N° 1164 - Rapport de M. Jean-Philippe Mallé sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord cadre entre la République française et le Royaume d'Espagne sur la coopération sanitaire transfrontalière (n°578)




N
° 1164

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 juin 2013.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI n° 578 autorisant la ratification de l’accord cadre entre la République française et le Royaume d’Espagne sur la coopération sanitaire transfrontalière,

PAR M. Jean-Philippe MALLÉ

Député

——

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir le numéro :

Assemblée nationale : 1106.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

PROBLÉMATIQUES DE LA COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE 7

I. RÉDUIRE LES OBSTACLES 7

A. Le contexte frontalier actuel 7

B. La coopération transfrontalière, une politique européenne 9

II. UN ÉTAT DES LIEUX DE LA COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE 11

A. La France, principal bénéficiaire de la coopération transfrontalière 11

B. Des coopérations transfrontalières franco-espagnoles particulièrement denses 13

LA COOPÉRATION SANITAIRE FRANCO-ESPAGNOLE ET L’ACCORD BILATÉRAL DE 2008 15

I. LES ENJEUX SANITAIRES SPÉCIFIQUES DE LA CERDAGNE 15

A. La santé, un secteur particulièrement propice au développement des coopérations transfrontalières 15

1. Quelques cas de coopérations transfrontalières en matière sanitaire 15

1.1. Les exemples franco-belges 15

1.2. Une coopération transfrontalière franco-allemande particulièrement dense 16

B. La coopération sanitaire franco-espagnole : une réponse AD hoc à des besoins spécifiques 18

1. La Cerdagne, une région aux conditions particulières 18

2. L’évolution de la coopération transfrontalière sanitaire entre les deux pays 19

3. Le premier hôpital transfrontalier européen 20

II. L’ACCORD DE 2008 ET SES COMPLÉMENTS 21

A. Les aspects généraux 21

B. Les conventions de coopération 22

C. Les autres dispositions 23

CONCLUSION 25

EXAMEN EN COMMISSION 27

ANNEXE 31

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 31

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi qui est soumis à l’examen de notre commission porte sur l’accord cadre signé entre la France et l’Espagne en matière de coopération sanitaire transfrontalière. Après ceux conclus ces dernières années avec la Belgique ou l’Allemagne, il confirme que le secteur de la santé est un des axes majeurs des coopérations transfrontalières.

Cela répond concrètement aux besoins des populations locales et à la nécessité de résoudre les difficultés d’accès aux soins dans les zones frontalières, dues aux aspects administratifs le plus souvent, mais aussi parfois, s’agissant de l’Espagne, comme on le verra, aux conditions topographiques propres. En l’espèce en effet, cette coopération bilatérale est grandement motivée par l’environnement spécifique de la Cerdagne.

Avant de vous présenter le contenu de l’accord cadre et de son accord d’application, votre Rapporteur vous propose en premier lieu un rappel sur les coopérations transfrontalières telles qu’elles existent aujourd'hui entre notre pays et quelques-uns de ses voisins.

PROBLÉMATIQUES DE LA COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE

I. RÉDUIRE LES OBSTACLES

A. LE CONTEXTE FRONTALIER ACTUEL

Les seize régions frontalières de notre pays représentent 20 % du territoire national ; elles regroupent 28 de nos départements dans lesquels vivent quelque 10 millions de nos concitoyens. Après avoir, de tout temps, marqué la séparation des pays avec leurs voisins, les frontières européennes ne pouvaient pas ne pas évoluer à l’heure de la construction européenne.

Pour autant, il y a loin de la coupe aux lèvres : entre la disparition des frontières internes à l’espace Schengen et l’amélioration tangible des réalités quotidiennes pour les habitants et entreprises des régions frontalières quant aux problèmes divers qu’ils rencontrent - d’emploi, de transports, d’accès aux soins, d’éducation, d’aménagement du territoire ou autres - un long chemin reste encore à parcourir. De telle sorte que, selon le rapport au Premier ministre de la mission parlementaire sur la politique transfrontalière 1, si les espaces frontaliers sont synonymes d’apports de richesses, de valeur ajoutée, de bouillonnement culturel et sociétal, d’effervescence commerciale, de flux et d’échanges, ils sont simultanément le lieu de dysfonctionnements nombreux qui « affectent le développement des régions frontalières, confrontées à des fractures institutionnelles, juridiques, fiscales et sociales, et à une concurrence économique forte des pays voisins. » De nombreuses disparités subsistent en effet qui portent sur l’emploi, le logement, incitent aux délocalisations d’entreprises et fragilisent les ressources et tissus sociaux des régions concernées, leur attractivité, et affectent l’organisation des territoires et les services publics.

Au demeurant, ces différences entre structures administratives, législations sociales, fiscales ou environnementales d’un pays à l’autre, sont généralement préjudiciables à notre pays : le nombre de travailleurs frontaliers a par exemple été multiplié par 10 en 40 ans et ce sont aujourd'hui quelque 330 000 frontaliers qui vivent en France et travaillent à l’étranger cependant que seulement 10 000 frontaliers travaillent en France alors qu’ils résident à l’étranger. La carte reproduite ci-dessous traduit l’ampleur de ce phénomène qui ne concerne pas uniquement la Suisse, mais aussi pour l’essentiel la Belgique ou le Luxembourg, et ne se traduit en outre pas uniquement par la délocalisation d’employés mais aussi d’entreprises.

A titre d’exemple, si l’on s’en tient à la seule frontière franco-allemande, un rapide survol de la question suffit à en montrer l’importance, et consécutivement, celle des coopérations transfrontalières pour essayer d’y remédier. Trois Länder sont frontaliers de la France : la Sarre, qui compte un million d’habitants, la Rhénanie-Palatinat, 4 millions d’habitants, et le Bade-Wurtemberg, près de 11 millions d’habitants, avec une ville de l’importance de Stuttgart pour capitale. Ils représentent à eux trois environ 20 % du PIB comme de la population allemands. Chaque jour, selon les estimations, entre 35 000 et 55 000 personnes domiciliées en France vont travailler en Allemagne, 20 000 vers la Sarre, entre 15 000 et 30 000 vers le Bade-Wurtemberg. Côté français, la Lorraine, frontalière de la Sarre et de la Rhénanie-Palatinat, et l’Alsace, de la Rhénanie-Palatinat et du Bade-Wurtemberg, sont respectivement peuplées de 2,4 et de 1,8 millions d’habitants, soit 6,4 % de la population de notre pays. Elles représentent à elles deux également 6,4 % du PIB de la France (3 % pour l’Alsace et 3,4 % pour la Lorraine.

Les migrations alternantes de travailleurs frontaliers 2

Ailleurs, des considérations d’une autre nature peuvent intervenir. C’est notamment le cas de la zone frontalière franco-espagnole dans laquelle les Pyrénées constituent un obstacle naturel qui impose la recherche commune de solutions permettant de faciliter le quotidien des habitants des deux côtés de la chaîne montagneuse. On verra que c’est très précisément l’objet de l’accord qui est aujourd'hui soumis à l’examen de notre commission.

Cet état de fait appelle au renforcement de synergies et au développement de coopérations transfrontalières, devenues un élément de la politique territoriale européenne. En d'autres termes, qu’ils soient économiques ou sociaux, les enjeux sont considérables. Ils ont justifié la mise en œuvre d’instruments spécifiques.

B. LA COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE, UNE POLITIQUE EUROPÉENNE

Les régions concernées attachent depuis longtemps une grande attention aux problématiques frontalières. Elles essayent de répondre aux enjeux multiples dus à la densité des liens unissant les zones frontalières et leurs populations, et qui touchent les habitants de manière très concrète. De nombreuses politiques bilatérales ont ainsi été mises en œuvre par les pays pour améliorer la vie quotidienne et l’accès aux services publics de part et d’autre des frontières, en matière d’accès aux soins, à l’emploi, à l’enseignement scolaire et supérieur, à la formation, comme en matière de simplification de formalités administratives, ou de coopération des services fiscaux, de police et de douanes. Des associations spécifiques, comme ce peut être le cas en Alsace-Lorraine, par exemple de travailleurs frontaliers, ainsi que les élus locaux, sont également très attentifs et soucieux du traitement des dossiers frontaliers impliquant des services publics des deux pays.

A une autre échelle que celle des services publics aux citoyens résidant des zones frontalières, l’aménagement du territoire est l’une des politiques les plus soucieuses des intérêts communs et l’on peut signaler de nombreuses réalisations en ce sens. Ainsi en est-il des infrastructures ferroviaires ; c’est le cas des lignes à grande vitesse comme celles tracées entre la France et l’Allemagne, cruciales pour rapprocher les centres économiques et les grandes villes des deux pays. En ce sens, l’achèvement de la LGV-Est et de la branche Est de la LGV Rhin-Rhône permettent une meilleure connexion avec le réseau à grande vitesse allemand, vers Francfort, Stuttgart et Munich, ainsi qu’avec les réseaux suisses et du Benelux. De même peut-on citer le rôle des commissions intergouvernementales pour l’aménagement et la protection du Rhin et les pôles aéroportuaires de Bâle/Mulhouse, Strasbourg, et Karlsruhe/Baden-Baden, qui constituent autant d’exemples de coopérations transfrontalières.

Cela étant, eu égard aux divers enjeux que représentent les zones frontalières au sein de l’Union européenne, des mesures concrètes d’accompagnement sont depuis longtemps apparues nécessaires au développement harmonieux au sein de la communauté et au renforcement de la cohésion économique et sociale. Le renforcement de la coopération territoriale est d’autant plus nécessaire que le nombre de frontières a cru à la mesure de l’élargissement de l’Union européenne.

Aujourd'hui, la coopération transfrontalière est une composante à part entière de la coopération territoriale. Elle constitue l’un des trois objectifs de la politique de cohésion pour la période actuelle, 2007-2013. Indépendamment de sa dimension transfrontalière, la coopération territoriale vise, d’une part, à renforcer la coopération transnationale par des actions favorisant le développement intégré à l’échelle des grands ensembles géographiques et, d’autre part, à stimuler la coopération interrégionale, de même que l’échange d’expériences, entre toutes les régions et territoires de l’Europe.

L’objectif « coopération territoriale européenne » a disposé d’une enveloppe de 7,75 milliards d'euros pour la période 2007-2013, financée par le FEDER. Pour la future période 2014-2020, la Commission a proposé de consacrer un règlement à part entière à la coopération territoriale au sein du paquet législatif relatif à la révision de la politique de cohésion. Aux termes de ce projet, il est prévu que « le FEDER soutient (…) la coopération transfrontalière entre régions adjacentes, pour favoriser un développement régional intégré des régions voisines qui appartiennent à deux États membres ou plus et qui sont séparées par une frontière terrestre ou maritime, ou encore des régions frontalières voisines d’au moins un État membre et un pays tiers aux frontières extérieures de l’Union autres que celles couvertes par des programmes relevant des instruments financiers extérieurs de l’Union ».

La coopération transfrontalière doit avoir pour finalité la résolution des problèmes communs recensés conjointement dans les régions frontalières, tels que difficultés d’accès, environnement peu propice aux entreprises, absence de réseaux entre administrations locales et régionales, recherche et innovation et utilisation des TIC, pollution de l’environnement, prévention des risques, attitudes négatives vis-à-vis des ressortissants des pays voisins, etc. Elle doit aussi contribuer à exploiter le potentiel de la zone frontalière, tels que la mise sur pied d’installations et de groupements transfrontaliers de recherche et d’innovation, l’intégration transfrontalière du marché du travail, la coopération entre universités ou centres de santé, tout en améliorant le processus de coopération aux fins d’un développement harmonieux de l’ensemble de l’Union.

A cet effet, en l’état actuel, il est prévu que la Commission adopte une liste des zones transfrontalières devant bénéficier d’un soutien sur la base de quatre objectifs thématiques, afin d’éviter la dispersion des financements. Les programmes transfrontaliers devront ainsi viser : l’intégration des marchés transfrontaliers du travail, y compris la mobilité transfrontalière, et des initiatives locales communes en matière d’emploi et la formation commune ; la valorisation de l’égalité hommes-femmes et de l’égalité des chances, ainsi que de l’inclusion sociale, par-delà les frontières ; la création et l’application de systèmes communs d’éducation et de formation ; la valorisation de la coopération juridique et administrative ainsi qu’entre les citoyens et les institutions.

Au plan financier, il est prévu que 3,48 % des ressources totales disponibles pour les engagements budgétaires des fonds structurels pour la période seront alloués à la coopération territoriale, soit environ 11,7 Mds€ sur les 376 Mds€ prévus par la Commission pour la politique de cohésion dans ses propositions pour le cadre financier 2014-2020. Plus particulièrement, près des trois quarts de cette enveloppe continueront de bénéficier à la coopération transfrontalière, soit environ 8,59 Mds€.

II. UN ÉTAT DES LIEUX DE LA COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE

A. LA FRANCE, PRINCIPAL BÉNÉFICIAIRE DE LA COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE

Selon les indications qui ont été données à votre Rapporteur, la France est le premier bénéficiaire des enveloppes européennes dédiées à la coopération territoriale. Pour la période de programmation 2007-2013, sa dotation a ainsi été de 859 millions d’euros. Plus de 70 % de cette enveloppe globale sont consacrés à la coopération transfrontalière et sont engagés dans différents programmes mis en œuvre au titre des trois types de coopération prévus dans le cadre de la coopération territoriale européenne : transfrontalière, transnationale et interrégionale.

A l’heure actuelle, une dizaine de programmes sont mis en œuvre. Parmi les principaux, on relève entre autres les opérations suivantes :

• Le Programme France-Wallonie-Vlaanderen, qui vise à renforcer les échanges économiques et sociaux entre les régions Nord-Pas de Calais/Champagne-Ardenne/Picardie pour la France, et Wallonie/Flandre, pour la Belgique. Une population totale de quelque 10 millions d'habitants est concernée par ce programme qui couvre un territoire de plus de 60 000 km².

• Le programme Alcotra 2007-2013 est déployé le long de la frontière continentale entre l'Italie et la France. Il a pour but d’améliorer la qualité de vie des populations et le développement durable des systèmes économiques et territoriaux transfrontaliers par une coopération dans les domaines du social, de l'économie, de l'environnement et de la culture.

• Un second programme opérationnel avec l’Italie, Italie/France Maritime, a pour objectif d’améliorer la coopération entre les zones frontalières dans le domaine de l’accessibilité, de l’innovation, de la valorisation des ressources naturelles et culturelles et du partage d’infrastructures et services intégrés.

• De même, un programme de coopération des « deux mers » a été lancé, qui institue une zone de coopération transfrontalière située à la croisée de la Manche et de la Mer du Nord, et implique les régions côtières de quatre Etats membres : la France, au niveau du Nord-Pas de Calais, l’Angleterre, la Belgique et les Pays-Bas. Le périmètre des zones éligibles couvre un rayon de 150 km côte à côte.

• Le programme France (Manche) - Angleterre a de son côté pour objectif de favoriser l'émergence entre les parties françaises et anglaises d'un espace de citoyenneté commune, du sentiment d'appartenance à un espace transfrontalier, et d'une identité spécifique. Dans le cadre de ce programme, Aquamanche est un projet financé qui vise à faciliter la gestion des eaux continentales et littorales, sur la base de l’étude des pollutions microbiennes de différents bassins versants en France et en Angleterre.

• Le programme Rhin supérieur a pour objectif d’utiliser les potentiels transfrontaliers et de supprimer les obstacles dus à la frontière pour faire de cet espace une région économiquement intégrée, socialement forte et soucieuse du développement durable. 85 projets sont financés dans le cadre de ce programme dont la réalisation doit se poursuivre, pour certains, jusqu’en juin 2015. Neurex, réseau tri-national dans le domaine des neurosciences fondamentales, cliniques et appliquées, en est un exemple. Ce réseau, qui regroupe près de mille neuroscientifiques dans une centaine de laboratoires issus des trois universités de Strasbourg, Bâle et Fribourg-en-Brisgau, vise à soutenir un potentiel d’excellence fort en neurosciences, indispensable à l’innovation industrielle et au renouvellement des cadres, tant dans le secteur industriel que dans la recherche académique.

• Associant également plus de deux pays, le programme « Grande région », est sans doute l’un des meilleurs exemples d’un projet d’Europe sans frontière. Sur une zone de plus de 65 000 km2 où vivent 11,4 millions d’habitants, cet espace tend à devenir peu à peu une « région métropolitaine européenne » 3 ; il est « traversé par des flux permanents de travailleurs et de consommateurs transfrontaliers. 200 000 travailleurs grands régionaux se rendent dans un pays autre que le leur quotidiennement dont 145 000 vers le seul Luxembourg. Le PIB de la Grande Région est de 313,6 milliards d’euros (2008), soit environ 2,6 % du PIB de l’Union Européenne des 27. La Grande Région, si elle exprime et incarne une certaine idée de l’Europe des Nations dans son esprit actuel, est toutefois une réalité historique qui remonte à l’époque gauloise et romaine. Aussi, le postulat Grande Région s’inscrit bien dans une tradition historique et dynamique sans cesse en évolution qui a repoussé désormais les frontières et les guerres dans une période révolue. »

B. DES COOPÉRATIONS TRANSFRONTALIÈRES FRANCO-ESPAGNOLES PARTICULIÈREMENT DENSES

Au-delà de la seule question de la coopération sanitaire que votre Rapporteur présentera en détail plus loin, la coopération transfrontalière est une composante importante de la relation bilatérale entre la France et l’Espagne : la Commission internationale des Pyrénées, CIP, instituée en mai 1875 et toujours en activité, est en effet la première des commissions frontalières permanentes créées en Europe. Si elles étaient initialement contrées sur les litiges survenus sur le cours de la Bidassoa, les compétences de la CIP ont ensuite été étendues à toute la frontière franco-espagnole. Une commission mixte des eaux transfrontalières existe aussi. Le dernier sommet bilatéral qui s’est tenu à Paris le 10 octobre 2012 a permis de dynamiser plusieurs projets, lesquels, selon les indications recueillies par votre Rapporteur, avancent de manière satisfaisante dans tous les domaines. C’est le cas par exemple en matière de transport et d’énergie, secteurs d’une importance politique et économique majeure pour l’Espagne.

Ainsi, en matière de d’infrastructures de transports, la liaison à grande vitesse Perpignan-Figueras a été inaugurée en janvier dernier et les deux villes catalanes sont ainsi reliées en direct, via un tunnel transfrontalier de 8,3 km au niveau du Perthus, ce qui permet d’augmenter le trafic de 70 %. Lorsque les travaux de prolongement côté espagnol seront achevés, Perpignan sera reliée directement à Barcelone en 50 minutes, qui ne sera plus qu’à 4h20 de Lyon. Sur cet axe, la SNCF et la RENFE opéreront ensuite en commun les trains à grande vitesse entre les deux pays. En parallèle, sur la façade atlantique, le chantier, côté espagnol, du projet de ligne à grande vitesse Dax-Vitoria est d'ores et déjà dans une phase avancée. Côté français, le tracé Bordeaux-frontière a été défini fin mars 2012, avec un objectif de lancement de l’enquête publique cette année. L’objectif est de mettre en service la section ferroviaire internationale entre nos deux pays à l’horizon 2024.

Le transport maritime est également concerné avec l’autoroute de la mer Nantes-Gijón, dans les Asturies, inaugurée en septembre 2010 et opérée par l’armateur français Louis Dreyfus. La fréquentation est d'ores et déjà supérieure aux attentes. Une seconde autoroute de la mer au départ de Vigo (Galice) est prévue pour desservir Algesiras, Saint-Nazaire et Le Havre. Sa mise en service est envisageable pour 2014 au plus tard.

Le secteur énergétique est aussi un pôle de coopération transfrontalière conséquent. En premier lieu, en matière d’interconnexions électriques. Une ligne à très haute tension enterrée est actuellement en construction sur le littoral méditerranéen, qui permettra de doubler la capacité d’échange d’électricité entre les deux pays. Les travaux de percement du tunnel de la ligne ont commencé en janvier 2012 et se poursuivront jusqu’à fin 2013. La mise en service commerciale est prévue pour la fin 2014.

Des interconnexions gazières sont également prévues, dans la mesure où l’Espagne, en surcapacité gazière structurelle, a besoin de réexporter vers le Nord le gaz qu’elle importe par le Sud et par ses six terminaux GNL, sur les seize que compte l’Europe. C'est la raison pour laquelle, côté Atlantique, le gazoduc de Larrau a d'ores et déjà été renforcé, celui de Biriatou devant l’être en 2015 pour atteindre une capacité de 7,5 Mds de m3, soit 15 % de la consommation française et 18 % de la consommation espagnole.

En d'autres termes, que ce soit d’une manière générale ou dans le cas spécifique de la relation bilatérale franco-espagnole, les coopérations transfrontalières sont désormais une réalité importante et répondent à des enjeux parfois considérables. Pour sa part, la coopération sanitaire franco-espagnole tente surtout d’améliorer l’offre de soins des populations vivant dans des zones géographiques peu desservies.

LA COOPÉRATION SANITAIRE FRANCO-ESPAGNOLE ET L’ACCORD BILATÉRAL DE 2008

I. LES ENJEUX SANITAIRES SPÉCIFIQUES DE LA CERDAGNE

A. LA SANTÉ, UN SECTEUR PARTICULIÈREMENT PROPICE AU DÉVELOPPEMENT DES COOPÉRATIONS TRANSFRONTALIÈRES

1. Quelques cas de coopérations transfrontalières en matière sanitaire

Touchant directement au quotidien des populations frontalières, les questions sanitaires sont fréquemment au cœur des politiques de coopérations transfrontalières. Plusieurs exemples méritent d’être rapidement mentionnés avant de braquer l’éclairage sur l’Espagne, ne serait-ce que parce que des conventions bilatérales avec la Belgique et l’Allemagne, comparables à celle qui est aujourd'hui soumise à l’examen de la commission ont été conclues il y a déjà quelques années.

Le rapport de la mission d’information parlementaire au Premier ministre de juin 2010 montre que la santé est centrale pour les coopérations transfrontalières que la France et la Belgique entretiennent.

En premier lieu, un accord cadre bilatéral a été signé en 2005, qui intéresse les régions de Lorraine, Champagne-Ardenne, Nord-Pas-de-Calais et Picardie. Côté belge, ce sont treize arrondissements, échelonnés entre le littoral de la Mer du Nord et le Luxembourg, qui sont concernés. Comme on le verra aussi plus bas avec les exemples allemands, de nombreuses conventions locales ont été conclues, qui ont même souvent précédé l’accord cadre et ont permis aux centres hospitaliers de chaque côté de la frontière de coopérer concrètement pour une meilleure prise en charge des patients et de proposer ensemble une offre de soins de meilleure qualité. Ce sont précisément ces expériences positives qui ont rendu souhaitable la conclusion d’un accord bilatéral pour développer cette coopération sanitaire en encadrant les conventions locales, en levant tout obstacle juridique à leur mise en œuvre et en supprimant les difficultés administratives, améliorant les délais de remboursement alors très longs et la connaissance réciproque des ressources et de l’organisation sanitaire du pays voisin.

Parmi les exemples illustrant le dynamisme et l’importance de cette coopération, on peut signaler qu’en Thiérache, huit hôpitaux sont concernés, qui se sont organisés pour un accès mutualisé aux soins, leurs complémentarités permettant d’éviter des fermetures, de crédibiliser les équipements et d’amortir les coûts (Pepscan, dialyse, hébergements de personnes âgées et handicapées, etc.). En matière hospitalière, diverses conventions ont été conclues, par exemple entre le centre hospitalier de Dunkerque, la clinique Saint-Augustin de Furnes (Veurne) et l’institut Reine Elisabeth de Oosduinkerke, autour de plusieurs axes d’intervention prioritaires : médecine nucléaire, rééducation, urgences, avec la coordination des services de soins et des procédures de prise en charge, formation des infirmiers et échange de personnels médical, paramédical et administratif, communication et valorisation de la coopération au niveau du grand public et à destination des professionnels de santé. Dans le même esprit, les centres hospitaliers de Mouscron et de Tourcoing sont liés par plusieurs accords qui ont commencé d’être signés en 1994 en matière d’hémodialyse et dans le domaine des maladies infectieuses, VIH notamment, d’imagerie et de chirurgie, afin de mieux répondre aux besoins et d’élargir l’offre. D’autres accords pourraient être mentionnés dont l’objet est aussi d’assurer aux populations locales, sur un territoire ou l’autre, la prise en charge des malades et un accès aux soins hospitaliers dans un délai raisonnable.

Dans le cadre des nombreuses coopérations franco-allemandes, la santé est également l’une des thématiques principales, aux côtés de l’aménagement du territoire, du développement durable, des transports, de la formation et de l’économie. Un accord cadre bilatéral, comparable à ceux entre la France et la Belgique, ou à celui avec l’Espagne, signé en 2005, est entré en vigueur en 2007. Il intéresse les régions d’Alsace et de Lorraine et, côté allemand, les länder de Bade-Wurtemberg, de Sarre et de Rhénanie-Palatinat. Il vise notamment à garantir la continuité des soins pour les habitants des régions frontalières et à favoriser la libre circulation des patients et personnels de santé en facilitant la conclusion de conventions de partenariat locales spécifiant les modalités de prise en charge des patients. Des accords régionaux sur l’aide médicale d’urgence ont été signés sur cette base et d’autres ont été actualisés. Par ailleurs, l’accord prévoit la possibilité de déroger au statut des professionnels de santé. Il a été précisé à votre Rapporteur qu’un recensement des conventions locales signées était en cours, et devrait permettre l’établissement d’une liste actualisée et disponible sur un site Internet consacré.

Comme notre collègue André Schneider, rapporteur pour ce texte, l’avait alors relevé 4, de très nombreux programmes de coopération transfrontalière existent entre la France et l’Allemagne. En matière de soins aux patients, par exemple, une convention pour les grands brûlés, conclue entre la CRAM Alsace Moselle, la MSA d’Alsace, la CPAM de Strasbourg, les SAMU 67 et 68 et le centre des grands brûlés et la Croix Rouge de Ludwigshafen ; une autre, entre le centre de traumatologie et d’orthopédie d’Illkirch-Graffenstaden et des organismes d’assurance maladie du Bade-Wurtemberg pour la prise en charge de patients ; on peut aussi mentionner le fait que depuis 2002, le SMUR français de Wissembourg assure les urgences de nuit sur le territoire allemand, selon les règles du droit allemand. D’autres exemples, multiples, pourraient être présentés, en matière d’IRM, de traitement de patients français en Allemagne et d’autorisations à pratiquer en France des professionnels de santé allemands, médecins ou sages-femmes, de prise en charge de patients pharmacodépendants français en Sarre. Une coopération dans le domaine de la chirurgie plastique, de l'anesthésie, d'examens du pancréas, existe ainsi entre le centre hospitalier de Wissembourg et l'hôpital Saint-Joseph (Dahn), qui permet d'éviter les déplacements pour les patients et leur famille.

D’autres secteurs que les soins sont concernés par cette coopération sanitaire franco-allemande, notamment la formation des ressources humaines. Ainsi, le centre hospitalier de Sélestat et la clinique Saint-Joseph d’Offenburg organisent-ils ensemble des stages de formation continue pour les agents des deux hôpitaux, des stages pratiques pour les étudiants des instituts de formation en soins infirmiers et écoles d’aides-soignantes des deux structures. De même, le CHU de Strasbourg accueille des étudiants allemands en kinésithérapie de l'école de kinésithérapie d'Ortenau (Willstätt-Eckartsweier), et celui de Nancy a développé des formations croisées avec le CHU de Hombourg, en Sarre, le centre hospitalier de Sarrebourg ayant mis en place de son côté des formations initiales et de spécialités (anesthésie, chirurgie, médecine, gynécologie) avec les centres hospitaliers de Stuttgart et de Sarrebruck. Des échanges de personnels sont pratiqués régulièrement, notamment entre les hôpitaux psychiatriques de Lorquin (France), Merzig (Allemagne) et Ettelbruck (Luxembourg). Enfin, selon les indications qui ont été données à votre Rapporteur, le centre d’épilepsie de Kork a vocation à devenir un centre binational pour le Rhin supérieur, en lien avec le CHU de Strasbourg, la coopération mise en place concernant le diagnostic, le traitement médicamenteux et chirurgical, le suivi médico-social des patients, notamment des enfants. En outre, les structures du Rhin supérieur travaillent actuellement à l’établissement d’une liste actualisée des lits disponibles, des trois côtés de la frontière, dans les services de réanimation, ainsi que d’une cartographie de l’offre de soins dans la région du Rhin supérieur.

Si les coopérations transfrontalières se révèlent importantes pour les habitants des régions concernées, notamment en matière sanitaire comme on vient de le voir, on devine qu’elles sont, a fortiori, essentielles pour ceux de zones dans lesquelles les conditions topographiques sont plus difficiles et les infrastructures moins bonnes. C’est tout spécialement le cas de la Cerdagne.

B. LA COOPÉRATION SANITAIRE FRANCO-ESPAGNOLE : UNE RÉPONSE AD HOC À DES BESOINS SPÉCIFIQUES

1. La Cerdagne, une région aux conditions particulières

S’agissant de l’Espagne, la coopération transfrontalière en matière sanitaire est nettement plus modeste que celles avec l’Allemagne ou la Belgique que votre Rapporteur a détaillées. N’étaient un accord bilatéral de 2006 entre les hôpitaux d’Andorre et du Val d’Ariège ou une convention entre la région Aquitaine et le Pays basque espagnol sur le rapatriement des accidentés, ce sont surtout les particularités de la Cerdagne qui lui donnent tout son intérêt.

La Cerdagne est en effet une région montagneuse et isolée, entourée par les Pyrénées. Le plateau cerdan, vaste de quelque 1300 km2, est situé à une altitude comprise entre 1200 et 1500 mètres. Il compte une population totale de 28 000 habitants, également répartie des deux côtés de la frontière franco-espagnole. Côté français, sur la Haute Cerdagne et le Capcir, divisés en deux cantons, on dénombre 36 communes, chacune peu peuplée, puisque Font-Romeu n’atteint pas les 2000 habitants. La Basse Cerdagne se trouve du côté espagnol de la frontière ; Puigcerdá, mitoyenne de Bourg-Madame, en est la ville la plus importante et compte 9000 habitants.

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La Cerdagne 5

Le relief, les infrastructures, notamment les routes étroites que les conditions climatiques rendent impraticables en hiver, font de la Cerdagne une région dans laquelle les conditions d’accès à une offre de soins nécessairement peu développée, eu égard à la très faiblesse densité de population, ne sont pas optimales. A titre d’exemple, comme il a été indiqué à votre Rapporteur, les maternités les plus proches, les seules du département des Pyrénées orientales, au demeurant, se trouvent à deux heures de route, à Perpignan, distante d’une centaine de kilomètres. La Cerdagne française ne dispose en effet d’aucun service d’obstétrique ou de chirurgie, la première clinique chirurgicale étant à Prades, à 1h30 de transport. 6

Ces données justifient en conséquence de travailler à la bonne complémentarité des installations existantes de chaque côté de la frontière, à leur amélioration, pour élever l’offre de soins tout en évitant un dédoublement coûteux des moyens disponibles. Cette mutualisation est d’autant plus opportune que la fréquentation touristique permet des pics de population de 150 000 personnes, tant en hiver qu’en été. On dénombre en effet onze stations de ski en Cerdagne, dont neuf sont situées côté français, celle de Font-Romeu disposant à elle seule de 15 000 lits.

2. L’évolution de la coopération transfrontalière sanitaire entre les deux pays

Depuis 25 ans, des initiatives ont été développées en ce sens par les autorités françaises, concrètement l'ancienne Agence régionale de l’hospitalisation, ARH, devenue l’Agence régionale de la santé, ARS, pour essayer de compenser les difficultés à assurer une offre adéquate de soins, qui ont conduit à un rapprochement avec l’hôpital de Puigcerdá. Situé à 1 km de la frontière, cette installation dispose en effet de 30 lits de soins aigus de médecine, chirurgie et obstétrique, ainsi que des équipements de radiologie, scanner et laboratoire. En conséquence des rapprochements opérés, entre 1987 et 2002, le nombre de patients français ayant fréquenté l'hôpital de Puigcerdá s'est accru de 84 %, passant de 68 à 190 patients par an.

Il est apparu rapidement indispensable de formaliser par des conventions les solutions en matière de prise en charge, ne serait-ce que pour éviter les impayés et n’avoir pas à restreindre pour ces raisons le flux des patients français vers cette installation. C'est la raison pour laquelle un premier accord a été signé en 2002 entre des hôpitaux de Perpignan, celui de Puigcerdá et l'ARH de Languedoc Roussillon, suivi d'un second entre les services de sécurité sociale français et espagnol, afin de couvrir les patients nécessitant des soins d'urgence, pris en charge par les services de l'hôpital de Puigcerdá, en accord avec le SAMU de l'hôpital de Perpignan.

Pour opportunes qu’elles aient été, ces solutions se sont révélées insuffisantes et l’approfondissement de la coopération sanitaire transfrontalière est apparu nécessaire, d’autant que l’hôpital actuel de Puigcerdá est aujourd'hui vétuste.

C’est en 2003 qu’une étude a été lancée afin d'évaluer la faisabilité d'un hôpital transfrontalier qui traduirait concrètement le partenariat franco-espagnol en matière sanitaire et offrirait une assistance médicale de proximité à la population cerdane indépendamment des frontières. Ce projet de coopération, unique en Europe, a muri en quelques années : dès 2003, un accord était signé par les présidents du gouvernement de Catalogne et de la région Languedoc-Roussillon, dans le but de créer une structure hospitalière commune qui emploierait des personnels des deux côtés de la frontière et serait situé à Puigcerdá.

3. Le premier hôpital transfrontalier européen

Aux termes des études réalisées, le nouvel hôpital devrait disposer de 71 lits (56 lits d’hospitalisation conventionnelle, 10 lits d’hospitalisation de jour, médecine et chirurgie et 5 lits d’observation 7) et d’un plateau technique équipé notamment de deux blocs opératoires, de deux salles d’accouchement, dix postes de dialyse, radiologie, laboratoires, lits de soins intensifs, et d’équipements de télémédecine. Il devrait prendre en charge les urgences, - il disposera d’une base hélicoptère -, ainsi que les séjours aigus, les soins primaires, des soins de long séjour et des soins à domicile. L'investissement total était estimé à 27 millions d'€. Les autorités des deux côtés de la frontière ont exprimé leur volonté de prendre en charge une part des coûts, et une demande de subvention des fonds européens a été mise en œuvre.

Le 17 octobre 2005, une déclaration conjointe d’intention a été signée par le ministre de la santé français et la Conseillère de la Généralité de Catalogne afin de confirmer l’objectif de mettre en œuvre ce projet d’hôpital, en reprenant les termes de l’accord régional antérieur, à savoir le principe d’une structure transfrontalière, dans laquelle des personnels des deux pays travailleraient, qui accueillerait des patients français dans les mêmes conditions qu’en France, les patients espagnols pouvant pour leur part être reçus dans les établissements de Cerdagne, notamment pour des soins de rééducation. La pose de la première pierre du bâtiment a eu lieu en 2007 après qu’un projet architectural a été retenu courant 2005.

Au plan juridique, les autorités sanitaires françaises et la Généralité de Catalogne ont proposé, en 2008, la création d’une entité transfrontalière par le biais de la constitution d’un groupement européen de coopération territoriale (GECT), organisé dans le cadre du règlement (CE) N° 1082/2006, du Parlement européen et du Conseil en date du 5 juillet 2006. Ce régime juridique autorise d’une part le financement direct par l’Etat français, et d’autre part, la conception, la construction, la mise en service et enfin le fonctionnement et la gestion en commun de l’institution hospitalière transfrontalière. C’est la première fois qu’un GECT est conclu en matière médicale. Cet instrument permettra d’apporter une solution pragmatique aux difficultés de gouvernance d’une entité binationale qui auraient pu surgir compte tenu des différences diverses au niveau administratif et juridique entre les deux pays, tant au niveau du recrutement et de la gestion des personnels qu’à ceux de la libre circulation des patients, du remboursement des frais, etc. 8

A partir de 2007, des négociations ont été ouvertes avec l’Etat espagnol afin de préciser juridiquement, par une convention bilatérale plus générale, le cadre dans lequel devait s’inscrire ce GECT. Ces négociations ont abouti à la signature de l’accord bilatéral de coopération sanitaire transfrontalier qui est aujourd'hui soumis à l’examen de notre commission.

II. L’ACCORD DE 2008 ET SES COMPLÉMENTS

A. LES ASPECTS GÉNÉRAUX

En premier lieu, l’accord cadre bilatéral a été signé à Saragosse le 27 juin 2008 par le Premier ministre français et le Président du gouvernement espagnol ; il a été complété par un accord d’application, arrangement administratif, signé ensuite par les ministres de la santé des deux pays, le 9 septembre de la même année. L’un comme l’autre sont des textes brefs.

L’accord cadre sur la coopération sanitaire transfrontalière comporte une dizaine d’articles. Il définit le cadre général de la coopération sanitaire transfrontalière entre les deux Parties. Après avoir rappelé en préambule les enjeux d’une telle coopération et la nécessité d’améliorer non seulement l’accès aux soins mais aussi leur qualité, de garantir leur continuité pour les populations de la zone frontalière et d’améliorer l’organisation des systèmes de soins, du souci de simplification des procédures administratives et financières, il se fixe pour objectif, dans l’article 1er, « d’assurer un meilleur accès à des soins de qualité pour les populations de la zone frontalière telle que définie à l’article 2 ; de garantir une continuité des soins à ces mêmes populations ; d’optimiser l’organisation de l’offre de soins en facilitant l’utilisation ou le partage des moyens humains et matériels ; de favoriser la mutualisation des connaissances et des pratiques. » Cela répond, comme le rappelle l’exposé des motifs, au fait que la géographie et l’état des routes rendent parfois les installations sanitaires d’un des deux pays plus accessibles aux habitants des vallées de l’autre pays.

Si, comme votre Rapporteur l’a indiqué, à la date d’aujourd'hui, c’est encore le plateau cerdan et le projet d’hôpital transfrontalier qui sont essentiellement concernés, l’accord du 27 juin 2008 ne limite pas son champ d’application à cette seule zone frontalière. En d'autres termes, l’article 2 définit les territoires concernés comme étant, côté français, les « zones frontalières de la région Aquitaine, de la région Languedoc-Roussillon et la région Midi-Pyrénées » et côté espagnol, les « zones frontalières des Communautés Autonomes du Pays Basque, de Catalogne, d’Aragon et de la Communauté Forale de Navarre », étant entendu que les conventions locales ultérieurement signées en application de cet accord cadre, auront à préciser « le champ territorial spécifique dans lequel elles seront appliquées. »

Les bénéficiaires des dispositions de l’accord cadre sont, aux termes du troisième alinéa de l’article 2 « toute personne qui, pouvant bénéficier des prestations de soins de santé et de maternité au titre de la législation de l’une des deux Parties, réside habituellement ou séjourne temporairement dans les zones frontalières visées au paragraphe 1er. » En d'autres termes, les résidents comme les touristes sont concernés.

B. LES CONVENTIONS DE COOPÉRATION

La question des conventions locales évoquées à l’article 1er est traitée à l’article 3 de l’accord cadre qui prévoit tout d’abord que des conventions de coopération pourront organiser « la coopération entre des structures et ressources sanitaires situées dans la zone frontalière, qui peuvent faire partie d’un réseau de soins. Elles peuvent prévoir à cette fin des complémentarités entre structures et ressources sanitaires existantes, ainsi que la création et le financement d’organismes de coopération, d’établissements de santé transfrontaliers ou de structures communes. » L’accord d’application précise que les autorités habilitées à conclure de telles conventions locales sont, s’agissant de notre pays, « la ou les Directions régionales ou départementales des affaires sanitaires et sociales (DRASS ou DDASS), la ou les Agences régionales de l’hospitalisation (ARH) définies aux articles L. 6115-1 et suivants du code de la santé publique, ainsi que la ou les Unions régionales des Caisses d’assurance maladie (URCAM) définies aux articles L. 183-1 et suivants du code de la sécurité sociale, dans le cadre de leurs compétences ». Pour l’Espagne, il s’agit des « "Consejerías" ou "Departamentos" compétents en matière de santé de chacune des "Comunidades autónomas"» mentionnées dans l’article 2 § 1 b) de l’accord cadre. »

Aux termes de l’article 3 de l’accord cadre, ces conventions devront prévoir « les conditions et les modalités obligatoires d’intervention des structures de soins, des organismes de sécurité sociale et des professionnels de santé, ainsi que de prise en charge des patients. » En outre, elles pourront également prévoir « des complémentarités entre structures et ressources sanitaires existantes, ainsi que la création et le financement d’organismes de coopération, d’établissements de santé transfrontaliers ou de structures communes. » Ces conditions et modalités concernent en particulier, selon les précisions qui sont apportées à l’alinéa suivant, les champs territorial et personnel dans lesquels s’appliquent ces conventions ; l’intervention transfrontalière des professionnels de santé, y compris ses aspects statutaires ; l’organisation du transport sanitaire des patients ; la garantie d’une continuité des soins incluant en particulier l’accueil et l’information des patients ; les critères d’évaluation et de contrôle de la qualité et de la sécurité des soins ; les moyens financiers nécessaires à la mise en œuvre des coopérations ; les mécanismes de paiement, facturation et remboursement, entre institutions responsables, des soins objet de la convention ; la durée et les conditions de renouvellement et de dénonciation de la convention.

Dans le même esprit, de coordination et de complémentarité, l’accord cadre prévoit logiquement que les parties prennent toutes mesures éventuellement nécessaires en vue de faciliter le franchissement de la frontière commune pour l’application de l’accord et que les dispositions de l’accord ne font pas obstacle à l’application des règles de l’OMS en cas d’urgence sanitaire notifiée. C’est l’objet de l’article 4 de l’accord cadre 9. De son côté, l’article 2 de l’accord d’application détaille les conditions et modalités d’intervention des professionnels de santé, des structures de soins et des organismes de sécurité sociale, sans qu’il soit besoin ici d’insister.

Ainsi que votre Rapporteur l’a indiqué plus haut, la question de la prise en charge des soins est parmi celles qui avaient posé les questions les plus aiguës dans les premières années de la coopération avec l’hôpital de Puigcerdá. C’est donc logiquement que l’article 5 de l’accord cadre porte sur les mécanismes en la matière. Il précise que les conventions locales prévoient la coordination nécessaire entre les institutions compétentes en France et en Espagne pour assurer l’envoi des patients vers le lieu de leurs soins et la prise en charge des dépenses occasionnées et détaille les solutions à envisager selon qu’une autorisation préalable est requise ou non, rappelant que les dispositions de la législation communautaire en matière de coordination de régimes de sécurité sociale sont évidemment applicables. L’article 4 de l’accord d’application apporte quelques précisions, distinguant la situation des résidents de celle des touristes, pour lesquels les règles communautaires de coordination s’appliquent.

C. LES AUTRES DISPOSITIONS

Les autres articles de l’accord prévoient de manière classique la création d’une commission mixte bilatérale chargée du suivi de l’application de l’accord, et traitent des questions relatives à l’entrée en vigueur de l’accord et à sa durée. Ils n’appellent d’autre commentaire de la part de votre Rapporteur que celui concernant les délais excessifs dans lesquels le gouvernement soumet ce projet de loi à l’examen de la représentation nationale : cinq ans exactement se sont écoulés depuis la signature de l’accord à Saragosse 10 ! A titre de comparaison, il indiquera que les formalités de ratification par l’Espagne étaient achevées dès le mois de mars 2009.

CONCLUSION

Au terme de son examen, votre Rapporteur ne peut que recommander l’approbation de ce projet de loi.

L’amélioration des conditions de l’offre de soins aujourd'hui encore très limitée dans la région frontière de la Cerdagne est un impératif auquel il convient d’apporter les solutions pragmatiques qui s’imposent d’elles-mêmes. A cet égard, il convient de saluer que la coopération sanitaire transfrontalière entre la France et l’Espagne a montré dans le cas précis de l’hôpital transfrontalier de Puigcerdá sa capacité d’innovation.

L’entrée en vigueur de cet accord permettra à cette initiative de disposer du cadre juridique adéquat et ouvrira aussi la voie à d’autres opérations qui pourraient se révéler également opportunes à l’avenir.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine, sur le rapport de M. Jean-Philippe Mallé, le projet de loi autorisant la ratification de l'accord-cadre entre la République française et le Royaume d'Espagne sur la coopération sanitaire transfrontalière (n 578).

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

M. Philippe Cordery. Je tiens à féliciter le rapporteur pour son travail et en tant que président du groupe d’études « zones et travailleurs frontaliers je me félicite que cette convention arrive enfin devant nous, 5 ans après sa signature. Cette coopération sanitaire est essentielle car elle apporte des améliorations au quotidien. Elle permettra d’être soigné au plus près de chez soir. C’est important dans le cas d’urgence, par exemple : on n’aura plus à attendre qu’une ambulance vienne de loin. On peut aussi développer la complémentarité de l’offre de soins.

Sur l’hôpital transfrontalier de Cerdagne, la rapporteure pour avis a posé la question du droit du travail applicable, en fonction de qui embauche la personne. Il y a un volet de la réglementation européenne qui ne s’applique pas au droit transfrontalier et il faudra approfondir cela pour que les travailleurs soient protégés comme il se doit des deux côtés de la frontière. On pourra aussi regretter que la France ne soit à actionnaire qu’à hauteur de 40% de l’hôpital, le précédent gouvernement n’ayant pas voulu s’engager plus.

Ma question porte sur la coordination des différentes initiatives. Vous avez parlé d’un observatoire franco-belge de la santé qui permet de coordonner toutes les initiatives dans la région. Est-il prévu de faire pareil avec l’Espagne, ce qui permettrait de mieux mettre en œuvre l’accord une fois celui-ci ratifié ?

M. Michel Terrot. La Principauté d’Andorre est-elle concernée par cet accord ?

M. Avi Assouly. Andorre n’est pas l’Espagne !

M. Jean-Pierre Dufau. Je félicite le rapporteur pour la clarté et la concision de son rapport sur un texte qui, enfin, arrive devant notre commission. La situation des zones frontalières est particulière. D’autres accords ont été signés avec la Belgique ou l’Allemagne. Je veux souligner la particularité des zones accidentées, qui rendent ces accords encore plus nécessaires et sur lesquelles je vais revenir. Je regrette qu’on n’ait pas établi de parité 50/50 entre la France et l’Espagne. C’est une carence, voire une faute, du précédent gouvernement.

Je me félicite qu’il y ait un premier établissement de ce type en Europe et que l’accord porte sur l’ensemble de la zone frontalière et pas seulement la Cerdagne. C’est important ! Je remarque que ce type d’accords pourrait s’étendre à d’autres champs que le secteur sanitaire et social et cela pourrait donner des idées intéressantes aux responsables de la coopération transfrontalière. Enfin, et puisque j’ai parlé de zones accidentées, il serait intéressant que l’Europe se soucie de faciliter des communications entre les zones transfrontalières. C’est la question des routes mais aussi des TGV. Il faut des investissements pertinents pour venir au soutien de ces coopérations.

M. François Rochebloine. Je remercie le rapporteur pour sa présentation. Je souhaiterais avoir des précisions sur la question de la prise en charge des frais. Comment est-elle concrètement assurée, avec quelle répartition du financement ?

M. Thierry Mariani. À l’occasion de cet accord-cadre, a-t-on pu avancer sur les problématiques de reconnaissance mutuelle et d’exercice mutuel de certaines fonctions, notamment s’agissant des diplômes d’infirmiers et de médecins ?

M. Jacques Myard. Je m’interroge sur la rédaction de l’article 10 de l’accord-cadre, qui prévoit la possibilité de dénoncer l’accord tout en énonçant que cela ne préjuge pas de l’efficacité des conventions en vigueur. Il s’agirait alors d’arrangements administratifs car si la base juridique est l’accord-cadre, les conventions sont frappées de nullité. Les rédacteurs s’en sont donc sortis par une pirouette mais qui risque d’être grave à l’avenir.

M. Serge Janquin. Ma question porte sur le droit de la nationalité. L’établissement étant situé en Espagne et comportant un service d’obstétrique, des enfants de parents français naîtront sur le sol espagnol. Or je crois savoir qu’il est parfois complexe d’établir la nationalité française. L’accord-cadre facilite-t-il la délivrance de la nationalité ?

M. Jean-Philippe Mallé, rapporteur. Tout d’abord, l’accord-cadre ne prévoit pas la création d’un observatoire mais d’une commission mixte dont l’objet est de suivre le fonctionnement de l’établissement et les initiatives prises.

Ensuite, il existe bien des coopérations transfrontalières en matière de transports dans d’autres domaines que le transport sanitaire. C’est le cas en matière de circulation entre Perpignan et Barcelone, sur la ligne à grande vitesse entre l’Aquitaine et l’Espagne ou encore sur l’autoroute maritime entre Nantes et Gijón.

Les enfants de parents français qui naîtront dans l’hôpital auront la nationalité française ; ce seront des Français nés à l’étranger.

S’agissant d’Andorre, la principauté n’est pas concernée par l’accord-cadre.

En matière de droit du travail, aucune disposition particulière n’est prévue.

Concernant enfin la prise en charge des frais ; l’accord-cadre prévoit que l’hôpital fonctionnera dans le cadre de conventions entre les ARS et leurs homologues, avec des mécanismes de coordination, notamment en cas d’autorisation préalable pour en automatiser la délivrance, pour ce qui concerne la tarification spécifique des soins et des actes, et sur les soins prodigués à des ressortissants non communautaires.

Je transmettrai des éléments complémentaires sur la législation européenne applicable en matière de droit du travail et de prise en charge.

M. Jean-Claude Guibal. D’autres accords de ce type sont-ils prévus ou ce type d’établissements existe-t-il déjà avec d’autres pays ?

M. Jean-Philippe Mallé, rapporteur. Il n’y a à ma connaissance pas de nouveaux projets mais il existe déjà des coopérations transfrontalières qui fonctionnent avec l’Allemagne et la Belgique, par exemple pour les grands brûlés.

M. André Schneider. Je connais bien l’accord franco-allemand. Il fonctionne en pratique, même si la mise en œuvre n’est pas toujours aussi simple qu’on pourrait le penser, notamment concernant les justificatifs et les tarifs de remboursement.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Le groupe d’études poursuivra ses travaux sur ces coopérations transfrontalières et je remercie Philip Cordery de l’attention qu’il leur porte.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 578).

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée la ratification de l’accord cadre entre la République française et le Royaume d’Espagne sur la coopération sanitaire transfrontalière (ensemble un accord d’application, signé à Angers, le 9 septembre 2008), signé à Saragosse, le 27 juin 2008, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n°s 578).

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