N° 4456 - Rapport d'information de MM. Régis Juanico et Jacques Myard déposé en application de l'article 146-3 du règlement, par le comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l'évaluation de la régulation des jeux d'argent et de hasard




N° 4456

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 février 2017.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 146-3, alinéa 6, du Règlement

PAR LE COMITÉ D’ÉVALUATION ET DE CONTRÔLE DES POLITIQUES PUBLIQUES

SOMMAIRE

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Pages

SYNTHÈSE 7

PROPOSITIONS DES RAPPORTEURS 21

INTRODUCTION 23

I. MIEUX VEILLER AU DÉVELOPPEMENT ÉQUILIBRÉ DES DIFFÉRENTES CATÉGORIES DE JEUX 26

A. LE DYNAMISME DES PARIS SPORTIFS EN DUR A-T-IL CANNIBALISÉ LES PARIS HIPPIQUES ? 27

1. Des évolutions contrastées résultant de plusieurs causes 27

2. La nécessaire accélération de l’innovation en matière de paris hippiques 32

3. Le cas particulier des parieurs professionnels 33

B. LE FINANCEMENT MENACÉ DE LA FILIÈRE ÉQUINE 35

1. Les palliatifs mis en place depuis 2010 ne suffisent plus à masquer la vulnérabilité financière de l’institution des courses 36

2. Comment sauvegarder le modèle français d’organisation des courses ? 44

C. DES SECTEURS À L’ÉCONOMIE FRAGILE 47

1. Les casinos 47

a. Une reprise à consolider pour des établissements qui contribuent à l’animation de villes, y compris à l’écart des grands pôles urbains ou touristiques 47

b. Des établissements qui ont vécu des années difficiles et consenti des investissements importants pour rester à flot 50

c. Un accompagnement plus attentif des pouvoirs publics 55

2. Les opérateurs de jeux en ligne 57

II. HARMONISER PROGRESSIVEMENT LES OBLIGATIONS DES OPÉRATEURS EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT 64

A. LES AGRÉMENTS DES OPÉRATEURS 64

B. LA TRAÇABILITÉ DES OPÉRATIONS ET LA CONNAISSANCE DES CLIENTS 69

III. COMBLER LES CARENCES DU TRAITEMENT DU JEU PROBLÉMATIQUE 75

A. MIEUX IDENTIFIER LE PHÉNOMÈNE 75

1. Une intensification de la pratique du jeu 75

2. Des conséquences du jeu problématique mal connues 80

B. DIFFUSER LES BONNES PRATIQUES EN MATIÈRE DE JEU RESPONSABLE 82

1. La prévention 84

a. L’interdiction du jeu aux mineurs et les actions auprès des jeunes 84

b. Le fichier des interdits de jeu 86

c. Les messages de mise en garde 88

2. Le jeu responsable et la réduction des risques 88

a. Les initiatives développées par les opérateurs historiques 88

b. Les modérateurs de jeu 90

c. La recherche au service de la réduction des risques 91

3. La prise en charge des joueurs problématiques 91

IV. MAINTENIR LA VIGILANCE SUR L’INTÉGRITÉ DES OPÉRATIONS DE JEU 94

A. LUTTER CONTRE LES FRAUDES DANS LES COURSES HIPPIQUES 94

1. Les limitations tenant au jeu lui-même 95

2. Le contrôle des sociétés de course 96

a. La lutte anti-dopage 96

b. Les sanctions des sociétés de course 97

3. Les contrôles externes 97

B. PRÉSERVER LES PARIS SPORTIFS DES MANIPULATIONS 98

1. La loi visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs marque une avancée 98

a. Des interdictions plus nombreuses pour prévenir les conflits d’intérêts 98

b. La création d’un délit de corruption sportive 98

2. La convention de Macolin sur la manipulation des compétitions sportives et ses conséquences 99

a. Une initiative portée par le Conseil de l’Europe 99

b. Les suites en France 100

V. RENOUVELER LES MODES D’INTERVENTION DE LA RÉGULATION 101

A. COMBATTRE LES ARCHAÏSMES 102

1. Un cloisonnement obsolète et peu réactif 102

2. La prépondérance de la direction du budget 106

B. MODIFIER L’ORGANISATION DE LA RÉGULATION 107

1. Confier la réglementation à une instance interministérielle bien identifiée 108

2. Faire assurer la régulation par une autorité administrative indépendante au périmètre élargi 109

EXAMEN PAR LE COMITÉ 113

ANNEXE N° 1 : PROFILS DES JOUEURS ET PANORAMA DU JEU PROBLÉMATIQUE 125

ANNEXE N° 2 : PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS 139

CONTRIBUTION DE LA COUR DES COMPTES À L’ÉVALUATION DE LA RÉGULATION DES JEUX D’ARGENT ET DE HASARD 141

SYNTHÈSE

PROPOSITIONS DES RAPPORTEURS

Proposition n° 1 : évaluer l’expérimentation des paris sportifs événementiels menée dans certains points de vente de la Française des jeux à l’aide d’une analyse multicritères comprenant notamment la baisse des paris hippiques qui en découle, l’intégrité des opérations de jeux et le pouvoir addictogène, avant toute extension ou généralisation.

Proposition n° 2 : réexaminer la séparation des masses des enjeux des paris hippiques en dur et en ligne en l’accompagnant de mesures garantissant la concurrence comme la commercialisation sous marque blanche du Quinté +.

Proposition n° 3 : développer l’activité des parieurs professionnels résidant à l’étranger à condition de continuer à la contrôler étroitement en respectant les clauses contractuelles en vigueur.

Proposition n° 4 : optimiser le programme et le calendrier des courses proposées aux parieurs en valorisant leur rentabilité.

Proposition n° 5 : encourager l’institution des courses à engager la réforme de sa gestion interne en commençant par la fusion des directions support des sociétés mères et du PMU.

Proposition n° 6 : favoriser l’expérimentation de nouveaux jeux de casino ou de nouvelles formes de jeu existant, en accélérant le traitement des demandes d’autorisation.

Proposition n° 7 : substituer le produit brut des jeux aux mises comme assiette de la fiscalité sur le poker en ligne et mettre à l’étude cette substitution pour l’ensemble des prélèvements portant sur les jeux d’argent et de hasard.

Proposition n° 8 : soumettre à une autorisation administrative préalable toute évolution de la répartition du capital social et du contrôle des sociétés titulaires d’une autorisation d’exploitation d’un casino.

Proposition n° 9 : soumettre l’autorisation de gérer un point de vente de la Française des jeux aux résultats d’une enquête administrative, conformément à la procédure applicable pour les points de vente du PMU.

Proposition n° 10 : soumettre les opérations de jeu à la lecture automatisée d’un document d’identité afin de s’assurer que les joueurs sont majeurs dans les points de vente du PMU et de la Française des jeux.

Proposition n° 11 : adapter les informations attendues de l’application du régime de la relation d’affaires aux moyens dont disposent réellement les casinos.

Proposition n° 12 : mettre en place une étude scientifique sur le coût social du jeu problématique intégrant les coûts actuellement non quantifiés.

Proposition n° 13 : étendre la consultation du fichier des interdits de jeu au réseau des points de vente physique du PMU et de la Française des jeux.

Proposition n° 14 : interdire les prises de paris sur les compétitions sportives susceptibles de manipulation.

Proposition n° 15 : créer un comité interministériel responsable de la définition de la politique publique des jeux d’argent et de hasard, comprenant des représentants des ministères en charge du budget, de l’intérieur, de l’agriculture, de la santé, des sports et de l’économie.

Proposition n° 16 : confier la régulation des jeux d’argent et de hasard à une autorité administrative indépendante unique :

– confier la régulation de l’ensemble des jeux d’argent et de hasard en dur et en ligne à une autorité administrative indépendante regroupant l’Autorité de régulation des jeux en ligne, la commission des jeux sous droits exclusifs, la commission consultative des jeux de cercles et de casinos ;

– renforcer la coopération de l’instance de régulation avec les pouvoirs publics en prévoyant la nomination d’un commissaire du gouvernement auprès d’elle et la présence de deux parlementaires au sein de son collège.

INTRODUCTION

Lors de sa réunion du 8 octobre 2015, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) a décidé d’inscrire à son programme de travail une évaluation de la régulation des jeux d’argent et de hasard sur proposition du groupe « Les Républicains ».

Le 3 novembre 2015, le CEC a désigné les deux rapporteurs de cette évaluation : M. Régis Juanico, membre du groupe « Socialiste, écologiste et républicain », et M. Jacques Myard, membre du groupe « Les Républicains ».

Sur le fondement de l’article L. 132-5 du code des juridictions financières, le président de l’Assemblée nationale a, sur proposition du CEC, demandé l’assistance de la Cour des comptes afin de réaliser cette évaluation. Par lettre du 17 novembre 2015, le Premier président de la Cour des comptes a confirmé son accord pour procéder à cette évaluation qui a été confiée à une formation associant les première, quatrième et septième chambres de la Cour.

Les rapporteurs du CEC ont rencontré régulièrement les magistrats de la Cour des comptes afin d’être tenus informés de leurs travaux et de leur faire part de leurs observations.

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, a présenté au CEC le rapport de la juridiction financière, le 19 octobre 2016. Le compte rendu de cette présentation ainsi que le rapport de la Cour sont joints au présent rapport.

À la suite de cette présentation, les rapporteurs ont tenu vingt auditions et ont organisé une table ronde consacrée à la régulation des jeux en ligne, au cours des mois de novembre et décembre 2016.

L’approche des rapporteurs n’a pas été de refaire l’évaluation élaborée par la Cour des comptes à leur demande, mais plutôt d’en approfondir les tenants et aboutissants et de mieux mesurer l’impact de certaines de ses propositions, en les confrontant à l’analyse des principales parties prenantes.

Comme la Cour, ils ont relevé les nombreuses insuffisances de cette régulation, au regard notamment des objectifs fixés par la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, au point qu’ils estiment difficile d’affirmer qu’il existe une réelle politique des jeux dans notre pays.

C’est la raison pour laquelle ils appellent de leurs vœux une profonde réorganisation de cette régulation qui souffre actuellement d’un cloisonnement excessif reposant sur des fondements obsolètes.

Comme de nombreux pays, la France a longtemps interdit les jeux d’argent et de hasard et cette prohibition constitue encore le principe de la politique publique des jeux, comme l’établit l’article L. 322-1 du code de la sécurité intérieure (CSI) au terme duquel « les loteries de toute espèce sont prohibées ».

Sont ainsi prohibées « d’une manière générale, toutes opérations offertes au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquelles un sacrifice financier est exigé par l’opérateur de la part des participants » et « Cette interdiction recouvre les jeux dont le fonctionnement repose sur le savoir-faire du joueur. Le sacrifice financier est établi dans les cas où l’organisateur exige une avance financière de la part des participants, même si un remboursement ultérieur est rendu possible par le règlement du jeu » (articles L. 322-2 et L. 322-2-1 du CSI).

C’est par dérogation à l’interdiction générale qu’ont été progressivement autorisés :

– le pari sur les courses de chevaux (loi du 2 juin 1891 ayant pour objet de réglementer l’autorisation et le fonctionnement des courses de chevaux) ;

– les casinos (loi du 15 juin 1907 et articles L. 321-1 et suivants du CSI) ;

– les cercles de jeux (articles 47 et 49 de la loi du 30 juin 1923 portant fixation du budget général de l’exercice 1923), dispositif en instance d’abrogation au profit des clubs de jeux autorisés à Paris à titre expérimental par le projet de loi relatif au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain ;

– les loteries et paris sportifs de la Française des jeux (article 136 de la loi de finances du 31 mai 1933 et article 42 de la loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984 de finances pour 1985) ;

– les compétitions de jeux vidéo (articles L. 321-8 et suivants du CSI) ;

– les loteries destinées exclusivement à des actes de bienfaisance (article L. 322-3 du CSI) ;

– les lotos traditionnels (article L. 322-4 du CSI) ;

– les loteries foraines (articles L. 322-5 et L. 322-6 du CSI).

La politique publique de régulation des jeux d’argent demeure marquée par cette prohibition d’origine puisqu’à l’opposé de toute autre activité économique, tout ce qui n’est pas explicitement autorisé par les pouvoirs publics est interdit, ce qui est forcément un frein au dynamisme et à la créativité. Elle subit aussi les conséquences de cette construction incrémentale puisque les différents segments d’activité progressivement autorisés sont régulés par des entités administratives différentes, essentiellement pour des raisons historiques.

De même, parce que les jeux d’argent et de hasard peuvent susciter ou attirer des activités enfreignant l’ordre public, leur exploitation obéit à une organisation très dérogatoire aux règles applicables dans une économie de marché, notamment au regard du droit de la concurrence, qu’il soit interne ou communautaire.

Le Conseil d’État vient encore dans un arrêt en date du 9 décembre 2016 (M. Fouchet n° 385934) de justifier le monopole du Paris mutuel urbain (PMU) en matière de paris hippiques en dur, et les dérogations aux principes fondateurs de l’Union européenne de liberté d’établissement (article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) et de libre prestation des services (article 56 du même traité) qui l’accompagnent, par des raisons impérieuses d’intérêt général que sont la lutte contre la fraude, la prévention des risques d’une exploitation des jeux d’argent à des fins criminelles et la prévention des phénomènes de dépendance.

La légitimité des monopoles du PMU et de la Française des jeux repose ainsi sur une politique de contrôle interne des activités de jeux, dont l’effectivité fait l’objet d’un examen attentif et détaillé du juge, tant national que communautaire. Ces activités sous monopole sur les jeux en dur coexistent avec une concurrence plus affirmée sur certains segments de jeux en ligne depuis la loi de 2010, ce qui ne facilite pas le pilotage global de la politique des jeux.

Les rapporteurs ont bien conscience du poids des particularismes des activités de jeux qui expliquent en partie la fragmentation du paysage institutionnel dans ce secteur mais ils estiment, plus de six ans après la libéralisation partielle des jeux en ligne, qu’une nouvelle réforme est désormais souhaitable, compte tenu des insuffisances constatées dans l’atteinte des objectifs fixés à cette politique publique par la loi du 12 mai 2010 et dont ils rappellent la liste :

– prévenir le jeu excessif ou pathologique et protéger les mineurs,

– assurer l’intégrité, la fiabilité et la transparence des opérations de jeu,

– prévenir les activités frauduleuses ou criminelles ainsi que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme,

– veiller au développement équilibré et équitable des différents types de jeu afin d’éviter toute déstabilisation économique des filières concernées.

I. MIEUX VEILLER AU DÉVELOPPEMENT ÉQUILIBRÉ DES DIFFÉRENTES CATÉGORIES DE JEUX

Les pouvoirs publics ont clairement échoué à ménager un équilibre entre les différentes catégories de jeux dans la période récente, malgré certains efforts de compensation entrepris grâce à la fiscalité.

Les paris sportifs en dur et en ligne bénéficient d’un développement important, les jeux de loterie et de grattage se maintiennent à un niveau élevé tandis que les casinos amorcent une timide reprise après des années de marasme.

La vraie surprise est l’échec du poker en ligne et la faible rentabilité des opérateurs dits alternatifs apparus à la faveur de l’ouverture à la concurrence opérée par la loi de 2010 pour les jeux en ligne.

L’inquiétude majeure provient de la décroissance qui semble tendancielle des paris hippiques alors que la filière équine est financée par les revenus générés par l’institution des courses.

Ces évolutions contrastées doivent être prises en compte au regard de la revue de littérature consacrée aux retombées économiques des industries du jeu opérée par Mme Sophie Massin, de l’université d’Aix-Marseille, retenue à l’issue d’un appel d’offre de l’Observatoire des jeux (ODJ) (1). Il en ressort que « les formes de jeu associées à un lieu (casinos et hippodromes) sont les seules à valoriser l’infrastructure du territoire, mais aussi à imposer des coûts d’infrastructure. Les casinos de destination (2) présentent le meilleur potentiel [en termes] de retombées économiques pour les autres entreprises locales, que ce soit au niveau des recettes, de la création de nouveaux commerces ou de l’emploi. Les hippodromes ont tendance à alimenter une plus grande variété d’entreprises que les autres formes de jeu. »

Avec toute la prudence que commande une démarche scientifique, le rapport conclut que les appareils de jeu électroniques (AJE) en continu, disponibles en permanence, accroissent le nombre de joueurs problématiques et constituent la forme de jeu « qui exige le moins de main-d’œuvre ». Le document se montre également favorable aux jeux en ligne, à l’exception, bien sûr, de l’équivalent des AJE, et aux loteries.

A. LE DYNAMISME DES PARIS SPORTIFS EN DUR A-T-IL CANNIBALISÉ LES PARIS HIPPIQUES ?

L’ensemble des acteurs de l’institution des courses entendus par les rapporteurs ont relevé la corrélation des évolutions opposées (effet de ciseau) des paris sportifs et des paris hippiques en dur et évoqué un processus de cannibalisation et de transfert massif d’un segment à l’autre, avant de déplorer une insuffisante attention des pouvoirs publics à ce phénomène. Nombre d’entre eux ont ainsi estimé que l’absence de régulation du dynamisme commercial de l’autre opérateur historique bénéficiant d’un monopole, la Française des jeux, avait contribué à accélérer et augmenter cette tendance.

Au vu des chiffres et des analyses que les rapporteurs ont sollicités des deux opérateurs, il apparaît que ce phénomène de cannibalisation a bien existé mais qu’il est loin d’expliquer à lui seul l’évolution négative des paris hippiques, ce que le PMU a d’ailleurs reconnu en mettant au point une stratégie de croissance dite « plan PMU 2020 » destinée à pallier les faiblesses intrinsèques des paris hippiques.

1. Des évolutions contrastées résultant de plusieurs causes

L’effet de ciseau entre les paris sportifs et les paris hippiques en dur est manifeste depuis 2010 et il est massif puisqu’il porte sur plus d’un milliard d’euros.

ÉVOLUTION COMPARÉE DES ENJEUX HIPPIQUES ET SPORTIFS DANS LE RÉSEAU

Source : France Galop.

La seule constatation d’une corrélation des flux ne suffit pas à établir une causalité, en d’autres termes, les mauvaises performances des paris hippiques dans le réseau des points de vente, qui ont encore baissé de 4 % en 2016 pour passer sous la barre des 7 milliards d’euros, ne résultent peut-être pas du dynamisme des paris sportifs mais d’autres causes plus structurelles.

L’observation plus fine des chiffres tend toutefois à établir un mécanisme de transfert puisque les paris hippiques baissent beaucoup plus dans les 9 000 points de vente qui commercialisent aussi des paris sportifs (– 3,9 % en 2015) que dans les 4 000 points de vente exclusivement consacrés aux paris hippiques (– 0,5 % en 2015). L’analyse plus qualitative tend à montrer que des parieurs hippiques se laissent séduire par l’attrait des paris sportifs et que, leurs ressources n’étant pas extensibles à l’infini, ils arbitrent en misant moins qu’avant sur les courses.

On relève plusieurs facteurs encourageant cette tendance comme :

– un fort taux de mixité des clientèles dans le réseau de point de vente (27 % des parieurs PMU jouent aux paris sportifs en point de vente), avec des pics bien plus hauts lors d’événements comme l’Euro ou la Coupe du Monde de football ;

– la politique de la FDJ pour séduire les parieurs hippiques, qualifiée « d’offensive » par le PMU : campagnes de publicité pour son offre sportive dans la presse spécialisée hippique, repositionnement du « Loto Foot 7&15 » sur le même créneau « Gros Gains » que le Quinté + (sur tous les week-ends de championnat, Loto Foot 15 propose un pactole minimum de 500 000 euros, qui peut monter jusqu’à 3 millions d’euros), avec au moins un gagnant une fois sur deux en moyenne. La FDJ répond à cette mise en cause qu’elle ne consacre qu’un budget très limité à la publi-promotion de son offre de paris sportifs (12 millions d’euros en 2015 soit 0,55 % des mises sur les paris sportifs) alors que le PMU a singulièrement augmenté son effort dans ce domaine ces dernières années (107 millions d’euros en 2015 soit 1,3 % des mises pour l’ensemble des paris hippiques et sportifs) ;

– une motivation accrue des buralistes à mettre en avant les paris sportifs par rapport aux paris hippiques : 75,6 % des points de vente PMU distribuent également l’offre de paris sportifs de la FDJ et l’écart des taux de commission les incite fortement à mettre en avant le pari sportif puisque la FDJ leur verse une commission de 5,2 % bruts sur les enjeux sportifs, qui correspond à un taux moyen net des locations et refacturations aux points de vente (mobilier, assurances, cautions, etc.) estimé à 4,7 %, alors que le taux de rémunération pratiqué par le PMU sur les paris hippiques est d’environ 2 % des enjeux.

Parallèlement, les paris sportifs exercent une attraction propre qui se traduit par une bonne pénétration tendancielle dans la population et que l’on peut notamment expliquer par :

– une très forte audience : 70 % des Français s’intéressent au sport même si seulement 7 % sont effectivement parieurs, contre 10 % seulement aux courses hippiques (en revanche, quasiment tous des parieurs hippiques) et ce différentiel montre le potentiel de développement du pari sportif (le taux moyen de pénétration des paris sportifs en Europe est de 12%);

– la couverture médiatique des événements sportifs est incomparable à celle des courses ;

– le caractère « intuitif » des paris sportifs puisque chaque « fan » a un avis sur l’issue d’une compétition comme un match de football alors que le pronostic des courses nécessite une réelle expertise bâtie sur la connaissance des chevaux et des jockeys.

Enfin, il faut relativiser l’impact de cette baisse des paris hippiques en dur en observant qu’elle s’est accompagnée, au moins en début de période, d’une montée en puissance des paris hippiques en ligne qui sont passés de 452 millions d’euros en 2010 (année incomplète) à 1,124 milliard d’euros en 2012, date à partir de laquelle ils ont commencé à stagner puis à baisser, tendance qui s’est accélérée en 2016 avec une chute de 9 % des mises et un montant de 924 millions d’euros, le plus bas jamais atteint en année pleine.

Même si ce segment des paris hippiques en ligne, à la différence des paris en dur, est soumis à la concurrence, le PMU en capte encore plus de 80 % mais au prix d’investissements élevés (voir infra) et d’une rentabilité faible.

Le marché en ligne illustre aussi le dynamisme asymétrique des paris hippiques qui déclinent et des paris sportifs qui observent une croissance soutenue (entre 20 et 30 % par an), les courbes se croisant pour la première fois en 2014, année au cours de laquelle les paris sportifs en ligne ont dépassé les paris hippiques en ligne (1,109 milliard d’euros contre 1,034 milliard). Cette tendance ne paraît pas près de s’inverser puisqu’en 2016 les enjeux des paris sportifs en ligne ont augmenté de 45 % pour atteindre 2,080 milliards d’euros, soit plus du double des paris hippiques.

L’existence de ce débat sur la cannibalisation montre qu’il existe une réelle rivalité entre les deux opérateurs historiques bénéficiant de monopoles et que les pouvoirs publics peinent à la canaliser ou s’en désintéressent. On peut ainsi relever que le PMU s’est lancé avec un certain succès dans l’activité de paris sportifs en ligne (il est en deuxième position là où la FDJ est cinquième) et qu’il a sérieusement envisagé cette activité en dur ce qui aurait constitué une étrange offensive sur le fief de la FDJ, laquelle n’a jamais entrepris de se lancer dans les paris hippiques.

Les rapporteurs estiment qu’il revient aux pouvoirs publics de veiller à la pacification des relations entre ces deux opérateurs en contrôlant plus étroitement les initiatives agressives de l’un ou de l’autre.

C’est la raison pour laquelle ils sont particulièrement attentifs à l’expérimentation de paris événementiels en points de vente envisagée pour 2017 par la FDJ.

Cette expérimentation, que la FDJ qualifie de paris événementiels, consiste bien à autoriser des paris en direct « live betting », c’est-à-dire après le coup d’envoi, pour un certain nombre de manifestations sportives, dans une centaine de points de vente, conformément à ce qui est déjà autorisé pour les paris sportifs en ligne. Elle est très redoutée du PMU qui s’attend à de nouveaux transferts d’enjeux dans les points de vente qu’il partage avec la FDJ. Il s’agirait d’un nouvel avantage comparatif par rapport aux paris hippiques.

Les rapporteurs rappellent en effet que si le pari en direct est autorisé pour les paris sportifs qui sont des paris à cote, il s’avère contraire au fondement du pari mutuel qui est l’égalité entre parieurs et interdit par l’article 11 de la loi du 12 mai 2010. En effet, un parieur qui engagerait son pari à un instant t aurait, selon le déroulement de la course, automatiquement plus de chance que celui ayant engagé un pari à t–1. De par la nature même de certaines épreuves (x mètres en ligne droite par exemple), les chevaux partant en tête ont de très grandes chances d’être aux premières places à l’arrivée de l’épreuve. C’est la raison pour laquelle aucun pari n’est accepté après le départ de l’épreuve.

De plus, les courses hippiques sont régies par le code de leur spécialité (trot ou galop). Un pari ne peut porter que sur le résultat officiel d’une ou plusieurs épreuves hippiques. Le résultat officiel d’une course ne peut porter que sur des numéros de chevaux classés aux places bénéficiant d’une allocation au sens des codes des courses. De ce fait, il n’existe pas, contrairement aux autres manifestations sportives, de résultats intermédiaires officiels et contrôlables ne pouvant pas prêter à contestation.

Les rapporteurs souhaitent donc que cette expérimentation ne concerne qu’un périmètre réduit, tant en nombre de paris que de points de vente, et que son extension soit soumise aux résultats d’une évaluation multicritères intégrant notamment la baisse des paris hippiques qui en découle, l’intégrité des opérations de jeux et le pouvoir addictogène de ce type de paris. Cette étude d’impact devrait être élargie à l’évaluation globale de l’ensemble des dispositifs existant actuellement, quels que soient la forme de paris considérée et le canal de distribution.

Proposition n° 1 : évaluer l’expérimentation des paris sportifs évènementiels menée dans certains points de vente de la Française des jeux à l’aide d’une analyse multicritères comprenant notamment la baisse des paris hippiques qui en découle, l’intégrité des opérations de jeux et le pouvoir addictogène, avant toute extension ou généralisation.

Plus globalement, ils appellent de leurs vœux une meilleure coopération des deux opérateurs historiques, dans le respect de la concurrence, qui pourrait notamment porter sur la conception des jeux ou la rationalisation des dépenses d’équipement dans le réseau des points de vente qu’ils partagent.

Au-delà de la séduction des paris sportifs, il existe d’autres raisons plus structurelles à la baisse des paris hippiques, comme la difficulté à renouveler la population des parieurs qui se traduit par l’érosion de la base clients du PMU et la baisse tendancielle du taux de pénétration des turfistes dans la population française.

ÉVOLUTION DU TAUX DE PÉNÉTRATION DU PMU ET DU TAUX D’ INTÉRÊT
POUR LES COURSES HIPPIQUES

Base : National représentatif 18+

Source : France Galop.

La baisse du taux de pénétration des parieurs hippiques est tendancielle depuis 2006 même si elle a connu une stabilisation entre 2009 et 2012 du fait probablement de la stratégie de densification de l’offre de courses qui a par ailleurs coûté cher à l’institution des courses (voir infra). La population des turfistes se caractérise par un âge élevé (50 ans en moyenne, seulement 28 % ont moins de 35 ans contre 58 % pour les parieurs sportifs) et par une surreprésentation des hommes et des catégories socio-professionnelles modestes.

Il faut aussi noter que la tendance de fond des paris hippiques est négative dans la plupart des pays notamment dans ceux qui, comme l’Italie, se sont ouverts à de nombreux autres supports de paris dans une période brève. Dans ce pays la spirale négative a conduit les paris hippiques d’un montant de 3 milliards d’euros à 0,7 milliard entre 2003 et 2014, et la part de marché de plus de 19 % à moins de 1 %.

Afin de lutter contre ces tendances négatives, le PMU a défini une stratégie offensive que les pouvoirs publics ont le devoir d’accompagner plus activement.

2. La nécessaire accélération de l’innovation en matière de paris hippiques

Face à une conjoncture morose, le PMU a réagi en adoptant une stratégie plus offensive baptisée « plan PMU 2020 » dont les effets ne sont pas encore tangibles.

Les rapporteurs estiment qu’il convient d’en accélérer le déploiement et plaident pour un accompagnement plus dynamique de la part des pouvoirs publics, sous peine de devoir repenser l’organisation de la filière équine dont les paris hippiques constituent l’essentiel du financement.

Il faut noter que cet effort d’innovation a été considérablement ralenti pendant deux ans du fait des suites de la décision de l’Autorité de la concurrence en date du 25 février 2014 qui a imposé au PMU la séparation des masses des enjeux en dur et en ligne.

Il est avéré que dans le domaine des jeux de répartition (pari mutuel) dans lesquels les joueurs se partagent les gains et les pertes sans intervention de l’opérateur, le fait de disposer d’un important volume de liquidités est un avantage. L’Autorité de la concurrence a estimé que la mutualisation réalisée par le PMU entre les masses d’enjeux qu’il enregistrait en ligne et celles générées par son monopole en dur constituait un avantage concurrentiel par rapport aux nouveaux opérateurs en ligne et elle l’a sommé de mettre un terme à cette pratique avant fin 2015.

Ce chantier a mobilisé les ressources informatiques du PMU pendant deux ans pour un coût de 11 millions d’euros et a gelé d’importants autres projets innovants. Le PMU estime de plus que cette décision a contribué à la constatation d’une réduction de ses enjeux en 2016 par rapport à 2015 de l’ordre de 120 millions d’euros qui n’a que très partiellement été captée par les opérateurs alternatifs (13 % au premier semestre 2016) et qu’elle s’est finalement traduite par une baisse générale des enjeux en ligne et par une perte de valeur pour l’ensemble du marché.

Les résultats de l’ensemble de l’année 2016 semblent conforter cette position, comme l’écrit l’ARJEL dans ses premières analyses : « La séparation des masses entre le réseau physique et l’offre en ligne du PMU intervenue le 10 décembre 2015 a très certainement eu un impact fort sur l’activité hippique en ligne en 2016, en altérant son attractivité ».

Les rapporteurs estiment que cette décision pourrait être réexaminée sous réserve de la mise en place de mesures d’accompagnement garantissant la concurrence, comme la possibilité pour les opérateurs alternatifs de commercialiser sous marque blanche le Quinté +, produit phare du PMU qui génère les plus gros gains.

Proposition n° 2 : réexaminer la séparation des masses des enjeux des paris hippiques en dur et en ligne en l’accompagnant de mesures garantissant la concurrence comme la commercialisation sous marque blanche du Quinté +.

En 2016, le PMU a repris son effort d’innovation en proposant de nouveaux produits comme la prise de paris en dur par SMS, afin d’offrir une alternative mobile aux clients en ligne impactés par la séparation des masses ou un nouveau Quinté + offrant la possibilité de gains plus élevés.

Parallèlement, il a poursuivi la modernisation de son réseau physique (plus de 13 000 points de vente) consistant en un renouvellement du mobilier, de la signalétique, des écrans, des équipements de prises de paris (bornes) avec un taux de couverture à 50 % en nombre de points de vente et à 70 % en chiffre d’affaires à la fin 2016.

Il a aussi développé un produit spécifique pour la conquête de nouveaux parieurs avec l’équipement Hipigo (composé d’une borne de prise de paris et d’un écran télévisé) destiné aux néophytes, ainsi qu’un réseau spécialisé pour la reconquête de centres villes dans des zones difficilement accessibles à ses modèles de distribution traditionnels : 22 PMU City sont déployés fin 2016 mais leur panier moyen reste encore inférieur à la moyenne du réseau.

Par cette stratégie de densification et de segmentation de son réseau (PMU passion, PMU express, Happy PMU, PMU City), le PMU s’efforce d’aller à la rencontre des joueurs qui n’ont jamais poussé les portes d’un PMU traditionnel.

Le PMU a aussi mis en place un nouveau parcours client sur les six hippodromes parisiens en développant notamment le conseil aux parieurs et les animations grand public, programme inspiré par les hippodromes de Hong Kong qui ont produit de bons résultats.

Enfin l’institution a mis en place un marketing commun avec une nouvelle marque partagée « Epiqe » qui comprend un circuit de 14 courses, censé incarner la ligue des champions des courses et ayant vocation à élargir les publics susceptibles de s’y intéresser.

3. Le cas particulier des parieurs professionnels

Le « plan PMU 2020 » prévoit une forte progression des enjeux hippiques pris à l’étranger, à tel point que ce segment représente le plus fort relais de croissance et de rentabilité du PMU pour les prochaines années. En 2016, les enjeux pris en France ont ainsi reculé de 4 % pour s’établir à 7,854 milliards d’euros, alors que les enjeux internationaux ont progressé de 29 % pour s’établir à 1,042 milliard d’euros, soit plus de 13 % du total des enjeux hippiques.

Dans cette activité, la Cour des comptes a identifié l’intervention de parieurs dits professionnels résidant à l’étranger et disposant de puissants moyens informatiques et financiers leur permettant de disposer d’un taux de retour très supérieur à la moyenne des joueurs.

Sans en faire une recommandation particulière, la Cour a finalement condamné cette activité du PMU en considérant « que l’existence de parieurs professionnels pariant sur la masse commune du PMU via des outils informatisés est difficilement compatible avec l’esprit du pari mutuel et qu’elle est coûteuse pour l’État ».

Après avoir longuement entendu le PMU et les régulateurs sur ce point, les rapporteurs ne partagent pas tout à fait cette analyse et ne sont pas aussi critiques sur cette activité qui, si elle continue d’être contrôlée comme elle l’est actuellement, ne mérite probablement pas la méfiance voire la suspicion qu’elle inspire.

Le premier reproche fait à cette activité est d’enfreindre l’interdiction faite aux personnes morales de prendre des paris hippiques, même si sur un plan strictement juridique, le texte qui impose l’obligation d’être une personne physique majeure pour ouvrir un compte courant au PMU, à savoir l’arrêté du 13 septembre 1985, n’est applicable que sur le territoire national.

Néanmoins, contractuellement, le PMU s’assure, via ses partenaires à l’étranger que sont les plateformes de prise de paris, que tout parieur (professionnel ou non) dont les ordres passent par elles, est bien une personne physique. Les parieurs professionnels résidant à l’étranger, qui sont très peu nombreux (moins d’une dizaine), sont donc bien des personnes physiques sur lesquelles le PMU a procédé à des enquêtes qui n’ont révélé aucun élément de nature à empêcher une relation d’affaires avec eux.

Ces derniers n’utilisent pas des robots dotés d’intelligence artificielle mais des programmes informatiques permettant d’envoyer un grand volume de transactions en un laps de temps réduit, au même titre que certains gros parieurs résidant en France, mais n’ayant pas d’incidence majeure sur les rapports probables car ils jouent de petites sommes sur la totalité de la gamme des paris disponibles sur un grand nombre de courses.

Le taux de gain moyen des parieurs professionnels (98 %) est plus élevé que celui de la moyenne de l’ensemble des autres parieurs, ce qui est logique, vu leur expertise, mais pas plus que celui des gros parieurs français. Il n’y a donc pas rupture d’équité ou atteinte à l’esprit du pari mutuel dans la mesure où ils ne disposent d’aucun avantage particulier. Avec un taux de gain de 98 %, ils perdraient même de l’argent si le taux de commission que les plateformes leur consentent (autour de 5 %) du fait du montant de leurs enjeux, ne leur assurait une rentabilité positive.

Les plateformes partenaires du PMU, au nombre de cinq, sont localisées en Allemagne, aux États-Unis, à Malte et sur l’île de Man parce que certains de ces États ont une fiscalité favorable applicable aux gains des joueurs mais cela n’empêche pas que cette activité soit rentable pour le PMU.

Le PMU a renforcé les clauses contractuelles relatives au contrôle des parieurs professionnels ainsi qu’à la lutte contre la fraude et le blanchiment. Ainsi, des avenants spécifiques ont été mis en place en août 2014 et signés par tous les opérateurs, qui prévoient :

– l’identification obligatoire des clients et la vérification de la provenance de leurs fonds ;

– la possibilité pour le PMU d’audit sur place ;

– la conservation des données clients cinq ans après la fermeture du compte ;

– la traçabilité des volumes et des comportements de jeu de ces clients.

Le PMU ne traite donc qu’avec des opérateurs agréés et affirme connaître le bénéficiaire ultime du gain du pari.

En 2015, les enjeux des parieurs professionnels résidant à l’étranger se sont élevés à 422 millions d’euros, soit 5,5 % des enjeux du PMU ; cette proportion sera de 6,3 % en 2016 et elle est prévue à 7 % en 2017 pour une contribution de 56 millions d’euros au résultat du PMU, ce qui est considérable.

Dans un courrier en date du 2 novembre 2016 et adressé au président directeur général du PMU, les ministres de l’agriculture et du budget lui ont demandé de limiter à 5 % du total des enjeux les sommes engagées par les parieurs professionnels dès le 1er janvier 2017.

Pour les raisons développées plus haut, les rapporteurs ne souscrivent pas à cet objectif, et ils s’interrogent aussi sur sa faisabilité compte tenu des relations contractuelles liant le PMU à ces opérateurs et parieurs et de l’impossibilité pratique de fixer à chaque opérateur des quotas ex ante et de les faire respecter.

Proposition n° 3 : développer l’activité des parieurs professionnels résidant à l’étranger à condition de continuer à la contrôler étroitement en respectant les clauses contractuelles en vigueur.

B. LE FINANCEMENT MENACÉ DE LA FILIÈRE ÉQUINE

La baisse tendancielle des paris hippiques en dur, probablement accélérée par l’ouverture à la concurrence des paris hippiques en ligne et par le dynamisme des paris sportifs dans le réseau physique, a progressivement mis en lumière la grande vulnérabilité du modèle français d’organisation des courses, qualifié d’institution des courses.

Face à cette déstabilisation, ni les pouvoirs publics, ni les responsables de cette institution relevant de l’économie administrée et mutualisée n’ont souhaité prendre des mesures radicales : ils sont aujourd’hui au pied du mur et devront réformer dans l’urgence.

1. Les palliatifs mis en place depuis 2010 ne suffisent plus à masquer la vulnérabilité financière de l’institution des courses

L’institution des courses créée par la loi du 2 juin 1891 a pour objectif l’amélioration des races de chevaux en France. Elle se compose des sociétés de courses de chevaux et de leurs organismes communs qui sont des organismes privés dotés de la personnalité morale.

Les 231 sociétés de courses en activité sont des associations régies par la loi de 1901, à but non lucratif dont les adhérents sont des personnes physiques intéressées par le monde des courses, notamment des propriétaires et des éleveurs. Elles ont organisé en 2015 2 324 réunions et 18 501 courses car une réunion comporte en moyenne 7 à 8 courses qui se déroulent tous les quarts d’heure, tous les jours de l’année, entre 12 heures et 21 heures.

Les deux sociétés parisiennes, la Société d’encouragement à l’élevage du cheval français (SECF ou le Trot) et la Société d’encouragement pour l’amélioration des races de chevaux en France (France Galop) sont de loin les plus importantes : elles ont à elles seules organisé 500 réunions en 2015. La première est spécialisée dans les courses au trot, la seconde au galop (avec deux disciplines, le plat et l’obstacle).

À chaque société de courses correspond un hippodrome, exceptionnellement deux, la France totalisant 242 hippodromes sur les 500 que compte l’Europe. Seules les sociétés parisiennes disposent de plusieurs hippodromes, en région parisienne (Auteuil, Longchamp, Maisons-Laffitte, Saint-Cloud, pour le galop et Vincennes, Enghien, pour le trot) et en province (Chantilly et Deauville, pour le galop). Selon l’importance de la société, le nombre de réunions et la période de déroulement des courses (été ou hiver, l’après-midi ou en nocturne), les hippodromes sont plus ou moins aménagés.

Du fait de leur ancienneté et de leur histoire, les deux sociétés parisiennes occupent une place tout à fait particulière au sein de l’institution des courses ; à ce titre elles sont appelées sociétés mères. Elles exercent des missions de service public que l’on peut décrire comme suit :

– elles réglementent les courses (élaboration et publication d’un code des courses dans chaque spécialité) et, le cas échéant, appliquent des sanctions aux contrevenants ;

– elles délivrent les autorisations de faire courir, d’entraîner, de monter ou de driver ;

– elles établissent les programmes de courses et fixent le montant et la répartition des prix ;

– elles déterminent la répartition des encouragements et les distribuent ;

– elles proposent le calendrier des épreuves devant servir de support au pari mutuel urbain et en ligne ;

– elles publient un bulletin officiel des résultats des courses et autres décisions ;

– elles coordonnent les relations de leur spécialité avec leurs homologues étrangers.

Les sociétés mères ont deux catégories d’adhérents, d’une part, des membres associés en raison de leur compétence, et, d’autre part, tous les membres socioprofessionnels participant aux courses de la spécialité, répartis en quatre collèges (propriétaires, éleveurs, entraîneurs et jockeys/drivers). Leur assemblée générale, appelée Comité, est composée à parité de représentants des deux catégories d’adhérents et leurs conseils d’administration comptent 12 membres.

Les organismes chargés de la collecte des paris sont des organismes communs aux sociétés de courses.

À l’origine, le pari mutuel n’était organisé que dans l’enceinte de l’hippodrome (pari mutuel hippodrome) où la course avait lieu. Depuis 1930, la prise de paris est possible en dehors des hippodromes (pari mutuel urbain, ainsi dénommé, car les guichets étaient installés en ville). Cette forme représente aujourd’hui, et de très loin, l’essentiel des sommes engagées par les parieurs.

Pour le pari mutuel sur hippodrome géré par les sociétés de province, la collecte des paris est réalisée par une société de services, appelée « concessionnaire » : la Compagnie du Pari Mutuel (CPM), alors que pour les deux sociétés parisiennes, la collecte des paris était réalisée par le Groupement d’intérêt économique « Pari Mutuel Hippodrome » (GIE PMH) dont elles étaient les seules adhérentes. Le GIE PMH déficitaire depuis de nombreuses années a été dissous en 2015. Son activité a été transformée en conseil à la clientèle des parieurs sur les hippodromes, assuré par le PMU.

Pour le pari mutuel urbain en dur, seul le Groupement d’intérêt économique « Pari Mutuel Urbain » (GIE PMU), créé en 1985, est autorisé à organiser la prise de paris pour le compte des sociétés de courses et c’est lui qui finance, via les sociétés mères, l’ensemble de la filière équine.

Ce financement devient de plus en plus difficile même si des accommodements fiscaux obtenus depuis 2010 ont permis de différer un nécessaire ajustement.

SOMMES MISES À DISPOSITION DES SOCIÉTÉS MÈRES

(En milliers d’euros)

Source : Direction du budget.

La baisse du résultat net du PMU a dans un premier temps (jusqu’en 2013) été ralentie par un allègement fiscal consenti par l’État afin d’accompagner l’ouverture à la concurrence des paris hippiques en ligne. La Cour des comptes a ainsi calculé que le total des prélèvements de l’État rapporté au produit brut des paris hippiques était passé de 47 % en 2009 à 39,2 % en 2012 et qu’ils avaient diminué de 151 millions d’euros (16 %) entre 2009 et 2011.

L’État a aussi mis en place une taxe sur les paris hippiques en ligne affectée aux sociétés mères, conformément au dispositif validé par la décision de la Commission européenne du 19 juin 2013. Le taux de la taxe, qui ne peut être inférieur à 5 % ni supérieur à 6,5 %, est fixé par décret en tenant compte des coûts relatifs à l’organisation des courses supports de paris en ligne. Sur la base des chiffres de l’année 2010, ce coût correspondait à un taux de 5,6 %. Pour 2014, le taux a été fixé à 5,9 %, pour 2015 à 6,1 % et pour 2016 à 6,3 %.

Toutefois, depuis la mise en œuvre de la taxe en 2014, les mises sur les courses étrangères ont également été incluses dans le calcul de l’assiette. En effet, ces courses sont inscrites au calendrier des courses supports de paris en ligne, après négociations commerciales entre les sociétés mères et leurs homologues étrangers organisateurs de ces courses. Aux termes de ces accords, les sociétés mères reversent aux sociétés étrangères un pourcentage sur les enjeux engagés sur leurs courses, de l’ordre de 3 %. Elles mettent également à la disposition des opérateurs de paris en ligne les données et les images des courses, sans autre contrepartie financière que la taxe affectée.

La Commission européenne a cependant relevé qu’aucun coût d’intermédiation par les sociétés de courses françaises entre les courses étrangères et le marché du pari national n’était prévu par sa décision du 19 juin 2013. Elle considère, par ailleurs, que la taxe appliquée aux mises sur les courses étrangères serait discriminatoire et non conforme au traité fondateur de l’Union européenne et a donc invité les autorités françaises à mettre l’assiette de la taxe en conformité en retirant les enjeux pris sur les courses étrangères du calcul de l’assiette de cette taxe. Cet ajustement représenterait un manque à gagner de 1,4 million d’euros pour les deux sociétés mères en 2017.

Une autre méthode destinée à augmenter le résultat net du PMU a consisté, à partir de 2013, à réduire le taux de retour aux joueurs (TRJ) de 76 % à 73 % sur les paris hippiques mutualisés. Les rapporteurs estiment que ce type de mesure n’est pas équitable puisque cela consiste à ponctionner davantage les turfistes en réduisant leurs gains. Il s’agit de surcroît d’un calcul à courte vue car cela pourrait contribuer à accélérer la cannibalisation des paris hippiques par les paris sportifs en ligne dont le TRJ peut atteindre 85 %, montant plafonné par décret afin de lutter contre l’addiction.

À partir de 2015, ce type d’expédients n’a plus suffi à assurer le montant des sommes mises à la disposition des sociétés mères puisqu’elles ont baissé de plus de 42 millions par rapport à 2014, du fait de la baisse du résultat net du PMU résultant principalement de la diminution globale des enjeux mais aussi de l’augmentation des enjeux hippiques collectés à l’étranger, moins rémunérateurs pour le GIE.

Dans le rapport qu’elle a remis au CEC, la Cour des comptes a jugé sévèrement l’utilisation par l’institution des courses de la marge de manœuvre dégagée par les réductions fiscales qui s’ajoutait à des réserves importantes des sociétés mères générées par des années d’excédents au début des années 2000. La Cour évoque ainsi « un effet d’aubaine non exploité » et précise que « cet allègement aurait pu permettre à la filière hippique d’investir pour faire face aux nouvelles conditions du marché, ce qui n’a pas été constaté : il y a là une occasion manquée. Le plan stratégique PMU 2020, annoncé en 2013, vient tardivement prendre en compte ces enjeux, sans disposer des mêmes marges ».

Il reviendra à la Cour des comptes d’étayer son jugement à l’occasion du contrôle de la gestion des sociétés mères qu’elle mène actuellement selon des modalités et un calendrier qui lui appartiennent.

Pour leur part, les acteurs de l’institution des courses que les rapporteurs ont auditionnés contestent vigoureusement cette appréciation et mettent en avant le choc qui leur a été imposé avec, d’une part, l’ouverture à la concurrence des paris hippiques en ligne et, d’autre part, le dynamisme des paris sportifs.

Le terme « aubaine », à proprement parler, peut sembler excessif dans la mesure où une aubaine désigne théoriquement une manne qui vous tombe du ciel, toutes choses égales par ailleurs, dans une situation stable et sans obligation de modification de comportement de votre part, ce qui n’était pas le cas des paris hippiques pendant la période 2009-2013.

Là où l’expression employée par la Cour paraît toutefois indiquée, c’est que cette marge de manœuvre a été octroyée sans fléchage ni contrepartie exigée par les pouvoirs publics, alors que ces derniers maîtrisaient de nombreux leviers pour orienter le pilotage de l’institution des courses et qu’ils disposaient, avec le rapport de M. Daniel Augereau intitulé « l’Institution des courses : la réforme incontournable d’un modèle d’avenir » remis au Premier ministre en novembre 2011, d’un diagnostic pertinent et de propositions de réformes qui n’ont pas été activées au cours de cette période (voir infra).

Les représentants des sociétés mères et du PMU estiment quant à eux qu’ils ont utilisé leurs excédents pour financer des investissements, notamment informatiques, indispensables à leur présence sur l’activité des jeux et paris en ligne, pour moderniser leur réseau physique, augmenter l’offre de courses afin de séduire et fidéliser les turfistes, et assurer la montée en puissance du pôle image autour de la chaîne Équidia. L’une des sociétés mères a ainsi indiqué aux rapporteurs que l’ouverture des paris en ligne était à l’origine d’une augmentation annuelle de ses charges d’un montant de 130 millions d’euros.

Ils revendiquent aussi d’avoir entrepris des réformes de structure relevant de leur gestion interne comme celle du régime complémentaire de retraite des salariés, du pari mutuel sur les hippodromes parisiens (liquidation du PMH) ou du plan d’économies des sociétés régionales de courses.

Les rapporteurs ont aussi constaté que les sociétés mères avaient privilégié pendant cette période la croissance, puis le maintien à un niveau élevé, des encouragements et allocations à la filière équine, qu’il s’agissent des prix de courses ou des primes aux propriétaires et éleveurs.

Le montant des encouragements a ainsi progressé de 13 % au cours des cinq dernières années pour atteindre 574 millions d’euros en 2015. La France fait partie des pays distribuant les plus importants montants d’allocations de courses : selon le ministère de l’agriculture, elle distribue à elle seule un peu moins de 13 % des 3,48 milliards d’allocations versées dans le monde à l’occasion de courses hippiques, alors qu’elle n’organise que 7 % des courses mondiales.

ÉVOLUTION DES ENCOURAGEMENTS EN BASE 100 (2003 ANNÉE DE RÉFÉRENCE)

Source : direction du Budget.

Les allocations financent les acteurs socioprofessionnels des courses que sont les propriétaires, les entraîneurs, les jockeys/drivers et les éleveurs.

La politique de répartition des allocations de courses est définie par les sociétés mères sans intervention de l’État. Les critères sont définis par leurs organes délibérants, après un débat interne faisant intervenir les organisations représentant l’ensemble des acteurs socioprofessionnels de la discipline concernée.

Selon le ministère de l’agriculture, l’impact de cette mutualisation sur la filière équine française est très positif. Les indicateurs qu’il invoque à l’appui de cette analyse sont en effet plutôt bien orientés. Le nombre des entraîneurs, de l’ordre de 2 600, est assez stationnaire, de même que celui des chevaux à l’entraînement, proche de 29 000.

ÉVOLUTION DU NOMBRE D’ENTRAÎNEURS

Source : AFASEC observatoire social 2016.

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE CHEVAUX À L’ENTRAÎNEMENT

Discipline

2010

2014

2015

Galop

10 762

11 177

11 153

Trot

17 266

17 715

17 686

Total

28 028

28 892

28 839

Source : Ministère de l’agriculture.

La situation semble toutefois se dégrader depuis quelques années. France Galop fait ainsi observer que l’assujettissement au taux normal de la TVA des activités d’entraînement a eu un impact négatif à partir de 2013 sur le nombre de propriétaires résidents actifs.

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE PROPRIÉTAIRES ACTIFS

Source : France Galop.

S’agissant enfin du commerce des chevaux, il reste dynamique pour le galop, porté notamment par la vente à des propriétaires étrangers dans un marché mondial. Ces derniers sont d’autant plus susceptibles de laisser leurs chevaux en France à l’entraînement, pour les faire courir sur les hippodromes français, que la politique d’encouragements définie par les sociétés mères demeure particulièrement attractive. Au trot, la France reste aussi le marché leader, le nombre de chevaux vendus est stable mais avec une variation de prix légèrement à la baisse.

Du point de vue de l’emploi, la mutualité sociale agricole (MSA) compte de l’ordre de 26 000 emplois directs dans la filière équine répartis comme suit.

RÉPARTITION DES SALARIÉS COTISANT À LA MSA PAR SECTEUR D’ACTIVITÉ EN 2015

Source : Observatoire métiers, emploi et formation filière équine (OME FFE).

Dans cette typologie, les établissements équestres englobent les établissements d’équitation, les établissements de dressage, de louage de chevaux, et les sociétés, centres, associations, et clubs hippiques ; le trot regroupe les établissements d’entraînement aux courses de trot, le galop les établissements d’entraînement aux courses de galop ; l’élevage recouvre les haras, l’élevage spécialisé de gros animaux et l’élevage d’équidés domestiques.

En 2012, l’Observatoire économique et social du cheval estimait les emplois de l’ensemble de la filière équine, y compris les métiers sans contact direct avec les équidés comme les fournisseurs d’alimentation ou d’équipement, à 180 000, dont 57 000 en activité principale, ce qui représente 0,2 % de la population active en France. Comme le relève l’Observatoire, « ce secteur est donc fortement marqué par la pluriactivité de ses acteurs. Le domaine de l’élevage est singulièrement concerné car à peine 12 % des emplois sont exercés en activité principale. L’élevage est en effet souvent associé à d’autres prestations type pension, reproduction et étalonnage. Aussi, il s’agit d’une activité “passion” que beaucoup préfèrent pratiquer pour leur plaisir personnel et s’assurer une sécurité financière avec un autre métier ».

Le modèle mutualiste d’organisation de l’institution des courses, porté par une augmentation importante des paris hippiques jusqu’à 2011, a bénéficié, quoique modestement, à l’ensemble de la filière, via les fonds Éperon dotés de 14 millions d’euros en 2014 et qui permettent de financer des projets pour les autres activités équestres (sport, loisir, travail).

Il a permis de développer un secteur sans équivalent en Europe et qui paraissait sans limites jusqu’à ce que la hausse des coûts de production, suivie de l’assujettissement au taux normal de TVA, commencent à fragiliser financièrement de nombreuses entreprises.

Dans la période de renversement de conjoncture des paris hippiques qu’il connaît depuis quelques années, le secteur des courses rencontre beaucoup de difficultés à se réformer, mais s’il ne le fait pas très rapidement, c’est bien une dynamique délétère d’attrition qu’il risque de devoir affronter car les sociétés mères ne pourront pas continuer à préserver les encouragements et allocations au-delà de 2017.

Les deux sociétés accumulent les pertes depuis 2013 et ont encore annoncé un déficit pour 2017 de 35 millions d’euros pour l’une (le Trot) et de 28 millions d’euros pour l’autre (France Galop). Si leurs réserves leur permettront encore de disposer d’une trésorerie positive l’année prochaine, elles seront épuisées en 2018, ce qui rend impérative la mise en place de mesures de redressement d’une ampleur suffisante pour préserver le modèle français d’organisation des courses.

2. Comment sauvegarder le modèle français d’organisation des courses ?

La pérennisation du modèle français d’organisation des courses passe tout d’abord par l’institution d’un véritable partenariat avec l’État au sein duquel chacun s’engage et respecte ses obligations dans une perspective de moyen terme.

Même si l’institution des courses est une entité mutualiste privée, l’État a les moyens d’infléchir les paramètres de cette économie administrée, ne serait-ce que par l’outil de la fiscalité. L’État assure aussi un contrôle financier puisqu’il approuve les budgets et les comptes des principales sociétés de courses et de leurs organismes communs, notamment le GIE-PMU. Le président-directeur général et le directeur général délégué de cet organisme sont agréés conjointement par les ministres du budget et de l’agriculture qui proposent quatre membres sur les dix que compte son conseil d’administration.

Les rapporteurs estiment que l’État n’a pas assumé clairement sa mission d’accompagnement de la filière équine dans la période récente puisqu’aucune stratégie d’ensemble n’a été arrêtée afin de faire face au double choc de la baisse des paris hippiques et de l’assujettissement au taux normal de la TVA des activités d’élevage et d’entraînement à la suite de la condamnation de la France par un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 8 mars 2012 (affaire C-596/10).

Depuis le diagnostic posé par le rapport Augereau en 2011, une comitologie s’est instituée autour du comité stratégique, mais elle n’a pas mis en place les outils ni pris les décisions qui auraient permis d’éviter ou d’atténuer la crise financière subie par l’institution.

Aux yeux des rapporteurs, le ministère de l’agriculture porte une lourde responsabilité dans ce constat de carence. Faute de compétence ou d’intérêt porté à une filière qui s’autogérait sans crise majeure, portée par la prospérité des années 2000, il a laissé le ministère du budget imposer ses choix, souvent motivés par des objectifs de court terme relatifs aux équilibres budgétaires.

L’instauration du partenariat souhaitée par les rapporteurs passe par le réinvestissement du ministère de l’agriculture et par une remontée de la filière équine dans la hiérarchie de ses priorités.

Le salut passe aussi par une sérieuse inflexion de la stratégie qui a jusqu’ici été suivie et qui a consisté à assurer une densification maximale de l’offre de courses supports de paris hippiques.

À partir de 2008, en vue de neutraliser la concurrence des nouveaux opérateurs en ligne et des autres segments de jeux, l’institution des courses a saturé l’offre en proposant progressivement une offre de courses continue, de 12 heures à 20 heures, avec une épreuve toutes les quinze minutes. Cette croissance rapide a notamment reposé sur un recours sans précédent aux courses étrangères.

NOMBRE DE COURSES NATIONALES ET ÉTRANGÈRES EN 2006 ET EN 2015

Source : France Galop.

Le nombre de courses proposées par le PMU avec une audience nationale, c’est-à-dire dans la totalité des points de vente sur le territoire, est passé de 6 400 en 2006 à 13 700 en 2015, soit une croissance de 113 % dont la moitié est issue des courses étrangères.

Cette stratégie a été fructueuse dans un premier temps, puisque les nouvelles courses ont généré une croissance des revenus de la filière hippique.

Mais cette densification systématique a progressivement produit des effets négatifs sur la lisibilité et la qualité des courses proposées aux parieurs, d’autant que le nombre de chevaux n’ayant pas augmenté en proportion, le nombre de partants par courses a significativement baissé.

Cette stratégie n’a pas non plus été maitrisée sur un plan financier car elle n’a pas reposé sur une analyse systématique des coûts et des revenus. Or le coût marginal de la densification a progressivement augmenté, tant au niveau des sociétés de courses (modernisation des hippodromes, coût d’organisation pendant les jours de semaines, production des images de télévision) que des participants (frais de déplacement, frais de personnel).

Il faut aussi noter que le développement de l’utilisation des courses étrangères a représenté une charge supplémentaire pour les sociétés-mères qui financent sur leurs ressources une contribution aux sociétés organisatrices, à hauteur de 3 % des enjeux online générés par ces courses.

Il convient désormais de passer de la densification à l’optimisation du programme et du calendrier des courses, en menant une analyse détaillée et systématique de la rentabilité intrinsèque des courses proposées aux parieurs.

Proposition n° 4 : optimiser le programme et le calendrier des courses proposées aux parieurs en valorisant leur rentabilité.

L’institution des courses devra aussi singulièrement améliorer sa gestion interne dont la productivité laisse certainement des marges de progrès.

Le contrôle actuellement menée par la Cour des comptes devrait permettre aux dirigeants des sociétés mères d’ouvrir de nouveaux chantiers de progrès.

Comme beaucoup d’institutions anciennes ayant vécu sur des rentes monopolistiques, qui plus est largement gouvernée sur le principe mutualiste du consensus, l’institution des courses a concédé de nombreux avantages dans la période de prospérité, difficiles à remettre en cause dans la crise, et semble peu souple et agile dans la réforme.

L’actuel rapprochement des hippodromes de Longchamp, Saint-Cloud et Auteuil, avec la mise en place d’une direction unique et des équipes mobiles d’intervention sur les trois sites, illustre bien les difficultés d’adaptation d’une organisation fondée sur des rigidités statutaires.

À défaut d’une révision drastique des structures comme la fusion des sociétés mères qui poserait plus de problèmes qu’elle n’en résoudrait, au regard des spécificités (technique, culturelle et sociologique) difficilement conciliables du monde du trot et du galop, un rapprochement de leurs directions support (informatique, ressources humaines, finances) s’impose à brève échéance. Ce rapprochement pourrait englober également les directions support du PMU et ce pôle de compétences pourrait être rassemblé dans une structure dédiée, par exemple un groupement d’intérêt économique. Les deux sociétés mères doivent conserver la responsabilité de l’élaboration du programme des courses sous l’autorité de la tutelle, chacune pour ce qui la concerne. Cette restructuration ne pourra réussir que par un dialogue social fort et constructif.

Le rendement immédiat de cette mise en commun de moyens n’est pas, à lui seul, à la hauteur des besoins financiers de l’institution mais on peut espérer qu’il constituera un signal et une amorce de synergies plus importantes.

Proposition n° 5 : encourager l’institution des courses à engager la réforme de sa gestion interne en commençant par la fusion des directions support des sociétés mères et du PMU.

C. DES SECTEURS À L’ÉCONOMIE FRAGILE

1. Les casinos

a. Une reprise à consolider pour des établissements qui contribuent à l’animation de villes, y compris à l’écart des grands pôles urbains ou touristiques

Selon l’article 1er de l’arrêté du 14 mai 2007 relatif à la réglementation des jeux, le casino est « un établissement comportant trois activités distinctes : l’animation, la restauration et le jeu, réunies sous une direction unique sans que le jeu et l’animation puissent être affermés ». En France, leur exploitation reste très réglementée, et placée sous la double tutelle du ministère de l’intérieur et du ministère chargé du budget, bien que l’étau se soit desserré progressivement. Réservés par la loi du 15 mai 1907 aux « stations balnéaires, thermales et climatiques », les casinos ont été bannis dans un rayon de 100 kilomètres autour de Paris avant d’être autorisés dans les stations thermales. Le plus gros casino français est d’ailleurs celui d’Enghien, dont le produit brut des jeux dépasse 140 millions d’euros, soit quasiment le triple du second. Des lois successives ont assoupli les conditions d’implantation et d’exploitation, la dernière étant la loi du 5 janvier 1988 qui permet aux « villes ou stations classées touristiques constituant la ville principale d’une agglomération de plus de 500 000 habitants et participant pour plus de 40 %, le cas échéant avec d’autres collectivités territoriales, au fonctionnement d’un centre dramatique national, d’un orchestre national et d’un théâtre d’opéra présentant en saison une activité régulière d’au moins vingt représentations lyriques » de détenir un établissement de jeux. Le dernier avatar est le projet de loi relatif au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain qui autorise à Paris, à titre expérimental pour une durée de trois ans, les cercles de jeux gérés sous forme de société anonyme. On compte aujourd’hui environ 200 établissements, soit, comme le souligne la Cour des comptes, 38 % du nombre total des casinos européens.

Parallèlement, la gamme des jeux autorisés a été progressivement étendue et la dernière évolution significative a été l’autorisation des machines à sous aux termes de la loi n° 97-306 du 5 janvier 1988. Leur exploitation et le nombre de licences sont subordonnés, depuis l’arrêté du 29 juillet 2009, à l’organisation de jeux de table : le premier jeu de table donne droit à cinquante machines à sous, et les suivants à vingt-cinq appareils supplémentaires.

En 2014, selon les chiffres de l’Observatoire des jeux, les casinos représentaient 24 % du produit brut des jeux, soit 2,18 milliards d’euros, une part de marché qui les plaçait en troisième position, mais loin derrière la FDJ et le PMU. Les casinos présentent une grande hétérogénéité : le secteur se révèle très concentré puisque les quatre grands groupes que sont Barrière, Partouche, Tranchant et Joa réalisent les trois quarts du chiffre d’affaires, tandis que la moitié des établissements dégagent un produit brut des jeux inférieur à 8 millions d’euros par an.

RÉPARTITION DES 202 CASINOS SELON LEUR CATÉGORIE (ANNÉE 2015)

Source : Institut d’informations et de conjonctures professionnelles, Rapport de branche des casinos septembre 2016.

Compte tenu des règles d’implantation, une proportion importante des établissements de jeu sont installées dans des villes petites et moyennes dont la triple activité (animation, restauration et jeu) contribue puissamment à la vitalité.

ÉVOLUTION DU PRODUIT BRUT DES JEUX DES CASINOS

Source : Institut d’informations et de conjonctures professionnelles, rapport de branche des casinos, septembre 2016.

Ce n’est que l’année dernière, en 2014-2015, que la chute d’activité, amorcée il y a près de dix ans, et de l’ordre de 25 %, a été endiguée puisque le produit brut des jeux a augmenté de 2,7 %. La DGFiP fait état, pour l’année 2016 – les casinos clôturent leurs comptes le 31 octobre – d’un produit brut des jeux de 2,24 milliards d’euros, qui correspond donc à un accroissement d’ampleur équivalente. Les casinos « en dur », les seuls autorisés en France, tirent l’essentiel de leur chiffre d’affaires des machines à sous.

En effet, les 2,18 milliards d’euros de produit brut des jeux engrangés en 2015 se ventilaient de la façon suivante :

– le parc de 23 000 machines environ a dégagé 1,9 milliard d’euros, soit 87,3 % de l’ensemble ;

– un peu plus de 1 000 jeux de table traditionnels ont généré un produit brut des jeux de 186 millions d’euros, c’est-à-dire 8,5 % ;

– les jeux de table électroniques, un peu moins de 200, ne représentaient encore que 90 millions d’euros.

Le tableau ci-dessus met donc en évidence, premièrement, l’importance vitale des machines à sous pour les casinos ; deuxièmement, le démarrage prometteur des jeux de table électroniques qui, bien que lancés récemment, ont atteint près de la moitié du chiffre d’affaires des jeux de table traditionnels.

Le produit net des jeux suit une tendance comparable à celui du produit brut, la différence tombant dans l’escarcelle des pouvoirs publics dans les proportions représentées ci-dessous.

MONTANT TOTAL DES PRÉLÈVEMENTS SUR L’EXERCICE 2014-2015

Source : Institut d’informations et de conjonctures professionnelles, rapport de branche des casinos, septembre 2016.

Sur la période, malgré les difficultés, la part des prélèvements s’est stabilisée et elle a même baissé avec la réforme de la fiscalité introduite par la loi de finances rectificative pour 2014 (cf. infra).

ÉVOLUTION DU PRODUIT DES JEUX ET DES PRÉLÈVEMENTS
DES CASINOS

(En millions d’euros)

 

2009/10

2010/11

2011/12

2012/13

2013/14

2014/15

Produit brut des jeux (PBJ)

2 294,89

2 316,83

2 274,97

2 180,12

2 123,34

2 181,48

Produit net des jeux

1 057,85

1 062,00

1 046,42

1 005,90

990,30

1 025,40

Prélèvements totaux (PT)

1 237,04

1 254,83

1 270,41

1 174,22

1 133,04

1 156,08

PT/PBJ

53,9 %

54,2 %

54,0 %

53,9 %

53,4 %

53,0 %

Source : Institut d’informations et de conjonctures professionnelles, rapport de branche des casinos, septembre 2016.

En 2016, la part des activités de jeu s’est stabilisée à 71,6 % du chiffre d’affaires.

b. Des établissements qui ont vécu des années difficiles et consenti des investissements importants pour rester à flot

Cette inversion de tendance est une victoire chèrement acquise puisque, malgré une conjoncture très défavorable, les casinos ont consenti un effort d’investissement très important, de l’ordre de 100 millions par an, qui a été le fait surtout des grands groupes, au moins au départ, mais les plus petits ont suivi. Il a concerné en priorité les machines à sous qui représentent encore près de 90 % du produit brut des jeux – la seule notion pertinente puisque, pour les casinos, les mises demeurent une inconnue – et le développement de jeux de table sous forme électronique. Ce nouveau matériel présente l’avantage d’attirer une clientèle plus jeune, à l’aise avec les nouvelles technologies, qui passe progressivement aux tables traditionnelles, plus favorables à l’emploi local et qui enregistrent un regain d’activité. Le jeu de table est la marque de fabrique du casino à la française, sans lequel le casino n’est qu’un hangar abritant des rangées de machines à sous. D’ailleurs, autrefois, les formules « faites vos jeux » et « les jeux sont faits » se disaient partout dans le monde en français. Mais l’anglais a pris le dessus, et l’on entend désormais, ailleurs qu’en France, « place your bets », « no more bets ». Les efforts fournis semblent produire leurs effets puisque les formes électroniques rencontrent un succès indéniable, mais qui doit impérativement se poursuivre pour permettre un amortissement des investissements.

Le calendrier des autorisations de jeu accordées par le ministère de l’intérieur met en évidence les efforts de modernisation consentis ces dernières années pour étoffer l’offre de jeu et ramener la clientèle dans les établissements.

CALENDRIER DES AUTORISATIONS DE JEUX

Source : Casinos de France, dossier de presse 2015.

Les chiffres publiés par les groupes Partouche et Joa montrent à la fois la gravité de la crise traversée et les efforts consentis pour en sortir. Ainsi, le groupe Partouche, dont l’actionnaire principal, la holding familiale Partouche avait demandé en 2013 l’ouverture d’une procédure de sauvegarde pour renégocier sa dette, exploitait cinquante casinos en 2013, contre quarante-quatre en 2015. Les cessions ont concerné principalement l’étranger, mais la contraction du produit brut des jeux, passé de 642 millions en 2013 à 619,1 millions en 2015, soit une diminution de 3,7 %, atteste des difficultés rencontrées. La part des machines à sous s’est réduite (84,8 % au lieu de 86,9 %), ce qui montre qu’il a fallu trouver de nouveaux relais de croissance, qui exigent des investissements ou des coûts d’exploitation plus élevés. De son côté, Joa, le seul casinotier ayant conservé une activité de paris en ligne, a fait de son renouveau un argument de communication. Le groupe lyonnais se présente comme le troisième opérateur français. Exploitant vingt-deux établissements, abritant vingt-quatre restaurants, sept discothèques, deux bowlings et trois cinémas, le groupe lyonnais se vante d’avoir innové dans tous les segments de ses activités : il a misé sur la « bistronomie » pour moderniser son image et attirer une clientèle de gastronomes ; installé des jeux de table électronique dans tous ses établissements et des machines à sous en exclusivité, s’inspirant par exemple de la série télévisée Game of Thrones au succès planétaire. Ce plan d’investissement, plus de cinquante millions en trois ans, pour un chiffre d’affaires brut de 200 millions, lui a permis de faire baisser de dix ans l’âge moyen de sa clientèle, un atout incontestable puisque la clientèle des casinos est composée surtout de femmes âgées, attirées par les machines à sous.

La crise économique de 2008 est survenue dans un contexte qui n’était déjà plus très favorable aux casinos. Le contrôle systématique aux entrées a été introduit en 2007, par l’article 25 de l’arrêté du 14 mai 2007. Destiné à empêcher l’accès des établissements aux mineurs, il doit être effectué par des personnes agréées par le ministère de l’intérieur. Ce filtrage a provoqué, au moins dans un premier temps, un recul de la fréquentation. Il est intervenu très peu de temps avant l’expiration, le 1er janvier 2008, du délai supplémentaire dont avaient bénéficié les débits de tabac, casinos, cercles de jeux, discothèques, hôtels et restaurants pour appliquer l’interdiction de fumer. Selon les représentants des casinos, la perte immédiate de clientèle a été de l’ordre de 30 %. Puis elle est revenue, petit à petit. Tous les joueurs ne sont pas fumeurs, mais tous les joueurs qui fument doivent, à un moment ou à un autre, sortir. Or un sur deux ne revient pas… Les casinotiers ont déclaré aux rapporteurs vendre du temps de jeu. Dès lors, toute interruption de la séquence, pour quelque motif que ce soit, est mauvaise pour l’exploitant. La crise financière a achevé de déprimer la conjoncture. Les exploitants commencent donc à sortir d’une passe très difficile et il importe de consolider la structure financière, tout particulièrement des petits casinos.

Les chiffres fournis par la DGFiP sont certes rassurants car l’évolution positive de l’activité concerne une forte proportion des établissements : elle augmente pour 74 % des casinos contre 17 % en 2013 ; et diminue pour 26 % des casinos contre 83 % en 2013. En 2015, trente-neuf casinos, contre quarante-huit en 2013 (19,6 % des établissements de jeux contre 24,3 %) affichaient un résultat net négatif. Parmi eux, 77 % ont un produit brut des jeux inférieur à 5 millions d’euros alors que la proportion de ces casinos par rapport à l’ensemble des casinos en activité n’est que de 38 %. Ces chiffres montrent pourtant que les plus petits casinos ne sont pas encore sortis d’affaire, loin s’en faut, puisque 39 % d’entre eux sont encore en situation déficitaire contre 4,5 % des casinos ayant un produit brut des jeux supérieur à 5 millions d’euros.

Néanmoins, plusieurs casinos ont entamé un processus de réduction des déficits. Au titre de l’exercice 2015, la situation financière est moins obérée pour 50 % d’entre eux par rapport à la saison précédente et la pérennité de nombre de ces petits établissements de jeux semble dorénavant assurée. La capacité d’autofinancement comme l’effort d’investissement se renforce (3) et les casinos améliorent leur rentabilité d’exploitation, ce qui leur permet d’envisager plus sereinement les investissements nécessaires. Mesuré par le rapport entre l’investissement et la valeur ajoutée, le taux d’investissement a progressé de 1,8 point de pourcentage et atteint 17,15 % en 2015 contre 15,34 % en 2013. Alors que le secteur des casinos avait un taux sensiblement inférieur à celui constaté pour l’ensemble des PME en 2013, il devient dorénavant supérieur à la moyenne sous les effets conjugués de la hausse de l’investissement et de la valeur ajoutée. En cela, ce secteur se distingue de l’attitude encore attentiste de la grande majorité des PME qui n’investit pas ou très peu.

Du côté de l’emploi, les effectifs continuent de reculer. Ils sont passés en 2015 sous la barre des 15 000, ce qui correspond à une perte de 3 500 personnes sur une période de huit ans. Si l’on s’en tient au personnel employé dans les activités inscrites dans le cahier des charges, l’effectif tombe à 13 150 personnes.

RÉPARTITION DES EFFECTIFS SELON LA TAILLE DES CASINOS

Source : Institut d’informations et de conjonctures professionnelles, rapport de branche des casinos, septembre 2016.

Le schéma ci-dessus montre que les petits établissements sont les principaux employeurs, et leur poids relatif s’est même accentué puisqu’ils occupaient 27 % du personnel en 2012. À l’autre bout du spectre, la part des grands casinos s’est rétablie au-dessus de 20 %, après avoir sensiblement reculé en 2013 et 2014. Il s’agit, à 92 %, d’emplois à temps plein et plus de 90 % des salariés bénéficient de contrats à durée indéterminée. Et ce sont les emplois les moins qualifiés qui ont été les principales victimes de la crise comme en témoigne l’histogramme ci-dessous.

ÉVOLUTION DE LA RÉPARTITION DES EFFECTIFS DES CASINOS

Source : Institut d’informations et de conjonctures professionnelles, rapport de branche des casinos, septembre 2016.

c. Un accompagnement plus attentif des pouvoirs publics

Soucieux de maintenir des activités dans des territoires souvent éprouvés, les pouvoirs publics ont adopté, dans la loi de finances rectificative pour 2014, une réforme fiscale en vue de simplifier les règles et d’alléger la charge pesant sur les petits établissements.

La réforme introduite par la loi de finances rectificative pour 2014

La réforme globale de la fiscalité des prélèvements applicable aux casinos, issue de la loi de finances rectificative pour 2014, a consisté à :

– alléger la fiscalité des casinos ayant un faible produit des jeux qui étaient les plus touchés par la baisse d’activité depuis quelques années et présentaient des résultats financiers les plus dégradés tout en faisant contribuer les casinos les plus importants à l’effort budgétaire consenti par l’État ;

– maintenir le niveau des ressources des collectivités territoriales ;

– clarifier, sécuriser et simplifier la fiscalité applicable à ce secteur qui était marqué par la coexistence d’une fiscalité progressive et proportionnelle et d’une multiplicité de prélèvements aux règles d’assiette et de liquidation particulièrement complexes.

Afin de répondre à ces objectifs, la réforme a introduit une plus grande progressivité des prélèvements en :

– supprimant, dès le 1er novembre 2014, les deux prélèvements fixes perçus au profit de l’État (l’un taxait le produit des jeux de table à hauteur de 0,5 % et le second le produit des jeux des machines à sous au taux de 2 %) ;

– modifiant l’assiette (4) et le barème du prélèvement progressif dont le produit est réparti entre l’État et la commune d’implantation du casino ;

– remplaçant un dispositif d’abattement pour manifestations artistiques de qualité (MAQ) par celui d’un crédit d’impôt permettant de moduler l’aide en fonction de l’effort financier consacré par le casino à l’organisation des MAQ plutôt qu’en fonction de son produit des jeux (5).

Pour le moment, le double but de la réforme, maintenir les ressources des collectivités et soulager les petites structures, a été atteint et la filière en a été plutôt consolidée. Il n’en demeure pas moins que le président de la commission consultative des jeux de cercle et des casinos a déclaré devant les rapporteurs que le contrôle de légalité exercé par les préfectures mériterait d’être plus attentif concernant les sujétions imposées aux casinos dans le cadre des délégations de service public car les collectivités sont parfois tentées de diminuer leurs charges par ce biais.

Il reste un point sur lequel les exploitants font part de leur mécontentement, celui des délais nécessaires pour obtenir l’autorisation de nouveaux jeux. Comme cela a été dit, il s’agit surtout de formes nouvelles d’anciens jeux que les exploitants se sont efforcés de moderniser pour rajeunir leur clientèle. Installer un jeu d’ores et déjà agréé ne pose plus de problème, mais l’agrément d’un nouveau jeu relève du parcours du combattant : il a fallu deux ans pour obtenir l’autorisation de jouer à la bataille dans un casino par voie de décret en Conseil d’État. Le dossier a séjourné un an au ministère chargé du budget au motif d’un risque pour les mineurs. Or la loi leur interdit l’accès aux casinos…

Les diligences à accomplir pour une expérimentation sont détaillées dans un décret du 29 juillet 2011, devenu l’article R. 321-15 du code de la sécurité intérieure. « Le ministre de l’intérieur peut également autoriser, à titre expérimental, l’exploitation dans un casino de nouveaux jeux de hasard ou de nouveaux dispositifs techniques, afin d’évaluer les garanties de régularité et de sincérité qu’ils présentent. » L’expérimentation ne peut excéder six mois, suivi le cas échéant d’une prolongation de trois mois. Les exploitants estiment que la double tutelle, de l’intérieur et du budget, est en partie responsable des délais qu’ils jugent anormaux, et ne peuvent s’empêcher de faire la comparaison avec la Française des jeux, soumise au contrôle de la COJEX, qui sort plusieurs jeux par an. Au ministère de l’intérieur qui, de son côté, souligne que de nombreuses autorisations, une fois obtenues, ne servent pas, les casinotiers répondent qu’ils sont tenus de s’adapter à l’air du temps et de proposer ce qui fait de l’autre côté de la frontière. Parfois, les jeux ne remportent que des succès éphémères mais l’exploitant souhaiterait se mettre au diapason de la concurrence. Les rapporteurs souhaitent que les services de tutelle soient plus réactifs pour l’autorisation de nouveaux jeux et, surtout, de nouvelles formes de jeux traditionnels, par exemple l’usage des tablettes.

Compte tenu de la nécessité de consolider la position des petits casinos et de permettre au secteur de poursuivre sa modernisation, les rapporteurs proposent de maintenir l’interdiction des jeux de casino en ligne. Ils ont été alertés, au cours des auditions, sur l’existence d’une offre illégale de jeux de casino. En dépit des difficultés à cerner une telle offre et à évaluer le succès qu’elle rencontre, la FDJ a commandité une étude, menée auprès de 5 000 personnes. Il en ressort que l’offre est peu visible en raison de l’absence de publicité. Pourtant, elle se caractérise par une accessibilité très grande. En effet, les moteurs de recherche mènent facilement à des sites illégaux. Ils proposent une gamme très étendue de jeux et affichent un taux de retour au joueur élevé, de l’ordre de 90 % ou 95 %. Ils offrent des modalités d’inscription très simples (une adresse mail et des justificatifs d’identité réclamés au moment du paiement des gains). Certains de ces sites acceptent les mises réglées par carte de paiement prépayée disponible dans le réseau des bars-tabac-presse. En ce qui concerne les résultats chiffrés, il convient de les prendre avec précaution compte tenu des biais risquant d’affecter aussi bien l’échantillon recruté (qui sont ceux qui acceptent de répondre sans réticence à une pratique illégale ?) que la sincérité des réponses. Ils seraient ainsi 700 000 à fréquenter les sites illégaux, et ils dépenseraient entre 600 et 900 millions d’euros par an, ce qui n’est pas considérable au regard des 45 milliards de mises annuelles légales. Le marché se répartirait de la façon suivante : 200-400 millions d’euros de dépenses annuelles sur les machines à sous en ligne, soit entre 1 % et 2,5 % du produit brut des jeux des machines à sous, et 300 millions de dépenses annuelles sur les jeux de table et de contrepartie. Si ce chiffre était confirmé, il dépasserait le marché légal et il faudrait sans doute envisager une action des pouvoirs publics.

À cet égard, la Belgique pourrait offrir une approche intéressante. La règle y est simple, quoiqu’unique au monde : seuls les établissements possédant une licence de jeux (6) dans le monde réel peuvent entrer sur le marché virtuel. Autre contrainte, les serveurs qui supportent les sites de jeu doivent se trouver sur le territoire national. C’est un moyen d’effectuer facilement des contrôles réguliers et de lutter contre les fraudes qui trouvent leurs origines dans des pays peu scrupuleux en ce qui concerne les échanges informatiques. En tout état de cause, la situation des établissements, en particulier des plus petits d’entre eux, doit être consolidée avant d’envisager une modification de la législation les concernant.

Proposition n° 6 : favoriser l’expérimentation de nouveaux jeux de casino ou de nouvelles formes de jeu existant, en accélérant le traitement des demandes d’autorisation.

2. Les opérateurs de jeux en ligne

Loin d’avoir été l’eldorado attendu lors de l’ouverture à la concurrence en 2010, le secteur des jeux en ligne se développe lentement du fait d’une faible rentabilité. La Cour des comptes a salué le rôle positif joué par le régulateur, l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), notamment dans la lutte contre l’offre illégale, tout en soulignant la faiblesse de ses leviers d’action.

Les rapporteurs, qui ont consacré une table ronde aux opérateurs alternatifs (autres que les deux opérateurs historiques de jeux en dur), afin d’entendre leurs analyses et suggestions, partagent globalement ce constat.

Le marché des jeux en ligne se caractérise depuis six ans par un dynamisme différencié des enjeux portant sur les trois segments autorisés (paris sportifs, paris hippiques et poker) mais par une faible rentabilité commune de ses opérateurs.

Les paris sportifs tirent le marché depuis quelques années avec des progressions spectaculaires de leurs mises et 2016, portée par le championnat d’Europe de football et par les Jeux olympiques de Rio, a encore amplifié cette tendance puisque les mises ont progressé de 45 % (contre 30 % en 2015) pour dépasser 2 milliards d’euros, alors que le produit brut des jeux augmentait de 29 % pour s’établir à 349 millions d’euros. Cette progression inédite résulte à la fois de l’augmentation des joueurs (+ 36 % du nombre total de comptes joueurs activés) et du recyclage plus important des mises, du fait de la hausse de 1,9 point du taux de retour aux joueurs (TRJ) qui a atteint 83,2 % en moyenne sur l’année 2016.

ÉVOLUTION DE L’ACTIVITÉ DES PARIS SPORTIFS

Source : ARJEL.

ÉVOLUTION DU CHIFFRE D’AFFAIRES (PBJ) EN PARIS SPORTIFS

(*) 7 mois

Source : ARJEL.

ÉVOLUTION DU NOMBRE MOYEN HEBDOMADAIRE DE COMPTES JOUEURS ACTIFS
EN PARIS SPORTIFS

(*) 7 mois

Source : ARJEL.

Ce segment étant de loin le plus dynamique, il attire le plus grand nombre d’acteurs puisque 12 sociétés sur les 16 que compte le secteur des jeux en ligne, disposent désormais d’un agrément pour les paris sportifs.

Il est donc aussi le plus concurrentiel, comme le montre la hausse du taux de retour joueur constatée en 2016 et la forte progression de l’activité ne se retrouve pas dans les marges. Dans son rapport d’activité 2015-2016, l’ARJEL avait ainsi relevé que les paris sportifs constituaient la seule activité de jeux d’argent et de hasard en ligne continuellement déficitaire en exploitation depuis l’ouverture du marché en 2010. En 2015, l’activité enregistrait de nouveau un résultat d’exploitation négatif (– 7 millions d’euros) même si les pertes se réduisaient d’une année sur l’autre et que cinq sociétés parvenaient à dégager un excédent d’exploitation sur les onze opérateurs actifs en paris sportifs cette année-là. L’évolution de l’activité constatée en 2016 devrait prolonger cette tendance à l’amélioration des comptes.

Les paris hippiques subissent quant à eux une érosion qui s’accélère en 2016 puisque les mises ont encore baissé de 9 % (contre 2 % en 2015) pour s’établir à 924 millions d’euros tandis que le produit brut des jeux baissait de 8 % pour atteindre 234 millions d’euros alors qu’il était stable depuis deux ans.

ÉVOLUTION DE L’ACTIVITÉ DES PARIS HIPPIQUES

(*) 7 mois

Source : ARJEL.

ÉVOLUTION DU CHIFFRE D’AFFAIRES (PBJ) EN PARIS HIPPIQUES

(*) 7 mois

Source : ARJEL.

ÉVOLUTION DU NOMBRE MOYEN DE COMPTES JOUEURS ACTIFS EN PARIS HIPPIQUES

Source : ARJEL.

On assiste ainsi pour les jeux en ligne au même effet de ciseau entre les paris hippiques et les paris sportifs que pour le réseau de distribution physique, mais avec une accélération très préoccupante pour les paris hippiques dont les mises étaient plus de deux fois inférieures à celles des paris sportifs en 2016 alors qu’elles étaient juste en dessous en 2014.

L’activité poker a poursuivi sa tendance avec une baisse de 5 % du jeu en cash et une progression du même montant des droits d’entrée en tournoi, le PBJ restant stationnaire à 230 millions d’euros.

ÉVOLUTION DE L’ACTIVITÉ DU POKER

Source : ARJEL.

ÉVOLUTION DU CHIFFRE D’AFFAIRES (PBJ) EN POKER

(*) 7 mois

(**) les données du PBJ par activité ne sont pas disponibles

Source : ARJEL.

ÉVOLUTION DU NOMBRE MOYEN DE COMPTES JOUEURS EN POKER

Source : ARJEL.

Ces évolutions contrastées n’empêchent pas une faible rentabilité d’ensemble du secteur puisque, sur 35 sociétés se partageant 48 agréments en 2010 à l’ouverture du marché, il n’en reste fin 2016 que 16 se partageant 27 agréments. L’ARJEL a calculé qu’entre 2010 et 2015, l’activité des jeux d’argent et de hasard ouverte à la concurrence avait totalisé une perte d’exploitation de l’ordre de 471 millions d’euros qui sera peut-être réduite par les résultats de l’exercice 2016 du fait de la progression du produit brut des jeux des paris sportifs mais qui reste considérable.

Le régulateur a régulièrement appelé l’attention des pouvoirs publics sur cet état de fait mais les réactions tardent à venir, alors que les leviers d’action sont connus puisqu’il s’agit de la lutte contre l’offre illégale, de la promotion de l’innovation et de l’allégement de la fiscalité.

Dans la lutte contre l’offre illégale, l’ARJEL a su adapter ses méthodes d’action, d’une part en automatisant la surveillance des sites illégaux, d’autre part en allégeant les règles de droit applicables aux procédures de mises en conformité en vue d’une meilleure efficacité.

Considérant que nombre d’opérateurs étrangers étaient en infraction par ignorance des règles applicables en France, une procédure de rappel à la loi a été instituée en 2015 après le constat d’infraction, mais avant la rédaction d’un procès-verbal : sur les 787 URL (adresses internet) bloquées en 2015, 373 l’ont été par cette procédure allégée et 414 par la procédure classique.

Cette mesure a permis de transférer des moyens sur la surveillance systématique d’un plus grand nombre de sites (4 435 en 2015 contre 4 065 en 2014). Dans l’immense majorité des cas, la mise en conformité se fait soit spontanément, soit par l’intervention des hébergeurs et très peu par mobilisation de la justice (45 dossiers présentés devant le tribunal de grande instance de Paris).

De même, l’ARJEL a obtenu du législateur (article 97 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique) des aménagements juridiques lui permettant de saisir le président du tribunal de grande instance de Paris, non plus par assignation, mais sur requête, pour obtenir le seul blocage des sites de contournement.

D’autres mesures pourraient contribuer à améliorer l’efficacité de cette lutte, reposant davantage sur la coopération des hébergeurs. L’ARJEL a ainsi proposé que les fournisseurs d’accès internet (FAI) installent un écran de redirection chaque fois qu’un site est bloqué. Cet écran indiquerait aux joueurs qui s’y connectent que le site a été fermé parce qu’illégal et signalerait l’adresse des sites agréés.

Publier une liste des sites illégaux, comme cela a parfois été suggéré aux rapporteurs, serait en revanche probablement contreproductif. La liste comporterait plusieurs milliers de sites sans qu’elle puisse atteindre l’exhaustivité et ne pourrait être tenue à jour qu’au prix d’investissements disproportionnés. Par exemple, les sites bloqués par les FAI à la suite d’une décision de justice obtenue par l’ARJEL peuvent changer de noms de domaine et renaître dès le lendemain sous une autre appellation.

Par ailleurs, le marché agréé n’offrant aucune alternative s’agissant des casinos en ligne, la liste pourrait constituer une publicité pour les sites qui en proposent et qui seraient ainsi nommément désignés et plus faciles à repérer pour les joueurs attirés par ce type d’offres.

Du fait de l’étroitesse de la définition des segments de jeux en ligne autorisés par la loi du 12 mai 2010, il est difficile de s’adapter aux innovations du marché et de proposer des offres variées.

L’autorisation de trois nouvelles variantes de poker en ligne et le partage européen des liquidités, c’est-à-dire l’autorisation de partager une table avec des joueurs titulaires d’un compte chez un opérateur européen bénéficiant d’un agrément auprès de son régulateur, aura ainsi mis cinq ans à se réaliser et aura nécessité la modification de la loi de 2010 opérée par l’article 95 de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique. L’ARJEL croit déceler un effet de cette innovation dans les résultats du poker en cash game sur le quatrième trimestre 2016, mais cet impact reste à confirmer.

En 2016 aura aussi été autorisée une nouvelle forme de pari sportif, le pari combiné et mutuel, plus connu sous le nom de « Fantasy ». L’opérateur alloue un budget fictif à partir duquel les parieurs constituent une équipe de joueurs dont la performance jugée sur des critères précis (pour le football, nombre de buts, distance parcourue, nombre de ballons touchés, nombre de passes décisives), sera établie lors d’une journée du championnat, les parieurs ayant constitué l’équipe la plus performante se partageant les mises selon un tableau des lots défini à l’avance.

Ces innovations restent toutefois limitées. Les rapporteurs n’estiment pas souhaitable d’élargir les segments de jeux autorisés en ligne aux machines à sous ou aux autres jeux de tables que le poker (casinos électroniques) considérant, d’une part, que cette concurrence nuirait gravement aux casinos physiques et que, d’autre part, le pouvoir addictogène de ce type de jeux semble difficilement maîtrisable, même s’ils ont bien conscience qu’il existe une offre illégale qui prospère sur ce créneau.

S’agissant de la fiscalité, les opérateurs rencontrés par les rapporteurs ont souligné sa lourdeur atypique en France et ils ont reçu sur ce point le soutien de l’ARJEL qui écrit dans son rapport d’activité 2015-2016 que « l’assiette sur les mises se révèle trop lourde et handicapante pour un développement équilibré de ce marché. Les opérateurs sont imposés sur des sommes qu’ils ne perçoivent pas. La grande majorité de nos partenaires européens ont quant à eux choisi un mode de prélèvement plus conforme à la logique économique c’est-à-dire une assiette sur le produit brut des jeux – le montant des mises diminués des gains reversés aux joueurs. ».

Le rapport de la Cour des comptes confirme que la fiscalité française est lourde puisqu’elle a choisi comme assiette les mises et non le produit brut des jeux qui s’apparente davantage à un chiffre d’affaires et que les taux sont relativement élevés (9 % pour les paris sportifs, 13,2 % pour les paris hippiques et 1,5 % pour le poker).

De fait, en 2016 comme pour les années précédentes, les prélèvements obligatoires progressent plus que le produit brut des jeux (14 % contre 8 %) : ils s’élèvent à 389 millions d’euros, soit presque 48 % du montant du produit brut des jeux consolidé qui s’établit à 813 millions.

Il semble contestable de continuer à adopter comme assiette les mises alors que la plupart des pays européens ont choisi le produit brut des jeux, reconnaissant ainsi que les mises ne faisaient que transiter chez l’opérateur puisqu’elles sont largement partagées entre les joueurs au bénéfice des gagnants (taux de retour aux joueurs toujours supérieur à 70 %).

Si l’on voulait changer d’assiette tout en conservant le rendement fiscal, il faudrait appliquer au produit brut des jeux des taux importants pour obtenir les mêmes montants de prélèvements (la Cour évoque le taux de 42 % pour 2015 mais les données 2016 montrent qu’on s’approche d’un taux de 50 % !) qui mettraient en exergue le différentiel de fiscalité entre la France et ses voisins pour cette activité.

Il y aurait aussi un risque d’optimisation fiscale par manipulation du taux de retour aux joueurs de la part des opérateurs, même si les rapporteurs observent que ces taux sont plafonnés par la règlementation (85 % pour les paris sportifs), ce qui limite ce risque.

Si l’on décidait cette modification d’assiette après avoir mené une étude d’impact portant notamment sur les effets sur les comportements des joueurs, il conviendrait de le faire pour la totalité des segments de jeux et des canaux de distribution, sous peine d’introduire une nouvelle distorsion de concurrence et une complexité supplémentaire dans un domaine qui n’en manque pas. Dans l’immédiat, il serait logique d’assurer le même traitement fiscal au poker en ligne qu’aux jeux de table des casinos physiques et donc de le taxer sur le produit brut des jeux et non pas sur les mises, d’autant que le mécanisme actuel est très pénalisant (il se traduit par une ponction de 2 % à chaque main) pour ce jeu.

Proposition n° 7 : substituer le produit brut des jeux aux mises comme assiette de la fiscalité sur le poker en ligne et mettre à l’étude cette substitution pour l’ensemble des prélèvements portant sur les jeux d’argent et de hasard.

II. HARMONISER PROGRESSIVEMENT LES OBLIGATIONS DES OPÉRATEURS EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT

L’une des raisons pour lesquelles les jeux d’argent font l’objet d’une interdiction de principe est qu’ils peuvent constituer une voie privilégiée par les organisations criminelles pour procéder à des opérations de blanchiment du produit d’activités illicites.

Si l’ensemble du secteur est théoriquement soumis à des obligations très fortes dans ce domaine, notamment du fait de la transposition des directives communautaires, la réalité de leur application dépend fortement des modalités concrètes de déroulement des opérations de jeu et de la culture des opérateurs et de leurs clients.

La Cour des comptes a utilement souligné cette réalité dans son rapport ainsi que le caractère plus ou moins opérant des déclarations de soupçon transmis à TRACFIN par les différents acteurs du secteur des jeux.

Les rapporteurs mettront l’accent pour leur part sur deux aspects essentiels de la vigilance contre le blanchiment que sont l’agrément des opérateurs d’une part, et les dispositifs de traçabilité des opérations de jeu d’autre part.

A. LES AGRÉMENTS DES OPÉRATEURS

Le contrôle de l’honorabilité des opérateurs de jeu est la base de tout dispositif de lutte contre le blanchiment et contre l’utilisation de ce vecteur par des organisations criminelles qui sont traditionnellement intéressées par l’acquisition de complicités ou par l’infiltration du système, comme l’ont montré récemment plusieurs exemples dans les cercles de jeux parisiens.

Si l’ensemble des acteurs sont contrôlés sur ce point, il reste encore quelques différences de traitement ou des lacunes résiduelles qui mériteraient d’être comblées.

Le secteur qui fait l’objet d’une régulation la plus étroite est celui des opérateurs de jeux en ligne. En nombre limité (16 sociétés bénéficiaires de 27 agréments en 2016), ces opérateurs doivent justifier de leur capacité à assumer leurs obligations en matière de lutte contre les activités criminelles en détaillant les procédures internes qu’ils comptent mettre en œuvre afin d’obtenir leur agrément initial ; ils doivent ensuite déployer une architecture technique conforme à une norme définie par l’ARJEL qui garantit le contrôle étendu des opérations de jeu et l’homologation des logiciels de jeu qu’ils utilisent. Une certification annuelle des composants essentiels de l’architecture est systématiquement entreprise.

Depuis 2010 l’ARJEL a été amenée à effectuer deux signalements auprès du procureur de la République de Paris et l’agrément des opérateurs concernés a été abrogé.

De même, l’ensemble des personnels des jeux de casinos doit faire l’objet d’enquêtes d’agrément et cette notion est assez extensive puisqu’elle englobe tous les salariés présents dans les salles de jeux de tables, même s’ils ne participent pas directement aux opérations de jeux.

Le service central des courses et jeux (SCCJ) dépendant du ministère de l’intérieur instruit directement l’agrément des directeurs responsables et membres des comités de direction des casinos, ainsi que des dirigeants des sociétés de fourniture et de maintenance qui ont l’exclusivité de l’installation et du fonctionnement des machines à sous, alors que ses correspondants locaux dans les services de police judiciaire traitent des salariés d’un moindre niveau hiérarchique, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) étant en charge de la délivrance finale des agréments.

Les conditions sont strictes, et le SCCJ doit veiller à ce que la personne sollicitant un agrément ne représente aucune menace pour l’ordre public dans le domaine des jeux (exclusion des cas de consommateurs de stupéfiants, de personnes à l’environnement direct lié au banditisme, antécédents judiciaires en lien avec des atteintes à la probité ou à l’autorité de l’État…).

Toute introduction de matériel de jeu quel qu’il soit, fait aussi l’objet d’une inspection des fonctionnaires spécialistes du service afin de vérifier sa fiabilité technique et son respect de la réglementation. En 2015, ce sont 23 matériels de jeux qui ont fait l’objet de visites techniques de la part du SCCJ, tandis que 5 sociétés de fabrication ont subi des enquêtes approfondies d’agrément. En 2016, 6 sociétés ont été agréées.

2 054 agréments ont été pris en charge par le SCCJ en 2015 dont 350 au niveau central. En 2016, sur 344 demandes d’agréments divers (employés du casino d’Enghien, employés et cadres de cercles, techniciens des sociétés de fourniture et de maintenance) traitées par le SCCJ au niveau central, 14 ont essuyé des refus.

En cas de violation des règles de la police des jeux, des procédures administratives sont conduites par le SCCJ ou ses correspondants, sous l’étroit contrôle de l’échelon central (43 procédures de demandes de sanctions traitées par le service central en 2015).

Lors de leur audition devant les rapporteurs, les organisations représentatives des casinos ont critiqué l’allongement des délais des procédures d’agrément de leurs salariés en province, en citant un cas d’un délai de deux mois et demi comme particulièrement dysfonctionnel pour un recrutement sur un poste difficile à pourvoir. Interrogé sur ce point, le chef du SCCJ a indiqué que le délai moyen d’instruction des agréments en administration centrale était d’une semaine, ce qui est satisfaisant. Les rapporteurs n’ont toutefois pas pu obtenir les délais moyens d’instruction des demandes d’agrément par les correspondants locaux du service ni le délai moyen de délivrance de l’agrément par la DLPAJ, ce qui ne permet pas de statuer sur la performance de l’administration sur ce point.

La Cour des comptes a regretté l’absence de disposition prévoyant une autorisation administrative préalable pour tout investissement, français ou étranger dans les casinos, afin de mieux suivre les évolutions du capital des sociétés et de vérifier l’origine des fonds investis dans des entités bénéficiant déjà d’un agrément ou d’une autorisation d’exploitation. Les rapporteurs souscrivent à cette proposition et se félicitent qu’elle soit en voie d’adoption dans le cadre de la discussion du projet de loi relatif au statut de Paris.

Proposition n° 8 : soumettre à une autorisation administrative préalable toute évolution de la répartition du capital social et du contrôle des sociétés titulaires d’une autorisation d’exploitation d’un casino.

Dans le domaine des courses hippiques, le SCCJ procède à des « enquêtes couleurs », au nombre de 4 000 en 2015, qui permettent d’émettre des avis conditionnant la délivrance des autorisations données par les sociétés mères pour faire courir, monter et entraîner les chevaux.

Le SCCJ assume également les enquêtes préalables aux autorisations de gérer un point de vente du PMU, qui concernent les exploitants de postes d’enregistrement des paris (gérants et associés). À l’origine exclusivement axées sur la moralité des candidats, les enquêtes ont évolué pour intégrer un volet lié à la lutte contre le blanchiment et la proportion d’avis défavorables a augmenté pour atteindre 9 % en 2015 (218 avis défavorables pour 2 425 dossiers traités). Les enquêtes administratives réalisées dans le cadre de ces demandes permettent la découverte d’infractions portant sur des domaines variés comme les fraudes sociales, fiscales ou d’une manière plus générale en relation avec le blanchiment d’argent provenant de l’économie souterraine.

Le décret du 25 mars 2015 a aussi autorisé la suspension pendant six mois ou le retrait de l’autorisation d’exploitation d’un poste d’enregistrement des paris par le PMU et cette possibilité a été appliquée pour la première fois en 2016.

Les rapporteurs se félicitent de cette innovation dans la mesure où une méthode de blanchiment parfois pratiquée dans les points de vente PMU consiste à racheter des tickets gagnants avec la complicité du détaillant afin de « bancariser » des sommes en liquide grâce à un chèque de gains.

RACHATS DE TICKETS GAGNANTS

Source : Tracfin.

Dans la mesure où les points de vente de la FDJ présentent les mêmes vulnérabilités que les points de vente PMU sur ce point, les rapporteurs souhaiteraient que leurs gérants soient soumis à la même enquête de la part du SCCJ, ce qui n’est pas le cas actuellement même si un projet de décret est en cours d’élaboration en vue d’une application au 1er juillet 2017. Il faut toutefois signaler que la Cour des comptes a relevé que le contrôle interne était plus rigoureux sur ce point à la FDJ qu’au PMU qui a des efforts urgents à faire dans ce domaine.

Proposition n° 9 : soumettre l’autorisation de gérer un point de vente de la Française des jeux aux résultats d’une enquête administrative, conformément à la procédure applicable pour les points de vente du PMU.

B. LA TRAÇABILITÉ DES OPÉRATIONS ET LA CONNAISSANCE DES CLIENTS

Comme pour les agréments, les modalités concrètes de traçabilité des opérations de jeu diffèrent fortement d’un segment à l’autre, d’un mode de distribution à l’autre. Cette situation s’explique par des raisons techniques mais aussi historiques et culturelles qu’il serait illusoire de penser éradiquer à très brève échéance.

Les rapporteurs estiment néanmoins, de manière peut-être moins volontariste que la Cour des comptes, que des progrès sont possibles et souhaitables, non seulement pour combattre le blanchiment, mais aussi pour progresser dans l’effectivité de l’application de l’interdiction de jeu des mineurs ou dans la lutte contre le jeu problématique.

Dans ce domaine aussi, la régulation des jeux en ligne est en avance dans la mesure où la configuration technique des opérations de jeu garantit une excellente traçabilité. Les dispositifs techniques imposés aux opérateurs permettent en effet de capter l’intégralité des opérations élémentaires de jeu réalisées par chaque joueur sur chaque plateforme et de les stocker de façon sécurisée dans un coffre-fort électronique.

Ces informations sont ensuite mises à disposition de l’ARJEL qui rapatrie quotidiennement entre 50 et 70 millions d’opérations élémentaires de jeu, lesquelles sont soumises à des indicateurs automatisés de contrôle destinés à garantir leur sécurité et leur cohérence. La loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé a utilement autorisé l’ARJEL à utiliser ces données afin de rechercher et d’identifier tout fait commis par un joueur et susceptible de constituer une fraude ou de relever du blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.

L’identification des joueurs est garantie lorsqu’ils ouvrent un compte sur les différentes plateformes qui exigent un compte bancaire pour procéder aux différentes opérations de paiement.

La FDJ a mis en place des mesures comparables en matière de compte joueurs, d’homologation des logiciels de jeux et de sécurisation de l’affichage des résultats pour la loterie en ligne et les jeux digitaux instantanés.

Les opérations de jeux en dur ne présentent pas les mêmes caractéristiques de traçabilité.

S’agissant des paiements en espèces, le décret du 24 juin 2015 a abaissé le plafond pour les achats de toute nature des résidents fiscaux de 3 000 euros à 1 000 euros afin de lutter contre le blanchiment alors que la directive 2015/849 du 20 mai 2015 dite quatrième directive anti-blanchiment a institué un plafond spécifique pour les prestataires de services de jeux d’argent et de hasard à 2 000 euros.

La FDJ respecte ces obligations puisqu’elle prévoit un plafond de paiement en espèces de 1 000 euros pour les mises et de 300 euros pour les gains.

Le PMU pour sa part ne les respecte pas et a simplement abaissé son plafond de paiement des gains en espèces de 5 000 à 3 000 euros sans appliquer de plafond pour les mises. Le PMU justifie sa résistance en faisant observer que les turfistes sont viscéralement attachés aux paris en espèces et que le paiement des gains en liquide incite à les rejouer immédiatement, ce que ne permettrait pas la remise d’un chèque ou un virement bancaire. Il estime à 180 millions d’euros la perte d’enjeux qui a accompagné la baisse à 3 000 euros de son plafond de paiement des gains en espèce.

Il met aussi en avant une analyse juridique, contestée par la direction des affaires juridiques du ministère de l’économie et des finances, selon laquelle les paris ne relèveraient pas du décret de 2015 au motif que l’engagement d’une mise ne procède ni d’une obligation contractuelle préalable ni d’une obligation naturelle, qu’il doit dès lors recevoir une autre qualification que celle du paiement d’une dette puisqu’il s’apparente à un dépôt de garantie.

S’agissant de l’identification des joueurs, la directive a fixé à 2 000 euros le seuil de relevé d’identité des joueurs. La France vient de transposer ce dispositif, aussi bien pour les gains (décret du 10 juin 2016) que pour les mises (ordonnance du 1er décembre 2016), pour les casinos comme pour les autres opérateurs de jeux.

Les casinos, grâce au registre des changes, sont déjà tenus de procéder à l’enregistrement des noms et adresses des joueurs lorsqu’ils échangent tous modes de paiement, plaques, jetons, tickets dont le montant excède ce seuil de 2 000 euros. Les autres opérateurs de jeux seront, à compter de 2017, tenus de s’assurer de l’identité des joueurs misant ou gagnant des sommes supérieures à ce même seuil et d’enregistrer les noms et adresses de ces joueurs, ainsi que le montant des sommes qu’ils ont misées ou gagnées. Pour les uns comme pour les autres, le délai de conservation de ces informations est fixé à cinq ans.

La FDJ identifie déjà systématiquement les gagnants de montants supérieurs à 3 000 euros (jeux de loterie), à 200 euros (jeux de grattage) et à 300 euros (jeux de tirage et paris sportifs), soit de l’ordre d’un million de gagnants. L’abaissement programmé du seuil d’identification à 2 000 euros (en 2017) voire 1 000 euros (en 2018) et son application aux gains comme aux mises augmenterait substantiellement le nombre de joueurs identifiés chaque année : d’environ 35 000 joueurs en plus en cas de fixation du seuil à 2 000 euros et d’environ 170 000 joueurs en plus en cas de fixation du seuil à 1 000 euros.

Quant au PMU, il enregistre l’identité des gagnants d’un montant supérieur à 3 000 euros depuis 2013, ce qui lui laisse plus de chemin à parcourir pour s’aligner sur les nouveaux seuils d’identification.

La Cour des comptes a regretté la généralité de l’anonymat des parieurs dans le réseau physique et a appelé de ses vœux la mise en place d’un système obligatoire d’identification du type carte joueur, à l’instar de ce qui existe en Norvège.

Les rapporteurs partagent l’objectif d’une meilleure identification des parieurs mais ils observent que la généralisation obligatoire de la carte joueur risque de se heurter à de redoutables obstacles pratiques et techniques si on l’impose brutalement et à brève échéance, la Norvège ayant mis une quinzaine d’années à déployer ce type de dispositif.

Le PMU a développé depuis 2010 une carte joueur facultative mais dont il a encouragé le déploiement à partir de 2015, notamment grâce à un programme de fidélité à points. Force est de constater que les résultats, quoiqu’en progression, ne sont pas à la hauteur des attentes, illustrant les résistances des turfistes à utiliser ce type de système.

Fin 2015, le nombre de cartes actives (actionnées pour au moins un pari dans l’année) était de 76 000 pour 1,35 % des enjeux ; il était de 120 000 fin 2016 pour 2,8 % des enjeux, soit une progression inférieure aux objectifs.

Du côté de la FDJ aucune tentative de diffusion d’une telle carte n’a jusqu’ici abouti malgré les engagements pris en ce sens auprès des pouvoirs publics depuis plusieurs années. L’entreprise a récemment opté pour une autre stratégie en décidant de subordonner l’accès à de nouveaux jeux attractifs à l’ouverture préalable d’un compte joueur. Il en sera ainsi en 2017 à titre expérimental pour l’offre de paris événementiels dans un nombre limité de points de vente (une centaine) et sur un nombre limité de sports et de compétitions.

Ainsi, toute personne souhaitant ouvrir un compte pour jouer à l’offre de paris événementiels devra au préalable avoir complété ses données personnelles (nom, prénom, date de naissance) et avoir présenté sa pièce d’identité au détaillant qui vérifiera sur son terminal de vente la concordance des informations renseignées avec les données de la carte d’identité et créera ensuite le compte du joueur auquel sera associé une carte.

Le joueur pourra créditer son compte auprès de son détaillant ou par carte bancaire via une borne de jeu située dans le point de vente, puis miser à partir d’une borne également située dans le point de vente. En fonction des résultats de cette expérimentation, la FDJ proposera de la pérenniser et de l’étendre progressivement à l’ensemble de la gamme des paris sportifs (qui concerne entre 4 et 5 millions de joueurs réguliers) dans un délai de 5 ans.

À défaut d’imposer une carte joueur, les rapporteurs estiment qu’il serait possible d’utiliser les nouvelles bornes de prise de paris déployées dans les points de vente afin de soumettre la prise de paris à la lecture automatique par scan d’un document d’identité, ce qui permettrait de vérifier que le joueur est majeur, et éventuellement qu’il ne figure pas au fichier des interdits de jeu.

Cette lecture automatisée ne mettrait pas à contribution les buralistes qui ont objecté l’impossibilité physique pour eux d’enregistrer l’identité des joueurs, du fait du rythme des opérations (au PMU, 65 % des mises se font 15 minutes avant le départ des courses). Elle permettrait , grâce à un dispositif technique simple (feu vert feu rouge), d’autoriser les majeurs, et eux seuls, à jouer.

Proposition n° 10 : soumettre les opérations de jeu à la lecture automatisée d’un document d’identité afin de s’assurer que les joueurs sont majeurs dans les points de vente du PMU et de la Française des jeux.

L’identification des joueurs en points de vente pourrait ainsi passer par une approche pragmatique, reposant sur une pluralité d’instruments comme l’identification des gagnants et des gros parieurs au-delà de certains seuils, l’identification progressive des joueurs pour les offres comportant des risques particuliers, et le contrôle de la carte d’identité pour prévenir le jeu des mineurs ou élargir l’application du fichier des interdits de jeu.

Les casinos procèdent déjà à ce contrôle élémentaire puisqu’ils exigent systématiquement une pièce d’identité à l’entrée afin de s’assurer d’une part que la personne est majeure et d’autre part qu’elle ne figure pas sur le fichier des interdits de jeu.

Plus largement, les obligations des casinos en matière de lutte contre le blanchiment se sont récemment durcies, notamment du fait des transpositions de la troisième directive dite « anti-blanchiment » par l’ordonnance du 30 janvier 2009 puis de la quatrième directive par l’ordonnance du 1er décembre 2016, interprétées par de nouvelles lignes directrices notifiées en novembre 2016, ce qui suscite des tensions avec le SCCJ.

Les responsables des casinos ont ainsi l’obligation de mettre en place dans chaque établissement un système d’évaluation et de gestion des risques de blanchiment des capitaux, document interne qui réalise notamment une cartographie assortie d’une analyse des risques.

Les établissements sont soumis à une obligation de formation de leur personnel mais aussi et surtout de vigilance vis-à-vis de leurs clients, afin, le cas échéant, de transmettre une déclaration de soupçon à TRACFIN.

Afin de s’assurer du respect de ces obligations, le SCCJ a mis en place, en plus des audits et des contrôles ciblés, un programme d’inspections spécifiquement consacrées à la lutte contre le blanchiment dans les casinos. Si les inspections ainsi réalisées mettent en exergue des manquements à ces règles, ces carences ont vocation à être transmises à la Commission nationale des sanctions (CNS), instituée auprès du ministre chargé de l’économie (article L. 561-38 du code monétaire et financier).

Une trentaine d’audits techniques et réglementaires, une dizaine de contrôles ciblés et sept inspections anti-blanchiment ont été menés en 2015, lesquelles viennent de reprendre après une pause consécutive à la discussion de nouvelles lignes directrices avec TRACFIN. Deux dossiers ont été transmis à la CNS et cinq sont en cours d’instruction.

Les représentants des casinos entendus par les rapporteurs ont regretté le caractère intrusif de ces inspections et le déroulement concret de certaines d’entre elles (auditions des directeurs) qu’ils ont comparées à des perquisitions. Interrogé sur ce point, le SCCJ a fait la réponse suivante : « Cette critique des syndicats professionnels est infondée. L’intégralité des casinos inspectés s’est en réalité retrouvée en défaut au regard des obligations du code monétaire et financier leur incombant. Aucune juridiction administrative n’a, à notre connaissance, annulé des procédures de contrôle. Bien au contraire, l’ordonnance d’habilitation de la 4ème directive en valide l’existence et en précise même les contours. Cette réaction tente de faire oublier que pendant de nombreuses années, la profession a été ostensiblement rétive à s’engager réellement dans la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ce n’est d’ailleurs que sous l’impulsion des inspections anti-blanchiment initiées par le SCCJ que le nombre de déclarations TRACFIN a augmenté substantiellement ».

De fait, les déclarations de soupçons des casinos sont passées de 154 en 2013 à 423 en 2015. La Cour a toutefois remarqué que le taux d’orientation de ces déclarations en enquête restait faible (25 % en 2015) et qu’il existait une grande hétérogénéité qualitative en fonction des établissements avec parfois une utilisation limitée des informations contenues dans les registres des établissements.

C’est probablement pour améliorer la qualité de ces déclarations que le législateur a, par l’ordonnance du 1er décembre 2016, appliqué aux casinos le régime dit de la relation d’affaires créé pour les établissements financiers qui leur impose de mieux connaître leurs clients réguliers. Ce régime, précisé par les lignes directrices signées conjointement par le SCCJ et TRACFIN notifiées en novembre 2016, suscite des interrogations de la part des casinos qui ne s’estiment pas aussi bien armés que les établissements bancaires pour recueillir les informations attendues d’eux par les pouvoirs publics.

De fait, ces obligations sont exigeantes puisqu’il appartient au casino de définir des critères pour distinguer ses clients habituels des clients occasionnels (fréquence des visites, dépôt des gains, détention d’une carte d’abonnement) et qu’il doit renforcer sa vigilance et sa connaissance du client en recueillant des informations portant sur la provenance des fonds, la justification de l’adresse, les revenus professionnels, le patrimoine, etc.

Même si le SCCJ admet « qu’il ne peut être exigé des responsables des casinos d’avoir une connaissance réelle de la situation patrimoniale de leurs clients il leur incombe d’en avoir une idée, par des voies légales et en ayant recours aux bases ouvertes. Ainsi, en présence d’un joueur au comportement suspect, il est possible d’effectuer certaines recherches simples le concernant et, le cas échéant, interroger directement le client pour connaître sa profession, son patrimoine ou toute information utile », les rapporteurs peuvent comprendre que ces nouvelles règles inquiètent les casinos.

Le SCCJ a aussi augmenté le nombre de critères d’alerte sur le comportement des joueurs nécessitant une vigilance des personnels du casino. Il a par exemple proscrit les attestations de gains et les copies de bons de paiement aux caisses des casinos, ce qui n’est pas compris par les casinotiers.

Interrogé sur ce point par les rapporteurs, le SCCJ a fait la réponse suivante : « dans la mesure où il est quasiment impossible, dans un casino, de déterminer la différence entre la somme gagnée et la mise effectuée par le joueur, il est normal d’interdire la délivrance de toute attestation de gain. À titre d’exemple, un joueur introduisant 1 000 euros d’argent “sale” dans une machine à sous et gagnant 1 600 euros aura un bon de paiement (et une origine “blanchie”) de la totalité de la somme. Ceci sans que, sur la majorité des modèles de machines, il soit possible de déterminer qu’il avait préalablement introduit 1 000 euros. Par ailleurs, on comprend mal les raisons qui poussent les casinos à faire accepter la délivrance d’attestations de gains, dans la mesure où ceci ne présente aucun intérêt commercial direct pour eux. Cette demande démontre surtout que les risques de blanchiment liés à cette pratique ne sont guère pris en compte par cette corporation et que la lutte contre la fraude est considérée comme purement accessoire face à une logique commerciale. »

Les pouvoirs publics semblent donc avoir durci les obligations des casinos depuis quelques années ce qui n’est pas contestable en soi ; cette tendance s’inscrit dans un mouvement international de fond de lutte contre le blanchiment ou l’évasion fiscale tout à fait salutaire.

Les rapporteurs souhaitent simplement s’assurer que l’on n’exige pas d’une profession des informations qu’elle n’est pas en état d’obtenir, même de bonne foi. Il conviendra, au moins dans un premier temps, d’avoir une lecture compréhensive de ces obligations et ne pas exiger des casinos le même degré de complétude et de fiabilité des informations sur leurs relations d’affaires que celui qu’on est en droit d’attendre des banques.

Proposition n° 11 : adapter les informations attendues de l’application du régime de la relation d’affaires aux moyens dont disposent réellement les casinos.

III. COMBLER LES CARENCES DU TRAITEMENT DU JEU PROBLÉMATIQUE

Le périmètre de l’enquête de la Cour des comptes se limitait à l’évaluation de la politique de régulation à l’aune des quatre objectifs fixés par l’article 3 de la loi du 12 mai 2010, au premier rang desquels figurent la prévention du jeu excessif et pathologique et la protection des mineurs. La juridiction financière souligne à ce sujet, et les rapporteurs ne peuvent qu’abonder en son sens, que « la lutte contre le jeu problématique reste lacunaire », que « l’interdiction du jeu aux mineurs n’est pas assurée » et que « le ministère de la santé est peu impliqué [dans la gouvernance] ». Pour améliorer la situation, il importe avant tout de mieux identifier le phénomène et de favoriser la diffusion des bonnes pratiques.

L’annexe n° 1 au présent rapport détaille les différents profils des joueurs, définit le concept de jeu problématique et analyse les facteurs de risque.

A. MIEUX IDENTIFIER LE PHÉNOMÈNE

Autant la Cour des comptes a fourni un panorama détaillé des opérateurs de jeu, c’est-à-dire du secteur de la production, autant elle est restée discrète sur les consommateurs, autrement dit les joueurs. C’est à l’Observatoire des jeux qu’il revient de dresser leur portrait, ce qu’il vient de faire en publiant un atlas du jeu en France qui tend un miroir aux nombreux joueurs de ce pays. Il donne à voir une intensification des pratiques de jeu mais reste muet sur les conséquences sanitaires et sociales.

1. Une intensification de la pratique du jeu

Par rapport à l’année 2010, au cours de laquelle avait été menée la première enquête de santé publique consacrée au jeu, la pratique du jeu s’est répandue puisqu’elle a concerné 56,2 % des Français en 2014, soit 46 millions de joueurs occasionnels, contre 47,8 % quatre ans avant.

L’Observatoire des jeux

L’Observatoire des jeux a été créé par décret du 9 mars 2011. Composé de huit personnalités désignées pour cinq ans, il était un des éléments du Collège consultatif des jeux mis en place par la loi du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne. Comme d’autres organismes, il a donc été victime de sa suppression (7), mais il vient de retrouver une existence officielle (8). Il contribue à réaliser les objectifs de la politique de l’État en matière de jeux d’argent et de hasard fixés dans l’article premier de la loi, c’est-à-dire l’encadrement des jeux d’argent et de hasard « au regard des enjeux d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et des mineurs ». Sa mission consiste, par ses études et ses observations, à éclairer les décideurs publics, à leur permettre de prendre des décisions bien « informées », basées sur une approche empirique et sur des faits scientifiquement mesurés. Son action porte sur l’ensemble des jeux, en dur et en ligne. Parmi les huit personnalités qualifiées qui composent le collège, les grands producteurs de données que sont l’INSEE, Santé publique France et l’ARJEL sont représentés, de façon à accéder plus facilement à la matière première, vitale pour une instance sans grands moyens.

En effet, l’ODJ emploie deux personnes à temps plein, son secrétaire général et un statisticien, et dispose d’un budget de 80 000 euros environ. Son rattachement au ministère chargé du budget lui confère une autorité dont il manquerait sinon. C’est aussi la raison pour laquelle il bénéficie d’un droit de tirage auprès d’autres organismes mieux dotés, comme l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, sur lequel il a pu s’appuyer pour l’enquête nationale de 2014 sur les pratiques de jeu des Français. Une enquête nationale coûte 500 000 euros environ et ce chiffre explique l’intérêt stratégique d’associer les fournisseurs de données à ses travaux pour chercher à peser sur leurs propres programmes. Aussi l’Observatoire privilégie-t-il, dans son mode de fonctionnement, le travail en partenariat à l’échelon national et international (Québec notamment). À défaut, l’ODJ peut se contenter d’enquêtes web, moins onéreuses, de l’ordre de 50 000 euros, et financées sur budget propre, telle l’enquête lancée en 2016 sur les jeux en ligne par exemple. Se limiter à un support empêche une vision panoramique mais le développement du jeu en ligne est tel que le biais est acceptable.

L’intérêt des Français pour les jeux d’argent et de hasard a augmenté depuis le début des années 2000, même si une lente érosion a été observée entre 2011 et 2014, suivie d’une reprise en 2015. Les enjeux, de près de 45 milliards d’euros en 2014, restent en retrait par rapport aux 46,4 milliards de mises engagées en 2011.

Cet engouement, conséquence de l’enrichissement de l’offre de jeux, rendue plus accessible par la libéralisation du jeu en ligne et la diffusion très large des nouvelles technologies, se traduit par une augmentation, depuis 2000, de 83 % du chiffre d’affaires (9). Logiquement, la part de leur budget loisirs que les Français ont consacrée au jeu a augmenté, passant de 8,3 % en l’an 2000 à 10 % en 2015 alors même que la proportion de ce budget dans les dépenses totales a diminué (8,4 % contre 9,6 % en 2000).

Ce sont les jeux de tirage, le Loto ou Euro Millions, et les jeux de grattage qui remportent les suffrages de près de 40 % de la population pour les premiers et du tiers pour les seconds. L’écart est grand avec les autres formes de jeu, comme le montre le tableau ci-dessous, bien que les paris sportifs grimpent en flèche.

JEUX PRATIQUÉS PAR LES FRANÇAIS ÂGÉS DE 15 À 75 ANS

Année 2014

MAS : machines à sous.

Source : Enquête nationale sur les jeux d’argent et de hasard ODJ/INPES 2014.

À l’échelle individuelle, on obtient, pour la France métropolitaine, une mise moyenne annuelle de 767 euros (soit une moyenne mensuelle par individu majeur de près de 64 euros). Avec 660,7 euros, les jeux en dur se taillent toujours la part du lion (86,1 %), mais les jeux en ligne, dominés par le poker (60,3 euros), gagnent régulièrement du terrain. Ainsi, 2 millions de Français ont utilisé Internet pour jouer en 2014. Ils se recrutent surtout chez les plus jeunes et les plus diplômés, et seulement un quart d’entre eux sont des utilisateurs exclusifs. Globalement, trois régions se caractérisent par une forte prévalence du jeu : l’Île-de-France, le sud-est de la côte méditerranéenne (même déduction faite des enjeux des machines à sous des casinos) et la Corse.

Ce sont les casinos qui drainent les mises moyennes les plus importantes. En revanche, ils n’arrivent, avec 40 euros, qu’au deuxième rang quand on considère la dépense nette dont le montant total est d’environ 180 euros, soit moins de la moitié de celle captée par la FDJ (85 euros).

MISES ET DÉPENSES NETTES DE JEU EN FRANCE MÉTROPOLITAINE

Année 2014

(En euros)

 

Jeu traditionnel

Jeu en ligne

Total

 

PMU

FDJ

Casinos

FDJ

Paris sportifs

Paris hippiques

Poker

 

Mises

140,8

244,4

275,5

7,2

20,2

18,6

60,3

767,0

Dépenses nettes

34,8

85,1

40,5

3,5

3,6

3,8

9,2

180,5

FDJ jeu traditionnel : jeux de loterie et paris sportifs.

FDJ en ligne : activité de loterie exclusivement, les paris sportifs sont comptabilisés dans la colonne ad hoc.

Casinos : les mises ont été obtenues par application d’un TRJ théorique à partir des données du bilan statistique du SCCJ.

PMU en ligne : ses chiffres sont consolidés avec ceux des autres opérateurs.

Source : Atlas des jeux (INPES/ODJ).

Selon l’enquête de 2014, un peu plus de la moitié des joueurs dépense moins de 100 euros par an, et un sur dix plus de 1 000 euros. Les plus dépensiers sont les joueurs de poker, suivis des joueurs de loterie et de machines à sous, bien que ces derniers se livrent plus occasionnellement à leur passe-temps. Le schéma ci-dessous met en évidence les différences de comportement entre les joueurs les plus extrêmes.

MONTANT DES DÉPENSES ANNUELLES PAR TYPE DE JEU

(En euros)

Source : Enquête annuelle sur les jeux d’argent et de hasard ODJ/INPES 2014.

La première enquête menée en France sur le jeu problématique a été réalisée à l’occasion de l’ouverture des jeux en ligne. Elle a été conduite par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) dans le cadre du Baromètre santé 2010, et publiée dans la revue (10) de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Opérant un filtrage de manière à n’interroger que les joueurs « actifs » (11), elle rapportait qu’un Français sur deux (48 % des 18-75 ans) tentait sa chance au jeu au moins occasionnellement ; qu’un sur cinq jouait au moins une fois par semaine en moyenne et qu’un sur dix dépensait plus de 500 euros au jeu dans l’année. Parmi ces 25 millions de joueurs, 600 000 étaient concernés par l’addiction, avec une prévalence totale de 1,3 % pour le jeu dit « problématique », en distinguant les joueurs à risque modéré (0,9 %) et les joueurs excessifs (0,4 %). Ce taux place la France loin derrière les États-Unis ou l’Australie (autour de 5 %) et légèrement derrière l’Italie, le Canada, la Belgique et la Grande-Bretagne (aux alentours de 2 %).

PRÉVALENCE DU JEU PROBLÉMATIQUE PAR PAYS

Source : MILDECA.

Par rapport aux résultats de 2010, l’enquête de 2014, menée sur une base quelque peu différente (12), mais qui a été aménagée à des fins de comparaison, souligne la stabilité du noyau dur des joueurs excessifs qui se maintient à 0,5 % de la population, mais la très forte augmentation de la proportion de joueurs à risque modéré, multipliée par 2,5 puisqu’elle est passée de 0,9 % à 2,2 %. En valeur absolue, la France compte 200 000 joueurs excessifs et 1 million de joueurs à risque.

Autre évolution constatée, qui mérite attention, la fréquence de jeu s’est intensifiée au cours des quatre dernières années, si bien que l’augmentation du nombre de joueurs tient avant tout à l’augmentation des joueurs réguliers (31,5 % des joueurs ont joué au moins une fois par semaine au lieu de 22,4 %). Parallèlement, les dépenses suivent une tendance analogue puisque la proportion de joueurs dépensant moins de 500 euros recule de 90,1 % à 80,9 % tandis que la part de ceux qui ont consacré plus de 1 500 euros au jeu est désormais de 7,2 % au lieu de 1,8 %.

2. Des conséquences du jeu problématique mal connues

Les pouvoirs publics ne peuvent se désintéresser du sort des individus qui basculent dans le jeu problématique tant les conséquences peuvent être néfastes pour eux-mêmes et pour leur entourage.

Parallèlement au calcul du taux de prévalence du jeu addictif, qu’il conviendrait de mesurer par jeu et par canal de distribution, une démarche complémentaire consiste à évaluer le coût social du jeu pathologique. Exercice délicat, critiquable par construction car il repose sur des conventions, il est néanmoins nécessaire de rapprocher des performances économiques des opérateurs de jeu et des emplois qu’ils fournissent les dépenses de santé engagées pour traiter les troubles liés au jeu excessif (coût direct), la diminution des performances au travail des joueurs excessifs ou de leur entourage (coût indirect), enfin la perte de qualité de vie du joueur et de ses proches (coût humain).

L’ODJ avait lancé un appel à projets pour évaluer le coût social du jeu en France, et conclu un accord avec l’université d’Aix-Marseille. Pourtant, la recherche menée n’a pas abouti sur des chiffres satisfaisants, faute de données disponibles suffisantes. En effet, ce type d’évaluation repose sur une approche coût/bénéfice.

Les bénéfices agrègent le surplus du consommateur et le surplus du producteur ainsi que le surcroît de recettes fiscales. Le surplus du consommateur, c’est-à-dire la satisfaction supplémentaire procurée par la pratique des jeux, est mesuré par la différence entre le prix que le consommateur serait prêt à payer (disposition marginale à payer) et le prix qu’il paie effectivement ; le surplus du producteur par la différence entre le prix effectif de vente et le prix auquel le producteur serait prêt à le vendre (disposition à vendre). Quant au différentiel de recettes fiscales, il est positif puisque, l’industrie du jeu étant fortement taxée, la réallocation des moyens de production se traduirait par de moindres rentrées fiscales.

Les coûts sanitaires et sociaux englobent l’ensemble des dommages que s’infligent les consommateurs, convertis en unité monétaire. La seule source française disponible était le Baromètre santé de l’INPES (2009/2010, avant donc la libéralisation des jeux en ligne) pour estimer le sur-risque auquel s’exposent les joueurs problématiques : chômage, divorce, qualité de vie diminuée. Sur les 600 000 joueurs problématiques de l’époque, 6,56 %, soit 39 342 auraient été au chômage à cause du jeu, ce qui aurait représenté un coût de 2,6 milliards d’euros. Ce chiffre constituait la fourchette haute, la fourchette basse étant de 0 car la causalité entre jeu et chômage n’est pas démontrée. Par ailleurs, il est avéré que les joueurs problématiques sont en moins bonne santé que la moyenne, mais les auteurs de l’étude ont préféré, par précaution devant la difficulté de l’exercice, ne pas convertir les pertes de santé en termes monétaires. D’autres données manquaient, qui auraient sans doute fait l’objet de réticences comparables, sur les suicides, le surendettement et la criminalité des joueurs, voire de celle dont sont victimes les vendeurs de jeux. S’agissant des coûts pour les finances publiques, aucune mesure de prévention n’était financée sur fonds publics avant 2010.

L’évaluation de l’impact socio-économique s’est donc heurtée au manque de disponibilité des données concernant les coûts dans de nombreux domaines (coûts de perte de qualité de vie, coûts de régulation, coûts médicaux, coûts liés à la criminalité, aux procédures de surendettement et aux suicides), au contraire des bénéfices, plus faciles à quantifier. Il est donc important de prévoir une telle étude, et de prendre les mesures pour la rendre possible dans toutes ses dimensions.

Jeu pathologique et surendettement

Une enquête menée auprès des joueurs problématique a révélé que près de 80 % d’entre eux étaient surendettés, à hauteur de 25 000 euros. Le jeu compulsif peut provoquer le rejet d’une demande de plan de surendettement, dont le dépôt entraîne automatiquement une inscription dans le fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP), puisque le demandeur doit être considéré comme de bonne foi. Or, sans qu’il s’agisse d’une règle, il est arrivé que des créanciers se soient prévalus du comportement de joueur pathologique du débiteur pour refuser la renégociation des dettes. Comme la condition pour présenter un dossier de surendettement est l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble de ses dettes non professionnelles passées et présentes, il n’est pas nécessaire de motiver les raisons d’une situation financière très dégradée. Dès lors, un joueur pathologique aura tout intérêt à garder le silence sur son addiction, de crainte d’être débouté par la commission. Aussi rationnelle qu’elle soit, une telle attitude conduit à sous-estimer les conséquences du jeu pathologique, voire à les rendre invisibles si, par exemple, à titre d’expédient, le joueur a souscrit des crédits à la consommation (crédits revolving) pour couvrir ses découverts bancaires. En Belgique, les noms des surendettés figurent d’office dans la banque EPIS (Excluded Person Information System) que doivent consulter les opérateurs de jeu. En France, un joueur pathologique doit prendre lui-même l’initiative de se faire inscrire sur le fichier des interdits de jeu, dont il ne connaît pas forcément l’existence.

Proposition n° 12 : mettre en place une étude scientifique sur le coût social du jeu problématique intégrant les coûts actuellement non quantifiés.

B. DIFFUSER LES BONNES PRATIQUES EN MATIÈRE DE JEU RESPONSABLE

La responsabilité de l’action contre le jeu problématique repose à la fois sur le joueur, l’opérateur de jeu et l’État. Lors de son audition, le secrétaire général de l’Observatoire des jeux a jugé que les pouvoirs publics ne restaient pas les bras croisés devant le jeu pathologique mais que leur action ne portait pas sur les bons leviers. Par exemple, les messages d’information et la sensibilisation aux risques ont un degré élevé d’effectivité car ils sont bien délivrés comme les textes le prévoient. Néanmoins, ils ne sont pas très efficaces car ils ne dissuadent pas les joueurs problématiques de continuer à jouer, ni les mineurs de commencer.

EFFECTIVITÉ ET EFFICACITÉ DES MESURES DE LUTTE CONTRE LE JEU EXCESSIF

Source : Observatoire des jeux.

C’est à l’aune de ce graphique que doit être appréciée la politique de prévention du jeu problématique. Au-delà, le législateur et les administrations ont à s’interroger sur les paradoxes qui caractérisent la politique de jeu responsable.

Le premier paradoxe réside dans le fait de confier la lutte contre le jeu problématique aux opérateurs eux-mêmes, l’État assurant surtout le volet curatif, ce qui aboutit à ce que « celui qui a intérêt à ce qu’on l’on joue plus doit simultanément établir un dispositif pour que l’on joue moins » (13). Une telle organisation fait peser sur les opérateurs une obligation de moyen, plus que de résultat, comme le relève Christophe Alonso (14). Le tableau ci-dessous, qui évalue la part du chiffre d’affaires des opérateurs de jeu réalisé grâce aux joueurs problématiques, souligne le paradoxe.

PART DU CHIFFRE D’AFFAIRES ATTRIBUABLE AUX JOUEURS PROBLÉMATIQUES
PAR TYPE DE JEU, EN FRANCE, EN 2014

1 2 3 4 5 6 7 8 9

Colonne 1 : loteries, y compris non FDJ

Colonne 2 : jeux de grattage, y compris non FDJ

Colonne 3 : paris sportifs

Colonne 4 : paris hippiques

Colonne 5 : poker

Colonne 6 : jeux de table des casinos, hors poker

Colonne 7 : machines à sous

Colonne 8 : jeux en ligne

Colonne 9 : ensemble

Source : Enquête nationale sur les jeux d’argent et de hasard ODJ/INPES 2014, calcul ODJ.

Le second paradoxe résulte d’une approche sociologique de fond, qui entend, non sans raison (on ne fait pas le bonheur des gens malgré eux, ni ne soigne un patient contre son gré), faire de l’individu l’acteur de sa vie. Dès lors, tout problème social, en l’occurrence le jeu, n’est plus envisagé, au nom de l’auto-contrôle et de l’auto-limitation, que comme une pathologie individuelle. « L’État donne, en définitive, une image neutre, ni incitative, ni protectrice, qui met l’individu face à ses responsabilités et, par là-même, semble se dédouaner des siennes » (15).

Troisième paradoxe : la liberté garantie à chaque individu se traduit dans les faits par une juxtaposition de règles et de normes, qu’il détermine lui-même, certes, mais qu’il a obligation de fixer et dont la gestion suppose sa surveillance accrue. Dans cette entreprise, l’administration et les instances de conseil et de régulation qu’elle sollicite, avides de données à analyser afin d’éclairer la décision publique et soucieuses de conforter leur objet social, trouvent l’appui des opérateurs de jeu, conscients de tout l’intérêt qu’il y a à connaître intimement chacun de leurs clients, sans jamais rencontrer de véritables limites. En outre, l’importance des recettes que l’État tire de l’exploitation des jeux ne le met pas à l’abri des conflits d’intérêts, surtout que l’évaluation du coût social du jeu est un exercice très délicat, qui ne vaut que s’il se répète dans le temps. La politique publique de régulation des jeux gagnerait donc, selon l’Observatoire des jeux, à être plus restrictive, s’agissant de la publicité et des offres commerciales (bonus en général et messages de relance auprès de la clientèle à risque), à négocier avec les opérateurs des engagements de résultat, et à donner toute sa place aux instances en contact avec les victimes du jeu pathologique, qu’il s’agisse des associations ou des médecins.

1. La prévention

a. L’interdiction du jeu aux mineurs et les actions auprès des jeunes

Alors que la protection des mineurs est le premier objectif cité par la loi du 12 mai 2010, l’enquête ODJ/INPES appelle l’attention sur la pratique, somme toute assez courante, du jeu chez les mineurs (16) puisque près d’un mineur interrogé sur trois (32,3 %) déclare avoir joué au cours de l’année écoulée. Sans surprise, les jeunes s’adonnent au jeu essentiellement dans le réseau physique, le jeu en ligne étant le fait de 6,5 % d’entre eux, soit une proportion comparable à celle des majeurs (7,2 %). De plus, parmi les personnes de plus de dix-huit ans, une sur quatre déclare avoir fait l’expérience du jeu avant sa majorité. L’interdiction, inscrite dans l’article 5 de la loi de 2010, n’est donc pas respectée.

S’agissant du jeu en ligne, le compte joueur n’est activé qu’après que le titulaire a fourni la preuve de son identité (et les coordonnées d’un compte bancaire), et l’opérateur est tenu de la vérifier à chacune des connexions du joueur sur son site. Dès lors, la pratique des jeux en ligne par les mineurs se fait vraisemblablement sous l’identité d’un tiers et la supercherie est donc difficile à déceler.

Les opérateurs historiques

Pourtant, les opérateurs historiques n’ont pas ménagé leurs efforts pour déployer à plus grande échelle les messages d’interdiction. À la Française des jeux, l’autocollant « interdit aux moins de 18 ans » a été agrandi (quatre fois), un pictogramme a progressivement été intégré aux publicités diffusées, dans les lieux de vente, sur le web et dans les médias. Deux affiches de prévention du jeu des mineurs, co-construites avec l’aide d’associations familiales et spécialisées sur la protection de l’enfance, sont présentes depuis l’été 2013 dans chaque point de vente et sont en cours de renouvellement. Lors de la dernière Coupe du monde de football (2014), la FDJ a produit un premier spot de prévention sur le jeu des mineurs, qu’elle a diffusé sur les chaînes de télévision et sur le net (Youtube) après l’avoir testé, juste avant le début de l’Euro 2016.

Le PMU a également revu la signalétique du message d’interdiction du jeu aux mineurs, qui apparaît désormais sur l’application pour téléphone portable ; il en a fait une priorité de ses axes de communication, avec une certaine efficacité puisque c’est la campagne la mieux connue auprès des parieurs. Il faut tout de même garder en mémoire que les paris hippiques attirent peu la jeunesse, et que le problème concerne surtout sa rivale.

L’asymétrie de la réglementation, plus rigoureuse à l’égard des opérateurs en ligne, ouvre une brèche dans la muraille qui doit protéger les mineurs du jeu. N’ayant pas les mêmes obligations vis-à-vis de leurs clients, les détaillants sont susceptibles d’être trompés plus facilement car l’appréciation de l’âge est un exercice assez subjectif. Cette situation est d’autant plus regrettable que la précocité de l’expérience de jeu est un facteur de risque.

Un tel constat constitue un argument supplémentaire pour introduire le contrôle des pièces d’identité dans la totalité des points de vente. La Commission des jeux de hasard de Belgique s’est d’ailleurs fixé comme priorité d’équiper les appareils de bingo installés dans les cafés de lecteurs de cartes d’identité de façon à vérifier l’âge des joueurs.

Les autorités sanitaires et l’éducation nationale

Le thème des jeux de hasard et d’argent a été intégré au plan gouvernemental de lutte contre les drogues et les conduites addictives 2013-2017, dans ses volets traitant de la prévention, du repérage et de l’orientation, de la prise en charge, de la recherche, ou encore de l’observation et de la surveillance.

Pour convaincre la jeunesse des risques du jeu, il convient donc d’intervenir en amont, en particulier en milieu scolaire. Il constitue d’ailleurs un des publics prioritaires des actions de prévention actuellement menées dans le cadre de collaborations entre autorités sanitaires, responsables scolaires et collectivités locales, et qui concernent tous les types d’addiction. C’est l’occasion d’informer l’auditoire des addictions sans substance, notamment des risques d’Internet, des réseaux sociaux et des jeux vidéo. Comme les thérapeutes envisagent désormais l’addiction comme un processus, indépendamment de son objet, les programmes de prévention en milieu scolaire, fondés sur l’acquisition de compétences psycho-sociales et destinées à prévenir les comportements à risque (violence, substances licites et illicites), luttent également contre le jeu excessif.

Programmes et expérimentations en milieu scolaire

– Programme spécifique sur le jeu : un pôle d’innovation et d’expérimentation sur le jeu excessif a été créé par une association, la Société d’entraide et d’action psychologique (SEDAP) à Dijon, qui gère un centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) ambulatoire et résidentiel, et un centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD). Ce pôle a lancé en septembre 2014 une action-recherche autour d’un outil de prévention à destination des mineurs. Adaptée d’un programme canadien dénommé « Bien Joué », elle s’étale sur deux ans et s’adresse à des lycéens de première. Il s’agit de conforter les compétences personnelles et les habiletés sociales tout en faisant mieux comprendre les risques associés à la pratique des jeux. Le financement de cette recherche action est assuré par la Française des jeux et l’évaluation de ce programme est confiée à un chef de projet de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA).

– Programmes généralistes contre les drogues, les conduites addictives, et les comportements à risque : la MILDECA a développé une politique d’expérimentation inspirée notamment de modèles étrangers ayant fait la preuve de leur efficacité, pour faire évoluer les pratiques professionnelles et décloisonner le fonctionnement des institutions. Si l’évaluation d’un programme est positive, il sera proposé à d’autres instances.

b. Le fichier des interdits de jeu

La gestion du fichier des interdits de jeu a été confiée au ministère de l’intérieur au titre de l’ordre public. Il est prévu dans l’article R. 321-28 du code de la sécurité intérieure qui prévoit d’y inscrire des personnes qui ont volontairement sollicité cette mesure, des personnes protégées à la demande de la personne responsable, des personnes condamnées à une telle peine en vertu de l’article R. 50 du code pénal ou des personnes susceptibles de porter atteinte à l’ordre ou au déroulement des jeux.

Tenu sous forme de tableau Excel, son informatisation est en cours et devrait aboutir avant la fin de l’année 2017 de façon à permettre sa mise à jour et sa transmission sur une base quotidienne. À l’heure actuelle, le fichier est actualisé au fur et à mesure, mais il n’est transmis que tous les mois aux casinos et aux opérateurs en ligne. Il compte environ 38 000 individus, dont la quasi-totalité sont inscrits à leur demande. Dans ce cas, la DLPAJ fait procéder par un représentant local du SCCJ à un entretien individuel pour vérifier l’authenticité du consentement. En effet, l’interdiction est prononcée pour une durée minimale de trois ans, et une telle mesure n’a de sens que si l’intéressé ne peut pas revenir sur sa décision trop rapidement. De plus, il doit solliciter sa radiation puisque l’interdiction est renouvelable par tacite reconduction. Sous sa nouvelle forme, il pourrait être accessible des points de vente physiques. En revanche, la DLPAJ est très sceptique quant à l’intérêt pour l’État d’un fichier national des joueurs qui sous-tend le principe de la carte joueur, surtout après le tollé suscité par le fichier des titres électroniques sécurisés. Des addictologues considèrent que la tenue du fichier des interdits de jeu par le ministère de l’intérieur est plus de nature à effrayer, voire dissuader, que s’il était géré par le ministère de la santé.

Les interdictions autres que volontaires sont des mesures de police administrative, prononcées par la DLPAJ, après que les personnes se sont rendues coupables de troubles causés dans les salles de jeu, qu’il s’agisse d’esclandres ou de tentatives de tricherie. La décision peut être contestée devant le tribunal administratif de Paris. Le juge peut prononcer également une peine complémentaire d’interdiction. Les manquements les plus graves sont passibles d’une interdiction de cinq ans. Environ 500 personnes par an font l’objet de ce type de sanction.

Dès qu’ils ont connaissance de l’information, les opérateurs de jeu en ligne sont tenus de clôturer le compte d’un joueur interdit aux termes de l’article 7 du décret n° 2010-518 du 19 mai 2010 relatif à la mise à disposition de l’offre de jeux et de paris par les opérateurs agréés de jeux ou de paris en ligne. Ils ont obligation de procéder à des vérifications tous les huit jours au moins depuis le décret n° 2015-620 du 5 juin 2015, au lieu de tous les mois précédemment.

Le site du ministère de l’intérieur précise que l’interdiction n’est valable que dans les casinos et sur les sites de jeux en ligne, mais que la personne concernée « peut cependant faire des paris hippiques et sportifs sur les hippodromes ou dans les commerces agréés, et participer aux lotos et loteries ».

Il convient de saisir l’occasion de l’informatisation du fichier des interdits de jeux pour généraliser son utilisation dans tous les points de vente.

Proposition n° 13 : étendre la consultation du fichier des interdits de jeu au réseau des points de vente physique du PMU et de la Française des jeux.

La Belgique a mis en place un système original. L’institution belge de contrôle et de réglementation des jeux de hasard, la Commission des jeux de hasard (CJH), rattachée au ministre fédéral de la justice, dispose depuis 2004 d’un moyen efficace pour renforcer son dispositif de lutte et de contrôle des dérives liées au jeu : le système EPIS (Excluded Persons Information System). EPIS est une base de données informatisée mise à la disposition de tous les opérateurs des jeux de hasard en ligne ou en dur. Elle contient des informations précises relatives à plus de 50 000 citoyens belges : ceux qui sont interdits de jeu légalement (hommes de loi) et ceux qui sont exclus du jeu suite à des sanctions pénales ou pour surendettement. Une inscription peut être prononcée par la CJH à la demande de l’entourage d’un joueur excessif. Lorsqu’un joueur se présente pour jouer, la salle de jeux a l’obligation de vérifier qu’il est autorisé à le faire. Si EPIS donne un signal vert, le client est autorisé à jouer ; par contre, si le signal est rouge, il doit automatiquement être interdit de jeu.

c. Les messages de mise en garde

L’article 26 de la loi du 12 mai 2010 prévoit que chaque opérateur « informe les joueurs des risques liés au jeu excessif ou pathologique par le biais d’un message de mise en garde, ainsi que des procédures d’inscription sur les fichiers des interdits de jeu tenus par les services du ministère de l’intérieur. ». Les autorités compétentes conviennent unanimement que des aménagements sont nécessaires.

En particulier, la MILDECA, le ministère des affaires sociales et de la santé, l’Agence nationale de santé publique et l’ARJEL ont développé une action visant à réfléchir aux moyens et aux conditions d’adaptation des modalités d’affichage des messages de mise en garde aux nouveaux supports informatiques (smartphones, montres connectées, tablettes multimédia, télévision…) sur lesquels se développe l’offre de jeux et de paris en ligne ainsi qu’à leur format. Il s’agit d’adapter le contenu et les modalités d’affichage définis dans un arrêté du 8 juin 2010 du ministre de la santé, car l’expérience montre que les numéros de téléphone et l’adresse des sites d’aide aux joueurs, diffusés dans les messages de prévention, sont très souvent confondus avec ceux de l’opérateur de jeu. Ainsi, les joueurs sollicitent le dispositif Joueurs info service en pensant s’adresser aux services techniques des sites sur lesquels ils jouent. Les messages de prévention doivent être plus clairs.

2. Le jeu responsable et la réduction des risques

a. Les initiatives développées par les opérateurs historiques

La FDJ et le PMU ont adopté des démarches comparables, et la FDJ se distingue sur la conception des jeux.

Les deux opérateurs ont engagé des actions de sensibilisation au jeu responsable dans leur réseau de revendeurs. La FDJ a fait évoluer le programme de formation des détaillants, en ouvrant une rubrique permanente consacrée au jeu responsable dans le magazine du réseau Profession Jeux. Du côté du PMU, 13 000 brochures conseil, reprenant la charte du jeu responsable, ont été diffusées auprès des détaillants en 2015. Le magazine professionnel Cheval rouge, qui leur est destiné, a été le vecteur d’une campagne intitulée « Alcool et jeu ne font pas bon ménage ». Une formation est prévue pour tous les titulaires de point de vente qui inclut un volet consacré au jeu responsable. Dans ce cadre, quatre priorités ont été retenues : l’interdiction aux mineurs, l’interdiction du jeu à crédit, le risque que présente la consommation d’alcool pour le joueur et la prévention du jeu impulsif. Le support Internet permet également de dispenser des formations en ligne, disponibles depuis 2015. En 2016, le thème aura été « Jouer à tout prix n’est pas un bon pari ».

La FDJ a institué en 2013 un dispositif d’incitation financière, le « Bonus Jeu Responsable », de 0,2 point destiné à récompenser les détaillants qui satisfont à des critères de jeu responsable prédéfinis. En outre, les équipes « conformité » de la FDJ sont suffisamment étoffées pour assurer des formations et des contrôles inopinés sur place. Ainsi, la FDJ a lancé une expérimentation de réduction des risques dans son réseau physique de distribution, pour venir en aide à des détaillants confrontés à des joueurs perçus comme problématiques ou excessifs.

Envers leurs clients, les deux opérateurs ont entrepris des actions de sensibilisation sous la forme, bien sûr, de brochures mises à disposition en libre-service dans les points de vente. La FDJ en a diffusé une permettant au lecteur de s’évaluer. En ligne, une rubrique supplémentaire a été ouverte pour permettre au joueur de mieux comprendre son comportement et de pratiquer un jeu responsable.

Le PMU a adopté le principe d’un plan d’action annuel ajusté en fonction des résultats obtenus par les campagnes précédentes. Les actions se déploient en direction des joueurs, des détaillants et du personnel du PMU, dans les médias et dans les points de vente. Si la notoriété du plan reste assez faible, environ la moitié des parieurs hippiques en ont eu connaissance. Le message le plus connu concerne l’interdiction de jeu aux mineurs, sur lequel l’accent avait été mis. Les conseils pratiques consignés dans la brochure « Jouons responsable ! » ont été soumis à SOS Joueurs et au Centre de référence sur le jeu excessif (CRJE) du CHU de Nantes. Des messages de prévention ont été introduits sur les écrans tactiles et avant la diffusion des courses sur la chaîne Equidia.

Dans le même dessein, la FDJ a déployé en 2009 un outil de contrôle et de suivi sur Internet livrant au joueur une analyse de ses pratiques de jeu selon une typologie très simple, ainsi que le niveau de risque associé. Service optionnel et limité aux jeux de loterie à l’origine, Playscan™ a été étendu à toutes les gammes de jeux et paris, puis rendu obligatoire en 2012 pour tous les joueurs en ligne de la FDJ. Une version plus sophistiquée a été mise en service en juillet 2015 : les messages de sensibilisation adressés aux joueurs sont personnalisés en fonction d’un diagnostic plus précis établi par Playscan. À chaque profil de risque (récréatif, à risque, excessif) est associée une communication adaptée. Les joueurs à risque sont invités à la modération et les joueurs excessifs à un meilleur contrôle de leurs pratiques de jeu. Ces derniers ne reçoivent plus de sollicitation commerciale.

Dans le but d’aller vers ses clients, la FDJ apporte son soutien à une initiative originale : les maraudes en points de vente (Dijon, Montpellier, Toulon, Bordeaux). Le programme a été lancé en mars 2016 pour une durée de huit mois. Des binômes de jeunes en service civique repèrent les joueurs excessifs dans les points de vente et interviennent auprès d’eux dans une optique de réduction des risques.

En amont du processus de commercialisation des jeux, la FDJ a mis au point une matrice de prévention des risques, SERENIGAME, qui évalue dix-sept critères (attractivité des gains, fréquence des gains, illusion de contrôle, etc.). Depuis 2012, cet outil aide les équipes marketing à évaluer, dès la conception d’un jeu, le risque potentiel, à l’expliquer et, le cas échéant, à l’atténuer.

En outre, la FDJ a initié fin 2014 avec IBM un projet visant à exploiter les technologies du Big Data au service de la prévention du jeu problématique et de la fraude et du blanchiment. Plusieurs expérimentations, s’appuyant sur des données historiques, ont ainsi été conduites en 2015. Des résultats positifs ont été obtenus dans ce domaine (gains de temps potentiels dans la consolidation des informations et la qualification de dossiers « suspects » par l’automatisation des croisements de gros volume de données hétérogènes) et dans celui du jeu problématique (possibilité de détection anticipée des cas potentiellement à risque grâce à des scores prédictifs et un meilleur ciblage des actions de prévention et de traitement des risques).

b. Les modérateurs de jeu

Au moment de l’ouverture de son compte joueur, l’opérateur réclame à son client un justificatif d’identité et « demande au joueur d’encadrer sa capacité de jeu par la fixation de limites d’approvisionnement de son compte et d’engagement des mises » selon les termes de l’article 16 du décret n° 2010-518 du 19 mai 2010 relatif à la mise à disposition de l’offre de jeux et de paris par les opérateurs agréés de jeux ou de paris en ligne. Ces plafonds, appelés modérateurs de jeu, s’appliquent aux montants cumulés sur sept jours. Le décret prévoit que le titulaire d’un compte ne peut pas jouer avant d’en avoir déterminé le montant. Il peut cependant les modifier à tout moment. Le relèvement ne devient effectif qu’après un délai de deux jours francs ; en revanche, un abaissement est d’application immédiate.

Pour les clients qui utilisent une carte dédiée, des plafonds et des modérateurs de jeu ont également été introduits par la FDJ. Depuis novembre 2016, elle propose un nouveau cadre, fondé sur des modérateurs individuels. Le joueur peut librement mais obligatoirement fixer un plafond hebdomadaire, valable pour tous les jeux, avec une limite hebdomadaire unique abaissée à 1 800 euros, au lieu de 2 500 euros. De plus, un modérateur temporel global a été instauré, qui prend en compte le temps de session du joueur.

Lors du colloque sur la régulation et l’addiction, organisé en novembre 2016 par l’ARJEL, une étude menée par le régulateur sur les modérateurs de jeu (17) conclut qu’ils ne sont pas très bien maîtrisés par les joueurs. Comme ceux-ci doivent en avoir fixé le montant avant de jouer, ils ont tendance à les placer à un niveau élevé, ce qui en réduit l’intérêt. Ainsi, les limites de mise ont été atteintes à au moins deux reprises par 1,6 % des joueurs seulement. Lors de ce colloque, le secrétaire général de l’Observatoire des jeux a suggéré d’expérimenter des plafonds de perte.

À tout moment, un joueur peut s’auto-exclure du jeu. L’exclusion peut être temporaire (avec un minimum de sept jours) ou définitive. De sa propre initiative, le cercle Clichy-Montmartre envisage de développer une application permettant à ses clients de s’interdire eux-mêmes, sur place. Dans de tels cas de figure, la mesure ne vaut que pour un seul site.

c. La recherche au service de la réduction des risques

La réduction des risques est apparue dans le sillage du VIH. Elle consiste en une approche plus pragmatique et plus empathique des patients, qui ne sont plus considérés seulement comme des « malades ». Elle reconnaît l’abstinence comme un objectif, mais compose avec la réalité en proposant des solutions médianes qui réduisent les dommages. Depuis 2010, à travers des études spécifiques ou l’exploitation d’enquêtes plus larges, l’OFDT a contribué à enrichir les connaissances sur les usagers, les usages et les réponses publiques en matière de jeux d’argent et de hasard et d’écrans.

L’étude EDEIN – Étude de dépistage des comportements excessifs de jeu sur internet – est portée par l’Institut fédératif des addictions comportementales (IFAC) qui dépend du CHU de Nantes, avec un financement de la MILDECA. Depuis la légalisation des jeux en ligne, les opérateurs français de jeux en ligne ont, on l’a vu, obligation de mettre en place des actions de jeu responsable, afin de prévenir les pratiques de jeu excessives. Toutefois, aucun dépistage des comportements à risque n’est prévu. Cette étude se propose de créer un modèle de dépistage des pratiques de jeu excessives à partir de l’observation des comportements de jeu sur les sites français de jeux en ligne, couplée à une validation clinique. Ce modèle permettrait de mener des actions préventives le plus précocement possible auprès des joueurs les plus vulnérables, et de façon adaptée selon le type de jeu concerné. Les premiers résultats ont été présentés lors du colloque de l’ARJEL sur le jeu excessif. Ils sont prometteurs concernant les joueurs excessifs, moins pour les joueurs à risque. Les travaux exploratoires ont permis d’identifier les critères pertinents, et de montrer la pertinence du « pistage » des joueurs en vue de repérer les dynamiques à l’œuvre pour mieux anticiper.

3. La prise en charge des joueurs problématiques

Les centres de soins d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) – référents jeu et les consultations jeunes consommateurs (CJC)

Les CSAPA ont été créés par la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, mais ils ont vu le jour en 2008, une fois leur financement prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. Ils s’adressent aussi bien à ceux qui ont des problèmes de consommation de substances psycho-actives qu’à ceux souffrant d’addiction sans substance, en particulier le jeu. Grâce à la pluridisciplinarité des équipes qui y travaillent, la personne bénéficie d’une prise en charge globale, à la fois psychologique, sociale, éducative et médicale. Les centres proposent différents types d’approche : individuelles (éducatives, sociales, psychothérapeutiques, etc.), collectives (groupes de parole par exemple) et familiales. Les CSAPA, qui accueillent et suivent les patients de façon confidentielle et gratuite, sont présents dans tous les départements de France.

Au sein de ce réseau, ont été créés des CSAPA référents jeux pour les addictions sans substances. Ils comprennent un binôme spécialisé, composé d’une assistante sociale et d’un psychologue, qui reçoit le joueur problématique et propose une prise en charge. Au nombre de trente-quatre à la fin de l’année 2015, ils peuvent intervenir sur tout un territoire (région, département…) à la demande des structures partenaires. Leur création remonte à une circulaire interministérielle du 7 juin 2012, qui débloquait 1 250 000 euros pour renforcer la prise en charge des addictions aux jeux dans les CSAPA, complétée par une circulaire interministérielle du 22 novembre 2012. Les binômes ont pour mission de se faire connaître et de se mettre en lien avec les partenaires de premier recours afin de développer une réponse de proximité, lisible pour les personnes en situation de vulnérabilité.

À l’avant-garde de la lutte contre tous les types de conduites addictives (alcool, cannabis, jeux vidéo, tabac, etc.), les Consultations Jeunes Consommateurs (CJC) sont conçues pour prévenir autant qu’accompagner. Institué en 2004, ce dispositif, situé à l’interface de la prévention et du soin, s’adressait à l’origine aux plus jeunes consommateurs de cannabis, surtout, ainsi qu’à leurs familles. Mais son périmètre a été élargi afin d’accueillir également des patients plus âgés et des personnes concernées par une addiction sans produit (Internet, jeux vidéo…). Présentes dans la quasi-totalité des départements français, elles se déroulent au sein des CSAPA ou dans des lieux spécialisés dans l’accueil des jeunes (maisons des adolescents et points accueil écoute jeunes).

Le dispositif Joueurs info service

La loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne prévoit dans son article 29 une assistance à distance apportée aux joueurs : « Un numéro d’appel téléphonique est mis à la disposition des joueurs excessifs ou pathologiques et de leur entourage par les pouvoirs publics sous la responsabilité de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé ».

La ligne Joueurs info service a été ouverte le lundi 7 juin 2010. En conformité avec la loi, un numéro d’appel non surtaxé a été choisi : le 09 74 75 13 13. Ce service fonctionne donc 7 jours sur 7, de 8 heures à 2 heures. Il est anonyme et confidentiel. Conformément à la loi, le numéro est intégré dans le message de prévention qui figure sur les sites de paris et de jeux en ligne ainsi que sur les communications commerciales en faveur de ces sites. Un clic sur le message de prévention conduit en outre vers le site www.joueurs-info-service.fr.

Les joueurs et leur entourage sollicitent le service par différents média : le téléphone, les chats, le service de questions réponses personnalisées et le service de rappel automatique (web call back). Ils peuvent également consulter les informations, l’annuaire et les conseils du site internet mais également contribuer aux forums d’entraide. Des outils de promotion du dispositif sont diffusés à la demande.

Joueurs info service recense les sites de prise en charge des joueurs et de l’entourage. Il a en charge la réalisation, la mise à jour et la diffusion auprès du public du répertoire de l’ensemble des structures spécialisées en addictologie. L’annuaire, utilisé tant en interne par les équipes de Santé publique France que par les internautes, est un outil essentiel dans sa mission d’orientation. L’offre de prise en charge s’est progressivement étoffée sur l’ensemble du territoire. Si en 2010, Joueurs info service dénombrait environ 400 lieux d’accueil, en 2015, il en a décompté 1 505.

Depuis l’ouverture du dispositif Joueurs info service jusqu’en 2015, 19 381 demandes d’aide et d’information ont été traitées soit une moyenne de neuf à dix demandes d’aide par jour : 62 % de ces demandes proviennent des joueurs et 35 % de l’entourage (les 3 % restant émanant du grand public et des professionnels). Sur cette période, 13 523 008 visites ont été enregistrées sur le site, pour 9 227 973 visiteurs soit 4 524 visiteurs par jour.

Si la part des sollicitations autour des paris est constante depuis l’ouverture du dispositif, celles concernant le poker sont en perte de vitesse depuis 2014 : ce jeu ne représente plus que 10 % des demandes d’aide et d’information au lieu de 21 % en 2011 et 16 % en 2012. Le poker est surtout cité par les joueurs de moins de quarante ans. Les joueurs qui demandent de l’aide sont masculins à 74 % et âgés de plus de quarante ans à 45 %. Ils ont une pratique intensive : 46 % déclarent jouer plusieurs fois par jour et 35 % plusieurs fois par semaine. La majorité des jeux cités sont des jeux en dur à 73 % (seul le poker est joué à 75 % en virtuel).

À l’inverse des joueurs, l’entourage est majoritairement féminin à 77 %. Âgé de plus de quarante ans à 55 %, il est essentiellement constitué des conjoints à 33 % et des parents à 28 %. Les enfants de joueurs sont à l’origine de 14 % des demandes d’aide de l’entourage. L’entourage demande de l’aide essentiellement pour des tiers masculins à 84 %, âgés de plus de 40 ans à 42 %, et jouant aux paris à 32 %. Il s’inquiète de pratiques plus intensives que celles décrites par les joueurs eux-mêmes et beaucoup plus tournées vers les jeux pratiqués en virtuel (42 % au lieu de 27 %) qu’en dur.

La pratique du jeu est le thème le plus souvent abordé tant par les joueurs que par l’entourage. En revanche, au deuxième rang des préoccupations, vient l’arrêt pour les joueurs, tandis que l’entourage cite les aspects relationnels. L’évocation des aspects sociaux et législatifs, en lien avec les difficultés financières et l’interdiction volontaire de jeu, est une des spécificités du dispositif Joueurs info service.

IV. MAINTENIR LA VIGILANCE SUR L’INTÉGRITÉ DES OPÉRATIONS DE JEU

L’essor des paris sportifs a suivi celui du sport professionnel qui attire des spectateurs de tous les pays, toujours plus nombreux, et draine des sommes de plus en plus considérables. Un tel contexte attire forcément les personnes peu scrupuleuses, qui cherchent à s’assurer des gains de jeu en truquant le résultat des compétitions.

En France, plusieurs d’entre elles ont défrayé la chronique et fait la une des faits divers. La plus connue est l’affaire du match de handball Cesson-Montpellier, à l’issue duquel, contre toute attente, le petit Poucet avait eu raison de l’ogre, et dont les péripéties judiciaires ne sont pas terminées. Plus récemment, la presse s’est intéressée à la compétition de VTT où le vélo de certains concurrents avait été équipé d’un moteur presque invisible. Enfin, plusieurs tentatives d’escroquerie ont été mises au jour dans le milieu des courses. Elles font fait l’objet d’un article du Parisien (18). Une fraude classique consiste pour le jockey à retenir son cheval, pour en laisser d’autres passer devant ou pour « faire le tour », c’est-à-dire pour participer sans réelle intention de gagner, ce qui est interdit par le code des courses, de façon à l’entraîner en vue d’une course ultérieure. Plus rocambolesque, un entraîneur et un jockey d’obstacle avaient habilement escamoté entre le pesage et la ligne de départ le tapis de selle lesté de plomb, qui servait de handicap au cheval. Enfin, à Nantes, au printemps dernier, un cheval est mort au beau milieu d’une course, laissant planer le doute sur un possible dopage. En tête dans la dernière ligne droite, l’animal, que son jockey n’a pas pu retenir, s’est brusquement déporté sur le côté avant de basculer par-dessus les barrières de sécurité, blessant plusieurs personnes.

La France n’est pas seule en cause, tous les pays sont touchés, mais ces cas illustrent l’importance d’intensifier les efforts pour préserver l’intégrité des compétitions et la confiance des joueur. Tant les intérêts économiques que l’ordre public convergent dans ce sens. Des mesures ont d’ailleurs été prises, pour rendre l’action publique plus efficace dans ce domaine, en particulier la loi du 1er février 2012 visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs.

A. LUTTER CONTRE LES FRAUDES DANS LES COURSES HIPPIQUES

Le diagnostic de la Cour des comptes est particulièrement sévère à l’égard du respect des règles visant à préserver l’intégrité des courses hippiques. Elle relève, d’une part, que les règles (19) prévenant les conflits d’intérêts (qui interdisent aux acteurs d’une compétition sportive de parier ou de divulguer des informations privilégiées) sont incomplètes. Au-delà des entraîneurs et des jockeys, l’interdiction de parier devrait aussi concerner les handicapeurs puisque ces salariés de France Galop déterminent le poids supplémentaire que supporteront les chevaux, décision de nature à influencer l’issue de la course. Or elle est purement tacite. Par ailleurs, la Cour conteste que la même règle ne soit pas opposable aux propriétaires, au motif qu’ils sont intéressés financièrement au résultat et disposent d’informations privilégiées. D’autre part, elle souligne que les contrôles sont quasi inexistants du fait de l’importance des mises et des gains en espèces.

Après avoir auditionné les sociétés mères qui font office de fédération sportive dans leur domaine, les rapporteurs entendent atténuer les conclusions de la Cour des comptes. Historiquement, les acteurs de la filière équine ont toujours joué, et un durcissement des règles en vigueur asphyxierait le secteur, pour lequel les paris sont la seule source de financement. Mais un tel circuit financier n’est pas synonyme d’une absence de règles. Elles existent, le contrôle aussi, même s’il ne revêt pas les mêmes formes que dans d’autres sports.

1. Les limitations tenant au jeu lui-même

La forme mutuelle des paris enlève de la pertinence à l’interdiction faite aux acteurs sportifs d’organiser des paris sportifs, alors qu’elle est indispensable dans le cas des paris à la cote puisque l’acteur sportif a les moyens de manipuler le match en faveur ou au détriment de celui qui la fixe. Symétriquement, un parieur hippique qui se sentirait assuré de l’issue d’une course et miserait de fortes sommes, ferait aussitôt baisser la cote, diminuant ipso facto son espérance de gain. Les sociétés de course voient donc dans le caractère mutuel des paris un mécanisme d’autorégulation. D’ailleurs, les parieurs professionnels, dont les mises sont versées dans la masse physique du PMU, veillent attentivement à ne pas peser sur la cote en multipliant les petits paris. Le caractère mutuel, s’il préserve indéniablement l’opérateur de jeu, ne signifie pas pour autant une égalité parfaite de connaissance et d’expertise des parieurs. Au jeu des pronostics, le propriétaire n’est pas forcément le mieux loti, car son influence ne s’étend pas au-delà de son cheval qui s’oppose à plusieurs autres. Les joueurs qui acquièrent de l’expérience finissent par avoir un avantage comparatif. C’est sans doute l’image que renvoie le PMU aux profanes, celle d’un univers clos, voire autarcique, d’un monde d’initiés au sens large, qui pourrait fort les rebuter et les inciter à se tenir à l’écart.

Par ailleurs, le risque est limité, d’une part, par l’interdiction de parier sur d’autres objets que l’issue de la course ; d’autre part, par la complexité du jeu lui-même. Rendue régulièrement responsable de la désaffection du public pour les paris hippiques, elle en fait une protection contre les manipulations. Là, parier sur le gagnant d’une compétition engageant deux participants (football, tennis, rugby…) revient à un choix binaire ; ici, il faut faire de la combinatoire et décider de la probabilité de tel arrangement de n objets (la combinaison gagnante) parmi p (les partants), par rapport à tel autre. La manipulation de la compétition présente les mêmes caractéristiques que le pari : elle est plus compliquée, plus aléatoire, donc plus risquée au regard de l’analyse coût/avantage. L’atomisation du monde des courses, moins intégré et moins hiérarchisé que d’autres, où les acteurs se partagent entre propriétaires, entraîneurs et jockeys, est plutôt un gage d’intégrité que de fragilité. Inversement, toute simplification des « produits » offerts aux parieurs rendrait les compétitions plus vulnérables aux tentatives de manipulation.

La moindre anomalie détectée peut donner lieu à réclamation et à contrôle. L’application du code des courses est confiée à un commissaire (20) agréé par le préfet du département où il exerce ses fonctions, après enquête du SCCJ. Les manifestations sont entièrement filmées, leurs images diffusées largement et chacune des étapes peut faire l’objet d’une contestation.

2. Le contrôle des sociétés de course

a. La lutte anti-dopage

Le contrôle anti-dopage est une tradition ancienne dans le monde des courses qui s’enorgueillit d’avoir quelques longueurs d’avance par rapport aux autres spécialités sportives, qu’il s’agisse de la précision des tests ou de leur étendue. Les contrôles peuvent être demandés par le commissaire de course, sur le jockey comme sur le cheval.

Les contrôles effectués sur les chevaux sont transmis au Laboratoire central des courses (LCH), qui dépend de la Fédération nationale des courses françaises et emploie quarante-cinq personnes environ. Autorité reconnue au niveau international puisqu’il reçoit des prélèvements de nombreux pays étrangers, le Laboratoire analyse 30 000 prélèvements par an. En outre, il poursuit une activité de recherche pour rester à la pointe de la science dans son domaine, et tenir ainsi la dragée haute aux possibles tricheurs. Les échantillons, urinaires ou sanguins, sont recueillis avec de grandes précautions. Ils sont bien sûr anonymes, et dédoublés pour assurer éventuellement une contre-expertise incontestable, menée par un deuxième laboratoire choisi alors par l’accusé. Ils sont ensuite scellés. Le personnel technique ignore complètement l’origine des prélèvements sur lesquels il travaille. Dans la pratique, ce sont 200 cas positifs annuels qui sont décelés. Chaque année, 10 millions d’euros sont consacrés aux contrôles des chevaux de course. Dans le système français, les contrôles commencent dans les élevages, et se déroulent avant et après les courses, ainsi que dans les centres d’entraînement. Généralement effectués par un vétérinaire ne pratiquant pas là où se tient la course, ces contrôles acquièrent un caractère automatique quand les courses atteignent un certain niveau. Il ne faut pas oublier non plus les contrôles transversaux, c’est-à-dire la surveillance spécifique dont font l’objet les vingt-cinq grands champions en dehors des champs de course. Les courses équines ont dix ans d’avance sur les autres compétitions sportives.

Les propriétaires français s’inquiètent à juste titre de la pression qui pèse sur les sociétés de courses pour faire circuler les chevaux plus librement en Europe. La tentation est forte puisque la France a jusqu’à présent, et plus ou moins bien, préservé son régime des courses alors que l’élevage et les courses ont été mis à mal dans de nombreux pays limitrophes. Il faudra veiller à ce que tous les participants soient soumis à des contrôles comparables, à moins de porter atteinte à l’intégrité des courses. Par ailleurs, les contraintes financières poussent aussi à alléger les contrôles.

b. Les sanctions des sociétés de course

Les courses sont l’occasion de réclamations qui sont soumises au commissaire, chargé d’en surveiller la régularité et la conformité au code des courses. Les sanctions prononcées sont publiées dans le bulletin professionnel. Selon l’instance qui les prononce, les sanctions financières peuvent aller jusqu’à 500 000 euros et les interdictions peuvent être prononcées à l’encontre des propriétaires, des entraîneurs et des jockeys. Ce sont ainsi 2 500 à 3 000 sanctions qui sont prises tous les ans. Elles sont intégralement publiées, donc accessibles à tous les parieurs.

3. Les contrôles externes

Le SCCJ avec ses correspondants réalise environ 4 000 enquêtes « couleur » par an, pour étayer l’avis de l’autorité administrative qui agrée les personnes désignées par les sociétés-mères pour faire courir, monter et entraîner. Il en est de même des commissaires de course qui sont agréés par le préfet du département où ils exercent. Aux termes de l’arrêté du 29 mai 2015 les concernant, cet agrément peut leur être retiré. De plus, la Fédération nationale des courses hippiques tient à jour le fichier des décisions individuelles relatives aux commissaires et des réunions dans lesquelles chaque commissaire a exercé ses fonctions au cours de l’année. Au total, une dizaine de retraits d’agrément est prononcée.

La division judiciaire du SCCJ a initié un certain nombre d’affaires dans le monde hippique afin d’essayer de mieux mettre à jour les pratiques illicites de ce milieu assez fermé. À ce jour, cinq enquêtes sont en cours.

B. PRÉSERVER LES PARIS SPORTIFS DES MANIPULATIONS

1. La loi visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs marque une avancée

a. Des interdictions plus nombreuses pour prévenir les conflits d’intérêts

L’article 7 de la loi du 1er février 2012 étend les interdictions opposables aux acteurs de compétitions sportives de façon à établir des cloisons étanches entre acteurs sportifs, d’un côté, opérateurs de jeu et vendeurs de pronostics, de l’autre. Les dispositions en vigueur auparavant ne concernaient que les opérateurs de jeu.

Le texte introduit donc dans le code du sport l’obligation pour les fédérations sportives de prendre des mesures pour prévenir les manipulations, en interdisant aux acteurs des compétitions :

– de réaliser des prestations de pronostics sportifs sur ces compétitions lorsque ces acteurs de la compétition sont contractuellement liés à un opérateur de paris sportifs ou lorsque ces prestations sont effectuées dans le cadre de programmes parrainés par un tel opérateur ;

– de détenir une participation au sein d’un opérateur de paris sportifs titulaire de l’agrément prévu au même article 21 qui propose des paris sur la discipline sportive concernée ;

– d’engager, directement ou par personne interposée, des mises sur des paris reposant sur la compétition à laquelle ils participent et de communiquer à des tiers des informations privilégiées.

b. La création d’un délit de corruption sportive

Une autre nouveauté de la loi réside dans la création d’un délit de corruption sportive lié aux manifestations sportives qui font l’objet de paris. Cette initiative résulte des recommandations d’un rapport de l’ARJEL, dit rapport Vilotte, datant de 2011, et du rapport d’information n° 3463 d’Aurélie Filippetti et Jean-François Lamour.

La loi définit dans le code pénal un délit de corruption sportive, active et passive, (art. 445-1-1 et art. 445-2-1), lié aux manifestations sportives faisant l’objet de paris sportifs. Passible à l’origine des mêmes peines que celui de corruption privée, c’est-à-dire de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, il consiste pour quiconque à promettre, offrir ou accepter, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, « des présents, dons ou des avantages quelconques, pour lui-même ou pour autrui, à un acteur d’une manifestation sportive donnant lieu à des paris sportifs, afin que ce dernier modifie, par un acte ou une abstention, le déroulement normal et équitable de cette manifestation. » La loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière a porté l’amende à 500 000 euros, et prévoit la possibilité d’en relever le montant jusqu’au double du produit tiré de l’infraction.

2. La convention de Macolin sur la manipulation des compétitions sportives et ses conséquences

a. Une initiative portée par le Conseil de l’Europe

Le Conseil de l’Europe est la première instance intergouvernementale à s’être attaquée à la question de l’intégrité des compétitions sportives. Il a donc élaboré en son sein la convention de Macolin, à laquelle la France a travaillé activement, et destinée à prévenir et sanctionner les manipulations de compétitions sportives. Elle a été ouverte à la signature le 18 septembre 2014. Le traité a été signé par la France le 2 octobre 2014 et il a été ratifié par la Norvège (9 décembre 2014), suivie par la Portugal (20 septembre 2015), et l’Ukraine (10 janvier 2017). Cinq ratifications sont nécessaires pour que la Convention entre en vigueur. Sans surprise, les pays comme Malte ou l’Irlande ne l’ont pas signée. La Convention, qui se veut le socle d’une meilleure coopération entre les pays pour lutter contre les dérives sportives, n’a donc pas encore été officiellement ratifiée par l’Union européenne, faute de consensus. Les négociations ont buté principalement sur la position à prendre à l’égard des marchés transnationaux, en plein essor, où prospère le crime organisé attiré à la fois par les profits procurés par des compétitions truquées et par les possibilités de blanchiment.

La convention vise à faciliter et à homogénéiser la coordination nationale et la coopération internationale face aux menaces de manipulation des compétitions sportives. Elle entend être un instrument unique destiné à prévenir les manipulations sportives, avec ou sans paris, à lutter contre elles, et à favoriser la coopération nationale et internationale entre les instances compétentes (organisations sportives, opérateurs de paris, autorités judiciaires et autorités de régulation des paris).

Le socle qu’elle propose est constitué de trois éléments :

– une définition de la manipulation de compétition sportive, qui désigne « un arrangement, un acte ou une omission intentionnelle visant à une modification irrégulière du résultat ou du déroulement d’une compétition sportive afin de supprimer tout ou partie du caractère imprévisible de cette compétition, en vue d’en obtenir un avantage indu pour soi-même ou pour autrui ». Le spectre est large car il ne se limite pas à l’issue du match et il englobe des manipulations qui n’ont pas forcément un enjeu financier immédiat ;

– une définition du « pari sportif illégal », l’illégalité tenant soit au type de pari, soit à l’opérateur au regard du droit applicable dans le pays du consommateur. Pour sanctionner le délit, sont envisagés la fermeture ou la restriction d’accès aux sites des opérateurs de paris illégaux, le blocage des flux financiers. Peu de pays ont transposé ce délit en droit interne ;

– une coopération internationale accrue, grâce à des plateformes nationales qui ont pour mission de collecter et transmettre les renseignements pertinents aux instances compétentes pour lutter contre les infractions, voire diffuser des alertes non seulement à leurs homologues mais aussi aux opérateurs sportifs, aux opérateurs de jeu. La Convention engage les États signataires à encourager activement la coopération entre tous les partenaires (organisations sportives, opérateurs de paris, autorités judiciaires et autorités de régulation des paris), voire à l’ancrer dans leur droit.

b. Les suites en France

La plateforme nationale de lutte contre la manipulation des compétitions sportives

Dans le sillage de la Convention de Macolin, la France a décidé de lancer, à l’occasion de la préparation de l’Euro 2016, une plateforme nationale qui fluidifie les échanges d’informations entre toutes les parties concernées. La collecte et la transmission des renseignements entre les acteurs (informations relatives notamment aux paris atypiques et suspects ou sur de possibles infractions aux lois et règlements sportifs) permettent de mener des enquêtes efficaces pour déjouer la corruption qui entache le monde du sport.

Placée sous la présidence du ministre chargé des sports, cette nouvelle plateforme se compose des représentants des ministères chargés de la justice, de l’intérieur, des finances, des sports, des représentants de l’ARJEL et de la Française des jeux (au titre de ses droits exclusifs dans le domaine des paris sportifs en dur), du Comité national olympique et sportif français, et des représentants des acteurs du mouvement sportif professionnel. Elle comprend deux formations :

– une formation de coordination, de prévention et de lutte contre la manipulation des compétitions sportives, sous la présidence du directeur des sports ;

– une formation de surveillance du marché français des paris sportifs, sous la présidence du Président de l’ARJEL.

Elles se réuniront au moins une fois par an en séance plénière, pour présenter leur rapport d’activité.

La proposition de loi des sénateurs Bailly et Guillaume

Une proposition de loi des sénateurs Dominique Bailly et Didier Guillaume a été adoptée en première lecture par le Sénat et l’Assemblée nationale (21), pour traduire dans les textes les améliorations proposées notamment à l’issue de la Grande conférence sur le sport professionnel français et par le Service central de prévention de la corruption (SCPC). Son premier chapitre, intitulé « Préserver l’éthique du sport », confie le soin aux fédérations sportives de rédiger des chartes éthiques et de déontologie pour leur discipline. Elles obtiennent le droit de se porter partie civile en cas d’infraction portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs de leurs membres et à ceux des acteurs professionnels de leurs disciplines. Elle impose également aux présidents des fédérations et des ligues professionnelles de faire une déclaration de patrimoine à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique.

Le chapitre II, qui vise à renforcer la lutte contre les manipulations de compétition sportive, comporte plusieurs dispositions importantes.

Tout d’abord, il donne satisfaction à l’ARJEL qui pourra, si le texte est définitivement voté, fixer la liste des compétitions et manifestations faisant l’objet de paris sportifs, au regard des risques de manipulation qu’elles présentent. En outre, si les organisateurs d’une compétition ont des soupçons, ils pourront saisir le président de l’ARJEL, qui interdira la prise d’enjeux si les indices sont graves et concordants.

Les interdictions de parier, pour conflit d’intérêts, opposables aux acteurs professionnels sont étendues à l’ensemble des compétitions de leur discipline, et non plus seulement à celles auxquelles ils participent.

Enfin, un article vise à caractériser plus facilement le délit de corruption sportive, tel qu’il est défini actuellement par le code pénal, et dont il est parfois très difficile d’apporter la preuve. La corruption passive sera caractérisée aussi par le fait de solliciter, et non plus seulement d’accepter, des présents, dons ou avantages. Le texte stipule que le pacte de corruption sera punissable qu’il ait été conclu avant, après, voire pendant la compétition truquée.

Les rapporteurs soutiennent les avancées contenues dans cette proposition de loi et souhaitent que les paris puissent être interdits pour les compétitions sportives à risque.

Proposition n° 14 : interdire les prises de paris sur les compétitions sportives susceptibles de manipulation.

V. RENOUVELER LES MODES D’INTERVENTION DE LA RÉGULATION

Si la politique publique des jeux n’a que très imparfaitement atteint ses objectifs, c’est aussi parce que l’organisation de la régulation de ce secteur, résultant largement de l’histoire et jamais véritablement réévaluée dans une perspective d’ensemble, n’est plus adaptée aux caractéristiques actuelles de ces différentes activités.

Ce constat a été fait par la Cour des comptes et les rapporteurs partagent son analyse, comme l’essentiel des recommandations qu’elle préconise afin de réformer l’organisation de cette régulation.

A. COMBATTRE LES ARCHAÏSMES

La régulation des jeux d’argent présente un paysage institutionnel très complexe, fondé sur une segmentation obsolète et peu réactive, duquel émerge la prépondérance de la direction du budget, ce qui a des conséquences sur la hiérarchie des priorités effectivement poursuivies par cette politique publique.

1. Un cloisonnement obsolète et peu réactif

Chacune des dérogations progressivement concédées à l’interdiction générale du jeu d’argent s’est traduite par la mise en place d’un mode de régulation spécifique, si bien que, par strates successives, on est parvenu à un empilement matriciel peu intelligible, reposant sur un double cloisonnement par segment et canal de distribution.

LES INSTANCES INTERVENANT DANS LA RÉGULATION DES JEUX

Source : Cour des comptes.

Cette organisation génère d’abord de la complexité pour les opérateurs dont certains relèvent de plusieurs régulateurs. En ajoutant les autorités de tutelle et de contrôle, le PMU en a compté jusqu’à 17.

À la suite de la Cour des comptes, on peut synthétiser cet enchevêtrement comme suit :

– le ministère de l’intérieur (DLPAJ et SCCJ) est l’autorité en charge des casinos et cercles de jeux et assure la police administrative des lotos ainsi que de l’ensemble des jeux d’argent et de hasard ;

– les ministères chargés de l’intérieur et du budget sont compétents pour les jeux d’argent sous droits exclusifs de la FDJ ;

– les ministères chargés de l’agriculture, du budget et de l’intérieur connaissent de l’activité sous droits exclusifs du PMU (prise de pari sur le réseau physique ou par téléphone) ;

– l’ARJEL, autorité administrative indépendante rattachée au ministère chargé du budget, est compétente pour la régulation des jeux en ligne ouverts à la concurrence, soit le poker et les paris sportifs et hippiques.

Même avec la meilleure volonté de coopération, cette organisation ne permet plus de répondre aux exigences de réactivité imposées par une interaction croissante entre les différents segments de jeu et canaux de distribution. L’exemple de la cannibalisation des paris hippiques par les paris sportifs est une illustration de ces interactions, mais on en trouverait beaucoup d’autres : l’impact de l’éventuelle légalisation des casinos en ligne sur les casinos en dur, les risques de transferts suscités par des niveaux différents des taux de retour aux joueurs ou par les règles d’identification.

Il y a en fait peu de décisions sur un segment de jeu qui n’aient une répercussion sur les autres puisque de nombreuses problématiques communes sont progressivement apparues, comme l’homologation des logiciels de jeux, la protection des données personnelles, le respect des auto-exclusions, l’interdiction du jeu des mineurs et son contrôle, la lutte contre le jeu problématique voire contre le blanchiment, les compétitions et les résultats supports de paris.

Les risques d’incohérence sont donc nombreux d’autant que la pertinence des interventions de certains régulateurs dépend parfois des compétences détenues par d’autres.

L’exemple de l’insertion de courses étrangères dans le programme des courses support de paris hippiques peut illustrer ce constat. Aux termes des textes régissant l’institution des courses, ce sont les sociétés mères qui soumettent au ministre de l’agriculture leurs propositions, mais les opérateurs de paris hippiques en ligne se sont vu reconnaître par la loi de 2010 et son décret d’application du 17 mai 2010 le droit de solliciter de l’ARJEL une offre alternative.

Le ministre de l’agriculture ne peut inscrire que des courses légalement organisées, faisant l’objet d’une surveillance, de garanties d’organisation ainsi que de contrôles antidopage jugés satisfaisants. Hormis ces trois critères, il ne peut refuser d’inscrire au calendrier des courses étrangères qui lui sont proposées par un opérateur.

En pratique, les courses étrangères inscrites sur le calendrier résultent des accords que les sociétés mères signent avec les autorités hippiques des pays concernés, aux termes desquels elles leur versent un pourcentage sur les enjeux. Dans ces conditions, les demandes faites depuis 2010 par des opérateurs d’inscrire certaines courses étrangères sur le calendrier n’ont pu être prises en compte, faute d’avoir été prévues dans lesdits accords.

L’ARJEL dépend donc des décisions des sociétés mères validées par le ministère de l’agriculture alors qu’elle est saisie par des opérateurs dont elle est le seul régulateur officiel.

La multiplication des interlocuteurs allonge les délais de réponse des pouvoirs publics alors que le secteur des jeux n’échappe pas à un processus continu d’innovation qui impose la réactivité. Les délais d’approbation des lancements d’expérimentation de jeux nouveaux sont par exemple trop longs, d’autant qu’ils font intervenir des instances consultatives qui se réunissent selon une périodicité variable puis des décisions de ministres instruites par les administrations et par des cabinets submergés de dossiers objectivement plus importants.

Comme on l’a vu plus haut, les casinotiers ont ainsi indiqué aux rapporteurs qu’il avait fallu deux ans aux pouvoirs publics, notamment du fait d’un blocage au cabinet du ministre du budget, pour leur accorder l’autorisation d’expérimenter le jeu de cartes de la bataille au titre des jeux de table proposés dans les casinos. Interrogé sur ce point, le ministère de l’intérieur a affirmé qu’il allait supprimer l’avis de la Commission consultative des jeux de cercles et de casinos sur ce type de décisions afin de gagner du temps.

La FDJ et le PMU suivent à peu près le même cheminement lorsqu’ils souhaitent introduire un jeu nouveau ou modifier les conditions d’exploitation d’un jeu existant.

Compte tenu de la rapidité d’innovation sur certains sites illicites, ce type de processus décisionnel ne peut que favoriser le jeu clandestin et pénaliser l’offre légale.

Par ailleurs, ce cloisonnement repose largement sur la séparation des jeux en ligne et en dur, alors que cette césure selon les canaux de distribution est de plus en plus artificielle et obsolète du fait de la multiplication des moyens techniques offerts aux parieurs pour enregistrer leurs mises : smartphones, tablettes, bornes interactives.

De plus, les différents types de jeu évoluent, rendant inadaptés les critères d’attribution des régulateurs, comme le montre l’exemple du rapprochement des jeux de grattage et des machines à sous du fait de leurs fréquences de jeux et de leur caractère addictogène.

Il convient donc, six ans après la loi de 2010, de prendre en compte l’accélération de la révolution technologique et de réunifier les modes de régulation.

2. La prépondérance de la direction du budget

Comme l’affirme la Cour des comptes, « la direction du budget (DB) joue un rôle prépondérant dans l’élaboration des normes visant à règlementer le secteur des jeux d’argent et de hasard. »

Les rapporteurs ont bien constaté l’omniprésence de cette direction qui est à la fois représentante de la tutelle dans les conseils d’administration des opérateurs historiques (FDJ et PMU), bénéficiant à cet effet de l’assistance du contrôle général économique et financier, tout en étant l’autorité réglementaire pour l’ensemble du secteur, y compris en matière fiscale qui, de manière dérogatoire, échappe totalement à la direction de la législation fiscale, et en assurant le secrétariat, à l’exclusion de tout personnel propre, de la commission consultative des jeux et paris exclusifs (COJEX), chargée de donner un avis au ministre du budget.

Cette toute puissance est d’ailleurs peut-être relative car qui trop embrasse mal étreint, la DB ne disposant que de peu de moyens (un à deux fonctionnaires à temps plein) pour assurer l’effectivité de ces nombreuses compétences et la Cour estime que « son action relève d’une activité règlementaire classique plutôt que d’une régulation pour laquelle elle ne dispose pas de compétences techniques en dehors de celles de l’opérateur (la FDJ) qu’elle supervise. »

Ce rôle pivot s’est accompagné, cause ou conséquence, d’un désengagement des autres ministères et notamment du ministère de l’agriculture et de la santé publique (voir supra), le ministère de l’intérieur restant présent sur les sujets d’ordre public, à la charnière de la police administrative et de la police judiciaire.

Cette situation déséquilibrée n’a pas manqué d’influer sur le pilotage du secteur des jeux et notamment sur la hiérarchie des objectifs et des indicateurs adoptée par les pouvoirs publics dans ce domaine.

Compte tenu de la vocation et du cœur de métier de la DB, c’est bien sûr le rendement fiscal qui est privilégié dans ce pilotage, avec une efficacité réelle puisque ce secteur , grâce à des prélèvements rapportés au produit brut des jeux très supérieurs à la moyenne européenne, procurait 4,8 milliards d’euros de recettes en 2015 (soit un peu moins de 7 % du rendement de l’impôt sur le revenu qui s’est élevé à près de 70 milliards cette année-là) et qu’il a été mis à contribution pour financer directement, par des systèmes d’affectation, aussi bien la filière équine que le sport ou la culture.

B. MODIFIER L’ORGANISATION DE LA RÉGULATION

Sous l’impulsion du Parlement, une tentative a été faite dans la loi du 12 mai 2010 d’instituer une instance de coordination avec la création du Comité consultatif des jeux, mais sa suppression discrète par le décret du 13 novembre 2015, au titre de la simplification, a entériné un échec dont il faut tirer les enseignements.

Présidée par un parlementaire mais sans compétences précises ni moyens propres ou autorité hiérarchique ou juridique sur les différentes parties prenantes, cette instance transversale constituait un curieux mélange des genres et s’est manifestement heurtée à l’inertie, voire à l’hostilité, des administrations à qui elle a été imposée et qu’elle était censée coordonner ou stimuler par des avis. Si l’intention était louable, le comité consultatif semblait condamné dès le départ du fait de la sociologie administrative française.

Plus récemment, les pouvoirs publics ont, par le décret du 3 novembre 2016, invité les ministères concernés et les membres des différentes instances consultatives (Cojex, CCJCC, observatoire des jeux) à tenir des réunions conjointes, afin d’améliorer la vision d’ensemble du secteur des jeux d’argent ou de hasard et d’accroître la coordination des actions, ce qui témoignait d’une prise de conscience des insuffisances du modèle actuel.

Les rapporteurs estiment que cette dernière tentative s’apparente à une modification cosmétique qui n’est pas à la hauteur du sujet et qu’il faut réorganiser plus substantiellement la régulation des jeux autour de principes simples, en confiant à des autorités administratives moins nombreuses des compétences bien définies, chargées pour les unes de la règlementation et pour les autres de la régulation.

Alors que la réglementation définit des normes infra-législatives, la régulation consiste essentiellement à les appliquer en les adaptant aux situations concrètes rencontrées dans la vie quotidienne d’un secteur économique donné. Il convient donc de respecter cette séparation des tâches en confiant la règlementation à une instance interministérielle bien identifiée et la régulation à une autorité administrative indépendante au périmètre élargi.

1. Confier la réglementation à une instance interministérielle bien identifiée

Conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision du 18 septembre 1986), c’est bien le Gouvernement qui exerce le pouvoir réglementaire, les autorités administratives indépendantes n’assumant que des mesures d’application de portée limitée, tant par leur champ d’application que par leur contenu.

Il revient donc au législateur de définir les règles générales applicables au secteur dont la liste établie par la Cour des comptes, à titre indicatif, donne une bonne idée de l’importance et de la diversité : « Le principe organisateur de la politique des jeux, aujourd’hui par dérogation à une prohibition, les objectifs de cette politique, le cadre institutionnel de la régulation, le statut des opérateurs sous monopoles, le champ des droits exclusifs et celui ouvert à la concurrence, les catégories de jeux autorisés, les catégories d’établissements susceptibles d’être agréés comme points de vente, toutes ces compétences relèvent des administrations centrales pour être soumises aux autorités politiques, Gouvernement et Parlement. Il en va de même de la fiscalité des jeux qui relève de la politique budgétaire et fiscale, préparée par les administrations du Budget et de la DGFiP. »

Il appartient par exemple aux pouvoirs publics d’actualiser le concept de jeu d’argent au regard des évolutions techniques ou sociologiques, comme le montre l’actuel exemple du jeu vidéo.

Le projet de loi pour une République numérique (devenu la loi du 7 octobre 2016) autorisait ainsi des compétitions de jeux vidéo avec espérances de gains dont les phases finales se déroulaient sur le réseau physique mais dont les phases éliminatoires étaient organisées en ligne, le tout sans régulation.

L’ARJEL a fait observer que, s’il n’y avait pas d’obstacle à ce que ces compétitions soient organisées sur le réseau physique où les risques liés à la fraude pouvaient être maîtrisés, en revanche les éliminatoires en ligne posaient problème au regard du jeu des mineurs et des atteintes à l’intégrité du jeu. En définitive la loi n’a autorisé les compétitions que sur le réseau physique après autorisation préfectorale, les représentants de l’industrie des jeux vidéo étant opposés à toute régulation.

On peut penser que cette offre se développera même si pour le moment l’industrie entend se dissocier du jeu d’argent. Mais on voit en même temps apparaître certains jeux, par exemple ceux qui exigent un paiement pour accéder à des niveaux supérieurs, qui pourraient très facilement se transformer en jeux d’argent. Dans ce cas, il appartiendra aux pouvoirs publics d’imposer une régulation pour protéger les mineurs ou lutter contre le jeu problématique et faire respecter les objectifs de la loi de 2010.

La question des paris sur les compétitions d’e-sport se pose dans d’autres termes : l’offre se développe, elle s’apparente à du pari sportif et elle est légale dans la plupart des pays voisins. La question centrale sur ce nouveau pari concerne l’intégrité des compétitions et donc des conditions d’organisation. Dès lors qu’une fédération sera mise en place pour édicter ces règles, des paris en ligne sur les résultats de ces compétitions pourront être envisagés.

S’il appartient à l’exécutif de veiller à garantir l’effectivité d’une interministérialité sur ces décisions, les rapporteurs ne verraient que des avantages à la création d’un comité interministériel sur ce sujet, doté d’un secrétariat léger, bénéficiant éventuellement du rattachement de l’Observatoire des jeux qui ne compte que deux collaborateurs à temps plein, et qui se réunirait au moins une fois par an pour prendre des décisions dans une forme solennelle (présidence du Premier ministre) garantissant la présence et la prise en compte des positions des ministères de l’agriculture et de la santé publique.

L’État garderait par ailleurs la tutelle des deux opérateurs bénéficiant d’un monopole dans les formes actuelles (présence au conseil d’administration, validation des budgets, contrôle économique et financier).

Proposition n° 15 : créer un comité interministériel responsable de la définition de la politique publique des jeux d’argent et de hasard, comprenant des représentants des ministères en charge du budget, de l’intérieur, de l’agriculture, de la santé, des sports et de l’économie.

2. Faire assurer la régulation par une autorité administrative indépendante au périmètre élargi

Les rapporteurs se rallient également à la proposition de la Cour des comptes confiant la régulation du secteur à une autorité administrative unique, comme c’est le modèle dominant en Europe pour ce secteur d’activité.

Cette organisation leur paraît mieux garantir la réactivité, le professionnalisme et la cohérence des décisions que l’organisation actuelle. De même que pour la réglementation, la liste indicative définie par la Cour leur semble bien définir les attendus de la régulation : « les autorisations individuelles de jeu, le lancement et le suivi des expérimentations, la validation des listes des compétitions ou courses support des paris et des types d’événements de jeu ouverts aux paris, la gestion du fichier des interdits de jeu et l’organisation de l’accès à l’information des opérateurs, l’agrément des points de vente, la lutte contre le jeu illégal, la fixation du taux de retour aux joueurs par type de jeu relèvent de l’autorité indépendante ».

Dès lors que la Cour a confirmé que l’actuelle ARJEL s’était bien acquittée des missions qui lui avaient été confiées par le législateur, il semble logique d’étendre son périmètre à la régulation de l’ensemble du secteur et de supprimer les deux commissions consultatives que sont la COJEX et la CCJCC.

Si la suppression de la COJEX ne semble pas susciter de débat dès lors que l’on a pour objectif d’unifier la régulation des jeux en ligne et des jeux en dur, il n’en va pas de même de la CCJCC qui, en donnant un avis au ministre de l’intérieur sur les autorisations d’exploitation des casinos, participe, selon certains interlocuteurs des rapporteurs, à une mission régalienne relevant de l’État.

Les rapporteurs rappellent que cette commission se prononce sur la durée des autorisations d’exploitation ou sur les sanctions des exploitants déjà autorisés, une fois les délégations de service public attribuées par les communes et contrôlées par le préfet au titre du contrôle de légalité. Elle se prononce sur la base de dossiers instruits par des rapporteurs issus majoritairement de l’inspection générale de l’administration (IGA) et bénéficie de l’expertise du SCCJ. Elle peut moduler la durée de l’autorisation d’exploitation entre une et cinq années et elle tient six à sept séances par an pour examiner une dizaine de dossiers par séance.

Les rapporteurs souhaitent le transfert de la régulation des casinos du ministère de l’intérieur à la nouvelle autorité administrative indépendante, considérant que les avantages d’une régulation unifiée l’emportent sur les inconvénients d’une rupture avec un usage historiquement bien assis.

L’ARJEL pourrait recourir au SCCJ comme prestataire de services dans cette mission, comme pour le contrôle des détaillants du PMU et bientôt de la FDJ. Il va de soi que les activités judiciaires de ce service resteraient à l’écart de cette coopération.

De même, l’actuelle Commission des sanctions de l’ARJEL, totalement indépendante de son collège puisque composée de six magistrats (judiciaires, administratifs et financiers), pourrait assumer l’examen des sanctions applicables aux casinos en cas de manquements à leurs obligations, comme elle le fait actuellement pour les opérateurs de jeu en ligne.

En contrepartie de cette extension de périmètre, la coopération de l’ARJEL avec les pouvoirs publics devrait être renforcée, par exemple en prévoyant la nomination d’un commissaire du gouvernement auprès de l’institution et la présence d’un député et d’un sénateur au sein de son collège qui pourrait ainsi passer de sept à neuf membres.

Sur un plan budgétaire, cette réorganisation ne devrait pas être très coûteuse car l’ARJEL dispose déjà d’un budget de 6 millions de masse salariale rémunérant 58 personnes en équivalent temps plein, auxquels s’ajoutent 2,9 millions d’euros de crédits de fonctionnement.

Le financement de l’élargissement de son périmètre d’activité pourrait partiellement reposer sur la mobilisation de marges de productivité internes (qui sont réelles selon la Cour au regard des comparaisons européennes), partiellement sur le redéploiement de personnels assumant ces missions dans les ministères (quoiqu’en nombre très limité) ou des moyens (indemnités des membres et des rapporteurs) des deux commissions consultatives dont la suppression est envisagée, et partiellement sur des moyens nouveaux, mais pour des montants raisonnables au regard de l’importance de cette mission.

Proposition n° 16 : confier la régulation des jeux d’argent et de hasard à une autorité administrative indépendante unique :

– confier la régulation de l’ensemble des jeux d’argent et de hasard en dur et en ligne à une autorité administrative indépendante regroupant l’Autorité de régulation des jeux en ligne, la commission des jeux sous droits exclusifs, la commission consultative des jeux de cercles et de casinos ;

– renforcer la coopération de l’instance de régulation avec les pouvoirs publics en prévoyant la nomination d’un commissaire du gouvernement auprès d’elle et la présence de deux parlementaires au sein de son collège.

EXAMEN PAR LE COMITÉ

Au cours de sa réunion du 8 février 2017, le Comité examine le présent rapport.

M. le président Claude Bartolone. Mes chers collègues, nous allons aujourd’hui examiner le rapport d’évaluation de la régulation des jeux d’argent et de hasard. Je vous rappelle que nous avons décidé de réaliser cette évaluation à la demande du groupe « Les Républicains ».

Cette évaluation a fait l’objet d’une demande d’assistance à la Cour des comptes dont l’étude nous a été présentée par M. Didier Migaud le 19 octobre dernier.

Nos deux rapporteurs sont : M. Régis Juanico pour la majorité et M. Jacques Myard pour l’opposition.

Messieurs les rapporteurs, je vous donne la parole.

M. Jacques Myard, rapporteur. Sachez, monsieur le Président que, bien que n’appartenant pas aux mêmes groupes politiques, les deux rapporteurs ont travaillé dans la plus complète entente, et que nous partageons chacun des mots écrits dans le rapport.

Vous l’avez rappelé, le 19 octobre 2016, le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, nous a présenté un rapport soulignant un certain nombre de problèmes dans la politique des jeux en France. Toutefois, la question est plutôt qu’une telle politique n’existe pas : c’est une balkanisation du système, préjudiciable à sa cohérence ainsi qu’à l’intérêt public, qui est constatée.

La loi du 12 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne a permis de franchir un grand pas, en répondant, quelque peu dans l’urgence, à des sollicitations fortes de la part de la Commission européenne, ainsi que de certains opérateurs désireux d’être présents sur le marché français. Il a donc fallu ouvrir à la concurrence les monopoles qui, à l’époque, régissaient la politique des jeux en France. Cette loi doit aujourd’hui faire l’objet d’un examen précis afin de refonder un certain nombre d’aspects de cette politique des jeux.

Je rappelle qu’auparavant les monopoles étaient parfaitement justifiés au regard, non seulement des lois françaises, mais aussi de la jurisprudence européenne. Alors que nous étions en train d’élaborer la loi du 12 mai 2010, l’arrêt Santa Casa de la Cour de justice des communautés européennes a débouté la Commission ainsi qu’un certain nombre de requérants, et justifié le monopole de l’État portugais pour des raisons d’ordre public. Il s’agit bien en effet d’un domaine d’ordre public, de sécurité comme d’ordre sanitaire, expressément réservé aux États depuis le traité de Rome.

Le rapport de la Cour des comptes relève que les différents secteurs ont connu une évolution contrastée, et que la fiscalité applicable aux jeux n’est pas uniforme, ce qui semble assez difficile à réaliser. Il est vrai qu’en 2010 chacun s’accordait à penser que les jeux en ligne comme le poker cannibaliseraient les autres jeux. Il n’en a rien été, car nous avons assisté plutôt à l’avènement des paris sportifs.

Une disposition très claire a été inscrite dans la loi, enjoignant l’État à veiller à l’équilibre entre les jeux, car une cannibalisation de l’un par un autre peut perturber un secteur économique, comme la filière hippique par exemple.

Nous avons animé une vingtaine d’auditions qui se sont mutuellement confortées ; ce travail prenant et passionnant nous a permis de tirer des conclusions et d’émettre des propositions communes aux deux rapporteurs.

Le domaine du jeu peut aussi être celui de la fraude, du blanchiment d’argent sale ainsi que de l’addiction ; c’est pourquoi l’État a toujours voulu avoir la main sur ce secteur afin d’éviter des dérapages. Au XIXe siècle, dans le domaine des courses hippiques, régnait le système des paris « à la cote », qui s’est révélé très propice à la fraude. Aussi, l’État a-t-il adopté le principe de l’interdiction des jeux, mais assorti d’un certain nombre de dérogations.

Le régime français est donc très particulier puisque fondé sur l’interdiction assortie de dérogations ; en 1891, les paris mutuels sur les courses de chevaux ont été autorisés ; en 1907, ce fut le tour des casinos ; en 1923 celui les cercles de jeux. La loterie nationale a été créée en 1933 et les paris sportifs furent autorisés en 1984 ; aujourd’hui apparaissent d’autres jeux sur lesquels le législateur devra se pencher.

Il est maintenant temps de revoir l’architecture d’ensemble de ce système, qui s’est construit au fil de l’histoire, afin d’éviter des déséquilibres entre les jeux, mais aussi de déterminer une politique publique des jeux cohérente.

M. Régis Juanico, rapporteur. Le Premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, nous a présenté le rapport de la juridiction financière préalablement à nos propres travaux. Une grande partie de ces travaux a été consacrée à la question de la régulation des jeux ; c’est par ce thème très important que nous avons souhaité commencer notre présentation. De fait, nous établissons le même constat que la Cour quant à la tutelle administrative de ces jeux, caractérisée par un cloisonnement obsolète et peu réactif.

Aujourd’hui, les casinos et la police administrative des jeux dépendent du ministère de l’intérieur. Les jeux sous droits exclusifs de la Française des jeux (loteries, grattage, tirage, paris sportifs en dur) dépendent à la fois du ministère de l’intérieur et du ministère du budget ; les jeux sous droits exclusifs du PMU (paris hippiques en dur) dépendent des ministères de l’agriculture, du budget et de l’intérieur ; et enfin les jeux en ligne (poker, paris sportifs et paris hippiques), ouverts à la concurrence par la loi du 12 mai 2010, relèvent de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), autorité administrative indépendante.

En fonction des segments de jeu, les tutelles administratives sont multiples, et, de même que la Cour des comptes, nous avons observé une forme de prépondérance — pour ne pas parler d’omniscience — de la direction du budget sur le secteur des jeux d’argent et de hasard. Cette administration cumule en effet des compétences nombreuses : tutelle, autorité réglementaire, régulation, mais aussi fiscalité. Par ailleurs, au détriment d’autres enjeux de la politique des jeux d’argent et de hasard, elle privilégie le rendement fiscal qui est considérable pour l’État, puisque ce secteur a rapporté 4,8 milliards d’euros en 2015 au titre de la fiscalité spécifique des jeux.

C’est pourquoi nous avons voulu présenter deux propositions portant sur la question de la réglementation et de la régulation. Dans le même esprit que la Cour des comptes, nous souhaitons que la réglementation (statut des opérateurs, champ des droits exclusifs et choix des catégories de jeux susceptibles d’être autorisés) soit confiée à un comité interministériel, et que la régulation quotidienne (autorisations individuelles, expérimentations, listes des compétitions supports de paris et agréments des points de vente) relève d’une autorité administrative indépendante unique dont le périmètre serait élargi.

M. Jacques Myard, rapporteur. J’évoquerai maintenant la question de l’équilibre entre les divers jeux, qui n’est pas sans conséquence. Comme l’a précisé Régis Juanico, l’ensemble des jeux rapporte 4,8 milliards d’euros à l’État, et nous comprenons pourquoi notre ministre du budget y est très attentif, car ce montant représente 7 % du rendement de l’impôt sur le revenu. Il ne faut donc pas jeter la pierre aux joueurs, car ils contribuent au budget de l’État.

Il n’en demeure pas moins que, les jeux étant de différentes natures, un équilibre entre eux est nécessaire à l’État. À une autre époque, la loterie, héritière du loto, se résumait à une caméra de télévision et un boulier ; en dehors de la vente des tickets, l’impact économique était faible. En revanche, derrière les paris sur les courses hippiques, se trouve une filière économique complète, allant de l’élevage, de l’entraînement et de la vente des chevaux – souvent à l’international – aux hippodromes et à leur personnel. On estime que la filière équine représente dans son ensemble 180 000 emplois. L’aménagement du territoire est directement concerné par ces activités qui, dans certains départements, représentent 4 % à 5 % des emplois ; cet aspect des choses ne peut donc pas être ignoré.

La loi du 12 mai 2010 prévoit que l’État doit veiller à l’équilibre des jeux ; or aujourd’hui les paris sportifs ont largement cannibalisé les paris hippiques, à hauteur d’un milliard de mises. Dans les endroits où sont proposés à la fois les jeux de la Française des jeux et les paris hippiques, on constate une baisse assez forte des prises de paris hippiques au profit des paris sportifs. En revanche, dans les lieux où ne sont proposés que des paris hippiques, la baisse est moindre.

Cela montre que la concurrence joue à plein, notamment auprès de nos jeunes concitoyens, l’âge des parieurs hippiques étant beaucoup plus élevé. Un vieillissement des turfistes est ainsi constaté ; de fait, les paris sportifs sont plus attrayants aux yeux de la jeunesse. Mais ils sont aussi plus faciles, car dans le pari hippique, selon le jargon des turfistes, il faut « faire son papier », connaître les chevaux, savoir ce qu’ils ont fait, connaître les handicaps. Dans le domaine du pari sportif, les choses sont plus simples, comme dans le cas d’un match de football opposant les équipes du Paris Saint Germain et de Lens, par exemple.

Ce déséquilibre n’est pas sans conséquence sur la pérennité des paris hippiques. Ce changement culturel appelle de la part du PMU une mise à plat de ses méthodes ainsi qu’une modernisation de son approche du public. À cet effet, le plan PMU 2020 a été lancé, qui propose de nouveaux paris par SMS ; le réseau est en cours de modernisation et propose des écrans dans le but d’attirer une nouvelle clientèle. Le PMU City a été installé dans les centres-villes et l’équipement Hipigo veut séduire de nouveaux parieurs avec des écrans télévisés. Par ailleurs, les paris hippiques pris à l’étranger ont été développés et représentent aujourd’hui 13 % des enjeux, soit un milliard d’euros, ce qui est loin d’être négligeable.

Nous ne partageons pas les vives critiques de la Cour des comptes au sujet des paris hippiques étrangers. Le PMU a développé l’activité des parieurs professionnels résidant à l’étranger, qui ont une connaissance approfondie des jeux et recourent sans doute à des logiciels afin d’évaluer les chances de succès. Le PMU a renforcé les clauses contractuelles relatives au contrôle des parieurs professionnels, et il nous semble qu’il n’y a pas lieu de vouer aux gémonies ces parieurs qui apportent plus de 400 millions d’euros de mises par an.

Le PMU a mené une politique de multiplication des courses dont le nombre a conséquemment crû, ce qui en a probablement réduit l’intérêt. L’évolution des chiffres entre 2006 et 2015 montre un quasi-doublement du nombre des évènements, ce qui, à mon sens, ne saurait constituer un facteur de développement durable, car ces courses sont parfois de second ordre, le nombre des chevaux au départ étant faible – six par exemple – et l’attrait pour les parieurs moindre.

C’est donc à juste titre que le PMU conduit aujourd’hui une réflexion tendant à privilégier les courses susceptibles de présenter un véritable intérêt aux yeux des parieurs, ce qui ne peut que passer par une réduction du nombre des événements afin que renaisse le suspense et que l’entreprise continue de dégager des bénéfices.

M. Régis Juanico, rapporteur. Nous avons identifié deux autres secteurs en situation de fragilité : les casinos et les opérateurs en ligne.

Notre territoire national compte 200 casinos, qui sont en général de petite taille et dont l’installation est très encadrée et réglementée. Il s’agit d’un secteur, concentré, qui connaît une reprise encore timide, et un effort d’investissement et d’innovation important que l’État doit encourager est nécessaire. Par ailleurs, une fiscalité simplifiée, plus favorable aux petits établissements, a été adoptée.

De leur côté, les opérateurs en ligne ne sont plus que seize contre trente-cinq à l’époque où la loi du 12 mai 2010 a été promulguée, et ils peinent à connaître la rentabilité. La loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique a assoupli les outils de lutte contre le jeu illégal et autorisé de nouvelles variantes de poker et la table européenne.

Nous proposons de substituer le produit brut des jeux aux mises comme assiette de la fiscalité sur le poker en ligne, mesure à laquelle les acteurs du jeu en ligne réunis en table ronde par nos soins se sont montrés favorables. Nous suggérons aussi d’étudier l’opportunité d’une telle mesure pour l’ensemble des jeux d’argent et de hasard, mais, souhaitant demeurer prudents comme la Cour des comptes, nous demandons qu’une étude d’impact portant notamment sur les conséquences sur les recettes fiscales de l’État soit diligentée. Ce travail, monsieur le Président, pourrait être réalisé à l’Assemblée nationale, par la Mission d’évaluation et de contrôle de la commission des finances par exemple.

Nous nous sommes préoccupés du problème du blanchiment d’argent sale, à partir par exemple du trafic de tickets gagnants. Ces trafics nous ont conduits à considérer qu’il fallait mieux identifier les opérateurs concernés et parfaire la lutte contre ces pratiques.

En premier lieu, nous proposons de soumettre l’autorisation de gérer un point de vente de la Française des jeux aux résultats d’une enquête administrative, conformément à la procédure applicable aux points de vente du PMU.

En second lieu, nous proposons de mieux identifier les clients. Aujourd’hui, le PMU procède à cette identification par le truchement de la carte joueur, mais cet outil ne touche que peu de parieurs : 120 000 à 130 000 sur cinq ou six millions. Ainsi, n’est-il pas assuré que le recours à la carte joueur soit probant. Plus simplement, nous proposons de soumettre les opérations de jeu à la lecture automatisée d’un document d’identité : pour toutes les catégories de jeux, le joueur devrait présenter sa carte d’identité à une borne qui autoriserait la transaction. Cette solution présenterait l’avantage de faire respecter l’interdiction des jeux aux mineurs, car nous avons relevé des lacunes dans les politiques publiques conduites dans ce domaine.

M. le président Claude Bartolone. Quelle est la part du blanchiment au regard du montant total des enjeux ?

M. Régis Juanico, rapporteur. Ce chiffre n’est pas connu, car l’évaluation est difficile à établir, mais la question pourrait faire l’objet d’une étude.

Notre travail a aussi porté sur les carences du traitement du jeu problématique. Il faut tout d’abord conserver à l’esprit que le secteur des jeux représente quarante-cinq milliards d’euros d’enjeux annuels.

Entre 2010 et 2014, la part des joueurs occasionnels est passée de 47,8 % à 56,2 %. Le nombre de joueurs excessifs demeure stable ; en revanche, le nombre des joueurs à risque modéré a été multiplié par 2,5, passant de 400 000 à 1 million en cinq ans. Il s’agit donc d’une question de vigilance pour les politiques de santé publique de notre pays.

Le montant annuel moyen des mises s’élève à 760 euros, mais avec une très forte dispersion. Près de 86 % des joueurs s’adonnent aux jeux en dur et on recense déjà deux millions de joueurs en ligne. Le jeu constitue aujourd’hui la seule addiction sans substance reconnue, caractérisée par des troubles de l’impulsion aggravés par des jeux plus accessibles et plus addictifs. La pratique du jeu s’intensifie : les joueurs réguliers jouent plus souvent et davantage. Le joueur excessif est en général un homme plutôt jeune, fumeur, d’un milieu modeste et plus souvent inactif ou étudiant. Les jeux auxquels il s’adonne plus souvent que les autres sont les paris sportifs et le poker (sept fois plus), les paris hippiques et les jeux de casino (quatre fois plus) et le jeu de grattage Cash/Millionnaire (deux fois plus).

Les conséquences sanitaires et sociales du jeu problématique sont mal connues, notamment en termes de séparation des couples, de chômage, de surendettement, de délinquance ou de suicide. Aucune mesure du phénomène n’est disponible. Nous proposons donc qu’une étude scientifique soit conduite sur le coût social du jeu problématique, en intégrant les conséquences aujourd’hui non quantifiées.

J’en viens à la diffusion des bonnes pratiques en matière de jeu responsable.

Les pouvoirs publics font passer des messages sanitaires qui sont correctement diffusés. Cependant, nous avons quelques doutes sur l’efficacité de ces messages et leur caractère dissuasif. D’autres mesures semblent plus efficaces, comme le contrôle d’accès dans les casinos, l’interdiction de fumer dans les casinos ou le faible taux de retour aux joueurs (TRJ), notamment sur les jeux de tirage et de grattage.

Les carences sont manifestes s’agissant de l’application de l’interdiction du jeu aux mineurs, de l’accessibilité du fichier des interdits de jeu dans l’ensemble des points de vente, de l’effectivité des modérateurs de jeu et de la régulation de la politique commerciale des opérateurs.

Nous proposons d’étendre la consultation du fichier des interdits de jeu au réseau des points de vente physique du PMU et de la Française des jeux, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

L’État intervient surtout dans le domaine curatif, notamment par le dispositif « Joueurs info service » et les centres de soins, et moins dans le domaine préventif. Nous souhaiterions d’ailleurs adresser un message au ministère de la santé, l’invitant à s’impliquer beaucoup plus qu’à l’heure actuelle dans les politiques de jeu responsable.

M. Jacques Myard, rapporteur. Je l’ai dit tout à l’heure, la densification de l’offre de courses a fini par émousser l’intérêt des parieurs, et une réforme du PMU est devenue nécessaire. Mais à mon sens, c’est l’ensemble du système d’organisation des courses en France qui doit être réformé, notamment par une fusion des directions support – direction du personnel, publicité, gestion, etc. – des sociétés mères et du PMU. Un tel rapprochement serait de nature à faire des économies, étant entendu que les sociétés mères doivent conserver la définition de leur programme. En effet, on ne peut pas faire vivre dans une même société les trotteurs et les galopeurs : ce sont deux mondes différents dont il convient de garder la spécificité.

Je tiens à confirmer les propos de Régis Juanico sur le coût social du jeu addictif. Un professeur d’université de Rome, qui traitait des alcooliques aux urgences, m’a appris que, souvent, derrière l’alcoolisme, il y avait parfois l’addiction aux jeux. Il m’a cité l’exemple une femme qui, en quelques semaines, conformément au fameux roman de Dostoïevski, avait vendu deux appartements pour se livrer à sa nouvelle passion, le jeu. Le jeu peut donc créer des ravages et il est regrettable que le ministère de la santé ne se penche pas suffisamment sur le problème.

Maintenant, venons-en à la nécessité de veiller à l’intégrité des opérations de jeu, car tout joueur souhaite évidemment avoir toutes les chances de gagner, sans qu’il n’y ait de fraude.

Nous nous sommes interrogés sur les possibilités de fraudes dans les courses hippiques. On nous a dit qu’il y a eu des fraudes, et il y en a certainement. Il n’en demeure pas moins que, par nature, le pari mutuel les limite grandement. Pour le pari à la cote, c’est différent, car vous jouez contre la banque, contre le bookmaker. Le risque de fraude est donc beaucoup plus important qu’en cas de pari mutuel.

Voilà pourquoi nous n’avons pas été très convaincus de la multiplication des fraudes dans les courses hippiques. J’ajoute que les sociétés de course ont mis en place un contrôle anti-dopage fort, avec un laboratoire extrêmement performant, et des sanctions qui sont prévues par les codes des courses.

Bien sûr, une récente affaire a été mise à jour, qui concerne une nouvelle substance – un produit dopant pour les chevaux – dont on ne connaît pas l’impact réel. Mais nous avons constaté que le système anti-dopage du milieu des courses était performant, et reconnu comme tel dans le monde. Si tous les sports avaient les mêmes pratiques de lutte contre le dopage que les courses, les scandales seraient peut-être moins nombreux. Dans le monde des courses, je crois qu’il existe des garanties, ce qui ne signifie pas qu’il faut baisser sa vigilance.

S’agissant des compétitions sportives qui donnent lieu à des paris à la cote et sont donc plus fragiles face à la corruption, comment éviter les fraudes ?

La loi de 2012 a établi une cloison étanche entre les organisateurs des compétitions sportives, les vendeurs de pronostics et les opérateurs de jeux. C’est extrêmement important et je pense qu’il faut maintenir ce dispositif. On a également créé un délit de corruption sportive, qui est assimilé au délit de corruption privée, et dont les sanctions ont été alourdies par la loi du 6 décembre 2013. Sur le plan international, la convention Macolin, portée par le Conseil de l’Europe, est en cours de ratification. Cette convention définit la manipulation de compétition sportive, le pari sportif illégal, et renforce la coopération internationale.

Enfin, deux de nos collègues sénateurs ont déposé une proposition de loi visant à confier aux fédérations la rédaction d’une charte éthique et à autoriser l’ARJEL à considérer les risques de manipulation avant d’autoriser la prise de paris.

L’ensemble de ces dispositions devrait grandement améliorer la sincérité des paris sportifs et j’estime que la nouvelle autorité de régulation devrait disposer de tels pouvoirs.

M. Régis Juanico, rapporteur. Je voudrais signaler, au terme de cette présentation, que la Française des jeux joue un rôle considérable dans le financement du sport en France, et notamment du sport pour tous, via le Centre national de développement du sport (CNDS). En effet, 80 % des ressources qu’il reçoit pour financer les équipements de proximité et subventionner les associations sportives de proximité sur les territoires, soit plus de 200 millions d’euros chaque année, proviennent de la fiscalité appliquée à la Française des jeux sur les jeux de tirage, de grattage et les paris sportifs. Comme l’a fait la Cour des Comptes, je décernerai un satisfecit général à la Française des jeux : c’est un opérateur solide, qui a une gestion extrêmement saine sur le plan financier.

M. le président Claude Bartolone. Nous en venons aux questions de nos collègues.

M. René Dosière. Monsieur le Président, il y a un peu plus de cinquante ans, à l’occasion de la campagne présidentielle de 1965, j’avais assisté à une réunion publique du candidat François Mitterrand à Saint-Quentin. Je lui avais alors posé la question suivante : trouvez-vous normal que les Français consacrent davantage d’argent au PMU qu’à l’aide française au développement (AFD) ? Il m’avait répondu que cela pouvait paraître étonnant, mais qu’après tout la liberté de chacun devait être respectée – même si les voisins qui m’accompagnaient étaient un peu plus virulents à l’égard du jeune homme que j’étais et qui n’avait pas l’air d’apprécier beaucoup le PMU, contrairement à eux…

Cinquante ans après, je constate que la situation n’a pas beaucoup changé puisqu’en 2015, l’AFD s’élevait à 8,1 milliards, et que pour le PMU, paris sportifs inclus, on en était à un peu plus de 9 milliards – d’après le tableau qui figure dans le rapport de nos collègues.

Mais depuis, vingt-cinq ans de vie parlementaire m’ont permis de découvrir toute la complexité de l’organisation économique et sociale de notre société, et les revenus que l’État peut tirer des jeux, revenus qui ne sont pas négligeables.

Je lirai donc le rapport de nos collègues avec un grand intérêt. D’après ce que j’ai déjà vu en le feuilletant, il est très complet et passionnant. Quant aux interventions de nos rapporteurs, elles ont mis en lumière divers aspects de la question, économiques, sociaux, voire de santé publique.

Toutefois, subsiste encore en moi l’interrogation qui était celle du jeune homme de vingt-cinq ans : est-ce que c’est moral ?

Mme Nicole Ameline. Je voudrais naturellement féliciter les rapporteurs et le président. Ce rapport est très important. Et je suis bien placée pour le dire, car ces deux filières, celle des casinos et de la filière équine, sont présentes dans ma circonscription. Derrière les jeux, il y a des emplois et des filières économiques considérables. La filière équine, notamment, porte le rayonnement de la France à l’international puisque c’est une filière d’exportation.

Je voudrais que cette dimension soit réaffirmée. Il ne s’agit pas – et je m’éloigne en cela de René Dosière – de porter un jugement, moral ou non, mais de voir derrière ces grandes questions l’aménagement du territoire, l’attractivité touristique, le commerce extérieur, etc.

Par ailleurs, je suis très sensible à la recherche de cohérence institutionnelle et considère que l’éclatement de la régulation est tout à fait négatif, ne serait-ce qu’en termes de visibilité. La fiscalité occupe une place centrale en tant qu’outil de régulation, de modulation. Ses aménagement – on l’a vu pour avec les sports équestres – ont eu un effet dévastateur pour de petits clubs pourtant en pleine activité.

Maintenant, il faut aller plus loin, sans négliger la dimension européenne, car celle-ci n’est peut-être pas assez présente dans le rapport. Quoi qu’il en soit, je vous félicite pour ce travail, qui constitue la première étape d’une réflexion essentielle.

M. Christophe Caresche. Le propos de René Dosière ne fait qu’illustrer l’adage : « Vices privés, vertu publique ». D’ailleurs, Jacques Myard l’a dit en introduction, une grande partie de cet argent va dans les caisses de l’État et peut alimenter, par exemple, le développement.

Cela étant dit, vos propositions sont-elles de nature réglementaire ou législative ? Comment mettre en place ces propositions, qui m’ont l’air tout à fait intéressantes ? Selon quelle stratégie ?

M. Jacques Myard, rapporteur. Notre ami Dosière, dont j’apprécie les remarques, se trompe sur un point : en Afrique, il y a aussi un intérêt pour les courses françaises et celles-ci peuvent y créer des emplois. Donc ce n’est pas si simple que cela. Nous sommes dans un monde transnational. Quant à la morale, c’est comme la tolérance…

Les propos de Nicole Ameline sont frappés au coin du bon sens : le jeu est un secteur économique, ne l’oublions pas. Et puis, il n’est pas interdit de se divertir. Le problème ne vient pas du jeu en lui-même, mais de l’excès, en l’occurrence l’addiction. C’est même un véritable problème de santé publique.

En Australie, par exemple, on a installé des bandits manchots dans tous les coins, et c’est une catastrophe. En Italie, on compte plus de 414 000 machines à sous, installées dans des cafés. Et vous pouvez compter sur certaines organisations, que l’on pourrait qualifier de mafieuses, pour récupérer la mise. Ce n’est pas ce que nous faisons en France. Le jeu y est sous contrôle. Mais il est nécessaire d’avoir une politique publique forte en la matière, et de se montrer vigilant.

Enfin, nos propositions, qui relèvent de la loi et du règlement, visent à rendre ce secteur beaucoup plus cohérent et à mettre en place une véritable politique publique – de service public. Il s’agit d’instituer des contrôles et d’éviter les dérapages, de telle manière que le jeu soit un atout, et pas un handicap.

M. Régis Juanico, rapporteur. À la suite des questions posées par notre collègue Christophe Caresche et à propos de la régulation, j’ajouterai que l’autorité administrative indépendante que nous souhaitons mettre en place relève du domaine de la loi.

Il s’agirait d’une autorité administrative indépendante unique, aux compétences et au périmètre élargis. L’innovation technologique et la révolution numérique dans les jeux d’argent et de hasard rendent en effet de plus en plus artificielle la séparation entre les jeux en dur et les jeux en ligne. D’ailleurs, dans d’autres pays européens, comme en Grande-Bretagne, une autorité administrative indépendante unique est chargée de la régulation et couvre l’ensemble des secteurs du jeu, à la fois en ligne et en dur.

Je tiens à rappeler à nos collègues qu’il y a quelques semaines, nous avons dû intervenir assez vigoureusement en séance publique pour empêcher que, dans le cadre d’une proposition de loi relative aux autorités administratives indépendantes, un amendement de Jean-Luc Warsmann ne vienne supprimer l’ARJEL. Cette autorité, que nous avons mise en place en 2010, assume bien les missions qui lui ont été confiées par le législateur. Mieux vaudrait donc renforcer l’ARJEL en en consolidant les missions et en en étendant le périmètre, plutôt que la supprimer ou créer plusieurs autorités administratives indépendantes. On n’est pas là pour multiplier les autorités administratives indépendantes, mais pour les contrôler.

Quant aux observations de Nicole Ameline, je confirme que le secteur économique des casinos est très important, notamment pour les petites villes et les villes moyennes – en général des stations balnéaires, thermales ou touristiques. Sur l’ensemble du territoire, on compte 200 casinos. En outre, le projet de loi relatif au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain prévoit l’expérimentation de clubs de jeux à Paris. L’offre devrait donc se diversifier.

Les quatre principaux opérateurs (Barrière, Partouche, Tranchant et Joa), délégataires de service public, réalisent trois quarts du chiffre d’affaires qui se monte à 2,18 milliards de produit brut des jeux (PBJ). Mais il faut savoir que ce PBJ avait chuté de 25 % ces dix dernières années, et que le secteur se relève à peine. Malgré cette crise sévère, le secteur a continué à investir pour moderniser, notamment, ses casinos et ses machines à sous, et on attend un rebond l’année prochaine.

Aujourd’hui, les pouvoirs publics retirent des casinos, en fiscalité, 1,156 milliard d’euros de recettes. Les casinos constituent donc un secteur stratégique, y compris pour les finances publiques et pour l’État. Voilà pourquoi la loi de finances rectificative de 2014 a allégé la fiscalité sur les plus petits établissements, en établissant une forme de péréquation avec les plus gros établissements, qui ont un chiffre d’affaires élevé. Cette solidarité entre les établissements me semble avoir été tout à fait efficace.

M. Jacques Myard, rapporteur. Dans le cadre européen, chaque État réglemente son secteur des jeux au regard de critères nationaux ; c’est acté par la Cour de justice des communautés européennes. En revanche, dans le domaine des courses, les coopérations sont nombreuses avec certains preneurs de paris, que ce soit en Allemagne, en Italie ou ailleurs. Il y a donc des relations transnationales à ce niveau. Cela fonctionne bien, le PMU conventionnant avec des organismes étrangers, souvent même extra-européens.

Aujourd’hui, en Europe, la France est le seul pays à avoir un secteur hippique aussi fort économiquement. Sous la pression des machines à sous, les courses se sont totalement écroulées en Italie, en Allemagne et en Belgique. Nombre d’entraîneurs étrangers viennent courir en France, parce que les allocations – c’est-à-dire les prix – y sont toujours très fortes. En Belgique ou ailleurs, on peut gagner des courses à 2 000 ou 3 000 euros, ce qui n’est pratiquement jamais le cas en France.

Notre système, qui est alimenté par le pari mutuel, fonctionne. Mais en Angleterre, les bookmakers ne reversent que très peu d’argent à la filière qui est alimentée par les gens des émirats pour qui c’est une passion et qui font tourner le système. Mais s’ils venaient à disparaître, tout s’écroulerait faute d’un système institutionnel alimentant le circuit des allocations.

Ainsi, notre système fonctionne mais il est fragile. Les équilibres doivent être sauvegardés entre les jeux, dans l’intérêt public.

M. le président Claude Bartolone. Merci à nos deux rapporteurs pour la qualité des travaux qu’ils ont menés.

Sauf objection, je vous propose d’autoriser la publication du rapport.

Le Comité autorise la publication du présent rapport.

ANNEXE N° 1 :
PROFILS DES JOUEURS ET PANORAMA DU JEU PROBLÉMATIQUE

1.– Les profils des jouers

Qui joue et à quoi ?

Le jeu est pratiqué relativement plus fréquemment par les hommes, âgés de vingt-cinq à cinquante-quatre ans, professionnellement actifs, et il est proportionnellement plus fréquent chez les ouvriers et employés qu’auprès des professions intellectuelles supérieures. Les joueurs ont un niveau d’éducation un peu moins élevé que celui des non-joueurs. De façon plus ciblée, les femmes sont plus représentées parmi les adeptes des jeux de grattage (54,9 %) et moins parmi ceux des jeux de table des casinos (28,9 %), des paris hippiques (25,9 %), du poker (19,4 %) et des paris sportifs (7,1 %).

Les amateurs de poker, de paris sportifs et des jeux de casino sont plus jeunes que la moyenne, et les étudiants sont surreprésentés parmi eux (les proportions varient entre 26,5 % et 13,8 % alors qu’ils ne représentent que 7,2 % des joueurs) tandis que les parieurs hippiques sont plus âgés (47,2 ans en moyenne). Les étudiants se détournent des jeux de tirage et surtout des paris hippiques.

Les ouvriers jouent plus volontiers aux paris hippiques (30,3 % des parieurs hippiques et 25,2 % des joueurs) et aux paris sportifs. Les employés pratiquent davantage les jeux de grattage (33,8 % alors qu’ils représentent 30,3 % des joueurs).

Les cadres, artisans et chefs d’entreprise s’adonnent davantage aux jeux de casino (respectivement 21,0 % et 13,7 % des usagers de ces jeux appartiennent à ces catégories qui ne représentent que 12,9 % et 6,3 % des joueurs).

Les joueurs peu diplômés (niveau inférieur au bac) sont davantage attirés par les paris hippiques, consomment plus de jeux de grattage (ils représentent 69,3 % et 59,4 % des pratiquants de ces jeux contre 55,4 % parmi l’ensemble des joueurs), et sont moins concernés par les paris sportifs, le poker, les machines à sous et les jeux de casinos.

Des études sociologiques faisant appel aux témoignages ont été menées dans le but de dresser une typologie des joueurs en fonction de leur positionnement vis-à-vis du risque et de leurs motivations.

TYPOLOGIE PSYCHO-SOCIOLOGIQUE DES JOUEURS

d’après Lewy (1994)

Source : INSERM, Jeux d’argent et de hasard, contextes et addictions (2008).

Les types d’enquête

– Enquête nationale : menée sur la base d’un échantillon de 15 000 personnes, qu’il est difficile de réunir depuis qu’il n’y a plus de recensement global ni d’annuaire complet. Les instituts procèdent par quotas, c’est-à-dire qu’ils recrutent un échantillon représentatif de la population. Les personnes interrogées sont volontaires, ce qui introduit un biais, mais il n’est pas possible de faire autrement. Ces enquêtes coûtent de l’ordre de 500 000 euros et, si l’on opte pour des face-à-face, le prix grimpe à 2 millions d’euros.

– Suivi de cohortes : l’échantillon initial est suivi pendant une période de temps, assez longue généralement. Là aussi ce sont des études coûteuses, lourdes, souvent réservées à la santé publique, et qui ne sont pas adaptées aux organes décisionnaires qui doivent se prononcer à plus ou moins brève échéance. Une telle enquête présente néanmoins l’intérêt de suivre les comportements dans le temps, donc de mesurer les chances de sortir d’une addiction et le délai qu’il faut.

– Enquêtes web : les échantillons comptent entre 7 000 et 8 000 individus, recrutés par les instituts de sondage, dédommagés pour leur participation à un nombre d’enquêtes déterminé. Le biais est très fort, les personnes interrogées sont plus jeunes, plus diplômées, consomment davantage de substances illicites, mais, en matière de jeu, ce n’est pas très grave, surtout que le plus important n’est pas la valeur absolue, mais la tendance qui se dégage entre deux enquêtes. D’où l’intérêt d’en pratiquer régulièrement.

Quelles que soient les motivations qui les animent, les joueurs, dans leur immense majorité, conservent un comportement qui ne les met pas en danger. Le jeu, pratiqué universellement, demeure alors un passe-temps, circonscrit à la vie privée.

Où joue-t-on ?

En 2016, l’Observatoire des jeux, en collaboration avec l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (22), a publié pour la première fois un atlas des jeux, un travail qu’il entend renouveler chaque année, qui consiste à collecter et agréger des données territorialisées relatives tant à l’offre qu’à la consommation de jeu. Les indicateurs (cumul des mises jouées sur Internet et en point de vente, ramené à la population majeure, pour l’ensemble des jeux d’argent et par grande catégorie d’activité) permettent de dresser un profil des territoires et d’établir des comparaisons entre eux.

Pour rendre compte des disparités territoriales par activité de jeu, un découpage dissociant les départements ayant une mise moyenne inférieure ou supérieure à la moyenne nationale (départements d’outre-mer inclus, hors Mayotte) a été réalisé.

Des cartes ont été établies mettant en évidence les écarts à la moyenne, en distinguant cinq classes :

 Valeur inférieure de plus de 25 % à la moyenne nationale ;

 Valeur de 10 % à 25 % inférieure à la moyenne nationale ;

 Valeur dans la moyenne nationale à plus ou moins 10 % ;

 Valeur de 10 % à 25 % supérieure à la moyenne nationale ;

  Valeur supérieure de plus de 25 % à la moyenne nationale.

Il est préférable de ne pas tenir compte des machines à sous qui sont l’apanage des casinos, lesquels se concentrent sur le littoral et dans les villes thermales, et qui contribuent à l’animation touristique. Dès lors, l’interprétation des résultats n’apporte rien puisque une bonne partie des joueurs ne réside pas sur place.

MISES TOTALES HORS MACHINES À SOUS

La carte générale révèle les régions caractérisées par une forte prévalence du jeu, telles que l’Île-de-France, le sud-est de la côte méditerranéenne, la Corse et la Guadeloupe pour l’outre-mer. En revanche, on joue peu dans la moitié ouest de la France.

LES MISES DE LOTERIE

Avec une mise moyenne de 188 euros et près de 32 000 points de vente recensés, les jeux de loterie restent la forme de jeu la plus plébiscitée (pratiquée par 49,5 % des Français en 2014 (23)). Même si certains territoires affichent des indices qui s’éloignent sensiblement de la moyenne nationale, les écarts sont de moindre ampleur que pour les autres formes de jeu.

MISES AMIGO

L’Amigo est l’un des principaux jeux de grattage. Il a remplacé le Rapido, jugé trop addictif, en raison du rythme rapide des tirages. Il concerne exclusivement la France continentale, en particulier les départements autour de l’Île-de-France, et les départements frontaliers du Haut-Rhin et de Haute-Savoie.

MISES SUR PARIS HIPPIQUES

Là encore, les paris hippiques sont très concentrés sur certains territoires. Presque tous les départements se situent en dessous de la moyenne nationale, hormis ceux de l’Île-de-France (Paris, Essonne, Seine-Saint-Denis, Val-d’Oise), les Bouches-du-Rhône et les Alpes maritimes, le Calvados pour lequel l’élevage est une activité économique essentielle, l’Oise et le Var, la Corse, où la prévalence du jeu est particulièrement marquée ; et les départements d’outre-mer, exception faite de la Guyane.

2.– Le jeu problématique

Définition du concept

Si tout un chacun a une idée assez précise de ce qu’est le jeu pathologique, et surtout de nuisances qu’il peut provoquer, la définition n’en est pas moins délicate, sur un plan scientifique. L’addiction sans substance, dénommée parfois assuétude, est un concept apparu récemment dans la littérature spécialisée. Elle se caractérise par des comportements envahissants, que leur auteur ne maîtrise pas. Selon le docteur Amandine Luquiens, responsable de l’unité spécialisée « Addiction aux jeux de hasard et d’argent » de l’hôpital Paul Brousse, « les plus communément évoqués sont ceux classifiés dans la Classification internationale des maladies (CIM10) [établie par l’Organisation mondiale de la santé] comme des troubles du contrôle des impulsions, définis comme l’échec à résister à une impulsion, une pulsion ou à la tentation de réaliser un acte qui pourrait être délétère pour soi ou pour les autres, et en particulier le jeu pathologique, mais aussi la pyromanie ou la trichotillomanie (24». Cette définition, très générale, englobe d’autres pratiques comme l’hypersexualité, les achats compulsifs, l’usage excessif des jeux vidéo, etc. pour lesquelles il est difficile de faire la part entre l’addiction et la manie.

Des universitaires ont toutefois relativisé une telle approche, considérant qu’elle ouvrait la voie à une « pathologisation » excessive des comportements s’écartant de ce qui était perçu comme la norme, et privilégient une démarche tentant de cerner les mécanismes physiologiques et psychologiques qui conduisent à la dépendance. Une telle critique vaut en particulier pour les jeux vidéo (cf. infra).

Toutefois, et vraisemblablement en raison des dégâts tangibles qui s’ensuivent, la pratique intensive des jeux d’argent et de hasard est le seul trouble reconnu comme une addiction comportementale dans la cinquième et dernière révision du DSM, le classement des troubles mentaux dressé par l’American Psychiatric Association, et qui fait autorité dans le monde entier.

DÉFINITION MÉDICALE DE L’ADDICTION
DANS LE MANUEL DIAGNOSTIQUE ET STATISTIQUE DES TROUBLES MENTAUX (DSM-5)

Source : INSERM Sciences & Santé n° 19, avril 2014.

Une liste de neuf questions a été établie de façon à proposer un diagnostic d’autoévaluation. La Cour des comptes la fournit dans l’annexe n° 5 de son rapport et rappelle que l’indice de référence pour les enquêtes françaises est l’indice canadien du jeu excessif (ICJE) qui repose sur le même principe. Ce dernier donne une échelle de risque, allant de 0 à 27, qui est établie après pondération des réponses des personnes interrogées. Le jeu est considéré comme modéré si le résultat est compris entre 3 et 7, et excessif au-delà.

Les travaux des chercheurs en neurosciences ont porté surtout sur les addictions aux substances psychoactives. Toutefois, les addictions comportementales présentent les mêmes symptômes et le même syndrome de sevrage, laissant supposer que les dysfonctionnements physiopathologiques seraient comparables et qu’il existerait un processus commun à toutes les addictions. Chez les patients, le circuit de la stimulation, du désir et de la récompense, qui implique la production de neurotransmetteurs (sérotonine, noradrénaline et dopamine) provoquant successivement le désir et la satisfaction, se dérègle. La dopamine est associée au plaisir tandis que le découplage des neurones produisant la noradrénaline et la sérotonine cause une hyperactivité incontrôlable. D’impulsion, la recherche de la satisfaction ou du soulagement, se transforme en compulsion et l’individu perd tout contrôle sur sa consommation qui domine toute son existence, quelles qu’en soient les conséquences pour lui-même ou son entourage. D’ailleurs, elles peuvent même provoquer un état dépressif aggravant l’addiction ou conduisant à une rechute. L’intensité du stress est telle que le consommateur récidive pour la diminuer, enclenchant une spirale infernale. Les dérèglements constatés pourraient expliquer qu’un individu passe d’une addiction à une autre, voire les cumule (tabac et alcool notamment) pour se procurer par différents moyens la même sensation de satisfaction/soulagement. Ainsi, le risque d’occurrence du jeu pathologique est trois plus élevé chez les sujets présentant des troubles liés à l’usage ou à l’abus d’une substance et près de deux fois chez les personnes souffrant de dépression ou d’anxiété. Les joueurs pathologiques souffrent fréquemment de troubles de la personnalité et de l’humeur. « La personnalité antisociale serait associée à une plus grande sévérité du jeu pathologique. […] Parmi les troubles de l’humeur, le trouble bipolaire est le plus souvent associé au jeu pathologique. » (25) Les joueurs problématiques sont aussi plus à risque de consommations problématiques de produits psychoactifs. Une grande partie boit et fume : 28 % des joueurs excessifs ont un risque de dépendance à l’alcool (contre 3,2 % en population générale) et la part des fumeurs quotidiens de plus de dix cigarettes est de 50 % parmi eux, alors qu’elle est de 29,7 % en population générale.

Stabilité des joueurs excessifs, mais forte augmentation des joueurs problématiques

La première enquête menée en France sur le jeu problématique a été réalisée à l’occasion de l’ouverture des jeux en ligne. Elle a été conduite par l’INPES dans le cadre du Baromètre santé 2010, et publiée dans la revue (26) de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Opérant un filtrage de manière à n’interroger que les joueurs « actifs » (27), elle rapportait qu’un Français sur deux (48 % des 18-75 ans) tentait sa chance au jeu au moins occasionnellement ; qu’un sur cinq jouait au moins une fois par semaine en moyenne et qu’un sur dix dépensait plus de 500 euros au jeu dans l’année. Parmi ces 25 millions de joueurs actifs, 600 000 étaient concernés par l’addiction, avec une prévalence totale de 1,3 % pour le jeu dit « problématique », en distinguant les joueurs à risque modéré (0,9 %) et les joueurs excessifs (0,4 %). Ce taux place la France loin derrière les États-Unis ou l’Australie (autour de 5 %) et légèrement derrière l’Italie, le Canada, la Belgique et la Grande-Bretagne (aux alentours de 2 %).

Par rapport aux résultats de 2010, l’enquête de 2014, menée sur une base quelque peu différente (28), mais qui a été aménagée à des fins de comparaison, souligne la stabilité du noyau dur des joueurs excessifs qui se maintient à 0,5 % de la population, mais la très forte augmentation de la proportion de joueurs à risque modéré, multipliée par 2,5 puisqu’elle est passée de 0,9 % à 2,2 %. En valeur absolue, la France compte 200 000 joueurs excessifs et 1 million de joueurs à risque.

Autre évolution constatée, qui mérite attention, la fréquence de jeu s’est intensifiée au cours des quatre dernières années, si bien que l’augmentation du nombre de joueurs tient avant tout à l’augmentation des joueurs réguliers (31,5 % des joueurs ont joué au moins une fois par semaine au lieu de 22,4 %). Parallèlement, les dépenses suivent une tendance analogue puisque la proportion de joueurs dépensant moins de 500 euros recule de 90,1 % à 80,9 % tandis que la part de ceux qui ont consacré plus de 1 500 euros au jeu est désormais de 7,2 % au lieu de 1,8 %.

Les facteurs de risque

Si l’on cherche à dresser le portrait-robot du joueur excessif, il s’agirait d’un homme, plus jeune que la moyenne des joueurs, appartenant à un milieu modeste, et non diplômé. Un joueur problématique sur trois est chômeur ou étudiant, soit une proportion double que dans l’ensemble des joueurs. L’enquête française Baromètre santé 2010 confirme l’existence d’un lien fort entre jeu problématique et consommations « problématiques » de produits psychoactifs, constat établi auparavant par de nombreuses études (INSERM, 2008). Dans l’enquête nationale menée au Québec, on retrouve les mêmes constats : le tabagisme quotidien, la consommation problématique d’alcool sont significativement plus fréquents parmi les joueurs excessifs et les joueurs à risque modéré que parmi les autres joueurs (Kairouz, 2011). Les deux tiers d’une population « addict » aux jeux de hasard et d’argent présentent des codépendances à l’alcool, au tabac, au cannabis.

En ce qui concerne les jeux pratiqués, le tableau ci-dessous, qui détaille la prévalence par jeu et par profil de joueur, montre que les joueurs problématiques se recrutent dans tous les jeux, en dehors des jeux de tirage et de grattage, à l’exception notable du Cash et de l’Amigo. Ce sont donc aux écarts par rapport aux joueurs à faible risque qu’il faut porter attention.

JEUX PRATIQUÉS PAR LES DIFFÉRENTS TYPES DE JOUEURS
AU COURS DE L’ANNÉE ÉCOULÉE

(En %)

Source : Enquête nationale sur les jeux d’argent ODJ/INPES 2014.

Par rapport aux joueurs sans risque ou à risque faible, les joueurs à risque sont quatre fois plus nombreux à pratiquer les paris sportifs et le poker (et sept fois plus nombreux pour les joueurs excessifs).

La multi-activité ludique est un facteur de risque de même que la précocité de l’âge auquel le jeu est expérimenté.

Les enquêtes menées par l’OFDT et l’ODJ en 2012 sur le jeu en ligne (e-JEU et e-ENJEU) ont mis en évidence une pratique des jeux d’argent et de hasard sur internet présentant un risque élevé par rapport à l’ensemble des jeux (prévalence du jeu problématique – excessif et risque modéré – de 17 %, contre 2,2 % en population générale, alors que les jeux les plus addictifs ne sont pas proposés par les opérateurs légaux), ce que confirment différentes enquêtes faites à l’étranger révélant des pratiques plus intensives et plus à risque chez les joueurs sur internet ; et un recentrage sur l’offre légale de jeu avec une pratique dominante mais pas exclusive au profit des sites légaux.

Parmi les jeunes, la pratique d’un jeu d’argent et de hasard en ligne n’est déclarée que par 4 % des jeunes de 17 ans. En 2011, près de la moitié des jeunes de 17 ans (44 %) avait déjà joué à un jeu d’argent et de hasard, 39 % avaient pratiqué au moins une fois au cours des douze derniers mois et 11 % la semaine précédente. Ce sont surtout des garçons. Deux tiers des adolescents ayant joué dans l’année (66 %) n’ont pratiqué qu’un seul type de jeu, surtout des jeux de grattage et tirage (83 % des joueurs), le dernier tiers étant composé principalement de joueurs qui ont pratiqué deux types de jeu (en général jeu de tirage + jeu de pronostic). Avec 12 % des adolescents concernés, les jeux de tirage arrivent en tête parmi les adolescents, devant les jeux de pronostic (paris sportifs). Cette précocité de l’expérience du jeu est préoccupante.

Le taux de retour au joueur (TRJ) se définit comme la proportion des mises qui retourne au joueur. Le jeu serait d’autant plus addictif que la probabilité de gain serait élevée. La France considère le TRJ comme un critère déterminant du caractère addictif des jeux, ce qui la conduit à lui fixer un plafond. Ainsi, le décret n° 2010-605 du 4 juin limite le TRJ à 85 % pour les paris en ligne, ce pourcentage étant apprécié sur une base annuelle, et par opérateur. Dans le cas de paris à la cote, le TRJ n’est connu qu’ex post, et des ajustements sont inévitables. Pour les machines à sous des casinos, le taux de 85 % est un seuil, et non un plafond, le TRJ réel se situant autour de 95 %. Il n’existe pas de règle contraignante sur ce point pour les jeux de cercle. Quant aux paris hippiques, c’est au conseil d’administration du PMU de le déterminer, la limite supérieure étant aussi de 85 %, mais il est en réalité de dix points inférieur au moins. S’agissant de la Française des jeux, le taux de retour au joueur est fixé par arrêté du ministre du budget, et il varie selon les types de jeu.

Taux de retour au joueur des jeux de la Française des jeux

Article 2 de l’arrêté du 9 mars 2006
(dernière modification du 14 septembre 2016)

La part des sommes misées qui est dévolue au jeu se compose de la part affectée aux gagnants (pour les jeux de contrepartie, celle-ci est fondée sur le calcul des probabilités de gains et sur l’expérience statistique) et de la part affectée à la dotation structurelle du fonds de contrepartie, en application de l’article 14 du décret n° 78-1067 du 9 novembre 1978 et de l’article 15 du décret n° 85-390 du 1er avril 1985. Ces parts sont les suivantes :

1. Pour Loto et Super Loto, la part affectée aux gagnants est de 53 % et la part affectée à la dotation structurelle du fonds de contrepartie de 0,5 %. Pour les options complémentaires « Compte double », « Duo » et « Double chance », les parts affectées aux gagnants sont respectivement de 62,9 %, 61,71 % et 61,45 % et les parts affectées à la dotation structurelle du fonds de contrepartie de 0,5 % ;

2. Pour Euro Millions, la part affectée aux gagnants est de 50 %. Pour My Million, la part affectée aux gagnants est de 50 %. Pour Etoile +, la part affectée aux gagnants est de 60 % ;

3. Pour Joker +, la part affectée aux gagnants est de 59,87 % et la part affectée à la dotation structurelle du fonds de contrepartie de 0,51 % ;

4. Pour Keno, la part affectée aux gagnants est de 63 % et la part affectée à la dotation structurelle du fonds de contrepartie de 1 % ;

5. Pour Amigo, la part affectée aux gagnants est de 67,55 % et la part affectée à la dotation structurelle du fonds de contrepartie de 0,05 % ;

6. Pour l’ensemble des jeux de pronostics sportifs, la part affectée aux gagnants est en moyenne de 75 % et la part affectée à la dotation structurelle du fonds de contrepartie de ces jeux est de 2,704 % ;

7. Pour l’ensemble des jeux de loterie instantanée et sur un nombre significatif d’émissions, la part affectée aux gagnants est en moyenne au minimum de 50 % et au maximum de 70 % de la valeur nominale des émissions ;

8. Pour les formules du jeu Bingo fondées sur le principe de la répartition, la part affectée aux gagnants est de 65 % ; pour la formule de jeu Bingo One, la part affectée aux gagnants est de 70 % ;

9. Pour l’ensemble des jeux à tirages immédiats en ligne, jusqu’au 31 décembre 2017 et sur un nombre significatif de tirages, la part affectée aux gagnants est en moyenne au maximum de 72 % ;

10. Pour l’ensemble des jeux dénommés « Illiko Live » et sur un nombre significatif d’émissions et jusqu’au 30 juin 2018, la part affectée aux gagnants est en moyenne au maximum de 70 %.

Un TRJ élevé est incontestablement incitatif, puisque le joueur y voit une espérance de gain, et un TRJ bas dissuasif, car il apparaît confiscatoire. Toutefois, il revêt en France une importance particulière dans la mesure où la fiscalité est, à l’exception des machines à sous, assise sur les mises, et non sur le PBJ. De ce fait, la fiscalité se révèle déterminante. Quand l’assiette est constituée du PBJ, les opérateurs de jeu ont une plus grande maîtrise de leur politique de retour au joueur. Une étude canadienne montre qu’un TRJ de 98 % augmente le temps de jeu. Mais le joueur est attiré par d’autres appâts, tels que la fréquence des séquences de jeu (d’une dizaine ou d’une vingtaine de secondes pour les machines à sous et les jeux de tirage), le nombre de petits gains, et surtout le montant des gros gains qui stimulent tout particulièrement les joueurs problématiques. La politique commerciale des opérateurs de machines à sous vise à rendre le jeu plus intensif, en modulant ces critères qui modifient la perception rationnelle du joueur, et favorisent l’apparition chez lui de biais cognitifs exagérant ses chances de gain. Le TRJ est addictogène parce qu’il fait augmenter à la fois le taux de récompense (nombre de lots/nombre de mises), ce qui incite donc le joueur à continuer à jouer, et le montant des lots. Il est utilisé par les opérateurs de jeu comme argument commercial mais de nombreux joueurs ne le perçoivent pas en tant que tel. À preuve, le TRJ d’Amigo (67,55 %) et de Cash (72 %) ne dissuade pas les joueurs excessifs. Une certitude en revanche : un TRJ élevé attire les capitaux en quête de blanchiment, le solde qui reste à l’opérateur étant perçu comme une simple commission.

Les jeux vidéo

Les enquêtes de prévalence uniquement en population jeune (ESCAPAD (29) 2011 et HBSC (30) 2014) montrent que la pratique des jeux vidéo est majoritaire en population jeune. Par exemple, entre 11 et 15 ans, les adolescents passent en moyenne deux heures et demie par jour devant une console de jeux, les garçons une heure de plus que les filles. Le pic d’assiduité est enregistré au collège : le nombre d’heures devant une console baisse ensuite entre 13 et 15 ans au profit d’autres pratiques d’écran (ordinateur, télévision, etc.).

Depuis 2014, on sait évaluer précisément la part des différentes addictions sans produit dans les recours aux consultations jeune consommateur (CJC)(31), destinées aux jeunes en demande de soin pour addiction. Il s’avère que la plupart des recours aux CJC liés à une addiction sans produit concernent les jeux vidéo (environ 6 %) ou Internet (2 %). Les demandes motivées par une addiction sans produit viennent deux fois plus souvent de l’entourage que des jeunes eux-mêmes. Les demandes de l’entourage concernent surtout les pratiques d’écran (plutôt que des troubles du comportement alimentaire, par exemple) : ainsi, 12 % des consultations sollicitées par des parents d’adolescents concernent les seuls jeux vidéo.

L’OFDT a travaillé sur les « facteurs associés » à un usage problématique de jeux vidéo plus que sur l’impact en tant que tel mais les résultats pointent bien des « profils à risque ». L’enquête PELLEAS (profils associés à l’usage problématique de jeux vidéo), la seule consacrée exclusivement aux pratiques d’écran et de jeux vidéo et menée dans une quinzaine de collèges et lycées franciliens, avait pour objectif d’étudier les facteurs associés à l’addiction aux jeux vidéo parmi les adolescents. Elle a montré que :

– la pratique des jeux vidéo est ultra-majoritaire à l’adolescence (près de neuf adolescents sur dix de l’échantillon déclaraient jouer au moins une fois par semaine) et révèle de fortes différences selon le genre (surtout au collège) : les jeux de tir et de simulation sont, par exemple, plus nettement des « jeux de garçons », alors que les jeux de gestion sont plutôt des « jeux de filles ». Avec l’avancée en âge, les différences liées au genre tendent à s’effacer.

– ce qui distingue les « joueurs problématiques » des autres joueurs (identifiés comme tels grâce à l’« échelle de Lemmens (32) »), ce n’est pas tellement l’accès libre et facile aux écrans en tant que tel mais bien plutôt une combinaison des facteurs associés suivants :

. un engagement scolaire défaillant et des difficultés d’apprentissage ;

. des signes de dépressivité ;

. un certain déficit de contrôle parental ;

. le fait de jouer plus souvent seuls ;

. la difficulté à supporter la frustration de ne pas pouvoir jouer pendant une journée entière ;

. la fréquence du jeu en ligne ;

. le choix des jeux (les jeux de rôle et de stratégie figurent parmi les plus « addictogènes », en comparaison des compétitions en réseau) ;

– le genre est un critère de différenciation des comportements. Ainsi, ce qui distingue les joueuses « addict » des autres, c’est précisément qu’elles ont conscience de jouer à des « jeux de garçons » (simulation, aventures, tir et action, rôle, stratégie) ;

– le comportement d’écrans du père joue pleinement sur celui des fils (on retrouve un peu le même phénomène avec la relation mère/fille mais la relation est moins nette) ; les filles au profil de jeu pathologique sont plus nombreuses à écarter l’idée de faire des études supérieures ou à douter de vouloir poursuivre leurs études au-delà du bac ;

– dès le collège, plus de huit garçons sur dix ont joué à un jeu interdit aux mineurs.

Les techniques comportementales et cognitives sont une des voies thérapeutiques dont l’efficacité a été démontrée par la littérature (un peu comme pour le cannabis).

L’addictologue Olivier Phan voit dans les jeunes patients qu’il rencontre des adolescents qui adoptent un comportement d’évitement et pour lesquels le jeu vidéo est un refuge, pour fuir des problèmes familiaux, scolaires ou sociaux. Il souligne néanmoins que, si les jeux ne sont pas des drogues en soi, leur caractère addictif s’accentue indéniablement. Il relève en effet que les jeux vidéo existent depuis trente ans, mais que cela fait moins de dix ans que les jeunes passent beaucoup de temps à jouer. Il est à craindre que certains jeux vidéo n’entretiennent une forte impulsivité dont l’absence de maîtrise risque de conduire à des addictions plus néfastes, telles que les drogues ou le jeu.

Enfin, il ne faudrait pas oublier l’accessibilité des jeux. L’universitaire australien Alex Blaszczynski en fait la condition des trois chemins pouvant mener à l’addiction (33). De même qu’Internet est un facteur aggravant, l’installation à grande échelle de matériels de jeu provoque une flambée des comportements addictifs, dont l’Australie est l’archétype dans la mesure où la libéralisation massive du marché des jeux est intervenue dès les années 1990. Alors qu’elle ne représente que 0,5 % de la population mondiale, elle abrite 20 % du parc mondial des machines à sous, qui ornent les halls d’hôtel, les salles de sports ou encore les échoppes vendant des boissons ou de la nourriture. Les quartiers pauvres sont les mieux équipés et les plus touchés par le fléau. Les méfaits sont avérés : la perte moyenne annuelle des joueurs atteint 21 000 dollars et le jeu serait la cause de 400 suicides par an, c’est-à-dire plus d’un par jour. Les chiffres régulièrement cités, remontent à 1999, date à laquelle a été réalisée la grande étude consacrée au jeu. Pourtant, la législation n’évolue pas. Les initiatives des parlementaires sont contrecarrées par les industriels et l’État n’est pas sans arrière-pensée puisqu’il retire 5,8 milliards de dollars par an de cette industrie. Seules quelques mesures comme la réduction de la mise minimale des machines à sous ont été adoptées.

La Grande-Bretagne a également largement libéralisé le jeu, et autorisé les Fixed Odds Betting Terminals (FOBT), au nombre de 33 000 sur les 160 000 machines à sous du Royaume. Au départ, elles acceptaient jusqu’à 100 livres sterling toutes les vingt secondes, montant abaissé à cinquante livres, soit 175 euros par minute tout de même, après les dommages constatés. D’après les derniers résultats publiés par la Gambling Commission, le pourcentage de joueurs excessifs est le même qu’en France (0,5 %). De toute façon, les évaluations à grande échelle précèdent la libéralisation mais elles cessent aussitôt après.

Compte tenu du cadre réglementaire actuel, il est certain que le joueur français est moins exposé que ses voisins et, dans ces conditions, le jeu excessif est moins répandu en France parce qu’il n’y a que 23 000 machines à sous, considérées comme le dispositif le plus addictif. La retenue dont ont fait preuve, dans l’ensemble, les monopoles historiques a vraisemblablement contenu le jeu problématique, mais il ne faudrait pas qu’un contexte réglementaire plus conciliant avec le jeu en général ne les conduise à profiter de l’absence de concurrence pour intensifier leur présence et multiplier leur offre sans véritable justification, ni réelle limite autre que celles mises par les instances européennes, qui pourraient remettre en cause la raison d’être de leurs avantages.

ANNEXE N° 2 :
PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS

1. Auditions :

– Mme Sophie Mantel, cheffe de service, adjointe du directeur du budget au ministère de l’économie et des finances, accompagnée de M. Pierre-Alexandre Pottier, chargé du secteur jeux, et de M. Denis Vilain, chef de mission du contrôle général économique et financier (8 novembre 2016)

– M. Dominique de Bellaigue, président de la Société d’encouragement à l’élevage du cheval français (SECF – Le TROT), accompagné de M. François Laurans, directeur administratif et financier (8 novembre 2016)

– M. Jean-Baptiste Vila, maître de conférences en droit public à l’université de Bordeaux (10 novembre 2016)

– M. Charles Coppolani, président de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) i, accompagné de Mme Marie-Ange Santarelli, conseillère auprès du président (10 novembre 2016)

– Mme Stéphane Pallez, présidente directrice générale de la société Française des jeux (FDJ), accompagnée de M. Vincent Perrotin, directeur de cabinet de la présidente, de Mme Marion Hugé, directrice Régulation, relation État actionnaire et affaires européennes, et de M. Christopher Jones, responsable Relations institutionnelles (15 novembre 2016)

– M. Xavier Hürstel, président directeur général de Pari mutuel urbain (PMU), accompagné de M. Alain Resplandy-Bernard, directeur général délégué, de M. Pierre Pagès, secrétaire général, de M. Benoît Cornu, directeur de la communication, et de M. Philippe Hendrickx, responsable de la régulation, de la concurrence et des affaires européennes au secrétariat général (17 novembre 2016)

– M. Pascal Montredon, président de la Confédération des buralistes, accompagné de M. Jean-Luc Renaud, secrétaire général, de M. Michel Guiffès, trésorier, et de M. Jean-Paul Vaslin, directeur général (17 novembre 2016)

– M. Édouard de Rothschild, président de France Galop, accompagné de M. Olivier Delloye, directeur général (17 novembre 2016)

– Mme Hélène Gisserot, ancienne présidente de la Commission consultative des jeux et paris sous droits exclusifs (COJEX) (29 novembre 2016)

– M. Albert Allo, directeur adjoint du service du traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) au ministère de l’économie et des finances (29 novembre 2016)

– M. Hubert Tassin, membre du conseil d’administration de France Galop (30 novembre 2016)

– M. Jean d’Indy, vice-président et membre du conseil d’administration de France Galop (5 décembre 2016)

– M. Jean-Michel Costes, secrétaire général de l’Observatoire des jeux (ODJ) (8 décembre 2016)

– M. Philippe Ménard, chef du service central des courses et des jeux (SCCJ) au ministère de l’intérieur (8 décembre 2016)

– M. Thomas Campeaux, directeur des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) au ministère de l’intérieur, accompagné de M. Pierre Regnault de la Mothe, sous-directeur des polices administratives, et de Mme Cécile Dimier, cheffe du bureau des établissements de jeux (8 décembre 2016)

– Mme Véronique Borzeix, sous-directrice filière Forêt, bois, cheval et bio-économie (DGE) au ministère de l’agriculture, accompagnée de M. Stéphane Le Den, chef du bureau du cheval et de l’institution des courses, et de Mme Sylvaine Reumeau, chargée de mission pour le pari mutuel (13 décembre 2016)

– M. Laurent Martel, sous-directeur de la gestion fiscale des entreprises et de l’action en recouvrement, direction générale des finances publiques, ministère de l’économie et des finances, accompagné de Mme Laurence Pérot, adjointe à la cheffe du bureau de l’animation de la fiscalité des entreprises (13 décembre 2016)

– M. Michel Roger, président de Casinos de France, accompagné de M. Jean-François Cot, délégué général ; M. Ari Sebag, président du Syndicat des casinos modernes de France, accompagné de M. Patrice Le Brun, délégué général ; et MM. Hugo Corbille et Antoine Arevian, vice-présidents de l’Association des casinos indépendants français (ACIF) (13 décembre 2016)

– M. Gilles Lecoq, délégué de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), accompagné de M. Cédric Gervais, chargé de mission gendarmerie et chef de cabinet de la présidente de la MILDECA (21 décembre 2016)

– M. Jean-Pierre Duport, président de la Commission consultative des jeux de cercle et de casinos (CCJCC) (21 décembre 2016)

2. Table ronde réunissant les opérateurs de jeux en ligne, en présence de :

• M. Alexandre Roos, président de Winamax ;

• Mme Juliette de la Noue, directrice conformité et régulation de Betclic ;

• Mme Anne-Sophie Mouren, avocate, société BES SAS ;

• Mme Annabelle Richard, avocate, société Electraworks ;

• M. Emmanuel de Rohan-Chabot, directeur général de Zeturf (15 novembre 2016)

CONTRIBUTION DE LA COUR DES COMPTES À L’ÉVALUATION
DE LA RÉGULATION DES JEUX D’ARGENT ET DE HASARD

Cette contribution peut être consultée sur le site de l’Assemblée nationale à l’adresse suivante :

http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rap-info/i4456.pdf

1 () ODJ, Université d’Aix-Marseille, Sophie Massin, Étude socio-économique des jeux de hasard et d’argent en France, Rapport d’étape n° 1, décembre 2012.

2 () Analyse à nuancer par le fait que, en France, les casinos sont tenus par la loi d’offrir d’autres services que des prestations de jeu.

3 () La capacité d’autofinancement demeure négative pour 7,5 % des casinos seulement.

4 () Institution d’une décote de 6,5 % appliquée au produit brut des jeux de table non électroniques afin de tenir compte des charges notamment salariales supportées par les casinos pour l’exploitation de ces jeux (chefs de partie, chef de table, croupiers).

5 () Le crédit d’impôt est égal à 77 % du solde net des dépenses supportées par le casino au titre de l’organisation des manifestations dans la limite de 4 % du produit brut des jeux.

6 () L’attribution des licences est l’occasion, pour la Commission des jeux de hasard, rattachée au ministère de la justice, de vérifier attentivement la situation des candidats, notamment au plan fiscal.

7 () Décret n° 2015-1469 du 13 novembre 2015 portant suppression de commissions administratives à caractère consultatif.

8 () Décret n° 2016-1488 du 3 novembre 2016 relatif à l’observatoire des jeux, à la commission consultative des jeux de cercles et de casinos et à la commission consultative des jeux et paris sous droits exclusifs.

9 () Soit une croissance annuelle moyenne de 4,2 %.

10 () Tendances n° 77, septembre 2011.

11 () Personnes ayant joué au moins une fois par semaine au cours des douze derniers mois, ou ayant engagé des sommes supérieures ou égales à 500 euros.

12 () L’enquête a porté sur les personnes de plus de quinze ans au lieu de dix-huit, et la notion de « joueur actif » a été abordée différemment ; par ailleurs, l’échantillon compte 15 635 individus au lieu de 25 034.

13 () Elisabeth Fortis, « L’addiction aux jeux d’argent », in Les addictions, Archives de politique criminelle, n° 31, 2009, p. 91, cité par Christophe Alonso, « Politiques publiques et addiction aux jeux d’argent », in État et jeux d’argent : les jeux sont-ils faits ? sous la direction de J.B. Vila, 2014.

14 () Christophe Alonso, op. cit.

15 () Christophe Alonso, op. cit.

16 () 665 mineurs âgés de plus de 15 ans ont été interrogés.

17 () Étude menée sur une période de douze mois sur l’ensemble des comptes actifs des opérateurs, pour tous types de jeu.

18 () Dimanche 20 novembre 2016.

19 () Article 32 de la loi du 12 mai 2010 modifié par la loi du 1er février 2012 visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des joueurs.

20 () Les règles d’agrément sont détaillées dans l’arrêté du 29 mai 2015 relatif aux commissaires de courses de chevaux.

21 () L’Assemblée a transmis la proposition de loi le 12 janvier 2017 au Sénat qui devrait l’examiner en février 2017 en deuxième lecture.

22 () Organisme fusionné le 1er mai 2016 avec l’Institut de veille sanitaire (InVS) et l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus) pour donner naissance à Santé publique France.

23 () Source : ENJEU2014.

24 () Trouble caractérisé par l’arrachage compulsif des cheveux ou des poils provoquant une alopécie de la zone concernée.

25 () INSERM, Jeux de hasard et d’argent : Contextes et addiction, 2008, page 323.

26 () Tendances n° 77, septembre 2011.

27 () Personnes ayant joué au moins une fois par semaine au cours des douze derniers mois, ou ayant engagé des sommes supérieures ou égales à 500 euros.

28 () L’enquête a porté sur les personnes de plus de quinze ans au lieu de dix-huit, et la notion de « joueur actif » a été abordée différemment ; par ailleurs, l’échantillon compte 15 635 individus au lieu de 25 034.

29 () Enquête sur la Santé et les Consommations lors de l’Appel de Préparation À la Défense (ESCAPAD) menée régulièrement par l’OFDT auprès des jeunes, dont l’âge est compris entre seize et vingt-cinq ans, à l’occasion des journées défense et citoyenneté.

30 () Health Behaviour in school-aged children : il s’agit d’une enquête internationale réalisée tous les quatre ans depuis 1982, sous l’égide du bureau Europe de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Actuellement, 41 pays ou régions, essentiellement européens, y participent et collectent des données sur la santé, le vécu scolaire et les comportements préjudiciables ou favorables à la santé des élèves âgés de 11, 13 et 15 ans avec une méthodologie standardisée.

31 () Cf. infra.

32 () Échelle établie à partir d’un questionnaire d’auto-évaluation.

33 () A. Blaszczyndki et L. Nower, A pathways model of problem and pathological gambling, 2002.

i  Ce représentant d’intérêts a procédé à son inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.


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