pas complètement les conséquences diplomatiques de l’émergence. Nous ne pouvons considérer ces pays que comme des partenaires économiques et commerciaux – la regrettable interdiction de survol du territoire d’Evo Morales durant l’affaire Snowden l’a montré. Autre exemple, la signature d’un partenariat stratégique ambitieux avec le Brésil en décembre 2008 qui correspondait aux attentes brésiliennes – avoir un partenaire alternatif aux États-Unis, allait dans le bon sens. Mais en mai 2010, la proposition turco-brésilienne de médiation sur le dossier nucléaire iranien, dossier géré par cinq grandes puissances dont la France, a généré́ un fiasco diplomatique.

Enfin, quand « enfin la France se réintéresse à l’Amérique latine », il est lui reproché d’avoir une politique déclaratoire, en décalage avec ses réelles priorités diplomatiques et les moyens dont elle dispose. Ainsi selon Georges Couffignal, la France n’a plus de politique latino-américaine, tout au plus « une recherche de concertation avec certains pays de cette région pour la mise en place d’une nouvelle gouvernance mondiale ».

La nouvelle carte diplomatique en est l’illustration. Depuis juin 2007, et la mise en œuvre de la refonte de notre réseau diplomatique, réparti entre les ambassades aux missions élargies, celles à mission prioritaire, enfin celles à de simple présence diplomatique chargées de l’analyse politique et de la protection des ressortissants français. Le Brésil et le Mexique, pays émergents à enjeux globaux, sont dotés d’ambassades à missions élargies, dotées de moyens importants. L’Argentine, le Chili, la Colombie, le Venezuela sont des pays à missions prioritaires et diplomatie d’influence. Cuba, la République dominicaine le Guatemala, le Costa Rica, le Panama, le Pérou, la Bolivie, l’Équateur, relèvent d’une coopération ponctuelle, les autres ne sont qu’à présence diplomatique à l’exception d’Haïti. « La France n’a plus les moyens d’entretenir un dispositif diplomatique et des politiques culturelles à l’échelle du monde et l’Amérique latine ne fait pas partie de ses priorités ».

c. Relancer le dialogue politique au plus haut niveau doit s’accompagner d’une réflexion stratégique sur ce que la France a à offrir à l’Amérique latine.

Pourtant, avec les atouts sérieux de cette région dans la recomposition actuelle de l’ordre économique mondial, la France aura un jour à regretter cette erreur que d’autres pays européens n’ont pas commise. Ainsi, l’année même où la France réfléchissait à la réduction de la voilure diplomatique en Amérique latine, le ministre des affaires étrangères allemand déclarait l’Amérique latine prioritaires à ses ambassadeurs.

Encore faudrait-il savoir ce que nous avons à offrir au continent. Le rapport parlementaire de 2012 de la commission soulignait déjà l’absence de l’Amérique latine dans la réflexion stratégique française. Force est de constater que si le rythme des visites officielles s’est intensifié, l’Amérique latine est toujours l’oubliée de notre réflexion.

En effet, la zone est absente du rapport d’Hubert Védrine sur la mondialisation, elle est à peine mentionnée dans le Livre blanc de 2008 sur la France et l’Europe dans le monde. Le Livre blanc sur la défense et sécurité nationale de 2008 également, ne s’intéresse à l’Amérique latine que sous l’angle des menaces telles que la criminalité organisée et les drogues. Aucune mention n’est faite du partenariat stratégique conclu avec le Brésil cette même année, dont le volet défense n’est pourtant pas négligeable.

On l’a dit, la nomination d’un envoyé spécial du Président de la République dans la région a été positivement perçue par les latino-américains. Il conviendrait de maintenir ce type de fonction et de nommer également des personnalités politiques, comme c’est le cas aujourd’hui pour le Mexique, chargées de faciliter le dialogue politique.

Il n’existe pas véritablement de think tank français chargé d’évaluer les enjeux stratégiques de notre diplomatie en Amérique latine. Des institutions telles que l’Observatoire politique des Amériques et Caraïbes de Sciences-po Paris ou l’Institut des Amériques pourraient pourtant participer à la création de ce type de structure.

Au niveau politique, le dialogue interparlementaire ne dispose pas de moyens suffisants et est parfois atone. Il pourrait être renforcé par la création de grandes commissions avec les plus grands émergents.

La création d’un comité de réflexion stratégique permettrait d’examiner la pertinence de notre politique dans la zone et d’approfondir quelques-unes des problématiques soulevées par ce rapport. Il pourrait associer, côté français et côté latino-américains, des personnalités politiques, des représentants d’administration, des universitaires, mais aussi de la société civile, et notamment des jeunes, en général peu consultés sur l’élaboration de notre politique étrangère.

B. FAVORISER LA CONSTITUTION D’UN PÔLE LATINO-AMÉRICAIN, ALLIÉ NATUREL DE LA FRANCE DANS LA CONSTRUCTION DU MULTILATÉRALISME

Le système international continue de voir la puissance se diffuser, s’y ajoute une conjonction de facteurs de faiblesse voire de crise qui fragilise jusqu’aux grandes puissances qui assuraient le leadership mondial. Les États-Unis, sans se désengager, se sont réorientés vers l’Asie et ont privilégié la négociation avec l’Iran et Cuba. La Chine accorde la priorité aux questions intérieures et au changement de son modèle de croissance. L’Europe peine à s’imposer comme acteur diplomatique de poids. L’architecture de la gouvernance mondiale n’est pas adaptée à ce monde devenu apolaire.

Or sur ce sujet, l’Amérique latine n’est pas seulement une « réserve de voix » dans les grandes instances internationales, c’est l’allié naturel de la France parmi les grands émergents pour faire bouger les lignes de la gouvernance mondiale.

Consciente de la volonté de l’Amérique latine de se projeter vers l’extérieur, la France milite pour l’élargissement du Conseil de sécurité des Nations unies et l’entrée du Brésil en son sein comme membre permanent, mais également en faveur de l’intégration de Brasilia à un G8 élargi avec le Mexique.

Si l’on veut bâtir le monde multilatéral que la France appelle régulièrement de ses vœux, certes on peut soutenir l’entrée du Brésil ou du Mexique au sein d’un conseil de sécurité élargi. Cependant, la question de la réforme des grandes institutions internationales – devenue au fil des ans un passage obligé qui n’a jamais véritablement connu de traduction concrète – n’épuise pas la question de notre dialogue global avec l’Amérique latine.

Une autre stratégie consisterait à soutenir les organisations régionales qui fournissent une alternative à des instances trop dominées aux yeux des américains par les puissances occidentales, notamment l’UNASUR.

Il ressort des travaux de la mission qu’il serait efficace d’une part, de favoriser l’émergence d’un pôle latino-américain, c’est-à-dire soutenir l’unité et l’intégration du sous-continent et de promouvoir un dialogue régional plus intense avec l’Union européenne, et d’autre part, de transformer nos convergences de vues sur la plupart des grands sujets internationaux en agenda positif (notamment sur les questions climatiques, le règlement des crises, la sécurité et la lutte contre les narcotrafics, et la régulation de la mondialisation).

I. NOTRE DIPLOMATIE DOIT EPOUSER LA DIVERSITÉ DU CONTINENT SANS RENONCER À PROMOUVOIR L’UNITÉ LATINO-AMÉRICAINE

1. Des partenariats stratégiques qui mériteraient d’être redynamisés et étendus à de nouveaux pays

La France a convenu d’inscrire ses relations bilatérales avec le Mexique et le Brésil dans le cadre de partenariats stratégiques, marquant ainsi sa volonté de renforcer ses échanges politiques, économiques et culturels avec ces deux pays latino-américains.

a. Le partenariat stratégique avec le Mexique

Après l’annulation de l’année France/Mexique en 2011 et trois années de tensions provoquées par l’affaire Cassez, la normalisation des relations bilatérales a été scellée par un partenariat stratégique structuré autour d’un dialogue politique de haut niveau, des échanges économiques en croissance, une coopération scientifique et universitaire dynamique et des échanges culturels particulièrement denses.

En ce qui concerne le dialogue politique de haut niveau, les retrouvailles franco-mexicaines se sont matérialisées par des visites d’État croisées des Présidents Hollande à Mexico en avril 2014, et Peña Nieto en France, à l’occasion de notre fête nationale en juillet 2015, précédées par des déplacements des ministres des affaires étrangères dans les deux capitales en 2013. Dans les enceintes multilatérales également, ces retrouvailles ont fait du Mexique un allié privilégié de notre diplomatie. Premier pays latino-américain à avoir publié sa contribution nationale, le Mexique a œuvré activement pour la conclusion d’un accord sur le climat pendant la Conférence de Paris. Aux Nations Unies, il a porté avec la France l’initiative sur la limitation du droit de veto au Conseil de sécurité et nos deux pays s’engagent conjointement pour l’abolition universelle de la peine de mort.

Sur le plan économique, le Mexique est notre deuxième partenaire en Amérique latine. Nos échanges économiques, traditionnellement excédentaires pour la France, continuent à croître à un rythme soutenu (+16% par an en moyenne). Ils ont pour la première fois dépassé 5 Md€ en 2015 (contre 4,3Md€ en 2014), et pourraient atteindre l’objectif fixé par les Présidents Hollande et Peña Nieto de 7 Md€ en 2017. Si le Mexique occupe dans notre commerce extérieur une place encore relativement modeste, celle-ci est croissante (28e client; +4 places par rapport à 2014). Il est également une destination d’investissement prisée par les entreprises françaises, tant en raison de son marché intérieur que de sa stabilité macro-économique et de son appartenance à la zone de libre-échange nord-américaine. La France a ainsi été le 4ème investisseur étranger au Mexique en 2015. L’Ambassadeur Philippe Faure, représentant spécial pour la diplomatie économique au Mexique, a pour mission de structurer ces échanges économiques autour de secteurs d’intérêt partagé à fort potentiel : aéronautique (développement d’une industrie de pièces détachées autour du groupe Safran), énergie (la fin des monopoles des entreprises publiques sur la production d’hydrocarbures et d’électricité, ouvrant ainsi de grandes opportunités aux opérateurs français), tourisme (création d’un groupe de haut niveau dédié au tourisme, desserte Paris-Mexico en A380, inaugurée en février 2016), transports (ambitieux programme de développement des infrastructures qui offre des opportunités à l’expertise française notamment dans le domaine des transports ferroviaires et urbains), santé (un des premiers pôles des exportations françaises, avec la présence des grands laboratoires français), ville durable et intelligente (offre française nombreuse et diversifiée, concentrée et intégrée dans un projet pilote, initié dans le cadre du CSFM, à Campeche).

S’agissant de la coopération universitaire et scientifique, la France est la troisième destination à l’étranger des étudiants mexicains, et les Français sont le deuxième contingent d’étudiants étrangers au Mexique. Un accord de reconnaissance mutuelle des diplômes, entré en vigueur en juillet 2015, doit permettre de soutenir cette mobilité et de la faire monter en gamme. Notre diplomatie d’influence s’attache à mettre nos coopérations en matière de recherche et de formation en phase avec les besoins de nos entreprises. Nos programmes de formation les plus en pointe sont destinés aux élèves ingénieurs (MEXFITEC) et aux techniciens supérieurs (MEXPROTEC). Ces programmes, largement financés par la partie mexicaine, représentent aujourd’hui un contingent de 300 boursiers par an (+30% depuis 2014), auxquels s’ajoutent des bourses de niveau Master. Parallèlement notre politique d’attractivité se développe selon une nouvelle approche, soutenue par le CSFM, consistant à favoriser l’implantation d’établissements d’enseignement supérieur français au Mexique. Ainsi, l’Université technologique de Compiègne (UTC) prévoit l’ouverture de classes préparatoires à la française au sein du lycée français de Mexico dès la rentrée 2016.

En matière de recherche, la France est le troisième partenaire scientifique du Mexique, après les États-Unis et l’Espagne : 600 publications conjointes par an, 200 projets en cours mobilisant plus de 500 chercheurs. Le forum franco-mexicain pour la recherche et l’innovation, organisé à Paris en juillet 2015, a permis de faire émerger de nouvelles priorités thématiques conformes à nos intérêts économiques (aéronautique, énergie, climat et calcul de haute performance).

Dans le domaine de la formation professionnelle, la coopération franco-mexicaine est structurée autour de centres de formation technologique d’excellence en partenariat avec des entreprises privées : Peugeot pour un centre de formation en maintenance automobile, Safran et Airbus Hélicoptères au sein du campus franco-mexicain de formation aux métiers de l’aéronautique et récemment Dassault System dans le domaine de la conception et de la gestion des produits industriels. La France apporte également son expertise pour accompagner le Mexique à développer un modèle pilote dans le domaine de la formation par alternance.

Pour ce qui est des échanges culturels, ils constituent l’un des fondements de la relation franco-mexicaine. La relance de notre coopération a donné lieu à une intensification des échanges artistiques et à un renouveau des partenariats entre institutions culturelles de nos deux pays dans les domaines des arts visuels, du spectacle vivant, de la musique et de la littérature. L’exposition « Le Mexique des renaissances » présentée au Grand Palais du 5 octobre 2016 au 23 janvier 2017 en est une illustration symbolique. Initiée par le CSFM, et réunissant plus de 200 œuvres modernes et contemporaines, il s’agira de la plus grande exposition consacrée à l’art mexicain depuis 1953. La France sera également, en 2017, invitée d’honneur à la Feria Cervantino de Guanajuato, le plus grand festival de spectacle vivant d’Amérique latine.

b. Le partenariat stratégique avec le Brésil

Lancé en 2006 par les Présidents Chirac et Lula, le partenariat stratégique franco-brésilien s’est traduit par la conclusion de nombreux accords de coopération et par l’adoption d’un plan d’action structuré autour de 9 axes de coopération : dialogue politique et gouvernance internationale, économie et commerce, défense, espace, énergie nucléaire, développement durable, éducation et enseignement des langues, sciences et technique et relations transfrontalières.

En ce qui concerne le dialogue politique, il a bénéficié de visites d’État croisées de la présidente Dilma Rousseff en France en 2012 et du président François Hollande au Brésil en 2013, précédées par le déplacement du président Nicolas Sarkozy au Brésil en 2009 ainsi que par de nombreuses visites ministérielles dans les deux capitales. Ce dialogue politique a permis d’engager une réflexion commune sur la réforme de la gouvernance internationale (soutien de la France à la candidature du Brésil à un siège de membre permanent au Conseil de sécurité) et de renforcer le dialogue sur la paix et la sécurité internationale. Si les vues françaises et brésiliennes sont souvent convergentes (intérêt de la relation économique renforcée avec les pays les plus dynamiques du continent africain, encadrement du droit de veto au CSNU), plusieurs divergences sérieuses sont également apparues (attitude face à Bachar Al -Assad et à Daech, Ukraine, Israël). La gouvernance numérique et la cyberdéfense font également l’objet d’un dialogue spécifique. Les dernières consultations bilatérales sur le sujet se sont tenues à Brasilia les 17 et 18 février 2016 ; elles ont révélé une grande convergence de vues entre la France et le Brésil (place de l’État dans la régulation du monde numérique, sécurité internationale et économie numérique). Ce dialogue, que la France est le seul pays européen à entretenir avec le Brésil à ce niveau, a permis d’engager des rapprochements et des coopérations concrètes. Relancé en 2014, le dialogue conjoint sur les questions climatiques a sans aucun doute contribué à faire du Brésil un allié de poids pour la France pendant la COP 21 pour rallier les pays latino-américains et émergents au principe d’un accord contraignant.

En matière économique et commerciale, le partenariat stratégique s’est matérialisé notamment par la mission de Jean-Claude Naouri, représentant spécial pour la relation économique avec le Brésil (2013/ 2015), qui a contribué à créer des liens inter-entreprises dans des secteurs porteurs et à faciliter l’accès au marché brésilien. Il a aussi donné lieu à l’organisation d’un Forum économique France-Brésil annuel. La première édition (Brasilia, 2012) a permis la signature d’une lettre d’intention sur le photovoltaïque, d’un accord de partenariat sur la lutte anti-contrefaçon, d’un accord Ubifrance/Paris Tech Alumni pour faciliter l’entreprenariat au Brésil, ainsi que le lancement du « Club santé » Brésil et la création d’un permis de travail spécial pour les VIE. Le deuxième forum (Paris, 2014) a fortement mobilisé les chefs d’entreprises (74 Brésiliens et 150 Français), et permis la signature d’un MoU pour la construction d’une usine photovoltaïque, et d’un accord de principe pour un dialogue sur les questions fiscales, douanières, de financement des investissements et d’innovation. A cela s’ajoute la signature, quelques mois plus tard, d’un contrat de fourniture d’un supercalculateur Bull. Le troisième forum (2015, Brésil) a permis de maintenir cette dynamique. La prochaine édition se tiendra à Paris les 21 et 22 juin 2016.

Le partenariat franco-brésilien a également permis de lancer de grands projets commerciaux (câble sous-marin entre le Brésil et l’Europe, construction d’un centre d’affaires international à Roissy) et l’élaboration d’un plan d’action économique (2015-2016) préparé par l’Ambassade de France à Brasilia en 2014.

S’agissant de la coopération en matière de défense, les deux pays se sont engagés à développer une coopération adossée à un dialogue stratégique régulier (au format 2+2), fondée sur des partenariats industriels, des transferts de technologie, des programmes de formation et d’apprentissage. Dans ce cadre, des contrats majeurs ont été signés, en particulier la construction de 4 sous-marins Scorpène, l’aide à la conception d’un sous-marin à propulsion nucléaire, la coopération sur la construction d’un chantier naval et d’une nouvelle base sous-marine (programme Prosub de DCNS), la production de 50 hélicoptères militaires EC725 (Airbus Helicopters et sa filiale locale Hélibras) : (retards de paiement de la partie brésilienne). Le premier séminaire des industries de défense Brésil-France, organisé du 11 au 13 mars 2015 à Sao Paulo et Rio, a mobilisé les grands groupes français de défense. Deux autres programmes (Pronae, porte-avions) et (Prosuper, flotte de surface) devraient être lancés dans les années à venir.

Pour ce qui est de l’énergie nucléaire civile, l’engagement de la France répond à la volonté du Brésil de répondre au défi de la forte hausse de ses besoins énergétiques au cours de la dernière décennie (projet de construire 4 à 8 réacteurs sur deux sites à l’horizon 2030). Avec l’achèvement du chantier du réacteur Angra 3 par AREVA, GDF-Suez, EDF et AREVA sont bien positionnés pour remporter ces marchés malgré une forte concurrence américaine, russe, chinoise et coréenne.

Dans le domaine éducatif, linguistique, scientifique et technique, la visite du Président Hollande au Brésil en 2013 a permis de concrétiser plusieurs initiatives : la mise en place de nouveaux dispositifs pour l’apprentissage du français, l’ouverture du lycée François Mitterrand à Brasilia, l’accueil de 500 boursiers brésiliens (programme « Sciences sans frontières »), la signature d’un accord vacances-travail (pas encore ratifié par le Brésil), la reconnaissance mutuelle des diplômes.

En ce qui concerne les relations transfrontalières, la volonté des parties s’est traduite par la signature de six accords transfrontaliers en matière de coopération policière (1997), d’orpaillage (2008), de sécurité civile (2012), de transports routier (2014), et de dédouanement (2014) et circulation transfrontalière entre Saint-Georges de l’Oyapock et Oiapoque (régime spécial instauré par échange de lettres en 2015). Les Brésiliens ont montré ces dernières années une réelle volonté de coopérer en matière de lutte contre la pêche illégale. La mise en œuvre de l’accord de 2008 relatif à la lutte contre l’orpaillage clandestin, promulguée par la présidente brésilienne en 2013, favorise la coopération opérationnelle sur le terrain, avec des résultats encourageants quoiqu’encore insuffisants. La question de l’assouplissement du régime de visas pour la Guyane figure parmi les sujets sensibles non résolus à ce jour. L’exemption de visas pour l’entrée en Guyane française constitue une demande récurrente des Brésiliens. Pour y répondre, au moins partiellement, la France vient d’entériner deux cas de dispenses (escale de 72h maximum et voyages organisés par des agences agréées) tout en encourageant la généralisation des visas à entrées multiples pour des publics ciblés (hommes d’affaire, chercheurs, artistes). Enfin, le pont sur le fleuve Oyapock pourrait être mis en service avant la fin de l’année 2016.

A cette fin, les parties ont décidé la création d’un conseil stratégique franco-mexicain (CSFM) et d’un conseil stratégique franco-brésilien (CSFB).

Si ces instances ont joué un rôle positif dans le rapprochement de nos pays, leur activité semble aujourd’hui s’essouffler. Votre rapporteur estime qu’il conviendrait, au-delà des sujets économiques qui ont été utilement traités, de proposer de nouveaux thèmes de discussion, à caractère plus politique. Il faut tirer parti de ces instruments de dialogue bilatéral pour porter des questions globales. La question du numérique pourrait par exemple faire l’objet d’une attention particulière, mais aussi des sujets de société tels que les migrations.

2. Renforcer les partenariats stratégiques avec d’autres pays pivots de la zone : l’Argentine, le Chili, la Colombie, le Pérou

La mise en œuvre d’un partenariat stratégique avec la Colombie serait en bonne voie. Votre rapporteur estime que d’autres pays importants en Amérique latine devraient également avoir un partenariat privilégié avec la France.

Ainsi la signature d’un partenariat stratégique avec l’Argentine, troisième économie latino-américaine, membre du G20 et du Mercosur, devrait être mise à l’étude.

La récente visite du Président de la République en Argentine doit fournir l’occasion de resserrer nos relations bilatérales, en les articulant sur des priorités politiques qui correspondent aux besoins du pays.

Notre dialogue bilatéral est en effet fécond, il s’appuie sur des valeurs communes et se trouve facilité par un intérêt culturel ancien et réciproque. L’Argentine est l’un des pays d’Amérique latine avec lesquels la France a développé des échanges universitaires et une coopération scientifique intense (plus de 300 accords entre établissements, présence des grands centres de recherche française que sont l’IRD, la CIRAD, le CNRS et l’INSERM dans le pays ; accords de reconnaissance mutuelle des diplômes). L’Argentine est aussi le premier pays latino-américain avec lequel la France a signé un accord visa vacances travail, en 2011, ce qui facilite des échanges, déjà fournis, entre nos deux populations. L’Argentine est enfin l’un des postes avancées de la défense de la francophonie sur le continent, avec 250 000 apprenants et un réseau de 53 alliances françaises.

Au plan économique, l’Argentine est notre troisième partenaire commercial en Amérique latine, bien que nos échanges soient en recul (-26% par rapport à 2013). La France est aussi l’un des premiers investisseurs en Argentine dans les secteurs de l’agroalimentaire, de l’automobile et de la distribution. Notre dialogue en matière économique pourrait s’articuler, comme avec les autres émergents latino-américains, autour de la pérennité de leur modèle de développement : le pays est entré en récession en 2014, mais a de solides atouts (premier exportateur mondial de farine et d’huile de soja, elle a un fort potentiel dans l’agroalimentaire, elle est aussi très performante dans les secteurs de pointe tels que le nucléaire civil ou le domaine spatial).

Les autorités ont eu recours pour protéger leur industrie et leur excédent commercial à des mesures protectionnistes à partir de 2003. Un fort interventionnisme impulsé par Cristina Kirchner a permis de réels progrès dans les redistributions sociales (réduction de la pauvreté, diminution du chômage). Les mesures protectionnistes ont suscité des crispations voire des différends à l’OMC et sont perçues comme des obstacles à la signature d’un accord entre l’Union européenne et le Mercosur. Mais la décision des dirigeants argentins quant à l’ouverture de leur économie devra tenir compte des acquis sociaux de la précédente décennie. C’est un sujet que la France doit aborder avec l’Argentine.

Enfin, au plan international, l’Argentine, qui a siégé au Conseil de sécurité en 2013-2014 s’efforce de retrouver sa place. Le dialogue avec la France peut l’y aider : le pays est très engagé sur le sujet des droits de l’homme et nos deux pays ont contribué à l’adoption de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ; un dialogue au sein du G20 en faveur d’une inflexion sociale de la mondialisation mériterait également d’être approfondi ; enfin, la réponse à la crise économique et la question des rapports entre États et institutions financières sont des sujets sur lequel la France aurait intérêt à dialoguer avec l’Argentine, qui a fait l’expérience d’un défaut partiel en juillet 2014, après avoir été empêchée par des « fonds vautours » de rembourser ses créanciers restructurés par la justice américaine.

Le Chili et le Pérou mériteraient aussi une attention particulière.

3. « Il n’y a pas de petit pays en Amérique latine » : le bilatéral ne peut-être négligé en raison des disparités sur le continent

La directrice des Amériques et des Caraïbes, lors de son audition par la mission a rappelé que la France privilégiait le bilatéral pour des raisons évidentes car, si l’Union européenne donne un effet de levier, elle atténue la visibilité de la France. Si le dialogue et la concertation est la consigne donnée à nos ambassadeurs, c’est la concurrence des intérêts qui l’emporte.

Votre rapporteur regrette cependant que les moyens mis à dispositions des postes diplomatiques ne soient pas toujours en cohérence avec l’affirmation du primat du bilatéral (comme le montre la réduction de la voilure de nombre de nos postes en Amérique centrale et dans les Caraïbes).

Si le bilatéral doit être privilégié, c’est aussi en raison des disparités au sein du continent. Il est certes impossible de se passer d’une relation stratégique avec le Brésil, géant incontournable de la région, et du Mexique. Mais d’autres pays on l’a dit, comme la Colombie ou le Pérou, considérés comme des néo-émergents, doivent aussi compter dans notre diplomatie. L’Uruguay est aussi un petit pays par la taille, mais un des alliés les plus sur de la France en Amérique latine pour ce qui est du dialogue culturel et intellectuel ou de la défense de la francophonie.

Prenons l’exemple de Cuba, où la France doit tirer toutes les conséquences diplomatiques du rapprochement avec les États-Unis et où elle a une véritable carte à jouer. Le pays n’est certes pas une immense puissance économique, mais il est un véritable marqueur d’opinion pour le continent.

Nos diplomates l’ont compris, et notre pays a joué un rôle essentiel dans l’évolution de Bruxelles vis à vis de Cuba, qui de son côté a multiplié les marques d’attention à notre égard depuis 2012. La visite à la Havane du 12 avril 2014 a marqué un tournant important – il s’agissait de la première visite d’un ministre des affaires étrangères sur l’île depuis 1983 ! Notre diplomatie a aussi oeuvré activement à l’ouverture de négociations, le 29 avril 2014, en vue de la signature d’un accord de dialogue politique et de coopération entre l’Union européenne et Cuba.

Au plan économique, les entreprises américaines vont reprendre pied rapidement à Cuba, ce qui pourrait compromettre le positionnement de nos entreprises, sans compter le maintien d’un embargo financier qui entrave l’action des banques françaises (l’amende infligée à BNP Paribas n’est pas de nature à les rassurer). Pour être efficace, notre diplomatie économique devra donc s’appuyer sur notre dialogue politique et non l’inverse (à titre d’exemple, et sans sous évaluer l’importance des grands groupes français comme Total Bouygues et Accord, qui y ont récemment investi le développement du port de Mariel pourrait donner lieu à un dialogue fructueux avec nos grandes villes portuaires).

4. La coopération au niveau local : un échelon à renforcer

a. La coopération décentralisée : un outil fondamental et sous-exploité par la France

L’échelon local a une importance particulière en Amérique latine, et les questions urbaines y sont particulièrement prégnantes. En réponse, la coopération décentralisée devrait être plus fermement appuyée, institutionnalisée, et dotée de moyens supplémentaires.

Selon un interlocuteur de la mission, au Mexique, où la coopération décentralisée est active, un projet de coopération fonctionne pour autant que :

– il suscite l’intérêt des deux collectivités territoriales : le meilleur exemple étant Angoulême, jumelée avec une ville mexicaine, qui repose sur une base très simple : échanges entre PME des industries de l’image (dessins animés et jeux vidéos) et éditeurs (chaque ville ayant un important festival du livre) ;

– plusieurs acteurs soient impliqués : gouvernements locaux (municipalité et État fédéré pour le côté mexicain), université, secteur privé, associations, etc. (c’est le cas de la coopération entre les villes de Bordeaux et Leon par exemple). L’un des obstacles majeurs à la pérennisation des projets est en effet le manque de continuité dans le personnel politique et parfois administratif (au Mexique les municipalités sont renouvelées tous les trois ans, et le principe de non réélection s’est appliqué jusqu’à récemment ;

– les niveaux tant technique que politique sont impliqués, de part et d’autre.

A l’inverse « un projet mal structuré (ou trop général), ou qui revient à de l’aide au développement de la part de la collectivité française », démarre avec des faiblesses.

Enfin, la principale difficulté réside dans l’établissement des premiers liens entre collectivités territoriales. Le contact ne se fait que rarement directement. Or si les services de nos ambassades sont bien identifiés pour centraliser les demandes, il manque des relais côté français.

Le site de la délégation à l’action extérieure des collectivités territoriales serait peu fréquenté, et Cites-Unies France, dont la qualité du travail doit être ici soulignée, manque de moyens pour mettre en relation les potentiels partenaires et pour encourager la mutualisation des projets de coopération décentralisée.

Il serait donc utile de renforcer ses moyens et à tout le moins d’établir une base de données qui permettrait de connaitre les collectivités françaises, leurs souhaits en matière de coopération internationale (domaines de coopération, zone géographique de prédilection notamment), quelques éléments présentant la CT (éléments démographiques, économiques, culturels, etc. qui brossent un tableau du territoire) qui permettent d’identifier le partenaire idéal et les contacts utiles.

Par ailleurs, l’un des problèmes fondamentaux de la coopération décentralisée à la française tient au fait que plusieurs organisations de collectivités territoriales s’attribuent cette compétence de mise en réseau : Cités Unies France, l’Association française du Conseil des Communes et Régions d’Europe, l’association des régions de France, l’association des départements de France, l’association des maires de France. La vraie question consisterait en la création d’une seule et même structure institutionnelle portant exclusivement sur la coopération décentralisée. La fusion entre Cités Unies France et l’Association française du Conseil des Communes et Régions d’Europe va dans ce sens, mais ne sera, à mon avis, pas suffisante, à l’heure où de toute façon l’action extérieure des collectivités territoriales est remise en cause.

b. La France est un État américain : les collectivités d’outre-mer sont des portes sur l’Amérique latine

Comme le souligne le rapport présenté par la direction des Amériques, « avec la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe, la France entend affirmer – et tirer parti de – son identité américaine ». Son investissement en matière d’aide au développement en Haïti et de coopération à l’égard de la République dominicaine et de Cuba, le nouvel accent mis sur la coopération transfrontalière avec le Brésil et le Suriname, et l’insertion locale des départements-régions français des Amériques illustrent un intérêt renouvelé pour les Caraïbes.

En matière de coopération, elles se déploient selon trois axes prioritaires:

– la francophonie et la diversité culturelle avec l’appui à l’enseignement de la langue française dans les systèmes éducatifs locaux en liaison avec la Guadeloupe, mise en réseau des Alliances françaises avec le centre multilingue de la Guadeloupe ;

– l’enseignement supérieur et la coopération pour le développement durable : promotion de l’offre de l’université des Antilles et de la Guyane (UAG), constitution de réseaux de recherche appliquée aux problèmes de la région, accent sur des projets d’intérêt commun dans le domaine de la protection des milieux naturels et de la lutte contre le changement climatique ;

– la coopération transfrontalière avec le Brésil et le Suriname : attentive à apporter des réponses communes aux questions de sécurité et d’immigration, elle soutient également le développement et l’intégration économiques de cette région amazonienne.

La construction du pont sur le fleuve-frontière entre la Guyane et le Brésil, l’Oyapock, est un des symboles du renforcement des échanges. La Conférence de coopération régionale (CCR) annuelle, entre tous les acteurs français de la région – réseau diplomatique, administrations centrales, DFA – , a vocation à élaborer une stratégie coordonnée et à assurer le suivi de sa mise en œuvre. Il revient à l’ambassadeur délégué à la coopération régionale Antilles Guyane, en liaison avec les missions diplomatiques et les DFA, d’assurer la coordination de cette politique.

Enfin, la reconstruction d’Haïti, à la suite du tremblement de terre du 12 janvier 2010, est un axe mobilisateur de long terme après l’engagement humanitaire (18).

Le ministère des affaires étrangères s’est efforcé, ce qu’il faut saluer, de donner un nouvel élan à notre coopération de voisinage dans la zone caribéenne, en s’appuyant sur nos territoires d’outre-mer. Cet effort doit être poursuivi et s’accompagner d’un dialogue politique, pour favoriser l’intégration de nos territoires américains dans leur environnement régional.

L’effort d’intégration économique doit se poursuivre. Malgré l’accroissement du nombre d’entreprises ultramarines opérant dans les pays étrangers des Caraïbes notamment, les relations entre les départements américains et leurs voisins restent limités. Au plan économique, en 2009, ils ne représentaient que 7 % des échanges. Pourtant la qualité des services publics, l’excellence environnementale et les savoirs faire acquis sur des secteurs à contenue technologique et forte valeur ajoutée sont des atouts à valoriser. Il faut travailler au renforcement des infrastructures, notamment des transports, pour désenclaver ces territoires, et continuer d’accompagner les entreprises ultramarines dans la région.

Au plan politique, la mise en place de partenariats de coopération entre les conseils régionaux et les pays caribéens semble avoir porté ses fruits en améliorant la visibilité de ces territoires dans la région. En effet, à la suite des États Généraux de l’Outre-mer, les départements français ont souhaité être associés plus étroitement au travail des organisations régionales et à la commission économique des Nations-Unies pour l’Amérique latine et les Caraïbes. Il faudrait poursuivre cet effort d’intégration régionale en affermissant les liens avec les organisations telles que le CARICOM (19), l’OECO (20), l’AEC (21). Il conviendrait aussi de cibler des projets d’intérêt réciproque en matière de développement économique et sociale, ou de formation, qui donneraient de la visibilité à ce dialogue régional. Ici et à nouveau, l’environnement est un des thèmes sur lesquels la France est attendue, les pays de la Caraïbes étant particulièrement vulnérables au changement climatique.

II. AVEC OU SANS L’EUROPE ? PROMOUVOIR UN DIALOGUE STRATÉGIQUE ENTRE LES DEUX ENSEMBLES RÉGIONAUX

Malgré les intentions affichées, le dialogue n’est pas aussi riche et fructueux qu’il pourrait l’être. Il est en effet surprenant de relever combien les commentaires parlent systématiquement en termes de « relance » du dialogue.

L’Union européenne s’est montrée incapable de combler le fossé́ entre ses déclarations d’intention et les attentes politiques qu’elle a parfois suscitées en Amérique latine.

La France a solidement arrimé sa politique de coopération à celle de l’Union européenne et a, avec notamment l’Espagne et le Portugal, poussé dès ses prémisses dans les années 1980, au renforcement du dialogue politique entre les deux régions.

Elle doit aujourd’hui s’efforcer d’utiliser au mieux le formidable effet de levier que constitue la politique européenne pour promouvoir ses propres priorités de coopération dans la région.

Surtout, notre pays devrait plaider pour la re-régionalisation de la politique européenne (l’intérêt nouveau de l’Union pour les grands émergents s’articule mal à l’action bilatérale menée par les États membres) : l’Union européenne pourrait renforcer son dialogue stratégique avec l’UNASUR, et faire des sommets UE-CELAC de vrais rendez-vous politiques autour d’un agenda resserré (infrastructures, énergie, sécurité, développement durable, questions commerciales).

1. Un dialogue qui suscite aujourd’hui peu d’enthousiasme

a. Un partenariat fondé sur des accords régionaux et bilatéraux, qui fait la part belle au volet économique

L’Union européenne est aujourd’hui liée à l’Amérique latine par divers accords de coopération :

accords UE - Amérique centrale (Costa Rica, Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Panama).

Les relations politiques entre l’Union européenne et les pays d’Amérique centrale sont fondées sur un Accord-cadre de coopération signé en 1993 et révisé en 2003, ainsi que sur l’Accord d’association entre l’Union européenne et les pays d’Amérique centrale, qui lie six pays d’Amérique centrale (le Costa Rica, le Salvador, le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua et Panama) avec l’Union européenne et ses États membres. Cet accord a été signé le 29 juin 2012. Il a pour but de renforcer l’intégration économique et de promouvoir le développement durable dans la région. Cet accord comporte trois piliers : le dialogue politique, la coopération et le commerce. Sur le plan commercial, l’accord contient un ensemble de dispositions couvrant l’amélioration de l’accès au marché, via la libéralisation tarifaire et la suppression des barrières non tarifaires aux échanges, notamment sanitaires et phytosanitaires, l’harmonisation des procédures douanières, les règles d’origine, la libéralisation des services et de l’investissement, mais également la protection de la propriété intellectuelle, dont les indications géographiques. Un chapitre est dédié au développement durable et inclut le respect des normes internationales en matière de droit du travail et de protection de l’environnement. Les dispositions de l’accord d’association relevant de la compétence exclusive de l’UE sont appliquées provisoirement depuis le 1er août 2013 au Panama, au Nicaragua et au Honduras, depuis le 1eroctobre 2013 au Costa Rica, au Salvador, et depuis le 1er décembre 2013 au Guatemala. La France a ratifié cet accord le 14 avril 2015.

– accord UE-Mexique

Le Mexique est le premier pays d’Amérique latine à avoir signé en 1997 un accord de partenariat économique, de coordination politique et de coopération avec l’UE. Entré en vigueur en 2000, cet accord global couvre le dialogue politique, les relations commerciales et la coopération. L’accord de partenariat liant l’UE au Mexique inclut cependant un volet de libre-échange, qui en raison de son caractère relativement ancien, contient des dispositions moins ambitieuses que les accords de libre-échange conclus plus récemment par l’UE dans la région (notamment avec les pays d’Amérique centrale). C’est la raison pour laquelle le Mexique a exprimé le souhait de s’engager dans un processus de modernisation de l’ALE. Dans cette perspective, la Commission a transmis au Conseil, le 18 décembre dernier, une recommandation de décision du Conseil autorisant l’ouverture de négociations en vue d’un accord global modernisé, accompagnée de directives de négociation et d’une étude d’impact. Les discussions sont actuellement en phase finale dans les groupes compétents. Le lancement des négociations est prévu pour le mois de mai ou juin.

– accord UE-Cuba

L’Accord de dialogue politique et de coopération (ADPC) entre l’UE et Cuba a été paraphé le 11 mars dernier, quelques jours avant la visite présidentielle américaine. La HR/VP Federica Mogherini s’est rendue à La Havane à cette occasion. Alors que nombre d’États membres étant réticents à négocier avec Cuba, le processus a bénéficié de la reprise des relations diplomatiques entre les États-Unis et Cuba. Le projet de directives de négociations a été adopté lors du Conseil Affaires Etrangères du 10 février 2014 et les négociations ont pu débuter en avril de la même année. Elles ont ainsi pu être conclues en moins de deux ans. Cet accord permettra à l’UE et à Cuba d’ouvrir un certain nombre de dialogues sectoriels, notamment sur les droits de l’Homme.

– accords UE-Communauté andine des nations -CAN (Colombie, Pérou, Équateur)

Les relations entre l’UE et les pays de la Communauté andine des nations (CAN) reposent sur l’accord-cadre de coopération signé le 23 avril 1993. Cet accord, qualifié de « troisième génération », accorde une large place à la protection des droits de l’Homme et au respect des principes démocratiques. Sur le plan commercial, l’UE a signé le 26 juin 2012 à Bruxelles un accord de libre-échange, qualifié de « renforcé » avec la Colombie et le Pérou. Cet accord fait l’objet d’une application provisoire depuis le 1er mars 2013 au Pérou, et 1er août 2013 en Colombie. Un protocole d’accession a été paraphé le 12 décembre 2014 pour que l’Équateur rejoigne l’accord qui lie déjà ses voisins Colombien et péruvien à l’UE. Suite à l’approbation du Parlement européen, la signature et la mise en application provisoire du protocole d’accession devrait prochainement intervenir. La Bolivie n’envisage pas à l’heure actuelle de rejoindre l’accord UE-Colombie/Pérou/Équateur, mais a signé son adhésion au Mercosur le 17 juillet 2015.

– accord UE-Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay)

L’accord-cadre inter-régional de coopération UE-Mercosur signé en 1995 et entré en vigueur en 1999 prévoit, au niveau politique, l’institution d’une coopération renforcée avec le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay et, au niveau économique, une association ayant pour objectif une libéralisation progressive et réciproque des échanges. Dans cette perspective, des négociations ont été initiées en 1999 en vue de la conclusion d’un accord d’association comprenant une zone de libre-échange. En dépit de l’importance des enjeux, les négociations relancées par l’Espagne en mai 2010 n’ont que très peu progressé. Suite à une rencontre organisée le 11 juin 2015, en marge du Sommet UE-CELAC, par la Commissaire au commerce Cécilia Malmström, des échanges techniques se sont déroulés. Un échange d’offre est désormais envisagé durant la 2ème semaine de mai.

– accord UE-Chili

Les relations entre l’UE et le Chili sont actuellement structurées par un accord d’association signé le 18 novembre 2002 et entré en vigueur le 1er mars 2005. Cet accord comporte trois volets : le dialogue politique, le commerce et la coopération. Au cours du 5ème Sommet UE-Chili organisé en novembre 2012, les parties sont convenues d’explorer les possibilités d’une actualisation de cet accord. Il s’agit en particulier d’élargir à de nouveaux sujets les engagements pris en matière commerciale, l’accord apparaissant aujourd’hui moins ambitieux que les accords de libre-échange conclus plus récemment par l’UE. La France aurait un intérêt offensif à ce que des dispositions sur la protection des indications géographiques soient incluses dans le projet. Bien que très largement soutenu, en particulier par l’Espagne et la France, et ne se heurtant à aucune opposition, le projet de modernisation de l’accord d’association n’a que peu progressé à Bruxelles, la modernisation de l’accord avec le Mexique étant perçue comme prioritaire.

b. Un dialogue actif dans les années 1990, qui s’essouffle aujourd’hui

Les relations entre l’Amérique latine et l’Union européenne s’inscrivent dans un contexte particulier, celui de la fin de la guerre froide, qui eut des « conséquences similaires en Amérique latine et en Europe de l’Est » : la fin de la tutelle de la puissance voisine. Exemples canoniques, le Mexique de Vicente Fox, pourtant proche de Georges W. Bush, a voté contre l’intervention militaire en Irak au Conseil de sécurité, de même que Ricardo Lagos, président chilien, malgré la négociation d’accords de libre-échange en cours.

Dans ce contexte, l’Europe a joué la carte de l’indépendance vis à vis des États-Unis, offrant une alliance alternative. C’est en contrepoids de la diplomatie américaine que la CEE a apporté son appui à la naissance du groupe de Contadora, au groupe d’appui et au plan Esquipulas, enfin du groupe de Rio en 1986. Sans être institutionnalisé, le Groupe de Rio a joué un rôle important dans la connaissance réciproque et la recherche de convergence entre les deux ensembles.

Le rapport s’institutionnalise et s’intensifie ensuite dans les années 1990, à la faveur de l’entrée dans l’Union du Portugal et de l’Espagne, qui souhaitent réaffirmer leur projection nord atlantique. Ainsi le premier sommet ibéro américain a lieu en 1991, au Mexique, année de l’ouverture des négociations de l’ALENA avec les États-Unis. Le second, organisé à Madrid en 1992, décide d’un rendez-vous annuel.

La désignation de Solana comme Haut représentant à la politique extérieure de l’Union, a joué un rôle dans la décision, en 1999, de créer un partenariat stratégique entre les deux régions, avec l’idée que l’Union européenne pourrait « exporter son modèle ». Il repose sur trois piliers : un dialogue pour renforcer la démocratie, l’état de droit et les droits de l’homme ; une libéralisation équilibrée des échanges économiques et financiers entre les deux régions ; une coopération « dynamique et créative » en matière éducative, technologique, culturelle, et sociale.

Pour accompagner le suivi du partenariat, un groupe de hauts fonctionnaires est désigné et on décide d’une rencontre bi annuelle des chefs d’États et de gouvernement : les sommets aujourd’hui appelés UE-CELAC, dont le dernier a eu lieu à Bruxelles en 2015. 

L’aspect politique du partenariat a été d’emblée affirmé dans la déclaration de Rio, mais durant la décennie 2000, les liens de solidarité entre les deux régions se sont distendus au profit des diplomaties nationales.

Ce dialogue n’a pas été infructueux. Il a d’abord permis à l’Union européenne de conquérir de nouveaux marchés, et de se projeter comme acteur international, l’UE est devenue le principal fournisseur d’aide au développement, le deuxième partenaire commercial et le principal investisseur en Amérique latine.

Il a eu aussi le mérite d’aider à l’élaboration de positions communes sur certains sujets (en matière de lutte contre la drogue ou de règlement pacifique des différends), et de « faire valoir le multilatéralisme comme choix stratégique dans les relations internationales ».

Mais il s’essouffle aujourd’hui. En témoigne le faible taux de mobilisation et l’absence de médiatisation du dernier sommet UE-CELAC. Comme le souligne un interlocuteur de la mission, « la coopération semble aujourd’hui marquer le pas », alors que les sommets APEC suscitent bien plus d’enthousiasme.

Le dialogue avec l’Union européenne offre donc à la fois trop et trop peu à l’Amérique latine : le centre de l’économie mondiale est désormais en Asie, l’Union européenne est moins attractive dans ses propositions et trop formelle, voire technocratique dans ses approches. Par exemple, le troisième pilier de notre coopération a contribué à la création de nombreux programmes horizontaux, qui couvrent tous les champs possibles de dialogue sans grande hiérarchisation : chacun étant gérée par une direction autonome, la création du SEAE n’ayant pas véritablement changé et « cette absence de coordination entre les programmes et nuit à la lisibilité des relations des deux régions »

Chacun a aussi tendance à jouer aussi sa propre partition et les pays qui étaient les fers de lance de la relation entre l’Union européenne et l’Amérique latine, notamment l’Espagne, l’Italie et le Portugal, sont occupés par leurs questions domestiques.

L’objectif originel énoncé par l’Europe communautaire d’une « association stratégique » capable de peser sur les affaires mondiales n’a donc pas été atteint, du fait des désaccords qui opposent les parties sur toute une série d’enjeux (commerce, climat, sécurité́, développement), des divergences par rapport à la manière de concevoir les relations internationales (sur la définition du multilatéralisme), du désintérêt européen pour les relations avec l’Amérique latine ou du fait que Bruxelles souffre d’un strabisme aigu en direction de Washington.

c. D’un dialogue multilatéral et bi-régional, la politique de l’Union européenne s’est ensuite orientée vers des partenariats stratégiques avec les grands émergents.

Dans leurs relations avec les pays sud-américains, les instances communautaires avaient fait du Mercosur un interlocuteur-clé, encourageant le développement du régionalisme et privilégiant une approche de relations interrégionales. Ce qui les démarquait de Washington, toujours enclin à développer des relations d’État à État afin d’éviter que se forment des coalitions de pays. L’Union européenne a réservé une attention particulière à ses rapports avec le Marché commun du Sud (Mercosur). Croyant voir dans ce dernier le reflet d’un modèle régional inspiré du sien, l’Union lui proposera son expertise en matière d’intégration et de sceller, à terme, un ambitieux accord d’association de groupe à groupe régional (22) .

L’intérêt s’est ensuite porté ces dernières années sur le Mexique et le Brésil, seuls perçus comme acteurs stratégiques importants. Ainsi après avoir montré le plus grand intérêt pour le Mercosur, et réalisé avec déception qu’il n’était pas une réplique de l’Union européenne, celle-ci a opté pour la signature d’un partenariat stratégique avec le Brésil (23) .

Sous la pression de chefs d’États européens comme Solana ou Merkel et à la faveur de la présidence tournante exercée par le Portugal, le Brésil a été invité à rejoindre le club des pays ayant signé un partenariat stratégique avec l’Europe (club qui compte une liste aussi disparate que l’Afrique du Sud, le Canada, la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis, l’Inde, le Japon, la Russie ou le Mexique).

Quant à la présence économique, elle s’est concentrée dans le cône sud, 85 % des investissements directs européens ont été destinés au Mercosur et 54 % du commerce extérieur et la présence des grands groupes européens a en réalité été le moteur des relations avec l’Union européenne en Amérique latine. En revanche, en Amérique centrale, qui concentre 6 % des échanges, l’Union européenne s’est concentrée sur le thème des droits de l’homme et de la démocratie.

D’une part, cette réorientation de la politique extérieure européenne ne facilite pas la lecture de la politique européenne car se superposent désormais les stratégies nationales, clairement prépondérantes, et les politiques européennes, qui ont en fait les mêmes « cibles » et les mêmes priorités affichées. (24)

D’autre part, c’est un changement de paradigme qu’il faut ici souligner : l’Union européenne est passée « d’une stratégie fondée sur l’idée d’acteur normatif qui encourage le régionalisme international et les relations interrégionales, à une approche aux relents de Realpolitik qui, loin de domestiquer et multilatéralisme l’action internationale des BRICS, valorise la puissance des États. »

Il faut noter enfin côté latino-américain une claire préférence pour les associations bilatérales. Comme le signale Claude Heller (25), il faut aussi souligner que l’Amérique latine n’a pas de vision uniforme de l’Union européenne. Chaque pays latino-américain entretient une relation différente avec l’Europe et ses États membres, en fonction de son héritage colonial, de ses priorités politiques, de son degré de développement, de ses autres partenariats, le poids des États-Unis étant déterminant. Les objectifs des pays d’Amérique latine dans leur relation avec l’Union européenne ne sont donc pas toujours convergents. La complexité de l’intégration régionale et l’absence de leadership véritable au sein du continent ne facilitent pas le dialogue avec l’Union européenne

2. La France est aujourd’hui un des seuls pays européens qui pourrait catalyser une reprise du dialogue politique entre les deux ensembles

Pour les latino-américains, l’Union européenne, a perdu sa cohérence avec son extension géographique. Faute d’identité, elle est dans l’incapacité d’exprimer un vouloir-vivre commun et de fabriquer une politique extérieure rayonnante. Mais il demeure un désir d’alliances alternatives, que ce soit par rapport aux nord-américains ou aux chinois, et la volonté de nouer des partenariats économiques et des accords commerciaux ambitieux.

La France pourrait aujourd’hui être un allié précieux pour l’Amérique latine dans ses rapports avec l’Europe, pour peu qu’elle fasse la promotion d’une « approche plus systématique et moins conjoncturelle, moins centrée sur quelques pays à la mode ou des crises ponctuelles. »

a. Démultiplier notre action grâce aux actions conduites par l’Union européenne

On l’a vu, les crédits ainsi que parfois la gestion des politiques de coopération ont été transférés en grande partie au budget de l’Union. L’Union européenne est le principal donateur d’aide au développement en faveur de l’Amérique latine. La France participe aussi activement aux programmes européens dont elle finance 16 % via le budget européen. Elle pilote avec l’Espagne le programme Euro social, elle est à l’origine du programme Euroclima de 5 millions d’euros pour aider les pays latino-américains à limiter leurs émissions et à se douter d’outils institutionnels.

Il faut donc ici avoir une approche pragmatique, c’est à dire mettre en concordance la politique européenne avec les priorités stratégiques de la France en Amérique latine et améliorer la capacité de la France à participer à des programmes européens et surtout à leur financement.

Il faut parvenir autant que possible à démultiplier l’influence française par le truchement de l’action européenne, en faisant valoir nos intérêts pour le mandat de négociation des accords et en capitalisant sur les actions conduites par l’Union européenne. Avoir une approche bi-régionale n’exclut pas de faire de la Realpolitik. La France peut initier une réflexion plus stratégique sur l’Amérique latine au niveau européen. Quelques secteurs stratégiques : paix et sécurité ; énergie ; enseignement supérieur et recherche; environnement et développement durable.

Néanmoins, pour les pays émergents, qui ne reçoivent plus de fonds européens, la France est en concurrence avec ses voisins européens et une action au niveau national est indispensable en complément de la politique européenne.

b. Mettre l’accent sur les questions commerciales

Il faudrait faire du dialogue euro-latino-américain une enceinte politique de concertation sur les enjeux globaux avec un agenda plus serré et précis (il suffit de lire les déclarations finales pour comprendre la croissance des absences au sommet), coordonnées avec l’agenda des autres grands rendez-vous politiques internationaux.

A ce titre, votre rapporteur estime urgent que les questions commerciales soient discutées au plus haut niveau, notamment les négociations avec le Mercosur, dont les conséquences pourraient être non négligeables pour notre pays.

Durant les années quatre-vingt-dix, outre l’Uruguay Round, l’Amérique latine a conclu près de trente accords d’échanges réciproques allant des zones de libre-échange aux unions douanières à l’échelon régional. Des négociations majeures restent à conclure, dont l’issue déterminera, pour les décennies à venir, l’articulation de cette région à l’économie mondiale. Actuellement, la stratégie commerciale de l’Amérique latine s’analyse à trois niveaux :

– celui du cycle multilatéral dans la perspective du programme de Doha pour le développement ;

– celui des négociations menées en vue d’établir d’ambitieuses zones de libre-échange Nord-Sud fortement engagées vers l’ouverture des marchés, comme la Zone de libre-échange des Amériques, les Accords d’association avec l’Union européenne, et les accords de libre-échange bilatéraux de certains pays d’Amérique latine avec les États-Unis, le Canada et le Japon ;

– enfin, celui des accords régionaux internes à l’Amérique latine visant à approfondir la libéralisation par la création de marchés communs ou de zones de libre-échange, comme c’est le cas actuellement dans les négociations en cours entre le Mercosur et le Pacte andin.

Le rapport parlementaire de 2012 soulevait, déjà, le fait que la question des relations commerciales était la première pierre d’achoppement du dialogue entre Union européenne et Amérique latine. Au ministère des affaires étrangères brésilien, la mission avait eu confirmation de la préoccupation de nos partenaires sud-américains qui se considèrent comme affectés par les décisions relatives aux préférences commerciales.

De fait, les négociations des accords de libre-échange sont entamées depuis très longtemps et n’ont toujours pas réussi à aboutir. Il en est ainsi des discussions au niveau du Mercosur, lancées en 1999, suspendues en 2004, réactivées en 2009 et 2010. Il en est de même des négociations de l’Union européenne avec la Communauté andine des nations, Bolivie, Colombie, Équateur et Pérou, sur des thématiques identiques, ouvertes depuis 1993 en vue de la conclusion d’un accord bilatéral de commerce et d’investissement, qui se réduit, depuis le sommet de Madrid de mai 2010, à un accord commercial avec la Colombie et le Pérou. Sur ces questions, la France, suivie par les ministres de l’agriculture d’une dizaine d’autres pays de l’Union, a pris la tête de l’opposition à la conclusion d’un accord bi régional avec le Mercosur qui ne tiendrait pas suffisamment compte de nos priorités et de l’intérêt de nos agriculteurs.

Les pays émergents tirent les échanges mondiaux, une nouvelle géographie de la puissance économique se fait jour, les questions d’investissement sont devenues cruciales, de même que l’accès à l’énergie ou aux matières premières : toutes ces questions affectent notre politique commerciale et devrait affecter celle des pays latino-américains.

Au-delà de la question de la signature d’un accord de libre-échange avec le Mercosur, il faudrait peut-être réfléchir, avec les latino-américains, à une nouvelle approche en matière de politique commerciale qui inclue : l’articulation des règles commerciales et sociales (mise en place d’observateurs croisés de l’OMC et de l’OIT) ; les liens entre commerce et environnement (lutte contre le dumping environnemental) ; l’articulation entre commerce et développement au travers des accords de partenariat économique.

c. Avoir un dialogue stratégique avec la CELAC et l’UNASUR

Le modèle de regroupement régional, parfois difficile à lire pour les européens, combine une forte solidarité et une affirmation non moins forte des identités nationales

On l’a vu, les rapports de force changent aujourd’hui au sein du continent et l’intégration économique à l’Asie fait bouger l’architecture des organisations régionales, moins tournées vers la consolidation subrégionale que vers l’intégration aux flux économiques mondiaux.

Le continent s’est historiquement construit avec la façade atlantique et les routes maritimes qui le reliaient aux puissances coloniales, c’est aujourd’hui vers le Pacifique qu’il se tourne, en fonction des flux de commerce avec l’Asie.

Ce mouvement entraîne des reconfigurations régionales non négligeables, telles que l’affirmation des pays de l’Alliance du Pacifique (Chili, Pérou, Colombie, Mexique) face aux pays du Mercosur. Il nécessite aussi d’immenses investissements logistiques et portuaires.

L’Union des nations sud-américaines (UNASUR), qui réunit tous les pays d’Amérique du sud, a en revanche trouvé sa place dans cette complexe architecture régionale.

Une UNASUR active capable de relancer des négociations commerciales fera de l’Amérique du sud un continent mieux à même de renouer avec la croissance. Son secrétaire général, l’ancien président Colombien, déploie beaucoup d’efforts en ce sens.

Le développement du commerce interrégional serait bénéfique alors que moins de 10 % des exportations des pays de l’Alliance sont destinés au Mercosur. Enfin, le bloc ainsi constitué aurait une taille critique intéressante, réunissant 90 % du PIB et 80 % de la région. Les pays des deux blocs pourraient enfin profiter des complémentarités de leurs économies pour favoriser des productions compétitives à l’exportation. Elle permettrait enfin de lutter contre l’image d’une Amérique latine divisée entre deux blocs antagonistes.

Autre nouvelle formation régionale, la CELAC (Communauté d’États latino-américains et caribéens), créée en 2010, regroupe quant à elle tous les pays du continent à l’exception des États-Unis et du Canada et symbolise l’autonomie croissante du sud par rapport au nord, se voulant une forme de contrepoids à l’OEA.

Il faut soutenir l’unification, car elle est de nature à faire de l’Amérique un véritable pôle de puissance dans le monde multipolaire de demain. La fragmentation du continent n’est pas favorable aux intérêts français.

L’initiative prise par Bachelet, après quatre années tournées vers le libre-échange, d’organiser en novembre 2014 un dialogue à Santiago du Chili sur l’intégration régionale entre Alliance du pacifique et Mercosur doit être saluée et soutenue.

Par ailleurs, notre pays est d’ores et déjà membre observateur de l’OEA et, depuis 2013, de l’Alliance du Pacifique, ainsi qu’observateur extrarégional du Système d’intégration centraméricain (SICA) depuis 2012.

Nous devons renforcer notre présence et le dialogue de l’Union européenne avec la CELAC et l’UNASUR : cette dernière a notamment vocation à se concentrer sur des projets concrets à l’échelle du continent dans des secteurs particulièrement stratégiques pour la France.

Ainsi, les questions énergétiques ont été, en 2005, parmi les premières traitées dans ce cadre et ont conduit l’Argentine, le Venezuela et le Brésil à mutualiser les prospections et le raffinage de pétrole.

En 2008, les pays sud-américains se sont aussi engagés sur la voie d’une coopération accrue en matière de défense collective. Un conseil de défense commun (le Conseil de défense sud-américain) a été mis en place. Le Brésil a d’ores et déjà posé la première pierre d’une ambition nouvelle, celle de créer une industrie d’armement autochtone.

Enfin, la question des grands investissements dont l’Amérique latine aura besoin pour assurer son développement économique et social pourrait être traitée au niveau régional. Pour l’heure a été lancée dans les années 2000 l’initiative IIRSA qui vise à l’établissement de grands corridors de circulation internationaux de l’Atlantique au Pacifique. Ces aménagements nécessitent des investisseurs étrangers – c’est ainsi que la Chine a pris pied en Amérique latine. L’Union européenne pourrait à l’échelle de l’UNASUR évoquer la question du renforcement des infrastructures à l’échelle régionale : bien sûr, celles qui ont vocation à ouvrir le continent au commerce international, mais aussi et surtout pour favoriser l’intégration sur le continent et la circulation entre les pays.

III. QUELLES INITIATIVES COMMUNES POUR CONSTRUIRE UN MONDE MULTILATÉRAL : TRANSFORMER DES CONVERGENCES DE VUE EN AGENDA POLITIQUE

1. Réforme de la gouvernance mondiale et régulation de la mondialisation : serpent de mer ou véritable axe de dialogue ?

a. Quelle place pour les grands émergents latino-américains dans la gouvernance mondiale ?

Pour reprendre l’analyse d’Henry Kissinger dans son dernier ouvrage, World order, ce qui a fait le succès de l’ordre westphalien, sa dimension procédurale, était aussi une faiblesse, car elle ne répond pas au problème de la manière de générer de la légitimité. La crise a d’autres facteurs, l’érosion de l’État, l’incohérence entre l’économie mondialisée et la politique qui reste nationale : l’ordre international est confronté à un paradoxe : « sa prospérité dépend du succès de la mondialisation, mais le processus induit une réaction politique qui œuvre contre ses aspirations », face à ce monde sans grands pôles de puissance, il n’y a pas de forum efficace de discussion mais plutôt une multiplication d’enceintes de discussions.

Enfin, si l’ordre mondial est en crise, c’est en raison de l’absence de consensus sur ce qu’il doit être, « il n’y a pas de définition partagée du système ». En dehors du monde occidental « les régions qui ont joué un rôle minimal dans la formulation originelle de ces règles remettent en question leur validité et ont clairement fait comprendre qu’elles travailleront à les modifier ». L’Europe qui est pourtant à l’origine de l’ordre international actuel pourrait ne pas participer à sa rénovation.

Le statu quo actuel a un double facteur : les efforts pour construire des coalitions alternatives solides n’ont pas eu le succès escompté, d’autre part, les puissances établies ont efficacement coopté les principaux émergents dans la diplomatie de club (dialogue avec les trois pays latino-américains au sein du G20), tout en retardant leur nomination à des postes clé (au FMI ou à la Banque mondiale notamment).

Les pays européens pourraient prendre les devants en proposant une seule chaise pour la zone euro au FMI. Mais plutôt que de se livrer à une stratégie de marchandage avec les pays qui demandent une nomination dans les grandes instances internationales, ne pourrait-on adapter les mécanismes de supervision et de décision sur des sujets précis ?

Or l’Amérique latine est un pont entre pays développés et en développement, entre « centre » et « périphérie ». Sur les aspects institutionnels et budgétaires, leurs positions se rapprochent de celles du G77, sur les questions politiques et de sécurité, davantage des positions des non-alignés.

La France et l’Amérique latine ont par ailleurs des convergences fortes sur les valeurs qui fondent le multilatéralisme. Le continent a fourni plusieurs figures éminentes du secrétariat des Nations unies. Comptant deux représentants au sein du Conseil de sécurité, il y est l’un des mieux représentés. On l’a vu, des pays comme le Mexique, le Brésil, l’Argentine, mais aussi l’Uruguay ou encore la Colombie et le Pérou ont une diplomatie particulièrement active dans les enceintes onusiennes, et rejoignent les positions françaises lorsqu’il s’agit de consolider et de rénover le multilatéralisme. Dernier exemple en date, le soutien affirmé du Mexique à la proposition française de suspension du droit de veto pour des motifs humanitaires.

Leur engagement est par ailleurs massif dans les opérations de maintien de la paix : en 2012, 14 pays d’Amérique latine déployaient plus de 7500 hommes et femmes dans 13 des 15 OMP. La majorité des moyens et des effectifs est aujourd’hui attribuée à la Minustah créée en 2004 pour assurer la stabilité d’Haiti. Ils accordent aussi une grande importance aux formations aux OMP, c’est en Argentine, en Uruguay, au Paraguay et au Chili, suivis par le Brésil et les pays Andins, que sont apparus les premiers centres de formation dans les années 1990. La France participe de ce mouvement en mettant par exemple à dispositions des assistants techniques au sein du centre de formation argentin, où en qualité de membre observateur du centre régional ALCOPAZ, réseau qui regroupe les centres de formation de sept pays latino-américains.

L’Amérique latine est à ce titre un interlocuteur privilégié pour débattre de la réforme de la gouvernance internationale, de la régulation de la mondialisation, du développement, des questions de paix et de sécurité.

Pourrait ainsi être discutée avec les latino-américains la proposition française de constituer un Conseil de sécurité économique social et environnemental, la création de mécanismes de surveillance et de règlement des conflits, sur le modèle de l’OMC, pour arbitrer les conflits entre normes commerciales, environnementales et sociale.

Le dialogue pourrait aussi être approfondi et institutionnalisé sur les grands enjeux de la planète. Selon les interlocuteurs de la mission, la réforme de la gouvernance mondiale passe ici non seulement par l’élargissement de la composition des grandes enceintes de dialogue, mais elle passe aussi par la mise en place de mécanismes de surveillance des enjeux globaux, à caractère informel, qui permettent aux États comme aux acteurs non étatiques issus des grands émergents de participer à une gouvernance mondiale en réseau.

Notre dialogue est encore en construction sur les grands enjeux de la planète, il mériterait d’être porté au plus haut niveau politique, niveau qui hélas se limite aujourd’hui trop souvent à la diplomatie économique, avec des résultats d’ailleurs contrastés.

b. Comment réguler les effets de la mondialisation

Ainsi, sur la réponse à la crise économique mondiale dont les effets n’ont pas encore fini de se déployer depuis 2008, et sur la gouvernance économique mondiale, notre dialogue devrait être renforcé.

En ce domaine, il existe une réelle demande latino-américaine, confirmée par l’audition des ambassadeurs de la région, à laquelle la France ne répond que timidement.

Le plan d’ajustement structurel est un ensemble de mesures constituées d’un cocktail de baisse des dépenses publiques, de modération salariale et de flexibilisation de l’économie à mettre en œuvre pour un pays en échange d’un financement du FMI. Le Chili du général Pinochet est le premier pays à avoir expérimenté le « remède » dans les années 1980 avant de concerner la quasi-totalité des pays de la zone. Les mêmes politiques appliquées aujourd’hui à des pays européens comme la Grèce, l’Espagne et le Portugal conduisent également à une contestation de l’ordre économique – et pour ce qui concerne ces pays également l’Union européenne – et à favoriser des partis comme Syriza ou Podemos. L’exemple de l’évolution économique et politique de l’Amérique latine doit nous éclairer sur le devenir des pays Européens subissant les effets de la crise mais aussi sur le devenir de notre pays qui n’a pas encore réglé définitivement la question de sa dette publique. 

Autre question qui pourrait faire l’objet d’échanges, la question des dettes souveraines. Le niveau des dettes souveraines ne constitue pas aujourd’hui un handicap majeur pour les économies des pays d’Amérique du sud. La plupart des pays - mis à part le Brésil, l’Uruguay - ont un ratio dette/PIB inférieur aux critères de Maastricht. Toutefois, la question de la dette est et demeure aujourd’hui une question politique essentielle tant la souveraineté monétaire - notamment l’indépendance à l’égard du dollar - a souvent constitué une question essentielle d’indépendance nationale.

A cet égard, le « feuilleton » qu’a constitué le conflit qui a opposé l’Argentine aux fonds vautours est éclairant. L’Argentine on l’a vu, s’est trouvée en situation de défaut partiel en raison du refus de deux fonds spéculatifs américains d’accepter la restructuration de la dette pourtant acceptée par les autres créanciers. La justice américaine exige en effet le remboursement préalable et intégral de ces deux fonds vautours. L’Argentine a multiplié les initiatives pour essayer de sortir de l’impasse, la France l’a d’ailleurs soutenue devant son recours devant la Cour internationale de Justice contre les États-Unis. Avec l’adoption de résolutions de l’assemblée générale des nations unies sur l’instauration de principes guidant les processus de restructuration des dettes souveraines, l’Argentine a amorcé une réflexion que la France pourrait elle aussi porter au niveau européen et dans les grandes instances comme le FMI et la Banque mondiale.

Autre sujet qui mériterait d’être abordé avec les latino-américains, car il est aussi une question pour l’Europe (les discussions autour de la négociation du TTIP le montrent) : le règlement des contentieux en matière d’investissements. En effet, un certain nombre de pays latino-américains comme la Bolivie, le Venezuela ou l’Équateur, ont connu des conflits importants avec certaines multinationales dans le cadre de la renégociation des concessions d’exploitation de leurs ressources pétrolières et naturelles. Ils sont allés jusqu’à quitter le Centre international de règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi) rattaché à la Banque mondiale. Ces pays ont aussi en 2013 réclamé la création d’un mécanisme régional de règlement des différends par l’UNASUR et d’un observatoire international sur cette question.

Enfin, au niveau multilatéral, en particulier au G20, la France pourrait porter un dialogue plus intense avec les pays latino-américains sur la dimension sociale de la mondialisation : le Brésil a été très actif pendant la présidence française du G20 sur la promotion d’un socle universel de protection sociale. Le Mexique et l’Argentine se sont investis sur les questions d’emploi et la dimension humaine du développement et à la question du partage des connaissances. Le dialogue entre la France et l’Amérique latine sur ces sujets doit s’étendre au-delà du G20, et pourrait lui aussi constituer un axe majeur de dialogue politique avec l’Europe, qui elle aussi cherche la voie d’une conciliation entre l’ouverture économique nécessaire à la croissance et la protection de ses citoyens face à la mondialisation.

2. Comment faire de l’environnement un axe plus fort de notre coopération ?

Lors du déplacement de la mission, vos rapporteur et président ont pu constater, ce qui a été confirmé par les informations transmises par le Quai d’Orsay, à quel point les pays d’Amérique latine étaient conscients des risques causés par le dérèglement climatique et prêts à se mobiliser à l’échelle nationale et internationale.

Ils ont surtout mesuré l’immense impact du succès de la COP21 sur l’image de la France dans la région, qui se pose désormais en un acteur global sur les enjeux environnementaux. L’équipe du ministre de l’écologie Colombien a ainsi appelé la France à poursuivre ses efforts de mobilisation de la communauté internationale, et à plaider en faveur d’un règlement global de la question, ambition que ni les États-Unis, ni la Chine ne peuvent selon lui porter.

L’Amérique latine et les Caraïbes contribuent peu au dérèglement climatique mais sont particulièrement vulnérables à ses effets. Les pays d’Amérique centrale et les petits États insulaires de la région sont les plus concernés. Une augmentation des événements météorologiques extrêmes (notamment des inondations et des épisodes de sécheresse) a été enregistrée. Le phénomène El Niño, qui est influencé par le changement climatique, permet d’expliquer en partie ces perturbations. L’augmentation de la température, les modifications des modèles des précipitations, la fonte des glaciers et l’élévation du niveau de la mer sont d’autres manifestations du changement climatique.

A l’exception du Nicaragua, tous ces pays ont présenté une contribution prévue déterminée au niveau national (CPDN). Le Venezuela a en effet annoncé le dépôt de la sienne lors de la clôture de la COP21 le 12 décembre, tandis que le Panama l’a publiée le 19 avril. Ces contributions comportent les politiques que les pays ont l’intention de mettre en œuvre pour réduire ou limiter leurs émissions de gaz à effet de serre (atténuation). Certains, tels le Mexique, ont également intégré des éléments relatifs à l’adaptation dans leur contribution, afin de prendre sans attendre des mesures pour faire face aux impacts déjà ressentis du dérèglement climatique.

On peut distinguer quatre principaux groupes de pays aux positions divergentes.

L’Alliance bolivarienne des peuples de notre Amérique (ALBA)6, qui avait rejeté l’accord de Copenhague en 2009.  Le respect des droits de la nature (Pachamama) est en effet primordial aux yeux de l’ALBA. La présidence française de la COP21 a su écouter et associer ces pays, ce qui a permis d’obtenir un soutien de leur part, à l’exception du Nicaragua qui ne s’y est toutefois pas opposé.

L’Association indépendante de l’Amérique Latine et des Caraïbes (AILAC). Ce groupe qui découle du rapprochement initié dans le cadre du Dialogue de Carthagène, est apparu lors de la COP18 de Doha fin 2012. Il a pour objectif de se démarquer de la polarisation entre pays développés et pays en développement que porte le G77, ainsi que des positions plus radicales des pays de l’ALBA. Lors des négociations, ce groupe s’est imposé grâce à ses positions centristes permettant de construire des ponts entre différents groupes de négociation. En plus d’avoir présenté des CPDN, certains pays de ce groupe ont décidé de contribuer au Fonds vert pour le climat. Le Pérou et la Colombie se sont ainsi engagés à y contribuer à hauteur de 6 millions de dollars chacun. Le Panama a quant à lui annoncé une contribution d’un million de dollars. La question du financement est en effet centrale pour la mise en œuvre de l’accord.

Le Brésil, qui appartient au groupe des BASIC (avec l’Afrique du Sud, l’Inde et la Chine) qui s’est imposé, depuis Copenhague, comme un groupe central dans les négociations. Ces pays n’ont pas d’objectif de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre dans le cadre du protocole de Kyoto, bien qu’ils soient devenus d’importants émetteurs.

Le Brésil est activement impliqué dans le secteur de la lutte contre la déforestation (près des deux tiers de l’Amazonie se trouvent au Brésil). A ce titre, le pays a réduit la déforestation illégale de 79 % entre 2004 et 2013 ce qui se traduit en une réduction des émissions mondiales de GES de 1,5%. Pays à la pointe de la gestion des forêts tropicales, le Brésil fait figure d’exemple en inspirant l’aménagement des forêts tropicales dans d’autres pays du monde. Le pays, qui possède une communauté scientifique dynamique et une société civile active est le chef de file de la plupart des projets techniques de coopération Sud-Sud de lutte contre la déforestation. Au niveau politique, le Brésil a été un appui important de la France durant la COP 21 : la Ministre de l’environnement I. Teixeira, s’est impliquée personnellement dans les négociations et a joué un rôle de facilitation sur le thème de la différenciation (aux côtés de Singapour), enjeu central des relations entre les pays développés et en développement.

Le Mexique enfin, fait partie du Groupe de l’intégrité environnementale aux côtés du Liechtenstein, de Monaco, de la Corée du Sud et de la Suisse. Il a joué un rôle clef lors de la COP21 qui a été l’occasion d’une coopération exemplaire avec la présidence française. C’est un de nos meilleurs alliés dans la mise en œuvre de l’accord de Paris. La France a par exemple initié récemment un dialogue fructueux avec le Mexique sur la défense de la biodiversité. Elle a aussi soutenu sa proposition de Cancun de création d’un Fonds vert pour les pays en développement. Cette bonne coopération au niveau multilatéral se décline au niveau bilatéral avec des coopérations de grande qualité. Ainsi l’AFD travaille sur les thématiques environnementales depuis 2009 au Mexique. La signature d’un mémorandum d’entente dès 2010 sur l’action de l’Observatoire Cousteau de préservation des mers et littoraux prévoyant des recherches croisées entre organismes mexicains et français pour préserver les écosystèmes, en est un autre exemple.

Les pays latino-américains seront de précieux partenaires, à ne pas négliger, dans la mise en œuvre de l’accord de Paris. Ils ont été très nombreux à participer – à haut niveau – à la cérémonie de signature de l’Accord de Paris le 22 avril. Il est toutefois trop tôt pour disposer d’une vue d’ensemble du calendrier de ratification de l’Accord par les pays latino-américains. Quelles que soient leur divergences, tous ces pays sont très actifs lors des négociations internationales sur le climat. La France ne doit pas ménager ses efforts pour continuer, comme elle l’a fait activement en amont de la COP21, à favoriser l’émergence de positions latino-américaines communes.

Notre pays doit aussi (cf. partie III sur notre diplomatie économique) capitaliser sur le succès de la COP21 pour institutionnaliser un dialogue plus étroit avec une Amérique latine en matière de protection environnementale. Les sujets de discussion ne manquent pas : préservation de la biodiversité, protection du littoral, développement de l’économie verte, financement de la transition énergétique des pays en développement. Sur tous ces sujets, les pays latino-américains ont clairement signifié à la mission qu’ils attendaient des propositions concrètes.

Les discussions ouvertes au niveau multilatéral et régional pourront ainsi s’articuler avec des coopérations bilatérales novatrices, où la France dispose d’une véritable valeur ajoutée, de champions nationaux reconnus et de compétences à faire valoir : ville durable, aménagement du territoire et transport, gestion de l’eau et des déchets, mise en place de parcs naturels protégés, tourisme durable. A tire d’exemple, et selon les informations communiquées par le ministère des affaires étrangères, la lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts est un sujet prioritaire pour les pays d’Amérique latine, en raison d’une surface de forêts primaires très importante. Certains pays, tels que le Pérou et le Costa Rica, ont initié des programmes ambitieux de protection des forêts mais considèrent qu’ils n’ont pas les moyens de les mettre en œuvre sans un soutien financier de la part de la communauté internationale.

Enfin, les questions environnementales et de développement durable sont une voie d’entrée privilégiée pour promouvoir le dialogue trilatéral entre l’Amérique latine, l’Afrique et France sur les grands enjeux de la planète. L’impact de la coopération tripartite (Sud-Sud et Nord-Sud) pour atteindre les objectifs de développement durable de l’agenda 2030 peut-être déterminant.

Ici la France a évidemment une carte à jouer et peut jouer un rôle de catalyseur de coopérations croisée, en s’appuyant plus particulièrement sur certains pays : le Brésil, dont la diplomatie africaine a été particulièrement active, le Mexique ou encore la Colombie – l’ambassadeur de Colombie s’est notamment déclaré intéressé par ce type de coopération.

A titre illustratif, le Mexique et la France, à travers l’IRD, ont signé deux déclarations d’intention respectivement avec le Conseil National de la Science et de la Technologie du Mexique (CONACYT) et l’Agence Mexicaine de Coopération Internationale pour le Développement (AMEXCID).

Les promoteurs de l’initiative ont décidé d’organiser une réunion en étroite collaboration avec le Maroc (l’Université In Zohr à Agadir) en mai 2016, adressée aux partenaires de l’Amérique Latine, du Maghreb et de l’Afrique sub-saharienne. L’objectif est de définir des programmes scientifiques communs, des d’actions de formation et d’innovation sur le climat, l’environnement et les ressources naturelles autour de l’Atlantique (variabilité, tendance et changement climatique). Une lettre de déclaration de la réunion d’Agadir sera rédigée pour une signature d’un accord commun par les pays concernés lors de la COP 22 à Marrakech. A ce jour le Brésil, l’Argentine, le Chili, le Pérou, le Mexique, la Tunisie, le Mali, le Niger, le Sénégal, la Cote d’Ivoire, le Maroc et la France ont répondu favorablement à cette initiative.

3. Narcotrafics : promouvoir une nouvelle approche

Les narcotrafics sont un enjeu de sécurité pour l’Amérique latine certes, mais ils sont surtout un enjeu de sécurité global qui ne trouvera réponse efficace que dans une concertation étroite entre pays producteurs, pays de transit et pays consommateurs.

Le phénomène s’est étendu à quasiment tous les pays d’Amérique latine aujourd’hui. Comme le souligne la chercheure Marie-Esther Lacuisse, certes « trois pays, la Bolivie, la Colombie, et le Pérou, détiennent le monopole de la production de la feuille de coca, propre à fabriquer la cocaïne, et le trafic s’étend à toute la région, en particulier le Mexique, le Venezuela et l’Équateur. L’Argentine se dit inquiète de la multiplication des laboratoires au nord du pays et de l’augmentation du trafic. Le Brésil est depuis quelques années, le pays de sortie pour les nouvelles routes du trafic vers l’Europe via l’Afrique de l’Ouest. »

L’approche uniquement sécuritaire est insuffisante. Le sujet concerne d’autres domaines de l’action publique : l’agriculture, la santé, l’éducation, la violence urbaine.

C’est une approche « militaire » qui a été jusqu’ici promue, principalement par les États-Unis. Le Plan Colombie est le plus souvent cité, mais il en existe d’autres : en 1999, une base militaire américaine a été mise en place sur la côte équatorienne (Base de Manta). Dans l’Amazonie brésilienne, un système de surveillance militaire a été implanté (System for Amazon Surveillance).

Les politiques répressives ont davantage fait la démonstration de leur violence que de leur efficacité. On pourra évoquer ici les effets de la politique menée au Mexique dans les années 2000, qui ont fait près de 100 000 morts, sans réduire les trafics. La chasse des grands barons de la drogue a entraîné un éclatement des grands cartels en petits groupes qui s’affrontent aujourd’hui et se livrent à d’autres formes de criminalité. Pourtant, comme le souligne Marie-Esther Lacuisse, « les États-Unis maintiennent une approche répressive renforcée depuis le 11 septembre. Les drogues sont désormais rattachées à la lutte contre le terrorisme. Cette réorientation a également été suivie par l’Union Européenne en 2004 », qui semble avoir des difficultés à affirmer une approche originale.

Certains pays européens, comme l’Allemagne se sont concentrés sur le soutien au développement agricole dans les zones de production de coca. L’Union européenne a aussi, dans ses programmes de coopération cette fois, financé des programmes centrés sur la régulation de la demande et la lutte contre le blanchiment d’argent et le démantèlement des filières de l’approvisionnement.

La France devrait favoriser la promotion d’une approche renouvelée dans la lutte contre les narcostrafics et la régulation de la consommation de drogues.

Notre pays est déjà très engagé sur ces questions, la France est un des principaux bailleurs de l’ONUDC (organe des Nations unies contre la drogue et le crime). Notre pays avait organisé dans le cadre de sa présidence du G8 une réunion ministérielle consacrée à ce thème en 2011, et soutenu la création d’un groupe de travail au sein du secrétariat général des Nations unies.

La France pourrait utilement mener avec quelques pays latino-américains une réflexion sur la pertinence de la législation internationale en matière de lutte contre les drogues, et sur la promotion d’un changement d’approche dans la lutte contre les narcotrafics.

Le dispositif international de contrôle des drogues repose sur trois convention des Nations unies, de 1961, 1971, 1988, qui : limitent la production le commerce et la détention de drogues aux fins médicales et scientifiques ; répriment la culture la production al détention l’offre l’achat et la mise en vente de drogues. Si la dépénalisation n’est pas interdite par les conventions, les politiques de légalisation de la production et de la distribution y sont contraires.

La troisième SEAGNU dédiée aux drogues, qui s’est tenu à New York en avril 2016, a vu la montée en puissance d’un discours qui remet en question le cadre juridique actuel. Quelques États, emmenés par le Mexique, la Colombie, le Guatemala, l’Uruguay ou encore l’Équateur plaident pour une nouvelle réorientation des politiques internationales anti-drogues, pouvant aller de la dépénalisation de la consommation jusqu’à la légalisation de la production et du commerce de certaines drogues. Il faut rappeler que près de la moitié des Etats fédérés américains ont légalisé le cannabis à des degrés divers, ce qui rend moins audible leur discours répressif à l’international. Le premier ministre canadien a lui aussi annoncer vouloir légaliser le cannabis dans son pays en 2016. A l’inverse, d’autres États, ceux du G77, la Russie, la Chine, une grande partie de l’Asie, s’y opposent.

La France considère aujourd’hui que le cadre des conventions offre la stabilité juridique nécessaire tout en n’empêchant pas la prise en compte des aspects sanitaires et sociaux dans la consommation de drogue. Il pourrait cependant être envisagé de renforcer le volet prévention, notamment en direction de la jeunesse, et santé publique de ces instruments juridiques ainsi que la coopération internationale en la matière.

Il faut aussi affirmer qu’une politique répressive ou d’éradication ne peut produire d’effet que si elle est accompagnée d’une stratégie de développement. La France ne doit pas ménager ses efforts pour promouvoir une politique de coopération régionale ambitieuse entre l’Europe et l’Amérique latine – ainsi le programme COPOLAD (26) mériterait d’être renforcé.

Il conviendrait aussi de soutenir la mise en place de politique domestiques efficaces, tentant de traiter de manière globale la question. L’article précité évoque l’expérience la plus avancée, celle de la Bolivie. Confrontée au problème d’une économie agricole où la culture de la coca, sacré et ancestrale, est une production majeure que le président Evo Morales désirerait industrialisée tout en étant limité et devant se plier aux exigences des conventions internationales. Dans le cas du Brésil, la drogue est devenue pour les autorités un problème de santé publique (expansion du VIH) et de sécurité urbaine majeure (guerre entre les gangs). Le Brésil a en réponse porté le sujet devant les instances internationales pour promouvoir l’approche par la réduction de la demande, notamment lors de la 59ème session de l’Assemblée Générale des Nations Unies (2004).

4. Dialoguer sur les questions numériques

a. Sur la gouvernance mondiale de l’internet

L’année 2015 et le début de l’année 2016 ont connu une intense actualité dans le domaine de la gouvernance de l’internet dont les résultats ont montré une convergence de vue entre la France et l’Amérique latine, en particulier le Brésil, pays très actif dans le domaine numérique.

D’une part, la position de la France sur la réforme de l’ICANN (27)  a été soutenue par la majorité des pays de l’Amérique latine démontrant une vision commune sur la nécessité de préserver le rôle des États au sein de cette instance qui joue un rôle stratégique dans la gouvernance technique de l’internet.

La France appelait depuis longtemps à l’émancipation de l’ICANN de la tutelle historique des États-Unis. L’affaire Snowden et l’offensive de Dilma Roussef (conférence NETmundial consacrée à la gouvernance de l’internet) ont amené le Département du Commerce américain à annoncer le 14 mars 2014 la fin de sa tutelle et le transfert de la supervision de l’ICANN à la communauté internet en charge de mener le projet de réforme.

Tout au long des négociations, la France, avec ses partenaires d’Amérique latine, a réitéré son opposition au projet de réforme proposé. En effet, les résultats des négociations ont abouti à une réforme qui marginalise les États dans le fonctionnement de l’ICANN (28) au profit du secteur privé et qui, en réalité, ne met pas fin à la mainmise des États-Unis toujours dominants grâce à l’importance de leur secteur privé au sein de la communauté.

Pour ces raisons, la France avec d’importants pays d’Amérique latine dont le Brésil et l’Argentine ont formulé une « déclaration minoritaire » (Minority Statement) pour montrer qu’ils ne pouvaient pas soutenir la réforme dans son ensemble. Il faut ici noter l’effet d’entraînement de ces deux pays qui ont réussi à convaincre d’autres États d’Amérique latine d’exprimer publiquement leur opposition dans un contexte de fortes pressions exercées par les autorités américaines et leurs relais.

D’autre part, s’agissant de la revue à 10 ans du Sommet mondial sur la société de l’information (WSIS+10), la France et de nombreux pays d’Amérique latine, dont le Brésil ont exprimé une très grande proximité de vue sur les questions de gouvernance de l’internet. Toutefois, sur le projet de mise en place d’une Convention universelle sur la lutte contre la cybercriminalité, sujet clivant du WSIS+10, la France promouvait l’universalisation de la Convention de Budapest du Conseil de l’Europe de 2001 alors que le Brésil et d’autres pays d’Amérique latine préféraient l’instauration d’une Convention sous les auspices de l’ONU.  

Les pistes de coopération à développer pourraient être les suivantes : la réforme de l’ICANN rentre dans sa seconde phase (Work Stream 2) et traite d’enjeux importants tels que la question de la diversité culturelle sur laquelle les pays d’Amérique latine ont déjà exprimé des positions similaires à celle de la France. A l’occasion de la 56ème conférence de l’ICANN qui se tiendra du 27 au 30 juin 2016 à Helsinki, la coopération entre la France et les pays d’Amérique latine pourrait se concrétiser à travers une proposition détaillée visant à améliorer la diversité au sein des instances de l’ICANN.

b. Sur la coopération en matière de cybersécurité

En matière de cybersécurité, la coopération s’organise avec le Brésil essentiellement. Une première session de consultations franco-brésiliennes sur le numérique et la cybersécurité s’est tenue à Brasília les 17-18 février 2016. La délégation française, conduite par l’Ambassadeur pour la cyberdiplomatie et l’économie numérique, David Martinon, était composée de la délégation ministérielle chargée de la lutte contre les cyber-menaces (MININT), de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) et du Conseil national du numérique (CNNum).

Cette consultation a été l’occasion d’un premier échange de vues. Pour le Brésil, la Charte des Nations Unies (principes d’égalité souveraine, de règlement pacifique des différends et de légitime défense) et le droit des conflits armés constituent les éléments clés de la sécurité internationale du cyberespace. Le terme de « cyberespace » n’était toutefois pas reconnu par les Brésiliens qui y voyaient une remise en cause de la souveraineté des États.

La France a souligné pour sa part, comme le Brésil, que le principe de souveraineté ne devait pas être pensé comme un « rempart », mais comme un moyen de fluidifier la coopération et de renforcer la coopération internationale entre États. Selon le Brésil, il fallait privilégier les normes portant sur la coopération plutôt que celles portant sur la rétorsion. Il était par ailleurs temps de formaliser une norme de « non usage en premier » appliquée au monde numérique.

Il faudrait voir dans quelle mesure le Brésil pourrait jouer un rôle d’entraînement d’autres pays d’Amérique latine.

c. Sur la démocratie numérique

Sur la démocratie numérique, la coopération avec les pays d’Amérique latine s’est traduite par le Partenariat pour un Gouvernement Ouvert (PGO) (29). Ce partenariat est une initiative multilatérale créée à l’initiative de huit pays fondateurs : Brésil, Indonésie, Mexique, Norvège, Philippines, Afrique du Sud, Royaume-Uni et États-Unis. Il a été lancé le 20 septembre 2011 par ces 8 gouvernements, en présence de Barack Obama et Dilma Rousseff, qui ont adopté en séance la Déclaration de Principes du PGO4 et se sont engagés à remettre leurs premiers plans d’actions en mai 2012 au Brésil.

En quelques années, le Partenariat est passé de ces 8 pays fondateurs à 69 États membres (30). Plus d’une centaine d’ONG l’ont également rejoint (31).

Les pays membres du Partenariat s’engagent à suivre les principes du gouvernement ouvert tels que définis par la déclaration de principes du PGO (32) :

– transparence et intégrité de l’action publique ;

– participation citoyenne à l’élaboration des politiques publiques ;

– innovation et utilisation des nouvelles technologies pour moderniser l’action publique, notamment à travers l’ouverture des données publiques (« Open Data »).

De nombreux pays d’Amérique latine souhaiteraient rejoindre le Partenariat mais tous n’ont pas cette vocation puisque pour participer au PGO, un État doit obtenir au moins 75 % des points possibles dans quatre secteurs :

– transparence fiscale : 100 % des points sont accordés quand le projet de loi de finance et l’audit du budget sont publiés.

– accès à l’information : 100 % des points sont accordés quand une loi sur l’accès à l’information existe dans le pays, 75 % si la Constitution du pays garantit l’accès à l’information.

– divulgation des salaires et des intérêts : 100 % des points sont accordés si la loi requiert la publicité des salaires et des intérêts des élus et hauts fonctionnaires et 50% si elle ne requiert que la divulgation.

– participation citoyenne : 100 % des points sont accordés si la moyenne du pays considéré est supérieure à 7,5/10 dans le classement Democracy Index et 75 % si elle est supérieure à 5/10.

En avril 2014, la France a adhéré au PGO sur décision du Président de la République. Depuis 2014, la montée en responsabilité de la France au sein du Partenariat a été graduelle et rapide. En octobre 2016, la France prend la présidence pour un mandat d’un an, conjointement avec l’ONG World Ressources Institutes. En décembre 2016, la France organise le Sommet Mondial bisannuel du Partenariat qui sera l’occasion d’évaluer les avancées des pays d’Amérique latine candidats à l’adhésion du PGO.

I. ACCOMPAGNER L’ÉMERGENCE : NOTRE DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE DOIT S’APPUYER SUR NOTRE DIALOGUE POLITIQUE

Le défi commun aux pays d’Amérique latine est de transformer l’embellie des dernières décennies, largement tirée par le boom des matières premières, en développement véritable, dans un contexte de crise économique qui se double parfois d’une crise politique, comme c’est le cas au Brésil ou encore au Venezuela.

Il ressort des auditions de la mission d’information que les pays d’Amérique latine se trouvent à moment charnière de leur histoire, que la diplomatie française doit comprendre et exploiter : l’ancien modèle de développement ne permettra pas l’expansion économique enregistrée ces dernières années notamment grâce au dynamisme de la demande chinoise, mais le nouveau modèle de développement n’a pas encore émergé.

Il faudra pour cela s’attacher à corriger les handicaps qui grèvent leur compétitivité à long terme : infrastructures obsolètes et insuffisantes, faiblesse de la recherche et développement, dont le niveau est très inférieur à celui de l’Asie (moins de 1 % du PIB), lacunes de toute la chaîne de formation. Le renforcement de l’intégration régionale dans toutes ses dimensions s’impose pour faire front aux chocs extérieurs et créer des emplois. Les États de la région devront également s’organiser pour gérer leurs relations avec l’Asie, afin de ne pas se condamner à une nouvelle dépendance.

En matière économique, la France a des positions importantes, mais elle n’a ni les moyens de la Chine, ni la proximité géographique des États-Unis. Mais notre pays a un avantage décisif : un « modèle » à la fois économique, social et politique, qui séduit. Il faut donc articuler notre diplomatie économique aux défis de développement qui sont ceux de l’Amérique latine aujourd’hui.

Les questions du développement et de la transition économique doivent occuper une place centrale dans nos discussions avec l’Amérique latine, d’autant que la France a des compétences à faire valoir dans nombre de domaines qui correspondent très exactement aux défis de l’Amérique latine.

IV. L’ACCENT A ÉTÉ MIS SUR LA DIPLOMATIE ÉCONOMIQUE DANS LA RÉGION, AVEC DES RÉSULTATS MITIGÉS

1. Commerce extérieur et investissements : une place qui n’est que trop modeste et des situations contrastées

a. Une place modeste dans nos échanges commerciaux et nos investissements

L’Amérique latine et les Caraïbes ne représentent que 3 % de nos exportations qui sont géographiquement très concentrées : 5 destinations en captaient 80% en 2015: Brésil (36 %), Mexique (24 %), Argentine (10 %), Colombie (6,4%) et Chili (5 %). Après une forte baisse en 2014 (-11,25 %), nos exportations ont connu un rebond de +11,81% en 2015 (13 Mds€), le solde de nos échanges étant excédentaire de 3,4 milliards d’euros. Sur 10 ans, elles ont cru à un rythme annuel moyen de 4,5 % (en valeur).

Sur un plan sectoriel, 4 postes représentent 80 % de nos exportations : les matériels de transport (31 %) ; les biens d’équipement mécanique, électrique électronique et informatique, les produits chimiques, parfums et cosmétiques (18 %) et les produits pharmaceutiques (10 %)

Nos importations sont modestes (1,9 % de nos importations mondiales soit 9,2 milliards d’euros). Bien qu’elles aient augmenté de 12 % en 2015, celles-ci sont restées relativement stables au cours des 10 dernières années (progression au rythme annuel moyen de 0,57 %). Nos principaux fournisseurs sont le Brésil (31,5 % de nos importations de la zone), le Mexique (26,4 %) et le Chili (11 %). Les principaux produits importés de la région sont les produits de l’industrie manufacturière (75 % de nos importations de la zone), les produits des industries agroalimentaires (24 %), les produits de la catégorie hydrocarbures naturels, produits des industries extractives, électricité, déchets (13,7 %) et les produits agricoles, sylvicoles, de la pêche et de l’aquaculture (13,7 %).

Notre part de marché dans la zone est de 1,5 %: en légère baisse ces 10 dernières années, elle se situe derrière l’Allemagne (3,4 %), l’Italie (1,8 %) et Espagne (1,6 %). Les États-Unis et la Chine sont les deux premiers fournisseurs avec respectivement 31 % et 16 % de part de marché.

Notre commerce extérieur avec la zone est structurellement excédentaire depuis 2007. L’excédent a oscillé entre 460 millions et 4,2 milliards d’euros au cours des dix dernières années. En 2015, il s’est élevé à 3,4 Mds d’euros.

Notre stock d’IDE dans la région ALC représente 3% de notre stock d’IDE dans le monde. Les grandes entreprises françaises sont présentes dans la plupart des pays de la région. Dans certains pays elles jouent un rôle majeur dans l’économie. Le Brésil représente à lui seul 67,5% de notre stock d’IDE dans la zone, devant le Mexique (10,2 %), l’Argentine (7,6 %), le Chili (3,8 %) et le Venezuela (4,7 %). Au total sur la zone, les IDE français ont augmenté à un rythme annuel moyen de 9 % entre 2006 et 2014.

b. Des situations contrastées selon les pays

Le Mexique avec un taux de croissance (+2,5 % en 2015) supérieur à la moyenne régionale et une politique économique prudente résiste bien à la baisse des hydrocarbures. Une marge de progression existe pour que nos entreprises s’y déploient davantage. Un forum économique France Mexique est en projet. Le conseil stratégique France-Mexique créé en 2015 devrait alimenter la réflexion et contribuer à y développer des actions nouvelles.

Le Brésil, entré en récession en 2015 et qui fait face à une crise économique et politique sans précédent, reste le géant du continent et notre principal partenaire de la région. Notre part de marché (2,6 %) y est supérieure à la moyenne de la région. C’est la troisième destination de nos IDE dans le monde hors Europe. La 4ème édition du forum économique France-Brésil se tiendra cette année en juin à Paris et sera organisé par le MEDEF en lien avec son homologue brésilien (la CNI).

L’Argentine, Cuba et la Colombie ont connu des évolutions politiques porteuses de d’opportunités pour nos entreprises. En Argentine, suite à la récente visite officielle du Président de la République nous nous attacherons à adopter une feuille de route économique avec les nouvelles autorités. Le MEDEF pourrait organiser une mission en Argentine d’ici la fin de l’année et, dans la foulée, relancer un groupe d’hommes d’affaires de haut niveau. A Cuba, le récent accord sur la dette, la mise en place de nouveaux outils financiers (COFACE, AFD, fonds de conversion) seront mis à profit pour renforcer notre présence. En Colombie, la création du conseil stratégique ainsi que l’année France Colombie prévue en 2017 doivent nous permettre de profiter des opportunités de la nouvelle ère post-conflit qui s’annonce.

Le Chili bénéficie d’une situation financière solide, d’un climat des affaires favorable et représente un marché porteur nos entreprises. C’est également le cas au Pérou.

Au Venezuela, où la situation est très dégradée, les entreprises françaises réduisent leur exposition.

2. La levée des obstacles aux échanges et le soutien à l’export ont été au cœur de notre stratégie

a. Le développement des échanges et la levée des obstacles au commerce sont au cœur de notre action dans la zone

A l’exception des pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay) avec qui les négociations devraient redémarrer en 2016, les grands marchés de la région sont couverts par des accords de libre-échange (ALE) conclus par l’Union européenne.

C’est le cas du Mexique (2000) et du Chili (2003), dont les accords doivent être modernisés à court terme pour le Mexique (d’ici la fin du premier semestre 2016) et moyen terme pour le Chili (à l’horizon 2017). C’est également le cas de l’Amérique centrale et de la Communauté andine (pour lesquels les volets commerciaux de l’accord sont appliqués depuis 2013 et les procédures de ratification sont en cours dans les Parlements nationaux. L’APE régional CARIFORUM est appliqué provisoirement depuis 2009 (ratifié à ce jour par la moitié des États signataires).

La mise en œuvre complète et effective de ces accords en vigueur est une priorité. En effet, certains de ces pays, n’appliquent pas l’ensemble des mesures prévues par les textes de l’accord, ce qui limite les retombées économiques attendues de ces accords et le développement de nos exportations vers la zone ALC.

b. Notre action s’appuie également sur un dispositif de soutien à l’export et des outils d’aide-projets encore peu mobilisés en lien avec les entreprises françaises

Le dispositif de soutien à l’export est relativement robuste et efficace, il s’appuie sur :

– pour les services de la DG Trésor, 4 Services Economiques Régionaux (Buenos Aires, Brasilia, Panama et Mexico), 7 Services Economiques (Chili, Colombie, Cuba, Guatemala, Pérou, République Dominicaine, Venezuela) ;

– pour Business France : 5 bureaux (Mexique, Brésil, Argentine, Chili, Colombie) ainsi qu’une antenne à Cuba.

– Atout France dispose d’une représentation au Brésil, en Colombie et au Mexique.

– enfin, des Chambres de Commerces et d’Industrie françaises à l’International sont présentes dans 13 pays et 224 Conseillers du Commerce Extérieur de la France sont en activité dans la région.

Par ailleurs, les outils d’aide-projet (FASEP, Prêts du Trésor) sont largement ouverts mais encore peu mobilisés en lien avec les entreprises françaises. En effet, depuis 2006, 5 protocoles de Prêt du Trésor ont été signés dans la région (sur un total de 64), représentant un montant d’engagement de 237 millions d’euros (sur 3,8 milliards d’euros au total). Par ailleurs, 56 FASEP pour un montant de 28 millions ont été lancés, sur 274 (230 millions d’euros). Afin de remédier à ce faible niveau de demande de la part des entreprises françaises, deux facilités FASEP, d’un montant de 2 millions chacune, ont été signées avec la BCIE et la CAF, en 2015. Celles-ci devraient aider les entreprises françaises à accéder aux marchés par des études de faisabilité en amont de projets qui seront réalisés par ces deux bailleurs.

La politique d’assurance-crédit sur la zone est largement ouverte : la plupart des pays, sont ouverts sans conditions (Bolivie, Brésil, Colombie, Costa Rica, Guatemala, Mexique, Panama, Paraguay, Pérou, République Dominicaine, Uruguay) ; les autres sont ouverts avec conditions (Argentine, Cuba, Équateur, Haïti, Jamaïque, Nicaragua, Venezuela, Honduras). En 2016, un assouplissement de la politique d’assurance-crédit pourrait intervenir en Argentine.

c. Les priorités ont porté sur les secteurs régaliens et les biens de consommation

Les secteurs des infrastructures, de la ville durable, de la santé, de l’aéronautique et du spatial ont un fort potentiel de croissance et sont source d’opportunités pour nos entreprises. Le soutien à nos entreprises dans ces secteurs, où le rôle des États est primordial, constitue l’une des principales activités de nos services économiques à l’étranger.

Depuis 2015, les grands contrats ont enregistré une baisse des opportunités dans la plupart des pays phares (Brésil, Venezuela, Colombie) pour les secteurs stratégiques traditionnels pour nos intérêts commerciaux (grandes infrastructures, énergie, lignes de métro, aéronautique civile et militaire, satellites), Certaines destinations semblent cependant moins impactées et restent, à ce jour, porteuses d’opportunités (Pérou, Bolivie, Panama).

Les marchés de l’automobile et des biens de consommation bénéficient du développement d’une classe moyenne qui représentera 250 millions de personnes en 2020. Business France qui assure un suivi des « familles de produits » a prévu d’organiser 41 opérations de promotion collectives dans la zone dont 14 au Brésil, 8 au Chili, 8 en Colombie, 6 au Mexique et 4 en Argentine en 2016.

d. Le positionnement de nos entreprises sur le financement des bailleurs multilatéraux doit encore s’affirmer

La région reste un bénéficiaire important des financements des bailleurs multilatéraux.

A côté de la Banque Mondiale, 4 bailleurs « régionaux » sont présents : la Banque Interaméricaine de Développement (70 milliards de dollars d’encours), la Coopération andine de Développement (CAF, 19 milliards de dollars), la Banque centraméricaine d’intégration économique (BCIE, 5,5 milliards de dollars) et la Banque des Caraïbes (550 millions de dollars). L’information en amont des entreprises, la sensibilisation des équipes techniques de ces institutions aux « solutions françaises » sont les principaux leviers d’influence à notre disposition.

Par ailleurs, la région ALC représente 15 % des engagements de l’AFD.

Son mandat a été élargi à de nouveaux pays afin de renforcer notre influence dans la zone. D’un montant total de 6 milliards d’euros de financement entre 2009 et 2015, les engagements de l’AFD dans la zone pourraient augmenter suite à l’élargissement du mandat d’intervention à de nouveaux pays (Pérou, Équateur, Bolivie, Cuba). Pour le moment, les engagements dans la zone concernent, pour 69 % des montants, le secteur « infrastructures et développement urbain » et correspondent, pour 56 % des montants à des prêts souverains. La présence du groupe bénéficie de partenariats, de cofinancements et de coopérations techniques avec les autres bailleurs de la zone (Banques de développement nationales (BNDES) ou multilatérales (BID, CAF), Banque Mondiale, Banque Européenne d’investissements) : 1,5 milliard de cofinancements et mobilisation de 44,5 millions de fonds européens.

V. FAVORISER UNE DÉMARCHE INTÉGRÉE AUTOUR DE THÉMATIQUES CLÉS QUI CORRESPONDENT AUX BESOINS DES LATINO-AMÉRICAINS ET À LA SINGULARITÉ DU MODÈLE FRANÇAIS

1. Pour l’Amérique latine, l’enjeu majeur est de transformer l’embellie économique des dernières années en développement véritable

a. Re-primarisation de l’économie et dégradation des fondamentaux

Il faut ici au préalable souligner l’extrême disparité de l’Amérique latine au plan économique : la zone est composée d’un pays en situation de crise humanitaire grave, Haïti, de 6 pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure (Bolivie, El Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Paraguay) et de pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure, dont trois (le Chili, l’Argentine et l’Uruguay) pourraient sortir de la liste des pays du comité d’aide au développement de l’OCDE dès 2017. La bonne santé du groupe Amérique latine dépend beaucoup du Mexique et du Brésil, qui représentent les trois quarts du PIB de la région.

Ainsi le Brésil connaît aujourd’hui des problèmes d’infrastructures majeurs et se trouve confronté à la nécessité de restructurer l’offre pour faire face au grave déficit de compétitivité qui résulte du manque d’investissements.

Au Mexique, la réforme de la fiscalité et du secteur énergétique sont au cœur de la problématique de la sortie de l’économie de rente pétrolière (représentant jusqu’à récemment près de 40 % des recettes fiscales, pour une pression fiscale en moyenne inférieure à 10 %). Se pose en outre la question de la dépendance à l’économie américaine et de la concurrence de la Chine sur le terrain de l’industrie d’assemblage.

Au Chili, une des économies les plus dynamiques de la région, la période actuelle pourrait inciter le pays à vouloir diversifier son appareil productif et incorporer plus de valeur ajoutée dans ses exportations vers la Chine (aujourd’hui son premier partenaire commercial) dans le domaine agro-alimentaire notamment.

Si les trajectoires économiques sont différentes, la question de la pérennité du modèle de développement fondé sur l’exploitation des matières premières est une problématique assez partagée en Amérique latine. Elle constitue pour de nombreux pays de la région le principal vecteur de la croissance économique. C’est aussi une « malédiction ».

Comme le souligne le rapport de l’AFD sur les enjeux du développement en Amérique latine, celle-ci dispose de ressources naturelles abondantes par rapport à une population relativement réduite – à peine 600 millions d’habitants. D’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, l’Amérique latine disposerait encore de 4 millions de km2 de terres cultivables sans contraintes majeures sur le plan technique.

Cependant, au cours des dernières années, la bonne tenue des prix de matières premières et les entrées de capitaux ont conduit à une forte appréciation des monnaies de la majorité des pays de la région, ainsi qu’à l’apparition de symptômes de « reprimarisation » des structures productives33, notamment dans les cas du Brésil et de l’Argentine. Le premier tire principalement ses ressources d’exportation d’un vaste éventail de matières premières et bénéficie d’un tissu industriel plus dense. Le second vend surtout du soja et son appareil industriel est moins solide. Le cas du Mexique est un peu à part car il exporte moins de matière première mais son insertion dans la division internationale du travail consiste à assembler des biens industriels vendus aux États-Unis, qui sont les premiers investisseurs du pays.

L’exportation massive de matière première a pour effet positif d’apporter des entrées de capitaux, mais il rend ces économies vulnérables aux fluctuations de l’économie mondiale, en particulier chinoise pour le Brésil et l’Argentine, nord-américaine pour le Mexique, et aux entrées de capitaux étrangers. De plus, les monnaies nationales ont tendance à s’apprécier par rapport au dollar ou à se déprécier subitement lorsque les entrées de devises deviennent plus rares. Ainsi, au Brésil, le déficit de la balance des comptes courants s’est détérioré au point que l’équilibre des paiements nécessite des entrées de capitaux de plus en plus importants. Dans ces deux pays : la vente des matières premières arrive aujourd’hui à peine à compenser la valeur des importations de biens industriels, reflet de la désindustrialisation. Au Mexique, seuls les investissements étrangers et les revenus des travailleurs mexicains installés aux États-Unis permettent de maintenir l’équilibre de la balance des paiements.

Nombre d’économies latino-brésiliennes disposent donc d’un fort potentiel de croissance, qui ne se transformera en développement qu’à la condition qu’ils améliorent leurs performances en matière de productivité, qu’ils investissent dans la recherche et le développement et l’éducation.

b. Les classes moyennes, les inégalités et la lutte contre la pauvreté : un modèle social en construction

La pauvreté a dans l’ensemble reculé dans nombre de pays latino-américains, mais la région demeure l’une des plus inégalitaires au monde, ce qui est un frein majeur à son développement. Selon le coefficient de Gini le degré d’inégalité est en effet 30 % supérieur en Amérique latine à la moyenne mondiale34.

Ces inégalités sont à la fois sociales et spatiales : la pauvreté se concentre dans certains territoires ruraux (petites priorités du sud du Mexique, Nordeste brésilien) et dans certains quartiers des grandes mégapoles où la ségrégation socio-spatiale est très forte (« ce sont dans les quartiers pauvres que s’enracinent les économies parallèles, les groupes criminels, les réseaux de la drogue, qui y trouvent facilement une main d’œuvre prête à tout car elle n’a rien à perdre »).

Les inégalités ont ces dernières années chuté dans les pays à très forte croissance (Chili et Colombie), mais aussi au Brésil et au Mexique. Elle est en recul dans les pays gouvernés à gauche (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, El Salvador, Équateur, Nicaragua, Paraguay, Uruguay et Venezuela) et là où le centre ou centre-droite est au pouvoir (Mexique et Pérou). Elle a baissé chez les exportateurs et les importateurs de matières premières, dans le pays où le salaire minimum est en hausse et dans ceux où il stagne.

Le déclin de l’inégalité en Amérique latine est dû à deux grands facteurs : la répartition plus équitable des revenus et les transferts publics. La demande de travailleurs peu qualifiés s’est accrue dans les pays connaissant un essor des produits de base agricoles, et les salaires peu qualifiés ont aussi augmenté du fait de la hausse du salaire minimum, par exemple en Argentine et au Brésil. Les transferts publics ont été le deuxième grand facteur qui explique en moyenne 20 % de la diminution des inégalités. Le montant de ces transferts a augmenté, et ils ont été mieux ciblés au profit des plus démunis. Presque tous les pays de la région ont un système phare de transferts monétaires conditionnés à la scolarisation des enfants, qui doivent aussi passer des visites médicales périodiques. Face à la diminution de leurs ressources après la crise de la dette des années 80, beaucoup de gouvernements d’Amérique latine ont remplacé les coûteuses subventions universelles par des programmes ciblés en faveur des pauvres.

La question du maintien de la baisse des inégalités en période de difficulté économique sera centrale dans les années à venir en Amérique latine.

Le ralentissement de la croissance, notamment des exportations agricoles, va se traduire par une baisse de la demande de travail peu qualifiés mais aussi moins de rentrées fiscales. Pour empêcher la dérive de leurs comptes budgétaires, les gouvernements devront accroître les impôts ou baisser les dépenses, ou les deux. Dans ces conditions, le salaire minimum et les transferts ne pourront jouer le rôle de réduction des inégalités qu’ils avaient auparavant joué.

S’y ajoute le problème spécifique de l’émergence d’une nouvelle classe dite « moyenne », dont une partie occupe un éventail de postes dans le secteur privé dont la stabilité est loin d’être assurée, en demande de droits sociaux et services publics. Ainsi, au Chili, des enquêtes montrent par exemple une forte demande de sécurité de la part de ces nouvelles classes moyennes, plutôt que la multiplication des « opportunités », mise en avant dans les discours officiels.

c. L’exploitation des ressources naturelles et le développement : un équilibre difficile à trouver

Comme le souligne le rapport précité, la question de l’exploitation des ressources naturelles, qui fournissent le clair des revenus des d’exportation latino-américains, est au cœur du modèle de développement.

Le développement fondé sur l’exploitation des ressources naturelles ne va donc pas sans problèmes ni vulnérabilités. L’épuisement des gisements ne constitue sans doute pas le principal défi, car des prix élevés conduisent les producteurs à explorer davantage et mettre en œuvre des technologies pour disposer de nouvelles ressources. Cependant, le maintien de prix élevés pour les matières premières dépend d’une demande mondiale sur laquelle les producteurs latino-américains n’ont pas prise.

Les dommages environnementaux sont lourds

La déforestation entraîne des situations de crise hydriques jusque dans des grandes métropoles comme Sao Paulo, la monoculture uniformise le paysage et épuise les sols. En 2010, au Paraguay, 66 % des terres cultivées étaient consacrées au soja, 59 % en Argentine, 35 % au Brésil et 30 % en Uruguay, ce qui « traduit l’accaparement des terres cultivables par cette monoculture. » Au Paraguay, 90 % des forêts ont disparu ces 50 dernières années. L’utilisation d’OGM est massive, et commence à poser des problèmes de santé publique, sans compter l’épuisement des sols. Autre exemple, l’exploitation des mégamines modifie la morphologie des terrains, contamine l’air, affecte la qualité des eaux de surface et nappes phréatiques, détruit les sols et affecte la faune et la flore.

Plus encore, les populations supportent de moins en moins l’imposition de grands projets qui transforment leur environnement, et les conflits sociaux-environnementaux pourraient se multiplier dans les années à venir sur le continent.

La concentration des terres dans le domaine agricole se fait au détriment des petits producteurs et renforce la dichotomie déjà forte entre grandes exploitations et petite paysannerie. Les droits d’usage de l’eau au Chili sont favorables aux grandes entreprises au détriment à nouveau des petits agriculteurs.

Au Pérou le modèle extractiviste entraîne de graves tensions politiques et sociales. L’économie péruvienne est toute entière fondée sur l’expansion du secteur minier. Les populations locales s’y opposent de plus en plus violemment au nom de la préservation de leurs conditions de vie mais aussi au nom de la protection des biens publics mondiaux. Ces nouvelles formes de conflit s’ancrent dans des problématiques locales, sont attachés à la préservation d’un territoire contre des grandes compagnies le plus souvent appuyées par les autorités nationales (au Pérou, 19% du territoire a été accordé en concession à des multinationales). Les affrontements au Pérou ont fait plusieurs victimes.

Les questions environnementales peuvent aussi entraîner des dissensions entre États, c’est le cas du projet d’installation d’une usine de pâte à papier sur le fleuve d’Uruguay, considérée comme dangereuse par l’autre rive, et qui a provoqué de violentes manifestations et entraîné les deux États devant la Cour de Justice de la Haye.

Certains pays latino-américains ont pris conscience des limites de ce modèle de développement, d’autres assument leur choix sans complexe. Il est vrai qu’il permet de desserrer la contrainte externe et de financer des politiques sociales, certains n’ont pas les moyens d’assurer la transition d’un modèle fondé sur la croissance vers un modèle fondé sur le développement durable. C’est donc un domaine de coopération qui doit être privilégié par la France dans son dialogue avec l’Amérique latine.

2. Articuler la diplomatie économique aux grands enjeux de développement de l’Amérique latine

L’Amérique latine et les Caraïbes sont aujourd’hui des régions courtisées et convoitées où la concurrence se fait plus aiguë. Dans cette compétition, la France dispose d’atouts liés à la notoriété de ses « champions » nationaux sur des secteurs stratégiques pour le développement des pays de la région, mais aussi à son savoir-faire en matière de services publics et de politiques publiques.

La France doit pour cela :

– articuler sa diplomatie économique aux grands enjeux de développement précédemment cités ;

– privilégier les démarches intégrées qui mobilisent l’ensemble des instruments de notre coopération. Les approches associant des partenariats industriels à des transferts de savoir-faire, eux-mêmes conjugués à des opérations de formation, sont aujourd’hui largement plébiscitées par les pays partenaires ;

– promouvoir son expertise en matière de politiques publiques.

a. Accompagner la transition vers une économie durable : une opportunité pour la France

La question de l’articulation entre développement économique et protection de l’environnement est cruciale en Amérique latine.

Ici la France doit se positionner en proposant des solutions concrètes dans des secteurs ciblés, notamment, la protection de la biodiversité, la conservation des espaces naturels, en particulier les forêts, ou encore, peut-être surtout, la ville durable.

La conservation des forêts est par exemple un domaine où la France a une expertise demandée. Ainsi le Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM), finance également quelques projets dans le domaine forestier en Amérique latine, notamment en Colombie (PrepaREDD), au Brésil (PETRA), et sur le Plateau de Guyanes (REDD+). A cela s’ajoute une action engagée en Haïti sur les forêts intitulée « Haïti prend racine ».

La France qui est le seul pays européen disposant d’une forêt tropicale sur son territoire national (en Guyane française), a une responsabilité particulière pour leur conservation et gestion durable. Elle dispose d’une expertise particulière sur la gestion durable des forêts tempérées et tropicales. La France a apporté un appui continu au REDD+ (35) et aux initiatives connexes de lutte contre la déforestation.

Enfin, la France, peut aussi s’appuyer sur l’action de ses grands groupes en Amérique latine. Nombreuses sont les entreprises françaises à développer des programmes de coopération ayant des volets environnementaux. Ainsi par exemple, Peugeot et l’Office nationale des forêts mènent un ambitieux programme forestier de lutte contre le changement climatique. Il est situé au cœur du Brésil, sur 10000 hectares, dans le nord-ouest du Mato Grosso, connu pour être l’un des États brésiliens où la déforestation fait rage. Le puits de carbone forestier la fazenda San Nicolau a été installé en 1999 pour étudier l’impact du reboisement sur le changement climatique. Prévu pour durer quarante ans, il élargit ses objectifs et devient aujourd’hui un laboratoire scientifique de terrain sur la biodiversité, le carbone, la gestion forestière et les modèles économiques de développement durable en Amazonie. Dans ce cadre, 50 essences amazoniennes ont été replantées, 2 000 hectares de pâturages ont été reboisés avec plus de 2 millions de plants, 200 000 tonnes de CO2 ont été séquestrées dans les plantations, 80 1000 hectares de ripisylves (des forêts en bordure de cours d’eau) ont été réaménagés.

Le tourisme est également un de nos secteurs d’activité qui rencontrent un vif écho au sein des pays émergent du continent : non seulement, ceux-ci constituent un très important vivier de touristes potentiel haut de gamme qu’il convient d’attirer de manière ciblée, mais ils sont eux-mêmes des destinations en plein essor et sont entrés dans une phase de valorisation de leur patrimoine pour laquelle ils peuvent avoir besoin de notre expertise reconnue.

La coopération en matière urbaine et de ville durable est également forte d’opportunités pour la France.

En Amérique latine, l’action croissante des collectivités territoriales dans la planification sur le climat doit être accompagnée de manière croissante par les instruments de coopération français, car le continent est densément urbanisé, de plus en plus de collectivités présentent des garanties suffisantes pour une intervention directe, sans garantie de l’État. Le Fonds français pour l’environnement mondial  engage également des projets au Guatemala et en Argentine pour protéger les écosystèmes à la lisière des villes. Par ailleurs, l’initiative menée par « la convention des maires », soutenue par la Commission européenne, se déploie actuellement dans le monde entier, et notamment en Amérique latine.

L’action de nos opérateurs dans la région, notamment de l’Agence française de développement, est capitale. Ainsi l’AFD cherche à favoriser, dans le cadre de son mandat “croissance verte et solidaire”, un développement économique qui bénéficie aux populations vulnérables et qui soit compatible avec la protection de l’environnement. L’AFD qui a vu son périmètre d’intervention s’élargir, couvre la Bolivie, le Brésil, l’Équateur, le Mexique (dont elle a cofinancé le plan climat national), la République dominicaine, la Colombie, Haïti, le Pérou et le Suriname. Une attention particulière est donc portée aux défis mondiaux que sont le réchauffement climatique et la préservation de la biodiversité, mais aussi à l’aménagement durable du territoire ou l’appui à des politiques vertes pour les pouvoirs publics.

La mission a pu constater lors de son déplacement en Colombie la pertinence de cette approche (voir encadré ci-dessous). Le succès de l’AFD en Colombie s’explique en partie par la palette d’instruments financiers qu’elle propose (prêts budgétaires à l’État, prêts sous souverain, sans garantie aux collectivités locales, point très important, ou aux entreprises publiques). Le succès de l’AFD en Colombie est aussi attribuable à sa forte identité urbaine et territoriale. Ainsi, le financement de deux lignes de métro-câbles et une ligne de tramway à Medellin a eu aussi des retombées positives pour nos entreprises qui ont reporté le contrat de fourniture des rames du tramway, et a permis de valoriser le savoir-faire français. Autre exemple, le premier prêt à l’État colombien en appui à la politique de décentralisation s’est accompagné d’une coopération sur le thème des contrats de plan État-région.

Ce positionnement innovant sur le développement urbain et territorial est aujourd’hui concurrencé par des acteurs multilatéraux comme la Banque mondiale, dont les moyens sont largement supérieurs aux nôtres. Malgré la forte demande côté colombien, l’AFD, sans budget de coopération technique renforcé, aura des difficultés à maintenir son rôle de leader en la matière. Il conviendrait de soutenir la signature de partenariats de co-financement avec la Banque interaméricaine de développement et d’autres bailleurs de fonds, notamment l’Union européenne.

L’activité de l’AFD en Colombie

L’activité de l’AFD en Colombie s’inscrit dans le cadre des orientations formulées pour les pays émergents dans le document-cadre de coopération au développement. Elle vise notamment à accompagner des politiques d’investissement plus sobres et plus équitables. Participant du mandat élargi « croissance verte et solidaire », elle cible en priorité les secteurs suivants :

appui à des politiques publiques vertes et solidaires de l’État Colombien, et appui à la production de connaissances et au débat d’idées sur les thèmes de la ville et changement climatique ;

aménagement durable de la ville et des territoires : pour rendre les territoires à la fois plus solidaires par l’accès aux services pour tous et plus vertueux au plan environnemental (eau et assainissement, transports collectifs moins polluants, logement social ou services publics de proximité, efficacité énergétique, gestion responsable des ressources en eau).

À ce jour, environ 1,2 milliard d’euros (soit près d’1,6 milliard de dollars) d’engagements ont été approuvés par les instances de décisions de l’AFD, sous forme de huit prêts. Le volume et la visibilité des opérations de l’AFD la positionnent désormais comme un partenaire important de la Colombie et de ses collectivités locales, et comme banque de développement leader en matière de financement des villes.

La coopération décentralisée est aussi ici un échelon à renforcer. On pourra par exemple citer celle qui lit la Rochelle et Mexico. Son objet est d’accompagner les autorités locales et fédérales mexicaines dans la définition de leurs politiques publiques en matière urbaine, en promouvant par là même l’expertise française, publique comme privée.

Ville durable et coopération décentralisée entre le Mexique et la France

L’activité se décline selon deux axes :

– le débat public sur la ville. En participant à des évènements publics tels que le festival d’architecture de Mexico, le festival de cinéma sur l’environnement de Cuernavaca, les rencontres trimestrielles (d)écrire la ville, il s’agit d’influer sur le débat public, et de rendre visible la ville durable « à la française » au Mexique ;

– l’assistance technique. En organisant des missions croisées entre France et Mexique. De la France vers le Mexique, la coopération technique fait venir des experts français lors d’ateliers, de rencontres publiques, de réunions avec décideurs et techniciens sur des sujets définis. Ainsi fin 2015, un expert transport est venu travailler sur une proposition de plan de mobilité autour du nouvel aéroport de Mexico.

Du Mexique vers la France, il s’agit d’organiser des missions de décideurs et de techniciens mexicains, sur les sujets urbains. Ainsi en juin 2015, le Ministre mexicain de la ville, accompagné du gouverneur de Campeche, effectuait un déplacement en France, à Paris et La Rochelle (dans le cadre du projet de ville durable de Campeche).

Cette coopération a été formalisée par deux lettres d’intention, signées à l’occasion des visites présidentielles de 2014 et 2015, entre le Ministère du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité et le Ministère mexicain de la ville. La première concerne la coopération en matière de ville durable d’une manière générale, la seconde l’élaboration d’un projet pilote de ville durable à Campeche.

Le projet de Campeche a généré au cours de l’année écoulée une importante activité, notamment six missions croisées entre France et Mexique. Les échanges ont permis à ce jour la signature de six MOU d’entreprises, le début d’une coopération avec La Rochelle, et de mieux définir le projet. Elle a également permis de situer l’expertise française sur d’autres projets, notamment le projet urbain qui s’élabore sur les 710 ha de l’actuel aéroport de Mexico (l’un des plus importants du continent actuellement), ou le projet de rénovation urbaine de Monterrey.

b. Éducation, politiques fiscales, santé : favoriser l’émergence d’un développement équitable

La répartition des fruits de la croissance et la lutte contre les inégalités sont des questions qui vont s’imposer à l’agenda des gouvernements latino-américains, là aussi la France peut-être un partenaire solide dans la mise en place de politiques fiscales efficaces, de politiques sociales redistributives et innovantes.

En ce qui concerne la lutte contre la pauvreté et les inégalités, la France intervient surtout par l’intermédiaire de la politique européenne de développement (PED) qu’elle contribue à financer.

Dans ce cadre, l’Instrument de coopération et de développement (ICD) qui est doté de 19,6 milliards d’euros pour la période 2014-2020, dispose d’une enveloppe de 2,7 milliards d’euros pour l’Amérique latine. L’ICD finance des programmes géographiques et thématiques (biens publics mondiaux et soutien aux organisations de la société civile et aux autorités locales), en tenant compte du classement des pays bénéficiaires selon le montant des revenus (RNB) par habitant.

Sur le plan bilatéral, elle continue à soutenir des programmes de lutte contre la pauvreté dans certains pays tels que la Bolivie, la Colombie, la République dominicaine et Haïti.

S’agissant de la politique sociale et sanitairela France a signé différents accords de coopération en matière de santé avec le Pérou (septembre 2013), le Brésil (mai 2014), le Mexique (juillet 2015) ainsi qu’avec Cuba (mai 2015), en réponse à la demande des autorités concernées. La plupart des gouvernements latino-américains ont engagé des efforts marqués pour tendre vers une amélioration de l’accès aux soins, en cherchant à améliorer la qualité de l’offre de services et la soutenabilité des dépenses de santé mais les populations restent confrontées à des inégalités structurelles d’accès aux soins (36).

L’Établissement Français du sang (EFS) l’Agence Nationale de Sécurité du Médicaments et des produits de santé (ANSM) ont également développé une collaboration étroite avec leurs homologues de la région. L’Uruguay s’est engagé en juillet 2015, aux côtés de la France, à l’initiative mondiale « une génération sans tabac ».

Suite à l’apparition du virus Zika dans 18 pays latino-américains, la France a mis en place avec certains d’entre eux (notamment le Brésil qui est le plus touché avec près de 5 000 cas de microcéphalies « suspectes » en 2016), une coopération active pour lutter contre cette épidémie qui affecte aussi les populations françaises d’Amérique ainsi que la Colombie (13 500 cas), le Salvador (5561 malades) et le Honduras (608) – chiffres de février 2016.

Dans ce cadre, la recherche française (Pasteur, INSERM, IRD) a engagé une collaboration avec les laboratoires brésiliens (FIOCRUZ qui est sous tutelle du Ministère de la santé brésilien et l’Université de São Paulo) avec lesquels elle entretient une tradition de coopération scientifique très active. De plus, l’INSERM, l’Institut Pasteur et l’IRD travaillent de concert pour répondre notamment à un vaste appel d’offre européen portant sur l’épidémie Zika,lancé par la Commission européenne dans le cadre d’H2020, et doté d’un budget de 10 millions d’euros.

D’une manière générale, les pays latino-américains reconnaissent la qualité de l’expertise et du savoir-faire français mais il ne nous est pas possible de répondre systématiquement aux demandes de coopération qui nous sont adressées.

Il faudrait parvenir à mieux « placer » nos opérateurs pour mieux promouvoir notre expertise et bénéficier de co-financements ou de financements européens.

C’est ce qu’essaie de faire aujourd’hui Expertise France (voir encadré ci-dessous.

Les projets portés en Amérique latine par Expertise France

Dix projets étaient portés par Expertise France en 2015, pour un volume d’activité de 54,5 millions d’euros. La même chose est en développement ou attente de réponse, et pourrait venir doubler le volume d’activités d’Expertise France en 2016 (près de 100 millions d’euros en développement).

– 4 projets régionaux - (EUROsociAL II (37) , AMERIPOL et un projet sur la sécurité dans les Caraïbes financés par l’UE, + un projet pour la coopération en Amérique du sud, financé par le MAEDI)

– 2 projets concernent le Mexique - (un auprès du corps de gendarmerie, financé par le MAEDI et un sur l’innovation, financé par l’UE)

– 1 projet concerne la Colombie - (sur la protection sociale, financé par l’AFD)

– 3 projets concernent Haïti - (un auprès du ministère du travail, financé par le BIT, un sur les thématiques du cadastre et du foncier, financé par le MAEDI et un dernier dans le cadre de l’initiative 5 %, en santé, avec des missions d’expertise court-terme et le financement de projet long-terme visant à améliorer la performance du dépistage du VIH.)

Le projet EUROsociAL II, actuellement en cours de clôture, est une référence très importante dans la région pour l’Agence (40 millions d’euros), et témoigne de l’expérience réussie de la France dans la coordination des thématiques Justice et Sécurité.

La région est seulement la cinquième zone d’intervention d’Expertise France (après l’Afrique subsaharienne, la région MENA, l’Asie et l’Europe de l’est) alors même que la demande côté latino-américain est forte. L’Agence intervient sur toutes ses aires thématiques prioritaires : gouvernance démocratique, économique et financière ; lutte contre le dérèglement climatique et développement urbain ; santé, cohésion sociale, éducation et emploi ; stabilisation des États en crise et sécurité.

Actuellement, la région reste une zone en opportunité pour Expertise France. Il faut donc lever les obstacles à son développement : faible présence française sur place ; références bilatérales en termes de coopération technique peu nombreuses ; rareté de la disponibilité d’expertise hispanophone

La stratégie de consolidation et de développement de la présence d’Expertise France mérite de passer par des alliances avec des opérateurs et des cabinets bien implantés dans la région qui pourront les aider à nous positionner sur des offres gagnantes. L’Agence doit donc continuer de développer ses références et consolider, voire étendre, son réseau de partenaires auprès des administrations bénéficiaires.

Les projets régionaux constituent quant à eux un véritable levier pour notre visibilité. En effet, la France qui, à la différence de l’Espagne, n’a pas les Amériques pour priorité géographique, peut trouver, dans la dimension régionale, les conditions de démultiplication de son impact. En nombre, la plupart des projets en cours sont financés par la France (MAE, AFD, Initiative 5 %, à hauteur de 4,7 millions d’euros). Néanmoins, en volume financier, l’Union européenne est notre 1er bailleur et se démarque notamment avec le projet régional EUROsociAL.

L’Union européenne, principal bailleur de fonds dans les Amériques et principal bailleur de l’Agence, demeurera la cible prioritaire de nos interventions dans la région. Expertise France espère ainsi se positionner sur 3 nouveaux projets régionaux (EUROsociAL, EUROCLIMA et CRIMORG), pour lesquels EF attend toujours une réponse, notamment sur son positionnement dans le consortium d’États membres proposé. Ils sont financés par l’Union européenne, pour un montant total de 177 millions d’euros.

c. La consolidation institutionnelle : un problème majeur en Amérique latine sur lequel la France a des solutions à apporter

On constate en Amérique latine, une stagnation de l’efficacité de l’État, de la lutte contre la corruption et de la responsabilisation, et une dégradation de la qualité globale de la réglementation et de la primauté du droit. L’Asie orientale a surpassé l’Amérique latine en matière d’efficacité de l’État, de primauté du droit et de lutte contre la corruption.

Les tendances sont différentes selon les pays : certains, comme l’Uruguay, qui ont un système politique de plus en plus ouvert, une population respectueuse des lois et une faible tolérance vis-à-vis de la corruption, et le Paraguay, parti de très bas, ont progressé au fil des ans dans la lutte contre la corruption, alors que la situation a sensiblement empiré au Venezuela. Pour réduire la « petite corruption » liée à un excès de bureaucratie, plusieurs pays (Colombie, Mexique et Costa Rica) ont réduit les formalités administratives, mais beaucoup d’autres ont pris du retard. Les pays riches en ressources n’ont dans l’ensemble pas saisi l’occasion de réformer leur gouvernance au cours du « supercycle » des matières premières des dix dernières années.

La faible qualité des institutions est un obstacle majeur au développement et la qualité des politiques publiques est une demande croissante des populations latino-américaines. Elle entrave le développement, en favorisant la mainmise de groupes influents et en affaiblissant l’assiette fiscale, en minant les finances publiques et en détournant les talents et les investissements publics (au bénéfice de projets gourmands en capitaux et aux dépens de l’éducation et de la santé). Et la corruption taxe lourdement les investisseurs.

Le renforcement de l’appareil judiciaire, la réforme du financement politique, la création de systèmes de méritocratie et l’accroissement de la transparence et de l’obligation de rendre compte, enfin la lutte contre la corruption dans les passations de marchés, à l’échelle de l’ensemble des secteurs, entreprises publiques et municipalités, sont des questions cruciales en Amérique latine aujourd’hui. Le Brésil et le Chili ont fait la preuve qu’il est possible de renforcer l’autorité judiciaire, mais il reste difficile dans beaucoup d’autres pays de former un contingent de juges bien payés appointés au mérite — donc rajeuni et dépolitisé — ainsi que de réformer la police.

En matière de gouvernance, de consolidation des institutions et de renforcement de l’État, la France a une véritable expertise à faire valoir, comme le montrent les programmes de coopération développés avec la Bolivie, la Colombie et Haiti.

En Bolivie, elle s’inscrit dans le cadre d’un contrat de désendettement et de développement (mécanisme de reconversion du reliquat de dettes en subventions pour le financement du développement) au titre d’un effort bilatéral additionnel qui s’élève à 20 millions d’euros sur la période 2001-2017. Notre action dans ce secteur a permis de contribuer à l’améliorer la gestion publique via la formation des acteurs publics dans le domaine de la santé. La mise à disposition de deux experts techniques internationaux auprès de l’administration bolivienne dans chacun des deux secteurs retenus et l’implication de l’équipe de médecins de l’IRD (Institut de Recherche pour le Développement) dans les programmes santé assurent à la France une grande visibilité.

En concertation avec les autorités boliviennes, la période 2011-2017, poursuivra les actions engagées en matière de santé – incluant l’assainissement et l’eau - et dans le cadre de la modernisation de l’État plurinational bolivien, en coopération avec l’ENA. Créée en 2009 par décret présidentiel, l’Ecole de Gestion Publique Plurinationale (Escuela de Gestion publica Plurinacional - EGPP), assure la formation initiale et continue des fonctionnaires de l’État et des collectivités locales, la plupart d’origine indigène, aux nouvelles pratiques de gestion publique suite à la réforme constitutionnelle de 2009. Identifié comme axe de coopération prioritaire en 2006 entre la France et la Bolivie, ce projet bénéficie depuis 2008 d’une assistance technique française et financière via le C2D (1,5 M € via le C2D II et 0,5 M € par le C2D III). Après trois années de fonctionnement et de développement de modules de formations, l’école fait face aujourd’hui au défi de la rationalisation de son offre de formation. La création de « coordinations départementales » de la formation devrait permettre d’améliorer la présence de l’EGPP sur le territoire et l’accès des acteurs publics locaux à son offre pédagogique.

En ce qui concerne la Colombie, la coopération française qui s’inscrit dans le cadre d’un appui au processus de négociation de paix avec les FARC, privilégie la question de la gouvernance foncière et du développement des territoires ruraux. La restitution des terres qui constitue l’un des points sensibles de la négociation en cours, est conditionnée à la mise en place d’un « cadastre multi-usage ». Pour l’ensemble des acteurs nationaux et internationaux, il s’agit d’une priorité politique (dans le cadre de la négociation des accords de paix à La Havane), économique (dans le cadre de la candidature du pays à l’OCDE) et sociale (mise en place d’une justice transitionnelle et construction de la paix). Cette réforme dépasse donc largement le simple cadre technique de l’outil cadastral à des fins fiscales. Les enjeux de sa mise en œuvre sont non seulement éminemment politiques et économiques mais aussi juridiques et sociaux.

Au-delà des enjeux de paix sociale, cette réforme appelle également un renforcement des droits de « propriété » (privée, publique, communautaire) et de l’usage des terres, notamment agricoles, par des exploitants (individus ou communautés). Le sujet de l’identification, de la formalisation des droits fonciers et de la sécurisation de ces droits doit être mis au service du développement économique et du renforcement des politiques publiques. Ainsi, il a bien été rappelé par les autorités Colombiennes que cette réforme est importante pour le processus de négociation des accords de paix mais qu’elle sera mise en œuvre de toute façon, quelle que soit l’issue des négociations.

A l’initiative du ministère, une mission conjointe de l’AFD, France Expertise et du Conseil supérieur du notariat, s’est rendu à Bogota en décembre 2015, pour définir avec la partie Colombienne les modalités pratiques et le calendrier de l’assistance technique française dans le cadre de la mise en œuvre de cette réforme.

Avec Haïti, la coopération française combine cinq volets principaux :

– dans le secteur de la Justice et des Droits Humains, elle apporte depuis vingt ans un appui à la réforme judiciaire, pénale et à la formation des magistrats et du personnel judiciaire ;

– dans le domaine de la police, elle privilégie depuis dix ans la formation et l’appui à la structuration de la Police Nationale Haïtienne (PNH), en réponse à la volonté politique affirmée des autorités de stabiliser et de sécuriser le pays ;

– en matière de gouvernance territoriale, elle soutient depuis huit ans un processus de décentralisation, la mise en place d’une fonction publique territoriale, le développement de l’intercommunalité, le renforcement de la maîtrise d’ouvrage dans l’accès aux services de base, et le développement d’actions de coopération décentralisée pérennes avec les collectivités françaises, notamment la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane ;

– dans le domaine foncier, elle a pour objet d’accompagner la réforme foncière nationale et la structuration d’un cadastre à l’échelle du pays ;

– en matière de gouvernance budgétaire et financière, elle a fourni des misions d’expertise ponctuelle et apporté un appui à la Cours Supérieure des Comptes.

Au-delà de la gestion opérationnelle des projets mis en œuvre, l’ambassade de France assure un travail de mobilisation, d’animation et de coordination d’un réseau dense d’acteurs institutionnels français qui contribuent au rayonnement de notre présence en Haïti et nous distingue par rapport aux autres partenaires extérieurs. Plus d’une vingtaine de structures publiques françaises sont mobilisées dans le cadre d’actions structurantes nationales en appui à la gouvernance et au renforcement de l’État de Droit : Ministères et Services de l’État français, Préfectures, Ecoles Nationales, Instituts, Universités, Etablissements Publics, Ordres nationaux, Chambres consulaires, Collectivités Territoriales, avec la particularité que leur mobilisation s’inscrit également dans une logique de proximité et de durée.

En effet, la spécificité du positionnement de la France et de ses institutions au sein même de l’espace régional caribéen, avec la proximité des collectivités françaises des Antilles et de la Guyane, offre à Haïti une plateforme de services publics et privés, adaptée à ses besoins. A ce titre, les moyens financiers et ‘humains déployés dans le cadre des projets FSP, ont joué un effet de levier important permettant le déploiement de l’expertise de l’administration publique française en réponse à la demande de la partie haïtienne.

L’appui au renforcement institutionnel est particulièrement demandé par nos interlocuteurs latino-américains. Faute de moyens, la France ne peut répondre à toutes les sollicitations. Ce volet de notre coopération a pourtant un fort potentiel de développement, il faut pour cela orienter et capter des financements devenus à majorité européens.

C. PENSER LA PARTICIPATION POLITIQUE, LES ECHANGES UNIVERSITAIRE ET LA DIVERSITÉ CULTURELLE DANS LA MONDIALISATION

Les travaux de la mission font pour l’heure ressortir que la France a – mais pour combien de temps – un capital de sympathie hors du commun principalement parce qu’elle a une « culture et des valeurs » qui exercent toujours une certaine attraction chez une partie de la population. Tous les interlocuteurs de la mission ont souligné ce point : la France dispose encore d’une aura culturelle et politique qui compense son statut de puissance moyenne et qui est peut-être son seul avantage comparatif par rapport aux autres puissances en Amérique latine.

Mais notre coopération souffre aussi de certains défauts selon les interlocuteurs de la mission : manque d’une politique à l’égard de la jeunesse ; politique linguistique qui pourrait être plus offensive et s’appuyer notamment sur les langues latines ; même remarque pour la défense de la diversité culturelle ; dialogue universitaire et scientifique qui manque d’ambition et cruellement de ressources ; enfin et surtout, défaut d’instances de discussion des sujets politiques et sociétaux, sur lesquels les latino-américains sont en demande : l’ensemble des interlocuteurs de la mission ont déploré le manque de dialogue politique entre la France et l’Amérique latine.

I. DIALOGUE POLITIQUE : L’AMÉRIQUE LATINE, « LABORATOIRE DE L’OCCIDENT » ?

L’Amérique latine frappe aujourd’hui par sa capacité de syncrétisme et d’inventivité sociale et politique, par sa « légèreté et son optimisme » ajoutent même certains. Le continent est porteur de processus sociaux et politiques novateurs (nouvelles formes de mobilisations sociales et de participation politique ; attention au rôle de l’État dans la mondialisation ; politiques publiques novatrices en matière de lutte contre la pauvreté et les inégalités etc…).

Comme le souligne Georges Couffignal en préface de son ouvrage La Nouvelle Amérique latine(38) « après deux siècles d’échanges politiques, économiques et culturels principalement orientés du nord vers le sud et de l’est en ouest, le flux de circulation est peut-être en train de s’inverser, les anciennes puissances en perte de vitesse observant ce politique qui se renouvelle en Amérique latine pour s’en inspirer. »

Notre dialogue politique doit se mettre à l’écoute de cette inventivité politique et trouver pour cela des enceintes au sein desquelles faire exister le débat intellectuel et politique.

De nombreux interlocuteurs latino-américains de la mission ont exprimé leur souhait d’une réflexion commune sur des thématiques non pas économiques ou diplomatiques mais proprement politiques.

Les thèmes proposés couvrent un champ aussi variées que la laïcité, la conciliation des vies familiale et professionnelle à travers des politiques publiques innovantes, les migrations, l’usage des nouvelles technologies à l’école primaire ou encore les politiques mémorielles, la multiculturalité ou la lutte contre la violence urbaine.

Par son histoire et ses valeurs, parce qu’elle a une tradition intellectuelle différente de la tradition anglo-saxonne, une conception de l’État unique au monde, il était pour eux évident que la France était pour cela l’interlocuteur naturel.

1. La réflexion sur le rôle de l’État, les politiques publiques et la participation politique : s’inspirer de la modernité latino-américaine ?

a. « L’éveil des sociétés civiles » : une réalité que notre diplomatie doit prendre en compte

Que ce soient les piqueteros en Argentine, le mouvement des sans terre au Brésil, les mouvements étudiants au Chili et en Colombie, les conflits miniers au Pérou au début de la décennie 2010, la société civile latino-américaine fait montre d’une grande vitalité dans un contexte de régimes enracinés durablement et de manière sans doute irréversible dans la démocratie.

C’est évidemment un héritage. Soumis aux entreprises de domination depuis sa découverte, le continent a aussi et pour cette raison même, été depuis longtemps le creuset d’une multitude de formes de luttes politiques - les émancipations paysannes, les mouvements syndicaux, indigènes, créoles ou noires.

Mais au Mexique, au Brésil, en Uruguay, au Chili, en Bolivie, en Équateur, dans la majorité des pays latino-américains la société civile apparaît de plus en plus forte, mature et structurée, en demande de participation politique et de justice sociale. Parfois aussi en rejet total de la classe politique, en attente de plus d’exemplarité et de responsabilité de ses représentants. Ainsi au Chili, alors que le pays traversait une période dite « d’apathie politique » a surgi un mouvement inédit - d’abord expressif puis revendicatif - autour de la revendication de justice, alors que cette dernière était considérée comme secondaire, dans le contexte de la consolidation démocratique, où la stabilité politique était posée comme objectif premier de la démocratie. Les préoccupations de la jeunesse française ne sont pas si loin.

Comme le souligne Georges Couffignal, « les détenteurs de pouvoir (économique, politique, syndical) n’ont plus les moyens d’empêcher, de contrôler ou de canaliser l’expression des demandes sociales, voire des demandes politiques. Ce "réveil" (qui bien souvent est un "éveil") des sociétés civiles pourrait réserver bien des surprises dans les années à venir. » Quel que soit le ralentissement économique prévisible dans les années à venir, l’ampleur des changements politiques des vingt dernières années a été telle « qu’il est peu probable que les populations retombent dans l’anomie -ponctuée ici ou là de révoltes ou révolutions violentes- qui les caractérisait souvent. »

Les vieilles démocraties européennes auraient tout intérêt à étudier ces phénomènes, mais surtout la manière dont les gouvernements progressistes ont tenté de s’y adapter – avec plus ou moins de succès on l’a vu.

De l’avis unanime des interlocuteurs de la mission, le succès électoral des gouvernements progressistes repose sur le fait d’avoir établi une connexion avec ces mouvements, dans le cadre de la démocratie procédurale classique. En témoigne précisément l’institution des budgets participatifs, d’innovations constitutionnelles prenant en compte la demande de reconnaissance des communautés indigènes.

Selon un interlocuteur de la mission, s’ils veulent s’inscrire dans le temps, ces gouvernements devront montrer leur capacité à conserver dans l’exercice du pouvoir « un lien fort et constant avec ces mouvements sociaux dont ils ne sont que l’émanation ».

Le président du sénat Uruguayen a lui aussi fait état de ce lien organique et pourtant délicat à conserver entre les émanations d’une société qui de plus en plus s’organise, s’autonomise, fait preuve de maturité politique, et ceux qui, au sein de la démocratie représentative classique, sont censés les représenter.

Les dernières expressions de cette vitalité proprement populaire ont montré que la justice et l’égalité sociale d’une part, l’exigence de démocratie au sens plein (transparence, exigence de participation politique, forte attente d’État) de l’autre, sont aujourd’hui les questions hégémoniques dans le débat public.

Ces attentes ne sont au fond pas étrangères à celles des citoyens européens. Non plus que l’apparition de nouvelles thématiques (droit à l’éducation ou la défense de l’environnement) dans les revendications d’une société civile dont la vitalité n’a rien à envier à l’Europe et dont les modes d’organisation empruntent les mêmes outils.

Le dialogue des sociétés civiles et le soutien à ses initiatives devrait faire l’objet d’une plus grande attention de la part du ministère des affaires étrangères. La France soutient déjà des ONG qui agissent en Amérique latine, elle devrait favoriser les initiatives qui portent la voix de cette société civile et favorisent les échanges réciproques.

Ainsi, en Colombie, la mission a rencontré Claire Launay-Gama, coordinatrice du projet participation citoyenne et gouvernance en Amérique andine » qui s'inscrit dans un processus de réflexion/action menée sur la gouvernance depuis une dizaine d'années en Colombie et en Amérique latine.

Le projet « participation citoyenne et gouvernance en Amérique andine » entre l'observatoire politique Amérique Latine et Caraïbes (OPALC) de Sciences-po Paris et l'organisation Colombienne « Transparencia por Colombia » à Bogota.

Basé sur une démarche d'étude, action et de plaidoyer le projet « participation citoyenne et gouvernance en Amérique andine » s'intéresse en particulier aux effets et transformations de la participation sociale et politique sur l'action publique.

La gouvernance du projet est assurée par la création d'une alliance institutionnelle entre l'observatoire politique Amérique Latine et Caraïbes (OPALC) de Sciences Po Paris et l'organisation Colombienne « Transparencia por Colombia » à Bogota. Le projet reçoit également le soutien financier de la Fondation Charles Léopold Mayer pour la période 2015- 2017.

Il s'agit d'analyser et d'accompagner des initiatives de suivi et contrôle de l'action publique menées par la société civile en Amérique andine et de renforcer leur incidence sur l'action publique, selon les trois axes suivants :

– Etude et Analyse : l’impact des processus de participation sur l’action publique en région andine, dans le cadre institutionnel de l´Observatoire Politique Amérique Latine et Caraïbes (CERI/Sciences Po) ;

– Accompagnement d’une action de monitoring citoyen sur la lutte contre la corruption en Colombie ;

– Développement d’une activité de plaidoyer en faveur du dialogue démocratique et de la coconstruction de l’action publique

Cette initiative entend enfin impulser un dialogue entre les milieux académiques, des organisations sociales et des institutions publiques. Elle est également entendue comme un lieu de coopération et de facilitation entre France, Europe et Amérique latine. Enfin, l’action se déroulera en articulation avec Paris et Bogota sur la Colombie puis la région andine.

b. Les nouvelles formes de participation politique : l’importance capitale du niveau local

L’exigence de participation est au cœur des mouvements sociaux qui marquent la région depuis le début de la décennie 2010. Cette demande s’est traduite par des initiatives novatrices de la part des gouvernements et la mise en place de nouvelles normes juridiques.

Les désormais célèbres « budgets participatifs » en sont une illustration. Inventé à Porto Alegre dans les années 1990 par le Parti des Travailleurs brésilien, il a ensuite connu un « écho planétaire », en Amérique latine mais aussi en Europe. L’expérience à Porto Alegre a duré 15 ans, et a donné des résultats spectaculaires, notamment dans les quartiers défavorisés, et plus de 200 villes brésiliennes ont adopté ce mode de gestion municipale (discussion annuelle des priorités d’investissement de la ville avec des assemblées de citoyens).

Un grand nombre de pays latino-américains ont adopté la formule des conseils citoyens, les réunions de concertation, les conseils de gestion des politiques, les nouvelles modalités de contrôle des élus et de leur action. Plusieurs constitutions ont érigé la démocratie participative comme instrument majeur de la gestion des affaires publiques (Colombie, Équateur, Bolivie).

La participation politique des citoyens à la décision publique et aux priorités d’investissement est une question d’intérêt commun entre les français et latino-américains. C’est un volet de coopération qui mériterait d’être approfondi.

Ici, la coopération décentralisée, dont on a vu qu’elle avait un potentiel encore sous-utilisé, pourrait servir d’instrument de dialogue.

Le programme européen Urb-Al, créé en 1995 pour mettre en contact les collectivités européennes et latino-américaines, comportait un volet « démocratie locale ». La France pourrait promouvoir le renforcement de ce type de programme au niveau européen, d’autant que d’autres pays membres de l’Union, tels que l’Allemagne ou l’Espagne, ont fait du dialogue décentralisé un axe important de leur diplomatie d’influence.

c. Rôle de l’État et innovations en matière de politiques publiques : un dialogue à renforcer

Il est particulièrement intéressant de noter que les populations latino-américaines, bien que semblant avoir acté le caractère irréversible de la mondialisation économique et de la libéralisation des échanges, n’en expriment pas moins une forte demande d’État. Il y a là un trait saillant qui les distingue de leur voisin états-unien et les rapproche au contraire de la France.

Il ne s’agit pas d’une nostalgie à l’égard de l’État corporatistes et clientéliste des années 1950, mais d’une attente forte à l’égard des pouvoirs publics en termes de sécurité, de cohésion sociale, de services publics. Les plus récentes mobilisations sociales ont aussi montré que les citoyens attendaient de leurs dirigeants qu’ils soient exemplaires, et que les questions de transparence et de responsabilité publique étaient aussi au cœur de leurs préoccupations.

Notre diplomatie d’influence doit tenir compte de ce contexte : le dialogue et la recherche avec les latino-américains sur les politiques sociales innovantes mériterait d’être renforcé.

La France a une expertise technique à faire valoir. Ainsi, Expertise France est intervenue au Paraguay, avec l’envoi d’experts chiliens et argentins, pour le renforcement des capacités du ministère social, en matière de Bolsas familias (aides sociales) ; au Mexique pour la révision de la loi sur la justice des mineurs, au Chili pour améliorer le service national dédié aux personnes âgées, ou encore en Uruguay, avec l’organisation d’une visite d’étude sur l’accueil de la petite enfance en France et le lancement d’une plateforme d’assistance maternelle ensuite.

Mais nous pouvons également apprendre des latino-américains qui ne sont pas en reste en matière d’innovation sociale. Les transferts monétaires conditionnels inventés au Mexique, poursuivis au Nicaragua, au Brésil, en Colombie, au Honduras, en Équateur, ont mis l’accent sur le développement du capital humain (aide monétaire couplée à des programmes sociaux incluant la santé, l’éducation et la nourriture) tout autant que sur l’augmentation du niveau de vie.

Le dialogue en la matière peut s’instaurer sur des bases réciproques. Les pays émergents, qu’on pourrait aujourd’hui qualifier d’émergés pour certains, attendent non pas une démarche d’assistance au développement, mais une logique d’échange d’égal à égal. La signature d’accords entre opérateurs tels que celui de l’AFD et de l’Institut brésilien (encadré ci-dessous) devraient être encouragée.

La coopération en matière de politiques publiques – exemple de l’IPEA brésilien et de l’AFD

En 2014, l’IPEA (“Instituto de Pesquisa Economica Aplicada”, équivalent de « France Stratégies ») et l’Agence Française de Développement ont signé une convention pour la mise en place d’un partenariat visant la réalisation d’activités et de projets de coopération, principalement autour de thèmes d’intérêt, tels que :

– les enjeux du développement urbain durable et la question d’un meilleur accès aux services urbains ;

– les méthodologies d’évaluation ex-post des projets ou des politiques publiques ;

– les réflexions sur l’aide publique au développement (programme de recherche sur les indicateurs de développement) ;

– des échanges et des travaux communs sur les agences de pays émergents pour l’aide publique au développement et en particulier sur le rôle du Brésil en tant que bailleur émergent ;

– la participation à la présentation des résultats des recherches des chacune des institutions sur des thèmes d’intérêt commun ;

Parmi les autres thèmes sur lesquels l’IPEA s’est déclaré intéressé de travailler avec la France - et qui demandent à être confirmés et approfondis -, on mentionnera :

– l’égalité de genres et de races : les politiques de conciliation travail/vie familiale/vie personnelle ; les mécanismes pour l’application effective de la loi française sur l’égalité réelle entre femmes et hommes.

– la prévoyance, Sécurité Sociale et démographie : les soins aux personnes âgées ; les différentes politiques liées aux "aidants" ; les services d’aide à domicile" ; les écoles de formation des assistants de vie ; l’APA ("allocation personnalisée d’autonomie") ; les impacts démographiques sur les demandes sociales et le financement de la politique sociale

– la santé : l’articulation entre les politiques sociales et de santé (par ex. articuler politique de prévoyance, assistance sociale et accompagnement et soins aux personnes âgées) ; l’évaluation de la politique de santé

– le travail et revenu : placement et formation de la main d’œuvre; les système d’assurance chômage.

– l’éducation : la formation des professeurs de l’enseignement primaire; l’ctualisation de la formation à l’enseignement secondaire.

– la famille et l’enfance : le droit de la famille et de la communauté pour les enfants et les adolescents : enfants et adolescents abandonnés, famille d’accueil, l’adoption, la protection et les politiques de prévention ; les problèmes de la jeunesse: marginalité et délinquance juvénile, mesures de réinsertion sociale.

2. Des « valeurs humanistes en partage » : le dialogue sur les droits de l’homme et les sujets sociétaux

a. Le dialogue sur les droits de l’homme

Avec les pays d’Amérique Latine, la France partage de nombreuses priorités en faveur des droits de l’Homme.

En premier lieu, l’abolition de la peine de mort qui a été adoptée dans la majorité des États latino-américains, à l’exception toutefois de plusieurs pays de la Caraïbe où elle reste en vigueur même si elle fait parfois l’objet d’un moratoire.

En deuxième lieu, l’engagement en faveur de l’adoption puis de la ratification universelle de la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Cette convention est ratifiée par tous les pays d’Amérique Latine à l’exception du Venezuela, du Guyana et du Suriname. A ce sujet, l’Argentine et la France ont lancé en 2013 une campagne en faveur de la ratification universelle de cette convention. En septembre 2011, l’Argentine, soutenue par la France, a contribué à la création d’un nouveau mandat d’expert indépendant sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition au Conseil des droits de l’Homme.

En troisième lieu, la promotion des droits des femmes qui a suscité plusieurs initiatives communes avec des pays d’Amérique latine. En 2015, la France et le Chili ont ainsi signé une déclaration d’intention afin de développer une coopération bilatérale sur les droits des femmes et l’égalité entre les hommes et les femmes. En 2016, cette coopération s’articulera autour des violences faites aux femmes, de leur indépendance économique et l’égalité professionnelle. Un évènement parallèle a été organisé avec le Chili lors de la 60ème session de la Commission sur la condition de la femme en mars 2016 à New York. Lors de cette même session, la question des droits sexuels et reproductifs des femmes a également été abordée. Il faut noter ici que les droits sexuels et reproductifs des femmes restent encore source de préoccupation dans de nombreux pays d’Amérique Latine où l’avortement constitue parfois une infraction pénale.

Enfin, la défense des droits des personnes LGBTI, axe fort de la diplomatie française en matière de droits de l’Homme, est partagée par un certain nombre de pays d’Amérique latine notamment l’Uruguay, le Brésil où la Bolivie. Les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre sont interdites par la Constitution bolivienne. Le Brésil, le Chili, la Colombie et l’Uruguay avaient porté en septembre 2014 la résolution marquante du Conseil des droits de l’Homme luttant contre les discriminations envers les personnes LGBT.

Au niveau bilatéral, il existe aussi des initiatives intéressantes. Ainsi, les ambassades de France et d’Allemagne à Bogota décernent depuis 2010, un prix franco-allemand des droits de l’homme destiné à valoriser les « activités de promotion, de défense et de protection des droits de l’homme ». Ce type d’initiative mériterait d’être reproduite.

Enfin, la France pourrait être plus proactive avec les pays latino-américains sur le thème de la défense de la liberté d’expression et la protection des journalistes. En effet, l’Amérique latine est aujourd’hui la région la plus dangereuse au monde pour les journalistes. La France n’est pas inactive en la matière : elle a créé 2012 un prix franco-centraméricain de la liberté de la presse, financé par l’Institut français, tout en dialoguant avec les gouvernements concernés, et elle favorise le débat d’idées (avec par exemple, l’organisation d’un séminaire « Presse et État de droit » à Panama en septembre 2011). C’est un axe qui devrait être développé, en partenariat avec d’autres Etats européens, sur le modèle du prix franco-allemand des droits de l’homme en Colombie.

b. La réappropriation de valeurs culturelles et linguistiques jusque-là refoulées et les questions mémorielles

Les questions mémorielles, liées notamment à celles des transitions politiques, font partie des axes de dialogue à approfondir avec l’Amérique latine.

Les latino-américains ont une capacité de syncrétisme et d’intégration de différentes cultures qui force l’admiration. Pensons par exemple à l’importance de la communauté arabe dans la région, qui ne semble pas poser les problèmes existentiels qu’ils soulèvent en Europe. Ainsi, la présence arabe dans la région remontre à l’Empire ottoman : à Santiago du Chili, le club de football Palestino date de 1920. Quinze millions de latino-américains seraient d’origine arabe selon certains. Parmi eux, un ancien président argentin, Carlos Menem, et deux équatoriens, Abdala Bucaram et Jamil Mahuad ou encore le Carlos Slim, première fortune d’Amérique latine, et mexicain d’origine libanaise.

L’Amérique du sud semble par ailleurs relever plus encore que d’autres continents le défi de l’inclusion de populations porteuses de mémoires différentes voire antagonistes.

De façon symbolique et volontaire, Evo Morales, une fois élu, a organisé une prise de fonction théâtralisée, le 21 janvier 2006, dans les ruines de Tiwanaku en présence de chefs traditionnels de villages aymaras, les mallkus. Il a mêlé dans son discours les références à un passé glorieux qui renaît pour émanciper la Bolivie et les Boliviens.

C’est aussi une question importante dans d’autres pays : au Brésil, avec les caravanes de l’amnistie, l’organisation par l’État d’audiences publiques et sa reconnaissance de pratique de torture. Au Chili et en Uruguay en 2013, le retour du passé a lui aussi fait débat.

En Argentine, la France a suivi et appuyé le processus de réouverture des procès des crimes de la dictature par le gouvernement de Nestor Kirchner. L’ambassade de France au Pérou travaille étroitement avec la commission « Lieux de mémoire » et l’ambassade d’Allemagne sur les thèmes de la mémoire, de la réhabilitation et de l’assistance aux familles des victimes tant des mouvements du Sentier lumineux que des forces de l’ordre de l’époque.

L’ancienne maire de Montevideo notait auprès du rapporteur le succès, notamment auprès de la jeunesse, de l’organisation d’une marche du silence à l’occasion de la commémoration des victimes de la dictature et invitait la France à s’engager aux côtés des latino-américains dans cette « politique de la mémoire et de l’histoire. »

c. Liberté d’expression et de culte

Hormis le Costa Rica, dont la constitution reconnait la religion catholique comme religion officielle de l’État, tous les pays d’Amérique latine sont des États laïques. Mais cette laïcité n’est pas la même dans tous les pays et est parfois bien éloignée du modèle français. Ainsi, dans la plupart des pays d’Amérique latine, la religion occupe en réalité une place majeure dans ces sociétés souvent très peu sécularisées, et donc également dans la vie politique :

La religion peut ainsi avoir une place dans le protocole politique : les constitutions du Brésil comme celle du Venezuela sont placées « sous la protection de Dieu » ; au Brésil, bien que l’Eglise soit séparée de l’État, un crucifix est fixé dans l’hémicycle de la chambre des députés  et sur les murs des organismes publics et des tribunaux ; le président de la République Colombienne n’hésite pas à afficher sa foi catholique ; les séances du Sénat chilien s’ouvrent par « au nom de Dieu et de la patrie ».

La religion peut jouer un rôle direct dans les débats sociétaux, surtout lorsqu’ils recouvrent une dimension morale et éthique : Au Mexique et au Paraguay, l’Eglise contribue au maintien de l’interdiction de l’avortement.

L’Uruguay est un cas relativement exceptionnel puisque ses principes juridiques concernant la laïcité sont directement inspirés de la France.

Dans la plupart de ces pays, il n’y a pas de réflexion ni de débat particulier autour du modèle français de laïcité. Cependant, dans les pays où, au contraire, le modèle français suscite un intérêt, on peut distinguer trois catégories :

– ceux dans lesquels il est globalement mal perçu et critiqué : au Mexique et au Brésil par exemple, où il est considéré comme peu respectueux de la liberté de conscience et de culte ;

– ceux dans lesquels c’est un modèle apprécié, plutôt perçu positivement, comme c’est le cas en Argentine, en Bolivie et au Venezuela ;

– ceux dans lesquels l’opinion publique est partagée à ce sujet, comme en Colombie.

L’action des ambassades concernant ces sujets se limite, en règle générale, aux cours d’éducation civique dispensés dans les établissements scolaires français ou au débat d’idées animé par les instituts culturels. Toutefois les attentats de Paris en 2015, ont suscité de nombreuses initiatives de la part de nos postes diplomatiques sur le thème de la liberté d’expression et de culte. Le dessinateur Plantu s’est rendu en Uruguay pour présenter une exposition « Dessins en liberté ». Le Costa Rica a accueilli un café-philo sur la laïcité tandis que la Colombie a bénéficié d’une exposition sur la liberté religieuse Paso a paso. Dans plusieurs pays, nos ambassadeurs ont été sollicités par les medias pour présenter le modèle français de laïcité et ses modalités de mise en œuvre à l’épreuve du pluralisme religieux et culturel croissant de la société française.

II. LE DIALOGUE SCIENTIFIQUE ET UNIVERSITAIRE : NOTRE PLUS PUISSANT INSTRUMENT DE COOPÉRATION EN AMÉRIQUE LATINE, ENCORE SOUS-UTILISÉ

1. Enseignement supérieur et recherche : une problématique cruciale en Amérique latine, une opportunité pour la France

L’un des changements majeurs de ces dix dernières années est l’élargissement de l’accès à l’enseignement supérieur, dont les effectifs ont doublé entre 1995 et 2005, pour atteindre 15 millions d’étudiants en 2005 et plus de 20 millions en 2012.

Ce remarquable accroissement s’est fait au prix de tensions pour le système universitaire existant, conçu pour des élites déjà bien formées accédant, génération après génération, à l’enseignement supérieur.

La multiplication des formations s’est parfois faite dans le plus grand désordre (39) : un petit pays comme le Costa Rica (4,5 millions d’habitants), qui n’avait qu’une seule université publique (Universidad de Costa Rica), a aujourd’hui une quarantaine d’institutions privées d’enseignement supérieur qui s’arrogent le titre d’université.

Au problème de la qualité des formations s’ajoute celui de leur financement, qui dépasse les capacités des budgets publics. Chaque pays a mis en place des solutions différentes allant du contrôle total par l’État et les universités publiques (Cuba) jusqu’à des systèmes quasi entièrement privatisés (le Chili et la Colombie, par exemple), où subsistent quelques universités publiques souvent anciennes et prestigieuses. Le ministre équatorien de la culture a ainsi exposé à la mission comment son gouvernement avait fermé non moins de 14 institutions privées lors de la réforme de l’enseignement supérieur.

Les travaux de la mission font ressortir une prise de conscience de nombre de nos interlocuteurs latino-américains de l’importance d’investir dans la recherche et le développement. A titre d’exemple, le Mexique, longtemps en situation de sous-investissement chronique en recherche et développement (moins de 0,4 % du PIB pendant 20 ans), a augmenté ces dernières années ses performances et ses dépenses en la matière (publications, nombre de doctorants formés, recrutement de chercheurs, création de centres de recherches, bourses pour les étudiants à l’étranger). Le Conseil national de science et technologie a vu son budget augmenter de 15 % en 2013 et d’autant en 2014.

En Colombie également, l’enseignement supérieur et la recherche sont considérés comme des priorités stratégiques pour renforcer la compétitivité du pays et assurer le développement durable du pays. L’évaluation et l’amélioration de la qualité de l’enseignement constituent une autre problématique importante. La tâche est difficile – 50 % de la population seulement accède à l’enseignement supérieur et des inégalités territoriales très fortes persistent. De plus, la dernière tentative de réforme de l’enseignement supérieur, en 2011, s’est soldée par un échec.

Il y a là une opportunité que la France doit saisir, en s’appuyant notamment sur le cadre européen de coopération.

2. Notre attractivité universitaire et scientifique est aujourd’hui un axe central de la relation que nous entretenons avec les pays d’Amérique latine, dont les moyens doivent être préservés

Cette politique repose principalement sur le renforcement de la mobilité et le développement de partenariats interuniversitaires.

Dans un contexte international de plus en plus compétitif, l’enseignement supérieur de la France est attractif : avec près de 20 000 étudiants latino-américains accueillis en 2013-2014, notre pays se place au 3ème rang, après les États-Unis et l’Espagne.

Participent de cette dynamique la mobilisation de notre réseau diplomatique, dont nos 20 espaces Campus France, et le développement récent dans la région de représentations de nos établissements d’enseignement supérieur français, comme les COMUE de Lyon et Toulouse au Brésil ou de Sorbonne-Paris-Cité en Argentine, ce qu’il faut encourager.

L’accent a par ailleurs été mis sur la formation professionnelle des jeunes. Avec le Brésil, une plateforme d’offres de stages a par exemple été mise en place pour les boursiers du gouvernement brésilien, avec l’appui de la Fondation Naouri. Parmi ces programmes, deux sont emblématiques d’une coopération tournée vers l’employabilité des jeunes :

– les programmes « FITEC » - pour France Ingénieurs Technologie -, financés par les pays partenaires – à savoir le Brésil, le Mexique et l’Argentine -, ont permis une montée en puissance significative de la mobilité étudiante vers les écoles d’ingénieurs françaises – près de 6500 étudiants depuis sa création. Ce programme est également ouvert à la mobilité des étudiants français vers ces trois pays. Un programme comparable a également été mis en place plus récemment avec la Colombie ;

– les programmes de formation de techniciens supérieurs, avec le Mexique, le Pérou et prochainement le Costa Rica. 900 étudiants mexicains ont ainsi obtenu une Licence professionnelle en France.

En outre, dans le prolongement des efforts de notre diplomatie économique, des partenariats public/privés ont vu le jour depuis une quinzaine d’années à travers la création d’une vingtaine de centres d’excellence de formation professionnelle soutenus par le Ministère de l’Education Nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et de nombreuses entreprises françaises implantées en Amérique latine, comme PSA Peugeot Citroën, Renault, Schneider Electric, Dassault Systèmes, Safran, Eurocopter. Ces centres sont opérationnels au Brésil, au Mexique, au Chili, en Colombie et au Venezuela et bientôt en Argentine et au Panama. La formation professionnelle est également un des axes que nous allons développer avec Cuba.

Mais nous pouvons encore faire mieux.

Tout d’abord, afin de favoriser les mobilités, des accords de reconnaissance mutuelle de diplômes et des périodes d’études ont été récemment signés avec la Colombie (2010), le Pérou (2012), le Mexique (2014), l’Argentine (2015) et le seront prochainement avec le Chili et l’Équateur. Des négociations sont également engagées avec d’autres pays, comme le Brésil et Cuba. C’est un point capital et la France doit s’efforcer d’accélérer la signature de ce type d’accords, car il ne suffit pas de proposer des échanges, il faut offrir des perspectives professionnelles aux étudiants.

Il faudrait notamment, selon plusieurs interlocuteurs de la mission, s’efforcer d’accueillir les étudiants dès le premier cycle, et non pas seulement à partir du second.

En outre, si 9 % des boursiers du gouvernement français sont originaires des Amériques, l’une des principales caractéristiques de notre coopération avec l’Amérique latine réside dans l’investissement croissant de nos partenaires dans des programmes de bourses à destination de la France, qu’il faut continuer à exploiter. C’est le cas du Brésil, avec le programme « Science sans frontière » (6 100 boursiers accueillis en France depuis 2011), du Pérou (près d’une centaine depuis 2012) et de l’Argentine (une cinquantaine depuis 2013). La mise en place de programmes de bourses par d’autres pays, comme la Colombie, le Chili, l’Équateur, la Bolivie ou le Costa Rica, représente pour la France une opportunité.

L’approfondissement de la relation France/Amérique latine en matière d’enseignement supérieur passe aussi par la mobilisation de nouveaux instruments financiers.

Ainsi, les instruments de financement de l’Agence française de Développement – prêt souverains ou non dans le cadre de son mandat « croissance verte et solidaire » – pourraient être sollicités de manière plus systématique : ils ont permis pour l’heure d’appuyer certains établissements d’enseignement privés (en République dominicaine, au Pérou…). En outre, les interventions des banques de développement doivent pouvoir mieux prendre en compte les besoins en formation supérieure et recherche des pays partenaires. Enfin, il faut s’appuyer sur le nouveau programme européen Erasmus Plus, à travers son programme de bourses pour étudiants non-européens, pour accroître notre attractivité à l’égard de l’Amérique latine.

Cet approfondissement passe enfin par de nouveaux instruments intégrant la recherche et le monde économique, mis en place par la France avec ses partenaires, comme COOPOL Innovation, qui vise à renforcer les échanges entre start-up innovantes et pôles de compétitivité, et le programme CIFRE (Convention Industrielle de Formation à la Recherche en lien avec l’Entreprise), qui permet au Brésil - et bientôt au Mexique et à la Colombie -l’accueil de doctorants dans des laboratoires de recherche français en lien avec les entreprises.

3. La France est également un partenaire scientifique de tout premier plan de l’Amérique latine

Le dialogue scientifique est fructueux et riche. La France est ainsi le deuxième partenaire du Brésil et le troisième du Mexique en termes de co-publications.

L’enjeu pour les pays latino-américains est aujourd’hui de renforcer les investissements dans la recherche et le développement. L’Amérique latine se situe ici en deçà de la moyenne mondiale et très en retard sur l’Asie. L’enjeu pour la France est de faire de la coopération scientifique un terrain privilégié de diplomatie d’influence et de dialogue sur des thématiques porteuses – le développement, l’énergie, l’environnement, mais aussi les nouvelles politiques sociales, les questions économiques – où ses chercheurs ont une véritable valeur ajoutée.

L’action de la France doit être axée, comme elle le fait aujourd’hui, sur le soutien à l’innovation. Notre action doit accompagner ainsi la montée en puissance scientifique des grands pays émergents de la zone, en favorisant le transfert de connaissances et le soutien à l’innovation. Cet objectif doit être conjugué avec une attention portée également à la recherche pour le développement, avec les pays les moins avancés de la région (Bolivie, Paraguay, Équateur, Pérou). Il faut promouvoir des thématiques nouvelles telles que les énergies vertes, la biodiversité, l’alimentation.

Il faut placer notre attractivité scientifique au service de notre diplomatie économique et des besoins des latino-américains. Pour cela, il convient de cibler des thèmes porteurs (santé/nutrition, climat/environnement/énergie, urbanisme et transport) mais aussi d’avenir pour nos entreprises (substances naturelles, alimentation, énergies vertes).

La France peut ici s’appuyer sur un réseau institutionnel particulièrement dense : en matière de recherche agronomique et pour le développement, nous pouvons compter sur les agents de la CIRAD et de l’IRD, présents dans plus de six pays. On pourra aussi citer le bureau du CNRS au Chili, pays où a également été ouverte la première unité mixte internationale créée par le CNRS en Amérique latine, le Centre de modélisation mathématique à l’université du Chili. L’Institut Pasteur de Montevideo est enfin l’une des plus grandes réalisations de notre coopération scientifique.

Il faut par ailleurs continuer à faire de la France le « refuge » des sciences sociales, le lieu d’élaboration d’une pensée alternative, qui n’obéit pas aux canons de la pensée anglo-saxonne, et un interlocuteur privilégié des latino-américains en la matière. Dans le domaine des sciences humaines, l’archéologie est un vecteur important de rayonnement de la France en Amérique latine, avec de nombreuses missions et les activités de nos deux Instituts français de recherche à l’étranger de Lima et de Mexico. Mais ces Instituts sont aussi centrés sur la compréhension de la région et les grands défis mondiaux (changement climatique, exclusion sociale, urbanisation, mobilités).

Il faut continuer à entretenir et renouveler la tradition d’échanges intellectuels entre la France et l’Amérique latine : les programmes de bourse, le soutien à l’édition et à la diffusion des résultats de recherches en sciences humaines, doivent voire leurs moyens sanctuarisés. Les grands organismes de recherche français présents sur place devraient aussi renforcer leur mise en réseau.

Il est ici crucial d’inscrire notre action dans le contexte européen, notamment à travers l’accès aux fonds multilatéraux et plus particulièrement européens (Horizon 2020).

A cet égard, le deuxième sommet académique Union Européenne (UE) – Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), qui s’est tenu à Bruxelles les 9 et 10 juin 2015, a constitué une étape supplémentaire dans le processus de rapprochement des espaces académiques et de recherche européens et latino-américains.

La France peut au niveau européen :

– promouvoir la convergence et la reconnaissance des systèmes d’enseignement supérieur en Amérique latine et en Europe ;

– créer un Forum académique permanent chargé de préparer les Sommets académiques UE-CELAC ;

– institutionnaliser les réseaux de chercheurs (la mise en place d’un fond bi-régional qui encouragerait les recherches et les projets d’innovations conjoints serait à l’étude) ;

– renforcer le rôle de l’enseignement supérieur et de la recherche dans l’évaluation et l’élaboration des politiques publiques

– renforcer dans les deux régions la relation entre enseignement supérieur et les entreprises, en particulier les PME et l’économie sociale et solidaire ;

III. LE DIALOGUE CULTUREL : LA DÉFENSE DE LA DIVERSITÉ ET L’INNOVATION

1. Diversité et exception culturelle : un axe de dialogue global à développer

a. La promotion de la diversité culturelle : une question politique

Il existe une aspiration légitime à ne pas voir la mondialisation dissoudre les identités nationales ou culturelles.

Pour les latino-américains, la défense de la diversité culturelle est un enjeu de politique intérieure prégnant, qui, on l’a vu, s’est traduit par exemple par l’affirmation de mémoires indiennes oubliées et l’accord de droits spécifiques aux peuples dits « autochtones ». Le Brésil et l’Uruguay ont par ailleurs mis en place ds politiques de discrimination positives pour les populations « afrodescendantes ». C’est aussi une des voies de l’affirmation de sa voix singulière sur la scène internationale.

Il n’est donc pas un hasard que la déclaration universelle sur la diversité culturelle a été adoptée par l’UNESCO la même année que la création en 2001, d’un Instance permanente sur les questions autochtones auprès du Conseil économique et sociale de l’ONU, présidé par l’anthropologue mexicain Rodolfo StavenHagen (40).

Surtout, l’Amérique latine est le véritable laboratoire de la mondialisation culturelle, capable tout à la fois d’absorber des cultures importées, que ce soit celle des colons espagnols ou des industries culturelles américaines, de conserver des cultures indiennes fortes, et, surtout, d’inventer des formes de syncrétisme d’une grande richesse.

Ainsi « l’Amérique latine peut-être un don pour l’humanité, justement en raison de ses profondes racines culturelles. Elle peut-être un exemple de construction d’une société nouvelle, dans laquelle la diversité n’est pas un obstacle, mais devient une richesse. Je le dis en tant qu’Européenne : je vous prie de nous donner cette expérience. Le monde a besoin de la voir réalisée à quelque part, et je pense que ces contrées sont le lieu idéal. »

Cette réalité fait de l’Amérique latine l’allié naturel de la France pour défendre la diversité culturelle et promouvoir le principe d’exception culturelle. Il en fait aussi, ce qui est moins souvent souligné, un interlocuteur voire une source d’inspiration pour des sociétés occidentales aujourd’hui paralysées par leur crise identitaire.

Le modèle culturel français attire et est encore présenté en exemple. Ainsi, le ministre de la culture d’Équateur, reçu par la mission, a fait part du projet de réforme de la politique culturelle du pays engagée depuis 2009, projet conçu comme une forme de « décolonisation des arts » (une loi organique sur la culture doit définir la répartition des compétences culturelles entre l’État et les collectivités locales et renforcer la capacités dans le domaine du patrimoine et le muséographie).

La diversité culturelle ne se réduit pas d’ailleurs à la défense des langues, elle englobe des questions plus vastes. L’autonomie de la réflexion dans le champ des sciences humaines, où la France fait figure de refuge et d’exception par rapport à « une forme de pensée unique anglo-saxonne », en est un exemple.

Cette réflexion peut porter également sur les normes et le droit applicable. La promotion du droit continental face au droit anglo-saxon doit être soutenue par la France en Amérique latine, région où le code Napoléon a inspiré les principes du droit. C’est aussi un volet de notre coopération qui doit être important. Dans un contexte interministériel et en associant les professionnels du droit, le ministère conduit ainsi une stratégie d’influence par le droit. A destination de l’Amérique latine, la France a soutenu, par exemple, le Barreau de Paris, qui a organisé son 4ème  « campus international » au Brésil en novembre dernier , mais aussi le projet de la Cour de cassation d’analyse comparée des jurisprudences des cours suprêmes des pays émergents (dont celle du Brésil) concernant l’application des grandes conventions internationales de l’environnement ou du droit du travail.

b. Un point de vue différent sur le monde : la France doit continuer d’attacher une importance particulière à la coopération médiatique

En radio, la présence de RFI, ancienne, se concrétise aujourd’hui par un réseau de près de 500 radios partenaires et une diffusion par de nombreux bouquets par abonnement. TV5, sous-titrée en espagnol ou en portugais, est bien implantée, y compris au Brésil où la chaîne a été contrainte de s’adapter récemment à l’exigence de diffusion de 3h30 de programmes locaux par jour.

La diffusion en espagnol de France 24 est une avancée importante.

Aucun grand acteur audiovisuel international ne peut se passer de la première langue du continent américain qui compte 400 millions d’habitants pour 110 millions de foyers dans une vingtaine de pays. La langue espagnole, avec plus 500 millions de locuteurs dans le monde, est la 3ème sur internet et la 2ème sur twitter.

Les concurrents de France 24 ne s’y sont pas trompés et nombreux sont ceux qui ont déjà développé une version hispanophone, c’est le cas de CNN, Deutsche Welle, CCTV et Hispan TV. Le continent latino-américain représente, en outre, un important potentiel économique et culturel. Avec l’émergence des classes moyennes qui voyagent plus et s’informent plus, on constate un intérêt grandissant des populations latino-américaines pour l’information internationale.

Le développement d’une offre en espagnol est également un atout majeur pour pénétrer le continent nord-américain où l’espagnol est une langue dominante.

Le public latino-américain porte un réel intérêt à la France et une offre française d’information en espagnol serait une grande nouveauté. Compte tenu de ces éléments, il apparait opportun de développer une version hispanophone pour France 24 et de proposer l’offre la plus adaptée et la plus efficace en combinant l’attrait qu’exerce la France tout en prenant en compte les attentes et les usages du public latino-américain dans une logique de proximité.

L’offre s’inscrit dans un cadre budgétaire contraint et le dispositif proposé doit être raisonnable en matière de coût d’investissements. Cette offre pourra fortement s’appuyer sur l’expertise de la rédaction espagnole de RFI ainsi que sur le maillage historique du réseau des radios partenaires sur le continent latino-américain.

L’offre en espagnol doit s’appuyer sur le modèle de France 24, sur ce qui fait son originalité et sa spécificité dans le paysage concurrentiel des chaînes d’information internationale. Le projet de chaîne en espagnol reprend donc de nombreux programmes de référence conçus pour les antennes en français, en anglais et en arabe ainsi que leur modèle de construction de grille.

Le projet d’offre hispanophone de France 24 doit répondre aux attentes du marché latino-américain, tout en se différenciant dans le cadre d’un paysage audiovisuel marqué par une très forte concurrence. L’offre hispanophone, telle que nous la concevons, doit se décliner autour de deux grands axes :

– une vision française : nos médias se caractérisent par leur caractère référent que ce soit à travers la crédibilité et la fiabilité de l’information proposée, l’expertise de nos journalistes mais aussi la spécificité du regard français. C’est cette référence qui est attendue par le public latino-américain et qui doit, par conséquent, constituer un pilier de notre offre. La vision française en matière politique, économique, culturelle et géostratégique sera ainsi véhiculée à travers l’adaptation des contenus d’information de France 24 et de RFI et la réalisation de grands rendez-vous emblématiques réalisés depuis Paris.

– une démarche de proximité : notre offre en langue espagnole a également vocation à répondre aux attentes des publics latino-américains. Cette proximité passe d’abord par la langue, commune à l’ensemble du continent (à l’exception du Brésil même si l’espagnol est la deuxième langue la plus parlée dans ce pays). Mais si nous nous adressons à ces publics dans leur langue, nous devons également leur proposer une hiérarchie de l’information adaptée à l’actualité régionale et à leurs attentes. De la même manière, des contenus dédiés au continent latino-américain doivent être spécifiquement réalisés à destination de ces publics cibles.

Pour répondre à cette double attente de référence et de proximité, le schéma organisationnel retenu pour la production quotidienne de 6 heures d’antenne en espagnol (complétées de 18 heures de l’antenne France 24 en français) est le suivant : la localisation d’une rédaction en Amérique latine (Bogota) ; une unité de programmes à Paris qui s’appuierait fortement sur l’expertise de la rédaction en espagnol à RFI qui devrait alors être renforcée.

La mission soutient pleinement ce projet et estime que les sommes nécessaires à son lancement certes, mais à son développement aussi, doivent être débloqués par l’État. Au passage, le nombre de locuteurs d’espagnol a tendance à croître également en Amérique du nord, par conséquent la diffusion devrait être envisagée aux États-Unis.

La coopération avec les radios et télévisions universitaires pourrait être aussi renforcée. Ainsi, la mission a rencontré au Mexique le président de la télévision de la plus grande université du pays, qui lui a fait part de son désir de développer des partenariats avec Arte.

Enfin, CFI, opérateur du ministère des affaires étrangères en matière de coopération dans le domaine des médias devrait avoir les moyens de se développer en Amérique latine : il ne faut pas sous-estimer l’effet de levier de la coopération dans ce domaine.

Il faudrait aussi développer la connaissance de l’Amérique latine en France, pour cela les medias sont fondamentaux. A titre d’illustration, le site Nodal (41) qui couvre l’ensemble des problématiques politiques, économiques, diplomatiques du sous-continent, mériterait d’être traduit en français et de développer des coopérations avec nos médias.

2. Francophonie et langues latines : promouvoir la diversité linguistique

a. La francophonie et les actions communes au niveau multilatéral en faveur de la défense de la diversité culturelle

L’adhésion récente de plusieurs États d’Amérique du Sud (Uruguay en 2012 ; Costa-Rica et Mexique en 2014) à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) répond à des situations et des motivations communes : diffusion ancienne de la langue française dans l’enseignement, ancrage démocratique désormais consolidé, attachement à la pensée des Lumières portée par la tradition bolivarienne, souci d’un rapprochement culturel et économique avec les pays d’Afrique subsaharienne.

Plusieurs autres États (Équateur, Colombie, Argentine mais aussi Brésil) ont évoqué de façon plus ou moins marquée leur souhait de se rapprocher de l’OIF.

Si la dynamique d’élargissement de l’OIF devait se poursuivre à l’occasion du XVIe Sommet de la Francophonie à Madagascar (26-27 novembre 2016) et des suivants, elle pourrait donc concerner plusieurs États de la Région.

Au plan multilatéral, l’action de l’OIF passe par l’établissement de relations suivies avec l’Organisation des États Américains (OEA) depuis 2012 et avec chacun des États membres de plein droit (Dominique, Haïti et Sainte-Lucie) ou observateurs (Costa Rica, Mexique, République dominicaine et Uruguay).

En ce qui concerne les relations avec l’OEA, il importe de noter que le français est l’une des quatre langues officielles de l’Organisation des États américains aux côtés de l’anglais, de l’espagnol et du portugais. Sur les 35 États américains membres, huit, dont sept pays d’Amérique latine–Caraïbe ont le français en partage : la Dominique, Haïti et Sainte-Lucie, membres de plein droit de l’OIF, le Costa Rica, le Mexique, la République dominicaine et l’Uruguay, membres observateurs.

La présence de la France dans la zone, grâce à la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe, est un facteur de diffusion de sa langue. Pour mémoire, la France dispose d’un Ambassadeur, Observateur permanent auprès de l’OEA. 

Dans la poursuite de leurs objectifs respectifs, l’OEA et la Francophonie adhèrent aux mêmes principes fondamentaux, notamment de solidarité, de garantie de la paix, de restauration et la consolidation de la démocratie, de prévention et de règlement pacifique des conflits, par la mise en œuvre d’actions multilatérales. Cette communauté de vues a abouti à la signature d’un mémorandum d’accord entre les deux organisations signé le 27 septembre 2012 à New York. Ce mémorandum offre un cadre à la mise en œuvre de projets communs dans les domaines cités, sous la forme de consultations ad hoc sur les questions politiques d’intérêt mutuel et l’accompagnement technique et politique des processus électoraux des pays membres. C’est le cas par exemple pour Haïti. Ce rapprochement entre les deux organisations internationales a été conforté par la signature d’un accord général de coopération entre l’Agence universitaire de la Francophonie – opérateur de la Francophonie - et l’OEA en mai 2013, permettant le développement de partenariats en termes de mobilités académiques, de bourses et de recherche scientifique.

b. Les relations avec les États membres de l’OIF

Pour ce qui est des relations avec les États membres, Haïti occupe une place privilégiée.

Membre fondateur de l’Organisation internationale de la Francophonie, Haïti a été déclaré, depuis le séisme du 12 janvier 2010, pays prioritaire pour l’action de la Francophonie (au Sommet de Montreux, octobre 2010). Ce soutien de l’OIF a été renouvelé dans la Déclaration de Kinshasa, à l’issue du Sommet d’octobre 2012, auquel a pris part le Président Martelly.La nouvelle Secrétaire générale de l’OIF, Mme Michaëlle Jean, est d’origine haïtienne et a été représentante spéciale de l’Unesco pour Haïti.

Haïti manifeste régulièrement son appartenance à la Francophonie. Le Président Martelly a plaidé en faveur de l’introduction du français comme deuxième langue officielle de la Communauté caribéenne (CARICOM). Haïti accueille ainsi plusieurs programmes animés par les opérateurs de l’OIF (programme IFADEM pour l’amélioration des compétences des enseignants du primaire, initié en 2009 et dont la deuxième tranche a été lancée en 2014 et un réseau de 17 centres de lecture et d’animation culturelle (CLAC) créé en 2000 ou encore une aide importante à la reconstruction de son Centre national de lecture publique. L’OIF assure par ailleurs, à la demande des autorités intérimaires, le suivi du processus électoral en cours. L’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) dispose en 2015 d’un budget en hausse (566.000 €), pour son bureau de la Caraïbe à Port-au-Prince dont 220.000 € affectés aux actions en Haïti, pour soutenir les 12 campus numériques créés dans le cadre du programme PENDHA (programme d’enseignement numérique d’Haïti) et le projet Haïti-Santé, pour la reconstruction du système de santé via les technologies de l’information.

c. Les relations avec les États latino-américains observateurs à l’OIF

Avec les États observateurs (Costa Rica, Mexique, Uruguay, République dominicaine), l’OIF entretient des relations différenciées répondant à ses principes d’intervention mais aussi aux demandes des autorités concernées.

Par son adhésion en 2014, le Costa Rica souhaite principalement diversifier ses partenariats, en direction de l’Afrique notamment, où il ne dispose pas d’ambassade, et il en attend des dividendes en matière économique. L’adhésion du Costa Rica a été le résultat d’un long travail de préparation, la question de la candidature ayant été évoquée par les autorités politiques dès 2000. Elle a été facilitée par un engagement francophone ancien, caractérisé par un ancrage démocratique ainsi que par de réels efforts en matière de diffusion du français. L’enseignement de notre langue est en effet obligatoire au collège en tant que deuxième langue étrangère depuis environ quarante ans.

Ce rapprochement avec la Francophonie s’est traduit par l’instauration de relations avec l’Agence universitaire de la Francophonie (adhésion en 2014 de l’Université nationale du Costa Rica) et TV5 Monde (diffusion du signal sur le réseau public câblé). Par ailleurs, un groupe informel d’ambassadeurs francophones a été constitué à San José, réunissant trois fois par an les ambassadeurs – France, Canada, Suisse – et consuls honoraires - Belgique, Haïti, Monaco, Liban, Seychelles – francophones. Ce groupe conduit des actions de promotion du français à caractère culturel (préparation de la journée de la Francophonie).

La République dominicaine a obtenu le statut d’observateur de la Francophonie en 2011, en partie en raison de son voisinage avec Haïti (« pays prioritaire de la solidarité francophone ») et de la présence d’une forte communauté haïtienne sur son territoire mais aussi grâce au soutien de la France, sensible à l’intérêt affiché par ce pays pour la Francophonie multilatérale. La République dominicaine siège dans le groupe de travail consacré au français dans la vie internationale. Aucune demande de la République dominicaine n’a cependant été transmise à l’OIF dans le cadre de dernier appel à projets « initiative nationale francophone », nouveau dispositif d’appui au français dans la diplomatie et l’administration. Deux universités dominicaines sont membres de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF). En revanche, la ville de Saint Domingue n’a pas présenté de candidature auprès de l’Association internationale des maires francophones (AIMF). Enfin, le dispositif audiovisuel et pédagogique de TV5Monde mériterait certainement une présence renforcée.

Membre observateur depuis 2014, le Mexique a rejoint l’OIF pour au moins deux raisons : tout d’abord, cette adhésion contribue à renforcer sa présence internationale et à affirmer son engagement en tant qu’acteur à responsabilité mondiale ; ensuite, elle lui offre l’accès à un vaste réseau de pays, notamment en Afrique, continent qui connait actuellement la croissance économique la plus rapide. Ce rapprochement avec la Francophonie se traduit d’ores et déjà par un début de coopération avec l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), à laquelle sont associés 4 établissements mexicains. Il doit être encouragé.

L’Uruguay est enfin également un pays sur lequel s’appuyer pour faire vivre la francophonie en Amérique latine. Il a été l’un des premiers pays d’Amérique latine à rejoindre la Francophonie en qualité d’observateur en 2012. Dans sa profession de foi, le Président Mujica avait mis en exergue l’adhésion de son pays aux principes politiques et moraux au cœur de la Francophonie, qui avaient inspiré les « pères fondateurs » de la République orientale, attachés à la culture française. En 2013, la ville de Montevideo a adhéré à l’Association Internationale des Maires Francophones (AIMF). Avec cette adhésion, l’Uruguay souhaite aussi resserrer ses liens politiques et économiques avec le continent africain, dont près de 10% de la population Uruguayenne est originaire. Les autorités Uruguayennes ont à plusieurs reprises exprimé le souhait d’associer des pays africains à des projets scientifiques franco-Uruguayens. Pour mémoire, ces thématiques avaient été abordées le 30 septembre 2014, lors de l’entretien entre la Secrétaire d’État Mme Girardin et M. Ricardo Ehrlich, Ministre Uruguayen de l’Education et de la Culture. Pour l’OIF, ce nouveau membre associé est une opportunité de rapprochement avec le continent américain et ses organisations régionales.

Afin d’être à la hauteur de son engagement francophone, la première tâche de l’Uruguay a été de favoriser l’accès à notre langue dans son système éducatif, où elle était obligatoire de 1985 à 1994. Notre Ambassade à Montevideo y contribue par son plan d’action pour le développement de l’enseignement du français. Ce plan prévoit plusieurs axes : formation initiale et continue des professeurs de français, généralisation de la certification du niveau de français des élèves issus de l’enseignement public (convention DELF scolaire), intégration du français dans le plan d’enseignement numérique Uruguayen (plan CEIBAL), mise en place de filières d’excellence et d’actions pilotes dans certains établissements publics et privés (en vue d’obtenir le Label France éducation). Par ailleurs, le pays poursuit son rapprochement avec les opérateurs de la Francophonie, notamment l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) qui a accepté la demande d’adhésion de l’Université de la République (UdelaR), principale université publique du pays, qui regroupe 80% des étudiants. L’Agence a organisé à Montevideo, en partenariat avec l’Institut Français un séminaire du Réseau sud-américain d’enseignants-chercheurs en langue française et cultures francophones, du 9 au 11 décembre 2015. La chaîne TV5Monde est actuellement disponible via le câble dans l’ensemble des réseaux de la capitale Montevideo et dans la plupart des villes et provinces du pays.

d. L’apprentissage du français sur le continent

Il faut rappeler ici que jusque dans les années 1960, les élites latino-américaines étaient massivement francophones, et le français enseigné dans la région comme première langue obligatoire.

Les temps ont changé, mais avec 840 000 apprenants selon l’OIF, le français demeure la deuxième langue étrangère enseignée en Amérique latine.  Nous pouvons pour cela nous appuyer sur :

– notre réseau d’établissements culturels – et tout particulièrement le réseau des Alliances Françaises, qui joue un rôle central dans la région : on compte en effet 204 Alliances françaises présentes dans 33 pays et accueillant 175 000 étudiants en 2014, soit un effectif en augmentation de 3 % par an ;

– notre réseau scolaire, particulièrement dense, avec 37 établissements AEFE, qui scolarisent près de 30 000 élèves, souvent issus de l’élite locale : ces établissements semblent avoir des difficultés à répondre à une demande en forte hausse, ce qui implique des moyens supplémentaires et une politique immobilière dynamique.

 Mais le renforcement de nos positions en matière de francophonie passe par la conquête de nouveaux publics, et notamment la jeunesse des classes émergents : il nous faut pour cela être mieux présents dans les systèmes nationaux d’enseignement et promouvoir l’introduction d’une seconde ou troisième langue étrangère qui serait le français.

 A cet égard, nous pouvons nous appuyer sur le succès de la Francophonie politique, illustrée par l’adhésion récente comme membres observateurs de l’OIF du Mexique et du Costa Rica en 2014.

 Par notre action politique, nous favorisons l’apprentissage du français dans les systèmes scolaires locaux. Il est ainsi obligatoire au Costa Rica. Au Mexique, en Argentine, au Brésil ou encore au Chili, le français est une langue fortement valorisée par les cursus scolaire et universitaire, notamment dans le cadre de filières bilingues. L’attractivité de notre langue au Mexique est illustrée par le lancement par les autorités locales d’un programme de 1250 bourses destinées aux étudiants et enseignants de français. En Colombie, un plan de réintroduction du bilinguisme en français dans les établissements scolaires publics est mis en œuvre depuis 2009. Lors de la récente visite de la présidente chilienne à Paris, les deux pays se sont engagés à accroître la place du français dans l’enseignement au Chili, notamment par la réintroduction d’une seconde langue obligatoire. En novembre 2015, le ministère de l’éducation équatorien a décidé de faire du français la seconde langue étrangère dans l’enseignement public.

 Enfin, notre coopération éducative dans cette région se traduit par un envoi important d’assistants de langue, plus de 120 cette année dans les pays de la zone.

La promotion de la francophonie ne sera efficace que si elle se place sous le signe de la réciprocité : la France doit elle aussi s’engager dans la défense de l’enseignement, surtout et y compris sur son territoire, de l’espagnol et du portugais. La francophonie en Amérique latine pourrait ainsi être placée sous l’aune de la défense de latinité. Latinité que la France a en partage non seulement avec l’Amérique, mais aussi avec le continent africain.

3. Un dialogue culturel qui pourrait être dépoussiéré : plus de réciprocité, une plus grande attention portée aux nouvelles formes de création et à la jeunesse

La relation est déjà forte, elle se nourrit d’une réelle profondeur historique, s’appuie sur un riche réseau institutionnel et des relations dynamiques entre nos sociétés civiles. Lorsque Thiers en 1883 jette les bases de ce qui sera l’Alliance française, sous le parrainage de hauts noms tels que Ernest Renan ou Louis Pasteur, c’est en Amérique latine que se créent les premiers.

a. Paris, capitale du monde latino-américain ?

Carlos Fuentes a déclaré que l’ultime patrie d’un latino-américain, c’est la France. Il est vrai, et comme l’ont souligné tous les interlocuteurs de la mission que l’intérêt entre français et latino-américains est réciproque depuis bien longtemps. La révolution française a eu une influence considérable sur les indépendances, le droit latino-américain en porte la marque, le français était la langue des élites, et Paris a été longtemps la capitale culturelle du monde latino-américain : c’est en France que la bourgeoisie éclairée a fait de longs séjours, c’est en France aussi que les dissidents politiques ont trouvé refuge au temps des dictatures. Paul Rivet a créé dès 1946 l’Institut français d’Amérique latine à Mexico, puis la Maison de l’Amérique latine et l’Institut des hautes études de l’Amérique latine dépendant de la Sorbonne. A cette époque aucune autre aire géographique et culturelle ne dispose ainsi d’institutions parisiennes à vocation diplomatique et culturelle.

Si le concept d’Amérique latine est, d’une certaine façon, né à Paris, aujourd’hui, l’épicentre du monde latino-américain serait selon certains davantage situé à Miami. Il faudrait réfléchir aux moyens de renforcer le rôle de Paris comme capitale culturelle et intellectuelle du monde latino-américain.

De nombreuses activités culturelles ont mis à l’honneur le dialogue entre la France et l’Amérique latine en matière d’art et de culture. En 2014, le Salon du livre mettait l’Argentine à l’honneur. En 2015, c’est de nouveau un pays d’Amérique latine, le Brésil, qui a été l’invité du Salon. En 2014, deux grands musées parisiens, le Grand Palais et le Quai Branly, ont mis en avant l’art maya et l’art contemporain haïtien. En 2016, on peut citer, également au musée du Quai Branly, une exposition sur l’art sacré en Équateur. A Cuba également, à l’occasion de sa visite, le Président de la République, a annoncé un « temps fort de la culture française», qui pourrait avoir lieu en 2016.

En perspective, on peut citer l’organisation d’une saison croisée avec la Colombie, sur le modèle de la saison croisée avec le Brésil menée il y a quelques années, qui avait été un véritable succès. La Colombie est un nouvel émergent y compris sur le plan culturel. C’est la raison pour laquelle le ministère des affaires étrangères a décidé d’organiser une saison de la France en Colombie de janvier à juin 2017 et de la Colombie en France de juin à octobre 2017. Celle-ci couvrira tous les champs de notre coopération bilatérale, y compris les domaines économiques ou de l’attractivité touristique.

Votre rapporteur souhaite souligner la pertinence de ces saisons croisées. Il regrette d’ailleurs que la saison croisée avec le Mexique ait dû être annulée et souhaite qu’elle soit reprogrammée au plus vite. Il appelle également l’attention du gouvernement sur la nécessité de mener à bien le projet parisien de Maison du Mexique.

La Maison de l’Amérique latine pourrait aussi être redimensionnée pour devenir un lieu de culture et de vie parisienne. Il y a évidemment une problématique financière et immobilière, mais plusieurs de nos partenaires latino-américains seraient prêts à participer à un projet d’envergure susceptible de faire rayonner leur culture à Paris.

Citons enfin la semaine de l’Amérique latine et des Caraïbes. Il faut saluer cette initiative et le travail accompli par son coordinateur, l’ambassadeur Philippe Bastellica, reçu par la mission. La semaine de l’Amérique latine et des Caraïbes mériterait d’être dotée de davantage de moyens afin d’être étendue et régionalisée.

b. Arts vivants et industries culturelles doivent être au cœur de notre dialogue culturel

L’Amérique latine est une des zones au monde les plus ouvertes à la création française et aux échanges artistiques. L’organisation de l’année de la France au Brésil en 2009 a montré qu’il était possible d’offrir une image de la création française plus vivante et plus moderne.

C’est un volet de notre diplomatie culturelle qu’il ne faut pas négliger : d’abord parce qu’ainsi la France pourra capter un public plus jeune et nouveau (non pas seulement celui qui est attaché à la maîtrise « statutaire » du français) ; ensuite parce que c’est là où la réciprocité trouve à s’exprimer entre les deux ensembles culturels.

Solidement positionnée dans le domaine de la création numérique, la France est aussi assez active dans le domaine des industries culturelles (design, architecture, mode, musique, édition, jeux interactifs et cinéma). C’est un axe à renforcer dans notre dialogue avec l’Amérique latine. L’accent doit être mis sur la création contemporaine et les coopérations croisées.

Les arts vivants sont particulièrement porteurs dans nos échanges. La créativité française est appréciée en ce domaine. Ainsi c’est à la demande de sa présidente que la compagnie nantaise Royal De Luxe a ouvert les célébrations du bicentenaire de l’indépendance chilienne. Le premier festival du cirque à Buenos Aires a beaucoup compté sur l’expérience française. L’Amérique latine est elle aussi créatrice de culture, et le spectacle vivant jouit d’une importante vitalité. Il s’agit pour nous, par la coproduction notamment, de nous insérer dans ce mouvement. Notre dispositif a ainsi été récemment renforcé par la mise en place d’un relais spécialisé « Spectacle vivant » au Chili, qui a pour mission de renforcer les échanges entre la France et les pays du Cône Sud dans ce domaine.

Les arts visuels ne doivent pas être oubliés : la biennale de la photographie à Medellin, la biennale d’art à Sao Paulo, la multiplication des galeries ou musées, témoignent de l’émergence du continent latino-américain sur ce plan. Votre rapporteur ne peut que, en promoteur du festival de photographie de la ville d’Arles, que se prononcer en faveur du renforcement de ce volet de notre coopération.

Le cinéma est aussi l’un de nos axes privilégiés de dialogue culturel avec l’Amérique latine. Citons par exemple Cuba – le festival français du film à Cuba est l’un des plus fréquentés au monde. On pourra aussi mentionner le festival de Carthagène en Colombie et bien d’autres. En matière cinématographique aussi, nombre de nos interlocuteurs latino-américains ont exprimé leur volonté de collaborer avec la France : ainsi l’Argentine, l’Uruguay se sont inspirés des outils de soutien à la production nationale française. D’autres pays seraient intéressés, par exemple l’Equateur. La production cinématographique latino-américaine est de grande qualité, elle est portée par de jeunes réalisateurs talentueux. Il faudrait à la fois favoriser la promotion de ce cinéma en France et développer les co-productions.

Il faut enfin continuer de soutenir la promotion du livre français en Amérique latine, grâce notamment au dispositif des bureaux du livre (on en trouve notamment à Buenos Aires, Mexico ou Rio). Car la promotion du livre va de pair avec celui de la pensée française et du débat d’idées. Il faut donc soutenir l’édition française à l’international, au moyen d’aides à la publication, mais aussi d’aides à la traduction (ainsi le Plan traduire numérique et la constitution d’une base de données des ouvrages traduits du français vers l’espagnol sont à poursuivre). Dans ce domaine comme dans les autres, la réciprocité peut aider, et la promotion et traduction de la pensée contemporaine latino-américaine doit être renforcée.

c. Renforcer le dialogue avec la jeunesse

Le soutien du ministère des affaires étrangères aux échanges de jeunes entre Amérique latine et France existe déjà.

Il est d’abord porté par le volontariat international. Ainsi, 244 volontaires internationaux en poste dans 16 pays de la région Amériques-Caraïbes (125 en Amérique du Sud, dont 40 au Pérou et 30 au Brésil, 119 en Amérique centrale et dans les Caraïbes, dont 108 en Haïti) sont aujourd’hui financés par le ministère des affaires étrangères. Ces jeunes diplômés exercent, notamment, des fonctions d’administrateur, de coordinateur, de gestionnaire, d’enseignant, de formateur, d’animateur et d’éducateur. Ils interviennent pour le compte, soit de France Volontaires (plate-forme associant pouvoirs publics et grandes associations de solidarité internationale et mouvements de jeunesse), soit de l’une des 25 associations agréées au titre du VSI (le Service de coopération au développement, FIDESCO, la Délégation catholique pour la coopération, la Fondation Architectes de l’urgence, la Guilde européenne du Raid, ACF, ATD Quart Monde...).

Le ministère appuie également d’autres formes de volontariat, sur des durées de mission plus courtes. Les programmes Jeunesse Solidarité Internationale et Ville Vie Vacances Solidarité Internationale permettent de cofinancer des projets de type chantiers de jeunes menés en partenariat avec des associations locales. Dans la région, ils concernent Haïti et Cuba.

Enfin, l’engagement de service civique, créée en 2010 et gérée par l’Agence du service civique, est une nouvelle forme de volontariat qui s’adresse plus particulièrement aux 16-25 ans sur des périodes de mission de six à douze mois, parfois à l’étranger. Fin juin 2010, des missions se déroulaient dans 12 pays de la région Amériques-Caraïbes (impliquant des associations telles que Bibliothèques sans frontières, Enfants du rio, France Amérique latine...).

Outre les moyens supplémentaires qui pourraient être affectés par les pouvoirs publics à ces dispositifs, et ceux qui pourraient être apportés par l’action internationale des collectivités territoriales, des partenariats devront être noués avec les agences nationales de volontariat des pays d’accueil, afin d’articuler leurs moyens budgétaires avec nos volontariats.

En France même, il convient de mobiliser les acteurs du mouvement associatif en capacité d’accueillir des volumes plus importants de volontaires étrangers.

Pour fédérer toutes ces initiatives en faveur des échanges entre nos jeunesses, votre rapporteur propose que soit créé un Office franco-latino-américain pour la jeunesse, sur le modèle de l’Office franco-québécois pour la jeunesse, qui pourrait réunir les pays intéressés.

Par ailleurs, des programmes « Jeunes Leaders », sur le modèle des programmes proposés par les nord-américains aux personnalités d’avenir latino-américaines mériteraient d’être mis en place de manière systématique. Il serait possible d’organiser des programmes croisés composés de jeunes leaders français et latino-américains, appelés à travailler sur des thématiques proprement politiques. Il serait possible d’imaginer ce type d’initiative avec des pays comme le Mexique, le Brésil, l’Uruguay ou la Colombie. La mise en place de programmes spécifiques en espagnol à destination des latino-américains à l’École nationale d’administration pourrait également être étudiée.

La mise en réseau des anciens étudiants en France est enfin capitale. Afin de renforcer notre influence, le ministre a lancé en novembre dernier la plateforme « France Alumni », qui doit nous permettre d’assurer un meilleur suivi des anciens étudiants étrangers et de consolider ce réseau. Elle a déjà été lancée en Colombie, au Brésil, au Chili, en Uruguay et au Venezuela. Elle compte pour l’heure seulement 12 000 inscrits. Il faudra utiliser et animer ce réseau.

RÉSUMÉ DU RAPPORT ET DE SES PROPOSITIONS

I. En Amérique latine, la France a un héritage considérable, un capital de sympathie non encore écorné, mais elle manque d’une stratégie pour l’avenir

1. L’Amérique latine a changé et elle est aujourd’hui au cœur de la transformation du monde

Il semblerait que nous n’ayons pas encore pris la mesure des transformations du sous-continent latino-américain : l’Amérique latine vient de vivre une décennie de progrès économiques et sociaux qui justifie l’optimisme du continent. Le premier objectif du rapport parlementaire est donc avant tout de comprendre et faire comprendre l’Amérique latine contemporaine.

La forte croissance économique de la dernière décennie, qui s’est accompagnée d’une réduction de la pauvreté et dans une moindre mesure des inégalités, s’est doublée d’une réelle stabilité politique, le continent étant désormais acquis à la paix et à la démocratie. Forte de ces réussites intérieures, l’Amérique latine a multiplié les initiatives diplomatiques pour faire entendre sa voix singulière sur les grands enjeux de la planète et diversifier ses partenariats pour se défaire d’une trop grande dépendance à l’égard des États-Unis.

Surtout, l’Amérique latine connaît aujourd’hui une période de transition, que certains qualifient même de « fin de cycle ».

Au plan économique, le modèle de développement qui a fait le succès de nombreux pays latino-américains s’essouffle et pourrait faire taire l’espoir de voir la région sortir de sa dépendance pluriséculaire à des puissances étrangères. Toute la question, sachant de plus que les trajectoires nationales peuvent être très diverses, est de savoir si son extraversion économique et son insertion dans la mondialisation pourrait devenir aujourd’hui un atout avec le basculement du centre économique du monde vers l’Asie.

Le super cycle des matières premières qui a bénéficié aux économies était lié aux processus d’industrialisation de l’Asie, en particulier de la Chine. Les contraintes de change qui avait placé la région sous la tutelle de Washington pendant des années ont disparu et permis à certains pays d’accumuler des réserves de change importantes. De plus, la démographie, qui a représenté une part importante de la croissance ces dernières années, se rapproche de celle des pays développés, les questions de vieillissement de la population et de nécessaire amélioration de la productivité se font jour. Enfin, la nouvelle classe moyenne vulnérable, qui nourrissait la demande interne, est la première touchée par le retournement de conjoncture. Enfin, les pays latino-américains devront renforcer leur capital humain ou leurs dépenses d’investissement pour transformer la croissance en développement durable.

Au plan politique, la détérioration de l’économie place les gouvernements, notamment dits progressistes au pouvoir depuis les années 2000, dans une position délicate : la crise met en doute le financement durable des politiques sociales en faveur de la réduction de la pauvreté et des inégalités qui avait en partie forgé leurs succès électoraux et dont la poursuite était essentielle à l’émergence économique du sous-continent.

Au plan géopolitique enfin, l’Amérique latine s’est imposée depuis quelques années déjà comme un acteur diplomatique original (dénucléarisation du sous-continent, opposition à toute forme d’ingérence étrangère dans le règlement des crises ; défense du rôle des grandes instances et des valeurs du multilatéralisme). Mais les difficultés économiques et politiques actuelles annoncent peut-être une période d’introspection pour la diplomatie latino-américaine.

2. La France a aujourd’hui de formidables atouts mais aussi des faiblesses en Amérique latine

La France pour les latino-américains incarne trois grands principes qui n’ont rien perdu de leur pertinence dans le monde en transition qui est le nôtre : une capacité à avoir des alliés dans le bloc « occidental », notamment les États-Unis sans aliéner sa souveraineté nationale, un modèle sociale où l’État régulateur tient tout son rôle et enfin une diversité et un dynamisme culturelle préservés.

Il ne faut pas galvauder une image construite depuis deux siècles chez les sud-américains par un alignement trop manifeste sur l’occidentalisme et sur les États Unis comme on l’a parfois vu ces dernières années. Les positions de la France, que ce soit sur la résolution des crises, la lutte contre le terrorisme, la réponse à la crise des réfugiés ou l’avenir de l’Europe, sont scrutées par nos partenaires latino-américains.

Nous avons encore une image positive et les deux grands moments de la diplomatie française dans la zone portés par de Charles de Gaulle et François Mitterrand sont encore dans les mémoires. Il faut renouer avec l’esprit de cette diplomatie, dont les convergences, au-delà des clivages partisans, ont permis à la France de conserver jusqu’à aujourd’hui sa place de puissance moyenne à influence globale. Ainsi avec l’ouverture politique à l’égard des grands émergents ; le souci d’apporter une réponse collective à des enjeux globaux comme le climat ou le narcotrafics ; la promotion d’un dialogue stratégique entre l’Union européenne et l’Amérique latine : lorsque la France est fidèle à son histoire et à ses valeurs, elle gagne le cœur des latino-américains.

3. La France doit élaborer une nouvelle stratégie en Amérique latine, qui prenne en compte les nouveaux enjeux du continent

Il faut saluer la réorientation diplomatique de notre pays en direction de l’Amérique latine et souhaiter qu’elle soit cette fois marquée par la constance, la cohérence et la continuité – beaucoup de nos interlocuteurs ayant fustigé l’intermittence et le manque de priorités stratégiques de notre dialogue avec l’Amérique latine.

Surtout, nos efforts et nos discours se sont beaucoup concentrés sur la diplomatie économique, qui, aussi importante soit-elle, n’épuise pas la question de nos rapports avec l’Amérique latine, qui attend beaucoup plus de la France en termes de dialogue politique.

Enfin, il ne faut pas prêter le flanc aux critiques qui accusent notre pays d’avoir « une attitude schizophrénique - non parce qu’elle dit une chose et en fait une autre, bien que cela se produise parfois, mais parce que la France dit une chose et ensuite ne fait rien en Amérique latine. »

La France sous-estime l’importance stratégique de l’Amérique latine et notre analyse a quelques années de retard. On ne peut que regretter le peu de poids qu’occupe l’Amérique latine dans notre imaginaire diplomatique et notre paysage médiatique, absence qui est en réalité le symptôme d’une difficulté à dépasser le paradigme de la guerre froide, à penser le monde multipolaire qui demande encore à être inventé.

La France n’a pas su profiter ces dernières années du relatif déclin nord-américain dans la zone et n’a pas mesuré les conséquences du rôle montant de la Chine dans la région, qui va devenir un enjeu de la compétition mondiale pour le contrôle des ressources. Nous avons des années de retard dans l’analyse en respectant la doctrine Monroe selon laquelle l’Amérique latine appartient aux américains, alors que les nord-américains eux-mêmes semblent se résoudre à l’abandonner.

Il serait utile de mettre en place une grande commission stratégique franco-latino-américaine, qui réunirait des personnalités politiques, des membres de la société civile, des membres de l’administration, des chercheurs, pour identifier les priorités de notre dialogue politique et les voies de son renforcement.

Enfin, surtout, les latino-américains attendraient un grand discours de politique étrangère sur leur région, du Président de la République, ou du ministre des affaires étrangères.

II. Comment promouvoir une nouvelle alliance avec l’Amérique latine ?

1. Favoriser l’émergence d’un pôle latino-américain, allié naturel de la France pour répondre aux grands enjeux de la planète

Les États d’Amérique latine, dans leur diversité, sont peut-être devenus indispensables pour orienter la sortie de la récession engendrée par la crise apparue en 2008 et pour légitimer les concertations multilatérales en vue d’améliorer la gouvernance mondiale.

Construire un monde multipolaire suppose donc pour la France de favoriser l’émergence d’un pôle « Amérique latine ».

Certes il faut continuer d’épouser la diversité du continent au plan bilatéral, car n’y a pas de « petit pays » en Amérique latine, terme qui recouvre des situations nationales disparates. Notre diplomatie sait en tirer toutes les conséquences en ne négligeant aucun pays. Cuba, avec lequel la France a avant tous les autres, repris une politique de coopération dès 2010, en est l’exemple canonique : son potentiel économique est certes non négligeable, mais son poids politique demeure immense sur le continent.

Mais il faut aussi soutenir l’unification du continent, car elle est de nature à faire de l’Amérique un véritable pôle de puissance dans le monde multipolaire de demain.

Notre pays devrait plaider pour la re-régionalisation de la politique européenne (l’intérêt nouveau de l’Union pour les grands émergents s’articule mal à l’action bilatérale menée par les États membres) : l’Union européenne pourrait renforcer son dialogue stratégique avec l’UNASUR, et faire des sommets UE-CELAC de vrais rendez-vous politiques autour d’un agenda resserré (infrastructures, énergie, sécurité, développement durable, questions commerciales).

La France peut aussi catalyser le dialogue politique avec l’Union européenne. La lassitude est totale, les chefs d’État latino-américains étaient fort peu mobilisés lors du dernier sommet UE-CELAC. Il faut favoriser la reprise du dialogue politique autour d’un agenda restreint.

A titre illustratif, les questions commerciales, notamment la signature d’un accord avec le Mercosur doivent impérativement faire l’objet d’une discussion au plus haut niveau politique.

Enfin, sur quelques thématiques transversales, le dialogue avec les latino-américains doit être renforcé au plus haut niveau et déboucher sur des initiatives concrètes. La France pourrait ainsi :

– ouvrir un dialogue global avec les grands émergents comme le Mexique ou le Brésil, l’Argentine ou le Chili, pour faire bouger les lignes de la gouvernance mondiale et œuvrer à la régulation de la mondialisation ;

– s’appuyer davantage sur les latino-américains dans la mise en œuvre de l’accord de Paris sur le climat, accord qui doit ouvrir la voie d’une nouvelle diplomatie du développement durable de la France dans la région ;

– favoriser la coopération triangulaire Afrique-Europe-Amérique latine sur les questions de développement : ici aussi le Brésil, le Mexique ou la Colombie sont nos meilleurs alliés parmi les émergents ;

– promouvoir, dans la foulée de la dernière assemblée générale des Nations unies consacrées au sujet, une nouvelle approche des narcotrafics basée sur la co-responsabilisation des pays producteurs et consommateurs ;

– élaborer enfin une nouvelle stratégie en matière de gouvernance d’internet et de cyber sécurité ou encore de e-démocratie.

2. Une diplomatie économique qui doit s’appuyer sur notre dialogue politique et non l’inverse

Comme le soulignait un interlocuteur de la mission, « il est inutile d’arriver au Brésil avec des hélicoptères ou nos grands champions nationaux dans les valises ». En revanche, appuyer notre dialogue économique sur notre dialogue politique produira des résultats plus concluants.

En Amérique latine, France n’a pas le poids économique de la Chine ni la proximité des États-Unis, mais elle a une solide réputation en matière de politiques publiques dans les domaines qui intéressent les latino-américains.

Les échanges économiques avec l’Amérique latine doivent s’accompagner d’un dialogue politique renouvelé, attentif aux besoins d’un continent dont la réalité a changé, dont la diplomatie est devenue plus « pragmatique » et qui cherche à diversifier ses alliances pour relever les nombreux défis de son émergence.

Les questions de développement et de transition économique doivent donc occuper une place centrale dans nos discussions avec l’Amérique latine, d’autant que la France a des compétences à faire valoir dans nombre de domaines qui correspondent très exactement aux défis de l’Amérique latine.

Il faut développer des démarches intégrées qui joignent tous les volets de notre coopération. A titre d’exemple, les coopérations qui renforcent les échanges entre start-up innovantes et pôles de compétitivité, alliant transferts de technologie et formation, intéressent certains pays latino-américains.

Notre coopération pourrait s’orienter autour de thématiques structurantes, sur lesquels il serait avisé de capter le financement des programmes européens et placer nos opérateurs nationaux :

– un développement durable : coopérations en matière de ville durable, transport, biodiversité, lutte contre la déforestation, eau, urbanisme, ici la France a des atouts à faire valoir.

Sur ce thème, il faudrait soutenir notamment l’action de l’AFD en s’efforçant de renforcer les budgets de coopération technique qui accompagnent les prêts concédés par l’Agence.

– un développement inclusif : la répartition des fruits de la croissance et la lutte contre les inégalités sont des questions qui vont s’imposer à l’agenda des gouvernements latino-américains, là aussi la France peut-être un partenaire solide dans la mise en place de politiques fiscales efficaces, de politiques sociales redistributives innovantes ;

– les questions de gouvernance, de consolidation des institutions et de renforcement de l’État, la réflexion autour des services publics ne doivent enfin pas être oubliées : là aussi nous pouvons essayer de mieux utiliser l’effet de levier de la politique de coopération européenne et promouvoir nos compétences, notamment en renforçant la place d’Expertise France en Amérique latine.

3. Faire du dialogue politique et culturel la pierre de touche de nos relations : penser la participation politique et la diversité culturelle dans la mondialisation

Enfin, l’Amérique latine est l’interlocuteur naturel de la France pour penser la participation politique et la diversité culturelle dans la mondialisation.

Les travaux de la mission font pour l’heure ressortir que la France a – mais pour combien de temps – un capital de sympathie hors du commun principalement parce qu’elle a une « culture et des valeurs » qui exercent toujours une certaine attraction chez une partie de la population. Tous les interlocuteurs de la mission ont souligné ce point : la France dispose encore d’un aura culturel et politique qui compense son statut de puissance moyenne et qui est peut-être son seul avantage comparatif par rapport aux autres puissances en Amérique latine.

Mais notre coopération souffre aussi de certains défauts selon les interlocuteurs de la mission : manque d’une politique à l’égard de la jeunesse ; politique linguistique qui pourrait être plus offensive et s’appuyer notamment sur les langues latines ; même remarque pour la défense de la diversité culturelle ; dialogue universitaire et scientifique qui manque d’ambition et cruellement de ressources ; enfin, défaut d’instances de discussion des sujets politiques et sociétaux, sur lesquels les latino-américains sont en demande. En bref, en Amérique latine, en matière de dialogue politique et culturel, la France a un héritage, mais pas de stratégie pour l’avenir.

Il faut d’abord ré-ouvrir le dialogue politique avec une Amérique latine qui est aussi le « laboratoire politique de l’occident », en matière de participation citoyenne, de vitalité de la société civile, de réflexion sur la place de l’État dans la mondialisation.

Ici, il faudra s’appuyer sur tous les volets de notre diplomatie, et des instruments d’influence et de dialogue aujourd’hui trop peu utilisés, notamment :

– la diplomatie parlementaire : la création d’une journée de l’Amérique latine et des Caraïbes à l’Assemblée nationale serait un premier pas, ainsi que l’association des présidents de groupes d’amitié à notre diplomatie dans la zone ;

– le dialogue au sein des conseils stratégiques franco-mexicain et franco-brésilien, franco-Colombien et bientôt peut-être avec l’Argentine, l’Uruguay ou encore le Chili doit être politisé : ces conseils, après avoir servi d’instrument de resserrement de nos liens économiques, doivent devenir des enceintes de dialogue politique, où l’on peut mener aussi bien un dialogue sur des enjeux globaux (le numérique par exemple), que sociétaux ;

– le dialogue avec la société civile : certes la France soutient au plan financier ou logistique un certain nombre d’ONG, mais dans une optique de coopération le plus souvent. Une diplomatie des sociétés civiles doit imaginer d’autres modalités de dialogue entre nos sociétés et s’efforcer de toucher la jeunesse. Mettre en place des programmes « Jeunes leaders » sur ces sujets mêlant latino-américains et français pourrait être une piste à étudier. La France devrait également être plus active auprès de la Fondation UE-Eulac ;

– la coopération décentralisée : l’échelon local devrait être doté de moyens supplémentaires et davantage institutionnalisé, de nombreuses villes et collectivités locales en Amérique latine peinent à trouver des interlocuteurs en France. Il faut renforcer les moyens de Cités Unies France en la matière et mettre en place un répertoire des collectivités pour les mettre en réseau.

– nos collectivités françaises dans les Amériques : la France est un État américain, c’est une richesse que l’on oublie parfois. Le dialogue politique doit être favorisé pour renforcer leur intégration à leur environnement régional, François Hollande l’a rappelé lors de son déplacement dans les Caraïbes ;

– nos universités, organismes de recherche et think-tanks peuvent avoir une grande part dans ce dialogue politique : la France pourrait se positionner dans le domaine de la réflexion sur les politiques publiques innovantes, en multipliant les programmes d’échanges sur ce thème avec des organismes latino-américains ;

Par ailleurs, France et Amérique latine ont une histoire et des valeurs en partage :

– le dialogue sur les droits de l’homme doit être poursuivi et consolidé au niveau multilatéral et bilatéral. Ainsi les coopérations développées par nos postes en Amérique latine sur les questions mémorielles et les transitions politiques doivent être suivies en exemple, prix franco-allemand pour les droits de l’homme en Colombie ;

– la France pourrait être plus proactive avec les pays latino-américains sur le thème de la défense de la liberté d’expression et de la protection des journalistes – l’Amérique latine comptant parmi les endroits au monde les plus dangereux pour les journalistes ;

– le dialogue sur les sujets sociétaux et le débat d’idées pourrait également être renforcés aussi bien en Amérique latine qu’à Paris : la laïcité et la place de la religion dans nos sociétés, la mixité culturelle, sont des thèmes sur lesquels nous avons à partager ;

– enfin, il faudrait avoir une politique plus active en direction de la jeunesse. Au-delà du renforcement des dispositifs de volontariat croisés, le rapport propose de créer un Office franco-latino-américain pour la jeunesse sur le modèle de l’Office franco-québécois.

La culture et le dialogue universitaire et scientifique ont toujours – et même avant l’invention d’une diplomatie dans la zone – été la pierre de touche de nos relations avec l’Amérique latine.

Le rapport identifie trois axes porteurs pour notre diplomatie d’influence dans la région, sur lesquels l’attente des latino-américains est forte : la défense de la diversité culturelle, linguistique et intellectuelle ; la modernité et l’innovation ; le renforcement du volet scientifique et universitaire.

La diversité et l’exception culturelles en premier lieu, car ce sont des concepts auxquels aussi bien la France que l’Amérique latine sont politiquement attachés.

– la diversité linguistique : la francophonie doit être replacée au cœur de notre diplomatie dans la zone, et le seizième sommet de la francophonie, fin 2016, doit fournir l’occasion de poursuivre la dynamique d’élargissement de l’OIF à d’autres États latino-américains, notamment l’Équateur, la Colombie, le Chili ou le Brésil.

Il faut impérativement soutenir l’essor de nos établissements d’enseignement en langue française, meilleur instrument d’influence dans la zone et qui peine à faire face à la hausse des demandes d’inscription. Il convient également de plaider pour la réintroduction du français dans les systèmes éducatifs publics nationaux. Par ailleurs, le système des assistants de langue pourrait être développé. Enfin l’affirmation de la latinité comme attachement à la diversité linguistique peut passer par la promotion commune, en Amérique latine, en France mais aussi en Afrique, de l’espagnol, du français et du portugais.

– la diversité ne se réduit pas aux langues, elle englobe des questions plus vastes comme l’autonomie de la réflexion dans le champ des sciences humaines, où la France fait figure de refuge et d’exception par rapport à une forme de pensée unique anglo-saxonne ». Elle peut porter également sur les normes et le droit applicable – la promotion du droit continental est par exemple une piste à approfondir.

La modernité et l’innovation doivent par ailleurs être au cœur de notre diplomatie culturelle. La relation est déjà forte, elle se nourrit d’une réelle profondeur historique, s’appuie sur un riche réseau institutionnel et des relations dynamiques entre nos sociétés civiles, mais elle mériterait d’être dépoussiérée :

– au plan de la méthode, nos relations doivent être marquées par plus de réciprocité, la France n’ayant pas mesuré la capacité d’innovation sociale, politique et culturelle des pays latino-américains ;

– notre diplomatie culturelle pourrait mettre davantage l’accent sur les arts vivants, mais aussi le cinéma et les industries culturelles ;

– Paris devrait s’efforcer de retrouver sa place de capitale latino-américaine : il faut renforcer l’Amérique latine en France, ainsi faire de la Maison de l’Amérique latine un véritable centre culturel et intellectuel aux moyens et à la visibilité renforcée ou encore favoriser la création d’un grand Campus des Amériques en Ile de France irait dans le bon sens ;

– notre diplomatie d’influence ne doit pas négliger les medias : l’extension de France 24 en Amérique latine doit être soutenue, ainsi que celle de RFI et TV5 Monde, mais aussi les partenariats avec les radios et TV universitaires ;

– nos opérateurs en Amérique latine doivent être soutenus dans leurs efforts pour capter de nouveaux publics et s’adapter aux nouveaux modes de communication et d’apprentissage (les Alliances françaises devraient élaborer une stratégie numérique à l’échelle du continent) ;

Le renforcement des échanges universitaires et scientifiques enfin, sur lesquels la France a une carte à jouer, ces outils ne donnent pas encore leur plein potentiel :

– la France doit porter la constitution d’un espace universitaire euro-latino-américain plus intégré ;

– il faut parvenir à mieux utiliser les instruments de financement (banques de développement et instruments de l’AFD), mais aussi les financements européens (Horizon 2020) ;

– il faudrait continuer de placer notre attractivité scientifique au service de notre diplomatie économique comprise au sens large en ciblant des thèmes porteurs pour le développement : climat/environnement, urbanisme et transports, énergies vertes ;

– tout en n’oubliant pas que pour l’Amérique latine, la France est et demeure le refuge des sciences humaines, il faut donc veiller à en sanctuariser les moyens ;

– au-delà de la mobilisation de notre réseau diplomatique sur place, il faut encourager l’ouverture de représentations de nos établissements en Amérique latine ;

– surtout il est impératif d’accélérer la signature d’accord de reconnaissance mutuelle des diplômes et de développer l’accueil des étudiants dès le premier cycle en France et non pas seulement en deuxième cycle.

3.  EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères a examiné le présent rapport d’information au cours de sa séance du mercredi 22 juin 2016.

M. Patrice Martin-Lalande, président de la mission. Comprendre et faire comprendre les récentes évolutions de l’Amérique latine : continent à un tournant de son histoire, ce dont notre diplomatie n’a peut-être pas encore pris conscience.

L’année 2015 a été marquée par des évènements forts en Amérique latine. Le premier d’entre eux, grand symbole et petite révolution géopolitique, est le rétablissement des liens diplomatiques entre Cuba et les Etats-Unis. Autre évènement historique, l’annonce d’un accord de paix entre le gouvernement colombien et les FARC, devrait mettre fin au dernier conflit sur le sous-continent. Ces éléments constituent un aboutissement de la politique de solde des conflits issus de la guerre froide dont Barack Obama s’est fait le champion. Ils entraîneront peut être le continent vers une unification tant la division s’est opérée autour de la position des différents pays de la zone à l’égard des États-Unis. Unification qui va se faire à l’image et pour le plus grand profit de la puissance nord-américaine ou de manière plus équilibrée ? Ou bien au contraire le rapprochement avec les Etats-Unis va-t-il accuser le fossé entre d’un côté les nations de l’arc du pacifique, le Mexique, le Chili, la Colombie et le Pérou, et de l’autre, les pays du Mercosur et de l’ALBA, dont les deux principaux représentants, le Brésil et le Venezuela, sont en crise profonde ? La réponse se trouve en grande partie chez nous et dépendra de nos priorités.

De cette actualité politique, on parle peu en France et en Europe. Le premier objectif de ce rapport parlementaire a donc été de tenter de mieux comprendre et faire comprendre l’Amérique latine contemporaine et de convaincre nos pouvoirs publics de son importance stratégique pour la France. Il semblerait que nous n’ayons pas encore pris la mesure des transformations du sous-continent latino-américain : l’Amérique latine vient de vivre une décennie de progrès économiques et sociaux, c’est un sous-continent dont les ressources naturelles, et le potentiel, sont immenses, ce qui justifie, malgré les difficultés actuelles, son optimisme. Elle a aussi gagné son indépendance vis-à-vis du grand voisin nord-américain, et sa diplomatie est beaucoup plus pragmatique qu’avant.

La forte croissance économique de la dernière décennie, qui s’est accompagnée d’une réduction de la pauvreté et dans une moindre mesure des inégalités, s’est doublée d’une réelle stabilité politique que le récent feuilleton brésilien autour de la destitution de Dilma Roussef ne remet pas en cause pour l’instant. Le continent est désormais acquis à la paix et à la démocratie. Forte de ces succès intérieures, l’Amérique latine a multiplié les initiatives diplomatiques pour faire entendre sa voix singulière sur les grands enjeux de la planète – on se souvient de la stupeur des capitales européennes face à la proposition de médiation du Brésil avec l’Iran, ou encore du refus mexicain, pourtant grand allié des nord-américains, d’approuver l’intervention en Irak en 2003, on se souvient aussi de la dynamique diplomatie latino-américaine à l’égard de l’Afrique et Moyen-Orient.

Après une décennie de succès, l’Amérique latine connaît aujourd’hui une période de transition, que certains qualifient même de « fin de cycle ».

Pour l’économie, le modèle de développement qui a fait le succès de nombreux pays latino-américains s’essouffle et pourrait faire taire l’espoir de voir la région sortir de sa dépendance pluriséculaire à des puissances étrangères. Toute la question est de savoir si son extraversion économique et son insertion dans la mondialisation peut ou non devenir aujourd’hui un atout avec le basculement du centre de l’économie mondiale vers l’Asie.

Le super cycle des matières premières qui a bénéficié aux économies était lié aux processus d’industrialisation de l’Asie, en particulier de la Chine. Les contraintes de change qui avait placé la région sous la tutelle de Washington pendant des années ont disparu et permis à certains pays d’accumuler des réserves de change importantes. De plus, la démographie, qui a représenté une part importante de la croissance ces dernières années, se rapproche de celle des pays développés, les questions de vieillissement de la population et de nécessaire amélioration de la productivité se font jour. Enfin, la nouvelle classe moyenne vulnérable, qui nourrissait la demande interne, est la première touchée par le retournement de conjoncture.

Au plan politique, la détérioration de l’économie place les gouvernements, notamment dits « progressistes » au pouvoir depuis les années 2000, au Brésil, au Venezuela par exemple, mais pas seulement car des pays comme le Chili ou le Pérou sont aussi concernés, dans une position délicate : la crise met en doute le financement durable des politiques sociales en faveur de la réduction de la pauvreté et des inégalités qui avait en partie forgé leurs succès électoraux et dont la poursuite est essentielle à l’émergence économique du sous-continent. La période des troubles politiques est donc loin d’être close dans la région, d’autant que les nouvelles générations sont beaucoup plus exigeantes que les précédentes.

Au plan géopolitique enfin, l’Amérique latine s’est imposée depuis quelques années déjà comme un acteur diplomatique original (dénucléarisation du sous-continent, opposition à toute forme d’ingérence étrangère dans le règlement des crises ; défense du rôle des grandes instances et des valeurs du multilatéralisme). Mais les difficultés économiques et politiques actuelles annoncent peut-être une période d’introspection pour les diplomaties latino-américaines qui pourrait remettre en cause l’indépendance acquise sur la scène internationale ces dernières années. Le continent est aujourd’hui, en l’absence de Lula et Hugo Chavez, sans leadership, et divisé entre les pays du nord et les pays du sud, ceux de l’alliance atlantique et du Mercosur et de l’Alliance bolivarienne. Surtout, l’indépendance à l’égard des Etats-Unis pourrait se muer en dépendance par rapport à la Chine, qui a besoin des matières premières latino-américaines, et qui est devenue le principal partenaire commercial de nombreux pays de la zone et un des grands investisseurs dans la région.

L’hypothèse de ce rapport de mission est que ce n’est pas seulement la crise d’un continent que nous observons aujourd’hui, ce sont les effets sur ce continent d’une crise plus globale. L’Amérique latine est au cœur de la transformation du « système-monde ». Elle compte parmi ses membres des grands émergents comme le Brésil ou le Mexique qui veulent peser sur la gouvernance mondiale et sur le règlement des grands enjeux de la planète. Elle est au cœur de la question de l’équilibre entre préservation des ressources naturelles et croissance économique. Ainsi, selon un interlocuteur de la mission, on peut se demander si les mutations politiques et sociales à l’œuvre dans cette région sont le signe d’une reconfiguration géopolitique plus vaste, qui verrait s’éloigner chaque jour un peu plus les équilibres issus de la conférence de Yalta. La question soulevée par ce rapport de mission est de savoir si la sortie du sous-continent de son caractère périphérique, de son statut de pourvoyeur de matières premières au service de l’Europe, des États-Unis et aujourd’hui de l’Asie laisse-t-elle entrevoir un ordre mondial différent

La réponse n’est pas évidente : les décennies d’opulence n’ont pas été mises au service d’investissements d’avenir dans la région – dans les infrastructures, dans la recherche et le développement par exemple. Les crises d’alternance et de gouvernance connues par certains pays de la région montrent que les gouvernements progressistes vont avoir du mal à faire face aux attentes d’une population plus exigeante. Enfin l’unité du continent est très affectée par le pivot asiatique de l’économie mondiale : deux ensembles géopolitiques semblent se découper : des pays membres de l’alliance du pacifique, organisation plus jeune, plus libérale, et plus dynamique que son « concurrent », le Mercosur. Le rapport essaie de faire état de cette difficile phase de transition pour l’Amérique latine et sur les conséquences à en tirer pour notre diplomatie. Pour répondre à la question, la mission a rencontré à Paris des chercheurs, des personnalités politiques, des diplomates français et latino-américains. Elle s’est aussi rendue en mars dernier au Brésil, en Colombie et au Mexique. Le rapporteur a de plus pris part au voyage présidentiel au Pérou, en Argentine et en Uruguay.

Face à l’évolution de ce continent, que dire de la diplomatie française ?

Tout d’abord, la France sous-estime l’importance stratégique de l’Amérique latine et notre analyse a quelques années de retard.

La France n’a pas su profiter ces dernières années du relatif déclin nord-américain dans la zone et n’a pas mesuré les conséquences du rôle montant de la Chine dans la région, qui va devenir un enjeu de la compétition mondiale pour le contrôle des ressources. Nous avons des années de retard dans l’analyse en respectant la doctrine Monroe selon laquelle l’Amérique latine appartient aux Américains, alors que les nord-américains eux-mêmes semblent se résoudre à l’abandonner.

Ensuite, en Amérique latine, la France a un héritage d’une richesse inouïe et elle dispose d’un réseau diplomatique dense et dynamique. Mais elle manque cruellement d’une stratégie pour l’avenir.

Troisième remarque, nous avons encore une image positive en Amérique latine, et les deux grands moments de la diplomatie française dans la zone, portés par de Charles de Gaulle et François Mitterrand sont encore dans les mémoires. Charles de Gaulle avait en effet compris, et François Mitterand a conservé cet héritage, la forte sensibilité des latino-américains au discours d’indépendance de la France. Charles de Gaulle avait eu l’intuition de cette connivence naturelle, qui est un immense vecteur d’influence pour la France. Il ne faudrait pas galvauder une image construite depuis deux siècles chez les sud-américains par un alignement trop manifeste sur les États-Unis.

Il faut renouer avec l’esprit de cette diplomatie, dont les convergences, au-delà des clivages partisans, ont permis à la France de conserver jusqu’à aujourd’hui sa place de puissance moyenne à influence globale. Lorsque la France est fidèle à son histoire et à ses valeurs, elle gagne le cœur des latino-américains : la France, c’est le dialogue avec les grands émergents ; le souci d’apporter une réponse collective à des enjeux globaux comme le climat ou le narcotrafics ; la promotion d’un dialogue stratégique entre l’Union européenne et l’Amérique latine. Lorsque nous perdons ce rôle d’équilibre, les latino-américains nous oublient. Par exemple, sur les questions de cybersécurité, où notre pays a évidemment une carte à jouer, il est étonnant que le Brésil se soit tourné vers l’Allemagne et non la France pour porter une initiative, après l’affaire Snowden, visant à renforcer la souveraineté numérique de leur pays face aux Etats-Unis.

Enfin, il ne faut pas prêter le flanc aux critiques qui accusent notre pays d’avoir « une attitude schizophrénique – non parce qu’elle dit une chose et en fait une autre, bien que cela se produise parfois, mais parce que la France dit une chose et ensuite ne fait rien en Amérique latine. » Il serait a minima utile de mettre en place une grande commission stratégique franco-latino-américaine, qui réunirait des personnalités politiques, notamment des parlementaires, des membres de la société civile, des membres de l’administration, des chercheurs, pour identifier les priorités de notre dialogue politique et les voies de son renforcement.

M. Michel Vauzelle, rapporteur de la mission. L’origine de la mission : l’oubli de l’Amérique latine dans la réflexion diplomatique et politique française.

À l’origine de la demande faite à la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale de ce rapport, il y a d’abord l’observation faite en Amérique latine, du Brésil au Mexique en passant par la Colombie, d’une « attente de France ». Pourquoi cette attente de France ?

Le président de la mission vient de le rappeler, l’Amérique latine d’aujourd’hui n’a rien à voir avec ce qu’elle était il y a 20 ans : plus solide économiquement, le continent a relativement bien résisté à la crise de 2008 ; il compte plusieurs puissances émergentes, sa diplomatie, plus pragmatique, s’est ouverte à de nouveaux partenariats, particulièrement avec l’Asie ; c’est un continent pacifié, dont la transition démocratique a été exemplaire (certains pays sont en effet sortis de la dictature il y a quelques années seulement).

Dans cette période de transition, de jeunes dirigeants politiques, des chefs d’entreprises, des universitaires, des responsables de la société civile se tournent vers la France. Sous forte influence des États-Unis, face à une présence nouvelle de la Chine, ces leaders d’opinion travaillent pour concevoir un modèle latin face au modèle unique, de culture plutôt anglo-saxonne, de société mondialisée. Pour eux, la réponse n’est pas dans le modèle chinois, ni dans le modèle étatsunien, elle pourrait être dans le modèle français.

Notre diplomatie s’efforce de répondre à cette attente. Elle a rendu à l’Amérique latine une place plus conforme à son poids dans le monde. Il faut saluer cette réorientation diplomatique et souhaiter qu’elle soit cette fois marquée par la constance, la cohérence et la continuité – beaucoup de nos interlocuteurs ont en effet fustigé l’intermittence et le manque de priorités stratégiques de notre dialogue avec l’Amérique latine.

Nous pouvons mieux faire. Les latino-américains ne doivent pas être considérés seulement comme des clients pour notre commerce extérieur. Ils attendent un dialogue avec nous sur leur conception de l’avenir, une réflexion commune sur la politique sociale, l’éducation, l’aménagement du territoire ou la démocratie participative. Il s’agit par ce rapport d’appeler l’attention de l’Assemblée nationale sur la convergence des attentes des Français et des peuples d’Amérique latine dans cette période de crise grave.

Quelles pourraient être les priorités de la relance de notre dialogue avec l’Amérique latine ?

Aux yeux des pays d’Amérique latine, la France incarne à la fois :

– une capacité à être l’allié des grandes puissances de ce monde, les États-Unis en premier lieu, et un membre de l’Union européenne, sans perdre son indépendance de vue sur la scène internationale ;

– un modèle économique et social unique, une façon de penser le rôle de l’État dans la mondialisation, de promouvoir un modèle de développement qui s’appuie sur des valeurs humanistes héritées de la Révolution ;

– une identité culturelle et politique forte, attachée à promouvoir la diversité linguistique et les droits culturels.

Ce sont les trois grands axes de propositions du rapport que je vais à présent décliner : tout d’abord, construire un agenda concret autour des grands enjeux de la planète (le succès de la COP21 l’a replacée au cœur d’une diplomatie multilatérale, la France doit capitaliser sur cet acquis) ; ensuite appuyer la diplomatie économique sur une réflexion politique autour du développement durable ; enfin renforcer notre dialogue politique, culturel, scientifique et universitaire et le rendre plus réciproque – c’est le socle de notre relation à l’Amérique latine, et c’est, pour un coût limité, le meilleur levier de notre influence.

1. Au niveau multilatéral, le rapport propose de favoriser l’émergence d’un pôle latino-américain, allié naturel de la France pour répondre aux grands enjeux de la planète.

Pour commencer, le rapport suggère ici de soutenir l’unification du continent car elle est de nature à faire de l’Amérique latine un véritable pôle de puissance dans le monde multipolaire de demain, qui ne se confonde pas avec le monde nord-américain.

Bien sûr, il faut continuer d’épouser la diversité du continent au plan bilatéral. Ce serait nier la diversité des histoires, des populations, des cultures et des niveaux économiques. Surtout, il n’y a pas en Amérique latine de « petits pays ». Cuba, avec lequel la France a avant tous les autres, repris une politique de coopération dès 2010, en est le premier exemple : son poids économique est relatif à l’échelle du continent, son poids politique demeure immense.

Mais la France doit aussi favoriser toutes les initiatives qui tendent à créer des solidarités concrètes entre les pays du continent. Le rapport propose en ce sens de renforcer le dialogue stratégique avec l’UNASUR, dont nous avons reçu hier le secrétaire général, ensemble qui réunit 90% du PIB latino-américain et réunit le Mercosur et l’Alliance du Pacifique.

Deuxièmement, le rapport propose d’intensifier le dialogue bi régional entre l’Union européenne et l’Amérique latine. Ce dialogue est de l’avis unanime des personnes rencontrées, en déclin complet. Il faudrait faire des sommets UE-Amérique latine de vrais rendez-vous politiques, ce qu’ils ne sont pas aujourd’hui, autour d’un agenda resserré (infrastructures, énergie, sécurité et défense, développement durable, santé et politiques sociales). Remarque incidente, les questions commerciales, notamment la signature d’un accord avec le Mercosur doivent impérativement faire l’objet d’une discussion au plus haut niveau politique.

Enfin, les États d’Amérique latine, dans leur diversité, sont devenus indispensables pour répondre aux défis globaux de la planète. Ils sont aussi plus pragmatiques et exigeants dans leurs attentes. Le rapport propose que sur quelques thématiques transversales, l’on transforme nos convergences de vues en initiatives concrètes. Sans revenir sur toutes ses propositions, voici quelques pistes prometteuses:

– le rapport propose de renforcer notre dialogue avec les grands émergents comme le Mexique ou le Brésil, l’Argentine ou le Chili, pour faire bouger les lignes de la gouvernance mondiale ou réguler la mondialisation (à titre d’exemple, nous pourrions travailler avec les latino-américains sur les règlements des différends en matière d’investissement ou sur l’application extraterritoriale de la législation américaine);

– il est aussi suggéré de s’appuyer davantage sur les latino-américains dans la mise en œuvre de l’accord de Paris sur le climat, accord qui doit ouvrir la voie d’une nouvelle diplomatie du développement durable de la France dans la région ;

Le rapport propose aussi de :

– favoriser la coopération triangulaire Afrique-Europe-Amérique latine sur les questions de développement : ici aussi le Brésil, le Mexique ou la Colombie sont nos meilleurs alliés parmi les émergents

– promouvoir, dans la foulée de la dernière assemblée générale des Nations unies consacrée au sujet, une nouvelle approche des narcotrafics basée sur la co-responsabilisation tant le triangle Amérique du sud – Afrique – Europe est en passe de devenir la nouvelle route du narcotrafic ;

– élaborer enfin une nouvelle stratégie en matière de gouvernance d’internet, de cyber sécurité ou encore de e-démocratie.

2. Le rapport évalue dans un second temps la pertinence de notre diplomatie économique.

Comme le soulignait un interlocuteur de la mission, « il est inutile d’arriver au Brésil avec dans ses valises des hélicoptères ou nos grands champions nationaux ». En revanche, appuyer notre dialogue économique sur notre dialogue politique produira des résultats plus concluants.

Il ressort des travaux de notre mission qu’en Amérique latine, la France n’a pas le poids économique de la Chine ni la proximité géographique et historique des États-Unis, mais elle a une solide réputation en matière de politiques publiques dans les domaines qui intéressent les latino-américains. Le soft power français est un arbre aux puissantes racines qui ne demande qu’à fructifier.

Le rapport suggère donc, au plan de la méthode, de modifier le discours qui porte notre diplomatie économique. Les questions de développement et de transition économique doivent occuper une place centrale dans nos discussions avec l’Amérique latine.

Le rapport propose de développer des démarches intégrées qui joignent tous les volets de notre coopération. À titre d’exemple, les coopérations qui renforcent les échanges entre start-up innovantes et pôles de compétitivité, alliant transferts de technologie et formation, intéressent les pays latino-américains.

Le rapport suggère par ailleurs de se concentrer sur les besoins de l’Amérique latine, dans des domaines où la France a des compétences à faire valoir et où elle peut aussi apprendre de l’Amérique latine. Les échanges économiques avec l’Amérique latine doivent s’accompagner d’un dialogue politique renouvelé, attentif aux besoins d’un continent dont la réalité a changé, dont la diplomatie est devenue plus « pragmatique » et qui cherche à diversifier ses alliances pour relever les nombreux défis de son émergence. C’est particulièrement le cas en matière de ville durable, de transport, de protection de la biodiversité, de lutte contre la déforestation, de gestion de l’eau, d’urbanisme, de politiques sociales innovantes ou de santé publique, ou encore de consolidation des institutions et des services publics.

Il serait enfin avisé de mieux capter le financement des programmes européens et de mieux placer nos opérateurs nationaux.

3. Dernier volet de proposition du rapport, peut-être le plus important, repenser la participation politique et la diversité culturelle dans la mondialisation.

Si les travaux de la mission se sont naturellement intéressés à la coopération économique, c’est le domaine politique et culturel qu’elle a souhaité défricher en priorité. Tous nos interlocuteurs l’ont souligné: la France dispose encore d’une aura culturelle et politique qui compense son statut de puissance moyenne et qui est peut-être son seul avantage comparatif par rapport aux puissances concurrentes en Amérique latine.

Mais notre coopération souffre aussi de certains défauts selon les interlocuteurs de la mission : manque d’une politique à l’égard de la jeunesse ; politique linguistique qui pourrait être plus offensive et s’appuyer notamment sur les langues latines ; il en est de même de la défense de la diversité culturelle ; dialogue universitaire et scientifique qui manque d’ambition et cruellement de ressources ; enfin, les instances de discussion des sujets politiques et sociétaux, sur lesquels les latino-américains sont en demande, font défaut.

Pour pallier à ces insuffisances, le rapport fait des propositions pour renforcer le dialogue politique à travers des instruments d’influence encore trop peu utilisés tels que la diplomatie parlementaire, qui manque cruellement de moyens ; le dialogue au sein des conseils stratégiques franco-brésilien ou franco-mexicain où il serait urgent de sortir d’une logique purement économique et commerciale pour traiter de questions politiques et stratégiques. Autre outil essentiel, la coopération décentralisée : il ne faut pas oublier que la France a une frontière terrestre avec le Brésil et qu’elle est une puissance caribéenne.

Des outils peuvent être mobilisés mais pour quel contenu ? La coopération universitaire, scientifique et technique est un domaine dans lequel la France est attendue. La culture française, ses débats intellectuels sur des sujets aussi stratégiques que la laïcité, l’altérité, la mixité sociale, l’avenir de la jeunesse peut trouver un nouveau souffle à travers un dialogue mutuellement profitable avec l’Amérique du sud. Concernant la jeunesse, le rapport propose la création d’un Office latino-américain de la jeunesse à l’image de l’office franco-allemand qui a permis à des générations des deux pays de se connaître et de mieux se comprendre.

Un point sur la question culturelle qui est au cœur du rapport. Trois axes porteurs pour notre diplomatie d’influence dans la région, sur lesquels l’attente des latino-américains est forte nous ont semblé prioritaires :

– la modernité et l’innovation : notre diplomatie pourrait être dépoussiérée en faisant la part belle aux nouvelles technologies, aux arts vivants, aux médias et au cinéma ;

– le renforcement du volet scientifique et universitaire sur lequel j’ai déjà dit deux mots ;

– la défense de la diversité culturelle, linguistique et intellectuelle : ici, la francophonie est un levier d’influence immense. Elle peut se nourrir d’une latinité partagée et d’une plus grande réciprocité. Mais la diversité ne se réduit pas aux langues, elle peut porter aussi sur les normes et le droit applicable – la promotion du droit continental est par exemple une piste à approfondir.

Enfin, Paris a été longtemps la capitale culturelle et intellectuelle du monde latino-américain. C’est aujourd’hui Miami qui occupe cette place. Il faudrait réfléchir aux moyens de renforcer la présence latino-américaine en France. Faire de la Maison de l’Amérique latine une vraie vitrine de notre dialogue culturel et intellectuel, avec des moyens renforcés irait dans le bon sens.

M. Jean-Luc Bleunven. Vous avez évoqué la question de la Guyane. Le fait d’avoir cet espace particulier en Amérique latine est-il un avantage dans les relations entre l’Europe et l’Amérique latine, ou la France et l’Amérique latine ? Est-il au contraire perçu comme une enclave, comme un pays qui ne compte pas dans l’espace sud-américain ? Nous avons quelques intérêts à garder ce territoire et entretenir cette particularité.

Vous avez évoqué la COP 21. Les enjeux autour de la question environnementale sont importants. La conscience de ces enjeux sur l’avenir de la planète transparaît-elle dans la politique des pays d’Amérique latine ? Ont-ils la même conscience que nous en Europe ou dans les pays développés ? Est-ce que cela peut jouer dans les enjeux de relations entre l’Europe et l’Amérique latine ?

M. Michel Vauzelle. En ce qui concerne la Guyane, vous avez sans doute comme moi été très impressionné par le jour où le président Sarkozy est allé rencontrer le président brésilien à la frontière entre le Brésil et la France, sur l’Oyapock. Du côté français, il y avait deux gardes républicains en grande tenue avec leurs casques. Du côté brésilien, on a été étonné de voir que les gardes républicains portaient des plumes sur leur costume, de sorte à leur montrer qu’on était finalement proche d’eux dans leur manière de s’habiller. Cette petite plaisanterie - qui n’est pas drôle du tout je le reconnais - étant faite, on observe en Guyane un problème. Les Brésiliens s’étonnent naturellement de ne pas avoir besoin de visa pour se rendre en métropole alors que cela leur est imposé pour aller en Guyane. On comprend pourquoi : il y a une un tel dynamisme dans la démographie des pays proches de la Guyane que les Brésiliens s’installeraient volontiers en Guyane, tout en étant très amicaux dans leur attitude. Il y a également une forte pression du côté du Suriname.

La France joue dans les Caraïbes, en Martinique et en Guadeloupe, et dans les autres départements et possessions françaises en Amérique latine, une belle carte : elle peut développer une politique “étrangère” régionale intelligente, bien acceptée par ses voisins, et qui est pour nous une source à la fois de stabilité et d’enrichissement.

Pour ce qui est de la COP 21, l’Amérique latine, et le Mexique en particulier, nous a vigoureusement aidés pour la réussite de la conférence. Ce n’était pas évident et nous leur devons cela. L’application de cette politique doit faire intervenir beaucoup de bonne volonté. On a vu par exemple en Uruguay le président Correa proposer une quête mondiale pour ne pas exploiter le pétrole sous la forêt équatoriale en Équateur et ainsi sauver cette forêt. Cette initiative n’a évidemment pas récolté beaucoup de succès ni d’argent et par conséquent cette forêt sera détruite, car l’Équateur a besoin d’exploiter ce pétrole.

Il y a également du côté du Brésil des problèmes de corruption. J’aborde cette question avec beaucoup de prudence pour ne pas être injurieux à l’égard de nos amis brésiliens, mais la corruption comme la drogue sont de vrais problèmes. La corruption peut être très violente comme vous l’avez vu au Mexique, où le président lui-même a été déstabilisé lorsqu’on a découvert le massacre d’étudiants dans l’Etat de Guerrero. La corruption et l’attrait de l’argent font que des politiques sans doute sincères que souhaitent mener ces États sont battues en brèche par l’argent.

M. Bernard Lesterlin. Il faut mentionner l’importance de la base européenne de Kourou, qui dans les technologies avancées est un élément de développement et de présence européenne, et non exclusivement française, tout à fait capitale. Celle-ci ne va pas sans poser des problèmes, y compris de sécurité. Nous avons dû il y a 2 ou 3 ans mettre en place une zone de sécurité prioritaire autour de Kourou, qui est un peu un « miroir aux alouettes » au milieu de ce département français, qui d’ailleurs est resté français par un processus démocratique, et non par une outrance du néocolonialisme.

Ceci-dit, l’attraction des ressources aurifères du département de la Guyane sont un problème par rapport au Brésil. Vous pouvez imaginer à quel point les frontières entre la Guyane et le Brésil sont difficiles à surveiller, et à quel point l’exploitation clandestine des ressources aurifères de la Guyane peut être déstabilisantes pour ce pays et nécessitent pour nous un investissement lourd en forces de sécurité, y compris militaires.

La commission autorise la publication du rapport d’information à l’unanimité.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES ET DES VISITES EFFECTUÉES PAR LA MISSION

1) A Paris (dans l’ordre chronologique)

– Mme Kareen Rispal, directrice des Amériques et des Caraïbes et M. José Gomez directeur-adjoint des Amériques et des Caraïbes au ministère des affaires étrangères et du développement international

– Mme Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde, de M. Pomoyeo Pino et de Mme Geneviève Götzinger, direction des relations institutionnelles de France Médias Monde

– M. Olivier Dabène, chercheur à Sciences-Po

– M. Alain Rouquié, politologue, spécialiste de l’Amérique latine contemporaine, ancien directeur Amérique au Quai d’Orsay et Ambassadeur de France. (17 juin 2015)

– M. Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS sur les questions ibériques (Amérique latine et Espagne)

– Mme Anne-Marie Descotes, directrice à la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats, Mme Anne Grillo, directrice des affaires culturelles et M. Valéry Freland, directeur adjoint de la coopération culturelle, universitaire et de la recherche, au ministère des affaires étrangères et du développement international

– Mme Delphine Mercier, chercheuse au Laboratoire d’Economie et de Sociologie du Travail à l’Université d’Aix-Marseille

– M. Philippe Faure, président du Conseil stratégique franco-mexicain

– M. Bertrand Fort, délégué général à l’action extérieure des collectivités territoriales et M. Christophe Katsahian

– M. Georges Couffignal, Professeur émérite de Science politique, Université de la Sorbonne Nouvelle Paris 3 (IHEAL).

– M. Jean-Pierre Bel, envoyé personne du Président de la République pour l’Amérique latine et les Caraïbes, ancien Président du Sénat.

– M. Jean-Michel Blanquer, directeur général du groupe ESSEC, président de l’Institut des Amériques et Mme Morgane Richard, chargée de mission relations internationales

– M. Philippe Bastellica, chargé de mission auprès de la directrice des Amériques et des Caraïbes au ministère des affaires étrangères et du développement international

– M. Carlos Quenan, vice-président de l’Institution des Amériques (IDA) et Mme Morgane Richard, chargée de mission relations internationales

– Réception d’une délégation de députés péruviens, composée de M. Roberto Angulo Álvarez, député de la Libertad et président du groupe d’amitié, de M. Alejandro Aguinaga Recuenco, député de Lambayeque et de M. Yonhy Lescano Ancieta, député de Lima

– M. Christophe Ventura, chercheur associé à l’IRIS

– M. Régis Marodon, directeur du département Amérique latine et Caraïbes, M. Nicolas Meisel, économiste et Mme Zolika Boudbdallah, chargée des relations avec le Parlement à l’Agence française du développement

– Son Exc. M. Guillermo Dighiero Arriarte, Ambassadeur de la République orientale d’Uruguay en France et Mme Jimena Lima, première secrétaire

– Son Exc. M. Paul Cesar de Oliveira Campos, Ambassadeur du Brésil en France, M. Luiz Claudio Themud, conseiller et M. Audo Falerio-Pirassununga, ministre-conseiller

– M. Guillaume Long, ministre de la culture et du patrimoine e l’Équateur, accompagné de Mme Maria de la Paz Donoso, Ambassadrice de l’Équateur en France, de M. Jorge Luis Serrano, ministre attaché culturel, de M. Alfonso Segovia, conseiller politique de Mme Andrea Moscoso, troisième secrétaire attachée de coopération

– Son Exc. M. Federico Rengifo Velez, Ambassadeur de Colombie en France, accompagné de M. Sergio Rentrepo, ministre plénipotentiaire

– M. Sébastien Velut, Professeur à l’Université de Paris 3 – Sorbonne nouvelle, directeur délégué aux relations internationales de l’Université Sorbonne Paris Cité, directeur du CREDA (15 mars 2016)

– M. Dominique Vidal, Professeur de sociologie à l’Université de Paris 7 – Denis Diderot (UFR de sciences sociales) et de M. Yves Surel, Université Paris II – Panthéon-Assas, département de droit public et de science politique

– Table ronde « politique de développement durable et protection environnementale » avec Mme Martine Droulers, directeur de recherche au CNRS CREDA, géographe, Mme Elodie Salin, Maître de conférence à l’Université du Mans, géographe et Mme Maron Magnan, ingénieur de recherche, responsable administrative de l’Institut des Amériques

– M. Olivier Dabène, chercheur à Sciences-Po et M. Gaspard Estrada de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes de Sciences-Po

– M. Sergio Coronado, député de la 2ème circonscription des Français de l’étranger, Amérique latine et Caraïbes et M. Mathieu Hanotin, député de Seine-Saint-Denis, présidente du groupe d’amitié France-Haïti

– Son Exc. M. Jean Mendelson, ambassadeur de France à Cuba (2010-2014) lors des reprises des liens diplomatiques EU-Cuba et ambassadeur COP21 pour la région Amérique latine - Caraïbes

2) En République orientale d’Uruguay (du 25 au 26 février 2016)

– M. Raul Sendic, vice-Président de la République, Président du Sénat.

– Mme Moncia Xavier, Sénatrice, présidente de la commission des affaires étrangères du Parlement

– Visite de l’Alliance Française de Montevideo.

– M. Julio Maria Sanguinetti, ex-Président de la République.

2) Au Brésil (du 28 février au 2 mars 2016)

– Mme Sandra Fernandes, directrice adjointe IFB et Mme Inès da Silva, attachée culturelle.

– M. Fernando Haddad, maire de Sao Paulo.

– M. le Dr Claudinei Florencio, directeur exécutif du SINAENCO, syndicat des entreprises de conseil.

– M. Hartmut Glaser, secrétaire exécutif du Comité nestor da Internet.

– Réunion avec des membres de l’Institut de Recherche économique appliquée (IPEA) et de la Commission économique pour l’Amérique latine (CEPAL).

– M. Raphael Azeredo, directeur de département de l’environnement et des thèmes spécifiques (COP21).

– M. Osvaldo Biato, directeur Europe de l’Itamaraty.

– M. Aloysio Nunes, sénateur, président du groupe d’amitié interparlementaire Brésil-France et de la commission des relations extérieures et de défense nationale du Sénat.

– Rendez-vous avec la commission des relations extérieures et de défense nationale de la Chambre des députés, en présence de députés brésiliens : Mme. Bruna Furlan (PSDB-SP), première vice-présidente de la CREDN, M. Carlos Zarattini (PT6SP), deuxième vice-président, M. Heraclito Fortes (PSB-PI), le Subtenente Gonzaga (PDT-MG) et le secrétaire aux relations internationales de la Chambre, M. Atila Lins (PSD-AM).

– Réception à la résidence sur la mobilisation de la France contre le Zika

3) En Colombie (du 2 au 5 mars 2016)

– Réunion avec des parlementaires du Congrès : Mme Viviane Morales – sénatrice du parti lébéral, M. Telesforo Pedraza – représentant du parti conservateur, M. Antonio Navarro Wolff - sénateur de l’Alianza Verde, M. Ivan Cepeda – sénateur du Pôle Démocratique Alternatif, M. Pierre Garcia.

– M. Francisco Echeverri, vice-ministre des relations extérieures

– Réunion avec des représentants de l’Alliance française : M. Yves Kerouas – Directeur de l’Alliance française de Bogota, Mme Angélica Uribe Gaviria – Présidente de l’Alliance française de Bogota, M. Claude Chassaing – COCAC Ambassade de France, Mme Camille Buttin – Chargée de mission « Saisons croisées » au SCAC.

– M. Maurice Bernard, directeur de l’Agence française pour le Développement en Colombie.

– Réception de lancement de la semaine de la Francophonie, avec Mme Mariana Garces, ministre de la culture.

– Séance de travail « économique » avec M. Laurent Charpin – conseiller économique à l’ambassade de France, M. David Collas, M. Julien Defrance – conseiller économique régional adjoint - SER de Panama, Mme Madelaine Langland-Derocles présidente de la section des CCEF en Colombie et M. Olivier Huot – premier conseiller ambassade de France.

– Séance de travail « sécurité » avec M. Christophe Bergeon – attaché douanier, M. Georges Bonnefont – attaché de sécurité intérieure, M. Mickaël Peron – attaché de défense et M. Olivier Huot – premier conseiller Ambassade de France.

– M. Pablo Vieira, vice-ministre de l’environnement et Mme Andrea Guerrero, directrice des questions économiques, sociales et environnementales au MRE.

– Séance de travail avec des chercheurs, des intellectuels et des scientifiques francophones : Mme Claire Launay et M. Fabian Sanabria.

– Rencontre avec l’équipe du lycée français Louis Pasteur.

– Réunion avec les directeurs de l’Agence présidentielle de Coopération (APC) : M. Enrique Maruri – directeur d’offre de APC Colombia, Mme Carolina Gamez Argote – directrice de la demande de APC Colombia, M. Andres Uribe Orozco – directeur de gestion de la demande.

– Réunion avec M. Régis Guillaume – attaché de coopération universitaire au SCAC, Mme Sophie Stallini – attachée de coopération linguistique au SCAC et M. Olivier Huot – premier conseiller Ambassade de France.

4) Au Mexique (du 5 au 8 mars 2016)

– Rencontre avec des acteurs de la vie culturelle française ou mexicaine sur le thème « Coopération et dialogues culturels » : M. Jean-Paul Rebaud - COCAC, M. Carlos Quenan – attaché en sciences humaines et sociales.

– Rencontre avec les leaders d’opinion sur le thème « Cadrage global sur la situation du Mexique » : M. Luis de la Calle – chef d’entreprise, éditorialiste, M. Jean Meyer, M. François Prud’homme.

– Rencontre avec Mme Alejandra Lagunes (TCB) – Coordinatrice stratégique nationale digitale auprès de la présidence de la République ou M. Juan Padinas –directeur général du think tank IMCO, sur le thème « la révolution technologique et la coopération technologique avec la France ».

– Entretien avec M. Roberth Blancarte au Colmex, sur le thème « le Mexique et le multiculturalisme (migrations, intégration, laïcité) ».

– Rencontre avec des diplomates de la SRE sur des Thèmes mulilatériaux (institutions internationales, COP 21, Mexique et mondialisation) : M. Roberto Dondisch Glowinski – directeur général thème globaux SRE, Mme Vanessa Sanchez –directrice adjointe Europe SRE, M. Rodrigo Pintado – coordinador de asesores, M. Erasmo Alonso Lara Cabrera – directeur général Droits de l’Homme et démocratie SRE.

– Rencontre avec M. Alejandro Hope – éditorialiste, spécialiste du narcotrafic sur le thème « la lutte contre le narcotrafic et la conférence sur les drogues de l’AGNU en avril 2016 ».

– Rencontre avec Mme Ana Covarrubias, Mme Celia Toro, et M. Roberto Brena du COLMEX, sur le thème « le Mexique dans la mondialisation : institutions internationales, France et Mexique dans le concert des Nations ».

– Colloque sur la coopération décentralisée UE-Amérique latine.

– Réunion avec Mme Gabriela Cueva – sénatrice PAN, présidente commission relations extérieures au Sénat), M. Victor Giorgana – député, président de la commission relations extérieures de la chambre des députés, M. Rabindranath Salazar Solorio – sénateur, président de la commission relations extérieures Europe au Sénat, Mme Marcela Gonzalez Salas y Petricioli, députée TBC.

– Rencontre avec Mme Flor de Lis Vasquez – directrice RI INMUJERES.

ANNEXES

ANNEXE N° 1 : CARTE DE L’AMERIQUE LATINE

ANNEXE N° 2 : CARTE DES ACCORDS D’INTEGRATION REGIONAUX

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1 () Gustavo Tarre, « Perceptions latino-américaines », Annuaire français des relations internationales, 2000.

2 () Christophe Ventura, L'éveil d'un continent. Géopolitique de l'Amérique latine et de la Caraïbe, Paris, Armand Colin, 2014.

3 () Voir sur ce point l’ouvrage de Georges Couffignal, La nouvelle Amérique Latine. Laboratoire politique de l'Occident, Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Nouveaux débats », 2013.

4 () Alain Rouquié, « Amérique latine, introduction à l’extrême occident », Éditions du Seuil, 1998.

5 () Les enjeux du développement en Amérique latine, AFD, janvier 2014.

6 () Le plan Brady mis en œuvre en 1989 marque pour certains la fin de la crise de la dette des années 1980, par l'émission d'obligations et des réductions partielles de dettes.

7 () Pierre Salama, « Les Économies émergentes latino-américaines, entre cigales et fourmis », Armand-Colin, 2013.

8 () Expression utilisée par l’économiste John Williamson en 1990 pour faire référence à la dizaine de recommandations (discipline budgétaire, libéralisation commerciale etc…) élaborées par le Trésor américain et les institutions multilatérales telles que le FMI et la Banque mondiale.

9 () G. Estrada, secrétaire aux Relations extérieures du Mexique, a été l’inventeur d’une théorie de la reconnaissance des États faisant l’impasse sur la nature de leur gouvernement, au nom du respect des souverainetés.

10 () voir l’essai de Jean-Jacques Kourliandsky. « Amérique latine, insubordinations émergentes », Fondation Jean Jaurès, 2014.

11 () Cette fameuse doctrine élaborée en 1823, selon laquelle l’Amérique appartient aux américains a surtout permis d’assoir la prééminence des Etats-Unis sur le continent. La guerre contre le Mexique lui permettra d’annexer une bonne partie de son territoire. L’amendement Platt lui donne en 1901 un droit d’ingérence et d’intervention militaire à Cuba, et deux ans plus tard, ils obtiennent la concession à perpétuité du canal de Panama, et interviennent au début du siècle au Nicaragua, en Haiti, en République dominicaine. La première guerre mondiale précipitera enfin l’effacement des puissances européennes au profit de la domination politique, militaire, et culturelle des Etats-Unis dans la zone.

12 () L’ALBA regroupe Antigua-et-Barbuda, la Bolivie, Cuba, la Dominique, l’Équateur, le Nicaragua, Saint-Vincent-et-les Grenadines, Grenade, Saint-Christophe-et-Niévès, Sainte-Lucie et le Venezuela

13 () « De Gaulle et l’Amérique latine », Mauric Vaïsse (dir.), Presses universitaires de Rennes, 2014.

14 () Voir « La politique étrangère de la France vis à vis de l’Amérique latine », Georges Couffignal, Observatoire des changements politiques en Amérique latine, 2011.

15 () Les ministres des Relations extérieures du Mexique, de la Colombie, du Venezuela et de Panamá, réunis en 1983 dans l'île caribéenne de Contadora,proposent un « Accord pour la paix et la coopération en Amérique centrale » qui refuse la lecture d'affrontement bipolaire Est-Ouest des conflits centre-américains et souligne l'urgence de réformes internes dans chaque pays pour résoudre ces derniers. Ce « Groupe de Contadora » est né un an après la guerre des Malouines. Pendant quatre années, il va avec obstination proposer des solutions négociées aux conflits nicaraguayen et salvadorien. En 1985, il reçoit le renfort d'un « Groupe d'appui » constitué par l'Argentine, le Brésil, l'Uruguay et le Pérou, les trois premiers pays venant tout juste de recouvrer la démocratie, cela avec le soutien des États-Unis.

16 () Le 7 Août 1987 les Présidents du Guatemala, El Salvador, Honduras, Nicaragua et Costa Rica signèrent le « Traité d’Esquipulas II. Procédures pour Etablir une Paix Ferme et Durable en Amérique Centrale » établissant les bases pour la pacification de la région. Selon Georges Couffignal, « L'écho mondial qui accueillit ce plan fut amplifié par l'attribution du prix Nobel de la paix à son auteur. Le processus mis en place pour pacifier chacun des pays (négociations internes entre forces politiques et sociales sous l'égide de l'Église catholique) prévoyait que la réalisation de ses diverses étapes devait être vérifiée par des instances internationales. Les États centre-américains affirmaient ainsi une volonté singulière d'autonomie, et que beaucoup de pays extérieurs s'intéressaient à la zone et étaient appelés en renfort pour garantir le bon déroulement des processus de pacification ».

17 () Voir « La France en Amérique latine : quelles stratégies face aux reconfigurations régionales ? », entretien avec Jean-Jacques Kourliandsky, Fabrice Andréani et al, Mouvements, 2013/4 n°76.

18 () La France s’est engagée dans un effort d’une ampleur exceptionnelle pour accompagner une stratégie de développement en concertation avec le gouvernement haïtien et l’ensemble des bailleurs, notamment l’Union européenne. Les projets français concernent en priorité le rétablissement des capacités de l’État (magistrature, police, sécurité civile, cadastre) ainsi que des secteurs clés tels que l’éducation de base (envoi de volontaires dans le primaire) et l’enseignement supérieur (accueil de boursiers, gouvernance du système, mobilisation des universités françaises), la santé (reconstruction de l’hôpital de la capitale), la relance des projets agricoles et la sécurité alimentaire, la réhabilitation de quartiers populaires. Ils s’accompagnent d’initiatives dans le domaine culturel (constitution d’une bibliothèque numérique, mise à disposition de programmes télévisuels...), dont une à portée symbolique : le sauvetage et la restauration du tableau Le Serment des ancêtres, présenté au Louvre dans le cadre de l’exposition Le Musée monde imaginée par Jean-Marie Le Clézio.

19 () La Communauté des Caraïbes (CARICOM) rassemble 15 Etats des Caraïbes dont: Antigua et Barbuda, Bahamas, Barbados, Belize, Dominique, Haïti, Jamaïque, Grenades, Guyane, Montserrat, Ste. Lucie, Suriname, St. Kitts et Nevis, St. Vincent et les Grenadines, et Trinité et Tobago.

20 () L'Organisation des États de la Caraïbe orientale, composée de six membres qui sont d'anciennes colonies du Royaume-Uni. Les trois autres, Anguilla, Montserrat et les îles Vierges britanniques, sont toujours des Territoires britanniques d'outre-mer. La Martinique et la Guadeloupe ont tous deux demandé le statut de membre associé.

21 () L'Association des États de la Caraïbe.

22 () Union européenne l’interrégionalisme et les pays émergents, exemple du Brésil.

23 () Le partenariat 2007-2013 portait sur : la promotion de la paix et de la sécurité globale au travers d’un système mutilatéraliste dit « efficace » ; le renforcement du partenariat économique, social et écologique en vue d’encourager le développement durable ; l’exhortation à la coopération régionale ; la promotion de la science, des technologies et de l’innovation ; l’encouragement des échanges interpersonnels et culturels.

24 () L’Espagne a des intérêts économiques à défendre en Amérique latine, ayant largement utilisé la région pour exporter ses entreprises depuis la crise de 2008 ; l’Allemagne aussi, qui vient par exemple de signer un partenariat bilatéral stratégique avec le Mexique ou encore a mené une initiative conjointe avec Dilma Rousseff après l’affaire Snowden en matière de cybersécurité.

25 () Revue internationale et stratégique, Claude Heller, Union européenne et Amérique latine des relations à consolider.

26 () Créé en 2010 à l’initiative de la France est un consortium réunissant l’Espagne, la France, le Portugal, le Chili l’Argentine le Brésil, la Colombie, l’Uruguay et le Pérou, rare programme à s’attaquer aussi bien à traiter conjointement les questions de la demande de la production et du trafic.

27 () Créée en 1998 sous l’impulsion de l’administration Clinton, l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) a un rôle stratégique dans la gouvernance technique de l’internet puisqu’elle a la responsabilité du système de nommage, d’adressage et de paramétrage de l’internet. A ce titre, elle est en charge de la gestion notariale des données conservées et actualisées dans les ordinateurs-racines de l’internet.

28 () Deux dispositions sont ici en cause. D’une part, la disposition dite du « Stress Test 18 » vise à imposer à l’organe représentant les Etats – le GAC (Governmental Advisory Committee) - le consensus strict comme modalité de vote ce qui garantit de fait un droit de veto aux gouvernements, dont celui des Etats-Unis. Dans la pratique, cette disposition aurait pour conséquence de « neutraliser » le GAC vis-à-vis des autres instances de l’ICANN puisque que s’il n’atteint pas le consensus, ses avis ne seront pas pris en compte par le board. D’autre part, la disposition du « carve out » (expulsion) prévoit que le GAC, dans certaines situations, peuvent se voir priver de ses pouvoirs vis-à-vis du conseil d’administration de l’ICANN.

29 () http://www.opengovpartnership.org/

30 () Afrique du Sud * (co-présidence), Albanie, Argentine, Arménie, Australie, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Brésil *, Bulgarie, Canada, Chili, Colombie, Corée du Sud, Costa Rica, Croatie *, Danemark, El Salvador, Estonie, Espagne, Etats-Unis *, Finlande, France *, Géorgie *, Ghana, Grèce, Guatemala, Honduras, Hongrie, Indonésie *, Irlande, Israël, Italie, Jordanie, Kenya, Lettonie, Libéria, Lituanie, Macédoine, Malawi, Malte, Mexique *(présidence), Moldavie, Mongolie, Monténégro, Pays-Bas, Nouvelle Zélande, Norvège, Panama, Paraguay, Pays-Bas, Pérou, Philippines *, République Dominicaine, République Tchèque, Roumanie, Serbie, Sierra Leone, Slovaquie Suisse, Tanzanie *, Trinité-et-Tobago, Tunisie, Turquie, Ukraine, Royaume-Uni *, Uruguay.

31 () http://www.ogphub.org/

32 () http://www.opengovpartnership.org/about/open-government-declaration

33 Des pays toujours émergents ?, Pierre Salama, documentation française, 2014.

34 « La plus grande inégalité », in Finances & Développement Septembre 2015, Nora Lustig.

35 () Démarches concrètes engagées et incitations positives mises en place pour réduire les émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts et favoriser la conservation et l’augmentation des stocks de carbone forestier, ainsi que la gestion forestière durable dans les pays en développement.

36 () Cuba suivi de l’Argentine, de l’Uruguay, du Chili et du Mexique figurent parmi les systèmes les plus performants, contrairement à Haïti où l’espérance de vie plafonne encore à 61,5 ans.

37 () Ce programme, doté de 40 millions d’euros sur la période 2010-2014, avec prolongation sur 2015, est financé par l’Union européenne. Les bénéficiaires  sont les institutions publiques d’Amérique latine (18 pays éligibles). Le Consortium est composé d’institutions publiques : FIIAPP (leader, Esp) – Partenaires : Expertise France ; GIZ (All) ; IILA (It) ; APC (Co) ; ENAP (Br) ; SICA (Amérique centrale). Sur les 4 grandes aires thématiques que couvre EUROsociAL II, Expertise France participe à 3 d’entre elles : Justice et sécurité citoyenne / Politiques sociales/ Finances publiques inclusives.

38 () Georges Couffignal, La nouvelle Amérique Latine. Laboratoire politique de l'Occident, Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Nouveaux débats », 2013.

39 () Voir « les enjeux de développement en Amérique latine »

40 () Le Mexique a développé très tôt une politique de préservation des cultures « autochtones », avec par exemple la mise en place dès 1948 d’un Institut national indigéniste et un enseignement bilingue dans le primaires dans plus de trente langues indiennes.

41 () http://http://www.nodal.am/


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