N° 1672 - Rapport de MM. Laurent Kalinowski et Jean-Marc Pastor, établi au nom de cet office, sur L'hydrogène : vecteur de la transition énergétique ?



N° 1672

 

N° 253

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2013 - 2014

Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 19 décembre 2013

 

le 19 décembre 2013

par

MM. Laurent KALINOWSKI, député, et Jean-Marc PASTOR, sénateur


Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale

par M. Jean-Yves LE DÉAUT,

Premier Vice-président de l'Office

 


Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Bruno SIDO,

Président de l’Office

Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques

Président

M. Bruno SIDO, sénateur

Premier Vice-président

M. Jean-Yves LE DÉAUT, député

Vice-présidents

M. Christian BATAILLE, député M. Roland COURTEAU, sénateur

Mme Anne-Yvonne LE DAIN, députée M. Marcel DENEUX, sénateur

M. Jean-Sébastien VIALATTE, député Mme Virginie KLÈS, sénatrice

DÉputés

SÉnateurs

M. Gérard BAPT

M. Christian BATAILLE

M. Denis BAUPIN

M. Alain CLAEYS

M. Claude de GANAY

Mme Anne GROMMERCH

Mme Françoise GUEGOT

M. Patrick HETZEL

M. Laurent KALINOWSKI

Mme Anne-Yvonne LE DAIN

M. Jean-Yves LE DÉAUT

M. Alain MARTY

M. Philippe NAUCHE

Mme Maud OLIVIER

Mme Dominique ORLIAC

M. Bertrand PANCHER

M. Jean-Louis TOURAINE

M. Jean-Sébastien VIALATTE

M. Gilbert BARBIER

Mme Delphine BATAILLE

M. Michel BERSON

Mme Corinne BOUCHOUX

M. Marcel-Pierre CLÉACH

M. Roland COURTEAU

Mme Michèle DEMESSINE

M. Marcel DENEUX

Mme Dominique GILLOT

Mme Chantal JOUANNO

Mme Fabienne KELLER

Mme Virginie KLÈS

M. Jean-Pierre LELEUX

M. Jean-Claude LENOIR

M. Christian NAMY

M. Jean-Marc PASTOR

Mme Catherine PROCACCIA

M. Bruno SIDO

SOMMAIRE

___

Pages

SAISINE 7

INTRODUCTION 9

I. L’HYDROGÈNE, UN VECTEUR D’ÉNERGIE DURABLE ? 13

A. UN ÉLÉMENT AUX PROPRIÉTÉS EXCEPTIONNELLES 13

B. DES MODALITÉS DE PRODUCTION TRÈS DIVERSIFIÉES 13

1. Les sources carbonées 14

2. L’électrolyse de l’eau 15

3. Les procédés alternatifs 17

4. L’hydrogène naturel 18

C. LES PROBLÈMES DU STOCKAGE, DU TRANSPORT ET DE LA DISTRIBUTION 18

1. Des options de stockage diversifiées 20

a. Les progrès du stockage sous haute pression 20

b. Le stockage cryogénique : une solution éprouvée 20

c. L’innovation du stockage sous forme solide 20

2. Un transport coûteux 21

3. La question du développement d’un réseau de distribution 22

II. L’HYDROGÈNE : UN VECTEUR D’ÉNERGIE AUX APPLICATIONS VARIÉES 25

A. LA PILE À COMBUSTIBLE 26

B. L’HYDROGÈNE DANS LES TRANSPORTS 28

C. LE « POWER-TO-GAS » 29

D. LA CO-GÉNÉRATION 30

E. L’AUTONOMIE ÉNERGÉTIQUE 31

F. LES APPAREILS NOMADES 31

III. QUELLE PLACE POUR L’HYDROGÈNE DANS LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE ? 33

A. L’INTÉGRATION DES ÉNERGIES RENOUVELABLES 33

1. Un réseau centralisé face à des énergies décentralisées 33

2. Les multiples impacts des nouvelles énergies sur le réseau 34

3. La nécessité du stockage d’énergie 34

B. LA SUBSTITUTION DES ÉNERGIES FOSSILES 35

1. La persistance des hydrocarbures 35

2. Une situation contrastée 36

IV. QUELLE GOUVERNANCE POUR LA FILIÈRE HYDROGÈNE ÉNERGIE ? 39

A. UNE FILIÈRE À FORT POTENTIEL 39

B. LA NÉCESSAIRE INTERVENTION DE L’ÉTAT 39

C. LE RÔLE INCONTOURNABLE DES TERRITOIRES 41

D. LA QUESTION DE LA RÉGLEMENTATION 42

CONCLUSION 45

RECOMMANDATIONS 47

EXAMEN DU RAPPORT PAR L’OFFICE 51

COMPOSITION DU COMITÉ D’EXPERTS 67

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES PAR LES RAPPORTEURS 69

1. Auditions et missions en France 69

2. Auditions des rapporteurs 74

3. Missions à l’étranger 77

ANNEXES 83

ANNEXE N° 1 : COMPTE RENDU DE L’AUDITION PUBLIQUE, OUVERTE À LA PRESSE, SUR « LES ENJEUX DU VECTEUR HYDROGÈNE-ÉNERGIE » LE 30 OCTOBRE 2013 85

ANNEXE N° 2 : SITUATION DANS LES PAYS ÉTRANGERS 159

ANNEXE N° 3 : RAPPORTS DE L’OPECST AYANT DÉJÀ ABORDÉ LA QUESTION DE L’HYDROGÈNE ÉNERGIE 161

SAISINE

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INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La disponibilité de l’énergie conditionne toutes nos activités : de l’extraction des matières premières à leur transformation en produits finis, en passant par leur transport. L’agriculture moderne en dépend, elle aussi, pour ses engrais comme pour ses machines. Même les activités de services, pourtant immatérielles, ne pourraient se poursuivre en l’absence d’éclairage des bureaux ou d’alimentation des ordinateurs et des réseaux.

L’utilisation de l’hydrogène en tant que vecteur d’énergie aux caractéristiques idéales a été entrevue de façon prémonitoire par Jules Verne dès la fin du XIXe siècle. Dans un dialogue de l’Île mystérieuse, l’ingénieur Cyrus Smith décrit à son compagnon d’aventure, le marin Pencrof, les conditions dans lesquelles l’hydrogène pourrait un jour remplacer les énergies fossiles :

« - Et qu’est-ce qu’on brûlera à la place du charbon ?

- L’eau, répondit Cyrus Smith.

- L’eau, s’écria Pencroff, l’eau pour chauffer les bateaux à vapeur et les locomotives, l’eau pour chauffer l’eau !

- Oui, mais l’eau décomposée en ses éléments constitutifs, répondit Cyrus Smith, et décomposée, sans doute, par l’électricité, qui sera devenue alors une force puissante et maniable, car toutes les grandes découvertes, par une loi inexplicable, semblent concorder et se compléter au même moment. Oui, mes amis, je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible, que l’hydrogène et l’oxygène, qui la constituent, utilisés isolément ou simultanément, fourniront une source de chaleur et de lumière inépuisables et d’une intensité que la houille ne saurait avoir. »

*

* *

Depuis, l’hydrogène a fasciné des générations de scientifiques et d'ingénieurs qui se sont attachés à exploiter ses propriétés physiques et chimiques, afin d'en extraire une solution pour le transport, le stockage et la restitution de l'énergie. L'intérêt pour cette solution a atteint la sphère des décideurs, depuis plus d’un demi-siècle, des investissements importants ont été réalisés pour développer les technologies associées. Pourtant, faute de progrès suffisants, les applications énergétiques de l’hydrogène sont longtemps restées confinées à la conquête spatiale, principalement pour la propulsion des fusées. Dans tous les autres usages, la place des énergies fossiles est restée prépondérante.

C’est l’exploitation massive, à partir du début du XIXe siècle, de ressources fossiles facilement accessibles et très concentrées en énergie qui, en permettant de décupler à moindre coût la force de travail, a conduit à l'émergence de nos sociétés modernes. Deux siècles plus tard, la croissance de ces dernières reste étroitement corrélée à leur consommation en charbon, en pétrole et en gaz naturel. Si celle des pays développés s’est infléchie après la crise de 2008, celle des pays émergents a continué de croître, à un rythme soutenu.

Or, ces ressources fossiles, issues de l’accumulation de résidus organiques durant plusieurs millions d’années, ne sont disponibles qu’en quantités limitées sur notre planète. Les gisements les moins profonds ou les plus riches ayant été exploités en priorité, seuls les progrès constants des technologies permettent de maintenir, jusqu'à ce jour, une production suffisante, mais seulement au prix d’une complexité des procédés, d’une empreinte environnementale et d’une dépense en énergie toujours plus importantes.

Les conséquences de ce rendement énergétique décroissant peuvent, un temps, passer inaperçues – c’est encore le cas pour le gaz et le charbon –, mais elles sont, d’ores et déjà, parfaitement visibles pour la plus précieuse des ressources fossiles : le pétrole, dont le prix s’est considérablement accru depuis vingt ans. Cette évolution frappe de plein fouet l’économie de notre pays, alors qu’elle se trouve encore soumise aux contrecoups de la crise financière de 2008.

En 2003, notre facture énergétique se limitait à 23 milliards d’euros. En moins de dix ans, elle a été multipliée par trois. En 2012, elle atteignait les 69 milliards d’euros, dépassant ainsi le montant total du déficit du commerce extérieur. Pour nos concitoyens, ce renchérissement se traduit par une baisse de leur revenu disponible et, pour nos entreprises, par une dégradation de leurs capacités d’investissement.

*

* *

Mais notre dépendance vis-à-vis des énergies fossiles ne limite pas seulement, dès à présent, notre développement économique, à terme elle menace également notre environnement, par l'émission de gaz à effet de serre. Il n’est nullement besoin de rappeler que si, à l’heure actuelle, les conséquences du réchauffement climatique sont moins tangibles que celles du renchérissement des énergies fossiles, elles pourraient, à l’avenir, avoir des effets bien plus délétères sur nos sociétés.

Afin de réduire cette dépendance, un effort très important a été réalisé, ces vingt dernières années, pour développer les énergies renouvelables, notamment solaire et éolienne. Pour autant, malgré les investissements réalisés et un coût de plus en plus compétitif en regard de celui des énergies fossiles ou nucléaire, ces nouvelles énergies n’apparaissent toujours pas à même de supplanter complètement les anciennes, par exemple dans le secteur des transports. Qui plus est, dans les pays les plus avancés – nous pensons notamment à l’Allemagne –, la poursuite du développement des énergies renouvelables pourrait se trouver entravée par des difficultés tenant à la fois à la variabilité de leur production et à la difficulté d’acheminer celles-ci au travers du réseau électrique.

Aussi, vos rapporteurs se sont-ils en priorité attachés, au cours de cette étude, à évaluer le rôle que pourrait jouer l’hydrogène – compte tenu de ses caractéristiques physico-chimiques intrinsèques mais aussi de la maturité des technologies associées – en tant que vecteur d’énergie complémentaire à l’électricité, pour nous aider, d’une part, à accélérer le développement des énergies renouvelables et, d’autre part, à nous affranchir à terme des énergies fossiles.

*

* *

Dans le contexte du débat national sur la transition énergétique et de la préparation du projet de loi consécutif, vos rapporteurs, suivant la démarche d’investigation de l’Office parlementaire, ont choisi de fonder leur étude sur une large consultation des acteurs impliqués dans la filière hydrogène et, au-delà, dans la gestion de l’énergie.

Tout d’abord, nous nous sommes entourés d’un comité d’experts aux compétences reconnues sur le sujet de l’hydrogène énergie, mais – c’est un point essentiel pour la crédibilité de notre étude – aux opinions nettement contrastées. Nous avons par ailleurs rencontré, à l’occasion d’auditions ou de visites de laboratoires et d’installations industrielles, près de deux cents personnes directement impliquées dans le développement des applications énergétiques de l’hydrogène.

Deux missions, en Allemagne et au Japon, nous ont permis d’apprécier l’avance prise par ces deux pays, ainsi que la cohérence de leur démarche, au niveau national comme régional. Lors de ces déplacements, nous avons été surpris de rencontrer des industriels français contraints de chercher pour leurs produits, hors de nos frontières, des opportunités de développement absentes dans notre pays.

Une visite en Isère et dans la Drôme nous a conduits à prendre la mesure de l’extraordinaire dynamisme, en ce domaine, de nos chercheurs et de nos chefs d’entreprises, ainsi que de l'étendue des obstacles au déploiement de leurs innovations dans notre pays. Notre participation, dans le Tarn, à deux journées de débats sur le développement de l’hydrogène dans les territoires, entre représentants de collectivités, d’entreprises, d’associations et d’organismes publics, nous a convaincus de la nécessité de libérer les initiatives locales pour réussir la transformation de notre système énergétique. Enfin, un déplacement en Lorraine, à Nancy et Metz, a renforcé nos convictions quant au potentiel d’innovation de nos concitoyens mais aussi à l’importance des freins auxquels ils sont confrontés.

C’est ce contraste saisissant entre la situation d’autres pays et du nôtre, qui nous a, tout à la fois, permis de dégager les constats les plus marquants de notre étude, et conduits à formuler nos principales recommandations.

*

* *

I. L’HYDROGÈNE, UN VECTEUR D’ÉNERGIE DURABLE ?

A. UN ÉLÉMENT AUX PROPRIÉTÉS EXCEPTIONNELLES

Élément le plus léger et le plus petit de la nature, l’hydrogène est aussi le plus énergétique par unité de poids. S’il est également le plus répandu dans l’univers, dont il constitue les trois quarts de la masse, sur notre planète il se trouve presque toujours combiné à d’autres atomes, principalement l’oxygène et le carbone. Obtenir, à partir de ces composés, l’hydrogène sous sa forme la plus utile aux applications énergétiques, le dihydrogène (H2, lui-même communément appelé hydrogène), nécessite un apport d’énergie. Contrairement aux énergies fossiles, présentes à l’état naturel dans le sous-sol, l’hydrogène n’est donc pas considéré comme une source d’énergie mais comme un vecteur d’énergie synthétique qui permet de stocker ou de transporter l’énergie issue d’autres processus.

Aujourd’hui, la production et la consommation d’hydrogène s’établissent à moins d’un million de tonnes en France, contre près de cinquante millions dans le monde. Mais l’essentiel de cette production est destinée, premièrement à l’industrie chimique pour la synthèse de l’ammoniac à partir de l’azote de l’air, laquelle consomme la moitié de l’hydrogène disponible, ou encore celle du méthanol et de l’eau oxygénée, deuxièmement à la pétrochimie, pour l’élaboration des carburants conventionnels, mais aussi des plastiques, détergents et peintures, enfin, de façon plus limitée, à l’électronique, la métallurgie, la pharmacologie et le secteur alimentaire.

L’utilisation directe de l’hydrogène à des fins énergétiques nécessite d’être à même de le produire, de le stocker et de le transporter en quantité suffisante. Compte tenu de ses applications dans l’industrie, de nombreuses solutions ont été développées pour répondre à ces différents impératifs. Toutefois, les applications énergétiques présentent des exigences spécifiques, en termes d’approvisionnement et de distribution, comme en termes de prix et de neutralité climatique, auxquelles les technologies traditionnellement mises en œuvre ne répondent pas forcément.

Aussi vos rapporteurs se sont-ils attachés, dans le cadre de la première partie de leur étude, à considérer toute la chaîne qui va de la production de l’hydrogène jusqu’à son utilisation, afin d’évaluer sa viabilité dans la perspective de ses nouveaux usages énergétiques.

B. DES MODALITÉS DE PRODUCTION TRÈS DIVERSIFIÉES

La présence d’hydrogène dans un grand nombre de composés chimiques a conduit au développement de très nombreux procédés pour son obtention. De fait, tout comme pour le vecteur électricité, toutes les sources d’énergie connues à ce jour, fossiles, nucléaire ou renouvelables, permettent de produire de l’hydrogène, avec des émissions de gaz à effet de serre et des rendements plus ou moins élevés, de façon centralisée ou décentralisée.

Une économie exclusivement basée sur ces deux vecteurs énergétiques flexibles que sont l’électricité et l’hydrogène pourrait donc s’affranchir de toute dépendance exclusive vis-à-vis d’une source d’énergie. Il n’est nul besoin de souligner l’atout que constituerait cette possibilité de mettre en concurrence les sources d’énergie pour des pays tels que le Japon ou la France, dont le sous-sol est dépourvu de ressources énergétiques avérées.

1. Les sources carbonées

Malgré la diversité des sources possibles d’hydrogène, la quasi-totalité (plus de 95 %) de celui-ci est aujourd’hui produite à partir des combustibles fossiles.

Parmi les différents procédés permettant d’extraire l’hydrogène de ces combustibles, le vaporeformage, ou reformage à la vapeur, est de loin le plus employé. Il consiste, après une étape de désulfuration, à faire réagir, à haute température (entre 850 et 900°C) et sous pression (20 à 30 bars), un hydrocarbure léger ou du gaz naturel sur de la vapeur d’eau, en présence d’un catalyseur à base de nickel. Cette réaction produit un mélange d’hydrogène et de monoxyde de carbone (pour le méthane, principal constituant du gaz naturel, elle s’écrit : CH4 + H2O → CO + 3H2). Ce dernier est ensuite réutilisé pour produire plus de dihydrogène par la réaction CO + H2O → CO2 + H2. L’hydrogène obtenu fait enfin l’objet d’un traitement de séparation du CO2 et de purification.

Ce procédé présentant un rendement élevé, d’environ 80 %, permet d’atteindre, en sortie d’une unité de production industrielle, un coût attractif, de l’ordre de 2 euros par kilogramme d’hydrogène. À ce coût s’ajoute celui de la distribution jusqu’à l’utilisateur, lui-même fonction des distances à parcourir et de la densité des lieux de livraison. Une production décentralisée d’hydrogène à partir de gaz naturel, par ce même procédé, aurait quant à elle un coût de l’ordre de 6 euros par kilogramme (1).

Pour les résidus pétroliers lourds, le procédé d’oxydation partielle, réalisé à haute température (1 200 à 1 500°C) et à pression élevée permet d’aboutir au même résultat, mais nécessite des investissements plus importants, conduisant à un coût de production en moyenne deux fois plus élevé que le précédent. Enfin, à partir de combustibles solides, comme le charbon, il est aussi possible d’obtenir de l’hydrogène par un procédé de gazéification à haute (entre 800 et 1 000°C) ou très haute température (au-delà de 1 500°C).

Ces différents procédés comportent tous l’inconvénient d’émettre du gaz carbonique, et donc de contribuer au réchauffement climatique. Le vaporeformage du gaz naturel génère de l’ordre de dix kilogrammes de CO2 par kilogramme d’hydrogène. L’intérêt de l’hydrogène ainsi produit apparaît de ce fait limité dans une optique d’utilisation énergétique, d’autant que la perspective d’une séquestration dans le sous-sol de ce gaz à effet de serre s’éloigne, compte tenu des problèmes d’acceptation sociale posés par celle-ci.

Vos rapporteurs jugent néanmoins ces procédés éprouvés de production d’hydrogène parfaitement viables, dans la mesure où ils permettent également de traiter des sources carbonées d’origine renouvelable, comme le biométhane, issu des déchets ménagers (2) ou agricoles, et la biomasse (3) ligneuse. Sous réserve de produire l’hydrogène à proximité de ces matières renouvelables, leur bilan carbone devient en effet, sinon neutre, du moins très favorable. Dans la mesure où le prix final de l’hydrogène ainsi produit sera fonction de celui des ressources énergétiques transformées, il serait souhaitable que ces sources renouvelables puissent bénéficier de mécanismes permettant de compenser, au moins en partie, le différentiel de prix existant avec les énergies fossiles importées. Il en va de notre indépendance énergétique comme de la bonne santé de notre économie, tout investissement dans la valorisation rationnelle de nos ressources locales pouvant entraîner un effet multiplicateur.

2. L’électrolyse de l’eau

Si l’électrolyse de l’eau est aujourd’hui le procédé de production d’hydrogène le plus souvent mis en œuvre après le vaporeformage, sa part, de 4 % dans le monde et 1 % en France, reste modeste. C’est que le coût de l’hydrogène produit fluctue entre 5 et 10 euros par kilogramme, en fonction de la taille de l’installation et du prix de l’électricité qui l’alimente. Toutefois, sous réserve d’utiliser de l’électricité d’origine renouvelable ou nucléaire, l’électrolyse de l’eau présente l’avantage décisif de l’absence d’émission de gaz à effet de serre.

Connue depuis la fin du XVIIIe siècle, l’électrolyse de l’eau permet de dissocier chimiquement la molécule H2O en oxygène (O2) et hydrogène (H2), sous l’influence d’un courant électrique continu circulant entre deux électrodes. Depuis sa découverte, ce procédé a fait l’objet de nombreux développements conduisant à trois technologies principales, en fonction du type d’électrolyte, liquide ou solide, séparant les deux électrodes. Il s’agit des électrolyseurs de type alcalin, à membrane à échange de proton (PEM) et à électrolyte céramique solide.

Schéma de principe de l’électrolyse de l'eau (4)

Dominant la production mondiale d’hydrogène par électrolyse, la technologie des électrolyseurs alcalins présente l’avantage d’être la plus éprouvée – le premier électrolyseur de ce type ayant été construit en 1900 – et, de ce fait, aussi la moins onéreuse. En contrepartie, son rendement électrique, de l’ordre de 60 %, n’est pas des plus élevés. C’est pourtant ce type d’électrolyseurs que vos rapporteurs ont le plus souvent rencontré, par exemple dans la centrale hybride de Prenzlau, en Allemagne. À cet égard, il convient de souligner que l’opérateur de cette centrale, la société Enertrag (5), s’était doté des moyens de développer en interne un électrolyseur alcalin, fonctionnant pour des raisons de fiabilité à pression ambiante, afin de pouvoir l’optimiser pour une alimentation en électricité d’origine renouvelable (6).

D’une technologie plus récente, donc moins répandus que les précédents, les électrolyseurs à membrane à échange de proton (PEM) présente un meilleur rendement, de l’ordre de 75 %, mais s’avèrent d’un coût plus élevé. Leurs concepteurs mettent en avant leur capacité à faire face aux variations de courant qui les rendraient particulièrement adaptés à une alimentation en électricité d’origine éolienne et solaire. Néanmoins, leur puissance reste, de fait, limitée. Durant notre étude, nous n’avons pas eu l’occasion d’être confrontés à des installations équipées de ce type d’électrolyseur, ce qui tendrait à confirmer les propos des interlocuteurs rencontrés qui ont jugé que cette technologie manquait encore de maturité pour une utilisation en production.

Enfin, les électrolyseurs à électrolyte solide fonctionnent à une température supérieure à 700°C qui permet de réduire leur consommation spécifique d’électricité tout en évitant l’utilisation d’un catalyseur. Ce niveau de températures induit des contraintes sévères pour l’installation nécessitant le développement de matériaux adaptés. À l’occasion de notre déplacement à Grenoble, nous avons été informés des progrès réalisés par le CEA sur cette technologie prometteuse, pour laquelle il est le premier déposant mondial de brevets. Celle-ci pourrait, d’ici quelques années, permettre d’abaisser le coût de production de l’hydrogène par électrolyse à moins de 5 euros, voire moins de 3 euros par kilogramme.

Chacune de ces technologies principales présentant des limites, les recherches se poursuivent, soit pour les perfectionner, soit pour leur inventer des alternatives. Ainsi, à l’occasion de l’audition organisée le 30 octobre 2013, M. Arthur Mofakhami de CeramHyd, a présenté une technologie de membrane échangeuse ionique, à base de matériaux céramiques, encore au stade du prototype. Celle-ci permettrait d’atteindre un rendement similaire à ceux des électrolyseurs PEM avec une meilleure fiabilité. M. Mofakhami estime que le prix de l’hydrogène produit avec cette technologie, pour 80 % lié à celui de l’électricité, serait de l’ordre de 4 euros pour une électricité à 60 euros du mégawatheure.

À la suite des divers entretiens qu’ils ont pu avoir au cours de leur étude, vos rapporteurs considèrent, compte tenu des limites des technologies actuelles, que le domaine de l’électrolyse reste un champ d’investigation scientifique et de développement industriel assez largement ouvert, malgré la présence d’acteurs historiques solidement implantés. Le développement des applications énergétiques de l’hydrogène pourrait conduire tout à la fois à un accroissement de la demande en électrolyseurs de petite capacité, destinés à une production décentralisée, voire individuelle, et au développement d’un marché d’électrolyseurs de capacité très supérieure à ceux actuellement commercialisés, pour la production massive d’hydrogène.

Si les coûts d’investissement peuvent varier de façon très importante suivant les technologies et leur degré d’industrialisation, l’électricité reste, dans tous les cas, la composante majeure du prix de l’hydrogène ainsi produit. Dès lors que cet hydrogène viendrait à se substituer, dans ses usages, aux hydrocarbures ou à de l’hydrogène produit à partir de ceux-ci, vos rapporteurs estiment pertinent, compte tenu des avantages économiques et environnementaux d’une telle substitution, que ces installations puissent bénéficier d’une électricité détaxée. Un tel régime serait d’ailleurs tout à fait symétrique à celui accordé sur les produits pétroliers aux installations de production d’électricité par l’article 265 bis du Code des douanes.

3. Les procédés alternatifs

Au cours de leurs différents déplacements en France et au Japon, vos rapporteurs ont pu constater un réel foisonnement des recherches sur des procédés émergents de production d’hydrogène, tels que des cellules photo-électrochimiques générant directement de l’hydrogène à partir de la lumière du soleil (photolyse de l’eau), l’adjonction de micro-organismes permettant d'accroître la part d’hydrogène dans le biogaz ou encore la dissociation directe de la molécule d’eau en oxygène et hydrogène à très haute température (supérieure à 2 000°C) dans les centrales solaires à concentration ou les réacteurs nucléaires à très haute température de IVe génération développés aux États-Unis, en Chine, au Japon et en Corée du Sud. Si elles ne bouleverseront pas dans l’immédiat les modalités de production de l’hydrogène, chacune de ces technologies est susceptible de faciliter, à terme, la production centralisée ou décentralisée de celui-ci.

4. L’hydrogène naturel

À l’occasion de son audition du 14 novembre 2012 par vos rapporteurs, M. Olivier Appert, président d'IFP Énergies nouvelles a évoqué les résultats encourageants des premières recherches menées par son institut sur les sources terrestres d’hydrogène naturel, réparties sur l’ensemble des continents.

Lors de l’audition publique sur les enjeux du vecteur hydrogène, M. François Kalaydjian, directeur adjoint aux ressources énergétiques de l’IFPEN, a précisé la localisation des sources possibles d’hydrogène en Europe : dans les massifs ophiolitiques ou péridotiques situés au nord de l’Italie, à Chypre et en Grèce, dans les massifs rocheux anciens de Russie, ainsi qu’en faible quantité dans le bassin du sud-est de la France.

Les deux responsables de l’IFPEN ont souligné la nécessité d’engager des recherches plus approfondies pour lever les verrous existants avant de pouvoir envisager une exploitation de ces gisements. En effet, la découverte d’une nouvelle source d’énergie ne garantit pas que celle-ci sera exploitable dans des conditions économiques et environnementales acceptables. Si les résultats de ces investigations étaient positifs, l’hydrogène deviendrait alors non plus seulement un vecteur mais aussi une source d’énergie durable.

Vos rapporteurs jugent qu’il s’agit là d’une voie de recherche prometteuse, méritant d’être poursuivie, bien entendu prioritairement sur le territoire national.

C. LES PROBLÈMES DU STOCKAGE, DU TRANSPORT ET DE LA DISTRIBUTION

Les caractéristiques physiques et chimiques de l’hydrogène rendent son stockage plus difficile que celui des carburants liquides ou gazeux utilisés dans la vie courante. À la pression atmosphérique, l’hydrogène se présente comme un gaz d’une très faible densité. Qui plus est, du fait de la taille réduite de la molécule de dihydrogène, celle-ci s’échappe par tout interstice. Enfin, l’hydrogène ne devient liquide qu’à une température très basse, de - 235°C.

En regard de ces multiples contraintes, le stockage de l’hydrogène dans des conditions adaptées à ses différents usages énergétiques, notamment embarqués, peut apparaître comme une réelle gageure. Sur ce point, M. Pierre-René Bauquis a insisté, à juste titre, lors de son audition du 11 avril 2013, sur les atouts inégalables des hydrocarbures liquides, en termes de densité énergétique comme de facilité et de coût de stockage ou de transport, d’autant que les infrastructures correspondantes sont déjà en place.

À l’appui de sa démonstration il a présenté le graphique ci-dessous, issu de son ouvrage « Quelles énergies pour les transports du XXIe siècle ? ».

Si vos rapporteurs reconnaissent l’importance de ses arguments ils constatent néanmoins, que les progrès réalisés, notamment dans le domaine du stockage à haute pression de l’hydrogène, permettent en pratique de répondre, par exemple, aux contraintes fortes d’une intégration dans le volume réduit d’un véhicule de tourisme, sans en limiter notablement l’autonomie. Certes, la comparaison entre la densité massique, réservoir compris, de l’essence et de l’hydrogène s’avère très défavorable à ce dernier mais, par ailleurs, sa densité est encore cinq fois supérieure à celle des batteries électrochimiques lithium-ion.

Par ailleurs, ainsi que le souligne M. Pierre-René Bauquis, les infrastructures nécessaires à la distribution de l’hydrogène restent incontestablement à créer, tout comme pour les véhicules électriques, encore qu’à un coût a priori inférieur. Si la possibilité d’une production décentralisée de l’hydrogène, au plus près des besoins, permet d’en limiter les contraintes de transport, le déploiement, sur le territoire, des équipements nécessaires représentera un investissement considérable. Sur ce plan, un effort sera incontestablement nécessaire là où il suffirait de continuer à exploiter des infrastructures existantes, mais la réduction de notre dépendance énergétique par rapport aux hydrocarbures ne le justifie-t-elle pas ?

1. Des options de stockage diversifiées

a. Les progrès du stockage sous haute pression

La faible densité volumique de l’hydrogène à température ambiante impose de le comprimer à de très fortes pressions pour atteindre une densité compatible avec les applications embarquées.

Ainsi, afin de stocker dans un volume équivalent à celui des réservoirs automobiles actuels les 4 ou 5 kilogrammes d’hydrogènes nécessaires à un véhicule pour bénéficier d’une autonomie de l’ordre de 400 à 500 kilomètres, il s’avère indispensable d’atteindre des pressions de 350 ou 700 bars. Ces valeurs correspondent aux standards adoptés aujourd’hui par la plupart des constructeurs automobiles. Il convient néanmoins de souligner que le stockage de l’hydrogène sous une pression de 700 bars nécessite de mobiliser environ un quart de l’énergie contenue dans l’hydrogène ainsi comprimé.

Les efforts de recherche et développement réalisés ont permis de concevoir des réservoirs en matériaux composites renforcés par un enroulement de filaments répondant à ces contraintes de pressions très élevées. Les nombreux essais réalisés en France comme à l’étranger sur ce type de réservoirs permettent d’estimer que cette solution devrait offrir un niveau satisfaisant de sécurité, y compris en situations accidentelles. Le coût de ces réservoirs à haute pression reste toutefois relativement élevé, de l’ordre du millier d’euros, bien supérieur à celui des véhicules à essence.

b. Le stockage cryogénique : une solution éprouvée

Couramment utilisé dans l’industrie spatiale, le stockage cryogénique de l’hydrogène permet de gagner en densité énergétique volumique comme massique par rapport au stockage sous pression. Toutefois, cela a un prix : l’énergie, correspondant au tiers de sa valeur énergétique, nécessaire au refroidissement de l’hydrogène à sa température de liquéfaction, soit - 235°C, et les déperditions, de 1 % à 2 % par jour, résultant de son inéluctable retour à l’état gazeux.

Ce phénomène dit de « boil off » interdit, en pratique, de mettre en œuvre cette solution dans les transports terrestres, les émissions continues d’hydrogène n’étant, par exemple, guère tolérables dans un parking. Par contre, son utilisation demeure tout à fait envisageable dans le transport aérien ou maritime. Néanmoins, l’hydrogène ne pourrait être dans ces secteurs qu’une solution à long terme, compte tenu du rythme de renouvellement des parcs correspondants.

c. L’innovation du stockage sous forme solide

Le stockage de l’hydrogène sous forme solide dans des conditions de température et de pression proches des conditions normales nécessite de l’associer à un autre élément chimique. Certains matériaux ont en effet pour propriété d’absorber (fixer en profondeur) ou d’adsorber (fixer en surface) l’hydrogène de façon réversible, par changement des conditions de température ou de pression. Il s’agit de métaux appelés hydrures et, potentiellement, de nanostructures, telles que les nanotubes de carbone.

Cette technologie, désormais sortie des laboratoires, ainsi que nous l’avons constaté lors d’une visite de l’usine de la société McPhy implantée à proximité de Valence, permet d’atteindre une densité volumique de l’ordre de 100 kilogrammes par mètre-cube, supérieure à celle de la cryogénie (environ 70 kilogrammes par mètre-cube) mais présente l’inconvénient d’un poids élevé. De ce fait, elle est avant tout adaptée aux applications stationnaires, pour lesquelles elle permet d’atteindre des volumes de stockage conséquents, dans de très bonnes conditions de sécurité et sans contrainte de mise sous pression.

2. Un transport coûteux

Le transport de l’hydrogène se heurte aux mêmes caractéristiques physico-chimiques défavorables que son stockage. Les coûts élevés qui en résultent constituent l’un des obstacles principaux au développement des utilisations énergétique de l’hydrogène, puisqu’ils viennent en grever le prix final pour les utilisateurs. Vos rapporteurs ne minorent pas cet inconvénient et ne prétendent parce qu'une solution miraculeuse pourra lui être un jour trouvée, compte tenu des caractéristiques physiques de cet élément.

Néanmoins, il convient de rappeler que les caractéristiques de l’hydrogène ne sont pas si éloignées de celles d’un gaz tel que le méthane, dont l’usage s’est pourtant très largement développé. Il est vrai que le gaz naturel bénéficie d’un vaste et dense réseau de transport, d’environ 30 000 kilomètres, et de distribution, de plus de 150 000 kilomètres, qui réduit considérablement le coût de son acheminement tout en assurant son stockage. La construction d’un réseau de pipelines équivalent pour l’hydrogène, sur l’ensemble du territoire, serait techniquement réalisable, puisque celui d’Air Liquide s’étend déjà sur 1 500 kilomètres du nord de la France au sud des Pays-Bas. Mais le coût de construction d’un tel réseau de pipelines de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres de long serait prohibitif dans les conditions économiques actuelles.

Face à ces contraintes résultant à la fois de la physique et de l’économie, vos rapporteurs estiment que le réalisme impose de privilégier, chaque fois que possible, une production décentralisée de l’hydrogène, répartie dans les territoires au plus près des besoins. Ce choix ne constitue pas, à notre sens, une contrainte, dès lors que l’hydrogène peut être produit à partir de ressources locales, qu’il s’agisse de biogaz, de déchets ligneux ou d’électricité, par exemple d’origine éolienne ou solaire. Il correspond, en effet, à la nature même de ces énergies renouvelables, réparties dans les territoires. Les associer à l’hydrogène peut, au contraire, permettre d’optimiser leur utilisation locale, en positionnant judicieusement les unités de production.

3. La question du développement d’un réseau de distribution

Le problème de la distribution de l’hydrogène sur le territoire national se pose principalement pour le réseau routier. En imaginant les problèmes de la production et du transport résolus à un coût et dans des conditions environnementalement acceptables, il demeurerait nécessaire de déployer un réseau suffisamment dense de stations, régulièrement approvisionnées, permettant aux automobilistes de remplir d’hydrogène le réservoir sous pression de leur véhicule.

Plusieurs gouvernements se préoccupent dès à présent de coordonner la mise en place d’un réseau de stations à hydrogène. L’Allemagne et le Japon prévoient, d’ici fin 2015, la construction, respectivement, de 50 et 100 stations à hydrogène, la Corée du Sud, les pays de l’Europe du nord et, en Amérique, la Californie, leur ont emboîté le pas. Vos rapporteurs ont eu l’occasion de visiter plusieurs stations à hydrogène au cours de leurs déplacements, dont certaines fournies par la société Air Liquide.

Bien que de conceptions diverses, ces stations ont toutes en commun de ne pouvoir approvisionner qu’un nombre réduit de véhicules, non en raison du temps nécessaire pour faire le plein d’un véhicule, qui n’est que de quelques minutes, mais d’une réserve insuffisante en hydrogène. Initialement, cette capacité réduite ne devrait pas être problématique, mais elle pourrait le devenir en cas de croissance rapide du parc de véhicules à hydrogène. Les représentants d’Air Liquide ont toutefois indiqué qu’elle pourrait être par la suite étendue.

De fait, le problème posé par le déploiement d’un tel réseau de distribution apparaît aujourd’hui moins technique que financier. Pour l’Allemagne, une station reviendrait à un peu moins d’un million d’euros et à un prix supérieur au Japon, en raison de contraintes réglementaires plus strictes. Si, au regard de ces montants unitaires, le coût d’un réseau complet de stations à hydrogène apparaît déjà dissuasif, les interlocuteurs du NOW ont précisé qu’il resterait malgré tout inférieur à celui d’un réseau équivalent de points de recharge électrique.

Dans ces deux grands pays d’industrie automobile que sont l’Allemagne et le Japon, la plus grande part de l’investissement nécessaire à la création de cette infrastructure de distribution d’hydrogène devrait être prise en charge par les constructeurs automobiles eux-mêmes, ceux-ci ne pouvant se passer d’un tel réseau pour concrétiser leurs projets de commercialisation de véhicules à hydrogène. Telle n’est évidemment pas la situation en France, où les grands constructeurs nationaux ont choisi de concentrer leurs efforts d’innovation sur les véhicules électriques.

Vos rapporteurs sont persuadés de la nécessité de prendre en compte cette différence fondamentale avec des pays qui ont fait d’autres choix industriels dans le domaine automobile. À cet égard, ils estiment séduisante la démarche évoquée par M. Fabio Ferrari de SymbioFcell lors de l’audition publique du 30 octobre 2013 au Sénat, consistant en un déploiement progressif de stations à hydrogènes de taille réduite, initialement destinées à alimenter des flottes captives de véhicules utilitaires, mais susceptibles d’être par la suite ouvertes au public.

Cette approche originale apparaît à la fois plus prudente et moins coûteuse que les déploiements ex nihilo envisagés dans d’autres pays. Elle permet en effet de sortir du dilemme de la poule et de l’œuf, en associant l’acquisition des véhicules à celle de la station à hydrogène. Si elle devait se concrétiser, par exemple dans le cadre du programme européen « H2 Mobility France », vos rapporteurs estiment souhaitable de prévoir sans tarder une forme d’incitation à l’ouverture au public de ces nouvelles stations, cette dernière possibilité devant être prévue avant leur installation.

II. L’HYDROGÈNE : UN VECTEUR D’ÉNERGIE AUX APPLICATIONS VARIÉES

Dans le cadre de l’étude de faisabilité, présentée devant les membres de l’OPECST le 25 octobre 2012, vos rapporteurs ont dressé le bilan des conclusions des précédents rapports de l’Office qui, de 2001 à 2009, avaient traité des usages énergétiques de l’hydrogène (7). Leurs rapporteurs s’accordaient à considérer la filière hydrogène énergie comme prometteuse mais estimaient son développement grevé par les nombreux verrous technologiques restant encore à lever. De ce fait, l’utilisation effective de l’hydrogène à des fins énergétiques leur apparaissait, tout particulièrement dans les transports (à l’époque, la question du stockage de l’énergie n’avait pas la même acuité qu’aujourd’hui), au mieux comme un objectif de long terme, au pire comme incertaine.

À l’occasion des visites de laboratoires et d’installations que nous avons effectuées en France comme à l’étranger, nous avons pu mesurer l’ampleur des progrès réalisés ces dernières années sur l’ensemble de la chaîne technologique de la filière hydrogène, du développement de matériaux spécifiques jusqu’à l’essai, en grandeur réelle, de produits sur plusieurs centaines, voire milliers de sites. Dans plusieurs applications de niches, telles que les chariots élévateurs ou encore les alimentations secourues, l’hydrogène énergie se substitue progressivement à des solutions préexistantes, telles que les batteries électrochimiques, désormais jugées moins performantes.

Vos rapporteurs considèrent que ces premières applications, si elles concernent des marchés de taille limitée, de fait moins concurrentiels que des marchés de masse, constituent une indication probante du niveau de maturité atteint par les technologies développées ces dernières années pour l’utilisation de l’hydrogène énergie. Ce sont, pour l’essentiel, les mêmes types de composants technologiques, quoi qu’à des échelles et dans des conditions opérationnelles différentes, qui seront mis en œuvre dans d’autres applications. Aujourd’hui, c’est donc moins la viabilité technique de ces solutions que leur pertinence, notamment en termes de coût ou de performances, face à celles déjà en place, qui déterminera leur développement sur un marché donné.

S’ils sont restreints aujourd’hui à quelques marchés de niches, les usages énergétiques de l’hydrogène sont, potentiellement, au moins aussi diversifiés que ceux de la batterie électrique et du moteur à explosion interne combinés. Ce très large champ d’application constitue un atout majeur pour ce nouveau vecteur d’énergie. Il permet d’espérer, avec la diffusion de ces usages, de notables économies d’échelle.

C’est pourquoi vos rapporteurs ont décidé de consacrer la première partie de l’audition publique du 30 octobre 2013 à cette question des nouveaux marchés énergétiques de l’hydrogène, en donnant la priorité aux applications qui concernent potentiellement le grand public.

Dans la plupart des applications envisageables, l’hydrogène vient alimenter un dispositif permettant de produire directement de l’électricité au travers d’une réaction électrochimique : la pile à combustible. Il convient donc de s’intéresser à celui-ci, avant de passer en revue quelques-unes des applications énergétiques de l’hydrogène les plus prometteuses.

A. LA PILE À COMBUSTIBLE

Tout comme celle des propriétés énergétiques de l’hydrogène, la découverte de l’effet pile à combustible est ancienne. Il a été mis en évidence en 1839 par le chimiste allemand Christian Friedrich Schönbein, et démontré peu après par son ami gallois, Sir William Grove. Son principe est très proche de celui de la pile électrique, inventée quelques années plus tôt par l’Italien Alessandro Volta. Comme cette dernière, la pile à combustible génère de l’électricité en silence et sans pollution. Néanmoins, contrairement à une batterie électrique, elle continue à fonctionner aussi longtemps qu’elle reste alimentée en hydrogène et en oxygène.

Schéma de principe d’une pile SOFC (8)


Mais le principe de la pile à combustible n’a été exploité, pour la première fois, qu’après plus d’un siècle, dans le cadre du programme spatial Apollo. C’est que la réalisation d’une pile à combustible s’avère beaucoup plus délicate que celle d’une pile électrique, de par la nature gazeuse de ses électrodes : l’hydrogène et l’oxygène. La membrane qui les sépare est en général recouverte d’un métal précieux faisant office de catalyseur : le platine. Elle se dégrade d’autant plus rapidement que ce dernier est susceptible à l’empoisonnement par le monoxyde de carbone. Les recherches réalisées depuis les années 60 ont progressivement permis d’allonger notablement la durée de vie de ces piles tout en diminuant drastiquement leur coût.

Les enjeux des métaux rares

Plusieurs technologies innovantes, notamment dans le domaine de l’énergie, font appel à des métaux rares, susceptibles de poser des problèmes d’approvisionnement et dont l’exploitation minière peut avoir un impact élevé sur l’environnement.

Tel est également le cas des piles à combustible qui utilisent le platine, extrait du sous-sol au côté d’autres métaux de la même famille : le palladium, le rhodium, l’iridium, le ruthenium et l’osmium. Si le platine est, à ce jour, surtout exploité pour la bijouterie, laquelle a mobilisé 43% de sa production en 2009, le développement des piles à combustible pourrait un jour également en consommer une part significative.

Ainsi que l’a mis en évidence une audition publique sur « les enjeux des métaux stratégiques et le cas des terres rares », organisée dans le cadre de l’Office parlementaire le 8 mars 2011, plusieurs voies peuvent permettre de réduire ces problèmes d’approvisionnement en métaux rares, notamment la réduction d’usage, la substitution ou encore le recyclage. Compte tenu du prix élevé du platine, une part importante de la recherche sur les piles à combustible est consacrée à ces trois pistes, avec des résultats tout à fait probants.

Par exemple, en quelques années, la quantité de platine nécessaire à la pile d’un véhicule à hydrogène a été divisée par deux. En passant à l’échelle nanométrique pour mieux appréhender la façon dont le platine interagit avec les autres éléments dans la pile à combustible, les chercheurs espèrent franchir de nouveaux paliers. Quant aux laboratoires du CNRS et du CEA, pour substituer au platine des métaux abondants, ils s’inspirent de certains organismes vivant qui disposent des systèmes enzymatiques – appelés hydrogénases – capables de produire de l’hydrogène en utilisant des métaux tel que le fer ou le nickel. La croissance rapide du marché des piles à combustible implique de poursuivre cet effort de recherche.

Pour autant, vos rapporteurs estiment pour le moins hâtives les conclusions que quelques-uns pensent pouvoir tirer de cette dépendance de certaines piles à combustible au platine, allant jusqu’à les juger inéluctablement vouées à l’échec, faute de réserves mondiales suffisantes de ce métal précieux. Cette même logique appliquée au siècle dernier aux ordinateurs et aux téléphones portables, aurait conduit à renoncer à leur développement, compte tenu de la charge en tantale des premières générations de ces équipements électroniques

Comme pour les batteries électriques ou les électrolyseurs (lesquels sont, en quelque sorte, des piles à combustible inversées), il existe plusieurs technologies de piles à combustible adaptées à des applications diversifiées. Une majorité des développements en cours se concentre sur deux variantes : d’une part celle dite à membrane d'échange de protons ou à membrane électrolyte polymère (l’acronyme PEMFC, pour Proton Exchange Membrane Fuel Cells ou Polymer Electrolyte Membrane Fuel Cells, est aussi couramment employé), fonctionnant à basse température (entre 60 et 200°C), utilisable dans les transports et pour les applications de mobilité, et, d’autre part, celle à oxydes solides ou SOFC (Solid Oxide Fuel Cells), à haute température (entre 800 et 1 050°C), mieux adaptée aux applications stationnaires, comme la cogénération.

Un point important pour le développement des piles à combustible concerne leur extensibilité, la puissance d’une pile étant, pour une technologie donnée, directement fonction de sa surface. Cette caractéristique permet d’amortir les coûts de conception d’une même technologie de pile sur une large gamme d’applications, et même de bénéficier, sous certaines conditions, d’un effet de série partagé pour sa fabrication. Une fois la maturité atteinte sur le plan technologique, la diffusion des innovations dans ce domaine s’en trouvera accélérée.

B. L’HYDROGÈNE DANS LES TRANSPORTS

L’utilisation de l’hydrogène dans les transports n’est pas une idée nouvelle. Ainsi, les frères Montgolfier avaient-ils envisagé de l’employer pour leur ballon dès 1782, avant de lui préférer l’air chaud. Quelques années plus tard, en 1805, le Suisse Isaac de Rivaz l’utilisait pour faire fonctionner le premier moteur à explosion. Toutefois, le pétrole, concentré en énergie, facile à obtenir et à stocker, l’a par la suite supplanté. Avec la maturation des technologies liées à l’hydrogène, notamment les piles à combustible PEMFC et le stockage à haute pression, son utilisation dans les transports redevient une réalité sur terre, sur mer et dans le ciel. Les progrès réalisés sur ce type de pile à combustible ont en effet permis d’atteindre, pour une production en grande série, un prix évalué à 50 $/kW (9) (la puissance de la motorisation d’un véhicule automobile est de l’ordre de 100 kW). D’autre part, la durée de vie de ces piles a atteint les 25 000 heures, ce qui équivaut à une distance parcourue de 150 000 kilomètres. D’après le Département de l’énergie des États-Unis, dans les deux ans, ces valeurs devraient respectivement passer à 30 $/kW (10), à 50 000 heures et 300 000 kilomètres.

Les conséquences industrielles de cette maturation sont particulièrement visibles dans le secteur automobile, une majorité de grands constructeurs prévoyant de commercialiser des véhicules à hydrogène d’ici deux à quatre ans. Il s’agit notamment de Daimler et Opel en Allemagne, de Ford et General Motors aux États-Unis, de Honda, Nissan et Toyota au Japon ainsi que de Kia et Hyundai en Corée. Bien que ce dernier constructeur ait officiellement inauguré en début d’année la première chaîne de production en série de véhicules à hydrogène, la commercialisation de ceux-ci n’est envisagée qu’en 2015, à un prix de vente évalué à 40 000 euros, alors qu’il serait actuellement de 68 000 euros. À l’occasion de la signature en janvier dernier d’un accord avec Renault-Nissan et Ford sur le développement en commun de piles à combustible, ce même motif a conduit la société Daimler à reculer de deux ans, en 2017, la commercialisation de son propre véhicule. Néanmoins, tous ces constructeurs disposent déjà de modèles de présérie qui font l’objet de tests en utilisation réelle.

En France, les grands constructeurs nationaux ayant mis l’accent sur la voiture 100% électrique, ce sont des acteurs de plus petite taille qui essayent d’identifier des applications de mobilité pour lesquelles le véhicule à hydrogène pourrait devenir concurrentiel face aux autres solutions disponibles sur le marché. Durant l’audition du 30 octobre 2013, M. Fabio Ferrari de SymbioFcell a ainsi présenté une approche originale du marché des véhicules utilitaires. Celle-ci consiste à équiper des véhicules électriques des grands constructeurs, comme le Kangoo ZE, d’un système permettant de doubler leur autonomie, basé sur une pile à combustible associée à un réservoir d’hydrogène sous pression.

Outre les véhicules légers, plusieurs expérimentations de flottes de bus à hydrogène sont menées en Europe et dans le monde avec des résultats encourageants en terme technique et d’acceptabilité sociale.

Sur les mers, l’adéquation du couple formé par l’hydrogène et la pile à combustible est aussi expérimentée dans la navigation de plaisance, un marché dont M. Michel Latroche, directeur de l'Institut de chimie et des matériaux de Paris Est-CNRS et membre de notre comité d’expert, avait évoqué l’intérêt à ce stade de développement. Surtout, plusieurs sous-marins militaires en ont été équipés avec succès, l’absence de bruit et de vibration de la pile à combustible en fonctionnement constituant un avantage décisif en situation de combat.

L’utilisation de l’hydrogène dans l’aviation devient également une réalité, pour la motorisation de drones. Son usage dans les avions de taille plus importante n’est pour l’instant envisagé que pour les unités auxiliaires de puissance destinées à fournir le courant électrique et la chaleur nécessaires durant le vol.

C. LE « POWER-TO-GAS »

Sous le terme quelque peu sibyllin de « Power-to-Gas » – utilisé en Allemagne comme dans les pays anglo-saxons – se cache le principe assez élémentaire d’une conversion par électrolyse de l’énergie électrique en hydrogène, à fins d’utilisation directe, d’injection dans le réseau de gaz naturel ou de transformation en méthane.

Ainsi, lors de leur déplacement en Allemagne, vos rapporteurs ont pris connaissance des avancées réalisées dans le domaine de la méthanation, dont l’intérêt avait été souligné dans le rapport sur l’évaluation de la stratégie de recherche en énergie présenté en 2009 par Christian Bataille et Claude Birraux. Découvert par le chimiste français Paul Sabatier, ce processus réalisé à des températures et pressions élevées, en utilisant un catalyseur, permet de convertir l’hydrogène et le gaz carbonique en méthane suivant la formule : CO2 + 4H2 → CH4 + 2H2O. La première installation industrielle de ce type, a été inaugurée par le constructeur automobile Audi à l’automne 2013 en Allemagne, à proximité d’une unité de production de biogaz émettrice de CO2. Elle implique une production largement décentralisée, au plus près d’installations générant du CO2 sous une forme assez concentrée.

A l’occasion de l’audition du 30 octobre 2013, les représentants de GRT Gaz ont exposé les résultats d’une étude sur les perspectives d’injection d’hydrogène dans le réseau gazier français à l’horizon 2030. Cette étude conclue sur la possibilité de valoriser cet hydrogène injecté au prix actuel du gaz, soit 25 euros du mégawatheure, sous réserve de mettre en œuvre 1 000 électrolyseurs de 10 mégawatts répartis sur le territoire destinés à absorber les 25 térawatts-heure annuels de production électrique excédentaire qui ne pourraient être valorisés d’une autre façon. Cette étude se base sur plusieurs hypothèses pour parvenir à la rentabilité, dont une baisse d’un facteur 5 sur prix des électrolyseurs.

L’hydrogène peut enfin être employé pour synthétiser des carburants liquides, sur la base du procédé Fischer–Tropsch. Toutefois, les installations nécessaires sont coûteuses et la consommation d’énergie élevée. De fait, deux unités industrielles de ce type sont actuellement exploitées dans le monde mais leur production se limite à des dérivés pétroliers à forte valeur ajoutée destinés à l’industrie chimique.

D. LA CO-GÉNÉRATION

Une application des piles à combustible, essentiellement de type SOFC, en développement rapide dans plusieurs pays concerne la cogénération d’électricité et de chaleur. Ces unités permettent d’atteindre un rendement de 90 à 95 %, suivant les conditions de leur utilisation.

À fin 2012, le nombre de foyers équipés au Japon dans le cadre d’un programme gouvernemental d’aide à l’équipement était estimé à environ 40 000. L’Allemagne dispose d’un programme similaire, CALLUX, dans le cadre duquel quelques centaines de maisons ont été dotées. La Corée du Sud se trouve approximativement au même stade de déploiement de cette technologie.

Lors de l’audition publique sur les enjeux du vecteur hydrogène, M. Claude Freyd de De Dietrich Thermique a expliqué qu’au côté d’autres solutions de micro-cogénération, telles que le moteur thermique ou Stirling, les piles à combustible sont particulièrement adaptées aux besoins de bâtiments les plus performants sur le plan énergétique qui ne consommeront presque plus de chaleur. Ces dernières produisent en effet une part plus élevé de l’énergie sous forme d’électricité. M. Freyd estime qu’une fois ces piles industrialisées, leur prix devrait être équivalent à celui d’une pompe à chaleur haut de gamme.

Il faut souligner que ces piles à combustible ne sont pas directement alimentées en hydrogène mais en gaz naturel. Les piles SOFC sont en effet à même de dissocier l’hydrogène à partir du méthane. Néanmoins, c’est bien au final l’hydrogène qui est consommé dans la pile à combustible. De plus, cette application constitue une nouvelle illustration de la maturité atteinte par cette technologie, la durée de fonctionnement de ces piles étant estimée à plus de dix ans. Demeure le problème d’un coût encore élevé mais en diminution rapide avec l’accroissement des cadences de production.

E. L’AUTONOMIE ÉNERGÉTIQUE

Des systèmes basés sur l’hydrogène, capables de générer celui-ci par électrolyse, puis de le stocker, avant de le restituer sous forme d’électricité via une pile à combustible peuvent permettre de répondre à des besoins d’autonomie énergétique diversifiés, à ce jour satisfaits par des groupes électrogènes ou des batteries, pour les centres de données, les hôpitaux, pour la transmission de signaux ou encore pour des groupes auxiliaires de puissance dans les applications aéronautiques ou maritimes.

Le prix encore relativement élevé des systèmes à base d’hydrogène conduit les industriels à privilégier des marchés de niche, dans lesquelles cet inconvénient peut être compensé par les atouts de l’hydrogène, en termes de performance, de maintenance ou d’absence de pollution. C’est notamment le cas de l’alimentation de sites isolés, a fortiori lorsque ces sites sont très difficilement accessibles et situés dans un environnement écologique sensible, comme la montagne.

Ainsi que l’a souligné M. Jean-Michel Amaré, de la société Ataway, lors de l’audition publique du 30 octobre 2013, les composants les plus performants permettent de restituer aujourd’hui de l’ordre de 50 % de l’énergie initialement injectée dans ces systèmes. Ce rendement relativement faible est la résultante de la combinaison de ceux des électrolyseurs et des piles à combustible qui présentent au mieux un rendement un peu supérieur à 70 %.

En faisant progressivement baisser le prix de ces systèmes, leur diffusion sur ces marchés de niche devrait les rendre progressivement adaptés à des applications destinées à un public plus large, comme le stockage décentralisé d’électricité, en vue de l’équilibrage du réseau électrique.

F. LES APPAREILS NOMADES

Les utilisateurs d’équipements nomades sont aujourd’hui entièrement dépendants dans leur déplacements de la technologie des batteries, lesquelles présentent l’inconvénient de ne pouvoir être rechargées que lentement, sous réserve de se trouver à proximité d’une prise électrique.

Les chargeurs d’appareils nomades à hydrogène associent une pile à combustible de petite dimension, avec un petit réservoir d’hydrogène, éventuellement échangeable. Vos rapporteurs avaient déjà pris connaissance, à l’occasion de leur déplacement à Grenoble, de la très grande simplicité d’utilisation de ce type de chargeur à hydrogène, parfaitement adapté aux usages grand public. L’intérêt d’une telle solution a été confirmé à plusieurs reprises lors de l’audition publique du 30 octobre 2013.

Encore confidentiels, ces appareils devraient prochainement connaître une diffusion beaucoup plus large car ils correspondent à un besoin d’accroissement d’autonomie des appareils nomades auquel les solutions disponibles ne répondent qu’imparfaitement. Leur diffusion pourrait permettre de familiariser facilement nos concitoyens aux usages énergétiques de l’hydrogène. Aussi, vos rapporteurs soulignent-il qu’il serait particulièrement important que les conditions d’application de la réglementation en matière d’hydrogène puissent être précisées pour cet usage qui concerne de faibles quantités de ce gaz.

III. QUELLE PLACE POUR L’HYDROGÈNE DANS LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE ?

Si les orientations de la future loi sur transition énergétique ne nous seront connues que dans quelques mois, deux d'entre elles apparaissent dès aujourd’hui à peu près certaines. Il s’agit, d’une part, de la place croissante que les énergies renouvelables, tout particulièrement l’éolien et le solaire, seront amenées à prendre dans notre mix énergétique, et, d’autre part, de la nécessité, pour des raisons d’indépendance énergétique aussi bien que de neutralité climatique, de réduire notre dépendance vis-à-vis de énergies fossiles. Malgré les efforts engagés, depuis plus de vingt ans, dans ces deux directions, dans notre pays comme en Europe, l’intégration des énergies renouvelables dans le réseau électrique reste en partie problématique et notre consommation d’énergie fossile demeure stable. Dans quelle mesure l’hydrogène est-il susceptible, en tant que vecteur d’énergie, de nous aider à vaincre ces difficultés ?

A. L’INTÉGRATION DES ÉNERGIES RENOUVELABLES

1. Un réseau centralisé face à des énergies décentralisées

Qu’il s’agisse du solaire, de l'éolien ou de la biomasse, les énergies renouvelables ont pour caractéristique commune de capter une source d'énergie diffuse et répartie dans les territoires. Loin de représenter un inconvénient, cette caractéristique constitue leur principal atout. Ces nouvelles énergies offrent la promesse d’une production énergétique propre et décentralisée, au plus près des besoins. Paradoxalement, aujourd’hui, la plus grande part de ces installations se limite pourtant, tout comme les anciennes centrales électriques, à alimenter le réseau électrique national. La vision initiale d’une consommation locale de l’énergie est, de ce fait, devenue l’exception plutôt que la règle.

Le réseau électrique constitue l’un des dispositifs techniques les plus complexes de nos sociétés modernes. Son architecture a été conçue sur la base de moyens de productions puissants et centralisés, telles les centrales à énergie fossile ou nucléaire ou encore les barrages, irriguant, via une distribution capillaire, des dizaines ou centaines de milliers de consommateurs. Son déploiement sur l’ensemble du territoire national, des quartiers des grandes villes jusqu’aux plus petites communes et hameaux, a nécessité des investissements considérables, répartis sur plus d’un siècle. Son entretien et sa rénovation demandent un soin constant. Sa gestion implique de maintenir, à tout moment, sur toute son étendue, un délicat équilibre entre consommation et production d'électricité.

2. Les multiples impacts des nouvelles énergies sur le réseau

Le raccordement de moyens de production disséminés sur le territoire vient modifier les conditions de fonctionnement du réseau électrique. Au-delà de la création des raccordements correspondants, il peut s’avérer, à terme, nécessaire de renforcer certaines lignes à moyenne ou haute tension pour assurer l’équilibrage du réseau. C’est par exemple le cas en Allemagne, où de nouvelles liaisons à haute tension devront être construites, à raison de plusieurs milliers de kilomètres, pour assurer le transport d’électricité d’origine éolienne du Nord du pays vers le Sud industriel. Leur coût sera d’autant plus élevé qu’elles devront être suffisamment dimensionnées pour supporter les pointes de production de l’éolien, alors même que le facteur de charge de celui-ci est tout au plus de 25 %.

Qui plus est, la variabilité des énergies éolienne et solaire rend notablement plus délicate la gestion des équilibres entre production et consommation. Si les grandes fluctuations de la consommation électrique sont prévisibles – par exemple le pic hivernal du début de soirée – elles n’en restent pas moins pour partie aléatoires, au niveau national, a fortiori localement. Avec des moyens de production pilotables, tels que les centrales à flamme et nucléaires ou les barrages, il est relativement aisé d’adapter, en temps réel, la production à ces évolutions. Mais le raccordement d’énergies tributaires des variations du vent ou du ciel introduit une nouvelle source d’incertitude. Tant que leur part reste limitée, il demeure possible de jouer sur la souplesse des moyens de production pilotables pour compenser cette variabilité. Au-delà, de nouveaux moyens doivent être mis en œuvre.

3. La nécessité du stockage d’énergie

Plusieurs solutions complémentaires à ces difficultés sont, fort heureusement, actuellement envisagées. Il s’agit d’abord d’introduire, à tous les niveaux du réseau existant, des moyens de pilotage intelligents - regroupés sous le terme de « réseau intelligent » (en anglais smart grid) – utilisant les ressources du calcul informatique et des réseaux de communication. Il s’agit ensuite de rendre la consommation plus flexible afin de l’adapter, autant que possible, à la production, et non plus seulement l’inverse. Il s’agit enfin de mettre en œuvre des moyens complémentaires de stockage d'énergie, à plus ou moins grande échelle. Seule cette dernière voie est en mesure de compenser, sur la durée, des fluctuations importantes de la production des énergies renouvelables.

Associer moyens de stockage de l’énergie et énergies renouvelables variables permet de réduire de façon très sensible l’impact de ces dernières sur le réseau électrique existant, donc les besoins d’adaptation de celui-ci. Ces moyens de stockage ont bien entendu un coût mais celui-ci présente l’immense avantage d’être identifiable à l’avance. Force est de constater, sur l’exemple de l’Allemagne, qu’à l’inverse le déploiement d’énergies variables sans stockage associé conduit à découvrir a posteriori leurs effets sur le réseau et l’étendue des besoins de mise à niveau correspondants.

Toutefois, les technologies de stockage aujourd’hui mises en œuvre apparaissent limitées, en termes de capacité – c’est le cas des batteries électrochimiques –, de durée – c’est le cas des volants d’inertie –, ou de par leur localisation – c’est le cas des stations de pompages (STEP) –.

En comparaison avec celles-ci, l’hydrogène présente l’avantage décisif d’un très large champ d’application, d’un stockage individuel sur de courtes périodes à un stockage en grand volume, par exemple dans des mines de sel, sur de longues périodes. Il ne constitue pas pour autant une solution universelle. Il n’offre ni la même réactivité, ni le même rendement que les batteries ou les stations de pompage. Mais il peut permettre de répondre, combiné aux autres technologies, à la quasi-totalité des besoins de stockage identifiés à ce jour.

Néanmoins, l’hydrogène n’est pas seulement un moyen de stocker, par électrolyse, l’énergie électrique en surplus, pour la restituer, un peu plus tard, via une pile à combustible, sous la même forme. Son principal intérêt est au contraire de permettre un usage direct de l’énergie stockée pour des applications diversifiées : comme combustible pour véhicules ou pour la cogénération, pour être injecté directement dans le réseau gazier, pour enrichir des biocarburants, pour créer des carburants de synthèse ou encore comme composant pour la chimie.

Or, ces différents usages de l’hydrogène correspondent à des besoins en énergie bien plus importants que ceux qui pourraient être satisfaits par une restitution de cette énergie dans le réseau électrique. Il convient, en effet, de rappeler que l’électricité, produite dans notre pays, ne représente que 24 % de notre consommation d’énergie finale, soit à peine plus que la part du gaz naturel (20 %) et considérablement moins que la part du pétrole (43 %) qui sont deux sources d’énergie importées.

Nos voisins d’outre-Rhin n’ont pas manqué de faire ce même constat. Aussi n’est-il pas surprenant que les installations pilotes de stockage de l’électricité d’origine renouvelable que vos rapporteurs ont eu l’occasion de visiter en Allemagne visent toutes un usage direct de l’hydrogène, sans nouvelle conversion en électricité.

B. LA SUBSTITUTION DES ÉNERGIES FOSSILES

1. La persistance des hydrocarbures

La réduction, voire la suppression, de notre dépendance aux ressources fossiles constitue l’un des objectifs fondamentaux de la transition énergétique à venir. Dans le passé, notre pays est parvenu à s’affranchir en presque totalité de ces énergies émettrices de gaz à effet de serre pour sa production d’électricité, en faisant appel aux énergies hydraulique, nucléaire et, depuis les années quatre-vingt-dix, éolienne et solaire. Pour autant, notre consommation d’hydrocarbures, et singulièrement de pétrole, ne s’est pas infléchie, en une vingtaine d’années, malgré l’accroissement considérable du prix de ces énergies.

Les efforts conséquents réalisés, durant cette période, en matière d’efficacité énergétique dans les transports, le bâtiment et l’industrie et le renforcement simultané de nos moyens décarbonés de production d’électricité nous ont permis de faire face à la croissance des usages sans augmenter, ni diminuer, en termes de contenu énergétique, nos importations de pétrole, de gaz et de charbon (en 1990 comme en 2010, notre consommation de ressources fossiles représentait l’équivalent de 133 Mtep, alors que celle d’électricité passait de 83 à 115 Mtep) (11). À ce jour, notre consommation d’hydrocarbures est constituée pour les deux tiers de pétrole, utilisé pour l’essentiel dans les transports, et pour le dernier tiers de gaz naturel, destiné pour sa presque totalité aux secteurs industriel, résidentiel et tertiaire.

2. Une situation contrastée

Ainsi que cela a été souligné par M. Anthony Mazzenga, chef du pôle stratégie de GrDF, à l’occasion de son audition du 13 février 2013, la production de biométhane à partir des déchets ménagers et agricoles ainsi que de la biomasse ligneuse, pourrait à elle seule répondre, à l’horizon 2050, à une demande en énergie équivalente à notre consommation actuelle en gaz naturel. Indépendamment des décisions susceptibles d’être prises dans le cadre de la transition énergétique à venir, pour mener à bien une telle substitution ou réduire notablement la consommation de gaz dans notre pays, la substitution du gaz naturel pourrait sans doute, à terme, être assurée à partir des ressources renouvelables aujourd’hui identifiées dans notre pays. Le cas échéant, pour compléter ou accélérer une telle évolution, l’hydrogène pourrait venir se mélanger au gaz naturel, à hauteur d’environ 5 %, sans modification des équipements en place, de 20 %, au prix d’adaptations de ceux-ci ou même au-delà, sous forme de méthane de synthèse.

Il en va tout autrement pour le pétrole et ses dérivés. Comme l’a souligné M. Pierre-René Bauquis, ancien directeur de la stratégie du groupe Total et membre de notre comité d’experts, lors de son audition du 11 avril 2013, les atouts des hydrocarbures liquides – haute densité énergétique, facilité d’emploi, de stockage et de distribution – sont tels qu’ils seront difficiles à remplacer dans les transports terrestres.

De toute évidence, compte tenu de son faible rayon d’action, la voiture électrique ne pourra à elle seule détrôner le couple magique constitué, depuis plus d’un siècle, par les carburant pétroliers et le moteur à explosion. Quant à l’hybridation, certes elle permet de limiter la consommation des véhicules, mais tant qu’elle associe électricité et carburants traditionnels, elle ne permettra pas de s’affranchir de ces derniers et des émissions de gaz carbonique associées.

En dernière analyse, nous ne pourrons faire l’économie, dans ce secteur, d’un ou – plus probablement – plusieurs nouveaux vecteurs énergétiques, aptes à se substituer directement au pétrole et à ses dérivés, sans modification du parc existant, ou à prolonger l’autonomie des véhicules électriques sans émission de gaz à effet de serre.

L’hydrogène pourrait être l’un de ces vecteurs, sous réserve de parvenir à abaisser son coût à la pompe ainsi que celui des véhicules eux-mêmes, ce qui semble être en bonne voie. Comme indiqué précédemment, la faible densité de l’hydrogène conduit à privilégier une production décentralisée, au plus près des besoins, soit par reformage à partir de biogaz, soit par électrolyse, à partir d’électricité d’origine renouvelable ou nucléaire.

Si l’hydrogène n’est pas le seul combustible alternatif envisageable, il interviendra dans l’élaboration des autres vecteurs de substitution envisageables à ce jour : le méthane de synthèse obtenu par méthanation, les carburants liquides synthétisés par le procédé Fischer-Tropsch ou encore les carburants de deuxième génération, enrichis en hydrogène.

Si vos rapporteurs reconnaissent l’intérêt des carburants de synthèse, ils les considèrent avant tout comme des solutions transitoires permettant une adaptation du parc de véhicules existants.

Enfin, ainsi que l’a précisé M. Pierre-René Bauquis, l’hydrogène sera utilisé en quantités croissantes dans les raffineries elles-mêmes pour enrichir des produits pétroliers de plus en plus lourds et de plus en plus pauvres en hydrogène.

IV. QUELLE GOUVERNANCE POUR LA FILIÈRE HYDROGÈNE ÉNERGIE ?

A. UNE FILIÈRE À FORT POTENTIEL

À l’occasion de leurs entretiens et déplacements, les rapporteurs ont progressivement pris conscience de l’extraordinaire potentiel scientifique et industriel dont la France dispose dans le domaine de l’hydrogène énergie. Cette situation résulte de la conjonction d’un tissu industriel préexistant, avec notamment des groupes de dimension internationale tels qu’Air Liquide, Total, GDF-Suez ou Areva, et d’un investissement conséquent réalisé en terme de recherche et développement au milieu des années 2000 et poursuivi avec opiniâtreté depuis, avec des moyens plus réduits.

Mais ces atouts ne semblent pas, à ce jour, devoir conduire notre pays à prendre une position de premier plan dans ce domaine, faute d’une orientation claire sur les priorités à adopter. Le manque de reconnaissance du potentiel industriel et économique de cette nouvelle filière de la part des pouvoirs publics a été l’un des obstacles les plus souvent soulignés au cours de nos auditions. L’absence de toute avancée concernant l’adaptation, pourtant incontournable, de la réglementation relative à l’hydrogène – sinon au travers de la transposition d’une directive européenne relative à l’immatriculation des véhicules à hydrogène – a été ressentie comme une marque de désintérêt, d’autant que cette situation vient entraver des projets considérés comme banals au-delà de nos frontières, comme par exemple l’équipement d’un entrepôt en chariots élévateurs à hydrogène dans le sud de la France.

Si des organismes tels que l’ADEME et le CEA ainsi que certaines collectivités territoriales font preuve d’une cohérence de long terme, qu’il convient de saluer ici, dans le suivi des actions qu’ils ont engagées, ils ne peuvent suppléer l’absence de définition d’une politique globale sur l’hydrogène énergie dans notre pays. Faute d’un minimum de visibilité sur le rôle dévolu à ce nouveau vecteur dans notre futur système énergétique national, il est assez naturel qu’un certain nombre des acteurs concernés, qu’ils soient déjà en place ou nouveaux entrants, hésitent à s’engager plus avant.

B. LA NÉCESSAIRE INTERVENTION DE L’ÉTAT

La position attentiste de notre pays vis-à-vis de l’hydrogène énergie contraste de façon saisissante avec celle de ces deux grandes puissances industrielles que sont l’Allemagne et le Japon, qui ont toutes deux décidé d’engager les efforts nécessaire au développement d’une nouvelle filière industrielle dédiée à ce vecteur. Les justifications de leur choix différent sans doute pour partie : alors que le Japon voit d’abord dans l’hydrogène un vecteur permettant de mettre en concurrence toutes les sources d’énergie, pour l’Allemagne celui-ci doit avant tout permettre l’intégration, à moindre coût, des énergies renouvelables.

Mais, au-delà de la satisfaction de leurs besoins propres, ces deux pays s’accordent à considérer les applications énergétiques de l’hydrogène comme l’opportunité de conquérir de nouveaux marchés de haute technologie à fort potentiel de développement. L’expansion de la part des énergies variables dans la production mondiale d’électricité conduira en effet inéluctablement à l’essor des applications énergétiques de l’hydrogène.

Nos entretiens sur place nous ont permis de constater qu’une fois identifié le potentiel de la filière hydrogène énergie, l’Allemagne et le Japon ont suivi une méthodologie somme toute assez similaire. En premier lieu, ils ont désigné ou créé une instance chargée de suivre et de coordonner la politique du pays dans ce secteur. En second lieu, ils ont défini, pour chacun des domaines d’application visés, une feuille de route précisant les objectifs scientifiques et industriels à atteindre. Ces derniers ont été fixés en commun accord avec les acteurs concernés, notamment les industriels qui seront conduits à réaliser l’essentiel des investissements. En troisième lieu, l’accompagnement de l’État s’est aussi concrétisé par l’engagement de moyens publics destinés à faciliter la recherche et l’innovation, ainsi que par la préparation des adaptations réglementaires pertinentes.

Les rapporteurs conçoivent qu’une telle approche, interventionniste, de l’État, puisse apparaître quelque peu hétérodoxe à certains, soucieux de ne pas entraver l’action miraculeuse de « la main invisible du marché ». Néanmoins, force est de constater, sans a priori, qu’elle est empreinte de pragmatisme, puisqu’elle permet de mobiliser et de coordonner au mieux les ressources disponibles. Qui plus est les résultats obtenus par ces deux pays sur le plan industriel témoignent de sa pertinence, même si elle ne constitue pas, bien entendu, l’unique explication de leur réussite. Aussi, les rapporteurs considèrent-ils que notre pays gagnerait, sans doute, à s’inspirer d’une telle démarche, au-delà même du seul cas de la filière hydrogène énergie.

À cet égard, les rapporteurs rejoignent pleinement la position suivante récemment affirmée par les membres de la Mission d’information de la Conférence des présidents de l’Assemblée nationale sur les coûts de production en France (12) : « Afin de reconstruire un appareil productif français et de promouvoir une politique cohérente en la matière, la mission en appelle à une vision du rôle de l’État comme stratège, en capacité d’initier ou d’encourager des stratégies cohérentes, notamment de filières ». Cette même mission a par ailleurs rappelé l’opportunité représentée, dans le contexte actuel, par la « croissance verte » et plus précisément par l’investissement dans les industries en lien avec les énergies renouvelables.

S’il ne nous revient pas de juger de la pertinence d’un choix de l’État en faveur de la filière hydrogène énergie – celui-ci ne pouvant, compte tenu des circonstances du moment, se faire qu’au détriment d’autres options –, nous estimons que si une telle décision devait être prise, les atouts dont notre pays dispose dans ce secteur et le travail préparatoire réalisé par les associations professionnelles de cette filière permettra de la mettre rapidement en ordre de bataille pour la conquête de nouveaux marchés. Le Gouvernement pourrait, en effet, utilement s’appuyer sur des structures existantes, telles que l’AFHYPAC (13) ou ALPHEA (14), ainsi que sur leurs travaux, pour préciser ses objectifs et faciliter le dialogue avec l’ensemble des acteurs concernés.

C. LE RÔLE INCONTOURNABLE DES TERRITOIRES

Afin de limiter les multiples impacts des énergies renouvelables variables sur le réseau électrique, nos voisins d’outre-Rhin, plus avancés dans leur mise en œuvre, se sont résolument engagés dans la voie du stockage décentralisé. L’annonce, le 1er mai 2013, d’un programme visant à favoriser l’installation de systèmes de stockage couplés à des panneaux photovoltaïque (15), en fournit une première illustration. Ainsi que nous avons pu le constater à l’occasion de visites d'installations pilotes, l’hydrogène est appelé, dans ce cadre, à prendre une place de premier plan, en raison de son adaptabilité, et parce qu’il permet des usages locaux diversifiés de l’énergie emmagasinée.

Cette orientation est évidemment parfaitement conforme à la nature décentralisée des énergies renouvelables. Elle est aussi cohérente avec d’autres évolutions technologiques en cours, notamment dans le domaine des réseaux intelligents (smart grid). Ces derniers permettront d’assurer une gestion des ressources et de la consommation plus dynamique et plus fine mais aussi plus souple et plus décentralisée. Il deviendra dès lors possible d’envisager une organisation du réseau électrique plus modulaire et plus robuste, basée sur l’agrégation de sous-réseaux correspondant chacun à un territoire. La technologie des microgrid, destinée à permettre une gestion locale des ressources énergétiques, commence à être mise en œuvre, à petite échelle, outre-Atlantique. Loin de remettre en cause l’interconnexion des réseaux, une telle évolution contribuerait à la faciliter en les rendant moins sensibles à des perturbations localisées.

Si les nouvelles technologies concourent à la décentralisation des systèmes énergétiques, celle-ci ne se réalisera pas sans une profonde modification de la gouvernance de ces derniers. Les acteurs traditionnels n'ont a priori guère intérêt à la favoriser, dans la mesure où ils pourraient avant tout la voir comme un risque de perte de contrôle sur une partie de la production énergétique et du réseau. Donner – ou plutôt rendre – la main aux territoires sur leurs ressources énergétiques locales constitue donc un préalable incontournable à la mise en œuvre des évolutions technologiques à venir.

Il ne s’agit pas, dans notre esprit, de nier la primauté du Gouvernement sur la définition et la mise en œuvre de la politique énergétique du pays. Son intervention sera d’autant plus nécessaire pour assurer la coordination et les solidarités entre les territoires. Il ne s’agit pas non plus de remettre en cause le système énergétique existant ou le rôle majeur joué par les grandes entreprises du secteur. Au contraire, nous pensons que cette évolution permettra de mieux préserver l’atout concurrentiel essentiel que constituent nos moyens de productions massifs et centralisés, ainsi que le réseau électrique associé, en réduisant considérablement l’impact de la variabilité des principales énergies renouvelables.

Les territoires représentent, à notre sens, le niveau adéquat pour assurer une gestion rationnelle d’énergies renouvelables par essence décentralisées et dépendantes des caractéristiques géographiques et climatiques locales, qui doivent aussi pouvoir répondre aux besoins d’un tissu économique spécifique. Les territoires sont également à même de tirer le meilleur parti de la « croissance verte », principalement créatrice d’emplois locaux. De plus, la décentralisation de la gestion des nouvelles énergies, souvent victimes du syndrome nimby (16), faciliterait leur acceptation sociale qui est la condition de leur efficience (par exemple il est en général préférable de valoriser les déchets ménager à proximité des villes qui les produisent). Enfin, une gestion plus proche des citoyens leur permettrait de mieux appréhender les enjeux de l'énergie, une ressource encore trop souvent tenue pour acquise.

Nous proposons donc un nouveau partage de la gouvernance énergétique, qui répond à trois objectifs. En premier lieu, il s’agit de prendre en compte
– plutôt que de continuer à contrecarrer – la décentralisation des systèmes énergétiques découlant de trois évolutions technologiques simultanées : les énergies renouvelables, l’hydrogène énergie et les réseaux intelligents. En deuxième lieu, il s’agit d’optimiser les bénéfices résultant de la mise en
œuvre de ces nouvelles technologies, ce en assurant leur gestion au niveau adéquat qui est celui des territoires. En troisième lieu, il s’agit de préserver l’intégrité de notre système de production énergétique existant, qui constitue à la fois un atout concurrentiel majeur pour nos entreprises, notamment électro-intensives, et le socle énergétique nécessaire au développement des nouvelles formes d’énergie.

D. LA QUESTION DE LA RÉGLEMENTATION

L’acceptation sociale de l’hydrogène est conditionnée par la confiance du public en sa sûreté. Au même titre que tout autre combustible, l’hydrogène est un concentré d’énergie qui présente des risques de feux et d’explosion. Il n’est ni plus ni moins dangereux que d’autres gaz utilisés dans la vie domestique, tel le méthane. S’il s’enflamme plus facilement que d’autres combustibles, l’hydrogène présente le double avantage d’une complète absence de toxicité et d’une grande légèreté qui lui permet de se dissiper très rapidement dans l’air en cas de fuite. Néanmoins, certaines de ses caractéristiques, par exemple l’absence de flamme visible lors de la combustion, nécessitent de prendre des précautions spécifiques.

Les applications industrielles de l’hydrogène ont permis l’élaboration de normes et de réglementations pour son traitement centralisé dans quelques grandes installations. Mais la diffusion beaucoup plus large de l’hydrogène qu’implique son usage énergétique nécessite d’adapter ces normes et règlements, ou d’en élaborer de nouveaux. Lors de l’audition publique du 30 octobre 2013, M. Nicolas Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels à la Direction générale de la prévention des risques a tout à la fois présenté de façon très complète la réglementation actuelle et souligné l’ampleur du travail en cours pour adapter celle-ci aux nouvelles applications de l’hydrogène.

À ce sujet, de nombreux acteurs de la filière hydrogène nous ont fait part des difficultés qu’ils rencontraient du fait d’une réglementation inadaptée, celle en vigueur considérant toujours ce gaz comme un composant chimique manipulé en grandes quantités dans des installations industrielles de type ICPE (installations classées pour la protection de l'environnement). Ainsi, la construction d’une petite unité de production d’hydrogène par électrolyse de l’eau nécessite-t-elle a priori de s’astreindre à un processus d’autorisation extrêmement complexe, puisque conçu pour une installation industrielle, avec des délais de l’ordre de 12 à 18 mois pour obtenir un agrément. Qui plus est, du fait de l’absence de réglementation adaptée, la réponse du service concerné, la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement), peut varier d’un département à l’autre.

Cette absence de cadre réglementaire adapté entraîne aussi une réticence des assureurs à garantir les risques liés aux usages énergétiques de l’hydrogène, ce qui se traduit par des délais supplémentaires et, le cas échéant, une surévaluation des primes.

Fort heureusement, s’agissant des véhicules à hydrogène, une directive européenne impose désormais la délivrance d’un certificat d’immatriculation, sous réserve de conformité aux normes de sûreté. Une voiture à hydrogène peut donc être immatriculée en France. Pour autant, l’installation d’une station à hydrogène reste toujours problématique dans le cadre réglementaire existant.

Lors de l’audition du 14 février 2013, M. Vincent Laflèche, directeur général de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), nous a informés que son institut n’avait pas été missionné pour étudier spécifiquement la question de la sûreté de l’hydrogène en vue d’une évolution de la législation. Interrogé à ce sujet par vos rapporteurs à l’occasion de l’audition publique du 30 octobre 2013, M. François Rousseau, responsable du pôle substances et procédés de l’INERIS a évoqué une mission limitée, relative à la veille technologique, à la participation à des groupes de travail sur l’élaboration de la réglementation ou encore l’élaboration de bonnes pratiques. Vos rapporteurs considèrent que l’INERIS doit être plus fortement mobilisé sur le sujet de l’adaptation de la réglementation.

Ainsi que l’a expliqué M. Nicolas Chantrenne, l’adaptation d’une réglementation relativement complexe à des usages émergeants nécessite du temps. Aussi, vos rapporteurs proposent-ils que dans l’attente de ces évolutions, les DREAL puissent disposer de l’appui d’un interlocuteur en central pour les aider à évaluer les dossiers qui leur sont soumis en région.

Cet interlocuteur pourrait prendre la forme d’un groupe de travail pluraliste regroupant les experts de la direction générale de la Prévention des risques et de la direction générale de la Sécurité civile et gestion des crises, de l’INERIS, de l’AFNOR, des acteurs industriels et d’au moins une association de défense de l’environnement. Ce groupe de travail chargé d’instruire les demandes d’autorisation transmises à la DGPR par les DREAL se réunira au moins une fois par mois. Ce dispositif expérimental pourra, le cas échéant, être étendu à d’autres « filières émergeantes ».

En complément de la création de ce groupe de travail, afin de limiter pour les entreprises innovantes l’incertitude sur la faisabilité de leurs demandes et sur les délais de réponse, il pourrait être fixé des délais maximum de trois mois pour la réponse initiale sur la faisabilité d’une nouvelle demande et de douze mois pour l’instruction complète d’un dossier.

CONCLUSION

Les efforts simultanés de recherche et développement engagés, ces dernières années, par plusieurs pays sur les technologies de l’hydrogène énergie ont permis de lever les derniers verrous qui limitaient l’usage de ce nouveau vecteur. Ses applications sont désormais une réalité, même si les premières concernent encore des marchés spécifiques, de taille limitée.

Dans ce contexte, notre pays dispose de réels atouts résultant des investissements réalisés depuis de nombreuses années sur toute la chaîne de valeur de l’hydrogène énergie, notamment au travers de nombreux brevets déposés sur des technologies telles que l’électrolyse, les piles à combustible ou encore le stockage d’hydrogène sous forme solide.

À l’occasion de leurs auditions et déplacements, vos rapporteurs ont pu mesurer la mobilisation dans ce domaine de nos chercheurs, chefs d’entreprise et collectivités territoriales, ainsi que les obstacles que ces divers acteurs rencontrent pour développer leurs innovations. De fait, contrairement à des pays tels que l’Allemagne ou le Japon, nous ne nous sommes pas encore dotés d’une démarche structurée nous permettant de coordonner nos efforts pour conquérir les nouveaux marchés des applications énergétiques de l’hydrogène.

Il revient d’abord au Gouvernement de donner un signal clair quant à son engagement de long terme – sur une période d’au moins cinq, si possible dix ans – pour le développement de ces nouvelles technologies de l’hydrogène. Une concertation approfondie avec l’ensemble des acteurs concernés – industriels, centres de recherche, collectivités territoriales, associations, organismes publics – doit permettre de définir des objectifs partagés pour le développement d’une nouvelle filière industrielle permettant de répondre aux besoins de notre pays, notamment dans le cadre de la transition énergétique et, sur cette base, de conquérir, dans la mesure possible, de nouveaux marchés. Enfin, une structure doit être chargée du suivi de ce plan de développement sur l’ensemble de la période considérée.

Il ne s’agit pas, dans l’esprit de vos rapporteurs, de dupliquer dans nos territoires des initiatives déjà prises par d’autres et qui ne correspondraient pas à nos besoins. Tout au contraire, cette démarche devra viser à identifier et à valoriser les opportunités qui nous sont propres, au niveau national aussi bien que local.

*

* *

Malgré les progrès technologiques réalisés, l’hydrogène énergie restera, du fait de coûts de transport élevés, une ressource avant tout locale permettant de valoriser au mieux des énergies renouvelables elles-mêmes décentralisées par nature, car liées aux caractéristiques géographiques et climatiques de chaque territoire.

Aussi considérons-nous, au-delà du seul cas de l’hydrogène, que le développement de ces nouvelles énergies doit laisser une place plus importante à l’initiative locale, seule à même d’effectuer les choix adaptés aux particularités des territoires. Nous devons, dans ce domaine, tirer les leçons de l’expérience de nos voisins européens, singulièrement de l’Allemagne qui, forte de son avance, favorise désormais le déploiement de solutions de stockage décentralisées, en liaison avec les énergies variables telles que le solaire ou l’éolien, ainsi que de l’usage direct du vecteur énergétique hydrogène ainsi généré, notamment dans les transports.

Mais la réussite de cette démarche d’innovation implique aussi de repenser les procédures réglementaires. La réglementation fournit un cadre essentiel au développement économique, mais son adaptation à de nouvelles technologies ou de nouveaux usages requiert forcément du temps. En attendant, des dispositions provisoires doivent permettre de statuer, dans des délais acceptables, sur les projets innovants.

Si vos rapporteurs ont choisi de limiter leurs propositions à la création des conditions nécessaires au développement d’une filière hydrogène nationale et à l’adaptation de la réglementation, c’est afin de pouvoir mieux s’assurer de la prise en compte de ces orientations qu’ils jugent prioritaires. Suivant la pratique de l’Office, ils seront donc conduits à s’assurer, dans les prochains mois, de leur prise en compte.

RECOMMANDATIONS

Cinq orientations pour structurer une filière hydrogène-énergie nationale

Orientation n° 1 - Mettre en place le triptyque organisationnel nécessaire au développement d’une filière hydrogène nationale ainsi qu’un comité d’orientation

1- Le Gouvernement doit affirmer, au plus haut niveau et au plus tôt, l’importance stratégique, pour la réussite de la transition énergétique, du vecteur énergétique hydrogène, ainsi que du développement d’une filière industrielle nationale correspondante.

2- Programme et financement

- Fédérer, avant le 30 juin 2014, les acteurs de la filière hydrogène autour d’un projet et programme cohérent de développement à moyen terme, permettant à notre pays de disposer, d’ici cinq à dix ans, de solutions compétitives sur les principaux points de la chaîne de valeur allant de la production à l’utilisation de l’hydrogène-énergie, en passant par le stockage énergétique.

- Mobiliser les ressources du secteur privé en faisant appel aux partenariats public-privé, aux niveaux national, régional et local.

- Compléter la mise en place de ce triptyque par l’ajout, compte tenu du caractère transverse de l’hydrogène-énergie, d’un 35ème plan de reconquête dédié au développement de ses applications.

3- Un coordonnateur

- Créer, avant le 30 juin 2014, un Comité national d’orientation de la filière hydrogène, placé sous l’égide du ministère du Redressement productif, qui sera une instance de concertation, d’orientation et de suivi, intégrant notamment des représentants de l’État, de l’Ancre, de l’Office parlementaire, des territoires, ainsi que des principaux acteurs industriels et PME du secteur, afin d’assurer le suivi du plan de développement défini pour la filière.

Orientation n° 2 - Lever les freins à l’innovation d’ordre réglementaire

- Avant le 31 mars 2014, repréciser les conditions d’application aux usages énergétiques de l’hydrogène de la réglementation existante en matière de production industrielle d’hydrogène, notamment au regard d’utilisations individuelles en volumes limités ou à usage interne.

- Réévaluer, avant le 31 mars 2014, les seuils relatifs au stockage d’hydrogène, notamment au regard d’utilisations individuelles en volumes limités ou à usage interne.

- Missionner l’INERIS, avant le 31 mars 2014, en liaison avec l’initiative de la commission de normalisation AFNOR « technologies de l’hydrogène » relative à l’élaboration d’un référentiel technique des nouveaux usages de l’hydrogène, afin d’accélérer l’élaboration d’une réglementation adaptée à ces usages, en vue d’une réglementation commune à l’ensemble des gaz énergétiques.

- Créer, avant le 31 mars 2014, un groupe de travail pluraliste regroupant les experts de la direction générale de la Prévention des risques et de la direction générale de la Sécurité civile et gestion des crises, de l’INERIS, de l’AFNOR, des acteurs industriels et d’au moins une association de défense de l’environnement. Ce groupe de travail chargé d’instruire les demandes d’autorisation transmises par les DREAL se réunira au moins une fois par mois.

- Prendre, avant le 30 juin 2014, toute mesure nécessaire pour limiter à trois mois le délai de réponse initiale sur la faisabilité d’une nouvelle demande d’installation dans le domaine de l’hydrogène énergie et à douze mois le délai d’instruction complète de ce type de dossier.

- Simplifier l’ensemble de ces réglementations en s’inspirant du modèle allemand de dispositions communes à l’ensemble des gaz énergétiques.

Orientation n° 3 – Créer les conditions du développement de nouveaux marchés de l’hydrogène-énergie

- Exonérer, durant une période transitoire, l’hydrogène de toute taxation, à l’exception de celui produit à partir d’hydrocarbures. Cette mesure serait gagée par l’introduction d’une taxation des hydrocarbures lorsqu’ils sont utilisés, en tant que matière première, pour produire de l’hydrogène, notamment à des fins de raffinage des produits pétroliers.

- Faire bénéficier les installations de production d’hydrogène par électrolyse d’un accès à une électricité détaxée, sur le modèle du régime accordé par l’article 265 bis du Code des douanes aux installations de production d’électricité pour leur approvisionnement en produits pétroliers. Cette mesure pourrait être gagée par une suppression de cette dernière exonération.

- Faciliter, en l’absence de projet des constructeurs nationaux en matière de véhicules à hydrogène, le développement des solutions de prolongation d’autonomie basées sur l’hydrogène, complémentaires aux véhicules électriques, en étendant, avant le 30 juin 2014, le bénéfice du bonus écologique aux véhicules utilitaires – notamment électriques ou à hydrogène – dont le seuil d’émission de CO2 est inférieur à 20 g/km, afin de ne pas alourdir la fiscalité des entreprises, ce bonus serait uniquement gagé par un aménagement du malus écologique sur les véhicules de tourisme.

- Favoriser, comme cela a été fait pour les véhicules utilitaires électriques, le déploiement de flottes de véhicules utilitaires électriques dotés d’un prolongateur à hydrogène, mieux adaptés aux usages intensifs, dans les administrations et entreprises publiques, en veillant chaque fois que possible à prendre en compte, lors de l’installation des bornes de chargement, la possibilité d’une ouverture, à terme, au public (ergonomie, positionnement dans les locaux, adjonction d’un moyen de paiement…).

Orientation n° 4 – Une nouvelle place pour les territoires : donner toute leur place aux initiatives locales pour mieux les fédérer et tendre vers une nouvelle gouvernance territoriale de l’énergie, complémentaire de la démarche nationale

- Sur le modèle de création d’un pôle de l’hydrogène dans le cadre du PACTE Lorraine, assurer l’émergence de filières hydrogènes locales cohérentes par la mise en œuvre de « contrats particuliers État-Région » dans les autres territoires qui disposent d’un potentiel dans ce domaine.

- Encourager les collectivités territoriales à favoriser, dans les administrations et entreprises publiques, le déploiement de solutions innovantes basées sur l’hydrogène et/ou les piles à combustible pour des applications telles que la cogénération dans les bâtiments à haute efficacité énergétique, l’alimentation de sites isolés, etc.

- Favoriser le déploiement des énergies renouvelables intermittentes, telles que l’éolien ou le solaire, en liaison avec le stockage de l’électricité sous forme d’hydrogène (production – stockage – utilisation).

Orientation n° 5 – Prendre en compte la dimension européenne du développement de l’hydrogène énergie

- Développer la coopération internationale en matière de recherche, notamment avec nos voisins allemands, dans des domaines tels que les matériaux, l’électrolyse, la méthanation ou encore la sûreté de l’hydrogène.

- Encourager la mise en place d’un cadre européen adapté aux nouveaux usages énergétiques de l’hydrogène et à l’infrastructure associée, sur l’exemple de ce qui a déjà été fait en matière de réglementation pour l’immatriculation des véhicules à hydrogène.

EXAMEN DU RAPPORT PAR L’OFFICE

L’OPECST s’est réuni le 18 décembre 2013, sous la présidence de M. Bruno Sido, président, pour examiner le présent rapport.

« M. Bruno Sido, sénateur, président. – J’ai le plaisir de vous accueillir au Sénat pour la dernière fois de l’année 2013 pour examiner le rapport de nos collègues, M. Laurent Kalinowski et M. Jean-Marc Pastor, sur « L’hydrogène : vecteur de la transition énergétique ? ».

M. Laurent Kalinowski, député, rapporteur. –Mes chers collègues, avec Jean-Marc Pastor, nous allons aujourd’hui vous présenter le rapport final de notre étude sur les usages énergétiques de l’hydrogène.

Nous vous avions tenu informés de l’avancement de nos travaux au mois de juin dernier, à l’occasion d’un point d’étape, afin d’apporter notre contribution au débat sur la transition énergétique. Comme je ne suis pas certain que vous ayez tous été présents à cette réunion, nous allons revenir sur certains des thèmes que nous avions abordés à l’époque, en essayant de leur donner, dans la mesure du possible, un nouvel éclairage. Mais pour éviter de lasser les plus assidus d’entre vous, nous avons choisi d’insister surtout sur nos recommandations majeures.

Ainsi que nous l’avions précisé en juin dernier, nous nous sommes attachés, avec Jean-Marc Pastor, à suivre scrupuleusement la démarche d’investigation qui est celle de l’Office. Nous avons procédé à une large consultation, au travers d’auditions et de plusieurs déplacements sur le terrain, en France comme à l’étranger. Au total, au cours de notre étude, nous avons ainsi rencontré près de deux cents acteurs directement impliqués dans les usages énergétiques de l’hydrogène ou, plus largement, les questions énergétiques. Depuis notre point d’étape, nous avons organisé une audition publique ainsi que plusieurs auditions privées et nous nous sommes rendus en Lorraine, avec Jean-Yves Le Déaut, pour visiter le laboratoire d’énergétique et de mécanique théorique et appliquée – le LEMTA – et dialoguer avec les industriels impliqués dans la démarche en cours, dans le cadre du PACTE Lorraine, pour la construction d’une filière hydrogène dans cette région.

Je voudrais aussi revenir sur la saisine à l’origine de notre étude. Le président de la Commission des affaires économiques du Sénat précisait dans celle-ci qu’il souhaitait que les nombreuses questions posées par le développement d’une filière hydrogène allant de la production de ce gaz à son utilisation, en passant par son stockage et son transport, soient étudiées avec le plus grand soin. C’est en priorité ce que nous nous sommes attachés à réaliser avec Jean-Marc Pastor. Toutefois, nous n’avons pas non plus voulu ignorer le contexte actuel qui est celui des réflexions en cours sur la transition énergétique, ni la question des conditions du développement d’une filière hydrogène nationale.

Avant de laisser la parole à Jean-Marc Pastor sur ce deuxième volet de notre étude, je vais donc d’abord m’attacher à répondre succinctement aux questions du président de la Commission de l’économie du Sénat sur les problèmes que posent les différentes étapes de production, de stockage, de transport et de distribution de l’hydrogène.

L’hydrogène est, pour tout dire, un gaz aux propriétés singulières. Ainsi, il est – et de loin – l’élément le plus répandu sur notre terre, et pourtant il est presque impossible de l’y trouver sous une forme autre que combinée avec de l’oxygène ou du carbone. De la même façon, il présente tout à la fois une très grande densité énergétique par unité de poids et très faible par unité de volume. Ce sont ces caractéristiques, quelque peu paradoxales, qui expliquent les difficultés qu’a pu poser – et pose encore – son utilisation industrielle.

J’en viens d’abord à sa production. L’hydrogène, comme je viens de l’indiquer, est rarement présent à l’état naturel sous la forme pure de dihydrogène. Des sources d’hydrogène existent néanmoins sur notre planète. L’IFP Énergies nouvelles s’emploie d’ailleurs depuis quelques mois à les identifier et à évaluer la faisabilité de leur exploitation. Lors de l’audition publique que nous avons organisée le 30 octobre dernier sur les enjeux du vecteur hydrogène, M. François Kalaydjian, directeur adjoint aux ressources énergétiques de cet institut, a d’ailleurs précisé la localisation des sources possibles en Europe : au nord de l’Italie, à Chypre, en Grèce, en Russie, ainsi qu’en faible quantité dans le bassin du sud-est de la France. Il a aussi confirmé ce que nous avait dit son président, M. Olivier Appert : la découverte d’une nouvelle source d’énergie ne garantit pas que celle-ci sera exploitable dans des conditions économiques et environnementales acceptables. Aussi, nous considérons, avec Jean-Marc Pastor, que ces recherches doivent être poursuivies, en donnant bien entendu la priorité aux potentialités de notre territoire national.

En attendant d’avoir plus de certitudes sur les conditions d’exploitation de cet hydrogène naturel, l’essentiel de l’hydrogène produit aujourd’hui – soit environ un million de tonnes en France destinés en priorité à la chimie et à la pétrochimie – l’est à partir de gaz naturel ou d’autres hydrocarbures. Les technologies correspondantes, vaporeformage, vapocrackage, etc., sont bien maîtrisées et sans cesse optimisées – l’IFPEN travaille également sur cette question moins révolutionnaire que l’hydrogène naturel. En sortie d’usine, le prix moyen de l’hydrogène obtenu, de l’ordre de deux euros le kilo, est tout à fait compétitif. Pour autant, utiliser cet hydrogène comme substitut aux hydrocarbures n’aurait que peu d’intérêt, puisque ça production est émettrice de CO2. Il en va bien entendu tout autrement si l’on remplace le gaz naturel par du biogaz ou le charbon par des matériaux ligneux.

Mais le mode de production de l’hydrogène le plus prometteur à court et à moyen terme pour les applications énergétiques est l’électrolyse de l’eau. Depuis sa découverte au XVIIIe siècle, ce procédé a fait l’objet de nombreux développements. Il existe à ce jour trois technologies principales : les électrolyseurs alcalins, à membrane à échange de proton (PEM) et à électrolyte céramique solide. Malheureusement, chacune de ces trois technologies présente des inconvénients.

Compte tenu de ces limites, nous pensons que le domaine de l’électrolyse reste un champ d’investigation scientifique et de développement industriel assez largement ouvert. L’extension des applications énergétiques de l’hydrogène devrait conduire à un accroissement de la demande en électrolyseurs de toutes tailles. Nos centres de recherche et nos industriels sont plutôt bien placés dans ce domaine. Il s’agit donc d’un axe de développement à soutenir.

Pour aider au développement, dans notre pays, de ce marché prometteur de l’électrolyse, nous proposons une première mesure qui nous semble être de bon sens. Il s’agirait de la détaxation de l’électricité destinée à l’électrolyse de l’eau. Cette mesure n’est d’ailleurs que l’inversion, dans un sens vertueux, de celle prévue aujourd’hui par le Code des douanes en faveur des installations de production d’électricité à partir d’hydrocarbures.

Je vais dire à présent quelques mots du transport, du stockage et de la distribution de l’hydrogène. Principalement du fait de sa très faible densité, son stockage, son transport et sa distribution s'avèrent plus difficiles que pour les carburants liquides.

Néanmoins, les progrès réalisés dans le domaine du stockage, sous pression – à 350 ou 700 bars –, ou sous forme solide, notamment dans les hydrures, font que même dans le cas d’une application exigeante, comme les transports automobiles, la palette de solutions disponibles devrait permettre de répondre aux besoins, à des coûts potentiellement acceptables, après industrialisation.

Il en va tout autrement dans le cas du transport de l’hydrogène, qui reste et restera sans doute à l’avenir coûteux. Pour cette raison, nous estimons que les solutions permettant de produire l’hydrogène au plus près des lieux de consommation, de façon décentralisée, doivent être privilégiées.

Quant à la question de la distribution de l’hydrogène, elle se pose d’abord dans le secteur automobile. Est-il possible de mailler le territoire avec des stations à hydrogène, comme cela a été fait par le passé pour l’essence et le diesel, ou pour le gaz naturel véhicule dans certains pays ? Faut-il le faire avant ou après le déploiement d’un parc de véhicules à hydrogène et à quel rythme ? Certains pays, comme le Japon, la Corée, mais aussi l’Allemagne ou les pays de l’Europe du nord, ont, semble-t-il, répondu à cette question puisqu’ils prévoient d’installer, par avance, plusieurs dizaines ou centaines de stations à hydrogène. À fin 2012, plus de 200 de ces stations étaient installées dans le monde.

Dans des pays tels que l’Allemagne, la Corée du Sud ou le Japon, ce sont les constructeurs automobiles qui prendront en charge la plus grande partie des investissements nécessaires, puisque c’est le préalable à la commercialisation de nouvelles gammes de voitures à hydrogène dont la sortie est annoncée aux alentours de 2017. En France, cette solution n’est bien entendu pas envisageable, nos constructeurs ayant privilégié la voiture électrique.

Prenant en compte cette réalité, un certain nombre d’acteurs industriels français proposent une solution alternative qui nous semble prudente. Celle-ci consiste à déployer de petites stations à hydrogène avec des parcs de véhicules utilitaires électriques dotés d’un système de prolongation d’autonomie à hydrogène. Au départ dédiées, ces stations pourraient par la suite être ouvertes au public. Si cette proposition devait se concrétiser, par exemple dans le cadre du programme hydrogène Mobility France, déclinaison nationale d’un programme européen, nous pensons qu’il faudra très vite mettre en place une incitation à l’ouverture au public de ces stations. C’est en effet dès avant leur installation que cette possibilité doit être prévue.

J’en viens au dernier maillon de la chaîne de la filière hydrogène : celui de l’utilisation. La quasi-totalité des utilisations énergétiques de l’hydrogène passe par un dispositif permettant de produire directement de l’électricité : la pile à combustible qui fait appel à un principe inverse à l’électrolyse.

Tout comme pour les électrolyseurs, il existe plusieurs catégories de piles à combustibles, dont deux principales : les piles à basse température à membrane d'échange de protons – bien adaptées aux applications de mobilité – et les piles à oxydes solides qui fonctionnent à très haute température – mieux adaptées aux applications stationnaires.

Ce sont les progrès réalisés dans ces deux catégories de piles à combustible, sur le plan du prix, de la fiabilité et de la durée de vie, qui expliquent que les applications énergétiques de l’hydrogène se multiplient, même si elles se limitent pour l’instant à des marchés de niche. En 2012, 46 000 piles à combustible ont été commercialisées dans le monde, soit une croissance de 86 % en un an. Ce sont les piles destinées aux appareils portables qui se sont le plus développées avec 19 000 unités et une croissance de 174 %.

Ainsi que l’a montré notre audition publique du 30 octobre 2013, ces marchés de niche concernent actuellement des applications telles que l’autonomie énergétique des sites isolés ou les chariots élévateurs, dans le cadre desquelles la pile à combustible et l’hydrogène parviennent progressivement à s’imposer face aux technologies existantes. Ces marchés devraient précéder des applications à destination du grand public, dans des domaines tels que l’aide à la mobilité, pour le rechargement des téléphones et ordinateurs, l’automobile ou la micro-cogénération, c’est-à-dire la production d’électricité et de chaleur dans les bâtiments.

En ce qui concerne l’automobile, étant donné les choix des grands constructeurs nationaux, ce sont des acteurs de plus petite taille qui essayent d’identifier des applications de mobilité pour lesquelles le véhicule à hydrogène pourrait devenir concurrentiel face aux autres solutions disponibles sur le marché. L’un de ces marchés est celui des véhicules utilitaires. Ces derniers représentent 15 % des véhicules légers, mais roulent et polluent plus que les voitures de tourisme. C’est pourquoi nous préconisons de favoriser le développement des solutions de prolongation d’autonomie basées sur l’hydrogène – et secondairement des voitures électriques qui sont toutefois moins bien adaptées à ce marché – en étendant le bénéfice du bonus écologique aux véhicules utilitaires dont le seuil d’émission de CO2 est inférieur à 20 g/km. Afin de ne pas alourdir la fiscalité des entreprises, ce bonus serait uniquement gagé par un aménagement du malus écologique sur les véhicules de tourisme.

À côté de ces applications qui font appel à la pile à combustible, s’en développe une autre qui concerne la réutilisation directe de l’hydrogène dans le réseau gazier, c’est ce que nos voisins allemands ou anglo-saxons nomment le « Power to gas ». L’intérêt de cette technologie est de permettre des échanges dans les deux directions, entre réseau électrique et gazier. Jusqu’à présent, seule la production d’électricité à partir du gaz était possible. L’électrolyse combinée à l’injection d’hydrogène permet désormais de déverser dans le réseau de gaz naturel les surplus de production électrique, notamment à partir d’énergies renouvelables intermittentes. D’après une étude présentée par GRT Gaz, à l’horizon 2030, ce sont 25 térawatts-heure de production annuelle excédentaire qui pourraient ainsi être convertis pour réduire nos importations de gaz pour un coût final équivalent à celui de ce dernier.

Après avoir présenté nos principaux constats sur les différentes parties de la chaîne de l’hydrogène, je vais à présent donner la parole à Jean-Marc Pastor qui va évoquer les conditions du développement d’une filière hydrogène nationale.

M. Jean-Marc Pastor, sénateur, rapporteur. Je remercie Laurent Kalinowski d’avoir montré, en présentant cette première partie de notre étude, que l’hydrogène est aujourd’hui un vecteur énergétique viable et durable, qu’il peut être produit sans émission directe de gaz carbonique, puis stocké, y compris dans les réservoirs des véhicules, transporté – bien sûr le moins possible étant donnée sa faible densité – et distribué.

Je vais à présent en venir à la deuxième partie de notre étude, en commençant par un rappel rapide sur le rôle que l’hydrogène pourrait jouer dans l’intégration des énergies renouvelables variables.

Comme l’ont démontré les précédents rapports de l’Office, le développement à grande échelle des énergies variables que sont l’éolien et le solaire impose de disposer de solutions de stockage massif de l’énergie, en complément d’autres solutions, tels les « réseaux intelligents » ou l’effacement. Néanmoins, seul ce premier est en mesure de compenser, sur la durée, des fluctuations importantes de la production des énergies renouvelables.

Associer moyens de stockage de l’énergie et énergies renouvelables variables permet de réduire de façon sensible l’impact de ces dernières sur le réseau électrique, donc les besoins d’adaptation de celui-ci. Ces moyens de stockage ont bien entendu un coût, mais celui-ci présente l’immense avantage d’être identifiable à l’avance. Force est de constater, sur l’exemple de l’Allemagne, qu’à l’inverse le déploiement d’énergies variables sans stockage associé conduit à découvrir a posteriori leurs effets sur le réseau et l’étendue des besoins de mise à niveau correspondants. En la matière, l’hydrogène permet de compléter les outils existants tels que les batteries électrochimiques ou les stations de pompages (STEP).

Par rapport à d’autres solutions, l’intérêt de l’hydrogène est double. D’une part, il n’impose aucune contrainte en termes de localisation géographique ou de dimensionnement. D’autre part, l’hydrogène n’est pas qu’un moyen de stocker l’électricité pour la restituer un peu plus tard. Son principal intérêt est de permettre également un usage direct de l’énergie stockée pour des applications diversifiées : comme combustible pour véhicules ou pour la cogénération, pour être injecté directement dans le réseau gazier dans des pourcentages variant entre 5 à 20 %, pour enrichir des biocarburants, pour créer des carburants de synthèse, pour purifier les hydrocarbures ou encore comme composant pour la chimie. Or, ces usages directs de l’hydrogène correspondent à des besoins en énergie bien plus importants que l’électricité. Celle-ci ne représente en effet que 24 % de notre consommation finale d’énergie, trois fois moins que les hydrocarbures importés. Pour ces raisons, nous pensons que l’hydrogène produit par électrolyse à partir d’électricité est un élément important pour la transition énergétique à venir. Il peut en effet contribuer à lever les deux écueils que sont la variabilité des nouvelles énergies et le problème de la substitution des hydrocarbures.

Après ce bref rappel sur le rôle significatif que pourrait jouer l’hydrogène dans la transition énergétique, je vais vous présenter nos recommandations qui visent à créer les conditions du développement d’une filière hydrogène nationale.

D’abord, je tiens à souligner que le potentiel scientifique et industriel de notre pays dans ce domaine nous semble incontestable. Nous avons eu l’occasion de le vérifier tout au long de notre étude, au travers de nos entretiens et de nos déplacements. C’est vrai en France, au niveau national et local, mais aussi à l’étranger. Cette filière est d’ores et déjà exportatrice et ne demande qu’à développer encore ses activités à l’étranger.

Nous avons identifié deux freins majeurs à l’innovation pour cette filière. Le premier frein concerne l’absence de position claire du Gouvernement sur le rôle qu’elle pourrait jouer dans l’avenir énergétique du pays. Cette position attentiste contraste de façon saisissante avec celle de ces deux grandes puissances industrielles que sont l’Allemagne et le Japon – même si je n’oublie pas la Corée – qui ont toutes deux décidé d’engager les efforts nécessaires au développement d’une nouvelle filière industrielle dédiée à ce vecteur. Il est vrai que ces deux pays ont chacun de bonnes raisons pour considérer que le rôle de l’hydrogène sera important pour leur économie.

Le Japon, dépourvu de ressources énergétiques propres, voit dans l’hydrogène un vecteur permettant de mettre en concurrence toutes les sources d’énergie, donc de réduire sa dépendance vis-à-vis de tel ou tel pays producteur. Pour l’Allemagne, l’hydrogène constitue une solution pour permettre l’intégration, à moindre coût, d’énergies renouvelables qui mettent à mal son réseau électrique. Mais si l’on met de côté la part d’énergie consommée sous forme d’électricité, notre pays ne se trouve pas dans une situation très différente du Japon. Et si les énergies renouvelables doivent se développer fortement, nous pourrions nous trouver assez vite dans la situation de l’Allemagne.

C’est pourquoi, avec Laurent Kalinowski, nous avons formulé plusieurs recommandations portant sur la structuration de cette filière hydrogène.

Les premières concernent la mise en place d’un triptyque constitué de trois piliers : une prise de position claire du Gouvernement, l’élaboration d’un programme de développement de la filière, ainsi que la mise en place d’un coordonnateur.

D’abord, il nous semble nécessaire que le Gouvernement affirme clairement – dès que possible et au plus haut niveau – l’importance du vecteur énergétique hydrogène pour la transition énergétique, ainsi que du développement d’une filière industrielle nationale correspondante. Cette prise de position peut sembler superflue mais elle est réellement attendue par tous les acteurs que nous avons rencontrés, y compris récemment à l’occasion de l’audition publique du 30 octobre dernier. Il s’agit d’un signal fort qui facilitera, par effet de cascade, un certain nombre de prises de décision.

S’agissant du deuxième pilier, nous pensons que le Gouvernement doit rassembler les acteurs de la filière hydrogène autour d’un projet cohérent de développement à moyen terme, associé à un financement. Ce projet visera à doter notre pays, d’ici 5 à 10 ans, de solutions compétitives sur les principaux points de la chaîne de valeur allant de la production à l’utilisation de l’hydrogène-énergie.

Enfin, s’agissant du troisième pilier, il nous semble utile, pour assurer le suivi de ces actions que soit créé un Comité national d’orientation de la filière hydrogène. Placé sous l’égide du ministère du Redressement productif, ce comité sera une instance de concertation, d’orientation et de suivi. Il intégrera notamment des représentants de l’État, de l’Ancre, de l’Office parlementaire, des principaux acteurs industriels des PME du secteur mais aussi de représentants des territoires, afin d’assurer le suivi du plan de développement défini pour la filière. Une filiale administrative du Ministère gérera le programme et l’enveloppe financière sous l’autorité de ce comité.

Ce sont là les principales mesures que nous préconisons sur cet aspect. D’autres mesures plus ciblées visent à faciliter le développement de certaines applications énergétiques. Laurent Kalinowski en a mentionné deux qui visent à préserver l’avenir dans le secteur de l’automobile, j’y reviendrai.

Le deuxième frein important que nous avons identifié pour l’innovation dans le domaine de l’hydrogène énergie est d’ordre réglementaire.

Notre pays dispose d’une réglementation très complète – pour ne pas dire complexe – et très aboutie sur l’hydrogène. Une réglementation efficace constitue un atout pour le développement d’une filière industrielle car elle fournit un cadre qui diminue l’incertitude pour les industriels et permet de faciliter l’acceptabilité sociétale, en évitant des dérives qui peuvent être fatales pour une filière naissante. Mais cette réglementation est aussi difficile et longue à adapter aux innovations, et singulièrement aux nouvelles applications énergétiques de l’hydrogène. En Allemagne, l’hydrogène et les autres gaz énergétiques sont couverts par une réglementation commune, ce qui facilite l’adaptation à des applications diversifiées. Pour simplifier, pour plus d’adaptabilité et de clarté, une réglementation commune à tous les gaz énergétiques s’impose au niveau national.

L’ensemble des industriels que nous avons rencontrés nous ont fait part de l’obstacle que constituent ces freins réglementaires et les délais associés, directement pour le développement de projets en France, et indirectement pour l’exportation. Il est en effet difficile pour un industriel d’exporter alors qu’il n’a pas de référence à présenter dans son propre pays. Il est toujours possible de passer outre cette difficulté. Par exemple, la jeune entreprise McPhy Energy spécilaisée dans le stockage solide de l’hydrogène a d’abord déployé ses produits à l’étranger, jusqu’au Japon, avant d’obtenir les autorisations nécessaires en France.

Nous nous sommes bien entendu interrogés, avec Laurent Kalinowski, sur les solutions à ce problème. Nous formulons deux recommandations principales à ce sujet.

La première concerne la création d’un groupe de travail pluraliste regroupant les experts de la direction générale de la Prévention des risques et de la direction générale de la sécurité civile et gestion des crises, de l’INERIS, de l’AFNOR, des industriels et d’au moins une association de défense de l’environnement. Ce groupe de travail chargé d’instruire les demandes d’autorisation transmises par les DREAL se réunira au moins une fois par mois.

La deuxième concerne l’instauration d’un délai maximum de trois mois pour la réponse initiale sur la faisabilité d’une nouvelle demande d’installation dans le domaine de l’hydrogène énergie et de 12 mois maximum pour l’instruction complète de ce type de dossier.

Ces deux mesures, si elles s’avèrent probantes pourraient, le cas échéant, être étendues à d’autres « filières émergeantes ». La période difficile que nous traversons impose des comportements différents avec plus de souplesse et de réactivité administrative.

Nous proposons également d’autres mesures plus ciblées qu’il serait sans doute un peu long de présenter en détail aujourd’hui, mais je veux rappeler les deux mesures techniques évoquées par mon collègue, relatives au développement des solutions de prolongation d’autonomie basées sur l’hydrogène pour les véhicules utilitaires et à la réutilisation directe de l’hydrogène dans le réseau gazier, avec le « Power to gas ».

Enfin, j’en viens à la question du rôle essentiel des territoires. Malgré les efforts technologiques réalisés l’hydrogène restera du fait des coûts de transports élevés, une ressource avant tout locale, permettant de valoriser au mieux des énergies renouvelables elles-mêmes, par nature décentralisées et adaptées aux caractéristiques géographiques et climatiques de chaque territoire.

Aussi nous considérons, au-delà du seul cas de l'hydrogène, que le développement de ces nouvelles énergies doit laisser une place plus importante à l’initiative locale, seule à même d’effectuer des choix adaptés aux particularités des territoires. Ainsi le partenariat public-privé est-il à encourager, pour enclencher des projets, faire vivre des filières locales intégrant production, stockage et utilisation, ceci en complément de démarches nationales avec des opérateurs industriels de dimension nationale et internationale et sans perturber le schéma français, national, de mutualisation de l’énergie.

Cette orientation est non seulement conforme à la nature des énergies renouvelables, mais aussi cohérente avec d’autres évolutions technologiques en cours. Ainsi les « réseaux intelligents » ouvrent-ils la perspective d’une gestion dynamique des ressources et de la consommation au niveau du territoire. Le territoire, au travers de PACTE locaux, régionaux, à étendre, permet d’assurer une gestion rationnelle d’énergie par essence décentralisée.

Sur la fiscalité, afin de laisser la filière hydrogène se développer, ce vecteur énergétique doit être exclu de toute fiscalité pendant cinq ans (ou la durée du plan).

Si nous avons limité nos propositions à la création d’une filière hydrogène nationale et à l’adaptation de la réglementation, c’est afin de pouvoir mieux suivre la prise en compte de ces orientations prioritaires. Suivant la pratique de l’Office, nous serons donc conduits à nous assurer dans les prochains mois, de leur prise en compte. Je vous remercie. Nous essayerons à présent de répondre à vos interrogations.

M. Bruno Sido. – Toutes mes félicitations pour la qualité de votre rapport. Je ne doute pas que de nombreuses questions vous seront posées. Pour ma part, j’en ai deux, l’une à caractère plutôt technique et l’autre plutôt économique. Est-il possible de connaître le bilan énergétique de la production d’hydrogène, c’est à dire le rapport entre l’énergie consommée pour le produire et l’énergie qu’il est susceptible de libérer par la suite ? Outre l’intérêt écologique qu’il présente, l’hydrogène est-il un carburant compétitif, par exemple par rapport au méthane ?

M. Jean-Marc Pastor. – 75 % de la planète contient de l’hydrogène mais toujours associé à d’autres éléments. Le bilan énergétique dépend donc très fortement du territoire sur lequel on se trouve et des matières premières présentes. Ici, il s’agira d’énergie éolienne, là, d’énergie solaire et, ailleurs, de biogaz issu de la méthanisation de déchets agricoles ou ménagers. Les prix sont très différents s’il faut acheter les matières premières ou si l’on utilise des ressources locales. D’une façon générale, le bilan énergétique oscille entre 60 % et 80 %.

Toutefois, ne perdons pas de vue que l’on ne produit pas de l’hydrogène pour de l’hydrogène et qu’on n’investit pas pour fabriquer de l’hydrogène mais que, au contraire, on produit de l’hydrogène parce que l’on dispose d’équipements à mieux valoriser. Lorsque l’on a investi pour produire de l’électricité d’origine éolienne ou photovoltaïque, il n’est pas absurde de la stocker sous forme d’hydrogène aux moments où le réseau électrique est saturé.

M. Laurent Kalinowski. – Pour répondre à votre seconde question, une étude GRT gaz indiquait que dans une trentaine d’années l’hydrogène pourrait être compétitif par rapport au méthane. Il existe aussi plusieurs projets d’injection d’hydrogène, à hauteur de 5 %, pour enrichir le gaz et produire un gaz de synthèse. Cet apport d’hydrogène permettrait d’abonder le réseau existant.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président. – En plus de mes félicitations, je voudrais vous adresser quelques questions et vous suggérer une recommandation.

Tout d’abord, que peut-on faire pour que notre filière comble son retard ? En conclusion du groupe de travail sur la transition énergétique, le Président de la République a exprimé trois idées qui résument parfaitement les débats, à savoir : il n’y aura pas de transition énergétique sans développement des énergies renouvelables ; ces dernières ne se développeront que si leurs prix se rapprochent des prix du marché de l’ensemble des énergies et, enfin, la réussite de la transition énergétique dépend aussi de notre capacité à régler les questions de stockage.

Le développement de la filière hydrogène permettra-t-elle au moins de résoudre ces problèmes de stockage ? Si tel était le cas, les énergies aujourd’hui intermittentes pourraient jouer un nouveau rôle.

Quant à la présentation du rapport écrit, il me semblerait préférable qu’il reprenne le déroulement de votre présentation orale qui insiste sur l’importance du développement de la filière pour le pays avant de faire état du retard à rattraper. Au nom du Gouvernement, M. Arnaud Montebourg vient d’arrêter trente-quatre priorités industrielles pour l’innovation au sein desquelles les batteries sont évoquées mais non la filière hydrogène en tant que telle. Il faut savoir ce que l’on veut : soit on croit en cette filière et il faut l’inscrire dans nos priorités, soit on n’y croit pas et l’on laisse le soin de la développer à l’Allemagne, au Japon, à la Corée du Sud ou aux États-Unis d’Amérique – où, dès 2006, j’ai déjà eu l’occasion de conduire une voiture à hydrogène.

Votre rapport pourrait également mettre davantage en exergue les questions essentielles dont il traite. Quelles sont les données stratégiques de structuration de la filière ? Que faut-il faire en matière de réglementation et de normes, de coopération internationale et européenne ou de développement des territoires ? Quels sont les problèmes spécifiques liés à la fiscalité ? Cette présentation rendrait le rapport plus attractif.

M. Jean-Marc Pastor. – La filière a pris du retard mais notre pays a la particularité de posséder le plus d’industriels – y compris des petites et moyennes entreprises – qui travaillent sur l’hydrogène partout dans le monde. Au Japon, en Corée du Sud, en Floride, on voit partout des équipements Air liquide ou Total. Les compétences existent ; il faut maintenant les mettre en œuvre.

Tel est le sens du triptyque d’actions que nous proposons. Tout d’abord, la décision politique doit rassurer les acteurs industriels pour qu’ils développent leurs savoir-faire sur le territoire national. Ensuite, le programme de développement doit associer secteur public et secteur privé, et, enfin, un accompagnement financier doit être mis en place. Dans tous les pays qui développent la filière hydrogène, l’accompagnement financier est à la fois public et privé. Si nous misons sur cette filière, cette question devra être résolue chez nous.

M. Laurent Kalinowski. – La filière hydrogène permet de stocker l’énergie intermittente mais elle répond aussi à des besoins locaux ou à des enjeux de plus long terme, comme en témoigne le projet « Power to gas », ce dernier ayant aussi des conséquences sur notre autonomie énergétique.

En plus des compétences françaises que l’on voit se déployer à l’étranger, notre pays travaille – et c’est important – sur de multiples applications de niches, comme celles développées par le CEA à Grenoble.

L’une des grandes qualités de l’hydrogène est aussi sa flexibilité : il ne permet pas seulement de stocker l’énergie mais il peut la transformer ou la moduler, selon les besoins.

Mme Corinne Bouchoux, sénatrice. – J’ai beaucoup apprécié le nouveau mode de consultation des projets de rapports. Celui que vous nous présentez est clair, pédagogique, compact, structuré, logique et il affiche clairement la couleur : il y a un avenir pour la filière hydrogène et il faut donc engager son développement. Nous aurions préféré que le rapport commence par son actuelle troisième partie pour poser ainsi, d’entrée, la question essentielle de la transition énergétique et du rôle que la filière hydrogène peut y jouer.

Nous sommes face à un agglomérat de niches, d’applications et d’acteurs, grands ou petits, mais cela suffit-il à constituer une filière ? Je suis convaincue de l’importance de la transition énergétique, j’estime moi aussi que l’hydrogène y jouera un rôle incontournable et je trouve votre propos intéressant et séduisant. Mais est-il convaincant ?

En effet, vous nous comparez à l’Allemagne alors qu’il s’agit d’un pays fédéral où les projets sont menés depuis plus de trente-cinq ans au niveau des territoires, ce qui est le contraire de nos habitudes colbertistes. De plus, en France l’industrie automobile a fait le choix de l’électrique tout en traînant le boulet du diesel alors que, en Allemagne, l’industrie automobile sert, en quelque sorte, de poisson pilote à la filière hydrogène. Cet effort est complémentaire de celui des Länder au niveau local et s’inscrit dans le cadre national d’une transition énergétique prévoyant la disparition du nucléaire.

La France n’est-elle pas, face à l’hydrogène, dans la situation d’un pays qui se serait lancé dans le chemin de fer cinquante ans après tout le monde ? D’autant que nous nous heurterons à des groupes de pression. L’industrie pétrochimique n’est favorable à l’hydrogène que dans la mesure où il répond à son besoin de respect des nouvelles normes. Mais elle ne veut pas de la concurrence de l’hydrogène. Quant à Areva, véritable État dans l’État, elle accepte aujourd’hui l’hydrogène comme un complément mais elle pourrait un jour être également dérangée par cette nouvelle filière.

Enfin, se pose la question des territoires. Compte tenu des coûts de transport, la production d’énergie doit émaner du niveau local. Mais cela sera-t-il possible dans notre État jacobin, au pays de l’ENA et des X-Mines ? En un mot, n’est-ce pas une utopie ?

M. Laurent Kalinowski. – Je ne pense pas que nous soyons dans l’utopie. Les expériences et les initiatives se multiplient sur nos territoires ; il nous faut assurer leur mise en cohérence au niveau national. En Lorraine, qu’il s’agisse du PACTE Lorraine ou dans le cadre de la vallée des matériaux, des actions sont engagées, cofinancées par l’État, les collectivités et les industriels qui travaillent avec les universités à des recherches et à des innovations dans l’utilisation de l’hydrogène comme vecteur énergétique. Lors de notre journée consacrée à l’hydrogène dans le Tarn, nous avons rencontré d’autres acteurs de l’innovation impliqués dans des projets locaux. En matière de recherche, notre pays dispose d’atouts spécifiques par rapport à l’Allemagne ou au Japon, deux pays qui doivent apporter des réponses immédiates liées à l’abandon du nucléaire. Au Japon, par exemple, on produit l’hydrogène en faisant fi du monoxyde de carbone (CO) ou du dioxyde de carbone (CO2) ; on utilise les raffineries et les installations immédiatement disponibles en se disant que, malgré tout, les voitures à l’hydrogène pollueront moins.

Dans ce domaine, outre son expertise industrielle, la France dispose d’un potentiel de recherche et d’innovation qui fait sa spécificité.

M. Jean-Marc Pastor. – Même si elle figure actuellement en troisième partie du rapport, la question de la place de la filière hydrogène dans la transition énergétique est bien au cœur de notre sujet. Cependant, nous pouvons tout à fait modifier la présentation pour mieux souligner l’importance de cet aspect et également faire en sorte que nos recommandations soient plus aisées à identifier.

Il est vrai que l’Allemagne possède une culture de la responsabilité locale que nous n’avons pas complètement. Mais, depuis cinq ou six ans, que voit-on en France ? Onze régions se sont organisées pour développer la filière, en particulier au travers de pactes. Nous étions, la semaine dernière, en Lorraine et nous avons vu comment de nombreux partenaires – collectivités territoriales, industriels ou acteurs issus du monde de la recherche et de l’enseignement supérieur – travaillent ensemble.

Depuis un an, nous avons pris l’initiative d’une rencontre annuelle de deux jours des acteurs des différentes régions, ce qui leur permet de partager leurs expériences et de s’encourager mutuellement. Cette démarche n’en est qu’à ses débuts mais elle est bel et bien engagée.

N’oublions pas, non plus, que, sans être comparables à nos grandes entreprises exportatrices, nombre de nos PME sont déjà très performantes et présentes sur les marchés étrangers. C’est sur elles que les régions s’appuient pour élaborer des schémas pertinents de développement de cette énergie.

À ce titre, je vous invite à participer, le 20 janvier 2014, à l’inauguration, par le ministre du Redressement productif, d’une filière hydrogène locale en Midi-Pyrénées basée sur la méthanisation de déchets ménagers et agricoles. Au départ, il y a deux ans, c’est un carrossier d’autobus qui a décidé que, désormais, il motoriserait lui-même ses véhicules. Dans un premier temps, il a envisagé un moteur électrique, mais il s’est heurté aux difficultés de rechargement des batteries. À force de recherches et d’innovation, il a mis au point un système
– désormais breveté – de récupération de l’énergie issue de la pression hydraulique des tracteurs, fluidifiée par de l’azote. À chaque freinage ou à chaque redémarrage, ce dispositif produit de l’énergie, qui permet de recharger les batteries mais il manquait, toutefois, 30 % d’énergie pour donner à ces autobus une autonomie permanente. Or, elle a pu être obtenue grâce à une pile à combustible associée à une réserve d’hydrogène produit à partir d’une filière locale de méthanisation des déchets. Air Liquide n’est intervenu que pour les bornes de livraison et le stockage de l’hydrogène ; tout le reste de la technologie est entièrement local. Ces autobus ont été exposés, il y a un mois, au Salon de l’innovation, Porte de Versailles.

Cinq ou six régions sont actuellement porteuses de projets innovants dans cette filière. Il faut les encourager mais nous savons aussi que ce ne sont pas les déchets du Tarn ou de Midi-Pyrénées qui régleront la question de l’énergie en France, nous avons aussi besoin de grands opérateurs de dimension nationale. Le soutien aux initiatives locales s’impose en parallèle car il est le gage d’une véritable acceptation de la filière. Et si le Gouvernement n’en prend pas l’initiative, les territoires assumeront cette responsabilité.

Dans tous les cas, il importe cependant de réduire les obstacles et barrières administratives qui entravent l’innovation. Prenons l’exemple de Michelin : l’entreprise a développé, à Clermont-Ferrand, un moteur placé dans chacune des roues de l’automobile et destiné à assurer une meilleure adhérence à la route. Il s’agit d’un moteur électrique alimenté par une pile à combustible et une réserve d’hydrogène. Au bout de cinq années de démarches vaines auprès de l’administration française pour développer ce procédé, Michelin a délocalisé son équipe à Fribourg où toutes les autorisations ont été obtenues en trois mois. Désormais, les brevets sont suisses ainsi que les plaques d’immatriculation des véhicules équipés de cette innovation. L’un d’entre eux sera présenté le 20 janvier 2014. Au moment où l’on parle de relancer l’économie et en particulier l’économie verte, il faut que le ministre le voie ! Quant à nous, parlementaires, lorsque la réglementation bride l’innovation et pénalise les entreprises, il nous revient de le crier haut et fort. À ce sujet, je rappelle qu’en Allemagne la réglementation sur l’hydrogène est la même que pour les autres gaz énergétiques.

M. Roland Courteau, sénateur, vice-président. – Le coût de production par électrolyse est-il tel qu’il faille proposer de détaxer l’électricité ainsi obtenue et celle nécessaire à la production d’hydrogène ? Vous avez dit que la production d’hydrogène resterait une énergie locale compte tenu du coût de son transport : comment ce dernier est-il effectué et pourquoi est-il si coûteux ?

Il est vrai que le réseau gazier est un fantastique lieu de stockage. Pourriez-vous nous préciser le pourcentage d’hydrogène qui pourrait y être introduit sans risques ? Vous avez évoqué le chiffre de 20 %...

Je suis convaincu que le développement massif des énergies renouvelables suppose le stockage de l’électricité produite et donc le développement de la filière hydrogène. S’agissant d’Areva, je précise qu’elle a créé une usine de production d’hydrogène totalement opérationnelle près d’Ajaccio.

M. Jean-Marc Pastor. – Les utilisations de l’hydrogène sont multiples. Les utilisations statiques peuvent consister en une pile à combustible alimentant un bâtiment de bureaux et complétant le réseau traditionnel pour éviter les microcoupures. Il peut aussi constituer une alternative au groupe électrogène pour alimenter des habitations isolées, évitant ainsi de mettre en place plusieurs kilomètres de lignes. Les utilisations embarquées peuvent concerner les téléphones et les ordinateurs portables ; des petites capsules de la taille du pouce permettant, par exemple, de charger l’appareil pour une semaine. Enfin, il y a les utilisations liées à la mobilité, notamment celles relatives aux automobiles. Bien entendu, les besoins de production diffèrent selon les utilisations.

L’électrolyse est effectivement un moyen connu depuis très longtemps pour capter l’hydrogène mais ce n’est pas le seul. Le vaporeformage est une autre technique qui permet, par exemple, d’obtenir de l’hydrogène à partir de biogaz sans produire d’électricité. Obtenir de l’hydrogène à partir d’une électricité produite comme celle qui nous éclaire cet après-midi n’a économiquement aucun intérêt. En revanche, il est intéressant de le faire en utilisant une électricité d’origine éolienne non utilisée par le réseau. Selon l’origine de la matière première, le coût d’un kilo d’hydrogène varie ainsi entre 2 euros et 8 euros. Tout dépend donc de la matière disponible et, partant, du territoire où l’on se trouve.

Le taux d’injection d’hydrogène dans le réseau gazier est compris entre 5 % et 20 %, selon les pays. Je vous indique tout de même que, en 1950, ce taux était de 50 % dans le gaz de ville, à Paris, à Toulouse ou à Londres. L’hydrogène a été abandonné au profit d’énergies meilleur marché mais, actuellement, on se pose la question d’y revenir.

M. Roland Courteau. – Cela représente tout de même des risques.

M. Jean-Marc Pastor. – Ce sont des risques similaires à ceux du gaz naturel, sachant que, malheureusement, il n’y a pas de sources d’énergie sans risque.

M. Roland Courteau. – Si tel est le cas, pourquoi limite-t-on la proportion d’hydrogène injectée ?

M. Jean-Marc Pastor. – Il faut de la modération en toutes choses et se donner le temps de maîtriser ce processus. Et puis, il y a aujourd’hui bien plus d’appareils ménagers fonctionnant au gaz de ville qu’il n’y en avait en 1950. C’est toute une industrie qui va devoir se réadapter.

M. Laurent Kalinowski. – La proportion dépend aussi de la nécessité d’adapter les différentes infrastructures.

Le coût de la production après électrolyse est d’environ 6 à 8 euros le kilo. Détaxer l’hydrogène le rendrait compétitif par rapport aux autres énergies, notamment dans l’automobile. Un kilo d’hydrogène donnant une autonomie de cent kilomètres, il suffit de faire le calcul… De même qu’il existe une taxation différenciée pour le pétrole, pourquoi ne pas envisager une détaxation de l’hydrogène ? Nous avons vu un véhicule qui utilise cinq kilos d’hydrogène compressés à sept cents bars disposant d’une autonomie de cinq cent quatre-vingt-cinq kilomètres.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Où ?

M. Laurent Kalinowski. – Au Japon.

M. Jean-Marc Pastor. – Avec un coût d’environ 10 euros pour cent kilomètres, l’hydrogène est compétitif par rapport à l’essence et au gasoil.

M. Jean-Yves Le Déaut. – Je partage globalement vos points de vue sur la filière de l’hydrogène. Celle-ci peut se développer sur des socles d’énergie très différents et il ne faut pas donc obligatoirement prendre l’Allemagne comme modèle. Elle l’est pour les énergies renouvelables mais, pour la transition énergétique, ce pays s’appuie sur un socle différent du nôtre. La France dispose du socle nucléaire, et les énergies renouvelables comme l’hydrogène viennent, pour l’instant, en complément. D’autres pays, comme le Danemark, ont opté pour un socle d’énergies fossiles, auquel les autres sources – énergie renouvelables et hydrogène – viennent s’ajouter. Ces énergies sont complémentaires. Au-delà de nos différences, ce qui importe c’est l’objectif commun de réussite de la transition énergétique. D’ailleurs, depuis la révolution industrielle au début du XIXe siècle, chacune de ces transitions s’est faite en se fondant sur une forme d’énergie préexistante. M. Roland Courteau vient de nous dire qu’Areva s’engageait dans la filière hydrogène. En effet, elle a tout intérêt à investir dans l’hydrogène parallèlement au nucléaire.

Mme Corinne Bouchoux. – Dans le pré-rapport, il est fait mention d’un « rendement honorable » ; il me semble qu’une telle formulation plutôt littéraire n’a pas sa place dans un rapport scientifique.

M. Jean-Marc Pastor. – En effet, dans le rapport final nous avons décidé de remplacer cette mention par les chiffres correspondants.

Pour produire de l’hydrogène, il faut des matières premières. Au Japon – pays vraiment très avancé sur le sujet – on importe, pour ce faire, des hydrocarbures d’Australie. Je n’ai pas pu résister au plaisir de leur apprendre qu’ici nous allons produire de l’hydrogène à partir de matières premières que l’on nous amène gratuitement tous les matins et pour lesquels ce sont les producteurs qui nous paient !

M. Bruno Sido. – Dans le prolongement des préconisations de M. Jean-Yves le Déaut, je vous propose d’articuler davantage les recommandations du rapport autour de l’objectif de transition énergétique. »

Le rapport est adopté à l’unanimité des votants.

COMPOSITION DU COMITÉ D’EXPERTS

M. Pierre-René Bauquis - Pierre-René Bauquis a débuté sa carrière en tant qu’économiste de l'énergie et professeur à l'IFP avant de rejoindre le groupe TOTAL, au sein duquel il a été successivement nommé directeur mer du Nord, directeur de la stratégie et de la planification, directeur du gaz, de l'électricité et du charbon et, enfin, conseiller auprès du président. Il est l’auteur de plus de cinquante articles et de plusieurs ouvrages sur l'économie du pétrole, du gaz et de l'énergie.

M. Daniel Clément - Docteur ès sciences de l'énergie, Daniel Clément est le directeur scientifique adjoint de l'Agence de l'environnement et du management de l'énergie. En charge des affaires scientifiques depuis 2004, il était précédemment responsable du développement de la gestion des connaissances et de l'information et de la communication. De 1992 à 2001, il a été chef du département de planification de la recherche dans la même agence. De 1999 à 2004, il a coordonné le réseau de recherche et d'innovation sur les piles à combustible.

M. Michel Jehan - Diplômé de l’École nationale d’ingénieurs de Metz, Michel Jehan commence sa carrière chez Vallourec. Après avoir occupé plusieurs postes de direction dans le domaine de l’électrométallurgie en France, au Canada et en Suisse, il crée, en 1995, la société MCP Technologies, puis, en 2008, McPhy Energy. Au cours de sa carrière, il a déposé, en tant qu’inventeur ou co-inventeur, six brevets. Il a reçu, en 2011, le prix spécial du jury Chereau-Lavet et, en 2012, avec l’équipe de recherches de l’institut Néel, le prix Yves Rocard. Depuis 2012, il préside l’association Alphea.

M. Michel Latroche - Titulaire d’un doctorat de physico-chimie du solide, Michel Latroche a rejoint, après des études postdoctorales à la Northwestern University de Chicago, le Laboratoire de chimie métallurgique des terres rares du CNRS, à Meudon. Successivement à la tête du laboratoire en sciences des matériaux de l’université Paris Sud, puis de chimie métallurgique des terres rares de Thiais et du groupement de recherche ACTHYF, il dirige aujourd'hui l'Institut de chimie et des matériaux de Paris Est. Impliqué dans plusieurs projets de recherche nationaux et internationaux, il est l’auteur de près de 200 publications et 5 brevets dans ce domaine.

M. Paul Lucchese - ingénieur de l’École nationale supérieure de chimie de Paris et titulaire d’un DEA en chimie appliquée, Paul Lucchese travaille depuis 1999 sur l'hydrogène au CEA, où il a occupé, jusqu’en 2009, la fonction de directeur du programme Nouvelles technologies de l'énergie. Il est président de N.ERGHY, membre du conseil du programme européen JTI HFC, représentant de la France au sein de l'Agence internationale de l'énergie et de l'International Partnership for Hydrogen and Fuel Cells in the Economy.

M. Christian Ngô - ancien élève de l’École normale supérieure de Saint-Cloud, agrégé de chimie, docteur ès sciences, Christian Ngô a rejoint le CEA en 1990, après vingt années passées dans la recherche fondamentale. Au CEA, il a notamment occupé les fonctions de conseiller de l’administrateur général, directeur scientifique de la Direction de la recherche technologique et directeur délégué à la prospective ainsi que directeur scientifique au cabinet du Haut-commissaire à l’énergie atomique. Il a quitté le CEA en 2008 pour créer la SARL Edmonium Conseil. Il est auteur ou co-auteur de nombreux ouvrages dont l’« Hydrogène - Énergie de demain ? ».

LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES PAR LES RAPPORTEURS

1. Auditions et missions en France

a) Drôme et Isère, 28 mars 2013

Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) :

- Mme Florence Lambert, directrice de l’Institut LITEN (Laboratoire d’innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux) ;

- Mme Françoise Charbit, adjointe à la directrice ;

- Mme Hélène Burlet, chef du département des technologies des nanomatériaux ;

- M. Nicolas Bardi, chef du département des technologies biomasse et hydrogène ;

- M. Laurent Antoni, chef du département de l’électricité et de l’hydrogène pour les transports ;

- Mme Audrey Martinent-Beaumont, responsable de programme ;

- Mme Julie Mougin, chercheur ;

- Mme Isabelle Noirot-Leborgne ;

- M. François Le Naour ;

- M. Olivier Lemaire ;

- Mme Valentina Vétéré, coordinatrice programme hydrogène.

Air Liquide - site de Sassenage :

- M. Xavier Vigor, directeur général d’AL-Advanced Technologies
(AL-AT) ;

- M. Eric Prades, directeur général d’AL-Hydrogen Energy (AL-H2E) ;

- M. Jacques Drevard, directeur nouvelles énergies AL-AT ;

- M. Eric Claude, directeur Innovation Axane ;

- M. Dominique Lecocq, directrice communication AL - Technologies du Futur ;

- Mme Marianne Julien, directrice programme horizon hydrogène énergie ;

- M. Laurent Allidières, directeur technique d'AL-H2E ;

- M. Philippe Mulard, directeur mobilité AL-H2E ;

- Mme Catherine Candela, chargée de mission pour les technologies du futur.

McPhy Energy - site de La Motte Fanjas :

- M. Michel Jehan, directeur des opérations ;

- M. Christian Bertho, directeur site de production ;

- M. Cédric Dupuis, responsable R&D.

Pôle Tenerrdis :

- M. Pierre Juliet, directeur général ;

- Mme Ingrid Milcent, chargée de mission innovation.

SymbioFCell :

- M. Fabio Ferrari, président ;

- M. Thomas Costes, responsable production.

Ataway :

- M. Jean-Michel Amaré, président.

AD-VENTA :

- M. Frédéric Delafaille, responsable du développement.

AJC SAS :

- M. Frédéric Della Faille.

PaxiTech :

- M. Renaut Mosdale, président.

Tronico :

- M. Patrick Collet, directeur général.

HELIOS :

- M. Christophe Savonnet, avocat associé.

WH2 :

- M. Philippe Samat, responsable technique.

b) Tarn, journées H2 dans les territoires, 16 et 17 mai 2013

Fuel Cells and Hydrogen Joint Undertaking (FCH JU):

- M. Jean-Luc Delplancke, chef d’unité des programmes.

Hydrogen, Fuel Cells and Electro-mobility in European Regions (HyER) :

- M. Marieke Reijalt, directeur exécutif.

Nationale Organisation Wasserstoff und brennstoffzellentechnologie (NOW GmBH) :

- M. Hanno Butsch, chargé des coopérations internationales.

Région Midi-Pyrénées :

- M. Guillaume Cros, conseiller régional.

Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) Midi-Pyrénées :

- M. Frédéric Berly, responsable énergie.

CDC Climat :

- M. Cyril Gilot, chef de projet investissement et participations.

ADEME :

- M. Luce Bodineau, ingénieur recherche et technologies avancées ;

- M. Christophe Évin, correspondant recherche.

Plateforme MYRTE (Corse) :

- M. Philippe Poggi, directeur.

Mission H2 Nantes :

- Mme Lila Ménari, responsable projet.

ERH2 Bretagne :

- M. Bruno Mansuy, président.

Association PHyRENEES :

- M. René Vercellonne.

École des mines d’Albi :

- M. Bruno Grano, directeur adjoint de la recherche.

Pôle DERBI :

- M. Gilles Charier, directeur.

Pôle Énergie 2020 :

- M. Vincent Robiquet, chargé de mission.

c) Lorraine, 6 décembre 2013

Air Liquide :

- M. Aurélien Fangeat, business developer.

Alphéa Hydrogène :

- M. Michel Jehan, président ;

- M. Michel Junker, directeur.

AREVA Stockage d'Énergie :

- M. Patrick Jeufraux, vice-président Enterprise Integration.

Communauté d'Agglomération de Sarreguemines Confluences (CASC) :

- M. Jean-Bernard Barthel, vice-président en charge du développement durable ;

- M. Christian Hector, directeur général des services techniques.

CASSIDIAN :

- M. Pierre Langer, directeur des partenariats et alliances stratégiques.

Communauté de Commune Pays-Haut-Val-d'Alzette (CCPHVA) :

- M. Raymond Schwenke ;

- M. Jean-Michel Reyter.

CEA TECH :

- M. François Le Naour, responsable du programme biomasse et hydrogène.

Conseil régional de Lorraine, Agence de mobilisation économique :

- M. Jacques Bongrand, directeur ;

- M. Pascal Deparis, ingénieurs d'affaires.

De Dietrich Thermique :

- M. Claude Freyd, directeur Innovation et réglementation.

E.ON France :

- M. Jean-Baptiste de Gabory, responsable du développement régional et des relations institutionnelles.

Établissement public d'aménagement Alzette-Belval (EPA) :

- Mme Alzette-Belval ;

- Mme Hélène Bisaga.

DIRECCTE Lorraine (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) :

- M. Renaud Dupont, en charge du suivi du volet H2 du PACTE Lorraine.

GDF Suez :

- Mme Christelle Bridey, responsable région Est.

GRDF :

- M. Didier Fessard, directeur territorial Lorraine.

SYDEME :

- M. Charles Stirnweiss, président.

Université de Lorraine :

- M. Fabrice Lemoine, directeur du LEMTA (17) ;

- M. Jérôme Dillet, LEMTA ;

- Mme Sophie Didierjean, LEMTA ;

- M. Gaël Maranzana, LEMTA ;

- M. François Lapicque, LRGP (18) ;

- M. Daniel Tondeur, LRGP ;

- Mme Mélika Hinaje, GREEN (19).

Viessmann France :

- M. Richard Cordonnier, PMM Nouvelles Technologies.

2. Auditions des rapporteurs

Mardi 25 septembre 2012

CEA :

- M. Bernard Bigot, administrateur général ;

- M. Jean-Pierre Vigouroux, chef du service affaires publiques.

Mercredi 14 novembre 2012

IFP-EN :

- M. Olivier Appert, président ;

- M. Jacques Gérault, directeur des relations institutionnelles.

Mercredi 15 novembre 2012

ADEME :

- M. François Loos, président ;

- M. Luc Bodineau, recherche et technologies avancées.

Mercredi 22 novembre 2012

Association française de l’hydrogène et des piles à combustible (AFHYPAC) :

- Mme Marianne Julien, présidente.

Mardi 27 novembre 2012

Air Liquide :

- M. François Darchis, directeur de la société, membre du Comité Exécutif ;

- M. Eric Prades, directeur hydrogène et énergie ;

- M. Thierry Sueur, directeur des affaires européennes et internationales ;

- Mme Alliette Quint, directeur adjoint des affaires européennes et internationales.

Mercredi 6 février 2013

SOLVAY :

- M. Léopold Demiddeleer, directeur des développements futurs.

CGT- Total :

- M. Marcel Croquefer ;

- M. Benjamein Tange.

Jeudi 7 février 2013

E.ON France :

- M. Günther Schneider, directeur stratégie et développement des marchés ;

- M. Pascal Laclergue, responsable développement.

GDF Suez :

- M. Marc Florette, membre du comité exécutif, directeur recherche et innovation ;

- M. Jean-Paul Reich, directeur scientifique ;

- Mme Hélène Pierre, chef de programme ville durable ;

- Mme Chantal Philippet, chargée des relations institutionnelles.

Jeudi 14 février 2013

ALPHEA :

- M. Michel Jehan, président.

CEA :

- M. Paul Lucchese, chargé de mission énergies renouvelables et NTE.

INERIS :

- M. Vincent Laflèche, directeur général ;

- M. Rémy Bouet, expert.

Mardi 26 février 2013

EDF :

- M. Sylvain Hercberg, directeur de la prospective technologique ;

- M. Bernard Declerck, chef du départ. éco-efficacité et processus industriels ;

- M. Bertrand Le Thiec, directeur adjoint des affaires publiques.

Mardi 14 mars 2013

GRT Gaz :

- M. Patrick Pelle, directeur des affaires publiques et du développement durable ;

- Mme Agnès Boulard, responsable des relations institutionnelles ;

- M. Alexandre Hoffer, économiste, cabinet E-cube.

Jeudi 4 avril 2013

Edmonium :

- M. Christian Ngô, consultant.

ADEME :

- M. Daniel Clément, directeur adjoint à l’innovation, ADEME.

Jeudi 11 avril 2013

CNRS :

- M. Michel Latroche, directeur l'Institut de chimie et des matériaux de Paris Est.

IFP School :

- M. Pierre-René Bauquis, professeur associé, ancien directeur stratégie et planification du groupe Total.

Mardi 22 octobre 2013

Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie :

- M. Axel Strang, chargé de mission pour les filières vertes-réseaux énergétiques intelligents, hydrogène et stockage de l’énergie, DGEC.

Mardi 29 octobre 2013

- M. Paul Giacobbi, député, président du Conseil général de Haute-Corse.

3. Missions à l’étranger

a) Japon, du 17 au 21 décembre 2012

New Energy and Industrial Technology Development Organization (NEDO) :

- M. Hideo Hato, président ;

- M. Michio Hashimoto, directeur général ;

- Mme Sachiko Akahori, directeur général ;

- M. Masamichi Yamamoto, directeur ;

- Mme. Kaori Yoshikawa, directeur adjoint ;

- Mme Yuko Shinozaki, Chief Officer, division des affaires internationales ;

- Mme Mami Shinozaki, chef de la division des affaires internationales.

Ministry of Economy, Trade and Industry Agency for Natural Resources and Energy (METI) :

- M. Nobuyuki Hara, directeur adjoint, bureau de promotion de l’hydrogène et des piles à combustible ;

- M. Fumio Takada, chef de domaine, bureau de promotion des piles à combustible ;

- M. Yoshiyuki Yamaguchi, division des affaires internationales.

Université de Tokyo :

- Prof. Dr. Kazunari Domen ;

- Prof. Dr. Katsushi Fujii ;

- Prof. Dr. Kazuhiro Ohkawa.

Nissan:

- Dr. Akihiro Iiyama, Expert Leader of Fuel Cell, Nissan Research Center, EV System Laboratory.

Nippon Air Liquide :

- M. Etienne Lepoutre, président et CEO ;

- M. Kazuyoshi Miyawaki, chef du département hydrogène.

Japan Petroleum Energy Center (JPEC):

- M. Yuji Tanaka, Director, Auto Oil & New Fuels Department;

- M. Masahiro Komori, Senior Researcher, Auto Oil & New Fuels Department.

JX Nippon Oil and Energy Corporation:

- Dr. Jinichi Igarashi, directeur général de Central Technical Research Labo ;

- M. Akira Hamada, directeur général de Hydrogen & Fuel Cell Research Labo ;

- M. Tetsuji Watanabe, directeur du support R&D ;

- M. Yuichi Tanaka, directeur développement de l’hydrogène ;

- Mme Emi Kato, Hydrogen & Fuel Cell Research ;

- M. Yasuhito Ogawa, Hydrogen & Fuel Cell Research Lab ;

- M. Hideo Tsuneoka, Hydrogen & Fuel Cell Research Lab ;

- Mme Ai Minoda, Hydrogen & Fuel Cell Research Lab.

Préfecture de Fukuoka :

- M. Seitaro Hattori, vice-gouverneur ;

- M. Hiroyuki Irie, conseiller ;

- M. Shoichi Furukawa, chef de projet senior.

Fukuoka Strategy Conference for Hydrogen Energy:

- M. Hiroyasu Tashiro, directeur ;

- Mme Michiko Akita.

Université de Kyushu - Centre de recherche international sur l’hydrogène énergie :

- Dr. Ing. Yukitaka Murakami, directeur ;

- Prof. Akari Hayashi, professeur associé ;

- M. Yoshihiro Ikeda, responsable adjoint ;

- M. Hiroyuki Michishita, responsable adjoint ;

- Dr. Arnaud Macadre, chercheur associé.

National Institute of advanced industrial science and technology (AIST) - Centre de recherche HYDROGENIUS :

- M. Yukitaka Murakami, directeur ;

- M. Junichi Mitsuyama, directeur-adjoint ;

- Dr. Nobuhiro Kuriyama, directeur-adjoint ;

- M. Yusuke Kanamori, secrétaire général.

Hydrogen Energy Test and Research Center (HyTREC) :

- Pr. Shogo Watanabe, president.

Idex Eco Energy :

- Mr. Chuzo Isozaki, directeur technique.

Shinnisseki Gas :

- M. Yuichi Yanagida.

Seibu Gas :

- M. Toyohiro Matsushita.

b) Allemagne, du 18 au 22 février 2013

Ministère fédéral des transports, de la construction et du développement urbain - Bundesministerium für Verkehr, Bau und Stadtentwicklung (BMVBS) :

- M. Dirk Inger, directeur changement climatique, énergie et politique environnementale ;

- Mme Petra Winkler-Maître, déléguée aux relations franco-allemandes ;

- Mme Gabriele Kautz, chef adjoint de l'unité pour la mobilité durable ;

- Mme Sarah Drechsler, conseiller, unité pour la mobilité durable ;

- Dr. Ing. Ludmilla Schlecht, conseiller, unité pour la mobilité durable ;

Ministère fédéral de l’économie et de la technologie - Bundesministeriums für Wirtschaft und Technologie (BMWi) :

- Dr. Georg Menzen, Financement et coordination des projets de recherche en énergie.

Nationale Organisation Wasserstoff und Brennstoffzellentechnologie (NOW GmBH) :

- M. Hanno Butsch, directeur de la coopération internationale ;

- M. Thorsten Herbert, chef du programme transports.

Deutscher Wasserstoff uned Brennstoffzelen Verband (H2DMV) :

-Dr. Ulrich Schmidtchen, membre du conseil.

E.ON-Pilotanlage Falkenhagen :

- Dr. Klaus Peter Röttgen, directeur de l’innovation pour le stockage de l’énergie.

Enertrag - Centrale hybride de Prenzlau :

- M. Werner Diwald, directeur d’Enertrag AG ;

- M. Gerd Spenk, responsable Enertrag France.

TOTAL Allemagne :

- M. Carsten Retzke, responsable hydrogène et e-mobility.

SolarFuel :

- M. Stephan Rieke, directeur commercial.

Asap Engineering-AUDI AG :

- M. Daniel Böhner, chef de projet.

ANNEXES

ANNEXE N° 1 :
COMPTE RENDU DE L’AUDITION PUBLIQUE,
OUVERTE À LA PRESSE,
SUR « LES ENJEUX DU VECTEUR HYDROGÈNE-ÉNERGIE »
LE 30 OCTOBRE 2013

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l’OPECST. Tout d’abord, je tiens à remercier tous les participants à l’audition organisée aujourd’hui par nos collègues Laurent Kalinowski et Jean-Marc Pastor sur un sujet majeur pour la réussite de la transition énergétique : celui de l’utilisation potentielle de l’hydrogène en tant que vecteur énergétique. L’hydrogène-énergie constitue en effet l’une des pistes technologiques les plus prometteuses - même si elle n’est pas la seule - en vue d’un stockage massif de l’énergie produite par les énergies renouvelables variables, telles que l’éolien ou le solaire. Les travaux menés ces dernières années par l’Office parlementaire ont largement démontré la nécessité de développer de tels moyens de stockage avant de pouvoir sérieusement envisager un déploiement à grande échelle de ces nouvelles formes d’énergie propres.

Je rappellerai, pour ceux qui ne le connaissent pas, que l’Office parlementaire a été créé en 1983, afin de permettre au Parlement d’évaluer, en toute indépendance, les enjeux stratégiques et sociaux des avancées scientifiques et technologiques. C’est le seul organe commun aux deux chambres du Parlement, l’Assemblée nationale et le Sénat. Il réunit dix-huit députés et dix-huit sénateurs, désignés à la proportionnelle par les groupes politiques des deux assemblées qui sont assistés par un conseil scientifique de vingt-quatre membres, constitué de chercheurs internationalement reconnus : Jean-Marie Lehn en a été membre, Cédric Villani vient d’y rentrer. Même si ce n’est pas dans la loi, les règles ont fait que cet organe spécifique soit présidé pendant trois ans par un député, puis pendant trois ans par un sénateur, avec dans l’autre chambre un premier vice-président.

Parmi nos rapports, je citerai tout d’abord celui de 2009 sur l’évaluation de la stratégie de recherche en énergie qui identifiait deux axes de recherche en matière de stockage : les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), et la méthanation, consistant à synthétiser du méthane à partir d’oxyde de carbone ou de dioxyde de carbone. Deux ans plus tard, le rapport de la mission d’information, lancée après l’accident de Fukushima, sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir, revenait sur la nécessité, pour assurer le développement des énergies renouvelables variables, de laisser le temps nécessaire à l’industrialisation des solutions de stockage massif d’énergie dont nous ne disposons pas aujourd’hui. Le mois dernier, j’ai moi-même publié, avec mon collègue sénateur Bruno Sido, un rapport intitulé « La transition énergétique à l’aune de l'innovation et de la décentralisation ». Dans ce rapport nous rappelions encore une fois le caractère prioritaire du développement de nouvelles solutions de stockage d’énergie. Nous disions que nous n’atteindrions pas les objectifs de la transition énergétique sans rupture technologique sur le stockage.

À force de répéter ce message, il nous semble que cette idée a fini par faire consensus, voire qu’elle est en passe d’être ressentie comme une évidence. J’en veux pour preuve la publication récente du rapport de la commission Innovation 2030, animée par Anne Lauvergeon et créée à la demande du Président de la République. Ce rapport identifie sept axes de développement prioritaires pour notre pays. Le premier de ces axes concerne les technologies de stockage de l’énergie. La commission souligne que le développement d’énergies renouvelables en grande partie variables et de la mobilité sans émission de CO2 nécessitent des innovations de rupture dans les systèmes de stockage. Elle considère qu’il s’agit là d’un élément indispensable de la réussite de toute transition énergétique.

Il n’en a pas toujours été ainsi. Par exemple, l’Office parlementaire a été obligé, voici encore deux ans, d’insister sur ce point auprès des responsables de l’ANCRE, l’Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie. Depuis, celle-ci en a fait l’un de ses axes majeurs et, dans les scénarios de transition énergétique qu’elle a publiés récemment, les percées technologiques dans le domaine du stockage d’énergie sont identifiées comme un enjeu fondamental pour parvenir à réussir la transition énergétique. C’est également l’une des priorités identifiées dans la contribution de l’ANCRE, rendue public au début août, à la future stratégie de recherche en énergie. Dans cette contribution, l’ANCRE juge que le vecteur hydrogène présente un intérêt particulier si l’on considère son utilisation via les piles à combustible et sa faible empreinte carbone, ainsi que ses muliples possibililités d’utilisation ultérieure : cogénération, carburant pour les transports, injection dans le réseau de gaz, valorisation du CO2 par la méthanation...

Le potentiel de l’hydrogène pour le stockage d’énergie, en appui à l’intégration des énergies renouvelables, est l’une des raisons qui a conduit notre Office à lancer, suite à une saisine de la Commission des affaires économiques du Sénat, une étude spécifique sur les usages énergétiques de l’hydrogène, dont sont chargés mes collègues, le sénateur du Tarn Jean-Marc Pastor et Laurent Kalinowski, député de Moselle. Je voudrais dire ici qu’ils ont déjà réalisé, sur ce sujet, un travail remarquable.

En conclusion et pour faire la liaison avec les deux tables rondes prévues cet après-midi, je voudrais revenir sur l’un des aspects traités dans mon récent rapport sur la transition énergétique. Il s’agit des conditions dans lesquelles des solutions techniques innovantes seront effectivement disponibles au cours de cette transition. Je redis qu’il sera difficile de réussir cette transition énergétique si les processus d’innovation ne sont pas pris en compte. L’OPECST a perçu d’emblée cette dimension déterminante, tandis que le débat national l’a sans doute sous-estimée. Le débat national s’est sans doute trop focalisé sur la question du nucléaire dans la fourniture énergétique. En tout cas, nous l’avons écrit avec Bruno Sido.

Le rapport que j’ai rendu avec Claude Birraux sur l’innovation en 2012, « L’innovation à l’épreuve des peurs et des risques », permet de dégager les principaux points de blocage de l’innovation et les leviers d’action possibles pour son développement.

Les phases amont de l’innovation sont à notre sens correctement financées. Même si elle a des difficultés actuellement, l’ANR alloue 50 millions d’euros par an pour la validation technique des concepts, c’est-à-dire la valorisation. Les moyens de l’ADEME, renforcés par le dispositif des Investissements d’avenir, ont apporté un soutien de l’ordre du milliard d’euros, alloué aux démonstrateurs et aux Instituts d’énergies décarbonées.

En revanche – et je souhaiterais que vous puissiez en discuter – les deux phases plus avancées de l’innovation, celles des procédures réglementaires et de l’industrialisation à l’échelle 1 en vue la commercialisation, posent problème. C’est général au niveau de notre pays. Les problèmes réglementaires font que les délais sont inévitables, ce qui met les projets innovants en situation périlleuse d’un point de vue financier.

Nous souhaitons que nos rapporteurs puissent apporter des solutions à ce sujet, trouver les moyens d’adapter les procédures, pour en conserver l’efficacité tout en s’efforçant d’en réduire les excès préjudiciables à l’innovation. C’est l’une des difficultés qui reste à lever dans le cas des usages énergétiques de l’hydrogène, puisque la réglementation existante, conçue pour des installations industrielles de grande taille, s’avère être un frein à ces nouveaux usages, ainsi que Laurent Kalinowski et Jean-Marc Pastor l’ont souligné à l’occasion du point d’étape qu’ils ont présenté en juin dernier devant l’Office.

L’autre phase critique de l’innovation concerne le passage du financement à l’industrialisation. Couramment à ce stade, le besoin de financement change d’échelle : de la dizaine ou de la centaine de milliers d’euros, on passe alors aux millions, voire aux dizaines de millions d’euros. Nombre de petites entreprises innovantes ne trouvent pas cet argent. Comme le dit le rapport Lauvergeon, nous pensons qu’il est urgent de marteler que le stockage de l’énergie est une grande cause nationale.

Concernant cette deuxième difficulté, Laurent Kalinowski et Jean-Marc Pastor ont relevé que, malgré un acquis certain en termes de recherches, cette phase d’industrialisation posait problème dans notre pays, s’agissant des applications énergétiques de l’hydrogène, notamment du fait d’une coordination insuffisante des efforts effectués à différents niveaux pour y parvenir et d’un manque de visibilité sur les perspectives industrielles.

Les deux tables rondes seront donc une excellente occasion d’aborder cette question des freins au développement de l’innovation dans le domaine de l’hydrogène énergie et de l’indispensable coordination des différents acteurs. Je vais maintenant donner la parole à Jean-Marc Pastor qui va entrer dans le cœur du sujet de cette journée d’audition. Je voudrais toutes et tous vous remercier d’être venus à cette journée qui est très importante pour le Parlement.

M. Jean-Marc Pastor, sénateur, rapporteur. Je remercie notre premier vice-président, Jean-Yves Le Déaut, d’avoir ouvert cette journée d’échange. C’est en toute modestie que je prends, en tant que sénateur, la parole avant mon collègue de l’Assemblée nationale, avec qui je travaille main dans la main. Il ne faut y voir aucune hiérarchie, mais puisque nous sommes au Sénat, je veux vous souhaiter la bienvenue dans la Haute assemblée et, ce, dans une salle un peu particulière. Quand j’étais questeur, voici quelques années, un aménagement législatif a permis aux commissions de voter définitivement certaines parties de textes de loi, articles ou amendements. Pour cela, les commissions devaient pouvoir travailler dans des lieux adaptés au vote d’une loi, en conformité avec les principes républicains, avec une place pour les ministres, les rapporteurs, les commissions etc. Il faut aussi que le public puisse assister aux débats et que ceux-ci soient enregistrés. Toute une série d’équipements ont donc été nécessaires pour créer un petit hémicycle offrant toutes les conditions des grands hémicycles de la République qui permettent de voter la loi.

Aujourd’hui, nous entendrons un certain nombre d’acteurs de la filière hydrogène. Cette audition fait suite à un travail engagé voici plus de huit mois, durant lesquels nous avons rencontré plus de cent soixante personnes, dans des auditions privées ou au cours de déplacements, en France – où nous avons déjà croisé certains d’entre vous – ou à l’étranger, au Japon et en Allemagne.

Au mois de juin dernier, nous avons présenté devant l’Office un pré-rapport, de façon à cadrer les choses. Au cours de cette journée, nous essaierons de répondre à plusieurs questions importantes pour l’évolution de l’hydrogène sur notre territoire. Par exemple, nous avons constaté que la France est parmi les pays les plus en pointe, en termes de savoir-faire, et dispose, de ce fait, d’industriels, grandes entreprises ou PME, leaders dans ce domaine. Pourtant, ceux-ci valorisent souvent leur savoir-faire à l’étranger et non dans l’hexagone. Pourquoi ? En tant que parlementaires, nous devons nous poser cette question. Comment faire en sorte que la France ne reste pas observatrice de l’évolution en cours dans le monde ? Comme Jean-Yves Le Déaut l’a indiqué, le Parlement a souhaité se saisir de ces questions, pour y voir plus clair et, si nécessaire, faire bouger les choses.

Notre pré-rapport évoque quelques grands thèmes : l’hydrogène en tant que vecteur de l’énergie durable, la diversité de ses applications, par exemple pour le stockage et les transports, la nécessité de poursuivre l’effort de recherche, tant dans le domaine des piles à combustible que dans celui du stockage de l’hydrogène, et la question de la production décentralisée d’hydrogène dans les territoires, pour minimiser les coûts de son transport et faciliter l’acceptabilité sociétale. Associer les populations, au travers de la production locale d’énergie ou de son utilisation, permet, en effet, de faire évoluer les mentalités.

Cette réflexion sur une nouvelle gouvernance, une liaison entre territoire, production et consommation d’énergie, concerne une partie de la gestion de l’énergie en France. Il n’est pas question de rompre avec les atouts procurés par la gestion centralisée de l’énergie sur notre territoire, qui permet une mutualisation et une solidarité, mais d’ajouter quelque chose lié à la spécificité des énergies décentralisées. Il reste également à revoir les questions sur les normes, sur la fiscalité, ce qui n’est pas rien. Il n’est pas normal que certaines entreprises soient obligées de quitter l’hexagone au prétexte que nous n’aurions pas les mêmes normes.

Nous sommes là pour mettre toutes ces questions en débat. Au cours de cette journée, nous allons vous écouter en étant très attentifs à ce que vous nous direz, de manière à y voir plus clair et à pouvoir affiner ce rapport que nous comptons vous présenter avant la fin de l’année pour si nécessaire, initier une loi. Nous savons que, partout où la démarche a été enclenchée, elle a toujours commencé par un choix politique clair du Gouvernement. Nous sommes des acteurs politiques, nous nous devons de le dire et nous le dirons, le moment venu, avec beaucoup de force. Sans un engagement clair sur ce sujet du Gouvernement et des principaux acteurs politiques, les choses n'avanceront pas. Il faut un acteur qui coordonne toutes les démarches. C’est ce que nous expliquerons dans le cadre de notre rapport.

Comme l’a indiqué Jean-Yves Le Déaut à l’instant, la question du stockage massif de l’énergie est absolument cruciale pour la réussite de la transition énergétique. Par rapport aux autres solutions envisageables aujourd’hui pour y parvenir – en gros, les stations de transfert d’énergie par pompage ou STEP, le stockage par air comprimé ou CAES, et le stockage thermique – l’hydrogène présente deux atouts majeurs. D’une part, il couvre une très large plage de besoins de stockage, en termes de capacité comme de puissance et, d’autre part, il peut être réutilisé directement à d’autres fins que la simple restitution d’électricité. C’est que l’hydrogène est non seulement un moyen de stockage de l’énergie, mais aussi un vecteur d’énergie permettant, en principe, une très large gamme d’usages et d’utilisations.

C’est pourquoi la première table ronde de cette matinée vise à mesurer si, au-delà d’applications de niche telles que les chariots élévateurs à hydrogène ou les sous-marins, des usages plus massifs de ce vecteur pourraient parvenir à maturité dans les prochaines années.

En complément, la deuxième table ronde s’intéressera à la viabilité économique de l’hydrogène. Celle-ci se définit uniquement par rapport aux usages envisagés. L’hydrogène est aujourd’hui produit pour répondre à des besoins industriels, par exemple dans le domaine de la chimie, pour lesquels il s’avère souvent irremplaçable. Mais s’il doit être utilisé demain à des fins purement énergétiques, par exemple dans des véhicules, les consommateurs ne manqueront pas, bien entendu, de comparer son prix à celui de l’essence ou du diesel. C’est pourquoi il faut examiner comment l’hydrogène peut être obtenu en quantité suffisante et à quel prix, mais aussi comment il peut être stocké.

Comme l’a déjà indiqué notre premier vice-président, les deux tables rondes de l’après-midi s’intéresseront quant à elles aux conditions dans lesquelles les freins à l’innovation dans le domaine de l’hydrogène pourraient être levés. Il y en a encore quelques-uns. Il s’agira notamment, dans la troisième table ronde, de faire le point sur la maîtrise des risques liés aux nouveaux usages de l’hydrogène et sur la réglementation mise en place à cette fin. Quant à la quatrième table ronde, notamment au travers de témoignages d’industriels du secteur aux profils contrastés, elle nous permettra de nous interroger sur la meilleure façon de structurer nos efforts pour accélérer le développement d’une véritable filière industrielle.

Après cette courte présentation de la journée, je donne sans plus tarder la parole au professeur Michel Latroche, directeur du laboratoire des métaux et terres rares du CNRS et membre du comité d’experts de notre étude.

M. Michel Latroche, directeur du laboratoire des métaux et terres rares du CNRS. Monsieur le premier vice-président, Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs, c’est aujourd’hui pour moi un grand honneur de participer à cette séance introductive de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques sur le thème des enjeux du vecteur hydrogène-énergie, et je tiens à cette occasion à remercier Messieurs les parlementaires de m’avoir invité à participer à leurs débats.

Depuis de nombreuses années, la question cruciale de la transition énergétique a été posée à nos sociétés industrialisées et elle s’impose comme une évidence. Elle s’appuie sur trois constats qu’il est sans doute nécessaire de rappeler aujourd’hui. Nous devons d’abord constater que nos consommations énergétiques s’appuient massivement sur les énergies fossiles. Cet état de fait, relativement récent à l’échelle de l’humanité, conduit inéluctablement à la question des ressources, de leur exploitation et de leurs réserves finies par nature. Ces considérations conduisent à la notion du peak oil, cette courbe en cloche qui traduit, après une période de croissance rapide de la production de ces ressources fossiles, une décroissance rapide induite par une forte augmentation de la demande qui accélère la consommation, accompagnée par une raréfaction des ressources. Le débat sur la date exacte à laquelle le sommet du pic sera atteint reste ouvert et dépend de l’importance de la consommation et de la capacité à trouver de nouveaux gisements. Nous savons tous que ce scénario est inéluctable.

Le deuxième constat, lui aussi parfois controversé, s’appuie sur les effets néfastes d’une consommation massive de ces ressources fossiles. Le rejet dans l’atmosphère de quantités toujours plus importantes de dioxyde de carbone est une réalité aujourd’hui quantifiable et les rejets polluants des moteurs thermiques, dans les cités fortement urbanisées, s’imposent à nous quotidiennement comme une nuisance. Le réchauffement de la planète, lié à la production massive de gaz à effet de serre, semble se confirmer et les bouleversements climatiques que ce phénomène peut engendrer sont incommensurables. Aujourd’hui, tous les experts s’accordent sur la nécessité de réduire ces émissions à leur strict minimum pour garantir à court terme la bonne santé de nos concitoyens, mais également à plus long terme les grands équilibres climatiques de notre planète.

Enfin, le troisième constat est notre dépendance énergétique. Même si les choix de la France en matière de production d’énergie nucléaire notamment permettent de garantir une certaine autonomie, notre économie reste très largement tributaire de la géopolitique et des fluctuations parfois erratiques des cours des matières premières énergétiques que sont le gaz naturel et le pétrole. Il est donc stratégiquement important d’avoir une diversification de nos sources d’énergie pour diminuer notre dépendance.

Forts de ces trois constats, nous devons donc résolument nous engager, par respect pour les générations futures, dans une transition énergétique qui permettra d’augmenter massivement la part des énergies renouvelables dans notre modèle énergétique, de réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre et d’assurer l’indépendance économique de notre nation.

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, rappelait Antoine Lavoisier dans son Traité élémentaire de chimie, à l’aube de la Révolution française. Cette maxime, qui s’applique à la matière, s’applique tout autant à l’énergie, cette ressource qui se transforme sans cesse et que nos besoins toujours renouvelés nous incitent à produire, stocker et utiliser séparément.

Les énergies dites renouvelables sont par définition intermittentes dans le temps et dans l’espace. Le vent peut souffler en tempête ou encalminer le skipper d’un voiler transocéanique ; l’ensoleillement dépend bien sûr de nos latitudes, de l’espace, de la saison, du temps, mais surtout de nos conditions climatiques, ce qui rend ces sources d’énergie complexes à gérer. Ainsi, nous n’avons pas une adéquation entre l’offre énergétique, la production délocalisée dans le temps et dans l’espace, et la demande, les besoins des consommateurs. Il nous faut donc stocker – gestion temporelle – et transporter – gestion spatiale – l’énergie produite.

Ces besoins de gestion amènent au concept de vecteurs énergétiques, capables de véhiculer l’énergie dans le temps et dans l’espace. Ces vecteurs peuvent exister sous diverses formes, mais les deux principaux vecteurs envisagés aujourd’hui pour un déploiement de masse sont l’électricité et l’hydrogène. L’électricité fait déjà partie de notre paysage énergétique et bénéficie d’une infrastructure et d’un réseau de distribution qui maille l’intégralité de notre territoire. Les choix politiques de la France dans la seconde moitié du XXe siècle ont conduit à développer un parc électronucléaire performant qui permet aujourd’hui de produire une électricité très compétitive au prix du kilowatt-heure. Toutefois, le développement du véhicule électrique reste toujours confidentiel dans les transports. Dans ce domaine, les verrous technologiques liés au stockage de l’énergie embarquée dans les batteries restent à lever, que ce soit en termes de performances (les capacités massiques, volumiques, la recyclabilité, la durée de vie) ou en termes de coûts.

L’autre vecteur énergétique, l’hydrogène, pourrait être utilisé pour le stockage et la distribution de l’énergie sous forme massive. Pour être précis, ce n’est pas l’élément hydrogène qui nous intéresse aujourd’hui, mais le dihydrogène. En effet, l’hydrogène est un carburant léger – sa masse molaire est de deux grammes par mole – qui ne présente pas de toxicité avérée. Sa réaction avec le dioxygène ne produit que de l’eau, par nature non polluante. Surtout, ce gaz présente une très forte densité énergétique massique qui atteint 142 mégajoules par kilo, soit près de trois fois celle des hydrocarbures.

Le premier à avoir produit de l’énergie à partir d’hydrogène est probablement Robert Boyle qui en 1671 dissout du fer dans l’acide chlorhydrique et rapporte que les vapeurs émises sont hautement inflammables. Toutefois, ce n’est qu’en 1766 qu’Henry Cavendish découvre et isole l’hydrogène. Cavendish démontre alors qu’en brûlant l’hydrogène, il ne se forme que de l’eau. En conséquence de cette observation, ce gaz fut nommé « hydrogène » par le chimiste français Antoine Lavoisier. En 1898, James Dewar produit pour la première fois de l’hydrogène liquide, et en 1900 le premier zeppelin effectue son vol inaugural rempli d’hydrogène, preuve que l’utilisation de l’hydrogène comme vecteur énergétique était déjà d’actualité à cette époque.

L’hydrogène est le premier élément du tableau périodique, le plus simple des atomes puisqu’il est composé d’un proton et d’un électron. Il existe sous deux formes isotopiques : le deutérium et le tritium qui peuvent être utilisés pour la production de l’énergie par fusion nucléaire, mais ceci est hors de notre propos aujourd’hui. L’hydrogène est un élément souvent conféré comme ambivalent car il peut former aussi bien un anion H- qu’un cation H+ dans les composés ioniques, former des liaisons covalentes, avec le carbone en particulier, ou même se comporter comme un métal, dans certains alliages et composés intermétalliques.

Sous sa forme gazeuse, le dihydrogène est très léger. C’est le seul gaz assez léger pour atteindre les hautes couches de l’atmosphère et s’échapper dans l’espace interstellaire. Il ne présente ni couleur ni odeur, n’est pas toxique, est même utilisé dans les mélanges gazeux en plongée profonde, mais reste hautement inflammable dans l’air à partir d’une concentration de 4 %. Sa densité à température ambiante est très faible, de l’ordre de 90 milligrammes par centimètre cube et il faut le refroidir aussi bas que 20 Kelvins (-253°C) pour l’obtenir sous forme liquide et 14 Kelvins pour le voir se solidifier. Ce gaz diatomique est de loin le plus abondant dans l’univers puisqu’il représente 92 % de tous les atomes. À titre d’exemple, Jupiter contient 99,8 % d’hydrogène et d’hélium. C’est aussi le principal carburant de notre soleil qui en consomme 600 millions de tonnes par seconde pour nous fournir entre autres la précieuse énergie photovoltaïque. Il est également très présent sur terre sous forme liée, principalement dans l’eau, mais également dans la matière vivante associée au carbone. C’est d’ailleurs cette matière organique, enfouie dans le sol qui, par un procédé de méthanisation sur plusieurs millions d’années, a conduit à la formation des énergies fossiles que nous utilisons aujourd’hui.

L’hydrogène est malheureusement très peu présent sur notre planète sous forme diatomique. On estime sa concentration sous forme gazeuse dans l’atmosphère de l’ordre de 0,55 partie par million en volume, ce qui est extrêmement faible. Le dihydrogène ne peut donc pas être considéré comme une ressource en tant que telle, mais seulement comme un vecteur d’énergie qui présente de nombreux avantages.

Pour être utilisé comme vecteur d’énergie, le dihydrogène devrait être produit, stocké, transporté et utilisé dans une chaîne vertueuse qui ne consommerait et ne générerait que de l’eau. Aujourd’hui, la production mondiale de dihydrogène atteint près de 60 millions de tonnes par an, mais ce chiffre représente moins de 2 % de la consommation mondiale d’énergie. En d’autres termes, il faudrait en produire cinquante fois plus pour répondre à nos besoins énergétiques dans le futur. Le dihydrogène est produit aujourd’hui principalement, à 95 %, par le vaporeformage de gaz naturel, d’hydrocarbures liquides ou de charbon. Seuls 4 % sont produits de manière verte, par électrolyse de l’eau. Ce gaz est principalement utilisé dans l’industrie pour le raffinage des produits pétroliers et en chimie industrielle pour la production d’ammoniac et de méthanol.

Le transport de dihydrogène peut se faire soit sous forme liquide dans des citernes, soit en utilisant des réseaux de pipelines. Une telle infrastructure existe déjà dans le monde, avec 2 500 kilomètres déployés dont 1 500 en Europe. Le stockage du gaz reste aujourd’hui l’un des principaux verrous au déploiement de cette technologie. En effet, de par sa légèreté, ce gaz présente des densités volumiques très faibles. Ainsi, il est courant de rappeler que dans des conditions ambiantes, c’est-à-dire à 25°C et sous une pression de l’atmosphère, un kilogramme de dihydrogène occupe un volume d’environ 11 m3. Si l’on admet que pour une autonomie de 500 kilomètres, un véhicule doit embarquer au moins 5 kilogrammes d’hydrogène, cela conduit à un volume de 44 m3, ce qui est totalement hors de portée.

De nombreux travaux ont donc été menés pour tenter d’optimiser les conditions de stockage de ce gaz et on peut classer les techniques de stockage en deux grandes catégories. D’une part, les moyens physiques basés sur la compression ou la liquéfaction : ces deux techniques sont aujourd’hui matures et largement utilisées industriellement. Ces techniques ont toutefois atteint leurs limites. Pour la compression, le dihydrogène n’étant pas un gaz parfait, on s’accorde aujourd’hui sur des pressions maximum de fonctionnement de l’ordre de 70 mégapascals ou 700 bars, dans des réservoirs composites qui permettent d’atteindre des capacités volumiques de l’ordre de 40 grammes par litre. La liquéfaction permet d’obtenir des capacités volumiques plus élevées, de l’ordre de 70 grammes par litre, mais reste pénalisée par des problèmes d’isolation thermique et d’évaporation du gaz, aussi appelée boil-off, qui peut atteindre 1 % de pertes par jour. Les deux technologies restent également assez coûteuses en énergie. On estime ainsi que la compression du gaz à 700 bars peut coûter jusqu’à 15 % du pouvoir calorifique intérieur, ou PCI, et la liquéfaction jusqu’à 30 % de ce même PCI.

On peut d’autre part utiliser le stockage par des méthodes physico-chimiques qui consistent à faire réagir le dihydrogène avec des composés. Deux techniques sont, là encore, envisagées : la physisorption et la chimisorption. Le stockage de l’hydrogène par physisorption à basse température s’effectue sur des matériaux présentant de grandes surfaces spécifiques. Le phénomène d’absorption met en jeu l’hydrogène moléculaire sans dissociation de la molécule, de sorte que l’on ne peut pas parler d’hydrure. Les interactions sont de type Van der Waals et les énergies de liaison mises en jeu sont faibles, ce qui ne peut se produire qu’à des températures significativement basses, typiquement à la température de l’azote liquide, 77 Kelvins.

Différentes familles de matériaux peuvent être envisagées pour le stockage de l’hydrogène par absorption à basse température. On peut citer les charbons actifs, les éolithes, les composés organométalliques de type MOF, Metal Organic Framework. Dans tous les cas, ces matériaux présentent des surfaces spécifiques très élevées, liées à la présence de volumes microporeux ou au caractère fortement divisé de la matière. Les capacités volumiques restent toutefois modestes, de l’ordre de 30 à 40 grammes par litre, du fait de la grande porosité de ces matériaux qui conduit à des densités très faibles. Enfin, la nécessité de température de fonctionnement cryogénique limite les possibilités d’utilisation de ces technologies dans des systèmes embarqués.

Le stockage par chimisorption consiste, quant à lui, à faire réagir le dihydrogène en dissociant cette fois la molécule H2 pour former des hydrures. Il existe deux grandes familles de matériaux susceptibles de réagir ainsi réversiblement avec l’hydrogène : les hydrures métalliques et les hydrures complexes.

Les hydrures métalliques sont formés par l’association d’un élément présentant une forte affinité pour l’hydrogène, souvent un alcalino-terreux, un métal de transition de début de période, un terra ou un actinide et d’un élément présentant une faible affinité pour l’hydrogène (métal de transition de fin de période ou élément P). Une distinction peut être faite entre les hydrures de capacité moyenne qui ont une cinétique rapide à température ambiante, tels que le lantanique L5 ou le titane fer, et les hydrures de plus grande capacité, mais qui ne peuvent fonctionner qu’à températures plus élevées, typiquement au-delà de 300°C, qui sont plus réversibles et ont un mauvais comportement cinétique, tels que les alliages à base de vanadium.

Jusqu’à présent, ces hydrures assez lourds, car composés de métaux, présentent des capacités massiques faibles, de l’ordre de 2,5 % à température ambiante. Ils sont par contre très performants en capacité volumique, avec plus de 100 grammes par litre, soit une capacité largement supérieure à la densité de l’hydrogène liquide. Il faut noter également que l’utilisation de ces hydrures entraîne la gestion de la chaleur liée aux réactions d’absorption ou de désorption qui représentent environ 25 % du PCI de l’hydrogène stocké. Ceci implique une bonne gestion des phénomènes de transfert thermiques avec l’extérieur. Ces matériaux sont toutefois très sûrs puisqu’ils fonctionnent à basse pression et à basse température.

Les hydrures métalliques complexes sont des composés pour lesquels les atomes d’hydrogène établissent des liaisons covalentes ou ioniques avec les atomes métalliques. Ce type de liaison contraste avec celui mis en jeu dans les hydrures interstitiels décrits précédemment où l’interaction hydrogène-métal est de type métallique. On peut citer, dans cette famille, les alanates, les borohydrures, les amidures ou encore les siliciures. Tous ces hydrures complexes possèdent des rapports hydrogène-métal très élevés et offrent donc des capacités massiques très fortes de 6 à 18 % et volumiques élevées jusqu’à 120 grammes par litre. Ils sont de par la nature de liaison chimique beaucoup plus stables que les hydrures métalliques pour atteindre une pression désorption d’un bar hydrogène ; des températures supérieures à 300 degrés sont habituellement nécessaires.

Enfin, le dihydrogène doit pouvoir être reconverti pour fournir de l’énergie. Il peut bien sûr être utilisé directement pour fournir de la chaleur par combustion avec le dioxygène et alimenter ainsi des turbines à gaz, pour produire de l’énergie mécanique ou électrique. Toutefois, aujourd’hui on envisage surtout de l’associer avec les piles à combustible pour produire à la fois chaleur et électricité, dans un mode dit de cogénération. Les piles à combustible peuvent couvrir pratiquement toutes les gammes de puissance, du microwatt au mégawatt. Dans ce procédé, seule de l’eau est émise comme produit de combustion, ce qui fait sans doute de cette technologie l’une des plus vertes qui soit.

Pour conclure, nous devons nous poser une dernière question. L’hydrogène comme vecteur énergétique, est-ce un rêve ou une réalité ? Si nous regardons les technologies actuelles, nous pouvons trouver un début de réponse à cette question. Les programmes spatiaux, Gemini Apollo et les navettes spatiales, ont tous utilisé avec succès une technologie basée sur le dihydrogène et les piles à combustible pour fournir l’énergie électrique à bord des vaisseaux. De même, les lanceurs, tels que la fusée Ariane 5, utilisent de l’hydrogène liquide pour la propulsion et là encore avec beaucoup de réussite. Je citerai également l’exemple du sous-marin allemand U 212 qui utilise 4,4 tonnes d’hydrures métalliques pour stocker 55 kilos, soit 630 m3 ou un mégawat-heure, d’hydrogène pour sa propulsion avec des piles à combustible.

Ces marchés, essentiellement spatiaux et militaires, restent encore des marchés de niche, mais, aujourd’hui, de nombreux constructeurs automobiles de par le monde développent des prototypes utilisant ce vecteur énergétique. Alors, nous pouvons répondre à la question. Oui, le vecteur énergétique hydrogène est une réalité qui ne demande aujourd’hui qu’à se développer pour nous offrir des technologies plus propres, plus sûres et plus efficaces pour le futur. Merci de votre attention.

M. Jean-Marc Pastor. Merci professeur Latroche pour cette présentation. Je laisse la parole à Laurent Kalinowski qui va présider la première table ronde.

M. Laurent Kalinowski, député, rapporteur. D’abord, permettez-moi de vous saluer toutes et tous et de vous remercier de votre présence qui nous permettra d’enrichir notre rapport. Je remercie tout particulièrement le professeur Michel Latroche pour cette introduction qui a posé les bases scientifiques de cette journée. Munis de ces connaissances, nous allons donc pouvoir aborder dans les meilleures conditions la première table ronde. Celle-ci concerne les nouvelles applications de l’hydrogène.

Nous nous sommes limités à quatre applications, présentant le potentiel d’intéresser à terme un public assez large. Il s’agit en effet d’évaluer dans quelles mesures de nouvelles applications grand public de l’hydrogène pourraient un jour induire une consommation significative de ce gaz et une diffusion à grande échelle des technologies associées, ce qui serait la condition d’une baisse de leur coût. A contrario, nous ne nous interrogerons pas ici sur le rôle que pourrait jouer l’hydrogène dans l’intégration des énergies renouvelables variables. Ce point essentiel sera abordé dans la suite de l’audition. D’autre part, nous avons préféré donner la priorité à des entreprises jeunes qui sont plus directement confrontées aux difficultés liées à la diffusion des innovations que ne pourraient l’être des structures plus importantes, disposant d’une assise solide pour y faire face.

Tout d’abord, je vais donner la parole à Messieurs Fabio Ferrari, président-directeur général, et Bertrand Chauvet, directeur marketing de la société SymbioFcell. SymbioFcell propose des systèmes de piles à combustible fonctionnant à l’hydrogène, destinées au secteur de la mobilité. Comme vous le savez, nos constructeurs nationaux ont choisi de privilégier le tout électrique et l’hybridation électrique des motorisations à combustion interne, par rapport au développement de véhicules à hydrogène, du moins si l’on ne prend pas en compte le cas de Nissan qui lui travaille activement à cette technologie au Japon. Messieurs Ferrari et Chauvet vont donc nous expliquer quelle stratégie ils mettent en œuvre dans ce contexte a priori assez difficile, afin de promouvoir l’usage de l’hydrogène dans la mobilité. Ils évoqueront, bien entendu, les aspects techniques de leurs solutions. J’espère qu’ils pourront aussi en préciser le coût ainsi que les atouts et inconvénients, en regard des technologies éprouvées. Peut-être pourront-ils tracer des perspectives de développement à moyen terme de leurs solutions. Je vous cède donc la parole.

M. Fabio Ferrari, président-directeur général de SymbioFcell. Merci pour cette excellente introduction et pour la qualité de votre travail préliminaire qui est apprécié. Pour vous situer le débat, en France, nous sommes dans un cadre un peu particulier. Vous avez cité tout à l’heure le Japon et l’Allemagne ; on peut citer aussi l’Angleterre, les pays nordiques et les Etats-Unis. Dans ces pays, il y a aujourd’hui une dynamique assez forte de développement de véhicules à hydrogène ; je parle bien de véhicules grand public. Vous avez peut-être eu l’occasion d’essayer ces véhicules ; je pense que vous avez dû au moins essayer le véhicule coréen, mais aussi peut-être d’autres.

Quelles sont les motivations pour le développement de ce genre de véhicules ? On a parlé de sécurité énergétique. Dans certains pays, c’est évidemment une motivation forte. On a parlé de CO2, des problèmes de réchauffement climatique. Aujourd’hui, économiquement, on a du mal à contrebalancer cette envie de réduire le CO2 par des incitations économiques. Vous savez que le prix de la tonne de CO2 est malheureusement plutôt en train de chuter que d’augmenter. Le stockage énergétique est en revanche une véritable motivation de ces pays qui cherchent à trouver des usages multiples à l’hydrogène, le stockage en étant un. Ensuite, on sait faire aussi avec cet hydrogène le plein des véhicules. Pour rappeler l’aspect économique des choses, on connaît le prix du stockage énergétique qui est fluctuant en fonction de l’offre et de la demande, mais on connaît aussi le prix d’un plein de véhicule et ce prix est beaucoup plus élevé. En mélangeant un usage de stockage et un usage pour les véhicules, les modèles économiques du vecteur énergétique deviennent beaucoup plus intéressants. Telle est la motivation économique de ce vecteur.

Je voudrais rappeler que le succès des voitures électriques tient aujourd’hui à une certaine forme de tranquillité à l’usage, au silence de fonctionnement, ce qui est une valeur forte pour le client. Il faut tout de même rappeler que les gens doivent d’abord avoir envie d’acheter ce genre de véhicules. Quand on a essayé un véhicule hydrogène, on se demande pourquoi il n’est pas aujourd’hui sur la route. Je pense que vous avez fait ce constat. C’est extrêmement agréable à conduire. Le fait de n’avoir ni bruit ni pollution est un ressenti qui est une véritable valeur et qui, à mon avis, pousse la technologie.

La dernière motivation tient à l’aspect non polluant. Aujourd’hui, il faut rappeler que les piles à combustible ne produisent que de l’eau. Par rapport à la combustion, on ne va pas non plus faire de NOx. Quand on brûle de l’hydrogène, on brûle de l’air à haute température et on continue à faire des NOx, ce qui est polluant. Une pile à combustible ne fait vraiment que de l’eau pure. Je pense que vous êtes tous informés de cette volonté d’avoir des véhicules non polluants en centre-ville. Aujourd’hui, de plus en plus d’agglomérations limitent l’accès de leur centre-ville aux véhicules polluants. Albi en est un excellent exemple. Vous parliez tout à l’heure d’enjeux politiques : voici un enjeu politique fort. Dès lors que les centres villes ferment leur accès aux véhicules polluants, il faut bien trouver une solution.

Il n’y a pas de multiples solutions. Elles passent principalement par des véhicules électriques ou des véhicules fortement dépollués. Les véhicules électriques souffrent aujourd’hui d’un manque d’autonomie auquel l’hydrogène peut apporter une solution intéressante. On peut aujourd’hui fabriquer de petits véhicules électriques équipés en batterie assez autonomes parce qu’ils consomment peu. Pour de petits camions ou des utilitaires, on parle de tonnes de batteries embarquées, ce qui n’est plus possible. Le véhicule promène des batteries, il ne sait plus transporter des marchandises. Dans ce cadre, l’hydrogène a tout de suite un avantage clé.

Le souci qui se pose pour le véhicule grand public tient aujourd’hui à l’infrastructure. Déployer une infrastructure est un acte politique fort et coûte également très cher. Une station à hydrogène grand public coûte environ un million d’euros. Je rappelle qu’il y a environ 15 000 stations-service en France, même si leur nombre s’est beaucoup réduit. Faites la multiplication, et vous aurez une idée du prix que coûterait le déploiement de stations-service hydrogène pour le grand public. C’est possible, des pays développent aujourd’hui des infrastructures hydrogène, avec un programme qui s’appelle « H2 Mobilité ». C’est un programme européen destiné à faire des calculs et des plans de déploiement d’infrastructures hydrogène. La France participe à ce mouvement. Les petites entreprises sont très actives, mais d’autres, comme Air Liquide, poussent aussi beaucoup pour avoir ces stations en France. Ce programme permet d’avoir une idée du coût d’une infrastructure hydrogène.

On a parlé tout à l’heure des enjeux en termes de réglementation. Aujourd’hui, en France, on sait homologuer un véhicule à hydrogène. C’est un point important. Les gens pensent qu’il est encore impossible d’avoir un véhicule à hydrogène. Vous avez roulé à Grenoble dans un véhicule à hydrogène immatriculé. Ce n’est pas de la science-fiction. Aujourd’hui, la réglementation européenne permet une homologation des véhicules à hydrogène. Le premier véhicule à hydrogène français a été homologué en France. Malheureusement, la société concernée a disparu depuis. Mais nous avons récupéré ses compétences chez nous. Nous savons donc homologuer des véhicules hydrogène.

En termes de réglementation, le souci pour l’automobile concerne les stations. Il nous faut une réglementation pour être capable d’installer des stations sans se poser de questions. Il est possible d’installer une station, mais il est toujours difficile de le faire sans réglementation parce qu’il faut convaincre les DREAL. C’est tout un cheminement qu’il faut répéter à chaque fois, alors qu’une réglementation simplifie les débats. On a parlé tout à l’heure de production d’hydrogène. En France, nous avons cette particularité de devoir nous conformer à la réglementation SEVESO pour pouvoir installer des électrolyseurs destinés à générer l’hydrogène mis dans les véhicules. Il est certes possible de faire venir l’hydrogène par camions, mais il est dommage d’être contraints d’en passer par là pour faire le plein des véhicules.

Je voudrais aussi rappeler qu’en France, nous avons la chance d’avoir des chercheurs qui sont très avancés sur les piles à combustible. C’est une technologique dans laquelle on n’a pas honte de notre savoir-faire par rapport à l’état de l’art international. Pour notre part, nous travaillons de façon très rapprochée avec le CEA qui étudie depuis plus de vingt ans la technologie de la pile à combustible. Nous avons la chance d’avoir une licence de leur technologie. On a un objet que l’on sait industrialiser, que l’on sait mettre dans des véhicules. Il faut le rappeler. Nous n’avons pas quinze ou vingt ans de retard par rapport à ce qui se passe au niveau international. C’est différent du photovoltaïque ou des batteries pour lesquels on sait que les pays d’Asie, en particulier, ont fait d’énormes progrès qui sont plus difficiles à rattraper.

Vous avez compris que notre approche est la livraison. Nous ne sommes pas des constructeurs automobiles, nous ne pouvons pas nous permettre de faire des véhicules. Nous partons de véhicules électriques existants, comme la Kangoo ZE de Renault que vous avez vue chez nous, auxquels nous ajoutons un kit hydrogène permettant de doubler leur autonomie. C’est une approche très pragmatique en termes d’économies. On part en effet d’un véhicule industrialisé, avec un prix qui est déjà acceptable pour le grand public. Vous avez dit dans votre introduction que nous allions parler prix. Notre approche est de convaincre le client final que l’achat d’un tel véhicule ne va pas lui coûter plus cher que l’achat d’un diesel. C’est un point clé. Les gens qui font des livraisons en centre-ville regardent le prix de la tonne déplacée ou le prix du kilomètre. Ils ont une approche TCO, coût total de possession, ils regardent ces aspects économiques. On leur démontre qu’avec notre kit, qui coûte entre 10 000 et 15 000 euros selon les options, ils seront capables de livrer en centre-ville avec le double de l’autonomie d’un véhicule électrique pour le même prix qu’un diesel, avec un coût d’hydrogène acceptable.

Les études qui ont été faites sur l’hydrogène vecteur énergétique montrent que le coût d’un plein d’hydrogène est aujourd’hui équivalent au coût d’un plein au diesel. On sait toutefois que le prix du diesel va augmenter. La ressource a tendance à se raréfier. On va chercher le pétrole de plus en plus profondément et de plus en plus loin en mer. Il est clair que le prix du diesel va mécaniquement augmenter. Par contre, on sait que plus on va produire de l’hydrogène, moins son prix sera élevé. On sait donner de la projection à long terme en disant que cette technologie coûtera de moins en moins cher et non pas le contraire. Cet aspect économique permet dès aujourd’hui de faire des ventes de véhicules à hydrogène, avec cette approche marché mettant en évidence l’intérêt des kits à hydrogène pour les véhicules électriques.

Nos premiers véhicules roulent chez Solvay qui a acheté deux prototypes et qui a des intérêts dans ce qui se passe dans le domaine de l’hydrogène. Les trois prochains rouleront à la Poste qui a une démarche très volontariste en matière de véhicules électriques. Elle a une flotte de près de 50 000 véhicules, dont dès aujourd’hui 10 000 Kangoo électriques. Elle veut étendre ce déploiement et cherche des solutions pour avoir plus d’autonomie. Nous allons donc tester cette solution avec la Poste, de vrais postiers, de vrais colis et de vraies lettres.

M. Bertrand Chauvet, directeur marketing, SymbioFcell.- Pour compléter ce que vient de dire Fabio, je reviendrai sur le contexte français. Nos constructeurs ont fait un pari qui est celui du véhicule électrique à batterie, qui est en soi un pari intéressant et sur lequel nous pouvons capitaliser pour le futur. N’oublions jamais qu’un véhicule à hydrogène est dans tous les cas un véhicule électrique, doté d’une chaîne de traction électrique. Tous les efforts de développement qui ont été faits par nos constructeurs sont donc valorisables. Avec une démarche très pragmatique, comme celle développée par SymbioFcell, qui vient rajouter en fait une petite verrue, non intrusive, sur un véhicule existant, notre positionnement consiste à dire que ces approches ne sont pas concurrentes, mais tout à fait complémentaires. Nous allons étendre le potentiel de marché du véhicule électrique à batterie, en nous adressant à une problématique spécifique du consommateur, notamment du consommateur professionnel qui doit faire face à des cycles d’usage. Plus de 50 % des véhicules de livraison font en moyenne 300 kilomètres par jour en France. On ne sait pas répondre à ces usages avec un véhicule uniquement à batterie.

Une vision un peu technicienne consiste à dire que le grand public fait en moyenne trente kilomètres dans la journée et que la batterie est donc suffisante, mais on oublie que l’autonomie n’est pas le seul attribut de valeur pour le consommateur. Ce sont aussi la flexibilité et la disponibilité. Si le véhicule doit être isolé au garage sept ou huit heures d’affilée pour être rechargé, le consommateur comprend que pendant ce temps il n’y a pas accès pour son usage de façon sécurisée. C’est un exemple d’attribut de valeur supplémentaire auquel il va falloir répondre, puisque le consommateur a été « formaté » par plus de cent dix ans d’usage de véhicules thermiques et qu’il s’attend à un certain nombre de services, parmi lesquels la flexibilité et la disponibilité.

Fabio a mentionné la problématique du coût de l’infrastructure. L’approche du marché que nous avons aujourd’hui en France consiste à répondre à des cycles d’usage professionnels. Il est possible de créer des stations de recharge, parfaitement dimensionnées pour une petite flotte de véhicules, privées ou semi-publiques, susceptibles de devenir publiques. C’est très intéressant parce que cela permet de déployer des infrastructures qui sont beaucoup moins coûteuses et vont surtout être amortissables de façon beaucoup plus efficace, puisqu’une petite station de 10, 20 ou 50 kilos par jour, suivant le nombre de véhicules de la flotte, va pouvoir être utilisée à plein. Cet élément est extrêmement intéressant dans le TCO global. Si on part du principe que l’on peut créer un maillage territorial, avec des applications très locales que l’on interconnecte avec des infrastructures publiques, on a résolu le problème de la poule et de l’œuf. On essaie donc de promouvoir cette démarche en France au travers de « H2 Mobilité ».

Aujourd’hui, les autres pays qui ont déjà déployé des programmes « H2 Mobilité » nous regardent avec beaucoup d’attention. Nous avons pu par exemple attirer dans « H2 Mobilité » France des constructeurs comme Nissan, Renault Trucks et Hyundai, parce qu’ils ont vu que nous avions une approche très pragmatique de création de marchés. C’est une spécificité française sur laquelle nous pouvons capitaliser.

Par extension, quand on parle de coûts d’investissement pour la recharge publique, il ne faut pas oublier que la comparaison doit se faire modulo le kilomètre rechargé. Quand un véhicule reste immobilisé durant cinq à huit heures d’affilé, vont être rechargés un certain nombre de kilomètres. Imaginons que dans ce temps vous rechargiez en moyenne une centaine de kilomètres sur un véhicule à batterie. En l’espace de cinq minutes, vous allez recharger un véhicule hydrogène qui va faire entre 500 et 600 kilomètres. Le coût au kilomètre rechargé va donc être très différent. Ramenée à cette unité de valeur du coût au kilomètre rechargé, une infrastructure publique de recharge pour l’hydrogène coûte 2,9 fois moins cher qu’une infrastructure de recharge électrique, ce sans tenir compte ni du coût du foncier, ni de celui du génie civil. Si les véhicules sont immobilisés pendant cinq à huit heures sur une certaine zone, le foncier utilisé sera beaucoup plus important. Le génie civil coûte environ 2 000 euros du mètre linéaire. S’il faut amener de gros câbles pour faire de la recharge électrique, le coût est encore une fois extrêmement élevé.

Je voudrais donc simplement que l’on relativise ce coût des infrastructures hydrogène. En fin de compte, comme nous espérons le démontrer avec les études de « H2 Mobilité » France, déployer une infrastructure de recharge d’hydrogène en France coûterait beaucoup moins cher au kilomètre rechargé que de déployer une infrastructure de recharge électrique. Ce message n’est pas encore aujourd’hui intégré et compris par l’ensemble des acteurs du marché.

M. Laurent Kalinowski. Je vous remercie pour cet exposé complet et intéressant qui amènera certainement à des questions tout à l’heure dans le cadre du débat. Je vais à présent me tourner vers Monsieur Claude Freyd, directeur Innovation et Réglementation de De Dietrich Thermique, une société que je connais, parce qu’elle est installée à quelques dizaines de kilomètres de Forbach. Monsieur Freyd va présenter les applications des piles à combustible et de l’hydrogène dans l’habitat. Tout en présentant l’intérêt technique de celles-ci, j’espère qu’il pourra également donner une idée de leur coût et, partant de là, des possibilités de diffusion de ces technologies sur le marché. Enfin, je trouve très significatif que Monsieur Freyd soit en charge à la fois des aspects d’innovation et de réglementation. Comme l’a expliqué tout à l’heure Jean-Yves Le Déaut, ceux-ci présentent de fortes interactions. Vous pourrez nous en dire deux mots. Je vous cède la parole.

M. Claude Freyd, directeur Innovation et Réglementation, De Dietrich Thermique. Merci, Monsieur Kalinowski. Permettez-moi tout d’abord de vous remercier, Messieurs les parlementaires, pour cette invitation. Je suis ravi de pouvoir exposer notre point de vue d’industriel par rapport à cette question. En ce qui me concerne, je vais vous exposer notre perception et notre vision des évolutions probables dans l’univers du confort thermique des bâtiments, ce qui est un peu différent de la mobilité, et vous parler aussi de notre relation avec l’hydrogène. Je vais en quelque sorte faire le lien entre le présent et le futur et parler de la transition énergétique dont on parle beaucoup actuellement.

Pour bien comprendre ce qui se passe actuellement et ce qui se passera dans les prochaines années, je pense qu’il faut rappeler quelques éléments essentiels. Premièrement, le bâtiment représente environ 40 % de la consommation globale de l’Europe, tout comme en France. Le confort thermique des bâtiments et l’eau chaude sanitaire représentent les 4/5e de ces 40 %. Il y a donc là un gisement énorme en termes d’économies d’énergie. Les pouvoirs publics l’ont bien compris, tout particulièrement en France avec la réglementation thermique qui nous conduit progressivement vers les bâtiments à basse consommation. La suite qui se profile va nous amener à réduire d’un facteur 6 les besoins thermiques des bâtiments. Dans le même temps, la consommation électrique sera aussi réduite d’environ 20 % d’après les projections actuelles.

Deuxièmement, dans le futur concept du bâtiment à énergie positive qui se profile vers 2020, il faut compenser complètement les besoins des bâtiments, ce qui conduit à produire de l’énergie électrique localement. C’est le seul moyen de compenser. D’une part, une forte réduction des besoins thermiques, d’autre part, probablement, une nécessité de production d’énergie électrique dans les bâtiments du futur. Le futur s’entend dans moins de dix ans.

Comment y arriver ? On travaille actuellement sur différents axes. Le premier qui vient tout de suite à l’esprit est la limitation des besoins et l’isolation thermique des bâtiments, mais il y en a d’autres. Par exemple, nous travaillons aussi sur les systèmes électroniques de régulation qui permettent de limiter les besoins dans les bâtiments existants et futurs. En plus, les performances de ces solutions de régulation seront encore amplifiées grâce aux Smartphones et au développement de l’internet (les télécommandes, etc.).

À part la réduction des besoins à l’usage, un autre élément tient au recours encore plus massif aux énergies renouvelables. Tout le monde a en tête l’énergie solaire et les pompes à chaleur. La France a un grand parc de pompes à chaleur ; plus de 60 000 pompes à chaleur sont vendues par an en France, soit le tiers des ventes européennes. On est donc bien en phase et en ligne. Il y a aussi bien sûr la biomasse (les poêles à bois, les chaudières à bois) qui est beaucoup plus marginale. On travaille actuellement sur les pompes à chaleur qui fonctionneront au gaz naturel et qui par essence ne chargeront donc pas le réseau électrique. Le gaz sera d’ailleurs un vecteur très intéressant puisqu’il pourra contenir l’hydrogène.

Après la limitation des besoins et le recours aux énergies renouvelables il y a un troisième axe qui nous paraît important et qui est d’optimiser l’utilisation des énergies fossiles. On pense que l’on continuera à consommer du gaz pendant encore un certain temps. Il y a plusieurs solutions. Les chaudières peuvent encore être améliorées, mais elles ont déjà été bien optimisées et on ne peut pas aller beaucoup plus loin. Les réglementations européennes d’éco-conception qui seront applicables à partir de 2015 vont faire en sorte qu’il n’y ait plus que des technologies de performance élevée comme les chaudières à condensation. C’est important. On peut aussi brider les chaudières, prendre le meilleur d’une pompe à chaleur et d’une chaudière, faire marcher la pompe à chaleur quand il fait doux et la chaudière quand il fait froid. Le rendement global sera alors bien amélioré.

Toutes ces pistes sont intéressantes, mais il y en a une autre qui est la cogénération dont je vais parler maintenant. Cette piste est un peu différente dans son fonctionnement et fait le lien avec tout ce qui va être dit aujourd’hui. Je vais vous parler plus particulièrement de la micro-cogénération parce que je me concentre sur le bâtiment domestique, sur les unités de moins de 36 kilowatts en l’occurrence.

Je pense qu’il convient de rappeler très rapidement ce qu’est la cogénération. Pour ce faire, on va regarder ce qui se passe quand on produit de l’énergie dans une centrale. Qu’elle soit thermique ou nucléaire, la logique est la même. Sur 60 kilowattheures qui rentrent dans une centrale, moins de 40 arrivent chez le client. Ce sont les chiffres européens ; on pourra en discuter. Ces pertes sont essentiellement des pertes thermiques. La chaleur se transporte difficilement et les centrales ne sont pas en pleine ville.

Pourquoi ne pas produire localement, dans sa cave ? Dans ce cadre, on parle de micro-cogénération et le rendement est tout à fait différent puisque la chaleur qui aurait été perdue dans un cas peut tout à fait être récupérée. Cette co-production de chaleur sera directement utilisable localement. D’un rendement de moins de 40 %, on arrivera à un rendement de 90 % environ, quelles que soient les solutions disponibles actuellement.

Il y a différentes technologies en présence. En ce qui nous concerne, nous travaillons essentiellement sur trois technologies, dans une gamme de puissances de l’ordre de 1 à 20 kilowatts électriques, puisque nous visons le bâtiment, petit collectif et domestique. Il y a le moteur à combustion interne, le moteur à combustion externe connu aussi sous le nom de moteur Stirling et les piles à combustible dont différentes technologies peuvent nous intéresser.

Pourquoi travaillons-nous sur trois technologies différentes, voire quatre avec les deux technologies de pile ? Parce que le marché a besoin de solutions très différentes. Le parc de bâtiments n’est pas du tout homogène ; il y a des bâtiments récents, des bâtiments anciens et il y aura bientôt des bâtiments qui ne consommeront pratiquement plus rien, les bâtiments à énergie positive. Pour ces divers bâtiments, on a besoin de solutions différentes. Les solutions technologiques que je viens d’évoquer ont globalement le même rendement de 90 %, mais produisent plus ou moins de chaleur pour une même quantité d’énergie électrique produite. Par exemple, pour produire 1 kilowattheure, puissance habituelle pour les applications domestiques, avec un moteur Stirling, on va coproduire environ 5 kilowatts en termes de chaleur. Avec un moteur à combustion interne, la production va être à moins de 2 kilowatts parce que la part électrique est plus importante. Une pile à combustible à basse température va produire environ 1,7 kilowatt et une pile à haute température 0,4. Le facteur est donc très important. Pour la même quantité d’énergie électrique produite, ces différentes solutions vont produire plus ou moins de chaleur. Le rendement global ne change pas parce que la somme des deux reste dans la même logique.

Par contre, cette quantité de chaleur produite ou coproduite pour la même quantité d’énergie électrique produite doit être mise en relation avec les besoins thermiques du bâtiment. Il est évident que la cogénération n’a un vrai sens que lorsqu’on utilise cette chaleur. Sinon, elle ne sert à rien et n’a pas beaucoup d’intérêt. Les bâtiments sont très différents et ont des besoins très peu homogènes. L’ensemble des technologies serviront donc les différentes générations de bâtiments. Le moteur Stirling par exemple fonctionne très bien avec le parc qui représente un gisement important en termes d’économies. Les piles à combustible sont particulièrement adaptées aux besoins des bâtiments qui ne consommeront presque plus de chaleur. Il y a vraiment une solution pour toutes ces applications.

Une autre différence existe, en plus de cette quantité de chaleur coproduite, à savoir la maturité technologique des solutions. Notre groupe vend des moteurs à combustion interne depuis une vingtaine d’années et a un parc de 20 000 appareils installés. En ce qui concerne le moteur Stirling, il a commencé il y a deux ou trois ans dans différents pays européens. En France, ils viennent seulement d’être lancés, à un prix inférieur à 11 000 euros hors taxe. Nous avons environ 200 appareils en test avec GDF Suez sur différents sites, ce qui a conduit à cette introduction sur le marché aujourd’hui. Ces produits existent déjà, sont commercialisés et sont maintenant amenés à se déployer.

Pour les piles à combustible, la situation est un peu différente. Nous sommes plutôt dans la dernière phase de mise au point et nous ne sommes pas encore dans la phase industrielle. Actuellement, un certain nombre de tests sont en cours dans différents programmes. Il y a par exemple le programme Calux allemand où environ 180 unités sont déployées. Il y a le programme R&D européen dans lequel la France est présente, qui va conduire à déployer plus de 140 unités dont quelques-unes en France, toujours avec GDF Suez. Nous espérons voir ces produits sur le marché vers 2015. Le prix d’introduction n’est pas encore tout à fait défini. À terme, quand la maturité industrielle sera atteinte, on espère qu’il sera de l’ordre de 15 000 euros, pour être en gros dans une fourchette de prix qui correspond aux pompes à chaleur haut de gamme. On verra quelle sera l’évolution, mais pour le moment, le prix est encore plus du double puisque nous sommes encore dans une phase de prototypes.

Il faut savoir que le Japon est beaucoup plus avancé que nous. Il a un parc de plus de 3 000 unités actuellement installées. Je n’ai pas les derniers chiffres, mais tel est l’ordre de grandeur. Il faut savoir aussi que les fabricants japonais signent des accords de partenariat avec beaucoup de grands acteurs du monde du chauffage en Europe. Heureusement, pour le moment, ces produits ne sont pas directement utilisables sur le marché européen parce que les réseaux électriques et les qualités de gaz sont différents et qu’ils doivent être adaptés, mais je pense qu’il va y avoir une introduction assez massive d’unités japonaises dans les prochaines années.

Il faut retenir que nous avons des solutions existantes qui correspondent déjà bien aux besoins des bâtiments existants. Quand les bâtiments du futur arriveront, nous aurons développé cette technologie des piles à combustible, à condition que les efforts ne soient évidemment pas arrêtés. La cogénération et plus particulièrement les piles à combustible qui sont véritablement en pointe dans ce domaine, peuvent être très importantes pour atteindre les objectifs de réduction des consommations d’énergie primaire et corollairement des émissions de gaz carbonique qui y sont directement liées.

Ces technologies peuvent aussi contribuer à l’environnement, sous d’autres aspects que je vais maintenant vous expliquer. Le professeur Latroche a parlé tout à l’heure de la production électrique d’origine éolienne et d’origine photovoltaïque. Ces productions, qui sont en croissance partout en Europe, sont intermittentes et difficilement maîtrisables. Dans les cas extrêmes, cela peut même amener à déstabiliser un réseau électrique au niveau d’un pays ; c’est déjà arrivé. Il faut donc trouver des solutions pour trouver de la flexibilité dans l’infrastructure de production d’énergie électrique – c’est la première piste – et/ou stocker l’énergie électrique produite de manière excédentaire. En l’occurrence, si on trouve vraiment de bonnes solutions, ce ne sera même plus de l’excédent et on pourra faire fonctionner ces solutions en permanence, ce qui n’est pas le cas pour le moment.

La flexibilité que nous recherchons pourrait être trouvée grâce à des réseaux électriques intelligents, les smart grids dont on parle beaucoup actuellement, qui permettent selon les besoins de télécommander la mise en route et la coupure des consommations, ce qui est connu depuis un demi-siècle, mais qui permettent aussi, ce qui est nouveau, de commander à distance les générateurs. On aura un parc énorme de mini-cogénérateurs, contrairement à actuellement où le parc des centrales est assez limité. Ils pourront donc être mis en route et coupés à la demande. Il y a bien sûr une condition : il faut que ces générateurs aient des temps de réponse très faibles. Il se trouve que les piles à combustible et les systèmes de cogénération à moteur peuvent le faire. Ils permettent donc d’avoir une plus grande flexibilité des réseaux électriques.

L’autre piste est le stockage de l’énergie excédentaire. Comment peut-il se faire ? Il y a beaucoup de recherches dans ce domaine, mais il est très difficile de trouver des solutions. L’une des voies très intéressantes consiste à convertir cet excédent de production en hydrogène qui sera stocké localement avant d’être réinjecté dans le réseau sous forme d’hydrogène ou reconverti en méthane ou avant d’être reconverti directement en électricité selon les besoins. Dans les deux cas, la cogénération peut intervenir. Dans un cas de figure, elle peut brûler le gaz si on injecte l’hydrogène dans le réseau. La pile à combustible sera encore mieux puisqu’elle permet de brûler de l’hydrogène à un rendement bien plus élevé que lorsqu’on brûle du gaz naturel.

En conclusion, la cogénération peut indirectement contribuer à augmenter en toute sécurité la production d’énergie d’origine renouvelable parce qu’elle autorise une plus grande flexibilité des réseaux. C’est un élément dont on ne parle pas assez souvent et sur lequel je voulais insister parce qu’il est très important dans le débat. D’ailleurs, ces sujets seront également évoqués dans la table ronde suivante par Madame Poitou et Monsieur Pelle.

Pour finir, je voudrais vous parler du développement de ces technologies et rebondir sur la remarque du sénateur Pastor sur les freins réglementaires. J’ai un exemple qui concerne la prise en compte de la cogénération qui n’est pas tout à fait homogène dans les différentes réglementations. Par exemple, dans la réglementation française RT 2012, il est fait obligation qu’une partie de l’énergie consommée dans le bâtiment soit d’origine renouvelable. On a donc mis des pompes à chaleur et du solaire, mais il est aussi possible que cette énergie soit de la cogénération. On a donc, dans une certaine mesure, une prise en compte de bénéfices du même ordre. On considère que la cogénération apporte le même bénéfice que le recours aux énergies renouvelables. A contrario de ce règlement français, le règlement d’application de la directive européenne sur l’écoconception des produits, relatif à l’énergie, qui est publié et va être applicable dans deux ans, fait une différence entre un produit qui apporte la même économie d’énergie primaire, mais qui n’a pas le même rendement parce qu’on considère que la cogénération n’est pas renouvelable. Elle l’est tout de même d’une certaine manière, comme je viens de l’expliquer à l’instant et elle a des bénéfices très importants. Je pense qu’il ne faudrait pas opposer les solutions. Ces solutions sont complémentaires. On a besoin de pompes à chaleur, mais on aura peut-être besoin aussi de délester le réseau électrique par de la production d’énergie électrique locale. Je pense qu’il faudrait vraiment considérer ces solutions comme étant complémentaires et les traiter avec les mêmes règles.

Je voulais également évoquer la maturité des technologies liées à la cogénération et leur déploiement. Ce sont des technologies nouvelles qui sont encore un peu plus onéreuses que les solutions conventionnelles. Leur déploiement nécessitera forcément des soutiens et des incitations. Cela concerne les technologies à moteur que j’ai citées, qui sont déjà présentes et qui rentrent actuellement dans le marché, mais cela concerne aussi les piles à combustible où la situation est différente. Pour finaliser le développement de ces produits, il nous faut faire des essais à grande échelle pour voir si cela fonctionne parce que les situations peuvent être variables d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre. Nous sommes présents dans de grands programmes d’essais. J’ai déjà cité Calux en Allemagne, ainsi que le programme européen dans lequel la France est présente, mais la France pourrait peut-être aller un peu plus loin et avoir son propre programme. C’est de cette façon que l’Allemagne a réussi à être en tête en Europe sur les piles à combustible.

Pour conclure, nous avons vu que la cogénération peut contribuer de manière très importante à l’atteinte des objectifs de réduction de consommation d’énergie et d’émission de gaz carbonique, mais les technologies vont même plus loin puisque par leur contribution locale à la stabilité des réseaux électriques, elles permettent d’augmenter encore la part future de production d’énergie électrique sous forme photovoltaïque ou sous forme éolienne, renouvelable par essence. Pour finir, je voudrais simplement dire que ces technologies méritent vraiment qu’on les regarde de près, qu’on les soutienne et je pense qu’elles nous apporteront beaucoup dans la transition énergétique vers le futur. Je vous remercie pour votre attention.

M. Laurent Kalinowski. Je vous remercie pour votre exposé, votre comparaison entre l’engagement de différents États dans le contexte européen et votre démonstration sur l’intérêt des différentes filières m’ont beaucoup intéressé.

Je vais maintenant céder la parole à Monsieur Jean-Michel Amaré, président directeur général d’Atawey, qui va exposer l’intérêt de l’hydrogène dans les applications d’autonomie. Elles concernent pour l’instant des domaines bien spécifiques, comme les télécommunications, mais il me semble que demain, avec le développement de l’autoconsommation, elles pourraient être beaucoup plus largement diffusées, puisqu’un jour on pourrait, pourquoi pas, imaginer associer à chaque moyen de production décentralisé une capacité de stockage locale. Une telle solution permettrait par exemple de limiter les problèmes résultant de la variabilité, en fonction de l’ensoleillement ou de la production d’électricité photovoltaïque. Évidemment, un tel dispositif aurait probablement aujourd’hui un coût prohibitif. Mais je vais laisser Monsieur Jean-Michel Amaré nous faire part de son point de vue sur les coûts et les possibilités de développement de ces solutions.

M. Jean-Michel Amaré, président-directeur général d’Atawey. Merci, Monsieur Kalinowski. Messieurs les parlementaires, Mesdames, Messieurs, merci de m’accueillir et de donner la parole à Atawey, une toute petite structure aujourd’hui en démarrage d’activité, qui pour avoir un accès rapide au marché a choisi un positionnement très spécifique : proposer des produits d’autonomie énergétique sur les sites isolés. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’énergie sur les sites isolés est vitale. Par définition, on n’est pas connecté à un réseau et les moyens de production permettent ou non le développement de ces sites. Par ailleurs, ces sites isolés ont été identifiés, notamment dans la feuille de route de l’ADEME, il y a un an, comme faisant partie des marchés précoces. On parlait tout à l’heure des chariots élévateurs, des flottes captives, du nomadisme et de la génération d’énergie pour les sites isolés.

C’est le principe de réalité qui s’applique, puisque pour atteindre un marché tout produit doit apporter une compétitivité économique. Aujourd’hui, le site isolé a d’ores et déjà des prix de l’énergie qui n’ont rien à voir avec ceux pratiqués sur le réseau. Sur le réseau, il est en moyenne de 20 centimes d’euro du kilowatt/heure. Sur un site isolé, le prix d’entrée est à 1 euro du kilowattheure et va jusqu’à 20 euros, notamment en raison de l’éloignement et des conditions climatiques. Cela donne une marge de manœuvre beaucoup plus importante aux technologies nouvelles et innovantes pour pouvoir s’imposer.

Quand on parle de sites isolés, on parle de sites qui peuvent être habités, en montagne ou dans des îles, mais également de sites industriels, en lien avec la surveillance de réseaux, de différentes infrastructures ou d’applications de transmission de signaux et d’informations. Sur un site isolé, l’approvisionnement énergétique doit répondre à trois critères principaux. Le premier est la fiabilité. Comme je le disais tout à l’heure, c’est vital pour le développement de l’activité qui est créée. La disponibilité de l’énergie doit être garantie, ainsi que sa fiabilité, face aux conditions extrêmes, puisque, par définition, ces sites isolés sont soumis à des conditions climatiques qui peuvent être extrêmes. Le deuxième critère important est l’autonomie et la simplicité d’utilisation, en lien avec l’approvisionnement en carburant qui est l’un des premiers critères et qui conduit à ce grand écart de prix entre 1 et 20 euros du kilowatt/heure. Les moyens d’approvisionnement sont compliqués, ce sont des bateaux, des hélicoptères, des engins spéciaux ou des chenillettes, pour alimenter des sites qui sont toujours plus éloignés. Le coût du carburant n’est pas celui que l’on connaît aujourd’hui à une station-service connectée. Les coûts sont également grevés pour la maintenance, puisqu’il faut se rendre sur ces sites. Ces points sont les facteurs principaux qui construisent le coût de l’énergie sur un site isolé. Le dernier critère important est la propreté et la cohérence environnementale. Par définition, un site isolé est en pleine nature. Les solutions qui sont installées doivent donc pouvoir répondre à cette exigence.

Des solutions fournissent aujourd’hui de l’énergie sur ces sites. Ce sont des panneaux photovoltaïques et des batteries qui sont sujets à l’intermittence et à la désynchronisation et qui ont une capacité très limitée de stockage, de l’ordre de deux à trois jours généralement. Si on est surproducteur à certaines périodes, on ne sait pas stocker cette énergie pour pouvoir la restituer au moment d’une désynchronisation forte au niveau de la saison. Il y a une intermittence jour/nuit mais également une intermittence été/hiver.

Le recours aux groupes électrogènes est donc quasi automatique pour combler ce déficit d’énergie dans les périodes de moindre production. Le groupe électrogène pose des problématiques de fiabilité et nécessite un entretien très régulier. L’approvisionnement en carburant est toujours indispensable. Enfin, il y a les nuisances associées au bruit. Tout le monde a eu l’occasion de s’approcher de groupes électrogènes et de vite les fuir. Un groupe électrogène a un coût d’investissement quasi nul puisqu’il est produit à des millions d’unités par an et commercialisé depuis des dizaines d’années. Par contre, il présente des frais d’approvisionnement et de maintenance élevés. Ces coûts sont principalement des coûts cachés. Le coût total de possession prend en compte l’investissement initial et les frais de fonctionnement. Même pour notre véhicule, savons-nous dire combien il nous coûte au kilomètre ? On sait à quel prix on l’a acheté et combien il nous coûte quand on fait nos révisions ou que l’on change nos pneus régulièrement, mais il est difficile d’appréhender le coût global. Il en est de même pour l’utilisation d’un groupe électrogène.

Notre volonté était de développer une nouvelle solution qui permette d’apporter une réponse aux attentes des sites isolés. C’est pour cela que nous avons conçu un système de stockage de l’énergie renouvelable qui vient s’interconnecter aux moyens de production, qu’ils soient éoliens, solaires ou micro-hydrauliques. Ce système va gérer, d’une part, le stockage à court terme, au travers de batteries extrêmement performantes et peu coûteuses, et, d’autre part, le stockage à long terme, pour garder sur plusieurs mois les excédents de production d’énergie renouvelable impossibles à stocker dans les batteries, en utilisant des technologies hydrogène, dont les points forts en termes de conservation d’énergie sont la densité et la stabilité dans le temps.

Tout à l’heure, le Professeur Latroche parlait des hydrures métalliques. On a fait un choix, il s’est imposé à nous pour des raisons de sécurité et de compacité. Sur des sites, pour des applications stationnaires, l’inconvénient du poids devient beaucoup moins prégnant. C’est pourquoi nous avons pris cette orientation, puisque l’hydrogène permet de garder cette énergie produite en excès l’été et de la restituer l’hiver, au travers de ce stockage.

Pour ce faire, l’hydrogène est produit sur place, avec un électrolyseur, à partir d’électricité et d’eau. Il est stocké pendant plusieurs mois dans des hydrures métalliques. Il est retransformé dans une pile à combustible, lorsque nécessaire, pour approvisionner le site. Nous avons fait le choix d’hydrures basse température qui sont associés à la cogénération de chaleur à partir de la pile à combustible pour auto-entretenir ce phénomène et maximiser les performances. Ce système permet un rendement supérieur de 50 % à celui des autres. À partir de 100 kilowattheures d’énergie renouvelable, 50 sont restitués.

Dans cette logique, ces systèmes vont être déployés, dans un premier temps, sur des sites habités pour des applications de niche sensibles aux avantages d’absence de carburant, d’émission de CO2, de bruit en fonctionnement et de pollution. En utilisant ces systèmes, ces sites habités, liés au tourisme durable, situés en montagne, dans des îles ou dans d’autres territoires plus vastes, trouvent là une création de valeur et un avantage en termes de différenciation par rapport à leurs concurrents. J’en prends pour exemple un appel d’offres qui a été passé courant septembre pour équiper un refuge dans le parc national de la Vanoise, afin de remplacer les groupes électrogènes et mettre en place les nouveaux systèmes d’autonomie énergétique, en lien avec ces objectifs de cohérence environnementale et de respect de l’environnement dans lequel il est situé.

Dans un deuxième temps, les marchés seront aussi les microréseaux civils ou militaires. Au niveau français, on va tout de suite penser aux microréseaux dans les îles, dans des villages, en Guyane ou à la Réunion, dans des endroits difficiles d’accès où vivent des populations qui ont des besoins d’énergie et d’accès à des moyens de communication fiables et modernes, afin de faciliter le développement économique.

La troisième cible que vous avez citée et qui a un gros potentiel de développement, est celle des transmissions de signaux, que ce soit dans la téléphonie ou le broadcast pour la télévision, la radio ou d’autres signaux. Ce marché de la transmission de signaux sur sites isolés représente déjà, en 2013, 13 000 installations dans le monde. En 2020, la prévision est de plus de 80 000 installations par an, soit une croissance très forte.

Je voulais également mettre l’accent sur quelques freins qui ralentissent aujourd’hui ces déploiements. Le premier, déjà évoqué, concerne les réglementations sur la production et le stockage d’hydrogène. Nous sommes soumis à une réglementation des installations classées pour l’environnement, à la rubrique 14-15 sur la production. Dès que l’on produit une mole d’hydrogène, on doit aujourd’hui faire un dossier qui doit être instruit. Cette instruction dure entre 12 et 18 mois. Vous imaginez qu’un site qui souhaite s’équiper de ces systèmes ne peut pas attendre 24 mois. Nous sommes complètement déconnectés des attentes. Cela ne veut pas dire que l’on doive sacrifier la sécurité. Il y a une décorrélation totale entre sécurité et réglementation.

Je pense que des actions à très court terme peuvent être menées parce qu’aujourd’hui, cette réglementation 14-15 concerne une production industrielle d’hydrogène. Une prise de position officielle pourrait donc peut-être, dans un premier temps, préciser ce que l’on entend par une production industrielle d’hydrogène, pour faire en sorte que ce cadre soit clair et que l’on ne demande pas aux DREAL d’instruire ces dossiers et de prendre cette décision. Cela pourrait être fait à court terme, pour permettre ensuite une évolution de ces rubriques.

Le deuxième frein que j’identifie est le suivant. Dans les esprits, en tout cas en France, l’hydrogène énergie est encore considéré comme étant une technologie qui est en recherche et développement. Ce n’est pas le cas. Comme l’a dit tout à l’heure Monsieur Freyd, plusieurs dizaines de milliers d’installations sont réalisées dans le monde sur ces technologies. Les technologies qui sont développées en France n’ont pas à rougir par rapport aux technologies concurrentes dans le monde. Il est important que l’on envisage, comme nous l’avons fait en utilisant 100 % de technologies françaises dans la conception de notre produit, de passer rapidement à un déploiement de ces solutions qui sont prêtes à être commercialisées et à atteindre le marché. Cela nous permettra d’obtenir une chute des prix et de devenir compétitifs. Cela permettra en parallèle d’améliorer la crédibilité des entreprises françaises qui sont obligées d’aborder des marchés internationaux où les clients s’étonnent assez facilement que l’on se positionne face à des concurrents locaux sans avoir rien installé chez nous. Il y a donc un souci d’image et de crédibilité. Un déploiement rapide aurait donc un double effet de levier. Je pense que les collectivités, l’État, les régions peuvent prendre en main des déploiements, que ce soit pour des sites isolés que je citais, ou pour des applications de micro-réseaux, dans les îles, où il y a des besoins.

Vous me demandiez également de donner quelques perspectives de marchés pour demain. L’hydrogène peut apporter une solution pertinente pour des générateurs de courant de secours destinés à des data centers ou des hôpitaux, pour des groupes auxiliaires de puissance dans les applications aéronautiques ou maritimes, et pour l’équilibrage du réseau électrique. Pour cette dernière, nous sommes proches de la démarche menée par la région Nord-Pas-de-Calais où Jérémy Rifkin a été missionné pour réfléchir à ces applications. Il évoque une troisième révolution industrielle basée sur les réseaux énergétiques intelligents qui passe par l’intégration de la production d’énergie renouvelable dans les bâtiments, couplée à des moyens de stockage intégrés, eux-mêmes connectés et pilotables à distance sur les réseaux. L’intérêt de nos systèmes, plus petits et plus décentralisés, est de permettre une production plus diffuse. Ces technologies sont prêtes à être déployées en permettant des investissements plus progressifs, puisque nous sommes dans une logique de décentralisation de ces installations au sein de quartiers, de bâtiments ou de petits sites industriels, plutôt que de grosses installations accouplées à des fermes solaires ou éoliennes.

Ce sont des perspectives à moyen ou long terme. En tout cas, ces technologies que nous développons pour les sites isolés seront prêtes demain à répondre à ces besoins, moyennant bien entendu la logique de réalisme. Les prix actuels sont élevés, puisque nous sommes en phase de développement. Nous cherchons des marchés de niche pour pouvoir les développer, là où se présente un retour sur investissement direct aujourd’hui, ce qui nous permettra de permettre une industrialisation, de baisser nos prix et d’adresser des marchés de masse beaucoup plus conséquents qui sont ceux de la transition énergétique de demain. Je vous remercie.

M. Laurent Kalinowski.- Je vous remercie, Monsieur Amaré, pour la clarté de votre exposé et je vais céder maintenant la parole à Monsieur Renaut Mosdale, président-directeur général de PaxiTech. PaxiTech est une jeune société qui propose de petits systèmes à pile à combustible particulièrement bien adaptés aux applications portables, par exemple pour recharger un téléphone lorsqu’on n’a pas accès à une prise de courant. C’est bien entendu un domaine qui offre des perspectives très importantes pour une large diffusion de l’usage de l’hydrogène par le grand public. J’espère que vous allez mettre en évidence les atouts de cette solution et ce qui freine son développement par rapport à d’autres, notamment les batteries électriques. Je vous cède la parole.

M. Renaut Mosdale, président-directeur général de PaxiTech.- Merci beaucoup d’avoir invité PaxiTech à témoigner lors de cette session. J’aimerais d’abord rebondir sur ce que disait Jean-Michel Amaré à l’instant sur des solutions et un marché qui existent en vous disant quelques mots sur PaxiTech. PaxiTech est une société qui a dix ans et a cette particularité, dans le monde des piles à combustible et de l’hydrogène, d’être bénéficiaire depuis dix ans. Nous avons réussi à créer de l’activité dans le domaine de l’hydrogène et des piles à combustible et à créer de l’emploi, avec un marché embryonnaire, largement tourné vers la R&D et vers l’étranger.

La technologie mise en place à PaxiTech, la raison d’être de PaxiTech à long terme est de créer, de produire et de commercialiser des solutions portables, portatives ou pseudo-stationnaires. Ces solutions portables visent à une simplification extrême du système. Quand on va parler d’automobile, de prolongateur d’autonomie, de système stationnaire ou de cogénération, on doit mettre un œuvre un système avec beaucoup d’auxiliaires, soit de la gestion thermique, de la gestion hydraulique, voire de la gestion électrique. Le parti pris de la société a été d’éliminer au maximum tous les auxiliaires, voire tous les auxiliaires autour de la pile à combustible, pour en faire uniquement un convertisseur d’énergie chimique en énergie électrique, convertisseur que je vous présenterai tout à l’heure.

Cette technologie nous a permis de miniaturiser, de fait, les piles à combustible jusqu’à en faire des objets qui ont des tailles de batterie. On s’est dit que l’on pouvait peut-être s’intéresser au marché des batteries. On s’est également intéressé à ce marché des batteries pour apporter différents avantages. Quelle que soit la technologie, les principaux inconvénients des batteries actuelles ou des accumulateurs électriques sont la cyclabilité, l’autodécharge, une puissance massique et volumique faible, ou décevante par rapport à ce que l’on pourrait espérer, en tout cas une évolution lente de ces paramètres. En effet, les évolutions technologiques sont classiques, soit un gain de performance de 5 à 10 % par an. Avec les piles à combustible, on cherche une vraie rupture technologique, c’est-à-dire à multiplier par deux ou par trois ces paramètres de capacité massique et volumique.

Qu’est-ce que le nomadisme ? Qu’est-ce que fournir des énergies pour des applications nomades ? C’est finalement essayer d’embarquer avec soi le plus d’énergie possible pour un poids ou un volume limité. Une personne qui possède un portable ou une tablette, qui veut pouvoir l’utiliser à chaque moment de la journée et qui veut pouvoir la charger, même lorsqu’elle n’est pas à proximité d’une prise électrique, va avoir un grand besoin de ce genre d’énergie.

Le fait que nous soyons allés vers ces marchés n’est pas innocent. Il y a une augmentation exponentielle du nombre d’objets nomades. J’ai cité les téléphones, les tablettes ; on peut citer les appareils photos, les lecteurs de musique MP3 ou les lecteurs de vidéo MP4. Tous ces appareils qui font de plus en plus partie de la vie courante ont tous en commun le besoin d’être rechargés. Nous allons donc d’abord nous orienter vers ces secteurs, mais non pas uniquement. Je vais encore rebondir sur ce que disait à l’instant Jean-Michel Amaré, puisque nous sommes finalement sur une gamme de puissance juste en-dessous de la sienne. Un chargeur USB n’est ni plus ni moins qu’un groupe électrogène, un groupe qui va fournir de l’énergie électrique, certes en petite quantité ou en petite puissance, mais qui correspond tout à fait à un groupe qui peut être de 10 ou 200 watts et qui va répondre à des besoins sur des chantiers, sur des événements ou à des besoins de loisirs. Tout à l’heure, Bertrand Chauvet parlait du prix de l’infrastructure de 2 000 euros le mètre linéaire pour creuser. Quand on veut installer une lumière au fond de son jardin, on peut toujours se demander si l’on tire une rallonge ou si l’on installe un lampadaire ayant une autonomie propre.

C’est ce genre de marchés que nous souhaitons adresser aujourd’hui à PaxiTech. C’est ce que nous sommes en train de faire, en essayant d’abord de développer un produit, tout en ayant dans les cartons plusieurs produits. Le premier produit sera un chargeur USB qui sera capable d’accepter n’importe quel type d’hydrogène. L’un des points clés de la commercialisation de nos produits est de savoir quels combustibles nous allons mettre à l’intérieur.

Il y a très peu de freins dans ce marché du nomadisme pour les piles à combustible, puisque le marché existe déjà et que la technologie est quasiment mature. Il va donc nous falloir la logistique hydrogène, le stockage et la génération d’hydrogène. Pour cela, nous avons déjà commencé à œuvrer. Nous avons œuvré au niveau technique sur un aérosol à hydrogène. Nous avons utilisé la réglementation existante des aérosols qui consiste à stocker de l’hydrogène sous une pression assez faible de 12 bars pour une température de 55 degrés. Ces aérosols ont le mérite d’exister et nous savons les vendre aujourd’hui en utilisant la réglementation actuelle.

Avec ces aérosols, on va répondre à des besoins de gammes de températures d’utilisation, mais on ne répondra pas du tout au principal caractère des piles à combustible et du stockage de l’hydrogène, c’est-à-dire à la performance en énergie massique par rapport aux batteries actuelles. Dans un petit stockage d’hydrogène sous forme d’aérosol, on ne va avoir que l’énergie du nickel-métal hydrure à l’intérieur, alors qu’on veut aller bien au-delà. Pour cela, il va falloir que l’on passe à d’autres types de stockage, soit à des alliages pour stocker l’hydrogène sous forme d’hydrures métalliques, soit sous forme de générateurs chimiques. On obtient un hydrure chimique en mélangeant un composant chimique et un solvant pour générer de l’hydrogène à la demande. Aujourd’hui, PaxiTech travaille sur ces trois types de générateur ou de stockage hydrogène. C’est pour cela que l’on prévoit un système complètement flexible où l’on pourra utiliser ces trois types d’hydrogène toute à la fois.

On nous a opposé aussi, au niveau du nomadisme, des critiques qui pour moi n’en sont pas. Répondre à une demande de puissance et d’énergie de plus en plus importante reviendrait finalement à l’amplifier, à pousser à la consommation des Smartphones et des objets nomades. Les orateurs précédents ont mis en évidence que nous pouvons aussi, à notre mesure, lisser les consommations. Plutôt que de recharger son téléphone n’importe quand, l’idée est d’arriver à fabriquer de l’hydrogène chez soi, la nuit, par exemple à partir d’un électrolyseur et d’hydrures métalliques, pour l’utiliser dans la journée, donc d’en produire pendant les heures creuses et de lisser ainsi la charge du réseau. Cet argument sur l’incitation à la consommation énergétique n’en est pas un.

Enfin, comme je vous le disais, nous avons le marché, la technologie, nous avons un embryon de logistique hydrogène, mais il nous manque la réglementation. Soit il faut ouvrir la réglementation par rapport au stockage de l’hydrogène individuel, soit, comme le disait Jean-Michel Amaré, il faut la préciser, en l’occurrence préciser les seuils de la réglementation quant à la production individuelle d’hydrogène. Aujourd’hui, la réglementation n’est pas très claire. Si demain, PaxiTech veut reproduire le modèle des batteries actuelles, produire des chargeurs d’hydrogène qui seraient ni plus ni moins des électrolyseurs d’hydrogène que l’on branche chez soi pour remplir un petit réservoir d’hydrogène, sous quelle réglementation pourrait-elle le faire ? Va-t-il falloir déclarer en site ICPE tous les appartements et les villas des gens qui vont acheter des chargeurs contenant un électrolyseur d’hydrogène ? J’en doute fort, parce qu’il risque d’y avoir un embouteillage au niveau de l’administration. Il serait pour nous assez urgent de statuer sur cette réglementation, au moins de la préciser pour que l’on sache exactement dans quels créneaux nous pouvons intervenir et comment nous pouvons commercialiser nos produits.

Je crois que j’ai fait le tour des messages que je souhaitais vous faire passer aujourd’hui, en vous remerciant encore de nous avoir invités à cette tribune. Merci.

M. Laurent Kalinowski.- Je vous remercie pour toutes ces explications. Je pense que nous allons pouvoir à présent passer aux questions. Qui souhaite éventuellement des éclaircissements ou des compléments par rapport à ce qui vient d’être exposé ? Y a-t-il des questions ?

M. Patrick Pelle, directeur des affaires publiques et du développement durable, GRT Gaz.- Dans notre activité, nous avons l’occasion de gérer des sites ICPE et je comprends très bien les questions qui sont posées parce qu’obtenir une autorisation ICPE est complexe. On voit bien qu’est évoquée une problématique de seuils. Il me semble que dans la réglementation ICPE, il y a justement des seuils qui déterminent si cette réglementation doit être respectée ou non. Si je comprends bien, pour l’hydrogène, il n’y a pas de seuil. Dès que l’on produit un milligramme d’hydrogène, il faudrait déclarer l’installation.

M. Jean-Michel Amaré.- Je confirme qu’il n’existe pas de seuil en production. Dès que l’on produit une mole d’hydrogène, on est censé être soumis à la réglementation, ce qui est assez contradictoire avec certains jouets que l’on voit apparaître aujourd’hui. Il existe également des kits pédagogiques pour les écoles, les lycées et l’enseignement supérieur pour lesquels il y a peut-être des dérogations. Dans des systèmes comme les nôtres où l’on va produire cinq grammes d’hydrogène par heure, aujourd’hui, nous sommes censés avoir une autorisation.

M. Arthur Mofakhami, directeur technique, CeramHyd.- Je voulais juste rebondir sur cette affirmation. J’ai contacté la DRIRE au démarrage de l’activité de CeramHyd, en 2005, en disant que l’on allait produire des électrolyseurs et donc de l’hydrogène et en demandant s’il fallait avoir une autorisation. En fait, ils m’ont dit que dans le cadre d’une société, la réglementation de stockage s’applique à la production. Par contre, si ce produit est diffusé dans des lieux publics ou à des personnes qui n’ont pas de statut particulier, cela pose un problème. Dans le cadre d’une activité qui relève de la production d’hydrogène en interne, il n’y a pas de problème, jusqu’à une tonne de stockage. C’est un peu une autorisation par défaut.

M. Jean-Michel Amaré.- Il y a vraiment deux sujets : le stockage où des seuils très clairs sont posés et la production vis-à-vis du client. Aujourd’hui, c’est bloquant sur le marché.

M. Arthur Mofakhami.- Pour le client, oui, effectivement.

M. Claude Freyd.- Il y a juste une petite astuce. Si vous mettez votre électrolyseur sur des roulettes, il n’est plus réellement stationnaire. On les a installés comme cela en Allemagne.

M. Renaut Mosdale.- PaxiTech fabrique également des kits pédagogiques pour l’enseignement, tant pour l’université que pour le lycée. Nous avons eu des soucis par rapport à la réglementation tant que nous avons utilisé des stockages d’hydrogène pour les faire fonctionner. À partir du moment où l’on consomme tout l’hydrogène que l’on fabrique, la réglementation ne précise rien quant à ces kits pédagogiques. On peut vendre ce type de kits pédagogiques, mais la réglementation reste floue et on ne peut pas construire un business model sur un flou. C’est pour cela que l’on demande des précisions.

M. Fabio Ferrari.- Je souhaiterais apporter une précision sur l’industrialisation des piles à hydrogène, en particulier dans la perspective des transports. Il y a toute une mythologie autour de l’idée qu’une pile à hydrogène est extrêmement coûteuse et qu’il n’est pas possible de faire des véhicules à un coût abordable pour les clients. C’est faux aujourd’hui. En l’état actuel de la maturité des produits et des technologies disponibles, tout est question uniquement d’effet de masse. Pour un système de pile à combustible du type prolongateur d’autonomie par exemple, entre 1 et 10 000 exemplaires, il y a une chute de près de 70 % des coûts, du simple fait de l’industrialisation.

Aujourd’hui, notre problématique n’est donc plus dans la maturité de la technologie et la possibilité de l’industrialiser à des coûts faibles, mais elle est d’une part dans l’existence du marché pour faire en sorte que l’on produise autant et d’autre part dans la disponibilité de capitaux pour nous permettre de fabriquer cela en France. On se heurte à des difficultés ici. En l’absence de volonté politique, très clairement, le marché de masse de la voiture de demain n’existe pas en France. Même si nous sommes pragmatiques et que nous avons trouvé des marchés matures parce que nous pouvions répondre à un besoin client à des conditions économiques correctes, celui de la livraison zéro émission en centre-ville, au-delà, nous aimerions nous adresser à l’ensemble du marché. Tant qu’il n’y a pas de signal clair de la part des décideurs quant à la pertinence de cette solution pour l’avenir de la France et de ses transports, il sera très difficile d’avancer et, par voie de conséquence, difficile d’intéresser et de mobiliser des investisseurs pour nous permettre de construire et de fabriquer en France.

Il faut oublier le mythe du système pile à combustible très cher et impossible à produire dans de bonnes conditions économiques. Il faut que l’on arrête de dire que ce n’est pas possible.

M. Laurent Kalinowski.- En continuité, je voulais justement poser une question à Monsieur Ferrari. Vous avez comparé tout à l’heure le prix du plein d’hydrogène avec celui du diesel. Pour ce dernier, s’appliquent un certain nombre de taxes. Comment se comparent les deux pleins hors taxe ? Quel mode de production permettrait d’atteindre un prix attractif ?

M. Fabio Ferrari.- Évidemment, aujourd’hui, nous n’intégrons pas dans nos calculs une taxe du type TIPP sur l’hydrogène. D’abord, ce n’est pas notre rôle de prendre ce genre de décisions ou d’aller dans ce sens. Les chiffres publiés dans l’étude qui a été faite par les différents acteurs (les gaziers, les pétroliers) montrent que nous sommes déjà aujourd’hui sur des prises qui permettraient d’avoir une taxe. On ne part pas sur des hypothèses qui ne tiennent pas la route. Si on a un déploiement massif, il faudra, bien sûr, taxer. Il n’y a pas de secret. Je pense que même l’électricité qui sera mise dans les voitures sera taxée d’une manière ou d’une autre. Pour vous donner quelques ordres de grandeur, aujourd’hui, le prix de l’hydrogène est un prix au kilo et ce prix est de l’ordre de 7 euros. On sait que sur du long terme, on peut atteindre 5 euros le kilo à la pompe, en prenant en compte les coûts d’amortissement de l’infrastructure, etc. C’est ce qui ressort de la fameuse étude McKinsey.

M. Arthur Mofakhami.- J’aimerais rebondir sur ce sujet parce qu’il a un rapport direct avec ce que je vais exposer tout à l’heure, mais je ne vais pas forcément aborder ce point. Comme vous posez la question, j’aimerais donc dire quelques mots. À 80 %, le prix de l’hydrogène est le prix de l’électricité. On paye déjà des taxes sur l’électricité que l’on consomme. Les Allemands notamment ont un souci, puisque l’électricité qu’ils doivent consommer pour produire de l’hydrogène pour le power-to-gas est déjà triplement taxée. Soit on décide d’enlever toutes les taxes sur l’électricité dans la production d’hydrogène et on les rajoute à la pompe, soit on paye les taxes et les 100 kilomètres reviennent à 6 euros, comme pour une voiture diesel. Il y a donc quelque chose à faire sur les taxes et sur le prix de l’énergie primaire auquel on a accès.

M. Fabio Ferrari.- Il faudrait aussi rappeler, au sujet de la TIPP, qu’en France, chaque fois qu’un euro de TIPP rentre dans les caisses de l’État, le déficit commercial s’est creusé de 1,6 euro. Est-ce un bon calcul pour l’économie de notre nation ? Je n’en suis pas absolument certain. Ce déficit commercial a aussi un impact économique en termes d’emplois, de désindustrialisation, etc. Je pense que le coût réel de l’importation de l’énergie fossile dépasse très largement le bénéfice de la TIPP actuel. Je vous laisse seuls juges puisque les personnes qui vont prélever ne sont pas les mêmes et que ce genre d’équilibre, au niveau du budget de l’État, n’engage pas toujours des décisions faciles à prendre.

Un intervenant.- S’agissant du stockage de l’hydrogène, il faudrait peut-être éclaircir un autre mythe. On a dit qu’on avait besoin de 4 kilogrammes pour faire 400 à 500 kilomètres, ce qui fait 44 m3 à la pression atmosphérique. Air Liquide produit et vend énormément d’hydrogène en France, dans des bouteilles de 200 bars, ce qui fait un volume de 250 litres. N’est-il pas possible de commencer par cette technologie pour les piles à combustible, au lieu d’avoir ce mythe de la difficulté de stockage de l’hydrogène ? Des solutions industrielles existent d’ores et déjà.

M. Fabio Ferrari.- Aujourd’hui, les technologies de stockage gaz existent déjà, comme vous venez de le dire. Ce sont les fameuses bouteilles utilisées par Air Liquide et ses concurrents pour livrer du gaz. Nous utilisons des bouteilles un peu équivalentes qui sont faites pour les bus au gaz naturel, les bus que vous voyez circuler dans Paris, la plus grande ville de France. C’est une technologie éprouvée et sécurisée qui ne pose pas de souci. Je ne pense pas que les acteurs du gaz naturel disent le contraire. La différence, c’est que nous mettons un peu plus de pression. Nous sommes à 350 bars. Nous ne sommes pas encore aux 700 bars qui sont le graal de l’industrie automobile, puisque pour passer de 700 à 350 bars, il faut plus de carbone, ce qui induit un prix plus élevé pour le réservoir. Le prix est ce qui nous intéresse et à 350 bars, on arrive à mettre la quantité nécessaire d’hydrogène dans le véhicule.

M. Bertrand Chauvet.- Il y a tout de même un problème de standardisation et de normalisation. Il faut tendre vers une construction homogène dans le monde entier pour réduire les coûts. Plus on va fabriquer de réservoirs standardisés avec les mêmes capacités de pression, durées de vie et conformités aux normes, moins les réservoirs seront chers. Je pense qu’il faut aller dans le sens de l’industrie et des constructeurs automobiles qui se traduit sous la forme de normes pour la recharge et donc pour les stations de recharge. Il y a des incidences très fortes pour toute la chaîne de distribution. En gros, il y a deux choix : 700 bars ou 350 bars. Avec les normes SAE J 2600, on couvre ces deux types de systèmes de stockage et je pense que l’on ne va pas en sortir.

La question du transport, c’est encore autre chose. Aujourd’hui, tous les gaziers tendent vers du 500-510 bars. Air Liquide et Linde ont annoncé officiellement de nouveaux camions citernes qui vont transporter l’hydrogène à 510 bars, le principal intérêt étant de réduire le coût de compression au niveau de la station de recharge.

Le choix entre 350 versus 700 est un choix strictement économique. Quand vous faites un prolongateur d’autonomie pour un véhicule électrifié, vous devez regarder l’économie globale que vous cherchez à atteindre en fonction des capacités d’intégration dans le véhicule existant. Un réservoir de 350 bars s’avère tout à fait suffisant et répond aux besoins.

M. Fabio Ferrari.- La technologie existe, mais c’est un choix technique et politique de la part des constructeurs.

M. Michel Latroche.- Je voudrais juste compléter sur le stockage, puisque Monsieur Mofakhami posait la question. Je pense qu’il n’y a pas une réponse unique. On l’a bien vu dans le débat ce matin, il existe plusieurs technologies de stockage et elles sont adaptées en fonction des besoins. Sur le stationnaire, les hydrures métalliques sont tout à fait adaptées, parce qu’il y a une sécurité de stockage et on peut s’accommoder du poids. Sur l’embarqué, si on veut beaucoup d’autonomie, on va utiliser de la haute pression. Le 700 bars est une technologie mature. Comme Renaut Mosdale le disait tout à l’heure, sur des petites piles à combustible, on peut très bien travailler avec des bonbonnes de type aérosols qui vont être largement suffisantes.

Pour les batteries de voiture, aujourd’hui, on a encore de la technologie plomb qui est une technologie très ancienne, mais qui suffit largement au démarrage. Pourquoi mettre des coûts supplémentaires ? Si on veut optimiser, on va mettre du lithium, des batteries plus sophistiquées. Il en est de même pour le stockage de l’hydrogène. Si on a besoin d’une faible pression, on peut très bien travailler avec des réservoirs assez classiques et si on a besoin de quelque chose qui soit très sophistiqué, des acteurs, comme McPhy développent des réservoirs très sophistiqués pour des applications qui sont beaucoup plus demandeuses. Les solutions technologiques existent et on peut toujours avoir des marges de progression, mais je ne pense pas que ce soit un verrou aussi fort que cela aujourd’hui.

M. Luc Vandewalle, Air Liquide.- Pour confirmer ce que dit Monsieur Latroche effectivement, plusieurs types de stockage ont été développés et homologués. En fonction du besoin d’autonomie que l’on souhaite embarquer, le 200 bars, le 350 bars et, pour les véhicules, le 700 bars, sont tout à fait appropriés. Air Liquide a mis au point ces réservoirs aujourd’hui, de façon à pouvoir les utiliser industriellement.

M. Michel Latroche.- Il ne faut pas perdre de vue que le réservoir représente environ 30 % du coût du système et qu’il ne pourra pas beaucoup descendre puisque la matière première est le carbone, avec très peu de fournisseurs dans le monde. Si l’on veut rester conforme aux normes, on ne peut pas trop jouer avec cela. Il faut tout de même garder cela à l’esprit.

Mme Aliette Quint, directrice adjointe des Affaires européenes et internationales.- Je reviens sur les infrastructures qu’évoquait SymbioFcell tout au début de son intervention. Je suis d’accord avec eux, il faut relativiser le prix de l’infrastructure. L’idée n’est pas d’équiper toutes les stations essence avec des pompes à hydrogène. L’idée est d’en équiper certaines au mieux. On parle de trois milliards pour couvrir l’ensemble du territoire allemand. On ne parle donc pas de sommes complètement folles, surtout au regard des coûts de maintenance des infrastructures énergétiques d’aujourd’hui, qui se chiffrent plutôt en dizaine de milliards. Il faut voir ensuite comment les choses vont se déployer en France, s’il faut commencer par des flottes captives ou des stations grand public. Ce seront les résultats de l’étude « Mobilité H2 » France qui nous le diront.

Concernant le prix de l’hydrogène, il est très lié au volume d’hydrogène dans les stations. L’idée est d’arriver à terme à un prix de l’hydrogène qui soit équivalent à celui du diesel. Je parle du coût de l’hydrogène à la pompe, celui qui se met dans la voiture. On part d’un prix autour de 15 euros la tonne, pour arriver progressivement à 5 ou 7 euros le kilo. Tout cela est très lié au volume, plus qu’aux questions de stockage ou autres.

Pour revenir sur les taxes, Monsieur Mofakhami évoquait le fait que l’on payait déjà des taxes sur l’énergie qui était utilisée pour produire l’hydrogène. Aujourd’hui, l’hydrogène est essentiellement produit à partir du gaz naturel. On paye déjà ce que l’on peut appeler une taxe carbone. Il y a des coûts qui sont associés à l’utilisation du gaz naturel.

On sait que plus les stations seront importantes en volume, plus le prix de l’hydrogène à la pompe diminuera, si elles sont utilisées régulièrement, tous les jours. Avec une station à 200 kilos/jour, soit une station importante, la station sera rentable, si elle est utilisée quotidiennement, mais on sait que les stations que l’on va déployer ne seront pas rentables au début. On le sait, ce n’est pas un problème. On prend le risque industriel de les déployer parce qu’on croit à la technologie dans l’avenir. On a annoncé, il y a quelques jours – vous l’avez peut-être vu dans la presse – qu’Air Liquide participait au consortium de déploiement d’un nombre important de stations en Allemagne. Les industriels mettent 350 millions sur la table pour déployer ces stations. Celles-ci ne fonctionneront pas à plein régime initialement. On sait que l’on perdra de l’argent au début, mais parce qu’on sait qu’on a un soutien politique fort en Allemagne, on y va et on marche main dans la main avec les pouvoirs publics pour déployer ces stations. C’est important de le dire. Nous espérons qu’en France, nous pourrons participer à ce même type de programme pour déployer des stations, que ce soit sur tout le territoire à grande échelle, comme en Allemagne, autour de grandes agglomérations, ou à partir de flottes captives, plutôt au niveau régional. Le modèle français sera sans doute un peu différent du modèle allemand, mais nous sommes prêts à nous adapter pour faire en sorte que la technologie, dans quelques années, soit rentable et que tout citoyen puisse se servir de l’hydrogène au même coût que pour le diesel aujourd’hui.

M. Renaut Mosdale.- Pour rebondir sur votre intervention, au niveau du nomadisme et du pseudo-stationnaire pour l’événementiel, pour les chantiers, etc., nous comptons également sur des stations. Il faudra se fournir en hydrogène à un moment ou à un autre. Nous n’imaginons pas avoir notre propre flotte captive de stations d’hydrogène. On compte donc vraiment sur le déploiement d’un réseau automobile, avec également une fourniture adaptée de réservoirs. Bertrand Chauvet parlait tout à l’heure des normes vers lesquelles on se dirige : 350 ou 700 bars au niveau des pressions. Il nous faudra retrouver ce genre de réservoirs également pour le pseudo-stationnaire. Comme on amène aujourd’hui un jerricane pour un groupe électrogène, que l’on puisse amener son réservoir pour le remplir à 350 bars, avec bien sûr les mêmes conditions de sécurité que ce qui va se faire pour l’automobile. J’imagine que cela va compter très peu dans votre chiffre global en kilos journaliers, mais je pense que cela peut avoir un impact dans tout ce que l’on appelle early markets.

Mme Aliette Quint.- Nous sommes d’accord sur le fait que 350 - 700 bars est aujourd’hui la norme et le restera demain.

M. Fabio Ferrari.-Pour rentrer dans la logique du TCO global, puisqu’il ne faut pas parler uniquement du prix du combustible, et pour répondre à votre question, Monsieur Kalinowski, tout dépend aussi des cycles d’usage. Le véhicule utilitaire diesel ne fait pas 5 litres au cent en centre-ville, comme l’indique la fiche du constructeur, mais plutôt entre 10 et 11 litres. Ce sont les chiffres réels d’utilisateurs finaux. Évidemment, nous nous comparons avec une solution diesel qui n’a pas du tout le même TCO que celui de Madame et Monsieur Michu qui roulent à 60 km/h dans la campagne.

C’est l’une des raisons pour lesquelles ces early markets, comme on aime les appeler ici, sont si importants. Il s’agit de répondre à un réel besoin, qui est en plus un besoin structurant pour l’économie, intéressant pour la santé, pour les villes et pour l’environnement. Les véhicules utilitaires représentent 30 % des immatriculations annuelles en France. Ce sont de vrais marchés, avec de vrais besoins et de vrais clients, sans attendre que l’hydrogène soit à 5 ou 7 euros le kilo d’ici 2015.

M. Claude Freyd.- Pour aller au-delà, aujourd’hui, on n’a pas de réponse face à ces besoins. Typiquement, aucun véhicule ne correspond réellement au marché des véhicules zéro émission en centre-ville. Maintenant, le véhicule électrique apparaît. Au niveau du groupe électrogène en bâtiment, on n’a pas d’offre pour cela. La seule offre qui existe consiste à prendre une batterie au plomb de camion et de l’emmener avec soi pour avoir suffisamment d’énergie. On a l’habitude d’appeler cela des early markets, mais on devrait peut-être les appeler différemment. Ce sont les marchés d’aujourd’hui. Malgré ce que l’on peut entendre sur le prix de la pile à combustible et sur le prix de l’hydrogène, on répond à une demande, avec un service approprié, même au niveau économique.

M. Luc Vandewalle, directeur général, Hypulsion.- Je rejoins ce que disait Bertrand Chauvet tout à l’heure. Il est important de bien se focaliser sur le coût total de possession de la solution qui est, en dehors du carburant lui-même que l’on utilise ou que l’on utiliserait, le critère qui fait que le client va adhérer à la solution et y participer. J’aurai l’occasion d’en reparler cet après-midi, avec l’exemple plus spécifique des chariots élévateurs, mais le coût total de possession est vraiment l’élément déclenchant et prépondérant sur ce type de solution.

M. Laurent Kalinowski.- S’il n’y a plus d’autres interventions ni d’autres questions, je vous remercie de votre participation à cette table ronde ainsi que d’avoir décliné les différentes hypothèses en termes de marchés. Nous sommes vraiment dans le cœur du débat. Tous ces éléments peuvent apporter une réelle reconnaissance de la potentialité qui existe au sein de notre pays, dans toute cette stratégie et filière hydrogène. Nous avons encore toutes les capacités d’être à l’heure, et non pas dans un positionnement de suiveurs. Je vous remercie et je passe la main à Jean-Marc Pastor.

M. Jean-Marc Pastor.- Nous venons de parler de quelques applications qui pourraient permettre une plus large diffusion de l’hydrogène et des technologies associées dans le public. Toutefois, un tel développement de l’hydrogène ne sera possible que si les consommateurs peuvent disposer de ce gaz en quantité suffisante et à un prix acceptable, et enfin s’il est possible de le stocker dans des conditions raisonnables, directement ou après transformation. Ce sont des sujets qui vont être abordés dans le cadre de cette deuxième table ronde.

Vous savez – le professeur Michel Latroche l’a, je crois, rappelé en début d’audition – que l’hydrogène est l’élément le plus répandu dans l’univers mais qu’il est généralement accessible sur notre planète sous une forme combinée avec de l’oxygène ou du carbone. Il est donc en général nécessaire de dépenser de l’énergie pour séparer l’hydrogène de ses composés. C’est pourquoi l’hydrogène est considéré comme un vecteur énergétique et non pas comme une source d’énergie. L’Institut français du pétrole-Énergies nouvelles a toutefois engagé une étude sur les sources d’hydrogène naturel. M. François Kalaydjian, directeur adjoint aux ressources énergétiques de l’IFPEN, va à présent nous en présenter les principaux résultats. Peut-être pourra-t-il nous donner une idée des quantités d’hydrogène qui pourraient être extraites de ces sources et des investissements qui seraient nécessaires pour y parvenir. Je vous donne la parole.

M. François Kalaydjian, directeur adjoint aux ressources énergétiques de l’IFPEN.- Je vous remercie d’avoir invité IFP Énergies nouvelles à intervenir lors de cette journée. J’ai bien conscience que nous sommes un peu exogènes par rapport à tout ce qui a été dit. Mon propos, qui va être assez bref, est d’illustrer que parler de l’hydrogène en tant que vecteur énergétique est un peu réducteur. D’ailleurs, le mot « réducteur » et « réduction » reviendra en fil rouge dans ma présentation. En effet, l’hydrogène est produit naturellement par le système Terre. À ce titre, il peut être qualifié d’énergie produite par notre globe.

Qu’est-ce que l’eau ? C’est un oxyde d’hydrogène. Passer de l’eau à l’hydrogène résulte d’un processus de réduction et qui dit réduction dit contrepartie qui est une oxydation. Finalement, si on arrive à avoir naturellement un système d’oxydoréduction, on peut produire de l’hydrogène de façon continue par réduction de l’eau, pour autant que l’on arrive par exemple à oxyder un métal corrélativement, un minéral contenant du fer, le fer étant dans un état fer II et que l’on puisse faire passer ce fer II en fer III. S’il y a dans la nature des minéraux ferriques qui ont encore une capacité d’oxydation, vu qu’il y a beaucoup d’eau dans la nature, pour peu que les conditions soient réunies, on peut produire de l’hydrogène de façon naturelle. L’hydrogène n’est donc pas uniquement un vecteur, mais aussi une source d’énergie.

Nous avons publié des communiqués de presse cette année à ce sujet. Leur but n’est pas de vous apprendre qu’il y a une production naturelle d’hydrogène ; nous n’avons pas cette prétention. On sait bien que dans les dorsales médio-océaniques, notamment celle que l’on connaît bien, la médio-atlantique qui émerge en Islande, il y a production d’hydrogène. Celle-ci est d’ailleurs associée à d’autres constituants, comme l’azote, l’hélium et le méthane. Il y a une multitude d’évents qui sont localisés sur les dorsales médio-océaniques et chaque évent peut avoir une production de cinq à dix millions de mètres cubes d’hydrogène par an. Ce n’est pas rien, c’est connu. On a véritablement là une source d’énergie. Il se trouve qu’aller chercher de l’hydrogène au milieu de l’océan est un peu compliqué. Même si c’est connu, ce n’est donc pas du tout envisageable d’un point de vue industriel, mais cela guide la réflexion. Il existe donc, sur notre globe terrestre, des endroits où il y a une production d’hydrogène massive.

Est-ce qu’il y a d’autres endroits sur la planète, un peu moins exotiques que ceux situés dans les océans situés dans les dorsales médio-atlantiques ou médio-océaniques, à des milliers de mètres de fond ? Y a-t-il d’autres occurrences possibles de production d’hydrogène naturel ? Et par quel système cela peut-il se passer ? Quels sont les mécanismes qui président à la production d’hydrogène ?

Grosso modo, il y a deux options de production d’hydrogène. La première concerne les massifs ophiolitiques ou péridotiques. Ce sont des roches à l’état réduit qui sont souvent formées à très grande profondeur, qui sont riches en fer, à un niveau fer II et qui ont donc une capacité d’oxydation. On retrouve ces roches ophiolitiques et péridotiques par exemple dans les Apennins, au nord de l’Italie, à Chypre, en Turquie, en Grèce et dans les Philippines. On en retrouve dans différents endroits de la planète. Si on a maintenant comme guide de rechercher des massifs ophiolitiques qui soient d’un niveau d’oxydoréduction intéressant, on a là un guide de prospection géologique.

La deuxième option concerne des roches très anciennes qui se retrouvent au centre des grandes plaques continentales. Il y en a par exemple en Russie et aux États-Unis, dans le Kansas. C’est connu, il y a des occurrences de production d’hydrogène.

Selon les cas, dans les deux options d’ailleurs, que ce soient des plaques continentales ou des massifs ophiolitiques qui peuvent se transformer sous l’action de l’eau par un processus assez joli qui s’appelle la serpentinisation, cet hydrogène va être massif – 90 % de la production sera de l’hydrogène pur – ou beaucoup plus dilué, tout dépend des systèmes naturels. La nature n’est pas encore totalement sous contrôle de l’humain. Voilà donc les deux occurrences possibles.

Nous avons été amenés à découvrir, avec ces guides de prospection géologiques, des localisations de production d’hydrogène qui n’étaient pas connues, par exemple en Caroline, aux États-Unis. Avec une approche de type naturaliste et géologique, on arrive à démontrer que dans certains endroits il devrait y avoir production d’hydrogène et on l’observe. Il y en a aussi en Afrique, notamment au Mali, un endroit un peu compliqué pour faire de la prospection géologique en ce moment. Il y a une diversité d’endroits sur la planète où on observe une production d’hydrogène. Le plus souvent, l’hypothèse de mécanisme est celui que j’ai décrit qui est l’oxydoréduction.

Pour les roches très anciennes qui se situent au cœur des plaques continentales, dans des parties où la croûte terrestre est amincie, où il y a des failles possibles qui mettent en relation les couches profondes de la croûte avec la surface, il peut y avoir aussi d’autres mécanismes qui se produisent. Les conditions de température et de pression sont importantes et on peut avoir des mécanismes de type électrolyse, mais cela reste un objet de recherche. Par rapport à celle des évents situés dans les rides médio-océaniques, les productions que l’on peut observer sur le continent apparaissent beaucoup plus modestes, de l’ordre de 5 000 à 10 000 m3 par jour.

Le souci, c’est que l’hydrogène n’est pas produit par une seule fissure sur laquelle il suffirait d’installer un ballon pour le récupérer. Le système de fissuration est toujours corrélé à la production d’hydrogène parce qu’il y a une transformation de la roche. Qui dit transformation de la roche dit éventuellement transformation et modification du volume de la roche, effondrement en profondeur qui se traduit en surface par des sortes de cratères, même si ce n’est pas nécessairement lié à des systèmes volcaniques. On a nécessairement un cortège de failles, de fractures ou de fissures, si bien que l’hydrogène qui est émis à la surface l’est de façon un peu disséminée. Il faut caractériser en profondeur comment cette production d’hydrogène s’organise, si on a la capacité à le collecter en profondeur. Vous voyez là tout un chantier de R&D.

Pour résumer, il y a bien une production d’hydrogène naturelle, connue depuis longtemps. Les guides de prospection géologique se clarifient progressivement et ont conduit à faire des découvertes de productions naturelles d’hydrogène sur les continents. On parlait de systèmes isolés ; au large de la Nouvelle-Calédonie par exemple, il y a aussi une production d’hydrogène. Nous avons donc maintenant des clés pour identifier des lieux possibles de production d’hydrogène. Pour ce qui concerne la France métropolitaine, il y a quelques occurrences de production d’hydrogène, notamment dans le bassin du sud-est de la France, mais qui restent modestes et dont il faut mieux comprendre l’origine géologique.

Nous n’en sommes pas à évaluer les coûts de production de l’hydrogène naturel. Il faudra déjà quantifier les choses, voir s’il y a des possibilités de développer des modes de production de type pétrolier ou gazier. Nous en sommes encore à qualifier la forme sous laquelle cet hydrogène est émis et à voir si nous pouvons proposer ensuite des moyens de collecte industriels de cet hydrogène par des puits. Au-delà, d’aucuns imaginent que l’on pourrait proposer des systèmes industriels qui viendraient mimer ce que la nature sait faire à moindre coût. On parlait du coût de séparation de l’hydrogène d’autres constituants. Là, la nature travaille gratuitement pour nous. Y aurait-il lieu industriellement de proposer des systèmes qui travailleraient sur des procédés d’oxydoréduction ? Je pense qu’aujourd’hui, nous ne sommes absolument pas dans des niveaux économiques adéquats, mais certains laboratoires commencent à s’y intéresser. Je vous remercie.

M. Jean-Marc Pastor.- Je vous propose que l’on enclenche le débat après avoir entendu les quatre intervenants de la table ronde, si cela vous convient. Merci, Monsieur Kalaydjian pour cet exposé passionnant qui démontre encore une fois que nous disposons dans notre pays de compétences scientifiques et techniques considérables sur le sujet.

Je vais maintenant me tourner vers Monsieur Arthur Mofakhami, directeur technique de la société CeramHyd qui va nous parler d’un moyen beaucoup plus banal pour obtenir de l’hydrogène : l’électrolyse de l’eau. C’est un procédé qui a été mis en œuvre pour la première fois aux environs de 1800. Il pourrait permettre d’utiliser l’électricité excédentaire, notamment d’origine renouvelable, pour produire de l’hydrogène. Toutefois, l’hydrogène ainsi produit reste à ce jour beaucoup plus coûteux que celui obtenu à partir d’hydrocarbures, notamment à partir de gaz naturel, de méthane, voire de biogaz. Est-il possible d’améliorer le rendement des électrolyseurs tout en les rendant plus accessibles ? En un mot, sera-t-il possible demain de produire avec l’électrolyse de l’hydrogène à moindre coût ? Monsieur Mofakhami pourra peut-être répondre à ces questions, de manière à envisager de nouvelles possibilités d’utilisation de l’hydrogène sur notre territoire. Je vous donne la parole.

M. Arthur Mofakhami.- Merci beaucoup d’avoir donné la parole à CeramHyd. Nous allons peut-être pouvoir déconstruire un autre mythe. En tout cas, j’espère que l’on va y voir plus clair à la fin de mon exposé. Je dis d’abord quelques mots sur la société CeramHyd. Elle a été créée en 2005, suite à deux prix successifs de l’innovation – je tire vraiment mon chapeau aux aides publiques – qui nous ont vraiment permis de lever des fonds. La société a créé une nouvelle membrane échangeuse ionique, qui a permis de développer des prototypes et des applications diversifiées. Aujourd’hui, un pilote industriel permet la production de cette membrane. L’une de ses applications concerne la production d’hydrogène par électrolyse.

Pour aborder ce sujet de la production d’hydrogène par électrolyse, il faut d’abord essayer de voir quelles sont les différentes technologies existantes et disponibles sur le marché, donc qui ne sont plus à l’état de recherche. Les deux technologies que l’on peut citer sont la technologie alcaline et la technologie PEM (à membrane d'échange de protons) qui est plutôt une électrolyse acide.

Comme vous l’avez remarqué, la technologie alcaline existe depuis 1900. En 1939, une unité de 10 000 Nm3/heure a été créée. Plus tard, en 1959, Lurgi a fait un premier électrolyseur de 30 bars. De quelle manière ? Ce sont des choses dont on va parler. La technologie alcaline est une technologie vraiment mature. On connaît bien ses limites et ses capacités. On peut citer les sociétés les plus actives aujourd’hui dans cette technologie. Hydrogenix, société européenne et canadienne, propose des unités d’électrolyse alcaline à travers le monde et en a installé un certain nombre en Allemagne pour le power-to-gas. On peut citer Nel qui est une émanation de Statoil, une société norvégienne, qui propose aussi des électrolyseurs alcalins, de plus faible capacité. On peut citer Enertrag qui a été dernièrement rachetée par Mcphy, société française qui réalise des unités de stacks de 2 à 6 mégawatts.

Quand on regarde les publications de ces sociétés actives sur le marché, on voit que le rendement de cette technologie est de l’ordre de 58 à 60 %. Les sources sont sur internet. Par exemple, Enertrag dit qu’à 1 000 Nm3/h, la consommation électrique est de 6 mégawatts, soit 58 % de rendement. Cet aspect est à améliorer dans le cadre des technologies alcalines.

Un autre aspect à améliorer tient à la pression. On a beaucoup parlé de la pression dans le stockage d’hydrogène. Aujourd’hui, la majeure partie des électrolyseurs de puissance alcaline fonctionnent à pression atmosphérique. Derrière, il faut un suppresseur ou compresseur qui permet de monter à 30 bars ou davantage.

Pour quelle raison cette technologie qui est mature n’a pas permis de créer des électrolyseurs qui soient sous pression ? En réalité, il faut aller un peu plus dans le détail de la technologie. La technologie alcaline ne possède pas de membrane échangeuse ionique. En fait, elle utilise des séparateurs. À l’origine il s’agissait de séparateurs en amiante qui sont désormais interdits à l’utilisation. Maintenant, on utilise plutôt des membranes fournies par Agfa. Cela empêche la montée en pression, parce qu’un mixage de gaz peut se produire à travers ces séparateurs qui sont micro-perforés. Cela empêche également d’augmenter le rendement, parce qu’il faudrait rapprocher les électrodes de ces séparateurs, ce qui générerait un problème de mélange de gaz. Des recherches sont engagées pour améliorer cela. Hydrogenix a accès, au travers d’un consortium, à des fonds européens pour pouvoir trouver des solutions par rapport à ces problématiques. Tel est l’état de la technologie alcaline.

Maintenant, où en est-on sur la technologie PEM ? Elle non plus n’est pas une technologie nouvelle. Le premier électrolyseur PEM date de 1966. Depuis, beaucoup d’électrolyseurs ont été développés en PEM, mais toujours à petite échelle. Pourtant, des sociétés ont essayé d’en développer de plus gros, dont les deux plus importantes me viennent à l’esprit : Statoil et JI. Aujourd’hui, Solvay essaie aussi. Mais ils n’ont pas réussi à supplanter la technologie alcaline. Pourtant, les rendements sont meilleurs, de l’ordre de 80 %, au minimum de 75 % avec l’ensemble du système qui l’entoure. On n’a plus d’électrolyte, on ne consomme que de l’eau. En fait, la membrane contient la partie active pour transformer l’eau en ion et ensuite, permettre aux électrodes de le transformer en gaz, hydrogène et oxygène.

Je pense qu’il y a un problème inhérent à cette technologie par rapport à l’électrolyse. Du Pont de Nemours, qui est fabricant de l’une de ces membranes pour PEM qui s’appelle Nafion, a sur son site un document technique sur le Nafion. Tant que vous utilisez le Nafion dans le domaine des piles à combustible, il n’y a pas trop de problème parce que la membrane est très sensible aux ions bivalents (calcium, magnésium, fer) qui ont la mauvaise habitude de se précipiter à l’intérieur de la membrane sur les sites actifs et de les bloquer. Ainsi, la communication de Du Pont de Nemours indique que la qualité de l’eau utilisée devrait être inférieure à 20 ppm pour le calcium et magnésium et à 1 ppm pour le fer. On se heurte à un problème qui fait que les électrolyseurs PEM peuvent durer longtemps, mais qu’il faut faire extrêmement attention à la qualité de l’eau qu’on leur fournit.

Pour vous donner un chiffre, un an de fonctionnement d’un électrolyseur PEM à un mégawatt, 200 Nm3/h, à une qualité d’eau à 2,5 PPM d’impuretés va engendrer une accumulation de 4 kilogrammes de ces ions à l’intérieur des stacks. Inévitablement, cela va en diminuer l’efficacité. On va passer de 80 % d’efficacité à 60, voire 50 % d’efficacité. C’est l’un des problèmes qui a peut-être été à l’origine de cette stagnation technologique. Malgré tout, des sociétés proposent aujourd’hui des électrolyseurs d’un mégawatt dans ces technologies. Il faut toujours faire attention à l’eau. Si on y fait attention, on peut atteindre une certaine durabilité. Des électrolyseurs ont fonctionné ainsi dans les sous-marins pendant plus de 40 000 heures, ou davantage encore.

Au sein de CeramHyd, nous avons mis au point une membrane qui est échangeuse ionique, mais qui ne contient pas d’acides forts à l’intérieur, uniquement un acide faible. Cet acide faible n’a aucune affinité avec les ions bivalents. D’ailleurs, ces ions bivalents sont aussi conduits dans cet acide faible, dans ce milieu électrolyte solide. Pour produire les ions nécessaires, on rajoute 10 % d’acide sulfurique, ce qui, dans le milieu industriel, n’est pas compliqué à gérer. Il y a bien d’autres électrolyseurs, pour d’autres applications, où l’acidité est beaucoup plus importante.

Nous avons réussi à mettre au point deux prototypes. L’un de ces prototypes a été testé sur un site industriel pendant un an et demi, ce qui nous a permis de faire le deuxième prototype qui va être livré à RWE, en Allemagne, pour des essais en power-to-gas. C’est un prototype de 30 Nm3/h. D’ailleurs, nous serions très intéressés de réitérer cette expérience en France, avec des partenaires français, sur des électrolyseurs qui peuvent aller jusqu’à 300 Nm3/h, c’est-à-dire de 1,4 mégawatt.

En fait, nous avons réussi à concevoir un électrolyseur modulaire. On fait des unités de 15 Nm3/h. Toutes les pièces sont industrialisées, la réduction de coût est donc importante. La membrane est fabriquée en France par nous-mêmes. Cela permet de réduire considérablement le coût du cœur de la technologie. C’est l’équivalent de stacks piles à combustible en électrolyse. Ensuite, on les assemble sous forme de modules que nous avons brevetés. Ce sont des modules de quatre stacks et ces modules peuvent s’interconnecter jusqu’à cinq modules, ce qui fait 20 stacks, chacun produisant 15 Nm3/h, ce qui fait 300 Nm3/h, avec un rendement de 76 %.

Quand on fait l’étude du coût de l’hydrogène produit par ce genre de système, comme je vous l’ai déjà dit, dans notre cas, 80 % de ce coût vient de l’électricité. Une simulation à 60 euros le mégawatheure, ce qui se pratique en France, nous amène à un coût de 4 euros le kilogramme d’hydrogène, en prenant en compte l’achat du système, la maintenance, la consommation de l’eau, etc. Maintenant, imaginons avoir accès à une électricité détaxée, moins chère, à une électricité qui est perdue, l’énergie renouvelable excédentaire, ou que l’on gagnerait en modifiant la quantité produite, je pense au nucléaire par exemple où on est obligé de moduler. Dans ce cas, la moyenne du coût de l’électricité peut être de 20 euros le mégawatheure, ce qui rend le coût de l’hydrogène équivalent, à l’achat, à celui du gaz naturel. Le prix de l’hydrogène est très dépendant de la source d’électricité à laquelle on a accès ou pas. C’est une décision industrielle en France d’aller dans ce sens ou pas. J’espère que j’ai réussi à déconstruire un peu le mythe de l’hydrogène cher. Merci beaucoup.

M. Jean-Marc Pastor.- Merci beaucoup, Monsieur Mofakhami pour cette présentation et cette orientation que vous nous donnez. Une fois que l’hydrogène a été produit au plus bas coût possible, il n’est généralement pas possible de le consommer tout de suite. Aussi, faut-il pouvoir le stocker de façon sûre et sans en grever le coût final pour le consommateur. C’est Monsieur Jérôme Gosset, directeur de la business unit Stockage d’énergie d’Areva qui va nous en parler, puisqu’il est le spécialiste dans ce domaine. Nous savons que le stockage est un goulot d’étranglement important de la filière hydrogène. Monsieur Gosset, vous avez la parole.

M. Jérôme Gosset, directeur de la business unit Stockage d’énergie, Areva.- Monsieur le Sénateur Pastor, merci de me donner l’occasion de prendre la parole dans cette audition. Pour mettre en perspective la problématique du stockage de l’hydrogène, je voudrais commencer par dire que le stockage de l’énergie est au cœur de la gestion de l’énergie intelligente. Parmi les différentes technologies de stockage, l’hydrogène présente la caractéristique particulière d’être extrêmement flexible, d’offrir une multiplicité d’usages possibles que l’on a pu apercevoir ce matin dans la première table ronde. À partir d’hydrogène, on peut générer de l’électricité avec des piles à combustible, que ce soit dans les applications stationnaires, nomades, industrielles ou tertiaires. On peut aussi, grâce à ces piles et au stockage de l’énergie, permis par les électrolyseurs, gérer l’énergie intermittente sur un réseau électrique et donc proposer des services au réseau. On peut utiliser l’hydrogène directement, sous forme de gaz, pour générer de la chaleur, dans le power-to-gas, dont on parlera après. Puis, évidemment, on peut l’utiliser en mobilité, comme un carburant, que ce soit pour la mobilité routière ou plus largement pour les bateaux ou d’autres appareils plus spécifiques.

Cette multiplicité d’usages possibles converge avec une multiplicité d’enjeux au niveau des territoires. Ce n’est pas à vous que j’apprendrai quels sont ces enjeux, mais je vais les illustrer rapidement. Il y a l’attractivité d’un territoire, en termes d’activités industrielles ou agricoles, sur l’accès à une énergie fiable et peu chère. Il y a la gestion locale des réseaux de distribution, que ce soit de gaz ou d’électricité, la question de la production locale d’énergie et peut-être demain celle de l’autoconsommation. Il y a la question des bâtiments, de leur amélioration énergétique, de leur autonomie, à l’échelle d’un bâtiment, voire d’un quartier. Puis, il y a toutes les questions liées à l’accès à l’énergie et à la précarité énergétique.

Tous ces sujets sont aujourd’hui renouvelés par les évolutions du monde de l’énergie, ce qui conduit à s’interroger sur l’émergence de ce que l’on peut appeler des circuits énergétiques courts ou des moyens de produire localement de l’énergie et de la gérer. Pour cela, il y a impérativement besoin de stockages. La question qui se pose est donc celle du déploiement possible de ces filières courtes. Quelle peut être leur part dans le mix énergétique global par rapport à la solution classique qui consiste à acheter de l’énergie loin, que ce soit de l’énergie électrique, produite dans des centrales et distribuée au travers d’un réseau électrique, de l’énergie gaz, venant de gisements divers et variés par des pipelines, ou du pétrole ? On est donc dans un changement de paradigme assez fort, qui impose de stocker l’énergie et de la gérer le mieux possible.

L’hydrogène est bien une technologie qui va accompagner cette transition énergétique vers plus de modèles énergétiques en circuit court. Différents modes de stockage de l’hydrogène permettent d’imaginer des chaînes énergétiques courtes qui utilisent cet hydrogène à des échelles différentes.

Je ne parlerai pas des applications nomades que je connais très mal, mais un système de secours, une antenne relais par exemple va avoir besoin de quelques jours d’autonomie à cinq kilowatts, soit une vingtaine de kilos d’hydrogène. Dans un bâtiment tertiaire ou public, l’échelle peut être de 50 kilowatts, on aura besoin typiquement d’une journée d’autonomie, soit 70 kilos d’hydrogène. Sur une plate-forme raccordée au réseau électrique, comme Myrte en Corse, où il y a 200 kilowatts de piles et 200 kilowatts d’électrolyse et où l’on veut une autonomie d’une journée, il faudra 150 kilos d’hydrogène. Si on regarde dans le futur des applications power-to-gas, on va probablement mettre en série des électrolyseurs pour faire 100 mégawatts d’électrolyse, ce qui peut représenter 70 tonnes d’hydrogène par jour produites.

La mise en œuvre de l’hydrogène implique des échelles qui sont très variées et qui demandent donc une diversité de moyens de stockage pour pouvoir être mis en œuvre. Si je les balaie et que j’en dresse un panorama rapide, on peut penser en tout premier lieu à l’hydrogène liquide, bien connu et mis en œuvre sur le plan industriel, avec l’avantage d’une très forte densité énergétique, mais qui est très coûteux à produire puisqu’il faut descendre à des températures très basses nécessitant une autoconsommation énergétique très forte qu’il faut maintenir. Cette technologie est réservée à des usages avancés et n’est pas très adaptée à l’hydrogène-énergie. On peut donc l’oublier pour ce qui nous concerne.

On a parlé tout à l’heure du stockage gazeux sous pression. Effectivement, cette technologie est bien éprouvée. Aujourd’hui, on peut stocker de l’hydrogène jusqu’à 200 bars, ce qui est très courant. Cela peut se faire dans des racks, des paquets de bouteilles que l’on peut entreposer et déplacer avec des chariots élévateurs. Cela peut être une remorque de camion qui est composée d’une dizaine de bouteilles mises horizontalement et qui font la longueur de la remorque. On peut aussi avoir, comme sur Myrte en Corse, de gros réservoirs qui ressemblent aux réservoirs de gaz et qui permettent de stocker l’hydrogène. Sur Myrte, en l’occurrence, il est à 35 bars. Cette technologie est bien connue et extrêmement performante, mais elle n’évolue pas.

Depuis quelques années, le besoin, pour la mobilité, de stockages de 350 à 700 bars a conduit un certain nombre d’acteurs à faire des travaux de développement. Aujourd’hui, une rupture technologique est en train d’aboutir, celle des réservoirs à 700 bars. Par voie de conséquence, toute pression inférieure à 700 bars est aussi accessible. Ce sont des stockages en fibre de carbone, revêtus à l’intérieur d’un revêtement étanche à l’hydrogène. Ils vont permettre deux choses: d’une part de livrer sur un site - on peut loger dans un volume très restreint une quantité d’énergie très importante permettant une longue autonomie, ce qui est extrêmement important pour des sites isolés ou difficiles d’accès quand on veut les rendre autonomes pendant un certain temps - d’autre part, ce type de stockage va permettre de multiplier par un facteur 4 à 5 la quantité d’énergie embarquée sur un camion de livraison d’hydrogène. Pour l’hydrogène livré par camion, il y a là une rupture forte sur le coût d’accès à de l’hydrogène qui serait produit de façon centralisée et qui serait livré sur un site. C’est une innovation importante, essentiellement menée par Air Liquide et par Composite Aquitaine, qui a été soutenue en France par la puissance publique, au travers d’OSEO, dans le cadre du programme H2E.

C’est une rupture importante, mais ce n’est pas la seule. On a parlé aussi tout à l’heure des hydrures. C’est une deuxième rupture significative qui vise le stockage solide. Il s’agit d’immobiliser l’hydrogène dans un hydrure, matériau solide, en l’injectant sous pression autour de ce dernier. Comme au moment du stockage il y a libération de chaleur - laquelle peut ou pas être récupérée en fonction du rendement souhaité -, finalement, l’hydrogène se trouve piégé. Il n’y a plus assez d’énergie pour qu’il ressorte. Pour le faire ressortir, il va falloir lui redonner cette chaleur. L’avantage de cette solution tient à sa sécurité, la stabilisation de l’hydrogène qu’elle apporte. Le deuxième avantage est la très grande densité d’hydrogène par mètre cube. Dans les hydrures, il y a une centaine de grammes d’hydrogène par mètre cube, contre 40 grammes par mètre cube dans des stockages à 700 bars. Toute technologie a ses inconvénients ; celle-ci pose quelques problèmes sur la cinétique, c’est-à-dire la dynamique de ces systèmes. Elle pose aussi des problèmes sur la pureté des gaz qu’elle peut accepter.

Je mentionnerai une autre technologie intéressante qui consiste à stocker l’hydrogène dans une molécule qui va rester liquide et qui s’appelle d’un nom barbare, carbazole. Je ne vous en donnerai pas la formule, parce que j’en suis incapable. C’est une molécule dans laquelle on peut charger jusqu’à 20 à 25 atomes d’hydrogène. Elle a l’avantage de se présenter sous forme d’un liquide qui a des propriétés très proches de celles du diesel, à la fois en termes de densité et de contenu énergétique. On peut stocker l’équivalent de 1,7 kilowattheure d’hydrogène-énergie dans chaque litre de ce composant. Ce liquide pourrait utiliser les mêmes infrastructures que le diesel, ce qui serait d’un intérêt considérable. Son inconvénient, un peu comme pour les hydrures, résulte de l’obligation de passer par des étapes de conversion qui mettent en œuvre des températures relativement élevées, ce qui conduit à une relative complexité des opérations de stockage et de déstockage de l’hydrogène.

La dernière grande option qu’il faut mentionner est celle du power-to-gas. Plus qu’une technologie, c’est un concept qui consiste à utiliser les réseaux de gaz existants, de façon à y injecter de l’hydrogène. Pourquoi cette idée ? Parce que les réseaux de gaz représentent des capacités de stockage très importantes. Le volume, la pression que l’on peut injecter dans ces réseaux et la marge de manœuvre entre la pression moyenne d’exploitation et la pression maximale que peuvent supporter ces réseaux permettent d’envisager de stocker de grandes quantités d’hydrogène. On peut même utiliser, comme on le fait pour le gaz naturel, des cavités ou des structures géologiques dans lesquelles on pourrait stocker cet hydrogène. D’ailleurs, une étude européenne, en cours, dénommée « HyUnder », vise à évaluer et à comparer les différentes structures géologiques, en vue du stockage d’hydrogène. Des résultats provisoires sont disponibles, je pense que les résultats définitifs sont attendus dans le courant de l’année prochaine.

En fait, ce réseau de gaz va être, pour le stockage de l’hydrogène, ce qu’est une montagne pour le stockage d’énergie par l’hydraulique. Une réserve de stockage est déjà en exploitation et les investissements réalisés. Le coût marginal pour l’exploiter pour l’hydrogène serait donc relativement faible. Cette solution pose toutefois un certain nombre de questions sur les aspects liés à la sécurité et les problèmes que posent les variations de la composition du gaz chez l’utilisateur final. Je pense que GRT Gaz reviendra sur ce sujet.

On dispose donc d’une panoplie de solutions de stockage très variées, dans des échelles adaptées aux différents systèmes énergétiques mettant en œuvre l’hydrogène. Ces technologies nouvelles et cette expérience ancienne permettent d’imaginer de gérer à la fois l’intermittence et des chaînes énergétiques nouvelles, à mettre en place sur des sites isolés, en lien avec la mobilité et l’autoconsommation. L’hydrogène est donc une bonne solution.

La difficulté est de faire émerger ces chaînes. Pourquoi ? Parce qu’elles demandent de mettre en œuvre plusieurs briques. Il faut avoir des véhicules si on veut faire de la mobilité, mais il faut aussi un électrolyseur, des moyens de stockage, une source d’énergie et il faut que tout cela fonctionne dans un modèle économique qui peut peut-être aidé au début, mais qui doit être viable à terme. L’émergence de cet écosystème est aujourd’hui complexe à mettre en œuvre et je pense qu’elle a besoin d’un support public. Les industriels travaillent à faire émerger les solutions et à réduire les coûts, mais la mise en place et le déploiement de ce genre de solutions demandent à ce que leur viabilité économique et leurs modalités de mise en œuvre soient étudiées. Il s’agirait, par exemple, d’étudier comment une région ou une collectivité donnée peut tirer parti de ce type de solution de stockage de l’énergie à l’échelle de ses problématiques. On pourrait imaginer de sélectionner, en France, une dizaine de projets de ce type, pour passer aux actes et mettre en œuvre ce type de modèle afin d’explorer leur viabilité économique, la manière de mettre sur pied des schémas de circulation de l’énergie et de circulation des revenus à un niveau local.

En ce qui concerne la mobilité, il faut aussi regarder cela d’un point de vue national. Il serait très souhaitable que la puissance publique s’intéresse à un plan de mobilité hydrogène au niveau national. Les voitures ayant, par nature, avec l’hydrogène une autonomie très grande, de l’ordre de 500 à 800 kilomètres, il ne faut évidemment pas regarder la question de la mobilité hydrogène uniquement au niveau local.

Pour conclure, je rejoindrai les autres intervenants pour insister sur la nécessité de repenser un certain nombre de points dans la réglementation. Sur les aspects relatifs à la sécurité de mise en œuvre, je rejoins tout ce qui a été dit sur les installations ICPE. Cela permettrait aussi de faire émerger un certain nombre de mécanismes de marché permettant à des acteurs de se rémunérer et de faire réellement vivre la filière hydrogène. Je pense à la structuration des marchés sur la stabilisation des réseaux électriques, les services aux réseaux, sur la mobilité et sur le power-to-gas également. Il faut établir un cadre juridique qui permette de le faire fonctionner. Monsieur Mosdale évoquait tout à l’heure également les besoins en termes de réglementation pour les applications nomades.

À cela, j’ajouterai tous les régimes fiscaux qui vont avec la mise en œuvre de ces nouveaux systèmes. Il faudrait également peut-être avoir une réflexion sur les tarifs d’électricité auxquels pourrait accéder la technologie d’électrolyse. Comme on l’a vu, c’est un élément clé de la rentabilité de la production d’hydrogène et de son économie. La question du tarif auquel le kilowattheure pourrait être accessible à la filière hydrogène mériterait certainement réflexion. Je vous remercie de votre attention.

M. Jean-Marc Pastor.- Merci, Monsieur Gosset pour ce tour d’horizon des enjeux du stockage et d’avoir fait le lien avec l’intervention des représentants de GRT Gaz, en évoquant la possibilité d’utiliser les réseaux de gaz. Sans plus tarder, je vais donc donner la parole aux représentants de GRT Gaz. Nous avons eu l’occasion de rencontrer un certain nombre de vos collègues outre-Rhin, sur ce sujet. Cet après-midi, un représentant de la société E.ON viendra également nous en parler. Je donne la parole à Madame Mylène Poitou et à Monsieur Patrick Pelle pour qu’ils nous présentent quelles sont les capacités disponibles sur ce réseau existant, bien maillé sur la totalité de notre territoire et pour qu’ils nous montrent dans quelles conditions cela pourrait participer au développement de l’hydrogène. Vous avez la parole.

M. Patrick Pelle, directeur des affaires publiques et du développement durable, GRT Gaz.- Merci, Monsieur le sénateur. Je voulais rappeler la spécificité du système gazier qui permet justement les applications dont nous allons parler tout à l’heure. Je voulais souligner qu’il s’agit là d’un véritable vecteur énergétique de masse. Je vous rappellerai tout simplement que les débits de pointe sur le réseau gazier, dans l’hiver 2012 qui a été assez froid, ont conduit à un appel de puissance de l’ordre de 158 000 mégawatts, alors que sur le réseau électrique, il n’a été que de seulement 101 000 mégawatts, soit près de 50 % de plus en gaz qu’en électricité. Je voulais aussi rappeler qu’il s’agit d’un transport à grande distance, puisqu’il sillonne toute l’Europe et même au-delà, jusqu’aux extrémités de l’Asie. En France, il y a environ 32 000 kilomètres de canalisations dans lesquelles nous avons une capacité d’utilisation. Je soulignerai aussi que ce transport à grande distance est à faible consommation, puisque l’autoconsommation de ce réseau n’est que de 0,3 % des quantités d’énergie transportées. Enfin, je signalerai aussi qu’il s’agit d’une capacité de stockage, bien sûr de façon un peu journalière dans le réseau de gazoducs, mais surtout, qu’il donne accès à un réseau de stockage géologique. Il y en a 14 en France qui peuvent représenter 25 à 30 % de la consommation française sur une année. Nous avons donc une grande capacité de stockage grâce à ce réseau.

Mon voisin a parlé de changement de paradigme. C’est exactement ce que nous sommes en train de vivre dans notre activité assez ancienne, qui a plusieurs décennies d’existence. Ce changement de paradigme concerne une orientation stratégique forte pour accueillir des gaz renouvelables. Les études que nous avons faites montrent que d’ici 2050, le potentiel de gaz renouvelable en France, quand on combine méthanisation des déchets, gazéification de la biomasse forestière, ainsi que power-to-gas, c’est-à-dire transformation d’électricité en hydrogène - recombiné ou non avec du gaz carbonique pour faire du méthane de synthèse - est de l’ordre de 220 térawatts-heure, à comparer à la consommation actuelle de la France qui est inférieure à 500 térawatts-heure. L’ordre de grandeur actuel correspond donc à la moitié de la consommation française. Or, on sait que les consommations devraient diminuer du fait des efforts réalisés en termes d’efficacité énergétique. À terme, il est donc possible que le gaz naturel importé représente une proportion de plus en plus faible dans nos réseaux et qu’il y ait a contrario une proportion de gaz renouvelable de plus en plus importante.

La proportion d’hydrogène issu d’énergie électrique renouvelable ne serait pas la part la plus importante de ces gaz renouvelables, on l’estime à environ 10 %, peut-être un peu plus ou peut-être un peu moins. Il est difficile de prévoir l’avenir, l’essentiel étant de le rendre possible. C’est pour cela que nous essayons de travailler sur ce sujet qui pour nous représente une voie d’avenir permettant l’interconnexion entre systèmes électrique et gazier. Cette transformation d’électricité en hydrogène va permettre de contribuer à une meilleure flexibilité de tous ces systèmes et nous nous y préparons. Nous allons passer d’un système où nous avons cinq ou six entrées aux frontières et une quinzaine d’entrées par les stockages souterrains, à peut-être plusieurs centaines de points d’entrée sur le réseau, ce qui demande de réfléchir à une gestion intelligente des réseaux, ce que l’on appelle les smart grids.

Voilà l’introduction que je voulais faire avant de passer la parole à Mylène Poitou qui va parler plus précisément de ce que l’on souhaite faire avec le power-to-gas, avec la transformation de l’électricité en hydrogène.

Mme Mylène Poitou, responsable de la prospective et des relations stratégiques, GRT Gaz.- Je vais vous présenter la partie économique de l’étude réalisée par GRT Gaz. Comme l’a dit Patrick Pelle, nous avons abordé le débat sur la transition énergétique avec cette vision de transformation du réseau de gaz, d’abord pour avoir davantage de gaz renouvelable, ensuite pour permettre le développement des énergies renouvelables intermittentes, en proposant ce réseau pour valoriser les surplus d’énergie électrique. À cette fin, nous avons réalisé, avec E-Cube Strategy Consultants, deux études économiques.

La première, qui ne nous concerne pas directement aujourd’hui, répondait à la question suivante : à quel coût pourrait-on produire du gaz renouvelable en quantité ? Elle concluait qu’à l’horizon 2050, en faisant l’hypothèse d’une baisse de consommation de 1 % par an, une part de 40 à 50 % de gaz renouvelable dans la consommation française - soit les 150 térawatts-heure les moins coûteux dans l’ensemble du potentiel évoqué par Patrick Pelle - impliquerait un surcoût de moins de 20 % de la facture du consommateur final, soit une augmentation de moins de 1 % par an. Je referme la parenthèse, car tel n’est pas l’objet de l’audition d’aujourd’hui.

L’autre étude, sur laquelle je vais davantage m’attarder, confiée également à E-Cube Strategy Consultants, visait à répondre à la question suivante : la production d’hydrogène à partir d’électricité devenant de plus en plus rentable, pourrait-on imaginer atteindre d’ici 2050, dans un scénario favorable avec beaucoup de surplus d’origine électrique, une rentabilité suffisante pour couvrir la France d’électrolyseurs, en nombre suffisant, pour absorber dans le réseau gaz les surplus qui ne pourraient l’être par d’autres moyens ?

E-Cube Strategy Consultants est parti de la vision ADEME 2050, pour avoir un scénario énergétique à l’horizon 2050 crédible, faisant référence et versé au débat. Celui-ci présente aussi l’avantage de prévoir beaucoup de production électrique à partir de renouvelables, avec 70 gigawatts de capacité installée en éolien, offshore et onshore, et 60 gigawatts en photovoltaïque. Ce scénario restant silencieux sur la capacité nucléaire installée en 2050, l’hypothèse retenue était celle d’une production nucléaire égale à celle du scénario ADEME 2030, soit une vingtaine de gigawatts, ce qui nous a paru cohérent, puisque cela pourrait correspondre à une prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires à 50 ans et à un EPR.

Avec ces capacités de production et des consommations électriques modulées conformément aux données historiques, on arrive, avec une modulation heure par heure, à 75 térawatts-heure de surplus électrique. Ces 75 térawatts-heure correspondent à 5 000 ou 6 000 heures de surplus de production. La modélisation concluait aussi à 27 térawatts-heure de déficit, pendant 3 000 à 4 000 heures, supposés être compensés, par exemple, par des centrales combinées gaz.

Nous basant sur cette modélisation heure par heure, nous avons regardé, ensuite, quelle était la fréquence des surplus et quelles étaient leurs durées dans le temps. On arrive à une donnée qui pour nous, cherchant à favoriser la production d’hydrogène dans un premier temps, puis l’injection dans les réseaux, est intéressante : des surplus de longue durée, de trois jours à une semaine, à hauteur de 26 térawatts-heure et une dizaine de térawatts-heure sur une durée de deux à trois jours. Les surplus de courte durée, inférieure à 12 heures, sont évidemment les plus fréquents. Il y en avait environ 300 dans l’année. Mais en quantité d’électricité à valoriser, les périodes de plus de 12 heures représentent 80 % du volume produit.

L’idée n’était pas de proposer la production d’hydrogène avec tout le volume de surplus d’électricité produit à l’horizon 2050. Pour les surplus de moins de 12 heures, les systèmes de stockage électrique de courte durée basés sur batteries vont se développer. Quant aux surplus de moyenne durée, d’environ 24 heures, les stations de pompage vont permettre d’y faire face.

Nous avons regardé également avec E-Cube les régimes de vent, pour voir dans quelle proportion nous pouvions imaginer exporter ces surplus d’origine électrique, notamment vers l’Allemagne. Même avec des régimes de vent différents, durant seulement 20 % du temps, les périodes de surproduction ne sont pas corrélées entre la France et l’Allemagne. Dans ces 20 % du temps, on peut imaginer que l’Allemagne ne sera pas en surplus et que la France exportera 15 térawatts-heure.

Bref, il reste une trentaine de térawatts-heure impossible à valoriser autrement que par la production d’hydrogène, après saturation de l’ensemble des autres systèmes de stockage et exportation de ce qui pouvait l’être. L’analyse économique est basée sur ces chiffres. Il aurait été possible d’arriver à des montants supérieurs, par exemple en supposant un moindre développement des stations de pompage.

Comme nous n’imaginions pas installer un électrolyseur pour quelques heures de fonctionnement par an, nous avons renoncé aux 5 térawatts-heure les moins fréquents. Il nous restait donc 25 térawatts-heure, correspondant à 1 000 électrolyseurs de 10 mégawatts, installés pour absorber ces surplus électriques, à des points stratégiques du réseau électrique, afin de le soulager et d’éviter d’avoir à le renforcer, voire, si nécessaire, au pied d’éoliennes.

Ce parc de 1 000 électrolyseurs tournerait 2 500 heures par an. Nous avons calculé le coût de production de l’hydrogène, en supposant initialement que l’électricité en surplus était gratuite. Nous nous sommes finalement dit qu’il n’y avait pas de raison qu’elle soit gratuite, mais tout de même très peu chère (sur la base de l’évaluation donnée aujourd’hui par CeramHyd, il serait même possible d’atteindre la rentabilité avec un prix de l’ordre de 20 euros du mégawatheures). Avec ce coût, le taux de retour sur investissement du parc d’électrolyseurs serait de 10 %, une valeur actualisée nette positive.

Nous en sommes arrivés à la conclusion que cela était faisable sous certaines conditions. La condition la plus importante concerne une réduction du coût des électrolyseurs d’un facteur 5, pour passer de 1 500 euros du gigawatt installé à 300 euros du gigawatt. Ce facteur 4 ou 5 correspond à l’hypothèse adoptée par le laboratoire NREL du département fédéral de l’énergie aux États-Unis dans son rapport sur le développement du power-to-gas, en prenant en compte les évolutions technologiques, notamment sur les électrolyseurs PEM, et les effets de séries à l’horizon 2050.

Je ne vais pas vous présenter tous les détails de l’étude, mais elle conclut, avec une série d’hypothèses, à la possibilité de valoriser l’hydrogène produit et injecté dans le réseau au prix du gaz naturel d’aujourd’hui, soit 25 euros du mégawatheure.

Dans l’étude, nous avons examiné l’ensemble des valorisations possibles de l’hydrogène. L’étude montrait la possibilité d’injecter l’ensemble de cet hydrogène dans le réseau de gaz, sous l'hypothèse d’une teneur admissible relativement haute. Mais en passant à la méthanation, c’est-à-dire à une combinaison de l’hydrogène avec du gaz carbonique pour faire du méthane de synthèse, la capacité de stockage de l’hydrogène injecté dans le réseau, en substitution du gaz fossile, devient considérable.

Nous étudions aujourd’hui la possibilité d’un mélange à 6 % d’hydrogène dans le gaz naturel, notamment avec certains clients industriels sur des applications sensibles. Pour une teneur relativement faible, mais importante vu les quantités transitées dans le réseau, on pourrait imaginer 4 à 5 % d’hydrogène dans le réseau sans souci particulier, sous réserve de confirmations sur certaines utilisations du gaz naturel.

Cette étude nous a convaincus qu’il y avait un avenir possible pour l’hydrogène. Du coup, nous nous apprêtons à lancer un projet pilote d’injection d’hydrogène. J’ai bien noté la proposition d’appel à partenaires de CermaHyd. Nous en sommes à peu près au même point. En visant les premières injections à horizon 2016, nous lançons ce projet en phase de faisabilité aujourd’hui, avec un appel à partenaires, sur de l’injection d’hydrogène. Comme nous pensons également que la suite pourrait être de passer à de la méthanation, nous envisageons également de lancer dans une deuxième phase un tel projet pilote.

Pour nous, l’intérêt principal de cette étude est de démontrer que le réseau de gaz peut jouer un rôle significatif pour soulager le réseau électrique, dans un scénario de fort développement des énergies renouvelables intermittentes.

Nous avons bien noté les critiques sur le gaz naturel véhicule formulées tout à l’heure. Nous pensons vraiment qu’il y a de la place pour tout le monde, notamment en mobilité, avec un développement parallèle du gaz naturel véhicule et de l’hydrogène mobilité. En tant que transporteur de gaz doté d’un réseau existant, nous avons le moyen de valoriser celui-ci en travaillant avec l’ensemble de la filière mobilité, au sens large, et avec la filière hydrogène, en particulier.

M. Jean-Marc Pastor.- Je remercie Madame Poitou et Monsieur Pelle nous avoir exposé, avec beaucoup de passion, un sujet qui nous interpelle tous et qui montre combien il y a, dans ce domaine, encore des complémentarités à rechercher. Je vous propose d’ouvrir, pour un petit instant, le débat, s’il y a des questions à poser. Je vais commencer par prendre la parole, si vous en êtes d’accord. Je ne résiste pas à vous poser une question, Monsieur Mofakhami. Cette question m’est venue à l’esprit par les derniers propos de Madame Poitou qui parlait d’un investissement à hauteur de mille électrolyseurs, avec une division du prix par quatre. Qu’est-ce que vous en pensez ?

M. Arthur Mofakhami.- J’en suis d’abord ravi et je pense ne pas être le seul. Il y a en effet de la place pour tous les acteurs qui font des électrolyseurs. En France, Areva Énergie renouvelable en fait aussi, ainsi que CETH. Je pense qu’il y a un terrain de coopération pour l’ensemble des acteurs. Mille, c’est beaucoup. On parle d’un horizon à 2050, nous avons donc un peu de temps. Cela fait une vingtaine d’électrolyseurs par an. Il y a de quoi susciter de la croissance pour l’ensemble des acteurs français et si on ne le fait pas, les étrangers le feront à notre place.

En ce qui nous concerne, toutes les pièces du puzzle sont prêtes. Nos stacks sont industrialisés, nos modules sont conçus et réalisés. Nous attendons donc le top départ pour commencer à produire. Pour nous, ce ne sera qu’un effet d’aubaine. J’espère qu’il y a des investisseurs dans la salle, parce que nous avons besoins d’investissements. Il est évident que l’on ne peut pas produire de tels volumes sans investissements conséquents.

M. Jean-Marc Pastor.- Il n’y en a peut-être pas dans la salle, mais il est prévu que quelqu’un vous entende.

M. Jérôme Gosset.- Pour compléter ce que disait Monsieur Mofakhami, d’autres acteurs en France travaillent sur l’électrolyse PEM, en particulier au sein d’Areva et chez CETH. La technologie PEM a été très bien décrite tout à l’heure. Elle arrive à maturité. L’enjeu de la technologie PEM, par rapport aux autres est peut-être de monter en puissance, d’aller vers des électrolyseurs de plus forte puissance. Mais toutes les études que l’on a pu faire, à la fois sur la montée en puissance des machines et sur la montée en volume de production, montrent que les facteurs de réduction qui sont recherchés sont tout à fait accessibles à horizon relativement peu éloigné, d’ici quelques années, moyennant un volume suffisant de pilotes et d’installations précurseurs. Ce sont des domaines de coûts qui semblent tout à fait atteignables et qui viennent corroborer les perspectives que GRT Gaz a tracées.

M. Jean-Marc Pastor.- Avez-vous des questions ?

M. Bertrand Chauvet, directeur marketing, SymbioFcell.- Est-ce que les autres opérateurs de gaz en Europe se posent les mêmes questions ? Je pense que oui. Est-ce qu’ils ont fait des études similaires ? Est-ce que l’on peut envisager un marché européen de l’hydrogène stocké dans des tuyaux ?

Mme Mylène Poitou.- Nous partageons ces idées avec d’autres transporteurs européens. Nous avons signé un accord de coopération au printemps dernier avec quatre autres transporteurs : les Suédois, les Néerlandais, les Belges et les Danois. Les Allemands n’y sont pas encore, mais ils devraient nous rejoindre bientôt. L’objectif de cet accord de coopération est de porter une vision d’un système gaz décarboné à horizon 2050, avec trois axes, l’un étant le power-to-gas, le deuxième le développement des gaz renouvelables et le troisième le gaz mobilité GNV et GNL. Il y a aussi différentes initiatives au niveau européen, cette fois avec une forte implication allemande, notamment une plateforme power-to-gas dans le nord-ouest de l’Europe, pour arriver à une maturité et développer ainsi la filière.

M. Arthur Mofakhami.- Je vais rebondir sur ce vous disiez. On sait que, lors de leur production, les biogaz représentent 50 % de CO2. En fait, il y a une réduction possible de ce CO2 à 5 % en nourrissant les bactéries par hydrogène. C’est un autre gisement d’électrolyseurs, renouvelables de préférence ou décarbonés, pour permettre d’augmenter la capacité de production des biogaz.

M. Patrick Pelle.- Je voudrais juste citer l’exemple d’une marque de voiture qui s’appelle Audi, dans le Groupe Volkswagen, qui a pris une initiative récente. Ils ont construit aussi des véhicules à gaz. Il y a environ un millier de stations GNV en Allemagne. Ils ont dit à leurs clients qu’ils avaient fait un choix au gaz qui est globalement moins polluant pour la planète, mais qu’ils leur promettaient dès demain un gaz complètement renouvelable. Ce demain est arrivé hier finalement, puisqu’ils ont construit une usine, mise en service au mois de septembre, qui combine un méthaniseur produisant 40 % de gaz carbonique en même temps que du bio-méthane, avec un électrolyseur alimenté par les éoliennes de la mer du Nord qui fabrique de l’hydrogène. Ils saturent le méthaniseur avec de l’hydrogène, ce qui fait qu’ils injectent dans le réseau à la fois du bio-méthane et du méthane de synthèse qui est le produit du gaz carbonique et de l’hydrogène.

Leur système marketing est assez intéressant. Ils fournissent aux conducteurs des Audi A3 e-tron une carte de crédit qui permet de prendre le gaz dans n’importe quelle station. Chaque soir, ils disposent ainsi de la consommation de leurs clients et donnent la consigne à leur usine de produire la même quantité de gaz renouvelable pour le lendemain. C’est un changement de paradigme.

M. Jean-Marc Pastor.- Nous avons eu l’occasion de nous rendre sur place. Nous n’avions pas toutes les réponses sur le prix de revient.

M. Patrick Pelle.- Vous avez raison, le prix est très élevé, mais il n’a rien à voir avec les prix de l’énergie. On ne peut pas utiliser ce prix pour du chauffage. Par contre, pour eux, cela a une valeur d’usage. Leurs clients sont intéressés par ce type de gaz pour leur voiture, mais le business model d’Audi n’est pas de faire du gaz. C’est de vendre des voitures. Ils récupèrent la différence en vendant une voiture qui fonctionne à l’énergie renouvelable.

M. Jean-Marc Pastor.- Le concept est un peu différent de celui que nous avons en France. Tout ce qui est bio-quelque chose se vend moins cher pour lui donner un certain attrait, alors que chez eux, c’est vendu plus cher parce que tout ce qui est plus cher est meilleur. En tout cas, tel est le constat. Y a-t-il d’autres questions ?

M. Fabio Ferrari.- Je voulais juste faire une remarque par rapport à ce qui a été dit, pour donner une vision peut-être un peu différente. Vous avez parlé tout à l’heure de smart grids. Je pense qu’il est en train de se créer un concept de smart energy grid. C’est un niveau supérieur. Quand on parle de réseaux énergétiques en France, on a tendance à tout de suite penser aux réseaux électriques. Le fait de mettre le réseau gaz en parallèle du réseau électrique est déjà une deuxième vision. Puis, il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, les hydrocarbures qui servent à faire le plein de nos véhicules constituent un troisième réseau représentant un flux énergétique très important.

Je voulais juste donner cette perspective pour bien montrer qu’il y a une complémentarité entre les différents réseaux et un partage pour les différents usages également. Aujourd’hui, on a tendance à limiter l’usage des hydrocarbures aux véhicules et du gaz au résidentiel. En fait, on voit par de telles expérimentations que des mélanges se font, même si aujourd’hui on trouve des stations gaz plutôt en Angleterre et en Italie. Malheureusement, nous avons très peu de stations gaz pour véhicules en France.

M. Jean-Marc Pastor.- Je pense que tout le monde va dans le même sens, je suis tout à fait d’accord.

M. Bertrand Chauvet.- Voyez-vous des problèmes réglementaires dans votre stratégie, des problèmes qui restent à résoudre ?

M. Patrick Pelle.- Oui, il y en a encore. Le fait que la réglementation ICPE s’applique n’est pas un souci pour nous, puisque nous avons l’habitude de traiter ce genre d’installations. Néanmoins, si la démarche était plus simple, ce serait mieux. Le problème réglementaire que nous aurons à gérer porte sur la proportion d’hydrogène à accepter dans le réseau. Actuellement, la référence réglementaire n’est pas forcément définitive. Elle nous permet d’injecter jusqu’à 6 %, mais nous préférons être prudents, étudier en profondeur avant de décider quelle limite réglementaire nous discuterons avec les autorités. Nous sommes un opérateur prudent, nous ne voulons pas non plus faire des expérimentations sans garantie. Il y aura donc cet aspect à gérer. Cela fait partie du projet hydrogène que nous démarrons en ce moment.

M. Bertrand Chauvet.- Si vous faites un hub énergétique européen, avez-vous des contraintes d’interconnexion particulières qui feraient que vous devriez tous, par exemple, être au même niveau, avec les mêmes modes de fonctionnement, ou pas ?

M. Patrick Pelle.- Vous avez raison, nous avons déjà ces contraintes de qualité du gaz qui existent, qui sont des normes d’acceptation aux frontières et sont harmonisées au niveau européen. C’est aussi sur ce point qu’il faudra agir. Quand je dis qu’il faut agir sur la réglementation, elle n’est pas uniquement française, elle est aussi européenne, puisque le gaz n’a pas de frontière. Il faut qu’il soit accepté par tous les pays bien sûr.

M. Renaut Mosdale.- J’ai deux questions, la première pour ma culture personnelle. Vous disiez que d’ici 2050, on arriverait quasiment à une autosuffisance au niveau du gaz, avec différents gaz de synthèse. Peut-on faire le calcul au niveau européen ? Est-ce que la France est un bon élève en la matière ? Est-elle un élève moyen ou un mauvais élève ? D’autres pays sont-ils meilleurs élèves, ce qui permettrait d’arriver à une autosuffisance européenne ?

M. Patrick Pelle.- Votre question est assez complexe parce que tous les pays n’ont pas le même mix énergétique et ne font pas appel au gaz de la même façon. Il y a notamment des pays qui sont beaucoup plus consommateurs de gaz que la France, comme l’Allemagne par exemple. Non seulement la France consomme moins de gaz, mais elle a en plus des richesses agricoles qui sont sans commune mesure avec l’Allemagne. On voit bien que ce qui est vrai pour la France ne le sera pas forcément pour l’Allemagne. Chaque pays doit faire cette démarche.

C’est d’ailleurs l’objet du groupe de travail que Mylène Poitou a évoqué tout à l’heure. Nous essayons de voir avec les pays qui ont signé cet accord, dans le cadre du Parlement européen en avril dernier, comment chaque pays peut y arriver. Nous avons déjà constaté des différences notables. D’ailleurs, il est frappant de voir qu’un pays producteur de gaz traditionnel, les Pays-Bas, s’engage dans cette direction en faveur des gaz renouvelables, en proportion de plus en plus importante, sur son réseau, donc dans sa consommation. Nous parlions d’un changement de paradigme. Cet exemple est frappant. Un pays producteur de gaz s’engage dans cette démarche. Nous avons encore beaucoup de choses à construire.

M. Renaut Mosdale.- J’ai une deuxième question à poser qui concerne plutôt la réglementation. On a vu dans le passé des expériences avec le gaz naturel sur des piles à combustible et le gros problème tenait à leur empoisonnement par le soufre, quelles que soient d’ailleurs les températures. En regardant le power-to-gas depuis un moment, on se demande, même pour les piles à combustible nomades, pourquoi on ne pourrait pas avoir un réseau de distribution pour rechercher son hydrure métallique. On sait très bien qu’un hydrure métallique va faire la part des choses entre le gaz naturel et l’hydrogène. Il ne va prendre que l’hydrogène, et le gaz naturel sera quasiment un gaz inerte pour lui, à la cinétique près. Par contre, s’il y a un peu de soufre résiduel dans n’importe quel type de pile à combustible, spécialement dans les basses températures, il se produit un empoisonnement irréversible de la pile. Y a-t-il une évolution en la matière ?

M. Patrick Pelle.- Oui, il y a une évolution, mais je vais vous faire malgré tout une réponse de Normand. La réglementation ne nous permettra jamais d’avoir du gaz qui ne soit pas odorant dans les réseaux de distribution domestiques. C’est une question de sécurité. C’est inenvisageable. En revanche, nous travaillons à rendre le gaz français compatible avec le gaz allemand ou autres, parce que beaucoup de pays n’odorisent pas le gaz dans sa partie transport, dans sa partie haute pression. Nous avions fait le choix historiquement de faire une odorisation centralisée, ce qui est plus fiable et coûte moins cher. Néanmoins, nous sommes en train de revenir sur cette option, pour des raisons d’interchangeabilité entre les pays, pour avoir des secours.

Puis, on voit bien que l’épuisement des gisements domestiques de l’Europe conduit à aller chercher du gaz de plus en plus loin sur la planète et la France peut devenir un point d’entrée. Encore récemment, des acteurs importants ont décidé de construire un terminal méthanier à Dunkerque pour faire entrer des quantités extrêmement importantes de gaz en France. Ce n’est évidemment pas pour la France ; c’est pour compenser la baisse des gisements domestiques en Europe. L’idée est que ce gaz ne soit pas odorisé et qu’il puisse transiter jusqu’en Allemagne si nécessaire ou ailleurs, pour ne pas être limité par des normes différentes.

Cela signifie que ce que vous venez de dire sera possible, mais à partir de réseaux de transport directs et spécifiques et non pas partout. Je pense que cela ne répond pas tout à fait à votre question. Pour l’instant, nous n’avons pas trouvé mieux.

M. Arthur Mofakhami.- La molécule est effectivement importante. D’ailleurs, dans les piles à combustible domestiques que l’on construit, on a des capteurs pour mesurer s’il n’y a pas de fuites. Par contre, je crois que les quantités mises en œuvre ne sont pas les mêmes dans tous les pays. Comme la désulfuration est un élément important du coût total de possession d’une micro-génération à pile, puisqu’il faut changer les cartouches régulièrement quand elles sont pleines, je pense qu’il y a peut-être aussi des choses à faire pour que tous les pays européens aient les mêmes niveaux de concentration, ce qui permettrait de diminuer le coût de possession des piles.

M. Patrick Pelle.- Vous avez tout à fait raison. Nous sommes en train de revoir aussi cet aspect. Nous sommes bien sûr conscients que les niveaux ne sont pas les mêmes. Nous sommes aussi conscients que l’optimisation de ce niveau d’odorisation est une source d’économies importante, parce que le produit odorisant coûte très cher. On a donc intérêt à le minimiser.

M. Jérôme David.- Arélys est une ETI en forte croissance, qui recrute actuellement plus de 80 personnes pour le déploiement national de réseaux de transmission en Russie, dans le cadre de la deuxième phase de la TNT russe. Je voulais revenir sur le marché de la transmission, pour compléter ce qu’a dit Monsieur Amaré, puisque nous sommes partenaires d’un projet ADEME autour des stations autonomes et des utilisations stationnaires de l’hydrogène. Je voulais revenir sur les verrous auxquels nous faisons face, sur les exigences de marché de nos clients internationaux, puisque 95 % de notre activité de transmission est tournée aujourd’hui vers l’export.

Je voulais mettre un peu d’emphase sur la simplicité d’utilisation et les questions de maintenance qui sont liées à l’utilisation de piles à combustible, avec les phénomènes d’encrassement. Je ne suis pas un spécialiste du gaz, mais en travaillant dans différents projets et en étudiant le sujet, nous nous sommes rendu compte que ces verrous sont importants aujourd’hui. Par exemple, la cyclabilité des piles à combustible, dans une utilisation stationnaire, est un élément bloquant, puisque dans la vie des produits que l’on va déployer, il est très difficile d’intervenir sur un site isolé, en haut d’une montagne ou dans des conditions difficiles, et de remplacer ces éléments. Je voulais savoir s’il existait des évolutions technologiques ou des choses nouvelles. Nous avons vu que les 4 000 heures annoncées en temps d’usage d’un électrolyseur étaient un peu justes pour garantir le fonctionnement d’un site sur 10 ans.

Normalement, dans notre projet avec Atawey, nous allons montrer que l’on peut rendre applicable l’utilisation de technologies hydrogène de façon à essayer d’avoir des coûts de maintenance assez limités dans l’usage de ces technologies. Je voudrais avoir des retours de la part des différents intervenants sur ce problème de cyclabilité qui rend le système difficile à utiliser sur le terrain.

M. Arthur Mofakhami.- Dans votre question, il y a deux éléments. Vous avez parlé de piles à combustible et d’électrolyseurs.

M. Jérôme David.- Oui, je vais préciser. Dans les sites isolés, nous ne pouvons pas construire un pipeline pour alimenter le site. Nous devons résoudre le problème de transport et sommes donc obligés d’utiliser un électrolyseur et un système complètement autonome.

M. Arthur Mofakhami.- Quelle technologie d’électrolyseur utilisez-vous ?

M. Jérôme David. Dans la technologie Atawey, nous utilisons de l’alcalin, pour des questions de maturité technologique et pour des problèmes de durée de vie.

M. Arthur Mofakhami.- Comme je l’ai exprimé, l’alcalin nécessite une maintenance plus élevée que les autres technologies, mais en termes de durée de vie, vous devez allègrement atteindre les quatre ou cinq ans sans problème.

M. Jérôme David.- La durée de vie, dans nos réseaux, est d’au minimum dix ans. Il faut voir que l’on doit concurrencer des Gent 7 qui sont extrêmement peu chers. Quand un opérateur fait son calcul de TCO, il intègre cela. L’objet du projet est d’essayer de dimensionner pour éviter d’avoir cette grosse maintenance dans la durée de vie du réseau qui est aujourd’hui pour nous de l’ordre de dix ans. La personne qui déploie son réseau souhaite être tranquille pendant dix ans et éviter d’avoir de grosses maintenances. Nous pouvons avoir des petites maintenances, mais un remplacement d’électrolyseur ou un remplacement de pile à combustible rend le modèle difficile à implémenter.

M. Arthur Mofakhami.- Oui, je comprends. Je ne peux pas me prononcer en tant qu’expert sur les piles à combustible. Pour ce qui est des électrolyseurs, il est de toute façon possible d’avoir des électrolyseurs qui durent dix ans, tant dans les technologiques PEM qu’alcalines. Cela dit, il faut imaginer les auxiliaires à mettre en place pour atteindre ces durées de vie.

Dans les technologies alcalines, si l’eau n’est pas suffisamment pure, le KOH va être attaqué très vite. Le KOH va être saturé par des ions extérieurs venant de l’eau et vous serez obligés de changer le KOH. C’est exactement la même chose pour la technologie CERAPEM. L’acide va se saturer en ions extérieurs et on est obligé de changer l’électrolyte. Pour le PEM, c’est encore pire, il faut changer le stack.

Tout est possible, mais tout dépend des auxiliaires mis en œuvre. Il faut mettre des purificateurs d’eau de très grande qualité, mais il ne faut pas oublier de changer les filtres de ces purificateurs. Ce sont des petites maintenances.

M. Jérôme David.- Dans les systèmes que nous déployons, nous avons l’habitude d’avoir des systèmes par refroidissement hydraulique pour les puissances générées puisque nous fabriquons des émetteurs de l’ordre de quelques watts jusqu’à plus d’un mégawatt pour les émetteurs radios. Nous avons donc l’habitude de l’entretien de systèmes hydrauliques de distribution, avec des exigences de fonctionnement autour de 99,9 % de taux de disponibilité de la station. Nous gérons déjà ces problématiques depuis plus de vingt ans en termes de déploiement de réseaux. Cela fait partie de notre savoir-faire. Mais changer une stack sur le terrain, c’est autre chose. Une option serait de rendre simple le changement de la stack.

M. Arthur Mofakhami.- Les partenaires qui développent des piles à combustible annoncent aujourd’hui plus de 5 000 heures, mais non pas 50 000 heures. Certains peuvent peut-être me corriger ici, encore une fois, je ne suis pas un expert en la matière. Par contre, la force des électrolyseurs alcalins est justement de pouvoir fonctionner plus de 100 000 heures, sans changement de stack, même si leur rendement est plus faible. Je suis surpris par vos propos sur l’alcalin. Je veux bien que l’on en discute après. Pour notre technologie, pour les électrolyseurs PEM, nous garantissons 40 000 heures. Il est un peu plus difficile de garantir 100 000 heures.

M. Jean-Marc Pastor.- Je suis obligé de constater que l’heure avance. Il faut, à un moment, mettre un terme au débat. Nous avons encore tout l’après-midi devant nous. J’ai cru comprendre que vous alliez vous revoir pour en parler. Cet après-midi, nous aurons deux grands thèmes qui vont être abordés par plusieurs partenaires, celui de la maîtrise des risques spécifiques aux usages de l’hydrogène et celui des modalités de développement de la filière hydrogène sur le territoire national, deux voies qui doivent nous permettre de nous projeter dans l’avenir. Merci à chacun d’entre vous.

M. Laurent Kalinowski, député, rapporteur. Je vous propose d’entamer la deuxième partie de cette audition. Je commencerai par saluer tous les participants présents cet après-midi. Avant de démarrer, je voudrais adresser mes meilleurs vœux de rétablissement au commandant Stéphan Lepouriel de la Direction Générale de la Sécurité Civile et Gestion de Crises qui n’a pu être présent, suite à un accident.

Je vous propose d’aborder immédiatement le sujet de cette troisième table ronde de la journée qui est consacrée à la maîtrise des risques liés aux usages énergétiques de l’hydrogène. Je céderai d’abord la parole à M. François Rousseau, responsable du pôle substances et procédés de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS). Je rappelle que l’INERIS a pour mission de contribuer à la prévention des risques résultants des activités économiques. M. Rousseau, je vous cède la parole.

M. François Rousseau, responsable du pôle substances et procédés, INERIS.- Je vous remercie. Je commencerai mon intervention en signalant que l’hydrogène n’a pas uniquement un fort potentiel en devenir. C’est déjà une réalité. Force est de constater que certains gaziers utilisent depuis cette année de l’hydrogène dans les réseaux. Le secteur a un fort potentiel de développement, comme le montrent tous les indicateurs disponibles. Prenons, par exemple, les indicateurs relatifs aux piles à combustible : le nombre de brevets et le chiffre d'affaires ont doublé en 3 ou 4 ans. Nous nous trouvons donc dans la partie de la courbe d’innovation typique de la phase de décollage. Il faut, par conséquent, s’attendre à ce que l’hydrogène devienne, dans un futur assez proche, une substance qui nous concerne beaucoup. Pourquoi ? Parce que cette molécule a de nombreux atouts.

Premièrement, elle peut être facilement reconvertie en électricité avec un très bon rendement, d’environ 60 %, au travers des piles à combustible. Deuxièmement, elle se stocke bien, et de ce fait peut apporter un certain nombre de solutions à des problèmes liés au pic de consommation d’électricité ou au pic de production, avec par exemple des unités de production d’énergie renouvelable telles que les éoliennes produisant par intermittence. Troisièmement, sa combustion ne génère ni gaz polluant ni gaz à effet de serre. Ces qualités sont particulièrement appréciées dans un contexte où l’on essaie de limiter les émissions de CO2. Nous rencontrons en effet des problèmes, dans les grandes agglomérations, pour respecter les objectifs fixés par la directive européenne.

Ces technologies permettant d’accéder à de grandes puissances et à une large autonomie sont actuellement supérieures aux batteries électriques. On voit immédiatement le potentiel qu’elles peuvent avoir dans le secteur des transports. Elles résistent en effet bien au froid et ne font pas de bruit. Cette qualité est déjà appréciée, par exemple sur les lacs suisses où la réglementation est très stricte, car elles permettent d’avoir un système de propulsion très discret. L’hydrogène paraît être ainsi une substance un peu miraculeuse, dans un contexte où les préoccupations environnementales vont en s’accroissant et où l’objectif est d’utiliser davantage d’énergies renouvelables.

Mais tous les acteurs de l’énergie, hydrogène compris, peuvent être à l’origine d’accidents, en cas de libération brutale ou accidentelle du stock d’énergie. Ce n’est pas le propre de l’hydrogène. C’est aussi le cas avec les hydrocarbures, le combustible nucléaire, les barrages hydroélectriques, etc. Les décennies précédentes ont montré que des filières très prometteuses, sources de progrès et d’innovation, pouvaient malgré tout échouer, parce que le volet prévention des risques n’avait pas été suffisant. Comme l’acceptation sociale du risque est de plus en plus faible, la société exige de plus en plus de gestion du risque, ce qui peut détruire le potentiel d’une filière prometteuse. Le volet prévention des risques est vraiment un aspect stratégique auquel il convient de s’atteler pour ne pas brider la filière.

J’évoquerai à présent les risques liés à la substance hydrogène, c’est-à-dire à l’hydrogène en lui-même. Il est de notoriété que l’hydrogène est dangereux. D’une façon générale, l’hydrogène est une substance inodore, incolore, non toxique et extrêmement inflammable. Les plages d'inflammabilité sont beaucoup plus grandes que celles des hydrocarbures. Elle est également explosive, ce qui lui vaut le classement le plus élevé dans la réglementation ATEX (atmosphère explosive), avec le plus de contraintes associées. La substance est par ailleurs très volatile, quinze fois moins lourde que l’air. L’avantage est qu’en cas de fuite dans un milieu non confiné, elle va s’évaporer et se disperser très facilement. En revanche, elle est extrêmement dangereuse dans un milieu confiné et peut donner lieu à des explosions très violentes.

S’agissant des risques liés aux procédés, c'est-à-dire liés à l’utilisation de l’hydrogène dans un système, l’hydrogène peut avoir la particularité de fragiliser certains matériaux. La question est de savoir dans quelles applications va être utilisé l’hydrogène, et, du coup, les risques que l’on aura pour ces systèmes. Nous pouvons distinguer quatre grands secteurs pour l’hydrogène : la production, le stockage et la distribution, la pile à combustible - je mets ce secteur à part parce que l’hydrogène y est abondamment utilisé - et les produits finis utilisant l’hydrogène.

La première application venant à l’esprit est la voiture à hydrogène fonctionnant avec une pile à combustible. Cette application est très importante, mais je souhaiterais attirer votre attention sur le fait que la pile à combustible peut servir à beaucoup d’autres choses – des groupes électrogènes, des applications nomades, comme le téléphone. Elle peut également servir dans les sous-marins, puisqu’elle présente des atouts en termes de puissance et de bruit.

L’hydrogène peut, du reste, être utilisé pour son énergie thermique de deux façons : soit directement injecté dans le réseau de gaz – il va alors avoir les mêmes propriétés que le gaz naturel – soit via la méthanation, consistant en une réaction chimique entre l’hydrogène et les molécules carbonées pour obtenir des molécules carbonées, comme le méthane, avec un potentiel énergétique plus grand avant injection dans le réseau. L’avantage de la seconde solution est d’éviter les problèmes de fragilisation des matériaux par l’hydrogène énoncés plus haut.

Je souhaiterais également attirer votre attention sur le fait que l’utilisation thermique n’est pas celle à laquelle on pense en premier. Pourtant, elle constitue à l’heure actuelle l’usage le plus courant de l’hydrogène comme vecteur d’énergie, avant la conversion en électricité. Il est ainsi énormément utilisé comme substance chimique, par exemple pour synthétiser l’ammoniac.

Le secteur du stockage est un peu particulier. Il se compose de filières distinctes : des filières de stockage sous pression – on envisage par exemple pour l’automobile de stocker l’hydrogène sous 700 bars –, d’autres de stockage cryogénique et enfin de stockage dans les hydrures, pour lesquels on utilise des matériaux capables d’emmagasiner un important volume d’hydrogène. Aucun secteur n’est meilleur que l’autre. Ils ne sont pas forcément adaptés aux mêmes applications et présentent des risques différents. Il y a toutefois un dénominateur commun, les risques liés à l’hydrogène, tels que les fuites. Dans le cas du stockage sous pression, les risques sont associés à une pression élevée. Pour ce qui est du stockage cryogénique, les risques sont relatifs aux basses températures. En ce qui concerne les hydrures, les questions sont plus complexes (connaître la toxicité des hydrures, leur transformation en poudres...).

Comment maîtriser les risques liés à l’hydrogène-énergie et quelles sont les actions particulières menées par INERIS ? La méthodologie est toujours la même dans le domaine de la prévention des risques : réalisation d’un inventaire des phénomènes dangereux susceptibles de survenir et recherche des différents événements initiateurs qui peuvent conduire à ces phénomènes dangereux. Ensuite, on essaie de les quantifier en termes de probabilité. On évalue les conséquences, c’est ce que l’on appelle l’étude de vulnérabilité, et l’on recherche les barrières de sécurité que l’on va pouvoir mettre en place face à ces problématiques.

Cette méthodologie est assez générale. Par rapport à l’hydrogène, l’expertise de l’INERIS sur tous ces domaines sert à informer l’administration, afin de bâtir peu à peu un cadre réglementaire pour les industriels qu’elle accompagne dans le cadre de projets. L’INERIS travaille en amont, c’est-à-dire qu’elle va s’impliquer dans des programmes de recherche français et européens. Elle va également s’intéresser à divers sujets, comme l’étude et la modélisation des fuites en milieu confiné ou milieu ouvert, la sécurité et le stockage, la distribution, ainsi qu’à des aspects plus bibliographiques, comme ce qui se fait dans les autres pays (définition du cadre réglementaire, etc.).

Contrairement à d’autres thématiques, la problématique des risques est assez complexe parce qu’elle est fondamentalement nouvelle. L’hydrogène présente, finalement, des problématiques relativement classiques : les problèmes d’inflammation ou d’explosion sont des problématiques qui ressemblent à celles que l’on peut trouver pour les hydrocarbures. Les fonctions de sécurité associées à ces risques sont assez bien identifiées.

Globalement, le travail a bien avancé – globalement parce qu’il existe des sujets spécifiques tels que les hydrures (pour lesquels se pose la question de la toxicité) ou de la fragilisation de certains matériaux. Si l’on veut injecter du gaz dans le réseau, on ne sait pas forcément quel effet cela aura sur celui-ci (son état n’est d’ailleurs pas forcément bien connu). L’enjeu se situe davantage au niveau des usages.

Je tiens à souligner, à ce stade, une dichotomie essentielle. On veut séparer les applications qui sont de nature industrielle ou qui se déroulent dans un cadre bien contrôlé (par exemple, une flotte captive de véhicules). Aussi, nous devons être capables de définir des procédures adaptées, de former des opérateurs, de prévoir des systèmes de capteurs et de mettre en place des barrières de sécurité. Nous savons par conséquent assez bien gérer le risque aujourd’hui. Nous sommes déjà capables de proposer des guides de bonnes pratiques et d’avoir un certain retour d’expérience. D’ailleurs, il se trouve que ces applications industrielles sont aujourd’hui les plus matures.

Les applications pour le grand public, elles, vont être très variées : de l’appareil nomade aux voitures particulières, en passant par le stockage domestique d’électricité. Les moyens à disposition pour s’assurer que les risques sont maîtrisés sont beaucoup moins nombreux. Nous sommes dans un cadre moins maîtrisé. En conséquence, l’aspect sécurité est moins mature. Le cadre réglementaire adapté n’a pas encore pu être construit.

Pour résumer, le travail est bien avancé au niveau du risque pour les applications dans un cadre bien maîtrisé, tant au niveau des administrations que des industriels. Nous avons des connaissances, un retour d’expérience et nous sommes déjà en mesure de produire des choses comme un guide de bonnes pratiques. À l’inverse, pour les applications qui sont nouvelles ou destinées au grand public, le sujet de la sécurité est moins mature. Nous nous impliquons donc beaucoup dans les programmes de recherche pour déterminer quelles seront les technologies de demain et pour se construire un premier retour d’expérience.

Pour conclure cet exposé, l’hydrogène-énergie est un vecteur très prometteur. Il a beaucoup de potentiel et peut mener à de multiples applications. Le volet maîtrise des risques est crucial à son développement, lui qui a complètement stoppé d’autres filières par le passé. C’est pourquoi il est important de trouver une juste mesure pour être capable d’assurer la maîtrise des risques, sans pour autant bloquer les innovations prometteuses et prendre du retard par rapport aux voisins. Cette contrainte peut être un atout si elle est bien gérée et si l’on est suffisamment prompt à construire des normes et un cadre réglementaire afin que ces technologies puissent se développer de façon sûre. C’est aussi une façon de prendre de l’avance et de devenir la référence, tant sur le plan technologique qu’en termes normatifs.

À notre sens, l’approche pertinente est aujourd’hui de séparer deux missions distinctes. En premier lieu, la prévention des risques pour les applications industrielles se déroulant dans un cadre bien maîtrisé peut être accomplie au vu de la maîtrise actuelle des connaissances, du retour d’expérience, etc. Il est indispensable de mener ce travail dès à présent pour le développement de filières industrielles. En second lieu, on a la question de la prévention des risques pour les applications émergentes qui est intrinsèquement plus complexe. Cette mission peut être menée, d’une part en prenant part au projet de recherche, d’autre part en se nourrissant du retour d’expérience que l’on aura obtenu sur les applications réalisées dans un cadre bien maîtrisé.

Je conclurai en disant que l’INERIS est particulièrement bien placé pour travailler sur ces sujets puisqu’il travaille naturellement aux côtés de l’administration, des industriels et qu’il s’implique dans les programmes de recherche.

M. Laurent Kalinowski.- Nous aurons, après les différentes interventions, l’occasion d’échanger et de poser des questions. Je vous remercie, Monsieur Rousseau, de cet exposé très intéressant. Nous avions eu l’occasion d’auditionner M. Vincent Laflèche sur le même thème, voici quelques mois, et nous constatons avec satisfaction que des progrès ont été réalisés depuis notre dernier entretien. Je cède à présent la parole à M. Frédéric Solbes, chef de projets normalisation, à l’AFNOR. M. Guy Dang Nhu, président de la commission de normalisation « technologies de l’hydrogène », a demandé à être excusé. Je rappelle que l’association française de normalisation contribue depuis plus de 80 ans au processus de régulation volontaire.

M. Frédéric Solbes, chef de projets normalisation, AFNOR. Monsieur le sénateur, Monsieur le député, merci avant toute chose de votre invitation. Mon propos aujourd’hui est de vous montrer en quoi la normalisation est un levier au service du déploiement des technologies hydrogènes ou comment la normalisation peut contribuer à définir un cadre sécuritaire ou encore, au-delà, comment la normalisation peut contribuer à l’émergence du marché. Vous l’imaginez bien, il existe des normes partout autour de nous (extincteurs, néons au plafond, micros...). Les technologies de l’hydrogène sont pour certaines de leurs applications normalisées.

Brièvement, qu’est-ce qu’une norme ? Je vais peut-être énoncer quelques poncifs, mais il s’agit d’un document de référence, approuvé par un institut de normalisation. L’AFNOR œuvre depuis plus de 80 ans à ce travail sur le plan national. Ce document va définir les caractéristiques techniques, terminologiques et les règles de sécurité de management, par exemple. Tout ceci s’applique aux activités, quelles qu’elles soient : des produits, des services et des pratiques. La norme est, avant toute chose, issue d’un consensus entre parties prenantes qui elles-mêmes sont issues d’un marché donné, à un moment donné de la vie d’un secteur d’activité. En dernier lieu, elle est d’application volontaire, comme vous l’avez dit tout à l’heure.

Ceci dit, qu’est-ce qu’une norme, concrètement ? Je vous en ai ramené quelques-unes pour que vous puissiez visualiser ce qu’est ce document. Voici ce à quoi ressemble une norme : au-delà d’être, par exemple le logo NF sur une application, c’est avant tout un livrable, un document papier élaboré au sein d’une commission de normalisation, sur la base d’un consensus. Celles-ci portent, par exemple, les titres, relativement significatifs, suivants : « appareils de stockage de gaz transportable », « hydrogène absorbé par un hydrure métallique réversible », « générateur d’hydrogène utilisant le procédé d’électrolyse de l’eau ».

Vous l’avez compris, la norme sert, à travers ce support, à définir un langage commun entre les acteurs économiques. Elle est évidemment destinée à clarifier et à harmoniser des pratiques. Elle va définir de facto des niveaux de qualité de sécurité et de compatibilité – on parle souvent d’interopérabilité. La norme sert également à cela. Et puis, au fur et à mesure que notre société avance, la norme sert également à contribuer au moindre impact environnemental.

Au-delà de ce support physique, la norme, dans sa destination finale, va également faciliter les échanges commerciaux, tant nationaux internationaux. Elle va de facto contribuer à mieux structurer l’économie et à faciliter la vie quotidienne de chacun.

Voici, très brièvement, les principes clés de la normalisation : ôter le flou et les doutes, présenter, proposer, partager, figer, recenser des valeurs et des principes qui, pour une filière, font du sens.

Quel est le cadre juridique de la norme ? Quel lien y a-t-il avec la réglementation ? On sait, et j’ai souvent entendu cet écho ce matin et nous l’avons tous à l’esprit de longue date, normalisation/réglementation, normalisation vs réglementation, quelles sont leurs accointances ?

Premièrement, on peut considérer qu’un règlement est, dans sa destination, prévu pour encadrer une activité ou une pratique. Il en impose les contours. Le règlement est le produit de l’action de parlementaires ou d’autorités. Dans sa mise en œuvre, il est contraignant. La norme, pour sa part, a pour objet de définir des moyens pour évoluer dans ce périmètre. Elle va évidemment fournir, le cas échéant, des modes pour prouver que l’on est en conformité avec une réglementation. Elle est, on l’a dit, d’application volontaire et, de facto, elle est ce que l’on va considérer comme du ressort d’un cadre juridique souple, non contraignant. J’illustrerai ce propos d’une citation que j’ai extraite d’une étude du Conseil d’État qui, cette année, définissait ce cadre juridique souple de la manière suivante : « il offre des espaces d’expression juridique différents des instruments purement prescriptifs que sont les lois et les règlements. Il élargit ainsi la gamme des moyens d’action des acteurs publics, mais également de tout autre acteur économique ».

Je souhaite précisément mettre en avant, ici, que nous sommes dans une logique de complémentarité. Avec le règlement, nous évoluons dans le prescriptif, la norme, elle, est un moyen pour évoluer dans le prescriptif. Le premier niveau implique des hommes de loi et le second niveau, des hommes de la filière, les acteurs du bout de chaîne de ce marché. Ceci est tangible dans la feuille de route sur l’hydrogène et les piles à combustible de l’ADEME qui met en avant l’intérêt et l’importance du binôme normalisation/réglementation. Voilà les signes distinctifs de l’un et de l’autre, pour ne pas confondre et bien savoir comment on se positionne.

Je souhaiterais poursuivre mon intervention en vous proposant quelques éléments d’une initiative prise à l’échelle de la commission de normalisation AFNOR « technologies de l’hydrogène ». En effet, au moment où nous constatons tous que le cadre réglementaire est peut-être inadapté ou peu flexible, ces acteurs ont décidé aujourd’hui que la norme devait prendre le relais. Aussi, ils proposent de travailler à l’élaboration d’une norme sur l’installation des systèmes mettant en œuvre l’hydrogène. On va élaborer de facto un référentiel technique de ces nouvelles applications, et l’on va essayer de proposer – et c’est l’objet de la normeune sorte de guide d’installation in situ, de manière à pouvoir véritablement mettre en œuvre des projets de démonstration. Les participants à ce tour de table ont réfléchi sur les moyens de satisfaire les conditions requises de sécurité.

La norme, en l’occurrence, est très complète. Elle va notamment parler de protection des enceintes, de calcul des débits de fuites et de distance de dégagement des équipements. À partir de là, on est en mesure, si on comble cet espace laissé par la réglementation, de proposer aux DREAL, à tout autre exploitant ou autorité, un document qui précise que les filières, qui ne savent pas comment se positionner, ont décidé de prendre l’initiative. Elles considèrent que ces niveaux de sécurité, ces méthodologies et ces façons de fonctionner font du sens et requièrent, sur la base d’une norme AFNOR reconnue, homologuée et française, de l’autonomie pour avancer. La norme est donc, à un moment donné, une réponse à une absence de réglementation précise. L’enjeu est triple puisque dans ce document, vous allez définir un cadre sécuritaire, mais également contribuer à l’émergence de ce marché, et par effet domino, nous l’espérons, faciliter l’acceptation sociétale. Je suis à votre disposition pour répondre à toute question que vous pourriez avoir sur ce contenu.

Il est évidemment nécessaire de mettre en œuvre des programmes de normalisation cohérents. Vous le comprendrez, cet instrument est, avant toute chose, au service de la stabilité des marchés qui offrent des éléments de positionnement pour être compétitif et pour – on en parlait ce matin – défendre l’innovation et le progrès. C’est également un gage de confiance à l’adresse des pouvoirs publics et des utilisateurs. Ce programme de normalisation, cohérent lorsque nous l’élaborons tous ensemble, est destiné à accompagner le processus d’innovation et à aider à la coordination des efforts des industriels. Enfin, comme je le disais, c’est une alternative lorsqu’il n’y a pas de réglementation.

Petite précision, pour également légitimer ce programme de normalisation, chaque norme, au moment où elle évolue vers une publication, passe par une phase d’enquête. Lors de cette phase, la norme est partagée avec de nombreux acteurs – qui ne sont pas seulement ceux du tour de table. Sont mis dans la boucle des fédérations de sapeurs-pompiers, les directions générales concernées et d’autres acteurs publics. Pour votre information, cette norme sera publiée en fin d’année 2013. J’ai souvent eu l’occasion dans certains contextes d’évoquer cette norme. Elle a pris un peu de temps, car nous faisons cet exercice pour la première fois à l’échelle nationale et nous avons eu le souci de bien faire. Nous avons donc mis dans la boucle pas mal d’acteurs et, après trois ans de gestation, elle est prévue pour fin 2013.

Prenons un peu de recul et passons de la sphère nationale à la sphère internationale. Il convient d’intégrer que cette logique de normalisation est nécessaire pour un pays, parce qu’elle lui permet de préserver, de promouvoir des expertises, des savoir-faire et d’encourager, dans ces normes internationales, les pratiques qui sont les siennes. Il est clair que l’on fait face, dans le paysage international, à d’autres approches technologiques, d’autres choix, d’autres préférences pour un marché donné. C’est pourquoi nous devons faire en sorte que ces normes intègrent des contenus technologiques qui nous intéressent, plutôt que des contenus technologiques qui nous desservent et qui nous obligent à augmenter nos coûts pour nous adapter.

Voilà une fois de plusje dis « une fois de plus » parce que je retrouve régulièrement ces acteurs dans la commission de normalisation et par ailleurs dans l’AFHYPAC le message que je souhaite vous faire passer sur l’importance de mettre en avant la normalisation. La normalisation est un facilitateur majeur qui doit être considéré et promu. J’effectuerai une brève parenthèse pour vous indiquer les acteurs nationaux de mon tour de table : l’AFNOR, Air Liquide, le CEA, E.ON, l’INERIS, Luxfer, l’ADEME, Michelin, Soprano Industry, Staubli et GDF Suez. Les confrères qui sont dans cette table ronde ont vocation à élaborer des normes sur le plan national mais également à contribuer aux normes internationales.

Pour information, sachez qu’en fin d’année, l’AFNOR accueillera la séance plénière de ce que l’on appelle le Comité technique ISO « technologies de l’hydrogène ». J’entendais ce matin évoquer les normes sur les stations et les réservoirs. Petite anecdote : ces travaux de normalisation vont être rouverts dans le cadre de cette réunion plénière. Nous débattrons donc, fin décembre, pour les deux ou trois ans à venir, de ce qui sera intégré dans les futures normes révisées sur les réservoirs et sur les stations-services. Je vous invite à agir de sorte que les éléments inclus soient largement en faveur des intérêts qui sont les nôtres et facilitateurs de ce déploiement sur notre territoire. Voilà pour ce qui est de la normalisation au service du déploiement des technologies de l’hydrogène.

M. Laurent Kalinowski, député, rapporteur. Je vous remercie. C’est à présent à Monsieur Adrien Zanotto, de la société Air Liquide, d’intervenir sur le thème de la maîtrise des risques industriels liés à l’hydrogène. Je vous cède la parole.

Monsieur Adrien Zanotto, ingénieur maîtrise des risques, Air Liquide. Je tiens tout d’abord à vous remercier, Messieurs les parlementaires, pour votre accueil. Permettez-moi de me présenter brièvement. Je m’occupe chez Air Liquide de tous les dossiers de dépôt en préfecture des installations hydrogène-énergie et de dialoguer avec le ministère de l’écologie de l’évolution réglementaire. Je travaille également en phase avec l’INERIS sur les projets de recherche. Enfin, j’ai travaillé avec Stéphan Lepouriel sur la note d’information opérationnelle à destination des services de secours français.

Avant de commencer à parler de la maîtrise des risques sur l’hydrogène-énergie, je souhaiterais au préalable signaler que, pour Air Liquide, l’hydrogène-énergie représente avant tout une nouvelle jeunesse. Pourquoi ? Aujourd’hui, nous produisons de façon industrielle plus de 3 tonnes/heure d’hydrogène à Port-Jérôme, le plus grand réformeur en France de gaz naturel d’Air Liquide, mais de loin l’un des plus petits dans le monde. Il faut savoir qu’une station-service à hydrogène consomme aujourd’hui 300 kg par semaine, et dans nos rêves les plus fous 300 kg en une journée. Nous savons produire le gaz naturel en grande masse sous pression et le transporter. Notre réseau de pipelines s’étend aujourd’hui à travers le monde sur plus de 1 850 kilomètres. Nous avons 15 à 20 semi-remorques d’hydrogène gazeux qui traversent la France tous les jours. Nous avons enfin plusieurs milliers de bouteilles conditionnées, essentiellement à 200 bars, mais également à 300 bars. Nous visons à pouvoir transporter demain des bouteilles à plus haute pression, notamment à 700 bars.

L’hydrogène-énergie est une nouvelle jeunesse pour l’hydrogène parce que, tout simplement, les applications sont aujourd’hui diverses. Nous avons évoqué ce matin le spatial, où l’on stocke dans des réservoirs extrêmement légers une quantité importante d’hydrogène et d’oxygène liquides et où l’on génère la combustion d’un combustible et d’un carburant en toute sécurité.

Dans l’industrie de la verrerie, nous avons, côte à côte, d’énormes stockages d’oxygène, d’acétylène et d’hydrogène qui, tous les trois, permettent de produire des verres dans une enceinte confinée, sans pour autant générer d’accidents connus. À cela s’ajoute la métallurgie, c’est pour cette raison que nous avons un pipeline dans le nord de la France, où l’hydrogène peut être utilisé avec un certain nombre d’autres gaz ou produits réputés dangereux, sans pour autant générer autant d’accidents que l’on pourrait l’imaginer quand on se concentre uniquement sur la maîtrise des risques de l’hydrogène.

Ce gaz est connu, je dirais même qu’il est mieux connu que le gaz naturel de ville. Il existe aujourd’hui des applications maîtrisées et réglementées. Mon point est de partir sur l’hydrogène-énergie à partir de l’existant et d’éviter ainsi de réinventer la poudre. Le premier point est de souligner qu’il existe déjà des procédés simples qui sont maîtrisés. Typiquement, une station-service à hydrogène est un jeu de vases communicants : j’ouvre une vanne, je remplis un réservoir vide à l’aide du réservoir plein qui est à côté. Ce n’est ni plus ni moins qu’un transfert de pression. Nous avons la chance d’avoir appris des expériences passées, des filières comme le GPL, par exemple. L’important, à mon sens, est d’identifier les acteurs, ce qui est le cas aujourd’hui : la Direction Générale de la Prévention des Risques, l’INERIS, l’AFNOR, l’Association européenne des gaz industriels, la Direction Générale de la Sécurité Civile… Bref, nous ne sommes pas seuls.

Des programmes de formation adaptés existent par ailleurs. Je pense notamment au programme européen IFAC à destination des DREAL et au programme européen à destination des SDIS dont l’objectif est de permettre aux services de l’État de se former sur les risques réels associés à ces technologies, de pouvoir les identifier et les maîtriser.

Il est important, à mon sens, de souligner qu’une réglementation prend nécessairement du temps. Aujourd’hui, la DGPR, et notamment la DREAL Rhône-Alpes, avec qui nous travaillons, réalisent un travail colossal. La DREAL Rhône-Alpes a notamment nommé une personne à plein temps sur l’hydrogène-énergie. De son côté, la DGPR a désigné des personnes qui travaillent sur le sujet. Il est évident qu’il est difficile de faire plus pour l’administration. Nous sommes aujourd’hui sur des projets de transition et, face à ces projets, nous avons énormément de mal à pouvoir demander à des inspecteurs des installations classées, qui ne connaissent pas précisément ces sujets-là parce qu’ils sont nouveaux, de pouvoir autoriser une installation nouvelle sur la base d’une réglementation ancienne.

Ces dossiers qui sont instruits en local, aussi bien par les commissions de sécurité dans les départements pour ce qui touche les établissements recevant du public, et les DREAL, pour ce qui touche aux installations classées, remontent auprès de la Direction générale de la sécurité civile et de la Direction générale de la prévention des risques. La preuve en est : les dossiers sont sur leurs bureaux.

Au reste, il est à mon sens intéressant d’étudier la piste d’un encadrement des projets de transmission par différents moyens, éventuellement la mise en place d’une petite unité inter-direction. Elle permettrait, dans le temps et dans l’espace, d’encadrer de nouveaux projets, ce qui donnerait à la Direction Générale de la Sécurité Civile et à la Direction Générale de la Prévention des Risques le temps de rédiger, sans pression, des arrêtés ministériels adaptés pour les installations classées et l’environnement, ainsi que des règles pour les ERP (les établissements recevant du public).

Il existe aujourd’hui un certain nombre de projets à l’international. En Allemagne, on parle de 15 stations en opération, 400 stations d’ici à 2023, et de 350 millions d’euros. Au Japon, on est à 100 stations d’ici 2015 et en Corée du Sud, à 50 stations. Aux États-Unis, on compte déjà 5 200 chariots élévateurs contre 10 en France. De nombreux projets régionaux sont sur le point de sortir, notamment dans le Grand-Est, le bassin de Seine (Paris, Rouen, Le Havre) et la région Rhône-Alpes. Il me paraît important de pouvoir donner un signal fort à ces acteurs dans la mesure où leur principale attente est de savoir si leur projet est viable et dans quel délai ils disposeront d’une autorisation d’exploiter.

Si le gaz est connu et maîtrisé – encore une fois, l’hydrogène est mieux connu que le gaz naturel de ville – si les procédés permettent de produire de façon industrielle, je trouve dommage de ne pas pouvoir utiliser cette ressource au service de projets innovants pour pouvoir, derrière, les réglementer de façon adaptée.

M. Laurent Kalinowski.- Je vous remercie de nous avoir fait bénéficier du savoir-faire de haut niveau du groupe Air Liquide. Je cède à présent la parole à M. Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels, à la Direction générale de la prévention des risques (DGPR). Vous allez nous faire un point sur l'état de la réglementation applicable aux activités liées à l'hydrogène.

M. Nicolas Chantrenne, sous-directeur des risques accidentels, Direction générale de la prévention des risques (DGPR). Monsieur le député, Monsieur le sénateur, Mesdames et Messieurs, je ne reviendrai évidemment pas sur les avantages que présente l’hydrogène, qui ont été rappelés à l’occasion de cette audition, ainsi que les risques qui sont liés à son utilisation, rappelés notamment par François Rousseau. J’ajouterai peut-être juste sa faible énergie d’ignition – l’hydrogène est beaucoup plus inflammable que le propane par exemple – sa propension à fuir, ou encore le risque pression, lié au fait que de très fortes pressions sont nécessaires pour stocker une masse donnée. Ce contexte est connu de tous.

Cela a été dit également, recourir à l’hydrogène à une grande échelle suppose de disposer de technologies matures sur l’ensemble des compartiments réglementaires : production, transport, stockage et utilisation, ce d’autant plus que par le passé l’hydrogène était réservé aux applications industrielles. En outre, un certain nombre d’applications émergentes se rapprochent aujourd'hui des populations, ce qui rend encore plus prégnantes ces questions de sécurité.

Pour ce qui est de la réglementation actuelle, je souhaite rappeler que l’on évolue dans un contexte international. Nous avons donc un certain nombre d’éléments contraignants et de réglementations internationales qui s’appliquent à nous : la directive SEVESO, la directive IED pour les risques chroniques ou la réglementation internationale sur les transports de marchandises dangereuses. Ceci, c’est le panorama. Mais où en sommes-nous en France ?

L’hydrogène et les activités associées sont soumis à un certain nombre de réglementations.

Je commencerai par la réglementation du transport de marchandises dangereuses. Je l’ai déjà dit, l’arrêté français est la transcription des règlements de l’ONU sur le transport par route et par rail. L’hydrogène est, dans cette réglementation, en classe 2 des gaz dangereux, ce qui tombe sous le sens. Cela implique un certain nombre de contraintes sur la construction, l’entretien des citernes et des bouteilles utilisées pour son transport.

Quant à la réglementation des équipements sous pression pour les bouteilles qui peuvent être amenées à contenir de manière fixe de l’hydrogène, nous sommes sur une réglementation européenne, traduite en droit français par un décret de 1999, et sur une réglementation française de suivi en service, avec des épreuves périodiques.

S’agissant de la réglementation des canalisations de transport d’hydrogène, il y a assez peu de canalisations de ce type en France. Malgré tout, le cadre réglementaire existe, notamment pour les canalisations de transport de gaz naturel et d’hydrocarbures. Un chapitre du code de l’environnement est prévu à cet effet et soumet les canalisations hydrogène à autorisation, avec enquête publique et possibilité d’institution de servitude d’utilité publique pour maîtriser l’urbanisation autour de ces canalisations. Il y a également la possibilité d’une déclaration d’utilité publique des projets.

Concernant la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), je ne rentrerai pas dans un niveau de détail trop élevé. Il existe deux grandes rubriques 14.15 et 14.16, qui correspondent à la production industrielle, au stockage et aux applications historiques de l’hydrogène. Je voudrais souligner que le stockage et la production d’hydrogène sont réglementés dès le premier gramme. Il n’y a pas de seuil, conformément à la directive européenne IED. Il n’y a donc pas tellement de latitude par rapport à cela.

Le fait est qu’un certain nombre d’applications émergentes peuvent faire que d’autres rubriques de la nomenclature des installations classées soient impactées par l’utilisation de l’hydrogène. Je citerai à titre d’exemple celle relative aux entrepôts. L’application des chariots élévateurs en entrepôt commence à prendre du volume. Au lieu d’être dotés de batterie classique, ils sont munis de petits réservoirs d’hydrogène alimentés par une pile à combustible. Ainsi, au lieu d’être rechargés en électricité, ces chariots sont rechargés en hydrogène. À côté de cela, vous avez certaines applications qui ne font pas aujourd’hui l’objet d’une rubrique des installations classées, notamment la distribution.

Je traiterai à présent du plan d’actions qui est celui du ministère. Le ministère, dans sa composante prévention des risques, donc la DGPR, s’est engagé depuis un grand nombre de mois dans le suivi du développement de la filière, pour pister ces nouvelles applications émergentes et pour mener, en partenariat avec la filière, un travail technico-réglementaire. Ce dernier vise à adapter ou à créer la réglementation manquante, dans le but d’identifier, le plus en amont possible, les enjeux de sécurité des différents maillons de la chaîne hydrogène, et dans celui de développer une analyse « à froid » avant que les applications ne soient généralisées.

Plus précisément, la DGPR, en soutien aux DREAL, a déjà eu l’occasion de se pencher sur un certain nombre de dossiers précis. Les exemples les plus frappants sont ceux sur des projets, maintenant bien avancés, d’entrepôts avec ces fameux chariots élévateurs à hydrogène ou encore des projets de piles à combustible accolées directement à des établissements recevant du public. L’administration se saisit de ces dossiers qui aujourd’hui ne rentrent pas dans les cases de la réglementation et les encadrent à titre expérimental, à bon escient, dans le but d’emmagasiner de l’expérience, pour créer ensuite la réglementation adaptée à un usage plus ample de ces technologies. C’est l’objet de la deuxième action que nous menons, en partenariat avec l’AFHYPAC.

Nous avons mis en place un groupe de travail avant l’été, au mois d’avril pour être précis, avec un double objectif : adapter la réglementation ICPE existante ou à créer pour ces nouveaux usages ; accompagner ou venir en support des ministères qui auraient des réglementations spécifiques également en interface avec l’hydrogène. Pour donner un premier aperçu, ce groupe de travail se focalise actuellement sur l’utilisation de l’hydrogène dans les entrepôts. Il traitera également des flottes captives de véhicules.

Pour conclure, l’objectif de l’administration est, dans les mois à venir, d’amasser une expérience, une connaissance sur des projets précis, en vue d’établir une réglementation qui ne soit pas un frein, mais un accompagnement raisonné du développement de la filière.

M. Laurent Kalinowski.- Je vous remercie. La parole vous est donnée pour intervenir, éventuellement poser une question.

M. Renaud Mosdale.- Nous avons discuté ce matin des différentes applications. La réglementation est revenue plusieurs fois dans la conversation et dans les différentes présentations. Là, vous venez d’évoquer l’ICPE ainsi que les articles 14.15 et 14.16, en disant qu’à partir du premier gramme d’hydrogène produit, on rentrait dans le champ de cette autorisation. PaxiTech est une société qui conçoit des piles à combustible portables, nomades, et elle envisage de proposer des électrolyseurs pour recharger les petits réservoirs portables. Ces électrolyseurs seraient vendus aux clients, Monsieur tout le monde, en même temps que les piles à combustible. Ainsi chaque logement doté d’un électrolyseur serait, d’après ce que vous dites, soumis à cette directive ICPE.

M. Nicolas Chantrenne.- Il est évident que ceci serait complètement absurde. Le mot « industriel » constitue peut-être la porte de sortie. S’il y a une solution à trouver, elle est sans doute dans l’interprétation de cette notion. Nous devons avoir un échange avec le niveau européen afin de ne pas tomber dans ce genre d’absurdité.

M. Renaud Mosdale.- Est-il possible de commencer, au niveau national, par un éclaircissement de l’administration par rapport à ce texte ? En gros, il s’agirait d’indiquer ce que veut dire « industriel » et s’il y a, ou non, un seuil associé à cette notion.

M. Nicolas Chantrenne.- La notion d’industriel est d’une manière générale interprétée dans la réglementation française comme étant « production exportable ». S’il s’agit d’une auto-utilisation, nous ne sommes pas, normalement, dans la notion d’industriel.

M. Renaud Mosdale.- La vente d’un électrolyseur pour produire de l’hydrogène rentre-t-il dans ce champ ?

M. Nicolas Chantrenne,- La question est plutôt de savoir si l’utilisation de l’électrolyseur rentre dans le champ de la rubrique. À mon avis, ce n’est pas le cas, mais il faudra le confirmer. La vente d’un électrolyseur ne relève pas, pour moi, de la nomenclature des installations classées.

M. Laurent Kalinowski.- Je souhaiterais poser une question à M. Rousseau. De quelle façon l’INERIS a-t-il été missionné par le ministère sur le sujet des risques liés aux applications de l’hydrogène ? Pourriez-vous nous en dire quelques mots ?

M. François Rousseau.- Nous avons plusieurs missions auprès du ministère. Nous participons à des groupes de travail nationaux sur l’évolution de la réglementation, par exemple la distribution ou l’hydrogène dans les entrepôts. Nous réalisons une veille technologique pour identifier les technologies émergentes ou les besoins réglementaires futurs qui peuvent apparaître et tenter d’anticiper les applications qui pourraient émerger et, par conséquent, les trous que l’on pourrait avoir dans la réglementation. Nous contribuons également à l’élaboration de bonnes pratiques. L’idée n’est pas d’arriver directement à une réglementation mais de produire, dans un premier temps, un guide de bonnes pratiques dont on s’inspirera éventuellement par la suite pour établir une réglementation.

M. Laurent Kalinowski.- Je vous remercie. M. Solbes, quels éléments pourraient renforcer la position de notre pays par rapport au processus de normalisation international ?

M. Frédéric Solbes.- Le processus de normalisation est accessible à toutes les entreprises. L’AFNOR propose ce cadre à l’échelle nationale. Nous fonctionnons sur la base de miroirs avec des comités techniques internationaux. La commission de normalisation dont je suis le secrétaire est le miroir de ce comité technique qui se réunit au mois de décembre.

Pour être influent, il faut se mobiliser dans les groupes de travail de ce comité technique international. Il faut occuper l’espace, non seulement avec de la présence, mais aussi avec de la contribution technologique. Nous avons, dans notre tour de table, des mastodontes, des PME/PMI innovantes, qui ont vraiment de la matière première pour faire face à ce défi. Le fait est que, dans un contexte international, il y a des rapports de force, du lobbying et des soutiens forts de l’État (par exemple en Allemagne).

Force est de souligner que le marché international s’imposera à nous tôt ou tard, par effet domino, non pas uniquement sur notre territoire, mais aussi lorsque nos entreprises désireront exporter. Ainsi, pour exporter en Chine, il va falloir que tout un chacun soit en phase avec ces normes internationales au moment où ce pays déploiera des flottes ou mettra en place tel ou tel équipement de cogénération, par exemple. Il va falloir que les industriels français soient à même de répondre à ces normes. Pour répondre à ces normes dans un sens avantageux, il faut être présent dans les groupes de travail, il faut y être influent, assidu. Il est également nécessaire d’apporter une contribution (tests en laboratoire, contenu rédactionnel) dans ces documents normatifs. Il faut aussi être en mesure de s’afficher par le nombre, le cas échéant dans le rapport de force et prendre l’ascendant.

Le processus de normalisation se fait sur la base d’un consensus. On suppose donc qu’en bonne intelligence, un groupe de travail parvienne à un moyen terme. Parfois, ce moyen terme est très bas et la norme va alors couvrir bien moins de choses que l’on pouvait espérer au départ. Au contraire, on peut aller très loin sur les choses qui vont être consensuelles. Je mentionnais tout à l’heure deux travaux qui vont être réactivés : celui sur les réservoirs pour véhicules et celui sur les stations-service.

Pour votre information, le travail de normalisation qui va s’ouvrir sur les stations-service est mené conjointement par la France et les États-Unis. Celui sur les réservoirs est piloté par le Canada. Ce n’est pas parce qu’il est mené par le Canada que nous serons exclus du groupe de travail, mais c’est déjà quelque chose de significatif. Au sein de ce comité technique, nous avons des experts français qui sont dans les working group, leaders en l’occurrence de certains projets. Ils sont également proches du management ISO de cette instance.

Il faut donc afficher de la détermination, une présence, de l’influence, un rayonnement, apporter une contribution technique et un soutien que l’on suppose être un soutien d’une entreprise donnée, à un moment donné, pour une ressource.

M. Laurent Kalinowski.- Je poserai une question à Monsieur Zanotto. Pourriez-vous nous préciser la composition de la cellule qui serait chargée d’instruire les dossiers de projets de transition ? Pourriez-vous nous en dire plus ?

Monsieur Adrien Zanotto.- Ma proposition découle de ce qui est réalisé à l’étranger, notamment en Allemagne. Ce projet toucherait a minima deux directions : la direction générale de la Prévention des risques et la direction générale de la Sécurité civile et gestion des crises. Chacune de ces directions s’appuie sur des experts réglementaires et techniques. On pourrait imaginer – ce n’est qu’une suggestion – qu’un représentant, expert technique et expert réglementaire, de chacune de ces deux directions – j’ignore si le ministère de l’industrie peut envoyer un représentant et si cela présenterait ou non un intérêt dans le cadre des subventions, par exemple – interlocuteurs des services de l’État en local, forment une inter-direction. Mais, encore une fois, l’idée n’est pas d’empiéter sur les plates-bandes des services locaux de l’État, mais d’intervenir sur des projets où ils sont dépassés en raison d’une méconnaissance du nouveau produit. De toute façon, ils vont se tourner vers ses directions centrales pour demander un appui. Encore une fois, une codirection pourrait être imaginée, encadrée dans le temps et dans l’espace.

M. Laurent Kalinowski.- M. Chantrenne, que pensez-vous des cellules proposées par Monsieur Zanotto pour les projets de transition ?

M. Nicolas Chantrenne.- L’idée est excellente mais, à mon sens, on l’a déjà mise en place. Deux personnes sont, au sein de la DGPR, chargées du sujet hydrogène. La direction générale de la Sécurité civile et de la gestion des crises a, quant à elle, récemment recruté une personne chargée, entre autres, de ces sujets et avec laquelle le bureau des risques de la DGPR est en fréquente relation. Le dialogue existe déjà, d’une manière tout à fait rapprochée. A contrario, constituer réellement une unité qui serait à 100% sur ce sujet ne me semble pas adapté. À l’inverse, un dialogue permanent entre les deux directions est fortement souhaitable pour éviter qu’elles n’avancent chacune dans leur domaine sans se parler. C’est d’ailleurs ce que nous faisons.

Monsieur Adrien Zanotto.- Pour revenir à ma proposition, sur le dossier IKEA, dossier qui est connu, l’aspect autorisation, qui implique l’INERIS, l’administration et les consultants extérieurs, a grosso modo coûté 250 000 euros et 2 ans de travail. Je travaille aujourd’hui sur un autre dossier et nous en sommes à plus de 320 pages et trois documents complémentaires. Et, dès demain, il y aura une étude INERIS. Ces dossiers remontent chaque fois en central. J’entends bien que vous travaillez de façon conjointe avec la direction générale de la Sécurité civile, ce qui est effectivement plus que souhaitable. Il existe aujourd’hui des projets sur le point de démarrer dans le sud de la France et la principale question est de savoir s’ils sont viables et dans quels délais la réponse sera apportée aux entreprises. Les acteurs sont inquiets et ils ont besoin d’être rassurés sur ce point. Je comprends qu’un inspecteur de la DREAL ne puisse pas, en local, avec la réglementation qu’il a, dire si un projet sera viable dans un mois et s’il pourra accorder l’autorisation dans six mois. L’inspecteur nous invite aujourd’hui à lui transmettre le dossier et revient vers nous a posteriori.

Nous sommes sur l’encadrement d’une nouvelle filière et nous souhaitons tous que cela se passe bien, contrairement à ce qui s’est passé pour le GPL. Si l’on a un focus à la fois des industriels, de l’État, mais également des médias – parce que, de fait, si nous travaillons ensemble, les médias seront dans la boucle – l’industriel ne fera pas n’importe quoi. Et, derrière, il y aura un dialogue. Nous, industriels, nous ne sommes pas capables de prendre en compte les problématiques de l’État – chacun son problème et on doit respecter cette frontière. En revanche, nous pouvons travailler de façon conjointe sur ces projets pour intégrer les problématiques, et derrière, permettre à l’administration d’avoir des projets pilotes à lancer rapidement. Je vous ai énoncé les sommes qui ont été injectées au Japon et en Allemagne : c’est autant d’argent en moins dans l’enveloppe française.

Il convient donc de mettre en marche ces projets, puis d’adapter la réglementation par rapport au retour d’expérience des projets. Encore une fois, je ne disais pas que la direction générale de la sécurité civile et la DGPR travaillaient dans leur coin. J’insistais sur le fait que, pour moi, les instances locales ont besoin d’un appui et comme cet appui est national, pourquoi ne pas monter une unité nationale ?

M. Laurent Kalinowski.- Et dans le cadre de la compétitivité, nous avons besoin de réactivité. Avez-vous quelque chose à rajouter ?

M. Nicolas Chantrenne.- Il y a, selon moi, deux sujets à considérer. Le premier est l’aspect « filière innovante » pour lequel la nécessité d’avoir un appui national réactif aux services régionaux est réelle. Le second est le sujet plus général de la rapidité des procédures d’autorisation des installations classées pour la protection de l’environnement. Ce sujet est récurrent et l’administration y travaille de manière assez concrète. Des expérimentations de permis unique, avec des délais encadrés, sont d’ailleurs en préparation. Mais cela est un autre sujet. Il me semble, à l’inverse, difficile de dire que, parce qu’une filière est expérimentale, on va l’autoriser a priori, sans rien regarder, en trois mois, là où n’importe quelle installation classée est soumise à un processus d’instruction nettement plus long.

M. Laurent Kalinowski.- Je vous remercie. S’il n’y a plus de questions ni de commentaires, je remercie les participants à cette table ronde qui était très intéressante et très nourrie. Je passe la main pour la prochaine table ronde à Jean-Marc Pastor.

M. Jean-Marc Pastor, sénateur, rapporteur. Nous allons aborder la dernière partie de cette journée avec un certain nombre d’interrogations qui vont nous conduire à aborder les questions et les modalités du développement d’une véritable filière nationale consacrée aux usages énergétiques de l’hydrogène. Nous verrons tout d’abord quel rôle celle-ci pourrait jouer dans le déploiement à grande échelle des énergies renouvelables.

Nous avons pu voir également que certains pays, comme l’Allemagne et le Japon, ont parfaitement compris la nécessité de regrouper les industriels et les représentants de l’État, pour définir une véritable feuille de route dans laquelle les uns et les autres peuvent se situer. Les Japonais n’ont pas caché leur intention de se positionner sur l’hydrogène-énergie comme la France l’avait fait il y a 40 ans pour le nucléaire, c’est-à-dire d’avoir des brevets sur toute la chaîne de valeur de la filière, de sorte que le jour où le monde se réveillera sur la question de l’hydrogène, le Japon sera prêt à répondre. C’est ce qui est en train de se passer.

Or, au moment où nous débattons pour dresser un état des lieux, dans une période économique difficile, en perdant beaucoup de temps, ce qui décourage parfois les initiatives locales – parce que c’est de cela dont il s’agit aussi – d’autres continuent d’avancer. Nous ne sommes pas sur une voie conquérante et nous subissons. Subir signifie être derrière les autres, ce qui est le problème de tous, parlementaires et acteurs politiques inclus. Si nous ne parvenons pas à faire franchir le pas d’un choix politique sur la question de l’hydrogène, il est évident que ce seront nos partenaires étrangers qui définiront les choix en matière d’hydrogène, que ce soit sur des questions de sécurité ou sur d’autres questions. Et tout le monde aura raison. Qui peut lever la main en disant : « moi, j’ai fait fi de la sécurité » ? De grâce, personne. Mais, entre faire fi de la sécurité et tomber dans un gouffre dont nous aurons un mal fou à nous sortir, il y a certainement des choses qui sont à faire. C’est peut-être de cela dont il faut que nous parlions à un moment donné.

Je donnerai, pour commencer, la parole à Michel Junker, directeur d’Alphéa Hydrogène pour qu’il nous parle de la réaction locale au niveau d’un territoire, avec le Pacte Lorraine qui a permis de rassembler plusieurs partenaires pour essayer de définir un chemin. C’est un exemple parmi d’autres. Nous aurons, à l’occasion de cette table ronde, plusieurs exemples de ce type, de manière à nous donner, à l’occasion d’un débat sur l’hydrogène, une bouffée d’oxygène.

M. Michel Junker, directeur d’Alphéa hydrogène. Tout d’abord, je vous remercie, Monsieur le sénateur, de m’avoir invité à cette table ronde pour vous apporter un témoignage d’un processus en cours de structuration de filière dans la région qui est la mienne, la région Lorraine. Vous m’excuserez si je ne suis pas suffisamment précis sur les détails de cette structuration, puisque c’est un processus qui est en cours. Vous le signalez dans votre introduction, il relève au départ d’un choix politique.

L’intérêt de la Lorraine pour l’hydrogène n’est pas nouveau. Il existe depuis le milieu des années 1970, voire 1980, puisque l’hydrogène avait été identifié à l’époque comme une opportunité de développement d’activités en région Lorraine. C’est ce qui a d’ailleurs conduit à la création de notre structure qui avait pour objectif de faire des travaux de veille et d’études visant à détecter de nouvelles opportunités pour favoriser la reconversion du territoire industriel lorrain. Ses fondateurs historiques étaient Charbonnages de France, EDF-GDF et Arcelor. On peut donc se dire qu’il y avait, voici une quinzaine d’années, une vision assez innovante pour détecter de nouvelles opportunités.

Que s’est-il passé entre-temps ? De nombreuses observations ont été menées dans notre région, mais nous avons manqué, à un moment donné, de la volonté d’investir dans des actions structurantes de type projets. C’est aujourd’hui le cas. Je me félicite que les acteurs politiques aient pris le sujet à bras-le-corps sous l’angle de la ré-industrialisation. C’est cela l’objet du Pacte Lorraine : situer les filières où les nouvelles filières industrielles, dont l’hydrogène, dans la ré-industrialisation et dans l’emploi. Je pense que c’est aussi l’objectif de l’ensemble des acteurs industriels en France sur cette filière : créer de l’activité et conquérir des marchés. C’est, je pense, ce que chacun aura pu vous apporter en matière de témoignages et c’est ce que nous ressentons, nous aussi, comme un besoin de la part des industriels pour lesquelles nous travaillons.

Pour en revenir plus précisément au processus actuellement en cours, le Pacte est un contrat passé entre l’État et la région Lorraine, qui sera doté, à part égale entre l’État et la région, d’un montant de 300 millions d’euros. Cela ne correspondra pas spécifiquement à des moyens nouveaux, mais à des moyens re-fléchés et en faveur d’actions visant au développement d’activités. Je tenais à le préciser, car c’est quelque chose de relativement important. Aucune enveloppe supplémentaire ne sera versée, mais des fonds seront spécifiquement affectés à ces actions. Il est donc demandé aux industriels, en particulier à ceux de la filière hydrogène, de venir et de proposer des projets d’application, de déploiement, qui pourront se réaliser en région lorraine, pour constituer un écosystème qui pourra vivre de lui-même.

La mission qui a été également confiée à Alphéa est d’élaborer, avec des groupements d’industriels, un projet structurant dont nous ne savons pas aujourd'hui la forme précise qu’il prendra. Mais il devra comporter la production d’hydrogène, son transport, sa distribution, son stockage et ses usages. S’il n’y a pas de clients pour l’hydrogène produit, les projets auront du mal à passer.

C’est autour de cette configuration que nous allons travailler avec l’ensemble des acteurs industriels, dont certains sont déjà actifs en région. Ils apporteront leur témoignage par la suite. M. Schneider d’E.ON France, qui apportera également son témoignage, est l’un des acteurs identifiés dans notre région. Il peut être un porteur, ou en tout cas un élément déclencheur, pour réunir autour de lui d’autres acteurs industriels. Pascal Mauberger de McPhy Energy, qui est assis devant moi, est aussi actif en région lorraine par la mise en place d’un système d’énergie. Un certain nombre d’acteurs peuvent donc être moteurs pour cette filière.

Le Pacte définit d’autres pistes, avec une fiche d’actions sur l’hydrogène qui recense les différentes initiatives actuellement en cours et sur lesquelles les acteurs industriels peuvent s’appuyer. Cependant, ils ne doivent pas forcément être les seuls à le faire. Une autre grande action est fléchée, celle de l’aménagement de la zone d’Esch-Belval, une opération d’intérêt national qui vise à équiper entièrement une nouvelle zone d’aménagement et d’habitations face au Luxembourg. Il s’agit là aussi d’un territoire démonstrateur pour des applications de stockage d’énergie, voire également de réhabilitation de quartiers, avec des applications piles à combustible ou autres.

Nous sommes donc actuellement dans une phase où nous identifions l’ensemble des initiatives et des projets des industriels dans ces territoires. Nous avons organisé il y a quelques jours à Nancy une première réunion collectivité/industrie/recherche sur l’hydrogène, à laquelle certains industriels ici présents ont participé. Ils se sont à cette occasion déclarés volontaires pour aller plus loin et réfléchir avec nous sur le type de projet que nous allions pouvoir présenter. E.ON France, Air Liquide, McPhy Energy et Areva Stockage d’énergie ont manifesté de l’intérêt. Nous tenterons de créer avec eux une cartographie de projets envisageables. Tout ceci reste néanmoins à construire. Cela n’est rendu possible que par la dynamique du Pacte, par une formule de type appel à projets « commande publique ». Tant que nous n’avions pas dans notre région ce déclencheur, il était très difficile de lancer des projets, autrement qu’avec des industriels déjà implantés, eux-mêmes déjà porteurs de projet.

Je pense que ces démarches peuvent être reproduites dans d’autres territoires. À mon avis, elles devraient être reproduites en attendant d’avoir une politique nationale plus marquée pour le vecteur hydrogène. Tant que nous n’avons pas cette politique, nous serons obligés de passer par ce type d’initiatives, en s’appuyant sur les régions qui peuvent structurer ces activités.

Je donne rendez-vous à l’ensemble des acteurs industriels qui se sont manifestés pour étudier avec nous les opportunités de projet, dans le courant du mois de janvier, pour refaire un bilan sur les premières pistes que nous aurons définies. En effet, le Pacte a une durée triennale. Il est donc nécessaire de le nourrir avec des projets. Si, sur ces actions, aucun projet n’est présenté, les politiques diront qu’ils nous ont tendu une perche que nous n’avons pas saisie.

J’ai tenté d’être bref et direct sur le processus actuellement en cours. Il faut, Monsieur le sénateur, rester optimiste sur la capacité que nous avons à mobiliser nos forces. Il est encore temps.

M. Jean-Marc Pastor.- Absolument. Il y en a qui ont encore de la sanguette pour ça et cela fait plaisir de l’entendre. Nous reviendrons sur le débat tout à l’heure. J’ai presque envie de donner la parole à M. Mauberger, de McPhy Energy, une jeune entreprise qui, il y a quelques années, a franchi bien des pas. Le mieux est qu’il nous dise ce qui s’y passe.

M. Pascal Mauberger, président du directoire de McPhy Energy.- Je vais essayer de vous parler de McPhy. Nous avons franchi beaucoup de pas, mais il en reste encore à franchir. Il ne faut jamais, dans l’industrie, crier victoire.

McPhy est un exemple de société technologique créée à partir d’une idée, d’une technologie et d’un marché. Pour refaire rapidement l’histoire, la société a été créée en janvier 2008 par quelques entrepreneurs, dont je ne faisais pas encore partie mais que j’ai très vite rejoint par la suite, sur l’idée de développer et de commercialiser une technologie qui émanait du CNRS. C’est l’institut Néel de Grenoble – Daniel Fruchart, collègue de Michel Latroche – qui a développé la technologie que nous utilisons. Il s’agit d’une technologie de stockage solide d’hydrogène sur hydrure, évoquée tout à l’heure par François Rousseau et que vous connaissez tous très bien.

L’idée était que cette technologie pouvait rendre des services dans le domaine des énergies renouvelables. Vous connaissez tous l’objectif : 20 % d’énergie renouvelable à l’horizon 2020. La France s’est même dotée d’un objectif plus ambitieux, de l’ordre de 23 %. Il est en Rhône-Alpes de 28 %, mais nous avons une légère avance car nous avons beaucoup d’hydro-électrique. Tout le monde sait que les énergies renouvelables sont sur un vecteur le plus souvent électrique, qu’elles sont intermittentes, difficilement prédictibles. Il est donc nécessaire de lisser, d’absorber ces énergies au moment où elles sont produites, pour les remettre en face d’un besoin de consommation.

C’est donc sur cette idée que la société a été créée. À l’époque, il y avait une technologie dans les éprouvettes du CNRS. L’idée était, à partir d’une licence que nous avions négociée avec la société de valorisation du CNRS, de porter cela, le mettre en marché, créer de l’activité industrielle et de rendre des services sur le marché de l’énergie.

La société s’est ensuite développée en faisant appel au capital-risque. Il y a des personnes en France et en Europe prêtes à doter ces structures industrielles de capitaux, pour leur permettre de se développer. En revanche, ces personnes ont une patience limitée : il faut qu’un jour ou l’autre, cela se traduise par un chiffre d'affaires et par de la rentabilité économique, sinon elles cessent tout financement. L’enjeu pour ce type de startup est d’être capable, dans un horizon de 15 ans maximum, de voler de ses propres ailes et de retourner la valeur créée aux personnes qui ont parié sur l’entreprise au départ.

Qui sommes-nous ? Nous sommes une entreprise qui développe et commercialise des systèmes flexibles de production à partir de l’électrolyse de l’eau et de stockage solide d’hydrogène. Nous sommes partis sur le stockage et avons développé cette technologie que nous avons mise sur le marché en 2011. Nous avons commencé à vendre des stockeurs basés sur notre technologie. Les premiers sont partis assez loin de nos territoires de Rhône-Alpes : en Italie, au Japon, au Royaume-Uni, en Allemagne et dans l’est de la France, en région lorraine.

L’une des particularités de McPhy est d’être parti très vite très loin, ce qui n’est pas simple. Quand on développe une PME entrepreneuriale et technologique, il est quelque peu compliqué, je peux vous l’assurer, de partir et de vendre l’un de ses premiers stockages au Japon. Nous y sommes arrivés, mais ceci aurait été beaucoup plus simple si le marché avait été à notre porte, peut-être pas en Rhône-Alpes, mais au moins sur le territoire national. Du coup, nous avons visé en Europe des territoires beaucoup plus porteurs et engagés sur l’hydrogène, en particulier l’Allemagne. Nous avons créé notre filiale en Allemagne l’année dernière (2012) et avons commencé à nous y développer.

Au-delà de la première technologie « stockage solide », nous avons pris également un virage, celui de proposer non seulement le stockeur mais aussi le générateur, de façon à proposer une solution d’hydrogène flexible, capable de capturer les énergies lorsqu’elles sont disponibles, puis d’utiliser l’hydrogène à la demande en fonction du besoin de l’application. Nous avons fait un premier mouvement dans ce domaine en acquérant, l’année dernière, une société en Italie qui nous a amené une technologie d’électrolyse de l’eau.

Cette technologie très mature nous permet de nous positionner sur le marché de l’hydrogène industriel. Très récemment, depuis le 1er octobre 2013, nous en avons fait l’annonce au mois de septembre, nous avons repris une activité de gros électrolyseurs en Allemagne, Enertrag High Tech. Elle nous donne la possibilité de construire des électrolyseurs de plusieurs mégawatts.

Nous disposons donc aujourd'hui d’une gamme de produits qui va de quelques kilowatts à plusieurs mégawatts de puissance, ce qui nous permet de nous positionner sur tous types d’applications. À titre d’exemple, un petit utilisateur d’hydrogène qui aurait besoin de quelques dizaines de m3/heure d’hydrogène et qui fait classiquement appel à une livraison par camion, pourrait décider de faire son hydrogène lui-même, à partir de son réseau électrique, d’utiliser l’électricité lorsqu’elle est peu chère ou de l’électricité décarbonée, pour faire de l’hydrogène qu’il va employer en fonction de ses besoins.

La possibilité de faire de très grosses installations avec les Allemands permet de se positionner sur les marchés émergents du « Power to gas » (l’électricité vers le gaz). Nous avons précédemment parlé d’injection dans les réseaux de gaz naturel et de méthanation. Tout cela, c’est la même chose. Cela consiste à mettre de l’énergie renouvelable dans des réseaux de gaz naturel, soit directement sous forme d’hydrogène, soit en passant par un méthane de synthèse.

C’est aussi le marché de la mobilité hydrogène, évoquée tout à l’heure à plusieurs reprises, avec plusieurs dizaines de stations-service installées en Europe et, dans les 4 à 5 ans à venir, des milliers à mettre en place dans le monde puisque ce marché est gigantesque. La mobilité hydrogène c’est, tout simplement, de la mobilité électrique, c'est-à-dire des véhicules électriques dont la batterie est remplacée par des stockages d’hydrogène embarqués et des piles à combustible.

Or les véhicules sont prêts. Hyundai produit notamment ses premiers véhicules commerciaux en Corée, pour les positionner sur les marchés que l’entreprise détectera comme les plus porteurs. Les marchés porteurs sont ceux où se trouveront des stations-services hydrogènes. Il en existe à ce jour une quinzaine en Allemagne. Une seizième est en train de se mettre en place dans laquelle McPhy est impliquée puisqu’elle va fournir, en fin d’année ou au début d’année prochaine, un stockeur venant de la Drôme et un générateur d’hydrogène par électrolyse, l’idéal étant que cet hydrogène carburant (ou combustible) soit une véritable solution de mobilité décarbonée. Il est nécessaire, pour ce faire, de sortir l’hydrogène de l’eau avec des énergies renouvelables. Ceci a été beaucoup développé par des acteurs de l’éolien, un grand gazier allemand qui est Linde, Total qui est investi dans ce projet et McPhy qui fournira l’électrolyse et le stockeur.

Voilà où nous en sommes aujourd'hui dans notre développement. Il y a plusieurs projets et démonstrations. Nous avons débuté avec de petites unités de stockage de quelques kilos. Nous avons inauguré il y a un peu plus d’un mois un stockeur de 100 kilos connecté à notre électrolyseur sur notre site de La Motte-Fanjas. Nous passerons l’année prochaine à des stockeurs de 200, voire 500 kilos. Donc, vous le voyez, nous montons en gamme. L’idée est de pouvoir offrir des solutions stationnaires, relativement importantes – un stockeur de 500 kilos représente 16,5 mégawatts/heure d’énergie stockée dans un container de 20 pieds sur 6,5 mètres de long et 2,5 mètres de base carrée. Nous arrivons ainsi sur des objets qui peuvent jouer un rôle significatif dans la problématique de stockage et de lissage des énergies renouvelables pour les remettre en phase avec la consommation.

McPhy Energy, c’est aussi 82 emplois, dont 58 en France - répartis entre La Motte-Fanjas, où se situent notre siège, notre laboratoire et notre centre de production, et Grenoble, où nous avons notre bureau d’études - une quinzaine en Italie et une dizaine à proximité de Berlin. Nous avons commencé avec 4 personnes en 2008. Nous étions une dizaine en 2009, une vingtaine en 2010, une trentaine en 2011 et donc 58 en 2013. Nous continuons à accompagner le développement par des recrutements et prenons le risque d’embaucher en contrat à durée indéterminée.

Nous avons des docteurs en sciences, des ingénieurs mais également des techniciens et des opérateurs. Nous recrutons les opérateurs dans la Drôme, une région qui a besoin de retrouver de l’activité industrielle. Ces gens ne connaissent pas bien l’hydrogène et les hydrures, donc nous les formons, les mettons ensuite sur nos lignes et ils fabriquent nos équipements.

C’est quelque chose qu’il ne faut pas oublier, parce que je suis également le vice-président de Tenerrdis, le pôle de compétitivité Rhône-alpin dans le domaine des énergies renouvelables, hydrogène inclus. Il existe en région Rhône-Alpes de nombreux acteurs de l’hydrogène. L’hydrogène peut se développer localement et nous sommes fortement promoteurs de solutions locales, situées au point de consommation ou au point de stockage des énergies. Avec l’électrolyse de l’eau, nous sommes sur des objets connectés à des stockages basse pression qui peuvent fonctionner localement, de manière simple.

Nous pouvons, en conséquence, accompagner des développements d’entreprises et de projets régionaux. Je sais, Monsieur Pastor, que c’est quelque chose qui vous tient à cœur dans votre région. Mais, nous sommes également attentifs à ce qui se passe en Lorraine : c’est une très belle opportunité. Nous sommes également en lien avec ce qui se passe dans le nord de la France où des personnes veulent engager une véritable révolution industrielle basée sur l’hydrogène.

Je suis par ailleurs vice-président de l’AFHYPAC (association française hydrogène-piles à combustible). Elle regroupe au niveau national les grands acteurs des grandes sociétés, des PME comme la nôtre, des centres de recherche et des centres de formation, soit toutes les personnes qui s’intéressent à l’hydrogène. Elles souhaitent regrouper leurs idées et leur pouvoir d’influence pour tenter de promouvoir ces solutions en France.

Il est néanmoins navrant que nous soyons contraints de développer nos activités en dehors de nos frontières. Encore une fois, c’est une « belle activité industrielle » classique – nous faisons de la métallurgie, de la chaudronnerie, du piping. Quand on parle de revitaliser l’industrie française, l’hydrogène n’est pas une activité « rocket science », c'est-à-dire qui se passe loin de nous, dans des domaines lointains ou petits. C’est de la vraie industrie qu’il faut savoir mettre en œuvre, développer.

Ce sont des emplois d’ingénieurs, de techniciens, d’opérateurs et d’ouvriers. Il faut donc le faire et il serait préférable d’avoir un marché français à notre porte. Bien sûr, il existe des projets de démonstration et nous sommes heureux d’y participer. Cependant, il est nécessaire de passer à présent un cran au-delà. Ce n’est plus de la démonstration, mais de la mise en marché. De la mise en marché, cela veut dire, bien évidemment – et ceci a été longuement débattu depuis la matinée – un cadre réglementaire approprié. Mais, de mon point de vue, celui-ci s’adaptera en fonction des choix politiques qui seront réalisés.

Il vous appartient donc, Messieurs les politiques et leaders d’opinion de notre pays – comme au Japon ou dans l’ouest du continent nord-américain (ouest des États-Unis et ouest du Canada), de promouvoir des solutions qui, avec l’hydrogène, nous offrent la possibilité de rendre des services nouveaux et d’accélérer la pénétration des énergies renouvelables.

Voilà ce que je souhaitais vous dire. Je suis disposé à répondre à toutes vos questions. Il faut savoir qu’il existe en France, dans le secteur de l’hydrogène, des acteurs connus, dont Air Liquide, présent aujourd'hui. C’est tout à fait bien que nous puissions avoir de tels acteurs. Mais cela a été précédemment indiqué, l’hydrogène n’est pas nouveau. Il y a des dizaines, voire des centaines d’années d’expérience industrielle. Il y a 60 millions de tonnes d’hydrogène produits et utilisées dans l’industrie sur le plan mondial.

Il y a donc tout ce retour d’expérience qu’il faut faire migrer d’un usage industriel à quelque chose qui va être plus près du public. Quand on est dans une station-service hydrogène et que l’on commence à distribuer de l’hydrogène-carburant véhicule, c’est quelque chose que nous mettons dans les mains de tout un chacun. Une réflexion s’impose sur le sujet et nous avons, autour de la table, les bons acteurs pour la mener. Nous avons les bonnes intelligences en France, alors travaillons tous ensemble, avec un objectif : ne pas rater le train qui démarretrain qui est déjà parti en Allemagne et au Japon. Les normes sont un moyen, mais pas le seul.

McPhy a tenté, pour sa part, de prendre ce train. J’espère que nous ne l’avons pas pris trop tôt parce que l’on finit, au bout d’un moment, par s’épuiser.

M. Jean-Marc Pastor.- Nous reviendrons tout à l’heure sur tout cela. Merci à Pascal Mauberger pour ce témoignage, celui d’une entreprise nouvelle, relativement récente, qui « explose » et se développe essentiellement, et de plus en plus, à l’extérieur de l’Hexagone, ce qui doit tout de même nous interpeller.

C’est à présent un acteur européen, producteur d’électricité et de gaz, la société E.ON, qui va nous apporter sa vision sur les conditions de développement de la filière hydrogène. E.ON a notamment engagé une expérimentation en matière de Power to gas, sujet que nous avons abordé ce matin avec GRT Gaz. Je cède sans plus tarder la parole à Monsieur Günther Schneider, directeur de la stratégie E.ON France.

M. Günther Schneider, directeur de la stratégie E.ON France. Je vous remercie pour l’opportunité que vous me donnez de présenter, ici, notre point de vue ainsi que quelques réalisations. Notre principal intérêt dans l’économie de l’hydrogène est dans le Power to gas, c'est-à-dire créer un lien entre le marché de l’électricité et du gaz.

Je souhaiterais en préambule rappeler la situation en Allemagne. Il est notoire qu’avec la décision politique de s’acheminer vers la transition énergétique sur le marché allemand, nous nous retrouvons devant un grand défi pour la mettre en scène. L’objectif qui a été défini est d’augmenter la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité de 25 % aujourd'hui à 50 % à l’horizon 2030, voire 80 % à l’horizon 2050. Ces chiffres sont énormes mais nous avons déjà, aujourd'hui, des capacités remarquables : 35 gigawatts dans le solaire et plus de 30 gigawatts dans l’éolien. Ceci signifie que cette année, nous avons eu de nombreuses journées supérieures à 30 gigawatts de capacité intermittente dans le système électrique, pendant quelques heures, autour de midi. C’est l’équivalent de 20 à 30 centrales nucléaires. Évidemment, cela amène d’énormes contraintes pour le système électrique.

Je souhaite souligner trois défis. Le premier, c’est l’inefficacité pour le système. À cause de la surproduction injectée dans le système par les énergies renouvelables, nous nous trouvons dans la situation où une grande partie de cette production ne peut pas être absorbée. Il y a de plus en plus de situations dans lesquelles l’éolien est découplé du réseau. Le second point qui nous touche en qualité de producteur d’électricité est le fait que la capacité conventionnelle (centrale de charbon, cycle combiné gaz) nécessaire pour garantir la stabilité du système ne trouve plus son équilibre économique. De plus en plus de centrales ne sont plus rentables et nous sommes obligés, comme les autres acteurs, de mettre sous cocon ou de fermer. Le troisième point est le fait que le réseau de transport ne soit pas du tout adapté ni préparé pour traiter ce type de situation.

Le marché allemand a par conséquent besoin à long terme de plus de flexibilité. La technologie, l’approche Power to gas peut amener une solution pour traiter cette situation. Comment le Power to gas fonctionne-t-il ? Le principe de base consiste à transférer le surplus de la production renouvelable via l’électrolyse. Les principes suivants sont soit d’amener l’hydrogène produit directement en usage, soit d’injecter l’hydrogène vert dans le réseau de gaz, puis d’utiliser un mélange de gaz naturel et d’hydrogène vert. Il y a, dans les deux filières, 4 cas d’usages : considérer l’hydrogène et le mélange de gaz comme un moyen de stockage d’électricité et transformer cet hydrogène en électricité, transformer l’hydrogène en chaleur, amener le gaz vert vers un futur concept de mobilité, à savoir vers l’utilisation en tant que carburant vert de deuxième génération pour la fabrication de carburant conventionnel et utiliser l’hydrogène dans le processus industriel, comme l’hydrogène conventionnel est aujourd'hui employé (l’hydrogène conventionnel qui est issu du processus de vapocraquage a le désavantage d’émettre beaucoup de CO2).

L’injection de gaz naturel présente quelques avantages importants. Tout d’abord, en ce qui concerne le réseau de transport et de distribution, il s’agit d’un moyen de stockage déjà disponible qui peut absorber une quantité énorme d’hydrogène sur le long terme. Cette caractéristique est un très grand avantage en comparaison des autres moyens de stockage. Son second avantage est d’être un moyen de transport, c'est-à-dire qu’il est possible de ramener le gaz produit vers les clients. Le troisième atout pour les énergéticiens est que cela crée une connexion entre le monde de l’électricité et du gaz, mais cela offre également la possibilité de réaliser des arbitrages entre les deux mondes. Il existe une variante supplémentaire qui consiste à transformer l’hydrogène, via la méthanation, ce qui facilite l’injection dans le réseau.

E.ON travaille sur l’ensemble de ces filières. Je souhaiterais présenter l’exemple du projet de Falkenhagen qui donne une meilleure vision des avantages et défis du système. Falkenhagen est situé dans le nord-est de l’Allemagne, dans la région de Brandenbourg, la seconde en termes de capacités d’éoliennes terrestres installées. Autour du site sur lequel nous avons développé le projet, se trouve une capacité de 70 mégawatts en éolien. Or la consommation maximum est de 20 mégawatts, ce qui signifie que l’on se retrouve régulièrement avec un surplus de production non utilisé. Pour nous, c’était le contexte idéal pour tester le concept Power to gas.

Nous avons installé une capacité d’électrolyse de 2 mégawatts électriques. Elle est représentée par 6 électrolyseurs, avec une capacité totale de production de 360 m3/heure. L’hydrogène produit est ensuite injecté dans le réseau de transport local en haute pression. Le taux maximum d’hydrogène injecté a été limité à 2 %, basé sur l’analyse que nous avons réalisée en examinant toutes les applications du gaz situées en aval du réseau. En effet, il convient de s’assurer que le mélange de gaz qui se retrouve par la suite dans le réseau soit compatible avec l’utilisation. Le rendement de l’électrolyseur se situe autour de 70 %. Notre fourchette se trouve entre 55 % et 60 %. Elle se base sur le fait que le système nécessite aussi un certain taux de consommation d’énergie pour fonctionner.

Les travaux ont été lancés à la mi-2012 et nous avons inauguré officiellement le système au mois d’août 2013. Nous sommes donc aujourd'hui opérationnels et nous injectons dans le réseau. Par ailleurs, les politiques allemands ont manifesté un vif intérêt pour visiter le site.

Quels sont les business models possibles ? Le business model du Power to gas demeure l’une des questions les plus importantes pour laquelle il faut encore trouver des réponses. Le projet de Falkenhagen donne l’opportunité de travailler cet aspect. Nous avons à ce jour identifié 4 leviers qui ne sont pas encore tout à fait accessibles. Le premier levier correspond à une valorisation de l’hydrogène produit en substitut du gaz naturel, pour profiter du prix du marché du gaz naturel. Ce levier est, dans le contexte actuel, difficilement accessible car le niveau du prix du gaz n’est pas suffisant pour remplacer le gaz par l’hydrogène. Le second levier consiste en une valorisation du biogaz. Le cadre réglementaire allemand permet de valoriser l’hydrogène produit en tant que biogaz et de profiter ainsi du tarif de rachat de ce dernier. Le troisième levier est la valorisation comme gaz vert. Il convient de trouver des clients finaux comme les industriels qui seraient prêts à payer un prix plus élevé. Le quatrième levier est l’utilisation de l’hydrogène dans la production de biocarburant de deuxième génération. Ce sujet est actuellement en discussion au niveau de l’Union Européenne pour élaborer une directive.

Le projet Falkenhagen s’appuie aujourd'hui sur les second et troisième leviers. E.ON collabore avec des industriels, par exemple Suisse Gaz. Sur le marché allemand, nous avons mis en place un produit, le gaz éolien, que nous offrons aujourd'hui à nos clients. Il consiste à remplacer 10 % de la consommation du client par de l’hydrogène vert. Nous avons commercialisé le produit il y a quelques semaines et nous étudions actuellement la réaction du marché.

Toutefois, comme je l’ai indiqué, il est difficile aujourd'hui de trouver un business case positif, ce qui nous conduit à la question suivante : quels sont les leviers sur lesquels il faut travailler pour améliorer la situation et créer davantage d’intérêt de la part des acteurs industriels ? Nous travaillons actuellement sur trois leviers. Le premier est un levier industriel, la réduction du coût d’investissement. Là, le focus est mis sur les économies d’échelle. Il existe aujourd'hui une douzaine de projets de démonstrateurs sur le marché allemand, à une échelle modeste. Toutefois, les acteurs de l’industrie se sont donné pour objectif de mettre en place une capacité en Power to gas de 1 000 mégawatts, à l’horizon 2022. Les acteurs pensent que cet objectif donne les leviers nécessaires pour activer les économies d’échelle et réduire de manière significative les investissements nécessaires.

Le deuxième levier, soumis à la réglementation, consiste à réduire les charges d’exploitation du système. Aujourd'hui, en Allemagne comme en France, les systèmes de stockage sont soumis à des taxes, comme les clients finaux (redevance de CSPE ou redevance de réseau), qui pèsent lourdement sur l’activité de stockage d’énergie.

Le troisième levier concerne également une adaptation de la réglementation permettant une rémunération plus intéressante pour l’hydrogène. J’ai déjà mentionné la possibilité de valoriser l’hydrogène comme les autres énergies renouvelables (par exemple le biogaz), son usage dans la production de biocarburant ou le remplacement de l’hydrogène conventionnel dans le secteur industriel par de l’hydrogène vert.

Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Nous continuons à travailler sur ces leviers pour trouver d’autres optimisations et mettre en place des activités qui permettent un développement industriel.

Pour conclure, je dirai quelques mots sur notre activité en France. Nous avons mis en place un démonstrateur technique, en collaboration avec McPhy, pour tester le premier module de leur système de stockage d’hydrogène solide. Nous avons achevé cette première expérimentation qui a répondu à nos attentes. C’est sur cette base que nous poursuivons notre réflexion sur les business models à mettre en place autour de notre site industriel de Lorraine, en nous appuyant également sur le Pacte Lorraine évoqué précédemment. Je vous remercie.

M. Jean-Marc Pastor.- Merci Monsieur Schneider. Je voudrais juste dire que, dans le courant du mois d’avril/mai, nous nous sommes rendus, mon collègue et moi, sur le site de Falkenhagen. Je vous remercie pour cette présentation et propose, sans plus tarder, à Monsieur Luc Vandewalle, directeur général de la société Hypulsion, issue d’Air Liquide, de prendre la parole. Il nous présente l’importance des clients précurseurs pour le développement de cette nouvelle filière.

M. Luc Vandewalle, directeur général, Hypulsion. Je vous remercie, Monsieur le sénateur, Monsieur le député, de me donner l’occasion de présenter cette jeune société qu’Air Liquide a décidé de lancer il y a un peu plus d’un an.

Dans le cadre du développement de cette filière, il existe aujourd'hui des marchés de niche qui permettent non seulement de s’appuyer sur une expérience déjà réussie Outre-Atlantique, mais aussi de rendre la technologie plus visible et contribuer ainsi à l’acceptation sociétale de l’hydrogène à travers la pile à combustible.

La société Hypulsion a été créée sous la forme d’un accord de partenariat (joint-venture) entre Air Liquide et une société américaine, Plug Power, leader mondial de la pile à combustible adaptée au marché du chariot de manutention. Acquérir cette technologie a un sens fort, dans la mesure où, adossée aux capacités du groupe Air Liquide, elle permet de disposer de la molécule d’hydrogène, puisque nous la produisons, mais également d’avoir la capacité à fabriquer des stations de distribution – 350 bars pour les chariots élévateurs et 700 bars pour les véhicules – et d’y adjoindre la logistique du groupe Air Liquide pour réapprovisionner un site client en hydrogène.

Aujourd'hui, nous nous adressons principalement au marché de la logistique, dans le cadre de la pile à combustible sur chariot élévateur, en incorporant également des équipements que l’on trouve dans les aéroports (nacelles, chariots de bagages). Le produit par lui-même est une pile, un élément qui, sur un plan pratique, vient en substitution d’une batterie acide/plomb. Nous remplaçons ainsi dans les chariots élévateurs un produit par une boîte de même forme, de même poids, de même dimension, avec un même centre de gravité et qui, simplement, à travers un même connecteur, fournit de l’électricité au moteur électrique grâce à la pile à combustible et au réservoir d’hydrogène embarqué.

L’avantage, et c’est sur celui-ci que se base le business model, est de pouvoir faire le plein de son réservoir en moins de 3 minutes, au lieu de se rendre dans une salle de charge, d’y échanger une batterie au plomb, puis de revenir à son poste de travail. En redonnant, sous forme de disponibilité, de la valeur aux clients qui exploitent ces équipements, on trouve un business model intéressant pour déployer aujourd'hui cette technologie en Europe. Nos collègues américains l’ont déjà fait. Depuis les années 2005/2006, 4 500 systèmes opérationnels ont été déployés sur le continent nord-américain par Coca-Cola, Walmart, Cisco, Mercedes, BMW, etc. Ils l’ont fait non seulement en le déployant sur un site, mais en le répétant de façon consécutive sur plusieurs sites, parce que les économies annoncées ont été démontrées. L’amélioration de l’environnement par la réduction de l’empreinte carbone a été également un élément très fort dans le déploiement et la continuité de cette technologie.

Ces clients annoncent publiquement, on le voit dans leurs rapports d’activité, les économies réalisées, à hauteur de centaines de milliers de dollars, avec cette technologie. C’est en s’appuyant sur cette validation de la technologie de la pile à combustible que la société Hypulsion a entrepris de se déployer en Europe, soutenue par les forces du groupe Air Liquide.

L’infrastructure hydrogène sur laquelle nous nous appuyons est basée sur une capacité de stockage extérieure. On va retrouver les remorques de stockage de 200 bars qui sont ensuite, à travers un buffer et un compresseur, amenées à 400 bars. Puis, par différence de pression, elles sont amenées à l’intérieur du site industriel où l’on va trouver une pompe, comme une pompe à essence, à partir de laquelle on pourra faire un plein de réservoir s’il est nécessaire de compléter le niveau d’hydrogène. Bien entendu, cela passe par une maîtrise des capacités de stockage, des installations et de la sécurité autour de ces équipements.

Nous avons évoqué, tout à l’heure, les difficultés résultant, dans cette période de démarrage de nos premiers projets, de l’absence de réglementation. Nous arrivons tout de même à les mettre en place aujourd'hui avec la bonne méthodologie permettant d’assurer que nous fournissons bien au client une installation totalement sécurisée. C’est aussi toute la force du groupe Air Liquide d’avoir cette maîtrise depuis des dizaines d’années, voire plus, dans la construction des réservoirs et leur mise en exploitation sur des sites industriels. Nous avons aujourd'hui 1 000 clients qui sont à proximité d’hydrogène tous les jours et des centaines de camions qui circulent pour les réapprovisionner.

Voilà donc le principe de cette technologie. Nous avons commencé, comme je le disais, sur la base des développements américains. Où en sommes-nous aujourd'hui ? Nous avons commencé par installer cette technologie chez nous, puisque la meilleure façon de prouver sa viabilité était d’équiper l’un de nos sites de cette infrastructure et de cette technologie. Je vous invite à venir découvrir à Vatry, sur le site d’Air Liquide, notre flotte de neuf chariots frontaux à hydrogène qui opère, depuis environ 18 mois, avec une station interne au bâtiment qui remplit les chariots et une station externe permettant de stocker et de réapprovisionner.

Nous avons un second projet qui va commencer dans les semaines à venir. IKEA a choisi de travailler avec nous et Air Liquide sur cette technologie station et pile à combustible. Une vingtaine de chariots seront mis en test et validés avant de poursuivre. Nous avons également d’autres sites en Europe sur lesquels nous avons travaillé. Ainsi, BMW démarre sur son site de Leipzig avec nos produits et la technologie que nous avons à ce jour. En Belgique, un grand de la distribution alimentaire, Colruyt, est un grand partisan et défenseur de la filière hydrogène. Il a déjà aujourd'hui des chariots en exploitation et compte augmenter sa flotte dans les mois qui viennent. En Grande-Bretagne, Honda démarre, à travers un programme, des premiers frontaux dans ses usines automobiles. Enfin, dernièrement, comme ont pu l’observer les visiteurs du salon Inter Airport de Munich, Air Marrel, a développé un chargeur d’aéroport alimenté par une pile à combustible que nous lui avons fournie.

Nous travaillons avec d’autres prospects, notamment en France, en Pologne et en Espagne. La bonne nouvelle est que l’ensemble de l’Europe est intéressée par la technologie. C’est une bonne nouvelle que d’avoir ce regain d’intérêt autour de cette filière et de la technologie de la pile à combustible dans des flottes captives qui, certes, n’ont besoin que de quelques points de réapprovisionnement, mais qui serviront de bases solides pour amener cette connaissance dans le domaine public et habituer tout un chacun à côtoyer beaucoup plus fréquemment en milieu industriel l’hydrogène et les piles à combustible.

Pour conclure, je dirai que nous avons quelques souhaits dans notre activité. J’apporte tout mon soutien au groupe de travail « hydrogène entrepôt », piloté par la DGPR, qui nous permet d’envisager prochainement une réglementation pour le remplissage d’hydrogène à l’intérieur des bâtiments – et là, la dynamique est effectivement très bonne. J’attends aussi fortement que des organismes officiels soient mandatés pour valider toutes les hypothèses et les dispositifs autour de la maîtrise des risques. Je me réjouis notamment de voir l’Ineris travailler avec d’autres acteurs de la filière sur ce sujet. Nous avons enfin besoin d’un support politique plus visible, à mon avis indispensable pour continuer à progresser dans cette filière aujourd'hui en pleine essor mais qui a besoin de l’énergie de tous. C’est avant tout la confiance des clients précurseurs qui nous permet d’être très positifs par rapport à cette approche. Néanmoins, nous avons besoin de renforcer cette confiance des clients par le soutien que vous, messieurs, êtes seuls à même de nous apporter. Nous serions ravis d’en avoir prochainement la confirmation pour nous permettre d’aller plus loin.

J’espère ne pas avoir été trop long. Je suis à votre disposition pour répondre à toutes vos questions. J’espère que je pourrai vous présenter très prochainement d’autres sites déployant cette technologie, notamment en France.

M. Jean-Marc Pastor.- Je vous remercie, M. Vandewalle, pour cette présentation limpide qui montre qu’il y a des choses qui peuvent se passer sur le territoire national. Pour terminer cette table ronde, je demanderai à M. Axel Strang de la Direction Générale de l’Énergie et du Climat de nous faire un tour d’horizon.

M. Axel Strang, chargé de mission pour les filières vertes, réseaux énergétiques intelligents, hydrogène et stockage de l’énergie, direction générale de l’énergie et du climat (DGEC). Merci, Messieurs, de m’avoir invité aujourd'hui pour cette audition publique sur ce sujet très en vogue et très intéressant.

Pour commencer mon intervention sur les conditions de développement d’une filière en France, j’aimerais présenter 3 familles d’outils que l’État a à sa disposition. La première concerne la création de l’offre. Il s’agit d’aides à la recherche et au développement et du financement des entreprises elles-mêmes. Le second levier est la création des conditions de marché (réglementation, marchés publics, etc.). Le troisième aspect porte sur la structuration des acteurs entre eux, pour créer des visions et des normes communes, ainsi que des partenariats structurants entre eux.

J’aimerais structurer mon intervention en trois questions principales : où en sommes-nous aujourd'hui dans l’émergence de ces technologies ? Quel est le contexte au niveau de l’évolution réglementaire et des marchés ? Où allons-nous ? (avec quelques points de vigilance dans l’avancée de nos travaux.

Tout d’abord, où en sommes-nous aujourd'hui dans l’émergence de ces technologies ? Un certain nombre de financements ont été opérés, via l’ANR, pour faire émerger des briques technologiques qui sont aujourd'hui au stade de la démonstration, avec des financements publics européens et nationaux, via le Fonds unique interministériel et les appels à manifestation d’intérêt de l’ADEME. Ces projets de démonstration sont en train de valider la pertinence technico-économique de ces solutions, de proposer des évolutions réglementaires sur un retour d’expérience réel et de tester l’acceptabilité de ces solutions. Nous avons un outil complémentaire qui permet de renforcer la croissance des start-up et des nouvelles solutions via le fonds écotechnologie. Nous avons donc aujourd'hui un porte-folio de projets dont nous attendons beaucoup, mais également de start-up prometteuses qui sont soutenues. Il y a donc un élan en cours au niveau de l’offre.

Sur la création des conditions de marché, il y a un vaste chantier réglementaire en cours, à la fois sur le marché de l’électricité, en particulier sur le mécanisme des capacités, toutes les discussions de préparation et les débats à venir sur la loi pour la transition énergétique, la régulation des systèmes énergétiques menée par la CRE dans le cas d’utilisation des réseaux. Il convient donc de garder en tête tout cet ensemble de concertations en cours quand on parle des sujets de l’hydrogène et d’éviter d’avoir une vision trop en silo. Plus particulièrement, sur les marchés de l’énergie, cela a été évoqué aujourd'hui à maintes reprises, face à l’évolution du mix et des usages, le maître-mot est la flexibilité. Nous avons un besoin accru de flexibilité. De nombreuses solutions techniques nous permettent d’y répondre à la fois sur la production et sur la demande. Dans une évolution des conditions de marché et des réflexions sur la transition énergétique sur le long terme, nous avons une obligation collective de créer les conditions de marché les plus robustes par rapport aux évolutions technologiques car celles-ci peuvent varier très vite. Le nombre de projets de R&D est particulièrement significatif, et de nouvelles technologies sont à l’essai - il est d’ailleurs difficile de dire aujourd'hui laquelle gagnera. Nous n’avons pas encore de technologie qui puisse répondre à toutes les solutions et nous ignorons ce qui se passera d’ici les prochaines décennies, mais nous avons une obligation collective de rendre le dispositif plus réactif, plus flexible et robuste technologiquement.

Plus précisément, sur le stockage de l’énergie, un certain nombre d’études sont menées pour avoir une vision plus claire de la problématique – les enjeux sont relativement complexes – via des travaux de l’Agence internationale de l’énergie, dont l’étude qui s’appelle GIVAR III sera publiée au mois de janvier 2014. Au niveau français, l’Association technique énergie environnement (ATEE), la direction générale de la Compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS), l’Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), avec le soutien de la direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), ont mené une étude sur le potentiel du stockage de l’énergie dans le système énergétique français qui regarde, à différents niveaux du réseau électrique, mais aussi pour les réseaux de chaleur, la valeur du stockage de l’énergie comparée à d’autres solutions de flexibilité. Cette étude, si tout se passe bien, sera publiée la semaine prochaine lors du colloque de l’ATEE. J’invite les rapporteurs à l’étudier. Je tiens toutefois à insister sur les limites de l’étude qui n’a pu aborder tous les sujets. Si vous avez besoin d’un complément de compréhension sur l’étude, n’hésitez pas à solliciter les rédacteurs de cette étude ou moi-même. Les résultats peuvent en effet être interprétés d’une autre manière, mais il faut bien comprendre la valeur de cette étude et ses limites.

Cette étude, le rapport de la commission « innovation » en 2020, votre rapport, Messieurs les rapporteurs, sont une opportunité aujourd'hui de débattre de la place du stockage d’énergie dans les systèmes énergétiques de demain. Il y a vraiment une convergence des initiatives qui fait que votre rapport arrive au bon moment.

Sur le marché de la mobilité, on voit deux approches complémentaires. S’agissant du marché des flottes captives, nous commençons à sentir une pertinence technico-économique proche de la rentabilité économique des marchés où l’on se focalise sur le coût total d’utilisation. Pour ce qui est du véhicule particulier, les incertitudes sont plus nombreuses sur le marché français alors que ces marchés sont un peu mieux identifiés chez nos voisins européens. C’est aussi l’objectif de l’étude « mobilité hydrogène France » – dont certains, ici, sont partenaires – d’initier une vision commune sur le marché français, le volume à terme et les conditions de démarrage ainsi que d’identifier l’ensemble des sujets (fiscaux, réglementaires, etc.) sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Les leviers sur la mobilité sont très larges. On le voit notamment sur les véhicules décarbonés, avec le bonus/malus. Il y a donc une réflexion complémentaire à engager par rapport au marché de l’énergie.

Où allons-nous ? Vers le déploiement commercial. Compte tenu des moyens humains et financiers contraints au niveau de la filière et aux conditions de marché des différents usages, il semble opportun aujourd'hui de se focaliser, parmi tous les usages potentiels de la filière hydrogène, sur les marchés les plus prometteurs à court terme, sur lesquels nous pouvons baser l’industrialisation et le ramp-up industriel de la filière. Ils ont été cités aujourd'hui : les flottes captives sur les chariots élévateurs, les sites isolés, etc. En ce qui concerne les sites isolés et l’usage du stockage de l’énergie, un levier important se situe, à mon sens, dans les zones non interconnectées, nos systèmes insulaires. Aujourd'hui, certaines technologies de stockage d’énergie sont pertinentes techniquement et économiquement pour expérimenter et résoudre le développement des énergies renouvelables, entre autres. Il existe déjà certains dispositifs pour contribuer à l’émergence des solutions de stockage d’énergie, dont l’hydrogène.

Concernant la mobilité, nous sentons une émergence de projets très prometteurs. Si l’on veut susciter une industrialisation, une massification et donc, une baisse des coûts liée à cette industrialisation, l’important est la masse critique. Pour créer la masse critique, nul n’est besoin de rechercher le million de véhicules tout de suite. La dizaine de milliers de véhicules peut être une échelle pertinente pour créer cet effet d’entraînement, en visant, à terme, les véhicules des particuliers. L’architecture reste à définir.

Pour ce qui est des points de vigilance, il est important de trouver un bon équilibre entre le soutien au développement industriel qui nécessitera des moyens complémentaires pour les surcoûts de ces solutions par rapport aux coûts globaux pour la collectivité et le système énergétique dans son ensemble. Il faut trouver la bonne place, mais dans le contexte actuel de restriction budgétaire, il est important de pouvoir donner une visibilité sur la maîtrise des coûts et la flexibilité des dispositifs par rapport aux évolutions technologiques, industrielles et aux évolutions des prix. Nous en avons eu des exemples pour d’autres filières de nouvelles technologies de l’énergie dans les années antérieures.

Il est aussi important d’avoir une vision globale de l’ensemble de la problématique énergétique. L’hydrogène a vraisemblablement une place dans la transition énergétique mais elle est aussi en compétition avec d’autres technologies et il faut trouver, pour un développement sain de la filière et le maintien de la performance économique de ces solutions, des conditions de développement commercial pérennes qui ne seront pas sujettes à des évolutions réglementaires, de marché sur des ruptures technologiques. Cela arrivera mais exige d’anticiper ces sujets et d’apprendre des erreurs passées.

S’agissant des conditions de marché de développement industriel, il est important d’avoir une vision globale. Il y a les règles du marché de l’énergie, de l’électricité, du gaz, toutes les problématiques de réglementation de la sécurité, les conditions de marché public face à l’innovation, etc., la fiscalité – un levier essentiel, notamment sur la mobilité – et le financement des projets. Ce dernier point est souvent sous-estimé. On le voit notamment sur les nouvelles technologies de l’énergie, le coût du financement peut être un levier fondamental par rapport à d’autres aspects, tels que les changements réglementaires ou des règles de marché.

Il est important, à mon sens, d’avoir une vision globale sur les maillons de la chaîne de valeur, d’identifier le chemin critique – la filière hydrogène et pile à combustible en est bien consciente – mais surtout, de réduire les risques industriels, techniques mais également financiers de montage de projet. Il convient également de s’assurer, dans le cadre de la transition énergétique, que l’analyse de cycle de vie est toujours un point positif pour la filière hydrogène. C’est un point un peu complexe mais nécessaire pour éviter de mauvaises références. C’est un sujet dont les réponses méritent d’être bien cernées, bien étudiées – l’ADEME a bien regardé ce sujet sur la mobilité.

Par ailleurs, la question de la réduction des gaz à émission de CO2, bien que globale, mériterait de trouver collectivement des moyens de valoriser sur le plan politique et économique toutes ces externalités dont beaucoup ont été citées aujourd'hui.

En conclusion, on voit beaucoup de potentiel pour cette filière dans le cadre de la mobilité et du stockage d’énergie. Il est capital de bien anticiper nos besoins futurs car il est fondamental de soutenir cette filière. On ne sait pas exactement quel sera le volume de besoins au regard de cette technologie et de solutions associées. Il est donc important d’avoir un porte-folio de solutions pour la transition énergétique. Le plus important aujourd'hui est de franchir avec succès les prochaines étapes de la montée en compétences industrielles, sur des bases saines et pérennes.

Si un soutien politique fort émerge à l’issue de votre rapport, deux messages : construisons des mécanismes de soutien durables pour éviter des effets d’alternance et soyons certains que la croissance que nous pouvons initier de la demande soit toujours compatible avec le développement de l’offre. Il faut trouver un équilibre entre les deux afin de pouvoir créer une filière en France compétitive. Je vous remercie.

M. Jean-Marc Pastor.- Monsieur Strang, merci pour cette présentation. Je vous propose, sans plus tarder, d’ouvrir le débat. Je commencerai par une question à M. Schneider : à quel prix vous est facturée l’électricité en surproduction sur le site de Falkenhagen ?

M. Günther Schneider.- Il n’est pas possible d’avoir directement accès à la surproduction à un coût de zéro euro. Dans le cadre actuel, il est prévu que toute la production des éoliennes, même si elle n’est pas injectée dans le réseau, soit rémunérée par un équivalent de la CSPE. Ainsi, nous avons pour notre démonstrateur un contrat simple de fourniture d’électricité avec le distributeur régional. Cependant, nous nous assurons quand même que l’électricité utilisée dans le processus d’électrolyse puisse être considérée comme d’origine renouvelable, en achetant des certificats verts. Ceux-ci certifient que l’électricité utilisée a la caractéristique de l’énergie renouvelable.

M. Jean-Marc Pastor.- Se paie-t-elle plus cher ou moins cher que l’électricité classique ?

M. Günther Schneider.- Pour ce qui est du démonstrateur, il s’agit du tarif du marché. L’idée est, pour développer le concept, de faire évoluer le cadre réglementaire de l’énergie renouvelable. Cette discussion est très avancée en Allemagne depuis la fin des élections. Elle est également lancée en France et nous espérons que nous pourrons engager une transition du cadre réglementaire actuel qui se fonde principalement sur le subventionnement de l’énergie renouvelable, et passer à un mécanisme de marché. Une fois ce nouveau cadre réglementaire en place, cela donnera d’autres leviers pour valoriser le surplus de production renouvelable à des prix attractifs.

M. Pascal Mauberger.- Nous travaillons avec RWE sur le même sujet et je pense que le coût de l’électricité est pour eux de 100 euros le mégawatt/heure. Est-ce bien le tarif auquel vous avez accès ?

M. Günther Schneider.- Le coût de l’électricité des clients finaux dépend des tarifs en place. En Allemagne, le tarif pour un particulier est de l’ordre de 220 euros le mégawatt/heure. Pour un client industriel, il représente la moitié, à savoir les 100 euros que vous avez cités.

M. Pascal Mauberger.- La valorisation de l’hydrogène à ce prix est quelque peu compliquée.

M. Günther Schneider.- Oui. Toutefois, le concept est orienté vers le futur, futur dans lequel le cadre réglementaire de l’énergie renouvelable doit évoluer.

M. Jean-Marc Pastor.- M. Vandewalle, vous indiquiez qu’il n’existait pas en France de réglementation relative aux chariots élévateurs. Qu’en est-il de nos voisins ?

M. Luc Vandewalle.- Pour être précis, il existe une réglementation qui régit la production, le stockage d’hydrogène en plein air. En revanche, il n’existe pas de réglementation officielle pour l’installation d’une pompe de distribution d’hydrogène à l’intérieur d’un bâtiment. C’est sur ce sujet en particulier que nos amis de la DGPR et le groupe de travail « entrepôts » travaillent aujourd'hui pour nous permettre d’avoir une réglementation sur laquelle nous pourrons nous appuyer de façon à instruire plus aisément les dossiers futurs.

M. Jean-Marc Pastor. L’hydrogène que vous consommez pour les chariots élévateurs provient-il d’un craquage de gaz chez Air Liquide ?

M. Luc Vandewalle. Il s’agit effectivement d’hydrogène industriel qu’Air Liquide commercialise avec ses spécifications habituelles.

M. Pascal Mauberger. Je souhaiterais formuler un commentaire par rapport à l’intervention de M. Axel Strang, sur les premiers marchés qui vont naître. Vous citiez les chariots élévateurs et l’autonomie. J’aimerais insister sur le nomadisme qui risque d’arriver rapidement sur le marché, puisque deux sociétés travaillent en France dessus et sont très avancées, avec des industrialisations qui sont en train de se faire. J’aimerais que l’on ne le perde pas de vue, parce que l’on va avoir besoin d’un déploiement. Nous aurons vraisemblablement besoin sur cet aspect de l’aide des politiques locales, nationales et des ministères.

M. Jean-Marc Pastor. Je vous remercie de cette participation. Je ne peux pas laisser les propos de Pascal Mauberger sans un minimum de réponse. Oui, dans le rapport, ceci sera clairement explicité. Une opération comme celle-ci nécessite un positionnement clair du gouvernement.

Le Gouvernement, c’est nous tous, mais c’est aussi un certain nombre de personnes clairement identifiées – certains d’entre nous ici sont en relation directe avec le Gouvernement et les ministères. Si nous ne parvenons pas à obtenir une position claire, politique, sur le sujet de l’hydrogène sur le territoire national, nous aurons beaucoup de mal à maintenir un certain nombre d’activités dans ce domaine. Il ne faudra pas s’étonner que des activités se développent ailleurs. Vous en êtes l’exemple, comme d’autres. Nous le disons de manière très claire. Certes, il y a d’autres mesures, d’autres démarches, mais il faudra quand même, tôt au tard, se parler clairement sur le sujet. Ce sera fait avec force par le représentant de l’Assemblée nationale et du Sénat, même si je ne suis pas certain aujourd'hui que nous réussissions à avoir, sur ce sujet, plus de la moitié des parlementaires français. Je cède la parole à mon collègue M. Laurent Kalinowski pour la conclusion.

M. Laurent Kalinowski. Nous essaierons de faire preuve de force de conviction pour arriver à compenser le nombre. Cette force de conviction a été particulièrement renforcée aujourd'hui par votre présence et la qualité de vos interventions Ces dernières contribueront largement à nourrir notre rapport.

Je tiens donc à vous remercier puisque nous avons vu l’énorme potentialité qui existe en France en matière d’utilisation de l’hydrogène comme vecteur énergétique, mais aussi en termes de développement d’une filière industrielle. L’objectif de ce rapport est aussi de définir comment nous pourrions nous inscrire dans cette évolution.

Ce que nous pouvons conclure, c’est que certains pays que nous citons souvent en référence, notamment le Japon et l’Allemagne, se sont pleinement investis dans une stratégie répondant aux besoins énergétiques de leur territoire.

En France, nous avons été à même de développer différentes utilisations de l’hydrogène, dans le cadre de marchés de niches. Aujourd'hui, il s’agit de construire davantage en s’appuyant sur la complémentarité des applications au niveau des territoires. On montre aussi que dans le cadre d’une politique nationale, il est important de savoir développer certaines spécificités et d’autres ouvertures pour l’hydrogène en tant que vecteur énergétique, ainsi que de rassembler tous les acteurs. C’est une démarche importante qui s’inscrit dans une phase plus concrète, comme l’a souligné Michel Junker au niveau du Pacte Lorraine. Là, on a une identification d’un territoire de l’État, d’acteurs de recherche et développement qui doivent être des universitaires mais aussi des acteurs du monde économique. C’est ce type de partenariat qu’il faut créer. Il faut les créer sans tarder. Nous devons être réactifs et compétitifs. L’État doit être capable d’accompagner ce mouvement et se donner les moyens de réagir au moment où les choses évoluent.

C’est le défi auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. Jean-Marc Pastor et moi sommes convaincus que la France a pleinement son rôle à jouer dans le développement de ce nouveau vecteur énergétique qu’est l’hydrogène pour qui s’avère indispensable à une transition énergétique durable. Je vous remercie d’avoir participé à cette journée et vous souhaite une complète réussite dans vos projets.

ANNEXE N° 2 :
SITUATION DANS LES PAYS ÉTRANGERS

Ces synthèses ont été rédigées avec l’aide des services scientifiques des ambassades concernées, notamment Mme Edith Chezel (Allemagne), MM. Sébastien Rouif (États-Unis), Kaddour Raissi (Japon), Jean-Yves Doyen (Corée du Sud), Arnaud Serniotti (Islande), Bertrand Boucher (Espagne) et Romain Tricard (Italie).

États-Unis - En 2003, les États-Unis ont lancé une importante initiative dans le domaine de l’hydrogène, concrétisée par une enveloppe budgétaire de 1,2 milliard de dollars, avec pour objectif principal la réduction de leur dépendance énergétique dans le domaine des transports. En 2009, le président des États-Unis a annoncé une forte réduction des crédits consacrés à ces recherches. Le secrétaire général du DoE a justifié cette décision par le manque de maturité de ces technologies. Néanmoins, les États-Unis se sont d’ores et déjà dotés d’un cadre législatif permettant le développement de l’hydrogène en dehors de l’industrie lourde. En outre, plusieurs États poursuivent une politique de développement de l’hydrogène énergie, pour la cogénération ou les transports, notamment en Californie où un nouveau projet pilote a été récemment initié. Enfin, la commercialisation des piles à combustible s’accélère dans certains secteurs tels que la logistique ou les alimentations de secours.

Japon - Avec les États-Unis, ce pays est celui qui a réalisé les investissements les plus importants en recherche sur l’hydrogène énergie mais au contraire de ce dernier, il a poursuivi et même amplifié son effort, le budget correspondant atteignant les 240 millions de dollars pour 2012. À l’identique de l’Allemagne, le Japon prévoit de déployer d’ici 2015 un important réseau de 100 stations à hydrogène. Les constructeurs japonais ont, pour leur part, annoncé la commercialisation de voitures électriques à pile à combustible à cette même échéance. D’autre part, afin de palier la réduction brutale de la production d’électricité résultant de l’arrêt forcé de ses centrales nucléaires, le Japon a engagé un programme ambitieux d’installation de piles à combustible pour la cogénération résidentielle. Enfin, le Japon poursuit son effort de mise en œuvre des nouvelles technologies de production de l’hydrogène, par exemple à partir de la biomasse.

Corée du Sud - La Corée du Sud dispose depuis le début des années 2000 d'un programme national de recherche et développement de la filière hydrogène et des piles à combustible. Les deux applications principales concernent, d'une part, les transports, les constructeurs nationaux Hyundai et Kia prévoyant de commercialiser en 2015 un millier de véhicules à pile à combustible, d'autre part, la cogénération, plusieurs centaines de piles à combustible de type SOFC étant en cours de déploiement. Par ailleurs, le ministère de l'économie du savoir a annoncé mi-2012 le lancement d'un projet de ville pilote de l'hydrogène qui devrait voir le jour à la fin de l’année.

Chine - Compte tenu de ses besoins importants en énergie, de sa forte dépendance au charbon et des faiblesses de son réseau électrique, la Chine a investi depuis la fin des années 90 en recherche sur l’hydrogène énergie et les piles à combustible. Cet effort de recherche dépend pour l’essentiel du Gouvernement central. Le financement correspondant s’est limité à 50 millions de dollars pour la période 2006-2010. En 2011, ce financement s’élevait à 27 millions de dollars. Les applications étudiées concernent notamment les transports, le stockage de l’énergie et la cogénération.

Allemagne - Si les investissements sur l’hydrogène énergie sont restés relativement modestes en Allemagne jusqu’en 2004, ce vecteur énergétique fait à présent l’objet d’un vif regain d’intérêt, notamment en vue d’applications dans les transports et le stockage d’énergie générée par les énergies renouvelables intermittentes. Concernant les transports, le Gouvernement a signé avec plusieurs sociétés (dont Air Liquide et Total) un protocole d’accord en vue du déploiement d’ici 2015 de 50 stations à hydrogène. Pour leur part, les constructeurs automobiles ont annoncé la commercialisation de véhicules à pile à combustible pour la même échéance. Quant au stockage d’énergie, plusieurs expérimentations en cours visent à valoriser l’hydrogène produit par électrolyse pour l’alimentation directe des véhicules, pour la méthanation ou l’injection dans le réseau gazier.

Islande - Tout comme les États-Unis, quoiqu’à une toute autre échelle, ce pays, produisant l'électricité à faible coût à partir des énergies hydraulique et géothermique, s’est fortement engagé, au début des années 2000, dans le développement de l’utilisation énergétique de l’hydrogène, notamment dans les transports, avant de réduire fortement ses investissements. Ce revirement résulte de la crise économique de 2008 mais aussi des progrès réalisés par les véhicules électriques, lesquels pourraient répondre aux besoins des 80 % d'Islandais concentrés dans la capitale.

Espagne - Des initiatives nationales ou régionales ont conduit à la réalisation de projets innovants intéressants combinant parfois hydrogène et énergies renouvelables : à Séville, Hynergreen (solaire à concentration et stations H2), à Huesca (Aragon) ITHER (éolien, photovoltaïque et stations H2) et, à Puertollano, Elcogas (production d’hydrogène par gazéification du charbon). Néanmoins, l’Espagne ne dispose pas d’un programme national spécifique de développement de l’hydrogène énergie et les activités, en ce domaine, ont été affectées par la crise économique à l’égal du reste de l’économie du pays.

Italie - Bien qu’elle n’ait jamais défini un programme national de recherche et développement pour l’hydrogène et les piles à combustible, l’Italie a affecté depuis une décennie des ressources importantes, à hauteur de près de 20 millions d’euros, à ces travaux. Ceux conduits par l’Agence nationale pour les nouvelles technologies, l'énergie et le développement économique durable (ENEA) concernent la production d’hydrogène à partir d’énergies renouvelables alors que l’entreprise Enel, équivalent italien d’EDF, travaille sur plusieurs projets, dont une centrale à cycle combiné alimentée en hydrogène, ainsi que le stockage de l’hydrogène.

ANNEXE N° 3 :
RAPPORTS DE L’OPECST AYANT DÉJÀ ABORDÉ LA QUESTION
DE L’HYDROGÈNE ÉNERGIE

- Rapport n° 3216 déposé le 3 juillet 2001 par MM. Robert Galley et Claude Gatignol : « Les perspectives offertes par la technologie de la pile à combustible »

Après avoir fait un bilan de l’état de l’art en matière de piles à combustible et des recherches menées en ce domaine dans les principaux pays développés, les rapporteurs décrivent les technologies alternatives dans le domaine des transports : batteries, moteur à combustion optimisé ou véhicules hybrides, avant d’examiner les modalités de production, de stockage et de transport de l’hydrogène.

Dans leurs conclusions, MM. Robert Galley et Claude Gatignol estiment que les piles à combustible « restent, quel que soit leur type, encore en très grande partie des quasi-appareils de laboratoire ». Constatant le retard pris par la France et l’Europe par rapport aux États-Unis, au Canada ou encore au Japon, ils appellent à un renforcement de la recherche sur les piles à combustible mais aussi sur la filière hydrogène.

- Rapport n° 3415 déposé le 22 novembre 2001 par MM. Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut : « L'état actuel et les perspectives techniques des énergies renouvelables »

Les rapporteurs évoquent brièvement (p. 102) la nécessité de poursuivre les recherches destinées à améliorer le rendement, évalué à seulement 20 %, du stockage de l’électricité sous forme d’hydrogène, généré lors des pics de production par électrolyse, puis consommé dans une pile à combustible.

- Rapport n° 2757 déposé le 14 décembre 2005 par MM. Christian Cabal et Claude Gatignol : « La définition et les implications du concept de la voiture propre »

Parmi les différentes solutions susceptibles de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans les transports : l’amélioration du moteur à combustion, l’hybridation, la voiture électrique et les biocarburants, les rapporteurs évaluent les perspectives offertes par l’hydrogène associé à la pile à combustible (p. 211 à 242).

Après avoir mis en évidence les différents obstacles d’ordre technologique et économique au développement de la filière hydrogène dans le secteur des transports, MM. Christian Cabal et Claude Gatignol concluent : « l’hydrogène est l’un des vecteurs énergétiques du futur. Son potentiel est très élevé mais ni la technologie, ni son coût économique ne permettent d’envisager une large diffusion dans le moyen terme et même tout simplement à un horizon fiable ».

- Rapport n° 2965 déposé le 15 mars 2006 par MM. Christian Bataille et Claude Birraux : « Les nouvelles technologies de l'énergie et la séquestration du dioxyde de carbone : aspects scientifiques et techniques »

Les rapporteurs tracent un large panorama (p. 195 à 212) des différentes modalités de production de l’hydrogène, actuelles ou en cours de développement. Tout en jugeant prometteuses, à moyen terme, les recherches en cours dans ce domaine, ils soulignent les handicaps de ce vecteur énergétique, en termes de coûts de production, de stockage et de transport.

S’agissant des piles à combustible (p. 291 à 301), si MM. Bataille et Birraux se montrent optimistes sur leur utilisation stationnaire, notamment en cogénération avec la technologie SOFC (Solid Oxyde Fuel Cell), ils s’avèrent plus réservés sur leurs applications dans les transports, compte tenu des verrous technologiques restant à lever sur la technologie PEMFC (Proton Exchange Membrane Fuel Cell).

- Rapport n° 1493 déposé le 2 mars 2009 par MM. Claude Birraux et Christian Bataille : « L'évaluation de la stratégie nationale de recherche en matière d'énergie »

Dans leur évaluation, MM. Claude Birraux et Christian Bataille accordent une place significative à l’hydrogène, cité à plus de cent reprises dans leur rapport, et à la pile à combustible (notamment p. 97 à 104).

Les rapporteurs se montrent toutefois réservés sur le développement de cette dernière dans les transports, compte tenu des progrès réalisés dans le domaine des batteries et de l’hybridation, au point de préconiser un rééquilibrage de l’effort de recherche en faveur de ces deux technologies concurrentes. A contrario, ils reconnaissent le potentiel des piles à combustible pour la cogénération dans le secteur résidentiel et l’alimentation des appareils portables.

Par ailleurs, MM. Claude Birraux et Christian Bataille soulignent l’intérêt d'une valorisation des excédents de production électrique sous forme d'hydrogène destiné au dopage des biocarburants de deuxième génération et à la synthèse thermochimique de carburants.

1 () À titre de comparaison, un kilogramme d’hydrogène permet de parcourir environ 100 kilomètres dans un véhicule de tourisme.

2 () Au mois de janvier 2014, l’une des premières installations en France de vaporeformage de biogaz issu des déchets entrera en service dans le Tarn, au centre interdépartemental de traitement des déchets Trifyl.

3 () Vos rapporteurs ont visité, à l’occasion de leur déplacement au Japon, la première unité au monde de production d’hydrogène par gazéification de biomasse ligneuse, la « Blue Tower » à Omuta, d’une capacité de production de 27 kg/h (cf. annexe 5).

4 () Schéma de J.N. Gautier, licence Creative Commons Attribution.

5 () Enertrag est une société allemande spécialisée dans la production d’électricité d’origine renouvelable.

6 () Depuis, la division d’Enertrag chargée de ce développement a été acquise par une société française.

7 () Cf. annexe « Rapports de l’OPECST ayant déjà abordé la question de l’hydrogène énergie ».

8 () Par G. Ruik, licence Creative Commons, Attribution – Partage dans les mêmes conditions 3.0 non transposé.

9 () Soit l’équivalent de 36 euros/kW à fin 2013.

10 () Soit l’équivalent de 22 euros/kW à fin 2013.

11 () Mémento sur l’énergie, édition 2012, CEA.

12 () Rapport d’information n° 843 du 27 mars 2013, présenté par M. Daniel Goldberg, député de Seine-Saint-Denis.

13 () Association française de l’hydrogène et des piles à combustible.

14 () Réseau européen et pôle de compétence sur l’hydrogène et ses applications.

15 () Bulletin électronique Allemagne n° 613 (16/05/2013) - Ambassade de France en Allemagne / ADIT.

16 () Acronyme de l'expression « Not In My BackYard », qui signifie « pas dans mon arrière-cour ».

17 () Laboratoire d’énergétique et de mécanique théorique appliquée.

18 () Laboratoire Réaction et Génie des procédés.

19 () Groupe de Recherche en Électrotechnique et Électronique appliquée.


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