N° 2589 - Rapport de Mme Chantal Guittet sur le projet de loi , après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de la convention n°188 de l'Organisation internationale du travail relative au travail dans la pêche (n°1888)




N
° 2589

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 18 février 2015

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI autorisant la ratification de la convention n°188 de l’Organisation internationale du travail relative au travail dans la pêche,

PAR MME. CHANTAL GUITTET

Députée

——

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir le numéro :

Assemblée nationale : 1888.

SOMMAIRE

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Pages

I. LE TRAVAIL DANS LA PÊCHE, ENJEUX D’UNE MEILLEURE REGULATION MONDIALE 7

A. LE SECTEUR DE LA PÊCHE EN FRANCE ET DANS LE MONDE 7

1. Les grandes masses de la pêche mondiale 7

2. Un secteur essentiel pour la France 7

B. LE TRAVAIL DANS LA PÊCHE : UNE RÉGULATION INDISPENSABLE MAIS DÉLICATE 8

1. Assurer un niveau minimum de protection à des métiers très exposés 8

2. Disposer de règles communes dans un secteur mondialisé 9

II. LA CONVENTION N°188, UN VÉRITABLE CODE MONDIAL DU TRAVAIL DANS LA PÊCHE 11

A. VERS UNE APPROCHE GLOBALE ET SPÉCIFIQUE DU TRAVAIL DANS LA PÊCHE 11

1. D’une approche non spécifique et fragmentaire… 11

2. …Vers un ensemble cohérent de normes encadrant le travail dans la pêche 11

B. LA CONVENTION N°188, UN PROGRÈS SIGNIFICATIF POUR LA PROTECTION MONDIALE DES PÊCHEURS 13

1. La prise en compte des pêcheurs dans leur diversité 13

2. Un socle complet de garanties minimales pour le travail à bord 14

3. La mise en œuvre d’un dispositif de contrôle éprouvé 16

III. LES ENJEUX DE LA MISE EN œUVRE DE LA CONVENTION EN FRANCE ET DANS L’UNION EUROPÉENNE 19

A. DES ENJEUX LIMITÉS EN FRANCE 19

1. Un niveau de protection national dans l’ensemble conforme 19

2. Le principal enjeu : la prise en compte de la main d’œuvre non résidente 20

3. Quelques ajustements nécessaires à la marge 21

B. LA PRISE EN COMPTE DES PÊCHEURS À LA PART, UN ENJEU PRIMORDIAL AU SEIN DE L’UNION EUROPÉENNE 23

1. Les pêcheurs à la part, indépendants ou salariés ? 23

2. Une indispensable harmonisation sociale en Europe 23

CONCLUSION 25

EXAMEN EN COMMISSION 27

ANNEXE 1 : AUDITIONS 31

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ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 33

INTRODUCTION

Le présent projet de loi vise à autoriser la ratification de la convention n°188 de l’Organisation internationale du travail (OIT), adoptée par la Conférence internationale du travail le 14 juin 2007.

En apparence modeste, cette convention représente une avancée non négligeable des normes internationales du travail en faveur de la protection des pêcheurs, qui comptent parmi les professions les plus exposées au monde. Elle est le fruit d’un effort sans précédent pour créer un socle complet de normes de protections minimales applicables à tous les pêcheurs. Ce socle de garanties est assorti d’un mécanisme de contrôle qui en accroît considérablement la portée. En vertu des principes affirmés par la convention de « contrôle de l’État du port » et de « traitement pas plus favorable », tout État partie à la convention se verra reconnaître le droit de contrôler tout navire faisant escale dans ses ports, quel que soit le pavillon arboré.

Cette convention permettra ainsi de rendre plus juste et « humaine » la concurrence internationale dans un secteur où la mondialisation est très avancée. La France y a un intérêt particulier. La pêche est un secteur important pour notre pays, qui dispose d’un littoral de 5.500 km et de la deuxième zone économique exclusive au monde. Notre législation nationale est déjà conforme aux exigences de la convention, pour l’essentiel. Mais tel n’est pas le cas de nombreux pays avec lesquels nous nous trouvons en concurrence, y compris au sein de l’Union européenne.

En 2012, le secteur primaire de la production de poisson employait 54,8 millions de personnes dans le monde. L’Asie est, de loin, le premier continent sur ce secteur dont elle fournit 83 % de la main d’œuvre, contre 10 % pour l’Afrique, 4,5 % pour l’Amérique latine et les Caraïbes et 1,4 % pour l’Europe. On estime à 4,36 millions le nombre de navires de pêche dans le monde, dont 74 % opèrent en mer. L’Asie représente la première flotte de pêche avec 73 % des navires, suivie par l’Afrique (11 %), l’Amérique latine (8 %) et l’Europe (3 %).

Les chiffres du commerce international de la pêche, qui avaient chuté de 6 % lors de la crise économique et financière mondiale, sont repartis à la hausse, en valeur comme en volume, depuis 2010. Cette hausse s’explique par la hausse conjointe de la demande et celle des prix du poisson dans les pays en développement. En 2011, la pêche a fourni 90,4 millions de tonnes de poisson. Le volume des pêches en eaux intérieures s’accroît : 11,5 millions de tonnes en 2012. Chaque année en moyenne sont consommés 14,4 kg de poissons sauvages issus de la pêche et 7,4 kg de poissons issus de la pisciculture par être humain (1).

Les secteurs des pêches maritimes et de l’aquaculture sont essentiels pour notre pays, doté d’un littoral de 5500 km et de la deuxième zone économique exclusive (ZEE) au monde, avec 11,1 millions de km².

La pêche française se classe au quatrième rang européen, avec 10 % des captures, pour un chiffre d’affaires de 1,1 milliards d’euros en 2010. Le secteur représente environ 93 000 emplois directs et induits, dont 17 822 marins employés dans la pêche maritime en 2013.

La petite pêche est prépondérante : elle regroupe 58 % des effectifs, contre 19 % pour la pêche au large, 16 % pour la pêche côtière et 6 % pour la grande pêche (2). On recensait 7168 navires actifs en 2013, dont 4536 immatriculés en métropole et 2622 dans les départements d’outre-mer. Parmi eux, on compte 6186 navires de petite pêche côtière (moins de 12 mètres), 866 navires de pêche artisanale et hauturière (12 à 25 mètres) et 106 navires de pêche industrielle et semi-industrielle (plus de 25 mètres). La petite pêche est très majoritaire dans la Méditerranée et outre-mer.

La Bretagne est le principal bassin d’emploi des marins pêcheurs, avec 28 % des effectifs, contre 20 % pour le reste de la façade atlantique, 17 % pour le Nord et la Normandie, 13 % pour la zone méditerranéenne et 16 % pour les départements d’outre-mer. 82 % des pêches sont effectués dans l’Atlantique nord-est, 7,7% dans l’ouest de l’océan Indien, 7,6 % à l’ouest des côtes africaines et 3 % en Méditerranée.

Le métier de pêcheur est un métier dangereux et soumis à de nombreux aléas. En dépit de ces caractéristiques intrinsèques, il est traditionnellement moins bien protégé par les règlementations nationales et internationales. Cela tient à l’extrême hétérogénéité de ce secteur et à sa spécificité.

Il est aujourd’hui urgent d’améliorer la régulation internationale du travail dans le secteur de la pêche pour répondre à un double impératif : celui d’assurer un niveau de protection minimum à des métiers très exposés (1) ; et celui de disposer de règles communes, seules garantes d’une concurrence juste dans un secteur mondialisé (2).

En règle générale, les conditions de travail dans le secteur de la pêche sont difficiles. La pêche suppose de longues heures de travail dans un milieu marin par nature éprouvant. Le trajet à destination des zones de pêche peut être périlleux. Les pêcheurs peuvent en outre être amenés à utiliser des équipements dangereux pour prendre, trier ou stocker le poisson. En cas d’accident ou de maladie survenant en mer, il arrive que le pêcheur soit loin d’un centre médical professionnel, et la qualité des services d’évacuation médicale varie considérablement d’un pays à l’autre.

Les taux d’accidents du travail et le nombre de décès dans ce secteur sont largement supérieurs à la moyenne nationale dans la plupart des pays. En 1999, le Bureau international du travail (BIT) estimait le taux mondial de mortalité dans la pêche à 80 pour 100 000 travailleurs. Des estimations récentes laissent penser que ce taux n’a pas diminué depuis (3).

En outre, les mutations du secteur de la pêche modifient les conditions de travail des pêcheurs. Le progrès technologique permet aux navires d’opérer plus loin des côtes et de rester plus longtemps en mer. La qualité des conditions de travail et de vie à bord des navires (logement, nourriture, temps de repos) revêt alors une importance plus grande. La réduction tendancielle de la taille des équipages s’accompagne de nouvelles exigences en matière de qualifications professionnelles.

Pour toutes ces raisons, il est indispensable que les pêcheurs bénéficient du même cadre de protection minimum. C’est une condition indispensable pour rendre plus loyale la concurrence entre les États dans le domaine de la pêche.

On assiste à une mondialisation croissante de la chaîne de valeur des pêcheries, qui se double d’une mondialisation de la main d’œuvre, notamment par le recours aux travailleurs migrants. La France ne fait pas exception : sur les 17 822 marins qui y sont employés fin 2013, 585 ne sont pas originaires de l’Union européenne.

Dans ce contexte, la disparité des conditions de vie et de travail à bord des navires, ainsi que celle des normes de sécurité et de contrôle, engendre une concurrence déloyale entre les États et favorise les pratiques de « dumping social ». Une harmonisation minimale des normes de protection et des contrôles à l’échelle mondiale, permettant de rejeter dans la marginalité les navires hors normes, s’avère donc indispensable.

La mise en œuvre d’une telle harmonisation n’en est pas moins délicate, tant les situations de pêcheurs sont variées selon le pays d’origine ou le type de pêche pratiqué. Le secteur se caractérise en effet par une très forte hétérogénéité, des pêches artisanales et extensives sur des embarcations de fortune aux pêches industrielles en eaux profondes. On retrouve la même hétérogénéité s’agissant des modes de rémunération des pêcheurs – à la part, fixe, ou un mix des deux – et des statuts qui leur sont appliqués – indépendants ou salariés (cf supra).

Le défi est ainsi de parvenir à mettre en place des normes de protection qui soient applicables dans tous les pays, à tous les types de pêche.

La pêche figure depuis longtemps à l’agenda des travaux du Bureau international du travail. Il a cependant rarement fait l’objet d’une réglementation spécifique, ce qui a été un frein à l’application effective des normes de protection dans ce secteur. La convention n°188 innove en proposant un véritable code du travail international dans la pêche.

Les problématiques associées au monde maritime figurent en bonne place à l’agenda du BIT depuis sa création, en 1919. Au cours du 20ème siècle, 70 conventions et recommandations ont ainsi été adoptées pour définir des normes minimales pour le travail maritime. Toutefois, la plupart de ces textes concernaient au premier chef la marine marchande. Ils prévoyaient souvent des mécanismes d’extension aux pêcheurs, mais ce n’était qu’une possibilité, lorsque les États le jugeaient possible ou souhaitable. Dans la plupart des cas, la France a fait application de ces clauses d’extension. Il demeure que cette extension n’était que facultative, et que les normes prévues pour le travail maritime s’avéraient parfois inadaptées aux particularités de la pêche.

Au total, l’OIT n’a adopté que cinq conventions et deux recommandations spécifiques à la pêche : la recommandation n°7 sur la durée de travail des pêcheurs (1920), la convention n°112 sur l’âge minimum des pêcheurs (1959), la convention n°113 sur l’examen médical des pêcheurs (1959), la convention n°114 sur le contrat d’engagement des pêcheurs (1959), la convention n°125 sur les brevets de capacité des pêcheurs (1966), la convention n°126 sur le logement à bord des bateaux de pêche (1966) et la recommandation n°126 sur la formation professionnelle des pêcheurs (1966).

La convention n°188 forme un tout cohérent avec deux autres conventions internationales affectant les conditions de travail dans le secteur de la pêche, la convention STCW-F et la convention internationale de Torremolinos.

• La convention n°188, un code mondial du travail dans la pêche

À la fin du 20ème siècle, l’OIT s’est alertée de la dégradation des conditions de travail des gens de mer dans la navigation maritime internationale. Dans le cadre d’une nouvelle « approche intégrée » des normes internationales du travail, l’OIT a lancé des travaux visant à établir un code du travail international pour la marine marchande, qui a pu être adopté en 2006. La convention du travail maritime a été ratifiée par la France le 28 février 2013, et est entrée en vigueur dans notre pays un an plus tard.

Une démarche identique a été entreprise, en parallèle, à partir de 2002, pour le travail dans la pêche. L’OIT prenait alors le parti d’une approche spécifique de ce secteur. Il avait été décidé que la convention du travail maritime de 2006 ne comporterait, cette fois-ci, pas de clause d’extension aux pêcheurs qui disposeraient de leur propre code.

Il s’agissait non seulement de codifier des normes existantes, en réalité peu nombreuses s’agissant spécifiquement de la pêche, mais aussi d’élargir et de compléter l’éventail des normes applicables aux pêcheurs, de façon à couvrir l’ensemble des problématiques relatives aux conditions de travail, d’emploi et de vie à bord des navires de pêche. Par ailleurs, le nouveau texte devait prévoir un mécanisme de contrôle calqué sur celui en vigueur dans la navigation maritime, qui permettrait ainsi d’en garantir une application effective.

La convention sur le travail dans la pêche a été adoptée par la Conférence internationale du travail le 14 juin 2007 à une très large majorité. Elle se substitue à cinq des sept instruments préexistants de l’OIT dans ce secteur. La convention n°125 (brevets de capacité) et la recommandation n°126 (formation professionnelle) ne sont pas reprises, car elles relèvent du champ de la convention STCW-F (cf supra) de l’Organisation maritime internationale (OMI), en cours de ratification. La convention n°188 est complétée par la recommandation n°199 qui donne des orientations sur la façon dont les stipulations de la convention peuvent être mises en œuvre.

• La convention STCW-F

La convention internationale de l’Organisation maritime internationale (OMI) sur les normes de formation du personnel des navires de pêche, de délivrance des brevets et de veille, dite STCW-F, adoptée en 1995, répond à un réel besoin. En effet, il n’existe à l’heure actuelle aucune norme internationale en la matière, alors que l’on estime que, pour 80% des accidents répertoriés dans le secteur, l’élément humain est en cause. En outre, cette convention permettrait aussi de réduire la concurrence jugée souvent déloyale avec des pavillons très peu exigeants en matière de normes de formation du personnel. Par une décision du 3 décembre dernier, l’Union européenne a autorisé les États membres à ratifier cette convention dont certaines stipulations relèvent de sa compétence exclusive. Le processus de ratification, lancé fin 2013 en France, va ainsi pouvoir se poursuivre.

• La convention internationale de Torremolinos

La convention internationale de Torremolinos adoptée en 1977 contient des prescriptions de sécurité pour la construction et l’équipement des navires de pêche industrielle. Elle n’a toutefois jamais pu entrer en vigueur, de nombreux États la jugeant inadaptée à leur flotte de pêche, pas plus que le protocole de 1993, censé en faciliter l’application. L’accord du Cap, adopté en 2012, vise une nouvelle fois à surmonter ces difficultés. Entretemps, l’Union européenne, dont c’est une compétence exclusive, a institué un régime harmonisé pour la sécurité des navires de pêche de plus de 24 mètres fondé sur la convention de Torremolinos, en prévoyant des adaptations régionales et locales. L’entrée en vigueur de l’accord du Cap, dont le processus de ratification devrait être prochainement entamé en France, n’imposera donc pas de contrainte plus stricte à notre pays. En revanche, elle permettra de faire disparaître une distorsion de concurrence pour les armateurs européens, en posant des exigences mondiales de sécurité sur les navires de pêche industrielle.

La convention n°188 de l’OIT sur le travail dans la pêche a été adoptée à une large majorité le 14 juin 2007. Elle doit, pour entrer en vigueur, être ratifiée par dix États dont huit côtiers. Pour l’heure, seuls cinq États, tous côtiers, l’ont ratifiée : Bosnie-Herzégovine, Argentine, Maroc, Afrique du Sud et République démocratique du Congo. La France devrait ainsi compter parmi les dix premiers États à ratifier cette convention.

La convention n°188 comprend neuf titres : définition et champ d’application ; principes généraux ; conditions minimales requises pour le travail à bord des navires ; conditions de service ; logement et alimentation ; soins médicaux, protection de la santé et sécurité sociale ; respect et application ; amendements de annexes (sur l’équivalence pour le mesurage, l’accord d’engagement du pêcheur et le logement à bord des navires) ; dispositions finales.

Les principaux apports de la convention sont les suivants :

– La prise en compte de l’ensemble des pêcheurs, avec des degrés d’exigences variables et des possibilités d’adaptation en fonction des situations ;

– Des garanties minimales renforcées et couvrant l’ensemble des sujets relatifs aux conditions de travail et de vie des pêcheurs ;

– La mise en œuvre d’un dispositif de contrôle éprouvé, fondé sur un système de certification des navires et le principe du contrôle de l’État du port.

L’article 2 de la convention précise que celle-ci a vocation à s’appliquer « à tous les pêcheurs et à tous les navires de pêche engagés dans la pêche commerciale », quels que soient la taille des navires, les types de pêche pratiqués, les modes de rémunération ou le statut des pêcheurs, indépendants ou salariés. La convention définit les pêcheurs comme l’ensemble des personnes employées à quelque titre que ce soit à bord d’un navire de pêche, « à l’exception des pilotes, des équipages de la flotte de guerre, des autres personnes au service permanent du Gouvernement, des personnes basées à terre pour effectuer des travaux à bord d’un navire de pêche et des observateurs des pêches » (article 1er). Ce champ d’application extrêmement large inclut aussi les opérations de pêche dans les cours d’eaux, les lacs et les canaux (article 1er).

Si le champ d’application de la convention est large, les modalités d’application sont envisagées avec souplesse, pour tenir compte de la diversité des situations.

Ainsi, les États conservent la possibilité d’exclure de l’application de la convention ou de certaines de ses dispositions la pêche en eaux intérieures ou certaines autres catégories limitées de pêcheurs ou de navires (article 3, 1.). En France, la pêche en eaux intérieures ne concerne que très peu de pêcheurs, tous indépendants, à bord de leurs bateaux pour des durées très courtes et à proximité du rivage. Pour cette raison, notre pays fera application de la disposition précitée. D’après l’étude d’impact, « les conditions de l’activité des pêcheurs concernés feront l’objet d’un examen (…) afin de déterminer quelles prescriptions de la convention pourraient éventuellement les concerner », conformément aux garanties requises au 2. de l’article 3.

Par ailleurs, des obligations plus contraignantes sont prévues pour les navires d’une longueur supérieure à vingt-quatre mètres, lesquelles peuvent éventuellement être étendues à des navires plus petits (article 2).

Enfin, lorsque leur application suscite des difficultés particulières, les États ont la possibilité de mettre en œuvre progressivement certaines dispositions de la convention, ce dont ils doivent rendre compte (article 4).

Le patron de pêche, qui commande le navire, est en première ligne pour assurer la mise en œuvre des obligations fixées par la convention. L’article 8 le rend d’ailleurs responsable de la sécurité des pêcheurs à bord et du fonctionnement sûr du navire.

Cependant, la convention pose le principe – plus protecteur – de la responsabilité générale de l’armateur, défini comme le propriétaire du navire ou la personne auquel le propriétaire a confié la responsabilité de son exploitation (article 1er), y compris lorsque les personnes travaillant à bord ne sont pas ses salariés directs. À ce titre, l’armateur doit veiller à ce que le patron dispose des ressources et moyens nécessaires pour s’acquitter de ses obligations au titre de la convention (article 8). Il ne doit pas entraver la liberté du patron de prendre toute décision nécessaire pour la sécurité du navire ou des pêcheurs travaillant à son bord.

• Les conditions minimales pour le travail à bord

L’article 9 fixe un âge minimum de 16 ans tout en maintenant une possibilité d’emploi des jeunes de 15 ans lorsqu’ils ne sont plus soumis à l’obligation scolaire et suivent une formation en matière de pêche, ainsi que pour des travaux légers pendant les vacances scolaires.

Il est prévu que les pêcheurs doivent disposer d’un certificat médical valide pour travailler à bord des navires de pêches. Des possibilités de dérogation sont prévues sous certaines conditions restrictives (article 10).

• La composition des équipages

Les navires doivent être dotés d’« effectifs suffisants en nombre et en qualité pour assurer la sécurité de la navigation » (article 13). Tout navire doit avoir à son bord une liste d’équipage dont un exemplaire est fourni aux autorités à terre, au plus tard « immédiatement après le départ » (article 15). Chaque pêcheur doit être protégé par un accord d’engagement, dont il aura pu examiner les clauses avant de le conclure (article 17).

• L’instauration de normes de repos

L’article 13 impose des « périodes de repos régulières d’une durée suffisante » pour préserver la sécurité et la santé des pêcheurs. La convention retient le principe de la limitation des temps de repos minimum (article 14), ce qui correspond au choix fait par la France pour l’application de la directive 2003/88 de l’Union européenne (4), laquelle laissait le choix entre la réglementation des durées maximales de travail ou des durées minimales de repos. Il est ainsi prévu que les navires de pêche passant plus de trois jours en mer doivent garantir aux pêcheurs des périodes de repos minimales de 10 heures par période de 24 heures et 77 heures par période de 7 jours. Des dérogations temporaires sont possibles, sous condition de repos compensatoires, de même que l’établissement de mesures équivalentes à ces durées minimum.

• L’obligation de rapatriement

L’article 21 impose aux États de veiller au rapatriement des pêcheurs dans les situations énumérées. Cette obligation jusqu’alors applicable aux marins de la marine marchande en vertu de la convention n°166 de l’OIT pouvait être étendue aux pêcheurs. Elle est à présent expressément prévue pour eux-aussi.

• Les conditions de recours aux services de placement et aux agences d’emploi privées

L’article 22 reprend les dispositions de la convention n°179 de l’OIT sur le recrutement et le placement des gens de mer, dont l’application pouvait être étendue aux pêcheurs.

• Le paiement mensuel des pêcheurs

L’article 23 pose le principe du paiement mensuel des pêcheurs, qui n’est pas synonyme de mensualisation. Il s’agit simplement de garantir aux pêcheurs une rémunération à intervalles réguliers. Il est possible, par dérogation, de prévoir des intervalles d’une durée différente.

• Le logement et l’alimentation

La convention impose aux États de prévoir des logements suffisants en taille et en qualité (article 26), conformément aux conditions prévues en annexe, et une alimentation adaptée en qualité et en quantité (article 27).

• La protection globale de la santé des pêcheurs

La convention appréhende globalement la protection de la santé des pêcheurs, c’est là une avancée significative. Il revient aux États membres d’adopter une législation garantissant la fourniture de soins médicaux aux pêcheurs (article 29), ces obligations étant renforcées pour les navires de plus de vingt-quatre mètres (article 30). Ils doivent en outre adopter une législation en matière de prévention et d’évaluation des risques (article 31), également renforcée pour les navires de plus de vingt-quatre mètres (article 32). Enfin, la convention pose l’obligation, à terme, d’une couverture sociale pour tous les pêcheurs, sans considération de nationalité (articles 34 à 37), les États parties s’engageant à prendre toutes les mesures nécessaires à cette fin.

Ce dispositif de contrôle, prévu aux articles 40 à 44 de la convention, est similaire à celui en vigueur dans la navigation maritime. Il représente, avec l’introduction du contrôle de l’État du port, une avancée substantielle pour la protection des conditions de travail des pêcheurs et la lutte contre les navires « sous normes ».

• Les responsabilités de l’État du pavillon

Il revient aux États d’exercer effectivement leur juridiction et leur contrôle sur les navires battant leur pavillon, en conduisant des inspections, en prévoyant des sanctions et une procédure de règlement des plaintes (article 40). En France, cette responsabilité est mise en œuvre par les Centres de sécurité des navires (CSN), pour les questions de sécurité, et par l’inspection du travail pour les autres aspects. Le service de santé des gens de mer dispose également de compétences en matière de contrôle des dotations médicales, de l’habitabilité, de l’hygiène à bord et des conditions de travail.

L’article 41 impose aux États du pavillon de mettre en œuvre une procédure de certification pour les navires passant plus de trois jours en mer qui font plus de vingt-quatre mètres de long ou naviguent loin des côtes de l’État du pavillon. Le document délivré devra comporter la mention des inspections effectuées, de façon à certifier la conformité des navires aux dispositions de la convention. La procédure prévue est plus simple que celle prescrite pour la certification des navires de la marine marchande. Selon l’étude d’impact, en l’absence de certificats, « les navires encourront le risque de contrôles approfondis et systématiques dans les ports étrangers, avec des conséquences financières potentielles non négligeables pour les armements (pénalités, immobilisation prolongée du navire, perte de valeur de la cargaison) ».

• Le contrôle de l’État du port

S’il incombe à l’État du pavillon d’assurer le respect des normes de la convention par ses navires, l’article 43 prévoit que tout État partie à la convention peut assurer un contrôle de la conformité à la convention des conditions de travail et de vie à bord des navires qui font escale dans ses ports, quel que soit leur pavillon.

S’il dispose d’éléments pertinents en ce sens – plainte ou autres éléments tendant à prouver une violation – l’État du port peut prendre toutes les mesures nécessaires pour redresser une situation qui représente un danger à la santé ou à la sécurité, en tenant l’État du pavillon informé. Pour mettre en œuvre cette responsabilité, les États doivent se donner les moyens de traiter les plaintes émises par « toute personne ayant un intérêt à la sécurité » des navires faisant escale dans leurs ports.

Enfin, l’article 44 énonce le principe du « traitement pas plus favorable », en vertu duquel les navires de pêche battant le pavillon d’un État n’ayant pas ratifié la convention doivent être soumis au même régime que les autres dans le cadre du contrôle de l’État du port.

Les pêcheurs relèvent en France d’une législation sociale unifiée dans le cadre de la profession réglementée de « marin ». Les marins font partie des « gens de mer », terme qui désigne l’ensemble des personnes travaillant à bord d’un navire. Le droit social relatif aux gens de mer fait l’objet d’une entreprise considérable de modernisation en France, matérialisée par la création, au sein du code des transports, du livre V Les gens de mer.

D’une manière générale, sauf en ce qui concerne des dispositions spécifiques, le droit des gens de mer s’applique aux pêcheurs. Ainsi, par le passé, la France a étendu aux pêcheurs la plupart des dispositions des conventions de l’OIT concernant la marine marchande, lorsque cette possibilité était prévue. Par exemple, notre pays avait déjà étendu aux pêcheurs l’application de la convention n°166 de l’OIT sur le rapatriement, la convention n°179 sur le recrutement et le placement des gens de mer et la convention n°178 sur l’inspection des conditions de travail et de vie des gens de mer.

La loi n°2013-319 du 16 juillet 2013 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable a encore considérablement modernisé le droit des gens de mer, et donc celui des pêcheurs. Pour l’essentiel, cette loi prenait en compte les dispositions de la convention de l’OIT sur le travail maritime. Mais certaines de ses dispositions concernaient aussi la pêche maritime, comme celles portant sur la responsabilité générale de l’armateur, le paiement mensuel des salaires ou la prise de congés, obligatoire dans la pêche depuis 2004. Dans certains cas, cette loi a même anticipé sur l’entrée en vigueur de la convention n°188, notamment pour la mise en œuvre du dispositif de certification sociale (article 41), déjà prévu par l’article L.5514-3 du code des transports, qui entrera en vigueur, pour les navires de pêche, à compter de l’entrée en vigueur de la convention.

Au total, en raison de l’application quasi-systématique du droit social des gens de mer aux pêcheurs en France et de l’effort considérable entrepris pour codifier et moderniser ce droit, la législation française est d’ores et déjà conforme à l’essentiel des dispositions de la convention.

Un certain nombre de navires de pêche français qui pratiquent la pêche lointaine, notamment au large de l’Afrique ou dans l’océan Indien, emploient, pour partie, une main d’œuvre non résidente de l’Union européenne. La convention n°188 ayant vocation à s’appliquer à tous les pêcheurs, il conviendra de veiller à ce que ses garanties soient effectivement appliquées à cette main d’œuvre. Au total, cela concerne une population de près de 600 pêcheurs, sur un total de 17 800.

• Non-résidents employés dans le cadre des accords de pêche de l’Union européenne avec les pays tiers

Ces accords comportent des clauses qui fixent des obligations d’emploi pour les navires battant pavillon européen de pêcheurs ressortissants du pays tiers contractant.

Cette main d’œuvre est d’ores et déjà couverte par un certain nombre de garanties prévues dans le cadre des accords ou des protocoles afférents, lesquels comportent des références à un certain nombre de règles de l’OIT. En particulier, ces accords prévoient une rémunération minimale. Les garanties minimales applicables devront parfois être complétées, s’agissant notamment de la couverture sociale de ces pêcheurs.

En outre, il conviendra de conférer des pouvoirs particuliers au patron lui permettant d’agir vis-à-vis de ces pêcheurs, qui ne sont pas directement salariés de l’armateur, pour exercer ses responsabilités au titre de la convention. Le patron devra notamment pouvoir leur demander leurs documents professionnels : certificats d’aptitude médicale, brevets ou livrets de marin.

• Non-résidents employés en dehors du cadre de ces accords

Quelques autres navires immatriculés en France métropolitaine, à Mayotte ou dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) font aussi appel à des pêcheurs non-résidents. Ils se répartissent ainsi :

– en Bretagne, quatorze navires thoniers senneurs tropicaux emploient environ quatre-cent non-résidents ;

– à Mayotte, cinq navires de pêche emploient une soixantaine de pêcheurs de nationalité ivoirienne, malgache, seychelloise, béninoise, sénégalaise ou burkinabé ;

– dans les TAAF, dix navires emploient un peu plus d’une centaine de pêcheurs principalement malgaches, ukrainiens, namibiens, sud-africains ou encore chiliens.

Les modalités d’emploi de ces non-résidents ne sont, à l’heure actuelle, pas prévues par le livre V du code des transports relatif aux gens de mer. Cette main d’œuvre ne dispose donc pas des garanties juridiques minimales offertes par les accords de pêche de l’Union européenne.

S’agissant des navires immatriculés en métropole, il faudra donc créer pour cette main d’œuvre un régime juridique analogue à celui prévu par le Livre VI de la cinquième partie du code des transports pour les gens de mer non-résidents employés dans la marine marchande.

Concernant Mayotte, le bénéfice de la convention lui sera, d’après l’étude d’impact, étendu ultérieurement, dans le cadre de la départementalisation. Il faudra alors procéder aux adaptations nécessaires du droit des gens de mer qui y est applicable (livre VII de la cinquième partie du code des transports).

Enfin, le Gouvernement fera une déclaration au Bureau international du travail pour prévoir l’application de la convention n°188 dans les TAAF ; il faudra, en conséquence, revoir l’ensemble du droit des gens de mer applicable aux TAAF, où le code du travail de l’outre-mer de 1952 continue de s’appliquer, pour le mettre en conformité avec les obligations posées par la convention.

• Recours aux agences spécialisées pour l’emploi des non-résidents

L’emploi des pêcheurs non-résidents transite généralement par des entreprises spécialisées dans la fourniture de main d’œuvre maritime, lesquelles ne sont pas établies en France. Il conviendra de créer un cadre juridique pour réglementer le recours à ces entreprises, afin de le mettre en conformité avec l’article 22 de la convention.

Le code des transports devra être modifié à la marge pour préciser certaines garanties figurant d’ores et déjà dans notre droit national mais étoffées par la convention. Par exemple, il conviendra de prendre en compte les implications précises du principe de responsabilité générale de l’armateur énoncé à l’article 8. Les règles relatives au contrat d’engagement du pêcheur devront aussi être complétées, afin de faire figurer les vivres à allouer ou, le cas échéant, les périodes minimales de repos.

• Les modalités de la mise en œuvre des normes de repos

L’article 14 de la convention prévoit la possibilité d’adopter des prescriptions équivalentes aux normes de repos fixées par la convention. D’après l’étude d’impact, la France n’exclut pas de recourir à cette dernière possibilité. Selon le Gouvernement, « la mise en œuvre pratique des dispositions relatives au fractionnement des repos a révélé des difficultés réelles pour certaines pêcheries. En effet, l'activité de pêche n'est pas toujours prévisible et elle est soumise à de nombreuses contraintes, météorologiques, halieutiques, techniques, liées à la manœuvre des engins de pêche, de sécurité maritime. Les représentants de la profession ont fait part de la difficulté dans bien des circonstances de respecter cette exigence, car souvent l'interruption de cette période minimale s'avère nécessaire. Une réflexion a été engagée en vue d’autoriser une possibilité de fractionnement du repos dans certaines circonstances sous l'autorité du capitaine et selon son appréciation. Dans une telle hypothèse, la période de 6 heures ne devrait pas être fractionnée en plus de deux parties dont aucune ne devrait durer moins de deux heures. Une telle solution serait préférable à la situation actuelle qui place les capitaines de navires de pêche dans une situation d'insécurité juridique. Cette possibilité serait prévue réglementairement et un accord collectif prévoyant les mesures compensatoires serait nécessaire pour sa mise en œuvre. Un tel dispositif serait compatible avec les exigences posées par la directive 2003/88. »

• Pour la mise en œuvre du mécanisme de contrôle

S’agissant du dispositif de certification sociale (article 41), celui-ci est d’ores et déjà prévu par l’article L.5514-3 du code des transports, qui entrera en vigueur en même temps que la convention. Il sera mis en œuvre par la direction des affaires maritimes (DAM), déjà chargée de la certification des navires de la marine marchande. D’après l’étude d’impact, le certificat « sera délivré par l’autorité maritime après synthèse des inspections et vérifications faites par les différentes autorités et services concernés : les centres de sécurité des navires, les commissions de sécurité, le service de santé des gens de mer, les services des directions départementales des territoires et de la mer en charge de la police du rôle d’équipage et les services de l’inspection du travail. » Le dispositif consistera donc essentiellement à synthétiser des visites d’inspection et contrôles déjà existants. Il conviendra simplement d’inscrire les navires de pêche dans les travaux de développement des systèmes d’information de la DAM.

Il conviendra d’inscrire le principe du contrôle de l’État du port pour les navires de pêche dans notre législation. Le dispositif actuellement en vigueur pour la marine marchande sera étendu aux navires de pêche par des dispositions de nature réglementaire. Cette mission sera donc prise en charge par les inspecteurs de la sécurité des navires, suppléés en tant que de besoin par les inspecteurs du travail.

L’obligation de traitement des plaintes prévue à l’article 43 pour l’État du pavillon (paragraphe 1) et pour l’État du port (paragraphe 4) sera mise en œuvre par des instructions qui seront données en ce sens à l’intention des services concernés. Il faudra toutefois prévoir une disposition législative pour garantir la confidentialité des échanges entre services dans ce cadre.

La rémunération à la part a, de longue date, constitué une spécificité du travail dans la pêche. Ce mode de rémunération, généralisé en France et très répandu ailleurs, consiste en un partage du résultat de la vente du produit de la pêche amputé des frais d’exploitation. La rémunération n’étant pas liée au temps de travail, plusieurs pays considèrent que les pêcheurs concernés ont un statut d’indépendant et non de salarié.

En France, cette question a été réglée par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation, le 1er avril 1992. La Cour a jugé que le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) était applicable aux pêcheurs à la part. Le fait d’être rémunéré à la part n’était donc pas incompatible avec la qualité de salarié, à laquelle est attaché le bénéfice du SMIC. Les pêcheurs à la part sont ainsi couverts, en France, par l’ensemble de la législation sociale applicable au secteur.

C’est aussi la vocation de la convention n°188. Les travaux préparatoires du Bureau international du travail ont montré sans ambiguïté qu’elle devrait couvrir l’ensemble des pêcheurs, quel que soit leur statut, indépendants ou salariés.

La mise en œuvre de la convention n°188 se traduira par l’adoption d’une réglementation à l’échelle européenne, qu’il reviendra aux États de transposer dans leur droit interne.

La plupart des aspects de la convention relèvent de la compétence des partenaires sociaux européens. Afin de préparer leur mise en œuvre, EUROPECHE et ETF (Fédération européenne des transports) ont adopté le 8 mai 2013 un accord qui donnera lieu à une directive, conformément à l’article 155 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Mais les partenaires sociaux n’ont pas compétence pour représenter les indépendants. La directive qui découlera de leur accord ne prendra donc en compte que les pêcheurs considérés comme salariés par la législation nationale.

Il sera donc indispensable à terme que la législation européenne soit adaptée de façon à couvrir l’ensemble des pêcheurs, indépendants comme salariés. Pour l’heure, les pêcheurs considérés comme indépendants par la législation nationale ne se voient appliquer aucune directive européenne en la matière, notamment en matière de temps de travail ou de santé et de sécurité au travail. L’harmonisation des normes sociales concernant les pêcheurs au sein de l’Union européenne sera donc un enjeu majeur pour la mise en œuvre de cette convention.

CONCLUSION

La convention n°188 de l’OIT est susceptible d’encourager des progrès non négligeables dans la protection mondiale du travail dans la pêche. La France, qui a déjà appliqué à ses pêcheurs la plupart de ces normes de protection, a tout à y gagner. Elle se doit d’être un élément moteur pour la ratification de cette convention qui a déjà trop attendu.

À l’heure de la publication de ce rapport, seuls cinq États ont ratifié la convention n°188 alors qu’elle avait été adoptée à une large majorité en 2007. Votre rapporteur encourage le Gouvernement à mobiliser activement ses partenaires – y compris européens – pour faciliter l’entrée en vigueur et l’application pleine et entière de la convention, et à faire de sa ratification une condition préalable à la signature ou à la renégociation d’accords de pêche.

Au bénéfice de ces observations, votre rapporteur recommande l’adoption du présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent projet de loi au cours de sa séance du mercredi 18 février 2015, à 9h30.

Après l’exposé de la rapporteure, un débat a lieu.

M. François Rochebloine. Je vous remercie pour la présentation de ce rapport. J’aimerais savoir si la pénibilité est en tant que telle traitée par la convention ?

M. Thierry Mariani. Les pêcheurs non-résidents feront l’objet d’une convention spécifique, pouvez-vous me confirmer que les conditions qui leur seront appliquées seront dérogatoires au droit national ?

M. Pierre Lellouche. Je m’interroge sur l’utilité d’une telle convention, adoptée il y a déjà sept ans, et que seule la Bosnie Herzégovine, dont on connaît l’activité maritime, l’Argentine, le Maroc et l’Afrique du Sud, ont signée. Qu’en est-il des grandes nations de pêche européennes telles que l’Espagne ou le Portugal ? La signature de cette convention doit impérativement s’accompagner d’une action politique, sans quoi elle sera mort-née. La France devrait à tout le moins porter ce message.

Mme Estelle Grelier. Je souhaite ici rappeler que la pêche est désormais une compétence communautaire. Des textes relatifs à la sécurité maritime sont en cours de discussion au niveau européen. Je saisis mal l’articulation entre cette convention et le corpus européen. Je rejoins aussi l’analyse de Pierre Lellouche : si des États comme l’Espagne ou le Portugal ne ratifient pas cet accord, cela pose un vrai sujet.

Mme Chantal Guittet, rapporteure. Le sujet de la pénibilité n’est pas traité en tant que tel, en revanche, le texte prévoit un repos obligatoire pour les travailleurs.

Sur l’articulation entre ce texte et le droit européen, je rappelle que si la pêche est un secteur qui a été en effet communautarisé, les politiques sociales, en revanche, sont une compétence partagée entre l’Union européenne et les États membres, d’où l’utilité de ce type de convention.

Il est vrai que le calendrier de ratification connaît quelques retards, et, vous avez raison, la France peut jouer un rôle pour convaincre nos partenaires européens qui sont des grands pays de pêche d’accorder à ce sujet toute l’importance qu’il mérite. Je souligne que les partenaires sociaux européens ont signé un accord portant sur certains points de la convention qui relèvent de leur compétence. Cet accord donnera lieu à une directive qu’il reviendra aux États de mettre en œuvre.

J’attire enfin votre attention sur un point de vigilance : il faudra trouver le moyen de faire que les pêcheurs rémunérés à la part soient pris en compte par les mesures sociales adoptées à l’échelle européenne. La France les considère comme des salariés et leur applique d’ores et déjà l’ensemble de cette législation, mais tel n’est pas le cas de la plupart des pays européens, qui les considèrent comme des indépendants. Or, la convention de l’OIT a vocation à s’appliquer à tous les pêcheurs, quel que soit leur statut.

M. Benoît Hamon. Cette convention couvre des compétences relevant de la politique communautaire de la pêche et d’autres qui n’en relèvent pas, en particulier dans le domaine social. L’Europe n’a de compétence dans ce domaine qu’indirectement, par l’intermédiaire de la directive sur les travailleurs détachés. Cette convention présente donc une utilité dans la mesure où elle établit un certain nombre de garanties minimales.

M. Pierre Lellouche. Quand j’ai exercé des responsabilités gouvernementales en matière européenne, je me suis trouvé face à une politique de la pêche totalement communautarisée, avec des conséquences économiques et sociales extrêmement fortes. Quand un Commissaire européen limite le nombre de bateaux ou impose des normes techniques, cela peut concerner des milliers d’emplois.

M. Jean Glavany. Ce n’est pas un Commissaire européen qui décide, mais le Conseil.

M. Pierre Lellouche. Compte tenu du blocage du Conseil, c’est souvent la Commission qui décide. Vous avez alors un Commissaire obtus qui décrète que les bateaux doivent faire telle taille et respecter telles normes, ce qui laisse sur le carreau des centaines, voire des milliers de personnes. Une bonne partie de la pêche française a été détruite par des décisions communautaires fondées non sur des normes sociales, mais prétendument techniques.

Il est tout de même étrange de contourner toute la dimension sociale de la pêche par une convention internationale qui n’est pas près d’entrer en vigueur. Il faudrait que la France se décide à poser le problème dans son ensemble, notamment les différences de normes sociales d’un pays à l’autre, et que l’on examine les conséquences sur la compétition avec les autres grands pays qui pratiquent la pêche.

Mme Estelle Grelier. Je m’interroge sur ce que cette convention apporte de plus pour les salariés des bateaux de pêche français.

Mme Chantal Guittet, rapporteure. On est au-dessus de la norme.

Mme Estelle Grelier. Quel est donc l’objectif ? Est-ce de tirer la norme internationale vers le haut ?

M. Jean Glavany. Ayant passé quelques nuits blanches à Bruxelles lorsque j’étais ministre de la pêche, notamment pour négocier les totaux admissibles de captures et les quotas de pêche, je voudrais confirmer ce qu’a dit Benoît Hamon. Le social n’étant pas de la compétence européenne, il est clair que c’est par ce type de convention que l’on peut régler ces problèmes.

Par ailleurs, si des restrictions de flotte sont imposées non par un Commissaire européen obtus, mais par des décisions politiques, prises dans le cadre des conseils des ministres européens de la pêche, c’est sous la pression d’une réalité objective, qui est celle de la ressource en poisson. Elle s’épuise parce que nous avons pillé les océans, en particulier autour des zones européennes, sans rien faire pendant des années. On a donc dû désarmer des bateaux. Mais contrairement à ce qu’affirme Pierre Lellouche, il y a alors des crédits européens, votés par le Conseil, pour financer le désarmement et la reconversion sociale.

Mme Chantal Guittet, rapporteure. Il est vrai que cette convention ne changera guère la situation des pêcheurs français. Nous appliquons de telles normes depuis longtemps. En revanche, une fois que cette convention sera en vigueur, tous les pêcheurs du monde entier bénéficieront de ces minima.

Comme c’était également le cas pour la convention relative aux gens de mer, tout navire s’arrêtant dans nos ports pourra être contrôlé et interdit de partir s’il n’applique pas ces minimas sociaux. C’est un des seuls métiers où l’on essaie de créer des normes internationales applicables à tous les travailleurs. Il faut donc espérer que d’autres pays ratifieront cette convention.

Nous sommes bien dans le cadre d’une compétence des États. L’Europe a la compétence exclusive pour ce qui concerne la sécurité des navires, et non pour le social.

Pour un pays comme le nôtre, qui emploie de nombreux travailleurs dans ce secteur, une telle convention est importante pour éviter d’être confronté à des conditions de concurrence déloyale.

Suivant les conclusions de la rapporteure, la commission adopte sans modification le projet de loi (n° 1888).

ANNEXE 1

AUDITIONS 

Néant

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée la ratification de la convention n° 188 de l’Organisation internationale du travail relative au travail dans la pêche, adoptée à Genève le 14 juin 2007 et dont le texte est annexé à la présente loi.

________________________________

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 1888).

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