N° 4511 tome I - Rapport d'information fait au nom de la mission d'information sur les relations politiques et économiques entre la France et l'Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase




N
° 
4511

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 février 2017.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

AU NOM DE LA MISSION D’INFORMATION

sur les relations politiques et économiques
entre la
France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français
de
développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase (1)

TOME I

Président

François ROCHEBLOINE

Rapporteur

Jean-Louis DESTANS

Députés.

——

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

La mission d’information sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase est composée de :

– MM. François Rochebloine, président, et Jean-Louis Destans, rapporteur ;

– MM. Alain Ballay, Jean-Luc Bleunven, Mme Pascale Crozon, MM. Michel Destot, Patrick Devedjian, Jean-Pierre Door, Yves Foulon, Sauveur Gandolfi-Scheit, Jean-Marc Germain, Mme Geneviève Gosselin-Fleury, MM. Jean-Claude Guibal, Henri Jibrayel, Jérôme Lambert, François-Michel Lambert, Jean Launay, François Loncle, Mme  Véronique Louwagie, MM. Jean-François Mancel, Thierry Mariani, Christophe Premat, François Pupponi, Didier Quentin, Mme Marie-Line Reynaud, MM. Marcel Rogemont, François Scellier, Gabriel Serville, Jean-Michel Villaumé et Michel Voisin, membres.

SOMMAIRE

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Pages

AVANT-PROPOS DE M. FRANÇOIS ROCHEBLOINE, PRÉSIDENT DE LA MISSION D’INFORMATION 7

INTRODUCTION 11

I. L’AZERBAÏDJAN EST UN ÉTAT RÉCENT CONFRONTÉ AU DÉFI DE LA CONSTRUCTION D’UNE ÉCONOMIE STABLE DANS UN ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL TRÈS CONTRAINT 15

A. UN ÉTAT JEUNE PLACÉ DANS UN CONTEXTE GÉOPOLITIQUE COMPLEXE 15

1. Une politique étrangère marquée par le conflit du Haut-Karabagh, dès l’indépendance 15

a. Le conflit du Haut-Karabagh 15

b. Le rôle spécifique de la France, co-présidente du Groupe de Minsk de l’OSCE depuis deux décennies 17

2. Des relations diverses et parfois complexes avec ses voisins régionaux 21

a. La Turquie 21

b. La Russie 23

c. L’Iran 25

d. Israël 26

e. La Géorgie 26

f. Le statut de la mer Caspienne : une négociation encore en cours entre les riverains 26

3. Un intérêt marqué pour des relations équilibrées avec l’Ouest : États-Unis, Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et Union européenne 27

a. Les États-Unis 27

b. L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) 29

c. L’Union européenne et ses États membres 29

B. UNE ÉCONOMIE DÉPENDANTE DES RESSOURCES ÉNERGÉTIQUES DU PAYS 32

1. Une forte dépendance vis-à-vis de la production d’hydrocarbures et une vulnérabilité à l’évolution des cours 32

a. Une part essentielle dans le PIB et les exportations 32

b. Les effets très négatifs de la chute récente des prix des hydrocarbures 33

2. Des ressources énergétiques exploitées par la compagnie nationale SOCAR en association avec des entreprises étrangères 34

3. Une diversification nécessaire 37

a. Un impératif en raison des limites inhérentes au secteur des hydrocarbures 37

b. Des initiatives à poursuivre 40

II.  LA FRANCE ENTRETIENT AVEC L’AZERBAÏDJAN DES RELATIONS ÉCONOMIQUES, CULTURELLES ET POLITIQUES ÉTROITES 43

A. UN PARTENAIRE ÉCONOMIQUE IMPORTANT POUR LA FRANCE 43

1. Si les hydrocarbures constituent l’essentiel des exportations de l’Azerbaïdjan vers la France, l’activité des entreprises françaises en Azerbaïdjan est déjà diversifiée 43

a. L’importance des importations françaises d’hydrocarbures explique une balance commerciale bilatérale très déficitaire 43

i. Une balance commerciale fortement dépendante des hydrocarbures 43

ii. La présence des entreprises Total et Engie en Azerbaïdjan : le fort impact de la baisse du prix des hydrocarbures 44

b. Une présence française diversifiée, soutenue par l’État français 49

i. Les entreprises françaises présentes en Azerbaïdjan font face à un contexte difficile exacerbant la concurrence 49

ii. Le soutien décisif de l’État aux entreprises françaises 53

iii. La diversification de l’économie azerbaïdjanaise, une opportunité pour les entreprises françaises 57

2. Un partenaire dont la faible transparence a pu susciter la méfiance et des accusations de corruption par certains médias français 59

a. Un environnement des affaires encore post-soviétique, compliqué et parfois opaque 59

i. L’Azerbaïdjan, un marché compliqué pour les entreprises 59

ii. Des soupçons de corruption et de conflits d’intérêts, relayés par certains médias, mais qui n’ont pas été prouvés 61

b. De nombreuses réformes, pour certaines encore en cours, ont commencé à améliorer l’environnement des affaires 63

B. DES RELATIONS BILATÉRALES ÉTROITES DANS DE NOMBREUX DOMAINES 65

1. Des relations politiques étroites 66

a. Un partenaire privilégié de la France dans la région 66

b. Des visites bilatérales nombreuses et de haut niveau 68

i. Au niveau des Présidents de la République et des ministres 68

ii. Au niveau des Parlements 68

2. Une coopération étroite dans de nombreux domaines mais parfois controversée 69

a. Au niveau national 69

i. Une coopération éducative, universitaire et scientifique qui contribue à l’influence de la France 69

ii. Le rôle stratégique de la fondation Heydar Aliev dans la diplomatie culturelle de l’Azerbaïdjan 72

b. Une coopération décentralisée encore peu développée 73

i. Malgré le volontarisme de l’Azerbaïdjan, la coopération décentralisée y est moins développée qu’avec l’Arménie 73

ii. Une question sensible et controversée en contrepoint : la coopération décentralisée avec des collectivités du Haut-Karabagh 75

III.  DÉMOCRATIE ET DROITS DE L’HOMME : POUR UNE APPROCHE ÉQUILIBRÉE ENCOURAGEANT L’OUVERTURE DE L’AZERBAÏDJAN 77

A. UNE SITUATION PROBLÉMATIQUE DES LIBERTÉS DÉMOCRATIQUES ET DES DROITS DE L’HOMME 77

1. Un débat démocratique très réduit 78

a. Un régime fortement présidentiel dès l’origine 78

b. Une centralisation du pouvoir encore accrue par la révision constitutionnelle de septembre 2016 79

c. Des élections souvent critiquées par la communauté internationale 81

d. Une place très marginale accordée à l’opposition et à la dissidence 82

2. La société civile sous pression 86

a. Révision constitutionnelle et droits de l’Homme : des évolutions contrastées 86

b. Un cadre juridique de plus en plus contraignant pour les ONG 87

c. Une réduction importante du pluralisme des médias 89

d. Réunion et manifestation, des libertés très encadrées 91

e. Une répression accrue à l’encontre des défenseurs des droits 92

3. Un diagnostic général au sein de la communauté internationale 95

a. Une mobilisation importante des institutions du Conseil de l’Europe 95

b. Un dialogue un moment suspendu avec l’Union européenne 96

c. Des relations difficiles avec l’OSCE 97

d. Un diagnostic partagé au sein de la communauté internationale au sens large 97

4. Quelques éléments d’atténuation à prendre en compte 97

a. Un contexte géostratégique complexe 98

b. L’Azerbaïdjan, un pays « avancé » sur certains droits, notamment la laïcité 100

B.  UN RÉEL SOUCI DE RENVOYER UNE IMAGE POSITIVE AU SEIN DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE 102

1. Une quête d’image et de reconnaissance 102

a. L’Azerbaïdjan se veut un bon élève au sein de la communauté internationale 102

b. Une sensibilité certaine à la pression internationale, attestée par des gestes de clémence, en certaines occasions 106

2. L’usage de la diplomatie culturelle et de la diplomatie sportive comme fers de lance d’une politique de communication volontariste 108

a. Une diplomatie culturelle riche et diversifiée 108

b. Une diplomatie sportive active 111

C. POUR LE MAINTIEN D’UNE APPROCHE ÉQUILIBRÉE 117

1. Combiner pressions sur les dirigeants azerbaïdjanais et soutien à la société civile et aux défenseurs des droits 117

a. Les pressions politiques ont prouvé leur relative efficacité 117

b. Soutenir la société civile azerbaïdjanaise 119

2. Maintenir ouverte la porte du dialogue pour accompagner mais aussi stimuler et concrétiser la volonté d’ouverture de l’Azerbaïdjan 122

a. La stigmatisation et la réduction du niveau des relations ne seraient pas une solution pour favoriser le respect des droits humains et les évolutions de la société azerbaïdjanaise 122

b. La France doit donc rester prête à accompagner toute volonté d’ouverture de l’Azerbaïdjan, en ajustant si besoin ses messages, au cas par cas 125

EXAMEN DU RAPPORT 127

CONTRIBUTION DE M. JEAN-FRANÇOIS MANCEL, VICE-PRÉSIDENT DE LA MISSION, ET MM. JEAN-PIERRE DOOR, YVES FOULON, JEAN-CLAUDE GUIBAL, SAUVEUR GANDOLFI-SCHEIT, JÉRÔME LAMBERT ET FRANÇOIS SCELLIER 145

CONTRIBUTION DE M. MICHEL VOISIN, PRÉSIDENT DU GROUPE D’AMITIÉ FRANCE-AZERBAÏDJAN DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE 149

ANNEXES 159

ANNEXE 1 : AUDITIONS DE LA MISSION D’INFORMATION 159

ANNEXE 2 : CARTE DE L’AZERBAÏDJAN 163

AVANT-PROPOS DE M. FRANÇOIS ROCHEBLOINE,
PRÉSIDENT DE LA MISSION D’INFORMATION

La France, puissance mondiale et terre des libertés, entretient des relations avec toutes les nations du monde, dans le respect mutuel et pour le bien de la paix. Elle tient de ses valeurs et de son histoire démocratique une position diplomatique particulière, qui explique, notamment, le rôle qu’elle joue dans la région du Caucase du Sud, région sensible pour la sécurité du monde, mais aussi pour les intérêts économiques nationaux.

Il est donc normal que l’Azerbaïdjan et la France soient liés de multiples manières – économiquement, politiquement, culturellement.

Le problème est que le régime actuellement au pouvoir à Bakou n’est pas un régime démocratique. Même ses soutiens les plus affirmés parmi nos responsables politiques le reconnaissent, puisqu’ils demandent de prendre en considération, pour en apprécier la nature, le fait que l’Azerbaïdjan ne s’est affranchi du joug soviétique que depuis un quart de siècle et qu’apprendre la démocratie, selon eux, prendrait du temps.

Mais dès lors, une question se pose : quelles relations entretenir avec des autorités politiques qui ne partagent pas au même degré nos références fondamentales ?

C’est à cette question que les travaux de la mission d’information que j’ai eu l’honneur de présider ont tenté de répondre. Ils ont été l’occasion d’apprécier avec précision les obligations qu’imposent à la France les responsabilités qu’elle exerce en tant que co-présidente du Groupe de Minsk en vue d’essayer d’obtenir un règlement du conflit du Haut-Karabagh. C’est d’ailleurs pourquoi, à aucun moment, nos efforts ne se sont orientés vers une évaluation de cette situation. Je me suis personnellement attaché à éviter un tel déportement de l’attention hors du cadre que nous nous étions fixé. J’étais d’ailleurs sur ce point, comme sur bien d’autres, en plein accord avec notre rapporteur, Jean-Louis Destans, avec lequel j’ai été heureux de collaborer dans un climat de coopération et de confiance réciproque.

D’un commun accord également, de nombreuses auditions ont été organisées. Certaines ont d’ailleurs permis d’accueillir des personnalités dont le nom avait été suggéré par notre collègue Jean-François Mancel, député de l’Oise, vice-président de la mission. Nous avons, comme il se devait, invité l’ambassadeur d’Azerbaïdjan en France, S. E. M. Elchin Amirbayov, que je remercie à nouveau de sa disponibilité. Bien évidemment nous avons tenu à recueillir l’avis des responsables de la conduite quotidienne des relations bilatérales franco-azerbaïdjanaises. Enfin et surtout, l’audition, en conclusion de nos travaux, de M. Matthias Fekl, secrétaire d’État, nous a permis d’entendre un exposé de grande qualité, mettant en perspective, au nom du Gouvernement, les questions difficiles que nous avions été amenés à nous poser. L’information de notre mission a donc été complète et pluraliste, comportant à la fois des éclairages positifs pour le développement des relations franco-azerbaïdjanaises et des témoignages négatifs sur l’État de droit et les libertés fondamentales.

À l’issue de nos travaux, trois conclusions s’imposent à mon esprit.

Je constate tout d’abord le développement considérable de la présence des entreprises françaises en Azerbaïdjan. Au fil des auditions des représentants de ces entreprises, comme de celles des organismes patronaux qui les assistent et aussi en écoutant notre ambassadrice à Bakou, j’ai été frappé par leur dynamisme. Dynamisme d’autant plus remarquable que, d’un commun accord, tous ont relevé les difficultés objectives résultant pour le développement de leurs activités et, pour certaines, de leurs investissements, de la fragilité relative de l’économie azerbaïdjanaise. Cette fragilité est due à l’évolution négative des cours des produits pétroliers, qui réduit pour une durée qui reste incertaine la capacité d’investir de l’État et des entreprises azerbaïdjanaises. Dans ces conditions, nos entreprises, que ce soit dans le secteur pétrolier ou dans d’autres secteurs d’activité, répondent à la demande et maintiennent leur présence dans un contexte de forte concurrence internationale. Elles restent vigilantes quant aux possibilités de développement de leurs affaires que pourraient leur ouvrir les besoins de l’économie et de la société azerbaïdjanaise comme sur les réformes économiques en cours pour « améliorer le climat des affaires ». Cette concurrence est rude car elle conduit parfois à affronter des entreprises venant de pays qui n’ont pas les mêmes obligations éthiques et de transparence financière. Pour leur part, nos entreprises bénéficient de l’appui des services compétents des ministères financiers et des Affaires étrangères et, sur place, de notre ambassade. Je ne peux que m’en féliciter. La centralisation de la décision économique en Azerbaïdjan rend le soutien de l’État déterminant pour la signature de grands contrats pour nos entreprises, et on a même souligné l’importance, dans la région du Caucase, des relations d’homme à homme au plus haut niveau de l’État.

Je voudrais également appeler l’attention sur la « stratégie de la balance » qui est ressortie lorsque nous avons considéré, sous tous ses aspects, la démarche internationale de l’Azerbaïdjan. Les dirigeants de ce pays ont montré une grande habileté à s’insérer dans l’équilibre diplomatique de la région en tirant le meilleur parti possible de l’atout que lui donne la disponibilité de ses réserves énergétiques. Ils ont su faire une force des conditions de leur naissance, somme toute récente, à la personnalité internationale. Affichant une laïcité exceptionnelle dans la région, ils trouvent ainsi un langage commun avec une Europe sécularisée et déroutée par le fondamentalisme islamique ; dans le même temps, l’Azerbaïdjan sait se prévaloir de son appartenance culturelle au monde musulman et de son adhésion à l’Organisation de la conférence islamique. Dans le nœud complexe des relations entre Russie, Turquie, Iran, très près du volcan moyen-oriental, les autorités de Bakou ont su jouer leur partie avec habileté, notamment dans la crise récente, et apparemment surmontée, entre la Russie et la Turquie.

Les actions des autorités de Bakou dans ce qu’il est convenu d’appeler la diplomatie sportive, la coopération décentralisée ou la coopération culturelle, s’insèrent parfaitement dans cette stratégie de présence internationale. Nous avons compris de ce qui nous a été rapporté que l’organisation des Jeux européens de Bakou avait été le résultat d’une chaîne d’initiatives non gouvernementales où l’Azerbaïdjan avait su habilement s’insérer. Le coût de ces Jeux – 1,25 milliard d’euros – ne doit pas conduire à conclure qu’ils sont une opération purement somptuaire : ils ont constitué une occasion de fierté nationale bienvenue pour la popularité du régime et ont administré à l’adresse d’investisseurs potentiels une démonstration d’efficacité – sans solliciter les États. D’autre part, le développement récent de la « coopération décentralisée » pour un pays qui ne connaît ni décentralisation ni même déconcentration constitue, de par la volonté du gouvernement central – c’est-à-dire du président Aliev – un moyen de communication efficace et diffus. Il contribue à forger ex nihilo une image positive de ce pays qui, comme l’a reconnu S. E. M. Amirbayov, est en l’état largement ignoré des Français. Quant aux actions de coopération culturelle de la fondation Heydar Aliev, qui sont apparues au détour de nos auditions, elles participent de la même stratégie.

Force est enfin de reconnaître que l’Azerbaïdjan n’apparaît décidément pas, à l’issue de nos travaux, comme un État démocratique. C’est un « régime présidentiel », dit, « par souci d’impartialité », le professeur Soppelsa (plutôt bienveillant pour un régime dont la laïcité affichée lui convient), mais il ajoute aussitôt : « certes, il est aussi autoritaire ». Notre collègue François Scellier évoque un « pouvoir fort ». M. Lacroix, directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie, parle, lui, de « pouvoir répressif ». Notre collègue Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, déclare : « L’Azerbaïdjan n’est pas une démocratie », et il estime même que « l’État de droit non seulement n’y a pas progressé, mais y a reculé ».

Toutes les déclarations, même les plus prudentes, de nos diplomates et celles des organisations de défense des droits de l’Homme se rencontrent sur ce point essentiel : la situation des défenseurs des droits de l’Homme et plus généralement la pratique des libertés publiques fondamentales se sont dégradées au cours des années récentes. L’explication dominante est que le pouvoir de Bakou craint le mécontentement de la population consécutif à la crise économique et à la chute de la rente pétrolière.

Cette convergence des points de vue donne du régime au pouvoir à Bakou, de ses pratiques, une lamentable image et appelle la compassion pour les victimes. Qu’il me soit permis ici de récuser l’argument tiré du prétendu « petit nombre » des personnes visées par les persécutions. Les organisations auxquelles cette objection a été présentée y ont répondu de façon convaincante en rappelant l’effet général de dissuasion qu’entraîne une répression habilement concentrée sur quelques individus notoires.

J’ai bien compris le dilemme dans lequel se trouve notre diplomatie. Nos intérêts d’État justifient que notre pays entretienne avec l’Azerbaïdjan des relations normales, permettant la persistance d’un dialogue politique et favorisant, de surcroît, une présence économique que nous ne saurions sans naïveté laisser à d’autres le soin d’assurer. D’autre part, je ne doute pas de l’insistance avec laquelle, y compris au plus haut niveau de l’État, la situation négative des droits de l’Homme est rappelée aux responsables azerbaïdjanais par la France, et je soutiens, bien sûr, ces démarches.

Mais jusqu’à quel point la volonté d’indépendance manifestée par l’Azerbaïdjan, pour « singulière et forte » qu’elle soit, permet-elle d’accepter que les dirigeants de ce pays pratiquent en quelque sorte une politique de stop and go des droits de l’Homme, libérant tels opposants, en emprisonnant d’autres, les condamnant tous à l’exil ou à la précarité ? Puissent les dirigeants de Bakou tirer des pressions qu’ils doivent subir de la part de la communauté internationale, et en particulier de la France, la conclusion rationnelle que le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, bien loin d’altérer l’aspiration de leur pays à l’indépendance, est le meilleur moyen d’en asseoir la stabilité et la durée.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

C’est le 12 juillet 2016 que la conférence des Présidents a créé, à la demande du groupe de l’Union des démocrates et indépendants (UDI), la présente mission d’information sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement et de la paix et de la démocratie au Sud Caucase. Celle-ci a été présentée dans le cadre du « droit de tirage » prévu au cinquième alinéa de l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale, qui prévoit que chaque président de groupe d’opposition ou minoritaire « obtient de droit », une fois par session ordinaire, la création d’une mission d’information.

Cette mission d’information présente plusieurs particularités.

Tout d’abord, son objet porte sur les relations avec un pays étranger, domaine qui, aux termes de la Constitution, relève principalement de l’Exécutif et dans lequel le Parlement ne peut agir qu’avec prudence et avec le souci de ne pas brouiller la politique menée par la France.

Ce principe est en l’espèce d’autant plus important que la France a un rôle de médiateur en tant que co-présidente du Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), sur la question du conflit du Haut-Karabagh, conflit né avant l’indépendance en 1991 et qui n’a cessé depuis de perturber la situation de l’Azerbaïdjan, à l’intérieur comme sur la scène internationale.

C’est pourquoi lors des auditions, en parfait accord avec le président Rochebloine, la question du Haut-Karabagh n’a été évoquée que de manière factuelle et pour bien cerner le contexte international, difficile, dans lequel se trouve l’Azerbaïdjan, et l’importance, sur le plan intérieur, de la question des personnes déplacées ou réfugiées.

C’est un conflit particulièrement douloureux, car il oppose deux peuples, les Azerbaïdjanais et les Arméniens, qui ont chacun subi les tourments de l’histoire et dont l’un a été particulièrement meurtri, pendant la période de la Première guerre mondiale, par un génocide, comme le reconnaît la loi, en France.

Sa mention conduit à rappeler que l’Azerbaïdjan, entré dans la communauté internationale en situation de guerre et d’atteinte à son intégrité territoriale, a dû surmonter, dès son indépendance, plusieurs autres défis : celui de la stabilité intérieure, qu’il n’a acquise qu’avec l’élection du président Heydar Aliev en 1993, puisque ses deux prédécesseurs ont été très vite renversés ; celui du désenclavement, pour échapper à l’influence de la Russie et de l’Iran, en jouant de sa proximité linguistique et culturelle avec la Turquie, et de sa position stratégique du point de vue européen et occidental, pour accéder au pétrole et au gaz naturel de la mer Caspienne.

C’est d’ailleurs sur l’énergie que se sont nouées les premières relations économiques entre la France et l’Azerbaïdjan, avec la participation d’Elf dans le contrat relatif au gisement Shah Deniz en 1996 et, avec la signature, le 13 janvier 1997, par Elf et Total, d’un contrat pour un autre gisement, près de la frontière iranienne. Cette dernière est intervenue à l’occasion d’un séjour à Paris du président Aliev, en présence du président de la République, Jacques Chirac. Sur le plan politique, le traité bilatéral d’amitié, d’entente et de coopération, conclu en 1993, a été ratifié en 1999.

Plus récemment, l’Azerbaïdjan, géographiquement proche de l’Irak et de la Syrie, et de Daech (acronyme d’État islamique en Irak et au Levant en langue arabe), s’est trouvé placé à la lisière de l’arc de crise et d’instabilité qui s’est progressivement constitué, après l’échec des printemps arabes notamment, du Mali jusqu’à l’Afghanistan, en passant par la Libye. Par ailleurs, en pleine expansion après 2003, en raison de l’augmentation des cours du pétrole, son économie subit depuis 2014, de manière violente, le contrecoup de l’effondrement du prix du baril.

Le rôle de médiateur joué par la France a également imposé à la mission d’information de respecter une obligation d’impartialité et d’équilibre sur les grands sujets que soulèvent les relations avec l’Azerbaïdjan tels que la question des droits de l’Homme, de la démocratie et des libertés publiques.

Ces questions ont été abordées à plusieurs reprises au cours des travaux de la mission et ont pu susciter des débats parfois vifs entre ses membres.

En effet, soit on met l’accent sur les atteintes portées aux droits de l’Homme et on estime que les pays démocratiques doivent limiter leurs relations avec les pays qui le sont moins ou ne le sont pas ; soit on juge au contraire que chaque pays a ses propres caractéristiques, que la réduction du niveau du dialogue politique et économique n’a pas d’effet positif, n’améliore pas la situation et qu’elle peut même introduire, au contraire, un élément de tension supplémentaire au sein de la société internationale. À cet égard, l’histoire a montré, avec l’exemple des dictatures de l’Europe du Sud, que le maintien de relations politiques et économiques peut constituer des vecteurs d’influence et de dialogue et, par conséquent, autant de canaux permettant de délivrer toute la gamme des messages que la richesse de la diplomatie permet.

S’agissant des pratiques de l’Azerbaïdjan en matière financière, il appartenait à la mission de veiller au respect des principes cardinaux de rigueur et d’objectivité tout en n’éludant pas ces questions lors de ses auditions.

C’est en ayant à l’esprit ce contexte particulier et la nécessité de respecter les principes d’équilibre et de neutralité qu’ont été conduites les trente-quatre auditions, d’une durée totale de 35 heures 15, auxquelles a procédé cette mission d’information.

La mission a notamment entendu deux membres du Gouvernement, M. Matthias Fekl, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, et M. Thierry Braillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports, S. E. M. Elchin Amirbayov, Ambassadeur d’Azerbaïdjan en France, un haut-fonctionnaire international, douze hauts-fonctionnaires ou anciens haut-fonctionnaires français, dont Mme Aurélia Bouchez, Ambassadeur de France en Azerbaïdjan, les représentants de MEDEF International et de six grandes entreprises ayant des relations avec l’Azerbaïdjan, ainsi que trois organisations non gouvernementales (Reporter sans frontières, Amnesty International et la Fédération internationale des droits de l’Homme).

Ce rythme soutenu a été commandé par la proximité de la suspension des travaux parlementaires à la fin du mois de février de la dernière année de la législature, en raison des échéances électorales.

Menées dans le respect de la diversité des opinions et des points de vue, ces auditions n’ont pas donné lieu à la révélation d’éléments nouveaux qui permettraient à la mission d’information de recommander au Gouvernement une évolution substantielle dans les orientations de la politique étrangère de la France vis-à-vis de l’Azerbaïdjan.

Aussi, après avoir rappelé les défis internes et extérieurs auxquels est confronté l’Azerbaïdjan et le niveau de ses relations bilatérales avec notre pays, le présent rapport rappelle-t-il que ce n’est que dans le domaine, auquel les parlementaires sont par nature très sensibles, de la démocratie, des droits de l’Homme et des libertés fondamentales que quelques inflexions, au cas par cas, peuvent être suggérées en aménagement des équilibres actuels.

I. L’AZERBAÏDJAN EST UN ÉTAT RÉCENT CONFRONTÉ AU DÉFI DE LA CONSTRUCTION D’UNE ÉCONOMIE STABLE DANS UN ENVIRONNEMENT INTERNATIONAL TRÈS CONTRAINT

Aujourd’hui, avec plus de 9,5 millions d’habitants et un territoire de 86 600 kilomètres carrés, l’Azerbaïdjan est, par sa démographie et sa superficie, le plus grand pays du Caucase du Sud. Cet État, indépendant depuis 1991, s’insère dans un environnement géopolitique complexe. Issu de l’empire tsariste et de l’Union soviétique, cet État laïc accomplit un long et difficile chemin vers la démocratie. Bénéficiaire de richesses naturelles toutefois limitées, le pays a d’importants défis à relever afin de diversifier son économie et réduire sa dépendance vis-à-vis de la rente énergétique trop sujette aux fluctuations du marché.

A. UN ÉTAT JEUNE PLACÉ DANS UN CONTEXTE GÉOPOLITIQUE COMPLEXE

1. Une politique étrangère marquée par le conflit du Haut-Karabagh, dès l’indépendance

L’histoire de l’Azerbaïdjan est le fruit d’une géopolitique régionale sensible. Placé sous domination perse puis russe, l’Azerbaïdjan a connu une première période d’indépendance, de 1918 à 1920, avant de retomber sous domination soviétique dont il est devenu une république jusqu’à la chute de l’URSS qui conduira à son indépendance en 1991.

a. Le conflit du Haut-Karabagh

Le Haut-Karabagh est un territoire d’environ 11 000 kilomètres carrés, situé à l’Est de l’Arménie, principalement peuplé d’Arméniens. L’antériorité du peuplement arménien ou azéri dans la région fait évidemment l’objet de controverses. Le territoire a été disputé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan entre 1918 et 1920 et a été rattaché à l’Azerbaïdjan par Staline, alors Commissaire aux nationalités, tout en bénéficiant d’une certaine forme d’autonomie sous le régime soviétique. Toutefois, les membres de la communauté arménienne du Haut-Karabagh n’étaient pas satisfaits de leur sort notamment en raison de restrictions imposées par les autorités soviétiques puis azerbaïdjanaises à leur liberté culturelle et religieuse.

Cette situation a conduit au conflit du Haut-Karabagh, lequel a éclaté en février 1988, lorsque cette région a annoncé son intention de se séparer de l’Azerbaïdjan. En effet, en 1988, les dirigeants arméniens du Haut-Karabagh profitent de la politique de la glasnost et de la perestroïka lancée par le président russe Mikhaïl Gorbatchev pour réclamer davantage de libertés politiques. Le parlement du Haut-Karabagh vote le rattachement à l’Arménie le 20 février 1988, en l’absence des députés azéris, et un référendum est organisé par lequel les habitants confirment la démarche du Parlement. Bakou et Moscou refusent cette sécession. Bakou envoie alors des convois militaires pour réprimer les velléités indépendantistes. L’Arménie envoie de son côté des troupes et finit par prendre certains territoires, dont les villes de Latchin et de Chouchi. Elle établit ainsi une voie terrestre directe la reliant à la région séparatiste.

En 1991, alors que l’URSS se désintègre progressivement, l’Azerbaïdjan et l’Arménie sortent officiellement du joug communiste et déclarent leur indépendance. Le Haut-Karabagh les suit. L’Azerbaïdjan a donc proclamé son indépendance le 30 août 1991, alors même qu’il était en proie au conflit du Haut-Karabagh, et que, par conséquent, son intégrité territoriale était menacée.

Après deux années d’instabilité politique entretenue par le contrecoup des défaites militaires subies au Haut-Karabagh, en juin 1993, M. Heydar Aliev accède à la présidence de la République. Celui-ci instaure l’état d’urgence après diverses tentatives de coups d’État.

Les hostilités durent ensuite jusqu’en 1994 et un cessez-le-feu est signé le 12 mai 1994 à Bichkek (Kirghizstan).

Ce conflit a fait près de 30 000 morts et plusieurs centaines de milliers de réfugiés ou déplacés, majoritairement azerbaïdjanais. Il s’est conclu par la perte de contrôle d’une part significative du territoire internationalement reconnu à l’Azerbaïdjan (entre 14 et 20 % selon les sources (1)). Sur le plan administratif, il s’agit notamment de la quasi-totalité du Haut-Karabagh à proprement parler, mais aussi de sept autres districts voisins (Agdam, Fizuli, Djebrail, Kubatli, Zangelan, Kelbadjar et Latchin) reliant notamment le Haut-Karabagh à l’Arménie.

Cette occupation des régions avoisinantes et cette violation de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan ont été condamnées par plusieurs résolutions successives du Conseil de sécurité des Nations unies en 1993 (n° 822, 853, 874 et 884), demandant notamment le retrait des forces arméniennes, ainsi que par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe dans sa résolution n° 1416 de 2005.

Aujourd’hui, plus de vingt ans après le cessez-le-feu de 1994, le statu quo prévaut malgré une médiation assurée depuis 1992 par le Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Ce conflit latent ne peut toutefois pas être qualifié de « conflit gelé » dans la mesure où depuis 1994 le cessez-le-feu a été violé à maintes reprises par les belligérants et où des personnes ont perdu la vie des deux côtés de la ligne de contact.

Le dernier élément, qui sera abordé ultérieurement plus en détail, est la « guerre des quatre jours » intervenue du 2 au 5 avril 2016.

Il est regrettable d’assister à de tels épisodes de violence d’autant que l’OSCE et les Nations unies ont pris des mesures destinées à interdire le commerce des armes pouvant être utilisées dans le cadre du conflit du Haut-Karabagh. M. Philippe Errera, directeur général des relations internationales et de la stratégie au ministère de la défense, a ainsi rappelé à la mission d’information que « l’embargo de l’OSCE résulte d’une « décision du comité des hauts fonctionnaires sur le Nagorno-Karabakh » du 28 février 1992. Ce texte, qui n’est pas juridiquement contraignant, enjoint aux États membres d’appliquer un embargo sur les ventes d’armes et de munitions pouvant être utilisées par les forces en présence au Haut-Karabagh. La résolution 853, adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 29 juillet 1993, appelle les États membres à ne pas livrer d’armes et de munitions pouvant mener à une intensification du conflit. ». Il a précisé que l’interprétation que fait la France de cet embargo est « la limitation des exportations vers Bakou ou Erevan de matériels susceptibles d’être utilisés dans le conflit au Haut-Karabagh. Il ne s’agit donc pas d’un embargo total, à l’instar de celui qui a touché l’Iran ou de celui qui concerne le Soudan. Cela étant, il nous semble bien que la grande majorité des matériels exportés par les principaux fournisseurs de l’Azerbaïdjan [i.e la Russie et la Turquie] ne respecte pas les résolutions. ».

b. Le rôle spécifique de la France, co-présidente du Groupe de Minsk de l’OSCE depuis deux décennies

Dénommée à l’époque CSCE (Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe), l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) est intervenue pour faciliter le règlement du conflit du Haut-Karabagh dès janvier 1992, suite à l’adhésion des Républiques d’Arménie et d’Azerbaïdjan à cette organisation. Pour cela, elle a mis en place le Groupe de Minsk – regroupant les États parties au conflit (Arménie et Azerbaïdjan) ainsi que la France, les États-Unis, la Russie, l’Allemagne, la Turquie, la Finlande, la Suède, l’Italie, la Biélorussie et la Troïka de l’OSCE. Celui-ci a été chargé, en février 1992, lors de la réunion d’Helsinki, d’organiser, à Minsk, une conférence internationale sous les auspices de la CSCE, laquelle devait constituer « un cadre permanent pour les négociations en vue d’un règlement pacifique de la crise ». Celle-ci n’a malheureusement jamais eu lieu.

Toutefois, le Groupe de Minsk a continué à chercher une solution négociée à ce conflit. Il l’a fait d’abord sous l’égide d’une présidence tournante, puis d’une co-présidence tripartite (États-Unis, France, Russie) à partir de janvier 1997. Celle-ci est actuellement composée des ambassadeurs Igor Popov (Russie), Stéphane Visconti (France) et Richard Hoagland (États-Unis) et travaille avec le représentant personnel de la présidence tournante de l’OSCE, qui est la même personne depuis vingt ans : un diplomate polonais, M. Andrzej Kasprzyk. M. Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk l’a ainsi présenté à la mission d’information : « Celui-ci, à force de sillonner la région, a constitué une équipe représentée dans les quatre capitales – Bakou, Erevan, mais aussi Stepanakert et Tbilissi. Il connaît parfaitement bien les données du problème et a la confiance des deux présidents, arménien et azerbaïdjanais ». Les Azerbaïdjanais, entre autres, proposent d’élargir le cercle à d’autres pays, à l’Allemagne ou à la Turquie notamment. Cette proposition, qui n’est pas exempte de sous-entendus, est écartée par l’Arménie. La formule de co-présidence finalement retenue demeure depuis vingt ans et aucun incident ni aucune dissidence ne se sont produits. Les pays co-présidents sont soucieux d’avoir de bonnes relations avec l’Azerbaïdjan, notamment sur le plan économique. Ils sont tenus par une obligation de neutralité, d’impartialité et d’équilibre.

Le Groupe de Minsk est la seule instance habilitée et acceptée par les parties pour tenter de parvenir à un règlement négocié et pacifique du conflit.

C’est un élément important, car il n’y a pas vraiment de solution alternative : la gestion du conflit par les Nations unies n’est pas envisageable, compte tenu de la configuration du Conseil de sécurité.

En vertu du mandat qui lui a été confié le 23 mars 1995, le Groupe de Minsk est chargé de promouvoir une résolution du conflit excluant tout recours à la force et de faciliter les négociations (qui doivent rester confidentielles) pour obtenir un règlement pacifique du conflit. Cela suppose évidemment le respect et le renforcement du cessez-le-feu.

En 1996, lors du Sommet de Lisbonne, l’OSCE avait élaboré trois principes pour le règlement du conflit du Haut-Karabagh, qui n’ont pu être adoptés par consensus du fait de l’opposition arménienne :

– l’intégrité territoriale de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan ;

– un statut juridique du Haut-Karabagh fondé sur l’autodétermination et le degré maximum d’autonomie au sein de l’Azerbaïdjan ;

– une sécurité garantie pour le Haut-Karabagh et l’ensemble de sa population.

En 2001, après plusieurs réunions entre les présidents d’Arménie et d’Azerbaïdjan, dont la dernière en mars avec le président Jacques Chirac, un sommet a été organisé au mois d’avril à Key West par le président George W. Bush. Aucun accord n’est cependant intervenu en dépit des espoirs suscités par ce qu’il est convenu d’appeler les « principes de Paris ».

Après plusieurs années sans avancée, le sommet de l’OSCE organisé à Madrid les 29 et 30 novembre 2007 a permis de franchir une étape puisque l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont consenti à ce que le règlement du conflit soit désormais discuté sur la base des « Principes fondamentaux pour un règlement entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan » dits « principes de Madrid ». Ces règles, dont le contenu précis est resté secret, reposent sur six éléments :

– le retour sous contrôle azerbaïdjanais des territoires entourant le Haut-Karabagh ;

– un statut intérimaire pour le Haut-Karabagh avec des garanties en matière de sécurité et d’administration autonome ;

– un corridor reliant l’Arménie au Haut-Karabagh ;

– la définition future du statut juridique final du Haut-Karabagh dans le cadre d’un processus d’expression de la volonté de sa population juridiquement contraignant ;

– le droit de toutes les personnes déplacées et des réfugiés à retourner dans leurs anciens lieux de résidence ;

– des garanties de sécurité internationales qui incluraient une opération de maintien de la paix.

En dépit de plusieurs rencontres de haut niveau, notamment à Sotchi en 2012, aucun progrès substantiel n’est intervenu.

Les attaques violentes qui se sont produites sur la ligne de contact début avril 2016 ont montré la fragilité de la situation. Ces événements ont rappelé à la communauté internationale que la qualification de « conflit gelé » était impropre en ce qui concerne le Haut-Karabagh : les affrontements qui s’y sont déroulés ont été si violents qu’ils ont été qualifiés de « guerre des quatre jours ».

Depuis ces tragiques événements d’avril 2016, deux sommets ont réuni, l’un à Vienne en mai 2016, à l’initiative des États-Unis, et l’autre à Saint-Pétersbourg en juin 2016, à l’initiative de la Russie, les chefs d’État azerbaïdjanais et arménien.

Il ressort, des différentes auditions menées, que règne entre les trois co-présidents du Groupe de Minsk, quelles que soient les personnalités exerçant la fonction et quelles que soient les positions de ces pays concernant d’autres dossiers, une atmosphère de travail, de sérieux et de confiance. M. Pierre Andrieu a livré à la mission d’information son expérience : « Nous travaillons dans une atmosphère extrêmement ouverte et nous discutons de bonne foi ». Les approches et initiatives de chaque co-président se succèdent et sont complémentaires. Cette méthode et ce format, qui existent depuis vingt ans, sont souvent qualifiés d’infructueux. Toutefois, même s’ils sont minimes, des progrès ont été faits et seule une politique de « petits pas » permettra un règlement pacifique et durable (car consenti par tous) de ce conflit. On peut cependant nuancer ce constat par deux éléments. D’abord, comme l’a rappelé M. Pierre Andrieu, « le succès d’une entreprise de médiation dépend beaucoup de la volonté des deux parties. Si celles-ci ne veulent pas discuter, ne veulent pas faire de concessions, aucune médiation, aussi bonne soit-elle, n’aboutira jamais. ». Ensuite, l’organisation d’un référendum est essentielle à la mise en œuvre du principe d’autodétermination. Dans la mesure où l’on estime parfois à environ un million le nombre de réfugiés ayant quitté le Haut-Karabagh et les districts attenants, comment concevoir l’organisation d’un référendum permettant au corps électoral concerné de pouvoir s’exprimer et participer à ce scrutin ? Les modalités d’un tel référendum sont assez compliquées. Néanmoins, le Groupe de Minsk peut s’appuyer sur le soutien du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’Homme (BIDDH) de l’OSCE pour l’aider à mettre en œuvre cet aspect des principes de Madrid.

Dans cette co-présidence tricéphale, la France joue tout son rôle aux côtés des États-Unis et de la Russie. Ses initiatives régulières ont été saluées. Le Sommet de Paris de mars 2001 en est un exemple. Plus récemment, la France a suscité la tenue d’un autre sommet en vue de faire avancer le règlement de ce conflit. En effet, le 27 octobre 2014, elle a reçu les autres co-présidents du Groupe de Minsk ainsi que les présidents arménien et azerbaïdjanais afin de permettre la reprise d’un dialogue direct entre eux. Les résultats concrets de ce Sommet sont toutefois peu perceptibles, chacune des parties accusant l’autre de l’échec des négociations.

C’est toutefois à l’occasion de ce Sommet de Paris que la France a proposé un certain nombre de mesures de confiance destinées à permettre la reprise du dialogue. Parmi celles-ci, on peut citer une mesure humanitaire relative à l’échange des données sur les disparus de la guerre, sous l’égide du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). C’est malheureusement la seule mesure qui ait été acceptée par les deux parties, et qui a d’ailleurs reçu un commencement d’application.

Depuis plusieurs années, le CICR collecte des données ADN au sein des familles, notamment en Azerbaïdjan, de façon à pouvoir, le moment venu, croiser ces données avec celles prélevées sur les restes de soldats qui seraient exhumés – essentiellement sur le territoire du Haut-Karabagh. On estime à environ 4 500 le nombre d’Arméniens et d’Azerbaïdjanais disparus dans le cadre de ce conflit. La Croix-Rouge poursuit son travail avec discrétion et rigueur. Le CICR a soumis aux parties sa liste de toutes les personnes portées disparues en relation avec ce conflit, et leur a demandé de faire tout leur possible pour clarifier le sort de ces personnes disparues. Elle espère pouvoir procéder aux premières exhumations en 2017, si toutefois il ne se produit pas, d’ici là, d’incident grave ni de conflit ouvert.

Le rôle de médiateur impose à la France un devoir rigoureux d’équilibre et d’impartialité entre les parties.

Comme l’a indiqué à la mission d’information Mme Florence Mangin, directrice de l’Europe continentale au ministère des affaires étrangères, « la position de la France sur le conflit du Haut-Karabagh est claire et constante : nous considérons que la négociation est le seul moyen de le résoudre ; la violence, telle qu’elle a éclaté en avril dernier, a non seulement des conséquences catastrophiques pour les deux pays concernés, mais elle est aussi lourde de risques pour l’ensemble de la zone – ainsi que je l’ai indiqué, l’un des enjeux de notre diplomatie est la stabilité et la concorde dans cette zone. Tel est donc le premier élément de notre position : c’est non pas par un rapport de forces, mais uniquement par le dialogue, même s’il est lent et fastidieux, qu’une solution pourra être apportée. Deuxième élément : nous sommes attachés à l’ensemble des principes dits « de Madrid », qui doivent structurer la solution à ce conflit. Je dis bien « l’ensemble », car tel est le problème aujourd’hui. Ces principes sont le non-recours à la force, l’intégrité territoriale ainsi que le droit à l’autodétermination. C’est en les imbriquant de manière très intime qu’une solution sera possible. Si l’on ne met en avant qu’un seul de ces principes, un accord est impossible. Il serait évidemment inapproprié, connaissant le rôle de la Russie dans la zone, de prétendre nous substituer à elle sans son accord, surtout dans le contexte actuel. Nous devons donc dialoguer avec Moscou sur ce point, sachant que d’autres sujets sont prioritaires actuellement. Nous devons présenter notre éventuelle initiative comme complémentaire de la leur. Si elle était perçue comme s’y substituant, elle serait vouée à l’échec. »

2. Des relations diverses et parfois complexes avec ses voisins régionaux

L’Azerbaïdjan, soucieux de maintenir son indépendance, mène une politique extérieure équilibrée avec ses voisins et, ainsi, se refuse à trop s’associer à certaines organisations ou à les rejoindre. Son approche prudente des relations diplomatiques lui permet d’avoir de bons rapports avec ses voisins, à l’exception de l’Arménie en raison du conflit au Haut-Karabagh.

a. La Turquie

L’Azerbaïdjan et la Turquie ont neuf kilomètres de frontière commune. Cette frontière fluviale, le long du fleuve Araxe, qui sert également et pour partie de frontière entre l’Azerbaïdjan et l’Iran, est située au Nord-Ouest du Nakhitchevan, république autonome de l’Azerbaïdjan séparée du reste du pays par l’Arménie.

L’Azerbaïdjan est très proche de la Turquie, à laquelle il est lié par la langue et la culture, l’azéri étant une langue turcique tout comme, par exemple, le turkmène, le turc ou le kazakh. Cette proximité et cette confiance ont conduit la Turquie en 1993, pour témoigner de sa solidarité avec l’Azerbaïdjan concernant le conflit du Haut-Karabagh, à fermer sa frontière avec l’Arménie (environ 260 kilomètres de frontières). Ce lien est si profondément ancré et sincère que le Premier ministre turc a déclaré, à l’occasion des événements d’avril 2016, que la Turquie soutiendrait l’Azerbaïdjan « jusqu’à l’apocalypse » (2). Bien que les autorités turques se montrent très discrètes sur le sujet, il est très possible qu’Ankara fasse passer des messages à Bakou dans la gestion de ce conflit car Ankara a, selon Mme Florence Mangin, « un intérêt évident à la résolution du conflit du Haut-Karabagh. Elle en a fait une condition sine qua non de la normalisation de ses relations avec l’Arménie ».

M. Stéphane de Tapia, directeur du département d’études turques de l’université de Strasbourg, a d’ailleurs rappelé à la mission d’information, à propos de la Turquie, « un slogan politique énoncé par le président Heydar Aliev : bir millet, iki dövlet – « une nation, deux États ». Ce slogan illustre parfaitement la très grande proximité de deux nations-sœurs ou de deux peuples-frères […] ». M. Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l’université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l’Académie internationale de géopolitique, a donné un autre exemple de ce lien particulier unissant les deux pays en indiquant que « l’armée turque participe à la formation de certaines unités militaires azerbaïdjanaises. Compte tenu des liens historiques et religieux que la Turquie entretient avec cette région, elle ne peut se permettre de s’en désintéresser. »

La Turquie est également un partenaire économique stratégique et privilégié de l’Azerbaïdjan dont elle est le premier fournisseur. Par ailleurs, elle en est un client. Selon Mme Marie-Claire Aoun, directrice du centre « Énergie » de l’Institut français des relations internationales (IFRI), « l’Azerbaïdjan produit actuellement 18 milliards de mètres cubes de gaz par an. […] et en exporte 6,6 milliards vers la Turquie, […] Il y a une demande croissante pour le gaz azerbaïdjanais, de la part de la Turquie, qui a des besoins très importants en gaz(…) ». La Turquie est également le point d’aboutissement, d’une part, du gazoduc transanatolien (TANAP) qui achemine le gaz depuis le gisement offshore de Shah Deniz en Azerbaïdjan via la Géorgie et la Turquie jusqu’à la frontière avec la Grèce et la Bulgarie et, d’autre part, de l’oléoduc BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan) qui transporte le pétrole de la mer Caspienne à la mer Méditerranée via la Géorgie.

Cette position clé de la Turquie vis-à-vis des gazoducs situés autour de la mer Caspienne, a été relevée par les entreprises du secteur de l’énergie, comme l’a indiqué à la mission M. Arnaud Erbin, directeur international d’Engie, qui soulignait : « l’importance du rôle de la Turquie, puisque le gaz d’Azerbaïdjan passe par les gazoducs TANAP et TAP. Cela nous intéresse aussi, car Engie a dans ce pays une activité de distribution de gaz. La Turquie est elle-même une grande consommatrice de gaz et souhaite diversifier sa route d’approvisionnement. Notre présence en Azerbaïdjan nous fournit donc un sujet de conversation intéressant et encourageant avec les Turcs. Par ailleurs, l’Italie, où débouche le gazoduc TANAP-TAP, est aussi un marché important pour Engie. Nous y sommes présents et nous y avons des clients. Enfin, le tracé du corridor gazier Sud témoigne des liens entre la Turquie et l’Iran et du fait que cette route sud peut voir confluer différentes ressources à terme. »

La Turquie est également le premier investisseur en Azerbaïdjan. Cette relation commerciale privilégiée repose sur une confiance profonde réciproque, qui s’explique par cette proximité historique, culturelle et linguistique.

Cette confiance a également permis aux dirigeants de l’Azerbaïdjan de jouer un rôle prépondérant dans la réconciliation de la Turquie avec la Russie. Depuis novembre 2015 et l’incident de la chute de l’avion russe SU-24, les deux États entretenaient des relations assez froides. Le président azerbaïdjanais est parvenu à jouer les médiateurs et est l’un des artisans de la normalisation des relations russo-turques.

Ces liens ne signifient pas que les autorités azerbaïdjanaises approuvent en totalité ce que font les Turcs ; l’évolution actuelle de la Turquie, en rupture avec sa tradition de laïcité, suscite des interrogations, mais elles ne sont jamais exprimées publiquement. Toutefois, l’Azerbaïdjan reste fidèle à la Turquie et Mme Florence Mangin a rappelé à la mission d’information qu’« au lendemain de la tentative de coup d’État en Turquie le 15 juillet dernier, Ankara a demandé à plusieurs de ses partenaires de « faire le ménage » chez eux, en faisant la chasse aux gülenistes. Bakou a répondu positivement à l’appel, ce qui n’a pas manqué de créer un certain trouble dans la communauté internationale. ».

b. La Russie

L’Azerbaïdjan et la Russie partagent un peu moins de 300 kilomètres de frontière. La présence des Russes en Azerbaïdjan est ancienne, dès avant le XVIIIsiècle. Ces deux pays ont une longue histoire commune de plus de 150 ans (lorsqu’ils ne formaient qu’un pays ou que l’Azerbaïdjan était sous obédience soviétique) ce qui explique une forte présence russe en Azerbaïdjan : certains Russes sont restés après l’indépendance tandis que d’autres sont venus depuis ; on estime leur nombre total à 120 000 environ.

Mme Aurélia Bouchez, Ambassadeur de France en Azerbaïdjan, a précisé à la mission d’information que les Russes étaient « en particulier dans les élites intellectuelles et universitaires et dans le monde des affaires. Il y a une familiarité réelle entre eux et les élites azerbaïdjanaises, qui ont souvent suivi des études supérieures à Moscou – le fait d’avoir étudié en Russe leur valant brevet de prestige culturel… et d’européanité. Les Russes sont donc très présents : l’université d’État Lomonossov de Moscou a une antenne à Bakou. Pratiquement tout le monde parle fort bien le russe. »

Les relations entre l’Azerbaïdjan et la Russie sont avant tout marquées par la prudence. Selon M. Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), « Heydar Aliev a été très fin. Dans le cadre de cette indépendance à laquelle il n’avait aucune raison de renoncer, loin de là, il a su naviguer en homme d’État. Il a très habilement respecté les lignes rouges. »

Cette prudence n’a toutefois pas empêché l’Azerbaïdjan, lors du vote aux Nations unies au sujet de la Crimée, de prendre une position reflétant son attachement au principe du respect de l’intégrité territoriale. Néanmoins, si les autorités se sont montrées critiques, elles n’ont pas été particulièrement virulentes, par la suite, à l’égard de la Russie. Il faut, en effet, préserver la relation multiple et complexe liant les deux pays.

Les dirigeants de l’Azerbaïdjan ont su ménager la Russie et ont toujours joué une partition complémentaire et non hostile à Moscou. Ils sont restés neutres et prudents par rapport à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et à l’Union européenne dans la mesure où ils n’ont jamais témoigné du souhait d’être membre de l’une et/ou l’autre de ces organisations, ont gardé la langue russe et commercent avec la Russie (notamment pour l’acquisition de matériel de défense). Ce que n’ont pas fait la Géorgie, l’Ukraine ni la Moldavie, qui ont, de ce fait, contrarié le Kremlin. Les relations avec l’Union européenne, abordées ultérieurement, sont également marquées par ce souci permanent de prudence et d’équilibre.

Autre témoignage de ce même souci, l’Azerbaïdjan est membre de la CEI mais il n’appartient ni à l’Organisation du traité de la sécurité collective (OTSC), pas plus qu’à l’Organisation de la coopération de Shanghai. Par ailleurs, l’Azerbaïdjan n’est pas non plus candidat à l’entrée dans l’Union économique eurasiatique (Union économique créée en 2014 regroupant, à ce jour, l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et la Russie).

Les relations entre l’Azerbaïdjan et la Russie sont d’abord commerciales. En effet, la Russie est le premier partenaire économique régional de l’Azerbaïdjan et les intérêts communs sont trop nombreux pour que la qualité de la relation soit remise en cause. Alors que, pendant longtemps, la Russie a été un pourvoyeur de sécurité à la seule Arménie, elle vend désormais des armes aussi à l’Azerbaïdjan. « C’est d’ailleurs classique dans les pays de l’ancienne URSS, qui ont hérité de stocks importants de matériel soviétique – et l’on ne change ni de matériel ni de formation du jour au lendemain », a précisé Mme Aurélia Bouchez. Il faut rappeler que la Russie est très proche de l’Arménie – qui est membre de l’Union eurasiatique – où elle entretient une base militaire et assure la protection de la frontière turco-arménienne.

Sur le plan politique et diplomatique, la Russie co-préside, aux côtés de la France et des États-Unis, le Groupe de Minsk. C’est à ce titre qu’elle a organisé, à Saint-Pétersbourg en juin 2016, une réunion avec les dirigeants d’Azerbaïdjan et d’Arménie. Comme les autres co-présidents ont pu le faire, la Russie essaie, depuis quelque temps, de contribuer activement au règlement de ce conflit. Conscient de l’éloignement des positions des parties, M. Serguei Lavrov, ministre russe des affaires étrangères, a proposé un « plan en étapes », permettant aux parties de peu à peu se rapprocher l’une de l’autre et de parvenir au règlement du conflit. Il convient également de rappeler que c’est grâce à l’intervention de la Russie qu’un accord de cessez-le-feu a été trouvé le 5 avril 2016, à Moscou, à l’issue de la « guerre des quatre jours ».

Du point de vue de la Russie, une grande attention est accordée à la stabilité de l’Azerbaïdjan en raison de sa proximité avec les républiques du Nord Caucase marquées par l’instabilité. Comme l’a indiqué M. Jean de Gliniasty, les Russes « considèrent que le développement du Daghestan, de l’Ingouchie et de la Tchétchénie est crucial pour eux. Dieu sait ce qu’ils dépensent comme argent dans cette région, et « pour des prunes », si j’ose dire, car elle est ingérable en raison de la corruption, de la violence, etc. Les Russes tiennent pourtant à son développement, clef de la stabilisation. L’Azerbaïdjan joue un rôle beaucoup plus positif que l’Arménie, qui est pauvre, sous-peuplée en raison d’une très forte émigration, confrontée à de nombreuses difficultés, et totalement dépendante de la Russie sur le plan militaire ».

c. L’Iran

Mme Aurélia Bouchez a exposé à la mission d’information les liens existants entre l’Azerbaïdjan et l’Iran : « Les rapports entre l’Azerbaïdjan et l’Iran sont complexes. La relation entre les deux pays est très ancienne. De nombreuses provinces azéries ont fait partie de la Perse, la frontière entre les deux pays a bougé, comme l’illustre l’exemple de la ville de Tabriz… ». Cela explique qu’aujourd’hui il y a beaucoup plus d’Iraniens d’origine azérie en Iran – 25 à 30 millions – que d’Azerbaïdjanais en Azerbaïdjan – 9 millions.

Cette histoire a été évoquée par M. Stéphane de Tapia qui, lorsqu’il a rappelé, comme on l’a vu, le « slogan politique énoncé par le président Heydar Aliev : bir millet, iki dövlet – « une nation, deux États », a aussi mentionné que celui-ci « illustre parfaitement la très grande proximité de deux nations-sœurs ou de deux peuples-frères – voire trois, si l’on inclut l’Azerbaïdjan iranien – séparés pourtant de longue date. ».

Les deux pays sont majoritairement composés de musulmans chiites. L’Azerbaïdjan, partage 730 kilomètres de frontière avec l’Iran – dont 123 sont contrôlés par l’Arménie suite au conflit du Haut-Karabagh.

Ces relations sont également complexes, notamment en raison des différences de leur modèle politique.

L’Iran est un grand voisin avec lequel les échanges commerciaux et économiques se sont accélérés. Les autorités de l’Azerbaïdjan ont noué des contacts avec les autorités iraniennes il y a quelques années, alors que ce pays espérait la levée des sanctions internationales, et ont fait savoir que l’Azerbaïdjan était prêt à contribuer à la reprise de l’économie iranienne et à la modernisation des infrastructures.

Cela a donné lieu à la signature de nombreux accords de coopération technique et permet également à l’Azerbaïdjan d’être informé des projets iraniens, notamment concernant les hydrocarbures, bien que, pour l’instant, l’Iran ne constitue pas un concurrent sérieux pour l’Azerbaïdjan en raison de sa situation économique.

Toutefois, des différends frontaliers maritimes non résolus persistent entre les deux pays au sujet, par exemple, du gisement d’Alov qui oppose l’Azerbaïdjan, l’Iran et le Turkménistan.

d. Israël

Israël et l’Azerbaïdjan ont noué, dès avril 1992, au lendemain de l’indépendance de l’Azerbaïdjan, des relations diplomatiques. Avec le temps, et discrètement, ces relations se sont renforcées et diversifiées. Un tel rapprochement n’est, toutefois, pas bien vu par l’Iran.

Ces relations sont solides. L’Azerbaïdjan peut compter sur Israël notamment pour lui apporter son expérience agricole en milieu aride ou lui vendre du matériel militaire (Azad Systems, co-entreprise israélo-azerbaïdjanaise, a été créée pour produire des drones). Par ailleurs, en matière de vente d’armes, Israël ne s’impose pas obligatoirement les limitations que respectent les pays membres de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et figurant dans la décision du 28 février 1992.

e. La Géorgie

L’Azerbaïdjan et la Géorgie ont une communauté d’intérêts dans la mesure où cette dernière représente la voie d’accès à la Turquie et à l’Occident. Ces deux pays ont des relations différentes avec leurs voisins, notamment avec la Russie. Enfin, la Géorgie entretient de bonnes relations tant avec l’Arménie qu’avec l’Azerbaïdjan.

f. Le statut de la mer Caspienne : une négociation encore en cours entre les riverains

Si l’Azerbaïdjan entretient avec presque tous ses voisins de bons rapports, il existe toutefois certaines tensions avec eux en raison de l’indétermination du statut juridique de la mer Caspienne et de la présence, dans son sous-sol, de ressources énergétiques importantes. La question des modalités de leur exploitation est directement liée au statut juridique de cette « mer » et est donc particulièrement sensible et toujours en suspens.

La Caspienne est actuellement régie par des accords soviéto-iraniens de 1921 et 1940, qui doivent être actualisés.

Comme l’a rappelé Mme Florence Mangin, « la mer Caspienne – [..] n’est pas couverte, je le rappelle, par la convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite convention de Montego Bay. Les cinq États riverains négocient depuis une vingtaine d’années un traité à ce sujet. La dernière étape significative a été la signature, à l’issue du sommet des cinq chefs d’État qui s’est tenu à Astrakhan en septembre 2014, d’une déclaration qui donne les grandes lignes du futur accord. On semble se diriger vers la solution juridique promue par Moscou et Téhéran, à savoir celle d’un condominium sur la mer plutôt que celle d’un partage pur et simple entre les cinq États. Au-delà des 25 milles nautiques à partir des côtes, la déclaration fait référence à une « zone commune », au sein de laquelle les activités d’exploitation du sol et du sous-sol seraient soumises à la règle du consensus ou de l’unanimité. Cela donnerait donc un droit de veto à chaque État, dont la Russie, sur la construction d’oléoducs ou de gazoducs à travers la Caspienne. On voit se dessiner les linéaments d’un accord, mais on peut estimer que les discussions à venir seront difficiles, car un tel droit de veto ne plaît pas nécessairement à tout le monde. »

La 48e réunion du groupe de travail ad hoc chargé d’élaborer une convention sur le statut juridique de la mer Caspienne, s’est tenue les 25 et 26 janvier 2017 à Bakou. Des membres du groupe de travail de l’Azerbaïdjan, de la Russie, de l’Iran, du Kazakhstan et du Turkménistan ont participé à la réunion qui était présidée par le chef du groupe de travail de l’Azerbaïdjan, le vice-ministre des affaires étrangères, M. Khalaf Khalafov. Celui-ci a annoncé, sans toutefois être plus précis, que des dispositions et des articles sur plusieurs questions principales et en suspens ont été convenus lors de cette réunion. Le sujet est donc toujours à l’ordre du jour.

Des différends frontaliers persistent en Asie centrale au sujet, par exemple, du gisement d’Alov qui oppose l’Azerbaïdjan, l’Iran et le Turkménistan (dont les richesses en gaz sont environ trente fois plus importantes que celles de l’Azerbaïdjan), mais également depuis 1997 ceux de Chirag et Kiapaz revendiqués par l’Azerbaïdjan et le Turkménistan qui renferment d’importantes quantités de gaz naturel.

3. Un intérêt marqué pour des relations équilibrées avec l’Ouest : États-Unis, Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et Union européenne

Il existe entre l’Azerbaïdjan et l’Ouest un double enjeu réciproque créant une communauté d’intérêts. Pour l’Union européenne et ses États membres, comme pour les États-Unis, toujours attentifs au marché mondial des hydrocarbures, l’Azerbaïdjan représente un accès aux ressources énergétiques de la Caspienne et un pays situé dans une région sensible dont la stabilité est primordiale. Cet enjeu est d’ailleurs plus important et plus direct pour l’Union européenne. L’Azerbaïdjan, quant à lui, souhaite éviter un face à face avec la Russie et l’Iran, n’ayant, dès lors, comme seuls interlocuteurs pour son désenclavement que la Turquie et les pays de l’espace euro-atlantique.

a. Les États-Unis

Après l’éclatement de l’Union soviétique, les États-Unis ont beaucoup investi en Azerbaïdjan pour contrer ce qu’il y restait de l’URSS et pour sécuriser l’accès international aux ressources pétrolières et gazières.

Cette volonté de donner à l’Azerbaïdjan une alternative à l’influence russe s’est notamment traduite par un soutien politique, et probablement financier, à l’Organisation pour la démocratie et le développement (dite GUAM), groupe créé en 1996 constitué par la Géorgie, l’Ukraine, l’Azerbaïdjan, la Moldavie et l’Ouzbékistan, cinq anciennes républiques soviétiques marquées par des différends territoriaux dans lesquels la Russie joue ou jouait un rôle prépondérant.

Elle s’est illustrée en matière énergétique. En effet, les États-Unis ont initié le corridor gazier Sud, et veillé à ce que le « contrat du siècle », conclu en 1994, soit remporté par un consortium largement occidental mené par BP et auquel ont participé plusieurs sociétés américaines. Cet intérêt d’ordre géopolitique et énergétique, qui s’était ensuite amoindri, connaît un regain, les États-Unis retrouvant un intérêt pour le pays du fait des ressources naturelles et de l’avantage géographique de l’Azerbaïdjan en matière de diversification des routes énergétiques, en particulier celles tendant à contourner la Russie. Tel est le cas du nouveau tracé du corridor gazier Sud. C’est la raison pour laquelle le coordinateur du Département d’État américain pour l’énergie a assisté en février 2016 au conseil ministériel relatif au corridor gazier Sud qui a entériné les deux segments – le TANAP (Trans Anatolian Natural Gas Pipeline : gazoduc trans-anatolien) et le TAP (Trans Adriatic Pipeline : gazoduc transadriatique) – et prévu les financements importants que demande l’achèvement de ce projet.

Les États-Unis ne font cependant pas partie des tout premiers partenaires économiques de l’Azerbaïdjan : en 2015, ils se sont classés au cinquième rang des partenaires commerciaux du pays, derrière l’Italie, la Russie, la Turquie et la France. Les sociétés américaines sont néanmoins très présentes notamment dans le secteur pétrolier. De manière générale, les États-Unis sont soucieux d’entretenir un dialogue avec Bakou sur toutes les questions de développement, de gouvernance et de sécurité.

Aujourd’hui, la politique américaine à l’égard de l’Azerbaïdjan est essentiellement mue par les défis de sécurité dans le Caucase du Sud : Washington se soucie aussi de la lutte contre les filières et les circuits du terrorisme international, le Caucase du Sud étant à la fois une région très fragile et une zone de transit. À cet égard, l’Azerbaïdjan conserve et conservera une importance stratégique.

Les ressortissants américains sont relativement nombreux en Azerbaïdjan, mais moins qu’autrefois car ils étaient présents par le biais d’organisations non gouvernementales (ONG) qui, pour certaines, ont quitté le pays. Ils gardent toutefois une forte influence, et la rencontre du président Aliev avec le président Obama lors du 4e sommet sur la sécurité nucléaire, les 1er et 2 avril 2016, a été un élément positif.

Les États-Unis sont également l’un des co-présidents du Groupe de Minsk aux côtés de la Russie et de la France. Comme chacun des co-présidents, ils tentent de contribuer aux négociations pour le règlement du conflit. Leur dernière initiative a été l’organisation le 16 mai 2016, à Vienne, juste après la « guerre des quatre jours », d’une réunion au format dit « 3+2 », c’est-à-dire avec les présidents arménien et azerbaïdjanais et les trois ministres des affaires étrangères du Groupe de Minsk. Cette réunion a donné une nouvelle impulsion : elle a permis de renouer le dialogue entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan – après les affrontements meurtriers qui ont eu lieu du 2 au 5 avril 2016 – et a abouti à un corps de décisions, dont la mise en œuvre s’avère néanmoins assez compliquée. Ainsi, les présidents Sarkissian et Aliev, en présence de Harlem Désir, secrétaire d’État français chargé des affaires européennes, John Kerry, secrétaire d’État américain, et Sergueï Lavrov, ministre russe des affaires étrangères, ont rappelé leur attachement au respect du cessez-le-feu ainsi qu’à un règlement pacifique du conflit. Ils ont également accepté la mise en place de mesures de confiance, dont un mécanisme d’investigation des incidents. Chacun salue cette initiative américaine et ses résultats.

b. L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN)

Après l’éclatement de l’URSS, l’ancien espace soviétique se caractérise par une sorte de bipolarisation : d’un côté, les pays en conflit avec la Russie qui cherchent le soutien occidental – l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie – et, de l’autre, ceux qui ont accepté d’entrer dans l’Union eurasiatique avec la Russie, comme la Biélorussie, le Kazakhstan ou l’Arménie.

L’Azerbaïdjan, manifestant son souci de maintenir son indépendance et de mener, depuis 1991, une politique extérieure équilibrée avec ses voisins, a des relations prudentes avec l’OTAN. Il maintient ainsi de bonnes relations tant avec l’Occident (Les États-Unis et l’Europe) qu’avec la Russie. Bien qu’il soit membre du Partenariat pour la paix de l’OTAN depuis 1994, et bénéficie à ce titre d’un plan d’action individuel de partenariat, l’Azerbaïdjan n’est pas candidat à l’entrée dans l’OTAN, contrairement à la Géorgie.

En témoignage de sa volonté de coopérer, le pays a pris part à la Force internationale d’assistance à la sécurité en Afghanistan (FIAS), à laquelle il a fourni un détachement militaire et diverses formes de soutien (formation des forces de sécurité et des diplomates afghans, opérations de déminage, autorisation de survol de son territoire ou de transit accordée aux pays de l’OTAN etc.).

Toutefois, comme l’a rappelé Mme Florence Mangin, « sur les sujets opposant la Russie à l’OTAN, l’Azerbaïdjan reste très prudent et discret », preuve supplémentaire de la politique extérieure équilibrée que l’Azerbaïdjan entend suivre.

c. L’Union européenne et ses États membres

L’Azerbaïdjan entretient des relations commerciales importantes avec différents États membres de l’Union européenne, principalement avec l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie. Les premiers contacts commerciaux ont été noués autour des ressources énergétiques de l’Azerbaïdjan. L’Italie recevra, d’ailleurs, le gaz d’Azerbaïdjan sur ses côtes.

L’Azerbaïdjan n’est pas plus candidat à l’Union Européenne qu’il ne l’est à l’Union eurasiatique. Toutefois, l’Azerbaïdjan a souhaité participer aux différentes formes de partenariat proposées par l’Union européenne. Cette relation mesurée avec l’Union européenne vise, là encore, à mener une politique équilibrée avec ses voisins et les grandes puissances.

Lors de son audition par la mission d’information, M. Matthieu Combe, conseiller chargé de l’Europe orientale et de l’Asie centrale à la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne, a rappelé que les relations entre l’Union européenne et l’Azerbaïdjan reposent sur trois fondements.

Le premier, qui constitue le cadre contractuel toujours en vigueur, est l’Accord de partenariat et de coopération de 1996, entré en vigueur en 1999. Cet accord fixe les principes généraux ainsi que le cadre institutionnel des relations que l’Union européenne entretient avec l’Azerbaïdjan.

Le deuxième cadre est celui de la politique européenne de voisinage, établie en 2004 et ayant conduit en novembre 2006 à l’adoption, d’une part, d’un Plan d’action qui détaille les priorités à court et moyen terme et met l’accent sur les coopérations en matière d’État de droit et de gouvernance économique, et, d’autre part, d’un Protocole d’accord sur un partenariat stratégique dans le domaine de l’énergie. Ce protocole a aujourd’hui pour objet de donner un cadre politique au corridor gazier Sud, en vue de la diversification des routes et sources d’approvisionnement de l’Union européenne, dans un objectif de sécurité énergétique. C’est dans le cadre de la politique européenne de voisinage que l’Azerbaïdjan est bénéficiaire d’instruments d’assistance. Pour la période 2007-2015, l’Azerbaïdjan a reçu 179 millions d’euros au titre de l’Instrument européen de voisinage, qui est le principal outil de cette politique. Parmi les six pays du partenariat oriental, l’Azerbaïdjan est le plus petit bénéficiaire de cet instrument, compte tenu notamment du niveau de richesse du pays. L’Union européenne est néanmoins le premier bailleur international de l’Azerbaïdjan, en particulier dans le domaine du développement régional et rural, avec comme principal instrument les jumelages administratifs, pour lesquels la France est particulièrement performante, avec sept jumelages en cours depuis 2015 sur les trente et un jumelages européens décidés depuis 2007.

Le troisième cadre est le Partenariat oriental mis en place depuis 2009, qui associe un volet multilatéral de coopération entre les partenaires sous l’égide de l’Union européenne et un volet bilatéral, constitué des relations entre l’Union européenne et chacun des six pays concernés.

L’objectif est le renforcement de la mobilité, et son principal outil de long terme est la libéralisation du régime des visas de court séjour. Il implique de mener à bien un processus long et comprenant un certain nombre d’étapes, dont la première est la négociation et la signature d’accords de facilitation de la délivrance des visas et de réadmission. Avec l’Azerbaïdjan, ces accords, signés en novembre 2013 et février 2014, sont entrés en vigueur le 1er septembre 2014. La deuxième étape est constituée d’un dialogue tendant à la libéralisation des visas. Toutefois, pour l’instant, l’Azerbaïdjan ne souhaite pas entamer cette deuxième phase.

C’est également au titre du Partenariat oriental que les parties ont décidé de négocier un accord d’association. Cette négociation a été interrompue en 2012, Bakou ne semblant alors plus intéressé par l’offre d’association. Ensuite, Bakou a rompu toute coopération et relation avec l’Union européenne à partir de 2014 pour deux raisons principales. D’une part, Bakou n’a pas apprécié les prises de positions et déclarations des différentes institutions de l’Union concernant la situation des droits de l’Homme en Azerbaïdjan. D’autre part, les autorités du pays n’ont pas accepté et compris l’attitude de l’Union européenne face au conflit en Ukraine et l’annexion de la Crimée. En effet, alors que le cas de la Crimée est, pour elles, comparable à celui du Haut-Karabagh, elles considèrent que l’Union européenne, qui a vigoureusement réagi à cette annexion, a fait preuve d’un double standard, d’une politique de « deux poids, deux mesures » avec la Crimée d’une part et le Haut-Karabagh de l’autre.

Depuis lors, ces relations se sont apaisées.

Cela s’est notamment traduit par la démarche des autorités de l’Azerbaïdjan qui ont, lors du sommet du Partenariat oriental qui s’est tenu à Riga les 21 et 22 mai 2015, proposé à Bruxelles un projet d’accord bilatéral avec l’Union européenne sur le « partenariat stratégique ».

Cette initiative et les décisions relatives à la situation des droits de l’Homme prises par l’Azerbaïdjan ont mené à une reprise du dialogue. Ainsi, le 29 février 2016, Mme Federica Mogherini, Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, s’est rendue à Bakou pour relancer la négociation du nouvel accord. Au cours de cette visite, les autorités azerbaïdjanaises ont exprimé le souhait d’avancer vers l’ouverture de négociations et de participer à nouveau aux réunions des instances de l’Union européenne dont elles s’étaient mises en retrait. Enfin, le Conseil européen a adopté, le 14 novembre 2016, un mandat pour un nouvel accord destiné à remplacer l’accord de partenariat et de coopération de 1996 (3). Cet accord sera un accord d’association global : tous les sujets traités dans le précédent accord seront également traités et modernisés dans le futur accord et celui-ci comportera, en outre, obligatoirement un important volet relatif à l’État de droit.

Après avoir signé, en 1996, l’Accord de partenariat et de modernisation avec l’Union européenne et avoir rejoint la « politique de voisinage » de l’Union européenne, l’Azerbaïdjan est sur la voie de la finalisation de sa participation au Partenariat oriental. Il s’emploie fortement à préserver sa souveraineté nationale, son indépendance de décision et sa stabilité, ce qu’il sait ne pouvoir faire qu’en maintenant des relations équilibrées avec l’ensemble de ses grands voisins. Cette diplomatie d’équilibre ne se conçoit que si l’Azerbaïdjan donne toute sa place à l’Occident.

B. UNE ÉCONOMIE DÉPENDANTE DES RESSOURCES ÉNERGÉTIQUES DU PAYS

1. Une forte dépendance vis-à-vis de la production d’hydrocarbures et une vulnérabilité à l’évolution des cours

a. Une part essentielle dans le PIB et les exportations

L’Azerbaïdjan est un pays important pour le secteur du pétrole et du gaz puisqu’il est le berceau de l’industrie pétrolière : c’est là qu’a été découvert en 1848 le premier champ de pétrole au monde, Bibi-Heybat. À la fin du XIXsiècle et au début du XXe siècle, l’Azerbaïdjan a connu un boom pétrolier. Les Nobel et les Rothschild se sont installés à Bakou afin d’exploiter cette ressource. À cette époque, la région assurait la moitié de la production mondiale de pétrole, et c’est à proximité qu’a été exploité le premier gisement en mer.

Actuellement, le pays produit 16 milliards de mètres cubes par an de gaz naturel (pour information, la France consomme 38 à 40 milliards de mètres cubes par an). Après avoir atteint un pic de production à 1 million de barils de pétrole et de condensat par jour en 2010, l’Azerbaïdjan produit aujourd’hui quelque 800 000 barils par jour, la production mondiale étant de l’ordre de 92 millions de barils. La fraction de la production azerbaïdjanaise consommée sur place est très faible et l’essentiel est exporté via l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) qui relie l’Azerbaïdjan à la Méditerranée par le port turc de Ceyhan.

Alors qu’en 2002, 39 % du PIB provenait du pétrole et du gaz naturel, cette proportion est passée à 68 % en 2006. Selon Mme Marie-Claire Aoun, directrice du centre « Énergie » de l’Institut français des relations internationales (IFRI), « les exportations pétrolières représentent 80 % environ des exportations totales du pays. L’Azerbaïdjan est donc très dépendant à l’égard des recettes pétrolières. »

À partir de 2003, le prix du pétrole a beaucoup augmenté. Le cours du Brent est ainsi passé de moins de 30 dollars le baril à 96 dollars en janvier 2008 puis à 144 dollars en juillet 2008, avant de chuter lors de la crise financière. À partir de 2009, les pays producteurs ayant réduit leur production pour maintenir le niveau de leurs revenus, le baril est progressivement remonté à 80 dollars.

L’Azerbaïdjan a alors connu des taux de croissance élevés dans les années 2000 sous l’effet de l’augmentation des prix du pétrole : 26,4 % en 2005, 34,6 % en 2006, 25,3 % en 2007, 10 % en 2008 selon la Banque mondiale. Le PIB est passé, selon la Banque mondiale, de 8 milliards de dollars (constants) en 2004 à 75 milliards de dollars en 2014. Cela a permis de faire chuter le taux de pauvreté de 49 % en 2008 à 5 % en 2016. Quant au taux de chômage, il se situe autour de 5 %. Le pays a alors rejoint, selon Mme Sandrine Gaudin, chef du service des affaires bilatérales et de l’internationalisation des entreprises de la direction générale du Trésor, la catégorie des pays émergents.

L’Azerbaïdjan a dès 1999 créé un fonds souverain, le SOFAZ (State Oil Fund Of Azerbaïdjan), qui est un fonds de stabilisation et d’épargne. Il reçoit les revenus de l’exploitation des hydrocarbures et fait fructifier ces recettes afin de pouvoir financer des projets sociaux et des infrastructures nationales. Il a récemment annoncé que ses revenus pour 2016 devraient avoisiner les 5,8 milliards de dollars, soit environ deux fois plus que ce qui était prévu, en raison d’une sous-estimation du prix du baril de pétrole en 2016.

Toutefois, les ressources de l’Azerbaïdjan doivent être relativisées au regard de celles des grands acteurs que sont les États-Unis, le Qatar ou encore l’Arabie Saoudite. Comme l’a rappelé à la mission Mme Sandrine Gaudin, son rang est modeste avec « 1,1 % de la production mondiale de pétrole et 0,5 % de la production mondiale de gaz ». Par comparaison, selon les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie, l’Arabie saoudite assure 13,3 % de la production mondiale de pétrole et le dixième producteur, le Venezuela, 3,7 %. Pour le gaz naturel, la production est dominée par les États-Unis (21,4 % du total mondial) et la Russie (17,8 %). Le Qatar représente 4,6 % de ce total.

b. Les effets très négatifs de la chute récente des prix des hydrocarbures

L’Azerbaïdjan a subi, à compter de l’été 2014, la baisse des cours, fixés à 50 dollars début 2015, et passés sous la barre des 30 dollars le baril en janvier 2016, soit leur plus bas niveau depuis 2003. Ils sont ensuite remontés à partir de février 2016 et comme Mme Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l’économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international, l’a précisé à la mission d’information, ils devraient se stabiliser : « l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), réunie à Vienne, […semblait être] parvenue à trouver un accord qui consisterait à diminuer la production d’environ 1,3 million de barils par jour, ce qui provoquerait sans doute un frémissement du prix du baril, mais confirmerait la tendance suivante : l’ère du baril à plus de 100 dollars est révolue, le prix étant durablement établi autour de 50 dollars ». Au moment de la rédaction du présent rapport, ce pronostic était vérifié.

L’Azerbaïdjan se trouve donc dans une situation difficile depuis la fin 2014. Selon la Banque mondiale, son taux de croissance, qui était de 10 % en 2008, est passé à 5,8 % en 2013 puis à 1,1 % en 2015. Pour 2016, le pays aurait été en récession, de l’ordre de -3 %. Certes, comme l’a indiqué lors de son audition M. Matthias Fekl, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, on prévoit une certaine reprise pour cette année, mais celle-ci reste modeste au regard des croissances passées : « la Banque mondiale et le FMI prévoient respectivement 1,2 % et 1,4 % de croissance en 2017. »

Cette conjoncture s’est accompagnée de deux dévaluations en 2015 (l’une de 25 % le 21 février et l’autre de 32 % le 21 décembre). Elles ont fait perdre à la monnaie azérie (le manat) une grande partie de sa valeur. Corrélativement, le niveau de l’inflation s’est élevé. Il devrait être de 10 % pour 2016.

Le budget de l’État pour 2016, qui avait été établi sur la base d’un baril à 60 dollars, a dû être recalculé en cours d’exercice sur la base d’un baril à 25 dollars. Les recettes que l’Azerbaïdjan tirait de l’exportation de ressources énergétiques ont donc diminué, passant de 35,9 milliards de dollars en 2013, à 32,6 milliards de dollars en 2014 et à 19,2 milliards de dollars en 2015.

Une partie des ressources du SOFAZ – fonds chargé de recevoir et de faire fructifier les recettes des hydrocarbures – a été utilisée pour soutenir le budget de l’État. M. Matthias Fekl a tenu à préciser « qu’avec un fonds pétrolier souverain, SOFAZ (State Oil Fund of the Republic of Azerbaijan), qui totalise 35 milliards de dollars d’actifs – l’équivalent des deux tiers du PIB azerbaïdjanais – et un taux d’endettement externe limité à 20 % du PIB, les bases économiques du pays restent solides. »

Le gouvernement a dû prendre des mesures de réduction des dépenses publiques pour s’adapter à la baisse de ses revenus. Cependant, certains budgets ont été épargnés voire augmentés. Le budget consacré à la défense et à l’armement a ainsi bénéficié d’une hausse de 25 % tout comme celui des dépenses sociales et de santé, qui a augmenté de 32 %, et celui de l’éducation, qui a augmenté de 4 %.

Pour 2017, le gouvernement a annoncé une forte réduction de ses dépenses après une hausse en 2016 qui n’a pas eu l’effet escompté pour soutenir la croissance. Les investissements en capital devraient être revus à la baisse et les hausses de salaires et dépenses sociales réalisées en 2016 ne seront pas reconduites.

Il prévoit également une baisse pour la quatrième année consécutive des transferts provenant du fonds souverain SOFAZ, réduisant ainsi les recettes du budget. Les recettes fiscales devraient rester peu élevées en raison du manque de dynamisme de la croissance. Celles provenant du secteur des hydrocarbures devraient en revanche légèrement augmenter du fait de la hausse des cours.

2. Des ressources énergétiques exploitées par la compagnie nationale SOCAR en association avec des entreprises étrangères

Opérateur incontournable, la SOCAR (State Oil Company Of Azerbaijan Republic), la Compagnie pétrolière d’État de la République d’Azerbaïdjan, est, selon son site Internet, impliquée dans l’exploration du pétrole et des gisements de gaz naturel, la production, le traitement et transport du pétrole, du gaz naturel et des condensats, le marketing des produits du pétrole et pétrochimiques sur le marché national et international et la fourniture de gaz naturel à l’industrie et aux citoyens d’Azerbaïdjan.

Il faut rappeler qu’en matière d’exploitation de gaz naturel, Mme Marie-Claire Aoun a indiqué à la mission d’information que « le gaz azerbaïdjanais provient de trois sources principales : quelques gisements domestiques, qui sont tous en déclin ; le gisement offshore Azeri-Chirag-Guneshli, de gaz associé au pétrole, exploité par SOCAR pour le compte d’un consortium d’une dizaine de compagnies internationales piloté par BP ; le gisement offshore géant de Shah Deniz, découvert en 1999, qui produit aujourd’hui environ 10 milliards de mètres cubes par an, et grâce auquel l’Azerbaïdjan est devenu un exportateur net de gaz en 2007. ». Pour sa part, le pétrole est exploité essentiellement à Azeri-Chirag-Guneshli (ACG). La production pétrolière ayant atteint son pic en 2010, le gaz naturel prend une place de plus en plus importante.

Les gisements énergétiques sont, le plus souvent, exploités par des consortiums regroupant plusieurs entreprises, souvent de nationalités différentes, dont des sociétés françaises. Ils utilisent souvent le mécanisme du « partage de production » (Production Sharing Agreement – PSA). Comme l’a expliqué M. Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l’exploration et de la production de Total : « Un PSA consiste à rembourser les coûts de production assumés par la joint-venture grâce au produit de la vente, puis à partager les bénéfices supplémentaires entre les partenaires du projet et l’État. »

BP se trouve depuis la fin de l’Union soviétique en position dominante, en Azerbaïdjan. C’est ce qui a été confirmé par M. Michael Borrell, de Total. BP en effet, « a signé en 1994 un contrat considérable de développement pétrolier du champ Azeri-Chirag-Gunashli (ACG) – que les Azerbaïdjanais ont baptisé « le contrat du siècle ». La production a démarré en 1997 et elle est pour l’essentiel exportée via l’oléoduc [BTC], qui est à l’origine de l’enrichissement récent du pays et du développement de l’activité de BP. Il y a deux ans, BP employait quelque 800 expatriés en Azerbaïdjan ; à titre de comparaison, nous y employons 27 personnes dont quatre ou cinq expatriés. C’est dire la dimension de BP qui, dans ce pays, n’est pas pour nous un partenaire, mais un véritable concurrent. BP a entrepris d’exploiter un deuxième champ, celui de Shah Deniz – un gisement gazier en mer auquel nous avons participé à hauteur de 10 % lors de la première phase de développement. La production a démarré en 2006 et a atteint un plateau de 9 milliards de mètres cubes par an, soit l’équivalent de la consommation du pays, même si l’essentiel de ce gaz est exporté vers la Géorgie et la Turquie. [..] ».

En outre, la compagnie consolide ses positions : « En 2013, BP a proposé une deuxième phase de développement à ses partenaires, qui l’ont approuvée, pour doubler le volume de production ; la moitié de ces 18 milliards de mètres cubes est destinée à la Turquie, l’autre à l’Europe – c’est là l’origine des trois oléoducs du fameux corridor Sud ».

Les gisements sont situés dans la Caspienne comme l’indique la carte suivante.

LOCALISATION DES GISEMENTS D’HYDROCARBURES DANS LA CASPIENNE

Source : carte publiée dans The Outlook of Azerbaijani Gas : Supplies to Europe – The Oxford Institute For Energy Studies – juin 2015.

Comme on le verra ci-après, les entreprises françaises Total et Engie sont présentes, mais selon les termes de Mme Marie-Claire Aoun, elles le sont « peu ». La France est néanmoins le troisième acheteur de gaz azerbaïdjanais.

Parmi les autres sociétés étrangères exploitant ou ayant exploité le sous-sol de l’Azerbaïdjan, figurent les compagnies américaines ExxonMobil et Chevron, les iraniennes Naftiran Intertrade Company (NICO) et Oil Industries Engineering and Construction (OIEC), la Türkiye Petrolleri Anonim Ortakligi (TPAO) turque ou encore la Statoil, la compagnie norvégienne, ainsi que l’entreprise malaise Petronas, la compagnie russe Lukoil et l’opérateur italien ENI (Agip).

À titre documentaire, puisqu’il n’est plus actuel, le graphique suivant montre comment en novembre 2014 se répartissaient les intérêts des grands opérateurs internationaux pour le PSA de Shah Deniz.

RÉPARTITION DES INTÉRÊTS POUR SHAH DENIZ EN NOVEMBRE 2014

Source: BP

(The PSA was signed in 1996 and changed in December 2013 and November 2014.)

Source : graphique publié dans The Outlook of Azerbaijani Gas : Supplies to Europe – The Oxford Institute For Energy Studies – juin 2015.

De même, pour l’exportation de ses ressources par l’oléoduc BTC et par gazoduc, il a été fait appel aux participations étrangères.

L’enjeu n’était pas uniquement commercial, mais aussi géopolitique. Comme l’a rappelé Mme Marie-Claire Aoun, pour exporter le gaz naturel de Shah Deniz vers l’Europe, « l’Azerbaïdjan a retenu, en 2011, les projets de gazoducs Trans-Anatolian Pipeline (TANAP), qui traverse le territoire turc d’Est en Ouest, et Trans-Adriatic Pipeline (TAP), qui relie la Turquie au Sud de l’Italie via la Grèce et l’Albanie. Ces projets étaient en concurrence avec le projet Nabucco, soutenu par la Commission européenne. Nabucco était un gazoduc très coûteux, qui devait transporter des volumes de gaz très importants et traverser un grand nombre de pays, notamment la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie et l’Autriche. Le Corridor Sud, composé successivement du South Caucasus Pipeline (SCP) – qui relie l’Azerbaïdjan à la Turquie –, du TANAP et du TAP, traversera moins de pays et transportera des volumes plus réduits. »

3. Une diversification nécessaire

a. Un impératif en raison des limites inhérentes au secteur des hydrocarbures

Pour l’Azerbaïdjan, la diversification est un impératif qui repose à la fois sur des facteurs structurels et sur des éléments conjoncturels. Les premiers sont au nombre de quatre : les ressources de l’Azerbaïdjan en hydrocarbures, pour importantes qu’elles soient, restent limitées ; le marché est actuellement très concurrentiel ; les perspectives un moment envisagées de transit de gaz venant d’Asie centrale et du Moyen-Orient ne devraient pas se concrétiser ; l’importance de la demande en gaz naturel sur le marché intérieur azerbaïdjanais réduit les capacités d’exportation.

Les limites des ressources naturelles de l’Azerbaïdjan ont été mentionnées par plusieurs des personnes auditionnées. Il s’agit non seulement du rang du pays dans la production mondiale de gaz et de pétrole, qui a déjà été évoqué, mais aussi des réserves. L’Azerbaïdjan est ainsi au 20e rang mondial pour les réserves en pétrole et au 25e rang pour le gaz naturel, selon les éléments communiqués par Mme Sandrine Gaudin.

Mme Marie-Claire Aoun a précisé ces données, rappelant que les réserves prouvées de gaz naturel de l’Azerbaïdjan « s’élèvent à plus de 1 000 milliards de mètres cubes, ce qui n’est évidemment pas comparable aux réserves de la Russie, de l’Iran ou du Qatar – 24 000 milliards de mètres cubes pour ce dernier pays ».

Par ailleurs, et de manière liée, les perspectives de production dans les années futures ont été revues à la baisse. Comme l’a indiqué Mme Aoun : « Dans une étude qu’il a publiée cet été, l’Oxford Institute for Energy Studies estime que l’Azerbaïdjan produira environ 30 milliards de mètres cubes de gaz en 2020. Cette estimation semble assez réaliste : si l’on ajoute à la production actuelle de 18 milliards de mètres cubes les 16 milliards supplémentaires qui seront extraits à Shah Deniz et exportés par le Corridor Sud, en tenant compte par ailleurs du déclin des gisements domestiques, cela fait à peu près 30 milliards de mètres cubes. Pour 2025, alors que l’on annonçait une production de 60 milliards de mètres cubes il y a encore deux ans, on parle désormais plutôt d’un volume maximal de 40 milliards ». Ainsi, « l’Azerbaïdjan fait, en effet, partie des pays dont le développement a été vigoureusement soutenu en son temps par ce qu’il est convenu d’appeler la « manne pétrolière », mais il se découvre aujourd’hui en situation d’étroite dépendance à l’égard des cours du marché et ne saurait éviter de se poser à terme la question de l’épuisement des ressources naturelles que sont le pétrole et le gaz ».

La deuxième limite structurelle tient aux coûts de production des hydrocarbures. Dans un marché où l’offre est abondante, le gaz azerbaïdjanais fait face à une concurrence extrêmement rude. C’est aussi ce qu’a indiqué Mme Aoun à la mission d’information : « Il y a quelques années, on pensait que l’Azerbaïdjan avait un fort potentiel dans le domaine gazier, mais les chiffres ont été revus à la baisse ces derniers temps, car il s’agit d’un gaz offshore qui est coûteux à produire et, surtout, qu’il faut transporter sur de longues distances. Il n’est donc pas sûr que ce gaz puisse arriver sur les côtes européennes à un prix intéressant par rapport à celui qui est produit par le géant russe, celui-ci ayant une capacité très importante à réduire les prix. »

Ainsi « l’Oxford Institute for Energy Studies estime que, compte tenu de ses coûts de production et de transport, le gaz azerbaïdjanais pourrait être livré sur les côtes italiennes au prix de 7 dollars par million de British thermal units (BTU) environ. Or, actuellement, le cours du gaz est de 3,5 à 4 dollars, ce qui est à peu près le prix auquel le gaz russe est livré à la frontière allemande dans le cadre des contrats de long terme avec Gazprom. La Russie s’aligne sur les prix du marché. La Russie souhaitant conserver ses parts de marché face à l’arrivée en Europe du GNL américain […] le gaz azerbaïdjanais n’est pas tellement intéressant du point de vue européen, car il est […] assez coûteux à produire et à transporter. En revanche, il peut être compétitif par rapport au gaz russe sur le marché turc. »

La troisième limite tient à ce que les perspectives actuelles de développement du Corridor Sud sont inférieures à ce qui avait été envisagé il y a quelques années. En effet, il faudrait que l’Azerbaïdjan puisse faire transiter par son territoire du gaz venant soit d’Iran, ou d’Irak, soit d’Asie centrale par la Caspienne ou par l’Iran, et les conditions n’en sont pas réunies. En outre, le renforcement des capacités actuelles des tuyaux exigerait des investissements que l’état actuel de la demande européenne ne permet pas d’envisager.

Comme l’a indiqué Mme Aoun, « du point de vue de l’Azerbaïdjan, notamment dans la perspective d’un éventuel développement plus poussé du Corridor Sud, il faut avoir en tête que le contexte sur le marché gazier européen n’est pas très favorable à long terme : en 2035, la consommation de gaz au sein de l’Union européenne devrait être au même niveau qu’en 2013, selon le scénario « Nouvelles politiques » de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Selon les différents scénarios de la Commission européenne, cette consommation, au mieux, augmentera légèrement, mais, plus probablement, stagnera, voire déclinera. […]. D’où une visibilité très faible pour ceux qui souhaiteraient s’engager dans des investissements lourds dans les infrastructures. Cela constitue une limite supplémentaire pour le développement du Corridor Sud. Rappelons que le projet initial était d’acheminer du gaz non seulement d’Azerbaïdjan, mais aussi du Turkménistan, de l’Iran et de l’Irak. Compte tenu du contexte actuel, de nombreuses incertitudes pèsent sur l’extension de ce projet. De l’avis de la plupart des experts, le Corridor Sud transportera uniquement ce qui est prévu aujourd’hui : 6 milliards de mètres cubes vers la Turquie et 10 milliards vers l’Europe. » En faisant le choix du Corridor Sud, l’Azerbaïdjan a écarté le projet européen Nabucco, lequel traversait davantage de pays mais pouvait transporter des volumes plus grands.

Cependant, l’Azerbaïdjan reste stratégique pour les opérateurs de l’énergie. Comme l’a indiqué M. Arnaud Erbin, directeur international d’Engie : « le corridor Sud […] permet une diversification non seulement des sources mais également des routes d’approvisionnement – en l’occurrence via les gazoducs transanatolien (TANAP) et transadriatique (TAP) –, ce que toute entreprise telle qu’Engie, attachée à la fois à une saine concurrence et à la sécurité d’approvisionnement dans la durée, voit d’un œil extrêmement favorable. ». Il a ajouté que « c’est cette nouvelle route qui explique que nous nous intéressions à l’Azerbaïdjan. Elle peut comporter des confluences : pour Engie – comme, j’imagine, pour Total –, le fait d’être présent en Azerbaïdjan permet de se trouver autour de la table lorsque les ressources de la mer Caspienne en général sont en jeu. Si nous sommes en Azerbaïdjan, les Iraniens et les Turkmènes le savent, des accords de swap (d’échange) peuvent être passés, etc. »

Enfin, le quatrième élément structurel tient au niveau de la demande intérieure en gaz naturel qui limite les capacités d’exportation. Ainsi que l’a indiqué Mme Aoun : « L’Azerbaïdjan a une consommation domestique de gaz importante : 10 milliards de mètres cubes par an. Son mix énergétique est composé à 60 % de gaz, à 35 % de pétrole et, pour le reste, d’énergies renouvelables, notamment d’hydroélectricité et d’énergie issue de la biomasse. Il présente à cet égard le même profil que de nombreux autres pays pétroliers, notamment du Moyen-Orient : ces pays préfèrent exporter le pétrole, car la rente pétrolière est très élevée, et garder le gaz pour leur consommation domestique, celui-ci étant beaucoup plus coûteux à produire et, surtout, à transporter. L’Azerbaïdjan produit actuellement 18 milliards de mètres cubes de gaz par an. Il en consomme 10 milliards, je l’ai dit, et en exporte 6,6 milliards vers la Turquie, 1 à 2 milliards vers la Géorgie et un volume très faible vers le Sud de la Russie. »

Les éléments conjoncturels militant en faveur de la diversification, ont déjà été évoqués : il s’agit de la baisse des cours du pétrole, par rapport aux prévisions qui entraîne une diminution importante des recettes au budget du pays alors qu’il est engagé dans une politique d’infrastructures coûteuse. Comme l’a rappelé Mme Aurélia Bouchez, Ambassadeur de France en Azerbaïdjan : « L’Azerbaïdjan doit de plus faire face à la crise économique la plus sérieuse connue après les débuts de son indépendance – crise qui provoque changements et réformes – tout en finançant l’essentiel des dépenses liées au corridor gazier Sud. Il finance en effet quelque 60 % du coût du segment trans-anatolien du gazoduc, le TANAP, et presque un quart du segment trans-adriatique, le TAP. ». Ce constat d’ensemble est partagé par le FMI qui vient d’estimer qu’« il est urgent que l’Azerbaïdjan engage des réformes pour diversifier son économie et créer de nouvelles sources de revenus, à plus forte raison dans le contexte actuel de faibles prix du pétrole ».

b. Des initiatives à poursuivre

Le Gouvernement azerbaïdjanais a déjà engagé la diversification de son économie. C’est ce qu’a indiqué à la mission d’information S. E. M. Elchin Amirbayov, Ambassadeur d’Azerbaïdjan en France : « Depuis plusieurs années, l’Azerbaïdjan développe en particulier ses infrastructures et a choisi d’investir dans les transports et les technologies de la communication et de l’information. Nous sommes ainsi le seul pays de la région à avoir lancé en 2013, en coopération avec la France, notre propre satellite de télécommunications, dans la perspective de devenir un hub de communication régionale. Nous développons également un programme spatial, toujours en collaboration avec, pour partenaire principal, la France, dont le savoir-faire et l’expertise sont particulièrement reconnus ». Celui-ci a ajouté que : « C’est dans cette perspective que nous entretenons d’étroites relations de coopération avec de nombreuses sociétés françaises, Alstom, Bouygues, Thales ou Veolia notamment, mais également avec toutes celles qui participent et contribuent aujourd’hui à cet effort de diversification. »

S. E. M. Amirbayov a aussi précisé que la crise actuelle a conduit à intensifier les actions : « Le Gouvernement a accéléré les réformes visant à diversifier l’économie, afin de réduire notre dépendance par rapport aux revenus pétroliers et gaziers. Nous avons ainsi enregistré en 2015 une croissance de 8,4 % dans le secteur non énergétique. ». Concrètement, « une partie des revenus issus des hydrocarbures ont notamment été investis dans l’agriculture, le tourisme ou les technologies informatiques ».

Cette volonté est affirmée au plus haut niveau de l’État, comme l’a signalé Mme Aurélia Bouchez : « Dans l’allocution qu’il a prononcée en janvier dernier au sommet de Davos, le président Aliev a affirmé que la crise que connaît l’Azerbaïdjan offre une chance de faire les réformes nécessairement douloureuses dont l’abondance de l’argent du pétrole avait, par facilité, dispensé le pays jusqu’alors. Ce sera, a dit le président, l’occasion de renforcer la transparence, de lutter contre la corruption et les monopoles, de favoriser la concurrence et de diversifier l’économie – car la crise illustre les méfaits de la dépendance au pétrole ». Mme Bouchez a également fait part à la mission d’information de ses entretiens fréquents avec la présidence de l’Azerbaïdjan sur ce sujet. Celle-ci est le moteur, selon elle, des réformes. Afin d’appuyer ces démarches et favoriser l’insertion d’entreprises françaises dans ce processus, « les conseillers du commerce extérieur sont en relation avec les chambres de commerce et les entreprises [françaises], et nous avons de nombreux échanges avec des autorités azerbaïdjanaises ainsi qu’avec l’ASAN [l’Agence d’État pour le service public et l’innovation sociale]. Ces relations sont très ouvertes car les autorités savent que nous cherchons à les aider et à les encourager. »

Pour autant, le mouvement n’est qu’engagé et ses effets sont restés modestes. Même s’il faut rester prudent, car les statistiques du commerce extérieur de 2016 ne sont pas connues, en 2014, les hydrocarbures ont encore représenté 92,4 % des exportations azerbaïdjanaises, le deuxième secteur étant l’agroalimentaire à raison de 3 %. Or, l’agriculture est un des secteurs de diversification annoncés par les autorités d’Azerbaïdjan.

Cependant, comme en a témoigné Mme Marie-Ange Debon, directrice générale adjointe du groupe Suez chargée de l’International, présidente du conseil de chefs d’entreprise France-Azerbaïdjan de MEDEF International, il y a, au niveau des milieux économiques et des entreprises également, une volonté de diversification : « Le pays ayant un programme de diversification et voulant attirer les investissements étrangers, notamment dans le tourisme, certaines entreprises commencent à manifester leur intérêt ».

II. LA FRANCE ENTRETIENT AVEC L’AZERBAÏDJAN DES RELATIONS ÉCONOMIQUES, CULTURELLES ET POLITIQUES ÉTROITES

A. UN PARTENAIRE ÉCONOMIQUE IMPORTANT POUR LA FRANCE

1. Si les hydrocarbures constituent l’essentiel des exportations de l’Azerbaïdjan vers la France, l’activité des entreprises françaises en Azerbaïdjan est déjà diversifiée

a. L’importance des importations françaises d’hydrocarbures explique une balance commerciale bilatérale très déficitaire

i. Une balance commerciale fortement dépendante des hydrocarbures

L’Azerbaïdjan est le principal partenaire commercial de la France dans la région du Caucase. Toutefois, les échanges entre les deux pays portent sur des montants limités. En 2015, ils se sont ainsi élevés à seulement 1,3 milliard d’euros, en baisse par rapport aux années précédentes, comme le montre le graphique suivant :

ÉVOLUTION DES ÉCHANGES COMMERCIAUX ENTRE LA FRANCE ET L’AZERBAÏDJAN

(en millions d’euros)

Au-delà de ce chiffre « brut », les relations commerciales entre la France et l’Azerbaïdjan présentent trois caractéristiques que l’on rencontre toujours s’agissant des pays disposant d’importantes ressources énergétiques.

La première, c’est la prédominance des hydrocarbures dans les échanges bilatéraux. Comme l’a souligné Mme Sandrine Gaudin, chef du service des affaires bilatérales et de l’internationalisation des entreprises à la direction générale du Trésor, « 86 % de nos échanges avec l’Azerbaïdjan consistent en importations d’hydrocarbures », soit 1,12 milliard d’euros.

En effet – c’est la deuxième caractéristique – si les exportations azerbaïdjanaises vers la France sont pour la quasi-totalité d’entre elles composées d’hydrocarbures, les exportations françaises vers l’Azerbaïdjan sont assez diversifiées. Mme Sandrine Gaudin a ainsi cité « le matériel roulant – matériel ferroviaire et véhicules automobiles – ainsi que des produits chimiques, des cosmétiques, des machines industrielles et des machines agricoles ». S. E. M. Elchin Amirbayov, Ambassadeur d’Azerbaïdjan en France, a quant à lui mentionné « les autobus et autres véhicules, les produits pharmaceutiques, les machines, les composants électriques, les boissons alcoolisées ou encore les métaux ferreux et leurs dérivés ». Cependant, pour diversifiées qu’elles soient, ces exportations françaises ne représentent qu’un très faible montant : 175 millions d’euros en 2015.

Par conséquent, la troisième caractéristique, déjà visible sur le graphique supra, est un très fort déficit au détriment de la France. Cependant, compte tenu de l’importance des hydrocarbures dans les échanges bilatéraux, ce déficit est corrélé à l’évolution des prix des hydrocarbures, lesquels sont beaucoup moins élevés qu’il y a plusieurs années, réduisant d’autant le montant des exportations azerbaïdjanaises. À l’inverse, il convient de souligner que, même si les exportations françaises vers l’Azerbaïdjan baissent depuis deux ans, elles restent, en 2015, presque deux fois supérieures à ce qu’elles étaient dix ans auparavant (95 millions d’euros en 2015).

ii. La présence des entreprises Total et Engie en Azerbaïdjan : le fort impact de la baisse du prix des hydrocarbures

En contrepartie du fort déficit commercial de la France avec l’Azerbaïdjan, la richesse de ce pays en pétrole et en gaz est également une opportunité que les grandes entreprises françaises du secteur énergétique ont su saisir. Comme l’a souligné Mme Aurélia Bouchez, Ambassadeur de France en Azerbaïdjan, « les entreprises françaises sont présentes en Azerbaïdjan dans le secteur de l’énergie et elles le resteront. Engie sera l’un des principaux acheteurs du gaz extrait à Shah Deniz 2 – c’est une contribution importante à la viabilité du corridor gazier Sud – et Total devrait assurer la production de gaz du très important champ offshore d’Apchéron ». Mme Sandrine Gaudin a quant à elle précisé que, d’une manière générale, si « la France est le cinquième investisseur en Azerbaïdjan, ses investissements sont consacrés à 75 % au secteur de l’énergie ».

La mission d’information a donc auditionné les représentants de ces deux entreprises qui l’ont éclairée sur leurs activités en Azerbaïdjan, leurs contraintes et leurs perspectives : pour Engie, M. Arnaud Erbin, directeur international, accompagné de M. Philippe Hochart, directeur de projet à la direction internationale, et de Mme Valérie Alain, directrice des relations institutionnelles, et, pour Total, M. Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l’exploration et de la production.

Engie, pour commencer, a pris en 2009 une participation de 20 % dans un contrat d’exploration, de développement et de partage de production pour le bloc offshore d’Apchéron, situé dans la partie azerbaïdjanaise de la mer Caspienne, dont les deux autres partenaires sont Total et la société nationale SOCAR, qui détiennent une participation de 40 % chacun. Toutefois, comme l’a expliqué M. Arnaud Erbin, Engie a annoncé que « cette activité a vocation à sortir à plus ou moins brève échéance du périmètre d’intervention du groupe ». Par conséquent, la seule activité d’Engie en Azerbaïdjan sera le contrat signé en 2013 avec le consortium azéri Shah Deniz. Il s’agit d’un contrat à long terme pour la fourniture de gaz naturel issu du champ géant de Shah Deniz, portant sur des volumes annuels de 2,5 milliards de mètres cubes. Comme l’a expliqué M. Arnaud Erbin, « le gaz de Shah Deniz représentera 16 milliards de mètres cubes par an lorsque son plateau de production aura été atteint, dont 6 destinés à la Turquie et 10 à l’Europe de l’Ouest. Avec 2,5 milliards, soit un quart du total destiné à l’Europe occidentale, nous sommes le premier acheteur de cette région ».

L’activité d’Engie en Azerbaïdjan se limitant à acheter du gaz naturel, il n’est guère étonnant, comme l’a rappelé M. Arnaud Erbin, qu’« Engie n’est d’ailleurs plus présent physiquement en Azerbaïdjan, les contrats d’achat de gaz ne le nécessitant pas : nous avons fermé l’an dernier le bureau que nous avions ouvert en 2009 en prenant une participation dans Apchéron ». Engie ne dispose donc pas d’employés dans le pays.

Le choix d’Engie d’acheter du gaz issu de Shah Deniz, transporté jusqu’en Turquie en vue de le commercialiser en Europe, obéit à une stratégie de diversification de ses sources d’approvisionnement. En effet, comme l’a expliqué M. Arnaud Erbin, « Engie estime que la place du gaz dans le bouquet énergétique européen est amenée à croître, ou, en tout cas, à rester significative. Or, si l’on regarde une carte des réserves gazières situées à proximité de l’Europe, se détachent deux grandes sources qui sont d’ailleurs les plus compétitives en termes de prix : d’une part, la Russie, et, d’autre part, une zone qui s’étend autour de la Caspienne et qui comprend l’Azerbaïdjan, le Turkménistan et l’Iran, qui, jusque très récemment, était fermé ». Dans ces conditions, « diversifier ainsi nos fournisseurs, est une manière de garantir la sécurité de notre approvisionnement et de favoriser une saine concurrence entre ces fournisseurs. À cet égard, l’arrivée d’un nouveau venu comme l’Azerbaïdjan est essentielle ». Toutefois, il ne faut pas exagérer l’importance du gaz azerbaïdjanais pour Engie : «  Notre portefeuille d’approvisionnement à long terme, c’est-à-dire sur 20 à 25 ans, est composé à 26 % d’achat de gaz en provenance de Norvège, à 20 % de Russie, à 15 % d’Algérie et à 11 % des Pays-Bas, pour ne mentionner que nos fournisseurs les plus importants ». Par conséquent, le gaz de Shah Deniz ne représentera guère que 5 % du total des achats de gaz naturel d’Engie.

C’est pourquoi il faut également chercher ailleurs l’intérêt d’Engie pour l’Azerbaïdjan et cet intérêt se trouve dans la position géostratégique de ce pays. Comme l’a expliqué M. Arnaud Erbin, « le fait d’être présent en Azerbaïdjan permet de se trouver autour de la table lorsque les ressources de la mer Caspienne en général sont en jeu. Si nous sommes en Azerbaïdjan, les Iraniens et les Turkmènes le savent, des accords de swap peuvent être passés ». En outre, dès lors que le gaz d’Azerbaïdjan passe par les gazoducs TANAP et TAP, situés en Turquie, « notre présence en Azerbaïdjan nous fournit donc un sujet de conversation intéressant et encourageant avec les Turcs. Par ailleurs, l’Italie, où débouche le gazoduc TANAP-TAP, est aussi un marché important pour Engie. Nous y sommes présents et nous y avons des clients. Enfin, le tracé du corridor gazier Sud témoigne des liens entre la Turquie et l’Iran et du fait que cette route sud peut voir confluer différentes ressources à terme ».

Si les activités d’Engie en Azerbaïdjan sont relativement limitées, quoique stratégiquement importantes, celles de Total sont à la fois plus diversifiées et plus significatives. Toutefois, comme l’a expliqué M. Michael Borrell, « les activités de Total en Azerbaïdjan concernent pour l’essentiel l’exploration et la production. Nous exerçons certes une activité de trading qui consiste à acheter du brut à SOCAR, la société pétrolière d’État, pour le distribuer dans nos raffineries et le vendre ailleurs dans le monde, et une modeste activité de vente de produits lubrifiants, de l’ordre de 1 400 tonnes par an. Cependant, ces activités sont marginales par rapport à l’exploration et la production ».

L’exploration-production constitue donc le cœur de l’activité de Total en Azerbaïdjan mais celle-ci a récemment connu une réduction de voilure avec la vente des 10 % que le groupe détenait dans le champ de Shah Deniz. En effet, si Total avait fait le choix de participer à la première phase de développement du champ, il a décliné en 2013 la proposition de BP de lancer une deuxième phase de développement, laquelle impliquait un investissement de 30 milliards de dollars, sans compter l’augmentation des capacités des oléoducs SCP, TANAP et TAP, soit 5, 10 et 5 milliards de dollars respectivement. Comme l’a expliqué M. Michael Borrell, Total a considéré que ce nouveau projet ne satisfaisait pas à ses critères de rentabilité, si bien qu’ayant vendu sa participation dans Shah Deniz, il n’est aujourd’hui plus producteur de gaz en Azerbaïdjan, le champ d’Apchéron n’étant pas encore entré en production : « Les autres acteurs qui y participent ont adopté des critères de rentabilité différents ; la société norvégienne Statoil, en revanche, a appliqué les mêmes critères que Total et a également vendu ses parts, en l’occurrence à SOCAR et à TPAO. Si BP poursuit le développement de ce projet, c’est parce que ses intérêts dans le gisement ACG – et donc dans le pays tout entier – sont beaucoup plus importants que les nôtres, ce qui explique qu’elle accepte d’autres critères de rentabilité compte tenu de son portefeuille d’activités en Azerbaïdjan. De nombreuses considérations ont joué un rôle, mais l’économie du projet et son niveau de risque ont été les éléments décisifs ».

Sur ce point de l’importance de BP en Azerbaïdjan, M. Michael Borell a expliqué que celle-ci « exerce depuis la chute de l’Union soviétique un quasi-monopole en Azerbaïdjan. Elle a signé en 1994 un contrat considérable de développement pétrolier du champ Azeri-Chirag-Gunashli (ACG) – que les Azerbaïdjanais ont baptisé « le contrat du siècle ». Il y a deux ans, BP employait quelque 800 expatriés en Azerbaïdjan ; à titre de comparaison, nous y employons 27 personnes dont quatre ou cinq expatriés ».

Toutefois, BP est absent de la principale activité de Total en Azerbaïdjan qui est l’exploitation du champ gazier d’Apchéron, qu’elle détient à hauteur de 40 % et dont on rappelle que les deux autres partenaires sont SOCAR (40 %) et Engie (20 %). M. Michael Borrell a expliqué à la mission d’information le cadre juridique de cette activité, qui est « celle de l’accord de partage de la production ou production sharing agreement (PSA). Un PSA est un contrat passé entre la co-entreprise (joint venture) – en l’occurrence Total, Engie et SOCAR – et l’État […] Un PSA consiste à rembourser les coûts de production assumés par la joint venture grâce au produit de la vente, puis à partager les bénéfices supplémentaires entre les partenaires du projet et l’État – d’où la notion de partage de la production. Il comporte notamment des clauses spécifiques concernant l’arbitrage international, qui est destiné à protéger les deux parties en cas de changement de régime ou de gouvernement par exemple ».

Il a ajouté : « lorsque nous avons obtenu le permis d’Apchéron et conclu le nouveau PSA, notre principal concurrent était BP, qui voyait d’un mauvais œil l’arrivée d’un nouvel opérateur à proximité du gisement ACG, dans une zone qui constitue pour ce groupe une sorte de pré carré – extrêmement rentable, qui plus est ». Cependant, il n’a rien pu faire car « l’État et SOCAR cherchaient précisément un nouveau partenaire ». En outre, Total leur a proposé « un nouveau mode opératoire de développement qui consiste à créer une société d’exploitation commune dans laquelle Total et SOCAR participent à égalité. C’est cette société qui sera l’opérateur du projet, et non pas Total en tant que tel. Le groupe BP, au contraire, agit en tant qu’opérateur direct. La formule que nous proposons permettra à SOCAR de développer ses compétences et son expertise et de les réutiliser ailleurs ».

Apchéron est, pour Total, un projet d’importance puisque, selon M. Michael Borrell, à compter de 2019, « la production devait avoisiner les 5 milliards de mètres cubes par an, c’est-à-dire la moitié de la consommation de l’Azerbaïdjan, pour un investissement d’environ 6 à 7 milliards de dollars ». Si cette production est avant tout destinée à l’exportation, elle pourrait cependant également alimenter le marché local. En effet, de manière contre-intuitive, « l’Azerbaïdjan a besoin de gaz tout de suite pour son propre marché. Il exporte beaucoup de gaz à partir du gisement de Shah Deniz, au point qu’il va devoir importer du gaz russe pour satisfaire ses propres besoins ». C’est pourquoi Total et ses partenaires ont fait le choix de « procéder par étapes en réduisant les coûts et en développant plus vite un projet plus limité et destiné au marché local. Nous avons donc décidé que ce projet ne serait pas isolé et doté de ses propres infrastructures de traitement du gaz à terre, mais que nous raccorderions un puits unique aux installations que SOCAR possède à une trentaine de kilomètres, à Oil Rocks, sur l’un des premiers champs en mer du pays, pour ensuite vendre le gaz dès l’arrivée à terre à SOCAR et récupérer à Ceyhan, en Turquie, le condensat produit dans l’intervalle. Ce projet plus modeste permettra de démarrer la production plus rapidement ». Ce redimensionnement du projet résulte cependant, pour l’essentiel, de la baisse du prix du gaz, laquelle a considérablement modifié l’équilibre du contrat.

Il est évident que la baisse brutale, ces dernières années, du prix des hydrocarbures a eu un impact sur les perspectives de développement d’Engie et de Total en Azerbaïdjan mais d’une manière différente. Certes, Total et ses partenaires ont redimensionné le projet Apchéron mais celui-ci conserve tout son potentiel. Comme l’a expliqué M. Michael Borrell, « le projet que nous avons programmé sur le gisement d’Apchéron n’est qu’une première phase de développement. À terme, nous pourrions tripler voire quadrupler le volume de production déjà programmé, à condition de trouver un modèle économique qui soit satisfaisant pour Total et pour l’Azerbaïdjan ».

En outre, le représentant du groupe Total a indiqué que celui-ci était toujours à la recherche d’opportunités d’investissement « pour pérenniser notre implantation en Azerbaïdjan, et nous sommes d’ores et déjà en discussion au sujet des champs d’Umid et de Babek, deux structures réparties de part et d’autre d’un col sous-marin. La première a déjà été découverte par SOCAR ; la seconde n’est qu’une hypothèse, mais elle laisse présager de bonnes perspectives. D’autres gisements à découvrir nous permettront également de poursuivre notre développement en Azerbaïdjan, d’où notre optimisme tant pour Total que pour ce pays. C’est d’ailleurs le principal message que Patrick Pouyanné, directeur général de Total, a transmis au Président Aliev lorsque nous l’avons rencontré lundi à l’occasion de la signature de notre accord : il faut poursuivre nos
travaux sur le champ d’Apchéron, mais aussi sur d’autres objets, de sorte que Total s’implante durablement comme deuxième opérateur dans le pays aux côtés de BP 
».

En revanche, l’analyse d’Engie est moins optimiste. Pour M. Arnaud Erbin, « on s’attend à ce que, pour une dizaine d’années encore, l’offre excède la demande sur le marché gazier, du fait de la production massive de GNL [gaz naturel liquéfié]. Il faut savoir qu’historiquement, le marché du gaz est assez cyclique. S’ajoutent actuellement des facteurs conjoncturels, la crise, une croissance en berne, et surtout une consommation chinoise très inférieure aux prévisions et à ce sur quoi l’on misait ». Dans ces conditions, « aujourd’hui, il n’est pas dans nos intentions de développer massivement nos contrats d’approvisionnement en gaz, car il est facile de trouver du gaz spot à des prix intéressants. Pour en revenir à la chute des cours, nous l’avons vécue en direct dans le cadre de notre projet Apchéron. Alors que nous en sommes à la phase de définition de ce que l’on appelle le projet de développement, nous avons dû redimensionner le projet pour tenir compte des moindres revenus à attendre du pétrole, étant donné les prix actuels ».

En conclusion, si Total et Engie sont bien présents en Azerbaïdjan, ils sont loin d’être en position dominante, notamment en raison de la présence historiquement forte de leur concurrent BP. Certes ils ont su se développer, s’appuyant sur des offres compétitives et innovantes comme sur la volonté du gouvernement de Bakou de diversifier ses partenaires, et leurs représentants ont insisté sur le potentiel du pays. Il n’en reste pas moins que les perspectives sont moins favorables qu’il y a quelques années en raison de la baisse durable des prix du pétrole et de l’abondance de l’offre de gaz au niveau mondial.

b. Une présence française diversifiée, soutenue par l’État français

i. Les entreprises françaises présentes en Azerbaïdjan font face à un contexte difficile exacerbant la concurrence

Si l’Azerbaïdjan ne constitue pas, loin s’en faut, le marché de prédilection des entreprises françaises exportatrices, Mme Sandrine Gaudin a souligné la présence dans le pays, hors secteur énergétique, d’une quarantaine d’entreprises françaises : « dans le secteur des transports, Alstom et Iveco sont présentes, mais aussi Thalès, qui fournit des équipements de contrôle et d’automatisation de la gestion des trains et du métro de Bakou. Dans le domaine spatial, la présence française est très forte : un satellite d’observation à des fins civiles a été fourni, et un deuxième satellite d’observation plus précis à des fins de défense pourrait l’être même si, à ce stade, la décision d’achat est gelée en raison de restrictions budgétaires. Arianespace a conclu un contrat de lancement des satellites de télécommunications, l’un d’entre eux ayant déjà été lancé en février 2013. La coopération spatiale est donc dense et, à ce stade, uniquement à des fins civiles. Dans le domaine de l’environnement, du traitement des déchets et de l’eau, la France compte également plusieurs entreprises en pointe – Suez, Veolia, Sade [Société auxiliaire de distribution des eaux] – qui ont d’immenses possibilités à saisir en Azerbaïdjan. De même, plusieurs entreprises françaises y sont en position de force dans le secteur de la ville durable et de l’aménagement urbain : Bouygues, Eiffage, Vinci, Egis, Veolia ou encore Keolis proposent des offres compétitives ».

L’audition de M. Philippe Gautier, directeur général de MEDEF International, accompagné de M. Bogdan Gadenne-Feertchak, chargé de mission senior pour les Balkans, la Turquie, le Caucase et l’Asie centrale, a permis d’éclairer la mission d’information sur l’évolution de la présence des entreprises françaises en Azerbaïdjan. M. Philippe Gautier a ainsi distingué, s’agissant de celle-ci, trois phases successives correspondant à trois catégories d’entreprises. Historiquement présentes en Azerbaïdjan, « les sociétés pétrolières ou parapétrolières – présentes avant l’ère soviétique – et les entreprises du secteur de la sécurité et de la défense » ont été rejointes, après l’indépendance et jusqu’aux années 2000, par « les entreprises qui, à partir d’une base assez fortement implantée dans la région, à la fois en Russie et en Turquie, ont commencé à regarder du côté de l’Azerbaïdjan » où les opportunités de développement se sont multipliées avec la hausse du prix des hydrocarbures. Enfin, « depuis quatre ou cinq ans, un troisième groupe d’entreprises, qui ne disposait pas précédemment de bases en Russie ou en Turquie, a commencé à travailler en Azerbaïdjan ».

La mission d’information s’est plus spécifiquement penchée sur les secteurs des transports et de l’environnement, en interrogeant des représentants des entreprises Suez, Thales et Alstom. Elle a également profité de l’expérience de l’entreprise agro-alimentaire Lactalis.

Comme l’a déclaré M. Stéphane Heddesheimer, directeur du pôle Europe et CEI du groupe Suez, lors de son audition, l’implantation du groupe Suez en Azerbaïdjan est « relativement ancienne » puisqu’elle remonte à 2001 avec la vente d’unités de production d’eau potable, à la présidence de la République pour équiper les résidences présidentielles et les ministères. Toutefois, « cette première prestation n’avait pas donné lieu à une implantation proprement dite dans la mesure où nous fabriquions ces équipements en France avant de les exporter et de les installer. Un peu plus tard, en 2009, nous sommes intervenus dans le domaine du traitement de l’eau industrielle pour le compte d’un de nos grands clients, BP. Nous lui avons fourni une unité de traitement d’eau. Nous continuons à assurer, pour le compte de BP, des prestations d’entretien de cette installation de maintenance, ce qui nous amène à employer sur place deux personnes qui contrôlent et maintiennent l’instrumentation de l’installation ».

Toutefois, c’est suite à la visite du président de la République en Azerbaïdjan, en mai 2014, que « l’implantation de Suez a pris un nouveau tournant […]. Ce fut pour nous l’occasion de signer un partenariat, un contrat de formation et de transfert de savoir-faire au bénéfice d’Azersu, la société publique d’eau et d’assainissement d’Azerbaïdjan », pour un montant de 22 millions d’euros sur cinq ans.

Ce premier contrat a en outre permis à Suez de créer « une succursale et une implantation stable en Azerbaïdjan, à partir de laquelle nous avons, au-delà de l’exécution du contrat proprement dit, cherché à développer nos autres activités, notamment nos activités dans le domaine du déchet. Ces efforts ont abouti début 2016 à la signature d’un premier contrat dans le domaine de la dépollution des sols, un contrat d’étude de faisabilité pour le compte de l’agence gouvernementale Tamiz Shahar qui a en charge la gestion des déchets dans la ville de Bakou. Il ne s’agit pas de très gros montants : on parle d’un premier contrat de 4 millions d’euros, pour effectuer une étude de faisabilité et des tests, et préconiser une filière de traitement des sols pollués aux hydrocarbures autour du lac Boyuk Shor qui se trouve en plein Bakou, à côté du stade olympique. Le site fait l’objet d’un programme de remédiation de développement immobilier, mais auparavant, il faut le dépolluer. Le moment venu, le chantier sera gigantesque ».

Dans le domaine des transports, Alstom peut également mettre en avant sa réussite dans la conquête du marché azerbaïdjanais, en particulier la signature en 2014 d’un contrat, d’un montant de 288 millions d’euros, qui porte sur l’achat par les chemins de fer azéris de cinquante locomotives, quarante locomotives de fret et dix autres pour le transport de passagers, complété par des commandes d’équipements électriques et électroniques, comme d’éléments de signalisation. Comme l’a précisé M. Philippe Delleur, vice-président d’Alstom, chargé des affaires publiques, la France profitera directement de ce contrat puisque « la moitié de la valeur du matériel fourni par ce contrat provient d’unités de production d’Alstom situées sur le territoire, français », ce qui représentera 500 000 heures de travail pour six des sites français du groupe, dont le site de Belfort.

La signature de cet important contrat a par ailleurs été suivi par celle d’« un petit contrat de 17 millions d’euros pour livrer trois rames au métro de Bakou […] Les trois rames destinées à densifier le trafic ont été fabriquées par notre filiale russe, selon les normes locales, ce qui a permis de les livrer en moins d’un an. Alstom a également signé à cette époque un memorandum of understanding concernant le développement du métro de Bakou, qui prévoit l’éventuelle livraison de 300 voitures de métro de technologie européenne ».

Enfin, toujours dans le domaine des transports, Thales est présent en Azerbaïdjan depuis les années quatre-vingt-dix, fournissant des systèmes de contrôle aérien, mais n’a ouvert un bureau à Bakou qu’en 2014, au sein duquel travaillent cinq personnes. Comme l’a indiqué M. Olivier Achard, vice-président de la zone Eurasie pour Thales International : « les deux principales activités pour lesquelles nous sommes présents en Azerbaïdjan sont des activités civiles liées l’une et l’autre au domaine des transports ». Outre le contrôle aérien, Thales fournit des simulateurs de vols à la compagnie nationale AZAL ainsi que des systèmes de divertissement à bord des avions. Par ailleurs, Thales équipe les lignes du métro de Bakou de systèmes de signalisation modernes. Au total, le volume d’affaires de Thales en Azerbaïdjan est « de 20 à 25 millions d’euros les bonnes années, de 15 à 20 millions sinon, ce qui est assez faible rapporté au chiffre d’affaires du groupe – 14 à 15 milliards d’euros en 2015 ».

Enfin, la mission d’information s’est également intéressée au secteur agro-alimentaire en auditionnant M. Antoine Biquillon, directeur général de Lactalis-Caspi. L’essor de cette entreprise en Azerbaïdan illustre parfaitement l’analyse faite par M. Philippe Gautier et présentée supra. En effet, c’est à partir de la Turquie, par le rachat d’une entreprise turque (Ülker) dont les produits étaient distribués en Azerbaïdjan que Lactalis s’est développée dans ce pays. Toutefois, 40 % des importations du groupe en Azerbaïdjan proviennent de France et reposent « sur la sympathie envers la France qui existe dans de nombreux pays de l’ex-URSS ». C’est d’ailleurs « la stratégie que nous avons suivie en Russie à la fin des années 1990 où nous avons appris au consommateur de Sibérie ce qu’étaient un camembert, un brie ou d’autres spécialités bien françaises ». Au final, même si Lactalis n’emploie que 18 personnes sur place, l’Azerbaïdjan représente un potentiel de développement important en raison de la forte consommation laitière de sa population, notamment de beurre, de la force de ses marques et du potentiel agricole du pays.

Bien que portant sur des montants relativement réduits, mis à part pour Alstom, ces réussites sont néanmoins remarquables car les personnes auditionnées par la mission d’information ont insisté sur le contexte économique défavorable en Azerbaïdjan, frappé par la chute des cours du pétrole et, par conséquent, de ses ressources financières. Comme l’a souligné M. Stéphane Heddesheimer, confirmant les propos tenus par M. Philippe Gautier, « la chute du prix du pétrole a eu des répercussions importantes en asséchant les grands investissements – le domaine de l’environnement n’y fait pas exception – et en exacerbant la concurrence : les projets sont moins nombreux et les concurrents toujours présents », voire de plus en plus présents, en particulier s’agissant des entreprises des pays émergents. Le principal concurrent, plusieurs fois mentionné, est toutefois la Turquie, dont on sait les liens très proches qui l’unissent à l’Azerbaïdjan.

En effet, c’est un point qu’il convient de souligner avec Mme Sandrine Gaudin, malgré ses difficultés actuelles, le potentiel du pays reste important et, comme les entreprises du secteur énergétique, aucune des entreprises auditionnées n’envisage d’abandonner le marché azerbaïdjanais. Les difficultés sont jugées conjoncturelles, si bien que « la stratégie adoptée est celle de l’attente d’un retournement du marché ». Ainsi, s’agissant des transports ferroviaires, M. Philippe Delleur rappelle que le pays « se situe de façon stratégique au croisement de deux axes majeurs qui reprennent de l’importance : l’axe Est-Ouest de la nouvelle route de la Soie, entre la mer Caspienne et la mer Noire, et l’axe Nord-Sud, de la Russie vers l’Iran. Fort de notre présence auprès des chemins de fer azéris, nous discutons de différents projets qui en restent aujourd’hui à ce stade ». Les entreprises françaises ont d’autant moins intérêt à quitter le pays que, comme l’a souligné Mme Aurélia Bouchez, la réception d’une délégation d’une quarantaine de chefs d’entreprise adhérentes de MEDEF international en 2016, « témoigne de l’importance qu’accorde la présidence à ce que les technologies françaises, qui jouissent d’un prestige mérité en Azerbaïdjan, peuvent apporter à la diversification économique du pays. Le président Aliev m’a d’ailleurs indiqué qu’« acheter français » est pour lui un gage de réussite ».

Enfin, un mot doit être dit du secteur de l’armement. D’après certaines informations parues dans la presse, l’Azerbaïdjan figurerait parmi les quinze premiers clients de l’industrie de défense française en 2015. Toutefois, pour M. Philippe Errera, directeur des relations internationales et de la stratégie au ministère de la défense, « cette information est inexacte. Plus précisément, elle se fonde sur un chiffre exact, mais qu’il faut manier avec plus de précautions : celui du montant des licences accordées pour mener des prospects en Azerbaïdjan, qui est de 900 millions d’euros. Or le système français de contrôle des exportations sensibles est très strict : les industriels doivent impérativement demander une licence dès le début de la prospection. Le montant total des contrats potentiels, pour lesquels des licences ont été demandées, est effectivement de 900 millions d’euros ; mais seule une toute petite partie de ces démarches aboutit réellement. Ainsi, en 2015, la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) a au total accordé des licences pour 160 milliards d’euros ; les contrats conclus la même année représentaient 16 milliards seulement, soit dix fois moins ».

Le fait est qu’en matière de Défense, l’Azerbaïdjan se tourne traditionnellement vers la Russie et, pour ne pas dépendre que d’elle, a conclu des contrats avec la Turquie et Israël, notamment pour les drones, les systèmes antiaériens et les technologies de pointe. L’entreprise française Thales, par exemple, est certes présente en Azerbaïdjan mais uniquement pour des contrats civils (voir supra). Toutefois, comme l’a expliqué M. Olivier Achard, « nous avons donc bien évidemment des activités militaires que nous essayons de proposer à l’Azerbaïdjan, mais ce sujet avance très doucement car, le cours du pétrole étant bas, il y a peu de projets d’investissement, quels que soient les domaines. Les projets de défense aujourd’hui en discussion concernent surtout la surveillance des côtes et la protection des infrastructures telles que les plateformes pétrolières. Nous avons aussi un projet mêlant le civil au militaire pour assurer la surveillance des vols d’hélicoptères vers les plateformes, dont le flux est très important ».

ii. Le soutien décisif de l’État aux entreprises françaises

Si l’Azerbaïdjan représente un marché dont le potentiel est important pour les entreprises françaises, c’est aussi un marché dont la conquête est compliquée, à la fois parce que la concurrence est, selon les termes de M. Philippe Delleur, « extrêmement âpre », mais également en raison de procédures parfois opaques, de la personnalisation des relations d’affaires et du caractère centralisé du pouvoir entre les mains du Président de la République.

Il n’est donc pas étonnant que l’ensemble des représentants des entreprises auditionnés par la mission d’information aient souligné l’importance de l’appui politique dans l’obtention des contrats. Ainsi, pour M. Stéphane Heddesheimer, « dans le domaine des déchets, [Suez a] acquis une légitimité vis-à-vis de nos partenaires, qui nous sollicitent désormais sur d’autres sujets, comme la collecte. Mais il est toujours nécessaire d’accompagner les liens commerciaux d’une relation politique dans tout le bon sens du terme. L’ambassadrice de France en Azerbaïdjan effectue un travail important de promotion des intérêts économiques français. L’Azerbaïdjan reste un pays dans lequel la relation politique d’homme à homme est importante. La relation forte qu’entretiennent les plus hautes autorités est perçue de manière positive par les acteurs publics et économiques qui sont ainsi enclins à la développer sur le plan économique. Il y a une forme d’endossement de cette relation qui favorise les offres de services et la signature des contrats ».

Ainsi, s’agissant du contrat de Suez avec Azersu, la société publique d’eau et d’assainissement d’Azerbaïdjan, M. Stéphane Heddesheimer a affirmé que sa signature « s’est joué au niveau du président ». De même, le contrat d’achat de locomotive à Alstom a été, selon les termes de M. Philippe Delleur, « négocié avec les chemins de fer ou avec le métro de Bakou, qui sont des entités publiques, mais ces sujets sont trop importants pour ne pas remonter au Président de la République d’Azerbaïdjan. Les ministres sont évidemment partie prenante, mais ce genre de décision est centralisé. ». L’implication du président Aliev explique que l’appui politique aux entreprises françaises, au-delà du travail quotidien de l’Ambassade de France, est fourni directement par le Président de la République française lors de ses visites à Bakou. Les contrats susmentionnés de Suez et Alstom ont ainsi été signés lors d’une telle visite.

Cependant, M. Stéphane Heddesheimer a bien souligné que si « l’appui politique n’est pas une condition suffisante […] la relation politique à haut niveau facilite l’obtention des contrats, notamment dans le cas de contrats de gré à gré ».

De manière étonnante, alors qu’on aurait pu croire l’inverse, c’est dans le domaine des hydrocarbures que le soutien de l’État a été, de l’aveu même d’Engie et Total, jugé le moins décisif. Ainsi, pour M. Arnaud Erbin, il est vrai que « la visite d’un Président de la République est toujours une bonne nouvelle, car elle permet d’accélérer la réalisation d’un projet, de souligner la qualité de la relation bilatérale, etc ». Cependant, pour M. Philippe Hochart, « cela crée un contexte favorable, mais nos arguments sont strictement gaziers ». À la question de votre rapporteur de savoir si un « élément politique entre dans la signature des contrats », M. Arnaud Erbin a répondu : « Honnêtement, non. Les raisons sont vraiment économiques. »

M. Michael Borrell ne dit pas autre chose s’agissant de Total : « Il va de soi que nous tenons l’ambassadeur de France, le ministère des affaires étrangères et les autorités politiques au courant de notre action ; lors de sa visite en Azerbaïdjan en 2014, le Président Hollande était informé de l’avancée de nos discussions. De même, l’équipe de M. Matthias Fekl est tenue au courant de l’ensemble de nos activités en vue de la Commission mixte. Nous maintenons ce lien d’information pour les cas où nous aurions besoin de l’aide des autorités françaises comme cela s’est produit au Kazakhstan, par exemple, au sujet de la législation sur l’environnement. Les négociations pétrolières, en revanche, relèvent de notre seule compétence. Les autorités politiques azerbaïdjanaises, quant à elles, interviennent très peu, car c’est SOCAR qui gère l’activité pétrolière dans le pays. À chacun de mes déplacements dans le pays, je rencontre le ministre de l’énergie, Natig Aliev, mais il est peu influent dans l’ensemble ; c’est SOCAR et son président, Rovnag Abdullayev, un ancien de la société,
qui gèrent directement les relations avec les opérateurs étrangers. Pour avoir
une vision globale de la situation, j’échange avec trois instances : SOCAR,
le ministre de l’énergie et SOFAZ, le fonds souverain qui a par exemple financé
la plateforme en construction. Les négociations, en revanche, relèvent exclusivement de SOCAR
 ».

Si cet appui politique est le plus visible, le soutien de l’État aux entreprises françaises prend aussi des formes qui le sont moins, tout en étant aussi décisif. En effet, la signature du contrat serait vaine si l’entreprise n’était pas en mesure de le financer. Comme l’a souligné M. Philippe Delleur à propos du contrat d’achat de locomotives, « ce contrat, une fois signé, ne serait pas entré en vigueur si nous n’avions pas été capables de mettre en place un financement ». Or, celui-ci « repose principalement sur un crédit bancaire contracté auprès d’un consortium de banques, bénéficiant d’une garantie de la Coface ». M. Philippe Gautier a renchéri : avoir un financement est « une condition indispensable à qui veut réaliser un projet en Azerbaïdjan aujourd’hui ». Sans cette garantie, pas de financement bancaire possible et donc pas de contrat. C’est pourquoi, pour M. Philippe Delleur, « l’intervention du gouvernement français par l’intermédiaire de la Coface a été totalement décisive ».

Le rôle majeur de la Coface dans le développement des entreprises françaises en Azerbaïdjan a été évoqué à plusieurs reprises lors des auditions de la mission d’information. Comme l’a indiqué Mme Sandrine Gaudin, le montant de l’aide qu’elle apporte aux entreprises s’élève à « 862 millions d’euros ; à titre de comparaison, il atteint 1 milliard d’euros au Kazakhstan, un pays pourtant bien plus vaste ». Cependant « la Coface agit pour le compte de l’État ; de ce fait, elle se fonde sur sa propre analyse et sur celle que fait l’État du niveau de risque qui prévaut dans le pays. Sa position est celle-ci : il faut agir, mais avec prudence. Chaque cas est donc examiné avec attention, compte tenu de la crise économique qui affecte le pays […]. L’avis du ministre est systématiquement sollicité pour tout projet de soutien de la Coface dépassant 50 millions d’euros ; en deçà de ce montant, la Coface décide en interne. À ce jour, nous n’avons jamais refusé de couvrir un contrat passé avec l’Azerbaïdjan ». Ont notamment été couverts « les contrats suivants, conclus lors de la visite du Président de la République en 2014 : la fourniture par Airbus d’un satellite d’observation, pour 127 millions, la contribution d’Arianespace au lancement d’Azerspace, pour 56 millions, la fourniture par Alstom de cinquante locomotives fabriquées sur place, pour 266 millions, le prospect par MBDA d’un système de défense antiaérien pour 291 millions, et la fourniture par Iveco de 150 autobus, pour 46 millions »

Toutefois, la Coface n’est pas le seul organisme français venant en soutien au développement des entreprises françaises en Azerbaïdjan. L’Agence française de développement (AFD) joue elle aussi un rôle majeur. Comme l’a expliqué Mme Sandrine Gaudin, « l’Agence française de développement est autorisée à intervenir en Azerbaïdjan depuis 2012 au titre de son mandat relatif à la croissance verte et solidaire. Elle accorde régulièrement des prêts, en particulier des prêts souverains. L’un d’entre eux, par exemple, a contribué au financement des ateliers d’entretien d’une usine de fabrication de nouvelles locomotives installée par Alstom. L’AFD conduit d’autres projets dans le domaine du développement urbain, de l’énergie et du tourisme durable ». Au total, l’AFD a accordé des prêts pour un montant de 112 millions d’euros auxquels s’ajoutent ceux de sa filiale PROPARCO pour un montant total de 23 millions d’euros.

Enfin, un dernier instrument est utilisé par l’État pour soutenir le développement des entreprises à l’international. Il s’agit du Fonds d’étude et d’aide au secteur privé (FASEP) qui, comme l’a expliqué Mme Sandrine Gaudin, « vise à financer la réalisation d’études de faisabilité de projets de grande ampleur afin d’en orienter les spécifications de sorte que les entreprises françaises puissent y répondre plus favorablement. Actuellement, le FASEP accorde à Suez Environnement une aide de 1 million d’euros pour financer une étude concernant un projet de cogénération à partir des boues résiduelles du traitement de l’eau et un plan directeur de réduction des pertes en eau dans le réseau d’eau potable ».

La mission d’information a, très souvent, eu l’impression que l’Azerbaïdjan était avant tout un marché pour les grandes entreprises. Elle s’est donc intéressée à la question de savoir si les PME françaises étaient présentes en Azerbaïdjan et si l’État les aidait spécifiquement à exporter vers ce pays. Sur ce dernier point, la réponse de Mme Sandrine Gaudin a été très claire. « En ce qui concerne les PME, en revanche, je préfère rester prudente, car le terrain n’est pas des plus faciles. Sans doute peut-on encourager les établissements de taille intermédiaire (ETI) déjà habitués à s’implanter à l’étranger, en particulier dans le Caucase et en Asie centrale, et proposant des produits compétitifs répondant à une demande, mais il ne serait pas responsable d’encourager un primo-exportateur à s’aventurer en Azerbaïdjan dans le seul but de diversifier ses activités ». M. Philippe Gautier a confirmé cette réticence : l’Azerbaïdjan « ne constitue pas un bon marché pour les débutants ».

En effet, comme le présent rapport le détaillera infra, le marché azerbaïdjanais est compliqué pour les entreprises et l’environnement des affaires est loin d’être satisfaisant, même s’il enregistre de régulières améliorations. Il est ainsi fréquent que les entreprises, une fois installées sur place, rencontrent des difficultés avec l’administration, en particulier la douane et le fisc. Comme l’a expliqué Mme Aurélia Bouchez, « le contexte, difficile, demeure celui d’un État qui a hérité beaucoup de la bureaucratie de l’ancienne Union soviétique, et les réformes n’en sont qu’à leur début ». Toutefois, les entreprises françaises peuvent compter sur le soutien de l’État même après la conclusion des contrats. « Quand elle rencontrent des problèmes, elles demandent le concours de l’ambassade. Nous intervenons à haut niveau, et nous sommes entendus ».

En définitive, la mission d’information a interrogé Marie-Ange Debon sur l’efficacité de la stratégie française en matière de soutien aux entreprises en Azerbaïdjan. En tant que présidente du conseil de chefs d’entreprise France-Azerbaïdjan de MEDEF International, elle a en effet une vision plus large de celle-ci mais également de la concurrence à laquelle les entreprises françaises sont confrontées, notamment de la part de leurs homologues allemandes, italiennes, ou israéliennes. Elle estime que « les choses évoluent positivement. Reste que nous sommes confrontés à une forte concurrence. Dans de nombreux pays, il existe des équivalents de l’AFD qui sont très dynamiques, qui ont des moyens financiers très importants, et qui sont peut-être moins regardants sur un certain nombre de règles. C’est le cas de certains pays européens : l’Allemagne a une agence de développement très active, l’Italie vient de se doter d’une nouvelle agence. C’est le cas de tous les pays asiatiques, notamment la Corée du Sud, le Japon et la Chine, qui sont eux aussi très actifs et consacrent à l’aide économique des moyens importants – sous forme de prêts ou de quasi-subventions – leur permettant d’aider leurs entreprises à gagner des marchés ».

S’agissant des pays d’origine des principaux concurrents des entreprises françaises sur le marché azerbaïdjanais, Mme Aurélia Bouchez a mentionné de très nombreux pays européens – Allemagne, Espagne, Italie, Pologne, République Tchèque et Royaume-Uni plus particulièrement pour le pétrole – mais aussi la Corée du Sud et le Japon et, dans une moindre mesure, la Chine et les États-Unis. Israël est également apparu au cours des auditions comme un concurrent important, de même que la Turquie.

iii. La diversification de l’économie azerbaïdjanaise, une opportunité pour les entreprises françaises

Si une quarantaine d’entreprises françaises sont actuellement présentes en Azerbaïdjan, d’autres pourraient suivre car ce pays est susceptible d’offrir de grandes perspectives pour les entreprises françaises, au-delà du secteur énergétique, en raison de la stratégie de développement qu’il met aujourd’hui en œuvre afin, notamment, de réduire la dépendance de son économie aux hydrocarbures. En effet, l’Azerbaïdjan veut diversifier son économie. Comme l’a souligné S. E. M. Elchin Amirbayov, « si nous avons fait de la diversification de notre économie une priorité, c’est donc moins à cause de la chute des prix du pétrole que par nécessité et avec l’objectif de préparer notre avenir. C’est dans cette perspective que nous entretenons d’étroites relations de coopération avec de nombreuses sociétés françaises, Alstom, Bouygues, Thales ou Veolia notamment, mais également avec toutes celles qui participent et contribuent aujourd’hui à cet effort de diversification ».

Il y a donc, en Azerbaïdjan, un avenir pour les entreprises françaises, lesquelles pourraient contribuer, dans le cadre de notre diplomatie économique, à faire passer les messages et valeurs de la France en même temps que son expertise et ses technologies dans de nombreux domaines tels que l’industrie aéronautique et spatiale, l’environnement, le tourisme, l’agroalimentaire, la santé les transports, dans la mesure où, selon Mme Aurélia Bouchez, « l’Azerbaïdjan envisage de devenir un hub régional de transport multimodal. […]. Nous avons donc une carte que nous ne manquerons pas de jouer, et nous sommes sûrs d’être au cœur de ce volet de la diversification projetée. » D’autant qu’elle a confié à la mission que « Le président Aliev m’a […] indiqué qu’« acheter français » est pour lui un gage de réussite. » Pour autant, elle a rappelé que « le contexte, difficile, demeure celui d’un État qui a hérité beaucoup de la bureaucratie de l’ancienne Union soviétique, et les réformes n’en sont qu’à leur début. »

L’intérêt des entreprises françaises a été confirmé par M. Bogdan Gadenne-Feertchak, chargé de mission senior pour les Balkans, la Turquie, le Caucase et l’Asie centrale de MEDEF International, qui, faisant état de la visite d’un groupe d’une cinquantaine d’entreprises françaises en Azerbaïdjan en mai 2016, a indiqué : « La visite du mois de mai dernier a atteint son objectif de donner aux entreprises déjà implantées dans le pays un accès de haut niveau au gouvernement azerbaïdjanais ; nos entreprises ont d’autant plus apprécié cette évolution qu’elle ne dépendait pas du niveau de leur représentation ; elles ont pu présenter leur stratégie, leurs attentes et leurs besoins, et les nouveaux acteurs ont pu nouer des contacts avec les bons interlocuteurs, notamment dans les secteurs agricole et agroalimentaire, qui font également partie de la diversification économique, mais également dans ceux de la construction et de la logistique. (…) Si l’on met de côté les aspects conjoncturels, financiers et budgétaires, ce pays devrait attirer de plus en plus d’entreprises européennes. Les sociétés françaises ont donc intérêt à surveiller les échéances des grands projets de diversification économique, car le calendrier peut s’accélérer. »

S’agissant des secteurs, Mme Aurélia Bouchez a appelé l’attention de la mission sur « les secteurs appelés à devenir prioritaires dans la diversification économique à venir », parmi lesquelles les transports. Pour M. Philippe Gautier, il faut aussi mentionner que « les sociétés publiques et privées d’Azerbaïdjan cherchent à se rapprocher des standards européens en matière environnementale. En la matière, nous sommes en mesure de proposer des entreprises travaillant selon ces standards ».

Mme Bouchez a également estimé que « des entreprises françaises sont bien placées pour participer au développement d’un secteur agricole et agro-alimentaire encore balbutiant ».

Toutefois, comme l’a affirmé Mme Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l’économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères, « l’un des secteurs les plus prometteurs est celui du tourisme. L’Azerbaïdjan, en effet, a l’ambition de s’ériger en destination touristique de haut de gamme, comme substitut de la Turquie. Ces dernières années, la fréquentation aurait augmenté de 7 % à 8 % par an, en partie grâce à un effet de déport, au détriment de la Turquie, de touristes venus d’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de Russie et d’Iran. C’est le résultat d’une politique de visas très favorable, puisque les ressortissants des pays d’Asie et du Golfe en sont exemptés. En outre, l’Azerbaïdjan projette de construire des infrastructures très ambitieuses, surtout en zone de montagne. Ajoutons que le pays vient d’être élu à la présidence du conseil exécutif de l’Organisation mondiale du tourisme, fonction qu’il exercera à partir du 1er janvier prochain ». Dans ces conditions, « les perspectives d’implantation et de renforcement des entreprises françaises en Azerbaïdjan sont importantes, y compris dans le domaine du tourisme de montagne ».

En effet, comme la souligné M. Matthias Fekl, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger, « la France, première destination touristique au monde, détient de nombreux savoir-faire : elle pourra apporter son soutien en matière d’expertise. Il s’agit aussi d’une opportunité pour nos entreprises, particulièrement dynamiques dans ce secteur. Nous les avons fédérées au ministère des affaires étrangères au sein d’une filière, French Travel, notamment afin d’assurer sa présence lors de nos déplacements ».

En conclusion, la présence des entreprises françaises en Azerbaïdjan ne se limite pas, loin de là, à Engie et Total et, d’une manière générale, elles disposent dans ce pays de fortes opportunités de développement qui pourront désormais s’appuyer sur la nouvelle Chambre de commerce franco-azerbaïdjanaise, créée en 2014.

2. Un partenaire dont la faible transparence a pu susciter la méfiance et des accusations de corruption par certains médias français

a. Un environnement des affaires encore post-soviétique, compliqué et parfois opaque

i. L’Azerbaïdjan, un marché compliqué pour les entreprises

Même si les entreprises françaises ont pu se développer avec succès en Azerbaïdjan, elles n’ont rien caché des difficultés auxquelles elles sont confrontées au quotidien, en particulier dans leurs relations avec l’administration mais également avec leurs relations d’affaires. Sur ce point, M. Stéphane Heddesheimer a été explicite sur les difficultés rencontrées par Suez dans l’exécution de ses contrats avec l’administration azerbaïdjanaise dans le secteur de l’eau. Celle-ci « varie, comme souvent, en fonction des clients et de la nature des contrats. Azersu est une administration compliquée. Le problème est plutôt d’avoir en face de soi des interlocuteurs capables d’expliciter clairement leurs attentes et qui, une fois que l’on s’est mis d’accord, mettent en place les moyens nécessaires. Par exemple, quand on fait de la formation, on a d’abord besoin de stagiaires ; il faut les identifier, les réunir et leur donner de quoi travailler. En l’occurrence, nous avons mis un peu plus de temps que prévu, parce que notre client n’était pas familier avec ce type d’actions managériales internes ».

Cependant, au-delà de relations parfois compliquées avec le client proprement dit, les principaux problèmes que rencontrent les entreprises françaises ont leur origine dans une administration encore marquée par l’ère soviétique. Ainsi que l’a expliqué Mme Sandrine Gaudin, en Azerbaïdjan, « comme dans d’autres pays de la CEI qui ont hérité d’une économie centralisée et où les réflexes de marché ne sont pas encore enracinés, les entreprises naviguent en terrain difficile et le climat des affaires n’est pas optimal. Il existe notamment des problèmes d’ordre réglementaire liés aux normes et procédures héritées de l’époque soviétique, les formalités bureaucratiques freinant quelque peu les processus de décision, à quoi s’ajoutent des questions relatives aux taxes et autres licences. En clair, les affaires sont encore largement soumises aux autorisations délivrées par des administrations. De surcroît, certains services douaniers font parfois du zèle et les contrôles fiscaux peuvent se multiplier. L’administration, issue d’un monde où la vie des affaires n’était pas naturelle, demeure tatillonne, d’où un climat parfois contraignant ».

M. Antoine Biquillon a quant à lui donné des exemples très précis des problèmes administratifs, en particulier fiscaux et douaniers, auxquels une société comme Lactalis pouvait faire face en Azerbaïdjan et des solutions qu’elle leur a apportées, qu’il a résumés ainsi : « comme dans tous les pays de l’ex-URSS, l’Azerbaïdjan a souffert d’un problème de transparence au niveau des douanes et de la fiscalité, d’un système de monopoles non officiels accordés à des groupes d’intérêts, et d’un problème de recouvrement des créances, dans la mesure où les recours juridiques sont souvent inopérants ».

S’agissant des problèmes de Lactalis avec la douane azerbaïdjanaise, ils découlaient du fait que « dès le départ, notre stratégie a été de ne pas nous plier aux habitudes locales : nous avons été une des premières filiales étrangères à importer les produits « en blanc », c’est-à-dire en exigeant de payer les droits de douane et la TVA officiels, même quand c’était plus que ce que payaient des concurrents qui avaient d’autres pratiques ou les opérateurs locaux. Ce pari de respecter la loi nous a valu quelques problèmes avec les douanes azéries mais nous avons été très fortement soutenus par l’ambassade de France et nous avons réussi à imposer notre manière de travailler. Mais nous avons eu pendant plusieurs années une épée de Damoclès au-dessus de nous : nos camions étaient régulièrement bloqués et, compte tenu du type de produits qu’ils transportent, dont la date de péremption est assez courte, nous avons subi des pertes assez importantes à chacun de ces épisodes ». M. Antoine Biquillon a en outre précisé que de nombreuses autres entreprises internationales avaient précédé Lactalis dans cette stratégie (Coca Cola et Danone par exemple) et que bien d’autres l’avaient suivie.

Lactalis a également rencontré des difficultés avec l’administration fiscale, lesquelles se sont traduites par des redressements. Toutefois, comme l’a précisé M. Antoine Biquillon : « Ceux-ci n’étaient pas la conséquence d’actes volontairement frauduleux de notre part, mais certaines opérations s’avèrent difficiles à effectuer officiellement, du fait des complexités locales. Par exemple, si notre produit laitier n’a pas été vendu par le magasin au moment de sa date limite d’utilisation optimale (DLUO), nous le reprenons ; or la loi azerbaïdjanaise, complexe bien qu’en voie de simplification, dispose que nos clients doivent enregistrer cette transaction de retour dans un système officiel et en ligne de taxe, ce qu’ils ne faisaient pas. Lorsque j’ai demandé la déductibilité des retours de mon chiffre d’affaires à l’administration fiscale, elle me l’a refusée pour ce problème de forme. Nous avions pourtant tous les documents papier prouvant la légitimité de cette déductibilité ». Comme pour les problèmes douaniers que Lactalis a rencontrés, elle a refusé de se plier aux « coutumes locales » et « nous avons refusé tout arrangement autre que celui de payer le montant du redressement ».

Lorsqu’elles rencontrent de tels problèmes, les entreprises françaises peuvent compter sur l’appui de notre ambassade. Comme l’a souligné
Mme Aurélia Bouchez, « une partie du travail de l’ambassade consiste à venir en aide aux entreprises françaises en proie aux maux habituels que sont le manque de transparence, l’annihilation de la concurrence par des monopoles, des retards de paiement et des remises en cause de contrats ; tous ces éléments leur compliquent singulièrement la vie, et le mot est faible. Je suis intervenue deux fois au plus haut niveau de l’État et nous avons été entendus, mais il faut pour cela, si j’ose dire, mobiliser la « grosse artillerie », c’est-à-dire insister sur la perte de crédibilité de l’Azerbaïdjan auprès des investisseurs étrangers quand de tels épisodes se produisent. Ces difficultés peuvent s’expliquer par la crise budgétaire, par une bureaucratie excessive et par mille autres choses, mais ce n’est pas parce que l’on comprend que l’on accepte ».

Ces problèmes sont d’ailleurs parfaitement connus à l’international et font l’objet d’une évaluation précise de la part d’organisations comme l’OCDE. Comme l’a rappelé Mme Sandrine Gaudin, « l’Azerbaïdjan figure au cinquième échelon du classement de l’OCDE par niveau de risque, qui en compte sept par ordre croissant de risque – les scores des pays voisins n’étant guère meilleurs puisque le Kazakhstan figure au même niveau, l’Arménie au niveau 6, le Turkménistan au niveau 7. C’est donc un classement médiocre ». De même, l’Azerbaïdjan ne figure qu’au 65e rang du classement Doing Business établi par la Banque mondiale.

Cependant, s’il est médiocre, ce classement doit aussi être relativisé par rapport aux autres pays de la région et sur ce point. Ainsi, s’appuyant sur l’expérience du groupe Total dans la région, M. Michael Borrell estime que « par rapport au Kazakhstan, au Turkménistan et au Tadjikistan, le comportement de l’Azerbaïdjan à notre égard est plutôt favorable, tant du point de vue juridique qu’en termes de relations professionnelles. Au Kazakhstan, par exemple, l’approche juridique et les relations me semblent plus conflictuelles qu’en Azerbaïdjan ». Quant à M. Olivier Achard, pour Thales, il souligne que, « s’agissant de la rapidité contractuelle, les Azerbaïdjanais respectent bien nos contrats : ils paient en temps et en heure, ce qui n’est pas toujours le cas dans cette région ».

ii. Des soupçons de corruption et de conflits d’intérêts, relayés par certains médias, mais qui n’ont pas été prouvés

Parmi les principaux problèmes qui peuvent compliquer la vie des entreprises en Azerbaïdjan, l’un a fait l’objet d’une attention particulière de la part de la mission d’information : la corruption. Elle a déjà été abordée supra, notamment à travers l’exemple de Lactalis qui, dans ses rapports avec la douane et le fisc azerbaïdjanais, a fait part à la mission de son refus de se plier à ce que l’on appelle, par euphémisme, des « coutumes locales ». Toutefois, comme l’a précisé Mme Florence Mangin, « le problème de la corruption n’est pas spécifique à l’Azerbaïdjan : on le retrouve assez fréquemment dans la zone que je couvre, des Balkans à la Russie, en passant par l’Asie centrale et le Caucase du Sud ».

Le fait que la corruption soit encore largement répandue dans la région ne la rend pas plus acceptable. Mme Sandrine Gaudin a ainsi été très claire, à la fois sur la conscience qu’avait le gouvernement français de celle-ci mais également sur la stratégie qu’il a mise en œuvre pour essayer d’y mettre fin : « La corruption, en effet, est pour nous une préoccupation majeure : nous tenons à ce que nos partenaires adhèrent aux mécanismes internationaux les plus exigeants en la matière et qu’ils les appliquent. Or, de ce point de vue, on constate souvent des pratiques d’un autre âge dans cette région, dans la CEI en général et, hélas, partout ailleurs. Beaucoup reste à faire, par exemple, pour que les procédures douanières échappent à toute corruption. De même, l’acharnement dont sont parfois victimes les entreprises étrangères de la part de l’administration fiscale de l’Azerbaïdjan ne cesse souvent que moyennant des actes de corruption. Encore une fois, nous abordons régulièrement ces sujets en commission mixte, et le ferons de nouveau en décembre ».

Cependant, il existe un autre type de corruption qui n’a pas encore été abordé dans le cadre du présent rapport mais auquel la mission d’information s’est naturellement intéressée. Il s’agit des sommes versées par certaines entreprises non pas pour régler des problèmes administratifs mais pour obtenir des marchés. M. Philippe Gautier, directeur général de MEDEF International, a fait part à la mission de ses soupçons : « pour notre part, nous nous référons à un cadre OCDE – s’appliquant aussi bien à l’intérieur de l’OCDE qu’à l’extérieur – que respectent toutes les entreprises cotées, et sans doute la grande majorité des autres (4). Quand nous nous trouvons en concurrence frontale avec des entreprises ne respectant aucune règle, il est évident que la concurrence est difficile ». Il n’a toutefois cité aucun nom d’entreprises responsables de tels comportements.

La mission d’information a elle aussi interrogé les représentants des entreprises françaises qu’elle a auditionnés sur leur connaissance de tels faits, à la fois pour elles-mêmes et pour leurs concurrents. Les réponses ont été systématiquement négatives. Quant à M. Philippe Errera, à propos des contrats de défense, secteur dont il est connu qu’il est le plus sensible à la corruption, il a déclaré qu’« aucun des contrats autorisés par la CIEEMG ne saurait évidemment contenir de clauses illégales. Par ailleurs, je n’ai connaissance d’aucune stipulation du genre de celles que vous évoquez dans ces contrats [rétro-commissions] ».

Bien plus, l’ensemble des entreprises auditionnées ont insisté sur l’importance qu’elles accordent à l’éthique et à la lutte contre des pratiques comme la corruption. À cette fin, elles ont toutes élaboré et publié des lignes directrices en la matière (sous le nom de code, charte ou guide éthique), institué des procédures et mis en place des formations pour leurs collaborateurs, afin de s’assurer qu’aucune pratique contraire à l’éthique n’était mise en œuvre. C’est d’ailleurs dans leur propre intérêt. Comme l’a déclaré M. Arnaud Erbin pour le groupe Engie, « pour une entreprise comme la nôtre, les risques éthiques et tout ce qui peut nuire à notre image en la matière, sont probablement parmi les rares risques mortels ». L’atteinte que de telles pratiques porteraient à l’image du groupe Thales a également été mise en avant par M. Olivier Achard.

Enfin, les relations économiques franco-azerbaïdjanaises ont fait l’objet d’une enquête journalistique dont les résultats – très critiques – ont été présentés lors de l’émission « Cash investigation » diffusée le 7 septembre 2015 sur France 2. Parmi les faits avancés par celle-ci figure une accusation de conflit d’intérêts impliquant une députée européenne française qui, rémunérée par une entreprise énergétique également française et très présente en Azerbaïdjan, aurait multiplié les amendements pro-gaz au Parlement européen. Interrogé sur cette mise en cause et sur la réaction d’Engie, M. Arnaud Erbin, directeur international, s’est contenté de répondre : « en matière de communication, nous préférons parfois ne pas répondre à certaines invectives ».

La mission d’information a également auditionné M. Laurent Richard, l’auteur du reportage susmentionné. L’audition n’a pas permis d’apporter des éléments probants s’agissant des faits soulevés dans ledit reportage en ce qui concerne les personnalités françaises évoquées. En revanche, il a indiqué qu’« il y a deux mois, Luca Volontè, parlementaire italien membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, a reconnu dans la presse italienne avoir perçu 2,3 millions d’euros de la part de M. Elkhan Suleymanov, un député azerbaïdjanais [… ]. M. Suleymanov aurait transmis cet argent sur le compte de l’une des fondations créées par M. Volontè via les Îles Marshall et d’autres paradis fiscaux – pour rémunérer une mission de consultant, selon M. Volontè. Une enquête pour corruption a été ouverte en Italie ».

b. De nombreuses réformes, pour certaines encore en cours, ont commencé à améliorer l’environnement des affaires

Si le constat est largement partagé que l’Azerbaïdjan est un pays compliqué pour les entreprises et encore loin des standards occidentaux, force est de reconnaître que, depuis quelques années, à la faveur d’une série de réformes lancées par le président Aliev, les choses semblent évoluer dans le bon sens, comme l’ont souligné l’ensemble des personnes auditionnées par la mission d’information. Comme l’a expliqué Mme Sandrine Gaudin, « le gouvernement azerbaïdjanais a adopté un train de réformes. C’est un signe de maturité et de volonté de créer un environnement des affaires qui soit conforme aux normes internationales. L’Azerbaïdjan figure à la 65e place du classement Doing Business de la Banque mondiale. Ce classement a cela d’utile qu’il incite à faire des réformes ; c’est ce à quoi s’est attelé l’Azerbaïdjan. En somme, la situation s’améliore, même si l’Azerbaïdjan n’atteint pas encore les normes européennes ».

Une des réformes a été évoquée à plusieurs reprises lors des auditions : il s’agit de la création de l’Agence d’État pour le service public et l’innovation sociale (ASAN) qui vise à digitaliser la délivrance de certains documents administratifs (dont le permis de conduire et les licences d’activité économique) et, de ce fait, à éliminer la petite corruption dont souffrent particulièrement les citoyens et les entreprises, tant locales qu’étrangères. Comme l’a souligné M. Bogdan Gadenne-Feertchak, « les pays ayant appartenu à l’URSS doivent lutter contre la corruption au quotidien, et cette agence a permis d’assainir les rapports entre les entreprises et l’administration publique. Devant cette réussite, les compétences de l’agence seront élargies et comprendront les visas électroniques et la simplification des opérations de douane. Les centres de l’ASAN sont présents dans toutes les villes de province et dans tous les arrondissements de Bakou. Ces progrès bénéficient directement à l’activité quotidienne des entreprises ».

Enfin, comme l’a indiqué M. Matthias Fekl, l’une des améliorations majeures qu’a récemment connues l’Azerbaïdjan en termes d’environnement des affaires est la suppression de l’Agence pour les appels d’offres. En effet, « cet organe critiqué – je choisis mes mots – constituait un véritable frein pour les investissements étrangers […]. Le département anti-monopole du ministère de l’économie est aujourd’hui en charge des appels d’offres. Il est certain que cette agence était un lieu peu recommandable ».

L’impact de ce train de réformes se fait déjà sentir sur le terrain. M. Antoine Biquillon, pour Lactalis, a ainsi noté avoir « immédiatement constaté un réel progrès : les douanes fonctionnent désormais de manière transparente. Les monopoles d’importation ont été démantelés, si bien que tout le monde peut importer ce qu’il veut en Azerbaïdjan, pour peu qu’il paie les droits de douane et la taxe sur la valeur ajoutée. Nous avons facilement accès au conseiller spécial auprès du président chargé d’améliorer le climat des affaires, qui vient d’être nommé. Il n’a souvent même pas besoin d’intervenir : les douanes et l’administration fiscale savent que nous sommes en relation avec lui, ce qui exerce une pression positive sur elles car elles auraient un problème d’image si nous devions le solliciter ». Ce constat est partagé par M. Philippe Delleur, vice-président d’Alstom, chargé des affaires publiques.

Ces réformes au bénéfice des entreprises et de l’ensemble des citoyens azerbaïdjanais sont allées de pair avec des réformes plus structurelles qui tendent à rapprocher l’Azerbaïdjan des standards occidentaux, en particulier dans le secteur bancaire – restructuré avec, en outre, la création d’une autorité de supervision bancaire en 2016 – et, surtout, dans le domaine fiscal. Ainsi, comme l’a souligné Mme Sandrine Gaudin, « l’Azerbaïdjan a beaucoup fait pour s’adapter aux normes internationales de transparence fiscale, de lutte contre la fraude et l’optimisation et d’échange d’informations depuis son adhésion au Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales [de l’OCDE]. C’est là encore, à notre sens, un signe très encourageant ».

Par ailleurs, l’Azerbaïdjan a, pendant longtemps, été défaillant en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux, comme l’a révélé un rapport du GAFI publié en 2008. Bien que froissé par ce rapport, au point de quitter le GAFI en 2010, le gouvernement azerbaïdjanais a néanmoins décidé de mettre en œuvre les réformes nécessaires afin de pallier les défaillances relevées. Ces réformes ont porté leurs fruits, comme l’a expliqué Mme Sandrine Gaudin : « en 2014, le GAFI et Moneyval ont publié un nouveau rapport constatant les progrès accomplis en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux. Les principales défaillances observées en 2008 avaient été surmontées, même si des progrès sont encore attendus pour que le pays se hisse aux normes – assez élevées – prescrites par le GAFI. Fin 2015, celui-ci a également examiné le dispositif de lutte contre le financement du terrorisme et l’a jugé satisfaisant, même si la procédure de gel des avoirs internationaux demeure lente – ce qu’explique encore une fois la pesanteur administrative qui prévaut dans le pays ».

Enfin, le dernier point porté à l’attention de la mission d’information concerne les réformes mises en œuvre dans le secteur économique le plus emblématique : les hydrocarbures. L’Azerbaïdjan a ainsi été le premier pays, parmi cinquante-et-un, à se soumettre volontairement au processus de contrôle de certification mis en place par l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), laquelle promeut une activité responsable et transparente des entreprises et États concernés. Comme l’a souligné l’Ambassadeur de l’Azerbaïdjan en France, « lors de sa réunion au Kazakhstan il y a une semaine, le conseil d’administration international de l’ITIE a décidé de prolonger l’adhésion de l’Azerbaïdjan. Il a reconnu que notre pays avait accompli des progrès significatifs dans la mise en œuvre de la norme ITIE, et que certaines exigences avaient fait l’objet d’améliorations considérables par rapport à la première validation menée en 2015. Un ensemble de mesures correctives a été défini, et je crois que l’année prochaine, on aura l’occasion de constater de nouveaux progrès dans l’ouverture du secteur pétrolier. De fait, l’ancien Premier ministre suédois, Fredrik Reinfeldt, a déclaré : “ l’Azerbaïdjan a nettement progressé dans l’ouverture du secteur pétrolier, et je considère que les récents projets de réformes gouvernementales en faveur d’un renforcement de la transparence sont encourageants. J’espère que le gouvernement poursuivra les efforts récemment engagés pour que la société civile puisse jouer le rôle qui lui incombe dans ce processus ” ».

B. DES RELATIONS BILATÉRALES ÉTROITES DANS DE NOMBREUX DOMAINES

Les relations entre la France et l’Azerbaïdjan ne sont pas seulement économiques et même s’agissant de ces dernières, la politique n’est jamais loin, comme l’a montré l’implication du Président de la République dans le soutien aux entreprises françaises. C’est même l’un des axes de la diplomatie française au point que M. Laurent Fabius, comme son successeur M. Jean-Marc Ayrault, a pu parler de « diplomatie économique ». Les développements à suivre visent donc à faire le point, conformément à l’objet de la mission d’information, sur les relations politiques bilatérales, lesquelles sont, de l’avis général, excellentes. Il convient de préciser que les aspects de ces relations politiques portant sur les droits de l’Homme, bien qu’essentiels, ne seront pas évoqués ici, leur importance même justifiant qu’ils fassent l’objet d’un traitement à part, dans la troisième partie du présent rapport.

1. Des relations politiques étroites

a. Un partenaire privilégié de la France dans la région

Les relations entre la France et l’Azerbaïdjan sont aussi anciennes que l’indépendance du pays et cette ancienneté contribue, par elle-même, à l’excellence desdites relations. Comme l’a rappelé S. E. M. Elchin Amirbayov, « en ce qui concerne les relations franco-azerbaïdjanaises, je suis ravi de constater qu’elles sont excellentes et demeurent au beau fixe. Nous ne pouvons oublier en effet que la France a été l’un des premiers États à avoir reconnu l’Azerbaïdjan, quelques jours à peine après la restauration de notre indépendance ». Un traité d’amitié a d’ailleurs très rapidement été conclu entre les deux pays, en 1993.

L’audition de Mme Aurélia Bouchez, Ambassadeur de France à Bakou, a permis à la mission d’information de mieux comprendre les enjeux et l’importance de cette relation pour notre pays. D’une manière générale, ils découlent de la position géographique de l’Azerbaïdjan et des relations qu’il entretient avec les pays de la région : « en matière de sécurité et de stabilité, et compte tenu de la proximité du Proche-Orient et du Moyen-Orient, c’est pour nous un interlocuteur clef quand nous cherchons à évaluer l’évolution des défis sécuritaires autour de la Caspienne, au Daghestan, en Iran et dans les pays d’Asie centrale, lesquels sont confrontés au retour des combattants revenus d’Afghanistan et aux trafics divers, dont celui de stupéfiants. Par ailleurs, l’Azerbaïdjan entretient de bonnes relations avec la Russie, la Turquie et l’Iran. Parler à l’Azerbaïdjan, c’est avoir une discussion ouverte sur l’évolution politique de partenaires politiques majeurs pour la France. C’est également l’occasion de faire partager nos propres analyses stratégiques ».

Par conséquent, par la position centrale qu’il occupe dans une région stratégique et par les relations de confiance qu’il a avec l’ensemble des autres États, les bonnes relations de notre pays avec l’Azerbaïdjan représentent un atout majeur pour la France et sa politique dans le Caucase.

Toutefois, Mme Aurélia Bouchez souligne que si notre pays entretient avec l’Azerbaïdjan un « dialogue franc et ouvert, il n’élude pas les questions relatives à la situation intérieure du pays. Nous rappelons, à tous les niveaux, que la stabilité durable à laquelle aspire l’Azerbaïdjan ne peut être fondée que sur l’État de droit et que le dialogue inclusif avec l’ensemble des composantes de la société civile et politique est le meilleur gage de stabilité. Nous transmettons ce message régulièrement, en faisant alterner, selon les sujets, une diplomatie publique et une diplomatie plus discrète ». Même s’il sera, comme indiqué supra, développé dans la troisième partie du présent rapport, il convient de souligner, dès à présent que la France ne fait pas l’impasse, dans son dialogue politique avec l’Azerbaïdjan, sur les « questions qui fâchent ».

Même si le sujet a déjà été évoqué, les bonnes relations politiques contribuent aux bonnes relations économiques et sont d’autant plus importantes que, comme l’a rappelé Mme Aurélia Bouchez, « la concurrence économique est à l’œuvre avec de très nombreux pays européens mais aussi avec la Corée du Sud et le Japon et, dans une moindre mesure, avec la Chine et les États-Unis. Israël est également un concurrent important. Cette concurrence est un encouragement à renforcer encore le dialogue et la coopération économique entre la France et l’Azerbaïdjan ».

S’agissant de la coopération bilatérale dans le domaine de la défense, enfin, celle-ci est, de l’aveu de M. Philippe Errera, « très modeste ». Elle repose sur « un arrangement technique signé à Paris en janvier 2014 par les ministres français et azerbaïdjanais de la défense lors de la visite de ce dernier, ainsi que d’un partenariat dans le domaine industriel », l’Azerbaïdjan ayant le souhait, comme indiqué supra, de diversifier ses fournisseurs d’armements au-delà de la seule Russie.

Il convient toutefois de préciser que, pour des raisons politiques bien compréhensibles rappelées par M. Philippe Errera, « notre relation de défense avec Bakou est en effet parfaitement symétrique de celle qui nous lie à Erevan. Nous tenons à cette symétrie, gage, je le répète, de la crédibilité de notre engagement en tant que co-président du Groupe de Minsk ; nous veillons bien entendu à ce que nos activités de coopération, tant avec l’Azerbaïdjan qu’avec l’Arménie, ne puissent être exploitées par les différentes parties concernées par le Haut-Karabagh. C’est bien entendu le cas s’agissant des exportations d’armement, puisque nous nous conformons strictement aux décisions de l’OSCE et du Conseil de sécurité ; mais cela concerne aussi, plus largement, le type de coopération militaire que nous entretenons avec l’un ou avec l’autre. Les actions que nous menons dans ce domaine restent neutres : elles touchent par exemple à l’enseignement du français ou à la formation des officiers. Nous entretenons depuis quelques années un partenariat industriel avec Bakou qui se conforme lui aussi au respect le plus strict des résolutions du Conseil de sécurité et de la décision de l’OSCE : il vise exclusivement à aider Bakou à protéger ses infrastructures critiques en mer Caspienne et à contribuer à la sécurité énergétique de l’Azerbaïdjan et, par là même, de l’Europe ».

b. Des visites bilatérales nombreuses et de haut niveau

i. Au niveau des Présidents de la République et des ministres

L’excellence des relations entre la France et l’Azerbaïdjan apparaît très clairement dans l’ancienneté, la fréquence et le haut niveau des visites bilatérales. Comme l’a rappelé S. E. M. Elchin Amirbayov, « l’Azerbaïdjan indépendant a, dès le départ, accordé une grande importance au développement de ses relations avec la France, et les présidents de la République successifs ont choisi de réserver à la France leur première visite à l’étranger : cela a été le cas pour Heydar Aliev en 1993 et pour Ilham Aliev en 2004. Depuis, la France conserve une place privilégiée dans la politique étrangère de l’Azerbaïdjan. Du côté français, les deux derniers présidents français se sont rendus trois fois en Azerbaïdjan. Les deux pays ont ainsi instauré un dialogue politique au plus haut niveau qui a permis d’approfondir les relations dans beaucoup de domaines ». Les deux Présidents se sont vus une dernière fois en juillet 2016, en marge du sommet de l’OTAN à Varsovie, étant précisé que M. François Hollande a également rencontré, à cette occasion, son homologue arménien.

Les relations sont également très intenses au niveau ministériel. À titre d’exemple, le ministre des affaires étrangères azerbaïdjanais, M. Elmar Mammadyarov, s’est rendu à plusieurs reprises en France depuis 2012, la dernière fois le 17 novembre 2016. Le président Aliev a reçu quant à lui, le 10 janvier 2017, M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du développement et de la Francophonie. Le secrétaire d’État chargé des affaires européennes s’était lui aussi rendu à Bakou le 26 avril dernier, où il avait également rencontré le Président Aliev et M. Mammadyarov. Mme Nicole Bricq, ministre délégué au commerce extérieur, a coprésidé à Bakou, le 25 novembre 2013, avec le ministre azerbaïdjanais de l’économie, la commission mixte pour la coopération économique, Bakou où s’est également rendu M. Matthias Fekl, secrétaire d’État au commerce extérieur, en juillet 2015. Enfin, le ministre azerbaïdjanais de l’éducation a rencontré son homologue, Mme Najat Vallaud-Belkacem, à Paris en novembre 2014. Une réunion de la commission mixte est intervenue le 13 décembre 2016 à Paris.

ii. Au niveau des Parlements

Les relations institutionnelles entre les parlementaires français et leurs homologues azerbaïdjanais sont espacées. Il faut signaler une visite du groupe d’amitié France-Azerbaïdjan, à l’époque présidé par M. Jean-Louis Dumont, qui s’est rendu à Bakou du 15 au 21 janvier 2008, ainsi qu’une visite du groupe d’amitié Azerbaïdjan-France, présidé par l’épouse du Président Aliev, Mme Mehriban Alieva, qui s’est rendu à Paris du 20 au 24 mai 2013 et a été reçu par son homologue, alors présidé par M. Thierry Mariani.

Cette rareté des échanges interparlementaires est toutefois compensée, d’une certaine façon, par l’activité de l’Association des amis de l’Azerbaïdjan, présidée par M. Jean-François Mancel, député, par ailleurs membre de la mission d’information. Cette association a permis à plusieurs parlementaires français de mieux connaître ce pays, par des manifestations organisées à Paris en partenariat avec la fondation Heydar Aliev, et des déplacements à Bakou.

2. Une coopération étroite dans de nombreux domaines mais parfois controversée

a. Au niveau national

i. Une coopération éducative, universitaire et scientifique qui contribue à l’influence de la France

Les relations culturelles entre la France et l’Azerbaïdjan sont plus anciennes que le pays lui-même et remontent à l’époque où ce dernier faisait encore partie de l’empire russe. Comme l’a expliqué Mme Aurélia Bouchez, « dès le XIXsiècle, via la Russie et l’Empire ottoman, l’Azerbaïdjan a découvert l’Europe. Tous les intellectuels azerbaïdjanais rêvaient d’aller à Saint-Pétersbourg perfectionner leur connaissance de la langue russe et apprendre le français avant de partir à Paris. La tradition a perduré et elle a été favorisée par le boom pétrolier de la fin du XIXe siècle : les investisseurs étrangers – les frères Nobel, la famille Rothschild – et les magnats azéris, tel Zeynalabdin Taghiev, partageaient la même culture européenne amoureuse des Lumières, culture qui a poussé, à cette époque, à l’ouverture d’écoles de filles sur le modèle français et qui a inspiré la première République azerbaïdjanaise, laquelle a reconnu en 1918 le droit de vote aux femmes ».

À l’époque moderne, la coopération culturelle participe directement à ce que Mme Florence Mangin a appelé notre « politique d’influence » vis-à-vis de l’Azerbaïdjan, dont elle a rappelé qu’elle avait « connu un essor tout à fait significatif au cours des cinq dernières années, sous l’impulsion directe des chefs d’État français et azerbaïdjanais ». La présence française en Azerbaïdjan est ainsi particulièrement fournie, avec notamment l’Institut français d’Azerbaïdjan, lieu d’apprentissage du français et de débats d’idées avec des personnalités venues de France mais également le lycée français de Bakou qui compte aujourd’hui une centaine d’élèves et pourrait en accueillir, à terme, trois cent cinquante.

Toutefois, s’appuyant sur les excellentes relations entretenues entre l’Université de Strasbourg et l’Azerbaïdjan (5), la principale réalisation de cette coopération culturelle, évoquée à maintes reprises lors des auditions, est la création de l’Université franco-azerbaïdjanaise (UFAZ). Lancé en octobre 2014, à l’initiative du Président de la République lors de sa visite à Bakou, ce projet majeur de la coopération franco-azerbaïdjanaise a été inauguré le 15 septembre 2016 par le ministre azerbaïdjanais de l’éducation et l’Ambassadrice de France à Bakou et la première rentrée a eu lieu le 27 octobre. Comme celle-ci l’a souligné lors de son audition, « de même qu’en Arménie, où l’Université française d’Arménie (UFAR) a considérablement renforcé notre présence dans le milieu universitaire, nous espérons que l’UFAZ pourra contribuer à la formation des élites et pérenniser l’influence française en Azerbaïdjan »

L’UFAZ, qui est pilotée, du côté azerbaïdjanais, par l’Université du pétrole et de l’industrie de Bakou et, du côté français, par l’université de Strasbourg, qui définira les programmes et fournira les enseignants, est un exemple de coopération universitaire unique et innovant. Celui-ci permet aux 141 étudiants azerbaïdjanais sélectionnés d’étudier à Bakou dans les mêmes conditions qu’en France : ils recevront, sans quitter leur pays, le même diplôme (en l’espèce, un diplôme d’ingénieur) que les étudiants français, et la carte d’étudiant strasbourgeoise leur permettra d’accéder aux services en ligne de l’université de Strasbourg mais aussi à tous les services réservés aux étudiants s’ils devaient se déplacer en France.

Il convient de préciser que l’UFAZ est entièrement financée par le gouvernement azerbaïdjanais qui, par l’intermédiaire de la SOCAR, finance également le Lycée français de Bakou lequel, pour le moment, ne compte que 132 élèves pour sa troisième rentrée. Toutefois, comme l’a précisé l’Ambassadrice de France, « à mesure que l’effectif des élèves augmentera, le lycée deviendra autonome sur le plan financier ».

L’UFAZ n’est toutefois pas la seule coopération universitaire existant entre la France et l’Azerbaïdjan. 17 accords ont été signés entre universités et institutions de recherches françaises et leurs homologues azerbaïdjanaises, auxquels on peut ajouter deux partenariats signés dans le cadre de programmes européens.

Toutefois, pour importante qu’elle soit, la coopération entre la France et l’Azerbaïdjan dans les domaines scientifiques, éducatifs et culturels ne se résume pas à l’UFAZ ni même à la coopération universitaire. La France s’attache ainsi à promouvoir l’apprentissage du français et de la culture française. Après le russe et l’anglais, notre langue est la troisième langue étrangère étudiée en Azerbaïdjan, où l’on compte 43 000 élèves de français. Comme l’a expliqué Mme Aurélia Bouchez, « nous aidons à former des professeurs locaux, à Bakou et en province, et nous avons porté à treize le nombre de bourses accordées à de jeunes Azerbaïdjanais partant faire leurs études supérieures en France, qui s’ajoutent à une dizaine de bourses européennes Erasmus. Nous avons noué une coopération, très appréciée, avec l’Université Paris-Sorbonne Abu Dhabi pour orienter par ce biais les élèves vers la culture française ».

Par ailleurs, la France utilise les financements accordés par l’Union européenne au titre de l’Instrument d’assistance technique et d’échange d’informations pour promouvoir l’expertise de ses administrations publiques. Dans ce cadre, elle a participé à des travaux sur l’efficacité du système de retraite, participe à l’amélioration du système de protection sociale des personnes handicapées et coopère également avec l’Azerbaïdjan en matière d’épidémiologie vétérinaire. La France est, après l’Allemagne, celui des pays de l’Union qui utilise le plus ces financements européens en Azerbaïdjan.

À l’inverse, si la présence culturelle de l’Azerbaïdjan en France est moindre que la présence française dans ce pays, comme l’a expliqué
S. E. M. Elchin Amirbayov, « la coopération avec la France dans les domaines de la culture, de l’éducation et de la recherche font partie de nos priorités ». En effet, « l’Azerbaïdjan n’étant pas présent physiquement en France, dans la mesure où on n’y trouve pas de communauté importante d’Azerbaïdjanais pour des raisons objectives et subjectives, ce n’est pas un pays connu. Voilà pourquoi nous avons donné une place importante au volet culturel de notre action diplomatique en France ». L’Ambassadeur a ainsi cité l’exemple de l’inauguration, en septembre 2012, du service culturel de l’ambassade d’Azerbaïdjan à Paris et de l’organisation des semaines culturelles de l’Azerbaïdjan dans plusieurs régions et villes françaises, comportant des concerts, des expositions et des démonstrations culinaires.

Cette action culturelle passe également par la fondation Heydar Aliev
– dont le rôle sera évoqué infra – qui, comme l’a souligné l’Ambassadrice de France, « a contribué en particulier à l’ouverture du département des arts de l’islam au Musée du Louvre ; c’est moins le cas maintenant, la Fondation semblant désormais privilégier des actions en faveur de l’éducation et l’aide caritative ».

Cette coopération culturelle, éducative et scientifique relativement dense a pu, parfois, susciter des interrogations considérant le fait que l’Azerbaïdjan n’est pas exemplaire dans son respect des droits de l’Homme. Toutefois, la réponse est la même que celle apportée s’agissant de l’organisation d’événements sportifs internationaux. Comme l’a expliqué M. Jean-Pierre Lacroix, directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères, « cette forme d’ouverture peut paraître paradoxale au regard de la situation politique du pays, mais elle est réelle. Nous pensons que nous avons intérêt à poursuivre ces partenariats, notamment avec les universités, et à encourager, le cas échéant, le développement de coopérations avec d’autres pays francophones. Ceci n’est pas contradictoire avec la grande vigilance que nous exerçons sur la question des droits de l’Homme, car il s’agit précisément de mener une politique qui favorise l’ouverture partout où elle est possible. La création, cette année, avec l’aide de l’Université de Strasbourg, de l’Université franco-azerbaïdjanaise sera très significative à cet égard. Par ailleurs, l’Université des langues de Bakou s’est rapprochée de l’association universitaire de la francophonie ; ce mouvement nous paraît également positif et nous souhaitons l’encourager. Encore une fois, une coopération culturelle bien calibrée, qui n’oublie pas qu’elle s’inscrit dans un contexte particulier et qu’elle doit favoriser des objectifs liés à la promotion des droits de l’Homme me semble positive ».

ii. Le rôle stratégique de la fondation Heydar Aliev dans la diplomatie culturelle de l’Azerbaïdjan

La fondation Heydar Aliev, présidée par l’épouse du Président azerbaïdjanais, Mme Mehriban Alieva, est, comme l’a rappelé S. E. M. Elchin Amirbayov, « la plus grande organisation laïque et non-gouvernementale du Caucase du Sud » et un instrument essentiel de la diplomatie culturelle azerbaïdjanaise, comme l’a souligné Mme Florence Mangin. La Fondation a pour vocation de soutenir la culture, les sciences, l’éducation et la santé, tout en promouvant l’image de l’Azerbaïdjan dans le monde. C’est ainsi que son action est à la fois nationale et internationale :

– en Azerbaïdjan, elle aide à la réalisation de projets dans le domaine de l’éducation, de la santé, de l’amélioration des conditions de vie des personnes déplacées et réfugiées, ou de la protection du patrimoine national ;

– à l’étranger, ses actions visent pour l’essentiel à protéger le patrimoine via des opérations de mécénat en France mais aussi dans d’autres pays de l’Union européenne.

Toutefois, parce que la Présidente de la fondation est également membre du Parlement et présidente du groupe d’amitié Azerbaïdjan-France, la fondation est particulièrement active dans notre pays, en particulier dans le domaine de la protection du patrimoine. Outre sa contribution, à hauteur d’un million d’euros, à la création du département des arts de l’Islam au Louvre, elle a également soutenu financièrement la restauration :

– de deux statues dans le parc du château de Versailles ;

– de cinq vitraux dans la cathédrale de Strasbourg ;

– d’une vingtaine de petites églises rurales en Basse-Normandie.

De plus, la fondation a soutenu une exposition du photographe Reza dans la mairie du Ier arrondissement de Paris ainsi que l’opération « Village d’Azerbaïdjan », dont la troisième édition a eu lieu en 2016 dans le VII arrondissement de Paris.

Enfin, la fondation soutient certaines actions liées à la France en Azerbaïdjan. Ce fut le cas, par exemple, de l’exposition « Plaisirs de France », consacrée à l’art et à la culture de la Renaissance française, au Musée des Beaux-Arts de Bakou en 2012.

La fondation Heydar Aliev utilise ainsi une gamme diversifiée d’instruments, allant jusqu’à l’événementiel.

La mission d’information a cherché à en savoir plus sur son financement et a interrogé S. E. M. Elchin Amirbayov sur ce point. Celui-ci a indiqué que « son budget est constitué par des subventions en provenance de différents acteurs privés et par des subventions en provenance de l’État. Mais la plupart des financements viennent de ses partenaires. Sur le site internet de la Fondation, vous pouvez trouver la longue liste de tous ceux avec lesquels certaines opérations ont été réalisées. Je ne peux pas vous en donner exactement les chiffres qui varient selon les années, selon les projets et les fonds nécessaires pour les réaliser ».

b. Une coopération décentralisée encore peu développée

i. Malgré le volontarisme de l’Azerbaïdjan, la coopération décentralisée y est moins développée qu’avec l’Arménie

Parallèlement à la coopération d’État à État, les collectivités territoriales françaises, dont l’autonomie est garantie par l’article 74 de la Constitution, ont la possibilité de mettre en œuvre une coopération dite décentralisée avec leurs homologues des autres États. Celle-ci est encadrée par la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD), dont le secrétaire général est organiquement le délégué pour l’action extérieure des collectivités territoriales au ministère des affaires étrangères, et qui est présidée par le Premier ministre.

Comme l’a rappelé, M. Bertrand Fort, délégué pour l’action extérieure des collectivités territoriales au ministère des affaires étrangères, auditionné le
16 novembre 2015, « les collectivités locales disposent aujourd’hui d’une quasi-liberté d’agir dans le cadre de leurs relations extérieures. J’use de cette expression, car dans un nombre de cas très marginaux, nous pouvons intervenir par le truchement des préfets, au titre de la hiérarchie des normes juridiques, lorsque des actions de collectivités territoriales seraient en contradiction avec la politique étrangère de la France. Cette liberté quasi totale vaut pour tous les pays susceptibles d’être des partenaires de coopération, y compris l’Azerbaïdjan ainsi que l’ensemble de la région du Caucase ».

L’Azerbaïdjan ne fait cependant pas partie des pays les plus concernés par la coopération décentralisée. Comme l’a confirmé M. Bertrand Fort, « quand bien même des variations annuelles peuvent être constatées, sont présents dans le groupe de tête des dix principaux pays concernés, le Sénégal, Madagascar, le Maroc, le Liban, le Burkina Faso, le Bénin, l’Arménie, Haïti et la province du Québec ». Toutefois, en raison même de cette situation et afin de diversifier la coopération décentralisée, la CNCD attribue des « bonus », notamment s’agissant des cofinancements de projets, aux collectivités territoriales qui choisiraient un pays comme l’Azerbaïdjan.

Il n’en reste pas moins que la coopération décentralisée est, s’agissant de l’Azerbaïdjan, à la fois très limitée et très récente, à la seule exception du jumelage entre Bordeaux et Bakou, qui date de 1979 mais a été qualifié d’« assez virtuel » par M. Bertrand Fort. D’une manière générale, ce dernier a expliqué que « depuis 2012 environ, nous constatons une croissance de ces partenariats de coopération décentralisée avec l’Azerbaïdjan, qu’ils soient virtuels pour la plupart ou réels pour quelques-uns ». En effet, « par-delà les chartes d’amitié, une poignée seulement de ces accords a un impact concret sur la coopération décentralisée effective ».

C’est un fait que la coopération décentralisée prend principalement la forme très légère de chartes de jumelage (entre Naftalan et L’Aigle, entre Tovuz et Cognac en 2014) ou chartes d’amitié et de coopération (entre Yevlakh et Mulhouse et entre Gusar et Megève en 2014, ainsi qu’entre Sheki et Colmar et entre Ismayili et Evian-les-Bains en 2015). Ces chartes peuvent intervenir après la signature des protocoles de coopération. C’est le cas pour celle entre le Conseil général de l’Yonne et les régions Gandja, Shamkir Göygöl et Balkahan et celle entre Göygöl et Chablis.

Comme l’explique encore M. Bertrand Fort, « de fait, la différence est grande entre une simple charte d’amitié, un jumelage et une coopération concrète engageant des fonds et de la ressource humaine ». En pratique, seule la coopération décentralisation du conseil général de l’Yonne et de la ville de Cognac semble avoir eu une portée réelle. Avec ces deux collectivités territoriales, « la coopération est active dans le secteur des vins et spiritueux, et l’essentiel des accords passés entre ces collectivités s’est concrétisé ».

Toutefois, tout en reconnaissant à demi-mot la faible portée de ces partenariats, S. E. M. Elchin Amirbayov estime néanmoins que « dans certaines de ces villes, les élus locaux ont manifesté la volonté d’aller au-delà des échanges culturels et, par exemple, d’aborder le domaine économique. Voilà pourquoi, après ces premiers contacts, nous avons atteint un autre niveau de coopération qui nous a permis de signer des conventions avec ces collectivités territoriales : chartes de jumelage et chartes de coopération et d’amitié. Il s’agit d’approfondir les échanges interhumains entre les différentes collectivités, mais aussi d’imaginer d’éventuels échanges économiques. Comme on ne peut pas tout faire au niveau de l’État ou en passant par les ministères, certaines collectivités territoriales peuvent être intéressées par telle ou telle forme de coopération ».

En définitive, pour M. Bertrand Fort, si « depuis les années 2010, l’Azerbaïdjan a souhaité renforcer cette dimension de la relation bilatérale, en se comparant avec la richesse, la diversité et l’intensité qui caractérisent les relations entretenues avec l’Arménie par beaucoup de collectivités territoriales françaises […], il faudra beaucoup de temps pour que le nombre des partenariats franco-azerbaïdjanais atteigne la moitié de ceux conclus entre la France et l’Arménie. Cet écart s’explique en partie par l’ancienneté de la relation unissant la France à ce pays, ainsi que par le nombre important de ressortissants arméniens présents sur notre sol ou le nombre de nos compatriotes d’origine arménienne, mais aussi par les liens tissés au cours de l’histoire ».

En novembre 2015, M. André Vallini, alors secrétaire d’État à la réforme territoriale, a effectué une visite à Bakou visant à la création d’un comité de pilotage franco-azerbaïdjanais pour la coopération décentralisée. Comme l’a indiqué Mme Florence Mangin, « nous escomptons que le développement de la coopération décentralisée permettra la diversification de nos échanges et de notre influence dans quatre domaines principaux : le tourisme, l’agriculture, l’éducation et la formation professionnelle, la valorisation du patrimoine culturel. Telles sont les pistes sur lesquelles nous travaillons en liaison avec les collectivités territoriales ». L’avenir dira si cette initiative permettra de dynamiser plus encore ce volet de la coopération entre la France et l’Azerbaïdjan.

ii. Une question sensible et controversée en contrepoint : la coopération décentralisée avec des collectivités du Haut-Karabagh

La coopération décentralisée, dans le cas de l’Azerbaïdjan, présente cependant une difficulté particulière compte tenu du conflit du Haut-Karabagh. En effet, au moins deux chartes d’amitié ont été signées par des communes françaises – Sarcelles et Bourg-lès-Valence – respectivement avec Martakert et Choucha qui, toutes les deux, sont situées dans cette région disputée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

Or, comme l’a expliqué M. Bertrand Fort, « à l’instar de la situation de la Crimée, dès lors que la France ne reconnaît pas l’annexion d’un territoire, notre droit interdit aux collectivités territoriales de constituer légalement des coopérations décentralisées. Les collectivités territoriales françaises ne peuvent donc pas entretenir de coopérations décentralisées avec les collectivités territoriales du Haut-Karabagh. En cas de dépense ou d’acte engagés dans ce contexte par une assemblée locale délibérante, le préfet est fondé à déclarer la nullité de ces actes ou dépenses ».

Il convient donc de bien distinguer, comme l’a souligné M. Bertrand Fort, « entre des actes pris en assemblée délibérante de collectivités territoriales [et] des déclarations politiques ou des actes signés qui ne feraient pas l’objet de délibération d’un conseil municipal ». Il n’est donc pas interdit aux communes de signer une Charte d’amitié, même avec une commune située dans la région du Haut Karabagh, car celle-ci « n’a aucune valeur juridique dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’une décision de la part d’une assemblée délibérante ». En revanche, « il est interdit d’engager les fonds du contribuable français dans des coopérations qui, de fait, sont illégales ». L’Ambassade d’Azerbaïdjan surveille ainsi de très près ces initiatives.

Malgré ces limites juridiques, M. Bertrand Fort constate « de la part du Haut-Karabagh un volontarisme similaire à celui de l’Azerbaïdjan pour nouer des partenariats ou des coopérations, qui peuvent prendre des formes très diverses : conventions, échanges de lettres, chartes d’amitié ou de solidarité… Il n’existe pas de codification de ce type d’échanges ; ce qui est codifié, en revanche, ce sont les délibérations portant sur un échange de documents signés par les parties. Le volontarisme azerbaïdjanais est un peu l’écho du volontarisme – pour employer un euphémisme – manifesté par les autorités arméniennes et par l’ambassade d’Arménie en France pour inciter les collectivités territoriales françaises à engager des partenariats avec des entités administratives du Haut-Karabagh ».

III. DÉMOCRATIE ET DROITS DE L’HOMME : POUR UNE APPROCHE ÉQUILIBRÉE ENCOURAGEANT L’OUVERTURE DE L’AZERBAÏDJAN

Le sentiment général, au sein de la communauté internationale, est celui d’une régression globale de la situation des droits l’Homme et libertés démocratiques en Azerbaïdjan au cours des dernières années. Si le contexte globalement difficile pour le pays – économique, social, géopolitique et sécuritaire – doit être pris en compte, il ne saurait pour autant justifier cette évolution.

En tant que patrie des droits de l’Homme, la France se doit d’entretenir un dialogue franc et exigeant avec l’Azerbaïdjan sur cette question. Ce dialogue doit être ouvert, de façon à poser la France comme un partenaire crédible, conscient des contraintes de l’Azerbaïdjan, mais décidé à peser pour obtenir et accompagner une ouverture progressive du pays.

A. UNE SITUATION PROBLÉMATIQUE DES LIBERTÉS DÉMOCRATIQUES ET DES DROITS DE L’HOMME

L’attitude de l’Azerbaïdjan à l’égard des droits et libertés promus par le droit international peut paraître ambivalente. D’un côté, le pays manifeste un réel souci d’inclusion au sein de la communauté internationale, à laquelle il s’efforce de présenter une façade respectueuse.

Cependant, dans le même temps, il durcit nettement les conditions de mise en œuvre de ces droits et libertés, au point qu’ils peuvent parfois sembler n’être plus que théoriques. Cette évolution doit évidemment être analysée à la lumière d’un contexte général fréquemment invoqué, dont l’influence doit être pondérée.

Cette tendance a été relevée largement par les différents interlocuteurs auditionnés par la mission d’information. Les organisations non gouvernementales (ONG) internationales (Amnesty international, Fédération internationale des droits de l’Homme, Reporters sans frontières) rapportent un accès de plus en plus difficile au pays, où elles n’ont pu conduire de mission officielle depuis 2015.

Lors de son audition, notre collègue Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, a ainsi observé que si l’Azerbaïdjan redéposait aujourd’hui une demande d’adhésion au Conseil de l’Europe, celle-ci serait sans doute refusée, tant la dégradation de la situation est jugée importante. Elle résulte de deux évolutions concomitantes : l’accroissement d’un pouvoir présidentiel pourtant déjà très fort et le rétrécissement du champ de la société civile.

1. Un débat démocratique très réduit

a. Un régime fortement présidentiel dès l’origine

L’Azerbaïdjan a été confronté, dès son indépendance, au problème de la stabilité intérieure.

Aïaz Moutalibov (parti communiste), le premier président de la République d’Azerbaïdjan au lendemain de son indépendance en 1991, n’a occupé cette fonction que jusqu’en mai 1992, contraint de démissionner en raison de l’enlisement et du désastre militaire au Haut-Karabagh.

Son successeur, Abulfaz Elchibey (parti du Front populaire), n’est resté en fonction que jusqu’en juin 1993, seulement. C’est alors que des militaires et Heydar Aliev − ancien Président du KGB d’Azerbaïdjan, ancien premier secrétaire du Comité central du parti communiste d’Azerbaïdjan, membre du Politburo du parti communiste, président-fondateur du « Parti Nouveau Azerbaïdjan » (YAP) et président de la République autonome de Nakhitchevan – font tomber Elchibey fragilisé en raison des défaites militaires continues subies au Haut-Karabagh. Heydar Aliev exerce alors les fonctions de Président par intérim avant d’être officiellement élu Président de la République le 3 octobre 1993 avec 98 % des votes et un taux de participation supérieur à 90 %. Il déjoue, en 1995, grâce à l’aide du Président turc, un coup d’État visant à le destituer pour rétablir Abulfaz Elchibey au pouvoir. Il est ensuite réélu en 1998 avec environ 77 % des voix et un taux de participation un peu inférieur à 80 %. En raison de graves problèmes de santé, il est contraint de renoncer tardivement à se représenter à l’élection présidentielle d’octobre 2003 mais il nomme son propre fils, Ilham Aliev, au poste de Premier ministre et l’investit comme unique candidat du parti YAP à la présidence de la République. Ilham Aliev remporte l’élection du 15 octobre 2003, face à Issa Gambar, avec plus de 75 % des votes. Il sera ensuite réélu en 2008 (avec environ 87 % des voix) et en 2013 (avec environ 84 % des voix).

Sur le plan institutionnel, la Constitution d’Azerbaïdjan prévoit que le Président est élu au suffrage universel direct (article 101, paragraphe 1 de la Constitution). Il nomme, avec l’approbation du Parlement, et révoque le Premier ministre, et nomme et révoque également les autres membres du cabinet (article 109 de la Constitution). Élu pour cinq ans (article 84, paragraphe 1 de la Constitution), le Parlement, le Milli Majlis, est monocaméral (article 81 de la Constitution) et comprend 125 députés (article 82 de la Constitution). Le Parlement peut adopter une motion de censure contre le cabinet (article 95, paragraphe 14 de la Constitution). Il existe un médiateur (Haut-Commissaire aux droits de l’Homme) nommé par le Parlement sur proposition du Président (article 95, paragraphe 6 de la Constitution). La Cour constitutionnelle, compétente pour juger de la constitutionnalité des lois, est composée de neuf juges nommés par le Parlement sur la recommandation du Président (article 130 de la Constitution). Les articles 94 et 95 exposent les pouvoirs du Parlement et l’article 109, ceux du Président.

Le Président a davantage de pouvoirs que le Parlement. À titre d’exemple, c’est lui qui présente le budget de l’État au Parlement pour approbation, approuve les programmes économiques et sociaux de l’État et décide de la tenue d’un référendum.

La pratique institutionnelle est, en outre, ultra-présidentielle, y compris en matière économique. Le Président azerbaïdjanais a un rôle et un pouvoir décisionnaire très forts. Si une forme de responsabilité existe et peut être mise en œuvre par le Parlement, elle semble largement théorique. Les pouvoirs du Parlement (tant législatifs à proprement parler que de nomination) restent largement subordonnés à ceux du Président.

Pour ce qui concerne l’autorité judiciaire, les auditions ont fait apparaître un manque d’indépendance. Ainsi, M. Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, a estimé que « comme dans beaucoup de pays, la justice, loin d’être indépendante de l’exécutif, lui est étroitement liée. »

Au total, il apparaît que le régime azerbaïdjanais a reposé, dès l’origine, sur un pouvoir présidentiel fort, non contrebalancé par un système effectif de « checks and balances » à l’image du modèle américain, souvent donné en référence pour les régimes présidentiels.

Le régime américain est en effet organisé selon un principe de séparation stricte des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, tempérée par l’existence de moyens de contrôle et d’action réciproques, tels que le droit de veto du Président sur les textes législatifs ou le pouvoir du Sénat de s’opposer aux nominations relevant du Président ou aux traités internationaux négociés par l’Administration.

À l’inverse, en Azerbaïdjan, le Président concentre les pouvoirs tandis que le Parlement voit ses moyens d’action fortement réduits. Les révisions constitutionnelles successives ont eu tendance à amplifier ce déséquilibre.

b. Une centralisation du pouvoir encore accrue par la révision constitutionnelle de septembre 2016

Le 26 septembre 2016, les Azerbaïdjanais ont approuvé à 83 % une révision constitutionnelle qui a pour effet d’accroître assez fortement le pouvoir présidentiel, au détriment d’un Parlement déjà faible.

Ce texte, dont la constitutionnalité avait été préalablement validée par la Cour constitutionnelle le 25 juillet 2016, a été soumis à l’approbation populaire sur une initiative du Président Aliev, sans que le Parlement ait eu à en connaître.

La révision constitutionnelle comprend 29 amendements à la Constitution de 2001, répartis en deux volets, l’un relatif aux droits de l’Homme (qui sera traité dans le 2) et l’autre au pouvoir présidentiel. Elle a fait l’objet d’une analyse de la Commission de Venise (6) du Conseil de l’Europe, qui a rendu un avis défavorable.

S’agissant du pouvoir présidentiel, il faut observer qu’une révision constitutionnelle adoptée en 2009 avait fait sauter un verrou essentiel en éliminant la limitation à deux mandats présidentiels successifs : le Président est désormais rééligible à vie.

La révision constitutionnelle de septembre 2016 prolonge ce mouvement en allongeant le mandat présidentiel de 5 à 7 ans (article 101). Cette mesure n’est pas particulièrement préoccupante en soi. Cependant, avec l’effet cumulé de la réélection à vie, elle conduit incontestablement à concentrer le pouvoir entre les mains du Président d’une manière que la Commission de Venise estime « incompatible avec la séparation des pouvoirs ».

L’article 101 modifié habilite en outre le Président à ordonner l’organisation d’élections présidentielles anticipées avant l’expiration de son mandat. La Commission de Venise estime que, ce faisant, le texte permet au Président de « choisir le moment le plus opportun pour des élections » et ainsi de « promouvoir de la sorte un successeur ou se faire reconduire dans ses fonctions ».

Enfin, le nouvel article 98-1 confère au Président un large droit de dissolution du Parlement. Celui-ci a vocation à s’appliquer dans plusieurs cas de figure.

Premièrement, le Parlement peut être dissout après le vote de deux motions de censure contre le cabinet en un an. Ce type de dispositions, fréquentes dans les régimes parlementaires – voire semi-présidentiels, à la française – l’est moins dans le cadre d’un régime présidentiel où le gouvernement ne dépend pas du Parlement. En Azerbaïdjan, la motion de censure votée par le Parlement a simple valeur de recommandation pour le Président. Il résulte ainsi de l’instauration du droit de dissolution un déséquilibre entre les moyens d’action réciproques du Président et du Parlement, en cas de conflit entre l’exécutif et le législatif. Comme le signale la Commission de Venise, « il deviendrait très difficile à l’opposition de prendre le risque d’un vote de défiance si elle sait que l’avis du Parlement peut aisément être négligé et que le vote de la motion de censure peut conduire à la dissolution de la Milli Majlis ».

Le droit de dissolution donné au Président pourra aussi s’appliquer si le Parlement refuse par deux fois d’approuver la nomination d’une personne désignée par le Président pour occuper les fonctions de juge à la Cour constitutionnelle ou à la Cour suprême. Dans la situation antérieure, le pouvoir présidentiel de nomination des juges des deux juridictions les plus hautes n’était limité que par l’approbation du Parlement. La Commission de Venise estime ainsi que le nouveau droit de dissolution conféré au Président « menace gravement l’indépendance de la justice ».

Enfin, le droit de dissolution est reconnu au Président si le Parlement ne s’acquitte pas des fonctions décrites dans les articles 94 à 97 de la Constitution, qui définissent l’étendue de son pouvoir législatif. La Commission de Venise estime que cette formulation vague pourrait être interprétée de manière excessive, par exemple en sanctionnant par la dissolution tout retard dans le processus législatif. Au total, ce large droit de dissolution non compensé par des moyens d’action symétriques du Parlement conduit à le priver, pour l’essentiel, de sa faculté d’agir comme contre-pouvoir.

Le pouvoir présidentiel se trouve aussi renforcé par l’instauration de vice-présidents (article 103-1) nommés et révoqués par le Président et pouvant être appelés, dans certaines situations, à exercer les pouvoirs du Président. La Commission de Venise estime que la possibilité de désigner un vice-président, en donnant au Président en place « une influence considérable sur le choix de son successeur », est « incompatible avec les normes démocratiques ».

Enfin, l’article 89 étend les motifs de déchéance du mandat parlementaire aux violations flagrantes des règles de déontologie et à la sanction du vote délégué, la Constitution imposant la règle du vote personnel. Les modalités de cette procédure de déchéance de mandat ne sont pas précisées, non plus que son initiateur. Cela fait dire à la Commission de Venise que cette disposition « peut être abusivement utilisée contre des députés de la minorité ».

c. Des élections souvent critiquées par la communauté internationale

Le corps électoral en Azerbaïdjan est actuellement d’environ 6 millions d’électeurs.

Le Bureau international de la démocratie et des droits de l’Homme de l’OSCE (BIDDH), l’Assemblée parlementaire de l’OSCE, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, le Parlement européen ou encore l’Assemblée parlementaire de l’OTAN font partie des organisations internationales qui envoient, plus ou moins régulièrement, des observateurs aux scrutins organisés par l’Azerbaïdjan.

Depuis 1995, ces organisations ont ainsi pu observer quatre élections présidentielles (1998, 2003, 2008 et 2013) et cinq élections législatives (1995, 2000, 2001, 2005 et 2015).

Pour la première fois, en 2015, le BIDDH a renoncé à observer les élections législatives en Azerbaïdjan estimant que les conditions et restrictions imposées par les autorités de l’État étaient contraires aux engagements souscrits par l’Azerbaïdjan auprès de l’OSCE et en contradiction avec le mandat du BIDDH en matière d’observation électorale. En effet, alors qu’une équipe de 30 observateurs de long terme et 350 observateurs de court terme était envisagée afin de permettre de couvrir le pays et bénéficier d’une observation exhaustive, l’Azerbaïdjan a indiqué à plusieurs reprises qu’il n’était prêt à accepter qu’une équipe composée de 6 observateurs de long terme et 125 observateurs de court terme. Le BIDDH n’a donc pas observé ces élections qui ont, par ailleurs, été boycottées par les principaux partis d’opposition, estimant qu’elles ne constituaient qu’un simulacre.

On peut lire, çà et là, qu’aucune élection n’a été considérée comme démocratique en Azerbaïdjan depuis au moins 2003. La présente mission d’information ne saurait faire sienne une telle généralisation, consciente que dans tout pays, pour chaque élection, tant au cours de la campagne électorale que le jour du vote, des irrégularités − nombreuses ou non, susceptibles de vicier la régularité et la sincérité du scrutin ou non – peuvent être relevées. En ce domaine, chaque pays dispose d’une marge d’amélioration. Il convient dès lors d’examiner, au cas par cas, la nature, la gravité, la proportion des irrégularités relevées. Or, force est de constater que la limitation dans la taille de la mission d’observation électorale semble aller dans le sens d’une aggravation des conditions dans lesquelles se déroulent, depuis 2003, les opérations électorales en Azerbaïdjan. La lecture des rapports des missions d’observation électorale effectuées en Azerbaïdjan depuis 1995 montre clairement une augmentation et une aggravation des critiques faites par les observateurs, malgré quelques améliorations effectuées à la marge par les autorités.

d. Une place très marginale accordée à l’opposition et à la dissidence

Une des questions qui s’est posée à la présente mission d’information est la suivante : comment fonctionne le système politique azerbaïdjanais et quelle place occupent les partis politiques d’opposition et la dissidence ? Les informations recueillies ainsi que les éléments documentaires publics consultés montrent que celle-ci est très limitée.

L’encadrement législatif des partis politiques s’avère très strict. Il repose sur la loi dite « Law on political parties of the Republic of Azerbaijan » du 3 juin 1992. Cette loi dispose que tout parti politique est obligé de s’enregistrer auprès des autorités de l’État pour avoir une existence légale. Cet enregistrement peut être refusé et toute modification est soumise à l’approbation de l’autorité compétente en matière d’enregistrement. Par ailleurs, les financements sont particulièrement réglementés et contrôlés. Les financements étrangers, de manière classique, sont interdits.

Le statut des partis politiques a fait l’objet d’observations de la part de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe. En effet, celle-ci avait été saisie, en 2004, du projet de réforme de la loi sur les partis politiques. Dans son avis des 18 et 19 juin 2004, cité à de nombreuses reprises dans son avis des 16 et 17 décembre 2011, la Commission de Venise attirait l’attention des autorités d’Azerbaïdjan sur certaines dispositions législatives et rappelait la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme : « La Cour a, à de nombreuses reprises, clairement dit que le droit à la liberté d’expression inclut le droit de défendre des idées offensantes, choquantes ou gênantes. La Cour a notamment conclu que les partis politiques sont en droit de faire campagne en faveur d’une modification de la législation ou des structures juridiques ou constitutionnelles de l’État sous réserve de deux conditions : 1) que les méthodes employées à cette fin soient en tous points légales et démocratiques et 2) que les modifications proposées soient elles-mêmes compatibles avec les principes démocratiques fondamentaux (…) ».

Lors des auditions, il a souvent été rapporté que les partis politiques d’opposition n’étaient que « tolérés ». En outre, M. Jean-Pierre Lacroix, directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères, a indiqué à la mission d’information que, exerçant dans des conditions de fonctionnement déjà difficiles, ces partis ont « vu leurs marges de manœuvre se réduire encore au cours des dernières années ». Cette évolution rejoint celle, plus générale, de l’attitude des autorités azerbaïdjanaises à l’égard des expressions pluralistes.

Le principal parti, parti majoritaire au Parlement et parti au pouvoir, est le « Parti Nouveau Azerbaïdjan » (YAP). Il existe plusieurs autres partis politiques, présentés dans l’encadré ci-après.

LES PARTIS POLITIQUES EN AZERBAÏDJAN

Sont actuellement représentés au Parlement monocaméral qui compte 125 sièges, les partis ou groupes suivants : le Nouveau Parti de l’Azerbaïdjan (YAP - 72 sièges), les « Indépendants » (41 sièges), le Parti de la solidarité civile (VHP - 2 sièges), le Parti du front populaire de l’Azerbaïdjan unifié (1 siège), le Parti du grand établissement (1 siège), le Parti démocratique des lumières (1 siège), le Parti de la protection sociale (1 siège), le Parti de l’État national (1 siège), le Parti de la réforme démocratique (1 siège), le Parti social-démocrate (1 siège), le Parti de l’union civile (1 siège), le Parti du mouvement du renouveau national (1 siège), et le Parti de la patrie (Ana Vaten - 1 siège).

Les éléments publics permettent de dresser le récapitulatif qui suit, parmi les partis d’opposition dont le projet politique est réellement différent de celui du pouvoir en place :

– le parti Müsavat, le plus ancien parti politique d’Azerbaïdjan, fondé en 1911 et dirigé actuellement par Issa Gambar, qui fut Président du Parlement et, à ce titre, assura brièvement l’intérim de la présidence de la République en mai-juin 1992 ;

– le front populaire d’Azerbaïdjan, fondé en 1989 par Abulfaz Elchibey et Issa Gambar. Dès sa création, ce parti s’est opposé au pouvoir communiste en place. Abulfaz Elchibey a été élu président de la République, pour un mandat de 5 ans, le 7 juin 1992 après la démission du précédent Président, Aïaz Mutalibov. Son mandat n’aura été que de courte durée, le pouvoir ayant été pris en 1993 par Heydar Aliev. Dès lors, le Front populaire d’Azerbaïdjan n’a cessé de s’opposer au gouvernement en place et a contesté les différentes élections qui ont été organisées. Son siège a été perquisitionné, des militants ont été arrêtés ;

– le parti démocrate d’Azerbaïdjan (ADP), fondé en 1993 par Sardar Jalaloglu (Mammadov) qui le dirige actuellement. Rasul Guliyev, qui a été Premier ministre d’Azerbaïdjan de mai à novembre 1993, en a été un membre actif. Ce dernier n’a pu se présenter aux élections présidentielles de 2003. Il a fait l’objet d’un mandat d’arrêt international de la part des autorités d’Azerbaïdjan. Il a été arrêté puis relâché à deux reprises sur le fondement de ce mandat d’arrêt, aux Pays-Bas puis en Ukraine. Il a ensuite quitté ce parti en 2007 pour créer le Parti de la société ouverte (ACP) ;

– le parti Mouvement alternatif républicain (REAL), créé en janvier 2009 pour dénoncer un certain nombre de mesures soumises au référendum constitutionnel du mois de mars suivant. Ce mouvement est incarné par M. Ilgar Mammadov, directeur de l’École d’études politiques du Conseil de l’Europe à Bakou ;

– le Parti social-démocrate d’Azerbaïdjan (SDPA), créé en décembre 2013 par l’un des fondateurs du Front populaire d’Azerbaïdjan ;

– le Conseil national des Forces démocratiques (CNFD), une alliance regroupant les principaux partis d’opposition, destinée à ne présenter qu’un candidat aux élections présidentielles de 2013 et ainsi créer les conditions d’un éventuel changement de détenteur du pouvoir.

La question du positionnement politique de chacune de ces entités a été très clairement posée par M. Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l’université Paris I Panthéon Sorbonne, président de l’Académie internationale de géopolitique, qui a indiqué que « certes, il existe officiellement une cinquantaine de partis politiques, comme autrefois le Parti communiste français servait de parapluie à toutes sortes d’organisations affiliées ». Cela revient à dire que les partis présents au Parlement ne constituent pas la réelle opposition, mais plutôt, pour la plupart d’entre eux au moins, des « partis satellites » du parti au pouvoir.

Outre la faiblesse des partis d’opposition, la mise en œuvre de certaines libertés politiques semble incertaine.

Au cours des auditions, des représentants d’organisations non gouvernementales mais pas uniquement, ont exprimé leurs préoccupations concernant la possibilité pour toute personne en Azerbaïdjan d’exprimer librement un point de vue politique contraire à celui du pouvoir en place sans craindre d’être arrêtée. Le cas de deux opposants politiques a fait l’objet de recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Il s’agit de M. Issa Gambar et de M. Ilgar Mammadov.

En 2003, le parti démocrate d’Azerbaïdjan, le Front populaire d’Azerbaïdjan et le parti Müsavat s’étaient réunis afin de former une alliance (Bizim Azerbaijan) et soutenir un candidat unique aux élections présidentielles du 15 octobre 2003, M. Issa Gambar, président du parti Müsavat. M. Gambar n’a pas remporté l’élection. Au lendemain des résultats, des manifestations non autorisées ont eu lieu, entraînant certaines dégradations et des violences. Les forces de l’ordre ont été déployées sur le terrain et la situation a vite dégénéré. À la suite de ces événements, plusieurs centaines de personnes ont été arrêtées. Cela a notamment été le cas de Sardar Jalaloglu Mammadov, fondateur du parti démocrate d’Azerbaïdjan, Panah Chodar oglu Huseyn(ov), membre du Front populaire d’Azerbaïdjan, Rauf Arif oglu Abbasov (Arifoglu), membre du parti Müsavat et rédacteur en chef du journal d’opposition « Yeni Müsavat », Arif Mustafa oglu Hajili, vice-président du Parti Müsavat, qui ont été condamnés, en 2004, par la Cour d’assises d’Azerbaïdjan à des peines allant de quatre ans et demi à cinq ans de prison pour organisation de troubles à l’ordre public et violences contre les forces de l’ordre. Dans un arrêt du 26 juillet 2011, la Cour européenne des droits de l’Homme a jugé que l’Azerbaïdjan avait, au cours des enquêtes et procédures menées contre ces personnes, méconnu l’article 6 § 1 et § 3 (b), (c) et (d) et l’article 6 § 2 de la convention européenne des droits de l’Homme.

Le cas de M. Ilgar Mammadov, figure emblématique du parti REAL, est également assez représentatif. M. Mammadov a été arrêté par les autorités d’Azerbaïdjan en 2013, à l’approche des élections présidentielles auxquelles il aurait très probablement été candidat, pour incitation à la protestation. En 2014, malgré les protestations des organisations internationales et organisations de protection des droits de l’Homme, il a été condamné à sept ans de prison. Depuis lors, cette condamnation a été déférée à la justice européenne qui a estimé que cette dernière et les poursuites qui y avaient mené avaient une motivation politique et visaient à le punir pour avoir critiqué le gouvernement.

Depuis ce premier arrêt européen, chaque année, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu plusieurs arrêts concernant la situation de M. Mammadov. Le point d’orgue de cette situation est survenu en avril 2016 lorsque la Cour suprême d’Azerbaïdjan a refusé, après trois ans de détention et en dépit des condamnations répétées de la CEDH, de libérer M. Mammadov. Cette décision a immédiatement suscité une vive réaction de la part de la communauté internationale et notamment du Secrétaire général du Conseil de l’Europe, M. Thorbjørn Jagland, qui a estimé que « priver une personne de sa liberté sur le fondement d’un jugement vicié est une atteinte au système des droits de l’Homme que nous avons mis en place en Europe » et a appelé « le Président Ilham Alyiev, en sa qualité de garant de la Constitution, à faire en sorte que l’Azerbaïdjan honore les engagements qu’il a contractés en signant la Convention européenne des droits de l’Homme. ». M. Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, a indiqué à la mission d’information qu’il avait, lors de sa visite en Azerbaïdjan, « rencontré longuement cet homme courageux dans l’établissement pénitentiaire où il est emprisonné. Il vit durement la très grande injustice qui lui est faite – vous savez les raisons de sa condamnation. J’ai été très inquiet de voir à quel point cet homme solide, qui ne se décrit pas comme un militant des droits de l’Homme mais comme un militant politique déterminé, privé de lectures et d’accès à Internet comme il l’est, perd ses repères et s’affaiblit peu à peu. ».

Ainsi, on peut légitimement s’interroger sur la place réelle laissée à l’opposition et sur la possibilité pour tout projet politique différent de celui en place de pouvoir s’exprimer, et constater que, à tout le moins, cette place est particulièrement limitée. La démocratie a donc du mal à s’installer en Azerbaïdjan. Comme le relève M. Jacques Soppelsa, « l’éradication de la corruption reste un défi majeur en Azerbaïdjan, de même que l’achèvement du processus de démocratisation ».

2. La société civile sous pression

M. Michel Forst, le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, rapporte qu’« au cours des deux ou trois dernières années, la société civile azerbaïdjanaise a fait face à la pire situation depuis l’indépendance du pays ».

Cette pression croissante sur la société civile se traduit concrètement par une application de plus en plus restrictive du cadre d’exercice des droits et libertés publics. Ces droits et libertés existent en théorie et sont garantis par la Constitution, qui comporte, aux articles 24 à 71, une déclaration de droits.

Le problème est ainsi celui du cadre légal de l’exercice de ces droits, lequel pourrait encore se trouver durci par la mise en œuvre de la révision constitutionnelle de septembre 2016.

Dans la pratique, les grandes libertés publiques – liberté de réunion, d’expression, de manifestation – sont fortement contraintes et la répression à leur encontre a eu tendance à s’accroître au cours des dernières années.

Ainsi, les principales incarnations de la vitalité d’une société civile, associations et organisations non gouvernementales (ONG), médias et défenseurs des droits au sens large, ont vu leur marge de manœuvre se réduire fortement en Azerbaïdjan.

a. Révision constitutionnelle et droits de l’Homme : des évolutions contrastées

Les évolutions portées par les amendements constitutionnels relatifs aux droits de l’Homme semblent paradoxales. D’un côté, les nouvelles dispositions étendent la portée de droits de l’Homme déjà garantis (interdiction des discriminations fondées sur l’appartenance ethnique, article 25 ; droits électoraux des juges, fonctionnaires, militaires, détenus et membres du clergé, article 56) – voire introduisent de nouvelles notions, comme le droit à la protection et au respect de la dignité humaine (article 24), ainsi que certains principes du procès équitable (impartialité, délai raisonnable, droit d’être entendu, article 60) et le droit d’être traité de bonne foi et sans arbitraire par les organes de l’État (article 68).

Mais par ailleurs, ces amendements prévoient des clauses qui restreignent le cadre d’application de certains droits. Les effets de ces restrictions, souvent prévues en des termes assez généraux, « dépendront largement de la façon dont ces nouvelles dispositions constitutionnelles seront développées dans la législation nationale, et de l’interprétation qu’en feront les cours et tribunaux », selon les termes de la Commission de Venise.

Ainsi, le nouveau texte constitutionnalise le principe de proportionnalité (article 71), ce qui semble plutôt une avancée. La formulation retenue suscite pourtant quelques réserves ; ainsi, d’après la traduction anglaise du texte, les restrictions apportées aux libertés et droits de l’Homme doivent être proportionnées aux « résultats attendus par l’État » (« to the result expected by the State »). Comme l’observe la Commission, on retient habituellement la notion de « but légitime » et le fait que les résultats soient attendus par l’État ne saurait être un gage de légitimité.

L’article 29 prévoit par ailleurs que le droit de propriété s’exerce dans le cadre de la « responsabilité sociale » des propriétaires ; en particulier, la propriété foncière peut être restreinte dans des buts de « justice sociale » et d’« affectation judicieuse des terres ». Les autorités azerbaïdjanaises expliquent que ces dispositions sont indispensables à la réalisation d’un hub régional de transport multimodal ; « si l’on veut construire une voie ferrée, il faut une base juridique permettant à l’État d’acquérir des terrains ; or, dans la tradition soviétique, l’acquisition d’un terrain est toujours problématique », a expliqué Mme Aurélia Bouchez, Ambassadeur de France en Azerbaïdjan.

L’article 47 interdit désormais, à côté du discours de haine déjà prohibé, l’« hostilité fondée sur tout autre critère », une disposition très générale qui pourrait se prêter à certains excès. L’article 49 admet la déchéance ou la perte de nationalité en déléguant intégralement au législateur la définition des motifs de cette déchéance.

Toutes ces dispositions ne sont pas contraires aux droits de l’Homme en soi. Cependant, elles réservent aux autorités azerbaïdjanaises une marge d’interprétation large qui risque de s’avérer défavorable, au vu du contexte actuel de répression des activités de la société civile.

D’après Mme Aurélia Bouchez, Ambassadeur de France en Azerbaïdjan, « le rôle du Parlement dans la mise en œuvre de la révision constitutionnelle est très limité. Le principe de la hiérarchie des normes n’existant pas tel que nous le connaissons, beaucoup dépendra de l’utilisation qui sera faite, ou qui ne sera pas faite, des dispositions nouvelles ».

b. Un cadre juridique de plus en plus contraignant pour les ONG

En vertu de l’article 58 de la Constitution, « toute personne est libre de former des associations de quelque nature que ce soit, notamment des partis politiques, des syndicats et d’autres organisations publiques, ou d’adhérer à des organisations existantes. Les associations peuvent exercer leur activité en toute indépendance ».

L’Azerbaïdjan a adopté en 2000 une loi sur les organisations non gouvernementales (ONG) qui régit leur création, leur fonctionnement, leur gestion et leur dissolution. Cette loi a été amendée à plusieurs reprises depuis, dans un sens de plus en plus contraignant.

Ainsi, en 2009, les procédures d’enregistrement des ONG ont été alourdies, plus encore pour les bureaux et représentations d’ONG internationales. Par ailleurs, les exigences relatives au contenu des statuts ont été rehaussées et la dissolution des ONG par les autorités facilitée.

De nouvelles réformes ont été adoptées en 2013 et 2014, qui ont fait l’objet d’un avis négatif de la Commission de Venise (7). Celle-ci estime que les bureaux et représentations d’ONG internationales sont placés dans une situation encore plus défavorable, que les nouvelles obligations en matière de financements et de comptes à rendre, le renforcement de la surveillance de l’État et le renforcement des sanctions sont globalement en contradiction avec la liberté d’association promue par la Constitution.

À l’heure actuelle, de multiples obstacles se dressent en travers du chemin des personnes souhaitant créer une ONG. La Commission de Venise rapporte que la procédure d’enregistrement est particulièrement longue et aléatoire, en raison de la législation azerbaïdjanaise mais aussi des pratiques de l’administration.

Les ONG locales n’ont pas l’obligation de s’enregistrer, mais elles ne peuvent alors disposer de compte bancaire ni recevoir de subventions ou bénéficier des avantages fiscaux. Les ONG internationales sont en revanche tenues de s’enregistrer et de créer un bureau ou une représentation locale.

Globalement, les procédures d’enregistrement des associations accusent des retards importants et sont excessivement centralisées. Les personnes souhaitant créer leur association doivent fournir un nombre important de documents et présenter des statuts extrêmement détaillés. La définition des motifs de refus laisse un pouvoir d’appréciation large à l’administration.

La réforme de 2014 conduit en outre à exclure les donations de source étrangère et à soumettre le droit de verser une subvention à un avis des autorités nationales.

La réforme de 2013 renforce par ailleurs le contrôle exercé par l’État sur les ONG en l’habilitant à vérifier la compatibilité des activités aux statuts et en prévoyant de nouveaux motifs de suspension et de liquidation des activités des ONG.

Ces évolutions législatives traduisent une méfiance institutionnalisée à l’égard des ONG qui se manifeste aussi, comme en Russie, par des pressions et des accusations permanentes.

Dans ce contexte, de nombreuses ONG ont dû cesser leur activité. Plusieurs ONG internationales se sont vu refuser l’agrément, à l’image d’Amnesty International. La section azerbaïdjanaise de Transparency International survit.

Cependant, certaines organisations considèrent qu’elles ne sont pas concernées par la loi sur les ONG et n’en respectent pas les prescriptions. C’est le cas de l’ONG américaine Freedom House, financée par USAID, qui estime que la loi ne s’applique pas aux agences de développement et de coopération et ne fait pas enregistrer les financements qu’elle apporte aux ONG azerbaïdjanaises. L’Union européenne est aussi sur cette ligne, ce qui permettrait de desserrer un peu l’étau autour de la société civile azerbaïdjanaise. Les projets financés par l’Union européenne sont néanmoins, la plupart du temps, à dimension sociale plus que politique ou même civique.

c. Une réduction importante du pluralisme des médias

L’article 50 de la Constitution azerbaïdjanaise dispose que « la liberté de la presse est garantie » et que « la censure étatique sur la presse, y compris la presse écrite, est interdite ».

Pourtant, le classement de l’ONG internationale Reporters sans frontières (RSF) place l’Azerbaïdjan en 163e position sur 180 pays s’agissant de la liberté de la presse. Ce classement est élaboré à partir de violations répertoriées au long de l’année, avec l’aide d’organisations partenaires, et surtout grâce à un questionnaire renseigné par divers interlocuteurs sur le terrain – journalistes, professeurs, universitaires, observateurs divers – portant sur leur appréciation du pluralisme, de l’indépendance, de l’environnement global et de la qualité des infrastructures soutenant la production de l’information.

• Un durcissement global des conditions d’exercice des médias

L’ONG décrit une attitude de plus en plus dure des autorités azerbaïdjanaises à l’égard non seulement des médias d’opposition, mais aussi des médias indépendants d’investigation, en particulier depuis l’élection présidentielle de 2013.

Ce durcissement se traduit par une répression accrue à l’encontre des journalistes, lesquels fournissent un contingent important des « prisonniers politiques » ou « prisonniers d’opinion » recensés par les diverses ONG internationales (cf. infra). À cet égard, RSF note un changement de l’attitude du pouvoir qui privilégiait autrefois la « carotte », notamment en attribuant des logements aux journalistes faisant preuve de « loyauté ». Désormais, le « bâton » serait de mise. L’une des dispositions les plus controversées est la pénalisation de la diffamation, comme l’a rappelé à la mission d’information M. Pierre-Yves le Borgn’.

RSF rapporte qu’une autre pratique répandue consiste à étouffer économiquement les médias critiques. À cette fin, les ventes de journaux seraient entravées de diverses manières, par exemple en interdisant la vente par les crieurs de rue et dans le métro. En outre, la réfection à neuf des kiosques de Bakou aurait été l’occasion d’en faire disparaître la presse indépendante.

Par ailleurs, l’État ferait en sorte de contrôler le réseau de distribution de la presse, de façon à ce qu’il cesse de verser aux journaux le produit de leurs ventes. Le contrôle exercé sur le marché publicitaire serait un autre moyen de priver les médias de ressources essentielles à leur survie, en dissuadant les entrepreneurs de publier leurs annonces dans les journaux critiques à l’égard du pouvoir.

À l’heure actuelle, le financement des médias indépendants et d’opposition reposerait ainsi essentiellement sur des mécènes extérieurs, ce qui constitue un modèle économique évidemment fragile.

• Un pluralisme très amoindri

Dans ce contexte, le pluralisme des médias se trouve aujourd’hui fortement réduit. Les médias de masse que sont la télévision et les journaux locaux sont essentiellement contrôlés par l’État. C’est le cas de la quasi-totalité des chaînes de télévision. L’État contrôle en outre l’approbation des licences de diffusion.

Si la presse écrite est en apparence plus diversifiée, elle touche un public nettement plus restreint alors que ses tirages diminuent fortement, comme partout dans le monde. Par ailleurs, elle n’a pas été épargnée par la répression. RSF relève que le dernier véritable journal d’opposition, Azadlig, a dû renoncer à sa publication papier après que son responsable financier, M. Faïg Amirov, a été arrêté, le journal ne disposant plus de la signature nécessaire pour ses transactions bancaires.

Depuis, il ne resterait plus que des journaux entretenant une attitude ambigüe à l’égard du pouvoir, à l’image de Yeni Müsavat. Les titres indépendants seraient aussi visés, dès lors qu’ils enquêtent sur des sujets sensibles. Ainsi, le journal Zerkalo, l’un des plus importants d’entre eux, aurait été acculé à la fermeture en 2014.

Par ailleurs, RSF rapporte que les rares radios indépendantes du pouvoir ont été écartées de la bande FM en 2009, et que la principale d’entre elles, le service azerbaïdjanais de Radio Free Europe, a été fermée fin 2013 à l’issue d’une descente de police et de la mise sous scellés de ses locaux. La diffusion locale des grandes radios d’information internationales comme la BBC et Voice of America a été interdite en 2009 mais ces radios restent accessibles en ligne.

En effet, Internet ne fait l’objet d’aucune restriction particulière : tous les sites et réseaux sociaux sont libres d’accès. Cela s’est traduit par un activisme croissant des blogueurs qui ont profité de cet espace de liberté. Celle-ci est néanmoins relative, les positions exprimées sur Internet étant fréquemment utilisées contre leurs auteurs, par exemple dans le cadre de procédures en diffamation, infraction passible de sanctions pénales en Azerbaïdjan.

Dans ce contexte, on assiste depuis quelques années à un bourgeonnement de médias en exil. Le rédacteur en chef d’Azadlig, M. Ganimat Zahid, a créé une chaîne de télévision, Turan TV, qui émet en Azerbaïdjan en passant par un satellite turc ; ses studios sont localisés à Strasbourg et ses moyens techniques sont en Turquie. Le blogueur Emin Milli, exilé à Berlin, y a lancé une télévision en ligne, Meydan TV. Cependant, ces derniers ne seraient pas à l’abri de toutes représailles ; leurs familles restées en Azerbaïdjan seraient la cible d’un harcèlement pouvant se traduire par des arrestations sous divers prétextes ou l’obligation de désavouer publiquement leur proche ainsi visé.

d. Réunion et manifestation, des libertés très encadrées

La Constitution azerbaïdjanaise consacre également, à l’article 49, les libertés de manifestation et de réunion, moyennant notification préalable. Dans la pratique, leur exercice se trouve fortement contraint.

D’après M. Michel Forst, le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, la liberté de réunion serait contrariée par des menaces proférées à l’encontre des grands hôtels et autres lieux d’accueil qui accepteraient d’ouvrir leurs portes à des personnes jugées critiques à l’égard du régime. Lorsque ces réunions peuvent se tenir, elles auraient lieu à distance de la capitale.

Ce serait aussi le cas des manifestations d’opposants, soumises à un agrément préalable et jamais autorisées dans le centre de Bakou. Leur visibilité et leur impact s’en trouveraient ainsi fortement diminués.

Par ailleurs, les sanctions dont sont passibles les manifestations et réunions non autorisées ont été fortement durcies. Depuis janvier 2013, la participation à une réunion ou un rassemblement interdit par loi est punissable de deux ans de prison, trois ans en cas d’organisation ou de participation à des activités qui constituent une désobéissance aux forces de l’ordre ou causent un trouble à l’activité courante du trafic routier, des affaires ou des entreprises.

Plusieurs sources font état de répressions violentes contre des manifestations organisées par des personnes critiques à l’égard du pouvoir.

M. Michel Forst mentionne notamment la répression conduite contre les personnes ayant manifesté contre le récent projet de révision constitutionnelle : « Le 17 septembre dernier, à la veille du référendum, des personnes voulant manifester ont été arrêtées, embastillées et condamnées à des peines de prison. Je dirais même qu’avant la manifestation, des policiers et des membres des services de sécurité se sont livrés à de l’intimidation en allant chez les gens pour les dissuader de venir manifester. Je me suis entretenu avec le directeur général des services de sécurité (…) à qui j’ai donné la liste des noms des personnes victimes d’intimidation ou arrêtées. Il a téléphoné devant moi en demandant que l’on enquête ; j’attends toujours sa réponse. »

e. Une répression accrue à l’encontre des défenseurs des droits

De nombreuses sources rapportent que la pression globale sur l’exercice des grandes libertés publiques s’accompagne d’une répression forte à l’encontre des personnes qui les défendent.

Ces personnes entrent dans la catégorie de ceux que l’ONU qualifie, dans une appréciation large, de « défenseurs des droits » : « tous ceux qui, individuellement ou en relation avec d’autres, œuvrent à la promotion ou à la protection des droits de l’Homme (…), membres d’ONG, syndicalistes, journalistes, blogueurs, lanceurs d’alerte, fonctionnaires refusant d’obéir à un ordre injuste, activistes politiques plaidant pour plus de liberté (…), des agents positifs du changement, sauvegardant la démocratie et veillant à ce qu’elle demeure ouverte et pluraliste » (8) .

• Une répression qui prendrait des voies plus ou moins directes

Les dispositions légales azerbaïdjanaises autorisent un niveau de contrôle assez strict des libertés publiques. Par exemple, la diffamation est une infraction pénale passible de prison ; elle a en outre été étendue en 2013 aux contenus d’Internet. Comme l’a bien expliqué notre collègue Pierre-Yves Le Borgn’, « la pénalisation de la diffamation est le meilleur moyen de réduire les journalistes au silence : pour celui qui a voulu exprimer des opinions libres, elle est synonyme d’emprisonnement et de ruine financière. Elle entraîne l’autocensure, par peur pour soi et par peur pour les siens. Le débat est monocolore et sans aspérité, si bien que les enjeux politiques ne sont jamais mis en lumière. En cela, l’Azerbaïdjan n’est malheureusement pas un exemple unique. L’utilisation par un régime autoritaire de la pénalisation est un moyen d’éviter l’expression de toute voix critique dans le débat public, de telle sorte que les enjeux ne sont jamais présentés ni même pressentis. » Par ailleurs, les « atteintes à l’honneur et à la dignité du Président » sont passibles d’une peine de deux ans de prison.

Cependant, la répression contre les défenseurs des droits prendrait souvent des voies plus indirectes. Les différentes ONG évoquent des « charges fabriquées de toutes pièces », les plus fréquentes étant le « hooliganisme » et la détention de stupéfiants ; la justice apparaîtrait ainsi instrumentalisée pour transformer des cas politiques en cas de droit commun.

Cette situation a bien été décrite à la mission par Mme Anne Castagnos-Sen, d’Amnesty International France : « S’agissant des cas sur lesquels nous avons pu nous documenter, les dirigeants d’associations, les journalistes, les opposants politiques sont sous le coup d’accusations forgées de toutes pièces, qui répondent toutes à la même logique. Pour ce qui est du trafic de stupéfiants, nous avons la preuve avérée que les policiers, lorsqu’ils arrêtent quelqu’un, glissent dans ses poches, dans sa voiture ou dans sa maison, un peu d’héroïne. Et c’est toujours le même schéma. Il est tout de même troublant que tous les dirigeants d’associations et opposants politiques soient des trafiquants de drogue… Les accusations de fraude, d’évasion fiscale ou d’activité illégale des entreprises sont d’autres grands classiques. Portées à l’encontre de toute voix critique à l’égard du gouvernement, elles ne reposent sur rien. Tous les avoirs et comptes personnels sont gelés et la plupart des personnes qui ont été libérées sont encore sous le coup d’une interdiction de voyager : elles ne peuvent donc pas quitter le pays. Telles sont les accusations et les sanctions classiques imposées aux défenseurs des droits humains, au sens très large du terme – j’y inclus les opposants politiques, les journalistes, les dirigeants associatifs et les blogueurs. »

Les ONG citent le cas de plusieurs activistes. Par exemple, le 10 mai 2016, MM. Giyas Ibrahimov et Bayram Mammadov, membres du Mouvement des jeunes en faveur de la démocratie (NIDA), ont été inculpés pour détention de stupéfiants. D’après Amnesty International, le véritable motif serait un graffiti ironique à caractère politique effectué sur la statue de l’ancien Président Heydar Aliev, dont la photo a été publiée sur Facebook. Ils ont été condamnés chacun à dix ans de prison. Selon M. Johann Bihr, de RSF, « plusieurs dizaines de blogueurs activistes politiques sont actuellement emprisonnés ».

Les charges portées contre les défenseurs des droits s’appuieraient aussi sur les difficultés des associations à obtenir une existence légale dans le contexte du durcissement, précédemment évoqué, de la législation sur les ONG. Les lenteurs excessives des procédures d’enregistrement et les refus opposés, les conditions très restrictives de financement forceraient plusieurs d’entre elles à opérer dans une « zone grise ». Les autorités en tireraient parti pour incriminer leurs dirigeants, en s’appuyant sur des accusations de corruption, détournement de fonds, abus de bien social, évasion fiscale, etc.

Parmi les cas les plus emblématiques figure celui des époux Yunus. Leyla Yunus avait fondé en 1995, avec l’appui de son époux Arif, l’Institut pour la paix et la démocratie. Arrêtés durant l’été 2014, les époux avaient été condamnés en août 2015 respectivement à huit ans et demi et sept ans de prison pour fraude, évasion fiscale et commerce illégal.

Amnesty international relève aussi le cas de M. Intigam Aliev, avocat et dirigeant de l’association Legal Education Center, qui proposait une aide juridique aux victimes de violation des droits de l’Homme. Ce dernier avait été condamné à six ans et demi de détention en avril 2015 pour activité illégale, abus de pouvoir, fraude et évasion fiscale. Son association avait été fermée dans la foulée.

M. Rasul Jafarov avait quant à lui été arrêté et condamné à six ans et demi de prison pour fraude fiscale en 2015, au moment où il s’apprêtait à lancer une campagne « Sports for rights » à l’occasion des Jeux européens de Bakou.

La journaliste Khadija Ismaïlova, l’ancienne directrice de la station azerbaïdjanaise de Radio Free Europe, avait été arrêtée en décembre 2014 alors qu’elle enquêtait sur la corruption dans le pays et condamnée en septembre 2015 pour détournement de fonds, activité illégale, évasion fiscale et abus de pouvoir dans l’exercice de ses fonctions de journaliste.

Après la tentative de coup d’État en Turquie, en juillet 2016, les associations rapportent qu’un nouveau motif d’arrestations a émergé : celui de l’appartenance à la mouvance Gülen, cet opposant au régime turc exilé aux États-Unis et désigné comme responsable de la tentative de coup d’État. Ce serait à ce titre que le directeur financier du journal d’opposition Azadlig, M. Faïg Amirov, a été arrêté.

Ces quelques exemples comptent parmi ceux qui font dire à M. Michel Forst qu’en Azerbaïdjan, « la justice est utilisée à grande échelle pour museler l’opinion ».

Les défenseurs des droits seraient par ailleurs l’objet de mauvais traitements – pendant ou en dehors de leurs périodes détention – qui resteraient pratiquement toujours impunis. Cela expliquerait l’état de santé très fragile de certains d’entre eux, à l’image des époux Yunus. Reporters sans frontières estime que l’« impunité est la règle en ce qui concerne les assassinats, agressions et enlèvements de journalistes ».

Une répression ciblée, aux effets dissuasifs puissants

Au total, Amnesty international dénombre quinze « prisonniers d’opinion » en Azerbaïdjan, c’est-à-dire des personnes « emprisonnées uniquement pour l’exercice de leurs droits internationalement reconnus ». Mme Anne Castagnos-Sen, responsable des relations extérieures pour Amnesty International France, a précisé que cette liste avait été établie « en recoupant les informations, en nous documentant, avec la prudence bien connue d’Amnesty International, auprès de leur avocat ou de leur famille. Mais nous savons que nous sommes très en dessous de la réalité : tous nos partenaires en Azerbaïdjan font plutôt état de soixante-dix prisonniers d’opinion. » 

Par ailleurs, les ONG estiment qu’entre soixante et soixante-dix prisonniers sont en prison pour des « charges politiquement motivées ». Pour les premiers, les ONG appellent à une libération inconditionnelle et immédiate, tandis que pour les autres, qui ont pu recourir à la lutte armée pour défendre leur cause, elles demandent un procès équitable.

Ces chiffres peuvent sembler « raisonnables » quand on considère la population de l’Azerbaïdjan. Les arrestations ne sont pas massives ; la masse des Azerbaïdjanais qui ne s’occupe pas de politique peut ainsi vivre sans être inquiétée. M. Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), relevait : « à Bakou, je n’ai pas trouvé que les gens soient malheureux ou aient des difficultés pour vivre ensemble ; j’ai trouvé au contraire que la vie dans cette ville était harmonieuse ».

Comme le formule un défenseur des droits, « ne sont emprisonnés que les plus actifs, qui peuvent constituer une menace pour le Gouvernement, ou ceux qui ont franchi la ligne rouge ».

Ces arrestations auraient néanmoins un effet puissant pour « élever le niveau de la peur » et dissuader les voix dissonantes de s’exprimer. Mme Alexandra Koulaeva, de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), précise en effet que « les personnes arrêtées n’ont pas vocation à purger l’intégralité de leur peine : il s’agit pour les autorités de mettre un terme à leur libre expression critique, certes, mais aussi de renforcer la peur et, ainsi, le contrôle de la société. Il suffit ainsi d’arrêter les six représentants les plus connus des organisations de défense des droits de l’Homme et de porter atteinte à leur intégrité physique et morale de façon suffisamment importante pour intimider ceux restés en liberté. »

Ainsi, l’autocensure serait désormais généralisée et un climat de méfiance se serait installé notamment parmi les journalistes. Les associations rapportent qu’il est compliqué de trouver un interprète pour une mission relative aux droits de l’Homme et que les activistes inculpés ont des difficultés à trouver des avocats pour les défendre. Ils subiraient en outre un certain discrédit dans l’opinion azerbaïdjanaise en raison, notamment, de la communication des autorités à leur encontre.

3. Un diagnostic général au sein de la communauté internationale

Le constat d’un durcissement des autorités azerbaïdjanaises sur l’exercice des libertés publiques est partagé par toutes les ambassades européennes à Bakou. Cette évolution a fait l’objet de prises de position officielles de nombreux acteurs de la communauté internationale.

a. Une mobilisation importante des institutions du Conseil de l’Europe

Les organes du Conseil de l’Europe sont évidemment les plus actifs à cet égard, cette question relevant de la compétence même de cette institution dont l’Azerbaïdjan est membre depuis 2001. La Cour européenne des droits de l’Homme a condamné l’Azerbaïdjan à de nombreuses reprises, la plupart du temps pour application arbitraire du droit pénal dans le but de limiter la liberté d’expression (affaires Mahmudov et Agadze, Ilgar Mammadov, Rasul Jafarov, etc.) mais aussi pour fraude électorale. 19 arrêts ont été prononcés en 2015, qui concernaient principalement la situation de M. Ilgar Mammadov, dont la Cour demande la libération. Au total, 164 affaires en cours de traitement par la CEDH concernent l’Azerbaïdjan.

Il convient de noter que le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, M. Nils Muižnieks, a fait usage dans le cas de l’Azerbaïdjan de la possibilité – ouverte par la convention – d’intervenir en qualité de tierce personne devant la CEDH. Cette procédure est en réalité très peu ordinaire. Elle vise à fournir à la CEDH des informations objectives et impartiales sur les éléments d’inquiétude concernant le respect des droits de l’Homme dans le pays.

Comme nous l’évoquions, la Commission de Venise, un organe consultatif composé d’experts indépendants en droit constitutionnel, a émis à plusieurs reprises des avis négatifs sur les évolutions de la législation azerbaïdjanaise (loi sur les ONG, révision constitutionnelle).

Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, chargé d’exécuter les arrêts de la CEDH, constate régulièrement que les autorités azerbaïdjanaises ne tiennent pas compte des recommandations du Conseil. La non exécution de ces arrêts dans le cas d’Ilgar Mammadov a conduit le Comité à adopter, le 8 décembre 2016, une décision évoquant une éventuelle mise en œuvre du recours en carence prévu au 4 de l’article 46 de la convention européenne des droits de l’Homme. C’est la première fois qu’une telle procédure est envisagée. Sa mise en œuvre effective exige d’abord une mise en demeure qui doit être décidée par le comité à la majorité des deux-tiers. Avant qu’une telle décision intervienne, l’Azerbaïdjan peut exécuter les arrêts concernés. Selon les éléments communiqués, le directeur général des droits de l’Homme et de l’État de droit du Conseil de l’Europe, M. Philippe Boillat, s’est rendu en Azerbaïdjan les 10 et 11 janvier 2017. Des gestes sont attendus de la part des autorités.

Au total, notre collègue Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la mise en œuvre des arrêts de la CEDH, estime qu’« il devient impossible pour le Conseil de l’Europe, notamment pour son assemblée parlementaire, pour le commissaire aux droits de l’Homme, pour la Commission de Venise de travailler efficacement sur la question des droits et libertés en Azerbaïdjan ».

b. Un dialogue un moment suspendu avec l’Union européenne

L’Azerbaïdjan coopère avec l’Union européenne dans le cadre de l’accord de partenariat et de coopération conclu en 1996, qu’il aspire à voir remplacé par un accord de partenariat stratégique ou d’association.

Comme on l’a vu, l’ouverture des négociations a cependant été retardée par l’évaluation que faisaient les institutions européennes de la situation des droits de l’Homme dans le pays. À deux reprises, en septembre 2014 et en septembre 2015, le Parlement européen a adopté des résolutions très critiques à ce sujet, demandant la suspension immédiate des négociations visant un accord de partenariat stratégique avec l’Azerbaïdjan « tant que le gouvernement n’aura pas pris des mesures concrètes pour favoriser le respect des droits de l’Homme universels », notamment « libéré toutes les personnes emprisonnées pour des motifs politiques et mis un terme aux mesures répressives prises contre les groupes indépendants de la société civile »(9).

Les prises de position publiques de l’Union européenne ont conduit l’Azerbaïdjan à réduire son niveau de coopération : suspension de sa participation aux différents cadres prévus par l’accord de 1996, suspension des relations avec le Parlement européen, report des contacts techniques en vue de la négociation du nouvel accord. Cette coopération a progressivement repris après que l’Azerbaïdjan a effectué quelques « gestes » montrant une certaine ouverture (cf. infra).

c. Des relations difficiles avec l’OSCE

D’après M. Jean-Pierre Lacroix, directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères, les relations de l’Azerbaïdjan avec l’OSCE sont « globalement tendues et difficiles ». Celui-ci relève que la dernière réunion annuelle d’examen de la mise en œuvre des engagements de la « dimension humaine de l’OSCE » a consacré une part importante de ses débats à la situation en Azerbaïdjan. Il note en outre que « les relations entre l’OSCE et l’Azerbaïdjan se sont aggravées après la décision très regrettable qu’a prise ce pays de fermer le bureau de l’OSCE à Bakou en juin 2015 ».

d. Un diagnostic partagé au sein de la communauté internationale au sens large

Comme évoqué précédemment, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, M. Michel Forst, a été conduit à se rendre en Azerbaïdjan après avoir « été alerté par des messages de défenseurs locaux, des droits de l’Homme, de journalistes, de blogueurs, de lanceurs d’alerte, etc, [lui] signalant que la situation devenait inquiétante ». En mars 2017, le rapport final de M. Forst sera examiné par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU. La mission n’a pu en avoir connaissance, mais sa tonalité critique ne faisait pas de doute au vu des positions exprimées publiquement par M. Forst.

Enfin, il convient de noter que le Congrès américain a également manifesté son inquiétude à l’égard de la situation en Azerbaïdjan. Un projet de loi a été déposé pour mettre en place des sanctions ciblées à l’égard des personnalités qui se seraient rendues coupables de violations des droits de l’Homme dans le pays.

4. Quelques éléments d’atténuation à prendre en compte

Sans être relativisée, la situation des droits et libertés en Azerbaïdjan doit être appréciée dans un contexte global. L’environnement géostratégique difficile dans lequel évolue ce pays du Sud Caucase a déjà été présenté en première partie.

La mission souhaite revenir sur certains aspects de ce contexte global, fréquemment invoqués par les autorités azerbaïdjanaises à l’appui des politiques conduites. Cet examen vise non pas à justifier les dérives observées, mais à mieux comprendre les contraintes de l’Azerbaïdjan.

a. Un contexte géostratégique complexe

Ont déjà été rappelées les circonstances complexes de l’accession à l’indépendance de l’Azerbaïdjan, en 1991 : le conflit du Haut-Karabagh, la nécessité de maintenir des relations équilibrées avec tous ses grands voisins, la gestion des ressources en hydrocarbures constituaient autant de tensions susceptibles de menacer la stabilité du nouveau régime.

À l’heure actuelle, ces tensions persistent et un nouveau paramètre est venu compliquer encore la donne : la propagation du fondamentalisme religieux et du terrorisme, qui est une question très prégnante dans la région.

• La dimension interne du conflit du Haut-Karabagh

Il est certain que la problématique du Haut-Karabagh est « surdéterminante » dans la politique intérieure conduite par l’Azerbaïdjan. Les dirigeants nous rappellent que leur pays est « occupé et en guerre » : le territoire du Haut-Karabagh et les provinces adjacentes occupées représentent, selon eux, près de 20 % du territoire de l’Azerbaïdjan.

Cette situation est très mal vécue par les Azerbaïdjanais, qui rappellent que cette occupation a été condamnée à quatre reprises par le Conseil de sécurité des Nations unies, dont les résolutions exigent le retrait immédiat, unilatéral et sans conditions des forces arméniennes des provinces adjacentes.

L’Azerbaïdjan considère que la communauté internationale pratique « deux poids deux mesures » dans son appréciation du caractère intangible de l’intégrité territoriale des États. Le pays voit les réactions face à l’annexion unilatérale de la Crimée par la Russie comme une profonde injustice à son égard.

Cet argument du double standard peut conduire les Azerbaïdjanais à mettre en question l’autorité supérieure du droit international : si les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU demandant le retrait des troupes arméniennes des provinces azerbaïdjanaises ne sont pas respectées, pourquoi les arrêts de la CEDH le seraient-ils ?

Par ailleurs, la question des réfugiés-déplacés élève encore le niveau de tension interne suscité par le conflit du Haut-Karabagh. Cette population comprend les Azéris issus d’Arménie (réfugiés), du Haut-Karabagh et des sept provinces adjacentes occupées à l’Arménie (déplacés). Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) évalue le nombre des déplacés à plus de 600 000, dont la moitié sont installés à Bakou. Les autorités azerbaïdjanaises parlent quant à elles de près d’un million de réfugiés-déplacés au total, dont 200 000 Azerbaïdjanais ayant fui l’Arménie et 750 000 déplacés du Haut-Karabagh et des provinces occupées. Le HCR, pour sa part, estime que le gouvernement azerbaïdjanais fait des efforts pour améliorer les conditions de vie et favoriser l’intégration de ces personnes dont l’accès à l’emploi reste difficile.

Les autorités azerbaïdjanaises font valoir que les droits de l’Homme sont fréquemment évoqués à l’endroit des activistes politiques et de la société civile, mais que les droits des déplacés et réfugiés sont négligés par la communauté internationale, et que les efforts du Gouvernement pour les intégrer ne sont pas suffisamment pris en compte.

Mme Alexandra Koulaeva, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), a suggéré que cette question des réfugiés-déplacés pouvait être en partie instrumentalisée : « le pouvoir les désigne toujours comme une blessure ouverte, ce qui lui permet de maintenir un niveau d’alerte patriotique élevée », et ainsi de justifier un pouvoir fort.

Sans aller jusque-là, M. Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), considère que « le Haut-Karabagh est l’un des facteurs d’identité nationale, d’unité nationale et de justification du pouvoir de la famille Aliev ». Partant, il admet qu’il puisse y avoir un peu de « gesticulation » autour de la question du Haut-Karabagh, tout en considérant que la perte d’une proportion importante de son territoire cumulée à l’arrivée de centaines de milliers de réfugiés-déplacés représente une source réelle de difficultés pour le pays, particulièrement en période de crise économique.

En outre, le conflit du Haut-Karabagh entretient une instabilité qui peut évidemment avoir des répercussions internes au-delà des épisodes de conflit ouvert. Ainsi, d’après M. Jean de Gliniasty, « cette instabilité provoque les premiers friselis d’agitation islamiste en Azerbaïdjan ».

• La lutte contre le fondamentalisme religieux

Il est incontestable que l’Azerbaïdjan, pays à forte majorité musulmane chiite, connaît un environnement régional quelque peu menaçant avec la montée du fondamentalisme religieux. Le pays est exposé à l’influence de l’Iran mais aussi à celle du salafisme wahhabite venu du Daghestan et des États du Golfe, peu compatibles avec sa tradition laïque.

En outre, les autorités azerbaïdjanaises redoutent l’implantation de mouvances terroristes. En l’état, l’Azerbaïdjan n’est pas considéré comme un pays à risque élevé en raison d’un contrôle des frontières efficace. Cependant, les Azerbaïdjanais reconnaissent le départ de 500 à 600 ressortissants vers le théâtre syrien.

La lutte contre la radicalisation est ainsi considérée comme une priorité par les autorités qui assurent un suivi étroit des combattants de retour de Syrie, lesquels sont emprisonnés lorsque la preuve est apportée qu’ils ont commis des actes de barbarie. Par ailleurs, l’Azerbaïdjan a institué une formation des imams et une surveillance de la teneur des prêches.

Les autorités veulent aussi se prémunir contre l’éventualité d’une radicalisation religieuse par des canaux étrangers. Ainsi, la formation des imams à l’étranger et par des financements de source étrangère est interdite.

Le durcissement de la législation sur les ONG est présenté comme répondant à la même préoccupation. Ce serait pour se prémunir contre les financements d’organisations fondamentalistes en provenance d’Arabie saoudite ou d’Iran que les autorités prohiberaient tout financement extérieur des ONG.

Au total, il apparaît que les raisons invoquées à l’appui des restrictions apportées aux droits et libertés ne sont pas sans fondement. Elles ne sauraient néanmoins justifier une répression indiscriminée de toute expression pluraliste.

b. L’Azerbaïdjan, un pays « avancé » sur certains droits, notamment la laïcité

Par certains aspects, l’Azerbaïdjan semble faire preuve d’une certaine modernité qui contraste avec l’attitude répressive et régressive décrite en première partie. Cette dimension positive est régulièrement mise en valeur dans le discours des autorités azerbaïdjanaises. Elle n’en est pas moins réelle.

Ainsi, l’Azerbaïdjan est un État laïque. L’article 18 de la Constitution prévoit explicitement qu’« en République d’Azerbaïdjan, la religion est séparée de l’État ». C’est une caractéristique rare dans la région : les autorités soulignent en effet que l’Azerbaïdjan est « le seul pays à majorité chiite qui s’affiche laïque et a développé une forte tradition de tolérance religieuse ». Cette tolérance, soulignée par le Pape François lui-même lors d’une visite dans le pays en octobre dernier, permet à diverses communautés de vivre ensemble harmonieusement.

Plus précisément, 94 % de la population est aujourd’hui musulmane – avec environ 70 % de chiites et 24 % de sunnites ; le judaïsme représente environ 25 000 personnes, les chrétiens représentent 5 % de la population, soit près de 500 000 personnes réparties entre orthodoxes russes, protestants et catholiques romains.

L’Azerbaïdjan est très attaché au caractère laïc de l’État, à la tolérance religieuse et au respect mutuel de toutes les confessions qui existent dans le pays. Ainsi, l’article 18 de la Constitution d’Azerbaïdjan prévoit que, dans la République d’Azerbaïdjan, la religion est séparée de l’État et que toutes les religions sont égales devant la loi.

Cette laïcité, héritée de la première République, entendue comme le droit pour chacun d’exercer sa religion librement, sans être passible d’amende ou d’emprisonnement, est garantie par la Constitution et réelle en pratique. Le Bureau international de la démocratie et des droits de l’Homme (BIDDH) de l’OSCE a également salué cette tolérance religieuse.

Cette situation, ce multiculturalisme, sont consubstantiels au pays qui se veut résolument tourné vers le monde, tant occidental qu’oriental. Selon Mme Aurélia Bouchez, ce « multiculturalisme traduit la volonté de l’Azerbaïdjan d’être un pont entre l’Asie et l’Europe et entre les religions ; le pays a d’ailleurs pour intéressante particularité d’être membre à la fois du Conseil de l’Europe et de l’Organisation de la coopération islamique ».

Cette position est remarquable au regard du contexte régional marqué par des conflits politico-religieux (Syrie, Libye), à une époque où les pays musulmans modérés respectant la liberté de culte se font rares. Cette vision et cette pratique de la tolérance religieuse doivent être soutenues, car, comme le rappelle Mme Aurélia Bouchez, « l’état d’esprit, dans les pays voisins de l’Azerbaïdjan, n’est pas toujours le plus propice à cette approche laïque de l’islam, étant donné l’influence qu’y exercent l’Iran, le mouvement salafiste wahhabite venu du Daghestan et des États du Golfe ».

Deuxième aspect sur lequel l’Azerbaïdjan se présente comme un précurseur non seulement dans la région, mais dans le monde : le droit de vote des femmes. Celui-ci a en effet été reconnu dès 1918, bien avant nombre de pays occidentaux.

Au-delà de cette donnée, la modernité de l’Azerbaïdjan, s’agissant du statut et des droits des femmes en général, semble réelle, mais aussi relative. En effet, la société azerbaïdjanaise reste sous certains aspects patriarcale et assez traditionnelle.

De plus, l’Azerbaïdjan est membre de l’Organisation de la coopération islamique (OCI). Même si son approche à l’égard de cette organisation est sans doute très diplomatique plutôt que fondamentalement religieuse, cette appartenance l’oblige sans doute à préserver un certain équilibre sur les questions sensibles.

Par ailleurs, l’Azerbaïdjan a, en 1998, aboli la peine de mort. Les autorités azerbaïdjanaises ont depuis lors toujours été aux côtés de la France au sein des institutions internationales sur ce sujet.

Cette attitude positive de l’Azerbaïdjan à l’égard de certains droits et libertés essentiels est bien réelle et doit être appréciée en tant que telle.

Leur invocation régulière par les autorités azerbaïdjanaises relève d’un souci d’image sur lequel la mission reviendra plus en détail. Celles-ci nous invitent à laisser du temps au pays : « il ne faut pas oublier que notre chemin vers la démocratisation a commencé après soixante-dix ans passés sous le joug soviétique, avec un voisinage pas toujours commode et d’importantes difficultés d’ordre politique, économique et sécuritaire après la restauration de notre indépendance. Il nous a donc fallu un certain temps pour entamer des réformes politiques. Voilà pourquoi nous n’avons commencé à nous rapprocher des valeurs européennes et démocratiques que depuis vingt ans. L’important reste notre volonté politique de continuer dans ce sens. Mais nous avons déjà bien avancé.(10) »

B. UN RÉEL SOUCI DE RENVOYER UNE IMAGE POSITIVE AU SEIN DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE

1. Une quête d’image et de reconnaissance

a. L’Azerbaïdjan se veut un bon élève au sein de la communauté internationale

Conséquence de sa politique d’indépendance nationale, l’Azerbaïdjan se veut un pays bien inséré dans la communauté internationale.

Comme précédemment évoqué, non seulement il a adhéré à l’ensemble des organisations régionales, notamment le Conseil de l’Europe et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), mais il est également membre de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) dont le site Internet indique qu’elle est « la voix collective du monde musulman ». C’est, avec la Turquie et l’Albanie, l’un des rares pays à être membre à la fois de l’OCI et du Conseil de l’Europe.

Sa volonté d’apparaître comme un bon élève bien inséré dans chacun des organisations internationales est illustrée par quelques éléments emblématiques.

Pour ce qui concerne l’ONU, l’Azerbaïdjan a, en octobre 2011, été ainsi élu pour occuper au sein du Conseil de sécurité le siège de membre non permanent attribué à l’Europe orientale. Il y a donc siégé en 2012-2013. Le soutien des deux-tiers des États membres lui a été acquis après le retrait de la candidature de la Slovénie.

C’est un élément à relever car le pays reste dans l’ensemble, notamment en raison de son environnement géographique, discret à l’ONU, comme l’a précisé à la mission M. Jean-Pierre Lacroix, directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères : « l’Azerbaïdjan a un profil relativement effacé aux Nations unies. Son positionnement international est d’abord très marqué par le conflit du Haut-Karabagh, qui limite sa possibilité d’avoir une plus grande exposition. De fait, ce pays n’a pas une présence significative dans les opérations de maintien de la paix des Nations unies et il ne prend pas d’initiatives particulières. »

Pour ce qui concerne le Conseil de l’Europe, auquel il a adhéré en 2001, en devenant ainsi le 43e État membre, l’Azerbaïdjan a adopté « plusieurs conventions du Conseil de l’Europe ainsi que leurs protocoles additionnels », selon les termes utilisés lors de son audition par S. E. M. Elchin Amirbayov, Ambassadeur d’Azerbaïdjan en France.

Cette volonté d’adhérer à des conventions internationales, y compris en matière de droits humains au sens large, a été également relevée lors de son audition par M. Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l’université Paris I Panthéon Sorbonne et président de l’Académie internationale de géopolitique : « Parmi certaines des républiques ex-soviétiques de l’Asie centrale et du Caucase, l’Azerbaïdjan est le seul pays à avoir adhéré à vingt-trois conventions sur les droits humains – ce qui n’est pas neutre –, comme le pacte international sur les droits civiques, la convention internationale sur les droits de l’enfant, la convention internationale supprimant toute discrimination contre les femmes… ».

Plus précisément, le site du Conseil de l’Europe rappelle que le pays a ratifié 62 traités et conventions et n’a procédé à la seule signature que pour 9 d’entre eux, dont certains très récents.

Certes, 151 traités apparaissent comme n’ayant pas été signés, mais ils sont d’importance tout à fait variable. Certains concernent les questions de sécurité sociale ou d’échanges universitaires pour lesquels il est clair que l’intérêt d’une adhésion de l’Azerbaïdjan ne saurait constituer un objectif central, ou bien les questions relatives à la biomédecine ou à la science, dont l’enjeu est directement lié au niveau de développement du pays.

Par comparaison, le site Internet du Conseil de l’Europe affiche pour la France 136 signatures et ratifications, 37 signatures uniquement et 44 traités non signés.

L’Azerbaïdjan s’est aussi impliqué dans les activités du Conseil de l’Europe. Il a notamment exercé la présidence du Comité des ministres de mai à novembre 2014. En outre, sa présence peut s’y avérer active sur le plan technique. C’est ce qu’a souligné sur un point précis, lors de son audition, consacrée à la diplomatie sportive, M. Thierry Braillard, secrétaire d’État chargé des sports : « Au sein du Conseil de l’Europe, dont il est membre, il montre un grand intérêt pour les politiques sportives internationales et participe activement aux travaux sur ces questions. Par exemple, il a soutenu les mesures prises dans le cadre la Convention pour lutter contre les manipulations des compétitions sportives – mesures que la France a elle-même cosignées. »

De même, y compris sur la question pourtant très difficile de droits de l’Homme, le pays accepte d’être coopératif sur les procédures et l’accueil sur place des missions qui peuvent conduire à le mettre en cause. La mission d’information l’a constaté pour ce qui concerne l’ONU.

Lors de son audition, M. Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, a ainsi tenu à observer que « sur le plan formel, la coopération a effectivement été excellente », lors de la mission qu’il a effectuée en Azerbaïdjan, en septembre 2016 alors même que sur le fond, son objectif était critique.

D’une part, le Gouvernement n’a pas fait obstacle à la mission. M. Forst a expliqué avoir demandé à être invité par le gouvernement azerbaïdjanais « qui a immédiatement répondu favorablement, disant sa volonté de collaborer avec les Nations unies et m’invitant à visiter le pays pendant une quinzaine de jours, ce que j’ai fait en septembre dernier. »

D’autre part, en réponse à une observation du président François Rochebloine relevant que sa « déclaration de fin de mission [s’ouvrait] par des remerciements adressés au gouvernement azerbaïdjanais pour « son excellente coopération » et pour les efforts qu’il [avait] déployés », M. Forst a répondu : « J’ai tenu à souligner ce point car sur le plan formel, la coopération a effectivement été excellente. On ne m’a refusé aucune visite, j’ai pu rencontrer toute personne que je souhaitais rencontrer et l’on m’a communiqué les documents que je demandais. Une seule difficulté est apparue, quand j’ai dit vouloir m’entretenir avec des opposants politiques emprisonnés, mais elle a été résolue après une intervention officielle de l’ONU et cela m’a été accordé. Je ne dis pas que mes entretiens en prison n’ont pas été écoutés mais j’ai eu avec de courageuses personnes incarcérées, qui m’ont dit ce qu’elles pensaient de la situation, des échanges de qualité, non limités dans le temps. »

Il faut ajouter que M. Forst n’a pas renoncé à se rendre en Azerbaïdjan, alors que tel est le cas pour certains pays : « il m’arrive de renoncer à me rendre dans un pays quand j’ai le sentiment que c’est trop compliqué ou qu’il serait trop risqué pour les personnes avec qui je voudrais m’entretenir, de me rencontrer. »

Ce n’est pas pour autant que le Gouvernement azerbaïdjanais a souscrit aux observations critiques du rapporteur spécial des Nations unies, bien au contraire, mais il l’a fait en évitant le fond du sujet, et, ainsi, en tentant de préserver l’apparence.

D’une part, alors même que celui-ci était encore sur place, le constat de M. Forst a été contesté en recourant à deux arguments : l’absence de référence à la situation particulièrement douloureuse des personnes déplacées ; la mauvaise compréhension des poursuites engagées contre certaines personnes emprisonnées, celles-ci l’étant pour des motifs de droit commun, et non pour des raisons d’ordre politique.

La mise en œuvre de cette dialectique a été relatée par M. Forst de la manière suivante : « La règle veut que, le dernier jour de chacune de mes visites officielles, je sois reçu par le gouvernement, qui invite la plupart des acteurs que j’ai pu rencontrer. C’est ce qui a eu lieu à Bakou. Ayant lu devant une cinquantaine de personnes ma déclaration de fin de mission, synthèse de mes principales observations visant à permettre des échanges avec le gouvernement, j’ai immédiatement été attaqué par le représentant du Conseil de la présidence. Il m’a demandé pourquoi je n’avais pas fait mention d’autres éléments qu’il jugeait plus importants : les droits des personnes déplacées à l’intérieur du pays depuis que l’Arménie occupe une partie du territoire azerbaïdjanais. J’ai répondu à cette interpellation que mon mandat porte sur la protection des défenseurs des droits de l’Homme et qu’il revenait au gouvernement azerbaïdjanais d’inviter le rapporteur spécial sur les droits de l’Homme des personnes déplacées dans leur propre pays s’il le jugeait nécessaire. La situation était assez étrange : on ne parlait pas du tout de la déclaration dont je venais de donner lecture mais l’on me demandait de m’exprimer sur des éléments qui ne relèvent pas de mon mandat.

« M. le président François Rochebloine. Votre interlocuteur contestait-il la teneur de vos observations ?

« M. Michel Forst. Il contestait mon interprétation des faits à chaque fois que je citais un nom, et pour commencer celui d’Ilgar Mammadov, cet opposant arrêté quelques mois avant les élections présidentielles pour des motifs douteux et condamné à sept ans et demi de prison, prison où il a été sévèrement battu. Le gouvernement azerbaïdjanais, qui le considère non pas comme un défenseur des droits de l’Homme mais comme un opposant politique, l’accuse de « hooliganisme » et d’incitation à renverser le pouvoir. Pour moi, c’est un défenseur des droits de l’Homme qui cherche à faire respecter ces droits et qui a été emprisonné parce qu’il cherche à être élu, à promouvoir des élections libres et démocratiques – ce que ne sont pas les élections en Azerbaïdjan –, la liberté de réunion, inexistante en Azerbaïdjan, et la liberté d’exprimer des opinions dissidentes sans être réprimé. Pour chaque nom cité de défenseur des droits de l’Homme victime de la répression du pouvoir, il m’a été répondu que c’était celui d’un « voyou » condamné pour « hooliganisme » – sans que l’on puisse me donner la définition de ce terme dans le code pénal azerbaïdjanais puisqu’il n’y en a pas. C’était donc un dialogue de sourds. »

D’autre part, une fois M. Forst parti, le Gouvernement de Bakou a soulevé la question de son impartialité, sur la base de ses origines supposées et de son passé. Celui-ci a en effet précisé à la mission d’information : « Dès mon départ, le vice-président de la République a publié un communiqué alléguant que j’aurais peut-être des origines arméniennes, ce qui expliquerait mon acharnement à l’encontre de l’Azerbaïdjan. Il a aussi été fait référence à mes activités passées dans des ONG, oubliant qu’elles sont parfaitement légitimes. J’ai également été, comme vous l’avez rappelé, secrétaire général de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme française et j’ai exercé différents mandats à l’ONU et à l’UNESCO. »

Ce paradoxe entre une ouverture formelle et une fermeture à la discussion sur le fond a conduit M. Forst à recourir à la métaphore du malade qui s’ignore : « Ce qui me frappe, c’est que la Commission de Venise, le Conseil de l’Europe en général et plusieurs organes de l’ONU – le Conseil des droits de l’Homme avec l’Examen périodique universel, le Comité contre la torture, le Comité des droits de l’Homme, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, d’autres encore – font tous le même diagnostic et formulent les mêmes recommandations, mais le gouvernement azerbaïdjanais refuse d’admettre la réalité. On a le sentiment d’avoir affaire à un patient auquel dix médecins disent successivement qu’il est affligé d’un mal grave et qui, refusant de l’entendre, persiste à écarter le traitement préconisé. »

b. Une sensibilité certaine à la pression internationale, attestée par des gestes de clémence, en certaines occasions

La mission d’information a pu au fil des différentes auditions comprendre comment le mécanisme des pressions internationales permettait de faire fléchir les autorités de l’Azerbaïdjan sur la question des poursuites engagées contre des opposants ou des défenseurs des droits de l’Homme.

En atteste la mesure de clémence intervenue lors de la fête du Novruz, en mars dernier, par laquelle 148 personnes – journalistes, militants politiques et membres d’ONG – ont été amnistiées. Plus récemment, la journaliste Khadija Ismaïlova, qui avait été emprisonnée en 2014, a été libérée, et les époux Yunus ont été libérés à la fin de 2015 puis autorisés à quitter le pays en avril 2016.

La mission a été informée de ce que ces mesures étaient une réponse aux messages délivrés par les pays étrangers et plus généralement par la communauté internationale.

De tels messages sont naturellement délivrés par la France.

Comme l’a indiqué M. Jean-Pierre Lacroix : « En ce qui concerne les époux Yunus, nous avons suivi de très près la situation de ces personnalités qui occupent une place majeure dans le paysage de la défense des libertés et des droits de l’Homme en Azerbaïdjan. Cette préoccupation s’est traduite par des démarches constantes, à tous les niveaux ; j’ai évoqué, à ce propos, l’intervention du Président de la République lorsqu’il a rencontré, le 25 avril 2015, à Bakou, en tête-à-tête, le Président Aliev. M. Yunus a ainsi été libéré en novembre 2015, puis la condamnation de son épouse a été commuée en peine avec sursis. Ils ont pu quitter l’Azerbaïdjan en avril dernier, et ils se trouvent aujourd’hui aux Pays-Bas. »

L’Union européenne joue également un rôle clef, et comme l’a indiqué Mme Aurélia Bouchez, Ambassadeur de France en Azerbaïdjan, la visite sur place en février 2016 de l’une de ses plus hautes autorités a contribué à la mesure de clémence intervenue en mars : « À la suite de la visite à Bakou de Mme Federica Mogherini, Haute Représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et des pressions exercées par certains États dont la France, certains opposants au régime, y compris les époux Yunus et Mme Ismaïlova, ont bénéficié de libérations conditionnelles et 148 personnes ont été amnistiées, dont plusieurs activistes des droits de l’Homme inclus ».

M. Matthieu Combe, conseiller à la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne, a confirmé ces éléments et a précisé que Mme Mogherini avait « également rencontré le président Aliev ».

Enfin, M. Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de Reporters sans frontières, a mentionné le rôle des États-Unis et fait état du lien entre la venue sur le territoire américain du président Aliev et la mesure de clémence : « Lorsque le président Aliev a manifesté le souhait de participer au sommet nucléaire qui devait se tenir à Washington à la fin de mars 2016, l’Administration américaine a conditionné sa présence à certains progrès relatifs aux libertés en Azerbaïdjan, notamment la libération des prisonniers politiques les plus emblématiques. »

Dans l’ensemble, comme l’a précisé M. Jean-Pierre Lacroix, c’est à la convergence des messages délivrés par ses grands interlocuteurs que l’Azerbaïdjan est réceptif : « Les résultats que ces démarches ont produits attestent de ce que nous pouvons faire collectivement – car si la France a joué un rôle de premier plan, elle n’a pas agi seule – et confirment que l’Azerbaïdjan est sensible à nos interventions. »

Ce constat de la sensibilité de l’Azerbaïdjan à la pression internationale est naturellement partagé par l’ensemble des représentants des ONG. Mme Anne Castagnos-Sen, responsable des relations extérieures pour Amnesty International France, a ainsi indiqué à la mission que « ces libérations ont eu lieu à la suite de très vives pressions internationales, les détenus étant, pour la plupart, d’éminents opposants, et dans un contexte économique de plus en plus difficile pour le pays, la baisse du prix du pétrole ayant entraîné une forte hausse des prix et une baisse du pouvoir d’achat. »

Les ONG estiment cependant que la portée de la pression internationale se heurte à deux limites qui révèlent que l’objectif pour l’Azerbaïdjan est uniquement d’améliorer son image.

D’une part, elles n’entraînent pas de modifications de fond. Ainsi, M. Johann Bihr a estimé devant la mission que même après les mesures de clémence, la pression internationale ne devait pas diminuer : « Il nous semble d’autant plus important de rappeler que, malgré de menus changements de façade, aucune amélioration concrète n’est notable en Azerbaïdjan en ce qui concerne la situation des droits de l’Homme en général et de la liberté de la presse en particulier. »

D’autre part, comme l’a indiqué Mme Castagnos-Sen, les mesures ne sont que partielles : « En ce qui concerne les cas emblématiques, vous avez sans doute entendu parler d’Intigam Aliev, qui fait partie des personnes libérées le 28 mars 2016. Sa peine a été commuée en cinq ans de prison avec sursis. Il est donc toujours sous le coup de sa condamnation, il ne peut pas voyager sans autorisation et ses avoirs ont été gelés. »

Cette opinion est partagée par Mme Alexandra Koulaeva, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), qui a pour sa part déclaré : « Évidemment, nous avons applaudi à la libération de nos collègues et avons été soulagés concernant leur destin personnel mais je suis profondément convaincue que cela ne changera rien à la répression en cours. J’y insiste : leurs comptes restent gelés, leurs activités interdites – l’illustre avocat Intigam Aliev n’a toujours pas le droit d’exercer son métier ni d’occuper la moindre fonction publique –, ils ne peuvent pas quitter le pays pour témoigner à l’étranger et les défenseurs azerbaïdjanais des droits de l’Homme qui se trouvent à l’extérieur ne peuvent pas revenir dans leur pays. Si la répression politique était le but, il est parfaitement atteint et je pense que leur libération ne change pas grand-chose, si ce n’est, bien sûr, je le répète, pour leur destin personnel – et nombreux sont ceux qui ont besoin d’un traitement médical poussé après leur libération, tant les conditions de leur détention ont été déplorables. »

Cela conduit au sentiment d’une politique reposant sur deux contraires.

Comme l’a constaté M. Jean-Pierre Lacroix : « Ce pouvoir répressif a donc plutôt tendance à resserrer l’étau, mais il a fait, à diverses reprises, des gestes d’ouverture, de sorte que l’on pourrait dire qu’il souffle le chaud et le froid – et cela n’est pas indifférent du point de vue des actions que nous pouvons mener avec nos partenaires pour inciter l’Azerbaïdjan à s’ouvrir davantage. »

2. L’usage de la diplomatie culturelle et de la diplomatie sportive comme fers de lance d’une politique de communication volontariste

Pour se faire connaître du public, l’Azerbaïdjan a développé, lorsque l’accroissement des prix du pétrole lui en a donné la faculté, une diplomatie culturelle et une diplomatie sportive dynamiques.

La première est assez large et repose sur des actions diverses. La seconde a conduit le pays à organiser ou à financer quelques grands événements sportifs internationaux.

Ce recours au soft power n’est pas l’apanage du seul Azerbaïdjan, mais est un classique de plus en plus répandu de la diplomatie, y compris pour la France avec l’implantation du Louvre à Abou Dhabi. C’est pour les États un instrument essentiel de leur politique de communication.

a. Une diplomatie culturelle riche et diversifiée

La diplomatie culturelle a l’avantage de viser un public lettré, cultivé et éclairé qui peut constituer autant de relais d’opinion.

Elle est pratiquée depuis l’indépendance par l’Azerbaïdjan, qui est en la matière un « État pionnier », comme l’observent MM. Jacques Soppelsa, d’ailleurs auditionné par la mission d’information, et Turab Gurbanov dans le cadre de leur ouvrage intitulé Azerbaïdjan, État leader du Sud Caucase (A2C Médias, mars 2015).

Au départ, cette diplomatie s’est exercée dans le cadre multilatéral de la coopération entre les pays dont la langue appartient à la famille turque ou turcique. Décidée en 1992, la création de l’Organisation internationale pour la culture turque, Türksoy selon l’acronyme turc, a été créée par un accord entre l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan et la Turquie, signé à Amalty le 12 juillet 1993. Le 13 mai 1996, un accord de partenariat a été signé avec l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Le 18 décembre 2014, Bakou a accueilli la cinquième réunion des commissions et comités nationaux des pays membres de Türksoy pour l’Unesco. À cette occasion, le ministre des affaires étrangères, M. Elmar Mammadyarov, a déclaré que l’Azerbaïdjan était depuis longtemps un centre du multiculturalisme dans la région.

C’est le rappel d’un message de fond que le pays avait délivré, dans la continuité du processus dit de Bakou engagé 2008, avec l’organisation en 2011 du premier Forum mondial sur le dialogue interculturel, qui a accueilli, selon l’ouvrage précité, « plus de 500 représentants de 103 nations », sur le thème suivant : « Unités de valeurs communes, enrichies par la diversité culturelle ». Un deuxième Forum a été organisé en 2013 et un troisième les 18 et 19 mai 2015, à Bakou.

Ce message est une constante de la diplomatie azerbaïdjanaise, car, comme l’a observé lors de son audition Mme Aurélia Bouchez, Ambassadeur de France en Azerbaïdjan, « le multiculturalisme traduit la volonté de l’Azerbaïdjan d’être un pont entre l’Asie et l’Europe et entre les religions »

C’est ce qu’a confirmé S. E. M. Elchin Amirbayov, Ambassadeur d’Azerbaïdjan en France, en précisant à la mission d’information qu’à travers sa diplomatie culturelle, « l’Azerbaïdjan transmet au monde, à un moment où l’on observe partout la montée des conflits et de la haine, un message de paix invitant à la cohabitation et au respect des autres ».

Le grand événement emblématique de cette diplomatie a été l’organisation du concours Eurovision de la chanson en mai 2012.

Dans le déploiement de cette diplomatie culturelle, la Fondation Heydar Aliev joue un rôle clef. Ayant commencé ses activités en 2004, elle est présidée par l’épouse du président azerbaïdjanais, Mme Mehriban Alieva. Leur fille, Mme Leyla Alieva, journaliste, en est la vice-présidente. Les deux autres instances dirigeantes de la Fondation sont, d’une part, son directeur exécutif, M. Anar Alakbarov, qui a également été élu en 2014 président de la fédération du sport automobile, et, d’autre part, son conseil des experts.

Présentée par S. E. M. Amirbayov comme « la plus grande organisation laïque et non-gouvernementale du Caucase du Sud, [contribuant] au développement de notre diplomatie culturelle », la Fondation a « pour vocation de soutenir la culture, les sciences, l’éducation et la santé, tout en promouvant l’image de l’Azerbaïdjan dans le monde. Depuis quelques années, elle mène ainsi des actions de mécénat partout à l’étranger » 

Si ses actions en France ont déjà été mentionnées, il faut ici évoquer ses actions à l’étranger qui sont également très importantes.

Comme pour la France, elles sont très diverses.

L’une des plus emblématiques, mentionnée par S. E. M. Amirbayov, est intervenue à Rome et a impliqué le Vatican. C’est « le financement de la restauration des Catacombes de Rome, qui ont une valeur très importante pour le monde chrétien. Le projet, qui portait sur trois ans, consistait à restaurer certaines sections des Catacombes et à les ouvrir au public. Un accord a donc été signé entre le ministère de la culture du Vatican et la Fondation. »

La Fondation est également présente en Allemagne. Sur le plan événementiel, son site Internet mentionne ainsi l’organisation à Francfort, avec le soutien de l’ambassade d’Azerbaïdjan, le 26 mai 2015, d’une soirée culturelle autour d’une exposition de photos sur les traces de l’Allemagne dans le pays et d’un concert. Des manifestations similaires ont été organisées à Hanovre, à Dresde et à Düsseldorf dans les derniers mois de l’année 2014.

Cette politique de relations publiques culturelles concerne aussi l’Italie. Le 9 mai 2015, un concert a été organisé dans le pavillon du pays à l’exposition universelle de Milan.

En Belgique aussi, la fondation est intervenue. Elle a ainsi fait fabriquer par deux artistes azerbaïdjanais et installer dans un jardin de Waterloo une statue rendant hommage à Khourchidbanou Natavan, poétesse du XIXe siècle et princesse originaire de Choucha, au Haut-Karabagh. L’inauguration est intervenue le 18 février 2016, en présence de l’ambassadeur d’Azerbaïdjan en Belgique.

De même, en Grèce, un concert a été organisé en juin 2014 et des journées de la culture azerbaïdjanaise l’ont été à Athènes en septembre suivant.

Enfin, la Fondation est également active en Russie car, comme l’indique une dépêche de l’agence d’État AzerTag datée du 19 mai dernier, la vice-présidente Leyla Alieva a rencontré, lors de l’un de ses déplacements à Moscou, le recteur de l’Institut d’État pour les relations internationales, pour une coopération en direction de la jeunesse. Mme Leyla Alieva est présidente de l’association des anciens élèves de l’Institut (Alumni) pour l’Azerbaïdjan.

Pour être exhaustif, il faut mentionner les manifestations intervenant en France mais visant un public international, comme la présentation au siège de l’Unesco, le 13 mai 2015, à l’occasion de la Nuit européenne des musées, d’une exposition intitulée « Azerbaïdjan : de la tradition à la modernité ».

b. Une diplomatie sportive active

Comme l’a rappelé lors de son audition le secrétaire d’État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports, M. Thierry Braillard : « L’Azerbaïdjan, à l’instar d’autres pays émergents comme le Kazakhstan ou le Qatar, ou d’autres pays comme la Chine, a une stratégie clairement tournée vers une politique de communication à travers le sport » et « cette stratégie a pour but de mieux faire connaître et comprendre le pays, sa culture, et très clairement, de montrer une image positive à travers les compétitions sportives qu’il organise. »

Cela rejoint le constat du rapport d’information n° 3810 présenté le 8 juin 2016 par Mme Valérie Fourneyron et M. François Rochebloine, au titre de la commission des affaires étrangères, sur la diplomatie sportive de la France et son impact économique, qui rappelle combien certains pays recourent au sport pour se faire connaître et améliorer leur image au niveau international.

C’est pour les acteurs régionaux l’un des moyens d’acquérir un certain rayonnement international dans un délai en définitive assez court. À son échelle, car plus peuplé et moins bien doté en hydrocarbures que le Qatar, l’Azerbaïdjan a déployé une stratégie similaire et très classique fondée sur l’organisation de grands événements sportifs internationaux (GESI) ainsi que sur le financement d’événements suivis dans le monde entier ou au moins dans les plus grands pays.

C’est l’organisation des Jeux européens à Bakou, du 12 au 28 juin 2015, les premiers Jeux européens, qui a été la première vitrine de l’Azerbaïdjan en matière sportive.

Cet événement exceptionnel a été le fruit de la rencontre d’une volonté, celle de l’Azerbaïdjan, et d’un besoin exprimé au sein des Comités olympiques européens. Il faut rappeler que ceux-ci ne se limitent pas aux comités nationaux des pays européens au sens strict. Cinquante pays sont en effet représentés au sein de cette organisation, dont le siège est à Rome. La Russie, Israël et les trois pays du Caucase en sont notamment membres.

Comme l’a expliqué à la mission d’information le président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), M. Denis Masseglia, un accord de principe en faveur de l’organisation de Jeux européens a été assez vite dégagé au sein d’un groupe de travail mandaté en 2009 au niveau des Comités olympiques européens (COE) : « une majorité assez nette s’est dégagée, motivée par le fait qu’il existait déjà des Jeux asiatiques, des Jeux panaméricains, des Jeux océaniens, des Jeux africains, mais pas de Jeux européens ».

Le choix s’est ensuite porté sur l’Azerbaïdjan et la ville de Bakou lors de l’assemblée générale des COE à Rome, en novembre 2012, car il n’y avait pas d’autre candidat.

Pour le pays, c’était toutefois un deuxième choix, car « Bakou, comme Doha, avait posé sa candidature à l’organisation de Jeux olympiques de 2020, (…) mais, dès mai 2012, la commission exécutive du CIO s’était réunie pour examiner la validité des différentes candidatures, afin de ne retenir, comme le prévoyait la procédure, que les villes répondant aux standards exigés, et avait écarté celles de Doha et de Bakou, pour sélectionner uniquement Madrid, Istanbul et Tokyo. »

Comme l’a bien précisé M. Masseglia, « l’Azerbaïdjan se trouvait donc incité à faire la preuve de sa capacité à organiser des Jeux, alors même que les préparatifs liés à sa candidature étaient déjà très avancés. C’est ainsi que Bakou a décidé de « rebondir » en manifestant auprès du bureau des COE le souhait d’organiser des Jeux européens. »

L’Azerbaïdjan étant déjà très avancé dans les travaux d’organisation, il n’y avait pas d’obstacle pratique à l’acceptation de sa candidature et c’est ainsi que « dans la mesure où un certain nombre d’équipements, dont le village olympique, avaient été réalisés, et que les plans pour le reste des installations existaient, le dossier présenté par Bakou, seule ville candidate, a recueilli 83 % des suffrages. »

Ces circonstances expliquent le recours à une procédure exceptionnelle, réduisant le calendrier. Toujours selon M. Masseglia, si « normalement, l’assemblée générale aurait dû se prononcer sur le principe de l’organisation des Jeux, et une période de quatre ans aurait alors été ouverte pour les déclarations de candidature à l’organisation de l’événement », « le bureau des COE a cependant proposé que la procédure soit accélérée et que les votes successifs interviennent sur l’organisation des Jeux, puis sur la candidature de Bakou » dès novembre 2012.

Ces premiers Jeux européens ont été portés en Azerbaïdjan au plus haut niveau de l’État. Comme l’a rappelé à la mission d’information M. Jean Lévy, ancien ambassadeur pour le sport, ils ont été organisés « sous la supervision directe du ministre de la jeunesse et des sports, du président azerbaïdjanais et de Mme Alieva. Celle-ci est d’ailleurs venue à Paris à l’occasion de manifestations de promotion classiques pour ce type d’événement, afin de le présenter, de le médiatiser et d’encourager les touristes à venir. »

Ils sont unanimement reconnus comme une réussite, tant du point de vue de la participation des sportifs que celle du public.

Comme l’a précisé le secrétaire d’État chargé des sports, « vingt sports, dont certains n’étaient pas des sports olympiques » étaient représentés et « 6 000 athlètes ont été présents », alors que leur nombre est, par comparaison, de 10 500 aux Jeux olympiques et de 4 500 pour les Jeux paralympiques.

Ensuite, le public était là. Selon M. Masseglia, « les stades étaient pleins, particulièrement pour les disciplines dans lesquelles des Azerbaïdjanais pouvaient espérer remporter des médailles – ce qui s’est vérifié dans des sports de combat comme le judo, la lutte et la boxe. L’ambiance était alors digne d’un stade de football. Les tribunes étaient toutefois plus clairsemées pour les sports dans lesquels les chances de médailles étaient moindres. Les scolaires ont été incités à assister à ces Jeux, ce que nous faisons aussi en France, le but étant de conduire un maximum de jeunes à pratiquer le sport et à s’inscrire dans un club. »

Pour assurer ce succès, l’Azerbaïdjan a déployé des moyens budgétaires substantiels. Le coût global des Jeux européens a été estimé à 1,25 milliard d’euros, selon le secrétaire d’État chargé des sports.

Certaines dépenses, qui ne sont qu’exceptionnellement prises en charge par le pays hôte d’une telle manifestation, ont été financées par l’Azerbaïdjan. Tel a d’abord été le cas des frais normalement supportés par les délégations nationales. Comme l’a précisé M. Masseglia, « chaque délégation a (…) reçu des défraiements. Chaque athlète participant a ainsi été pris en charge à hauteur de 600 euros pour le déplacement ; quant à l’hébergement au sein du village sportif, il est gratuit, comme aux Jeux olympiques. » Ce n’est certes pas habituel, mais il y a des précédents, les Jeux de Pékin et de Sydney, car « lorsque des villes situées au-delà des mers veulent obtenir l’organisation des Jeux olympiques, elles promettent de prendre en charge tout ou partie des frais de déplacement, ce que Rio de Janeiro n’a pas fait, le CIO ayant souhaité limiter la surenchère. ». Pour la France, la somme perçue au titre de chaque athlète a ainsi permis de financer l’essentiel du prix du billet d’avion, qui s’élevait à 650 euros environ.

Ensuite, des primes ont été prévues en faveur des athlètes. Toujours selon M. Masseglia, il s’agissait d’un « système de prime à la performance. Ainsi, chaque comité national olympique dont un athlète remportait une médaille d’or recevait une certaine somme. Pour douze médailles d’or, le CNOSF a reçu environ 100 000 euros, qu’il a entièrement reversés aux fédérations récompensées à Bakou. » En France, la répartition des sommes s’est faite dans le cadre des fédérations, par discipline « le CNOSF est en effet en relation non avec les athlètes, mais avec les fédérations, à qui il a signifié qu’elles étaient libres de disposer de ces sommes comme elles l’entendaient. Certaines ont redistribué la totalité des primes aux athlètes, d’autres – les moins riches – la moitié seulement, en considérant que la préparation avait un coût. » C’est la première fois que de telles primes ont été versées par le pays hôte en matière olympique, mais M. Masseglia a rappelé qu’elles l’étaient dans le domaine de l’athlétisme.

Enfin, toujours selon le président du CNOSF, « l’Azerbaïdjan a financé les COE ; c’est la première fois que cela se produisait. Le chiffre de 25 millions d’euros a été avancé, mais, n’étant pas membre de l’exécutif des COE – à la différence du comité international des Jeux méditerranéens (CIJM) –, je n’en ai jamais eu confirmation. » Mais, « ce financement peut être regardé comme la contrepartie de l’organisation des Jeux. »

Ce succès, réel, appelle deux observations.

D’abord, ses retombées pour le pays sont certainement positives pour la sensibilisation de la population, notamment les enfants scolarisés, à la pratique d’un sport. Sur le plan financier, il est en revanche difficile de trancher. En effet, comme l’a constaté M. Philippe Vinogradoff, Ambassadeur pour le sport, « l’évaluation de l’impact des grands événements sportifs internationaux est difficile : d’abord il n’est pas toujours quantifiable en termes monétaires ; ensuite, le plus souvent, il s’apprécie à très long terme ».

L’audience internationale est restée limitée. Selon M. Masseglia, « je dirais qu’il y avait environ 90 % d’Azerbaïdjanais dans les gradins. Les étrangers qui sont venus étaient des gens qui avaient les moyens de faire le déplacement, ou qui étaient intéressés par le fait de voir tel ou tel athlète. Ces Jeux européens ne sont pas des Jeux olympiques : le prestige, l’intensité et la qualité de spectacle ne sont pas les mêmes. En outre, dans la mesure où il s’agissait d’une première édition, personne ne savait à quoi s’en tenir, notamment quant au niveau des épreuves et à la façon dont elles allaient se dérouler. Finalement, l’organisation s’est révélée parfaite, et les conditions d’accueil dans les stades excellentes. Et la chaîne de télévision L’Équipe 21, qui a retransmis toutes les épreuves en France, a connu une audience très satisfaisante. »

Ensuite, pour le futur des Jeux européens, la qualité et le niveau de l’organisation de ceux de Bakou ont un effet paradoxal. Comme l’a relevé le secrétaire d’État, « la barre a été placée tellement haut par l’Azerbaïdjan, s’agissant de la qualité de l’organisation comme du volume des investissements réalisés, qu’à ce jour aucun pays ne s’est porté candidat pour de nouveaux Jeux européens. Je me souviens par exemple que la cérémonie d’ouverture n’était pas loin de valoir une cérémonie d’ouverture de Jeux olympiques, tant par le nombre de bénévoles que par la qualité de la représentation. C’était extrêmement impressionnant. »

Pour sa part, la France a clairement tiré parti des jeux de Bakou. Sur le plan sportif, ses athlètes ont obtenu 42 médailles, se classant à la sixième place. Sur le plan économique, comme l’a rappelé le secrétaire d’État chargé des sports, les entreprises françaises se sont vu attribuer certains marchés : « Iveco qui a fourni 300 autobus, Schneider Electric qui a assuré l’éclairage des stades » et aussi GL Events. Enfin, le dialogue bilatéral a été renforcé car « les Azerbaïdjanais souhaitent surtout dialoguer sur l’expérience de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (INSEP). Cela étant, les problèmes budgétaires qu’ils connaissent ne leur permettront sans doute pas de créer l’équivalent de cet institut à Bakou. De la même façon, ils sont très intéressés par le développement des techniques de médecine du sport qu’ils ont vues à l’INSEP, mais ils ont du mal à mettre en place une filière universitaire spécialisée dans ce domaine. »

Le deuxième grand événement sportif organisé par l’Azerbaïdjan a été le Grand Prix d’Europe de Formule 1, le 19 juin 2016, un an après les Jeux européens. La mission d’information n’a pas été en mesure de recueillir beaucoup d’éléments sur ce sujet. En effet, comme l’a indiqué lors de son audition M. Jean Lévy, ancien ambassadeur pour le sport, conseiller auprès du président de la Fédération internationale de l’automobile (FIA), l’organisation des grands prix de Formule 1 ne dépend pas de la FIA, mais « d’une société holding, Formula One (…) » et « c’est Formula One qui a directement négocié en Azerbaïdjan avec les responsables de l’organisation. En aucune façon, la FIA n’est impliquée dans ce type de négociation. » L’organisation d’un Grand Prix d’Europe ménage en fait, comme l’a précisé le secrétaire d’État chargé des sports, « une certaine souplesse » car elle permet de confier l’organisation d’un grand prix « à un pays qui ne veut s’impliquer qu’une seule fois dans ce genre de compétition. » Cette flexibilité est aussi à l’avantage de Formula One, car « le problème de M. Ecclestone est qu’il ne peut organiser chaque année qu’un nombre limité de Grands Prix et qu’il doit s’en tenir au calendrier prévu. »

La diplomatie sportive de Bakou se poursuit en 2017 avec l’organisation en mai de Jeux de la solidarité islamique, auxquels prennent part les athlètes ressortissants des pays membres de l’OCI.

Celle-ci s’est aussi déployée dans le domaine du football, qui est certainement la discipline qui touche le public le plus étendu au niveau mondial.

Bakou a notamment accueilli la phase finale du championnat d’Europe de football des moins de dix-sept ans en mai 2016.

Par ailleurs, le pays a participé au financement de l’Euro 2016. Comme l’a rappelé le secrétaire d’État chargé des sports, « l’Azerbaïdjan a participé à l’Euro 2016 et tout le monde a pu remarquer à cette occasion les emplacements publicitaires loués par la SOCAR, compagnie pétrolière azerbaïdjanaise dont je rappelle que le capital est entièrement détenu par l’État. »

La mission n’a pas été en mesure de recueillir davantage d’éléments, faute d’avoir pu auditionner des représentants de la SOCAR ou bien de l’Union européenne des associations de football (UEFA), dont le siège est en Suisse.

Enfin, il faut mentionner le cas de personnes privées, de nationalité azerbaïdjanaise, qui ont investi dans des clubs sportifs français. C’est le cas de M. Hafiz Mammadov qui est ainsi devenu actionnaire majoritaire du Racing Club de Lens (RC Lens) à compter de l’été 2013. M. Mammadov est également devenu actionnaire de l’Atlético de Madrid.

La participation de M. Mammadov au RC Lens s’est achevée en mai 2016, en conséquence d’importantes difficultés dans ses propres affaires, notamment avec la banque privée Bank of Azerbaïdjan. Cette dernière a dû cesser son activité faute de fonds propres, selon les éléments publiés dans la presse. C’est alors que le tribunal de commerce de Paris a validé la reprise d’une partie du capital du RC Lens par la structure luxembourgeoise Solferino, qui regroupe des dirigeants de l’Atlético de Madrid et un fonds britannique.

Le secrétaire d’État a rappelé que ce cas n’était pas unique : « Nous avons vécu bien d’autres mauvaises aventures : des Japonais, qui avaient repris le FC Grenoble, sont partis sans coup férir, laissant ce club à l’abandon et la ville de Grenoble avec un stade tout neuf qui ne servait plus à rien ; un Roumain, qui avait voulu racheter l’Olympique de Marseille, est parti sans crier gare ; plus récemment, un Franco-Brésilien a voulu racheter le club du Havre, mais, finalement, il n’avait rien.

« Pour éviter d’autres mésaventures, j’ai mis en place, il y a plus de huit mois, une grande conférence sur le sport professionnel. Il s’agissait de chercher les moyens d’assurer davantage d’éthique, de transparence, de régulation et de compétitivité au sport professionnel. Cette conférence a travaillé six mois et a rendu un rapport. De ce rapport est née une proposition de loi qui a été votée à l’unanimité au Sénat, et qui viendra le 12 janvier prochain devant l’Assemblée (…).

« Il se trouve que l’article 5 de cette proposition de loi autorise la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) à vérifier la qualité des investisseurs étrangers qui souhaitent venir en France, pour éviter les cas que je vous ai cités – celui de M. Mammadov, mais aussi celui des Japonais, du Roumain, etc. N’oublions pas non plus que les Chinois essaient de plus en plus souvent d’investir chez nous – par exemple, à Nancy et à Auxerre. L’idée est d’obtenir beaucoup plus d’informations sur les opérations qui auront lieu. 

« Voilà exactement ce que je pouvais dire sur l’affaire du RC Lens qui, incontestablement, était d’ordre purement privé. L’État azerbaïdjanais, qui disposait d’informations contradictoires, n’avait aucun lien direct a priori avec l’investisseur. ».

Effectivement, le 12 janvier dernier, l’Assemblée nationale a adopté le 2° de l’article 5 de la proposition de loi n° 4173, adoptée par le Sénat, visant à préserver l’éthique du sport, à renforcer la régulation et la transparence du sport professionnel et à améliorer la compétitivité des clubs. Ces dispositions donnent aux directions nationales de contrôle de gestion une compétence de contrôle sur les projets d’achat, de cession ou de changement d’actionnaires des sociétés sportives.

C’est un complément utile aux dispositions de contrôle actuelles qui se limitent, comme l’ont rappelé tant le secrétaire d’État que Mme Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l’économie internationale et de la promotion du tourisme au ministère des affaires étrangères et du développement international, à la saisine de Tracfin au titre de la lutte contre le blanchiment des capitaux.

C. POUR LE MAINTIEN D’UNE APPROCHE ÉQUILIBRÉE

À ce point du rapport, la mission a mis en lumière le positionnement singulier de l’Azerbaïdjan comme garant laïque d’une certaine stabilité dans la région. Ce constat ne minimise en rien le sujet de préoccupation que soulève – pour la communauté internationale et pour les Européens en particulier – l’évolution récente de la situation des droits de l’Homme et des libertés démocratiques dans le pays.

L’Azerbaïdjan a néanmoins fait la preuve qu’il était un pays avec lequel on pouvait dialoguer. Avec la France, ce dialogue est de qualité et s’est intensifié. Cette ouverture doit être préservée ; elle constitue un moyen d’amener les autorités à assouplir leur approche sur la question des droits et libertés dans la mesure où, comme l’a souligné l’Ambassadeur Aurélia Bouchez, « la stabilité durable à laquelle aspire l’Azerbaïdjan ne peut être fondée que sur l’État de droit et (…) le dialogue inclusif avec l’ensemble des composantes de la société civile est le meilleur gage de stabilité ».

1. Combiner pressions sur les dirigeants azerbaïdjanais et soutien à la société civile et aux défenseurs des droits

Il a été indiqué à la mission que le scénario le plus souhaitable serait celui de la mise en œuvre de réformes permettant une transition progressive et pacifique vers la démocratie, car personne ne souhaite voir l’Azerbaïdjan secoué par des troubles sociaux ou un soulèvement populaire. Dans cette perspective, les démocraties occidentales ont un rôle majeur à jouer.

Comment la France peut-elle intervenir pour appuyer la démocratisation de l’Azerbaïdjan ? Il s’agit d’agir à la fois par « le haut » et par « le bas ». Par le haut, en faisant un usage intelligent des pressions politiques pour stimuler l’ouverture. Par le bas, en soutenant la société civile azerbaïdjanaise et les défenseurs des droits qui seraient menacés.

a. Les pressions politiques ont prouvé leur relative efficacité

• Une efficacité unanimement reconnue

La quête d’image de l’Azerbaïdjan, les gestes consentis en réponse à la mobilisation de plusieurs grands partenaires sont autant d’indices du rôle primordial des pressions politiques pour inciter l’Azerbaïdjan à l’ouverture.

Ce rôle a été unanimement souligné par les interlocuteurs de la mission. Ainsi, M. Johann Bihr, de Reporters sans frontières (RSF), a estimé lors de son audition qu’« on l’a constaté au début de l’année, les pressions fonctionnent. Le peu qu’on arrive à obtenir, c’est grâce aux pressions ».

Mme Anne Castagnos-Sen, responsable des relations extérieures pour Amnesty International France, a exprimé le même point de vue : « Nos espoirs sont fondés sur les pressions que peuvent exercer des États comme la France en bilatéral. C’est un axe cardinal de notre action. [...] Nous ne croyons pas que le fait de ne pas aborder les sujets qui fâchent soit le meilleur moyen de faire avancer les choses. »

• Quelles pressions ?

Concrètement, quelle forme peuvent prendre ces pressions ? Mme Aurélia Bouchez distingue la « diplomatie publique » et la « diplomatie plus discrète ».

Elle a ainsi précisé : « Nous usons de la diplomatie publique pour exprimer des positions de principe – ce que la France fait parfois seule, parfois dans le cadre de l’Union européenne ou de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) – et aussi lors de l’arrestation de certains opposants (…). Parce qu’il importe de faire preuve d’une position équilibrée, nous avons aussi réagi de manière positive lorsqu’ils ont bénéficié d’une libération conditionnelle. 

« Nous utilisons une diplomatie plus discrète pour obtenir des résultats précis. Je rappellerai à cet égard le cas célèbre de la libération pour cause humanitaire des époux Yunus. Après que Mme Yunus eut reçu en 2013 les insignes de la Légion d’honneur des mains du Président François Hollande et que la France eut exprimé publiquement sa position au sujet de la situation de ce couple, nous avons aussi entretenu un dialogue discret avec les autorités pour obtenir que les époux Yunus puissent, comme ils le souhaitaient, être autorisés à titre humanitaire à sortir d’Azerbaïdjan pour recevoir à l’étranger les soins requis par leur état de santé. »

Les responsables français reçus par la mission disent tous entretenir avec leurs homologues azerbaïdjanais un dialogue régulier sur la question des droits de l’Homme, au sein des instances multilatérales comme le Conseil de l’Europe ou l’OSCE, mais aussi dans le cadre des rencontres bilatérales organisées à tous les niveaux.

Mme Florence Mangin, directrice pour l’Europe continentale au ministère des affaires étrangères, décrit un dialogue « franc et ouvert à tous les niveaux », qui porte « non seulement sur l’ensemble de nos échanges et de notre coopération, mais aussi sur les questions de démocratie et de droits de l’Homme », notant que le porte-parole du Quai d’Orsay est intervenu régulièrement sur ces questions au cours des derniers mois et années.

Les pressions politiques sur l’Azerbaïdjan sont d’autant plus efficaces qu’elles sont concertées et conduites collectivement. M. Jean-Pierre Lacroix, directeur des Nations Unies, des organisations internationales, des Droits de l’homme et de la francophonie au ministère des Affaires étrangères, souligne en effet que la libération des époux Yunus a été une œuvre collective. Il estime que l’échelle européenne est particulièrement pertinente pour agir, compte tenu du fort intérêt que l’Azerbaïdjan a à maintenir des liens étroits avec l’Union européenne : « de fait, l’Azerbaïdjan n’a pas la même taille que la Russie, et il a besoin du partenariat avec l’Union européenne. Nous disposons donc de leviers, qu’il nous faut utiliser au mieux. »

D’après Mme Aurélia Bouchez, l’ambassadeur de France en Azerbaïdjan, une concertation assez étroite est organisée sur le terrain entre les ambassades des pays européens : « des réunions ont lieu tous les quinze jours. Les échanges sont ouverts et chaleureux, et l’approche est convergente : chacun dresse un bilan mitigé en matière de droits de l’Homme, mêlant des éléments préoccupants et des éléments plus positifs, et souligne une dynamique, notamment européenne, qui va dans le bon sens ».

Cette solidarité est néanmoins atténuée par les intérêts économiques de chacun : « En arrière-plan, la concurrence économique demeure et, en dépit de la crise, l’Azerbaïdjan reste un pôle d’intérêt pour beaucoup ».

Ainsi, la capacité des États européens à conjuguer leurs efforts pour obtenir, au-delà de quelques libérations emblématiques, un réel assouplissement du pouvoir azerbaïdjanais, est un enjeu important pour l’avenir. Il est collectivement dans l’intérêt des Européens de promouvoir les libertés démocratiques et le respect de l’État de droit.

Quant à l’Azerbaïdjan, il respectera d’autant plus des partenaires dont il a le sentiment qu’ils sont sincères et fermes sur leurs positions. Comme le formule M. Johann Bihr, de Reporters sans frontières, « la manière dont les autorités azerbaïdjanaises appréhendent leurs relations avec l’étranger est marquée par l’héritage soviétique : elles fonctionnent en termes de rapport de force. Essayer de s’attirer les bonnes grâces de Bakou n’est pas un gage de bonnes relations avec ce pays ».

b. Soutenir la société civile azerbaïdjanaise

Au quotidien, la France doit soutenir les représentants de la société civile azerbaïdjanaise. Ce rôle incombe prioritairement à l’ambassadeur de France à Bakou, qui se trouve sur le terrain. Le cas azerbaïdjanais n’étant évidemment pas exceptionnel, M. Jean-Pierre Lacroix rapporte que des directives et instructions sur l’action des postes en matière de droits de l’Homme ont été récemment envoyées aux ambassades.

• Les directives données aux ambassades

Ces directives comportent diverses mesures de prévention. Il s’agit d’abord d’identifier les défenseurs des droits de l’Homme et d’assurer la visibilité du soutien qui leur est apporté, par exemple en participant à des événements organisés par eux, en faisant des visites de terrain, en parrainant de différentes manières certains de leurs projets, etc.

Par ailleurs, il convient d’établir des canaux de communication avec les défenseurs menacés et leurs proches, de manière sécurisée le cas échéant, et de les signaler aux principaux acteurs de protection des défenseurs des droits de l’Homme pour une plus grande réactivité en cas de dégradation brutale de leur situation.

En parallèle, il est important de participer aux dialogues politiques sur les droits de l’Homme, menés, par exemple, par l’Union européenne, en appuyant l’idée d’une association constituée de défenseurs des droits de l’Homme.

Si la situation des droits de l’Homme se dégrade, les directives énoncent les mesures de protection qui peuvent être envisagées. Les postes peuvent apporter un soutien direct via des déclarations, dans le cadre du dialogue avec les autorités, l’observation des procès des défenseurs des droits de l’Homme, une visite en prison ou une démarche bilatérale ou conjointe de la communauté diplomatique auprès des autorités et des institutions nationales dédiées aux droits de l’Homme lorsqu’elles existent.

En cas d’urgence, les ambassades ont un rôle à jouer pour placer le défenseur des droits menacé et sa famille en lieu sûr, à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire, et faciliter les démarches éventuellement engagées aux fins d’asile.

Elles sont également incitées à recourir aux mécanismes internationaux de protection des droits de l’Homme et notamment aux rapporteurs spéciaux et mécanismes dédiés aux défenseurs : Rapporteurs spéciaux de l’ONU – le poste actuellement occupé par M. Michel Forst, cité précédemment – et Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’Homme (BIDDH) de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ou encore Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe.

• L’action conduite par l’ambassade de France à Bakou

Cette action a été décrite à la mission par l’ambassadeur de France à Bakou, Mme Aurélia Bouchez : « Mon adjointe et moi-même avons des contacts réguliers avec les défenseurs des droits de l’Homme et les partis d’opposition. Nous recevons les avocats des personnes emprisonnées et nous sommes également en contact avec les ONG.

« Nos interventions ont des échos variés. Il faut parfois des efforts prolongés pour obtenir un résultat, mais je vous ai parlé de cas précis pour lesquels nos interventions ont abouti. Il convient de poursuivre cette action avec ténacité, en portant une attention particulière aux cas qui ont fait l’objet de jugements de la Cour européenne des droits de l’Homme, non pour chapitrer nos interlocuteurs mais parce que quand un État prend des engagements, on s’attend à ce qu’il s’y conforme et qu’il applique les décisions de la Cour.

« Nous nous devons d’avoir des contacts avec tout le spectre de la société azerbaïdjanaise et les autorités savent très bien que nous recevons des personnalités de l’opposition et de la société civile ».

• L’action conduite en France

Outre les pressions politiques évoquées précédemment, la France peut soutenir la société civile azerbaïdjanaise en offrant la possibilité à certains de ses membres de séjourner sur son territoire.

D’après les statistiques communiquées par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), 614 demandes d’asile ont été déposées en 2015 par des ressortissants azerbaïdjanais, et 706 décisions ont été rendues par l’OFPRA, dont 82 étaient positives (soit un taux d’admission de 11,6 %). 100 admissions supplémentaires ont été validées au terme du recours ouvert devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), soit un taux d’admission final de 25,8 %. Au total, on estimait à près de 3 000 le nombre de ressortissants azerbaïdjanais sous la protection de l’OFPRA à la fin de l’année 2016.

• Une action reconnue par les représentants de la société civile

Le soutien apporté par la France aux défenseurs des droits en Azerbaïdjan a été salué par plusieurs interlocuteurs de la mission. En particulier, Mme Alexandra Koulaeva, de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), a relevé : « Nous avons toujours bénéficié du soutien des instances françaises, qui ont toujours été aux côtés de nos collègues. Mme Yunus, notamment, a été distinguée en étant décorée de la Légion d’honneur, juste avant son arrestation (…).

« Nous avons toujours eu le soutien de l’ambassade de France en Azerbaïdjan. La mission diplomatique a toujours été ouverte et nous avons systématiquement rencontré ses membres lors de nos voyages dans le pays (…).

« Toutes les mesures symboliques que l’antenne diplomatique française à Bakou pouvait prendre à leurs côtés l’ont été (…).

« Nous avons fait venir en France des défenseurs des droits azerbaïdjanais et des membres des familles de personnes emprisonnées. Nous avons pu rencontrer le ministre des affaires étrangères et certains de vos collègues, ainsi que les conseillers du Président de la République, et porter haut et fort nos préoccupations. Nous avons toujours été entendus, même si la capacité d’influence de la France sur la situation n’a pas toujours été aussi grande que nous l’aurions souhaité. »

Cette action en soutien de la société civile est jugée indispensable par M. Michel Forst, pour qui elle doit impérativement être maintenue, si ce n’est amplifiée : « heureusement, la délégation de l’Union européenne et quelques ambassades, dont les ambassades de France et d’Allemagne, ont une action positive et reçoivent les doléances des défenseurs des droits de l’Homme. Nous parvenons parfois à les protéger en les faisant sortir du pays, mais nous avons du mal à trouver un pays d’accueil ».

2. Maintenir ouverte la porte du dialogue pour accompagner mais aussi stimuler et concrétiser la volonté d’ouverture de l’Azerbaïdjan

La délivrance de messages par la France à l’Azerbaïdjan, en matière de droits de l’Homme, de libertés fondamentales et de libertés démocratiques peut intervenir, dans un cadre bilatéral comme dans un cadre multilatéral.

Elle doit continuer à relever d’une démarche de fermeté et d’ouverture au dialogue qui évite tout risque de stigmatisation entraînant une réduction, qui serait contre-productive, des relations bilatérales. Il convient également que la France continue à s’affirmer prête à accompagner l’Azerbaïdjan dans la poursuite de sa transition démocratique vers une société ouverte, moderne et apaisée.

Il ne s’agit donc pas de recommander une évolution de fond des positions françaises et de notre diplomatie, mais d’éventuels ajustements au cas par cas tenant compte de la sensibilité de l’opinion à l’ensemble de ces questions.

L’enjeu est en effet la poursuite du développement de l’Azerbaïdjan dans la stabilité et le dialogue, dans une région difficile.

a. La stigmatisation et la réduction du niveau des relations ne seraient pas une solution pour favoriser le respect des droits humains et les évolutions de la société azerbaïdjanaise

Dans les pays dont la tradition libérale et démocratique est ancienne, la question des relations avec les États qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques sur le plan de la démocratie, des droits de l’Homme et de l’État de droit fait l’objet d’un débat permanent.

Cependant les plus ardents défenseurs des droits de l’Homme reconnaissent que le maintien de relations avec les pays qui ne les respectent pas est utile.

Comme l’a explicitement précisé à la mission d’information, Mme Anne Castagnos-Sen, d’Amnesty International France : « Nous ne demandons pas de rompre les relations diplomatiques, de cesser d’investir ou de boycotter le pays, car cela risquerait d’avoir des conséquences dramatiques pour la population, mais nous espérons que des pays amis pourraient avoir des effets positifs. »

Le problème qui est posé est celui de la qualité des relations politiques, mais surtout du niveau des relations économiques et de leur utilisation éventuelle comme moyen de pression. C’est un débat essentiel pour les parlementaires, car la question des droits de l’Homme, de la démocratie et des libertés fondamentales est l’un des sujets auquel ils sont par nature sensibles, quelles que soient leurs appartenances politiques. La caractéristique d’une assemblée parlementaire est de reposer sur le débat et la compréhension mutuelle, et sur la capacité de forger une opinion collective partagée, parfois même consensuelle, dépassant les points de vue individuels.

La question est parfois évoquée pour les relations en matière de sport et dans le domaine de la culture, mais en général, on conclut en faveur du maintien de ces relations avec les pays en cause, car celles-ci sont plus ponctuelles.

C’est ainsi que M. Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), avait été contacté avant les jeux de Bakou, par l’organisation Human Rights Watch : « Comme président du CNOSF, j’ai reçu à trois ou quatre reprises l’association Human Rights Watch et ai expliqué à ses représentants notre souci, en tant qu’organisation sportive membre des [Comités olympiques européens] COE, à savoir que, dans la mesure où tous les pays européens participaient à ces jeux, nous ne souhaitions pas nous mettre en marge d’un mouvement qui avait pris sa décision à une importante majorité : 83 % des voix pour l’organisation des Jeux européens à Bakou. J’ai moi-même voté pour.

« Votre question, si je la reformule, porte sur le comportement que l’on doit avoir avec les pays dits antidémocratiques qui organisent des événements internationaux. Cela a été le cas pour Pékin en 2008. Le CIO [Comité international olympique] considère, et je partage pleinement son point de vue, que l’ouverture est préférable à la fermeture. Quand les populations voient ce que les autres pays peuvent apporter, cet éclairage leur permet de demander plus de libertés individuelles. ».

C’est un point de vue largement partagé, même si au moment des Jeux européens de Bakou, Amnesty International a publié un rapport intitulé Azerbaïdjan : les Jeux de la répression.

Pour ce qui concerne les relations économiques, M. Johann Bihr, de Reporters sans frontières, a estimé, lors de son audition par la mission d’information, que celles-ci constituent un moyen de pression et que la France pourrait faire davantage : « Les autorités françaises ne font pas suffisamment pression sur l’Azerbaïdjan. Nous leur sommes très reconnaissants d’octroyer des visas à des journalistes ou à des défenseurs des droits de l’Homme qui sont en danger, et qui peuvent ainsi gagner notre pays pour y déposer des demandes d’asile. C’est important, et il faut continuer de le faire. Dans ce cadre-là, nous avons des échanges de bonne tenue avec les autorités françaises. Cependant, en matière de plaidoyer politique, il conviendrait d’être beaucoup plus ferme et critique vis-à-vis des exactions commises par les autorités azerbaïdjanaises. » M. Bihr a estimé que les États-Unis usaient davantage de l’instrument économique.

Ce point de vue appelle deux observations.

D’une part, il sous-estime le niveau des messages actuellement portés par la France en matière de droits de l’Homme en Azerbaïdjan et le degré d’indépendance des questions économiques et des questions de libertés fondamentales.

Comme l’a en effet indiqué à la mission d’information M. Matthias Fekl, secrétaire d’État chargé du commerce extérieur : « Le lien entre développement économique et amélioration de la situation des droits de l’Homme et des libertés politiques n’est pas du tout automatique. Je ne fais pas partie de ceux qui pensent qu’il suffit de commercer pour que la démocratie advienne. Je ne partage pas le discours un peu naïf que l’on a entendu partout à ce sujet ces dernières années. On constate, dans des parties entières du monde, qu’a émergé une sorte de « libéralisme autoritaire » qui permet de conjuguer une croissance économique très soutenue et un autoritarisme de l’État toujours plus marqué. Il ne faut pas ignorer cette réalité.

« Si le développement économique n’est pas directement corrélé à celui des libertés publiques, je pense que la présence économique française dans un pays donne à la France des raisons supplémentaires d’être entendue, ou au moins écoutée, lorsqu’elle évoque les droits de l’Homme. On peut choisir de cesser toute relation avec un État qui ne respecte pas les libertés, mais cette solution ne donne pas nécessairement de résultats. Il faut en revanche que notre diplomatie avance sur ces deux jambes : la diplomatie économique, et la diplomatie politique en matière de droits de l’Homme. Dans tous les forums, dans toutes les instances, dans tous les échanges et les contacts, même s’ils sont de nature économique, on doit aussi porter un message global sur l’importance de la démocratie et cibler les dysfonctionnements précis en la matière en évoquant les personnes injustement retenues ou la situation des ONG qui n’est pas satisfaisante. La France et l’Union européenne doivent avancer à la fois sur les aspects économiques, et sur les droits de l’Homme et la démocratie. »

Ensuite, le point de vue généralement exprimé par les ONG s’inscrit dans la perspective d’une situation idéale où la société internationale tendrait vers davantage d’homogénéité. Or, le constat est malheureusement inverse.

Le nombre des pays membres de l’ONU qui ne sont pas aux normes de l’Union européenne ou d’une manière plus générale, aux normes occidentales, en matière de droits de l’Homme et de libertés publiques est important. Et il ne serait pas fondé ni réaliste de stigmatiser tel pays plutôt que tel autre, ni de déployer des stratégies d’isolement en nombre.

La démarche de la construction internationale n’est en effet pas exclusive, mais inclusive, en comptant sur la force de la conviction et du dialogue comme complément et non comme substitut au rapport de force.

Par ailleurs, comme le constate M. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères, dans un entretien accordé au journal Le Monde daté du 13 janvier dernier, « l’Occident doit admettre qu’il ne peut plus régenter le monde ».

Le contexte international change, et l’évolution va dans le sens du durcissement de plusieurs pays vis-à-vis de l’Occident et de son modèle, lesquels s’affirment comme des régimes autoritaires à base démocratique, et qui souhaitent exercer leur capacité d’influence. Tel est notamment le cas de la Russie, de la Chine, de l’Iran voire d’autres pays géographiquement plus proches comme la Turquie.

C’est le démenti du pronostic de Francis Fukuyama qui prévoyait la « fin de l’histoire » avec la généralisation de la démocratie libérale et de l’économie de marché. Comme le constate M. Hubert Védrine : « À partir de 1992, après l’effondrement de l’URSS, nous avons quitté le monde bipolaire pour entrer dans un monde global semi-instable ».

b. La France doit donc rester prête à accompagner toute volonté d’ouverture de l’Azerbaïdjan, en ajustant si besoin ses messages, au cas par cas

Il appartient clairement à la France de conserver la teneur des messages qu’elle délivre aux autorités azerbaïdjanaises dans la poursuite de la construction d’une société démocratique et apaisée. Il ne s’agit donc pas de recommander une révision ni même une évolution des termes du dialogue politique avec le Gouvernement azerbaïdjanais.

Peut-être quelques ajustements au cas par cas des messages pourront-ils intervenir dans la configuration qui s’annonce dans les prochains mois.

En effet, sur le plan multilatéral, le dialogue va s’intensifier tant avec le Conseil de l’Europe, où comme on l’a vu, la question difficile de l’application des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme est à l’agenda du Comité des ministres, qu’avec l’Union européenne où les négociations en vue du futur accord qualifié de global vont comprendre un volet relatif à la démocratie et à l’État de droit. En outre, comme l’a rappelé à la mission d’information M. Matthieu Combe, « l’Union européenne s’efforce de maintenir une approche associant fermeté sur ses positions de principe et ouverture au dialogue ».

En tant que membre du Conseil de l’Europe et en tant que membre de l’Union européenne, notre pays a son rôle à jouer dans ces dialogues multilatéraux.

En parallèle et de manière coordonnée, dans le cadre bilatéral, la France doit continuer à s’affirmer comme un partenaire majeur pouvant accompagner l’Azerbaïdjan, dans la poursuite de son chemin vers la société ouverte, moderne et apaisée à laquelle ses atouts économiques et les réformes économiques en cours, dès lors qu’elles auront produit leurs effets, lui permettent légitimement de prétendre.

L’enjeu est triple.

Il est d’abord de parvenir à un règlement des situations individuelles douloureuses et d’engager progressivement et sans heurt des évolutions législatives qui introduiraient un certain apaisement avec la société civile.

Il est aussi de permettre à l’Azerbaïdjan d’amplifier les résultats que sa politique d’image et de communication lui permettent d’espérer pour faciliter la diversification de son économie grâce à l’appui des capitaux étrangers et des grands investisseurs internationaux.

Il est enfin de soutenir et d’accompagner le pays dans sa transition démocratique et de le rassurer sur la possibilité de prendre, sans risque de déstabilisation de l’État, des mesures d’assouplissement. Le pluralisme démocratique n’est pas nécessairement synonyme de risque de chaos ou de déstabilisation – y compris pour un État dont une partie du territoire est une zone de conflit – mais recèle des perspectives d’enrichissement et de renforcement de l’État. Il convient d’aider ce jeune pays à trouver son chemin vers la maturité démocratique qui permettra à chaque citoyen de s’épanouir pleinement.

EXAMEN DU RAPPORT

La mission d’information procède à l’examen du rapport au cours de sa réunion du mercredi 15 février 2017.

M. le président François Rochebloine. Mes chers collègues, comme vous le savez, l’ordre du jour de notre dernière réunion appelle l’examen du projet de rapport de notre collègue Jean-Louis Destans.

Conformément à l’usage, ce projet vous a été adressé avant-hier par voie électronique.

Avant de donner la parole à M. Destans pour sa présentation, je voudrais d’abord remercier le secrétariat de la mission d’information ainsi que les membres du service des comptes rendus, dont l’assistance permettra de donner à nos travaux toute la publicité qu’ils méritent.

Après le débat ouvert par la présentation de notre collègue, je mettrai aux voix, par un seul vote, l’approbation du rapport et l’autorisation de le publier.

Je précise aussi que, suivant les exemples de nos collègues Denis Jacquat, président de la mission sur les immigrés âgés, Bernard Accoyer, président de la mission sur les coûts de production en France, Arnaud Richard, président de la mission sur le paritarisme, et Sophie Rohfritsch, présidente de la mission sur l’offre automobile française, j’ai prévu d’adjoindre un avant-propos au rapport. Bien entendu, comme les précédents de même place et de même nature, ce texte n’engage que la responsabilité de son auteur.

Je donne maintenant la parole à notre rapporteur.

M. Jean-Louis Destans, rapporteur. Avant toute chose, je voudrais m’associer aux remerciements que vient d’adresser notre président aux administrateurs des services des affaires internationales et européennes qui nous ont permis de rédiger notre rapport dans les délais voulus, ainsi qu’aux rédacteurs des comptes rendus.

Notre mission d’information achève aujourd’hui ses travaux, qui ont été conduits à un rythme particulièrement soutenu depuis octobre, à raison de trente-quatre auditions ayant donné lieu à compte rendu, pour une durée totale de plus de trente-cinq heures. Ces auditions nous ont permis de recueillir une information complète sur les relations bilatérales entre la France et l’Azerbaïdjan.

Je rappellerai brièvement l’origine de cette mission d’information, créée par la conférence des Présidents le 12 juillet 2016, à la demande du groupe Union des démocrates et indépendants (UDI) faisant usage de son « droit de tirage » prévu par le Règlement de l’Assemblée nationale.

Pour ce qui est de ses spécificités, elles ont d’abord trait à son domaine : aux termes de la Constitution, les affaires étrangères relèvent principalement de l’Exécutif, et le Parlement ne peut agir dans ce domaine qu’avec prudence et avec le souci de ne pas brouiller la politique menée par la France. Il s’agit ensuite du rôle de notre pays comme médiateur dans le conflit au Haut-Karabagh, en tant que co-président du Groupe de Minsk de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), depuis 1997, aux côtés des États-Unis et de la Russie.

Ce rapport n’a exclu aucune question et n’a été soumis à aucune autorité politique ou administrative. Il traite de tous les sujets, si difficiles soient-ils.

Il rappelle en premier lieu le contexte international et économique qui est celui de l’Azerbaïdjan, et dans lequel s’inscrivent par conséquent ses relations avec la France.

Ce pays, qui compte 9,5 millions d’habitants pour 86 000 kilomètres carrés, est un État jeune. Il n’a accédé de manière pérenne à l’indépendance que très récemment, en 1991, à l’occasion de l’effondrement de l’Union soviétique. Il n’avait auparavant connu qu’une très brève période d’indépendance, entre 1918 et 1920.

Son indépendance, l’Azerbaïdjan l’a acquise dans des conditions particulières, alors même que le conflit du Haut-Karabagh avec l’Arménie venait d’éclater, en 1988, et qu’il ne contrôlait donc pas la totalité du territoire qui lui est internationalement reconnu.

Ce conflit, qui oppose deux peuples ayant chacun subi les tourments de l’histoire, a aussi pour l’Azerbaïdjan une dimension interne, avec la question des plusieurs centaines de milliers de réfugiés et de déplacés. Il a d’ailleurs engendré une grande instabilité politique jusqu’à l’accession à la présidence de Heydar Aliev en 1993.

Il n’est pas achevé, puisque la médiation commencée en 1992 n’a pas abouti, en dépit des efforts du Groupe de Minsk ; il peut encore connaître des poussées de violence, comme l’a montré la reprise des hostilités pendant l’épisode de la « guerre des quatre jours », en avril dernier.

Le conflit du Haut-Karabagh s’est ajouté aux autres grandes contraintes qui s’imposent à l’Azerbaïdjan en matière de politique étrangère. Le pays est en effet enclavé entre la Russie et l’Iran, les deux anciennes puissances dominantes qui se sont longtemps disputé son territoire, et il est à la lisière de l’arc de crise qui traverse l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, actuellement en proie au terrorisme – Daech n’est pas loin.

Pour sortir de cette situation, les présidents azerbaïdjanais – Heydar Aliev, puis son fils Ilham Aliev – ont donc joué la carte de la proximité culturelle et linguistique avec la Turquie – Heydar Aliev disait : « une nation, deux États » – et aussi celle des ressources énergétiques du pays et de sa géographie. Sa position est, en effet, du point de vue européen et américain, stratégique pour l’accès au pétrole et au gaz naturel de la mer Caspienne. L’Azerbaïdjan est l’une des voies et des sources d’approvisionnement alternatives aux fournisseurs traditionnels, notamment la Russie.

L’Azerbaïdjan reste attaché à une politique extérieure mesurée d’indépendance et de stabilité, fondée sur des relations équilibrées et prudentes avec ses voisins directs, notamment la Russie et l’Iran, ainsi que sur une certaine retenue dans les relations avec l’Ouest, notamment vis-à-vis de l’OTAN et de l’Union européenne – en excluant toute adhésion à la première, contrairement à son voisin la Géorgie.

Il a su respecter les conditions implicites posées par la Russie aux pays de son voisinage. Il a, par ailleurs, veillé à intégrer les grandes organisations de coopération et de sécurité régionale, à savoir l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), le Conseil de l’Europe et l’Organisation de la coopération islamique.

C’est donc avec la seule Arménie que les relations sont tendues.

Sur le plan économique, la dépendance de l’Azerbaïdjan vis-à-vis de ses hydrocarbures – gaz naturel et pétrole – est une fragilité. Après avoir profité de l’augmentation, puis du haut niveau des cours du pétrole et du gaz naturel entre 2003 et 2014, il a subi de plein fouet la baisse des cours, et cherche depuis lors à diversifier son économie et ses ressources budgétaires.

C’est un impératif dont ses dirigeants avaient conscience, et qui est seulement apparu plus urgent. En effet, à long terme, les réserves en hydrocarbures du pays sont assez limitées et plus coûteuses que d’autres à extraire, et ses capacités d’exportation réduites par l’importance de la consommation intérieure. En outre, les perspectives un moment envisagées de transit par son territoire de gaz venant d’Asie centrale ou d’Iran à travers le Corridor Sud ne se sont pas concrétisées.

J’en viens maintenant aux relations entre la France et l’Azerbaïdjan.

Pour ce qui est des relations économiques, l’Azerbaïdjan n’est pas un partenaire commercial majeur pour notre pays, puisque nos échanges bilatéraux ne se sont élevés qu’à 1,3 milliard d’euros en 2015. Ils sont fortement déficitaires en notre défaveur, puisque la France a importé pour 1,12 milliard d’euros d’hydrocarbures alors que nos exportations, qui sont à l’inverse très diversifiées, n’ont représenté que 175 millions d’euros. C’est cependant le premier partenaire de la France dans la région.

En raison de ses importantes ressources en pétrole et en gaz, l’Azerbaïdjan a très tôt intéressé les entreprises françaises, à commencer par les groupes Engie et Total. Engie a ainsi signé un contrat à long terme pour la fourniture de gaz naturel issu du champ de Shah Deniz, portant sur des volumes annuels de 2,5 milliards de mètres cubes ; quant à Total, il détient 40 % du champ de gaz d’Apchéron, dont la production devrait avoisiner les 5 milliards de mètres cubes par an à compter de 2019.

Outre ces deux sociétés, une quarantaine d’entreprises françaises sont aujourd’hui actives en Azerbaïdjan, parmi lesquelles Thales, Alstom, Lactalis et Suez, dont nous avons auditionné les représentants. Toutefois, à l’exception d’Alstom, qui a signé en 2014 un contrat de vente de locomotives pour un montant de 288 millions d’euros, les chiffres d’affaires réalisés par les entreprises françaises en Azerbaïdjan sont relativement modestes et, pour aucune d’entre elles, ce pays ne représente un marché important. Toutes nous ont cependant dit qu’il restait prometteur, malgré les difficultés résultant de la baisse des cours du pétrole et une concurrence croissante, en particulier de la part des entreprises turques.

En outre, l’Azerbaïdjan met aujourd’hui en œuvre une stratégie de diversification de son économie, ce qui constitue incontestablement une opportunité pour nos entreprises, notamment dans les secteurs où elles sont reconnues pour leur excellence, comme le tourisme, l’environnement ou les transports. L’Azerbaïdjan reste toutefois un marché compliqué, à cause d’une administration dont les pratiques restent encore marquées par l’ère soviétique. Le pays figure ainsi au 5e échelon du classement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) par niveau de risque – qui en compte 7 par ordre croissant – et au 65e rang du classement Doing Business établi par la Banque mondiale.

Une partie du travail de notre ambassade à Bakou consiste donc à venir en aide aux entreprises françaises en proie à des difficultés – le plus souvent avec succès. L’appui de l’État est aussi déterminant pour l’obtention des contrats, qu’il s’agisse de l’appui politique, par exemple sous la forme de visites présidentielles, ou d’un appui financier via la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (Coface) ou l’Agence française de développement (AFD).

Cependant, toutes les entreprises que nous avons entendues nous ont indiqué que les principaux facteurs de succès sont économiques, c’est-à-dire liés à la qualité de leur offre et à son prix, en particulier dans les hydrocarbures. Interrogées sur la corruption, elles ont affirmé avec force leur refus de ces pratiques et détaillé les procédures qu’elles ont mises en place pour les détecter et les combattre.

Enfin, pour en terminer avec les relations économiques, il convient de souligner que des progrès significatifs ont été récemment réalisés par l’Azerbaïdjan afin d’améliorer l’environnement des affaires. La suppression de l’Agence pour les appels d’offres constitue un indéniable progrès, de même que la création de l’Agence d’État pour le service public et l’innovation sociale (ASAN), qui permet la délivrance de certains documents administratifs, dont les licences d’activité économique. Enfin, des réformes plus structurelles ont été engagées, comme la création d’une autorité de supervision bancaire, l’adhésion au Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales de l’OCDE, ou encore le renforcement de la lutte contre le blanchiment des capitaux.

J’en viens maintenant aux relations politiques entre la France et l’Azerbaïdjan. Du fait de la position centrale que ce pays occupe dans une région stratégique et des relations de confiance qu’il a avec les autres États, entretenir de bonnes relations avec l’Azerbaïdjan représente un atout majeur pour la France et sa politique dans le Caucase.

Il faut donc se réjouir que ces relations soient, d’une manière générale, excellentes, comme en témoignent les très nombreuses visites bilatérales au plus haut niveau. Les présidents Heydar Aliev, en 1993, et Ilham Aliev, en 2004, ont réservé à la France leur première visite à l’étranger, et les deux derniers présidents français se sont rendus trois fois en Azerbaïdjan – la dernière fois en 2014. Les visites ministérielles sont également nombreuses, mais les relations parlementaires plus espacées. La dernière visite du groupe d’amitié France-Azerbaïdjan remonte à 2008, et celle du groupe d’amitié Azerbaïdjan-France, présidé par Mme Mehriban Alieva, a eu lieu en 2013.

La teneur de ces relations politiques facilite non seulement les relations économiques, mais également d’autres formes de coopération, en particulier la coopération en matière universitaire, qui s’est concrétisée par la création de l’Université franco-azerbaïdjanaise (UFAZ), inaugurée le 15 septembre 2016. Entièrement financée par l’Azerbaïdjan, elle participe, avec le Lycée français et l’Institut français de Bakou, au rayonnement de la France et de la langue française dans le pays. En revanche, la coopération en matière de défense entre notre pays et l’Azerbaïdjan est quasi inexistante.

De son côté, l’Azerbaïdjan a également développé une diplomatie culturelle qui, dans notre pays, est principalement mise en œuvre par la Fondation Heydar Aliev, que préside l’épouse du président. À titre d’exemple, elle a soutenu la création du département des arts de l’islam au Louvre, ainsi que d’autres actions dans le domaine de la restauration du patrimoine.

Pour sa part, la coopération décentralisée est à la fois récente et très limitée puisqu’elle prend principalement la forme très ténue de chartes de jumelage, entre Tovuz et Cognac en 2014, ou de chartes d’amitié et de coopération, entre Yevlakh et Mulhouse et entre Gusar et Megève en 2014, ainsi qu’entre Sheki et Colmar et entre Ismayili et Évian-les-Bains en 2015. Elle est bien moins développée avec l’Azerbaïdjan qu’avec l’Arménie, par exemple, en dépit des efforts fournis par Bakou.

La troisième partie du rapport concerne le sujet, difficile, de la situation des libertés démocratiques et des droits de l’Homme dans le pays, qui est problématique.

Les différentes personnalités qui sont intervenues sur la question, M. Jean-Pierre Lacroix, directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères, notre collègue Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), M. Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, ainsi que des représentants de Reporters sans frontières, et d’Amnesty International, notamment, nous ont fait part de leurs analyses convergentes.

Je ne reprendrai pas le détail de leurs constats, mais uniquement les principaux éléments.

Sur le plan politique, ont été ainsi été soulignés l’insuffisance du débat démocratique, très réduit, le caractère de plus en plus présidentiel du régime, au fur et à mesure des révisions constitutionnelles, le fait que les élections soient souvent remises en cause par la communauté internationale, car ne correspondant pas à ses normes, et la place très marginale accordée à l’opposition et à la dissidence.

Sur le plan des libertés fondamentales, la société civile est sous pression : les révisions constitutionnelles sur les droits de l’Homme ont des effets contrastés et donc ambigus ; les ONG sont soumises à un cadre juridique de plus en plus contraignant, pour leur enregistrement comme pour leur financement, ce qui rend difficile l’exercice de leurs activités. Le pluralisme des médias est très faible ; les libertés de réunion et de manifestation sont très encadrées.

Plusieurs défenseurs de droits, mais aussi des blogueurs et des journalistes font l’objet d’une répression, avec des poursuites et des incarcérations. La diffamation est pénalisée et souvent des motifs de droit commun sont invoqués pour les engager les poursuites. Nous connaissons tous les noms de ceux qui ont été mentionnés, notamment : les époux Yunus, qui ont fondé l’Institut pour la paix et la démocratie, sachant que Mme Yunus s’est vu remettre les insignes de la Légion d’honneur par le président de la République ; la journaliste Khadija Ismaïlova ; l’ancien candidat possible à la présidence de la République Ilgar Mammadov ; l’avocat Intigam Aliev.

D’après les informations que nous avons recueillies, les personnes poursuivies sont au nombre de soixante ou soixante-dix environ, ce qui peut sembler limité, mais est estimé suffisant pour créer un climat d’autocensure dans le reste de la population.

L’Azerbaïdjan se trouve ainsi dans une situation pour le moins inconfortable vis-à-vis de la communauté internationale, qu’il s’agisse des institutions du Conseil de l’Europe, qui sont très attachées aux droits de l’Homme, de l’Union européenne, avec laquelle le dialogue a été un instant suspendu, de l’OSCE, avec laquelle les relations sont difficiles, mais aussi de l’ONU, en raison notamment des rapports de M. Michel Forst.

Le pays s’est ainsi mis en difficulté en n’exécutant pas les arrêts de la CEDH, qui l’a condamné en 2014 pour l’arrestation et l’emprisonnement de l’opposant Ilgar Mammadov, candidat potentiel à l’élection présidentielle de 2013.

Mais, il faut aussi prendre en compte des éléments militant en faveur de l’atténuation de la portée de ces critiques.

Tout d’abord, l’Azerbaïdjan connaît, comme on l’a vu, une situation complexe, avec les conséquences internes du conflit du Haut-Karabagh et plusieurs centaines de milliers de personnes réfugiées et déplacées. Par ailleurs, pays musulman, il doit surveiller le risque fondamentaliste et ce que notre ancien ambassadeur en Russie, M. Jean de Gliniasty, a appelé « les premiers friselis d’agitation islamiste ».

En outre, c’est un État qui est assez avancé sur certains droits fondamentaux, par rapport à ses voisins. C’est ainsi l’un des rares pays à population essentiellement musulmane restant attaché à la laïcité, dans un environnement qui ne l’est pas ou l’est de moins en moins. C’est aussi un pays qui a aboli la peine de mort, et reconnaît les droits des femmes, qui disposent du droit de vote depuis 1918.

Par ailleurs, il faut observer que l’Azerbaïdjan n’est pas insensible à son image, que ses dirigeants ont le souci de voir considérée comme positive par la communauté internationale. À cette fin, ils répondent aux demandes et pressions internationales, comme en attestent les gestes de clémence, en certaines occasions, en faveur des personnes poursuivies et emprisonnées. Il faut rappeler la mesure de clémence intervenue lors de la fête du Novruz, en mars dernier, par laquelle 148 personnes — journalistes, militants politiques et membres d’organisations non gouvernementales (ONG) — ont été amnistiées. Plus récemment, la journaliste Khadija Ismaïlova, qui avait été emprisonnée en 2014, a été libérée, et les époux Yunus ont été libérés à la fin de 2015, puis autorisés à quitter le pays en avril 2016. Lors des auditions, il nous a été indiqué que non seulement la France, mais aussi les États-Unis et l’Union européenne avaient intercédé en faveur de ces personnes. Toutes les peines ne sont pas levées à l’occasion de ces mesures de clémence, mais cela témoigne de la capacité des États et de la société internationale à agir.

L’Azerbaïdjan veut aussi être un bon élève au sein de la société internationale. Il s’implique dans les organisations dont il est membre — il a notamment été membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies —, et il coopère également, sur le plan formel, avec les institutions qui viennent enquêter sur son territoire en matière de droits de l’Homme, comme en a témoigné M. Michel Forst lors de son audition, même si, après son départ, les autorités gouvernementales ont manifesté leur désapprobation sur le fond.

Toujours dans ce même souci de soigner son image, l’Azerbaïdjan conduit une stratégie de communication très volontariste, à travers la diplomatie culturelle notamment, au titre de laquelle peuvent être mentionnées les animations culturelles et événementielles de la Fondation Heydar Aliev, avec les actions menées dans plusieurs pays européens, comme l’Allemagne et l’Italie.

De son côté, la diplomatie sportive s’est déployée à l’occasion des Jeux européens de Bakou en juin 2015 ainsi qu’à celle du Grand Prix d’Europe en juin 2016, et lors de l’Euro 2016, avec les panneaux publicitaires de la State Oil Company of Azerbaijan Republic (SOCAR).

Dans ce contexte, et dans la mesure où les auditions n’ont fait apparaître aucun élément nouveau qui nous permette de recommander au Gouvernement une évolution substantielle de nos relations avec l’Azerbaïdjan, il semble fondé de conserver leurs termes actuels et de maintenir une approche équilibrée combinant messages et pressions sur les dirigeants azerbaïdjanais avec le soutien à la société civile et aux défenseurs des droits.

En effet, il a été constaté que les messages et pressions politiques ont fait preuve d’une certaine efficacité. Nous avons tous eu connaissance des ressources de notre diplomatie pour délivrer ces messages, que ce soit au niveau de notre ambassadrice, du ministère des affaires étrangères, des ministres, et même au plus haut niveau de l’État. Certains de ses messages sont publics et d’autres ne le sont pas : c’est ce que notre ambassadrice à Bakou a appelé la « diplomatie plus discrète ».

Cette démarche est reconnue par les ONG qui saluent les actions de la France, même si certaines souhaiteraient davantage.

Il apparaît tout aussi fondé de poursuivre les actions de soutien à la société civile azerbaïdjanaise, notamment les relations avec les opposants, comme le fait déjà notre ambassade sur place, voire l’accueil sur notre territoire.

Bien entendu, cela peut paraître insuffisant, mais il est nettement préférable de maintenir ouverte la porte du dialogue, sans exclure – naturellement– la fermeté, plutôt que de stigmatiser le pays et réduire le niveau de nos relations et des échanges. Une telle attitude serait contre-productive, car nous n’aurions plus de canaux de communication. Ce serait aussi aller vers la remise en cause de nos relations avec un grand nombre de pays ne répondant pas aux normes européennes et occidentales, singulièrement dans le contexte actuel.

Il ne s’agit donc pas pour nous de recommander une révision ni même une évolution des termes du dialogue politique avec le gouvernement azerbaïdjanais, mais peut-être quelques ajustements au cas par cas ; des messages pourraient être délivrés dans le contexte qui se profile pour les prochains mois.

En effet, sur le plan multilatéral, le dialogue va s’intensifier tant avec le Conseil de l’Europe, où la question difficile de l’application des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme est inscrite à l’agenda du Comité des ministres, qu’avec l’Union européenne, où les négociations en vue du futur accord qualifié de global vont comprendre un volet relatif à la démocratie et à l’État de droit.

En tant que membre du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne, notre pays a son rôle à jouer dans ces dialogues multilatéraux.

En parallèle et de manière coordonnée, dans le cadre bilatéral, notre pays doit continuer à s’affirmer comme un partenaire majeur capable d’accompagner l’Azerbaïdjan dans la poursuite de son chemin vers la société ouverte, moderne et apaisée à laquelle ses atouts économiques et les réformes économiques en cours – dès lors qu’elles auront produit leurs effets – lui permettent légitimement de prétendre.

L’enjeu est de soutenir et d’accompagner le pays dans sa transition démocratique et de le rassurer sur la possibilité de prendre, sans risque de déstabilisation de l’État, des mesures d’assouplissement. Le pluralisme démocratique n’est pas nécessairement synonyme de risque de chaos ou de déstabilisation – y compris pour un État dont une partie du territoire est une zone de conflit –, mais recèle des perspectives d’enrichissement et de renforcement.

Il revient à la France, puissance mondiale et patrie des droits de l’Homme au sein du concert des nations, d’aider ce jeune pays à trouver son chemin vers la maturité démocratique qui permettra à chacun de ses citoyens de s’épanouir pleinement.

M. Christophe Premat. Je remercie M. Destans pour son rapport très complet, qui rend bien compte de la situation géopolitique de l’Azerbaïdjan pour les années 2016-2017.

Ma première question concerne le destin de ce document. Servira-t-il de modèle pour l’analyse des problèmes du Sud Caucase et au-delà, puisque d’autres pays de la zone sont concernés – on a évoqué en particulier, récemment, les relations avec le Kazakhstan ? Il est en effet malheureusement précisé que nous n’avons pas vocation, ici, à formuler des recommandations au Gouvernement. Je m’interroge par conséquent sur la finalité, que je percevais bien au début de nos travaux mais que je ne vois plus. Comment dès lors valoriser ce rapport qui, j’y insiste, est très complet ?

J’exprimerai ensuite un regret quelque peu délicat car lié à la nature-même de la présente mission : nous avons entendu des diplomates français, des administrateurs, des représentants d’ONG œuvrant dans le domaine des droits de l’Homme, ce qui a certes contribué à construire une image très précise du pays mais cela à partir de discours rapportés. Or j’aurais aimé que nous rencontrions plus de représentants économiques et politiques de l’Azerbaïdjan, même si j’ai bien conscience des limites de notre exercice.

M. le président François Rochebloine. Nous avons procédé à trente-quatre auditions !

M. Christophe Premat. Précisément : nous avons auditionné un nombre important de personnalités mais il aurait été intéressant, dans l’idéal, d’entendre un autre son de cloche.

Par ailleurs, la présidentialisation du régime, que vous évoquez, me paraît inévitable par un effet mimétique si l’on considère ce qui se passe en Turquie, en Russie et si l’on tient compte des évolutions géopolitiques. Il paraît donc difficile, dans un tel contexte, d’imaginer d’autres pistes institutionnelles pour l’Azerbaïdjan.

Ensuite, la diplomatie économique, que nous avons essayé de promouvoir pendant la législature, me semble intéressante. Souvent, nous rencontrons des difficultés à évoquer les droits de l’Homme, même quand nous disposons d’atouts multilatéraux, notamment dans le cadre du Conseil de l’Europe, de l’Union européenne – outils grâce auxquels nous pouvons exercer une pression concertée, je pense notamment à la diplomatie sportive. Nous avons entendu des points de vue divers sur la manière de trouver une approche efficace. Certes, la coopération décentralisée est très compliquée ; nous avons aussi auditionné un représentant de l’AFD, en fin de compte peu impliquée sur le terrain. Reste que la diplomatie économique me paraît le vecteur le plus concret pour établir, sans que cela ne se voie trop, un dialogue susceptible d’accompagner d’autres types de relations.

Nous avons à cet égard un atout majeur pour exporter : la Coface. Certaines grandes entreprises obtiennent ainsi des contrats, entraînant d’autres entreprises dans leur sillage. Or, si elles ne parviennent pas à s’implanter, la Coface est susceptible de rembourser les prêts qu’elles auraient contractés.

Aussi la partie du rapport consacrée à la diplomatie économique et à l’exportation m’a-t-elle particulièrement intéressé car elle montre que, vis-à-vis de l’Azerbaïdjan, nous avons été en phase avec notre action internationale. Nous aurions pu par conséquent imaginer une recommandation plus avancée pour le Gouvernement, et je reste sur ma faim : nous ne le ferons pas pour des raisons sur lesquelles vous reviendrez sans doute au cours de la discussion – au-delà du seul fait qu’il s’agit d’un sujet sensible.

Je suis donc favorable à l’adoption de ce document même si, j’y insiste, j’estime que nous pourrions formuler une recommandation sur la diplomatie économique. Nous avons eu l’occasion, dans le cadre de plusieurs groupes d’amitié de l’Assemblée, de mener une telle politique en promouvant la constitution d’un petit écosystème composé du député de la circonscription concernée, d’un chef d’entreprise, cela en lien avec l’ambassade, Business France… C’est sans doute du bricolage à l’échelle internationale, mais il est important d’essayer de faire passer un message.

M. François Loncle. Je félicite le rapporteur : il nous livre un document intéressant, utile et équilibré à un point auquel je ne m’attendais pas.

M. le rapporteur. Merci !

M. François Loncle. Je m’empresse de souligner, cher collègue, que ces compliments ne relèvent en rien d’une quelconque complaisance entre élus d’un même département : ils sont objectifs. Depuis trente-six ans que je suis parlementaire, j’ai suffisamment l’expérience de ce type de mission pour savoir quels sont les bons rapports et quels sont les mauvais. J’aurai eu la chance, aujourd’hui, de participer à deux réunions au cours desquelles on aura présenté d’excellents rapports : celui-ci et celui sur la Côte d’Ivoire…

M. le président François Rochebloine. Excellent, en effet !

M. François Loncle. …présenté ce matin en commission des affaires étrangères, par Seybah Dagoma et Philippe Cochet. Il contient de nombreuses informations très instructives et offre un portrait objectif du pays, ne cachant pas les difficultés mais soulignant également les progrès accomplis.

Je précise que ce n’est pas un souci d’équilibre a priori qui a guidé Jean-Louis Destans pour rédiger un texte que je n’ai pas lu entièrement, mais qui mérite, j’y insiste, compliment pour l’intérêt qu’il présente.

J’ajoute en toute amitié pour François Rochebloine que le rapport ne reflète pas ce que j’avais perçu des intentions ayant présidé à la constitution de la présente mission.

M. le président François Rochebloine. Vous semblez avoir été influencé par certains, cher collègue…

M. François Loncle. En tout cas, j’avais l’impression que nous nous acheminions vers une sorte de réquisitoire ; or ce n’est pas du tout – et heureusement – ce que le rapporteur vient de nous exposer.

Pour ce qui est des recommandations, monsieur Premat, il est habituel que, s’agissant des missions ou des commissions concernant les pays étrangers, elles s’adressent au Gouvernement – ici dans la perspective de conforter la relation entre la France et l’Azerbaïdjan. Mais il semblerait tout à fait inopportun que ces recommandations puissent prendre l’apparence de leçons données à un État souverain, quelle que soit par ailleurs l’appréciation qu’on porte sur la manière dont il est gouverné. C’est pourquoi j’approuve la teneur de vos recommandations, monsieur le rapporteur, qui me semblent tout à fait utiles.

M. Jean-François Mancel. Je ferai quelques remarques rapides, auxquelles j’associe – à leur demande – certains de nos collègues, comme Jean-Claude Guibal, Jean- Pierre Door et Sauveur Gandolfi-Scheit.

Je ne partage pas tout à fait les propos de mon collègue et ami François Loncle, dans la mesure où je m’interroge, moi aussi, sur l’avenir d’un tel rapport. Il faut dire que celui-ci était affecté d’un vice initial, que j’avais dénoncé dès la première réunion de cette mission : il était destiné à s’en prendre à l’Azerbaïdjan.

M. le président François Rochebloine. Pas du tout !

M. Jean-François Mancel. C’était très clair, cher collègue Rochebloine. Il suffit de relire la proposition de résolution que vous aviez déposée. Il suffit de visionner les débats de la commission des affaires étrangères sur le sujet. Et il suffit de voir comment – de manière tout à fait remarquable – cette commission avait rejeté la proposition de création d’une commission d’enquête.

Il suffit également de voir comment, grâce au « droit de tirage », nous avons obtenu une mission d’information, dans le cadre des missions d’information qui peuvent être créées par la Conférence des Présidents. On peut d’ailleurs s’interroger sur le fonctionnement du « droit de tirage », mais c’est un autre problème…

Nous nous engagions clairement dans cette voie : celle d’un président – je l’ai dit dès le début et je le redis aujourd’hui – qui a diffamé l’Azerbaïdjan – semble-t-il puisque, pour l’instant, il n’est que mis en examen…

M. le président François Rochebloine. Je ne le suis plus, car je viens d’obtenir un non-lieu. Je n’ai pas été condamné, à la différence de certains… Il y aura peut-être appel, mais je ne vous permets pas d’avancer de fausses informations !

M. Jean-François Mancel. Peu importe, monsieur le président, cela ne change pas le fond de l’affaire. Il est clair que vous avez dit un certain nombre de choses qui, répréhensibles ou non, constituaient des attaques directes contre l’Azerbaïdjan. On ne peut donc pas considérer que vous ayez abordé – comme l’a fait le rapporteur – cette mission d’information avec une vision objective et impartiale. C’est le moins que l’on puisse dire.

Le rapport était donc vicié dès le départ. Cela étant, je rends hommage, comme vient de le faire François Loncle, à la façon dont notre rapporteur a abordé le sujet : en toute impartialité, et en s’informant de manière très objective sur l’ensemble des questions concernant l’Azerbaïdjan et sur les relations entre ce pays et la France.

À partir de là, on peut s’interroger sur l’avenir de ce rapport. Que va-t-on en faire ? Personne ne le sait, ce qui montre bien qu’il eût mieux valu ne pas le faire.

On y a tout de même consacré énormément de temps. Quelques-uns d’entre nous ont assisté à pratiquement toutes les auditions. Nous avons posé des questions, nous avons débattu. On a mobilisé autour de ce rapport des fonctionnaires de l’Assemblée nationale, qui ont été remerciés à juste titre, …

M. le président François Rochebloine. Nous sommes au moins d’accord là-dessus !

M. Jean-François Mancel. …et tout cela pour n’aboutir à rien ! Car maintenant que nous avons un rapport, que va-t-on en faire ? Je vois mal ce que l’on pourrait en faire.

C’est tout de même la première fois qu’un tel processus est mis en œuvre s’agissant d’un pays en particulier. Pourquoi l’Azerbaïdjan ? J’ai déjà répondu à cette question tout à l’heure… Et maintenant, je m’inquiète tout particulièrement des conséquences qu’aura ce rapport.

Tout d’abord, nous y donnons des leçons. Mais, monsieur le rapporteur, sommes-nous à même, en tant que députés français, de donner à quiconque des leçons de démocratie, de morale, de respect de la liberté de la presse et de l’information ? Ne devrions-nous pas d’abord balayer sur notre trottoir ? Il y a beaucoup à faire, notamment en matière de presse, dans les circonstances actuelles.

Ensuite, il existe un principe de fond, que le ministre des affaires étrangères a d’ailleurs rappelé cet après-midi lors des questions au Gouvernement. Jean-Marc Ayrault a en effet dit que la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un autre État était un principe cardinal de la vie internationale. Au vu du rapport, si celui-ci était publié, cela voudrait dire que la France s’ingère, purement et simplement, dans la vie intérieure de l’Azerbaïdjan, en lui donnant des conseils, des leçons, en faisant des remontrances à un pays souverain, qui a parfaitement le droit de mener sa politique intérieure comme il l’entend.

Pour ma part, je pense que nous ne sommes pas en mesure de donner des leçons de morale, et que nous devons respecter ce principe de non-ingérence à l’égard d’un pays étranger.

Enfin, compte tenu des bons rapports qui existent, sur tous les plans, entre la France et l’Azerbaïdjan, il serait assez mal venu de publier ce rapport. François Loncle, député français qui a suivi attentivement les débats de la mission, peut considérer qu’il est relativement équilibré. Mais quand ce rapport sera publié, les autorités azerbaïdjanaises le considéreront comme une critique très vive à leur égard, émanant qui plus est d’une des principales institutions françaises, l’Assemblée nationale.

Cela n’a strictement aucun intérêt, d’autant que l’on ne fera plaisir à personne. Il y a des choses à faire en matière de droits de l’Homme ? L’ambassadrice de France nous a dit clairement comment elle travaillait sur cette question. Et un certain nombre d’intervenants nous ont répondu de façon équivalente.

M. le président François Rochebloine. Pierre-Yves Le Borgn’aussi !

M. Jean-François Mancel. Pourquoi faire ce qui sera inéluctablement considéré par l’Azerbaïdjan comme une espèce d’agression, hélas menée par un membre éminent de cette mission, son président, lequel est carrément engagé d’un côté ? Je ne lui reproche d’ailleurs pas cet engagement – il en a parfaitement le droit.

M. le président François Rochebloine. C’est absolument faux !

M. Jean-François Mancel. Personnellement, il ne me serait jamais venu à l’idée d’aller déposer une résolution pour créer une mission d’information sur l’Arménie et en dire des choses désagréables.

J’ajoute qu’il y a de quoi s’interroger sur le fonctionnement même de cette mission. Son bureau a été élu le jour de la réunion constitutive, mais il n’a jamais été réuni. Toutes les personnes qui ont été auditionnées étaient intéressantes, mais, comme notre collègue l’a fait remarquer tout à l’heure, on aurait peut-être pu en faire venir d’autres. Las, personne ne nous a demandé qui nous souhaitions recevoir. J’ai moi-même dû prendre l’initiative de proposer, par lettre, un certain nombre de gens, qui ont fait l’objet d’un tri.

Enfin, et c’est tout de même un peu gênant, la mission ne s’est pas rendue en Azerbaïdjan. Comment parler d’un pays en connaissance de cause, quand on n’y a pas été au titre de la mission pour laquelle on travaille ? Cela me paraît être une faiblesse non négligeable. Se rendre là-bas aurait certainement permis à un certain nombre de nos collègues d’avoir une idée plus précise de ce qu’est l’Azerbaïdjan.

Voilà pourquoi, pour toutes ces raisons, je pense qu’il n’est pas souhaitable que ce rapport soit approuvé, ni qu’il soit publié.

M. François Scellier. Je me réjouis, comme l’ont fait mes collègues, du caractère tout à fait équilibré de ce rapport, qui retrace très exactement nos débats – pour autant qu’il y ait eu débats – et les auditions que nous avons menées au cours de notre mission.

Je reconnais qu’au début, je m’étais interrogé sur le sens même de cette mission. Je suis donc plutôt satisfait du travail du rapporteur, où transparaît le diplomate qu’il fut dans une vie passée.

Je suis allé par deux fois en Azerbaïdjan, et même si je n’ai pas tout vu, je me suis rendu compte, comme l’ont confirmé les représentants du Quai d’Orsay que nous avons entendus, que ce pays rencontrait des difficultés dans tous les domaines, et que son environnement géopolitique l’avait obligé à prendre certaines positions. J’ai retenu qu’en matière de droits de l’Homme, il avait des efforts à faire. Mais je ne suis pas de ceux qui pensent que notre pays ait toujours été exemplaire en ce domaine, et je ne crois pas que nous ayons de leçons à donner à qui que ce soit, comme l’a très bien dit Jean-François Mancel.

Sous toutes ces réserves, et compte tenu du contexte dans lequel nous nous trouvions, je pense que l’on peut être satisfait de l’équilibre auquel est parvenu le rapporteur. Par son talent, il a permis que ce rapport soit acceptable.

Maintenant, on peut s’interroger sur son utilité. Selon moi, il aura au moins celle d’avoir fait comprendre à notre président que ce pays n’était pas aussi détestable qu’il le pensait – peut-être – au départ…

M. le président François Rochebloine. Je n’ai jamais dit cela, et je le ne dirai jamais. Même si je dispose de quelques informations, je ne suis allé qu’une fois en Azerbaïdjan, à la différence de certains de nos collègues – et notamment de l’un d’entre eux. Je ne ferai donc pas de commentaires à ce propos. Mais j’aime autant le peuple azéri que le peuple arménien – deux peuples qui souffrent malheureusement autant l’un que l’autre. La question n’est pas là. En revanche, les régimes sont sans doute différents d’un pays à l’autre.

M. Alain Ballay. Je suis un peu surpris d’entendre que nous ne saurions donner de leçons à quiconque en matière de droits de l’Homme. Je ne dis pas que nous n’avons pas de progrès à faire dans ce domaine, mais tout de même !

Je peux vous donner l’exemple récent de l’extradition du blogueur russo-israélien Alexandre Lapchine en Azerbaïdjan. Il a été extradé hier après que la Cour suprême de Biélorussie a confirmé la décision du procureur biélorusse de le remettre à l’Azerbaïdjan, où il risque de subir la torture. Est-ce que nous avons encore de la torture en France ? Non ! Donc, bien sûr, nous n’avons pas de leçons à donner à l’Azerbaïdjan, mais nous ne sommes tout de même pas au même niveau que ce pays s’agissant des droits de l’Homme, et il est effectivement important de se pencher sur le problème.

Je sais bien qu’il est très difficile de peser sur les relations économiques pour parler des droits de l’Homme en Azerbaïdjan, et qu’il faut s’y prendre avec des pincettes. Mais quand même, on ne peut pas fermer les yeux sur certains agissements. Et lorsque vous reprochez à notre président, monsieur Mancel, des faits antérieurs à la création de la mission, j’ai l’impression que vous êtes aussi de parti pris. Ne présidez-vous pas l’Association des Amis de l’Azerbaïdjan ?

Peut-être y a-t-il donc du parti pris des deux côtés, mais en tout cas, en ce qui me concerne, j’ai été très intéressé par cette mission et je remercie le président de l’avoir proposée, car elle m’éclaire sur l’Azerbaïdjan. Je soutiendrai, bien sûr, le rapport.

M. Michel Destot. Je m’inscris en faux contre l’idée que notre Assemblée ne pourrait pas produire de rapports sur certains pays du monde. J’ai moi-même mené pendant de longs mois une mission d’information sur la Chine, en explorant des aspects passionnants, qu’il s’agisse des enjeux économiques et politiques, ou de l’émergence d’une société civile de plus en plus préoccupée par les atteintes aux droits de l’Homme. Dans mon rapport, j’ai essayé d’aborder ces questions de manière équilibrée, de façon à éviter toute polémique inutile.

Ce matin, nous avons examiné en commission des affaires étrangères le remarquable rapport de la mission d’information sur la Côte-d’Ivoire. Nous savons bien que l’appréciation portée sur ce pays ne peut être exempte de critiques. C’est la façon de les formuler qui importe.

La bibliothèque de l’Assemblée contient de nombreux rapports qui ont rééxaminé la situation de mêmes pays au fil des ans. C’est notre rôle, notamment au sein de la commission des affaires étrangères, de porter un regard aussi lucide que possible à la fois sur les intérêts français à l’étranger et sur les réalités économiques, politiques et sociales des États du monde, selon une approche équilibrée.

Le rapport qui nous a été présenté par Jean-Louis Destans repose précisément sur une approche équilibrée et je ne vois pas au nom de quel principe nous refuserions de l’approuver.

M. Michel Voisin. Je reconnais l’ampleur du travail accompli par notre rapporteur et je salue l’exercice d’équilibriste que représente l’analyse des trente-quatre comptes rendus d’audition.

Cela dit, en tant que président du groupe d’amitié France-Azerbaïdjan, ce rapport me gêne. Il me gêne même beaucoup. Je me suis rendu en Azerbaïdjan dans le cadre de missions de l’OSCE. J’irai en Arménie, cher président, du 31 mars au 2 avril prochains, sans a priori mais avec de nombreuses interrogations.

Ce rapport contient des choses très intéressantes, notamment sur les relations avec la Russie, la Turquie, l’Iran, ou sur la complexité politique du Caucase. Il y a, je dois le dire, un certain équilibre dans le choix des personnes auditionnées et dans la présentation même du rapport.

Mais, mettez-vous à la place du président du groupe d’amitié France-Azerbaïdjan ! Quelle peut être sa réaction face à la publication d’un tel rapport, qui cible un pays en particulier ? Les pays du Sud Caucase, de l’Asie centrale, les ex-républiques de l’Union soviétique, une partie des pays de l’Europe de l’Est ont exactement les mêmes caractéristiques que l’Azerbaïdjan s’agissant des droits de l’Homme. Une mission d’information portant sur cet ensemble d’États aurait abouti à des conclusions identiques. Pourquoi pointer ce pays du doigt alors que beaucoup d’autres peuvent faire l’objet des mêmes critiques ?

Pour cette raison, je n’approuverai pas le rapport. Je suis certain que les présidents des autres groupes d’amitié auraient le même réflexe que moi s’ils étaient confrontés à semblable situation.

M. le président François Rochebloine. Permettez-moi, cher collègue, de vous rappeler que la mission d’information porte, selon son intitulé, sur « les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase ».

M. François Loncle. Ma remarque, très brève, rejoint ce que vous venez de souligner, monsieur le président. J’insiste sur la nature d’un rapport de ce type. Les recommandations qu’il formule, c’est au Gouvernement qu’il les adresse et non au pays lui-même. Le législateur ne s’érige donc nullement en donneur de leçons.

M. le rapporteur. Je ne reviendrai pas sur l’historique de la création de cette mission d’information, qui explique en grande partie le caractère enflammé de certaines interventions.

En parfait accord avec le président de la mission d’information, nous avons fixé la liste des personnes auditionnées. Pour la dresser, nous avons, je le précise, pris en compte nombre des suggestions formulées par M. Mancel dans un courriel qu’il nous a adressé.

Vous avez salué, chers collègues, presque unanimement le caractère équilibré du rapport : il n’est ni à charge ni à décharge. Il reflète de manière objective la situation actuelle de l’Azerbaïdjan et met en valeur beaucoup de points positifs dans les relations entre ce pays et la France : la qualité du dialogue politique et des relations économiques, la coopération décentralisée qui s’esquisse. Tout cela forme un contrepoint par rapport aux remarques relatives à la démocratie et aux droits de l’Homme.

Je remercie François Loncle d’avoir souligné à plusieurs reprises que nous n’avions nullement l’intention, dans ce rapport, de donner des leçons à l’Azerbaïdjan. Nous avons simplement pris en compte une situation objective, nous appuyant sur les constats dressés devant nous par de nombreux représentants d’ONG, d’associations, de représentants officiels du Conseil de l’Europe et des Nations unies, et sur les éléments donnés par Matthias Fekl, secrétaire d’État au commerce extérieur, et plusieurs diplomates sur la nature de nos interventions, qu’elles soient publiques ou plus discrètes.

Nous ne pouvons qu’encourager les institutions internationales et européennes, les Nations unies et notre gouvernement à multiplier les interventions dans le domaine de la démocratie et des droits de l’Homme. Nous voyons bien en effet que l’Azerbaïdjan, peut-être plus que d’autres pays, car il est soucieux de son image internationale, y est sensible.

Quant à la diplomatie économique, elle n’était pas le sujet principal du rapport.

Chacun est libre de son vote, mais refuser la publication du rapport serait, me semble-t-il, donner un mauvais signal, car cela laisserait penser qu’il contient des éléments extrêmement négatifs à l’égard de l’Azerbaïdjan.

M. Michel Voisin. Je demande que ma contribution personnelle soit jointe au rapport, comme cela est possible pour tous les rapports de mission d’information.

M. le président François Rochebloine. Ce sera fait, monsieur Voisin.

Je tiens à remercier notre rapporteur Jean-Louis Destans pour le travail qu’il a accompli. Nous avons su collaborer dans un excellent esprit tout au long des auditions que nous avons conduites ensemble. En relisant les comptes rendus, toute personne de bonne foi – je dis bien « de bonne foi » – ne peut que noter la richesse des informations obtenues, qu’elles nous aient été fournies directement par les personnes entendues, qu’elles proviennent de recoupements opérés entre les propos de nos interlocuteurs ou qu’elles découlent de certains silences.

Le rapport de notre collègue, eu égard aux usages qui président à la réalisation de tels travaux, figure parmi les plus documentés et les plus expressifs. Je ne doute pas qu’il sera largement consulté.

Je le remercie pour son objectivité, attitude à laquelle je me suis moi-même tenu. J’aurais pu formuler certaines remarques mais je me suis abstenu de faire part de mes positions personnelles. Et je remercie également François Loncle pour son objectivité qui ne me surprend pas pour l’avoir côtoyé depuis de nombreuses années.

Voilà qui fait l’honneur de notre assemblée et notre démocratie.

*

* *

La mission d’information adopte le rapport, autorisant ainsi sa publication, conformément à l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale.

CONTRIBUTION DE M. JEAN-FRANÇOIS MANCEL,
VICE-PRÉSIDENT DE LA MISSION,
ET MM. JEAN-PIERRE DOOR, YVES FOULON,
JEAN-CLAUDE GUIBAL, SAUVEUR GANDOLFI-SCHEIT,
JÉRÔME LAMBERT ET FRANÇOIS SCELLIER

Un rapport pour rien ?

Dès la constitution de cette mission d’information de la Conférence des Présidents nous avons contesté son fondement partisan.

Son principe, sous la forme d’une commission d’enquête, avait été rejeté à l’unanimité par la commission des affaires étrangères.

L’utilisation de la procédure dite du « droit de tirage », rappelée dans l’introduction du rapport, lui a permis de prospérer sous la forme d’une mission d’information de la Conférence des Présidents, issue, en réalité, d’une initiative individuelle orientée. C’était l’objet de notre mise en garde initiale.

Chaque député peut, bien évidemment, librement et individuellement faire et exprimer ses choix nationaux ou internationaux. En revanche, lorsqu’il s’agit d’une mission de la Conférence des Présidents de l’Assemblée nationale c’est l’institution qui s’exprime donc une part de la voix de la France.

Or, cette mission d’information présente une particularité, voire même une anomalie : c’est la première fois qu’une mission d’information de la Conférence des Présidents a été créée pour étudier les relations de la France avec un État étranger au mépris de la manière dont cette initiative pouvait être ressentie dans le pays visé, ami et partenaire de la France et, de surcroît, pour lequel la France est titulaire d’un mandat international dans le cadre du groupe de Minsk.

L’Assemblée nationale ne peut pas se permettre, dans un tel cas, d’être le théâtre du règlement de comptes d’un de ses membres avec un État, ami de la France. C’est pourtant ce qui s’est produit puisque le président de la mission, désigné par le « droit de tirage », est mis en examen pour diffamation à l’encontre de l’Azerbaïdjan.

Certes, le rapporteur a fait preuve pendant toute la durée de la mission d’une volonté d’impartialité qu’il faut saluer sans parvenir, cependant, à effacer complètement le déséquilibre originel.

Le bureau de la mission, élu lors de sa réunion constitutive, n’a jamais été convoqué. Le choix des personnes auditionnées, même si quelques-unes figuraient sur une liste très complète proposée par un membre de la mission, a été fait sans aucune consultation de ses membres. Une audition a même réuni le président de la mission, mis en examen pour diffamation à l’encontre de l’Azerbaïdjan et un journaliste renvoyé en correctionnel pour le même délit ! Enfin, la mission d’information ne s’est pas déplacée en Azerbaïdjan, rendant difficile pour ses membres ne connaissant pas ce pays de s’en faire une idée.

Tout cela explique certainement le peu d’intérêt manifesté par ses membres pour les travaux de la mission et met en cause le contenu et l’utilité d’un rapport qui a pourtant mobilisé de nombreux collaborateurs éminents de l’Assemblée nationale.

Après trente-cinq auditions et autant d’heures de réunion, le rapporteur de la mission conscient de sa responsabilité a rendu un rapport relativement équilibré et sans excès, annihilant ainsi tout espoir pour certains d’en faire un brûlot contre l’Azerbaïdjan.

Bien que le rapport évoque les habituelles critiques sur le non-respect des droits de l’homme d’associations, d’institutions ou de journalistes qui en font leur fonds de commerce sans apporter de preuves irréfutables, il les tempère cependant en rappelant l’héritage de 70 ans de communisme, le contexte international et les enjeux régionaux mais aussi l’occupation militaire étrangère sur le sol azerbaïdjanais qui demeure une menace pour la sécurité du pays. On peut d’ailleurs regretter que le rapport ne se contente que d’effleurer le conflit du Haut-Karabakh qui a chassé de leurs terres, à la suite d’une guerre imposée, plus d’un million d’Azerbaïdjanais dont les droits fondamentaux sont violés depuis plus de 25 ans.

Au chapitre des omissions on peut aussi déplorer l’absence totale de comparaisons. Certes, ce sont les relations France-Azerbaïdjan qui sont visées mais comment les apprécier pertinemment sans aucune référence à ce qui se passe dans les pays voisins dont beaucoup d’entre eux ont vécu la même histoire que l’Azerbaïdjan au cours du siècle dernier.

Le rapport rappelle aussi les grandes avancées démocratiques comme le droit de vote des femmes instauré dès 1918, l’abolition de la peine de mort en 1998 et la laïcité qui assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion permettant aux musulmans chiites et sunnites, aux chrétiens et aux juifs de vivre paisiblement ensemble au moment même où le monde est le champ clos de leurs tragiques affrontements.

Il analyse et souligne aussi l’extrême importance géopolitique de l’Azerbaïdjan dans cette région du Caucase et la nécessité d’y renforcer la présence française, tout particulièrement dans le domaine économique.

Enfin, le rapport conclut qu’il n’y a pas besoin d’une révision globale des termes du dialogue politique avec le Gouvernement azerbaïdjanais. Toutefois, il suggère au gouvernement français d’exercer une certaine pression sur les autorités de ce pays en matière de droits de l’homme et de démocratie. On peut s’interroger sur cette recommandation au moment même où à la séance de questions d’actualités du mercredi 15 février le ministre des affaires étrangères Jean Marc Ayrault déclarait : « je l’affirme haut et fort la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un autre État est un principe cardinal de la vie internationale ». Restons en là et gardons-nous de donner des leçons ou de faire des recommandations à tort et à travers à des États et des peuples souverains qui ont droit à leur histoire, leurs traditions et leurs pratiques, même si elles sont différentes des nôtres.

Les auditions nous ont montré que l’Azerbaïdjan est un partenaire clé dans la région du Caucase du Sud avec lequel nous avons une coopération forte dans les domaines politique, économique, humanitaire, culturel et éducatif et qu’il existe un dialogue permanent ouvert entre la France et l’Azerbaïdjan sur tous ces thèmes, y compris en matière de droits de l’homme. L’évolution de nos rapports avec l’Azerbaïdjan depuis 25 ans témoigne que notre coopération est plus efficace et bénéfique quand elle s’appuie sur une compréhension réciproque, un dialogue constructif et le respect de nos intérêts mutuels.

Ce rapport envisagé comme une arme offensive contre l’Azerbaïdjan, quand on relit l’exposé des motifs de la résolution qui est à son origine, n’a finalement pas répondu à ces intentions initiales malveillantes bien éloignées de la ligne directrice constante de nos relations politiques, culturelles et économiques avec l’Azerbaïdjan fondée sur le dialogue, le respect et l’amitié. Cette ligne est, au contraire, confirmée.

Il aurait été certainement plus utile de se rallier d’emblée à la proposition pertinente de la commission des affaires étrangères qui souhaitait, à juste titre, traiter du conflit du Haut-Karabakh, où la France, co-présidente du groupe de Minsk, a incontestablement un rôle majeur à jouer pour aboutir à une paix juste et durable entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.

Il est encore temps.

CONTRIBUTION DE M. MICHEL VOISIN,
PRÉSIDENT DU GROUPE D’AMITIÉ FRANCE-AZERBAÏDJAN DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

Le rapport d’information sur les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie au Sud Caucase intervient au terme de près d’un an de débats. Rappelons qu’il devait, au départ, s’agir d’une commission d’enquête, au titre du « droit de tirage » annuel du groupe UDI. La commission des affaires étrangères, à la lumière de motifs juridiques circonstanciés, a jugé irrecevable cette demande de commission d’enquête, et sa présidente, Mme Elisabeth Guigou, dans son rapport n° 3901 du 29 juin 2016, a judicieusement préconisé la mise en place d’une mission d’information sur le conflit du Haut-Karabagh et la médiation du groupe de Minsk.

Cela aurait été vraiment intéressant, pour que l’Assemblée nationale contribue à l’effort diplomatique déployé par la France, depuis vingt-cinq ans, afin de trouver une solution à ce conflit gelé qui empoisonne le Caucase Sud. Il est déplorable que certains, animés par un souci bien éloigné de l’intérêt général, préfèrent s’efforcer par tous les moyens d’importer avec partialité cette guerre dans le débat public français. Il serait préférable de soutenir l’action diplomatique française, engagée avec sérieux et dans la durée, quelle que soit l’étiquette du gouvernement en place, pour faire respecter les résolutions de l’ONU et avancer vers la paix.

Quoi qu’il en soit, le groupe UDI a préféré déposer, toujours en vertu de son droit de tirage, une demande de mission d’information focalisée sur l’Azerbaïdjan, sous un titre alambiqué. Cela constitue un précédent dans l’histoire parlementaire française, et même une incongruité juridique. Comme le souligne avec franchise et peut-être même une certaine gêne le rapporteur dans son introduction, l’objet de la mission d’information « porte sur les relations avec un pays étranger, domaine qui, aux termes de la Constitution, relève principalement de l’Exécutif et dans lequel le Parlement ne peut agir qu’avec prudence et avec le souci de ne pas brouiller la politique menée par la France ».

Au final, même si l’inopportunité politique d’avoir installé une mission d’information sur ce sujet est toujours autant évidente, le rapporteur a effectué avec brio l’exercice d’équilibriste consistant à synthétiser les trente-quatre auditions hétéroclites menées ces derniers mois. Il contient du reste des éléments intéressants, concernant les points suivants :

– la complexité géopolitique de l’environnement régional, entre la Russie, la Turquie et l’Iran, dans laquelle évolue cet État jeune, puisqu’il a moins de 30 ans ;

– la plaie ouverte que constitue, pour tous les Azerbaïdjanais, l’amputation du Haut-Karabagh et des provinces limitrophes, comme le fut autrefois, pour nous autres Français, l’occupation de l’Alsace-Lorraine ;

– la clairvoyance des Azerbaïdjanais, qui souhaitent s’appuyer sur la manne des hydrocarbures pour diversifier leurs activités économiques et ainsi préparer l’avenir ;

– l’importance des échanges commerciaux, notamment énergétiques, entre la France et l’Azerbaïdjan, qui est, de loin, notre principal partenaire dans le Caucase ;

– la richesse, également, des échanges bilatéraux dans les domaines diplomatique, sécuritaire, culturel, éducatif et scientifique ;

– les progrès supplémentaires restant à réaliser pour que le pays atteigne les standards européens en matière de droits de l’homme et de libertés publiques.

Cependant, de nombreux passages sont préjudiciables à la crédibilité du rapport. Il est dommage que la mission d’information, lors de son ultime réunion du 15 février 2017, n’ait pu examiner qu’à la sauvette ce long document – plus de 130 pages – et que l’essentiel du temps de parole ait été monopolisé par le rapporteur.

Si un véritable dialogue avait été possible, il aurait été envisageable d’apporter au texte des modifications consensuelles, dictées par l’honnêteté intellectuelle, pour lever des imprécisions et autres contrevérités. Sans remettre en cause l’économie générale du rapport d’information, ces modifications auraient donné une image plus sérieuse, réfléchie et pondérée de l’Assemblée nationale, qui n’a nullement vocation à parasiter les bonnes relations diplomatiques de la France avec un partenaire stratégique respectable.

C’est ce qui a motivé le dépôt de la présente contribution personnelle.

I. Les relations avec l’Union européenne

D’abord, dans le rapport d’information, il n’est plus suffisamment fait mention de l’ouverture des négociations officielles en vue de la signature d’un nouvel accord de partenariat bilatéral multisectoriel entre l’Union européenne (UE) et l’Azerbaïdjan, pour remplacer celui de 1996, complètement dépassé aujourd’hui. Le président du Conseil européen, M. Donald Tusk, vient pourtant d’annoncer, le 7 février 2017, le lancement de ces négociations.

Lors d’une conférence de presse commune avec M. Ilham Aliev, chef de l’État azerbaïdjanais, M. Tusk a déclaré : « C’est un nouvel accord qui élargit la portée de nos relations, en prenant en compte les nouveaux intérêts généraux, politiques et économiques que nous partageons et les défis que nous voulons affronter ensemble. » Quant au Président Aliev, il s’est félicité de ce « nouveau chapitre dans notre coopération ». Tous deux ont insisté sur l’importance des relations bilatérales dans les domaines de la sécurité énergétique et de la diversification des approvisionnements européens. Dans un communiqué de presse personnel rendu public ultérieurement, M. Tusk a ajouté : « L’Azerbaïdjan agit comme un pont entre les cultures, ce qui est particulièrement appréciable compte tenu des défis auxquels nous sommes actuellement confrontés dans notre voisinage commun. »

De fait, l’Azerbaïdjan occupe une place à part parmi les six États du Partenariat oriental. L’Arménie et la Biélorussie ont pris leurs distances avec l’Union européenne et opté pour le rapprochement avec Moscou, en adhérant à l’Union économique eurasiatique (UEEA), projet de zone d’intégration régionale piloté par la Russie. Pour leur part, la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine conçoivent le Partenariat oriental comme un marchepied vers l’adhésion à l’Union européenne, alors que cette dernière n’est pas du tout prête à envisager ce degré d’intégration. L’Azerbaïdjan, de son côté, ne met pas l’Union européenne sous pression en réclamant d’adhérer à l’Union européenne, mais est très favorable à une coopération bilatérale poussée et diversifiée, sur un pied d’égalité, dans une perspective gagnant-gagnant.

Dans les parties du rapport d’information relatives aux relations UE-Azerbaïdjan – pages 29 et 96 –, la rédaction laisse supposer qu’elles sont au point mort, vagues et sans perspectives ; or c’est en contradiction avec l’actualité, qui n’est pas même évoquée.

II. Le conflit du Haut-Karabakh

Dans l’introduction du rapport d’information, il est indiqué que « la question du Haut-Karabagh n’a été évoquée que de manière factuelle et pour bien cerner le contexte international ». Or, si le rapport rappelle justement que le droit international plaide en faveur de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, la question du Haut-Karabagh est parfois abordée de façon non pas factuelle mais biaisée, en sous-estimant les conséquences pour le pays.

Ainsi, page 16, il est écrit : « Ce conflit a fait près de 30 000 morts et plusieurs centaines de milliers de réfugiés ou déplacés, majoritairement azerbaïdjanais. » Il aurait fallu insister sur le fait que, l’Azerbaïdjan ayant été agressé militairement et amputé d’une partie significative de son territoire, la part des réfugiés et des déplacés d’origine azerbaïdjanaise n’est pas légèrement majoritaire mais très largement majoritaire, ce que constatent toutes les ONG internationales impliquées dans l’aide aux victimes du conflit du Haut-Karabakh.

Dans le même paragraphe, le rapport d’information passe trop rapidement sur l’ampleur de la superficie du territoire occupé. L’Ambassade d’Azerbaïdjan a communiqué des renseignements chiffrés précis qui n’ont pas été publiés : le conflit du Haut-Karabagh s’est conclu par la perte de contrôle d’une part significative du territoire internationalement reconnu à l’Azerbaïdjan, 13 638 kilomètres carrés étant illégalement occupés, soit 16 % du territoire national total.

Sur le plan administratif, il s’agit :

– de la quasi-totalité du Haut-Karabagh à proprement parler : les districts de Choucha, de Khocavand et de Khodjaly ;

– d’autres districts voisins : ceux de Kelbadjar, de Kubatli, de Latchin et de Zangelan, limitrophes de l’Arménie ; ceux d’Agdam, de Djebrail, de Fizuli et de Tartar, situés à l’est et au sud-est du Haut-Karabagh ;

– de sept villages du district de Qazakh ;

– d’un village situé au nord de la République autonome du Nakhitchevan, territoire azerbaïdjanais enclavé entre l’Arménie et l’Iran.

La carte annexée au rapport d’information ne rend pas compte de l’occupation illégale de cette partie significative du territoire azerbaïdjanais. Pour illustrer le drame national de ce pays, il aurait été plus judicieux d’inclure la carte ci-dessous, dans laquelle les zones occupées, au sud-ouest du pays, sont signalées par des hachures.

Ajoutons que, dans le communiqué de presse du 6 février 2017 déjà cité, le président du Conseil européen a expliqué, à propos du Haut-Karabagh : « Nous avons évoqué le règlement pacifique du conflit du Haut-Karabagh. Le statu quo n’est pas tenable. Il ne saurait y avoir de solution militaire au conflit, et celui-ci doit rapidement faire l’objet d’un règlement politique conformément au droit international. L’UE continue de soutenir sans réserve les efforts de médiation déployés par les coprésidences du groupe de Minsk de l’OSCE, ainsi que les propositions avancées dans ce cadre. » Cette prise de position réaffirmée en faveur de la légalité internationale aurait mérité de figurer aussi dans le rapport d’information.

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III. Droits de l’homme, libertés publiques et valeurs démocratiques

Dans la partie consacrée aux droits de l’homme, l’accumulation des mots « pressions », répété à l’envi, « faire fléchir », laisse entendre que l’Assemblée nationale appellerait de ses vœux une confrontation entre la France et l’Azerbaïdjan. Le positionnement constant de la diplomatie française est au contraire de dialoguer avec l’Azerbaïdjan, partenaire fiable, loyal et utile, comme cela est souligné à de nombreuses reprises plus haut et plus bas dans le rapport, à propos de nombreux domaines – commerce, géostratégie, culture, etc.

Comment expliquer cette contradiction au sein même du rapport d’information ? Employer ce registre de langue n’a-t-il pas pour objectif insidieux de chercher à hypothéquer les perspectives futures de coopération entre nos deux pays ? N’est-ce pas jouer aux apprentis sorciers diplomatiques ? Sans supprimer aucun des extraits des comptes rendus d’audition des défenseurs des droits de l’homme, dont les témoignages méritent en effet d’être relayés, il aurait été adéquat d’utiliser, dans les commentaires, un vocabulaire plus neutre et plus conforme aux usages diplomatiques, en remplaçant les occurrences successives du mot « pressions » par le mot « dialogue ». Ce terme est d’ailleurs judicieusement employé page 117 : « L’Azerbaïdjan a néanmoins fait la preuve qu’il était un pays avec lequel on pouvait dialoguer. Avec la France, ce dialogue est de qualité et s’est intensifié. »

De même, page 107 du rapport d’information, il est écrit : « Les ONG estiment cependant que la portée de la pression internationale se heurte à deux limites qui révèlent que l’objectif pour l’Azerbaïdjan est uniquement d’améliorer son image. » La seconde partie de la phrase, purement interprétative, va au-delà des propos des représentants des ONG lors des auditions : ils n’ont nullement établi le lien de causalité que laisse supposer la formulation, selon laquelle la politique azerbaïdjanaise n’obéirait qu’à une stratégie d’image. La rédaction du rapport d’information, sur ce point, n’est donc pas objective : elle dénote un parti pris anti-Azerbaïdjan regrettable. En outre, l’affirmation de la page 107 précitée est contradictoire avec ce qui est écrit page 101 : « Cette attitude positive de l’Azerbaïdjan à l’égard de certains droits et libertés essentiels est bien réelle et doit être appréciée en tant que telle. » Ces deux phrases antagonistes nuisent, là encore, à la crédibilité d’ensemble du rapport d’information.

Page 77, le rapport dresse une description supplémentaire de la situation azerbaïdjanaise en matière de droits de l’homme : « Le sentiment général, au sein de la communauté internationale, est celui d’une régression globale de la situation des droits de l’Homme et libertés démocratiques en Azerbaïdjan au cours des dernières années. Si le contexte globalement difficile pour le pays – économique, social, géopolitique et sécuritaire – doit être pris en compte, il ne saurait pour autant justifier cette évolution. »

Premièrement, il convient de ne pas faire croire que le sentiment d’une dégradation de la situation en Azerbaïdjan est unanime, car certaines voix estiment au contraire que ce pays est plutôt sur la voie du progrès en matière des droits de l’homme. Il en est d’ailleurs question dans d’autres passages du rapport d’information, à la page 103, parmi d’autres : « De même, y compris sur la question pourtant très difficile des droits de l’Homme, le pays accepte d’être coopératif sur les procédures et l’accueil sur place des missions qui peuvent conduire à le mettre en cause. » Encore une contradiction qui contribue à réduire à néant la crédibilité du rapport d’information.

Deuxièmement, il serait inopportun d’occulter ou de minimiser le fait que la situation des droits de l’homme appelle des améliorations dans l’ensemble des pays issus de l’Union soviétique – pays baltes mis à part, du fait de leur appartenance maintenant ancienne à l’Union européenne. En comparaison de ses voisins, petits et grands, l’Azerbaïdjan est l’un des pays les moins éloignés des standards occidentaux de droits de l’homme et de libertés publiques, et c’est l’un de ceux qui évolue le plus favorablement.

Enfin, page 100, à propos de l’ouverture aux valeurs de démocratie, de laïcité et d’égalité entre les femmes et les hommes, il est écrit : « Par certains aspects, l’Azerbaïdjan semble faire preuve d’une certaine modernité qui contraste avec l’attitude répressive et régressive décrite en première partie. Cette dimension positive est régulièrement mise en valeur dans le discours des autorités azerbaïdjanaises. Elle n’en est pas moins réelle. » L’ensemble des personnes auditionnées, à l’instar de tous les observateurs de l’Azerbaïdjan, saluent cette réalité : l’Azerbaïdjan est un exemple de tolérance et de laïcité dans l’aire culturelle musulmane et agit avec détermination, comme la France, contre l’implantation du radicalisme islamique sous toutes ses formes. Or la multiplication de nuances dans la phrase citée – « certains aspects », « semble », « certaine modernité », « attitude répressive et régressive », « dans le discours », « pas moins » – fait peser un doute regrettable. Le rapport d’information aurait gagné en objectivité en admettant plus clairement cette réalité.

IV. Relations interparlementaires

Les sept lignes consacrées aux relations interparlementaires entre l’Assemblée nationale et le Parlement monocaméral azerbaïdjanais, le Mili Mejlis, page 68, sont trop rapides : le rapport d’information laisse entendre, en substance, que ces relations sont médiocres et de faible intensité, ce qui est purement et simplement contraire à la réalité. Ces affirmations font fi du travail régulier effectué, conformément aux règles et usages de l’Assemblée nationale, et en fonction des moyens alloués aux groupes d’amitié, par les membres du groupe d’amitié France-Azerbaïdjan, dans lequel sont représentés quatre des cinq groupes politiques : SER, LR, UDI et RRDP.

Les relations institutionnelles entre nos deux assemblées sont actives et cordiales, avec, depuis dix ans, une rencontre officielle entre délégations par législature. Ce rythme correspond à celui constaté, bon an mal an, pour les autres pays avec les parlements desquels l’Assemblée nationale entretient des relations d’amitié. Ainsi, sous la XIIIe législature, du 15 au 21 janvier 2008, une délégation du groupe d’amitié France-Azerbaïdjan, à l’époque présidé par M. Jean-Louis Dumont, a effectué une mission à Bakou ; outre le président Jean-Louis Dumont (SRC), y participèrent MM. Loïc Bouvard (UMP), Jacques Desallangre (GDR), Francis Hillmeyer (NC), François Loncle (SRC), Thierry Mariani (UMP) et Jean-Luc Reitzer (UMP). Puis, en début de XIVe législature, lorsqu’il était présidé par M. Thierry Mariani, le groupe d’amitié a reçu à Paris, du 20 au 24 mai 2013, une délégation du groupe d’amitié Azerbaïdjan-France, conduite par sa présidente, Mme Mehriban Alieva, épouse du Président Aliev.

Depuis lors, plusieurs demandes de mission ont été formulées auprès de la présidence de l’Assemblée nationale – malheureusement sans succès – pour répondre à l’invitation du groupe d’amitié Azerbaïdjan-France du Mili Mejlis. Le nouveau président du groupe d’amitié France-Azerbaïdjan, auteur de la présente contribution personnelle – et, comme son prédécesseur, membre de la mission d’information –, souhaite que cette mission à Bakou puisse être organisée dès le début de la XVe législature.

Quoi qu’il en soit, le groupe d’amitié entretient des relations régulières et cordiales avec l’ambassade d’Azerbaïdjan à Paris, ainsi qu’avec les acteurs économiques et culturels du pays présents en France de façon permanente ou de passage.

Rappelons en outre que, le 28 juin 2011, à l’initiative de MM. Jean-Louis Dumont et François Rochebloine, les groupes d’amitié France-Arménie et France-Azerbaïdjan de l’Assemblée nationale avaient auditionné conjointement M. Bernard Fassier, co-président du groupe de Minsk. Cette réunion avait pour objet de signifier la volonté de l’Assemblée nationale d’être en phase avec l’action de la France au sein du groupe de Minsk.

Au lieu de sous-estimer l’action du groupe d’amitié, il est fâcheux de ne pas plutôt avoir cherché à mettre brièvement en évidence les relations interparlementaires entre les parlements de nos deux pays, ce qui serait pleinement entré dans le cadre du rapport d’information, à savoir : « les relations politiques et économiques entre la France et l’Azerbaïdjan au regard des objectifs français de développement de la paix et de la démocratie ».

ANNEXES

ANNEXE 1

AUDITIONS DE LA MISSION D’INFORMATION

(Par ordre chronologique)

Ø Mme Florence Mangin, directrice de l’Europe continentale au ministère des affaires étrangères et du développement international ;

Ø Mme Sandrine Gaudin, chef du service des affaires bilatérales et de l’internationalisation des entreprises à la direction générale du Trésor ;

Ø M. Jean-Pierre Lacroix, directeur des Nations unies, des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la francophonie au ministère des affaires étrangères et du développement international ;

Ø Mme Aurélia Bouchez, Ambassadeur de France en Azerbaïdjan ;

Ø Son Excellence M. Elchin Amirbayov, Ambassadeur d’Azerbaïdjan en France ;

Ø M. Pierre-Yves Le Borgn’, député, rapporteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme ;

Ø MEDEF International – M. Philippe Gautier, directeur général, et M. Bogdan Gadenne-Feertchak, chargé de mission senior pour les Balkans, la Turquie, le Caucase et l’Asie centrale ;

Ø M. Philippe Errera, directeur général des relations internationales et de la stratégie au ministère de la défense, M. Laurent Rucker, chef du bureau Europe orientale, et M. Emmanuel Dreyfus, chargé de mission ;

Ø SUEZ* – M. Stéphane Heddesheimer, directeur du pôle Europe et Communauté des États indépendants (CEI) ;

Ø ALSTOM* – M. Philippe Delleur, vice-président d’Alstom, chargé des affaires publiques ;

Ø M. Bertrand Fort, délégué pour l’action extérieure des collectivités territoriales au ministère des affaires étrangères et du développement international ;

Ø M. Thierry Braillard, secrétaire d’État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports ;

Ø ENGIE* – M. Arnaud Erbin, directeur international d’Engie, M. Philippe Hochart, directeur de projet à la direction internationale d’Engie et Mme Valérie Alain, directrice des relations institutionnelles d’Engie * ;

Ø TOTAL SA* – M. Michael Borrell, directeur Europe et Asie centrale de l’exploration-production ;

Ø M. Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale, et Mme Emma Lavigne, chargée de recherche Europe et Asie centrale, Reporters sans frontières ;

Ø Mme Anne Castagnos-Sen, responsable des relations extérieures, Amnesty international France ;

Ø Mme Agnès Romatet-Espagne, directrice des entreprises, de l’économie internationale et de la promotion du tourisme, au ministère des affaires étrangères et du développement international ;

Ø M. Pierre Andrieu, ambassadeur, ancien co-président français du Groupe de Minsk de l’OSCE ;

Ø M. Antoine Biquillon, directeur général de Lactalis Caspi LLC ;

Ø M. Jean Lévy, ancien ambassadeur pour le sport, conseiller auprès du président de la Fédération internationale de l’automobile pour les relations internationales ;

Ø M. Jacques Soppelsa, professeur des universités, président honoraire de l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne, président de l’Académie internationale de géopolitique ;

Ø M. Philippe Vinogradoff, ambassadeur pour le sport ;

Ø M. Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme ;

Ø M. Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français (CNSOF) ;

Ø M. Jean de Gliniasty, ancien ambassadeur, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) ;

Ø Mme Marie-Claire Aoun, directrice du centre « Énergie » de l’Institut français des relations internationales (IFRI) ;

Ø Mme Claire Mouradian, directrice de recherche au CNRS, et M. Stéphane de Tapia, directeur du département d’études turques de l’université de Strasbourg ;

Ø Mme Marie-Ange Debon, directrice générale adjointe du groupe Suez, chargée de l’International, présidente du Conseil de chefs d’entreprises France-Azerbaïdjan de MEDEF International et M. Bogdan Gadenne-Feertchak, chargé de mission senior pour les Balkans, la Turquie, le Caucase et l’Asie centrale ;

Ø M. Laurent Richard, journaliste (audition en visioconférence) ;

Ø Mme Alexandra Koulaeva, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) ;

Ø Thales International* – M. Olivier Achard, vice-président de la zone Eurasie pour Thales International, et Mme Fanny Mounier, chargée de mission auprès du vice-président chargé des relations internationales ;

Ø M. Pascal Pacaut, directeur du département Asie de l’Agence française de développement (AFD), et Mme Françoise Chalier, directrice adjointe Asie ;

Ø M. Matthieu Combe, conseiller chargé de l’Europe orientale et de l’Asie centrale à la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne ;

Ø M. Matthias Fekl, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l’étranger.

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

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1 () Des précisions complémentaires sur les superficies en cause ont été demandées à l’Ambassade d’Azerbaïdjan en France. Celle-ci les a transmises après envoi du projet de rapport aux membres de la mission. Selon ces éléments, la surface occupée représente 16 % du territoire azerbaïdjanais.

2 () Dépêche de l’AFP du 5 avril 2016.

3 () Les négociations de cet accord se sont officiellement ouvertes le 7 février 2017.

4 () Ce cadre inclut la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, signée en 1997 et en vigueur depuis 1999.

5 () Le français est ainsi enseigné comme langue de spécialité à l’Université d’État de Gandja et à l’Université d’État de Nakhitchevan où existent des filières de français langue étrangère initiées en 1999 dans le cadre d’un partenariat avec l’Université de Strasbourg.

6 () De son nom officiel, la Commission européenne pour la démocratie par le droit : « Azerbaïdjan, avis n° 864 sur le projet de révision de la Constitution soumis au référendum du 26 septembre 2016 », adopté lors de la 108ème session plénière des 14 et 15 octobre 2016.

7 () Avis 787/2012 relatif à la loi sur les organisations non gouvernementales telle qu’amendée de la République d’Azerbaïdjan, Commission de Venise, 101ème session plénière, 12-13 décembre 2014.

8 () Discours de fin de mission, Michel Forst, Rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, Bakou, 22 septembre 2016.

9 () Résolution du Parlement européen du 10 septembre 2015 sur l’Azerbaïdjan (20015/2840(RSP)).

10 () Cette position a été exprimée par S.E. M. Elchin Amirbayov, Ambassadeur d’AzerbaÏdjan en France, reçu en audition par la mission d’information.


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