N° 1585 - Rapport de Mme Catherine Quéré sur la proposition de loi , modifiée par le Sénat, visant à harmoniser les délais de prescription des infractions prévues par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, commises en raison du sexe, de l'orientation ou de l'identité sexuelle ou du handicap (n°711)



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N° 1585

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 27 novembre 2013.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION DE LOI visant à harmoniser les délais de prescription des infractions prévues par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, commises en raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle ou du handicap

(Deuxième lecture)

PAR Mme Catherine QUÉRÉ,

Députée.

——

Voir les numéros :

Assemblée nationale : 1ère lecture : 3794, 3926 et T.A. 761.

2ème lecture : 711.

Sénat : 1ère lecture : 122 (2011-2012), 324, 325 et T.A. 93 (2012-2013).

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

TRAVAUX DE LA COMMISSION 9

DISCUSSION GÉNÉRALE 9

EXAMEN DES ARTICLES 17

Article 2 : Allongement des délais de prescription en cas d’injure, de diffamation ou de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence pour des raisons tenant au sexe, à l’orientation sexuelle ou au handicap 17

Article 3 (nouveau) : Application de la loi à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie 18

TABLEAU COMPARATIF 19

INTRODUCTION

L’Assemblée nationale est saisie en seconde lecture de la proposition de loi relative à la suppression de la discrimination dans les délais de prescription prévus par la loi sur la liberté sur la presse du 29 juillet 1881.

Cette proposition de loi, déposée au cours de la treizième législature par la rapporteure, M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de leurs collègues, avait été adoptée par notre assemblée à la quasi-unanimité le 22 novembre 2011.

C’est à l’unanimité des présents que cette proposition de loi a été adoptée le 7 février 2013 par le Sénat qui l’a rebaptisée proposition de loi « visant à harmoniser les délais de prescription des infractions prévues par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, commises en raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle ou du handicap. »

À l’initiative de Mme Esther Benbassa, rapporteure au nom de la commission des lois du Sénat, ce dernier a adopté deux modifications de forme :

– un amendement de coordination, destiné à tenir compte des dispositions de la loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme ;

– et un amendement visant à clarifier le titre de la proposition de loi, par cohérence avec la suppression de son article 1er par l’Assemblée nationale en première lecture.

Enfin, le Sénat a adopté un amendement visant à rendre applicables les dispositions de la proposition de loi à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

*

* *

Cette proposition de loi a pour objectif de mettre fin à une anomalie de notre droit.

En l’état actuel du droit, en cas de propos et d’écrits publics à caractère discriminatoire (injure, diffamation et provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence), que ceux-ci portent sur l’origine, l’ethnie, la nation, la race, la religion, le sexe, l’orientation ou l’identité sexuelle, ou le handicap, les sanctions sont logiquement les mêmes : six mois de prison et 22 500 euros d’amende pour les injures, un an de prison et 45 000 euros d’amende pour les provocations et diffamations.

Cependant, alors que le délai de prescription des infractions à caractère racial, ethnique ou religieux a été porté à un an par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi « Perben II », le délai de prescription des discriminations fondées sur le sexe, l’orientation ou l’identité sexuelle, ou le handicap a été maintenu à trois mois. Ce délai, le plus court d’Europe, est le délai de droit commun applicable aux délits de presse.

Il s’ensuit que des victimes placées dans la même situation sont de fait traitées de façon inégale.

C’est pourquoi la présente proposition de loi propose d’appliquer la prescription d’un an de l’action publique instituée par la loi du 9 mars 2004 à tous les délits de presse à caractère discriminatoire, quel qu’en soit le motif.

Comme l’a indiqué Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre déléguée aux droits des femmes, lors de l’examen de la présente proposition de loi au Sénat le 7 février 2013, « Il n’y a pas lieu de discriminer entre les discriminations : tel est le sens de la présente proposition de loi. Il n’y a pas lieu d’établir une hiérarchie du pire entre les propos haineux, en fonction de la composante de la population qui en est la cible. »

Permettre que des actes identiques punis des mêmes peines puissent faire l’objet des mêmes possibilités de poursuite est une mesure de bon sens qui ne porte aucunement atteinte à la liberté de la presse à laquelle nous sommes tous attachés.

En effet, si les modifications apportées par la proposition de loi relèvent de la loi sur la presse, il est important de noter que les infractions visées ne concernent en réalité que marginalement cette dernière. Il s’agit, dans l’immense majorité des cas, de propos et d’écrits sans lien avec la presse tenus par des particuliers, notamment dans le cyberespace.

La modification introduite par la loi « Perben II » avait d’ailleurs été motivée par la multiplication de propos antisémites sur internet.

Le 22 mai 2003, M. Dominique Perben, garde des sceaux, avait affirmé, lors de la discussion en première lecture à l’Assemblée nationale du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité : « Si j’ai introduit cette disposition dans le projet, c’est en effet parce que les règles de prescription rendent difficile la poursuite des infractions liées à internet, la jurisprudence de la Cour de cassation précisant que le délai de prescription est calculé à partir de la date de mise en ligne. Le temps qu’il y ait une réaction – en général, de la part d’une association antiraciste –, le délai de trois mois est dépassé sans qu’une décision interruptive de la prescription ait pu intervenir. (…) Nous devons nous donner les moyens de combattre un phénomène qui, malheureusement, ressurgit – et nous en sommes tous inquiets – dans notre pays, et tenir compte de quelque chose qui, bien sûr, n’existait pas lorsque la loi de 1881 a été votée, il y a plus d’un siècle, je veux parler d’internet, ce réseau électronique qu’il est très difficile, pour la magistrature et pour les services d’enquête, de contrôler et de surveiller en vue de réprimer les infractions qui s’y commettent. »

Ce constat reste pertinent, que les propos soient racistes, sexistes ou homophobes. Il circule d’ailleurs sur internet autant de messages sexistes ou homophobes que de messages antisémites, racistes ou xénophobes.

Internet a rendu le délai de prescription de trois mois des délits de presse obsolète. Un délai aussi bref visait en effet à préserver la liberté de la presse dans un contexte où les propos litigieux disparaissaient de la sphère médiatique après leur publication. Avec internet, les écrits ne disparaissent jamais : ils sont consultables à tout moment, par n’importe qui et n’importe où. L’injure et la diffamation se répètent à l’infini.

Soulignons également qu’internet donne évidemment une dimension tout à fait nouvelle aux phénomènes de diffamation, d’injure et de provocations à la discrimination, à la haine et à la violence. Contrairement à la presse, les contenus diffusés sur internet ne sont pas majoritairement le fait de journalistes et de professionnels de l’information sous le contrôle d’un directeur de la rédaction et soumis à un certain nombre de règles de déontologie. Chacun est désormais en mesure de diffuser ses opinions fussent-elles injurieuses, racistes, sexistes, homophobes ou diffamatoires, et ce avec d’autant plus de facilité que les opinions peuvent être diffusées sous couvert de l’anonymat.

Outre les difficultés entraînées par la multiplication et la persistance des messages sur internet, le traitement des infractions y apparaît également particulièrement complexe. En effet, il est difficile d’identifier non seulement les responsables de sites,  mais aussi les internautes coupables de ces agissements, le caractère universel du réseau faisant également obstacle à ce que des poursuites soient efficacement engagées contre des personnes installées à l’étranger ou agissant par le biais de sites eux-mêmes hébergés à l’étranger.

Voilà déjà huit années que les injures, diffamations et provocations à la haine racistes et xénophobes se prescrivent par un an. Ce délai n’a jusqu’ici nullement muselé la presse ni porté atteinte à la liberté d’expression.

En revanche, un délai de prescription de trois mois aboutit trop souvent à des dénis de justice pour les victimes des infractions concernées.

Les statistiques du ministère de la justice le confirment de manière frappante : entre 2003 et 2011, aucune condamnation n’a été prononcée sur le motif de diffamation ou de provocation à la haine ou à la violence à raison du sexe, de l’orientation sexuelle, du handicap par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique. Ce chiffre montre que les recours n’aboutissent pas, les plaintes étant classées sans suite du fait de l’expiration du délai de prescription.

Instaurer, quelle que soit la nature ou l’origine de la discrimination, un délai de prescription unique d’un an est une exigence de cohérence du droit. Cette mesure témoigne également d’un attachement déterminé à l’égalité des droits qui est au cœur du pacte républicain, sans remettre aucunement en cause la liberté de la presse.

La rapporteure propose donc d’adopter sans modification le texte issu de la première lecture au Sénat.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

DISCUSSION GÉNÉRALE

La Commission des affaires culturelles et de l’éducation procède à l’examen de la présente proposition de loi au cours de sa séance du mercredi 27 novembre 2013.

Mme Catherine Quéré, rapporteure. Cette proposition de loi, que j’avais déposée avec M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de nos collègues au cours de la treizième législature, a été adoptée par notre assemblée à la quasi-unanimité le 22 novembre 2011. C’est à l’unanimité des présents qu’elle a également été adoptée le 7 février 2013 par le Sénat. À l’initiative de Mme Esther Benbassa, rapporteure au nom de la Commission des lois du Sénat, ce dernier a adopté deux modifications de pure forme : un amendement de coordination destiné à tenir compte de la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme et un amendement visant à clarifier le titre de la proposition de loi. Enfin, le Sénat a adopté un amendement indispensable qui permet de rendre les dispositions de la proposition de loi applicables à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

Ce texte a pour objectif de mettre fin à une anomalie de notre droit. En l’état actuel du droit, en cas de propos et d’écrits publics à caractère discriminatoire – injure, diffamation et provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence –, que ceux-ci portent sur l’origine, l’ethnie, la nation, la race, la religion, le sexe, l’orientation ou l’identité sexuelle, ou encore le handicap, les sanctions sont logiquement les mêmes. Cependant, alors que le délai de prescription des infractions à caractère racial, ethnique ou religieux a été porté à un an par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite loi Perben II, le délai de prescription des discriminations fondées sur le sexe, l’orientation ou l’identité sexuelle, ou le handicap a été maintenu à trois mois. Ce délai, le plus court d’Europe, est le délai de droit commun applicable aux délits de presse.

Il s’ensuit que des victimes placées dans la même situation sont de fait traitées de façon inégale. C’est pourquoi la présente proposition de loi propose d’appliquer la prescription d’un an instituée par la loi du 9 mars 2004 à tous les délits de presse à caractère discriminatoire, quel qu’en soit le motif.

Comme l’a indiqué Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, lors de l’examen de la proposition de loi au Sénat le 7 février 2013, « il n’y a pas lieu de discriminer entre les discriminations ». Permettre que des actes identiques punis des mêmes peines fassent l’objet des mêmes possibilités de poursuite est une mesure de bon sens qui ne porte aucunement atteinte à la liberté de la presse, à laquelle nous sommes tous attachés.

En effet, si les modifications portent sur la loi sur la liberté de la presse, cette dernière n’est que très marginalement concernée par les infractions visées, lesquelles correspondent dans l’immense majorité des cas à des propos et des écrits émanant de particuliers, notamment dans le cyberespace. La modification introduite par la loi Perben II ne visait d’ailleurs pas du tout la presse, mais la multiplication de propos antisémites sur internet. Son principe reste pertinent, que les propos soient racistes, sexistes ou homophobes. Il circule d’ailleurs sur internet autant de messages sexistes ou homophobes que de messages antisémites, racistes ou xénophobes.

Internet a rendu obsolète le délai de prescription de trois mois des délits de presse. En effet, ce délai particulièrement court visait à préserver la liberté de la presse dans un contexte où les propos litigieux disparaissaient de la sphère médiatique après leur publication. Or, avec internet, les écrits ne disparaissent jamais : ils sont consultables à tout moment, par n’importe qui et n’importe où. L’injure et la diffamation se répètent à l’infini. Soulignons également qu’internet donne évidemment une dimension tout à fait nouvelle aux phénomènes de diffamation, d’injure et de provocations à la discrimination, à la haine et à la violence. L’actualité ne cesse de nous le rappeler.

Les contenus diffusés sur internet ne sont pas majoritairement le fait de journalistes et de professionnels de l’information placés sous le contrôle d’un directeur de la rédaction et soumis à un certain nombre de règles de déontologie. Chacun est désormais en mesure de diffuser ses opinions, fussent-elles injurieuses, racistes, sexistes, homophobes ou diffamatoires, et ce avec d’autant plus de facilité qu’il peut le faire sous couvert de l’anonymat.

Voilà déjà huit années que les injures, diffamations et provocations à la haine de nature raciste et xénophobe se prescrivent par un an. Ce délai n’a jusqu’ici nullement muselé la presse ni porté atteinte à la liberté d’expression. En revanche, un délai de prescription de trois mois aboutit trop souvent à des dénis de justice pour les victimes des infractions concernées.

Instaurer un délai de prescription unique d’un an, quelle que soit la nature ou l’origine de la discrimination, est conforme à l’exigence de cohérence du droit. Cette mesure témoigne également d’un attachement déterminé à l’égalité des droits qui est au cœur du pacte républicain, sans remettre aucunement en cause la liberté de la presse. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose d’adopter sans modification le texte issu de la première lecture au Sénat.

Je précise que lorsque, dans la presse, un journaliste rapporte des propos discriminatoires, il fait son travail ; mais s’il les tient pour son propre compte, il est pénalement responsable au même titre que n’importe quel autre citoyen.

M. Yves Durand. Cette proposition de loi devrait nous rassembler puisqu’elle tend à réparer une erreur : une discrimination à l’intérieur des discriminations. Je souhaite donc, au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, que, retrouvant l’unanimité à laquelle l’Assemblée nationale comme le Sénat étaient parvenus en première lecture, nous adoptions le texte issu du Sénat afin que ses dispositions soient inscrites dans la loi.

M. Christian Kert. Le groupe UMP ne compte que d’ardents défenseurs de la lutte contre toute forme de discrimination. Il n’est pas question d’opposer ceux qui défendent les victimes de ces atteintes à ceux qui, pour des raisons idéologiques, se permettraient de les trier par catégories. Quelle que soit la nature de la discrimination, la représentation nationale tout entière s’attachera toujours à la combattre.

Il est ici proposé d’harmoniser les délais de prescription de l’action publique concernant les propos discriminatoires. Ces délais varient aujourd’hui avec le motif de la discrimination. Si le critère constitutif de l’infraction est l’homophobie, la handiphobie ou le sexisme, l’État et la victime disposent du délai de droit commun pour agir, soit trois mois. En revanche, l’injure, la diffamation, la provocation à la violence raciale ou religieuse bénéficient d’une prescription spéciale d’un an en raison de leur gravité.

Nous avions décidé en première lecture de soutenir ce qui était alors l’article 2 de la proposition de loi et qui visait à harmoniser le délai de prescription de l’action publique à un an. Soucieux de la liberté de la presse, qui ne peut s’accommoder de délais de prescription trop longs, trois mois étant la règle et un an l’exception, nous avions toutefois entendu les arguments de nos collègues socialistes. Si l’extension des délais de prescription à un an permettait de garantir les principes d’égalité devant la loi et d’intelligibilité de celle-ci sans mettre en cause la liberté de la presse, notre réserve pouvait être levée.

De fait, il paraît difficile de cautionner une hiérarchie implicite entre les discriminations en faisant varier les délais de prescription selon la gravité supposée du motif. Une discrimination reste une discrimination, qu’elle se fonde sur l’ethnie ou sur l’orientation sexuelle, sur la religion ou sur le handicap.

Par ailleurs, le droit doit être connu de tous ; à défaut, car cet objectif est aujourd’hui presque impossible à atteindre, il se doit d’être lisible et compréhensible par tous. Or les différents délais de prescription favorisent la confusion et multiplient les risques d’erreur des justiciables, donc d’extinction de l’action publique.

Le dernier argument qui emporte notre adhésion est le développement des nouvelles technologies et la banalisation d’internet. C’est d’ailleurs lui qui avait légitimé en 2004 l’extension à un an du délai de prescription de l’action publique pour les infractions liées à la violence raciale ou religieuse. Alors que, dans les médias classiques, chaque nouvelle publication chasse la précédente, il n’existe pas de droit à l’oubli sur internet : la Toile est une sorte d’immense réserve de stockage de données qui ne se désintègrent pas facilement. Cet espace de liberté que chacun peut investir sur n’importe quel sujet implique de donner en contrepartie à toutes les victimes potentielles les moyens de faire valoir leurs droits. La règle de l’actualité, qui prévaut pour les médias classiques, perd de sa pertinence s’agissant des contenus publiés sur internet. Les messages racistes et xénophobes n’ont pas le monopole du web ; nous l’avons constaté récemment, hélas. Il convient donc de prolonger le délai de prescription pour permettre aux victimes de messages sexistes, handiphobes ou homophobes de se faire également entendre.

Comme en première lecture, le groupe UMP votera donc cette proposition de loi.

Mme Barbara Pompili. Cette proposition de loi, adoptée à la quasi-unanimité en première lecture, tend à remédier à une distorsion qui affecte les délais de prescription d’infractions de même nature commises par voie de presse. Pour les provocations à la discrimination, la diffamation ou les injures liées à l’origine ou à la religion, ce délai est d’un an, alors qu’il reste de trois mois lorsque les mêmes infractions sont commises en considération du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap. Il y a là une hiérarchisation inacceptable des discriminations.

L’enjeu est moins la liberté de la presse que la fin d’une discrimination entre victimes. Celles-ci doivent accéder à la justice dans les mêmes conditions, que les propos injurieux qui les visent soient liés à leur sexe, à leur orientation sexuelle, à leur handicap, à leur religion ou à leur origine. Bref, il s’agit de défendre plus efficacement les victimes du sexisme, de l’homophobie, de la transphobie et de l’handiphobie. La société inclusive que nous voulons, la société de l’égalité que nous bâtissons l’exige.

Des exemples récents confirment qu’il est urgent d’agir. Je songe à la une de Minute, mais aussi aux propos extrêmes relayés sur les réseaux sociaux lors des débats sur le mariage pour tous. Je pense aussi aux petites phrases sexistes disséminées un peu partout. Présidente du groupe d’études sur l’intégration des personnes handicapées, je songe enfin, bien sûr, aux multiples discriminations dont sont victimes les personnes porteuses d’un handicap. Dans chacun de ces cas, des personnes sont attaquées dans leur dignité, insultées, blessées. Ces attaques rendues publiques les rabaissent, les submergent d’un sentiment de honte injustifié. Ces situations peuvent donner lieu à des dépressions, voire à des suicides. Car derrière les mots, ne l’oublions pas, il y a des personnes.

Naturellement, il est essentiel de concilier un délai de prescription qui permet de poursuivre efficacement les infractions et le nécessaire respect de la liberté de la presse, garante du bon fonctionnement de la démocratie. Il n’est pas question, par exemple, d’empêcher Charlie Hebdo de publier certaines caricatures, car il y va de la liberté d’expression.

De fait, les délits visés ici sont commis moins par voie de presse que sur internet, en particulier sur les réseaux sociaux. Sur internet, en effet, l’immédiateté donne parfois un sentiment infondé d’impunité, comme si l’instantanéité, la dématérialisation, le semblant d’anonymat pouvaient servir d’excuse ; comme si ce format donnait le droit d’écrire tout et n’importe quoi selon son humeur du moment, sans réfléchir à la portée des propos tenus ni à leur inconséquence. C’est particulièrement vrai des réseaux sociaux. Pourtant, le mal est alors fait, et ses traces demeurent, car, contrairement à l’écrit, l’empreinte web perdure à l’infini : les propos ne disparaissent jamais, mais restent consultables partout et tout le temps. Internet a ainsi rendu totalement obsolète le délai de prescription de trois mois des délits de presse. Trois mois, c’est beaucoup trop court pour entreprendre une action contre des sites ou des blogs. Les journalistes ont leurs propres règles, leur propre déontologie. Ce n’est pas eux que vise d’abord le texte, mais les particuliers, qui tiennent des propos inacceptables sur internet par l’intermédiaire des réseaux sociaux.

Les écologistes soutiennent donc cette proposition de loi. La violence des débats suscités par la loi autorisant le mariage pour tous a d’ailleurs conduit ma collègue sénatrice Kalliopi Ango Ela et les membres du groupe écologiste au Sénat à déposer une proposition de loi allant dans le même sens, et ma collègue Esther Benbassa, rapporteure du présent texte au Sénat, a effectué un travail admirable, comme notre rapporteure Catherine Quéré.

Il convient de ne plus discriminer entre les discriminations. Pour reprendre les propos de notre rapporteure, permettre que des actes identiques punis des mêmes peines fassent l’objet des mêmes possibilités de poursuite est une mesure de bon sens qui ne porte aucunement atteinte à la liberté de la presse, à laquelle nous sommes tous attachés.

Il pourrait d’ailleurs être intéressant de réfléchir à une évolution plus globale de la loi de 1881, au lieu de la modifier fréquemment par petites touches. D’autres adaptations sont déjà à prévoir, dont l’allongement des délais de prescription concernant l’apologie par voie de presse des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.

M. Rudy Salles. Les plus grandes lois doivent savoir évoluer, parce que les usages et les mentalités changent, parce que le monde bouge, tout simplement. La grande loi républicaine et radicale de 1881, qui est parvenue à établir un délicat équilibre entre la liberté d’expression et la sauvegarde de l’ordre public, ne fait pas exception à cette règle immuable. On peut être attaché à la liberté et négliger les bons vecteurs d’expression. On peut vouloir poser les limites qui protègent et tendre finalement des bâillons qui musellent. On peut aussi identifier un danger et passer à côté d’un autre, que le temps a laissé croître.

Il faut donc viser le point d’équilibre. C’est là la vocation première du législateur. Cette question se pose tout particulièrement à l’heure de l’expression diffuse, profuse et intruse sur internet. Tel est l’enjeu de la présente proposition de loi. Métaphore de l’ouvrage républicain, qu’à la façon de Pénélope il faut être prêt à remettre sans cesse sur le métier, elle vise à traiter de façon identique tous les propos discriminatoires, quelles qu’en soient les victimes et la nature – sexisme, homophobie, handiphobie, transphobie, racisme ou antisémitisme, et toute haine visant un individu en raison de son identité.

Le texte complète la loi du 9 mars 2004, motivée par la multiplication des propos antisémites sur internet. Le législateur avait alors introduit une exception au régime de la loi sur la liberté de la presse de 1881, en portant à un an le délai de prescription de certaines infractions. Il s’agissait de ménager le temps de la détection et de la répression d’une nouvelle forme de criminalité cybernétique. Mais le filet protecteur du droit n’avait pas tout ramené vers lui : visant les discriminations liées à l’origine, à l’ethnie, à la race ou à la religion, il avait omis celles liées au sexe, à l’orientation sexuelle ou au handicap, pour lesquelles le délai de prescription demeurait de trois mois. Il s’agit pourtant bien de la même chose : du respect des personnes.

Dans le cyberespace, les infractions dites de presse n’ont pas disparu, mais elles se sont métamorphosées. Elles ne sont pas ici et maintenant. Elles sont dans l’air. Internet, c’est un groupe de presse mondial, sans patron, sans règle, constitué de millions de contributeurs, aux motivations insoupçonnables, inconnaissables, qui, à l’abri des regards, et parfois sous le couvert d’un pseudonyme, lancent leur message. Chacun, devant son écran, peut se transformer en grand témoin du monde, en Savonarole universel, en accusateur compulsif, en mercenaire de la parole publique, sans règle, sans limite, sans attention aux conséquences de ses actes. Pourtant, accuser, diffamer, tourner en ridicule jusqu’à l’insulte sont des actes qui, quels qu’en soient les supports, ont les mêmes conséquences sur leurs victimes. L’ordre public doit alors faire son œuvre : assurer le respect des personnes et de leurs vies.

Au groupe UDI, nous tenons à l’extraordinaire liberté qui caractérise la Toile. Mais n’en faisons pas un espace de non-droit. Ne faisons pas d’internet une vache sacrée. Ne faisons pas de l’esprit du temps une menace pour la vie privée. Ne faisons pas d’un monde technomaîtrisé un univers d’impunité. Internet, c’est la liberté, à condition que celle-ci continue d’émanciper la pensée et la connaissance.

Voilà ce que dit ce texte ; voilà pourquoi le groupe UDI le votera.

Mme Marie-George Buffet. Cette proposition de loi dit en somme qu’il n’existe aucune hiérarchie entre les discriminations. C’est un message essentiel, car certaines discriminations, comme le sexisme ou l’homophobie, ont pu être tolérées alors que d’autres, dont le racisme, étaient unanimement reconnues comme telles. Or toutes les discriminations sont des délits et causent de graves dommages humains. Ce rappel est bienvenu alors que les propos discriminatoires, notamment racistes, se multiplient sur le Net et dans la parole publique.

La liberté de la presse, dont certains se sont inquiétés, est ici préservée. Nous allons même la renforcer dans le cadre de la loi sur la protection des sources des journalistes. Les députés du Front de gauche voteront donc cette proposition de loi.

Mme Colette Langlade. Je tiens à féliciter la rapporteure. Selon son projet de rapport, « les statistiques du ministère de la justice le confirment de manière frappante : entre 2003 et 2011, aucune condamnation n’a été prononcée sur le motif de diffamation ou de provocation à la haine ou à la violence à raison du sexe, de l’orientation sexuelle, du handicap ». Le délai de prescription d’un an, marque d’attachement à l’égalité des droits, est donc bienvenu. Je suis heureuse de soutenir ce texte.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 2
Allongement des délais de prescription en cas d’injure, de diffamation ou de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence pour des raisons tenant au sexe, à l’orientation sexuelle ou au ha
ndicap

Le présent article vise à faire passer de trois mois à un an le délai de prescription applicable aux délits de diffamation, d’injure ou de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence commis à l’encontre de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle, ou de leur handicap.

La loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 a modifié la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 en introduisant un article 65-3 qui établit un délai de prescription spécial d’un an pour les délits de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence (article 24 de la loi de 1881), de diffamation (article 32) et d’injure (article 33) commis à l’encontre de personnes à raison de leur origine, ethnie, nation, race ou religion.

Le présent article tend à compléter l’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 afin d’aligner le régime de prescription des infractions à caractère sexiste, homophobe et handiphobe sur celui des infractions à caractère raciste ou xénophobe.

Le deuxième alinéa procède à cet alignement pour les délits de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence.

Le troisième alinéa procède à ce même alignement pour le délit de diffamation.

Enfin, le quatrième alinéa tend à appliquer ce même délai de prescription au délit d’injure.

Après l’adoption en première lecture de la présente proposition de loi par l’Assemblée nationale, la loi n° 2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme a modifié l’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pour porter à un an le délai de prescription pour les provocations aux actes de terrorisme et à leur apologie.

Le Sénat a adopté un amendement de coordination visant à prendre en compte cette modification. Sans cette coordination, l’adoption de la proposition de loi aurait conduit à supprimer la mention introduite par la loi du 21 décembre 2012, rétablissant alors un délai de prescription de trois mois pour les provocations aux actes de terrorisme et à leur apologie.

*

La Commission adopte l’article à l’unanimité sans modification.

Article 3 (nouveau)
Application de la loi à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en
Nouvelle-Calédonie

Le principe de spécialité législative applicable en Nouvelle-Calédonie et dans certaines collectivités d’outre-mer – Wallis-et-Futuna et la Polynésie française en l’espèce – implique qu’en matière pénale ces collectivités soient expressément mentionnées pour que les dispositions que la loi prévoit s’y appliquent.

C’est pourquoi le Sénat a réparé un oubli en introduisant cet article qui prévoit expressément l’application de la présente proposition de loi à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

À défaut, le droit antérieur continuerait à s’y appliquer. Il serait regrettable de réintroduire une différence de situation entre les victimes dans les territoires où ces problématiques sont tout autant d’actualité.

*

La Commission adopte l’article à l’unanimité sans modification.

Puis la Commission adopte à l’unanimité l’ensemble de la proposition de loi sans modification.

En conséquence, la commission des affaires culturelles et de l’éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter la proposition de loi visant à harmoniser les délais de prescription des infractions prévues par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, commises en raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle ou du handicap, dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte adopté

par l’Assemblée nationale

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Texte adopté

par le Sénat

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Texte adopté
par la Commission

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Proposition de loi relative à la suppression de la discrimination dans les délais de prescription prévus par la loi sur la liberté de la presse du

29 juillet 1881,

Proposition de loi visant à harmoniser les délais de prescription des infractions prévues par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, commises en raison du sexe, de l'orientation ou de l'identité sexuelle ou du handicap.

 
     

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Article 2

Article 2

Article 2

L’article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est ainsi modifié :

Alinéa sans modification

Sans modification

1° La référence : « le huitième alinéa » est remplacée par les références : « les huitième et neuvième alinéas » ;

1° La référence : « et huitième alinéas » est remplacée par les références : « , huitième et neuvième alinéas » ;

 

2° La référence : « le deuxième alinéa » est remplacée par les références : « les deuxième et troisième alinéas » ;

Alinéa sans modification

 

3° La référence : « le troisième alinéa » est remplacée par les références : « les troisième et quatrième alinéas ».

Alinéa sans modification

 
 

Article 3 (nouveau)

Article 3

 

La présente loi est applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

Sans modification

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