N° 2352 - Rapport de Mme Sonia Lagarde sur la proposition de loi , adoptée par le Sénat, modifiant le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles (n°1986)




N
° 2352

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 novembre 2014.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI, ADOPTÉE PAR LE SÉNAT (n° 1986), modifiant le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles

PAR Mme Sonia LAGARDE

Députée

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Voir les numéros :

Sénat : 368, 549, 550 et T.A. 126 (2013-2014).

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SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. LES DÉLAIS DE PRESCRIPTION DE L’ACTION PUBLIQUE APPLICABLES AUX AGRESSIONS SEXUELLES PEUVENT CONSTITUER UN FREIN À L’ACTION DES VICTIMES 6

A. LE NOMBRE DE PLAINTES ET DE CONDAMNATIONS POUR DES AGRESSIONS SEXUELLES EST LARGEMENT INFÉRIEUR AU NOMBRE D’AGRESSIONS DÉCLARÉES DANS LES ENQUÊTES DE VICTIMATION… 6

B. … EN PARTIE EN RAISON DE DÉLAIS DE PRESCRIPTION DE L’ACTION PUBLIQUE INADAPTÉS AUX PARTICULARITÉS DE CES INFRACTIONS 7

1. Les victimes peuvent connaître des difficultés particulières pour porter plainte ou ne prendre conscience des faits qu’elles ont subis que tardivement 7

2. Les règles de prescription de l’action publique dérogatoires prévues pour les infractions sexuelles subies par des mineurs ne suffisent pas toujours pour permettre aux victimes d’agir en justice 8

II. LA PROPOSITION DE LOI RÉPOND À L’INADAPTATION DES DÉLAIS DE PRESCRIPTION DE L’ACTION PUBLIQUE POUR LES AGRESSIONS SEXUELLES EN ALLONGEANT CES DÉLAIS POUR LES VICTIMES MINEURES 9

A. LE REPORT DU POINT DE DÉPART DU DÉLAI DE PRESCRIPTION DE L’ACTION PUBLIQUE AU JOUR OÙ L’INFRACTION EST APPARUE À LA VICTIME AURAIT SOULEVÉ D’IMPORTANTES DIFFICULTÉS 9

B. LA PROPOSITION DE LOI ADOPTÉE PAR LE SÉNAT ALLONGE LES DÉLAIS DE PRESCRIPTION DE L’ACTION PUBLIQUE POUR LES CRIMES ET DÉLITS SEXUELS OU VIOLENTS COMMIS CONTRE DES MINEURS, EN CONSERVANT LA RÈGLE ACTUELLE DE REPORT DU POINT DE DÉPART DU DÉLAI À LA MAJORITÉ DE LA VICTIME 10

C. MALGRÉ LES RÉSERVES ÉMISES À SON ENCONTRE, LA PROPOSITION DE LOI A ÉTÉ ADOPTÉE SANS MODIFICATION PAR LA COMMISSION 11

DISCUSSION GÉNÉRALE 13

EXAMEN DES ARTICLES 21

Article 1er(art. 7 du code de procédure pénale) : Allongement du délai de prescription de l’action publique pour les crimes sexuels ou violents commis contre des mineurs 21

Article 2 (art. 8 du code de procédure pénale) : Allongement du délai de prescription de l’action publique pour les délits sexuels ou violents commis contre des mineurs 31

Après l’article 2 34

Article 3 (supprimé) : Report du point de départ du délai de prescription de l’action publique pour les crimes et les délits sexuels ou violents au jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique 34

Article 4 : Application de la loi dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie Française et en Nouvelle-Calédonie 35

Après l’article 4 35

TABLEAU COMPARATIF 39

Mesdames, Messieurs,

La commission des Lois est saisie de la proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles, adoptée par le Sénat le 28 mai 2014, proposition de loi qui avait été déposée sur le bureau du Sénat le 13 février 2014 par Mmes Muguette Dini et Chantal Jouanno, MM. Michel Mercier et François Zocchetto et plusieurs de leurs collègues (1).

Dans l’exposé des motifs de leur proposition de loi, ses auteurs faisaient valoir qu’une part importante des infractions sexuelles, en particulier celles ayant pour victimes des mineurs, présentaient un caractère de « clandestinité » et pouvaient « en raison de leur nature, du traumatisme qu’elles entraînent, et de la situation de vulnérabilité particulière dans laquelle elles placent la victime, (…) faire l’objet d’une prise de conscience ou d’une révélation tardive ». Pour ces raisons, ils estimaient que les règles de prescription de l’action publique actuellement en vigueur pour les infractions sexuelles étaient inadaptées, car elles ne tiennent pas compte de la dimension « souterraine » de tels actes, et proposaient d’instaurer, comme en matière d’abus de biens sociaux notamment, un report du point de départ du délai de prescription de l’action publique au jour où l’infraction est apparue à la victime dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique (2).

Cependant, le texte adopté par le Sénat a retenu une solution sensiblement différente, en considérant que le report du point de départ du délai de prescription de l’action publique tel qu’il était prévu par la proposition de loi soulevait des difficultés tant en opportunité que sur le plan de la constitutionnalité. En conséquence, le texte dont est saisie la commission des Lois de l’Assemblée nationale et qu’elle a adopté sans modification, apporte une réponse aux difficultés soulevées par les délais de prescription de l’action publique des agressions sexuelles, qui peuvent constituer un frein à l’action des victimes (I), en allongeant ces délais pour les mineurs victimes (II).

Les agressions sexuelles sont, en France, des violences pour une large part invisibles. En effet, le nombre de plaintes et de condamnations pour des agressions sexuelles est largement inférieur au nombre d’agressions déclarées dans les enquêtes de victimation (A). Cette situation s’explique en partie par l’inadaptation des délais de prescription de l’action publique aux particularités de ces infractions (B).

Selon une étude de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) publiée en 2012, 23 136 faits de violences sexuelles ont été portés à la connaissance des services de police et de gendarmerie en 2011 (3). Cette même étude montre que le nombre de faits de violence sexuelle déclarés a peu varié entre 2006 et 2011, le minimum recensé étant de 22 281 faits en 2006 et le maximum de 23 375 faits en 2008.

Au cours de la même année 2011, les juridictions pénales ont prononcé 9 955 condamnations pour des agressions sexuelles, dont 1 258 pour viol et 8 697 pour des agressions sexuelles de nature correctionnelle (4).

Cependant, le nombre de faits ayant fait l’objet d’une plainte auprès des services de police ou de gendarmerie et le nombre de faits ayant donné lieu à condamnation sont très nettement inférieurs au nombre de faits déclarés dans le cadre des enquêtes de victimation. Ainsi, selon une enquête de victimation réalisée conjointement par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) et l’ONDRP en 2012, 0,9 % de l’ensemble de la population âgée de 18 à 75 ans vivant en France aurait été victime d’une ou de plusieurs agressions sexuelles en 2010 et 2011, soit 383 000 personnes, parmi lesquelles 287 000 femmes et 96 000 hommes (5). En moyenne, sur une année, ce sont donc 191 500 personnes majeures vivant en France qui seraient victimes d’une ou de plusieurs agressions sexuelles.

Mais, comme le souligne le rapport de M. Philippe Kaltenbach, rapporteur de la commission des Lois du Sénat sur la proposition de loi, ces chiffres sont encore certainement sous-estimés, d’une part parce que « les conditions de réalisation de cette enquête n’ont sans doute pas permis d’interroger un certain nombre de personnes vulnérables (personnes handicapées ou sans domicile fixe notamment), alors même que celles-ci représentent une catégorie plus particulièrement exposée aux violences sexuelles », et, d’autre part, parce que cette enquête, « réalisée auprès de personnes âgées de 18 à 75 ans, (…) ne tient pas compte des victimes mineures, alors que les enfants et les adolescents sont des cibles privilégiées pour les agresseurs sexuels » (6).

Les agressions sexuelles présentent la particularité que leurs victimes peuvent connaître des difficultés particulières pour porter plainte ou ne prendre conscience des faits qu’elles ont subis que tardivement (1). Des règles dérogatoires sont prévues par la loi pour les infractions sexuelles subies par des mineurs en matière de prescription de l’action publique, mais celles-ci ne suffisent pas toujours pour permettre aux victimes d’agir en justice (2).

L’écart entre le nombre de faits déclarés dans le cadre des enquêtes de victimation et le nombre de faits dénoncés aux autorités tient, pour une part, au fait qu’une part significative des infractions sexuelles est commise dans le cadre familial, ce qui a pour effet de rendre la dénonciation plus difficile. En effet, selon l’enquête de victimation précitée, 35 % des agressions sexuelles subies par les femmes et 13 % de celles subies par les hommes sont le fait de leur conjoint ou d’un ex-conjoint, tandis que 11 % des agressions subies par les femmes et 13 % de celles subies par les hommes sont le fait d’un membre de la famille (7). Pour les femmes, au total, près d’une agression sexuelle sur deux est le fait d’un proche – conjoint ou membre de la famille –, ce qui explique que nombre de victimes peuvent hésiter et, parfois, attendre de nombreuses années avant de porter plainte, par crainte de ne pas être crues mais aussi de bouleverser la cellule familiale.

Cette difficulté particulière pour les victimes d’agressions sexuelles dans le cadre familial à dénoncer les faits qu’elles ont subis, en particulier lorsqu’elles sont mineures, avait été soulignée par le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, M. Philippe Kaltenbach : « L’emprise exercée par l’auteur des faits, le sentiment de culpabilité dont souffre la victime, la complicité de l’entourage et le dénigrement systématique de la parole de l’enfant sont autant d’obstacles à la parole de la victime » (8).

Un second facteur peut également expliquer la faiblesse du taux de plainte : l’existence, dans certains cas, de phénomènes d’amnésie traumatique, qu’a très justement décrits M. Philippe Kaltenbach dans son rapport :

« Ce mécanisme, qui est établi sur le plan médical, conduit la personne, soumise à un stress extrême, à occulter, pendant une période variable, le souvenir des faits subis. La mémoire est en quelque sorte « stockée » dans le corps de la victime, qui présente alors un risque plus important de développer certaines pathologies (cancers, pathologies auto-immunes, maladies cardio-vasculaires, etc.). Ce phénomène de dissociation favorise les conduites addictives et accroît les risques suicidaires.

« Ce n’est que plusieurs années plus tard, à l’occasion d’une prise en charge psychothérapeutique adaptée, que la victime peut reprendre conscience des violences subies, de façon souvent brutale et douloureuse. » (9)

Dans une certaine mesure, la loi tient déjà compte de la situation particulière dans laquelle se trouvent les victimes mineures d’agressions sexuelles, en prévoyant des règles dérogatoires en matière de prescription de l’action publique. En effet, aux termes des articles 7 et 8 du code de procédure pénale, pour les crimes et délits sexuels dont la victime est mineure au moment des faits, ainsi que pour certains crimes et délits violents particulièrement graves (10), la prescription de l’action publique – c’est-à-dire le délai après la commission des faits pendant lequel les poursuites peuvent être exercées – est soumise à deux règles dérogatoires.

Tout d’abord, la durée du délai de prescription de prescription de l’action publique, qui est en principe de dix ans pour les crimes et de trois ans pour les délits, est fixée à vingt ans pour les crimes et à dix ou vingt ans pour les délits, selon la nature du délit. Ensuite, le point de départ du délai de prescription est reporté au jour de la majorité de la victime. L’application de ces deux règles permet à une personne qui a été victime d’un viol alors qu’elle était enfant de porter plainte jusqu’à ce qu’elle ait atteint l’âge de 38 ans, et à une personne victime d’une agression sexuelle autre qu’un viol d’agir jusqu’à l’âge de 28 ans.

Cependant, en raison à la fois de la difficulté particulière que connaissent les victimes à dénoncer les agressions sexuelles qu’elles ont subies et des phénomènes d’amnésie traumatique, ces règles dérogatoires en matière de prescription de l’action publique ne sont pas toujours suffisantes pour permettre aux victimes d’agir en justice. Il n’est pas rare que la prise de conscience d’infractions sexuelles vécues pendant l’enfance intervienne après l’âge de 40 ans, trop tard pour permettre à la victime d’agir en justice contre l’auteur des faits.

Le texte de la proposition de loi initialement déposée par Mmes Muguette Dini et Chantal Jouanno, MM. Michel Mercier et François Zocchetto et plusieurs de leurs collègues prévoyait, pour répondre à l’inadaptation des délais de prescription de l’action publique pour les infractions sexuelles, de reporter le point de départ de ce délai au jour où l’infraction est apparue à la victime dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. Néanmoins, les débats au Sénat ont fait apparaître que cette solution aurait soulevé d’importantes difficultés (A). Pour cette raison, le Sénat a modifié la proposition de loi pour allonger les délais de prescription de l’action publique pour les crimes et délits sexuels ou violents commis contre des mineurs, en conservant la règle actuelle de report du point de départ du délai à la majorité de la victime (B). Malgré les réserves émises à son encontre, la proposition de loi a été adoptée sans modification par la Commission (C).

Dans son texte initial, la proposition de loi prévoyait de substituer à la règle actuelle du report du point de départ du délai de prescription de l’action publique pour les crimes et délits sexuels ou violents commis contre des mineurs une nouvelle règle, qui aurait été applicable à ces mêmes crimes et délits sexuels ou violents commis contre des mineurs mais aussi aux viols commis contre des majeurs et aurait consisté en un report du point de départ du délai de prescription de l’action publique au jour « où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d’exercer l’action publique ». Cette nouvelle règle était inspirée de la jurisprudence appliquée depuis 1967 aux infractions dissimulées, parmi lesquelles les abus de biens sociaux.

Cependant, cette modification soulevait deux difficultés.

La première de ces difficultés résidait dans le fait que la nouvelle règle aurait constitué un progrès pour les victimes atteintes par une amnésie traumatique qui auraient en mesure de l’établir, mais qu’elle aurait emporté une régression pour les victimes mineures au moment des faits qui n’auraient pas été frappées d’une telle amnésie ou qui n’auraient pas été en mesure de la prouver. En effet, alors que la règle actuelle du report du point de départ du délai de prescription pour les victimes mineures s’applique de plein droit, le report qui était prévu par la proposition de loi initiale était subordonné à une appréciation par la juridiction saisie de l’existence d’une amnésie traumatique et de la durée des effets de celle-ci.

La deuxième difficulté était d’ordre constitutionnel, le texte proposé étant susceptible de porter atteinte à plusieurs principes. Le texte de la proposition de loi initiale aurait pu être considéré comme contraire au principe de légalité des délits et des peines, car le point de départ du délai de prescription aurait été incertain, empêchant de déterminer avec certitude et sans risque d’arbitraire du juge le moment où la prescription aurait été acquise. Il aurait également pu violer le principe d’égalité devant la loi : en faisant reposer le point de départ du délai de prescription sur la prise de conscience de la victime, la proposition de loi aurait pu aboutir à ce que des faits identiques puissent, dans un cas, être prescrits parce que la victime n’aurait pas subi d’amnésie, et, dans un autre, demeurer poursuivables parce que la victime n’aurait pris conscience que tardivement des faits qu’elle a subis. Enfin, le texte aurait également pu être jugé contraire aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines, en permettant l’exercice de l’action publique plusieurs dizaines d’années après les faits, ce qui pourrait aboutir dans les cas les plus extrêmes à une imprescriptibilité de fait.

En raison des difficultés soulevées par le texte initial de la proposition de loi, le Sénat a, sur l’initiative de sa commission des Lois, substitué au report du point de départ de la prescription de l’action publique au jour où les faits sont apparus à la victime, prévu dans la proposition de loi initiale, un allongement du délai de prescription de l’action publique pour les crimes et délits sexuels ou violents commis contre des mineurs, sans modification de la règle actuelle de report du point de départ de ce délai. Le texte adopté par le Sénat prévoit de porter le délai de prescription de l’action publique de vingt à trente ans pour les crimes, et de dix ou vingt ans à, respectivement, vingt ou trente ans pour les délits, selon la nature du délit. Les victimes d’agressions sexuelles ou violentes alors qu’elles étaient mineures pourraient ainsi agir en justice jusqu’à l’âge de 48 ans pour les crimes et de 38 ou 48 ans pour les délits.

Adoptés lors de l’examen de la proposition de loi en séance publique, les amendements de la commission des Lois du Sénat avaient été approuvés par la première signataire de la proposition de loi, Mme Muguette Dini et reçu un avis de sagesse du Gouvernement (11).

Contrairement à la proposition de loi initiale, le texte adopté par le Sénat laisse inchangées les règles de prescription pour les victimes de viol majeures, pour lesquelles le délai de prescription de dix ans continuera de s’appliquer, sans report du point de départ de ce délai.

Lors de son examen par la commission des Lois, la proposition de loi a été adoptée sans modification et ce, bien qu’elle ait donné lieu à l’expression de certaines réserves par le groupe SRC, dont les représentants ont estimé que la prescription de l’action publique devrait faire l’objet d’une réforme globale après une évaluation de la question. Le président de la commission des Lois, M. Jean-Jacques Urvoas, a proposé que nos collègues Alain Tourret et Georges Fenech soient chargés d’une mission d’information sur la réforme des règles de la prescription, comme ils l’avaient déjà fait au début de la législature sur la révision des condamnations pénales (12). Néanmoins, à ce stade, de nombreux membres de la Commission s’étant abstenus lors du vote de chacun des articles et sur l’ensemble du texte, la proposition de loi a été adoptée sans modification par la Commission.

Votre rapporteure avait proposé à la Commission de compléter l’article 1er par une modification de l’article 7 du code de procédure pénale tendant à prévoir qu’en matière criminelle, la prescription de l’action publique était suspendue en cas d’« obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites », en précisant que « l’amnésie de la victime l’empêchant d’avoir conscience des faits qu’elle a subis » constituait un tel obstacle. Toutefois, la Commission n’a pas adopté cet amendement.

Cet amendement faisait écho à un récent arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, rendu le 7 novembre 2014, qui vient, pour la première fois en matière criminelle, d’admettre qu’un « obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites » avait pour effet de suspendre le délai de prescription. Dans l’espèce en cause, qui concernait une femme ayant tué huit de ses enfants nouveau-nés, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la chambre de l’instruction qui avait estimé qu’avaient constitué un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites l’obésité de la victime qui avait empêché que ses grossesses soient décelées par ses proches, le fait que les accouchements aient eu lieu sans témoin, l’absence de déclaration des enfants à l’état civil et la dissimulation des corps.

Pour votre rapporteure, l’amendement proposé ne présentait pas les mêmes défauts que la proposition de loi initiale telle que déposée au Sénat. D’une part, il n’emportait pas de régression pour les mineurs victimes, puisque la règle du report du point de départ de la prescription au jour de la majorité serait demeurée inchangée. D’autre part, l’amendement utilisait des notions précises qui ne comportaient pas de risque constitutionnel : celle d’« obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites », issue de la jurisprudence de la Cour de cassation, et celle d’« amnésie », qu’il définissait précisément comme un élément empêchant la victime d’avoir conscience des faits qu’elle a subis.

L’adoption de cet amendement aurait permis de rapprocher le texte de l’intention initiale des auteurs de la proposition de loi, avec des garanties juridiques plus importantes. Votre rapporteure regrette que la Commission n’ait pas adopté cette modification et souhaite qu’elle puisse être examinée avec attention dans le cadre de la mission d’information à venir sur la prescription de l’action publique.

DISCUSSION GÉNÉRALE

La Commission examine la proposition de loi, adoptée par le Sénat, modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles (n° 1986), lors de sa première séance du mercredi 12 novembre 2014.

Après l’exposé de la rapporteure, une discussion générale s’engage.

Mme Colette Capdevielle. La proposition de loi que nous examinons vise à modifier le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles. Elle a été votée par le Sénat après bien des vicissitudes, et je constate que nous nous orientons vers de nouveaux changements. Ce texte aborde un sujet ultrasensible et complexe : les agressions sexuelles, viols et incestes commis sur des personnes, hommes ou femmes, mineures au moment des faits – ceux-ci remontant souvent à l’enfance, voire à la petite enfance – et qui sont victimes d’une amnésie post-traumatique. Je partage le constat des auteurs du texte, Mmes Muguette Dini et Chantal Jouanno. Au nom du groupe socialiste, je salue leur travail, ainsi que l’esprit de leur proposition. Nous souhaitons nous aussi apporter, en la matière, une réponse digne, efficace et conforme à notre droit.

Cette proposition de loi est née, d’une part, de la critique d’un arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 18 décembre 2013 et, d’autre part, du constat clinique que le droit de la prescription ne serait pas ou plus adapté aux victimes d’une amnésie traumatique consécutive à un viol ou à une agression sexuelle, celles-ci ne prenant conscience des faits que des années voire des décennies plus tard.

Ainsi que vous l’avez indiqué, madame la rapporteure, lorsque des agressions sexuelles ont été commises par un proche – un parent ou une personne ayant autorité sur la victime, par exemple un enseignant, un éducateur sportif ou une personne religieuse – et qu’elles se sont inscrites dans la durée, elles peuvent provoquer un traumatisme profond pouvant aller jusqu’à l’amnésie. Plus les faits sont anciens et violents, plus le traumatisme est fort et enkysté. L’amnésie fait partie des conséquences jugées possibles des infractions sexuelles subies, notamment par les enfants. Le déni est malheureusement souvent la seule protection pour la jeune victime. Les faits peuvent ressurgir à la suite d’un choc, d’une rencontre, d’une naissance, plus souvent d’une psychothérapie, les troubles du comportement étant souvent inquiétants : conduites addictives ou à risques, tendances suicidaires, troubles de l’alimentation ou de l’humeur, automutilations, etc.

Des délais de prescription dérogatoires au droit commun sont déjà applicables aux victimes d’agressions sexuelles, mineures au moment des faits : depuis la loi du 10 juillet 1989 sont intervenues six modifications législatives, qui ont porté à vingt ans le délai de prescription de certains crimes sexuels commis sur des mineurs. Une partie de la doctrine a critiqué ces remaniements successifs, car ils rendent très délicate, selon elle, la détermination des règles applicables.

La rédaction de la proposition de loi a été totalement revue et corrigée par le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, M. Philippe Kaltenbach, tellement elle était insatisfaisante juridiquement. Ainsi que de nombreux sénateurs l’ont relevé en commission comme en séance publique, le texte initial risquait très clairement d’être déclaré inconstitutionnel tant au regard du principe de légalité des délits et des peines que du principe d’égalité : en laissant la victime décider du moment où elle pouvait déposer plainte, il rendait les infractions visées imprescriptibles. Or seuls les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles en droit pénal français.

Pour tenter de sauver cette proposition de loi, M. Kaltenbach a proposé un dispositif qui modifie complètement l’économie du texte initial : tout en maintenant le point de départ du délai de prescription à la majorité pour les victimes mineures – qui restent donc seules bénéficiaires de cette exception –, il a allongé la prescription de l’action publique de vingt à trente ans pour les crimes, et de dix à vingt ans pour les délits.

Cependant, la constitutionnalité de l’allongement de la prescription de l’action publique de vingt à trente ans pour une seule catégorie d’infractions et une seule catégorie de victimes reste très fragile au regard du principe de proportionnalité des crimes, des délits et des peines. À ce jour, les crimes qui se prescrivent par trente ans sont notamment les crimes de guerre, c’est-à-dire ceux qui impliquent des meurtres ou des viols en série.

La nouvelle rédaction de la proposition de loi pose très clairement la question plus globale de la prescription pénale. Les délais actuels de prescription et leur déclinaison selon la gravité de l’infraction – crimes, délits, contraventions – ont été fixés par le code d’instruction criminelle de 1808. Depuis vingt-cinq ans environ, la très remarquable stabilité de ces règles est remise en cause par la multiplication des dérogations, soit à l’initiative du législateur – tel est le cas en l’espèce –, soit à l’initiative du juge – comme en atteste la décision de la Cour de cassation de vendredi dernier que vous avez évoquée, madame la rapporteure.

Or cette situation est source de confusion et d’insécurité juridique : les révisions fragmentaires des règles de prescription fragilisent complètement le système. Il est temps d’avoir une approche globale et cohérente, et de revoir le droit de la prescription dans son ensemble. Plusieurs sénateurs se sont d’ailleurs exprimés en ce sens au cours des débats. En 2007, les sénateurs Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung relevaient déjà, dans leur excellent rapport d’information, que le droit de la prescription était devenu complexe et incertain, et que l’échelle des délais de prescription de l’action publique et celle des durées de prescription de la peine ne correspondaient plus. Ainsi, en cas de délit, la prescription de l’action publique est passée de dix à vingt ans, alors que la prescription de la peine est restée à cinq ans ! Le dispositif a perdu sa cohérence.

Les recommandations du rapport d’information restent plus que jamais d’actualité, et il est d’ailleurs très étonnant que le Sénat ne s’en soit pas inspiré pour enrichir la proposition de loi. J’appelle en particulier votre attention sur la deuxième et la troisième des sept recommandations du rapport en matière pénale : « veiller à la cohérence du droit de la prescription, en évitant les réformes partielles » ; « préserver le lien entre la gravité de l’infraction et la durée du délai de la prescription de l’action publique afin de garantir la lisibilité de la hiérarchie des valeurs protégées par le code pénal, en évitant de créer de nouveaux régimes dérogatoires ».

Enfin, s’agissant d’infractions de nature sexuelle, pour lesquelles la matérialité des faits reste souvent difficile à établir en elle-même, faisons très attention aux faux espoirs que nous pourrions susciter chez les victimes, trente ans après les faits. Même si la modernisation des méthodes d’investigation facilite la manifestation de la vérité, il faut rappeler que le procès pénal concerne avant tout l’auteur présumé des infractions : la victime n’y a qu’une petite place et peut se sentir perdue. Comment apporter la preuve de faits anciens et partiellement occultés ? Est-il opportun pour la victime de subir des années de procédure, longues et douloureuses, avec le risque qu’elles aboutissent à un classement sans suite, à un non-lieu, à une relaxe ou à un acquittement ? Dans ce cas, c’est une deuxième blessure – parfois bien plus grave que la première – qui est infligée à la victime. C’est un déni supplémentaire, institutionnel cette fois, puisque la justice ne répond pas à la demande légitime de la victime de voir son statut reconnu et d’obtenir réparation.

Nous devons avoir un débat général sur la prescription des délits et des crimes, notamment sur le point de départ des délais de prescription, sur leur durée et sur leur adaptation à l’échelle des peines. Nous avons besoin d’une remise à plat en la matière et, peut-être, d’un texte législatif global. Telle est la position du groupe SRC. Compte tenu de ces explications, nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi.

M. Jacques Bompard. Je salue cette proposition de loi, qui me semble traiter de manière pragmatique un sujet très douloureux, depuis trop longtemps prisonnier du laxisme français face à un crime abominable.

Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes dresse un constat implacable : en France, 16 % des femmes déclarent avoir subi un viol ou une tentative de viol au cours de leur vie. Une jeune femme de moins de vingt ans sur dix a connu la même horreur. De grandes campagnes médiatiques tentent d’incriminer des réflexes machistes ou d’autres aspects psychologiques, qui concourent bien entendu au passage à l’acte, mais ne semblent pas en être l’élément déterminant.

Entre 2012 et 2013, 80 000 femmes auraient connu cet enfer. Selon d’autres estimations d’associations féministes, on approcherait en France de 75 000 viols par an. Je tiens à rappeler que de nombreux phénomènes incitatifs demeurent abandonnés à un laxisme sans vergogne : envahissement du sexe dans l’inconscient des jeunes enfants, parfois avec le soutien de l’éducation nationale… (Protestations.) Il n’y a que la vérité qui blesse ! Je ne vous empêche pas de dire ce que vous voulez, accordez-moi la même liberté !

Parmi les phénomènes incitatifs, il faut également citer le refus de toute action réellement coercitive face à la pornographie, et la banalisation de l’acte sexuel. En croyant libérer ses mœurs, notre société n’a fait que libérer ses pulsions égoïstes et, en définitive, nuire aux plus faibles – en l’occurrence, dans la grande majorité des cas, aux femmes. Ses tares sont nées du remplacement des règles spirituelles par la recherche du profit et du pouvoir à tout prix. Notre société et notre loi encouragent cette involution par la prolifération d’une vision mercantile du corps de la femme, par les méandres de la société de consommation, par la dictature des plaisirs et des volontés plutôt que par la recherche de l’harmonie des êtres et des corps.

Je ne veux pas catéchiser – même si ce serait bien utile dans cette Assemblée ! –, mais, si nous ne prenons pas en considération ces éléments d’une importance insigne, nous ne faisons qu’essayer de panser des plaies qu’il serait de notre devoir de prévenir pour les réduire. Beaucoup ont compris que le viol était le signe d’une grande faiblesse de notre société, mais le charivari progressiste que je viens encore une fois de subir incite à ne donner pour but à nos lois que la satisfaction des désirs individuels et la mise en œuvre de droits sans devoirs, ce qui entraîne paradoxalement la recrudescence des viols.

J’ai déposé deux amendements de bon sens à la proposition de loi, le premier pour étendre le délai de prescription applicable aux personnes majeures, le second pour que l’action publique s’occupe aussi des viols commis par des étrangers sur notre territoire, dont de récents épisodes survenus à Calais nous invitent à traiter. (Exclamations parmi les commissaires membres du groupe SRC.)

M. Guy Geoffroy. Je regrette la position du groupe SRC, qui est en recul par rapport au travail qu’ont accompli de nombreux sénateurs de gauche pour modifier un texte bien intentionné, mais qui allait dans le mur constitutionnel.

Le droit de la prescription doit rester cohérent, il faut éviter trop de relâchement à cet égard ; j’en suis d’accord et un travail de notre Commission à l’initiative de notre président sur ce sujet me semblerait bienvenu, mais le texte qui nous est soumis ne l’est pas moins. Il n’est pas contradictoire, en effet, d’ajuster une prescription nécessairement différente s’agissant des agressions sexuelles et de veiller, plus globalement, à la cohérence. Ce texte pose un vrai problème et y apporte enfin une réponse meilleure que dans sa version initiale. La manière dont la rapporteure envisage de modifier la proposition de loi en séance est, elle aussi, plutôt satisfaisante.

Sans rejeter l’idée qu’il faut améliorer encore davantage la cohérence du droit de la prescription, nous jugeons donc utile de voter ce texte, notamment pour les trop nombreuses victimes.

M. Patrick Mennucci. La question de la prescription pénale est ici posée dans sa globalité. Trop de bricolages ont fragilisé le système au cours des vingt dernières années. Il est donc temps de réviser entièrement le droit de la prescription. Je ne pense pas qu’une nouvelle dérogation contribue à la clarté de notre droit – même si les arguments qui l’appuient sont respectables –, d’autant que, dans ce domaine, beaucoup de dérogations couvrent déjà le champ de la proposition de loi.

Je veux dire par ailleurs que la manière dont M. Bompard a parlé de l’éducation nationale est indécente. Prétendre qu’elle favoriserait je ne sais quelle déviance ou pulsion d’agressivité sexuelle est absolument insupportable.

M. Dominique Raimbourg. Je m’associe aux propos de Patrick Mennucci sur les accusations injustes visant l’éducation nationale, laquelle promeut l’égalité bien plutôt que l’agression.

La proposition de loi s’attaque à un problème bien réel, mais reste insatisfaisante. La prescription soulève deux questions, celle de sa durée et celle de son point de départ, qui ne sont aujourd’hui pas tranchées, ou le sont mal. Pour combler cette lacune, la proposition de loi procède à deux distinctions indues. Entre les crimes, d’abord, alors que l’on ne peut pas traiter un meurtre très différemment d’une agression sexuelle ou d’un crime sexuel : pourquoi la prescription serait-elle de dix ans pour un meurtre, mais beaucoup plus longue pour un crime sexuel ? Entre les victimes, ensuite, puisque l’allongement de la prescription est réservé aux victimes mineures, de sorte que l’amnésie d’une victime de dix-huit ans et demi ne serait pas prise en considération. Il est donc opportun de renvoyer cette question à un débat d’ensemble sur la prescription.

Mme Cécile Untermaier. Je dénonce moi aussi l’accusation proférée par M. Bompard envers l’éducation nationale, qui relève de la posture politicienne.

Il faut revisiter l’institution pénale qu’est la prescription. Certaines jurisprudences récentes de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui ont interpellé l’opinion, nous y encouragent-elles ? Elles démontrent en tout cas à coup sûr que les juges veulent préserver le délai de prescription dans toute sa plénitude et sa force utile s’il s’impose pour la manifestation de la vérité. Il faut donc sans doute revoir les dispositions pénales, non dans l’urgence, mais avec cohérence, loin d’un pointillisme dévastateur pour l’économie des lois. À cet égard, les sept recommandations en matière pénale formulées dans le rapport d’information des sénateurs Hyest, Portelli et Yung constituent un excellent point de départ.

Cette proposition de loi a l’intérêt de nous donner du grain à moudre dans ce débat particulièrement important au sein d’un État de droit. On observe bien une tendance contemporaine à l’allongement des prescriptions qui, par définition, ne s’arrêtera que lorsqu’il n’existera plus de prescription. Mais cette petite proposition de loi, qui revient finalement à remettre en question le système prescriptif de manière sectorielle et anonyme, nous oriente vers un débat beaucoup plus large.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Il est difficile de prendre position sur ce texte. D’un côté, les victimes – j’en ai rencontré moi aussi dans le cadre de mes permanences – vivent la prescription comme une double peine : à la violence de l’agression subie s’ajoute l’impossibilité que justice soit rendue. Or, si autrefois, en droit pénal, la prescription était simple – un an pour les contraventions, trois ans pour les délits, dix ans pour les crimes –, elle a beaucoup évolué, subissant six modifications législatives depuis 1989. Instinctivement, j’ai donc plutôt envie de m’associer à votre démarche, madame la rapporteure.

En même temps, le droit doit être lisible, ce qui devrait nous dissuader d’opérer de telles modifications « à la carte ».

Je m’abstiendrai donc, comme l’ensemble du groupe SRC, mais je crois que nous devrions aller jusqu’à rejeter le texte en séance publique, pour une raison très concrète. Nous avons une base : le rapport Hyest de 2007. Au sein de notre Commission, le travail mené par Alain Tourret et Georges Fenech sur la révision des condamnations pénales a été une expérience vertueuse et féconde. Si ces deux parlementaires en étaient d’accord, et je crois savoir qu’ils le sont, ils pourraient le prolonger de manière à nous éclairer en vue d’une révision d’ensemble de la prescription. Tout le monde aurait à y gagner et je ne vois pas pourquoi le Gouvernement n’accompagnerait pas cette démarche. On ne peut pas laisser la Cour de cassation écrire le droit. Or c’est ce qui se passe aujourd’hui dans ce domaine.

Je ferai donc cette proposition à la Commission, quel que soit le sort réservé au texte du groupe UDI, dont la démarche est parfaitement légitime.

M. Jean-Frédéric Poisson. Cette issue me paraît satisfaisante. Comme vous, monsieur le président, je suis gêné lorsque nous laissons les instances judiciaires écrire la loi, en principe et peut-être encore davantage en l’espèce, vu la gravité du sujet. En revanche, il me semble nécessaire que la proposition de loi soit discutée en séance publique, afin que le débat oriente les travaux futurs de nos deux collègues. Ainsi pourrions-nous résoudre le problème qui nous est posé tout en respectant le travail accompli au sein de notre Commission.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Ce texte est une proposition de loi d’appel. Nous devons absolument faire évoluer la prescription. Comme vous, monsieur le président, je m’abstiendrai donc.

Mme la rapporteure. J’ai bien compris le souhait général d’une réforme globale de la prescription en droit pénal. Si je partage cette ambition, j’observe toutefois que la question ne fait aujourd’hui l’objet d’aucun projet de loi déposé devant le Parlement ni même en préparation. De ce fait, en rejetant la proposition de loi, nous ne reporterions pas seulement de quelques mois l’examen de cette question cruciale, sur laquelle nos collègues sénateurs ont jugé bon de se prononcer : nous nous priverions de la possibilité d’apporter aux victimes les réponses qu’elles méritent au cours de la présente législature.

Même si certains sénateurs ont dénoncé le caractère imparfait du texte, le Sénat l’a soutenu, y compris le groupe socialiste par la voix de Catherine Génisson, qui concluait ainsi en séance : « Malgré ses imperfections, le dispositif envisagé constitue, me semble-t-il, un progrès. C’est pourquoi le groupe socialiste votera la proposition de loi ainsi amendée ».

Quant à la proposition du président Urvoas en vue de mener ce travail plus loin, il faudrait, si tous les membres de la Commission l’approuvaient – ce que je déplorerais –, que tous les groupes, en particulier le groupe UDI, soient associés à l’entreprise.

La Commission en vient à l’examen des articles.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
(art. 7 du code de procédure pénale)

Allongement du délai de prescription de l’action publique pour
les crimes sexuels ou violents commis contre des mineurs

L’article 1er de la proposition de loi a pour objet d’allonger le délai de prescription de l’action publique pour les crimes sexuels ou violents commis contre des mineurs, en le portant de vingt à trente ans.

Après avoir rappelé le droit actuel en matière de prescription des crimes sexuels ou violents (1), le présent commentaire présentera successivement les modifications auxquelles procédait la proposition de loi dans son texte initial (2) et celles auxquelles procède le texte adopté par le Sénat (3).

1.  Le droit actuel en matière de prescription des crimes sexuels ou violents

La prescription de l’action publique peut être définie comme « un mode général d’extinction de l’action publique par l’effet de l’écoulement d’un certain temps depuis le jour de la commission de l’infraction » (13). La principale justification de l’existence de la prescription de l’action publique tient au dépérissement des preuves avec l’écoulement du temps, comme l’observe M. Bernard Challe, conseiller honoraire à la Cour de cassation : « Plusieurs années après la commission d’une infraction il sera malaisé d’en découvrir les indices matériels et les témoins. Le risque d’erreur judiciaire s’accroît alors fortement ». Le même auteur fait également valoir que « la prescription n’est autre que la sanction de la négligence des autorités judiciaires qui n’ont pas été capables d’agir à temps » (14).

Aux termes des articles 7, 8 et 9 du code de procédure pénale, les délais de prescription de l’action publique sont respectivement de dix ans pour les crimes, trois ans pour les délits et un an pour les contraventions. Le délai de prescription commence à courir à compter du jour de la commission de l’infraction. Il est interrompu par tout acte d’instruction ou de poursuite, qui fait redémarrer le délai à son point de départ.

Le fait que la prescription soit « parfois un facteur d’impunité, facilement admis pour les infractions les moins graves mais rejeté pour les plus graves dont la société ne peut accepter l’absence de châtiment consécutif à l’écoulement du temps » (15), explique que le législateur ait, pour certaines catégories d’infractions, institué des règles dérogatoires.

Ainsi, les crimes contre l’humanité ont été reconnus comme imprescriptibles en droit français par la loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964 tendant à constater l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité. La loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative a porté, en matière d’infractions à la législation sur les stupéfiants et d’infractions terroristes, la durée de la prescription à vingt ans pour les délits et trente ans pour les crimes.

La prescription des infractions sexuelles ou violentes commises contre des mineurs est également soumise à un régime dérogatoire prévu aux articles 7 et 8 du code de procédure pénale, issu de plusieurs lois adoptées entre 1989 et 2006 (16). La première dérogation tient à la durée du délai de prescription, fixée à vingt ans pour les crimes par le troisième alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale et à dix ou vingt ans pour les délits par le deuxième alinéa de l’article 8 du même code. La seconde dérogation est relative au point de départ du délai de prescription, qui est reporté au jour de la majorité de la victime.

Le tableau ci-après donne la liste des crimes commis contre des mineurs pour lesquels le délai de prescription de l’action publique est allongé à vingt ans et le point de départ de ce délai reporté à la majorité de la victime, en application du troisième alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale. La liste des délits pour lesquels un allongement et un report du point de départ du délai de prescription de l’action publique sont prévus figure dans le commentaire de l’article 2 ci-après.

CRIMES COMMIS CONTRE DES MINEURS POUR LESQUELS LE DÉLAI DE PRESCRIPTION DE L’ACTION PUBLIQUE EST ALLONGÉ ET LE POINT DE DÉPART DE CE DÉLAI REPORTÉ À LA MAJORITÉ DE LA VICTIME (ARTICLE 7 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE, ALINÉA 3)

Article du code pénal

Intitulé de l’infraction

Peine de réclusion criminelle encourue

222-23

Viol sur mineur de quinze ans ou plus

15 ans

222-24 (2°)

Viol sur mineur de moins de quinze ans

20 ans

222-24 (1° et 3° à 12°)

Viol sur mineur de quinze ans ou plus commis avec une circonstance aggravante

20 ans

222-25

Viol ayant entraîné la mort de la victime

30 ans

222-26

Viol précédé, accompagné ou suivi de tortures ou d’actes de barbarie

Perpétuité

225-4-2 (II)

Traite des êtres humains à l’égard d’un mineur commise avec une circonstance aggravante

15 ans

225-4-3

Traite des êtres humains commise en bande organisée

20 ans

225-4-4

Traite des êtres humains en recourant à des tortures
ou à des actes de barbarie

Perpétuité

225-7-1

Proxénétisme à l’égard d’un mineur de moins de quinze ans

15 ans

222-10

Violences ayant entraîné une mutilation
ou une infirmité permanente commises :

- sur un mineur de moins de quinze ans (1°) ;

- sur un mineur de quinze ans ou plus avec une
circonstance aggravante (2° à 10°)

15 ans

Ainsi, l’action publique n’est prescrite, pour un viol commis à l’encontre d’un mineur, que lorsque celui-ci atteint l’âge de 38 ans.

En revanche, aucune règle particulière n’est prévue pour la prescription des crimes sexuels ou violents commis contre des personnes majeures. Pour un viol, par exemple, dès lors que la victime a dépassé l’âge de la majorité au jour des faits, le délai de prescription des crimes demeure fixé à dix ans et son point de départ court à partir du jour de la commission de l’infraction.

2.  Les modifications apportées aux règles de la prescription des crimes sexuels ou violents par la proposition de loi initiale

Dans son texte initial, la proposition de loi prévoyait, pour les crimes sexuels et violents – mais aussi pour certains délits de même nature (17) – que le point de départ du délai de prescription de l’action publique allait être désormais reporté au jour où les faits étaient apparus à la victime dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique (a). Lors des débats au Sénat, cette modification a fait l’objet de critiques de la part du rapporteur de la commission des Lois du Sénat, M. Philippe Kaltenbach, ainsi que du Gouvernement (b).

a.  Le report du point de départ de la prescription de l’action publique des crimes sexuels et violents au jour où l’infraction est apparue à la victime dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique

Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi déposée par Mmes Muguette Dini et Chantal Jouanno, MM. Michel Mercier et François Zocchetto et plusieurs de leurs collègues, ceux-ci soulignaient l’importance des séquelles traumatiques causées par les agressions sexuelles et l’existence fréquente de situations d’« amnésie traumatique », qui empêchent la victime de se souvenir des faits qu’elle a subis. Ils faisaient valoir que « [p]our porter plainte contre son agresseur, son violeur, la victime doit être physiquement et psychiquement en état de le faire » et que la proposition de loi avait pour but de « s’attacher à l’identité de la souffrance ressentie par la victime et de lui donner le temps nécessaire à la dénonciation des faits ». Pour ce faire, la proposition de loi prévoyait « d’établir un strict parallélisme entre le régime de prescription des viols et agressions sexuelles et le régime de prescription appliqué aux abus de biens sociaux et aux abus de confiance puisque ces infractions ont en commun un mécanisme similaire de dissimulation » (18).

En effet, depuis 1935, la chambre criminelle de la Cour de cassation a appliqué à un certain nombre d’infractions qu’elle considère comme occultes par nature la règle selon laquelle « le point départ de la prescription ne court qu’à partir du jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique ». Le premier délit auquel cette règle jurisprudentielle a été appliqué fut l’abus de confiance (19), avant que la règle ne soit étendue à l’atteinte à l’intimité de la vie privée, à la dissimulation ayant entraîné une atteinte à l’état civil d’un enfant, au détournement de fonds publics, à l’altération de preuves en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité ou encore à la tromperie (20).

Dans un second temps, la chambre criminelle de la Cour de cassation a appliqué la même solution à des infractions qui ne présentaient pas par elles-mêmes un caractère occulte, mais avaient été dissimulées. C’est en 1967 que la Cour de cassation a décidé, pour le délit d’abus de biens sociaux, que le point de départ devait « être fixé au jour où ce délit est apparu et a pu être constaté » (21), avant de préciser, en 1981, que c’était au jour où le délit était apparu et avait pu être constaté « dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique » – c’est-à-dire par les seules personnes habilitées à mettre cette action en mouvement, à savoir le ministère public et les victimes – que devait être reporté le point de départ de la prescription (22). Le report du point de départ de la prescription en cas de dissimulation de l’infraction est également appliqué par la Cour de cassation au délit de favoritisme (23) et aux délits de corruption et de trafic d’influence (24).

Comme le relève M. Bernard Challe, conseiller honoraire à la Cour de cassation, il serait, sans cette règle jurisprudentielle, quasiment impossible en pratique de poursuivre et juger les auteurs de délits tels que l’abus de biens sociaux ou la corruption : « En raison de la nature même du délit d’abus de biens sociaux, généralement occulte, un délai de prescription de trois ans à compter du jour de sa consommation n’aurait pas permis, dans la plupart des cas, d’exercer des poursuites contre son auteur qui aurait ainsi bénéficié d’une impunité inacceptable » (25).

Dans un arrêt très récent, rendu le 7 novembre 2014, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation vient, pour la première fois en matière criminelle, d’admettre qu’un « obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites » avait pour effet de suspendre le délai de prescription. Dans l’espèce en cause, qui concernait une femme ayant tué huit de ses enfants nouveau-nés, la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la chambre de l’instruction qui avait estimé qu’avaient constitué un obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites l’obésité de la victime qui avait empêché que ses grossesses soient décelées par ses proches, le fait que les accouchements aient eu lieu sans témoin, l’absence de déclaration des enfants à l’état civil et la dissimulation des corps (26). Cet arrêt est venu contredire une jurisprudence antérieure de la chambre criminelle qui, dans la même affaire, avait le 16 octobre 2013 cassé l’arrêt de la chambre de l’instruction qui avait considéré que le point de départ de la prescription de l’action publique devait être reporté au jour de la découverte des premiers corps en énonçant que « le secret entourant les naissances et les décès concomitants, qui a subsisté jusqu’à la découverte des corps des victimes, a constitué un obstacle insurmontable à l’exercice de l’action publique qu’appelaient les origines criminelles de la mort des huit nouveau-nés » (27).

En revanche, dans un arrêt en date du 18 décembre 2013, la chambre criminelle de la Cour de cassation a refusé que l’amnésie de la victime dans une affaire de viol puisse être une cause de suspension du délai de prescription de l’action publique. Dans cette affaire de viol de mineure dans laquelle la chambre de l’instruction avait retenu l’extinction de l’action publique par acquisition de la prescription, la chambre criminelle a écarté un moyen qui soutenait que le point de départ du délai de prescription devait être reporté en raison de « l’amnésie dont la plaignante indiquait avoir été atteinte du fait du traumatisme provoqué par les agressions sexuelles invoquées » (28).

Dans son texte initial, la proposition de loi prévoyait, dans ses articles 1er et 2, de substituer à la règle du report du point de départ du délai de prescription de l’action publique pour les crimes et délits sexuels ou violents commis contre des mineurs, prévue aux articles 7 et 8 du code de procédure pénale, une nouvelle règle. Applicable à ces mêmes crimes et délits sexuels ou violents commis contre des mineurs mais aussi aux viols commis contre des majeurs, énoncée par un nouvel article 8-1 du code de procédure pénale créé par l’article 3 de la proposition de loi, cette nouvelle règle était celle du report du point de départ du délai de prescription de l’action publique au jour « où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d’exercer l’action publique ».

Sans modifier la durée du délai de prescription pour les différentes catégories d’infractions concernées par cette nouvelle règle, le texte initial prévoyait le report du point de départ du délai de prescription au jour où les victimes frappées d’amnésie traumatique auraient recouvré la mémoire des faits qu’elles avaient subis. La victime d’un viol ayant enfoui les faits subis dans son inconscient aurait pu déposer plainte, si elle était mineure au moment des faits, pendant vingt ans à compter du jour où la mémoire des faits lui serait revenue, et si elle était majeure au moment des faits, pendant dix ans.

On relèvera que le champ d’application de cette nouvelle règle de report du point de départ du délai de prescription de l’action publique était plus large que la règle actuelle : alors qu’actuellement, le point de départ de la prescription n’est reporté que pour les victimes des infractions visées aux articles 7 et 8 du code de procédure pénale qui étaient mineures au moment des faits, la nouvelle règle prévue dans le nouvel article 8-1 du même code aurait également été applicable aux viols commis contre des personnes majeures.

b.  Les critiques adressées à la nouvelle règle de report du point de départ du délai de prescription de l’action publique prévue par le dispositif initial de la proposition de loi

La première critique adressée au dispositif initial de la proposition de loi tient au fait qu’elle constituerait, certes, un progrès pour les victimes atteintes par une amnésie traumatique qui seraient en mesure de l’établir, mais qu’elle emporterait une régression pour les victimes mineures au moment des faits qui n’auraient pas été frappées d’une telle amnésie ou qui ne seraient pas en mesure de la prouver. En effet, la règle actuelle du report du point de départ du délai de prescription pour les victimes mineures s’applique de plein droit, alors que le report prévu par la proposition de loi initiale aurait été subordonné à une appréciation par la juridiction saisie de l’existence d’une amnésie traumatique et de la durée des effets de celle-ci. Cette difficulté a été soulignée lors des débats en séance publique par Mme Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée de la Famille, des Personnes âgées et de l’Autonomie : « Le point de départ du délai de prescription ne serait plus systématiquement reporté pour certaines victimes mineures : celles qui sont proches de la majorité – âgées par exemple de seize ou dix-sept ans – et auxquelles l’infraction sera d’emblée apparue dans des conditions leur permettant d’exercer l’action publique. Cet effet secondaire de la proposition de loi, potentiellement pervers, constituerait un retour en arrière dans la protection par le législateur des mineurs victimes d’infractions sexuelles. » (29)

La deuxième critique adressée au dispositif initial de la proposition de loi tient au risque d’inconstitutionnalité. Pour le rapporteur de la commission des Lois du Sénat, M. Philippe Kaltenbach, le texte proposé porterait atteinte au principe de légalité des délits et des peines et au principe d’égalité devant la loi. Pour le Gouvernement, il violerait également les principes de nécessité et de proportionnalité des peines.

S’agissant, en premier lieu, du principe de légalité des délits et des peines, le rapporteur de la commission des Lois du Sénat a fait valoir qu’« en faisant dépendre le champ des poursuites de l’évolution du psychisme de la victime, qui relève nécessairement de facteurs personnels, intimes et complexes, le dispositif de la proposition de loi introduirait une incertitude sur le point de départ du délai de prescription », empêchant par conséquent de déterminer avec certitude et sans risque d’arbitraire du juge le moment où la prescription serait acquise (30). Le Gouvernement a, quant à lui, estimé qu’« on ne peut, à l’évidence, considérer comme claire et précise une disposition reportant le point de départ du délai de prescription des agressions sexuelles au "jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d’exercer l’action publique". De fait, le point de départ serait totalement indéterminé, puisqu’il résulterait de considérations subjectives déterminant la manière dont la victime perçoit son agression. » (31)

Le rapporteur de la commission des Lois du Sénat a également considéré que le texte proposé porterait atteinte au principe d’égalité devant la loi : « Si ce principe, qui découle de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ne fait pas obstacle à ce qu’une différenciation soit opérée par la loi pénale entre des agissements de nature différente, il commande en revanche au législateur de traiter les auteurs d’une même infraction dans des conditions similaires. Or, en faisant reposer le point de départ du délai de prescription sur l’évolution du psychisme de la victime, la proposition de loi aboutirait, dans certains cas limites, à une imprescriptibilité de facto des faits commis, tandis que dans d’autres, une conscientisation précoce par la victime des faits subis interdirait à la justice de poursuivre des faits identiques passé un délai de vingt ans. » (32)

Enfin, le Gouvernement a fait valoir que le texte de la proposition de loi serait contraire aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines : « Supposons (…) qu’une mineure abusée à l’âge de huit ans par son frère de douze ans ne se souvienne des faits qu’à l’âge de soixante ans, et qu’elle décide de déposer plainte, ce qu’elle peut faire dans un délai de dix ans à compter du moment où les faits lui ont été révélés, la proposition de loi permettrait que des poursuites soient engagées contre l’auteur présumé des faits près de soixante-dix ans après la commission de l’infraction alléguée. Outre les difficultés qui résulteraient d’une telle situation pour produire des preuves, des poursuites de ce genre paraissent manifestement disproportionnées et non nécessaires. » (33)

3.  Les modifications apportées aux règles de la prescription des crimes sexuels ou violents par la proposition de loi adoptée par le Sénat

En raison des difficultés soulevées par la proposition de loi dans son texte initial, à la fois en opportunité et sur le plan constitutionnel, la commission des Lois du Sénat a décidé de ne pas adopter de texte. La proposition de loi ayant été inscrite à l’ordre du jour du Sénat dans le cadre d’une journée d’initiative parlementaire par le groupe UDI-UC, la discussion a porté sur le texte déposé initialement sur le bureau du Sénat.

Toutefois, en conclusion de son rapport, M. Philippe Kaltenbach avait reconnu « la nécessité de mieux prendre en compte le traumatisme subi par les victimes, et en particulier les phénomènes d’amnésie traumatique dont certaines d’entre elles sont l’objet » et s’était interrogé sur la possibilité d’allonger le délai de prescription des crimes sexuels ou violents commis contre les mineurs : « Serait-il possible d’accroître encore ce délai, en le portant par exemple de 20 à 30 ans, afin de donner aux victimes du temps supplémentaire pour dénoncer les faits subis ? Une telle évolution présenterait une certaine cohérence avec le régime de prescription spécial applicable à certaines infractions en matière de terrorisme ou de trafic de stupéfiants notamment (…). Elle permettrait sans doute de répondre aux difficultés rencontrées par certaines victimes, en leur donnant la possibilité, en matière de viols et d’agressions sexuelles subis dans l’enfance, de porter plainte jusqu’à l’âge de 48 ans. » (34)

Lors de la discussion en séance publique, la commission des Lois a présenté des amendements réécrivant intégralement les articles 1er et 2 et supprimant l’article 3 de la proposition de loi, afin de substituer à la règle de report du point de départ de la prescription de l’action publique au jour où les faits sont apparus à la victime prévue dans la proposition de loi initiale un allongement du délai de prescription de l’action publique :

- de vingt à trente ans, pour les crimes sexuels ou violents mentionnés à l’article 7 du code de procédure pénale (35) ;

- à vingt ans pour les délits sexuels ou violents mentionnés à l’article 7 du même code pour lesquels ce délai est aujourd’hui fixé à dix ans ;

- à trente ans pour les délits sexuels ou violents mentionnés au même article 7 pour lesquels ce délai est aujourd’hui fixé à vingt ans (36).

Ces amendements de la commission des Lois du Sénat ont été approuvés par la première signataire de la proposition de loi, Mme Muguette Dini, et adoptés avec un avis de sagesse du Gouvernement (37).

En conséquence, la proposition de loi, dans le texte adopté par le Sénat, ne modifie plus la règle actuelle du report du point de départ du délai de prescription de l’action publique des crimes et délits sexuels ou violents commis contre des mineurs au jour de la majorité de la victime. Les personnes victimes des infractions mentionnées aux articles 7 et 8 du code de procédure pénale lorsqu’elles étaient mineures pourront désormais agir jusqu’à l’âge de 48 ans en cas de crime, contre 38 ans aujourd’hui, et jusqu’à l’âge de 38 ou 48 ans en cas de délit, selon la nature du délit commis, contre respectivement 28 ou 38 ans actuellement.

À la différence de la proposition de loi initiale, le texte adopté par le Sénat ne modifie pas les règles de prescription pour les victimes majeures de viol, pour lesquelles la prescription décennale sans report du point de départ continuera de s’appliquer.

*

* *

La Commission est saisie de l’amendement CL6 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. Par un arrêt rendu le 7 novembre 2014, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a admis qu’un « obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites » avait pour effet de suspendre le délai de prescription.

Cet amendement vise, d’une part, à inscrire dans la loi cette notion d’« obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites » et, d’autre part, à prévoir que « l’amnésie de la victime l’empêchant d’avoir conscience des faits qu’elle a subis » peut constituer un tel obstacle.

M. Jean-Frédéric Poisson. Nous nous demandions tout à l’heure si c’est bien à la Cour de cassation d’écrire la loi. Si le choix de reprendre ici sa formulation me semble pour le moins sujet à débat, il paraît en tout état de cause inutile de citer l’amnésie. Pourquoi évoquer un cas particulier alors que l’on vient d’introduire dans la loi une formulation générale ? Cette rédaction m’amène à être extrêmement réservé sur l’amendement.

La chambre sociale de la Cour de cassation a récemment décidé que les traiteurs ne pouvaient employer des extras que si l’emploi en question avait un caractère temporaire, et non plus si l’activité de l’entreprise nécessitait d’engager de la main-d’œuvre de façon exceptionnelle. Cette position a provoqué la faillite et le dépôt de bilan de plusieurs entreprises du secteur. Voilà ce qui arrive lorsque le Parlement ne dispose plus d’outils suffisamment souples pour préciser la législation, et lorsque l’envie vient à telle ou telle chambre de la Cour de cassation d’opérer un revirement de jurisprudence. À l’occasion de la réforme de notre Règlement, je propose en conséquence que soit réintroduit le formidable instrument de régulation que constituait le texte portant diverses dispositions d’ordre sanitaire et social, qui, tous les ans, en fin de session, permettait de procéder à des ajustements.

M. Gilbert Collard. Aujourd’hui, la Cour de cassation ne respecte plus du tout la séparation des pouvoirs. Elle joue quasiment un rôle de législateur, ce qui crée une incertitude très angoissante et peut même parfois avoir des effets rétroactifs en s’appliquant à des procédures en cours. En matière de presse, par exemple, vous pouvez apprendre après avoir engagé une procédure qu’elle n’est plus recevable du fait d’une nouvelle jurisprudence. Tout cela est inquiétant, et il serait temps que le Parlement réagisse pour rappeler à la Cour de cassation le principe de la séparation des pouvoirs.

En ce qui concerne l’amendement, j’estime qu’on ne peut pas à la fois faire référence à une notion générale, l’« obstacle insurmontable » – sous laquelle on rangera tout ce que l’on voudra, comme c’est le cas pour la notion d’ordre public, combattue et supprimée en matière criminelle pour la détention –, et au cas précis de l’amnésie. Il faut choisir : soit on s’en tient aux catégories générales – qui, on le sait, sont les ennemies de la sécurité juridique –, soit on définit précisément ce qu’est « l’obstacle insurmontable ».

Je ne peux adhérer à un amendement qui nous en dit si peu sur cette notion nouvelle dont nous ne connaissons pas le sens – celle de « cas de force majeure » est par exemple précisée par la jurisprudence. Si vous voulez introduire l’« obstacle insurmontable » dans la loi, définissez-le !

Mme Colette Capdevielle. Cet amendement s’inspire directement d’un arrêt rendu la semaine dernière par la Cour de cassation pour modifier l’article 7 du code de procédure pénale. Mais comparaison n’est pas raison : nous ne sommes pas dans la même affaire et les faits sont totalement différents.

Je rappelle que l’action publique n’est pas engagée par les victimes, mais par le ministère public. Les critiques relatives à la proposition de loi initiale s’appliquent en conséquence à l’amendement. En citant le cas de l’amnésie, il va très loin dans l’interprétation de l’arrêt de la Cour de cassation.

Nous voterons contre l’amendement.

M. Dominique Raimbourg. Il est en effet délicat de rapprocher l’« obstacle insurmontable » et l’amnésie. Dans l’arrêt de la Cour de cassation, la découverte du corps des nourrissons constitue le point de départ du délai de prescription. Comment faire le parallèle avec l’amnésie, qui reste un élément subjectif ? Elle peut être partielle ou totale et donner lieu à des expertises compliquées.

La Commission rejette l’amendement.

Elle adopte ensuite l’article 1ersans modification.

Article 2
(art. 8 du code de procédure pénale)

Allongement du délai de prescription de l’action publique pour
les délits sexuels ou violents commis contre des mineurs

L’article 1er de la proposition de loi a pour objet d’allonger le délai de prescription de l’action publique pour les délits sexuels ou violents commis contre des mineurs, en le portant de dix à vingt ans ou de vingt à trente ans selon la nature du délit commis.

En matière délictuelle, le délai de prescription de l’action publique est fixé à trois ans par l’article 8 du code de procédure pénale. Cependant, pour certaines catégories de délits, parmi lesquelles les délits sexuels ou violents commis contre les mineurs, le législateur a institué des règles dérogatoires. Ainsi, le deuxième alinéa de cet article 8 prévoit-il, que « [l]e délai de prescription de l’action publique des délits mentionnés à l’article 706-47 et commis contre des mineurs est de dix ans ; celui des délits prévus par les articles 222-12,222-29-1 et 227-26 du code pénal est de vingt ans » et que « ces délais ne commencent à courir qu’à partir de la majorité de la victime ».

Le tableau ci-après donne la liste des délits concernés par cet allongement du délai de prescription de l’action publique à dix ou vingt ans et par le report du point de départ de ce délai.

DÉLITS COMMIS CONTRE DES MINEURS POUR LESQUELS LE DÉLAI DE PRESCRIPTION DE L’ACTION PUBLIQUE EST ALLONGÉ ET LE POINT DE DÉPART DE CE DÉLAI REPORTÉ À LA MAJORITÉ DE LA VICTIME (ARTICLE 8 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE, ALINÉA 2)

Article du code pénal

Intitulé de l’infraction

Peine d’emprisonnement encourue

Délai de prescription de l’action publique

222-27

Agression sexuelle autre que le viol sur mineur de quinze ans ou plus

5 ans

10 ans

222-28
(1° à 8°)

Agression sexuelle autre que le viol sur mineur de quinze ans ou plus commise avec une circonstance aggravante

7 ans

222-29

Agression sexuelle autre que le viol sur mineur de quinze ans ou plus en situation de particulière vulnérabilité apparente ou connue de l’auteur des faits

7 ans

222-30

Agression sexuelle autre que le viol sur mineur de quinze ans ou plus en situation de particulière vulnérabilité apparente ou connue de l’auteur des faits, commise avec une autre circonstance aggravante

10 ans

225-4-1 (II)

Traite des êtres humains à l’égard d’un mineur

10 ans

225-7 (1°)

Proxénétisme à l’égard d’un mineur de quinze ans ou plus

10 ans

225-12-1

Recours à la prostitution de mineurs

3 ans

225-12-2

Recours à la prostitution de mineurs commis avec une circonstance aggravante

5 ans

227-22 (alinéa 1)

Fait de favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d’un mineur de quinze ans ou plus

5 ans

227-22 (alinéa 3)

Fait de favoriser ou de tenter de favoriser la corruption :

- d’un mineur de quinze ans ou plus, lorsque les faits sont commis en bande organisée ;

- d’un mineur de moins de quinze ans.

10 ans

227-22-1

Fait pour un majeur de faire des propositions sexuelles à un mineur de moins de quinze ans en utilisant un moyen de communication électronique

2 ans

227-23

Fait d’enregistrer des images pornographiques de mineurs

5 ans

227-24

Fabrication ou diffusion de messages à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, lorsque ces messages sont susceptibles d’être vus par des mineurs

3 ans

227-24-1

Provocation de mineur à se soumettre à une mutilation sexuelle, lorsque la mutilation n’a pas été réalisée

5 ans

227-25

Atteinte sexuelle sans violence, contrainte, menace ni surprise sur un mineur de moins de quinze ans

5 ans

227-27

Atteinte sexuelle sans violence, contrainte, menace ni surprise sur un mineur de quinze ans ou plus, commise par un ascendant ou une personne ayant autorité

3 ans

222-12
(1° à 15°)

Violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours commises :

- sur un mineur de moins de quinze ans (1°) ;

- sur un mineur de quinze ans ou plus avec une circonstance aggravante (2° à 15°)

5 ans

20 ans

222-12 (avant-dernier alinéa)

Violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours commises commise sur un mineur de moins de quinze ans par un ascendant ou par une personne ayant autorité

10 ans

222-29-1

Agression sexuelle autre que le viol sur mineur de moins de quinze ans

10 ans

227-26

Atteinte sexuelle sans violence, contrainte, menace ni surprise sur un mineur de moins de quinze ans, commise avec une circonstance aggravante

10 ans

L’article 2 de la proposition de loi, dans son texte initial, avait pour objet de supprimer la règle actuelle du report du point de départ du délai de prescription de l’action publique au jour de la majorité de la victime, pour lui substituer une nouvelle règle, prévue dans un nouvel article 8-1 du code de procédure pénale créé par l’article 3 de la proposition de loi, celle du report du point de départ du délai de prescription de l’action publique au jour où l’infraction est apparue à la victime dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique.

La commission des Lois du Sénat, qui avait critiqué la nouvelle règle prévue par la proposition tant pour des raisons d’opportunité que pour des motifs d’ordre constitutionnel (38), a présenté un amendement de réécriture globale de l’article 2 que le Sénat a adopté avec un avis de sagesse du Gouvernement. Dans le texte adopté par le Sénat, la durée du délai de prescription de l’action publique est portée à vingt ans, pour les délits pour lesquels il est aujourd’hui fixé à dix ans, et à trente ans, pour les délits pour lesquels il est de vingt ans.

Compte tenu du report du point de départ du délai de prescription de l’action publique au jour de la majorité de la victime, les délits sexuels ou violents commis contre des mineurs pourront désormais être dénoncés et poursuivis jusqu’à ce que la victime ait atteint l’âge de 38 ou 48 ans, selon la nature du délit, contre respectivement 28 ou 38 ans aujourd’hui.

*

* *

La Commission adopte l’article 2 sans modification.

Après l’article 2

La Commission examine l’amendement CL3 de M. Éric Ciotti.

M. Éric Ciotti. Cet amendement visait à modifier les conditions de prescription, mais, le président ayant proposé de confier une mission sur ce sujet à M. Fenech et à M. Tourret, je le retire. Je précise, s’il en était besoin, que j’approuve le dessein de la proposition de loi.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement CL4 de M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. Le délai de prescription de l’action publique est augmenté de dix années pour les agressions sexuelles commises sur des mineurs. Il passe donc de vingt à trente ans. Toutefois, pour les victimes majeures, il n’est que de dix ans en cas de viol, et de trois ans pour les autres infractions sexuelles, comme les attouchements. Pour une meilleure efficacité, l’écart entre les victimes mineures et les victimes majeures au moment du crime doit être comblé, d’autant que certains cas de viols de voisinage sont difficiles à traiter.

Mme la rapporteure. Je suis défavorable à l’amendement sur la forme comme sur le fond.

Sur la forme, il vise à modifier les délais de prescription pour le crime de viol et le délit d’agression sexuelle, mais il modifie l’article 7 du code de procédure pénal qui traite des crimes. Par ailleurs, il vise les délits mentionnés aux articles 222-22 et 222-27 du code pénal alors que ces articles concernent un crime et un délit.

Sur le fond, l’amendement propose que le même délai de prescription de vingt ans s’applique au crime de viol et au délit d’agression sexuelle, ce qui est sans doute contraire au principe de nécessité et de proportionnalité des peines.

La Commission rejette l’amendement.

Article 3 (supprimé)
Report du point de départ du délai de prescription de l’action publique
pour les crimes et les délits sexuels ou violents au jour où
l’infraction apparaît à la victime dans des conditions
permettant l’exercice de l’action publique

L’article 3 de la proposition, qui prévoyait que le point de départ du délai de prescription de l’action publique pour les crimes et les délits sexuels ou violents serait reporté au jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique, a été supprimé par le Sénat, sur l’initiative de la commission des Lois et avec un avis favorable du Gouvernement.

Aujourd’hui, les articles 7 et 8 du code de procédure pénale prévoient que, pour les crimes et délits sexuels ou violents dont ils fixent la liste (39), le point de départ du délai de prescription de l’action publique est reporté au jour de la majorité de la victime. L’article 3 de la proposition de loi prévoyait de substituer à ce report une nouvelle règle, applicable à ces mêmes crimes et délits sexuels ou violents commis contre des mineurs, mais aussi aux viols commis contre des majeurs, énoncée par un nouvel article 8-1 du code de procédure pénale : celle du report du point de départ du délai de prescription de l’action publique au jour « où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d’exercer l’action publique ».

La commission des Lois du Sénat, qui avait estimé que la nouvelle règle prévue par la proposition de loi posait des difficultés aussi bien sur le plan de son opportunité que sur le plan constitutionnel (40), a présenté un amendement de suppression de l’article 3, que le Sénat a adopté en suivant l’avis favorable du Gouvernement.

*

* *

La Commission maintient la suppression de cet article.

Article 4
Application de la loi dans les îles Wallis et Futuna,
en Polynésie Française et en Nouvelle-Calédonie

L’article 4 a pour objet de rendre les dispositions qui seront issues de l’adoption de la présente proposition de loi applicables dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie Française et en Nouvelle-Calédonie.

*

* *

La Commission adopte l’article 4 sans modification.

Après l’article 4

La Commission est saisie d’un amendement CL5 de M. Jacques Bompard.

M. Jacques Bompard. L’amendement vise à ce que nul ne puisse être naturalisé s’il a commis un des crimes mentionnés aux articles 222-22 et 222-27 du code pénal. En effet, obtenir la nationalité est un honneur et un engagement. Il y a des crimes contre l’honneur, l’agression sexuelle en est un, contre l’honneur de l’acteur et contre l’honneur de la victime qui est méprisée et déshumanisée. Refuser cet amendement, ce serait dire à ceux qui veulent obtenir la nationalité française que violer des Françaises est un droit ou une tolérance. (Vives protestations.) C’est cela que l’on doit absolument récuser. Je vous entends réagir et je constate que vous êtes plus soucieux de l’honneur des demandeurs que de celui des citoyens.

M. Patrick Mennucci. M. Bompard se croit à une réunion de la Ligue du Sud !

M. Jacques Bompard. C’est le bon sens ! Organisons un référendum pour savoir s’il faut accorder la nationalité aux violeurs de Françaises !

M. Patrick Mennucci. Vous devriez vous renseigner : les services du ministère de l’Intérieur examinent le casier judiciaire de ceux qui demandent la nationalité française, et vous êtes sûrement incapable de citer un seul exemple d’une personne qui aurait violé une femme, qu’elle soit française ou étrangère – car, une fois de plus, vous établissez une différence entre les personnes –, et qui aurait obtenu ensuite la nationalité française.

M. Jacques Bompard. Si mon amendement s’applique déjà, en quoi vous gêne-t-il ?

M. Patrick Mennucci. Vous racontez des balivernes ! Votre amendement est inutile : il suffit aujourd’hui d’excès de vitesse répétés pour se voir refuser la nationalité !

Mme Colette Capdevielle. Je rappelle que les victimes sont aussi bien des hommes que des femmes, et que la considération que nous devons leur porter n’a rien à voir avec leur nationalité.

La moindre condamnation pénale constituant aujourd’hui un obstacle à l’acquisition de la nationalité française, tout autre argument serait de nature à nous éloigner de la considération due aux victimes.

M. Gilbert Collard. Je ne partage pas l’opinion de l’auteur de l’amendement, mais notre collègue a le droit d’exprimer son opinion et je trouve scandaleux les hurlements qui ont salué son intervention. Vous pourriez être un peu démocrates ! Que cela vous plaise ou non, c’est du pareil au même ! Continuez de hurler si vous le voulez, cela vous va à merveille ! Vous hurlerez bientôt dans le désert : vous avez raison de vous y préparer.

J’estime toutefois que l’amendement n’est pas adapté à l’infraction. Aristide Briand a été poursuivi et condamné pour attentat à la pudeur et, si mes souvenirs sont exacts, pour viol. Gardons-nous de nous précipiter pour créer des infractions qui feraient perdre la nationalité ! Je pense que des infractions beaucoup plus graves sur le plan de l’atteinte à la nation devraient être prises en considération.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. Sur la forme, cet amendement est sans lien direct avec l’objet du texte, à savoir la poursuite pénale des infractions sexuelles. Sur le fond, les articles 21-23 et 21-27 du code civil excluent déjà la naturalisation de personnes condamnées à une peine égale ou supérieure à six mois d’emprisonnement. La question est donc déjà réglée.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Monsieur Collard, nous avons « hurlé » parce que M. Bompard a tenu un raisonnement inacceptable en indiquant que ceux qui ne voteraient pas son amendement seraient d’accord pour que les violeurs acquièrent la nationalité française. Un tel argument est totalement insupportable pour ceux qui n’ont pas l’intention, comme c’est mon cas, de voter l’amendement. On ne peut tout de même pas les considérer comme des complices de violeurs !

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte l’ensemble de la proposition de loi sans modification.

*

* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi, adoptée par le Sénat, modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles (n° 1986), dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

___

Dispositions en vigueur

___

Texte de la proposition de loi adoptée par le Sénat

___

Texte adopté par la Commission

___

 

Proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles

Proposition de loi modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles

Code de procédure pénale

Article 1er

Article 1er

Art. 7. – En matière de crime et sous réserve des dispositions de l'article 213-5 du code pénal, l'action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite.

   

S'il en a été effectué dans cet intervalle, elle ne se prescrit qu'après dix années révolues à compter du dernier acte. Il en est ainsi même à l'égard des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d'instruction ou de poursuite.

   

Le délai de prescription de l'action publique des crimes mentionnés à l'article 706-47 du présent code et le crime prévu par l'article 222-10 du code pénal, lorsqu'ils sont commis sur des mineurs, est de vingt ans et ne commence à courir qu'à partir de la majorité de ces derniers.

Au dernier alinéa de l’article 7 du code de procédure pénale, le mot : « vingt » est remplacé par le mot : « trente ».

(Sans modification)

 

Article 2

Article 2

Art. 8. – En matière de délit, la prescription de l'action publique est de trois années révolues ; elle s'accomplit selon les distinctions spécifiées à l'article précédent.

   

Le délai de prescription de l'action publique des délits mentionnés à l'article 706-47 et commis contre des mineurs est de dix ans ; celui des délits prévus par les articles 222-12, 222-29-1 et 227-26 du code pénal est de vingt ans ; ces délais ne commencent à courir qu'à partir de la majorité de la victime.

Au deuxième alinéa de l’article 8 du code de procédure pénale, le mot : « dix » est remplacé par le mot : « vingt » et le mot : « vingt » est remplacé par le mot : « trente ».

(Sans modification)

Le délai de prescription de l'action publique des délits mentionnés aux articles 223-15-2, 311-3, 311-4, 313-1, 313-2, 314-1, 314-2, 314-3, 314-6 et 321-1 du code pénal, commis à l'encontre d'une personne vulnérable du fait de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou de son état de grossesse, court à compter du jour où l'infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique.

   
 

Article 3

Article 3

 

(Supprimé)

Suppression maintenue

 

Article 4

Article 4

 

La présente loi est applicable dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie Française et en Nouvelle-Calédonie.

(Sans modification)

© Assemblée nationale

1 () Proposition de loi (n° 368, session ordinaire de 2013-2014).

2 () Exposé des motifs de la proposition de loi (n° 368, session ordinaire de 2013-2014), p. 5.

3 () Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, Grand angle, n° 30, juillet 2012, p. 78.

4 () Ministère de la Justice, Annuaire statistique de la justice, 2014.

5 () INSEE et ONDRP, Enquête « Cadre de vie et sécurité 2012 ».

6 () Rapport (n° 549, session ordinaire de 2013-2014) de M. Philippe Kaltenbach au nom de la commission des Lois du Sénat sur la proposition de loi (n°368, session ordinaire de 2013-2014) de Mmes Muguette Dini et Chantal Jouanno, MM. Michel Mercier et François Zocchetto et plusieurs de leurs collègues, modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles, p. 10.

7 () INSEE et ONDRP, op. cit.

8 () Rapport (n° 549, session ordinaire de 2013-2014) précité, p. 15.

9 () Ibid.

10 () Pour la liste complète des infractions concernées par ces règles dérogatoires en matière de prescription de l’action publique, voir infra, les commentaires des articles 1er et 2.

11 () Journal officiel Débats Sénat, séance du 28 mai 2014, p. 4384.

12 () Chargés, le 24 juillet 2013, d’une mission d’information sur la révision des condamnations pénales, MM. Alain Tourret et Georges Fenech avaient présenté les conclusions de leurs travaux devant la commission des Lois de l’Assemblée nationale le 4 décembre 2013 (rapport d’information n° 1598, XIVe législature). Le 24 janvier 2014, M. Alain Tourret déposait une proposition de loi (n° 1700, XIVe législature) relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive, inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale en première lecture le 27 février 2014 puis adoptée par le Sénat le 29 avril 2014, avant d’être adoptée conforme par l’Assemblée nationale en deuxième lecture le 11 juin 2014. Cette proposition de loi est devenue la loi n° 2014-640 du 20 juin 2014 relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive.

13 () Bernard Challe, Prescription de l’action publique, Jurisclasseur Code de procédure pénale, articles 7 à 9, § 1.

14 () Op. cit., § 2.

15 () Ibid.

16 () Ces lois sont :

- la loi n° 89-487 du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance, qui a prévu la réouverture du délai de prescription à la majorité de la victime mineure, lorsque le crime a été commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur elle ;

- la loi n° 95-116 du 4 février 1995 portant diverses dispositions d’ordre social, qui a étendu cette solution aux délits ;

- la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, qui a prévu le report du point de départ de la prescription à la majorité de la victime pour tous les crimes commis contre les mineurs, quel qu’en soit l’auteur, et pour certains délits limitativement énumérés (violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, violences ayant entraîné une incapacité temporaire de travail inférieure, égale ou supérieure à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité temporaire de travail, violences habituelles ayant entraîné ou n’ayant pas entraîné d’incapacité temporaire de travail, administration de substances nuisibles, proxénétisme, corruption de mineurs, atteintes sexuelles) ;

- la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, qui a ajouté à cette liste la traite des êtres humains et la soumission à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité ;

- la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, qui a réduit le champ d’application du report du point de départ de la prescription aux crimes et délits visés par l’article 706-47 du code de procédure pénale ;

- la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, qui a ajouté les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente avec circonstances aggravantes à la liste des infractions pour lesquelles le point de départ est reporté.

17 () Voir infra, les commentaires des articles 2 et 3.

18 () Proposition de loi (n° 368, session ordinaire de 2013-2014) de Mmes Muguette Dini et Chantal Jouanno, MM. Michel Mercier et François Zocchetto et plusieurs de leurs collègues, modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles, p. 3.

19 () Cass. crim., 4 janvier 1935, Gazette du Palais, 1935, jurisprudence p. 353.

20 () Voir Bernard Challe, op. cit., § 40 à 51.

21 () Cass. Crim., 7 décembre 1967, Bull. crim. 1967, n° 321.

22 () Cass. Crim., 10 août 1981, Bull. crim. 1981, n° 244.

23 () Cass. crim., 27 oct. 1999, Bull. crim. 1999, n° 238.

24 () Cass. crim., 19 mars 2008, Bull. crim. 2008, n° 71.

25 () Bernard Challe, op. cit., § 54.

26 () Cass. Assemblée plénière, 7 novembre 2014, arrêt n° 613, pourvoi n° 14-83.739.

27 () Cass. Crim, 16 octobre 2013, Bull. crim. 2013, n° 192.

28 () Cass. crim., 18 décembre 2013, pourvoi n° 13-81129.

29 () Journal officiel Débats Sénat, séance du 28 mai 2014, p. 4374.

30 () Rapport (n° 549, session ordinaire de 2013-2014) de M. Philippe Kaltenbach au nom de la commission des Lois du Sénat sur la proposition de loi (n°368, session ordinaire de 2013-2014) de Mmes Muguette Dini et Chantal Jouanno, MM. Michel Mercier et François Zocchetto et plusieurs de leurs collègues, modifiant le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles, p. 18.

31 () Journal officiel Débats Sénat, séance du 28 mai 2014, p. 4374.

32 () Rapport (n° 549, session ordinaire de 2013-2014) précité, p. 19.

33 () Journal officiel Débats Sénat, séance du 28 mai 2014, p. 4374.

34 () Rapport (n° 549, session ordinaire de 2013-2014) précité, pp. 19 et 21.

35 () Pour la liste des crimes concernés, voir supra, le tableau du 1 du présent commentaire.

36 () Pour la liste des délits concernés, voir infra, le tableau du commentaire de l’article 2.

37 () Journal officiel Débats Sénat, séance du 28 mai 2014, p. 4384.

38 () Voir supra, le b du 2 du commentaire de l’article 1er.

39 () Voir supra, la liste des crimes et délits concernés dans les tableaux figurant dans les commentaires des articles 1er et 2.

40 () Voir supra, le b du 2 du commentaire de l’article 1er.