N° 2967 - Rapport de M. Jean-Yves Le Déaut, Mme Anne-Yvonne Le Dain et M. Bruno Sido, établi au nom de cet office, sur La filière semencière française : état des lieux et perspectives



N° 2967

 

N° 612

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2014 - 2015

Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 9 juillet 2015

 

le 9 juillet 2015

LA FILIÈRE SEMENCIÈRE FRANCAISE :
ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES

Compte rendu de l’audition publique du 22 janvier 2015
et de la présentation des conclusions du 8 juillet 2015

par

M. Jean-Yves LE DÉAUT et Mme Anne-Yvonne LE DAIN, députés, et M. Bruno SIDO, sénateur


Déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale

par M. Jean-Yves LE DÉAUT,

Président de l'Office

 


Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Bruno SIDO,

Premier vice-président de l’Office

Composition de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et technologiques

Président

M. Jean-Yves LE DÉAUT, député

Premier vice-président

M. Bruno SIDO, sénateur

Vice-présidents

M. Christian BATAILLE, député M. Roland COURTEAU, sénateur

Mme Anne-Yvonne LE DAIN, députée M. Christian NAMY, sénateur

M. Jean-Sébastien VIALATTE, député Mme Catherine PROCACCIA, sénatrice

DÉputés

SÉnateurs

M. Gérard BAPT

M. Christian BATAILLE

M. Denis BAUPIN

M. Alain CLAEYS

M. Claude de GANAY

Mme Françoise GUÉGOT

M. Patrick HETZEL

M. Laurent KALINOWSKI

M. Jacques LAMBLIN

Mme Anne-Yvonne LE DAIN

M. Jean-Yves LE DÉAUT

M. Alain MARTY

M. Philippe NAUCHE

Mme Maud OLIVIER

Mme Dominique ORLIAC

M. Bertrand PANCHER

M. Jean-Louis TOURAINE

M. Jean-Sébastien VIALATTE

M. Patrick ABATE

M. Gilbert BARBIER

Mme Delphine BATAILLE

M. Michel BERSON

Mme Marie-Christine BLANDIN

M. François COMMEINHES

M. Roland COURTEAU

Mme Dominique GILLOT

M. Alain HOUPERT

Mme Fabienne KELLER

M. Jean-Pierre LELEUX

M. Gérard LONGUET

M. Jean-Pierre MASSERET

M. Pierre MÉDEVIELLE

M. Christian NAMY

Mme Catherine PROCACCIA

M. Daniel RAOUL

M. Bruno SIDO

SOMMAIRE

___

Pages

PROPOS INTRODUCTIFS 7

M. Jean-Yves Le Déaut, Président de l’OPECST. 7

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST 10

M. François Houllier, président de l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi), président directeur général de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) 12

PREMIÈRE TABLE RONDE : ENJEUX POUR LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET CADRE RÉGLEMENTAIRE 17

Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST 17

M. Bruno Sido, premier vice-président de l’OPECST 17

M. Michel Eddi, président directeur général du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) 17

M. Philippe Feldmann, chargé de mission Biodiversité, CIRAD 17

M. Bernard Dreyfus, directeur général délégué à la science de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) 21

Mme Emmanuelle Soubeyran, chef du service des actions sanitaires en production primaire, ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt 22

M. Dirk Theobald, responsable de l’unité technique de l’Office communautaire des variétés végétales 25

M. Alain Tridon, sous-directeur de la qualité et de la protection des végétaux, ministère de l’agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt 27

M. Arnaud Deltour, directeur général du Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences (GEVES) 29

M. Joël Léchappé, directeur de la station nationale d’essais de semences (SNES) du GEVES 31

M. Christian Huygue, directeur scientifique adjoint « agriculture » de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) 34

M. Jean-Pierre Renou, directeur de l’Institut de recherche en horticulture et semences (IRHS) 37

DÉBAT 40

Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, membre de l’OPECST 40

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST 40

Mme Emmanuelle Soubeyran, chef du service des actions sanitaires en production primaire, ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt 40

M. Alain Tridon, sous-directeur de la qualité et de la protection des végétaux, ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt 40

M. Arnaud Deltour, directeur général du Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences (GEVES) 41

M. Christian Leclerc, secrétaire général du CTPS, Comité technique permanent de la sélection 41

M. Jean-Daniel Arnaud, retraité du GNIS, Groupement national interprofessionnel des semences et plants) 42

M. Pierre-Olivier Drège, directeur général de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB) 42

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, vice-présidente de l’OPECST 43

M. Pierre-Olivier Drège, ancien directeur général de l’ONF, directeur général délégué d’Unigrains 43

M. François Burgaud, directeur des relations extérieures du Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS) 43

M. Jean-Pierre Haudoin, retraité 44

M. Christian Huygue, directeur scientifique adjoint « agriculture » de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). 45

SECONDE TABLE RONDE : BIODIVERSITÉ ET FILIÈRE SEMENCIÈRE FRANÇAISE 47

Présidence de Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, vice-présidente de l’OPECST 47

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, vice-présidente de l’OPECST 47

M. Guy Kastler, membre de la Confédération paysanne 48

M. François Burgaud, directeur des relations extérieures du Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS) 51

M. Jean-François Berthellot, co-président du Réseau Semences paysannes 53

M. Claude Tabel, administrateur de l’Union française des semenciers (UFS), président de l’entreprise semencière RAGT 56

M. Jean-Louis Courtot, président de la Coordination nationale pour la défense des semences fermières (CNDSF) 58

M. Jean-Christophe Gouache, directeur des affaires internationales de Limagrain Coop 60

Mme Blanche Magarinos-Rey, association Kokopelli 63

M. Pierre-Edouard Guillain, directeur de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) 66

DÉBAT 70

M. Jean-François Berthellot, co-président du Réseau Semences paysannes 70

M. Jean-Christophe Gouache, directeur des affaires internationales de Limagrain Coop 70

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, vice-présidente de l’OPECST 70

EXTRAIT DE LA RÉUNION DE L’OPECST DU 8 JUILLET 2015 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS DE L’AUDITION PUBLIQUE 71

CONTRIBUTION DE MME MARIE-CHRISTINE BLANDIN, SÉNATRICE, ET DE M. DENIS BAUPIN, DÉPUTÉ 75

CONTRIBUTION DE MME ANNE-YVONNE LE DAIN, DÉPUTÉE 75

PROPOS INTRODUCTIFS

M. Jean-Yves Le Déaut, Président de l’OPECST. L’OPECST est heureux d’organiser aujourd’hui une audition publique consacrée aux semences et plus particulièrement à la filière semencière française.

Cette audition traduit l’intérêt croissant de l’OPECST pour les questions environnementales auxquelles il a déjà consacré plusieurs rapports et auditions publiques. La dernière en date s’est tenue en juillet 2014 à l’initiative de l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi). Cette audition a permis de présenter la diversité des recherches menées par les organismes publics membres de l’Alliance et leurs retombées pratiques, mettant ainsi l’accent sur l’importance cruciale de la recherche environnementale pour le progrès et la compétitivité de notre société.

La présente audition entend souligner les enjeux tant pour la sécurité alimentaire que pour la biodiversité de la thématique des semences et présenter la filière semencière à travers ses acteurs.

La sécurité alimentaire constitue un des défis majeurs du XXIe siècle. Comment nourrir sept milliards d’individus sans gaspiller les ressources disponibles ? Dans ce débat économique, sociétal et environnemental, la filière semencière a un rôle essentiel à jouer. Les semences issues du patrimoine des végétaux que l’homme a domestiqués petit à petit, sont au cœur de l’agriculture. Aujourd’hui, le secteur des semences conserve ce patrimoine et l’enrichit en créant de nouvelles variétés adaptées aux besoins des agriculteurs, des transformateurs et des consommateurs.

Les semences sont un élément incontournable de l’alimentation humaine et animale. Le souci constant pour l’homme de sélectionner de nouvelles variétés afin d’améliorer les rendements et la résistance aux maladies remonte à plus de dix mille ans. Il a permis la révolution néolithique et le passage vers notre civilisation. Ce sujet a déjà été évoqué à propos de plusieurs autres thèmes, notamment celui des OGM avec le maïs et ses ancêtres, lors de débats passionnés dans cette même salle.

C’est un souci qui doit cependant aller de pair avec la nécessité de préserver la biodiversité. Notre planète est peuplée d’une multiplicité d’êtres vivants, végétaux, animaux et microorganismes en constante évolution et interaction avec leur milieu. La biodiversité exprime la variabilité sous toutes ses formes des organismes vivants. Elle a bénéficié d’une reconnaissance internationale à la suite du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro où la Convention sur la diversité biologique a été adoptée. La France n’a pas été en reste dans ce domaine avec l’adoption, en 2008, des lois 1 et 2 du Grenelle de l’environnement dont la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles a été l’un des objectifs majeurs.

En agriculture, la biodiversité a été très largement enrichie par l’homme à partir d’espèces sauvages qu’il a domestiquées. L’homme a ainsi créé des variétés pour les plantes et adapté ces dernières à ses besoins. Le patrimoine génétique des plantes sans cesse amélioré par leurs usages est contenu dans leurs semences ou graines. Aujourd’hui, des professionnels très spécialisés, les sélectionneurs, perpétuent ce travail sur des bases scientifiques en faisant appel notamment aux biotechnologies. Ils créent de nouvelles variétés à partir de variétés existantes, en croisant entre elles des plantes choisies pour leurs qualités respectives. Ensuite, les meilleures plantes sont sélectionnées jusqu’à obtenir une plante aves les qualités recherchées. Ainsi naissent de nouvelles variétés qui viennent enrichir la diversité agricole existante.

Compte tenu des enjeux économiques et sociétaux, la recherche dans le domaine des semences revêt une importance fondamentale.

L’audition d’aujourd’hui doit nous permettre de mieux connaître le rôle d’impulsion majeur joué par les grands organismes publics de recherche – et je remercie M. François Houllier, président d’AllEnvi et président directeur général de l’INRA, d’être là ainsi que M. Michel Eddi, président directeur général du CIRAD, et l’IRD – sans oublier la contribution à la recherche des groupes privés du secteur, qui consacrent une partie de leur chiffre d’affaires, de l’ordre de 15 %, à la création de nouvelles variétés. Je vous salue toutes et tous. Cinq cents nouvelles variétés potagères et agricoles sont inscrites tous les ans au catalogue français des espèces et des variétés.

L’audition d’aujourd’hui a donc pour objectif de mieux appréhender le dispositif français et de voir comment il s’articule avec la réglementation européenne et internationale. À cet égard, l’audition sera l’occasion d’étudier les avantages et les inconvénients des certificats d’obtention végétale (COV) rendus obligatoires en France depuis la loi du 8 décembre 2011 qui a actualisé la transposition par la France de la Convention révisée en 1991, un processus qui a mis beaucoup de temps. Je me souviens, à ce sujet, des débats de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV).

Les COV constituent une particularité européenne. Les semences ne sont pas soumises à des brevets mais à ces COV. Ce modèle original et singulier de la propriété intellectuelle, selon l’ancien ministre de l’Agriculture, M. Bruno Lemaire, vise à un équilibre entre la protection du propriétaire et l’intérêt de l’utilisateur. En effet, le gouvernement a estimé qu’il existait un déséquilibre en défaveur des producteurs de semences (71 entreprises, 15 000 emplois directs en France) car beaucoup d’agriculteurs ne respectaient pas les COV. Nous aurons donc l’occasion de faire le bilan de ces COV et d’un autre type de semences, les semences paysannes. Je sais qu’il y a des débats à ce sujet et je souhaiterais que l’audition d’aujourd’hui permette effectivement de les faire avancer.

Plus d’un tiers des agriculteurs – environ 200 000 – utilisaient des semences issues de leur propres récoltes, appelées semences de ferme. La loi est venue mettre un terme à cette tolérance considérée comme une liberté pour les agriculteurs. Désormais, même pour resemer leurs graines, ils sont tenus de payer une taxe qui doit bénéficier à la recherche agronomique donc aux semenciers.

L’objectif est de défendre le secteur des semences, une filière d’excellence française. La France est le premier pays producteur de l’Union européenne et le deuxième exportateur mondial avec un chiffre d’affaire de près de 2,5 milliards d’euros dont un milliard à l’exportation.

Un des principaux arguments mis en avant pour défendre le COV est que, sans cette loi, c’est le modèle du brevet qui aurait pris le pas en captant ces nouvelles variétés performantes. J’ai été partisan de ces COV, contre le brevet. Le brevet, promu aux États-Unis, interdit purement et simplement toute réutilisation des semences. Le refus de la France de s’engager dans cette direction remonte à un arrêt de 1921 du tribunal de commerce de Nice qui statuait sur la demande de protection d’une variété d’œillet. Il est important de souligner que plusieurs dizaines de pays dans le monde n’ont pas encore choisi leur mode de propriété intellectuelle applicable aux végétaux.

Au-delà du dispositif juridique, se pose la question de savoir jusqu’où il est possible de breveter le vivant. Nous avons également eu cette discussion. Le cas de la transgénèse, qui permet d’obtenir de nouvelles variétés, pose cette question. Et le cas de la cisgénèse sur lequel, je pense, vous allez discuter tout à l’heure, pose cette même question, en autorisant un droit d’accès au sélectionneur sous le régime du COV par la loi du 8 décembre 2004 sur la protection des inventions biotechnologiques.

Les débats, je le souhaite, pourront évoquer le traitement en droit de toutes ces technologies qui permettent la création de nouvelles variétés en exploitant la richesse du capital génétique de l’espèce elle-même – c’est la cisgénèse – comme le ferait une sélection massale accélérée.

L’aspect éthique de la question est resté en arrière-plan de ce débat technique et se pose à l’échelle mondiale. L’OPECST espère que l’espace de formation et de dialogue que constitue le Parlement, et notamment cette audition publique, permettra de faire progresser la réflexion sur ce thème fondamental pour l’avenir de la biodiversité.

Je vais maintenant laisser la parole à mes collègues qui vont animer les tables rondes. M. Bruno Sido, ancien président de l’OPECST, et qui vient, de par nos règles internes, de me laisser la place. Dans notre grande sagesse, l’Office est présidé trois ans par le Sénat et trois ans par l’Assemblée nationale. Il est lui-même agriculteur et il va présider la première table ronde sur les enjeux pour la sécurité alimentaire, ainsi que le cadre réglementaire. Mme Anne-Yvonne Le Dain, a demandé cette audition et je voudrais la remercier. Elle a souhaité que l’on fasse, à un moment donné, le point sur la filière semencière. Elle n’est pas totalement étrangère à ce sujet puisqu’elle a travaillé dans un organisme que j’ai cité initialement. Elle a été également directeur régional de la recherche et de la technologie dans une carrière passée. Elle s’est beaucoup investie, bien qu’elle soit récemment élue depuis deux ans, dans les travaux de l’Office. Elle présidera la deuxième table ronde.

Je donne la parole à Bruno Sido en vous remerciant toutes et tous de vous être déplacés et en vous disant, pour terminer, que nous n’avons pas souhaité avoir autour de la table la totalité des acteurs. J’ai reçu une lettre à ce sujet. Tout le monde peut assister à cette audition publique et contradictoire et avoir la parole. Notre système de fonctionnement consiste à faire quelques exposés introductifs, les plus courts possibles pour que, après, un débat se noue, surtout quand on n’est pas d’accord. L’expertise publique, ici collective et contradictoire – vous n’avez pas tous le même avis – est un des bons moyens pour faire avancer des sujets dans notre pays.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST. Merci, monsieur le Président. Quelques propos introductifs avant de donner la parole à M. François Houllier, président de l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi) et président directeur général de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), et avant de présider la table ronde sur les enjeux pour la sécurité alimentaire, ainsi que le cadre réglementaire.

Je souhaiterais vous accueillir chaleureusement et m’exprimer à plusieurs titres, et tout d’abord, comme l’a dit le président Jean-Yves Le Déaut, en tant que premier vice-président de l’OPECST. Nous travaillons comme les jésuites et les dominicains ; nous allons de haut en bas et tous les trois ans, nous passons d’une assemblée à l’autre. J’étais donc président de l’Office au cours des trois dernières années.

Je m’exprime ensuite en qualité d’ingénieur agronome mais dans cette honorable assemblée, ça ne signifie pas grand-chose ! Et enfin au titre d’exploitant agricole que je suis depuis une quarantaine d’années en Haute-Marne.

Tout d’abord, un mot sur l’esprit dans lequel l’Office organise sa réflexion. Comme vous le savez, notre Office est fondé à s’intéresser à tous les choix scientifiques et technologiques. Il attache un intérêt particulier aux questions environnementales et doit toujours donner la parole de manière équilibrée à toutes les parties prenantes. Telle a toujours été et telle demeurera sa ligne de conduite.

La filière semencière est un thème d’avenir, voire de prospective, ce qui est loin d’être un champ étranger à l’Office. Cette filière doit nous conduire à nous rappeler que l’agriculture est, pour notre pays, une ressource infiniment précieuse que nous devons préserver et développer. Cela laisse ouverts tous les champs de réflexion mais non tous les champs des possibles.

À l’heure actuelle, la tendance consiste à opposer les praticiens aux chercheurs. En matière d’agriculture, elle conduit à considérer les agriculteurs comme des suiveurs alors qu’ils ont été, au cours des siècles, des précurseurs. Ce sont les agriculteurs qui, dans le monde entier et depuis le début de l’agriculture, ont testé de nouvelles solutions, de nouveaux croisements et trouvé de nouvelles espèces, comme le rappelait notre président. Il faut respecter cette tradition et l’enrichir grâce au niveau élevé de la recherche agronomique actuelle, en liaison avec les agriculteurs.

Il ne faudrait surtout pas, au nom d’une recherche relayée par une industrie rationalisée, aboutir à exclure les agriculteurs du lien ancestral qu’ils ont avec la sélection des semences. Chacun voit que je fais notamment allusion à la brevetabilité du vivant et à une restriction des possibles en matière de choix agricoles.

La recherche doit nous conduire vers plus d’indépendance car la souveraineté nationale passe aussi par une indépendance agricole pérenne. C’est une question stratégique. De plus, les choix d’un agriculteur sont étroitement dépendants à la fois de considérations pragmatiques et de long terme. C’est important, d’autant plus que ce comportement est en voie de disparition dans nos sociétés qui ont tendance à perdre de vue l’un et l’autre, dédaignant le pragmatisme et négligeant le long terme.

À cet égard, en tant qu’élu, je déplore vivement que les visions de long terme aient tendance à ne plus conditionner les choix les plus immédiats. Cette attitude fragilise nos sociétés. Or, que font spontanément les agriculteurs ? Ils doivent d’abord tenir compte de la météorologie, ne serait-ce que pour pouvoir pénétrer dans leur champ et y travailler. Ils doivent également tenir compte du long terme pour anticiper le moment des récoltes, prévoir les assolements, respecter la permanence des haies, des boisements sur le faîte des collines. Comment oublier que ce sont les oiseaux à proximité des champs qui assurent l’autorégulation automatique des insectes de nature à nuire aux cultures, que ce sont les boisements qui empêchent l’érosion ?

Surtout, l’agriculteur devra se préoccuper de la richesse première que constitue son domaine agricole. Je n’évoque pas là, comme vous l’aurez compris, le prix de la superficie à l’hectare, comme pourraient le croire les citadins, mais bien l’état même du sol, sa bonne santé, la présence de lombrics car la vie doit y demeurer. Les techniciens, impatients de rendements, tendent à appauvrir ce sol, allant parfois jusqu’à le tuer.

À propos du sol et de la recherche, là encore, tout est question d’équilibre. Comme le sait le président de l’INRA, ici présent, je lui ai proposé qu’une dizaine d’hectares de ma propriété soient affectés à des expérimentations de l’Institut, non pas pour y cultiver des OGM mais pour évaluer les types et les qualités d’intrants nécessaires au sol particulièrement caillouteux du plateau du Barrois. Je lui ai fait cette proposition il y a plus d’un an, au Salon de l’agriculture. Peut-être va-t-il aujourd’hui donner sa réponse ?

Toujours soucieux de coller au terrain, je crois sincèrement qu’il ne faut pas tenter d’imposer des solutions trop générales y compris sur le territoire français. Certains le considèrent trop exigu ou trop divers mais ses traditions comme son potentiel agricole exceptionnel doivent être pris en compte.

Il faut encore moins avoir une attitude simplificatrice au niveau mondial et ne pas tenter de soumettre l’agriculture et les semences, c’est-à-dire la biodiversité de ce secteur vital, à des règles industrielles et financières à visée mondiale qui ne suffiraient sûrement pas à assurer l’harmonie des cycles de l’eau, de l’azote et du carbone indispensables à l’agriculture, donc à notre génération et aux générations futures. Ces cycles vitaux ne doivent être ni pollués, ni interrompus mais en équilibre les uns par rapport aux autres.

Ces quelques considérations générales et essentielles à mes yeux recueilleront peut-être davantage d’échos au cours de la deuxième table ronde à laquelle je ne pourrai malheureusement pas participer. Je suis certain que Mme Anne-Yvonne Le Dain, ma chère collègue, la présidera avec beaucoup de maestria. Mais ces questions devraient sans nul doute être évoquées dans les débats et rester présentes dans l’esprit de tous chaque fois qu’il s’agira de simplifier, de rentabiliser en faisant abstraction soit de la diversité agricole, soit de l’action ou encore de l’opinion des agriculteurs.

J’ai souhaité évoquer ces quelques axes de réflexion pour illustrer la difficulté du thème que nous traitons aujourd’hui. Il ne doit pas, quel que soit l’état des lieux, être conçu hors de perspectives équilibrées de long terme ni sans tous ceux qui doivent y participer et y contribuer.

Monsieur Jean-Yves Le Déaut, merci beaucoup. Je salue la présence de Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, qui est aussi un des piliers de l’Office, et de M. Pierre Médevielle, sénateur et nouveau membre de l’Office, très, très présent dans nos travaux. M. François Houllier, vous avez la parole pour introduire ce débat.

M. François Houllier, président de l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi), président directeur général de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Merci, monsieur le président de l’OPECST. Mesdames et messieurs les vice-présidents de l’Office, mesdames et messieurs les sénateurs et députés, mesdames et messieurs, chers collègues. J’ai plaisir à revenir dans cette enceinte. Vous nous avez invités au titre de l’Alliance que je préside à intervenir le 3 juillet 2014 sur la question de l’innovation en matière de recherche environnementale. Nous allons traiter cet après-midi d’un sujet un peu plus particulier, d’un segment plus précis, celui des semences et plus généralement des ressources génétiques, de la création variétale et de l’amélioration des plantes. Je suis donc heureux d’être là aujourd’hui.

Je vais intervenir plutôt au titre de président de l’Alliance qu’au titre de président directeur général de l’INRA puisqu’un collègue de l’Institut interviendra tout à l’heure. Je sais que je dois donner une réponse à M. Bruno Sido et nous aurons le temps de le faire dans d’autres circonstances.

Je voudrais insister sur trois points.

Premier point, pourquoi ce sujet est-il aussi important pour l’AllEnvi, qui rassemble l’ensemble des institutions de recherche qui s’intéressent à l’environnement, à l’alimentation, au climat, à l’eau, à la biodiversité, au territoire ?

Deuxième point, quelles sont les recherches publiques menées sur ce sujet ? Cette question sera, je pense, illustrée par mes collègues, du CIRAD, de l’IRD et de l’INRA.

Troisième point, quelle est la nature du partenariat et quel est le modèle d’innovation dans ce domaine ? Je poserai la question plutôt que la traiter au fond.

Premièrement, ce sujet est important – et cet aspect a été bien évoqué dans les propos liminaires – car les semences sont à la fois un bien public et un bien privé marchand. Nous sommes dans cette double acception. C’est un bien public pour les raisons évidentes qui ont été évoquées. Les semences jouent un rôle essentiel depuis les origines de l’agriculture, quelle que soit sa forme. Elles sont
– et nous y reviendrons cet après-midi – étroitement connectées aux questions relatives aux ressources génétiques, à la biodiversité, à la génétique. Nous sommes bien là dans des dimensions de bien public et le lien a été également fait avec la notion de sécurité alimentaire. Et par ailleurs, les semences sont des biens privés.

Je vais illustrer cela par quelques éléments. Les semences constituent une filière économique compétitive et la France est un leader mondial dans ce domaine. J’ai rassemblé quelques chiffres ; ce n’est pas toujours facile car les sources sont variées.

Le marché mondial de semences commerciales a été évalué à près de 60 milliards de dollars en 2012. La part des échanges internationaux est considérable et ils ont crû de manière spectaculaire au cours des dernières années. Ils sont passés de 25 milliards de dollars en 2005 à 45 milliards de dollars aujourd’hui et un tiers de ces échanges concernent les semences génétiquement modifiées, un secteur en très forte croissance.

Je ne reprendrai pas tous les chiffres concernant la France car je pense qu’ils seront évoqués par certains collègues ensuite. C’est un domaine dans lequel la balance commerciale de la France est excédentaire avec 700 millions d’euros par an. Il représente donc une activité économique significative.

Si on se place au niveau des acteurs de la filière et non plus des données macros, on constate qu’il s’agit d’une activité rémunératrice et à haute valeur ajoutée pour les entreprises de sélection et de production, mais aussi pour des agriculteurs. En France, 400 000 hectares sont dédiés à la multiplication des semences. Il y a là un enjeu particulier. C’est une activité particulièrement technique qui pose des questions en termes de formation, notamment dans le domaine des BTS agronomiques et de production végétale. Car multiplier des semences pour produire n’est pas tout à fait la même chose que de produire à des fins alimentaires.

Les semences encapsulent une partie du progrès technique en agriculture. On considère par exemple que pour la betterave, près de la moitié des gains de rendement en sucre sont dus à la génétique, l’autre moitié venant de l’agronomie. Pour d’autres cultures comme les céréales à paille et le blé, pour lequel on observe une stagnation des rendements, il y a un équilibre entre les gains dus à la génétique et ceux dus aux facteurs agronomiques et climatiques. Les semences encapsulent bien une partie du progrès technique. Et pour un même objet – un grain de blé ou une semence de colza – le gain varie de 1 à 3 à 1 à 20 selon qu’il est utilisé pour l’alimentation humaine ou pour l’alimentation du bétail. Les semences ont une valeur technologique particulière.

Le progrès technique conduit aussi à poser la question de la qualité qui sera certainement évoquée tout à l’heure. C’est un enjeu en soi. Des recherches sont menées sur la qualité sanitaire, sur la qualité germinative. Les semences peuvent être porteuses d’autres innovations, plus ou moins débattues, plus ou moins bénéfiques. L’enrobement des semences est une réalité pour des produits phytosanitaires. Par exemple, l’enrobement par des symbiotes qui permettent d’obtenir des fixateurs d’azote est clairement bénéfique. Demain probablement, l’enrobement se fera par des produits de bio-contrôle. On le voit, la semence est un véritable vecteur de progrès technique.

J’ai observé que le récent rapport du député Dominique Potier sur le Plan Ecophyto identifie la création variétale comme un des leviers pour réduire l’usage des produits de synthèse, des pesticides dans l’agriculture. Les semences joueront un rôle dans ce domaine.

Enfin, et cela a été évoqué, les semences sont au cœur de réglementations à forts enjeux. Dans la recherche publique, il y a un attachement au certificat d’obtention végétale (COV). Je préside un organisme qui a été amené à s’adresser à plusieurs reprises au ministre de l’Agriculture et au ministre de la Recherche pour souligner l’importance du COV.

Beaucoup de liens existent entre recherche publique et critères réglementaires. Quand on veut élargir la notion de valeur agronomique et technologique des semences, on est obligé de s’interroger sur les bases scientifiques de la définition des critères qui vont fonder la VAT (valeur agronomique et technologique) ou la VATE (valeur agronomique, technologique et environnementale). Actuellement, une évolution réglementaire européenne est en cours dans le domaine des OGM et elle amène aussi un certain nombre de questions.

Pour toutes ces raisons, l’initiative que vous avez prise est intéressante du point de vue de la recherche publique.

Quelques mots sur les recherches publiques menées sur les semences, et sur les organismes concernés. À certains égards, c’est une façon de poser des questions pour cet après-midi. L’INRA mais aussi le CIRAD, l’IRD, le CNRS, d’autres organismes, les écoles d’agronomie, les universités sont concernés. Si on prend l’exemple de l’INRA et si on parle des semences stricto sensu, les chercheurs qui travaillent sur le sujet sont une dizaine. Si on se tourne vers les chercheurs s’occupant de création et d’innovation variétales, leur nombre s’élève alors à quelques dizaines. Mais si on prend en compte tous ceux qui s’intéressent aux questions des ressources génétiques, de génétique, de l’amélioration des plantes, on compte une centaine de chercheurs. Selon les sujets que nous aborderons cet après-midi, nous varierons entre ces ordres de grandeur, qui sont similaires dans les autres organismes de recherche.

S’agissant de la recherche publique, trois questions me paraissent essentielles. La question des ressources génétiques tout d’abord, qui n’est pas liée à celle des semences. La recherche publique porte – elle n’est pas seule – la conservation d’un certain nombre de collections de ressources génétiques. Pour les seules céréales à paille, cela représente 12 000 accessions de blé tendre et apparenté, 2 800 accessions de blé dur, 6 500 accessions d’orge sans parler des autres. Des questions se posent en termes d’infrastructures de conservation, de caractérisation et de mise à disposition. Dans le dispositif actuel d’infrastructures de recherche publique, ce domaine a été quelque peu oublié par le programme des investissements d’avenir. Il y a là un véritable enjeu si on considère que ces ressources génétiques sont un bien public. Des besoins d’infrastructures dédiées existent en matière de conservation et de caractérisation, de système d’information, de diffusion et de dissémination.

Le deuxième point que je voulais évoquer concernant la recherche publique est l’existence d’un instrument, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), qui ne traite pas seulement de la question des ressources génétiques ou phytosanitaires. La FRB s’intéresse à l’ensemble de la biodiversité et c’est un outil commun du CIRAD, du CNRS, de l’INRA, du BRGM et d’autres organismes, particulièrement pertinent.

Enfin, le troisième point concerne la question des partenariats. Je pense qu’elle sera présente lors des débats car nous reconnaissons dans la salle des partenaires importants et de nature différente. Il y a les acteurs économiques de la création et de la sélection variétales ; ce sont, d’une part, des entreprises et, d’autre part, des agriculteurs. Dans le cadre du groupement d’intérêt scientifique (GIS) « Biotechnologies vertes » qui réunit le CIRAD, le CNRS, l’INRA, le CEA, nous travaillons ainsi avec un certain nombre d’entreprises privées pour porter, incuber des idées qui feront naître des projets portant notamment sur la création variétale.

Je dis au passage, et je crois que c’est plus utile que ce soit un représentant de la recherche publique qui le dise, que les entreprises impliquées dans la sélection en matière de semences investissent entre 10 et 15 % de leur chiffre d’affaires en recherche et développement. Ce ratio est comparable à ceux que l’on trouve dans les secteurs les plus innovants, comme le numérique ou certains domaines médicaux. Il s’agit d’un secteur où l’on trouve beaucoup d’innovation.

Dans le même temps, le CIRAD, l’IRD, l’INRA travaillent également avec le monde agricole sur ce sujet, y compris sur des projets de sélection participative.

La notion de partenariat doit donc être vue sous toutes ces formes, concernant à la fois les acteurs agricoles, les paysans, et les entreprises. Il est essentiel que la recherche publique traite de l’ensemble de ces partenariats.

Au-delà de ces acteurs économiques, le deuxième grand type d’acteurs partenaires sont ceux en charge de l’évaluation et de la certification des semences. Ils jouent un rôle central. Pour l’INRA, qui mobilise beaucoup d’énergie et de moyens sur ce sujet, il y a d’une part, le Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences (GEVES) et, d’autre part, le Comité technique permanent de la sélection (CTPS). On compte 117 chercheurs ingénieurs de l’INRA impliqués dans les instances du CTPS. Vous pouvez ainsi voir de quelle manière la recherche publique est amenée à intervenir sur les notions de certification et de réglementation.

Je voulais évoquer deux derniers points sur les partenariats. Un certain nombre de pôles de compétitivité jouent un rôle important et réunissent recherche publique et acteurs privés. Je ne vais pas les citer tous mais en Auvergne, dans la Céréales Vallée, à Angers, à Montpellier, en PACA, à Toulouse, des pôles de compétitivité accordent une place essentielle aux questions des semences, de la diversité génétique et de la création variétale.

L’autre point concerne le modèle d’innovation. Ce sujet sera, je l’imagine, évoqué cet après-midi et il a fait l’objet d’un travail particulier du conseil scientifique de l’INRA.

La recherche publique est attachée au COV. C’est un modèle d’innovation ouverte qui a fait ses preuves. Il est concurrencé par d’autres formes, notamment par le brevet. C’est un enjeu particulier dont mes collègues auront certainement envie de parler.

Nous sommes également fortement sollicités pour appuyer la réflexion de l’administration dans les réflexions sur l’évolution des dispositifs nationaux et européens de régulation. J’imagine qu’ils seront évoqués tout à l’heure.

En conclusion, les semences sont un vecteur de progrès technique pour toutes les formes d’agriculture – en tous les cas, c’est ce que nous percevons – et elles jouent un rôle essentiel en articulant les notions de bien public et de bien privé. Je vous remercie.

PREMIÈRE TABLE RONDE : ENJEUX POUR LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET CADRE RÉGLEMENTAIRE

Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST

M. Bruno Sido, premier vice-président de l’OPECST. Merci monsieur le président. Nous allons commencer la première table ronde. Notre temps est limité et si on veut laisser place à la discussion et aux échanges – c’est un des rôles de ces auditions – je propose que chaque intervenant ne dépasse pas un temps de parole de huit minutes. Je donne la parole à M. Michel Eddi et à M. Philippe Feldmann.

M. Michel Eddi, président directeur général du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). M. Philippe Feldmann, en charge de ces sujets dans l’établissement, va faire une courte présentation. En introduction, je voudrais juste insister sur le fait que la question se pose scientifiquement dans les mêmes termes que ceux présentés par M. François Houllier, avec une dimension complémentaire marquant notre activité.

Nous travaillons en effet en coopération avec les pays du Sud et nous partageons avec eux l’ensemble des sujets sur lesquels nous intervenons. Les questions que nous posons ici à l’échelle nationale se posent avec nos partenaires du Sud dans des termes similaires. Les questions de la gestion de la propriété intellectuelle – COV et toutes les formes de valorisation – doivent faire l’objet d’accords.

Nous coopérons également avec des entreprises françaises de la filière semencière intéressées par les variétés de plantes tropicales sur lesquelles nous travaillons, dans une logique de partenariat public-privé pour un bénéfice partagé sur les travaux de recherche.

M. Philippe Feldmann, chargé de mission Biodiversité, CIRAD. Je rappellerai rapidement, car cela a déjà été dit, que l’agriculture est au cœur de l’enjeu alimentaire mondial avec un nombre d’individus à nourrir en augmentation dans les décennies à venir.

L’agriculture est un secteur économique clé des pays en développement. Actuellement, 47 % des pauvres de ces pays vivent en zone rurale où leurs ressources proviennent essentiellement de l’agriculture. Parallèlement, 20 % de la population mondiale est en situation d’insécurité alimentaire.

Un nouvel enjeu prioritaire est apparu, c’est l’adaptation aux changements globaux ; il ne s’agit pas du seul changement climatique mais aussi de toutes les mutations liées à la démographie et aux activités humaines.

Dans ce contexte, l’enjeu est de créer un nouveau modèle de développement créateur d’emplois agricoles en milieu rural.

On considère qu’il y a trois leviers principaux pour relever le défi de la sécurité alimentaire dans les pays en développement.

Le premier levier se situe sur le plan proprement alimentaire. Il faut produire plus et mieux pour satisfaire les besoins et ce, sur des surfaces limitées et en décroissance. Dans cette perspective, de « nouvelles » sciences se développent : on redécouvre en effet des méthodes qui étaient déjà appliquées. C’est le cas avec l’agro-écologie. Il s’agit d’augmenter la production en réduisant les impacts sur l’environnement et sur les ressources. La notion de « climate smart agriculture » est apparue, consistant à transformer, à réorienter les systèmes agricoles face aux nouvelles réalités des changements globaux.

Le deuxième levier est d’ordre sociétal. Il faut changer les comportements alimentaires, limiter les gaspillages. On évoque les évolutions des régimes pour utiliser moins de calories animales mais aussi la préservation des équilibres sociétaux avec l’agriculture familiale et les emplois liés en milieu rural.

Le troisième levier est d’ordre économique et consiste à faciliter l’accès au marché des produits alimentaires, l’accès aux terres et aux semences, à travailler sur la réduction de la volatilité des prix ou sur l’économie circulaire pour être plus adapté aux enjeux locaux.

Les pratiques de gestion des semences et de l’agro-biodiversité, comme cela été présenté en introduction, ne sont pas nouvelles pour les agriculteurs. Ce sont des pratiques séculaires de gestion de la biodiversité cultivée qui ont favorisé l’adaptation et la résilience.

Actuellement, environ 75 % des semences alimentaires utilisées en Afrique sont échangées dans le système semencier traditionnel ; ce sont des variétés sélectionnées selon des méthodes traditionnelles. On observe néanmoins une évolution vers une intensification progressive et durable des structures de production traditionnelle pour pouvoir satisfaire des demandes associant savoirs locaux et savoirs des chercheurs. C’est le cas particulièrement pour les cultures vivrières et maraîchères et les céréales.

Une évolution est également en cours vers des modèles différents de ceux pratiqués par le passé dans ces pays, avec l’introduction de variétés hybrides, l’utilisation de biotechnologies pour des espèces investies, mais pas toujours, par le secteur privé, ou encore d’espèces dites industrielles (maïs, coton, palmier à huile, …).

Quels sont les semences et les plants utilisés ? Nous associons les plants, créations végétatives, car le schéma est relativement similaire dans le principe de mise en place d’une culture et d’une production. Quels sont les statuts et quels sont leurs impacts ?

Tout d’abord, il faut rappeler qu’il n’y a pas de production sans semences et sans plants. C’est indispensable pour la sécurisation et la qualité de la mise en place des cultures. Nous avons besoin de semences et de plants en quantité et de qualité.

Nous avons parlé de l’organisation de la filière de production de semences, et de la sécurisation réglementaire et économique qui vont permettre de produire les semences, notamment dans le milieu de l’agriculture familiale sur lequel nous travaillons. C’est une voie privilégiée d’introduction de l’innovation et de l’adaptation, comme l’a dit François Houllier.

Qu’en est-il de la production de semences et de son utilisation dans les pays en développement ? Le secteur semencier commercial est très présent au niveau mondial. Néanmoins, le secteur informel est dominant dans ces pays avec un système assez proche de celui des semences de ferme. L’enjeu actuel est de favoriser la professionnalisation des multiplicateurs de semences, qui sont des paysans, et de favoriser l’accès et l’utilisation de semences de qualité améliorées par les agriculteurs, par une voie de certification ou non. Au cours de ces étapes, les aspects réglementaires ou leur absence, leurs difficultés d’application ou leur appropriation sont des facteurs déterminants.

Quelques descriptions rapides des enjeux des droits de propriété intellectuelle pour l’accès aux semences. Différents acteurs économiques coexistent, avec une forte tendance à la concentration de l’industrie semencière au niveau mondial. Des monopoles économiques sont associés aux innovations végétales. Elles supposent des capacités financières et logistiques qui ne sont pas toujours disponibles dans certains pays du Sud.

On observe également une défaillance de l’information des paysans sur les impacts dans l’utilisation des semences des droits de propriété intellectuelle. Les critères d’évaluation des cultivars, opérationnels ici, ne sont pas toujours transposables tels quels. On peut citer, par exemple, la difficulté d’inscription au catalogue de variétés dites traditionnelles ou de variétés de population.

L’autre enjeu concerne le maintien de l’accès au vivant. Nous avons entendu parler de l’importance des infrastructures, par exemple celle des centres de ressources biologiques pour assurer la traçabilité, la qualité de la conservation et la possibilité de mise à disposition. C’est également très important dans les pays en développement. Une vigilance est nécessaire sur les règles liées à la brevetabilité, sur les clauses contractuelles dans les négociations où les rapports de forces sont déséquilibrés, notamment en zone de petit paysannat. Il existe une clause de petit producteur, introduite par le CIRAD dans certains de ses contrats, dans le cadre de l’EGER Génoplante et biotechnologie végétale.

Il est également important de maintenir des exemptions en matière de recherche sélection et de semences de ferme et d’avoir une réflexion sur les systèmes sui generis adaptés. On pense au TIRPAA, le traité international sur les ressources phytogénétiques utilisées pour l’alimentation et l’agriculture de la FAO mais aussi aux évolutions plus récentes avec la mise en place de réglementations aux niveaux européen et français pour l’accès, le partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques.

Dans les pays en développement, une réflexion existe également sur la mutualisation des capacités d’échange et de gestion des ressources génétiques au niveau de sous-régions ou de régions associant différents pays.

Que fait le CIRAD en matière de sécurité alimentaire ? Je vais essayer d’aller très vite. La plupart des travaux contribuent directement ou indirectement à cet objectif. Ils concernent l’augmentation de la production agricole (avec l’amélioration génétique, la lutte contre les maladies, l’amélioration des systèmes de culture et la réduction des pertes) mais aussi l’amélioration de la compétitivité des productions paysannes, des revenus des agriculteurs et des acteurs de la filière agroalimentaire (amélioration de la qualité et réduction des coûts). Enfin, ces travaux contribuent aussi à l’amélioration de la qualité sanitaire, nutritionnelle et sensorielle des aliments et à la valorisation des produits locaux traditionnels. On le voit, à chacun de ces niveaux, la semence a un rôle important à jouer

Je vais donner quelques exemples opérationnels. Pour le dépôt de titres de propriété intellectuelle, les partenaires du Sud sont associés à des COV ou à d’autres systèmes de protection. Les licences que nous pouvons accorder se font sous réserve de faciliter l’accès aux semences, voire de l’accès gratuit pour les petits producteurs. Il faut procéder à une analyse fine des filières pour éviter de déstabiliser les producteurs locaux de semences, notamment les agriculteurs traditionnels qui sont les premiers producteurs de semences dans ces pays.

Nous veillons également à l’obligation d’information explicite sur les technologies utilisées et les conséquences au niveau juridique comme agronomique. En effet, le CIRAD reste vigilant pour préserver, dans les licences, la situation des petits producteurs, souvent peu informés.

Nous développons des formations pour nos partenaires sur les échanges et l’utilisation des ressources génétiques, l’élaboration de guides de bonne pratique comme par exemple les lignes directrices pour l’accès et le transfert des ressources génétiques, mise en place en collaboration avec le CIRAD, l’INRA et l’IRD. Nous avons aussi d’autres documents plus locaux, par exemple pour la production de semences au Burkina-Faso ou au Mali.

Je suis désolé d’avoir été un peu trop long par rapport au temps imparti.

M. Bruno Sido. C’était très intéressant. Je remercie les orateurs suivants de respecter le temps de parole. Merci au CIRAD. Je donne la parole à M. Bernard Dreyfus et à M. Jean-Louis Pham.

M. Bernard Dreyfus, directeur général délégué à la science de l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Je vais compléter rapidement ce qu’ont dit mes collègues du CIRAD car pour l’IRD, les enjeux sont également au Sud. Le président Le Déaut rappelait précédemment qu’il y avait 10 000 ans d’histoire et d’innovation dans le domaine des semences. Cette histoire nous vient du Sud car pratiquement toutes les plantes cultivées trouvent leur origine au Sud. On le voit par exemple pour le blé et l’orge, à partir du croissant fertile, pour le soja et le pêcher en Chine, pour le riz et le sorgho en Afrique, …

L’exemple du mil montre qu’il existe une interaction entre la plante, les semences, l’environnement et les sociétés. Il est intéressant de voir que parmi les grandes plantes tropicales, un nombre très élevé d’entre elles sont issues de semences fermières. Les Portugais ont introduit le maïs au XVIe siècle et des populations africaines se sont réapproprié les semences d’origine qui représentent encore 30 % de leurs ressources. Cela n’est pas sans poser des problèmes de productivité car ces variétés sont beaucoup moins productives que les nouvelles. Mais cet exemple illustre l’importance que les populations accordent au goût et à certaines caractéristiques de ces variétés qu’il faut sans doute conserver.

La leçon de la révolution verte montre qu’il faut concilier des enjeux potentiellement antagonistes entre production – je dirais productivité – et biodiversité, entre innovation industrielle et innovation paysanne puisque les agriculteurs sont également des sources d’innovation.

Cela rejoint un autre enjeu, la préservation des ressources, dans les pays du Sud mais également en France. Un projet a été mis en place à Montpellier avec la Région, l’Union européenne, l’INRA, qui en est le leader, le CIRAD, SupAgro, Agropolis, et l’IRD. Il s’agit de créer une plateforme ouverte et innovante pour conserver et analyser les ressources biologiques méditerranéennes et tropicales. Ce projet s’appelle Arcade et montre la nécessité de regrouper dans un centre toute la richesse que possède la France avec toutes ses semences issues de différents climats.

Car avec l’Outre-Mer et les collaborations dans les pays du Sud, nous couvrons tous les climats. C’est une richesse exceptionnelle, il est nécessaire de ne pas perdre des collections. J’ai vu au cours de ma carrière des chercheurs disparaître avec leurs collections extrêmement précieuses. Ce type d’outil permettrait de les conserver pour les générations futures. L’IRD a développé une technique de cryoconservation pour conserver les semences qui se conservent très mal ; elle peut être utile à l’ensemble des partenaires ici présents.

Pour illustrer l’importance de l’objet changement climatique, on prendra l’exemple du mil. On s’est aperçu que les paysans, dans la zone sahélienne où est cultivé le mil, faisaient en sorte de sélectionner des variétés qui s’adaptent au changement climatique. Ce lien entre semences et changement climatique est extrêmement important, dans la perspective de la future COP 21.

Je prendrai un autre exemple chez nos collègues tunisiens qui travaillent sur l’orge dans le sud de la Tunisie. Ils ont perdu énormément de biodiversité dans les variétés d’orge et ils sont obligés de demander à l’USB américaine de leur redonner des semences que les Américains ont récoltées dans les années 1960-70, moyennant finances d’ailleurs. C’est un problème pour tout le monde de conserver ce potentiel et de ne pas perdre des variétés adaptées à des conditions climatiques spécifiques.

Autre exemple issu des variétés de céréales dites mineures mais qui sont importantes en Afrique. C’est le cas du fonio où il y a toute une diversité à conserver. On peut aussi estimer que la France n’a pas su conserver une diversité de variétés, dans le cas par exemple des épeautres d’hiver ou de printemps ou de certaines lentilles, notamment fourragères. Nous avons perdu des variétés et il ne faudrait pas que ce soit le cas en Afrique.

Dernier exemple : on a constaté l’intérêt de croiser des variétés de riz éloignées, un riz africain et un riz asiatique notamment.

L’accès à la diversité est également un réel enjeu. Le partage des avantages, le droit à la propriété intellectuelle sont très importants pour les acteurs du Sud. Il faut mettre au point des outils d’aide aux bonnes pratiques ; l’INRA et le CIRAD l’ont fait. Avec la globalisation des systèmes d’information, un effort doit également être fait en faveur d’un accès libre et gratuit aux données de la biodiversité, en particulier génomiques.

En conclusion, je dirais que la France a vraiment besoin d’un centre de niveau mondial pour la conservation et l’analyse des ressources génétiques, à l’instar de ce que font des pays comme les États-Unis, l’Australie, le Japon, les pays du Nord avec l’île de Spitzberg. Ce centre, du point de vue d’instituts comme le CIRAD et l’IRD, devrait également servir aux pays du Sud. Je rappelle l’exemple des Tunisiens qui avaient perdu toutes les ressources génétiques de l’orge dans le sud du pays.

Enfin, l’équilibre reste nécessaire entre la conservation de la biodiversité et l’utilisation des semences améliorées. Cela paraît évident mais, par exemple, pour un organisme comme la Fondation Bill Gates, ce n’est pas le cas ; elle soutient les semences améliorées à 100 %. C’est vraiment dommage car c’est une perte de biodiversité.

M. Bruno Sido. Merci infiniment d’avoir respecté le temps. C’était très intéressant. Je donne maintenant la parole à Mme Emmanuelle Soubeyran.

Mme Emmanuelle Soubeyran, chef du service des actions sanitaires en production primaire au ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Merci, monsieur le président. J’ai la tâche un peu ardue, toujours ingrate, de présenter la réglementation internationale et communautaire. Je vais directement passer à la présentation des différents axes de la réglementation internationale et communautaire. Il existe trois corpus de textes, de traités et de règlements qui ont trois objectifs bien distincts. Il faut bien le comprendre car on a tendance à passer de l’un à l’autre et cela peut être source de confusion.

Tout un bloc a pour objectif la conservation des ressources phyto-génétiques. Il s’agit de pouvoir conserver au niveau mondial une diversité de ressources phyto-génétiques qui sont extrêmement utiles pour tous les enjeux déjà évoqués.

Le deuxième corpus concerne la propriété intellectuelle. L’objectif est la protection des droits des obtenteurs dans le respect des droits des agriculteurs et dans une ambition de promotion de l’innovation variétale.

Enfin, le troisième bloc a pour objectif de garantir à l’utilisateur des matériels sains, loyaux et marchands. Tout un corpus de règles s’attache à la manière dont vont être commercialisés semences et plants.

Je propose d’examiner ces trois corpus les uns après les autres.

Pour la conservation et l’utilisation durable des ressources phyto-génétiques, il y a deux traités. Le TIRPAA, Traité international sur les ressources phyto-génétiques pour l’alimentation et l’agriculture, s’intéresse vraiment aux semences en lien avec l’agriculture et l’alimentation. Il prévoit que les parties signataires de ce traité mettent à disposition, dans le cadre d’un système multilatéral, les ressources génétiques des collections nationales appartenant à 64 espèces. Qui dit prévoir d’échanger ces ressources dit avoir des collections nationales. Aussi, je partage ce qui a été dit par les précédents orateurs sur la nécessité, en France, de mieux s’organiser dans ce domaine. Aujourd’hui, la France a rendu disponibles au sein de ce système multilatéral quatre collections (céréales à paille, maïs, plantes fourragères et pommes de terre).

Le Protocole de Nagoya, signé en 2010 et entré en vigueur en octobre 2014, a le même objectif mais avec un champ beaucoup plus large que le TIRPAA.

Toute une réglementation est relative à la propriété intellectuelle. Plusieurs systèmes sont possibles : il existe les brevets mais on peut prévoir des systèmes sui generis efficaces ou avoir des combinaisons de ces différents dispositifs.

Pour les semences, au niveau international, l’UPOV, l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales, a créé en 1961 le certificat d’obtention végétale (COV) dont nous avons déjà parlé. Il constitue un droit de propriété intellectuelle délivré à un obtenteur pour protéger sa variété. Il est délivré à la suite d’un examen. Il est très intéressant – et c’est pourquoi il a été défendu par le précédent ministre de l’Agriculture dans le cadre de la loi qui a transposé ces règles au niveau national – parce qu’il permet l’exemption du sélectionneur.

Cela signifie que la variété protégée par un COV est accessible à tous, gratuitement, pour la création de nouvelles variétés. Ainsi le COV encourage l’innovation variétale, ce qui n’est pas le cas du brevet. Et il prévoit l’exemption de l’agriculteur c’est-à-dire l’autorisation de reproduire sur son exploitation les semences pour sa propre utilisation à condition de contribuer à l’investissement par le paiement d’une indemnité. C’est ce qu’on appelle les semences de ferme, qu’il faut distinguer des semences paysannes sur lesquelles nous reviendrons au cours de la discussion.

Le dernier corpus de textes internationaux et européens sont relatifs à la commercialisation des semences et des plants. Il y a plusieurs étapes à considérer. Tout d’abord, pour l’inscription des variétés, il n’existe pas de réglementation internationale mais une réglementation européenne. L’objectif est de garantir à l’utilisateur que la variété est indentifiable et qu’elle possède une valeur culturale et d’utilisation suffisante. Cette inscription des variétés est obligatoire pour 250 espèces avant la commercialisation des semences et des plants. L’inscription a lieu après un certain nombre d’épreuves qui visent à permettre l’identification de la variété et ses performances. L’inscription est réalisée par les États membres et elle entraîne l’inscription sur un catalogue national. La compilation des catalogues nationaux constitue le catalogue commun européen accessible à tous les agriculteurs de l’Union européenne.

L’autre élément relatif à la commercialisation est la certification des lots de semences et de plants mis sur le marché. C’est une réglementation européenne – il n’existe pas de textes internationaux – et le principe de certification est obligatoire ou non selon les espèces. Il est obligatoire, par exemple, pour les céréales à paille, les pommes de terre, les protéagineux ; tous les lots de semences doivent être certifiés. Cette certification a lieu après des contrôles réalisés pour vérifier que la semence répond bien aux critères pour lesquels l’inscription a eu lieu au catalogue.

Enfin, toujours pour la commercialisation, la semence doit répondre à un certain nombre de garanties sanitaires, valables quelle que soit la semence. Elles ont pour objectif de protéger le territoire de l’Union européenne et de la France de l’introduction d’organismes en quarantaine, d’espèces exotiques envahissantes. Des textes existent au niveau international comme européen et c’est un point très important.

En conclusion, la réglementation peut paraître assez compliquée mais, du point de vue du ministère de l’Agriculture, elle est particulièrement importante car les semences constituent un maillon décisif pour un certain nombre d’enjeux majeurs, économiques et sociétaux, sanitaires et environnementaux.

Je voudrais insister sur ce dernier point et rebondir sur les propos du Président Houllier. C’est en effet un enjeu important dans le cadre du projet agro-écologique et en particulier du Plan Ecophyto car c’est un des éléments de la réduction de la dépendance de l’agriculture à un certain nombre d’intrants. Merci.

M. Bruno Sido. Merci, Madame Soubeyran. Je donne la parole à M. Dirk Theobald,

M. Dirk Theobald, responsable de l’unité technique de l’Office communautaire des variétés végétales. Je présenterai brièvement le système européen de protection des obtentions végétales. C’est un défi de le faire en moins de dix minutes mais l’oratrice précédente a déjà développé certains points et je présenterai les éléments-clés du système, la structure de l’Office, l’organisation des examens techniques et quelques chiffres.

Le système européen de protection des obtentions végétales est le système de protection intellectuelle des variétés instauré par une réglementation communautaire en 1994. Les droits de propriété intellectuelle (DPI) accordés sous ce système sont valides sur le territoire des 28 États de l’Union européenne. Le système communautaire coexiste avec les systèmes nationaux (24 États en disposent). L’obtenteur de ces pays a aujourd’hui le choix entre le droit de propriété national ou européen.

Le système européen est conforme à l’acte de 1991 de l’UPOV (Union internationale pour la protection des obtentions végétales) et 24 des 28 États de l’Union européenne sont membres de cette organisation. L’Union européenne en est aussi membre de plein droit en tant qu’organisation intergouvernementale.

Le système européen est fait sur mesure pour la protection intellectuelle de la matière vivante, des variétés végétales. Deux éléments-clés ont déjà été abordés : l’exemption des obtenteurs c’est-à-dire le privilège des obtenteurs d’utiliser des variétés protégées pour créer des nouvelles variétés ; l’exemption agricole, appelée semences de ferme.

En Europe, les variétés végétales ne peuvent pas être protégées par le brevet suite à la Convention des brevets européens et à la directive européenne sur les brevets et les inventions biotechnologiques.

Le système européen est ouvert à toute semence et à toute espèce botanique. L’OCVV a reçu à ce jour des demandes pour des variétés qui appartiennent à plus de 1 800 espèces différentes. La durée du droit est en général de 25 ans et pour les variétés de vignes, d’arbres et de pommes de terre, la durée est de 30 ans. Une protection provisoire a été instaurée pour couvrir la période entre le dépôt, la publication du dépôt et l’octroi du droit.

Quelques mots sur l’OCVV. L’Office est le gestionnaire du système. Je le souligne, ce n’est pas le législateur. C’est une agence communautaire autofinancée, les revenus de l’Office sont le produit des taxes payées par les obtenteurs. L’Office a sa propre personnalité juridique. Il est opérationnel depuis 1995 et basé à Angers depuis 1997. Il est dirigé par un président assisté par un vice-président, tous deux nommés par le Conseil de l’Union européenne.

L’Office emploie 45 personnes représentant 12 nationalités différentes. Le conseil d’administration, structure attachée à l’Office, contrôle ses activités ; il est composé de représentants des États membres, de la Commission européenne et de quelques organisations observatrices qui représentent les obtenteurs. Le conseil d’administration est également l’autorité budgétaire de l’Office et c’est une grande différence en comparaison à d’autres agences communautaires pour lesquelles le Parlement européen est l’autorité budgétaire.

L’Office n’a pas créé sa propre infrastructure pour les examens techniques qui servent à vérifier que les variétés candidates remplissent les conditions pour être protégées. Ils sont conduits par les offices dans les États membres ou à l’extérieur de l’Union européenne pour certaines espèces. En France, par exemple, c’est le GEVES, le Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences, qui procède à ces examens. Les offices d’examens sont nommés également par le conseil d’administration.

Un réseau d’offices d’examens nationaux a été créé et s’étend de la Finlande jusqu’au Portugal ou à la Grèce. Ils sont spécialisés dans l’examen DHS (distinction, homogénéité, stabilité) des variétés.

Dans la structure institutionnelle européenne, l’OCVV se situe en dessous des institutions communautaires (Conseil, Commission, Parlement, Cour de justice). Il a un conseil d’administration et une chambre des recours et ses collaborateurs sont représentés dans les offices nationaux d’examens, par exemple dans le GEVES en France.

Depuis sa création, l’Office a reçu plus de 50 000 demandes de protection et le nombre de dépôts d’OGM est environ de 50, ce qui est minime. Près de 40 000 titres communautaires ont été octroyés à ce jour et plus de 22 000 d’entre eux sont entrés en vigueur. Les variétés déposées appartiennent à 1847 taxons botaniques différents.

Les grandes cultures ne sont pas le secteur le plus important en nombre de dépôts à l’OCVV. C’est le secteur ornemental qui domine avec près de 60 % des demandes de dépôts, suivi par le secteur agricole, les plantes potagères et les fruits. Environ 80 % des dépôts proviennent de l’Union européenne et la France occupe la deuxième place après les Pays-Bas ; les 20 % de demandes extracommunautaires viennent surtout des États-Unis.

Pour conclure, l’OCVV, en tant qu’agence européenne, assure un gain d’efficacité pour la sélection végétale dans la mesure où il existe désormais une seule porte d’entrée pour obtenir la protection des variétés. Par le passé, les obtenteurs étaient obligés d’obtenir cette protection auprès de chaque administration nationale.

La protection des variétés végétales a un coût raisonnable qui permet aux PME d’obtenir un droit de propriété solide et aux obtenteurs un retour sur investissement. Je vous remercie de votre attention.

M. Bruno Sido. Merci. Je donne la parole à M. Alain Tridon

M. Alain Tridon, sous-directeur de la qualité et de la protection des végétaux au ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la forêt. Je vais présenter quelques éléments du dispositif français en trois aspects, donner des chiffres-clés, expliquer concrètement le fonctionnement du système français et proposer deux zooms particuliers sur des variétés populations, donc sur les semences paysannes, et sur les semences de ferme.

Le secteur semencier est important avec près de 9 000 salariés, 72 entreprises de sélection qui consacrent près 15 % de leur chiffre d’affaires à la recherche, près de 18 000 agriculteurs multiplicateurs de semences et un excédent de la balance commerciale de 830 millions d’euros.

La France est le premier producteur européen de semences, le deuxième exportateur mondial et, comme cela a déjà été dit, ce secteur apporte une contribution majeure à la sécurité d’approvisionnement des exploitations agricoles françaises.

La France a mis en place des dispositions réglementaires qui visent dans un premier temps à garantir à l’utilisateur une semence saine, loyale et marchande.

Les enjeux de sécurité alimentaire, de compétitivité des filières, la prise en compte de nouveaux débouchés et de nouvelles demandes environnementales et sociétales se sont progressivement intégrés dans le système réglementaire. Cela se traduit concrètement par des dispositions qui seront détaillées par les intervenants suivants. Les règles techniques permettant l’inscription au catalogue ont déjà été évoquées.

Le plan d’action « Semences et agriculture durable », lancé il y a quatre ans, est en cours d’actualisation. Il représente une dimension importante du plan sur les défis agro-écologiques français. Il permet de contribuer à l’évolution de la sélection variétale et de mieux prendre en compte la dimension de la diminution des intrants dans les semences et les plants.

Le catalogue français compte plus de 9 000 variétés inscrites issues de 250 espèces différentes, avec des variétés agricoles (4 800), potagères (2 600) mais aussi des variétés pour amateurs (300 variétés potagères inscrites) et des variétés de conservation (une douzaine). Comme cela a été rappelé, le catalogue de l’Union européenne, agglomération des catalogues nationaux des États membres, regroupe 40 000 variétés. C’est important car ce qui n’est pas inscrit en France mais inscrit dans un autre État membre de l’Union européenne peut être vendable sur le territoire français.

Prenons l’exemple des espèces potagères. Dans le catalogue français, il existe de nombreuses listes d’inscription. On citera quatre types de listes : les listes A et B pour les productions des professionnels dans et hors de l’Union européenne ; la liste D pour « amateurs » avec des variétés généralement plus anciennes, des contrôles allégés, des frais d’inscription moins importants que pour les listes A et B; la liste C pour les variétés de « conservation » avec des contrôles plus standard.

En parallèle, le développement des réseaux de ressources génétiques continue et il faut poursuivre leur structuration.

Comment se passe l’inscription concrètement ? Un obtenteur demande une inscription au CTPS (Comité technique permanent de la sélection). Le GEVES (Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences) se charge des examens et un certain nombre de tests de vérification est mis en place en fonction des règlements techniques.

Si les tests sont positifs, le CTPS propose l’inscription au ministère de l’Agriculture. L’inscription au catalogue se fait par arrêté ministériel publié au Journal officiel.

Le CTPS est une instance de taille importante composée de quatorze sections thématiques. Il a la particularité de réunir de nombreux experts publics et privés de l’ensemble de la filière semencière.

Les modalités d’inscription reposent sur deux grands concepts qui seront développés ultérieurement, les critères DHS (distinction, homogénéité, stabilité) et VATE (valeur agronomique, technologique et environnementale). La valeur environnementale est une innovation, une formalisation française dans la dynamique du Grenelle. Elle va dans le sens d’une meilleure valorisation et de la prise en compte de la dimension environnementale, notamment des résistances aux maladies.

Les tests DHS et VATE sont obligatoires pour les espèces agricoles. Pour les espèces potagères, seul le DHS est obligatoire ; pour les espèces fruitières, les inscriptions sont facultatives et en cas d’inscription, le DHS est obligatoire. Pour les espèces ornementales, il n’y a pas d’inscription. Le catalogue des variétés est donc pluriel dans ses ambitions et ne s’impose pas à toutes les espèces.

Je ferai deux zooms particuliers. Sur les variétés populations tout d’abord. Ce sont des variétés issues d’un processus de reproduction qui présente des degrés d’hétérogénéité puisqu’il s’agit de faire évoluer du matériel dans un contexte agro-climatique spécifique. Ces variétés populations – certaines sont appelées semences paysannes – sont évolutives dans le temps et peuvent, dans un certain nombre de cas, ne pas répondre aux critères DHS.

Une réglementation européenne votée en 2014 autorise une expérimentation temporaire en vue d’acquérir des données sur les modalités de commercialisation de variétés populations d’espèces végétales (blé, orge, avoine, maïs). Nous sommes en train de préparer, pour la France, un appel d’offre que nous mettrons à disposition très prochainement.

Un dernier point sur les semences de ferme. Il s’agit de récoltes, à partir de la production d’un agriculteur, de semences qui sont réensemencées sur son exploitation pour son propre usage. Comme cela a été évoqué, les règles du COV permettent l’exemption de l’agriculteur sous condition d’une indemnité sensiblement inférieure aux royalties. Les petits producteurs (par exemple, de moins de 20 hectares de production céréalière) sont exemptés de cette contribution, comme le prévoit la loi française du 8 décembre 2011. Aujourd’hui, 34 espèces peuvent bénéficier de ce dispositif en France et la loi encourage les accords interprofessionnels. Ils sont au nombre de deux, l’un concerne le blé tendre et l’autre le plant de pomme de terre. D’autres accords sont en cours de discussion. Merci.

M. Bruno Sido. Merci M. Tridon pour cette précision. Je passe la parole à M. Arnaud Deltour,

M. Arnaud Deltour, directeur général du Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences (GEVES). Merci M. Sido. Je vais présenter les activités du GEVES et la manière dont ses activités s’inscrivent dans la filière de production de semences.

Le GEVES est un groupement d’intérêt public (GIP). Ses partenaires fondateurs sont l’INRA, majoritaire, le ministère de l’Agriculture et le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS). C’est un organisme officiel unique en France dont la composition est très large avec des représentants issus du public et du privé.

Le GEVES intervient à trois niveaux, dont deux principaux. Il y a tout d’abord l’inscription au niveau de l’obtention des variétés et ensuite la certification des semences dans le circuit de commercialisation, la filière allant de la recherche et des ressources génétiques – où le GEVES est un petit peu présent - au consommateur final.

Je ciblerai mon intervention sur la partie inscription, mon collègue Joël Léchappé traitera de la partie certification.

Un obtenteur qui souhaite commercialiser une semence sur le territoire français doit passer par l’inscription. Le ministère de l’Agriculture désigne le CTPS et le GEVES intervient pour le compte du ministère et du CTPS (Comité technique permanent de la sélection). Le GEVES est en quelque sorte le bras armé sur le terrain et dans le laboratoire pour contrôler les critères DHS et VATE. La DHS (distinction, homogénéité, stabilité) pour une variété signifie qu’elle doit être distincte de celles existant déjà, homogène et stable dans le temps. Ces travaux sont réalisés par le GEVES. Il rend ses résultats au CTPS qui propose l’inscription au ministère. Le ministère décide de l’inscription des variétés au catalogue.

Le GEVES intervient ensuite dans le schéma de production des semences au deuxième niveau, en relation avec le SOC (Service officiel de contrôle et certification) et le GNIS. Le SOC, service de contrôle du ministère, demande au GEVES d’effectuer un certain nombre de contrôles en laboratoire, des contrôles de germination, d’analyse physique et de pathologies. Ils permettent de valider des semences de qualité marchande, loyale et saine, qui répondent aux critères de certification et peuvent être commercialisées.

Le GEVES intervient aussi en appui aux filières, à leur demande, dans le cadre d’actions qu’il mène classiquement dans ses missions.

Le GEVES abrite également l’INOV (Instance nationale des obtentions végétales), l’organisme qui permet de protéger les variétés sur le territoire français et donc d’avoir un COV spécifique. L’autre formule, comme l’a expliqué M. Dirk Theobald, est de s’adresser à l’OCVV pour bénéficier d’une protection européenne.

Je ne vais pas détailler davantage les procédures, présentées par M. Alain Tridon. Je précise que tous les résultats obtenus par le GEVES sont transmis à l’ensemble des sections du CTPS, lequel propose l’inscription des variétés au ministère de l’Agriculture.

Quelque 800 experts travaillent « bénévolement » pour le GEVES – dans la mesure où ils ne sont pas rémunérés dans ce cadre – et représentent un capital de connaissance qui n’existe nulle part ailleurs qu’en France.

Pour réaliser ses missions, le GEVES dispose de trois entités : le secteur d’étude des variétés, focalisé sur l’inscription des variétés ; le BioGEVES, qui est un laboratoire de biologie moléculaire ; la Station nationale d’essais de semences (SNES).

Le GEVES a plusieurs stations en France : cinq principales (deux potagères et ornementales et trois pour les grandes cultures) et par ailleurs il est abrité dans plusieurs stations de l’INRA. Il emploie 250 agents permanents dont 160 sont mis à disposition par l’INRA et des personnes en contrat temporaire, des saisonniers en particulier. Son budget est de 25 millions d’euros dont 10 représentent la contribution de l’INRA.

Ce réseau permet au GEVES de réaliser près de 95 % des études DHS. Il fait partie du réseau VATE qui regroupe une centaine de partenaires. Le GEVES représente 15 % de l’activité d’évaluation variétale de ce réseau, l’INRA 17 à 18 %, le reste étant réalisé par l’ensemble des obtenteurs et autres organismes et instituts techniques présents en France.

Le GEVES est également en relation avec ses homologues européens, les autres offices nationaux d’examens.

Je vais me focaliser maintenant sur le SEV (Secteur d’études des variétés) qui s’occupe plus particulièrement de l’inscription des variétés. Il mène deux types d’études. Les études DHS concernent chaque année 3 500 cultivars, environ 12 000 témoins. Les collections de références du GEVES comptent environ 60 000 variétés et, en ce sens, le Groupe participe un petit peu à la conservation des ressources génétiques.

Pour les espèces agricoles, les études VATE concernent environ 20 000 essais par an au champ, 100 000 micro-parcelles et 50 000 analyses technologiques sont en partie réalisées par le GEVES.

Le SEV réalise aussi les contrôles de variétés pour le compte du GNIS et du SOC à leur demande. Environ 25 000 lots de semences sont analysés chaque année aux champs. Et le SEV mène des recherches méthodologiques seul ou en partenariat avec l’INRA et beaucoup d’autres partenaires.

Tous ces partenariats participent au progrès génétique. Il est bien sûr avant tout le travail des obtenteurs et des organismes de recherche mais le GEVES y contribue à travers le CTPS. Celui-ci fixe les critères qui permettent d’augmenter année après année les niveaux que les obtenteurs doivent franchir pour inscrire leurs variétés.

Des évolutions très positives sont obtenues. C’est par exemple le cas avec la rouille jaune : les variétés inscrites sont de plus en plus tolérantes. Des progrès ont aussi été réalisés en matière d’efficience azotée ou de réduction des intrants.

Le GEVES possède également un laboratoire qui effectue des analyses biomoléculaires et biochimiques. Cela permet d’avancer sur l’identification de variétés, de gènes de résistances aux maladies, de pathogènes et de progresser sur les OGM. Nous venons dons aussi en appui aux travaux se situant aux frontières de l’innovation.

En conclusion, quelles sont les finalités objectives du GEVES ? Il s’agit d’abord de contribuer, avec l’ensemble des partenaires, à orienter, à évaluer et à diffuser le progrès génétique, d’être indépendant dans toutes les analyses faites pour le compte du ministère, d’augmenter l’attractivité du catalogue français et d’être le leader technologique sur un certain nombre de technologies utilisées.

Au-delà des aspects liés à la recherche, qui représente 6 % du budget du GEVES, je voudrais citer les propos imagés d’un sélectionneur qui m’avait dit, « les plantes nous parlent, il faut savoir les écouter ». Comme d’autres autour de cette table, nous écoutons les plantes au GEVES car toutes les solutions que nous trouverons pour nourrir 7 milliards d’individus aujourd’hui et 10 milliards demain se trouvent déjà dans les plantes.

M. Bruno Sido. Merci beaucoup, Monsieur Deltour. Nous continuons avec le GEVES et M. Joël Léchappé.

M. Joël Léchappé, directeur de la station nationale d’essais de semences (SNES) du GEVES. Merci monsieur le président. La SNES est un laboratoire du GEVES. C’est le laboratoire officiel de référence pour le contrôle de la qualité des semences en France. Il est au service de tous. L’évaluation de la qualité est un élément factuel de mesures.

Je vais aborder trois thèmes dans la présentation : le rôle de la SNES dans la filière, ses missions et quelques réflexions sur les orientations possibles auxquelles on peut contribuer pour faire évoluer la qualité des semences.

Le rôle de la station dans la filière se situe en aval de la protection et de l’inscription des variétés et entre les étapes pour la multiplication et la commercialisation, comme l’a montré le schéma présenté par Arnaud Deltour.

La SNES intervient principalement dans le cadre de la certification des semences sous l’autorité du SOC (Service officiel de contrôle et certification), soit en faisant directement des analyses, soit en encadrant techniquement des laboratoires d’entreprises qualifiés et reconnus pour effectuer les analyses de qualité sur leurs propres lots en vue de la certification.

Dans le cadre de l’appui à la filière, la Station intervient en appui direct aux entreprises pour faire des analyses import ou export ; ce sont d’ailleurs essentiellement des analyses export puisque la France est excédentaire.

Notre métier est le contrôle de la qualité des semences. Qu’entend-on par semences et par qualité ?

La semence, comme il a été dit, est un support de progrès génétique, de progrès technique ou technologique mais elle doit aussi garantir une bonne implantation de la culture. Pour cela, il faut une semence de la variété et de l’espèce souhaitées mais aussi sans impuretés, sans mauvaises herbes, de manière à ne pas contaminer les cultures suivantes. Il faut garantir une bonne levée, une bonne implantation, une semence exempte de maladies, saine.

L’ensemble de ces caractéristiques sont contrôlées par des tests de pureté variétale, de pureté spécifique, de germination, par des tests sanitaires. Les résultats de ces analyses doivent être conformes aux normes européennes et nationales de qualité.

Pour conduire ces analyses, il existe des méthodes standardisées au niveau international par une association, l’ISTA (International Seed Testing Association). Depuis le début du XXe siècle et à la demande de la Fédération internationale des semenciers (Seed Merchants Association), les États se sont associés via l’ISTA pour élaborer des standards d’analyse qui ont conduit à établir des règles d’analyse. Elles sont aujourd’hui référencées dans le système de certification de l’OCDE, dans les directives européennes, dans les réglementations nationales, en France notamment, dans les seed acts et aussi dans les règles d’importation d’un certain nombre de pays.

Ces règles sont aussi recommandées dans les usages commerciaux de l’International Seed Federation (ISF). Cette association, qui réunit 74 pays membres, a un comité exécutif actuellement placé sous présidence française. Le GEVES contribue à cette association afin de promouvoir ces méthodes.

Je voudrais donner maintenant quelques exemples des missions et des activités développées à la Station. Les 34 laboratoires qui travaillent à la SNES, comprennent une centaine d’ingénieurs et de techniciens et réalisent environ 80 000 analyses par an, réglementaires ou en appui à la filière, dont 10 000 à l’exportation. Cette part illustre la position française sur le marché mondial.

Dans le cadre des missions de ce laboratoire de référence, la SNES assure l’encadrement technique du réseau des 90 laboratoires d’entreprises reconnus, sous l’autorité du SOC. Cette mission s’appuie par exemple sur des audits, des contrôles d’analyses en double et sur l’organisation d’essais de comparaison inter laboratoires.

J’insisterai aussi sur les questions de formation et de qualification, très importantes dans notre métier. Pour ce métier d’analyse, il n’existe pas de formation scolaire, universitaire ou de BTS. Le savoir-faire est transmis d’expert à expert. On compte aujourd’hui quelque 400 experts, dont 300 qualifiés par la SNES dans les entreprises et une centaine à la SNES. Ils constituent un capital de compétences important qui contribue à promouvoir la qualité des semences françaises à l’international.

Concernant la recherche, le GEVES, comme l’a souligné Arnaud Deltour, consacre des moyens importants au développement de nouvelles méthodes. Cette évolution s’opère en participant à des programmes de recherche européens et nationaux. On développe en particulier des outils de phénotypage car c’est la base de notre métier. Ils sont basés sur l’analyse d’images et doivent venir en appui aux analyses.

Le campus d’Angers a mis en place des outils de phénotypage partagés avec l’INRA, l’université Agrocampus-Ouest sous la forme d’une plateforme ouverte aux chercheurs et aux professionnels.

Tous ces travaux de recherche ont pour objectif, de notre côté, de proposer régulièrement des évolutions des méthodes internationales.

Pour conclure cette présentation, je souhaiterais présenter trois objectifs de notre contribution possible à l’évolution de la qualité des semences.

Le premier concerne le capital de compétences dont j’ai déjà parlé. Nous avons en France un capital de compétences important, une ressource que peu de pays ont, voire unique. Néanmoins, l’allègement de certaines exigences réglementaires de formation et de qualification risque aujourd’hui d’affaiblir des compétences.

Je voudrais souligner qu’il faut préserver ce capital et le développer avec le réseau professionnel en ouvrant des formations dans les établissements scolaires et universitaires, par exemple de type BTS.

Le deuxième objectif concerne l’innovation et la recherche appliquée. Le GEVES a un lien fort avec l’INRA qui apporte un appui scientifique important ; c’est un atout majeur que n’ont pas nos homologues. Il faudrait que l’on valorise nos résultats de recherche en commun au niveau européen. Une des solutions pour le faire est de développer la catégorie des laboratoires de référence dans l’Union européenne. Cette catégorie n’existe pas dans le domaine des semences alors que c’est le cas dans d’autres. J’émets ici le souhait que l’on puisse porter ensemble ce projet et que le GEVES se positionne dans ce cadre.

Le troisième objectif est de consolider, en application de la loi de décembre 2011 sur les obtentions végétales, la création d’un statut de laboratoire de référence et de tous les statuts de laboratoire qui en découlent. Car il s’agit que tous les laboratoires français puissent jouer pleinement leur rôle de lien entre la réglementation, la recherche et les utilisateurs.

Il faut en effet pouvoir traduire les besoins des utilisateurs en questions de recherche quand c’est nécessaire, faciliter le transfert des résultats de la recherche vers ces utilisateurs et renforcer le lien qui existe déjà.

En conclusion, je dirais que le système de contrôle de la qualité des semences, tel que nous le connaissons, est bien organisé. Il s’appuie sur un réseau solide de laboratoires et fonctionne efficacement depuis de nombreuses années. Il a régulièrement évolué et la qualité des semences françaises est reconnue. Il est nécessaire de maintenir un niveau de contrôle suffisant et bâti, comme il l’a été au cours des décennies précédentes, sur des progrès scientifiques et techniques répondant aux besoins de la filière. Cela peut se faire dans un cadre réglementaire ou dans un cadre défini par l’interprofession.

Je vous remercie de votre attention.

M. Bruno Sido. Merci, monsieur le directeur. Je donne maintenant la parole à M. Christian Huygue,

M. Christian Huygue, directeur scientifique adjoint « agriculture » de l’INRA. Ceux qui ont conçu cette table ronde ont eu l’intelligence et la sagesse d’encadrer le thème de la dimension réglementaire par celui de la recherche, au début et à la fin. Je risque donc de répéter des choses déjà dites et je vais donc passer rapidement sur les enjeux majeurs, déjà évoqués.

La problématique que nous couvrons aujourd’hui est à l’intersection des sciences de l’agriculture, des sciences de l’alimentation et des sciences de l’environnement.

Comment l’INRA prend-t-il en compte ces défis et quelles réponses apporte-t-il par l’amélioration génétique, végétale et par la recherche sur les semences ?

Je donnerai des cadres très généraux et mon collègue Jean-Pierre Renou les illustrera concrètement et les mettra en perspective.

Je tiens à resituer la place de la recherche sur l’innovation variétale et sur les semences dans la stratégie globale de l’INRA. Cette stratégie à dix ans vise à combiner science et impacts. Nous avons un défi majeur à relever, celui de contribuer à la sécurité alimentaire en prenant en compte le changement global.

Nous avons retenu quatre priorités de recherche interdisciplinaires : l’amélioration des performances productives, environnementales et sociales de l’agriculture et de la forêt ; la réduction des gaz à effet de serre et l’adaptation au changement climatique ; le développement de systèmes alimentaires sains et durables ; l’utilisation de la biomasse et plus globalement la bio-économie.

Deux disciplines émergent. L’approche prédictive en biologie est une grande question, sous-tendue par notre capacité à produire des masses considérables de données qui doivent conduire à appréhender la biologie de façon un peu différente. L’autre discipline émergente est l’agro-écologie.

L’amélioration génétique, végétale et les semences s’intègrent dans l’ensemble de ces priorités de l’INRA avec deux dimensions. En effet, l’INRA est un organisme de recherche dont l’objectif premier est de produire de la connaissance et qui conduit aussi une recherche finalisée. Il fait ainsi de la recherche sur des objets d’intérêt agronomique. Sa vocation est de contribuer à l’innovation, celle-ci n’étant pas de l’invention mais l’adoption d’une nouveauté. Et l’INRA ne veut pas le faire seul, je l’illustrerai ensuite.

La partie sur l’amélioration génétique, végétale et les semences n’est pas confinée à un seul département ni à une seule priorité de recherche puisqu’elle va avoir un impact sur les différentes priorités, au premier rang desquelles l’amélioration des performances productives et environnementales. Cet objectif rejoint ce qui a été dit précédemment sur la place et la contribution de ces recherches dans un schéma comme le Plan Ecophyto et dans la perspective de la réduction des GES et de l’adaptation au changement climatique.

Cela signifie que nous devons réfléchir à long terme, anticiper et souligner l’importance de concilier – ce que disait M. Bruno Sido tout à l’heure – le court et le long termes. Il ne faut pas obérer les possibilités à long terme par des choix à court terme. Le développement des systèmes alimentaires est une obligation et il convient également de s’emparer des questions de bio-économie ou d’économie du carbone comme d’une composante dans les recherches sur l’amélioration génétique, végétale et les semences.

Les deux disciplines émergentes nous conduisent à revisiter complètement la façon de faire et de réfléchir à l’amélioration génétique et aux semences. L’agro-écologie considère les variétés comme les composantes d’un écosystème et les cadres théoriques de l’écologie nous amènent à repenser le rôle de l’amélioration génétique, à renouveler la réflexion sur les ressources génétiques et leur gestion.

Quelles sont les thématiques précises de recherche ? Nous travaillons sur l’étude, la gestion, la caractérisation et l’utilisation des ressources génétiques. Des travaux sont menés sur le phénotypage à haut débit – c’est une forme de rupture – et sur la connaissance des génomes. Nous connaissons les génomes de façon extrêmement fine aujourd’hui et l’INRA est un gros contributeur au séquençage du génome.

Des recherches portent également sur le développement de nouvelles méthodes de sélection – la sélection génomique et la sélection participative, deux composantes des innovations dans ce secteur – et sur les biotechnologies. Une réflexion est menée sur les différents types de biotechnologies et sur la physiologie de la semence.

L’INRA ne fait pas cela seul et a différentes approches, des collaborations avec plusieurs départements de recherche. La variété doit être vue comme une composante d’un système de production aussi le travail est-il continu entre les départements de biologie et de génétique végétale mais aussi avec ceux qui s’occupent d’agronomie et de santé des plantes.

La réflexion sur la sélection génomique se traduit par du développement variétal, en particulier en termes de diversification d’espèces et de types variétaux. C’est Agri-Obtentions, filiale de l’INRA, qui reçoit le mandat pour le faire.

Ces développements se font aussi à travers des partenariats public-privé. Comme je l’ai souligné, il n’y a pas d’innovation sans partenariat, notamment pour porter la connaissance et le progrès vers le marché.

Cette approche se concrétise dans de nombreux programmes d’investissements d’avenir dans le domaine des biotechnologies et des bio-ressources, par des conventions avec des entreprises, des instituts techniques agricoles, et avec des associations de producteurs dont les réseaux de semences paysannes.

Nous devons également contribuer à un environnement favorable à l’innovation. Car l’innovation a besoin de partenariats, de production de connaissances mais aussi d’un environnement adéquat.

Dans cette optique, l’INRA joue un rôle déterminant au sein du GIP GEVES – j’ai la chance d’en être le président du conseil d’administration – par la mise à disposition de personnel, par la mise en œuvre d’expérimentations et par le partenariat de recherche que MM. Deltour et Léchappé ont présenté à l’instant. Au sujet de la contribution aux instances, le président Houllier signalait que nous avions 117 experts mobilisés et nous continuerons dans ce sens.

Et nous avons l’obligation de contribuer à la réflexion sur la propriété intellectuelle. Nous tenons au COV. C’est un mode de protection et de propriété intellectuelle privilégié mais ce système doit évoluer pour prendre en compte les évolutions du contexte et de la connaissance.

Il est essentiel de préserver la philosophie de base du COV qui consiste à assurer une protection en obligeant le progrès. Et si le couplage se fait avec une forme d’orientation du progrès, c’est encore mieux !

Il faut tenir compte des évolutions des demandes des acteurs et des technologies. Quand le COV et l’UPOV ont été créés, en 1961, personne ne savait ce qu’était le génotypage. Aujourd’hui, on le sait.

Toujours dans ce domaine, la question des brevets est posée et a été mentionnée. Nous devons aussi avoir à l’esprit les négociations du traité TAFTA (Transatlantic Free Trade Agreement), qui ouvrent tout un champ de questions sur ces enjeux de la propriété intellectuelle.

Je vous remercie de votre attention.

M. Bruno Sido. C’est moi qui vous remercie, Monsieur le directeur. Nous allons terminer les interventions de cette première table ronde par celle de M. Jean-Pierre Renou,

M. Jean-Pierre Renou, directeur de l’Institut de recherche en horticulture et semences (IRHS). Merci, Monsieur le premier vice-président. Nous terminons en passant du général au particulier puisque je vais apporter un témoignage sur ce qui se passe à la base, dans un laboratoire, en l’occurrence celui d’Angers qui a dans son nom le mot de « semences » et réunit 230 personnes. Bien sûr, ce n’est pas le seul laboratoire de l’INRA qui travaille sur les semences. Ce n’est qu’un exemple.

Angers est un bassin horticole et donc nos travaux se focalisent sur le « végétal spécialisé », c’est-à-dire l’horticole et la production de semences. Les modèles qui sont décrits concernent les espèces ornementales, les fruits et légumes, les semences, les pathogènes – beaucoup de travaux portent sur les interactions de pathogènes.

Les mots-clés sont : l’architecture et la floraison ; la qualité des fruits ; l’écologie évolutive des pathogènes ; la conservation et la qualité germinative des semences ; la durabilité des résistances, qui est une image de marque forte des travaux menés à Angers. Des recherches sont conduites également, de manière plus émergente dans le laboratoire, en métagénomique microbienne, en bioinformatique et en épigénétique.

Quelques exemples illustreront ce que recouvrent concrètement ces mots-clés. Des équipes travaillent ainsi à l’identification des gènes qui conditionnent la remontée de floraison pour comprendre la physiologie des caractères ornementaux et exploiter la biodiversité afin de créer de l’innovation variétale. La remontée de floraison est un critère très important car les gens achètent des plantes pour qu’elles fleurissent le plus grand nombre de fois possible dans l’année.

Des travaux sont menés sur le contrôle de l’architecture des plantes et conditionnent leur qualité ornementale. Pour les arbres fruitiers, il s’agit de concevoir de nouvelles variétés avec des résistances durables. On cherche depuis toujours à produire des variétés résistantes aux pathogènes mais il faut aussi que ces résistances soient durables, les pathogènes parvenant quelquefois à contourner les résistances. Il faut donc prendre en compte la dynamique évolutive des couples hôtes-pathogènes en identifiant tous les gènes de résistance présents dans la biodiversité du végétal mais aussi en étudiant la biodiversité du pathogène.

Pour ce faire, il faut parfois réaliser des prélèvements dans les zones d’origine. Nos collègues sont ainsi allés au Kazakhstan, zone d’origine du pommier, pour chercher des souches de tavelure. Il s’agissait de comprendre comment certaines souches de tavelure parviennent à contourner, ou pas, des souches de résistance.

Toutes ces connaissances ont également des applications fortes dans le domaine du bio-contrôle. Le laboratoire est en train de démarrer de nouveaux projets soutenus par la Région sur la prise en compte des mécanismes épigénétiques dans la sélection des rosacées. Ce champ d’investigation est complètement neuf, nous en soupçonnons l’importance mais il faut la mesurer.

Nous poursuivons aussi des travaux sur la qualité des fruits. Grâce aux progrès de la génomique, on peut aborder les choses sans a priori. Nous avons, par exemple, mis en évidence l’existence d’un même contrôle hormonal chez les fruits. Ce dernier se cache à la fois derrière l’élaboration de la qualité du produit et la réponse aux maladies de conservation liées à la physiologie mais aussi aux pathogènes. Cela signifie que nous allons prendre en compte tous ces éléments dans la sélection sans les gérer de façon séparée comme on avait tendance à le faire par le passé.

Nous avons aussi des activités de sélection et de création variétale en collaboration avec des groupements de producteurs pour obtenir de nouvelles variétés dont certaines sont connues car elles sont sur le marché.

Pour les carottes, par exemple, des travaux sont en cours pour identifier les déterminants qui pourraient permettre une meilleure prise en compte des résistances aux pathogènes.

Dans notre approche, la semence n’est pas seulement considérée comme un réservoir génétique végétal mais comme un écosystème à lui tout seul. En effet, la semence comporte une microflore associée qu’il est déterminant d’identifier grâce aux progrès de la métagénomique. Nous commençons à le faire et nous pouvons ainsi étudier les émergences de maladies, les possibilités de transfert de pathogénicité d’une souche bactérienne à une autre. À terme, ces recherches ouvrent de nouvelles voies, avec le bio-contrôle, pour maîtriser des populations de micro-organismes qui voyagent avec les semences.

D’une façon plus spécifique, il faut aussi évoquer la qualité physiologique des semences. La qualité d’une semence s’entend bien sûr sur le plan alimentaire mais avant d’arriver sur un pied à récolter, une semence a besoin d’avoir germé. Il est donc très important de connaître les déterminants de la qualité physiologique de la semence, autrement dit son aptitude à la conservation, à la germination, au stress abiotique et biotique. Nous mettons en place des travaux en ce sens.

Des infrastructures sont nécessaires. À Angers, le Plan Campus du végétal a fait l’objet d’un financement relativement important. Un précédent CPER (Contrat de plan État-Région) a permis le regroupement de tous les efforts de recherche sur un même site avec la création d’un nouveau complexe de serres. Le prochain CPER va permettre l’extension du projet de génotypage, appelé Phénotype 2. L’ambition est de développer une plateforme de phénotypage haut débit. Car, après l’avènement de la génomique puis de la biochimie haut débit, le phénotypage devient un peu le goulet d’étranglement qu’il faut faire sauter.

Cette organisation se situe dans un complexe marqué par une forte cohérence territoriale. Sont, en effet, présents sur un même territoire le GEVES, les partenaires de l’enseignement supérieur, Végépolys, l’ANSES (Agence nationale de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), d’autres partenaires et plus loin dans la vallée, des semenciers. Tous ces acteurs déploient des efforts pour travailler en bonne concertation et optimiser leur démarche. C’est un continuum de développement recherche-formation-innovation sur un même site.

Enfin, je voudrais insister plus particulièrement sur deux des objectifs du laboratoire.

Premièrement, nous privilégions une démarche intégrée de recherche translationnelle car on ne peut plus traiter les questions de manière isolée – le rendement, la résistance, la qualité, … Toutes ces questions, grâce aux progrès de la biologie végétale, nécessitent d’être posées en même temps de manière à savoir où placer le curseur pour ne pas perdre sur un point si on veut en améliorer un autre.

Deuxièmement, il est indispensable de démontrer une forte réactivité pour répondre aux questions émergentes comme la prise en compte de l’épigénétique, le génotypage à haut débit ou encore le big data.

M. Bruno Sido. Merci pour cette intervention. Merci aux uns et aux autres d’avoir tenu dans les délais même si c’est toujours un peu difficile. L’intérêt et l’avantage est à présent de disposer de vingt minutes pour échanger. Vous avez la parole. Il faut que ce soit des questions et non des discours ou des professions de foi. Qui demande la parole ?

DÉBAT

Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, membre de l’OPECST. Ce sont des questions très précises à Mme Soubeyran qui a évoqué le TIRPA. Qui représente la France à Rome dans la négociation de ce traité ? Quelle est la position de la France sur les innovations de type techniques restrictives pour l’utilisation future du patrimoine génétique ? On les appelle les « GURTs » (Genetic Use Restriction Technologies), si je parle de « Terminator gène », ça vous dira peut-être quelque chose… L’Inde et le Brésil ont interdit dans leur droit la commercialisation et l’usage de ces semences. La France a-t-elle une position sur ce sujet ?

Une autre question pour les personnes qui ont parlé des catalogues, le GEVES ou l’OCVV. Quelle est la proportion d’hybrides dans ces catalogues ? Quel est le coût d’inscription d’une nouvelle variété au catalogue ? Un intervenant, M. Tridon je crois, a parlé de coût raisonnable. On aimerait savoir ce que signifie « raisonnable ».

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST. Merci pour ces deux excellentes questions. Mme Soubeyran sur le terminator. C’est une question importante.

Mme Emmanuelle Soubeyran, chef du service des actions sanitaires en production primaire, ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. C’est le ministère de l’Agriculture qui représente la France au TIRPA ; la direction générale Alimentation et la DGPAAT (Direction générale des politiques agricole, agroalimentaire et des territoires) suivent ces questions.

J’avoue que j’entends pour la première fois ce terme de « GURTs ». Nous n’avons pas de position particulière. Aujourd’hui, pour être inscrite au catalogue, une variété doit passer un certain nombre de tests, comme cela a été expliqué, et ensuite la décision est prise par le ministère de l’Agriculture sur la base de l’avis du CTPS.

À ma connaissance, mais je parle sous le contrôle de tous les spécialistes présents dans cette salle, nous n’avons pas été amenés à juger de ce type de variété.

M. Bruno Sido. Merci pour ces deux réponses. M. Tridon est interpellé.

M. Alain Tridon, sous-directeur de la qualité et de la protection des végétaux, ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt. Si j’ai parlé de coût « raisonnable », il s’agit d’une erreur de langage. Sur la diapositive, il était mentionné « sensiblement inférieur ». Il y a des représentants des firmes. Tout dépend de l’espèce.

Mme Marie-Christine Blandin. Vous n’avez pas un ordre de grandeur ?

M. Arnaud Deltour, directeur général du Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences (GEVES). Je répondrai à la question sur les hybrides et à leur proportion dans les catalogues. En fait, c’est très variable selon les espèces. Certaines sont à 100 % hybrides, pour d’autres, il y a des populations, des lignées et parfois aussi des hybrides. Je vous fais une réponse de Normand !

M. Bruno Sido. Et puis, il y a des espèces qui deviennent de plus en plus hybrides, comme le colza par exemple.

M. Arnaud Deltour. La tendance globale est d’avoir de plus en plus d’hybrides dans les obtentions car cela représente une valeur ajoutée.

M. Bruno Sido. Ça permet de racheter les semences.

M. Arnaud Deltour. Sur le coût des inscriptions, mon collègue du CTPS pourrait répondre plus précisément. Je vais donner une fourchette allant de 3 000 à 6 000 euros pour une variété sachant qu’une inscription dure deux ans en général. Là encore tout dépend des espèces. Les coûts des essais ne sont pas les mêmes selon la surface, la quantité d’analyses faites en laboratoire. Christian Leclerc nous donnera peut-être des chiffres ou un exemple précis.

M. Christian Leclerc, secrétaire général du CTPS, Comité technique permanent de la sélection. Bonjour à tous. Les 250 espèces étudiées au CTPS sont des structures génétiques différentes. Certaines sont fondamentalement autogames et l’essentiel des structures génétiques est de type lignée mais il est possible de développer des hybrides.

Dans le cas des céréales à paille, la proportion d’hybrides est assez faible car le dispositif lignée apporte du progrès génétique à l’agriculture mais cela n’exclut pas la création de variétés hybrides. À l’inverse, pour le maïs, il est bien connu que c’est le progrès génétique, en partant de l’effet hétérosis entre deux géniteurs, qui a permis de développer cette culture dans l’ensemble de l’Union européenne.

Le coût des droits d’inscription dépend, en effet, des études réalisées (DHS, DHS et VATE, VATE). Pour la DHS, le droit d’inscription est à peu près le même entre les espèces et il ne couvre pas le coût complet des études réalisées. C’est pourquoi les moyens alloués au GEVES par les pouvoirs publics, et en particulier par l’INRA, sont importants pour l’étude de ces variétés.

En matière de VATE, on se trouve avec des espèces où les critères technologiques – par exemple les céréales à paille – consistent à vérifier si la variété produit différentes utilisations de panification. Il faut donc faire des tests de panification ou de maltage pour la brasserie. Les coûts sont donc importants et se répercutent sur les droits des déposants.

Dernier point relatif au catalogue. On y inscrit ou y réinscrit des variétés anciennes. Il y assez peu de variétés de conservation. Une directive européenne permet d’inscrire des variétés menacées d’érosion génétique, qui peuvent disparaître du dispositif. Les droits d’inscription sont parfois limités et peuvent être pris en charge, comme pour les variétés amateurs, par le ministère de l’Agriculture ou par le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS), dans le cadre du maintien des variétés au catalogue.

Le droit d’inscription est donc aussi adapté à la capacité des déposants et à la capacité de redévelopper sur le catalogue des variétés anciennes. Merci de votre attention.

M. Bruno Sido. Merci.

M. Jean-Daniel Arnaud, retraité du GNIS, Groupement national interprofessionnel des semences et plants). J’ai été secrétaire de l’inscription des semences potagères et florales pendant de nombreuses années. La France est exportatrice de semences potagères pour une raison qui n’a pas été évoquée, leur qualité, leur pureté variétale. Cette qualité est gérée de manière informatique au niveau national depuis longtemps et c’est une garantie pour tous les producteurs de semences. Cette mise en place est gérée dans un cadre interprofessionnel par des conventions type. Il faut rappeler ce point à chaque fois que l’on évoque la réglementation en France.

M. Bruno Sido. Merci monsieur.

M. Pierre-Olivier Drège, directeur général de l’Association générale des producteurs de blé (AGPB). J’ai eu l’honneur de présider pendant dix ans la section céréales à paille du CTPS. J’aimerais rebondir sur les propos de Christian Huygue qui a souligné que le système du certificat d’obtention végétale était le cœur d’un dispositif extrêmement efficace. Il faut le préserver et le renforcer. C’est un système exceptionnel dans le monde, qui a montré sa capacité à évoluer pour prendre en compte les exigences économiques, environnementales et sociétales, en s‘appuyant sur les règlements techniques du CTPS. Nous sommes passés de critères de rendement – le besoin initial était de produire – aux résistances, qui sont le levier principal pour régler les problèmes pointés par Ecophyto. Et pour le blé tendre, on est en train de finaliser des variétés riches en protéines et efficientes à la transformation de l’azote.

Il faut veiller à ne pas ébranler le cœur de ce dispositif par des considérations qui, même légitimes, introduiraient des dérogations. On peut parfois être préoccupé au regard de certaines initiatives, y compris au niveau européen, qui conduisent à des renationalisations de décisions de nature à ébranler potentiellement ce cadre.

Le système actuel est efficace aussi parce qu’il permet la pérennité des financements de la recherche variétale et du progrès génétique. C’est le cas notamment pour le blé tendre et, désormais, pour toutes les céréales à paille depuis 2014, ainsi que pour la pomme de terre grâce à un système d’accord interprofessionnel. La solution est équilibrée, même si certains la discutent, entre semences certifiées et semences de ferme.

Il est très important de rappeler ces éléments quand on voit ce qui peut se passer – je pense aux pois protéagineux – lorsque le système se met à diverger. Il y a un besoin de protéines végétales or, on est dans une situation où il est très difficile de développer un progrès génétique pour une espèce de ce type. Je vous remercie.

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, vice-présidente de l’OPECST. Sur l’exemple que vous avez cité à la fin, pourriez-vous préciser ? J’ai bien compris qu’il y avait une inquiétude mais en quoi peut-elle avoir des conséquences en création ?

M. Pierre-Olivier Drège, ancien directeur général de l’ONF, directeur général délégué d’Unigrains. Ceux qui connaissent cette espèce savent qu’il existe des problèmes en termes de production, de rendement, de résistance à un certain nombre de maladies qui la rendent difficile à développer. Or les producteurs voudraient le faire car il y existe des besoins sur le marché. La recherche et l’investissement des obtenteurs se heurtent à des difficultés car pour cette espèce, on n’a pas trouvé les réponses scientifiques, des variétés répondant aux besoins d’aujourd’hui et, il faut bien le dire, une rentabilité économique pour ceux qui investissent dans la création variétale. Nous sommes dans une situation critique.

M. Bruno Sido. J’ai l’impression que le sujet, en l’occurrence, est surtout la rentabilité économique car il y a peu d’hectares cultivés de pois protéagineux. La situation est similaire pour les désherbants ; il n’y a pas de recherche quand la mauvaise herbe est peu répandue. C’est l’éternelle question de la rentabilité, nécessaire en matière de recherche.

M. François Burgaud, directeur des relations extérieures du Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS). Monsieur le président, permettez-moi juste un mot. Je regrette que François Houllier soit parti. Il a indiqué que les ressources génétiques étaient un bien public. Malheureusement, depuis la Convention sur la diversité biologique, je pense qu’il se trompe et que les ressources génétiques ne sont plus un bien public.

Je rappelle qu’un bien public se définit par une utilisation non rivale et non exclusive. Or la Convention sur la diversité biologique a donné la souveraineté sur les ressources génétiques aux États. Ceux-ci ont le droit d’en réserver l’usage exclusif aux personnes à qui ils décident de vendre éventuellement ces ressources.

C’est pour cette raison que 133 pays ont signé le Traité international sur les ressources phyto-génétiques pour l’alimentation et l’agriculture, qui vise à extraire de cette contrainte imposée par la souveraineté un certain nombre d’espèces importantes pour l’agriculture et l’alimentation.

Je voulais apporter cette précision car si on veut aller plus loin dans la définition d’une politique française sur les ressources génétiques, il faut au moins être d’accord sur des bases communes.

M. Bruno Sido. C’est un vaste sujet, un changement complet de paradigme, qui mériterait une table ronde complète. J’ajouterais que la raison du plus fort n’est pas toujours la meilleure mais, en la matière, les États ont tous les droits… D’autres interventions ?

M. Jean-Pierre Haudoin, retraité. Je suis maraîcher bio en retraite et accessoirement producteur de plans de fraisiers en bio. Je voudrais compléter la question de Mme Marie-Christine Blandin sur les GURTs. Quel est le sens de mettre sur le marché des variétés tolérantes aux herbicides alors qu’on définit un Plan Ecophyto ? Qui décide de la mise sur le marché ou non de ce type de variétés ?

M. Bruno Sido. Qui veut répondre ? Le ministère de l’Agriculture ?

Mme Emmanuelle Soubeyran. Comme cela a déjà été dit, c’est le ministère de l’Agriculture qui décide de l’inscription des variétés sur le catalogue.

Vous posez la question des variétés tolérantes aux herbicides, un caractère qui s’est développé chez un certain nombre d’espèces. Le ministère a demandé il y a trois ans qu’une expertise collective soit réalisée par l’INRA et de le CNRS. Elle a conclu que ce type de variétés pouvait être intéressant dans certains cas. Mais, comme ces variétés présentent aussi des risques quand elles sont mal utilisées
– notamment l’apparition de résistances aux herbicides – l’expertise a également conclu qu’elles devaient absolument être encadrées et ne pas être utilisées de manière collective.

C’est la raison pour laquelle l’ensemble des partenaires du monde agricole a mis en place un dispositif de suivi de l’utilisation de ce type de variétés quand elles sont autorisées. Toutes ne le sont pas car le risque, quand elles sont mal utilisées, est d’aboutir à l’existence de résistances et donc à une utilisation plus importante d’herbicides. Cela serait en effet tout à fait contraire aux objectifs fixés par le Gouvernement en termes de réduction de l’usage des produits phytosanitaires. Des outils ont été développés. Ce type de variétés n’est vendu qu’après une analyse, grâce à un outil d’aide à la décision. Mais il faut rester vigilant.

M. Bruno Sido. Merci. Une dernière question ?

M. Jean-Pierre Haudoin. Ce qui nous inquiète c’est que, par exemple, 20 à 30 % de la sole de tournesol est actuellement ensemencée avec ce type de variétés.

M. Bruno Sido. Bien, nous l’apprenons. Une dernière question ? Monsieur le directeur ?

M. Christian Huygue, directeur scientifique adjoint « agriculture » de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA). Je voudrais compléter ce point. Comme pour toute technologie, ce n’est pas l’outil qui pose question mais la façon dont on l’utilise. La variété tolérante aux herbicides peut apporter des solutions dans des endroits où il n’y a pas d’autres options possibles. Quand le développement d’une flore invasive est devenu totalement incontrôlable, une variété VTH (variété tolérante aux herbicides) peut apporter une nouvelle option.

Cela conduit à un point absolument central. Il faut cesser de réfléchir à la variété toute seule. La variété est un système de production, avec des techniques. Elle doit être en cohérence avec celles-ci. Une culture n’est jamais seule mais dans une succession culturale et il faut la penser à cette échelle.

La question est de savoir comment on conçoit, à terme, les systèmes de culture que l’on veut. Je me permets d’être caricatural un instant. Au cours des cinquante dernières années, la France a connu un double mouvement dans le même temps : l’intensification et la simplification des systèmes, avec la simplification des rotations, la séparation de la production animale et de la production végétale. Ce n’est pas tant l’intensification qui a conduit à des formes d’impasse mais la simplification.

Comment demain, avec l’ensemble des technologies et des données disponibles, parviendra-t-on à gérer des formes d’intensification avec différents niveaux de diversification, dans d’autres milieux ? On parle de l’intensification durable, sustainable intensification en anglais. Ce sont surtout les Anglo-saxons qui portent ces concepts.

Indirectement, l’agro-écologie, avec son ensemble de cadres conceptuels en toile de fond, est porteuse des éléments qui permettront d’obtenir à la fois l’intensification et la diversification. On ne pourra plus demain réfléchir aux variétés de semences en dehors des systèmes dans lesquels elles ont utilisées.

M. Bruno Sido. Merci à tous. Nous avons épuisé le temps des échanges, qui étaient forts intéressants. Monsieur le Directeur, vous avez fait parfaitement le lien entre les deux tables rondes. Je vous en remercie. Je donne maintenant la parole à Mme Anne-Yvonne Le Dain, qui va présider la seconde table ronde. Je le regrette infiniment – les trains n’attendent pas – je ne pourrai pas assister à cette table ronde qui, j’en suis sûr, sera passionnante.

SECONDE TABLE RONDE :
BIODIVERSITÉ ET FILIÈRE SEMENCIÈRE FRANÇAISE

Présidence de Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, vice-présidente
de l’OPECST

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, vice-présidente de l’OPECST. Nous avons donc déjà commencé à aborder le sujet de la seconde table ronde avec les derniers intervenants. Merci à tous d’être là, d’être restés. Le débat précédent a été tout à fait passionnant. En fait, il s’agissait d’un exposé de chacun puis d’un début de débat à la fin qui a montré la vigilance de chacun sur ce qu’il sait, sur ce qu’il fait. J’ai été frappée par la capacité de chacun à s’exprimer avec, non pas une empathie mais une sagesse et une volonté de partager. Je propose de continuer dans cet esprit pendant cette seconde table ronde.

Je vis dans le Sud de la France à Montpellier où il fait un peu plus chaud qu’ici. Le temps, c’est important ! C’est une façon de rappeler que la France, c’est la variété ! La France a l’immense chance d’être une république dont l’hymne national s’appelle « La Marseillaise ». Tout le monde oublie pourquoi. L’hymne s’appelle ainsi car ce sont des gens du Sud qui sont montés pour sauver la république en chantant des paroles écrites par Rouget de Lisle à Strasbourg. Si notre hymne national s’appelle ainsi, ce n’est donc pas un hasard.

J’ai souhaité placer cette journée sous le thème des semences car c’est un sujet compliqué, qui représente une force économique de la France et qui intéresse toute le monde autour de cette table.

Ce sujet est devenu à la fois une polémique et une ambition et il faut en parler. C’est le rôle du parlement et des parlementaires de construire des lieux de débat. Mon collègue Bruno Sido est membre de l’UMP, je suis socialiste. Il est paysan et, comme moi, ingénieur agricole. Je suis égarée en science et, tout comme lui, égarée en politique ! Et avec notre collègue Jean-Yves Le Déaut, député de Nancy et breton, nous avons souhaité cette audition publique.

C’est cette France-là que j’aime ! Elle arrive à trouver des solutions pour avancer ensemble dans les intérêts bien compris de chacun, dans une Europe qui reste à construire et dans un monde qui se positionne à travers des conventions internationales en matière de biodiversité et de ressources génétiques.

Il s’agit d’enjeux stratégiques et des pays – les États-Unis, le Japon, la Chine, l’Inde, le Brésil et bien d’autres – sont en train de construire, sur leur territoire national, des dispositifs de préservation des ressources génétiques pour être prêts à affronter l’avenir.

L’un d’entre vous a souligné que des espèces avaient disparu à certains endroits et qu’il fallait les racheter. Des grandes infrastructures de stockage – au moins 80 – sont en train de couvrir la planète dans des espaces strictement nationaux.

Notre Europe n’est pas un espace national et c’est une formidable chance et une opportunité.

Le temps est compté car nous devons impérativement terminer à 18 heures. Les fonctionnaires de l’OPECST sont là ; ils vous écoutent et il y aura un compte rendu. C’est aussi la force du parlement, de dire et de faire dire des choses, de les montrer et de les mettre en débat.

Je vais passer la parole à M. Guy Kastler.

M. Guy Kastler, membre de la Confédération paysanne. Merci
Madame Le Dain. Quand on parle de semences et de biodiversité, de quoi
parle-t-on ? Parle-t-on des 30 000 variétés inscrites au catalogue européen ? Des 7,5 millions d’accessions qui sont dans les banques de semences au niveau mondial ? Je sais qu’il y a des doublons mais cela fait en tous les cas beaucoup plus que les variétés inscrites au catalogue européen à disposition sur le marché !

Parle-t-on des dizaines de millions de variétés paysannes qui sont à l’origine de ces accessions, dans des banques de gènes, et encore régulièrement cultivées et renouvelées dans les champs des paysans sur toute la planète ? Mais il ne s’agit pas de variétés car elles n’existent pas en droit. Or ce sont pourtant des dizaines de millions de variétés resélectionnées chaque année par les paysans.

Il existe diverses semences, mais pour quel type d’agriculture ?

L’agriculture dite vivrière – ce sont des chiffres de la FAO – produit aujourd’hui 70 % de la nourriture mondiale sur un quart des surfaces agricoles cultivées et en utilisant un quart de l’eau d’irrigation.

Cette agriculture est particulièrement productive en termes d’unités de surface. Elle utilise essentiellement des systèmes semenciers informels, donc qui n’existent pas puisque ce ne sont pas des variétés. Dans le cadre des monocultures actuelles, ces semences sont peut-être moins productives mais elles le sont beaucoup plus en agro-écologie paysanne.

Ou bien parle-t-on des semences destinées à l’agriculture industrielle qui ne produit qu’un quart de la nourriture consommée dans le monde en utilisant trois quarts des ressources en terre et en eau ? Certes, cette agriculture, qui distribue ses productions sur le marché mondial, utilise moins de main d’œuvre puisqu’elle a recours à l’énergie fossile pour fabriquer des engrais, financer la mécanisation et faire des produits chimiques.

Quand on a rappelé ce contexte, il faut donc bien différencier deux types de semences, non pas pour les opposer automatiquement. L’amélioration des plantes a réalisé en cinquante ans une chose que les paysans n’avaient jamais faite, croiser entre elles des semences de toute la planète ! Nous, paysans, croisons régulièrement des semences dans nos champs mais à un rythme très lent avec des semences qui ne viennent pas de loin.

L’amélioration des plantes a donc eu un apport positif. Mais ensuite, dans le pool génétique, elle a choisi de croiser la plante élite qu’elle a multipliée à l’identique. Cette sélection industrielle n’a pas pu faire ce que font les sélections paysannes. Celles-ci adaptent chaque année les semences à l’environnement, au terroir particulier dans lequel elles sont cultivées, aux méthodes de culture.

Pour augmenter la productivité des monocultures, la sélection industrielle a adapté les plantes aux produits chimiques, aux pesticides, à la mécanisation qui homogénéisent les conditions de culture. Elle a imposé les variétés homogènes et stables – les plantes élites multipliées à l’identique – dans la réglementation comme étant les seules semences ayant accès au marché. Et cela pose un certain nombre de problèmes.

Aujourd’hui, et c’est nouveau, au lieu de sélectionner des variétés homogènes et stables, on va rechercher des caractères génétiques avec différentes techniques. Ils présentent l’intérêt particulier de tolérer un herbicide ou de permettre à la plante de produire elle-même des insecticides.

Oui, il y a des OGM. Je dirais aux élus présents qu’ils ont pris une initiative très positive en interdisant la culture de maïs OGM en France. Car la moindre culture OGM ne peut que contaminer l’ensemble des autres cultures et ce n’est pas acceptable.

Malheureusement, les OGM continuent à rentrer en France pour l’alimentation animale mais aussi comme « OGM clandestins ». C’est ainsi que nous qualifions, à la Confédération paysanne, des OGM qui font appel à des techniques génétiques mais auxquels ne s’appliquent pas les obligations de la réglementation européenne. Or, quand une semence issue de la mutagenèse tolère des herbicides, la dissémination des gènes de la tolérance aux herbicides – surtout quand il s’agit du colza – est exactement la même qu’avec une plante transgénique. On a refusé le colza transgénique en France.

Je ne comprends pas que le Gouvernement – je m’adresse à Mme Soubeyran – accepte la diffusion de gènes de tolérance aux herbicides dans le colza, qui se diffusent aussi dans l’environnement sauvage.

Je vais être obligé de sauter une partie de mon intervention car l’heure avance. Je dirai une seule chose : le certificat d’obtention végétale ne nous gêne pas tant qu’il ne s’applique pas aux semences de ferme. Pourquoi l’obtenteur aurait-il le droit à une exception de sélection et pas l’agriculteur quand il reproduit une partie de ses semences pour les adapter à son environnement local et à ses conditions de culture ?

Pourquoi cela est-il interdit pour la majorité des espèces pour lesquelles nous devons payer des royalties alors même que la totalité des semences commerciales ont été sélectionnées avec des semences elles même sélectionnées par des paysans ? Jamais aucun obtenteur n’a versé au paysan le partage des avantages ni le moindre centime quand il s’est servi du bien public dont on a parlé. Et bien non, ce n’est pas un bien public ; ce sont les paysans qui l’ont sélectionné et peut-être ont-ils aussi des droits dessus !

Je terminerai sur le brevet. C’est un mensonge de dire que le COV protège la France et l’Europe du brevet. Nos lois autorisent le brevet sur les caractères génétiques. Il y a le problème de contamination que j’ai déjà évoqué et il est identique avec les OGM comme avec les gènes brevetés qui ne sont pas étiquetés OGM.

Aujourd’hui, l’Office européen des brevets (OEB) accorde des brevets sur des caractères qui sont déjà présents dans les plantes ou qui peuvent l’être dans des variétés sélectionnées par les semenciers. C’est le cas par exemple de la laitue de l’entreprise Gautier Semences qui s’est retrouvée brevetée par une entreprise hollandaise qui avait déposé un brevet sur le caractère de résistance aux pucerons des laitues.

Si on laisse déposer des brevets sans réagir, à quoi bon parler de partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques ! Or ce partage devrait être dans la loi sur la biodiversité puisqu’elle applique le protocole de Nagoya et le TIRPAA. Si les brevets peuvent s’emparer de toutes les semences, y compris dans le cadre du système multilatéral, si dans quelques années, elles appartiennent toutes à une poignée de multinationales, on ne pourra plus parler de ce partage.

Nous débattons de tout cela au TIRPAA où je représente Via Campesina. Et je suis parfois étonné que ce soit un acteur économique qui représente le gouvernement français même si M. François Burgaud fait beaucoup d’efforts pour défendre la position française.

Il faudrait débattre de ces sujets lors de la discussion sur la loi biodiversité malheureusement le Gouvernement interdit de le faire puisqu’il procède par ordonnance pour tout ce qui concerne la biodiversité agricole, les animaux comme les semences.

Les obtenteurs ont eu droit à une loi pour protéger leurs droits. La loi biodiversité devra appliquer les dispositions du traité TIRPAA, l’article 9 sur les droits des agriculteurs et l’article 6 sur l’utilisation durable des ressources génétiques.

Pourquoi nous, paysans, n’aurions-nous pas droit à un débat parlementaire, à une loi pour appliquer nos droits que la France a signés et que votre parlement a signés quand notre pays a approuvé le traité ? Pourquoi n’aurions-nous pas une loi pour défendre les droits des agriculteurs de conserver leurs semences, de les utiliser, de les échanger et de les vendre ? C’est le texte que vous avez signé lorsque vous avez approuvé le TIRPAA. Je vous remercie.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Monsieur Burgaud, vous avez la parole.

M. François Burgaud, directeur des relations extérieures du Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS). Je vous remercie Madame la présidente. Je préciserai que je n’ai effectivement jamais dirigé la délégation française dans les instances du Traité. J’ai été expert pour le traité TIRPAA comme d’autres ONG et des experts d’autres gouvernements le sont.

Je rappellerai quelques chiffres, ils ont tous une source. La France est le troisième marché intérieur de semences dans le monde derrière les États-Unis et la Chine et le premier exportateur mondial. L’excédent supérieur à 700 millions d’euros contribue à hauteur de 24 % de l’excédent commercial du secteur des produits agricoles, de la forêt et de la pêche.

La France est un leader européen, premier pays producteur de semences avec un chiffre d’affaires de 3,2 milliards d’euros pour la campagne 2013-2014 et plus de 300 000 hectares cultivés sur l’ensemble du territoire. La filière semencière est créatrice d’emplois avec 73 entreprises de sélection dont 53 franco-françaises, 244 entreprises de production, 8 300 distributeurs et 15 000 salariés au total. Les entreprises de production produisent avec des agriculteurs multiplicateurs (17 800 sont sous contrat) et cette filière approvisionne 490 000 agriculteurs et 15 millions de jardiniers amateurs qui utilisent les semences sur le territoire français.

C’est une filière encore faiblement concentrée. Sur 266 entreprises de production et de sélection, 87 sont des microentreprises au sens européen du terme avec un chiffre d’affaires inférieur à 2 millions d’euros ; 69 petites entreprises réalisent entre 2 et 10 millions d’euros de chiffre d’affaires ; 47 moyennes entreprises entre 10 et 50 millions d’euros et 41 entreprises de taille intermédiaire entre 50 millions et 1,5 milliard de chiffre d’affaires. Ces ETI réalisent l’essentiel de la production sur le marché.

Autre image de cette faible concentration du secteur – en tous les cas la situation est incomparable avec celle d’autres secteurs comme celui des intrants agricoles. Sur le marché français, parmi les dix premières entreprises semencières produisant du blé tendre, trois seulement sont étrangères, dont une coopérative d’agriculteurs allemands et une seule multinationale, Syngenta. La majorité d’entre elles sont des entreprises familiales ou des coopératives françaises.

C’est une filière portée par l’innovation. Elle doit sa place aussi au fait que les 73 entreprises de sélection variétale s’appuient sur 132 stations de recherche. Celles-ci disposent d’un budget total annuel d’environ 300 millions d’euros permettant de financer 300 programmes de recherche et de mettre chaque année sur le marché entre 500 à 600 variétés. Au total, plus de 6 000 variétés de semences issues de près de 140 espèces sont produites sur le marché français.

Cette filière conserve la biodiversité. Les sélectionneurs privés et publics
– INRA, CIRAD – et des associations d’amateurs conservent les collections de ressources génétiques en France. Ils se sont mis en réseau dans les années 1970 pour être plus efficaces dans la conservation, la description et la disponibilité des ressources génétiques.

À l’occasion du Grenelle de l’environnement, le groupe Biodiversité présidé par Mme Marie-Christine Blandin a souhaité que l’État s’engage pour que l’ensemble des espèces qui manquent encore dans ces réseaux soient prises en compte.

Vous avez là, sur l’écran, des exemples du nombre d’accessions qui sont dans les collections des réseaux, dans les collections dites nationales et dans celles du TIRPAA.

Je me permets une précision. Pour l’instant, en l’absence du décret de la loi de 2011 qui doit définir comment l’État constituera sa collection nationale – il n’y a pas de collection nationale française – les collections mises dans le TIRPAA l’ont été par des acteurs privés professionnels.

Deuxième précision importante : ce sont les associations et les agriculteurs individuels qui utilisent le plus ces collections françaises du TIRPAA.

Cette filière accroît la biodiversité. Les agriculteurs ont le choix entre environ 6 000 variétés conventionnelles et 400 variétés soit de conservation soit dites « sans valeur intrinsèque » ; ces dernières correspondent à des variétés anciennes ou destinées à des marchés locaux. Ces variétés ne sont pas réservées aux amateurs mais peuvent être utilisées par des agriculteurs.

Non seulement les agriculteurs ont le choix mais, sur une longue période, ce choix s’accroît. On est, par exemple, passé de 50 variétés de tomates en France dans les années 1980 à plus de 460 en 2014 ; pour le blé tendre, on est passé de 50 à 336 variétés et pour le maïs de 40 variétés en 1962 à plus de 1000 en 2014.

Enfin, en termes de semences et de sécurité alimentaire, rappelons que les résultats sont là en France. Le rendement du blé, qui stagnait entre 1850 et 1950 autour d’une tonne à l’hectare a été multiplié par sept entre 1950 et le début du XXIe siècle.

Cette capacité productive a été acquise grâce à un cadre réglementaire adapté avec des droits de propriété intellectuelle sur la création de nouvelles variétés végétales. Je rappelle que les droits de propriété intellectuelle sont un droit de l’homme selon la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 27). Il est normal qu’un créateur de nouvelles variétés puisse avoir une reconnaissance de sa création, au même titre qu’un copyright pour un article, par exemple.

Je rappelle également que les listes du catalogue officiel sont ouvertes à d’autres types de variétés que les conventionnelles destinées à 99 % du marché. Comme pour le contrôle de la qualité des semences sous autorité officielle, la quasi-totalité des parties prenantes au niveau européen ont souhaité que la connaissance du matériel végétal qui circule sur le territoire national continue d’être assurée.

Pour finir, et même si comparaison n’est pas raison, je signale que la France, avec un rendement moyen de 7 tonnes de blé à l’hectare est largement au-dessus de la moyenne européenne, de la Chine mais aussi de grands pays céréaliers comme les États-Unis, l’Argentine ou le Brésil. Je vous remercie.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Nous allons continuer avec M. Jean-François Berthellot.

M. Jean-François Berthellot, co-président du Réseau Semences paysannes. Bonjour Mesdames et Messieurs. Je n’ai pas l’habitude de m’exprimer devant une telle assemblée. Je suis paysan et je vis à la campagne.

Je vais vous parler d’une autre approche de la sélection qui pourrait ouvrir la voie vers une autre réglementation. Cette approche n’est pas classique. Au sein du Réseau Semences paysannes, nous la pratiquons en réseau, de manière décentralisée et participative. Nous travaillons avec des organismes de recherche, en particulier avec l’INRA mais, dans notre approche, l’agriculteur est au centre des décisions prises en matière de recherche. Cette sélection est adaptée à une agriculture biologique, à faibles intrants.

Pourquoi le Réseau Semences paysannes s’est-il constitué ? Il faut rappeler un peu d’histoire. Nous avons fait le constat d’une forte érosion de la biodiversité cultivée entre les variétés et au sein des variétés. Et jusqu’à maintenant, l’offre des variétés certifiées était peu adaptée à l’agriculture biologique ; c’était notamment le cas pour les céréaliers. Depuis quelques années, les sélectionneurs, en particulier la recherche publique, font un effort pour aller vers des variétés résistantes et des cultures à faibles intrants.

Il faut aussi observer qu’il n’y a pas, jusqu’à présent, de reconnaissance légale des pratiques paysannes de sélection et de leurs résultats.

Notre mission est la mise en réseau et l’accompagnement d’initiatives de promotion et de valorisation de la biodiversité cultivée. Par exemple, l’Association des vétérinaires et des éleveurs du Millavois (AVEM) met en place des collections de sainfoin pour comparer quarante variétés. Les membres de l’association observent le comportement de ces variétés dans leurs terres, échangent sur leurs pratiques, leur savoir-faire. Ils essaient de valoriser une biodiversité qui, souvent, existe dans les collections nationales mais ne se retrouve pas dans la plupart des variétés cultivées.

Notre mission est également d’obtenir une reconnaissance scientifique et juridique des pratiques paysannes de production et d’échanges de semences et de plantes, car c’est la base de notre fonctionnement.

Il est important de définir ce qu’est une semence paysanne. Elle a des caractéristiques vraiment particulières qui, la plupart du temps, échappent à l’ensemble des personnes qui utilisent le mot « semences ». La plupart d’entre elles ont oublié que les semences pouvaient être produites dans les champs par les paysans.

Une semence paysanne est une semence sélectionnée et reproduite par les paysans dans les fermes et dans les jardins, utilisée en agriculture biologique ou biodynamique. Les conditions de cultures sont extrêmement différentes et les populations sont diversifiées. Pour nous, elles sont évolutives et issues de méthodes de sélection et de renouvellement naturelles, non transgressives et à la portée des paysans.

Nous parlons de sélection paysanne car nous la faisons avec nos mains et avec nos yeux. Il est hors de question d’utiliser des méthodes transgressives allant jusqu’au noyau de la plante et qui la mettraient dans des conditions de produit chimique lors de la reproduction en la faisant évoluer d’une certaine façon.

Nous voulons que les méthodes de sélection restent à notre portée, c’est très important pour nous. Il faut qu’elles soient reproductibles afin de pouvoir resemer les semences d’une année sur l’autre. Ce n’est pas le cas des hybrides que nous pouvons resemer : ils ne font pas la même production, ne sont pas identiques.

Il faut également que ces semences soient sans droit de propriété pour qu’elles soient librement échangeables dans le respect des droits d’usage définis par les collectifs qui les font vivre. Ces collectifs sont l’ensemble des agriculteurs qui détiennent ces sélections.

Je vais vous montrer ce qui différencie notre sélection des autres à l’aide d’un schéma. Un trait violet définit différents milieux, fonction des conditions pédoclimatiques et des agriculteurs. L’environnement est extrêmement varié.

Dans la sélection conventionnelle et centralisée, on apporte des intrants qui modifient les conditions pour les faire parvenir toutes à un même niveau. On adapte l’environnement à la plante et on reproduit les conditions de la station de recherche où a été faite la sélection.

La sélection décentralisée est très différente. Les milieux sont toujours diversifiés, avec des terres plus ou moins riches, des climats divers. Mais là, il va s’agir de choisir la plante la plus adaptée au milieu. Ce ne sont pas les mêmes plantes qui vont être adaptées aux différents endroits. On adapte la plante à l’environnement. La recherche montre aujourd’hui qu’on va ainsi valoriser les interactions entre le génotype et l’environnement et déterminer des adaptations locales.

Cette sélection concerne plusieurs groupes, en Bretagne, dans le Sud-Ouest, dans le Centre, en Rhône-Alpes et chacun d’entre eux sélectionne en fonction de son milieu. Avec une organisation sociale particulière, chaque groupe va co-construire d’une certaine façon et développer des dispositifs expérimentaux, créer des outils statistiques et de gestion des données qui favorisent une innovation génétique et sociétale.

Ces dispositifs fonctionnent grâce à une sélection participative, avec des équipes de l’INRA. Pour le blé tendre, nous sommes suivis par exemple par l’équipe du Dr Isabelle Goldringer à l’UMR de génétique végétale du Moulon. Elle enregistre toutes les caractéristiques des variétés que nous sélectionnons ; cela permet d’obtenir des données sur les résultats des sélections et de bâtir des outils de gestion de ces statistiques.

La méthodologie ainsi employée est la co-construction du programme entre les différents acteurs car nous ne voulons pas d’une sélection décidée par le haut. Nous mettons les agriculteurs au centre du programme de recherche et nous travaillons avec des chercheurs de l’INRA.

La mise en réseau de ces acteurs permet un échange de savoir-faire, un échange des semences, un partage des résultats et tout cela fait évoluer les pratiques.

Voici quelques exemples de résultats sur la sélection en blé tendre. Une population de blé, la Japhabelle, a été mise au point en sept ans, à partir de 90 croisements faits à partir de ressources de l’INRA issues des populations de blé de deux pays. Cette sélection a lieu sur notre ferme. Sur les 90 croisements, seulement 20 ont été sélectionnés pour faire une population adaptée au milieu, avec une productivité bien supérieure aux variétés de pays et une très bonne résistance à la verse. Cet exemple montre que, en quelques années, une sélection paysanne peut se réapproprier un savoir-faire et obtenir des résultats.

Le coût d’une telle sélection est quasiment nul car elle est faite par des paysans qui ne demandent pas de rémunération. Nous avons pu mener cette opération dans le cadre d’un projet européen, ce qui a permis à une équipe de l’INRA de travailler avec nous. Il est très rare d’obtenir en moins de dix ans et à un tel coût une population de blé adaptée à une agro-écologie.

Le Réseau Semences paysannes propose que le droit de propriété intellectuelle ne s’applique pas aux populations issues de cette sélection participative et décentralisée. Le Réseau souhaite une ouverture du catalogue à des populations hétérogènes, du type de celle que je viens d’évoquer. Il souhaite également que les échanges entre les paysans soient possibles hors de la réglementation, dans le cadre de l’entraide, ce qui nous permettrait de poursuivre notre travail de sélection participative.

Merci et excusez-moi d’avoir dépassé le temps de parole.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Vous avez outrepassé la jurisprudence mais ce n’est pas grave ! Essayez tous cependant de respecter le temps sinon on ne pourra pas discuter à la fin. Monsieur Claude Tabel, à vous.

M. Claude Tabel, administrateur de l’Union française des semenciers (UFS), président de l’entreprise semencière RAGT. Merci Madame la présidente. J’imagine que ce débat a pour mission d’éclairer la puissance publique sur les décisions à prendre et j’espère que nos interventions serviront un peu à cela.

Depuis toujours l’agriculture a sa place sur notre territoire. Vous avez rappelé la diversité de notre culture et aussi de notre agriculture et je suis ravi d’entendre M. Guy Kastler et M. Jean-François Berthellot. Je regrette parfois que, dans leur enthousiasme, ils se définissent systématiquement en opposition au secteur traditionnel. C’est une remarque personnelle.

L’UFS est un syndicat qui regroupe environ 130 entreprises semencières, qui exercent le métier d’obtenteur, de producteur de semences ou de distributeur sur le marché.

Je ne reviendrai pas sur les chiffres, déjà cités, mais je souligne la très grande diversité de ces entreprises, comme l’a montré M. François Burgaud. Il y a des TPE, des PME, des ETI, des grands groupes, des filiales de grands groupes. Je travaille pour ma part dans une ETI.

Ce secteur est pourvoyeur d’emplois sur tout le territoire et cette dimension territoriale est à prendre en compte.

Je travaille pour la société RAGT (pour Rouergue, Auvergne, Gévaudan, Tarnais) créée par des agriculteurs de ces quatre régions, qui marquent ainsi leur attachement au territoire.

Je voudrais revenir sur les fondements de notre métier. C’est un métier de haute technologie ; dans notre société, 40 % du personnel font de la recherche, c’est un effort considérable. C’est aussi un métier de tradition. Beaucoup de travail se fait dans les champs, comme l’a dit l’intervenant précédent, en faisant des observations, des croisements et de la sélection sur les descendances.

Je vais illustrer ces propos par l’exemple de nos performances en blé tendre. Nous avons un programme en France qui porte sur 1 000 croisements ; nous les observons cinq ans après. Car en dépit des méthodes modernes, le processus prend du temps, pas loin de dix ans. Nos variétés (2 000) arrivent ensuite dans le champ de l’agriculteur.

Pour un programme blé tendre, les observations concernent deux millions de plantes par an pour notre société. On évoque des millions de plantes des paysans mais on peut aussi parler en millions de plantes pour les sélectionneurs !

J’ai apprécié les propos de M. François Houllier en introduction, rappelant que la semence était à la fois un bien public et un bien marchand.

Il faut comprendre qu’un travail qui dure dix ans et réclame des efforts soit marchand. Le certificat d’obtention végétale le reconnaît puisqu’il permet à l’obtenteur d’être rémunéré pour son travail.

Quant aux semences de ferme, je suis désolé ! À partir du moment où on resème une variété sur laquelle nous avons passé dix ans à travailler, il me semble légitime que le travail de l’obtenteur soit rémunéré.

La semence est aussi un bien public. Elle l’est encore plus dans le système du COV puisque la variété est librement accessible à tout un chacun pour pouvoir améliorer, créer et s’en servir comme source de variabilité.

Les sélectionneurs créent aussi de la biodiversité en mettant des variétés sur le marché. Aujourd’hui, les variétés protégées par le COV sont les ressources les plus libres d’accès au monde.

Le système du COV répond bien à cette double nature de bien public et de bien marchand. Nous sommes également conscients que certaines des inventions nécessitent la protection du brevet. Nous ne sommes pas opposés au brevet et nous avons pris une position à ce sujet. Il est important que les deux formes de protection existent et cohabitent.

En revanche, nous sommes opposés à la protection par brevet des gènes natifs.

Comme l’a rappelé M. François Burgaud, les sélectionneurs se sont toujours intéressés à la biodiversité et son maintien. Si les sélectionneurs ne s’étaient pas organisés avec l’INRA et d’autres organismes publics dans les années 1970 pour maintenir des ressources génétiques, nous aurions eu une perte de biodiversité relativement importante. Je ne reviendrai pas sur le fait que les collections dites nationales aient été aussi constituées par les associations de sélectionneurs, un point précisé par M. François Burgaud.

Voici deux exemples de grandes réussites en France sur l’utilisation des ressources génétiques. En blé, la résistance au piétin-verse a été introduite par l’INRA à partir d’une ressource génétique, d’où l’intérêt d’avoir un réservoir de ressources. Pour une maladie du tournesol, le phomopsis, le gène de résistance d’une espèce sauvage a été introduit dans une espèce cultivée.

Avec le développement des transports, le monde s’est rétréci et une vigilance est nécessaire quant aux risques épidémiologiques. Quels sont les derniers grands problèmes que l’agriculture a rencontrés à ce sujet ? Tous dans la salle ont entendu parler du phylloxera pour la vigne, du mildiou pour la pomme de terre posant tellement de problèmes en Irlande.

J’ai essayé de voir, si récemment, nous avions connu des situations similaires. Il y a quelques exemples remontant aux années 1970 mais, depuis, il ne semble plus y avoir de problèmes aussi importants que par le passé. On peut citer l’apparition d’une souche de rouille noire du blé en 1999 mais la sélection permet d’apporter une solution assez rapide.

Malgré tout ce que l’on dit sur la perte de biodiversité, notre système permet de répondre à certaines préoccupations essentielles.

Je reviens maintenant sur le débat franco-français. Ses termes montrent que nous avons tous conscience que les semences représentent un secteur stratégique. En Chine, comme aux États-Unis, l’enjeu est parfaitement compris. Ce serait une erreur d’être naïf en France et en Europe sur ce sujet.

Le modèle français qui a fait notre force et notre réussite est basé sur l’affirmation du COV pour la protection des variétés, ce qui ne signifie pas l’absence du brevet.

Ce modèle est basé sur une réglementation qui doit être intelligente et évolutive et qui a, aujourd’hui, réussi à préserver une grande diversité. Il est basé aussi sur ces partenariats public-privé dont on a beaucoup parlé et qui font la force de notre système.

Je pense qu’il est important pour le législateur d’avoir conservé tous ces éléments car la réglementation évoluera sans doute. Elle est une façon d’orienter la sélection. Nous sommes sur une temporalité relativement longue et si une erreur est commise, il faut du temps pour la corriger.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Merci beaucoup de cet exposé très complet. Monsieur Jean-Louis Courtot, c’est à vous.

M. Jean-Louis Courtot, président de la Coordination nationale pour la défense des semences fermières (CNDSF). Je m’exprime aujourd’hui au nom de la CNDSF mais j’aimerais rappeler que la semence de ferme concerne aussi le syndicat des trieurs de semences français et également l’EMSA, le syndicat européen des trieurs de semences.

La semence de ferme concerne essentiellement les céréales à paille et les protéagineux. Il s’agit pour l’agriculteur d’acheter de la semence industrielle certifiée, protégée, de la cultiver pour ensuite la réutiliser pour réensemencer ses terres.

Tout d’abord, un bref rappel historique de l’histoire de la semence de ferme.

Tout le monde connaît les débats qui ont eu lieu pendant plus de vingt ans et ont abouti à la mise en place d’un compromis, la CVO (contribution volontaire obligatoire), en 2001 pour le blé tendre, et à la loi de 2011. Elle officialise le droit de l’agriculteur, sans autorisation de l’obtenteur, de ressemer une variété protégée en contrepartie d’une rémunération de celui-ci. En 2013, celle-ci a été augmentée pour passer à 0,7 euro par tonne livrée. Treize espèces ont été ajoutées à la liste des 21 espèces qui correspondaient au droit européen.

S’il faut regarder vers l’avenir, le passé nous apprend que la semence de ferme est une réalité imposée par les agriculteurs eux-mêmes. C’est une évidence dans le monde agricole français.

La semence de ferme est réalisée par l’agriculteur lui-même, les CUMA, les trieurs de semences représentés par le STAFF, le syndicat français des trieurs à façon de France.

L’évolution, aujourd’hui, consiste en une progression sensible en faveur des trieurs professionnels. On constate une forte augmentation des semences de ferme réalisées par ces trieurs, qui sont tous agréés et respectent un référentiel fixé par le ministère de l’Agriculture.

Cette évolution est liée à la complexification de la réglementation sur l’application des traitements phytosanitaires mais aussi au professionnalisme des trieurs de semences. Certains se lancent dans des certifications iso 14 000. On prépare également les contrôles sur les appareils de traitement qui vont avoir lieu à partir de 2016.

La semence de ferme, ce sont des centaines d’entreprises disséminées sur l’ensemble du territoire français, en particulier dans des zones rurales.

L’agriculteur est placé au cœur du système. Il gère le premier maillon de sa production et cela représente aussi une garantie de sécurité d’approvisionnement et alimentaire. L’exemple des 300 000 hectares gelés en France en 2011 montre l’importance essentielle de la semence de ferme qui a permis de réensemencer ces terres.

La semence de ferme a tout d’abord un intérêt économique pour l’agriculteur qui peut réduire ses coûts tout en conservant un rendement identique. C’est ce qui explique son attrait auprès des agriculteurs. La ferme France économise globalement 60 millions d’euros avec ce système.

Autre point important, la semence de ferme a un intérêt environnemental. Son bilan carbone est très positif car il n’y a pas de transport puisque tout est réalisé sur place, à la ferme. Par ailleurs, l’agriculteur trie et prépare la stricte qualité nécessaire à sa culture.

La semence de ferme réagit avec souplesse aux nouveautés, ce qui permet de répondre à certaines pratiques comme par exemple le mélange variétal. Cette pratique se développe, facilitée par la semence de ferme.

Par rapport à l’utilisation des produits phytosanitaires, la semence de ferme a un intérêt écologique important car elle permet de réduire leur utilisation, en particulier celle des insecticides. Les produits sont appliqués strictement en fonction des besoins des parcelles. C’est possible de le faire car le travail est réalisé sur place, à la ferme.

La semence de ferme, pour 21 espèces protégées par un certificat d’obtention végétale (COV), est légale ainsi que pour 13 espèces d’une liste complémentaire. Dans nos rangs, certains s’y opposent, d’autres l’acceptent mais tous trouvent qu’il y a un manque de transparence. Des questions se posent sur cette CVO, en particulier sur la liste complémentaire. Cette liste concerne-t-elle des COV strictement européens ou des COV strictement français ? Ce n’est pas clair.

Par ailleurs, est-ce qu’une partie de cette CVO est reversée aussi aux obtenteurs ayant des certificats ou une propriété sur des semences hybrides ?

Il y a eu un manque de communication dans ce domaine et il est nécessaire aujourd’hui d’engager un important travail à ce niveau.

Pour conclure, trois enjeux.

La semence de ferme est économe en traitements phytosanitaires et nous pensons qu’elle peut être reconnue comme une pratique référencée en protection de semence. Cela fait référence à Ecophyto 2018.

Deuxième enjeu important : si on considère que la semence de ferme est légale suite à la loi de 2011, on ne comprend pas l’interdiction de resemer des hybrides. Cette mesure est en contradiction avec la loi de 2011.

Enfin, l’histoire montre que la semence de ferme est une réalité française. Les agriculteurs l’ont plébiscitée. Nous pensons qu’il serait normal que le secteur de la semence de ferme soit réellement représenté au sein des institutions représentant la filière semencière.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Bien. M. Jean-Chistophe Gouache.

M. Jean-Christophe Gouache, directeur des affaires internationales de Limagrain Coop. Je suis probablement le seul représentant d’un acteur économique autour de cette table. Mon intervention servira certainement à illustrer les propos de Claude Tabel, qui a parlé au nom de l’UFES. Mais je vais parler au nom de Limagrain.

Limagrain est un groupe coopératif international comme le montre la répartition de son activité sur les différents continents, spécialiste des semences et des produits céréaliers.

Les semences représentent environ 75 % du chiffre d’affaires total de Limagrain qui s’élève à 2 milliards d’euros. Limagrain est le quatrième semencier mondial et le premier semencier français.

Son modèle d’entreprise est spécifique puisque la maison mère est une coopérative. Cela signifie que l’entreprise est dirigée par des agriculteurs et qu’ils prennent les décisions stratégiques.

Je soulignerai trois points. Tout d’abord, une vision à long terme du développement de l’entreprise dans ses orientations stratégiques et une stabilité de ces orientations.

Deuxième spécificité importante, liée à la gouvernance et voulue par les agriculteurs : l’essentiel des bénéfices sont réinvestis dans l’entreprise. Alors que les entreprises du CAC 40 versent environ 50 % de leurs bénéfices sous forme de dividendes, la proportion est de 17 % chez Limagrain.

Enfin, un troisième point important. Le groupe est numéro un français, c’est un champion français mais international. Cette courbe sur le graphique présenté illustre la croissance internationale, qui bénéficie à l’économie française.

Au cours des six dernières années, Limagrain a créé 1 350 emplois et investi plus de 300 millions d’euros en France. Ces investissements le sont en Anjou, en Auvergne, dans la vallée du Rhône, dans le Gard, … Et ce sont des centres de recherche créateurs d’emplois très hautement qualifiés.

Notre vision de l’agriculture est respectueuse, progressiste et innovante.

C’est une vision respectueuse de toutes les formes d’agriculture que nous servons – pour utiliser les mots classiques – les agricultures conventionnelle, biologique, raisonnée, transgénique, y compris les formes les plus modernes, en cours de développement. On utilise aujourd’hui les agricultures de précision, le bio-contrôle dont les développements sont devant nous. Nous sommes là pour respecter et servir ces différentes formes d’agriculture.

Nous respectons également les attentes de la société en matière de besoins nutritionnels ou d’environnement.

Je voudrais insister sur une chose : il n’y aura pas d’agriculture durable sans innovation y compris pour l’agriculture biologique. Si elle veut être durable et se développer, il faudra qu’elle soit innovante, dans le domaine du bio-contrôle en particulier.

Pourquoi innover ? Comme cela a déjà été mentionné, il faut innover pour faire progresser l’agriculture face aux grands enjeux alimentaires de demain et pour contribuer à la sécurité alimentaire mondiale. L’agriculture doit être plus performante pour produire plus et mieux.

Nous ne sommes pas seuls à le dire. Je fais référence au rapport de la députée européenne Marit Paulsen de décembre 2014 pour le Parlement européen qui souligne l’importance d’avoir un secteur semencier compétitif au niveau européen.

Il faut aussi innover pour répondre aux attentes sociétales. Je renvoie sur ce point au rapport de Dominique Potier remis au Premier ministre en novembre 2014, qui insiste sur l’importance et le besoin d’innovation variétale pour relever le défi de la réduction de l’utilisation de pesticides.

Il faut bien sûr répondre aux attentes des producteurs locaux. Je prendrai deux exemples illustrés par des photos. Lorsque nous mettons au point des variétés de carottes résistantes au champignon pathogène Alternaria dauci en milieu tropical au Brésil ou quand nous mettons au point des variétés spécifiques pour la panification en Auvergne, destinées à notre filiale Jacquet, nous répondons à des besoins locaux. Nous contribuons ainsi à la performance de filières de production locales en France et dans le monde, avec des réponses spécifiquement adaptées.

Pour innover, il faut des moyens importants en matière de compétences, de budget, d’infrastructures. Nous avons dépensé 200 millions d’euros en recherche en 2014, soit 13 % du chiffre d’affaires.

Les dépenses de recherche ont été multipliées par deux au cours des huit dernières années. Ce doublement des dépenses n’aurait pas été possible sans le crédit impôt recherche. Je tiens à saluer ici les pouvoirs publics pour la mise en place de ce dispositif qui nous a permis de faire cet effort considérable de recherche.

L’amélioration des plantes, certains l’ont dit, est aussi contributrice de l’enrichissement de la biodiversité.

Au niveau mondial, Limagrain compte 122 sites de recherche. Ce sont 500 nouvelles variétés, une quarantaine d’espèces travaillées et 10 % des montants de recherche investis qui servent à caractériser, à enrichir les ressources génétiques et à caractériser leur variabilité.

En ce sens, l’amélioration des plantes contribue à enrichir la biodiversité des espèces sélectionnées par la création de nouvelles combinaisons de gènes qui n’auraient jamais pu se produire sans cette activité de sélection. M. Kastler l’a souligné, disant lui-même que nous avons croisé des ressources génétiques que la sélection locale n’aurait pas pu croiser.

Je terminerai en soulignant l’importance de la réglementation dans la performance de la filière semencière. Plusieurs intervenants l’ont souligné. La filière semencière est le résultat du cadre politique et réglementaire mis en place depuis plusieurs décennies.

Nous souhaitons continuer à avoir un cadre réglementaire qui nous permette d’avoir une filière et une entreprise, Limagrain, sources d’excellence, créatrices d’emplois et indépendantes dans un environnement mondial très concurrentiel.

Pour conclure, la filière semencière française, première exportatrice mondiale de semences et Limagrain, quatrième semencier mondial, premier semencier français, demandent un soutien fort des pouvoirs publics, un cadre réglementaire propice à l’innovation pour poursuive leur développement, faire progresser l’agriculture et créer des emplois. Je vous remercie.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Merci à vous d’avoir confirmé l’importance économique du secteur semencier français. C’était d’ailleurs à l’origine de l’organisation de cette audition mais pas seulement. Mme Blanche Magarinos-Rey.

Mme Blanche Magarinos-Rey, association Kokopelli. Je suis l’avocate de l’association Kokopelli depuis 2006. Je vais exposer les activités de l’association, ses difficultés judiciaires et ses revendications sur le plan de la réglementation.

L’association a été créée en 1999 par M. Dominique Guillet, le président actuel et l’auteur d’un manuel de production de semences diffusé dans les foires et les salons en France. Vous pouvez voir ici des sachets de semences commercialisés par Kokopelli.

M. Dominique Guillet est un botaniste passionné qui a constitué une collection de semences potagères. Elle comprend actuellement 5 000 variétés dont 3 000 représentent une collection vivante, constamment renouvelée et multipliée. Cette collection est régulièrement enrichie par de nouvelles variétés. Vous voyez des photos des locaux réfrigérés de l’association où est conservée la collection de l’association.

L’association compte 7 800 membres actifs, 25 salariés en saison et une quinzaine d’agriculteurs multiplicateurs qui s’occupent de multiplier la collection par lots de 1 200 variétés chaque année. Les semences issues de cette multiplication sont mises en vente en France et en Europe.

L’association s’appuie sur un réseau de 450 parrains et marraines qui sont des jardiniers amateurs et s’engagent à conserver et à multiplier une ou deux variétés d’une gamme appelée « gamme collection » qui n’est pas mise en vente. Les semences issues de cette multiplication sont données gratuitement.

Vous voyez ici une photo de l’équipe au grand complet avec les agriculteurs multiplicateurs et les salariés de Kokopelli en France, en Belgique et en Suisse.

Ce travail est réalisé sans subvention publique et vise à maintenir une collection de variétés qui appartiennent au domaine public, qui sont le patrimoine de tous. Elles sont reproductibles et libres de droits.

L’association se finance grâce à des activités commerciales, des ventes sur son site Internet et dans sa boutique. Elle est présente sur les foires et les salons bios en France et en Europe, en particulier en Suisse et en Belgique.

Grâce à ces activités commerciales, l’association finance une campagne « Semences sans frontières » qui consiste à distribuer des semences gratuitement à des communautés rurales des pays en voie de développement qui en font la demande.

Vous avez là, sur la table, le contenu d’un colis de semences qui part vers une communauté du Sud. En général chaque colis contient l’équivalent d’environ un millier d’euros de semences. Voici quelques photos de semences envoyées vers l’Afrique, l’Amérique latine. Les résultats sont en général très positifs. Les colis partent avec des fiches techniques qui permettent aux communautés d’être autonomes c’est-à-dire de planter et de resemer pour multiplier les semences envoyées.

La campagne « Semences sans frontières » prend de l’ampleur. Quelque 220 colis ont été envoyés en 2014 vers des pays en voie de développement pour l’équivalent de 490 kilos de semences, tout cela gratuitement.

L’association a fait l’objet d’une procédure pénale lancée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en 2004. L’un des deux agents qui est venu dresser les procès-verbaux dans les locaux de l’association était un agent détaché du Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS), je tiens à le souligner. Cette procédure s’est terminée en 2008 par un arrêt de la Cour de cassation qui a condamné l’association à payer une amende d’un peu plus de 17 000 euros pour commercialisation de variétés non inscrites au catalogue officiel. Le GNIS était aussi partie civile lors de cette procédure ainsi que l’Union française des semenciers (UFS).

Ensuite, une procédure civile a duré plus de dix ans sur le fondement de la concurrence déloyale lancée par la société Graines Baumaux. Nous sommes allés devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et la procédure s’est clôturée le 9 septembre 2014. La société Graines Baumaux a été déboutée de ses demandes, la Cour considérant que les activités de l’association Kokopelli, dès lors qu’elle commercialise des variétés du domaine public, ne sont pas constitutives d’actes de concurrence déloyale.

Une seconde procédure civile a démarré l’an dernier pour enregistrement frauduleux de la marque Kokopelli par la société Graines Baumaux. Elle est pendante devant le Tribunal de grande instance de Marseille et concerne la marque Kokopelli et l’inscription, par la société Graines Baumaux, de la marque « Tomate Kokopelli » à l’INPI. Cette société a profité du fait que l’association n’avait pas enregistré la marque. Nous demandons l’annulation de cet enregistrement à l’INPI pour fraude.

L’association Kokopelli fait ainsi l’objet d’un harcèlement constant depuis 2004 de la part de l’industrie semencière.

Concernant la réglementation sur le commerce des semences, je vais répéter ce qui a déjà été dit mais je pense que c’est nécessaire. Elle repose sur deux piliers.

Le premier pilier est constitué de l’enregistrement des variétés au catalogue officiel. Il s’agit d’une procédure d’autorisation préalable de mise sur le marché. Les critères d’inscription sur ce catalogue officiel sont ceux de distinction, d’homogénéité génétique et de stabilité.

Ensuite, il s’agit de payer des droits d’inscription et de maintien au catalogue. Pour certaines espèces, les droits d’inscription sont particulièrement élevés. Pour le blé, la somme avoisine 8 000 euros. Puis, il faut payer les droits de maintien au catalogue tous les ans.

Il faut avoir une dénomination distincte de celles déjà inscrites au catalogue. Pour les grandes cultures seulement, des tests de valeur agronomique et technologique (VAT) sont nécessaires. Le progrès génétique, qui a été évoqué, est obligatoire.

Parmi ces critères, il n’y a donc aucun lien avec l’innocuité sanitaire et environnementale. L’innocuité sanitaire n’entre pas dans les critères d’accès au catalogue. En fait, ces critères d’accès représentent une exigence de standardisation de la production agricole grâce en particulier au critère d’homogénéité génétique et de stabilité.

Ensuite et seulement ensuite – la confusion n’est pas rare – on a les règles de certification qui régissent la production des semences avec des critères d’identité variétale, de pureté spécifique, de pureté variétale, de faculté germinative. Et là, on trouve le critère d’innocuité sanitaire.

Pour les grandes cultures, les contrôles des semences certifiées sont réalisés avant la mise sur le marché.

Pour les cultures potagères – nous sommes ici davantage concernés – les semences sont vendues sous l’appellation de semences standard et les contrôles sont réalisés après la mise sur le marché, par le biais de prélèvements au hasard.

L’association n’a jamais critiqué les critères de la certification. Nous avons fait l’objet de plusieurs contrôles à ce titre et nous n’avons jamais été verbalisés.

Notre problème réside dans le système de l’enregistrement des variétés au catalogue. Comme je l’ai rappelé, les critères sont la distinction, l’homogénéité, la stabilité. Ce qui est problématique est l’identité parfaite entre ces critères pour l’enregistrement au catalogue et ceux pour l’octroi des droits de propriété intellectuelle (DPI) sur les variétés végétales. Pour avoir un droit d’obtenteur ou COV, il faut satisfaire les critères DHS. Résultat, le catalogue est devenu un outil de promotion des DPI et des grands acteurs économiques. 

Les variétés du domaine public, qui ne sont pas homogènes et ne répondent pas à ces critères de standardisation de la production agricole, ont été rendues illégales.

J’attire votre attention sur le fait que les quelques dérogations ouvertes par la législation européenne pour les variétés de conservation et pour celles sans valeur intrinsèque sont strictement impraticables. C’est la raison pour laquelle il y a si peu d’inscriptions sur ces catalogues ; une dizaine de variétés de conservation et environ 300 variétés sans valeur intrinsèque sont dans la production commerciale. Pour l’association Kokopelli, c’est impossible d’accès.

Si l’on examine le catalogue français des variétés végétales, pour les espèces potagères en particulier, on s’aperçoit que pour les tomates par exemple, 357 variétés sont inscrites dont 352 hybrides c’est-à-dire l’immense majorité. Les principaux opérateurs sur ce marché sont cinq groupes semenciers qui contrôlent 93,5 % des variétés de tomates. Pour les piments, quatre groupes contrôlent 99 % des variétés.

Je termine en insistant sur les problèmes de la disparition de la biodiversité, attestée par de nombreux rapports de la communauté internationale et par des publications scientifiques, et de la chute drastique de la valeur nutritionnelle des variétés mises sur le marché.

Je vous remercie de votre attention. J’ai beaucoup dépassé mon temps de parole.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. C’est vrai mais il faut pouvoir s’exprimer. Je passe la parole à M. Pierre-Édouard Guillain, qui va clore cette table ronde. Nous aurons peu de temps pour la discussion.

M. Pierre-Édouard Guillain, directeur de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB). Merci Madame la présidente. Mesdames, Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs.

Je vous remercie de nous avoir donné cette opportunité d’exprimer le lien biodiversité et ressources génétiques. On n’a pas beaucoup entendu parler jusqu’à présent de la biodiversité et de ses implications.

La biodiversité recouvre trois niveaux d’organisation du vivant et, notamment, la diversité génétique. Pour la Convention sur la diversité biologique de 1992, la ressource génétique est bien la ressource tirée de la biodiversité, avec une valeur potentielle ou effective. Cela nous renvoie aux défis alimentaires et environnementaux que nous devrons traiter et qui ont été évoqués précédemment.

Comme cela a été dit également, il n’y a pas assez de résultats de recherche synthétiques et intégrés, faisant le lien avec les questions de biodiversité, de ressources génétiques et tenant compte des différentes échelles du vivant.

Or, le débat l’a montré, beaucoup d’interrogations demeurent sur les ressources génétiques intra-spécifiques, sur les écosystèmes, sur les interactions avec les compartiments du sol, sur le cycle biogéochimique, sur le climat… Il faut aussi intégrer les approches des sciences économiques, sociales et juridiques.

La FRB est une fondation de coopération scientifique. Ses membres fondateurs, dont la plupart sont représentés ici, se sont exprimés au cours de la première table ronde. Nous avons tous le sujet de la biodiversité en partage.

À travers les différents avis exprimés lors de cette audition, on a pu mesurer combien l’expression des parties prenantes, l’apport des scientifiques et l’appropriation des résultats de la recherche par tous les acteurs étaient essentiels.

La Fondation contribue à coordonner la recherche en matière de biodiversité ; beaucoup d’autres organismes le font aussi bien sûr. Nous essayons de multiplier les approches multidisciplinaires et partenariales pour aborder la problématique de la biodiversité dans les différents compartiments du vivant.

Pour organiser un dialogue fructueux entre recherche et parties prenantes, la Fondation a deux instances de dialogue.

Le comité d’orientation stratégique avec 166 structures représentées et un collège spécifique dédié aux ressources génétiques. Celui-ci accueille des représentants qui, comme nous avons pu le voir aujourd’hui, ont des avis partagés sinon contradictoires. Il s’agit notamment pour nous de contribuer au débat sur des questions de recherche et à l’appropriation des résultats de la recherche.

Le comité scientifique, dont des membres sont autour de cette table, réunit des personnalités scientifiques dont les travaux sont reconnus pour leur qualité et leur approche multidisciplinaire. M. Jean-Louis Pham, ici présent, est ainsi un spécialiste des ressources génétiques.

Quand nous avons réalisé, en 2009, pour le compte du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, une étude prospective sur la biodiversité, la question des ressources génétiques était présente. Le conseil scientifique, qui avait piloté les éléments de l’étude, a rappelé la nécessité d’évaluer les effets des activités humaines sur la diversité génétiques des espèces sauvages et domestiques.

En parallèle, l’expression sociétale et partenariale s’est exprimée au sein du conseil d’orientation stratégique pour un fort investissement en faveur de la biodiversité de proximité étroitement liée aux activités humaines, telle que la biodiversité agricole.

Nous avons donc là un vrai sujet de science, un vrai sujet de recherche sur lequel je vais apporter quelques éclairages avec des exemples. Il s’agit de travaux menés à la Fondation qui sont loin d’être exhaustifs de tout ce qui se fait en recherche publique et privée. Ces exemples illustrent nos travaux sur le lien entre biodiversité et ressources génétiques.

De nombreux travaux sont menés par exemple sur la diversité intra-spécifique – sur les races des espèces végétales comme animales –, sur l’utilisation des métadonnées pour étudier les interactions entre les systèmes d’échanges de semences et la diversité des produits domestiques. C’est une approche novatrice.

Il y a également des travaux sur les perspectives de l’évolution de la biodiversité. Il s’agit de comprendre comment les ressources génétiques vont nous permettre de répondre à un certain nombre de pressions auxquelles nous devons faire face, en particulier la demande alimentaire et le changement climatique, et comment les prendre en compte dans les activités humaines.

Je voudrais citer aussi des éléments de veille juridique et des travaux de synthèse liés à la Convention sur la diversité génétique qui s’intéresse vraiment au sujet, notamment à travers la question de l’accès au partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques.

D’autres travaux importants sur la valorisation des données se situent à l’interface avec les parties prenantes, les acteurs économiques et associatifs. Beaucoup de données sont accumulées qu’il faut savoir interpréter.

Notre rôle est aussi de donner à la puissance publique des indications sur l’état et la description de la diversité génétique, notamment à travers la question des ressources génétiques. Ainsi, pour la France, nous accompagnons la délégation pour la FAO, mais aussi des actions du ministère de l’Écologie pour l’Observatoire national de la biodiversité (ONB).

Nous travaillons également à mobiliser l’expertise scientifique sur un certain nombre de sujets, en particulier des études intégrées et globales. L’étude sur le blé menée en 2009 a ainsi mis en avant la nécessité d’évaluer la diversité génétique des variétés de blé tendre cultivées en France au XXe siècle. L’enjeu économique est très important. Cette étude a été la première sur ce sujet en France et a donné lieu à la publication de deux articles dans des revues à comité de lecture, notamment sur l’approche scientifique.

Il nous paraît essentiel de fonder un certain nombre d’indicateurs et d’approches sur ces questions liant biodiversité et ressources génétiques sur des méthodes scientifiques solides et partagées. L’étude sur le blé nous a permis d’en mesurer la difficulté. Elle a conforté la nécessité de poursuivre notre travail en faveur des approches intégratives.

Il y a des défis sociétaux et environnementaux ; ils ont été rappelés lors de ce débat au cours duquel nous avons parlé par exemple de bio-contrôle, de résistance au changement climatique. En conséquence, les pratiques agricoles évoluent et il faut avoir une vision globale de l’évolution de la diversité génétique, en appréhender les différents aspects et les tendances.

Pour privilégier une démarche intégrée de la biodiversité, pour avoir une bonne concertation des acteurs, l’aspect multidisciplinaire est absolument nécessaire. Beaucoup d’éléments de connaissance sont encore requis, en particulier des indicateurs, pour restituer ces travaux de recherche et favoriser leur appropriation par les acteurs publics et privés.

Pour faire cela, la mobilisation de la recherche publique et privée est essentielle. Nous avons un suivi précis des acteurs avec 743 chercheurs liés aux instances de dialogue que j’ai citées. Nous structurons nos actions à travers un plan d’action stratégique défini par le conseil d’administration. Et notre équipe en interne assure le dialogue avec le conseil scientifique et la communauté des acteurs. Merci Madame la Présidente.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. La fondation n’est pas très vieille ?

M. Pierre-Édouard Guillain. La Fondation a été créée en 2008 et elle a succédé au Bureau des ressources génétiques (BRG).

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Le fonctionnement était très informel avec des scientifiques qui faisaient ce qu’ils pouvaient pour conserver le plus talentueusement possible un certain nombre de choses. Nous sommes donc passés de l’informel au formel avec cette Fondation, ce qui donne à présent des outils pour agir et avancer.

M. Pierre-Édouard Guillain. Tout à fait.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Cette audition a réuni une assemblée aux objectifs et aux analyses variés, avec des acteurs partageant tous un fort intérêt pour les questions en débat, des acteurs différents, certains puissants mais rigoureux, d’autres moins puissants mais qui aspirent à le devenir.

C’est la France, nous sommes hétérogènes et immunogènes! Nous devons parvenir à construire ensemble en Europe, gérer les contradictions comme on le dit en Chine, pays en train de bâtir une base extrêmement puissante de ressources génétiques. Ne l’oublions pas. Gérons notre hétérogénéité pour rester forts dans un domaine où nous le sommes déjà et trouvons des solutions pour que d’autres aient leur place.

Globalement mon impression est bonne, le progrès se poursuit et nous sommes compétitifs.

Qui veut prendre la parole parmi ceux ou celles qui ne sont pas encore intervenus ?

DÉBAT

M. Jean-François Berthellot, co-président du Réseau Semences paysannes. Je me suis déjà exprimé mais je voudrais interpeller M. Gouache. Il n’y a pas d’agriculture durable sans innovation, a-t-il dit. Mais l’innovation aujourd’hui n’est pas seulement technologique et ne demande pas forcément d’énormes moyens.

Je pense qu’une bonne alliance entre une recherche qui descend dans les fermes et les paysans, une recherche qui se fait avec eux, qui utilise leurs ressources, est source d’innovation dans un temps assez rapide.

M. Jean-Christophe Gouache, directeur des affaires internationales de Limagrain Coop. Je répondrais en disant que nous travaillons avec des paysans
– nous sommes dirigés par des paysans – et pour des paysans. Établir d’autres méthodes pour travailler est aussi de l’innovation.

Dans mes propos, je voulais insister simplement sur les moyens et le cadre réglementaire nécessaires à la poursuite de l’innovation.

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, vice-présidente de l’OPECST. Il était important que cette question soit posée. Je vous en remercie.

Je ne pense pas que nous soyons en France dans le monde d’une agro-industrie puissante, très capitalistique et très homogène. Nous sommes fondamentalement dans un monde paysan. Mais la nature des paysans est variable et un peu revendicative !

Nous avons désormais trois types d’acteurs semenciers en France qui n’ont pas le même poids et ne sont pas de même nature. La puissance publique parviendra à des solutions. Nous étions là aussi pour ça. C’est notre génie français et ce n’est pas toujours facile.

À l’OPECST, nous avons pris un petit risque en ne cachant pas les sujets derrière des termes savants. Entrer dans le débat par les semences avait le mérite d’être clair. Nous y reviendrons.

Merci à toutes et à tous et merci d’avoir passé du temps cet après-midi avec nous, les parlementaires, qui faisons tout ce que nous pouvons. À bientôt !

EXTRAIT DE LA RÉUNION DE L’OPECST DU 8 JUILLET 2015 PRÉSENTANT LES CONCLUSIONS DE L’AUDITION PUBLIQUE

Mme Anne-Yvonne Le Da in, députée. Nous avons travaillé sur la question des semences. Une semence est une graine. Dans le monde d’aujourd’hui, derrière les semences, il y a beaucoup de technicité, de technologie et de science.

L’audition publique a mis en lumière l’importance économique cruciale de la filière semencière française. Le dynamisme de la filière a permis à la France de se hisser au rang de premier producteur européen de semences et à celui de deuxième exportateur mondial, dans un environnement mondial pourtant très concurrentiel. Il s’agit d’un secteur stratégique, porté par l’innovation, et qui constitue une force économique pour la France. Il apparaît donc essentiel de contribuer à son développement, notamment grâce à une réglementation évolutive et adaptée à ses besoins.

En matière de protection de l’innovation, l’Union européenne a désormais opté pour le système du Certificat d’obtention végétale (COV) qui lui est apparu moins contraignant que le système du brevet, et plus compatible avec le maintien, la préservation et la valorisation de la biodiversité cultivée. En effet, le système du COV permet l’exemption du sélectionneur. Contrairement au brevet, le COV encourage donc l’innovation variétale. Par ailleurs, le COV prévoit une exemption de l’agriculteur, lequel est autorisé à reproduire ses propres semences sur son exploitation, pour sa propre utilisation, à condition de contribuer à l’investissement que représente la recherche par le paiement d’une redevance.

La capacité productive de la filière semences a été acquise de longue date grâce à ce cadre réglementaire adapté, avec des droits de propriété intellectuelle sur la création de nouvelles variétés végétales. Le système du COV – auquel la recherche publique se montre attachée – s’avère efficace car il permet d’assurer la pérennité des financements de la recherche variétale et du progrès génétique, et qu’il n’obère pas les évolutions futures en bloquant l’usage de tel ou tel “caractère d’intérêt” au bénéfice quasi-définitif d’un tiers. Enfin, il est important de prendre en considération les demandes de l’ensemble des acteurs de la filière et de parvenir à une solution équilibrée entre semences certifiées, telles qu’évoquées ci-dessus et semences dites « de ferme », afin que ces dernières puissent bénéficier d’une forme de reconnaissance scientifique et juridique des pratiques paysannes de production et d’échanges de semences et de plantes.

La France a son rôle à jouer dans la préservation de la biodiversité en matière de semences. À cet égard, il serait souhaitable qu’elle se dote d’un conservatoire national des semences scientifiquement référencé, à l’instar de ce que pratiquent un certain nombre de pays, comme les États-Unis et le Japon. Ces banques de conservation permettent un accès simplifié au matériel végétal, indispensable à la sélection qui permet d’adapter les plantes cultivées aux besoins locaux, agricoles et alimentaires, aux réalités et aux évolutions environnementales et au développement des nouvelles maladies. Compte tenu de la place prépondérante de la France, tant pour la production que pour l’exportation de semences, la création d’un conservatoire national ne pourrait qu’avoir des retombées positives sur l’ensemble de la filière et conforterait sa notoriété et son indépendance.

Par ailleurs, afin de contribuer au dynamisme de la filière, il apparaît également nécessaire de renforcer la formation de personnels qualifiés dans le domaine de l’évaluation. En effet, les modalités d’inscription au catalogue reposent sur deux grands concepts, les critères DHS (distinction, homogénéité, stabilité) et VATE (valeur agronomique, technologique et environnementale). La vérification de la conformité aux critères DHS et VATE mobilise donc de nombreux personnels spécialisés. Il serait souhaitable de renforcer ce capital de compétence et d’expertise et de le développer avec le réseau professionnel, en ouvrant des formations correspondantes à ces besoins, notamment de type technicien (niveau licence ou licence pro), dans les établissements scolaires et universitaires.

Enfin, il convient de préciser que les filières horticoles et fruitières sont concernées par ces questions, tout autant que les filières céréalières, légumineuses ou fourragères. C’est la raison pour laquelle, dans le précédent texte, je parlais de semences et de plants, plutôt que de plantes.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l’OPECST. Merci à notre collègue pour cette mise au point très intéressante. Je crois que le point est bien fait et que les conclusions rappellent ce qui s’est dit au cours de l’audition publique. Cela vient compléter l’audition publique par une discussion à l’Office.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. Cette audition publique sur les semences, avec la notion de conservatoire, la technologie qui est derrière et la filière importante que cela représente, pose aussi la question de ce qu’on appelle les ressources génétiques : d’où viennent les semences, comment sont-elles construites, par où les prend-t-on ? Ces questions vont déboucher sur l’organisation d’une nouvelle audition publique au mois d’octobre 2015.

M. Jean-Yves Le Déaut. Sur la question des ressources génétiques, c’est envisagé pour début octobre, dans le cadre d’une audition publique que je présiderai moi-même.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l’OPECST Je voudrais rendre hommage à la filière semencière car le progrès génétique a joué un rôle essentiel pour le progrès de l’agriculture, avec également l’utilisation des engrais, etc. Il fut un temps, il y a une trentaine, voire une quarantaine d’années, où on cherchait, par exemple, le blé le plus productif, sans se préoccuper de savoir s’il résistait aux rouilles, aux maladies en général, aux insectes, à la sécheresse, etc. Désormais, les semenciers travaillent à la fois à maintenir le potentiel de rendement et à introduire des capacités de résistance à un certain nombre de maladies pour utiliser le moins de produits phytosanitaires ou pesticides. On remarque quand même que, en ce qui concerne le blé, l’augmentation de la productivité plafonne et qu’il en va de même pour le colza. On ne constate plus de progrès génétique, on a l’impression de plafonner et j’aurais aimé pouvoir en demander la raison aux obtenteurs. On effectue la même observation au niveau national : au-delà des accidents climatiques, on n’observe plus d’augmentation des rendements similaire à celles constatées au cours des années 1960-1970, voire 1980.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. C’est une vraie question et elle est fondamentale. Cela provient peut-être aussi du fait que, pendant un certain temps, au cours des années qui viennent de s’écouler, peut-être une vingtaine d’années, il y a eu dans l’imaginaire du monde économique, surtout international, l’idée qu’une variété pouvait être omnipotente, partout, sous tous les climats, dans toutes les conditions et que la grande question de la productivité n’était pas un problème de semences mais d’intrants.

On atteint les limites de ce système et c’est pourquoi le fait de disposer, en France, d’une économie de semenciers avec beaucoup d’obtenteurs très formés permet de s’adapter à la réalité des climats, des populations, des situations locales et notamment de pouvoir s’adapter aux contraintes locales en termes d’eau, de sécheresse, de maladies et de besoins des populations. C’est une orientation nouvelle et c’est la raison pour laquelle, il était important que l’Union européenne accepte la notion de certificat d’obtention végétale parce que c’est une manière de concevoir la biologie et l’agriculture en articulation avec le territoire et les réalités, alors que le brevet correspond à quelque chose de beaucoup plus universel. On se trouve donc devant un changement de sens et je me réjouis qu’on ait travaillé sur le thème des semences. Je vous remercie d’avoir accepté que l’OPECST s’intéresse à quelque chose qui, apparemment, était extrêmement trivial et qui s’avère, en réalité, extrêmement scientifique.

M. Jean-Yves Le Déaut. Qui vote contre ces conclusions, qui s’abstient ? Ces conclusions sont adoptées à l’unanimité et il est pris acte du compte rendu de l’audition publique.

CONTRIBUTION DE MME MARIE-CHRISTINE BLANDIN, SÉNATRICE, ET DE M. DENIS BAUPIN, DÉPUTÉ

Très sensibles aux enjeux de la production, de la mise en culture, de la diffusion des semences et de la connaissance et l’avenir du patrimoine génétique végétal, les écologistes approuvent le travail de la rapporteure, qui n’a pas omis d’écrire l’importance de la diversité, de l’adéquation aux écosystèmes locaux et les attentes de reconnaissance juridique des pratiques paysannes de production et d’échange de semences.

En revanche, nous considérons que la satisfaction des besoins alimentaires mondiaux ne se résume pas à la seule productivité, quand on voit comment les céréales, par exemple, sont objets de spéculation, alors que subsistent des famines.

C’est pourquoi les écologistes regrettent que l’enjeu strictement économique de la filière semencière conduise dès le premier paragraphe à la phrase: « il apparait donc essentiel de contribuer à son développement notamment grâce à une réglementation évolutive et adaptée à ses besoins ». Cette affirmation, qui met le développement au service de l’économie plutôt que l’économie au service de l’homme, prend le risque de promouvoir une législation favorable aux seuls bénéfices d’une filière, aux dépens de la diversité et du développement vraiment durable.

CONTRIBUTION DE MME ANNE-YVONNE LE DAIN, DÉPUTÉE

Le concept de « développement » que j’ai utilisé au début de la présentation des conclusions (Cf. p.71) s’entend comme faisant référence au « développement de la filière » ou au «  développement des entreprises de la filière », un tel développement ayant pour objectif premier de permettre et de faciliter le « développement humain » et le « développement des sociétés humaines » qui sont bien évidemment l'enjeu premier de tout développement économique.


© Assemblée nationale