N° 124 - Rapport de M. Michel Vauzelle sur le projet de loi , adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité d'amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d'Afghanistan (n°101)




N
° 124

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 juillet 2012.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan,

par M. Michel VAUZELLE

Député

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir les numéros :

Sénat : 663, 670, 671 et T.A. 125 (2011-2012).

Assemblée nationale : 101, 123.

A – DES LIENS ANCIENS RAVIVÉS À PARTIR DE 2002 7

1) Une relation privilégiée qui a connu quelques éclipses 7

2) La reprise des relations franco-afghanes après 2002 8

a) Un présence militaire forte 8

b) Des actions de coopération civile et l’aide à la reconstruction de l'Afghanistan 10

B – UN PARTENARIAT QUI DOIT MAINTENANT ÉVOLUER 13

1) L’heure du retrait des forces combattantes 13

a) Un processus de transition s’étalant jusqu’à la fin 2014 13

b) Les décisions françaises de 2012 14

c) Modalités du retrait des forces combattantes françaises 15

2) Des coopérations à poursuivre 16

a) L’abandon de l’Afghanistan est exclu 16

b) La France doit poursuivre sa coopération avec l’Afghanistan 19

3) Des opportunités économiques à saisir 20

4) Le choix d'un traité d’amitié et de coopération 22

II – UN TRAITÉ DONT LE SUCCÈS DÉPENDRA GRANDEMENT DE LA CAPACITÉ DE L'AFGHANISTAN À AFFRONTER L'APRÈS-2014 25

A – LE TRAITÉ FRANCO-AFGHAN, UN OUTIL PRÉCIEUX 25

1) Un traité ambitieux 25

a) Défense 25

b) Sécurité intérieure 27

c) Agriculture et développement rural 28

d) Santé 28

e) Éducation, enseignement supérieur et recherche 28

f) Culture et archéologie 29

g) Administration et État de droit 30

h) Infrastructures 31

i) Économie 32

j) Engagements afghans et avantages accordés à la France 32

2) Un traité qui vise à poursuivre le dialogue entre les autorités des deux pays 33

B – UN CONTEXTE DIFFICILE QUI REND INCERTAIN LE SUCCÈS DU TRAITÉ 33

1) La contrainte budgétaire 34

a) Un contexte budgétaire tendu 34

b) Quelles capacités d’absorption pour l’Afghanistan ? 34

2) Violence et corruption 35

a) Une situation sécuritaire dégradée 35

b) Une corruption endémique 36

c) Un environnement peu favorable aux affaires 36

3) Quel Afghanistan après 2014 ? 37

a) Un Etat viable ? 37

b) Une réconciliation impossible ? 38

4) Une vigilance nécessaire 39

CONCLUSION 41

EXAMEN EN COMMISSION 43

ANNEXE 1 : La coopération parlementaire avec l’Afghanistan 49

ANNEXE 2 : Programme de coopération entre la France et l’Afghanistan pour la période 2012-2016 51

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ANNEXE – TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 61

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi qui nous est soumis se distingue de ceux que nous examinons traditionnellement dans le cadre de l’article 53 de la Constitution.

Il s’en distingue d’abord par la célérité. Adopté en Conseil des ministres le 11 juillet 2012, ce projet de loi a été soumis au Sénat une semaine après. Si l’Assemblée le vote le 25 juillet, il se sera écoulé moins de deux semaines entre son dépôt au Parlement et son adoption définitive. De surcroît, ce projet de loi concerne un traité conclu il y a tout juste six mois, le 27 janvier, et qui aurait certainement pu arriver plus tôt devant nous si un changement de législature n’était pas intervenu entre temps.

Il s’en distingue également par son enjeu. A l’heure où la fin de notre présence militaire en terre afghane se profile, ce texte organise les coopérations entre la France et l’Afghanistan dans des domaines essentiels au développement futur de l’Etat et du peuple afghans.

Aussi importe-t-il désormais de réussir cette transition vers une « démilitarisation » de la relation entre la France et l’Afghanistan et de son évolution vers des partenariats principalement civils.

Le traité qui nous est soumis peut y contribuer même si des doutes légitimes peuvent apparaître quant aux conditions dans lesquelles il devra être appliqué.

I – UN TRAITÉ POUR ACCOMPAGNER UNE NOUVELLE PHASE DES RELATIONS FRANCO-AFGHANES

A – Des liens anciens ravivés à partir de 2002

1) Une relation privilégiée qui a connu quelques éclipses

S'il est courant de faire débuter l'histoire des relations franco-afghanes à l'établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, en 1922, celles-ci sont en réalité bien plus anciennes. Sous le premier Empire, Napoléon Ier – qui, après son expédition en Egypte, portait son regard sur l'Inde où l'Angleterre avait déjà pris position – s'intéressa à l'Afghanistan et à son peuple, intermédiaires utiles pour s’allier durablement avec la Perse. Si un tel rapprochement ne prit pas forme, l'Empereur envoya néanmoins, en 1810, un émissaire parcourir ces « contrées éloignées » au moment même où elles s'apprêtaient à devenir, tout au long du XIXème siècle, le terrain de l’affrontement – le « grand jeu » – entre les empires russe et britannique (1). Finalement placé sous protectorat anglais en 1879, l'Afghanistan proclama son indépendance en 1919 à l'issue d'une troisième guerre contre la grande puissance coloniale voisine.

L'établissement formel des relations diplomatiques entre la France et l’Afghanistan intervint en 1922. Il s'accompagna de la création, la même année, de la Délégation archéologique française (DAFA) et de la signature d’un premier accord archéologique entre les deux pays. Les liens franco-afghans revêtirent ainsi très tôt une dimension humaine et culturelle importante, comme en témoigne également la fondation, en 1923, du lycée Esteqlal – lycée francophone pour garçons – suivi, en 1942, du lycée Malalaï pour filles. L'enseignement supérieur ne resta pas à l’écart : les universités de Lyon et Paris débutèrent leur coopération avec celle de Kaboul dès les années 60. L’époque était alors aux visites officielles – le roi Zaher Shah rencontra le Général de Gaulle en 1965 et le Premier ministre Pompidou se rendit à Kaboul en 1968 – qui facilitèrent la signature de partenariats dans le domaine de la santé (1963), de la coopération culturelle et technique (1966) et de l'agriculture (1969). Ces coopérations officielles furent maintenues après la proclamation de la République, en 1973, mais interrompues après le coup d'Etat communiste de 1978 et l'invasion soviétique de 1979 mais aussi sous le régime taliban. L'heure était alors à l'action humanitaire, souvent clandestine, et nos ONG, qui ont su être présentes aux heures les plus sombres, ont contribué à façonner l’image positive dont notre pays jouit encore aujourd'hui en Afghanistan.

La fin du régime des Talibans, fin 2001, permit la réouverture de l'Ambassade de France en février 2002. Immédiatement, notre pays répondit présent et, tout en étant engagé dans la lutte contre le terrorisme, reprit pleinement sa place dans l'aide et l'assistance au nouvel Afghanistan.

2) La reprise des relations franco-afghanes après 2002

a) Un présence militaire forte

La « solidarité avec nos amis et alliés américains dont la situation de légitime défense a été établie par le conseil de sécurité des Nations unies » et la « lutte déterminée contre le terrorisme », principes évoqués par le Premier ministre Lionel Jospin, en octobre 2001(2), en pleine convergence de vue avec le Président Jacques Chirac, sont les deux fondements de l’intervention militaire française en Afghanistan. Notre pays s’est engagé très tôt sur le théâtre afghan. Dès les premières semaines du conflit, la France dépêcha quelques éléments terrestres (3), maritimes et aériens (notamment le groupe aéronaval), dans le cadre de l’opération Enduring Freedom qui, sous commandement américain, avait pour mission de détruire les installations d’Al Qaida présentes sur le sol afghan et de démanteler le régime taliban. A la suite de la conférence de Bonn de décembre 2001, le Conseil de sécurité de l’ONU autorisa la constitution et le déploiement d’une force internationale d’assistance et de sécurité (la FIAS) dont le mandat était d’abord limité à Kaboul puis fut rapidement étendu au reste du pays. La France participa également à cette opération avec, dès le début de l’année 2002, des actions de formation au bénéfice de l’armée afghane alors en cours de création(4).

L’intensité de l’engagement français a été variable tout au long du conflit. A partir de 2003, la France consentit un effort particulier avec l’envoi de 200 hommes des forces spéciales dans le sud-est de l’Afghanistan, auprès des militaires américains. D’août 2004 à février 2005, notre pays prit le commandement tournant de la FIAS et réorganisa son dispositif aérien au profit de la base de Douchanbe, au Tadjikistan. Nos forces spéciales quittèrent l’Afghanistan en 2006, année où la France prit aussi la tête du « commandement régional » de Kaboul pour huit mois. Des renforts français furent sollicités, à l’époque, par les Américains mais le Président Chirac s’y opposa. L’implication française en Afghanistan prit un nouvel élan à partir de 2008, sous l’impulsion du Président Sarkozy. Le sommet de l’OTAN de Bucarest d’avril 2008 entendit insuffler un nouvel élan en adoptant une stratégie de transfert des responsabilités aux Afghans. Pour ce faire, les alliés devaient maintenir un effort dans la durée tant dans le domaine militaire que dans le domaine civil. Mais cette décision impliquait également que la nature de la mission confiée à nos soldats évolue. « Il n’[était] plus exclu d’être une force de contact au lieu d’être une force de sécurité, c'est-à-dire de rentrer dans une opération de guerre » (5). Cette nouvelle approche fut loin de rencontrer l’unanimité. L’opposition d’alors, devenue, aujourd’hui, la majorité, contesta vivement la décision du Président Sarkozy (6). Elle ne remettait pas en cause l’engagement de la France en Afghanistan mais le choix d’une option politique et militaire qui conduisait à l’impasse. Malheureusement, comme votre rapporteur entend le rappeler ultérieurement, cette issue ne tarda pas à se confirmer. En attendant, conformément aux choix fait par le chef de l’Etat de l’époque, les forces françaises se déployèrent dans l’est de l’Afghanistan sous commandement régional américain et prirent la responsabilité de la province de Kapisa et du district de Surobi où les insurgés étaient très présents. En parallèle, l’effort de formation à destination des forces de sécurité afghanes fut accru en augmentant notamment l’effectif des personnels engagés dans les OMLT (7) et dans la mission EPIDOTE.

Au 1er janvier 2012, 3774 soldats français (dont 138 gendarmes) étaient présents sur le sol afghan. Jusqu’à aujourd’hui, notre dispositif militaire a été composé de trois ensembles : la « Task Force » La Fayette qui, créée le 1er novembre 2009, regroupe les moyens français en Kapisa et dans le district de Surobi ; un détachement aérien comprenant deux avions de transport tactique basés au Tadjikistan et un ravitailleur C135 opérant depuis les Emirats Arabes Unis et, enfin, un dispositif de formation des forces de sécurités afghanes (EPIDOTE). Au-delà de ces trois composantes principales, la présence militaire française en Afghanistan comprend aussi des éléments de soutien logistique comme, par exemple, à l’hôpital militaire de l’aéroport de Kaboul, ainsi que plusieurs officiers présents dans les états-majors de la coalition. Comme votre rapporteur le décrira ultérieurement, le format de ce dispositif est en pleine phase de mutation (8).

Enfin, votre rapporteur ne peut évoquer notre présence militaire en Afghanistan sans rendre hommages aux 87 soldats français tués dans ce pays ainsi qu’au 700 autres qui y ont été blessés (9). La Représentation nationale se doit de saluer le courage de ces hommes dans l’accomplissement de leur devoir.

b) Des actions de coopération civile et l’aide à la reconstruction de l'Afghanistan

Parallèlement à son intervention militaire, la France a mis en place, dès 2002, un programme d’actions pour la reconstruction de l’Afghanistan. L’objectif était alors double : répondre à l’urgence humanitaire mais, aussi, relancer les coopérations traditionnelles dans les domaines de la santé, de l’agriculture, de la culture et de l’éducation. Ainsi, les deux lycées francophones Esteqlal et Malalaï, qui avaient quitté l’Afghanistan en 1985 et vivaient « en exil » à Peshawar, au Pakistan, ont été tous les deux rouverts en mars 2002. Aujourd’hui, ces établissements – qui bénéficient d’une subvention de fonctionnement, de la part de la France, de 870.000 euros – accueillent plus de 7.000 élèves.

Les canaux de l’aide française à l’Afghanistan sont multiples. Globalement, la quasi-totalité des instruments sont mobilisés en Afghanistan : fonds de solidarité prioritaire, fonds de solidarité pour le développement, aide alimentaire, crédits du poste, « aide projet » de l’Agence française de développement (AFD)… En 2011, notre aide bilatérale s’élevait à 36,7 millions d’euros (en engagements) et, en moyenne, à 38,7 millions d’euros par an sur la période 2008-2011, soit une nette progression par rapport à la période antérieure (10). Cette aide est consacrée en priorité à des actions de coopération en matière de santé et d’agriculture, deux domaines essentiels pour améliorer de manière rapide, tangible et durable les conditions de vie de la population afghane. L’AFD mène ainsi un projet de développement agricole des régions du nord et du nord-est de l’Afghanistan d’un montant de 5,2 millions d’euros ainsi qu’un programme de relance de l’apiculture de 3 millions d’euros. Des actions d’appui à la filière élevage, évaluées à 2,5 millions d’euros, sont également en cours. Dans le domaine sanitaire, votre rapporteur doit souligner l’excellence de l’Institut médical français pour l’enfant de Kaboul (IMFE), inauguré en 2006 et créé avec l’aide de fonds privés mobilisés par les ONG françaises « Enfants Afghans » et « La Chaîne de l’espoir », ainsi qu’avec le soutien du Quai d’Orsay. C’est à l’IMFE qu’a été réalisée la première opération à cœur ouvert de l’histoire afghane, sur un enfant, en avril 2006. C’est une structure de pointe sans équivalent en Afghanistan. Elle permet d’éviter que de nombreux patients aillent à l’étranger pour se faire soigner et s’est imposée, en quelques années, comme un symbole de la coopération avec notre pays. A terme, l’IMFE a vocation à devenir un centre hospitalier universitaire et, à cet effet, a reçu un prêt de 9 millions d’euros de l’AFD.

Résultat d’une approche globale dans le but de favoriser le processus de transition, l’aide française s’est également concentrée, ces dernières années, sur les zones où étaient déployées nos troupes. Dans ce but a été créé à l’été 2010, le Pôle de stabilité, une structure civile interministérielle, adossée à la Task Force La Fayette. Composé d’une dizaine d’experts, le Pôle a piloté et coordonné les interventions civiles de la France en Kapisa et dans le district de Surobi avec pour mandat de contribuer à l’établissement de l’autorité du gouvernement central sur l’ensemble de la zone d’opération. A son bilan doivent être notamment inscrites l’électrification d’une partie de la province de Kapisa (11) et des réalisations dans le domaine de la santé, de l’éducation ou du développement. Dans les zones de déploiement de nos troupes, d’autres projets de portée civile ont pu être menées à bien par les équipes de coopération civilo-militaire (CIMIC). Ces unités militaires ont pour mission de mieux faire accepter la présence de la Task Force La Fayette à travers, par exemple, la mise en œuvre de projets de reconstruction (puits, bassins versants…).

La France, depuis 2002, entend également aider à l’édification d’un Etat afghan viable. Cette action passe logiquement par des programmes de formation des forces de police. Depuis novembre 2009, des gendarmes français encadrent des policiers afghans dans la Kapisa et à Surobi. Par ailleurs, la Gendarmerie œuvre également à la formation de la police nationale afghane (ANP) au sein de l’école de Mazar-E-Sharif et elle a pris la responsabilité de la nouvelle école de police du Wardak, en février 2011. Au total, près de 150 gendarmes sont déployés et cette participation française, pleinement intégrée à la FIAS et s’inscrivant aussi dans le cadre de la force de gendarmerie européenne, contribue au renforcement de l’autorité. Depuis 2009 également, des coopérations étroites sont menées dans le domaine policier, par l’intermédiaire d’un fonds de solidarité prioritaire « Réforme des systèmes de sécurité ». Ont ainsi pu être menées à bien des actions d’appui à la police judiciaire, à la lutte contre la fraude documentaire ou à la sécurité civile, tout comme a été créé un service de protection des personnalités avec l’appui d’experts français envoyés temporairement, sur place à cette fin. En matière de gouvernance, la France a aussi coordonné les efforts internationaux pour appuyer la mise en place du Parlement afghan, en étroite collaboration avec le Programme des Nations unies pour le Développement et ses partenaires européens. Ce projet a notamment consisté à former une administration parlementaire efficace pour accompagner le travail des élus et votre rapporteur doit ici saluer le rôle jouer par le Parlement français, et notamment notre Assemblée (12). De manière complémentaire, un projet franco-allemand de formation de juges et de magistrats de la Cour suprême afghane a été lancé tout comme un programme de formation de 34 vice gouverneurs de provinces prévoyant l’envoi de stagiaires afghans dans des préfectures françaises, durant deux semaines.

Dans le domaine de la culture et de l’éducation, outre les lycées « historiques » Esteqlal et Malalaï que votre rapporteur a déjà évoqués, la France soutient la réhabilitation de plusieurs instituts de formation d’enseignants, ainsi que la rénovation des programmes scientifiques scolaires. Dans l’enseignement supérieur, des coopérations ont été engagées avec l’université de Kaboul pour développer son département de français mais aussi d’archéologie, d’architecture ou bien encore sa faculté de pharmacie qui, aujourd’hui, est la plus « francophone » d’Afghanistan avec plusieurs professeurs formés en France grâce au concours de l’université Lyon III. La coopération française est également engagée pour la sauvegarde du patrimoine millénaire de l’Afghanistan. Depuis 2002, la DAFA a repris ses activités. Elle conduit aujourd’hui une dizaine de projets à travers le pays : prospections et participation à l’élaboration de la carte archéologique de l’Afghanistan, fouilles archéologiques à Bactres et Bamiyan, soutien aux fouilles de sauvetage à Mes Aynak, protection de la mosquée d’Hadji Piada dans la province de Balkh, reconstruction de l’Institut d’Archéologie à Kaboul, préparation des publications archéologiques, formation des professionnels afghans du patrimoine, coopération avec le musée national de Kaboul et le département d’archéologie de l’université de Kaboul… La DAFA possède par ailleurs une bibliothèque exceptionnelle, riche d’environ 10.000 ouvrages et 3.000 périodiques sur l’archéologie et l’histoire de la région. Plus récemment, en 2010, le centre culturel français de Kaboul est devenu l’Institut français d’Afghanistan. C’est aujourd’hui le seul établissement culturel de référence dans ce pays. Il propose des cours de langue, des concerts, des représentations théâtrales, des projections de film, des expositions au moyen, entre autres, d’un auditorium d’une capacité de 450 places.

Enfin, votre rapporteur ne peut achever ce panorama succinct des actions de coopération civile et d’aide à la reconstruction sans évoquer le rôle des organisations non gouvernementales. 20 ONG françaises travaillent actuellement en Afghanistan, certaines intervenant même exclusivement dans ce pays grâce aux liens historiques créés au fil du temps. D’autres ONG ont aussi des liens particuliers avec l’Afghanistan comme « Médecins du Monde » qui a travaillé 25 ans durant avec la population afghane en dépit de la dangerosité de ses interventions clandestines. Outre les secteurs d’accès aux services de base tels que l’éducation, la santé, l’eau et l’assainissement, la lutte contre la vulnérabilité alimentaire, certaines ONG se distinguent dans d’autres secteurs comme l’énergie renouvelable, les études sur la qualité de l’aide et l’amélioration des pratiques humanitaires, l’architecture en terre ou la réduction des risques liés à la drogue.

B – Un partenariat qui doit maintenant évoluer

1) L’heure du retrait des forces combattantes

a) Un processus de transition s’étalant jusqu’à la fin 2014

L’engagement militaire de la coalition alliée en Afghanistan – et donc celui de la France – est aujourd’hui dans une phase de déflation. Cette dernière est la conséquence du lancement, par l’OTAN, lors de son sommet de Lisbonne de novembre 2010, d’un processus de transition visant à transférer la sécurité du pays aux autorités afghanes d’ici la fin 2014. A cette fin, le processus a été divisé en 5 tranches successives, l’entrée dans chacune d’elles correspondant à un transfert de responsabilité effectif aux forces de sécurités afghanes. La tranche 1, concernant 21 % de la population, a été lancée en février 2011, suivie peu après par la tranche 2, en novembre dernier (27 % de la population soit, au total, 48%). La tranche 3 (28% de la population soit 76% au total a été lancée en mai 2012. Quant aux tranches 4 et 5, qui permettront d’achever le processus, elles sont prévues pour les mois de novembre et de mai prochains. L’entrée en transition d’une province ou d’un district relève d’une décision souveraine du président afghan. S’agissant des zones où nos troupes étaient présentes, le district de Surobi a été inscrit en tranche 2 et les responsabilités de sécurité ont été formellement transmises le 12 avril dernier. La province de Kapisa a, elle, été inscrite en tranche 3. Une cérémonie d’entrée en transition vient d’y être organisée le 4 juillet dernier et le processus devrait être achevé d’ici la fin novembre 2012, lors du départ de la Task Force La Fayette. Ce processus de transition et de retrait des troupes de l’OTAN vient d’être réaffirmé lors du sommet de Chicago (20 et 21 mai 2012). Au-delà de 2014, elles ne participeront plus à des missions de combat mais pourront se consacrer à des tâches de formation des forces de sécurité afghanes.

Pourquoi entamer un tel retrait ? Les raisons sont nombreuses.

Tout d’abord, l’Afghanistan ne constitue plus un repaire pour le terrorisme international, comme il l’était en 2001, au moment des attentats du 11 septembre. Comme l’a indiqué le Président de la République le 25 mai dernier, « la France est intervenue, [en Afghanistan] au lendemain du 11 septembre 2001 à la suite d'un acte terroriste effroyable. Elle l’a fait pour lutter contre ceux qui avaient encouragé, abrité le terrorisme, terrorisme qui est notre véritable adversaire. La France l'a fait aussi par solidarité avec les Etats-Unis d'Amérique qui avaient été frappés en leur cœur. Les Nations unies, dès le 12 septembre 2001, ont proclamé la légitime défense et la France a été parmi les premiers pays à se mettre en mouvement. C'était il y a 10 ans mais aujourd'hui la menace terroriste qui visait notre territoire national comme celui de nos alliés à partir de l'Afghanistan sans avoir totalement disparu, a été grâce à vous en partie jugulée. Ainsi, il y a un peu plus d'un an, le chef d'Al Qaida, auteur et inspirateur des attaques du 11 septembre a été tué et les Etats-Unis eux-mêmes ont décidé une évolution profonde de leur présence en Afghanistan. » (13).

Par ailleurs, comme l’opposition d’alors avait pu le craindre, dès 2008, à l’Assemblée nationale, la stratégie menée ces dernières années, en Afghanistan, par la coalition, a conduit à une impasse. Comme votre rapporteur y reviendra plus longuement en seconde partie, l’avenir des Afghans passe avant tout par une solution politique. Les forces alliées ne doivent plus être en première ligne. De surcroît, il est évident que la présence internationale sur le sol d’un Etat indépendant n’a pas vocation à durer indéfiniment : après « dix ans de présence internationale sur le sol, les Afghans aspirent à retrouver le plein exercice de leur souveraineté. (….) Les alliés n'ont pas à définir l'avenir de l'Afghanistan, c'est aux Afghans et à eux seuls de prendre le chemin qu'ils choisiront librement »(14).

En outre, la présence militaire en Afghanistan a pesé considérablement sur les finances publiques tout au long de la dernière décennie. S’agissant de la France, le coût annuel de l’engagement sur le sol afghan, a presque quadruplé entre 2002 et 2012.

Coût annuel de l’engagement militaire français en Afghanistan
(« surcoût OPEX »)
depuis 2002
(en millions d’euros)

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

132

75

82

90

122

172

292

387

482

518

481

Enfin, on ne saurait sous-estimer le coût humain qu’a représenté cette intervention militaire pendant plus d’une décennie. Comme votre rapporteur l’a précédemment indiqué, la coalition y a perdu 2719 soldats, parmi lesquels 87 militaires français. Ces chiffres sont lourds et douloureux.

b) Les décisions françaises de 2012

Par deux fois, la France a décidé d’appliquer, avec anticipation, la décision de procéder au retrait de ses troupes combattantes présentes en Afghanistan. Une première fois, en janvier 2012, à la suite de la mort de quatre de nos soldats, le Président Sarkozy avait décidé d’avancer à la fin 2013 cette étape. Plus récemment, conformément à un engament pris lors de la campagne électorale, le Président François Hollande fixa l’arrêt de la participation de soldats français à des missions de combat à la fin 2012. « C'est un acte de souveraineté, que la France a posé librement. » (15) mais dont elle a préalablement informé ses alliés lors du sommet de l’OTAN de Chicago des 20 et 21 mai derniers. Ainsi, il ressort que :

– les forces de combat françaises – Task Force Lafayette, détachement EPIDOTE et détachement aérien – seront retirées avant la fin de l’année 2012 ;

– une présence militaire sera maintenue en 2013 afin de permettre la manœuvre de retrait des matériels français et d’assurer la protection des forces ;

– les missions de formation des forces afghanes conduites dans le cadre de la FIAS se poursuivront jusqu’en 2014, tout comme notre présence dans les états-majors de cette force ainsi que dans les structures de soutien tels que l’hôpital militaire, le laboratoire contre les IED (16) et l’aéroport international.

c) Modalités du retrait des forces combattantes françaises

La diminution des effectifs est obtenue à la fois par le retrait anticipé de certains soldats mais aussi en ne relevant pas plusieurs unités présentes sur le sol afghan. Sur les 3636 militaires (17) que comptait notre contingent au 1er janvier 2012, 650 auront quitté ou ne seront pas engagés au 1er août 2012. Alors que la planification précédente prévoyait un retrait de 1000 soldats en 2012, 2200 hommes seront en fait concernés par ce retrait.

Sur le plan logistique, nos trois Mirage 2000D, encore basés à Kandahar, ont regagné leur base de Nancy le 10 juillet dernier. En outre, à cette même date, 2720 UAT (18) – soit 1160 véhicules et remorques et 1560 containers – devaient être rapatriées en France (19). La première phase de ce processus particulièrement lourd est achevée et s’est déroulée tout au long du premier semestre 2012. Elle a permis le retrait d’environ 17% du volume global au moyen de 20 rotations aériennes directes entre l’Afghanistan et la France, de 60 rotations entre l’Afghanistan et les Emirats arabes unis et de deux rotations de navires affrétés. La deuxième phase vient de débuter. L’été va être mis à profit pour regrouper sur Kaboul les matériels retirés du district de Surobi. D’octobre 2012 à juin 2013, profitant de conditions plus favorables pour les aéronefs, sera mis en place un pont aérien pour rapatrier près de 80 % des UAT encore présentes sur le sol afghan. Bien évidemment, certains matériels ne pourront rentrer en France soit parce que trop vieux soit parce qu’impossibles à transporter. Le mobilier (tentes, abris collectifs…) sera cédé aux Afghans. Les emprises seront transférées aux forces locales ou américaines. D’autres matériels seront, eux, détruits.

Outre les voies aériennes et maritimes, l’armée française envisage aussi, dans un souci de réduction des coûts, de recourir à la voie terrestre pour rapatrier, en France le fret peu sensible. Selon les informations recueillies par votre rapporteur, les trajets des convois n’ont pas encore été définitivement choisis. La « voie sud » (via le Pakistan) était fermée depuis le 26 novembre dernier. Récemment rouverte, elle ne sera pleinement opérationnelle qu’à partir du mois d’octobre 2012. Le passage par les « voies Nord » est en cours de négociation. Le trajet via le Kazakhstan consisterait à utiliser la voie aérienne entre Kaboul et ce pays puis, ensuite, la voie ferrée via la Russie et la Lettonie. La voie via l’Ouzbékistan est, elle, intégralement terrestre, le trajet durant 6 semaines et se terminant, comme la précédente, en Lettonie.

Enfin, s’agissant du coût, il varie fortement en fonction de la voie choisie.

Voie aérienne directe Afghanistan-France

Entre 33.000 et 58.000 euros par UAT (20)

Voie multimodale via les Emirats Arabes Unis (avion + navire)

Entre 21.000 et 30.000 euros par UAT

Voie multimodale via le Kazakhstan

Entre 11.000 et 16.000 euros par UAT

Voie terrestre via l’Ouzbékistan

Entre 7.000 et 8.000 euros par UAT

Voie terrestre via le Pakistan

Environ 5.000 euros par UAT

Source : ministère des affaires étrangères

Les arbitrages concernant le transport de ces matériels sont en train d’être pris. Ils sont également dépendants de l’issue des délicates négociations menées avec les pays concernés et pour lesquelles la France a nommé, en juin dernier, un ambassadeur spécial en la personne de M. Stanislas de Laboulaye, ancien ambassadeur à Moscou et ancien directeur général des affaires politiques et de sécurité du Quai d’Orsay. Les dernières informations disponibles laissent entendre que les « voies Nord » seraient privilégiées, la route vers le Pakistan étant jugée trop incertaine. En tout état de cause, c’est là un sujet d’importance que la Représentation nationale, par l’intermédiaire, entre autres, de sa commission des affaires étrangères, ne manquera pas d’aborder régulièrement.

2) Des coopérations à poursuivre

a) L’abandon de l’Afghanistan est exclu

Le retrait des forces combattantes d’Afghanistan ne signifie pas l’abandon de ce pays. Ainsi que vient de le déclarer M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, lors la Conférence de Tokyo, le 8 juillet dernier, « la période de transition actuelle et la période de transformation future ne signifient en aucun cas un désengagement de la communauté internationale, mais au contraire un engagement civil accru. Il s’agit de passer d’une économie et une société de guerre à une économie et une société de paix, et cela ne peut pas se faire sans le soutien de la communauté internationale ». Car l’Afghanistan, classé 181ème sur 182 au titre de l’indice de développement humain, doit être aidé. Ses besoins sont énormes et les défis à relever sont immenses. L’espérance de vie y est aujourd’hui d’à peine 44 ans. Le taux de fertilité, avec 5,4 enfants par femme est l’un des plus élevés au monde, tout comme la mortalité infantile avec environ 16% des enfants qui meurent avant l’âge d’un an. Comme l’a souligné notre ancienne collègue Françoise Hostalier dans son rapport au président Sarkozy, en janvier dernier, « un enfant sur quatre n’atteint pas l’âge de 5 ans » en Afghanistan, aujourd’hui (21). Au delà de ces terrifiantes statistiques, on déplore également des taux d’alphabétisation très faibles : seulement 43 % pour les hommes et, pire, 22 % pour les femmes. Ce dernier chiffre rappelle la situation déplorable des Afghanes qui, en dépit d’une nette amélioration depuis 2001 (22), demeure encore l’une des pires au monde, comme l’a tristement rappelé la douloureuse et révoltante exécution d’une femme accusée d’adultère, le 8 juillet dernier, à moins de cent kilomètres de Kaboul.

Au-delà de ces souffrances qui justifieraient à elles seules qu’on continue d’aider son peuple, l’Afghanistan apparaît également comme un Etat fragile qui a encore besoin d’être accompagné. Comme votre rapporteur aura l’occasion de la souligner à nouveau, la violence est un fléau qui hypothèque sérieusement l’avenir du pays. L’insurrection est particulièrement habile et, si l’Afghanistan n’est plus le sanctuaire d’Al Qaida comme il l’était en 2001, il vit malgré tout aujourd’hui dans la terreur des IED, des attentats suicides, des enlèvements, des infiltrations au sein des forces armées et des assassinats ciblés qui visent autant à intimider la population que les forces de la coalition. La mort de l’ancien président Rabbani, le 20 septembre 2011, alors qu’il était à la tête du Haut Conseil pour la paix, a constitué un coup dur pour tous ceux qui œuvrent au processus de réconciliation. Cette violence va de pair avec la relative instabilité politique que connaît le pays. Certes le Président Karzaï est à la tête de l’Etat depuis 2001 mais cette longévité ne doit pas occulter le fait que les institutions afghanes ont du mal à fonctionner normalement et à s’inscrire dans la durée. Le parlement, composé de deux chambres – la Wolesi Jirga (23) et la Meshrano Jirga (24) – est très fragmenté et il n’y existe pas de véritable groupe politique structuré. Ses rapports avec le président Karzaï sont loin d’être bons et les dernières élections présidentielles (novembre 2009) et législatives (septembre 2010) ont été marquées par de vives contestations qui trahissent la difficulté d’installer un régime politique pérenne et stable en Afghanistan. Parallèlement à ces contextes sécuritaire et politique dégradés, la situation économique afghane suscite de vives inquiétudes, en dépit d’une croissance économique qui a redémarré à partir de 2005 et qui serait de 8,2 % aujourd’hui (25). En effet, de nombreux pans de l’économie afghane sont encore à construire. L’agriculture, qui occupe 70 % de la population, a été sinistrée par la guerre même si l’aide internationale l’a beaucoup soutenue. L’artisanat, qui représentait 13% du PIB en 1981, a quasiment disparu et le secteur minier, considéré comme prometteur, entame un lent redémarrage dont il n’est pas certain qu’il profite au pays (26). En revanche, le secteur du bâtiment est en pleine expansion et la téléphonie mobile tire la croissance du secteur des services. La compagnie privée de téléphonie mobile Roshan, qui aurait 3,5 millions d’abonnés, serait le premier investisseur du pays (430 millions de dollars à ce jour) et l’un des premiers contribuables et employeurs privés d’Afghanistan avec 100 employés. Le secteur bancaire est par contre gravement malade depuis le scandale de la « Kabul Bank ». Cette institution financière privée – la plus importante du pays – gérait les salaires de 220.000 fonctionnaires, un tiers des dépôts et 57 % des emprunts. En septembre 2010, elle a subi une fuite de ses liquidités à la suite de révélations sur sa gestion frauduleuse, entraînant des pertes estimées à 900 millions de dollars. Cette affaire a conduit le FMI à geler ces programmes d’aide financière jusqu’à ce qu’un accord soit finalement trouvé fin 2011. Au-delà de ces difficultés économiques, l’avenir de l’Afghanistan dépend aussi de l’impact qu’aura le retrait de la coalition sur les finances et les comptes de ce pays. L’Afghanistan vit aujourd’hui sous perfusion. Le retrait de l’OTAN engendrerait une perte de plus de 4 milliards d’euros, un choc impossible à assumer pour cet Etat.

Il est donc évident que sans l’aide internationale, le pays s’écroule. Ce soutien est indispensable et votre rapporteur doit relever, comme l’ont fait sous la précédente législature, dans un rapport d’information, nos collègues Jean Glavany et Henri Plagnol (27), que les efforts de la communauté internationale, depuis 2001, n’ont pas été sans conséquences. Le PIB par habitant a considérablement augmenté depuis 2002. Aujourd’hui, 85 % de la population afghane a accès à un dispensaire de soins médicaux de base contre 9 % seulement il y a dix ans. De même, plus de 90 % des enfants sont vaccinés contre la poliomyélite contre à peine un quart avant l’intervention de la coalition. 7,5 millions d’entre eux sont également scolarisés dont plus d’un tiers de filles alors que ces dernières en étaient privées sous le régime taliban. Le réseau routier a été considérablement augmenté avec plus de 13.000 kilomètres de routes asphaltées. Plus de 30.000 villages ont bénéficié de projets de développement et près de 8 millions de mines et munitions non explosées ont été neutralisées depuis 2001. Enfin, en dépit des doutes que l’on peut avoir sur sa capacité à affronter la situation après 2014, une armée afghane a été créée, et ce, en partant de rien. Même s’ils n’ont pas permis d’améliorer significativement la perception par la population afghane de sa propre situation et même s’ils ont été quelque peu occultés par la persistance de la violence et les pertes subies par les forces militaires présentes en Afghanistan, l’aide internationale a eu des résultats et ne doit pas être abandonnée.

b) La France doit poursuivre sa coopération avec l’Afghanistan

« Peu de Français sont conscients de l'aide de la France pour réintroduire la monnaie afghane absente depuis trente ans. Peu de Français sont conscients de l'implication de Guy Carcassonne, professeur de droit constitutionnel à Paris-X, auprès des jeunes autorités afghanes pour les aider à rédiger leur Constitution du 4 janvier 2004. Peu de Français sont conscients que des dizaines de jeunes afghans passent chaque année à Kaboul un bac en français, avec peu de débouchés professionnels. Peu de Français, enfin, sont conscients que l'Afghanistan n'en est pas à sa première expérience démocratique » (28). Comme en témoignent ces quelques phrases, la France n’a pas à rougir des résultats de sa présence sur le sol afghan, depuis 2001. En dix ans, de 2002 à 2012, 240 millions d’euros ont été décaissés, par notre pays, en direction de l’Afghanistan. Cette aide, toutefois, a été irrégulière. Initialement élevée, elle a sensiblement baissé de 2004 à 2008 avant d’être accrue à compter de 2008 et de la décision d’intensifier l’action de la France à Kaboul, en Kapisa et dans le district de Surobi. Au cours des dix dernières années, notre pays, par les divers canaux de versement des aides, a choisi de soutenir en priorité des secteurs indispensables à la reconstruction de l’Afghanistan : l’agriculture (22 % de décaissements au cours de la période), l’éducation et la culture (17 %), la gouvernance et l’Etat de droit (9 %) mais aussi la santé (5%). Si la France a ainsi pris sa part à l’amélioration des conditions de vie de la population afghane – et entend poursuivre cette tâche –, notre pays peut mieux faire. Tout d’abord, « la visibilité et la lisibilité de notre aide souffrent sans aucun doute d’une impression de saupoudrage due à un grand nombre de projets engagés et à la complexité des circuits de financement, alors que notre enveloppe de crédits reste fortement contrainte » (29). Par ailleurs, la contribution française, tout au long des dix dernières années, a été relativement modeste par rapport à celle de ses partenaires. En dépit de l’augmentation du montant de notre aide depuis 2008, la France, avec 51 milliards de dollars décaissés, figurait, en 2009 (30), au 14ème rang des bailleurs bilatéraux, loin derrière les Etats-Unis (2942 milliards de dollars), le Royaume-Uni (372 milliards) ou l’Allemagne (1346 milliards) (31). Aussi votre rapporteur ne peut-il que saluer l’annonce de M. Laurent Fabius, à la conférence de Tokyo, le 8 juillet dernier, d’augmenter de 50 % notre aide à l’Afghanistan, c'est-à-dire de la porter à 308 millions d’euros pour la période 2012-2016 avec une moyenne annuelle prévue de 50 millions d’euros chaque année (32).

3) Des opportunités économiques à saisir

Le commerce bilatéral franco-afghan est marginal. Les exportations françaises se sont élevées à 43,7 millions d'euros seulement, en 2011, en baisse par rapport à 2010, année où elles étaient de 45,7 millions. Elles représentent ainsi moins de 2% de nos exportations en Asie du Sud et sont essentiellement liées à la présence de la coalition militaire avec, par exemple, des ventes de plats préparés (pour 6,3 millions d'euros en 2011) et d'instruments de mesure et de navigation (6,4 millions d'euros en 2011). S'agissant des importations, les chiffres sont insignifiants puisqu’elles ont représenté 1,5 millions d'euros en 2010, essentiellement quelques produits agricoles et d'artisanat. Même si ces résultats doivent être quelque peu réévalués car ils n’intègrent pas le fait qu'une forte proportion des flux commerciaux afghans avec l’étranger transite via Dubaï, le Pakistan ou l'Inde et ne sont donc pas comptabilisée au titre des échanges franco-afghans, il n'en demeure pas moins que la France est en retrait par rapport à plusieurs de ses voisins européens.

Exportations européennes vers l’Afghanistan, en 2010
(en millions d’euros)
 
(
33)

Allemagne

268

Royaume-Uni

229

Pays-Bas

77

France

45

Espagne

41

Belgique

28

Italie

25

Autre pays de l’UE

27

Total UE

740

Parallèlement à cette quatrième place décevante, il apparaît que les entreprises françaises sont peu présentes en Afghanistan. On peut notamment citer Thalès qui, en 2006, à remporté un contrat portant sur le système d’informations et de télécommunications de la FIAS et y emploie, sur place, 150 expatriés (employés et sous traitants). Sodexo travaille également en Afghanistan avec 50 expatriés. Depuis 2003, cette entreprise sert, en moyenne, 150 000 repas par mois aux forces de l’OTAN. Feljas et Masson, une PME de Laval, est également présente. Employant, sur place, un expatrié, elle participe aux chantiers d'adduction d'eau à Kaboul.

Les raisons de cette faible présence sont connues. Outre, la situation sécuritaire dégradée et un marché de taille limité (34), l'environnement des affaires est loin d’être satisfaisant avec des infrastructures déficientes, un transit des marchandises lent et coûteux, une situation sanitaire médiocre, un cadre administratif et réglementaire volatil et une forte corruption (35).

Pour autant, l'Afghanistan mérite assurément une plus grande attention car il n'est pas dénué de secteurs d'opportunités pour les entreprises françaises. Paradoxalement, le secteur minier n'est peut-être pas le plus porteur même si c’est celui qui est le plus fréquemment cité lorsqu'on évoque les perspectives offertes par l'Afghanistan. Certes sa valeur théorique est estimée à 3.000 milliards de dollars (fer, cuivre, lithium, or, charbon et niobium notamment) mais l’Inde et la Chine, principaux consommateurs de minerais dans le monde, sont déjà très présents et ont signé des contrats pour s'assurer de l'exploitation de gisements (36). En revanche, d'autres secteurs paraissent plus prometteurs pour nos entreprises. Celui des hydrocarbures tout d’abord. L’Afghanistan aurait tout intérêt à réduire sa dépendance envers le Pakistan en la matière et donc, à faire appel à des sociétés étrangères pour développer des partenariats ou des investissements. Le secteur du ciment ensuite. Comme votre rapporteur l’a souligné précédemment, la construction est une filière en pleine expansion en Afghanistan. Ce pays consomme près de 4 millions de tonnes de ciment chaque année et des entreprises françaises pourraient être intéressées par ce marché. Le secteur de l’eau revêt lui aussi un grand intérêt. Certes la PME Feljas et Masson est déjà présente sur les chantiers d’adduction d’eau de Kaboul mais les besoins sont énormes et rencontrent parfaitement le savoir faire reconnu des entreprises françaises en la matière. Principale activité économique du pays, l’agriculture doit être modernisée, en particulier vers des productions à haute valeur ajoutée afin de développer des alternatives crédibles aux cultures du pavot et du cannabis (37). Enfin, le secteur des infrastructures offre lui aussi un potentiel intéressant.

4) Le choix d'un traité d’amitié et de coopération

Pour accompagner le processus de transition et la poursuite des partenariats en cours, la France a proposé à l’Afghanistan la voie d’un traité d’amitié et de coopération. Cette option a été présentée au président afghan, par le Président Nicolas Sarkozy, il y a à peine un an, en juillet 2011. Hamid Karzaï ayant volontiers souscrit à cette idée, les négociations ont pu rapidement aboutir et le traité a été officiellement signé le 27 janvier dernier lors de la visite officielle du président afghan à Paris. Le fait que le projet de loi autorisant sa ratification soit rapidement soumis au Parlement, de surcroît par une nouvelle majorité, témoigne que, au-delà du simple respect des engagements souscrits par la France et de la continuité de l’Etat, l’avenir de nos relations avec l’Afghanistan est un sujet majeur qui dépasse largement les clivages partisans.

Par ailleurs, le traité qui nous est soumis revêt assurément un caractère novateur. Il est le premier à lier notre pays à l’Afghanistan, et ce, depuis l’établissement de leurs relations diplomatiques, en 1922. Il est le premier signé par l’Afghanistan avec un Etat ne faisant pas partie de son environnement immédiat. Et il est aussi le seul de ce niveau juridique parmi les récents partenariats conclus par les autorités afghanes. En effet, ces dernières ont récemment signé plusieurs accords n’ayant le plus souvent aucune portée contraignante, en particulier avec le Royaume-Uni en janvier dernier et avec l’Australie au mois de mai. S’agissant des Etats-Unis, ils ont conclu avec l’Afghanistan, dans la nuit du 1er au 2 mai 2012, lors de la visite du président Obama à Kaboul, un « accord de partenariat stratégique » (« enduring strategic partnership agreement »). Si ce texte est juridiquement contraignant, il a cependant rang d’ « executive agreement » et n’exige pas de ratification par le Congrès américain. Conclu pour une durée de dix ans, il comprend principalement un volet sécuritaire – avec notamment un accès illimité aux bases militaires afghanes (38) – et évoque, d’une manière générale et sans entrer dans les détails quelques grands secteurs tels que l’éducation, l’agriculture ou la santé.

Le traité franco-afghan du 27 janvier dernier est également un texte précurseur. Il a eu un effet d’entraînement sur d’autres partenaires qui ont, eux aussi, choisi de recourir à un traité alors que cela ne semblait pas être le cas initialement. C’est notamment le cas de l’Allemagne qui a conclu avec l’Afghanistan, le 16 mai 2012, un accord définissant le cadre de leur coopération bilatérale. L’Italie est également concernée avec un texte similaire signé au mois de janvier dernier.

Enfin, votre rapporteur se félicite que le texte qui nous est soumis s’inscrive dans la durée : il a été conclu pour une durée de 20 ans renouvelables et prévoit également des emphytéoses de 99 ans pour deux de nos établissements culturels (39). Par ailleurs, en plus d’énumérer les différents domaines dans lesquels la coopération entre l’Afghanistan et la France doit se poursuivre ainsi que les projets et actions envisagées dans ce cadre, il renvoie leur mise en œuvre à des « programmes correspondants arrêtés d’un commun accord pour chaque programme de cinq ans » (article 1er du traité). Le premier de ces programmes a été conclu le même jour que le traité, le 27 janvier 2012 (40). Couvrant la période courant jusqu’à 2016, il a été signé par les ambassadeurs de France en Afghanistan et d’Afghanistan en France. Il présente de manière plus détaillée – il a été négocié avec chacun des dix-huit ministères concernés – les projets qui seront menés dans le cadre du traité sur la première période de cinq ans. Ce programme est immédiatement applicable, sans qu’il soit nécessaire d’attendre la ratification du traité par les parties française et afghane.

Ce contenu détaillé du traité d’amitié et de coopération ainsi que son articulation avec des programmes quinquennaux qui le mettent en œuvre doivent être salués même si, comme votre rapporteur compte le souligner, le succès du texte qui nous est soumis est loin d’être acquis.

II – UN TRAITÉ DONT LE SUCCÈS DÉPENDRA GRANDEMENT DE LA CAPACITÉ DE L'AFGHANISTAN À AFFRONTER L'APRÈS-2014

A – Le traité franco-afghan, un outil précieux

Le traité d’amitié franco-afghan du 27 janvier 2012 vise à établir « un partenariat équilibré  qui contribue à l’indépendance, à la sécurité et au développement économique et social de la République islamique d’Afghanistan » (article 1er). Aussi organise-t-il la coopération bilatérale entre cette dernière et notre pays dans les domaines essentiels au développement futur de l’Afghanistan. Ses articles 3 à 10 établissent ainsi pour chaque domaine de coopération, les principales actions à entreprendre. En parallèle, le programme couvrant la période 2012-2016 (annexé au traité et reproduit en fin du présent rapport) apporte les détails conduisant à la mise en œuvre concrète du partenariat. En cela, le traité qui nous est soumis fait preuve d’une ambition certaine qui va de pair avec la volonté de maintenir un dialogue constant entre les autorités des deux pays.

1) Un traité ambitieux

Neuf secteurs de coopération sont envisagés et précisés par le traité du 27 janvier 2012.

a) Défense

La coopération en matière de défense est encadrée par l’article 3 du traité (41). Ce dernier n’a pas pour but d’instituer une clause d’assistance ou d’engagement automatique. Conformément à l’esprit dans lequel se déroule, en ce moment, l’évolution des relations franco-afghanes, il prévoit que notre pays exerce des missions de conseils et de formation et interdit expressément aux militaires français qui agiront dans ce cadre de participer à des opérations de combat.

La mise en œuvre de cette coopération dans un domaine essentiel pour l’avenir de l’Etat afghan devra être adaptée, dans le temps, « à la situation sécuritaire en Afghanistan ». De même, les actions envisagées devront être complémentaires de celles entreprises dans un cadre multilatéral car le traité concourt, à son niveau, à la réalisation d’objectifs communs à l’ensemble des alliés présents en Afghanistan et, dans cette perspective, notre ambassade à Kaboul aura un grand rôle à jouer dans le processus d’élaboration de projets pertinents.

Pour la période 2012-2016, le programme de coopération adossé au traité prévoit trois types d’actions :

– un « appui au secteur institutionnel de défense afghan » (point 1.1), par le biais notamment du détachement d’un coopérant militaire français auprès du ministère afghan de la défense ;

– un « appui à la formation des cadres militaires » (point 1.2) avec, entre autres, des échanges d’instructeurs et de conseillers ainsi que la poursuite de jumelages ;

– ainsi qu’un « appui à l’enseignement de la langue française et [des] bourses dans les écoles militaires » (point 1.3), permettant dès lors l’envoi de stagiaires afghans dans les écoles militaires en France.

Selon les informations recueillies par votre rapporteur, les actions de coopération engagées dans ce cadre continueront à être menées dans un cadre multilatéral à travers la poursuite de la participation de la France au volet militaire de la mission d’entraînement de l’OTAN en Afghanistan (NTMA Army) (42). Cette participation, qui, pour mémoire, est baptisée EPIDOTE, est composée de 126 militaires détachés auprès de différentes écoles militaires afghanes. Le nombre de ces formateurs est appelé à décroître progressivement au fur et à mesure des transferts aux Afghans des écoles et centres de formation. Au-delà de 2014, l’avenir de ce dispositif dépendra des discussions qui seront abordées au sein des alliés de la FIAS mais, en tout état de cause, il s’inscrira naturellement dans le cadre du traité du 27 janvier 2012. En outre, le retrait de nos forces combattantes d’Afghanistan n’empêchera pas le maintien d’une participation de militaires français aux états-majors de la FIAS ainsi que de huit démineurs travaillant au sein du laboratoire anti-IED. De même, 88 militaires resteront déployés au sein de l’hôpital militaire de KAIA (43) dont 50% des consultations sont assurées au profit des Afghans.

Enfin, il convient de relever que l’article 3 du traité du 27 janvier 2012 interdit la cession à titre onéreux, sur le territoire afghan, des matériels militaires français qui y entrent. C’est là une clause traditionnelle des textes organisant des coopérations militaires. En effet, l’Etat hôte accordant des exonérations fiscales à l’Etat d’envoi pour lui permettre d’importer ses matériels voués à un usage strictement réservé à cette coopération, les matériels ainsi importés bénéficient, de cette manière, d’avantages fiscaux et douaniers justifiant qu’ils ne puissent être vendus.

b) Sécurité intérieure

L’article 3 du traité traite également de la coopération en matière de sécurité intérieure. Il rappelle la volonté des autorités afghanes de créer une gendarmerie nationale à partir de l’ANCOP (44) et précise que la France aidera à atteindre cet objectif. Il énumère également les domaines dans lesquels cette coopération devra être menée : la police judiciaire, la lutte contre la criminalité organisée et les trafics, la sécurité civile et la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. Votre rapporteur tient à souligner l’enjeu de telles coopérations. Il est plus que nécessaire, par exemple, que l’Afghanistan puisse répondre efficacement aux crimes perpétrés sur son sol. La récente exécution – ou plutôt le lâche assassinat – d’une jeune femme accusée d’adultère, rendu public au début du mois de juillet, en plus d’être révélatrice de la situation des Afghanes, traduit bien le sentiment d’impunité qui prévaut en Afghanistan. Des hommes ont pu tuer ou assister à cet acte odieux, à visage découvert, en plein jour à moins de cent kilomètres de Kaboul (45). Les suites qui seront données à cet assassinat barbare seront décisives et devront être observées avec attention. De même, le traité rappelle la nécessité de coopérer dans la lutte contre les stupéfiants. C’est là une question primordiale pour l’avenir de l’Afghanistan. Problème majeur, la drogue entrave, en effet, le développement de l’économie afghane, mine les efforts de reconstruction du pays, gangrène l’Etat et nourrit le terrorisme avec une imbrication croissante entre les Talibans et les réseaux de trafiquants. L’opium afghan représente 90% de la production mondiale totale. L’expansion de la culture du pavot est liée aux difficultés persistantes de contrôle du territoire par les autorités, aux défaillances de l’appareil judiciaire, douanier et policier ainsi qu’à une corruption endémique. La solution contre ce fléau ne viendra pas de la seule coopération franco-afghane (46) mais il est heureux de constater que les deux pays entendent travailler sur cette question à l’avenir.

Le programme de mise en œuvre du traité pour la période 2012-2016 détermine quatre projets autour desquels sera menée la coopération entre la France et l’Afghanistan en matière de sécurité intérieure. Un gendarme français sera notamment envoyé auprès du général comandant l’ANCOP et, chaque année, une dizaine de stagiaires afghans seront envoyés en stage dans notre pays, y compris pour apprendre le français (point 2.1). En matière de lutte contre la drogue, un officiel de liaison « stupéfiants » sera également détaché auprès de la police anti-drogue d’Afghanistan (47) (point 2.2).

c) Agriculture et développement rural

Aux termes de l’article 4 du traité, « la France soutient l’Afghanistan dans ses efforts en vue d’atteindre l’autosuffisance alimentaire puis une capacité d’exportation, d’augmenter le niveau de vie dans les zones rurales et de promouvoir un développement durable ». La France s’engage donc à apporter son expertise en matière agricole. Jusqu’à présent, ce secteur a été le principal bénéficiaire de l’aide bilatérale apportée par notre pays. Pour mémoire, ainsi que votre rapporteur l’a indiqué précédemment, il a absorbé 22 % des décaissements au cours de la dernière décennie.

Afin de poursuivre cette coopération le programme pour 2012-2016 prévoit huit actions prioritaires dont, entre autres, un appui à la création d’un réseau de lycées techniques agricoles ainsi que la mise en place d’un plan d’aide à la création de coopératives agricoles avec pour objectif d’en créer cinq par an jusqu’en 2016 (point 3.1).

d) Santé

La coopération en matière de santé est régie par l’article 5 du traité. Ses objectifs sont ambitieux : « réduire le taux de mortalité maternelle et infantile », « augmenter la capacité d’accès aux soins médicaux de qualité » et « améliorer le niveau de formation des médecins et personnels médicaux ». A ce titre, le traité rappelle le rôle précieux joué par l’Institut médical français pour l’enfant (IMFE), que votre rapporteur a déjà évoqué et insiste sur l’importance à accorder aux liens pouvant être noués ou approfondis entre établissements supérieurs français et afghans.

Le programme pour 2012-2016 (point 3.2) prend acte de ces orientations en prévoyant d’étendre de façon significative les capacités de l’IMFE et d’en faire, à terme, un pôle régional de haut niveau. De façon plus surprenante, ce même programme pour 2012-2016 envisage que la France puisse aider l’Etat afghan à élaborer un projet d’assurance médicale. L’intention est louable même si la perspective semble vraiment lointaine.

e) Éducation, enseignement supérieur et recherche

L’article 6 du traité définit les grands axes de la coopération en matière d’éducation et d’enseignement supérieur. L’accent est mis sur l’enseignement de la langue française ainsi que sur les lycées Esteqlal et Malalaï de Kaboul. De même la France s’engage à contribuer à la formation d’ingénieurs et chercheurs afghans via un partenariat entre l’Université polytechnique de Kaboul et le groupe des écoles des mines et universités françaises compétentes dans ce domaine.

Le programme pour 2012-16 détaille longuement la mise en œuvre de ces orientations (point 3.3).

Concrètement, le soutien aux deux lycées francophones sera poursuivi dans le cadre du projet ALEM (48) qui, animé par le service culturel de notre ambassade à Kaboul, a pour objectif, outre de soutenir notre langue, d’améliorer l'enseignement des sciences et des mathématiques (en introduisant notamment l'enseignement des sciences en français dans quelques classes pour les deux lycées) et d’améliorer les compétences administratives et pédagogiques, ainsi que les capacités de gestion des directions des lycées. Ainsi le programme 2012-2016 indique-t-il que les expériences pilotes d’enseignement des sciences menées et réussies aux deux lycées francophones seront étendues aux autres établissements de Kaboul dans un premier temps puis, ensuite, aux établissements de province. Ces expériences ont en fait consisté en l’organisation d’ateliers « Main à la pâte » pour des volontaires de 9ème afin de les préparer à entrer en classe pilote de 10ème. Le dispositif a fait ses preuves et sera poursuivi l’an prochain.

Le programme de coopération évoque aussi un appui, par la France, à la création d’un corps des inspecteurs du ministère afghan de l’éducation. Cette action a été demandée par les autorités afghanes. Mise en œuvre en partenariat avec la Mission Laïque Française, dans le cadre d’une convention d’une durée de deux ans, elle a débuté le 23 mai dernier par un séminaire de formation de 50 inspecteurs centraux, 10 proviseurs et 3 cadres de la direction de l’inspection.

En outre, l’Afghanistan s’engage à octroyer au français le statut de « langue vivante officielle ». L’enjeu est d’importance car l’enseignement de notre langue est un instrument essentiel pour la réussite et la pérennité de bon nombre de projets dans tous les secteurs de la coopération.

S’agissant de l’enseignement supérieur, le partenariat franco-afghan passe par le projet SEFA (49), héritier d’un premier programme engagé entre 2004 et 2006 et qui avait pur but d’aider les ministères afghans de l’éducation et des universités à se structurer. Pour les 5 ans à venir, l’objectif principal est d’aider à la titularisation de 25 professeurs par an, ce qui passera, notamment, par la recherche d’un partenaire universitaire français pour mettre en place des échanges d’étudiants ou, en tout cas, l’accueil d’étudiants afghans en France. Selon les informations recueillies par votre rapporteur, seulement 166 étudiants afghans ont été inscrits dans un établissement d’enseignement supérieur en France au cours de l’année 2011-2012. Parmi aux, 104 sont boursiers du gouvernement français. Notre pays est au 8ème rang des pays d’accueil, derrière l’Iran, la Turquie, les Etats-Unis, la Russie, l’Arabie Saoudite, l’Allemagne et le Royaume Uni.

f) Culture et archéologie

Domaine historique de la coopération franco-afghane, la culture et l’archéologie sont l’objet de l’article 7 du traité, lequel souligne la nécessité de faciliter les activités de l’Institut français d’Afghanistan (IFA) et de la Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA) par le biais d’une emphytéose. Cette disposition, dont on ne peut que saluer l’ambition et son inscription dans la durée, est reprise par les points 3.6 et 3.7 du programme de coopération pour 2012-2016 lesquels prévoient, pour les deux organismes des emphytéoses de 99 ans.

Parmi les nombreuses autres mesures envisagées, la France s’engage à aider l’Afghanistan à créer un service de répression du trafic des œuvres d’art et à accueillir, chaque année, 5 étudiants en archéologie sur bourses du gouvernement français. Un rapprochement entre le musée Guimet et celui de Kaboul est également attendu.

Sur le plan culturel, le programme 2012-2016 prévoit également plusieurs actions dans les domaines du théâtre, du livre, du cinéma et de l’audiovisuel en insistant, dans chaque cas, sur l’importance à accorder à la formation des personnels afghans.

g) Administration et État de droit

La gouvernance démocratique et l’état de droit sont abordés à l’article 8 du traité et par le point 3.5 du programme pour 2012-2016. Est rappelé l’attachement de notre pays à contribuer « à la formation des cadres de l’administration centrale et territoriale et de la magistrature ainsi que celle des cadres administratifs des deux assemblées parlementaires ». Cet article conduit, en outre, les Parties à émettre le vœu d’un développement des échanges entre les sociétés civiles afghane et française, en apportant une attention particulière à la protection des droits des femmes et à leur accès à la justice.

Ainsi la coopération entre le parlement français et son homologue afghan – qui a réellement démarré en 2004 et que votre rapporteur a déjà évoquée précédemment (50) – est jugée prioritaire et sera maintenue, semble-t-il, à un rythme trimestriel. Récemment, du 8 au 13 juin 2012, un conseiller et un administrateur de notre Assemblée se sont rendus à Kaboul pour assurer une formation de « légistique » (51)à destination de leurs collègues des deux chambres du parlement afghan. Cette visite semble avoir été très appréciée. Elle a permis de former de nombreux fonctionnaires parlementaires afghans aux techniques essentielles de rédaction d’articles de projets de loi et d’amendements mais aussi d’évaluer les besoins. Elle a également été l’occasion de travailler sur les modes de scrutin, sujet majeur au moment où l’Afghanistan s’est engagé dans une réforme électorale en vue des scrutins présidentiel et législatif de 2014 et 2015. Les contestations des résultats des élections législatives de 2010 – qui avaient été organisées par un décret présidentiel et non par une loi votée par le Parlement – montrent que l’enjeu est réel.

S’agissant de la coopération en matière de justice, la formation de magistrats est, elle, aussi, un thème prioritaire. Après 6 ans de formation directe de juges, sous l’égide notamment de l’Institut international pour les études comparatives, l’idée est maintenant de permettre la création d’une école de la magistrature locale. De même, les projets, déjà évoqués par votre rapporteur, de formation de juges et de magistrats de la Cour suprême afghane (en particulier au contrôle de constitutionnalité) et de 34 administrateurs de provinces seront maintenus.

Enfin, le programme pour 2012-2016 évoque la mise en place d’un appui à la formation des administrateurs et diplomates du ministère des affaires étrangères afghan avec l’octroi, chaque année, de bourses à ceux d’entre eux issus de l’Institut de diplomatie.

h) Infrastructures

L’article 9 du traité concerne la coopération « en vue de développer les infrastructures afghanes en matière de télécommunications, de transport, d’irrigation et celles liées à la production et à la transformation des matières premières ». L’Afghanistan s’engage, dans cette perspective, à faciliter l’action des entreprises et organismes français intéressés par ces secteurs. De même, cet article du traité, comme le précise également le point 3.4 du programme pour 2012-2016, invite à soutenir les activités du Service géologique afghan en relation étroite avec le Bureau de recherches géologiques et minières français.

Par ailleurs, le point 3.8 du programme de coopération traite spécifiquement de la Kapisa et du district de Surobi, dans lesquels, comme votre rapporteur l’a souligné, la France a beaucoup investi par l’intermédiaire du Pôle de stabilité. Notre pays s’engage, par exemple, si les populations locales le souhaitent, à poursuivre les travaux d’électrification et à consolider les actions de soutien à l’agriculture et au développement rural menées depuis 2009. La France envisage aussi de valoriser les infrastructures qu’elle a déjà bâties en matière de santé (hôpitaux de district de Nijrab et Tagab) et en matière d’éducation.

Enfin, un projet d’extension du système d’adduction d’eau de la ville de Kaboul est en cours de formalisation (point 4.3 du programme 2012-2016). La France pourra être conduite à soutenir cette action dont la maîtrise d’ouvrage sera confiée à l’AUWSSC (52), la compagnie des eaux afghane.

i) Économie

L’article 10 du traité, intitulé « économie, finances, commerces et industrie », vise à développer un cadre favorable aux échanges commerciaux. Outre une concertation sur ces sujets, il appelle à la consolidation des échanges déjà établis entres secteurs privés français et afghans qui, comme votre rapporteur l’a regretté, sont aujourd’hui peu développés. Cet article 10 insiste aussi sur la nécessite de « garantir un environnement général des affaires propice » ce qui est malheureusement loin d’être le cas en Afghanistan (53). Les points 4.1 et 4.2 du programme pour 20112-2016 traitent de ce sujet mais n’apportent aucune réelle précision supplémentaire par rapport au traité.

j) Engagements afghans et avantages accordés à la France

Outre la pérennisation de nos instituts culturels et la promotion de la langue française à tous les niveaux d’enseignement – qui, selon le programme pour 2012-2016 devient « langue vivante officielle » – le traité comporte l’engagement de l’Afghanistan de lutter contre toute menace émanant de son territoire et visant les intérêts de la France mais aussi de coopérer en matière de lutte contre la drogue et le terrorisme (article 1er). Cela semble aller de soi mais il est utile que ces objectifs soient officiellement rappelés et soient endossés par les plus hautes autorités afghanes. Notre pays entend demeurer au côté de l’Afghanistan. Il serait toutefois inconcevable de continuer dans cette voie si le sol afghan redevenait un sanctuaire du terrorisme international ou si ses gouvernants décidaient d’entrer dans un intolérable « double jeu » à nos dépens.

Au-delà du rappel de ces principes, le traité octroie les facilités nécessaires (exemption d'impôts, taxes et droits) aux institutions et acteurs français qui, telles l’AFD et les ONG françaises, concourent à la mise en œuvre des programmes de coopération entre les deux pays. Ce type de facilité est la norme pour les projets de développement en général et ne concerne donc pas spécifiquement l’Afghanistan.

Par ailleurs, l’article 12 du traité prévoit que « les experts civils et militaires français présents en Afghanistan pour la mise en oeuvre du traité, ainsi que les personnes à leur charge (54), bénéficient d'immunités identiques à celles accordées aux experts par l'article VI de la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies du 13 février 1946 ». L’étude d’impact explique longuement la portée de cette disposition. Concrètement, les experts civils et militaires français présents en Afghanistan seront protégés par une immunité d'arrestation personnelle ou de détention et de saisie de leurs bagages personnels, par une immunité de toute juridiction en ce qui concerne les actes accomplis par eux au cours de leurs missions, par l’inviolabilité de tous papiers et documents ainsi que par les mêmes immunités en ce qui concerne leurs bagages personnels que celles qui sont accordées aux agents diplomatiques. En conséquence, les actes de nos experts et des personnes à leur charge relèveront de la compétence des juridictions afghanes sauf ceux accomplis dans le cadre de leurs fonctions, pour lesquels ils relèveront de la compétence exclusive des juridictions françaises. Toutefois, ces experts et personnes à leur charge bénéficieront, en tout état de cause, sur le territoire afghan, de l'inviolabilité de leur personne puisqu'ils ne pourront être ni arrêtés ni détenus par les autorités afghanes, même pour un acte accompli en dehors du cadre de leurs fonctions.

2) Un traité qui vise à poursuivre le dialogue entre les autorités des deux pays

L’article 2 du traité prône le renforcement du dialogue politique et stratégique entre la France et l’Afghanistan. A cet effet, il invite les Parties à procéder à « des consultations régulières au plus haut niveau ». En outre, il crée trois commissions mixtes autonomes qui, composées de hauts fonctionnaires, devront se réunir une fois par an, et alternativement en France et en Afghanistan.

Une commission mixte de coopération rassemblera les représentants des ministères concernés des deux pays et assurera le suivi des programmes de coopération établis dans le cadre du programme de coopération à 5 ans.

Une commission mixte politico-stratégique rassemblera les représentants des ministères concernés afin de faire le point, chaque année, sur les questions politiques de défense et de sécurité régionale intéressant les deux pays.

Enfin, une commission mixte de sécurité intérieure rassemblera les représentants des ministères concernés et couvrira les domaines de coopération en matière de police, de lutte contre la criminalité organisée et les trafics illégaux, en particulier les trafics de stupéfiants, et de sécurité civile.

Le Quai d’Orsay a indiqué à votre rapporteur qu’aucun calendrier prévisionnel de ces réunions n’avait été établi pour le moment.

B – Un contexte difficile qui rend incertain le succès du traité

Si le traité franco-afghan du 27 janvier 2012 fait indéniablement preuve d’ambition en organisant, sur le long terme, la coopération entre les deux pays dans des domaines essentiels pour le développement de l’Afghanistan, sa mise en œuvre va se heurter à de nombreuses difficultés.

1) La contrainte budgétaire

a) Un contexte budgétaire tendu

La mise en œuvre du traité d’amitié et de coopération va intervenir dans un contexte budgétaire très tendu qui impose à tous de faire des efforts. Aussi peut-on s’attendre à ce que certains programmes de coopération soient affectés dans les mois et années à venir. Car le traité ne vaut pas engagement de crédits. Comme le rappelle l’étude d’impact annexée au projet de loi autorisant la ratification, la mise en œuvre du traité devra tenir compte « des autorisations de crédits annuelles votées par le Parlement français et des décisions des organes de gouvernance des établissements concernés, notamment l’AFD ». De surcroît, l’effort à fournir n’est pas anodin. Certes, la fin du déploiement des troupes combattantes pourrait permettre – en mettant fin au « surcoût OPEX » – de dégager des marges de manœuvre au bénéfice de certaines coopérations. Il n’en demeure pas moins que la France entend augmenter de 50 % son aide bilatérale à l’Afghanistan au titre du programme de coopération quinquennal annexé au traité d’amitié, soit un montant de 308 millions d’euros entre 2012 et 2016. Cela représente environ 50 millions d’euros par an, contre 30 en moyenne auparavant. Cette aide peut être considérée comme faible relativement à celle d’autres pays. L’Allemagne annonce, elle, un financement de 420 millions d’euros par an jusqu’en 2015, par exemple. Mais cela ne doit pas occulter pour autant l’effort fait par notre pays au regard du contexte budgétaire dégradé actuel.

b) Quelles capacités d’absorption pour l’Afghanistan ?

3,9 milliards de dollars par an. Ce chiffre est énorme et représente le besoin de financement de l’Afghanistan jusqu’en 2017. Il a été déterminé conjointement par la Banque mondiale et le gouvernement afghan et approuvé lors de la conférence de Tokyo de juillet 2012. Or une telle somme, au-delà des problèmes qu’elle pose quant à la viabilité économique du pays, soulève la capacité des autorités afghanes à l’absorber. Le budget afghan est réparti entre le « budget de base » (55) – qui regroupe des fonds gérés par le gouvernement – et le « hors budget » (56) constitué d’aides extérieures ne transitant pas par les ministères. Le premier représente environ 40 % des dépenses publiques. Le second 60%. Les dirigeants afghans avaient demandé, lors de la conférence de Kaboul en juillet 2010, que 50% de toute l’aide au développement passe par le « budget de base » dans les deux années suivantes. Cette ambition se heurte toutefois aux difficultés de mise en œuvre des dépenses budgétées ce cadre, le passage par le « budget de base » se traduisant par des délais très longs mais aussi par l'absence de contrôle réel sur les montants versés. Au-delà des problèmes de corruption que votre rapporteur abordera ultérieurement, cette absence de véritable contrôle rend indispensable un suivi attentif des fonds versés. Le point 5 du programme quinquennal annexé au traité indique que l’ordonnancement des dépenses devra être décidé conjointement par les Parties en fonction d’éléments précis, tels des devis. Le décaissement, lui, sera ordonné par la France au vu des justificatifs comptables correspondants. En dépit des vœux afghans, l’aide civile au bénéfice de l’Afghanistan continuera de s’effectuer selon une procédure majoritairement « hors budget ».

2) Violence et corruption

a) Une situation sécuritaire dégradée

Nul ne peut nier que le contexte sécuritaire s’est fortement dégradé, en Afghanistan, depuis 2006. Toute la panoplie terroriste y a été déployée : IED, attentats suicides, assassinats ciblés… Depuis peu, l’insurrection a ajouté une méthode meurtrière supplémentaire à cette liste : les attaques internes, par infiltration des forces afghanes (57). Ce phénomène, en soi, n’est pas récent. Il était déjà répandu lors de l’invasion soviétique ainsi que tout au long su XIXème siècle lors des campagnes britanniques. En revanche, ce type d’actes a fortement progressé au cours du premier semestre et notre pays en a particulièrement souffert. Il faut dire que ces attaques sont « rentables » pour l’insurrection. Elles visent en priorité les forces de la coalition et épargnent les civils. De surcroît, elles ont un fort impact sur l’opinion publique des Etats touchés.

Evidemment, la sécurité de celles et ceux qui vont être amenés à mettre en œuvre le traité d’amitié et de coopération revêt un enjeu capital. La poursuite et l’approfondissement de notre coopération avec l’Afghanistan ne sauraient être engagées sans que de sérieuses garanties soient apportées en la matière. Cela vaut tant pour le personnel militaire que civil. Ce dernier n’est pas à l’abri, lui non plus, d’attaques à l’intérieur même de bâtiments public et surveillés comme l’a montré, au début de l’année, l’assassinat de coopérants américains et allemands dans l’enceinte même d’un ministère.

Une lourde épée de Damoclès pèse donc sur la réussite du programme de coopération avec l’Afghanistan. 300 de nos soldats sont prévus pour assurer la sécurité du camp de Warehouse (58). Ils auront pour tâche d’assurer exclusivement la protection des troupes françaises (insérés, formateurs, agents civils) et de participer aux escortes. Des efforts ont aussi été faits quant au recrutement du personnel des forces afghanes, lequel doit s’effectuer au travers d’un processus de sûreté permettant d’écarter autant que possible les candidats liés à l’insurrection. Il implique la famille qui recommande les candidats, les autorités locales (maleks ou mollahs) qui garantissent l’identité et les gouverneurs qui donnent leur approbation. En outre, au-delà des mesures mises en œuvre par l'ensemble des pays de l’OTAN et des partenaires engagés en Afghanistan, dans le cadre d’un « plan de contre-infiltration » adopté au début de l'année à l’initiative de la France, d’autres actions ont été prises par notre pays : meilleur cloisonnement entre forces afghanes et forces françaises sur les lieux de formation, amélioration du renseignement en lien avec le NDS afghan (59) et la présence systématique de personnels français armés sur les lieux de formation. En plus d’une obligation de moyens, il y a là une obligation de résultats. Votre rapporteur ne peut que souligner le caractère prioritaire de la sécurité de nos coopérants. Sans elle, le traité sera grandement dépourvu de sa substance.

b) Une corruption endémique

À côté de la violence, la corruption est un autre obstacle au développement de l’Afghanistan. « Véritable fléau qui affecte tous les échelons de la vie publique, y compris au plus haut niveau, la corruption aurait, selon le témoignage de la plupart des observateurs, gagné en intensité depuis plusieurs années. D'après Transparency International, le classement du pays pour la corruption est passé de 172 en 2007 à 176 en 2010 (sur 178 pays) juste avant la Birmanie et la Somalie » (60). Le phénomène est ancien. La corruption et les scandales – tel celui de la Kaboul Bank – minent la confiance de la population envers le pouvoir et constituent un obstacle à l’établissement de l’autorité de l’Etat. Ils jouent également en faveur de l’insurrection qui n’hésite pas à les exploiter à son profit. D’ailleurs, les pratiques dévoyées du gouvernement de l’époque ne sont pas étrangères au soutien apporté initialement aux Talibans lorsque ceux-ci prirent le pouvoir en 1996.

La persistance de ce fléau pourrait affecter la réussite du traité franco-afghan. Certes, comme votre rapporteur l’a relevé, le programme quinquennal 2012-2016 entend mettre en place une gestion sérieuse des crédits, lesquels, de surcroît, transiteront essentiellement par l’« external budget » et non par le « core budget ». Il n’en demeure pas moins qu’une attention toute particulière devra être apportée à cette question. Les fonds versés par la France n’ont pas vocation à être détournés, à profiter aux réseaux mafieux ou aux insurgés.

c) Un environnement peu favorable aux affaires

Violence et corruption ne sont guère favorables aux affaires. Bien plus que des considérations propres au marché afghans, ces deux fléaux expliquent la faible implantation des entreprises françaises en Afghanistan, que votre rapporteur a eu l’occasion de déplorer dans la première partie du présent rapport.

Comment attirer des investisseurs français dans un environnement sécuritaire dégradé ? A part peut-être pour des sociétés opérant elles-mêmes dans le secteur de la sécurité, l’Afghanistan est un pays qui suscite de légitimes inquiétudes auxquelles il importe de répondre efficacement et durablement pour réussir à mettre en œuvre le volet « économique » du traité qui nous est soumis. Au cours des derniers mois, la perspective du retrait des forces françaises a conduit certaines entreprises à se rapprocher du consulat de France et il a été décidé de réunir, à partir de septembre prochain, périodiquement, à l’exemple de ce qui se fait déjà pour les ONG, les responsables de la sécurité de ces entreprises. A ce stade, six entreprises et deux PME ont acceptées de se joindre à ce groupe. Les objectifs de cette structure sont la diffusion des alertes, la réflexion sur les procédures mais aussi sur les « bonnes pratiques ».

En ce qui concerne la corruption, celle-ci fait également office de repoussoir pour les entreprises en ce qu’elle s’inscrit dans un environnement globalement hostile au monde des affaires. Complaisance des autorités, économie parallèle, trafic de stupéfiants, méconnaissance des droits de propriété intellectuelle et foncière ou insécurité juridique sont autant d’obstacles à la normalisation de l’Afghanistan sur la scène économique internationale.

3) Quel Afghanistan après 2014 ?

a) Un Etat viable ?

L’Etat afghan pourra-t-il survivre au retrait des forces de la coalition ? Rien n’est sûr. Au delà de considérations financières et de la capacité de l’Afghanistan à encaisser – certes en étant aidé – le choc que constituera le départ de milliers de soldats occidentaux, il est difficile de prévoir l’évolution du pays lorsque reviendra aux seules armée et police afghanes d’assumer elles mêmes la responsabilité de la sécurité. Beaucoup doutent de leur aptitude à faire face. « Il y a aura un énorme vide qui risque de réduire à néant les acquis depuis dix ans » (61). L’une des pièces maîtresses de la stratégie de transition, l’ « Afghan Local Police », est, par exemple, très critiquée. Créée en 2010 sous l’impulsion des Etats-Unis, elle a permis à confier la surveillance de chaque village à des miliciens désignés par les autorités traditionnelles puis entraînés par des officiers américains. « Ce sont des illettrés, des drogués qui sont dans cette police. Ils contrôlent les routes et on ne peut pas sortir de chez soi quand la nuit est tombée » (62). Peut-on dire, comme certains, qu’en Afghanistan, « l’appareil d’Etat est toujours aussi déliquescent » (63) , notamment parce que le président Karzaï aurait confondu construction de l’Etat et établissement de réseaux d’allégeances personnels ? Ce pays saura-t-il affronter l’après 2014 ? Peut-on espérer que, certes confronté à de lourdes difficultés, il parviendra malgré tout à progresser vers une relative normalité et à s’éloigner du modèle du « narco-Etat » vers lequel il a tant dérivé ? L’avenir y répondra et le sens de cette réponse dépendra en partie de l’aide que la communauté internationale continuera à apporter à l’Afghanistan. Mais elle dépendra surtout de la capacité des Afghans eux-mêmes à se réconcilier.

b) Une réconciliation impossible ?

La transition ne peut avoir une quelconque chance de succès si les Afghans, eux-mêmes, ne parviennent pas à s’entendre. Dix ans de présence des forces internationales a montré les limites de l’intervention militaire et n’ont rendu que plus urgente une solution politique. A la conférence de Londres du 28 janvier 2010, le président Karzaï s’est engagé dans cette voie. Une « Jirga » de paix s’est tenue à Kaboul en juin 2010 pour valider un cadre de négociation avec l’opposition armée. Un nouveau « programme national pour la paix et la réintégration » (64) a été lancé à l’été 2010 puis, en octobre de la même année, un Haut Conseil pour la Paix, a été institué, avec à sa tête l’ancien président afghan Rabbani, dans le but de faciliter les contacts avec la rébellion. Ce processus doit respecter les lignes rouges établies par les autorités afghanes elles-mêmes : respect de la constitution de 2004 et des droits de l’Homme, en particulier des droits de la femme, renoncement à la violence et absence de liens avec le terrorisme international. Comme votre rapporteur l’a précédemment indiqué, l’assassinat de l’ancien président Rabbani (qui était à la tête de ce Haut conseil), le 20 septembre 2011, a constitué un coup d’arrêt au processus. Le président Karzaï a convoqué en novembre 2011 une « Loya Jirga », assemblée traditionnelle du peuple afghan, qui s’est prononcée en faveur de la poursuite des tentatives de discussion avec la rébellion. Cette réunion a par ailleurs approuvé le principe du partenariat stratégique avec les Etats-Unis tout en posant des conditions comme, par exemple, l’absence de détention d’Afghans par les Américains. Des pourparlers de paix n’ont pas encore pris forme. Après avoir annoncé en janvier 2012 leur accord pour l’ouverture d’un bureau de représentation au Qatar, les Talibans ont annoncé, le 15 mars dernier, la suspension de leurs contacts avec les Etats-Unis même si les dernières informations disponibles laissent entendre qu’ils pourraient reprendre.

En tout état de cause, votre rapporteur entend insister sur la dimension internationale que revêt également la question afghane. « La stabilisation de l’Afghanistan dépend autant d’un processus de réconciliation nationale que de ses voisins, au premier chef du Pakistan avec lequel il partage l’ethnie pachtoune » (65). Depuis longtemps obsédé par son désir de conserver une profondeur stratégique en Afghanistan et effrayé à l’idée de se retrouver pris en tenaille entre ce pays et l’Inde, le Pakistan a été accusé de nombreux maux et a souvent fait figure de « manipulateur ». A lui de saisir l’occasion historique d’être désormais un « facilitateur » et de contribuer, lui aussi, à la stabilisation et à la pacification de la région.

4) Une vigilance nécessaire

« Notre appui ne peut être un succès que si nous tenons nos engagements, les uns et les autres. De notre côté, nous nous engageons à tenir nos promesses. Côté afghan, l’engagement est celui d’une bonne gouvernance, de l’organisation d’élections équitables dans les délais impartis, de la mise en œuvre des recommandations économiques internationales, de la lutte contre la corruption, du respect des droits de l’Homme et notamment du droit des femmes, si menacé par le passé. Ces efforts doivent être accompagnés au niveau régional ». Lorsqu’il a prononcé ces mots à la Conférence de Tokyo du 8 juillet dernier (66), M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, a tenu à rappeler que l’aide internationale à l’Afghanistan n’est pas à sens unique et dépourvue de contreparties. La régression des droits, l’abstention face à la corruption et au trafic de drogue, l’inaction face aux violences faites aux femmes mais aussi la mauvaise utilisation des fonds pourraient conduire à revoir nos programmes de coopération. Il y a là une approche vers la conditionnalité de l’aide dont on ne peut que ce féliciter. Il faut espérer que cela ne soit pas cantonné au seul discours mais puisse avoir des répercussions concrètes en cas de non respect, par l’Afghanistan, de ses engagements. D’autant plus qu’une telle démarche a également été engagée au niveau européen. Ainsi l’Union européenne et l’Afghanistan ont-ils entamé en mars dernier la négociation d’un « accord de coopération en matière de partenariat et de développement ». Y sont prévues des clauses politiques contraignantes, les mêmes qui s’appliquent à l’ensemble des relations entre l’UE et les pays tiers : respect des droits de l’Homme, démocratie, Etat de droit, non-prolifération des armes de destructions massives et lutte contre le terrorisme.

Votre rapporteur émet le vœu que les projets de coopération qui seront mis en œuvre en application du traité qui nous est soumis profitent réellement à l’ensemble de la population afghane. Ces projets ne devront associer que ceux qui respecteront les engagements pris en matière de démocratie, des droits de l’Homme et de bonne gouvernance. Si les commissions mixtes crées par le traité auront un grand rôle à jouer dans la vérification de ces conditions, il appartiendra aussi au Parlement de se tenir régulièrement informé et de suivre avec attention la poursuite et l’approfondissement de nos partenariats avec l’Afghanistan.

CONCLUSION

Le traité  d’amitié et de coopération entre la France et l’Afghanistan, signé le 27 janvier 2012, est assurément un traité ambitieux qui peut permettre d’accompagner de manière efficace et concrète le processus de transition actuellement en cours en Afghanistan.

Pour autant, plusieurs incertitudes pèsent sur ce texte, au premier rang desquelles la capacité de l’Afghanistan à affronter l’après 2014 et le retrait de la coalition internationale présente sur son sol depuis plus d’une décennie. Si, comme beaucoup le prédisent, l’état de ce pays venait à empirer, il serait difficile de mettre en œuvre les engagements pris par la France, notamment eu égard aux risques démesurés que seraient conduits à prendre nos coopérants.

La représentation nationale, si elle autorise la ratification du traité d’amitié et de coopération, ne devra pas, toutefois, s’en dessaisir. A elle d’en suivre attentivement le devenir et la mise en œuvre. A cette fin, la commission des affaires étrangères ne manquera pas de demander régulièrement des précisions au ministère des affaires étrangères sur la progression des programmes de coopération mais aussi du respect, par les autorités afghanes, des engagements souscrits en matière de gouvernance démocratique et d’Etat de droit. De même sera-t-il inévitable de porter une attention toute particulière à l’évolution de la sécurité de nos personnels civils et militaires appelés à travailler en Afghanistan.

C’est donc au bénéfice de ces observations que votre rapporteur vous invite à adopter le projet de loi qui nous est soumis.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du mardi 24 juillet 2012 à 17 heures 30.

Après l’exposé du Rapporteur, un débat a lieu.

Mme Elisabeth Guigou, présidente. Je remercie le rapporteur pour son excellent et très exhaustif rapport.

M. Jean-Paul Bacquet. Ce rapport est effectivement excellent. J’ai toutefois une inquiétude et un doute quant à l’efficacité de ce traité. On dit que l’espérance de vie est de 44 ans. Quelle est, alors, le taux de fécondité ? L’article 5 du traité concerne le domaine de la santé, il prétend contribuer à la réduction de la mortalité maternelle et fait de la lutte contre la mortalité infantile une priorité. Mais le parallèle peut-être fait en Afghanistan avec la situation du Niger dont on parlait tout à l’heure avec le ministre, à savoir qu’il y aurait surtout un effort majeur à faire quant à l’éducation des femmes et leur contraception : comment espérer diminuer la mortalité maternelle lorsqu’on a des taux de natalité aussi importants ?

Quant au volet concernant la gendarmerie, est-ce que ce seront des gendarmes français ou des policiers qui seront envoyés faire de la formation, alors qu’on sait qu’ils ne vont déjà plus dans les territoires d’outre-mer pour des raisons de confort ?

Enfin, on ne parle pas de l'AFD alors même que la crédibilité de notre action se pose lorsqu’on intervient majoritairement par des prêts plutôt que par des dons ; il s’agit de pays pauvres – et de nouveau le parallèle peut être fait avec le Niger – qui ne sont pas solvables.

Même si les situations ne sont pas comparables, je pense aussi au Kosovo, et à la corruption généralisée ; nous allons travailler à former des troupes de sécurité en puisant dans des viviers d’extrémisme : la crédibilité de notre action se pose.

M. Axel Poniatowski. Je félicite le rapporteur pour son accouchement talentueux mais néanmoins douloureux ! Je rappelle que ce texte a été négocié par le précédent gouvernement, qu’il était lié au retrait des forces armées françaises et que cette politique n’a cessé d’être critiquée par l’opposition de l’époque. Pendant 20 minutes, par des circonvolutions hasardeuses, le rapporteur a surtout tenté de justifier le positionnement du parti socialiste sur la question alors même qu’il ne s’agit que de problématiques techniques.

La reconstitution historique est en fait des plus simple : en janvier 2002, une décision a été prise d’envoi d’un contingent français ; en 2003, des combattants ont été ensuite envoyés sur place, alors même que la France n’avait pas encore réintégré l’OTAN et en 2010, enfin, il a été décidé d’augmenter ce contingent pour des actions de formation. La seule nouveauté introduite par le Président Hollande a porté sur l’anticipation du retour d’un an par rapport à ce que Nicolas Sarkozy avait décidé, et il n’était pas nécessaire de mettre autant de complexité dans les explications pour indiquer que l’on est pour l’approbation de ce traité.

Cela étant, j’ai une question technique : l’article 3 aborde la question de matériels militaires importés en Afghanistan à titre éventuellement non onéreux. S’agit-il de matériels pour la formation ou pour l’équipement des forces armées afghanes ?

M. Jean-Paul Dupré. Les relations entre la France et l’Afghanistan sont anciennes, tant sur le plan diplomatique que sur celui de la coopération, qui a porté traditionnellement sur l’éducation ou l’archéologie. Celle qui est aujourd'hui prévue est plus large. Quelles sont les exigences mises dans le traité en matière de respect des droits des femmes par la Partie afghane et quel est le degré de loyauté des forces armées afghanes par rapport au gouvernement de ce pays ?

Mme Odile Saugues. Une question sur les filles et l’enseignement : quel est le pourcentage de filles ayant accès à l’enseignement et quels moyens la France met-elle en œuvre dans cet accord pour augmenter l’enseignement des filles ?

Mme Seybah Dagoma. Ma question porte sur l’article 3 du traité et la volonté en matière de lutte contre le crime organisé et les trafics notamment de stupéfiants ou de migrants. Au-delà de cette coopération juridique entre les deux Parties, des conventions internationales s’appliquent, notamment la convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés. En 2011, 28 000 demandeurs d’asile venaient d’Afghanistan, dont plus de 13 000 ont bénéficié d’une protection. Je voudrais des précisions sur ce sujet quant à la protection des réfugiés afghans et qu’une distinction soit faite par rapport à l’immigration légale.

M. Michel Vauzelle, rapporteur. En ce qui concerne la santé, les données sur la mortalité sont effrayantes et le nombre moyen d’enfants par femme est supérieur à 5. La mortalité infantile est également considérable et la France porte une attention soutenue à ces questions depuis longtemps. Je ne sais ce qu’il en est des gendarmes, mais en ce qui concerne les médecins, la réputation de la coopération de la France n’est plus à faire. C’est la même chose, par exemple au Vietnam. En Afghanistan, notre coopération en la matière est fort appréciée, je vous renvoie par exemple à l’hôpital français de Kaboul qui est devenu très important, et qui pourrait avoir un rôle en matière de formation de médecins et d’aides-soignants.

Sur mon accouchement laborieux, je dirais qu’au contraire, le texte me paraît important. Depuis les années 1920, nous avons des devoirs vis-à-vis de l’Afghanistan, c'est-à-dire depuis l’époque où l’intérêt manifesté par les élites de ce pays vis-à-vis de notre pays n’était pas le même qu’ils avaient envers le Royaume-Uni, par exemple. Tout cela est donc important en regard de ces engagements et, plus récemment, de ceux que la gauche et la droite ont pris ensemble en 2002. Un changement est intervenu en 2008 avec la décision de réintégrer le commandement militaire de l’OTAN, ce que je continue de trouver fâcheux pour ma part, mais un grand pays comme la France doit savoir adapter sa politique si besoin est, notamment quand il y a comme ici un danger d’enlisement. C’est aussi une question morale vis-à-vis de la douleur des morts pour la France en Afghanistan. Si François Hollande n’a pas fait de geste plus tôt, c’est simplement qu’il n’était pas Président de la République. Mais le geste est clair : il témoigne d’une solidarité avec l’Afghanistan. Ce n’est pas une impasse, et l’analyse est partagée avec les Etats-Unis et les autres membres de l’alliance. C’est la seule question. Ce n’est pas un abandon, c’est un retrait. Ce traité signé par Nicolas Sarkozy le prouve et il y a eu un accord à ce sujet, par exemple à la réunion de Chicago, encore récemment.

En réponse à la question de Jean-Paul Dupré sur les droits des femmes, je dirais que l’intérêt du traité est précisément de donner un moyen de pression sur le gouvernement pour que ces droits soient respectés. Ce n’est pas un vœu pieux. Il ne s’agit pas de partir d’Afghanistan sans engagement du gouvernement et avec l’assurance que les choses avancent. Il y a des discussions sur les questions de sécurité, de santé. En matière d’éducation, des progrès très nets ont été faits depuis 10 ans. Des écoles ont été construites partout, le nombre des inscriptions a été multiplié par 6 et, aujourd'hui, sur les 7 millions d’enfants scolarisés, 3 sont des filles, chiffre jamais atteint jusqu’alors dans le pays.

M. Guy Teissier. Essentiellement dans la région de Kaboul.

M. Michel Vauzelle, rapporteur. Avec l’espoir que cela s’étende à d’autres régions.

Mme Seybah Dagoma. Le traité n’évoque que l’immigration légale. Or, on sait que 10 % des demandeurs d’asile en Europe sont Afghans.

M. Michel Vauzelle, rapporteur. Je ne peux malheureusement répondre avec précision à votre question. Le sujet est limité car il y a peu de ressortissants français en Afghanistan et également peu d’Afghans en situation régulière en France. Je vais me renseigner pour vous apporter une réponse plus précise.

M. Alain Marsaud. M. le rapporteur a commencé son intervention en nous dressant le tableau d’une contrée paisible et prospère qui aurait bien pu être la Finlande ou le Canada. Cette description est hélas très éloignée de ce qu’est aujourd’hui l’Afghanistan et de ce qu’il sera demain.

Opposé à l’engagement de nos forces armées dans ce pays dès 2002, j’étais plus opposé encore à l’intensification de nos opérations décidées par M. Sarkozy, car le sacrifice de nos soldats pour M. Karzaï, ce chef corrompu, est intolérable. L’Etat afghan est un échec : dépourvu de toute administration digne de ce nom, il ne repose que sur la corruption et les trafics en tous genres. Pire encore, le gouvernement de M. Karzaï a déjà trahi notre confiance avec le Pakistan, et la trahit encore aujourd’hui avec les talibans, dont chacun sait bien qu’ils reprendront le pouvoir en 2014, une fois les troupes alliées parties. M. Karzaï, quant à lui, a d’ores et déjà préparé sa retraite en plaçant sa fortune aux Etats-Unis.

C’est pourquoi le traité qui nous est proposé est une insulte à nos soldats et à l’ensemble de nos concitoyens. L’Afghanistan, demain comme hier, sera fait de trois ingrédients : les talibans, la burka et la drogue ! Dans ces conditions, je voterai contre le projet de ratification de ce traité.

M. Jean Glavany. Quant à moi, je voterai pour ce texte, car il se fonde sur une analyse politique qui devrait dépasser les clivages partisans : il est plus noble de cesser la guerre par un geste d’amitié que par un départ piteux.

Je me réjouis que le Président de la République ait tenu l’engagement pris devant les Français d’anticiper le retrait de nos troupes, engagement qu’il a fait accepter par nos alliés, dont M. Obama, en dépit des cris d’orfraie entendus pendant la campagne électorale. Cela étant, je m’interroge sur le contrôle démocratique des missions confiées à nos armées. En effet, l’engagement initial de nos troupes en 2001, objet d’un consensus entre MM. Chirac et Jospin, avait été décidé sous l’égide de l’ONU afin non seulement de manifester notre solidarité envers les Etats-Unis, mais surtout de renverser le régime taliban et de combattre Al Qaida. Or, très vite, les talibans ont été renversés et Al Qaida a déplacé ses camps d’entraînement hors du pays au point qu’aujourd’hui, rien ne sert de combattre en Afghanistan pour lutter contre ce réseau terroriste, que l’on combat bien mieux par le renseignement ou des opérations militaires très ciblées. Dans le même temps, la nature même des missions confiées à nos troupes évoluait considérablement pour dépasser leur cadre initial, sans qu’il ait été possible au Parlement d’anticiper ou de contrôler ces décisions. A cet égard, il est indispensable d’améliorer nos moyens de contrôle sur de telles évolutions.

M. Serge Janquin. Les réserves que j’éprouvais moi aussi sur notre engagement militaire en 2002 n’ont cessé de s’accroître à mesure que les missions confiées à nos forces armées s’éloignaient de l’objectif initial. Alors que M. Poniatowski présidait encore notre commission, j’en avais fait part à M. Juppé, que nous auditionnions, en lui signalant que la France n’avait rien à gagner en Afghanistan mais que nos soldats avaient tout à y perdre, et qu’il convenait de les faire rentrer dès le lendemain. Le ministre m’avait apporté une réponse embarrassée et apparemment peu convaincue, invoquant les engagements pris auprès de nos partenaires et des questions de sécurité pour ne pas revenir sur la date de retrait fixée en 2014. En réalité, nos soldats n’avaient plus leur place dans le cadre d’une mission telle que celle qui leur était confiée ; ils devaient revenir, pour que nous ne soyons plus contraints d’annoncer aux familles le décès de leur enfant comme j’ai dû le faire dans ma commune.

J’approuve ce traité de coopération, qui mentionne notamment des domaines comme l’éducation et la santé où la France est déjà active, et je souhaite sa réussite. Je m’interroge sur un point précis : le gouvernement afghan s’engage-t-il à ouvrir aux jeunes femmes l’accès des lycées techniques agricoles ?

M. Pouria Amirshahi. Parce que j’étais moi aussi opposé à l’intensification de notre engagement militaire en Afghanistan, j’approuve la ratification de ce traité qui est la traduction concrète du retrait de nos troupes : à la guerre se substitue la coopération civile. Cela étant, j’approuve également les réserves émises par M. le rapporteur. En matière de corruption, l’organisation Transparency International classe l'Afghanistan au 180ème rang sur 182 pays, et chacun sait que la livraison de matériels destinés au développement du pays se heurte en chemin à la multiplication des satrapes et autres chefs de guerre, au point qu’il a parfois fallu payer des talibans pour leur faire la guerre ! Il est donc indispensable qu’un suivi précis et régulier soit entrepris, et que des conditionnalités strictes soient respectées, surtout pour lutter contre la corruption, car on ne saurait accepter de financer des projets qui, d’une manière ou d’une autre, bénéficient aux talibans.

M. Michel Vauzelle, rapporteur. Je partage l’indignation de M. Marsaud, même si à aucun moment je n’ai comparé l’Afghanistan à un second canton de Genève. Toutefois, ce traité de coopération est un geste d’amitié qui participe de la sécurité internationale. Il est vrai que la mission initiale de nos troupes, sous l’égide de l’ONU, s’est peu à peu muée en une mission différente que l’opposition de l’époque avait d’ailleurs refusée. Aujourd’hui, en dépit des nombreux obstacles que constituent la corruption des élites afghanes, la culture et le trafic de l’opium et la présence persistante des talibans, la France, par ce traité d’amitié, témoigne de son engagement moral envers l’Afghanistan. Le contexte difficile auquel se heurtera son application ne justifie pas que l’on refuse sa ratification : l’éthique républicaine nous oblige à contribuer au développement de ce pays tourmenté, particulièrement à l’amélioration de la condition de la femme.

C’est au nom de cette éthique républicaine que l’on ne saurait prétendre que nos soldats ne sont pas morts pour la France, mais pour l’ONU ou d’autres. Non, nos soldats sont bien morts pour la France dès lors que le Président de la République, chef des armées, a pris la responsabilité de les engager sur le théâtre afghan même si ce choix politique était difficilement acceptable pour l’opposition que nous étions à l’époque.

M. Janquin a rappelé l’embarras de M. Juppé sur cette question : celui-ci, pourtant signataire avec M. Védrine d’une tribune dans Le Monde qui a fait date, a néanmoins endossé loyalement les choix de M. Sarkozy sans pouvoir justifier cet écart de vues. Je constate que c’est aujourd’hui à M. Védrine que l’on fait appel pour analyser la place de la France dans l’OTAN…

En somme, j’approuve les réserves manifestées par la plupart des orateurs. Encore une fois, ce traité est une manifestation de la morale républicaine et un élément important de l’image de la France dans le monde. Les commissaires ici présents le savent : il existe aujourd’hui une soif de France sur tous les continents, alors même que notre outil diplomatique est appauvri. Ce traité est l’occasion d’y répondre en portant haut les valeurs de la République. Il est une nécessité morale qui ne doit pas nous dispenser d’une grande prudence dans son application, comme cela est déjà prévu : la mise en œuvre des différents projets de coopération sera étroitement et régulièrement suivie par le Gouvernement et par le Parlement, lequel examinera chaque année des crédits engagés à cet effet dans la loi de finances. Chacun sait que le risque d’échec est réel, mais la France ne saurait se retirer d’Afghanistan en catimini alors qu’elle a déjà consenti d’immenses sacrifices. Ce traité est un geste d’amitié à l’égard de l’Afghanistan et aussi un engagement à l’égard de la communauté internationale.

M. Jean Glavany. Je rappelle que le terme de « retrait » a pour la première fois été utilisé dans un rapport parlementaire bipartisan, dont j’étais l’auteur avec M. Plagnol, que notre commission a adopté à l’unanimité sous la précédente législature. C’est dire si l’on a trop attendu avant d’écouter l’avis de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée !

Mme la présidente Elisabeth Guigou. L’intensification de notre engagement militaire en Afghanistan avait, rappelons-le, donné lieu à une motion de censure du Gouvernement déposée par l’opposition de l’époque. Aujourd’hui, la polémique n’est plus de mise : il est temps de voter sur ce projet de ratification.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 101).

*

La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXE 1

La coopération parlementaire avec l’Afghanistan

1. Les premiers pas de la coopération bilatérale avec l’Afghanistan post-taliban (2002-2006)

Le réengagement de la coopération bilatérale franco-afghane a eu lieu peu après la chute des Taliban, dès 2002. Quatre secteurs-clef ont alors été désignés, dont l’appui au Parlement, pour lequel la France a endossé le rôle de « nation-pilote ». Toutefois, cette coopération s’est rapidement diversifiée dans d’autres domaines, alors même que les moyens consacrés – 25 millions d’euros par an environ – étaient très inférieurs à ceux des principaux bailleurs.

En juin 2004, avant même l’installation du Parlement afghan, trois hauts fonctionnaires de l’Assemblée ont effectué à Kaboul une mission d’évaluation des besoins, qui a permis de tracer plusieurs pistes de coopération autour de deux priorités : la formation du personnel et l’aide à la rédaction d’un règlement intérieur. Cette mission a inauguré deux années d’intense coopération interparlementaire.

Tout d’abord, une fois le personnel parlementaire afghan recruté, un ancien fonctionnaire du Sénat a été dépêché à Kaboul pendant trois mois, début 2005, pour aider à rédiger le règlement intérieur du parlement bicaméral naissant. Dans la foulée, neuf fonctionnaires de l’Assemblée et du Sénat ont effectué des missions techniques à Kaboul en juin et juillet 2005 sur les thèmes suivants : procédure législative et déroulement de la séance publique, travaux des commissions et compte rendu des débats. D’autre part, entre décembre 2004 et octobre 2005, trois délégations de fonctionnaires afghans ont été reçues en visite d’étude à Paris, dont l’une, en mars 2005, conduite par le directeur de cabinet du Président Karzaï, M. Farooq Wardak, ainsi que les secrétaires généraux de chaque Chambre.

Suite aux premières élections législatives, en décembre 2005, une délégation de femmes parlementaires a été reçue en visite de travail à l’Assemblée en juin 2006, symbole fort de l’émergence d’un parlement moderne. Il a ensuite été décidé d’envoyer à Kaboul une nouvelle mission d’évaluation des besoins commune de l’Assemblée nationale et du Sénat, qui a eu lieu en septembre 2006 afin d’affiner le diagnostic fait deux ans plus tôt, compte tenu des récentes élections. Cette mission, censée tracer les contours de la participation française à un programme international d’appui au Parlement (SEAL), piloté par le PNUD, a cependant été suivie d’un net ralentissement de la coopération interparlementaire, dû notamment au fait que les Etats-Unis ont beaucoup renforcé leur appui en matière de gouvernance, et ont choisi d’écarter la France de ce processus.

2. La relance de la coopération interparlementaire à partir de 2008

Ce n’est qu’en 2008 que la coopération interparlementaire franco-afghane a pu redémarrer à l’occasion de la mise en œuvre du Fonds de solidarité prioritaire du MAEE.

Suite à l’attentat perpétré contre le Parlement afghan le 6 novembre 2007, qui a notamment coûté la vie à six parlementaires, une première visite de 10 fonctionnaires afghans, organisée en février 2008 avec le concours du PNUD et du Ministère de l’intérieur français, a naturellement porté sur le thème de la sécurité au parlement. Puis, en décembre 2008, deux fonctionnaires du secrétariat de la commission des affaires étrangères du Sénat afghan (Meshrano Jirga) ont effectué une visite auprès du service des affaires internationales de l’Assemblée.

En 2010, le rythme des échanges s’est quelque peu accéléré, avec plusieurs visites de délégations afghanes nombreuses en France. En juin, le directeur de la recherche à la Wolesi Jirga a effectué une visite d’étude à l’Assemblée, qui portait particulièrement sur le recrutement, la formation et la gestion financière et sociale du personnel.

En partenariat avec le Sénat et l’ENA, l’Assemblée a ensuite organisé deux cycles courts – de cinq à dix jours – de formation à l’organisation du travail parlementaire. Le premier, en novembre 2010, était destiné à des fonctionnaires de haut niveau, directeurs de service pour la plupart, issus des deux Chambres afghanes, et portait sur le travail parlementaire en général. Le second, en avril 2011, destiné à des membres du Gouvernement, des parlementaires et des hauts fonctionnaires, portait plus particulièrement sur la procédure budgétaire.

Ce second cycle de formation avait été précédé de peu par une visite de travail d’une délégation de dix femmes parlementaires afghanes nouvellement élues, dans le cadre d’une mission d’une semaine en France.

A la demande de l’ambassade de France, deux fonctionnaires de l’Assemblée nationale viennent d’animer un séminaire de formation en légistique et sur la loi électorale au Parlement afghan en juin 2012. Une visite d’étude à Paris des fonctionnaires chargé du protocole et des relations internationales au Parlement afghan est également en préparation.

ANNEXE 2

Programme de coopération entre la France et l’Afghanistan pour la période 2012-2016

La République française et la République islamique d’Afghanistan, ci-après dénommées les signataires,

Considérant l’accord entre le gouvernement de la République française et l’Etat provisoire islamique d’Afghanistan signé à Kaboul le 3 septembre 2002 portant création et statut du Centre culturel français de Kaboul, devenu depuis Institut français d’Afghanistan ;

Rappelant que l’efficacité de l’aide au développement et la mise en œuvre de la déclaration de Paris, du programme d’action d’Accra et de la déclaration de Busan sont de la responsabilité mutuelle des deux signataires ;

Considérant la convention relative au fonctionnement du Centre culturel français dans les locaux du lycée Esteqlal de Kaboul signée le 6 avril 2009 ;

Considérant le traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan signé le 27 janvier 2012 (ci-après « le traité »),

Déclarent leur intention de mettre en œuvre, sous réserve d’autorisation par le Parlement français lors du vote des lois de finances chaque année et des décisions des organes de gouvernance des établissements concernés, le programme de coopération suivant pour la période 2012-2016 :

1 – Défense

La coopération de défense durant la période 2012-2016 s’inscrira dans le cadre des priorités et programmes sécuritaires nationaux afghans et des actions mises en œuvre dans les cadres multilatéraux. Elle prendra les formes suivantes :

1.1/. Appui au secteur institutionnel de défense afghan

- Le détachement d’un coopérant militaire français auprès du ministre afghan de la défense pour coordonner les actions de formation et de conseil de la France dans le domaine militaire.

- La mise en place de coopérants français à l’état-major et dans des écoles militaires afghanes, afin de conseiller les cadres et les instructeurs afghans. 

- L’appui au renforcement ou à la création d’écoles militaires afghanes de haut niveau (école de guerre et école d’état-major).

1.2/. Appui à la formation des cadres militaires

- Le soutien aux écoles militaires afghanes au travers d’échanges de personnel, notamment d’instructeurs, de conseillers, d’observateurs et de chercheurs.

- La poursuite des jumelages entre écoles.

1.3/. Appui à l’enseignement de la langue française et bourses dans les écoles militaires

- La poursuite des actions d’enseignement de la langue française en milieu militaire afghan, permettant ainsi l’envoi de boursiers dans les écoles militaires françaises.

2 – Sécurité Intérieure

Les programmes de coopération dans le domaine de la sécurité intérieure pour les cinq années à venir seront articulés autour de quatre projets majeurs.

2.1/. Partenariat renforcé entre l’Afghan National Civil Order Police (ANCOP) et la Gendarmerie nationale

- Constitution d’une équipe-projets commune pour dresser un état des lieux, fixer les priorités, établir un programme d’action et en assurer le suivi. Dans ce cadre, la France placera auprès du général commandant l’ANCOP un coopérant gendarmerie. Des gendarmes français pourront être placés auprès de structures essentielles et grandes unités de l’ANCOP aux fins de conseil et d’assistance.

- Envoi en France d’une quinzaine de stagiaires afghans par an, incluant des formations longues en langue française.

2.2/. Partenariat renforcé dans le domaine de la lutte contre les stupéfiants

- Poursuite d’un appui à la formation ainsi que d’un appui opérationnel direct. A cet effet, un officier de liaison « stupéfiants » sera placé par la France auprès du Counter-Narcotics Police of Afghanistan (CNPA). Il pourra, le cas échéant, être renforcé par des spécialistes français qui participeront directement aux enquêtes.

- Elaboration d’un programme pour développer la coopération internationale, en particulier avec les pays de la région, et les échanges de renseignements.

- Appui en matière de soins aux usagers de produits stupéfiants.

2.3/. Renforcement du soutien dans le domaine de la police judiciaire

- Elaboration conjointe d’un programme de professionnalisation des fonctions d’investigation et de police technique et scientifique (dont la biométrie), selon les conclusions d’une mission d’audit menée dans l’année suivant l’entrée en vigueur du présent programme. Il s’appuiera sur des missions non-permanentes de conseil et comprendra également des formations en France et en Afghanistan dans les domaines jugés prioritaires par les signataires. Ce soutien pourra utilement être étendu aux techniques de lutte contre les filières d'immigration illégale.

- Poursuite de l’appui aux brigades afghanes des mineurs et de la famille.

- Démarrage d’une coopération en matière de lutte contre le trafic des antiquités, en liaison avec la Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA).

2.4/. Appui au développement de la sécurité civile

- Mise en place d’une mission française d’évaluation des besoins afghans dans l’année suivant l’entrée en vigueur du présent programme. Sur cette base, un programme de coopération pourra être établi entre les signataires, en liaison avec les autres acteurs de la communauté internationale, afin de contribuer à la reconstitution des capacités afghanes de secours aux populations, de lutte contre l’incendie et de réponse aux catastrophes.

3 - Coopération technique et culturelle

Cette coopération couvrira, pour les cinq années à venir, les huit secteurs suivants : agriculture, santé, enseignement primaire, secondaire et supérieur, travaux de recherche et de développement (R&D), gouvernance, appui à la société civile, archéologie et échanges culturels. Les programmes de coopération menés par la France prennent en compte les Programmes nationaux prioritaires.

Elle visera aussi à poursuivre les axes prioritaires d’intervention et de conseil du Pôle de Stabilité en Kapisa et Surobi dans les domaines du développement rural, de l’agriculture, de l’énergie, de la gouvernance/justice, de la santé et de l’éducation au-delà de 2014 si les populations de ces territoires le souhaitent.

3.1/. Agriculture et développement rural

Les actions suivantes seront mises en œuvre :

- Appui à l’établissement d’échanges en matière de recherche entre l’INRA français et les instituts de recherche agronomique afghans.

- Appui à la création d’un laboratoire de contrôle de la qualité dans la perspective de participer à la réduction de moitié des importations afghanes sur la période concernée et de rendre les populations rurales autonomes vis-à-vis de l’aide alimentaire.

- Appui à la mise en place d’un ou plusieurs projets dans le secteur de l’irrigation.

- Appui à la création d’un réseau d’établissements d’enseignement agricole afin de dispenser des formations initiale et continue au profit des techniciens agricoles et des techniciens de coopératives, à Kaboul, mais aussi et si possible, en fonction des conditions de sécurité, dans les provinces d’Hérat, de Balkh, de Baghlan, de Parwan (avec juridiction sur la Kapisa) et de Bamyan. Il s’agira d’établissements de type lycée dont la tâche sera de former les techniciens agricoles.

- Développement d’une coopération dans le domaine de l’élevage et pour l’amélioration génétique du cheptel, notamment avec la faculté d’agriculture de l’Université de Kaboul.

- Elaboration d’un plan d’aide au développement des filières de transformation des produits agricoles, afin de créer des emplois, fixer la population dans les campagnes et, si possible, permettre des exportations.

- Mise en place d’un plan d’aide à la création de coopératives agricoles avec un objectif de création de cinq établissements par an pendant la période concernée.

- Mise en œuvre d’un plan de micro finance agricole pour soutenir la modernisation des exploitations agricoles. Ce plan s’accompagnera d’une aide technique à la création d’un réseau local bancaire à vocation agricole (soutien aux coopératives et à l’agro-industrie).

3.2/. Santé

Les actions suivantes seront mises en œuvre :

- Extension de l’Institut médical français pour l’enfant (IMFE) dans sa phase dite III pour en faire un centre hospitalo-universitaire généraliste. La France déléguera à l’AFD et aux relais choisis par celle-ci la mise en œuvre du projet. Les ministères afghans de la santé publique et de l’enseignement supérieur contribueront à ce projet, notamment pour la validation des formations et des diplômes délivrés.

Le gouvernement afghan reconnaîtra à l’IMFE un statut d’établissement pilote, permettant à ce dernier de mettre en œuvre des projets expérimentaux de télémédecine avec un réseau d’établissements médicaux identifiés dans plusieurs provinces afghanes, notamment dans le Badakhshan.

- Reprise d’une coopération d’excellence avec l’Université de médecine de Kaboul, la Faculté de pharmacie de l’Université de Kaboul ainsi que l’institut des sciences de la santé (pour la réforme des curricula) et établissement de partenariats durables avec des facultés de médecine et de pharmacie françaises ayant pour objectif principal l’appui à la refonte des curricula et l’établissement d’un plan de formation. La France examinera également la possibilité de fournir des bourses de spécialité dans des domaines tels que la pharmarcie, la chirurgie, la gynécologie-obstétrique, la pédiatrie, l’endoscopie, la chirurgie laparoscopique, la santé mentale et la psychiatrie.

- Lancement d’une coopération en matière d’administration hospitalière, fondée sur des missions d’expertise française et sur l’accueil de deux boursiers afghans par an à l’Ecole des hautes études en santé publique de Rennes.

- Eventuellement, assistance à l’élaboration par l’Afghanistan d’un projet d’assurance médicale.

3.3/. Enseignements primaire, secondaire et supérieur :

Les signataires mettront en place les actions suivantes :

- Octroi, par l’Afghanistan, d’un statut d’établissements d’application au profit des lycées Esteqlal et Malalaï afin que soient étendues les expérimentations menées et réussies aux autres établissements de Kaboul dans un premier temps, puis à ceux de province. Mise en place, dans ces deux mêmes lycées, d’une filière expérimentale d’enseignement technique.

- Appui à la formation des inspecteurs généraux et des chefs d'établissement afghans à travers un programme conjoint des deux parties réactualisé chaque année.

- Extension de l'expérience pilote d’enseignement des sciences dans les lycées Esteqlal et Malalaï à d’autres établissements (Kaboul et, dans la mesure du possible, Hérat, Bamyan et Mazar-e-Charif) identifiés conjointement par les signataires.

- Octroi, par l’Afghanistan, d’un statut de langue vivante officielle au profit du français ; création, notamment, d’une option langue française au concours d'entrée à l'université et titularisation de vingt-cinq enseignants de français par an, toutes disciplines confondues, sur la période de référence.

- Soutien des deux signataires à la conclusion d’accords entre les facultés et départements universitaires afghans et des facultés homologues en France afin de créer des diplômes de niveau master et des doctorats en cotutelle.

- Mise en place, au sein des facultés de droit et sciences politiques afghanes, de curricula et de méthodes d’enseignement appropriées ; encouragement au rapprochement entre facultés de droit et facultés de charia, notamment par la mise en place de formations communes.

- Soutien à l'Université polytechnique de Kaboul (UPK), en partenariat avec le Groupe des Ecoles des Mines (GEM) et les universités françaises, afin d’adapter le contenu des méthodes pédagogiques et des enseignements, de participer à la rénovation des structures et des équipements et de proposer aux étudiants afghans le bagage scientifique et technique leur permettant d’obtenir des diplômes d’ingénieur ou de troisième cycle d’universités françaises.

3.4/. Recherche-Développement

Les signataires entendent soutenir les activités du Service géologique afghan (AGS), en relation étroite avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) français.

3.5/. Gouvernance démocratique et état de droit

Les signataires coopéreront en vue de contribuer aux objectifs suivants :

3.5.1 : Renforcement des capacités des administrations et des institutions démocratiques

La réalisation de cette coopération comprendra les actions suivantes :

- Appui institutionnel au Bureau des affaires administratives/Secrétariat général du Conseil des ministres afghan ;

- Poursuite d’un programme de formation initiale et continue des administrateurs des assemblées parlementaires ;

- Contribution à la formation des cadres des administrations centrales en partenariat avec l’Ecole nationale d’administration de la République française ;

- Mise en place d’un appui à la formation des administrateurs de provinces, dont le corps des vice-gouverneurs.

- Assistance à la définition et à la mise en œuvre du curriculum de formation initiale des magistrats ainsi que d’un programme de formation continue avec l’appui de l’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) française.

- Expertise française en matière de contrôle de constitutionnalité, de réforme normative et de renforcement des capacités institutionnelles – Parlement et Cour Suprême.

- Mise en place d’un appui à la formation des administrateurs et diplomates du ministère afghan des Affaires étrangères. Octroi, chaque année, d’une bourse de maîtrise et d’une bourse de doctorat au profit de diplomates issus de l’Institut de diplomatie d’Afghanistan et envoi auprès de cette institution de professeurs en mission de courte durée (15 jours à un mois) sur des thématiques à définir d’un commun accord. Envoi régulier, pour la bibliothèque de cette même institution, de publications sur l’Afghanistan et sa région.

3.5.2 : Accompagnement et structuration de la société civile :

Les signataires coopéreront par les actions suivantes :

- Appui à la structuration et au fonctionnement des institutions de la société civile nécessaires au bon fonctionnement de l’état de droit, telles que le Barreau indépendant d’Afghanistan ou le milieu associatif.

- Elaboration d’un plan visant à améliorer l’accès à la justice pour les femmes en Afghanistan et à assurer la protection de leurs droits.

- Mise en œuvre d’un plan de sensibilisation à la prévention des violences faites aux femmes.

3.6/. Patrimoine - Archéologie

Les signataires coopéreront en vue de contribuer aux objectifs suivants :

- Pérennisation de la mission et de l'action de la Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA) par la mise à disposition, en emphytéose d’une durée de 99 ans, d’une partie des locaux de l’Institut national d’archéologie qui doit être bientôt reconstruit avec le soutien de la France.

- Désignation, chaque année, par la partie afghane, pour un an renouvelable pour une période maximale de trois ans, d’un archéologue en résidence à la DAFA.

- Assistance à la création d'un service afghan de répression du trafic des œuvres d'art : assistance à l’élaboration de textes réglementaires ; assistance à la formation des personnels archéologiques, des musées et des douanes ; transposition en dari et pachto de modules de formation des personnels.

- Accueil en France, chaque année, de cinq étudiants en archéologie sur bourses du Gouvernement français, la partie afghane s’engageant à les titulariser avec la reconnaissance de leur diplôme à l’issue de leur formation.

- Accueil en France chaque année de professionnels afghans pour des formations complémentaires courtes dans les domaines de la médiation culturelle, de la muséologie et de l’archéologie préventive.

- Renforcement du partenariat entre le Musée Guimet et le Musée de Kaboul ; accueil de professionnels afghans au Musée Guimet, dans le cadre du programme « Profession culture », notamment pour un travail partagé sur le fonds photographique concernant l’Afghanistan.

3.7/. Echanges culturels

Les signataires coopéreront par les actions suivantes :

- Pérennisation des actions de l’Institut français d'Afghanistan (IFA) sur son site historique par la conclusion d’un bail emphytéotique d'une durée de 99 ans et la reconnaissance de la pleine responsabilité à la France pour la gestion de l’établissement que la partie française s'engage à assurer.

- Diffusion en province par les établissements culturels et éducatifs afghans des événements et activités de l’IFA.

- Assistance à la formation des professionnels de la culture, notamment par la prise en charge de l’accueil sur dossier de francophones afghans dans le cadre du programme « Courants du monde ».

- Prise en charge de l’accueil pour une année, sur dossiers, d’étudiants afghans dans les écoles d’art, notamment à l’ENSAD (Ecole nationale supérieure des arts décoratifs).

- Eligibilité d’artistes afghans à des accueils en résidence pour une durée maximale de deux mois dans les Centres culturels de rencontre sur bourses d’accueil du programme Odyssée.

- Extension des coopérations de formation et des coproductions entre le Théâtre du soleil et le Théâtre Aftaab de Kaboul ainsi qu’avec le Théâtre national de Kaboul.

- Dans le domaine du livre et de l’écrit : accueil chaque année à la Bibliothèque nationale de France pour une période de trois mois d’un professionnel afghan sur une bourse « Profession culture » ; mise en place d’un soutien financier à une librairie afghane diffusant des livres français ainsi qu’au département de français de la Bibliothèque publique de Kaboul ; soutien à la traduction d’ouvrages en français ou vers le français ; attribution sur projet d’une bourse de séjour à un traducteur afghan ; attribution sur projet d’une bourse d’écriture à un écrivain afghan francophone.

- dans le domaine du cinéma : soutien des deux parties à la mise en place d’une coopération d’expertise et de formation entre les services français et afghans ; accueil à la Fémis pour deux mois d’un étudiant afghan dans le cadre de l’Université d’été ; soutien des deux parties au développement des coopérations de formation à la réalisation d’œuvres documentaires cinématographiques engagées par les Ateliers Varan

- Dans le domaine de l’audiovisuel : mise à disposition de programmes audiovisuels auprès de la NRTA ; soutien des deux parties à la mise en place de programmes de formation continue et d’assistance technique, notamment par la conclusion d’accords pour l’accueil à l’INA de stagiaires afghans en formation longue de documentalistes audiovisuels ou dans le domaine du son ; soutien des deux parties à la conclusion d’accords pour la poursuite par l’INA (Institut national de l’audiovisuel) de la numérisation des archives de la radio et de la télévision afghane, du fonds de films d’actualités d’Afghan Films et des archives nationales d’Afghanistan.

3.8/. Coopération spéciale en Surobi et Kapisa

Si les populations de la province de Kapisa et du district de Surobi le souhaitent, la France :

- complétera les travaux d'infrastructure menés en 2011 pour amener l'électricité aux populations de la zone à travers la construction de lignes de distribution de moyenne tension (20 Kv) et, en fonction des besoins identifiés par les autorités compétentes, de  lignes de transmission haute tension (110 Kv) , le long - et à partir - de la vallée de Tagab ;

- consolidera les actions de soutien aux secteurs de l'agriculture et du développement rural menées depuis 2009 ;

- proposera une expertise et des formations aux producteurs de la zone pour favoriser le développement de filières intégrées permettant d'améliorer et de valoriser la culture et la commercialisation des productions agricoles et fruitières de la zone, notamment la grenade ;

- valorisera les infrastructures qu'elle a réalisées en 2011-2012 en matière d'éducation et poursuivra ses actions de formation au profit des enseignants, dans la continuité des formations scientifiques et supérieures déjà dispensées et en liaison étroite avec les autorités nationales et locales ;

- valorisera les infrastructures qu'elle a réalisées en matière de santé en 2011-2012 (hôpitaux de district de Nijrab et de Tagab).

4 – Economie, Finances et Commerce

4.1/. Coopération en matière économique

Les signataires identifieront les enjeux majeurs communs de coopération économique, financière et commerciale, et accompagneront les stratégies les plus propices au désenclavement et au redémarrage économiques de l’Afghanistan. Ils s’attacheront à favoriser, en Afghanistan, le développement d’un secteur privé afghan structuré, notamment par le biais de l’appui à la Chambre de commerce européenne en Afghanistan.

4.2/. Echanges commerciaux et investissements

Durant la période de référence, les signataires :

- Assureront le développement et la consolidation d’un cadre légal et réglementaire favorable aux investissements étrangers, et notamment français, en Afghanistan, à l’harmonisation et à la simplification des démarches administratives et procédures fiscales ;

- consolideront les liens déjà établis entre secteurs privés français et afghan et s’attacheront à poursuivre leur développement.

4.3/. Infrastructures de développement et désenclavement

Les signataires apporteront leur soutien aux acteurs français souhaitant intervenir dans le domaine des infrastructures, en particulier :

- la reconstruction et le développement des réseaux d’adduction et d’assainissement en eau, notamment à Kaboul ;

- le développement des infrastructures notamment aéroportuaires et ferroviaires ;

- la restructuration, la modernisation et l’adaptation du secteur afghan des télécommunications et de la poste ;

- l’identification et la mise en valeur des ressources naturelles ainsi que de leur transport dans le pays (hydrocarbures et mines).

5 – Financement des coopérations et vérification

Les contributions financières de la France aux administrations et entités publiques afghanes pour la mise en œuvre des coopérations prévues dans le présent programme s'effectueront en conformité avec et dans la limite des objectifs édictés par celui-ci.

L'ordonnancement des dépenses sera décidé conjointement par les parties signataires suivant des programmes d'opérations agréés conjointement entre elles, au niveau technique, pour chaque programme, sur la base des devis présentés par l'une ou l'autre partie signataire.

L'autorisation de décaissement sera donnée par la France au vu des justificatifs comptables correspondants. Chaque partie signataire conservera un exemplaire de ces justificatifs pour permettre les vérifications prévues par sa législation nationale.

6 – Mise en œuvre du programme

Le présent programme pourra faire l’objet d’adaptations pendant la période considérée, compte tenu notamment de la situation sécuritaire en Afghanistan. En cas de difficulté de mise en œuvre d’actions envisagées, un transfert de moyens pourra être envisagé au profit d’autres actions. Les décisions en la matière seront prises par la commission mixte de coopération prévue à l’article 2, alinéa 2 du traité d’amitié et de coopération.

Fait à Paris, le 27 janvier 2012, en double exemplaire, en langues française, dari et pachtou, les trois textes faisant également foi.

L’Ambassadeur de la République française auprès de la République islamique d’Afghanistan

L’Ambassadeur de la République islamique d’Afghanistan auprès de la République française

Bernard BAJOLET

Assad OMER

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan signé à Paris, le 27 janvier 2012, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte du traité figure en annexe au projet de loi (n° 101).

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