N° 2616 - Rapport de Mme Gilda Hobert sur la proposition de loi de M. Roger-Gérard Schwartzenberg et plusieurs de ses collègues visant à garantir le droit d'accès à la restauration scolaire (2518)



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N° 2616

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 mars 2015.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L’ÉDUCATION SUR LA PROPOSITION DE LOI visant à garantir le droit d’accès à la restauration scolaire,

PAR Mme Gilda HOBERT,

Députée.

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Voir le numéro :

Assemblée nationale : 2518.

SOMMAIRE

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Pages

I. LA RESTAURATION SCOLAIRE, UNE ÉTAPE IMPORTANTE DES TEMPS ÉDUCATIFS 7

A. LA CANTINE DES ÉCOLES PRIMAIRES, UN SERVICE PUBLIC LOCAL FACULTATIF MAIS TRÈS LARGEMENT DÉVELOPPÉ 7

B. UN SERVICE PUBLIC QUI RÉPOND À D’INCONTOURNABLES BESOINS NUTRITIONNELS, ÉDUCATIFS ET SOCIAUX 10

II. DES ENTRAVES PERSISTANTES À L’ACCÈS DE TOUS LES ENFANTS 13

A. DE RARES MAIS INACCEPTABLES DISCRIMINATIONS À L’ACCÈS EN DÉPIT D’UNE JURISPRUDENCE CLAIRE ET CONSTANTE 13

B. DES DISPARITÉS LOCALES DANS L’ADAPTATION DES TARIFS AUX RESSOURCES DES MÉNAGES 15

C. DES PROGRÈS DANS L’INTÉGRATION DES ENFANTS HANDICAPÉS OU SOUFFRANT DE TROUBLES DE SANTÉ 19

III. UNE PROPOSITION DE LOI QUI INSTAURE, ENFIN, UN DROIT D’ACCÈS À LA CANTINE POUR TOUS LES ÉCOLIERS 21

TRAVAUX DE LA COMMISSION 23

I. DISCUSSION GÉNÉRALE 23

II. EXAMEN DES ARTICLES 41

Article 1er : (article L. 131-13 [nouveau] du code de l’éducation) : Droit d’accès à la cantine scolaire 41

Article 2 : Compensation des charges supplémentaires 47

TABLEAU COMPARATIF 49

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA RAPPORTEURE 51

INTRODUCTION

Au cœur d’une crise profonde dont la violence plonge tant de nos concitoyens dans la précarité et la souffrance, notre mission fondamentale est plus que jamais de consolider sans relâche le pilier de notre République qu’est l’attention fraternelle et solidaire à l’égard des plus fragiles.

Or les plus fragiles des plus fragiles, les deux millions sept cent mille enfants plongés dans la pauvreté – quatre cent quarante mille de plus qu’en 2008 ! – sont aujourd’hui exposés à une injustice particulièrement inacceptable. Dans la sixième économie du monde, la faim ou de graves carences nutritionnelles peuvent encore ruiner toutes les chances de certains de nos enfants d’accomplir une scolarité normale et épanouissante.

Au cours des années récentes en effet, des communes n’ont pas hésité à prétexter de leurs difficultés financières pour restreindre l’accès aux cantines scolaires des élèves de leurs écoles. Et quelques-unes d’entre elles l’ont fait en discriminant et stigmatisant les plus vulnérables, ceux qui précisément ont le plus besoin d’une restauration complète et équilibrée que leurs familles, confrontées à une grande précarité, peinent à leur assurer.

En excluant des cantines les enfants de chômeurs, invoquant l’argument fallacieux de leur disponibilité à accueillir leurs enfants à midi en parfaite contradiction avec les démarches nombreuses et difficiles qu’implique la recherche d’emploi, ces communes ont rajouté de l’exclusion à l’exclusion, au mépris de la vocation d’inclusion de l’école républicaine.

Ces mesures discriminatoires sont heureusement censurées par le juge administratif, qui veille avec constance au respect rigoureux du principe d’égalité des usagers, au centre des exigences imposées au service public que constitue la restauration scolaire.

Toutefois, en n’abordant pas directement cette question, que l’histoire a confiée à la libre appréciation des communes quant à l’opportunité de créer, de maintenir et d’ajuster les effectifs des cantines des écoles, la loi est restée trop longtemps muette.

Ce vide législatif a laissé les initiatives les plus démagogiques se déployer librement et commencer à produire leurs effets désastreux dans le temps, parfois long, qui s’écoule avant que les tribunaux, lorsque les parents ont la force et la patience de les saisir, n’y remettent bon ordre.

L’heure est venue d’en finir avec ces dérives afin de garantir à chaque enfant un droit que ne devrait souffrir aucunes dérogation ou contestation.

La proposition de loi présentée par M. Roger-Gérard Schwarzenberg, qui fait écho à une proposition similaire présentée par Mme Michèle Delaunay et l’ensemble des membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche le 7 février 2012, nous offre l’occasion de franchir cette étape décisive en instaurant un droit d’inscription à la cantine pour tous les enfants scolarisés dans les écoles maternelles et élémentaires. Elle nous invite à inscrire clairement dans la loi l’interdiction absolue des discriminations fondées sur la situation de la famille de l’élève, telle qu’elle a été patiemment construite par le juge administratif.

Son adoption permettrait de garantir à l’ensemble des enfants, et donc en particulier à ceux qui en ont le plus besoin, un accès effectif à la restauration scolaire, étape nutritionnelle, éducative et sociale absolument incontournable pour leur réussite dans cette étape clef de leur destin éducatif.

Elle n’imposerait pas pour autant la création de cantines là où elles n’existent pas, dans un légitime souci de réalisme et de solidarité à l’égard des rares communes concernées, essentiellement rurales. Celles-ci sont en effet les plus fragiles et, dans la vaste majorité des cas, elles parviennent aujourd’hui à trouver des solutions alternatives de mutualisation avec d’autres communes mieux dotées. Dans un même esprit de solidarité à l’égard de collectivités sous forte contrainte budgétaire, les charges éventuelles induites par ce nouveau droit, modérées car limitées à des situations heureusement exceptionnelles, seraient intégralement compensées par l’État.

En répondant de manière équilibrée à une urgence sociale, la présente proposition de loi constitue donc un élément important de la refondation de l’école, l’une des plus grandes œuvres de la présente législature.

La restauration scolaire dans l’enseignement primaire est en France un service public administratif facultatif annexe au service public national de l’éducation et soumis au principe de libre administration des collectivités territoriales fixé par l’article 72 de la Constitution.

Les cantines sont ainsi librement créées, organisées et supprimées par les communes, dans le respect de la législation et des grands principes du droit administratif, en particulier le principe d’égalité des usagers. Elles ne constituent pas une obligation pour ces collectivités et ne figurent donc pas parmi leurs dépenses obligatoires énumérées par l’article L. 2321-2 du code général des collectivités territoriales.

On remarquera que cette situation diffère de celle de la restauration scolaire dans les collèges et les lycées, assumée par l’État dès les années 1960 et transférée respectivement aux départements et aux régions par la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales. Ces collectivités doivent en effet garantir l’existence de cantines et accueillir l’ensemble des élèves qui souhaitent y accéder, tout en demeurant librement compétentes pour l’organisation et le fonctionnement de ces services.

L’aspect facultatif des cantines des écoles plonge ces racines dans l’omission de cette question par les lois républicaines des années 1880. Les grandes lois scolaires n’ont pas structuré la pause méridienne des écoliers, dans un contexte où la restauration collective des enfants revêtait un caractère exclusif d’œuvre sociale.

Les cantines scolaires, laissées à l’initiative des communes, des associations et même parfois des particuliers, se sont ainsi très lentement développées au tournant du XXe siècle, s’émancipant peu à peu de leur vocation d’aide aux enfants indigents, unique objet des premières cantines par exemple mises en place par les communes parisiennes en 1849, pour pallier l’incapacité croissante des parents, souvent géographiquement éloignés de l’école et totalement absorbés dans la journée par leurs activités professionnelles, à assurer l’alimentation de leurs enfants à midi.

Ce n’est qu’avec le Front populaire en 1936 que la secrétaire d’État à l’Éducation nationale chargée de l’hygiène scolaire et de la vie sociale de l’enfant, Mme Cécile Brunschvicg, a établi l’obligation de construire un réfectoire dans toute nouvelle école et de prévoir leur aménagement à l’occasion des rénovations significatives des établissements existants.

Au lendemain de la guerre, une instruction du 30 août 1949 du ministre de l’Éducation nationale, M. Yvon Delbos, sur la construction et l’aménagement des écoles primaires élémentaires, a encouragé la création des cantines en permettant à l’État de subventionner la moitié des dépenses de construction des locaux qui leur sont affectés dans les nouvelles écoles. Une autre instruction du même jour a introduit les premières ambitions nutritionnelles en posant quelques principes relatifs à la nature des aliments, leur diversité, leur qualité nutritive et leur quantité.

Le fort accroissement démographique des années 1950 à 1970 a ensuite motivé le tissage, d’abord par les associations de parents d’élèves puis par les communes, d’un très étroit maillage de cantines scolaires.

Dans le même temps se sont étoffées les réglementations relatives à l’hygiène, à la qualité nutritionnelle et à la convivialité de l’accueil des enfants avec la publication des circulaires du 6 mars 1968 et de l’arrêté du 26 juin 1974 relatifs à l’hygiène dans la restauration collective et celle de la circulaire du 9 juin 1971 relative à l’alimentation de l’écolier.

Ces nouvelles exigences, qui ont complexifié les modalités de fonctionnement de la restauration scolaire, ont conduit les communes, qui ne géraient en 1970 que le quart des cantines, à prendre le relais des initiatives privées en assumant directement la charge de l’organisation et du fonctionnement de la restauration ou en déléguant sa gestion à des organismes privés de restauration collective.

Un nouvel élan a été donné à la structuration des services de restaurations scolaires à la fin des années 1990 et au début des années 2000, autour des deux préoccupations décisives que forment la sécurité alimentaire et la qualité nutritionnelle.

Le « paquet hygiène » adopté en 2004 par l’Union européenne, constitué en particulier du règlement (CE) n° 852/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relatif à l’hygiène des denrées alimentaires, a harmonisé et simplifié le cadre législatif européen dans le respect duquel s’était déjà placée la circulaire du 25 juin 2001 du ministre de l’Éducation nationale relative à la sécurité alimentaire.

Afin de garantir l’équilibre alimentaire dans les cantines et de leur assigner une nouvelle mission d’éducation au goût, le décret n° 2011-1227 du 30 septembre 2011, précisé pour les cantines scolaires par l’arrêté du ministre de l’Éducation nationale du 30 septembre 2011 relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre de la restauration scolaire, ont imposé le respect du principe de la variété des repas et détaillé avec précision les fréquences de présentation des plats et la taille des portions selon les qualités nutritionnelles des aliments. Les repas sont ainsi désormais élaborés sur le fondement de vingt menus consécutifs, respectant un schéma nutritionnel valorisant notamment les crudités, les légumes cuits, les produits laitiers, la viande et le poisson, au détriment des fritures, des préparations à base de viande hachée, des pâtisseries et des plats préparés.

Dans ce nouveau contexte, un groupe d’étude des marchés consacré à la restauration collective et à la nutrition, mis en place par la décision n° 2006-01 du 1er mars 2007 du comité exécutif de l’observatoire économique de l’achat public, publie régulièrement des recommandations exhaustives à l’attention des acteurs locaux.

En parallèle, une norme de service (NFX 50-220 « Service de la restauration scolaire ») visant à améliorer la qualité de l’accueil durant la pause méridienne et sur le temps du repas, a été définie dès 2005. Elle a été complétée en 2008 par un règlement de certification étendu en 2010 aux collèges et aux lycées. Cette norme met en particulier l’accent sur l’importance du rôle éducatif joué par la restauration scolaire à l’occasion de la pause méridienne, proposant la mise en œuvre d’un projet éducatif pour la restauration qui dépasse largement les seules notions d’accueil et d’aménagement des lieux de restauration.

Au terme de cette lente mais puissante évolution, plus de six millions d’élèves recourent aujourd’hui régulièrement ou occasionnellement aux services de restauration scolaire.

C’est le cas pour la moitié des élèves de l’école primaire et pour les deux tiers des collégiens et des lycéens. Cette proportion est le double de celle observée au début des années 1970.

Près de vingt mille communes, qui rassemblent 80 % de celles dotées d’écoles publiques, ont mis en place une ou plusieurs cantines scolaires. Il demeure toutefois malaisé de déterminer le nombre précis d’écoles dépourvues d’accès à tout service de restauration scolaire. Beaucoup de petites communes rurales ont en effet mis en place des regroupements pédagogiques intercommunaux concentrés ou dispersés qui échappent aux recueils statistiques.

Quatre cents millions de repas sont ainsi servis chaque année dans les écoles, pour un coût moyen de l’ordre de 7 euros (1) facturé aux parents en moyenne à hauteur de 2,5 à 3 euros, et six cents millions de repas dans les collèges et les lycées, pour un coût par repas d’environ 9 euros facturé en moyenne de 3,5 à 4 euros. 80 % des repas servis dans les écoles sont préparés dans des cuisines centrales tandis que 20 % sont préparés sur place.

Ces chiffres montrent combien les collectivités ont su mettre en place une très forte subvention de ces services afin de modérer les tarifs appliqués aux parents. Cet effort peut être évalué à près de 1,5 milliard d’euros pour les communes et à 3,5 milliards d’euros pour les départements et les régions.

Dans ce contexte dynamique, la restauration scolaire tend à assumer des missions de plus en plus décisives, qui justifient qu’une nouvelle étape soit franchie grâce à sa consécration législative.

En premier lieu, les cantines scolaires ont un rôle essentiel pour contribuer à l’équilibre nutritionnel des enfants, en particulier au bénéfice des écoliers issus des catégories sociales les moins favorisées.

Une étude du centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC) de juin 2012 (2), réalisée avant l’entrée en vigueur du décret de 2011 évoqué supra, a montré que les repas pris à la cantine apparaissent à la fois plus complets (56 % d’entre eux comportant au moins six composantes alimentaires différentes contre 26 % des déjeuners pris à la maison) et mieux conformes aux recommandations nutritionnelles traditionnelles (avec une présence beaucoup plus élevée et régulière de légumes, de poissons, de viandes et de pain).

Cet accès quotidien à un repas complet, varié et équilibré revêt un caractère d’absolue nécessité pour la santé et l’aptitude à étudier des enfants les plus vulnérables.

La rapporteure constate à cet égard que les efforts consentis par l’actuelle législature pour placer les capacités et les rythmes réels d’apprentissage des enfants au cœur des calendriers et des démarches scolaires, concrétisés notamment par la priorité accordée à l’école primaire par la loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République et par la réforme des rythmes scolaires, ne peuvent négliger la question de la qualité des déjeuners et de la pause méridienne, qui conditionne les aptitudes d’attention et de concentration des élèves.

Des enfants qui ne mangent pas à leur faim ou qui souffrent de déséquilibres alimentaires importants acquièrent en effet très rapidement des handicaps redoutables freinant voire obérant tout effort d’apprentissage. Cet enjeu est le plus prégnant à l’école primaire où se joue, comme chacun l’admet désormais, l’essentiel des destins scolaires.

En second lieu, la restauration scolaire remplit très fréquemment une mission d’éducation nutritionnelle et concourt à ce titre à l’objectif de santé publique et aux ambitions de l’éducation.

Cela est particulièrement vrai pour les enfants dont le foyer familial échoue à leur offrir de larges possibilités d’expérimenter les goûts et les aliments différents.

Or l’équilibre nutritionnel est un long apprentissage, qui repose sur la répétition de pratiques alimentaires saines et sur le rituel du déroulement d’un repas classique et qui exclut autant que possible le recours aux principaux facteurs de l’obésité enfantine que sont les aliments de restauration rapide.

De même, le goût s’apprend, s’éduque et s’acquiert par la répétition, supposant l’accès à une diversité d’expériences culinaires que toutes les familles ne fournissent ou ne peuvent fournir à leurs enfants.

En dernier lieu, les cantines scolaires sont un lieu irremplaçable de socialisation et d’acquisition de règles d’hygiène et d’autonomie.

Priver certains enfants de leur accès dépasse très largement le seul enjeu nutritionnel. Cette exclusion est aussi un douloureux moment d’éloignement, même passager, du groupe scolaire, qui peut nourrir un sentiment d’isolement préjudiciable à la qualité de la perception du lien social.

Lorsqu’elle est subie par les parents, elle prend même une dimension profondément stigmatisante, reproduisant symboliquement des inégalités sociales desquelles l’école a pourtant pour objet de s’affranchir.

En contradiction avec l’importance des missions qu’elle assume avec une efficacité croissante, la restauration scolaire n’est pas aujourd’hui un service public dont l’accès est garanti à l’intégralité des enfants.

De nombreuses communes, il est vrai parfois confrontées à une situation financière très dégradée, n’ont pas pleinement adapté leurs services à l’accroissement des effectifs des élèves dont les parents demandent l’inscription à la cantine, peinant ou refusant de procéder aux agrandissements et aux rénovations nécessaires de leurs locaux ou de mettre en place des doubles services.

D’autres, heureusement isolées mais dont l’actualité fournit toutefois des exemples réguliers et scandaleux, ont même choisi de faire de la restauration scolaire un enjeu polémique, n’hésitant pas à stigmatiser certains de nos concitoyens en imposant des discriminations parfaitement contraires au droit.

La multiplication de ces pratiques a d’ailleurs conduit le défenseur des droits à publier le 28 mars 2013 un rapport consacré à « l’égal accès des enfants à la cantine de l’école » appelant notamment le législateur à clarifier la situation juridique afin « que le service public de la restauration scolaire, dès lors qu’il a été mis en place, soit ouvert à tous les enfants dont les familles le souhaitent » (3).

Il importe en effet de relever qu’en l’absence de mention législative l’accès à la restauration scolaire dans l’enseignement primaire, service public facultatif, est principalement régi par la jurisprudence du juge administratif.

Dans ce contexte, le Conseil d’État a d’abord jugé, dans son arrêt du 5 octobre 1984, Préfet de l’Ariège, que la création et le maintien d’une cantine scolaire présente pour une commune « un caractère facultatif et qu’elle n’est pas au nombre des obligations [lui] incombant pour le fonctionnement du service public de l’enseignement ».

Toutefois, dès lors que la commune en décide la création, ce service acquiert le caractère d’un service public administratif annexe au service public d’enseignement, soumis au respect de la législation et à celui du principe général du droit qu’est le principe d’égalité des usagers devant le service public.

Les restrictions d’accès ne peuvent être légitimement fondées que si la loi autorise une différence de traitement, s’il existe entre les usagers des différences de situation objectives, rationnelles et proportionnées ou si cette différence répond à une nécessité d’intérêt général en rapport avec l’objet ou les conditions d’exploitation du service (Conseil d’État, 10 mai 1974, Denoyez et Chorques).

Ainsi, tout d’abord, les communes ne peuvent restreindre l’accès à la restauration scolaire « dès lors que la capacité d’accueil n’est pas atteinte » (Conseil d’État, 27 février 1981, Guillaume et autres).

Lorsque ces capacités sont saturées, le juge admet cependant que « le principe d’égalité des usagers devant le service public ne fait pas obstacle à ce que le conseil municipal limite son accès, en raison des contraintes qu’il supporte, en le réservant à des élèves se trouvant dans une situation différente des autres élèves usagers du service » (tribunal administratif de Marseille, 24 novembre 2000, FCPE et MM. D. M. et G.).

Ces différences de traitement sont toutefois très étroitement encadrées par la jurisprudence.

– En premier lieu, les critères de discrimination liés à la situation professionnelle des parents sont systématiquement censurés par le juge.

Le Conseil d’État a ainsi récemment confirmé les nombreux arrêts concordants des tribunaux administratifs en jugeant que la priorité donnée pour l’accès à la cantine scolaire par certaines délibérations des conseils municipaux aux enfants dont les deux parents travaillent constitue « un critère de discrimination sans rapport avec l’objet du service public en cause » (Conseil d’État, 23 novembre 2009, FCPE, Mme Pasquier).

De même, sont inopérantes toutes priorités accordées aux enfants dont le parent isolé qui en a la charge travaille (tribunal administratif de Versailles, 13 juin 2012, M. Durand).

De manière plus générale, le seul motif de la disponibilité des parents ne peut suffire à fonder un traitement différent réservé aux demandes d’accès pour leurs enfants (tribunal administratif de Lyon, 21 janvier 2010, Commune d’Oullins).

– En second lieu, aucune restriction ne peut être mise en place au regard de l’âge des enfants, sauf dans les cas où il est clairement établi que la cantine n’est pas équipée pour accueillir de très jeunes enfants (tribunal administratif de Versailles, 3 mai 2002, M. et Mme H.)

– En dernier lieu, les communes ne peuvent limiter l’accès aux services de restauration aux seuls élèves résidant dans le territoire de la commune (Conseil d’État, 13 mai 1994, commune de Dreux) ou à ceux dont les parents travaillent ou ont leur domicile à une certaine distance de l’école (tribunal administratif de Grenoble, 13 juin 2002, Mme E.).

À ces prescriptions s’ajoute l’interdiction générale des discriminations fixée par l’article L. 225-1 du code pénal aux termes duquel « constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

Le délit de discrimination, qui est constitué lorsque sont réunis l’élément matériel que fonde le refus d’accès à raison de ces critères prohibés et l’élément intentionnel qu’atteste la conscience de se livrer à une pratique discriminatoire, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amendes lorsqu’il est commis dans un lieu accueillant du public.

Or, au mépris de ces jurisprudences limpides, certaines communes persistent à introduire des discriminations manifestement illégales, ne laissant aux parents qui y sont confrontés que l’alternative d’un recours juridictionnel qui réclame une expertise et du temps que les familles souvent visées par ces pratiques inacceptables sont précisément les moins aptes à réunir.

L’ampleur du phénomène est dès lors difficile à cerner dans la mesure où peu d’administrés choisissent de s’engager dans cette voie contentieuse. Selon les informations recueillies par la rapporteure, les cas pourraient s’élever à quelques centaines chaque année.

Cette situation, aussi exceptionnelle soit-elle, est intolérable et ne peut perdurer.

Il est temps d’instaurer dans la loi un droit d’accès des élèves à la restauration scolaire, qui rendrait immédiatement illégales toutes décisions opérant quelque discrimination que ce soit adoptée par les communes dont les écoles sont dotées de cantines, donnant un signal et un point d’appui clair et fort à nos concitoyens.

L’accès aux cantines scolaires pour toutes les familles suppose aussi que les tarifs, librement fixés par les collectivités concernées, ne soient ni prohibitifs ni n’imposent un effort disproportionné aux parents dont les revenus sont les plus modestes.

C’est en effet la vocation sociale du service public de la restauration scolaire, ancrée dans son histoire et que la crise actuelle rend plus essentielle que jamais en ayant précipité dans la pauvreté plus de quatre cent mille nouveaux jeunes concitoyens, qui a justifié que le juge administratif autorise dès le début des années 1990 les communes à mettre en place une tarification différenciée en fonction des revenus des parents (Conseil d’État, 10 février 1993, Ville de La Rochelle) dès lors qu’il existe « un intérêt général qui s’attache à ce que les restaurants scolaires puissent être utilisés par tous les parents qui désirent y placer leurs enfants sans distinction selon les possibilités financières dont dispose chaque foyer ».

Dans un même esprit, l’article 147 de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions a disposé que les tarifs des services publics à caractère facultatif :

– d’une part « ne peuvent être supérieurs au coût par usager de la prestation concernée » ;

– d’autre part « peuvent être fixés en fonction du niveau du revenu des usagers et du nombre de personnes vivant au foyer »

– et enfin ne peuvent faire « obstacle à l’égal accès de tous les usagers au service ».

Ces dispositions ont été concrétisées et complétées dans le code de l’éducation par l’article R. 531-53, introduit par le décret n° 2006-753 du 29 juin 2006, qui dispose que les tarifs de restauration scolaire « ne peuvent, y compris lorsqu’une modulation est appliquée, être supérieurs au coût par usager résultant des charges supportées au titre du service de restauration, après déduction des éventuelles subventions de toute nature bénéficiant à ce service ».

Compte tenu de l’inéluctable inflation du coût de la restauration scolaire imprimée par la substantielle augmentation de sa qualité et des exigences nutritionnelles qui lui sont imposées, le plafond ainsi formé par le coût effectif acquitté par la collectivité ne suffit pas à garantir que les tarifs demeurent à la portée de toutes les familles. Comme il a été vu supra, ce coût, estimé à environ huit euros par repas, constitue une charge pouvant dépasser mille euros par enfant chaque année.

Fort heureusement, les collectivités ne facturent pas les services de cantine à leurs coûts réels. Elles ont en effet su en prendre en charge une fraction très significative, dans l’immense majorité des cas largement supérieure à la moitié.

Pour autant, la mise en place de tarifs adaptés aux revenus et à la taille des foyers, à laquelle la rapporteure est très attachée, apparaît diversement répartie sur le territoire national.

Il est vrai qu’une forte proportion des communes recourt à des tarifs différenciés. Certaines d’entre elles, souvent rurales, appliquent deux tarifs, le tarif réduit bénéficiant généralement aux foyers non imposables. Les communes plus vastes s’appuient sur des tarifs dégressifs fondés sur le quotient familial, souvent directement transmis par les caisses d’allocations familiales. Demeurent néanmoins encore rares les collectivités qui sollicitent le plus complexe mais le plus juste taux d’effort, qui prend en compte à la fois le quotient familial et le nombre d’enfants présents dans le foyer.

Les tarifications sociales sont en revanche moins fréquentes dans les cantines des collèges et des lycées.

De nombreux départements et régions, qui ne disposent de cette compétence que depuis 2006, ont en effet préféré franchir une première étape préalable en unifiant les tarifs entre des établissements dont les pratiques étaient auparavant extrêmement diverses.

La carte ci-après, qui rassemble des estimations effectuées par la fédération des conseils de parents d’élève (FCPE), illustre l’insuffisant développement des facturations dégressives qui répondent pourtant aux yeux de votre rapporteur à une réelle nécessité sociale.

Selon ces données, seulement 57 % de la population résideraient dans un département dont les collèges pratiquent des tarifs différenciés selon les revenus des foyers.

ESTIMATION DES DÉPARTEMENTS DANS LESQUELS EST PRATIQUÉE UNE MODULATION SOCIALE DES TARIFS DES CANTINES DES COLLÈGES

Source : FCPE, Les cartes de l’égalité, 2014. Ces cartes sont établies à partir des seules données recueillies sur les sites internet des départements. Elles ne sont qu’indicatives, nombre d’entre eux n’actualisant pas régulièrement les informations qui y sont publiées.

Pour remédier aux situations les plus dramatiques, il importe de noter qu’il existe des subventions d’urgence qui jouent souvent un rôle salutaire.

D’un côté, toutes les communes ont confié à leurs centres communaux d’action sociale la faculté d’octroyer au cas par cas des aides aux familles en difficulté.

De l’autre, les élèves des collèges et des lycées peuvent bénéficier du fonds social pour les cantines abondé par l’État, créé par la circulaire n° 97-187 du 4 septembre 1997, dont les crédits, associés à ceux du fonds social collégien et lycéen dédié principalement quant à lui à l’aide à la fourniture des matériels et au financement des autres dépenses scolaires, sont rassemblés dans le l’action n° 4 « action sociale » du programme n° 230 « vie de l’élève » dans la mission « enseignement scolaire ».

Ces crédits sont répartis entre les académies puis, par les recteurs, entre les établissements. Ils sont attribués aux élèves nécessiteux par le chef d’établissement après avis d’une commission académique ad hoc dont les membres sont enjoints à une obligation de discrétion. La dotation n’est pas versée aux familles mais s’impute en déduction des sommes à payer à la cantine.

Ces deux fonds sociaux, dont les crédits sont fongibles, ont été dotés de 34,6 millions d’euros dans la loi de finances initiales pour 2015, un montant stable par rapport à 2014 mais en nette progression de 2,5 millions d’euros par rapport aux budgets adoptés sous l’ancienne législature. La rapporteure salue à cet égard la mesure n° 9 du plan de mobilisation de l’école pour les valeurs de la République présenté le 22 janvier 2015 par la ministre de l’Éducation nationale qui prévoit une augmentation de plus de 20 % de la dotation de ces fonds.

Ces aides, indispensables mais par définition exceptionnelles, ne fournissent cependant que des solutions ponctuelles à des situations particulièrement graves.

Dans ce contexte manifestement perfectible, la rapporteure ne peut qu’inviter les collectivités à consentir de nouveaux efforts pour garantir partout où cela est possible l’application de tarifs tenant pleinement compte des capacités contributives des familles.

Dans le même temps, il faut saluer les progrès considérables accomplis pour encourager l’accès aux cantines scolaires des enfants affectés de handicaps ou de troubles de santé nécessitant une adaptation de leur régime alimentaire.

S’agissant d’abord des enfants handicapés, le Conseil d’État a jugé, dans sa décision du 20 avril 2011, Ministre de l’Éducation nationale, qu’il « incombe à l’État, au titre de sa mission d’organisation générale du service public de l’éducation, de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que le droit à l’éducation [reconnu par l’article L. 111-1 du code de l’éducation] et l’obligation scolaire aient, pour les enfants, un caractère effectif ; à cette fin, la prise en charge par celui-ci du financement des emplois des assistants d’éducation qu’il recrute pour l’aide à l’accueil et à l’intégration scolaire des enfants handicapés en milieu ordinaire n’est pas limitée aux interventions pendant le temps scolaire ».

Ce droit à l’accompagnement par un auxiliaire de vie scolaire rémunéré par l’État dans toutes les étapes de la scolarité de l’enfant, dont fait évidemment partie la cantine, est malheureusement encore trop peu connu par les parents concernés.

Pour en bénéficier ces derniers doivent en effet en faire expressément la demande auprès de la maison départementale des personnes handicapées, afin que ce besoin soit pris en compte dans le projet personnalisé de scolarisation de leur enfant.

En miroir de ce droit, les communes ne peuvent refuser l’accès à la cantine d’un enfant handicapé sans la présence d’un auxiliaire de vie scolaire dès lors que la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées a estimé que cet enfant n’avait pas besoin d’accompagnement.

La rapporteure encourage dès lors les acteurs scolaires, en particulier les directeurs d’école, à mieux informer les parents de l’existence de ces droits. Dans un même esprit, elle rappelle que les communes doivent demeurer très attentives à garantir un accès inclusif des élèves handicapés dans le cadre de leur obligation globale, fixée par l’article L. 111-7 du code de la construction et de l’habitation, d’accessibilité à tous des établissements recevant du public.

Les enfants affectés de troubles de santé, d’allergie ou d’intolérance alimentaire, qui représentent 7 % de la population scolaire, doivent eux aussi faire désormais l’objet d’une prise en charge leur permettant d’accéder à la restauration scolaire.

La cour administrative d’appel de Marseille a ainsi jugé, dans son arrêt du 9 mars 2009, Mme Paix, que les dispositions des règlements intérieurs « qui aboutissent à exclure de manière systématique d’un accueil pendant la période des repas, sans prise en compte du degré ou de la complexité de l’intolérance dont [est affecté] tout enfant atteint d’une allergie alimentaire, méconnaissent le principe d’égalité de traitement, en établissant une discrimination fondée sur l’état de santé des enfants ». Il ne fait guère de doute qu’un tel raisonnement, appliqué dans le cas concerné à une crèche, a vocation à s’étendre aux cantines scolaires.

Pour garantir un accès adéquat, la circulaire n° 2003-135 du 8 septembre 2003 a défini les aménagements auxquels il convient de procéder afin que ces enfants puissent bénéficier des services de restauration scolaire, en prévoyant deux possibilités :

– soit les restaurants fournissent des repas adaptés au régime particulier défini par les recommandations du médecin prescripteur ;

– soit l’enfant consomme dans la cantine le panier-repas que ses parents lui préparent en respectant les conditions d’hygiène et de conditionnement fixées par la circulaire.

La rapporteure appelle donc l’ensemble des communes à s’assurer du respect absolu de ces dispositions.

Elle estime de surcroît que l’intérêt de l’enfant commande que les élèves concernés par ces régimes alimentaires spécifiques ne soient pas séparés de leurs camarades. Dans quelques rares expériences locales ces enfants sont en effet isolés pendant la pause méridienne, généralement au motif d’éviter qu’ils ne consomment les autres aliments proposés par la cantine. Ces pratiques peuvent nourrir de douloureux sentiments d’exclusion, alors même qu’une surveillance discrète par les agents de restauration ne pose en pratique aucune réelle difficulté.

L’importance des missions assumées par la restauration scolaire et l’objectif impérieux d’enrayer grâce à l’école inclusive la redoutable machine à générer des inégalités que l’économie contemporaine alimente avidement exigent de mettre fin aux discriminations qui empêchent les enfants les plus vulnérables d’accéder à ses services.

L’urgence est d’éradiquer à la racine les atteintes au principe d’égalité constatées sur les territoires en fixant dans la loi le principe de l’interdiction de toute discrimination à raison de la situation de la famille des écoliers.

L’introduction d’un article spécifique aux cantines des écoles primaires dans le code de l’éducation permettrait de consacrer la jurisprudence constante sur cette question et d’écarter l’éventualité, à vrai dire extrêmement peu probable, de tout revirement. Elle permettrait de faire connaître aux parents l’étendue des droits dont ils disposent. Enfin, elle fournirait aux préfets, dans le cadre de leur contrôle de légalité a posteriori des décisions des collectivités territoriales, un fondement légal incontournable pour déférer systématiquement au juge administratif les délibérations des communes qui contreviendraient manifestement à la loi.

C’est à cet effet que la présente proposition de loi présentée par M. Roger-Gérard Schwartzenberg dispose clairement qu’il « ne peut être établi aucune discrimination selon la situation de [la] famille » des enfants pour l’accès à la cantine scolaire. Cette formulation générale inclut la diversité des discriminations constatées et annulées par les juges, qu’elles soient liées à la structure et la composition du foyer familial, à la situation professionnelle ou au domicile des parents.

La proposition va cependant plus loin en donnant à chaque enfant un véritable droit à cet élément annexe mais décisif du service public de l’éducation qu’est la restauration scolaire, sans laquelle les populations les plus vulnérables ne sont pas en mesure de suivre une scolarité satisfaisante et féconde. Elle vise en effet à instaurer un droit à l’inscription dans les cantines, qui implique qu’aucun refus ne pourrait désormais être opposé aux demandes des familles.

Une telle innovation imposerait aux rares communes dont les cantines sont saturées d’entreprendre sans délai les indispensables aménagements et réorganisations de service. La rapporteure souhaite cependant relativiser l’ampleur de ces contraintes. Il faut en effet rappeler qu’en fixant à une heure trente au minimum la durée de la pause méridienne dans les écoles maternelles et élémentaires, l’article D. 521-10 du code de l’éducation, dans sa version résultant du décret n° 2013-77 du 24 janvier 2013, a donné toute latitude aux communes pour mettre en place des doubles services, solution plus facilement et rapidement applicable que la modification des locaux.

En tout état de cause, la proposition de loi prévoit utilement que l’éventuel accroissement des dépenses des communes qu’elle pourrait provoquer serait compensé par l’État grâce à une majoration à due concurrence de la dotation générale de fonctionnement dont elles bénéficient.

La commission des Affaires culturelles et de l’éducation examine, sur le rapport de Mme Gilda Hobert, la proposition de loi de M. Roger-Gérard Schwartzenberg visant à garantir le droit d’accès à la restauration scolaire (n° 2518), lors de sa séance du mercredi 4 mars 2015.

M. le président Patrick Bloche. Le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP) a choisi d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de sa journée réservée du jeudi 12 mars prochain.

Mme Gilda Hobert, rapporteure. La proposition de loi que nous examinons vise en effet à garantir le droit d’accès de tous les élèves des écoles maternelles et élémentaires aux cantines scolaires. Au cours des dernières années, certaines communes n’ont pas hésité à arguer de difficultés financières souvent réelles pour restreindre cet accès. De manière illégale et inacceptable, quelques-unes ont même délibérément exclu de la restauration scolaire les élèves les plus vulnérables, les enfants de chômeurs, sous prétexte que leurs parents auraient le temps de leur fournir un déjeuner à domicile, alors que la recherche d’un emploi suppose d’accomplir nombre de démarches absorbantes. Non seulement ces mesures stigmatisantes ne font qu’ajouter de l’exclusion à l’exclusion, mais elles ont des conséquences dramatiques pour les enfants des familles les plus précaires, le déjeuner à la cantine étant parfois le seul repas complet, équilibré et varié dont ils puissent bénéficier.

La restauration scolaire dans l’enseignement primaire étant un service public administratif facultatif, les cantines sont librement créées, organisées et supprimées par les communes. Leur financement ne figure pas parmi les dépenses obligatoires de ces collectivités, contrairement à celui de la restauration des collégiens et des lycéens, qui figure parmi les dépenses obligatoires des départements et des régions.

Les grandes lois républicaines des années 1880 n’ont pas traité la question de la pause méridienne : la restauration collective pour les enfants constituait alors une œuvre sociale et de charité. Tout au long du siècle, les communes et les parents ont donc dû s’organiser de manière autonome lorsque ces derniers étaient dans l’incapacité de faire déjeuner leurs enfants. Ce n’est qu’en 1936, avec le Front populaire, qu’a été instaurée l’obligation de construire des locaux de restauration dans toute nouvelle école, avant que l’explosion démographique des années 1960 n’encourage les pouvoirs publics à resserrer le maillage des services de restauration scolaire. Aujourd’hui, 6 millions d’élèves – soit la moitié des écoliers et les deux tiers des collégiens et lycéens – sont inscrits dans les cantines. Au total, plus de 80 % des communes dotées d’écoles ont su mettre en place une cantine scolaire.

On ne saurait méconnaître l’importance de tels progrès. Dans le cadre du service public national de l’éducation, la restauration scolaire tend en effet à assumer des missions de plus en plus décisives. Elle poursuit d’abord un objectif d’équilibre nutritionnel, notamment à l’intention des enfants les moins favorisés. De nombreuses études montrent sans ambiguïté que, si la qualité de la restauration scolaire connaît des variations notables d’un établissement à l’autre, les repas que les élèves prennent à la cantine sont la plupart du temps plus complets et plus conformes aux recommandations nutritionnelles traditionnelles que ceux qu’ils prennent chez eux. C’est d’ailleurs encore plus vrai depuis que les préoccupations nutritionnelles et de sécurité alimentaire font l’objet d’une attention marquée, en particulier depuis que l’Union européenne a adopté le « paquet Hygiène » en 2004, et que le décret du 30 septembre 2011 et l’arrêté pris le même jour par le ministre de l’éducation nationale ont défini les principes de variété des repas. À ces règles s’ajoutent les recommandations formulées par le groupe d’étude des marchés consacré à la restauration collective mis en place en 2006, qui a instauré une norme de service, complétée en 2008 par un règlement de certification, mettant l’accent sur les qualités nutritionnelles attendues des services de restauration scolaire et sur l’importance du rôle éducatif des cantines.

Garantir l’accès quotidien des élèves à un repas complet, varié et équilibré, me semble une nécessité fondamentale pour la santé et l’aptitude à étudier des enfants les plus vulnérables. Cet objectif constitue même à mes yeux le prolongement cohérent et incontournable des efforts que nous avons consentis depuis 2012 pour placer les capacités et les rythmes réels d’apprentissage des enfants au cœur des calendriers et des démarches scolaires, au travers de la loi sur la refondation de l’école et la réforme des rythmes scolaires.

Mais la restauration scolaire remplit aussi d’autres missions, tout aussi importantes. Je pense ainsi à l’éducation nutritionnelle, en particulier celles des enfants qui n’ont guère de possibilités, au sein de leur foyer, d’expérimenter des saveurs et des aliments variés. Je n’oublie pas non plus que, pour de nombreux élèves, la cantine joue le rôle irremplaçable de lieu de socialisation et d’acquisition des règles d’hygiène et d’autonomie. Priver certains enfants d’accès à la restauration scolaire, c’est aussi les exclure, même momentanément, du groupe scolaire. Et le faire en stigmatisant leurs parents, c’est reproduire avec cynisme des inégalités sociales dont l’école est pourtant censée affranchir les élèves.

Malgré ces avancées incontestables, il subsiste encore des entraves au libre accès des élèves à la restauration scolaire. Pour mieux vous faire comprendre en quoi notre intervention est nécessaire, permettez-moi encore une fois de vous présenter l’ampleur des progrès accomplis.

S’agissant des enfants handicapés ou souffrant de troubles de santé, les choses ont beaucoup évolué. Le Conseil d’État a ainsi jugé, dans son arrêt Ministère de l’éducation du 20 avril 2011, que l’État devait prendre à sa charge toutes les mesures nécessaires à la mise en œuvre du droit à l’éducation reconnu aux enfants handicapés, y compris en dehors du temps scolaire stricto sensu. Il lui appartient ainsi de financer l’accompagnement de ces enfants à la cantine par des auxiliaires de vie scolaire. Malheureusement, ce droit n’est pas toujours bien connu des parents concernés. Il importe donc que les directeurs d’école veillent à mieux les en informer. A contrario, il va de soi que, lorsque la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées estime que ces enfants n’ont pas besoin d’accompagnement, les communes ne peuvent leur refuser l’accès à la cantine sous peine d’être sanctionnées pénalement pour discrimination.

Les enfants affectés d’allergies, qui représentent 7 % de la population scolaire, font eux aussi désormais l’objet d’une prise en charge adaptée, régie par une circulaire du 8 septembre 2003. Celle-ci prévoit que soit les cantines leur fournissent des repas adaptés, soit les enfants peuvent y consommer les paniers repas préparés par leurs parents.

Cette proposition de loi ne traite pas des questions de tarif ou de coût de la restauration scolaire. Cette omission est volontaire : nous devons concentrer nos efforts afin de mettre un terme à l’entrave la plus inacceptable et la plus scandaleuse qui soit à l’accès au service de restauration scolaire : les discriminations que certaines communes font subir à quelques élèves, au plus complet mépris du droit, en leur fermant la porte de la cantine.

Dans le silence de la loi, la restauration dans les écoles du primaire est principalement régie par la jurisprudence du juge administratif. Or, compte tenu du caractère facultatif de ce service public, le juge a toléré que les communes limitent l’accès aux cantines lorsque leurs capacités d’accueil sont saturées. Ces restrictions doivent être conformes au principe fondamental d’égalité des usagers et sont strictement encadrées par la jurisprudence. Sont ainsi interdites toutes les discriminations fondées sur le domicile et la situation professionnelle des parents, comme l’a notamment jugé le Conseil d’État dans son arrêt Pasquier du 23 novembre 2009, ou encore sur l’âge des enfants. De même, les discriminations fondées sur les critères proscrits par l’article 225-1 du code pénal sont susceptibles d’engager la responsabilité pénale de leurs auteurs.

Au mépris de ces jurisprudences limpides, certaines communes persistent à introduire des discriminations manifestement illégales, qui produisent leurs effets sournois dans le temps, nécessairement long, qui s’écoule avant que les tribunaux n’y mettent un terme. Pour que ces derniers puissent intervenir, encore faut-il que les parents des élèves concernés aient le réflexe et l’expertise nécessaire pour saisir le juge, ce qui n’est pas toujours le cas, en dépit des remarquables efforts déployés par les associations de parents d’élèves en faveur des familles victimes de discriminations. L’ampleur du phénomène est difficile à cerner avec précision puisque peu d’administrés choisissent de s’engager dans la voie contentieuse. Selon les informations que j’ai pu recueillir, ces discriminations pourraient concerner quelques centaines de cas par an, ce qui est intolérable. C’est pourquoi il me paraît plus que temps de fixer clairement dans la loi les grands principes dégagés par le juge et d’éradiquer ces délibérations illégales.

Cette proposition de loi tend ainsi à introduire dans le code de l’éducation un nouvel article L. 131-13 disposant que l’accès des élèves à la cantine est un droit et que, en conséquence, « il ne peut être établi aucune discrimination selon la situation de leur famille », expression qui renvoie aux limitations illégales ayant été constatées sur le terrain et qui recouvre la structure et la composition du foyer familial, la situation professionnelle des parents et la localisation de leur domicile. Ce droit vaudrait logiquement tous les jours scolaires où un service de restauration scolaire est organisé. Une telle innovation permettrait de faire clairement connaître aux parents l’étendue des droits dont ils disposent, écarterait l’éventualité, à vrai dire peu probable, de tout revirement jurisprudentiel et fournirait aux préfets, dans le cadre de leur contrôle de légalité a posteriori, un fondement incontournable pour déférer aux juges toutes les délibérations municipales contrevenant à ce droit.

Certes, ce texte obligerait les communes dont les cantines sont aujourd’hui saturées à aménager et à réorganiser sans délai leur service de restauration scolaire afin de pouvoir y accueillir tous les enfants. Mais une telle contrainte est toute relative : en effet, le code de l’éducation ayant fixé la durée de la pause méridienne à une heure trente au moins, les communes auront la possibilité d’organiser un double service, solution plus facile et plus rapide à appliquer que celle consistant à agrandir leurs locaux de restauration scolaire. En tout état de cause, la proposition de loi prévoit que l’éventuel accroissement des dépenses des communes pouvant résulter de son application sera compensé par l’État grâce à une majoration de leur dotation globale de fonctionnement (DGF).

Si la proposition de loi n’impose pas la création de cantines là où elles n’existent pas, c’est dans un souci de modération à l’égard des collectivités aujourd’hui confrontées à des difficultés budgétaires et plus encore de réalisme et de solidarité à l’égard des communes – essentiellement rurales – qu’une telle obligation aurait pu concerner. Ces communes sont en effet les plus fragiles et, dans la majorité des cas, elles parviennent aujourd’hui à trouver des solutions alternatives en mutualisant ce service avec d’autres communes mieux dotées.

L’école peut être un formidable vecteur de socialisation. Pour ce faire, il nous faut concevoir une coéducation qui soit assurée de façon transversale par les collectivités territoriales, les écoles, les enseignants, les familles et les structures associatives, et qui garantisse un apprentissage de la vie et de la citoyenneté, un apprentissage riche et épanouissant débarrassé de toute tentation d’introduire des discriminations. Le temps scolaire, dans la continuité de son déroulement, et dès lors qu’il englobe sans interruption le temps de l’enseignement, celui du repas et celui des activités, me paraît un outil de socialisation essentiel. Je ne doute pas qu’une proposition de loi visant à renforcer les droits de l’enfant fasse consensus. D’ailleurs, cette proposition s’inscrit dans une longue série de projets comparables parmi lesquelles la proposition de loi déposée en février 2012 par le groupe socialiste, républicain et citoyen ainsi que le rapport du Défenseur des droits, et elle consacre les décisions unanimes prises par le juge administratif. L’enfant étant une priorité nationale, avançons chaque fois que cela est possible dans cette direction.

M. Hervé Féron. La proposition de loi qui vient de nous être présentée lève le voile sur des pratiques discriminatoires ayant cours dans plusieurs communes françaises et tend, pour y mettre fin, à consacrer au niveau législatif le principe du droit d’accès à la restauration scolaire dès lors que ce service public facultatif est proposé dans la commune, conformément au principe de libre administration des collectivités territoriales. Elle répond en cela à une demande de certaines associations de parents d’élèves, lasses de constater l’attitude de municipalités qui établissent des critères discriminatoires pour procéder à des sélections illicites, refusant notamment l’accès à la restauration scolaire aux élèves dont au moins un des parents est au chômage. La liste des textes nationaux et internationaux prohibant ce type de discriminations est d’ailleurs très longue.

La situation tragique dans laquelle se trouve, en France, un nombre toujours croissant d’enfants me touche particulièrement. Avec le Conseil français des associations pour les droits de l’enfant (COFRADE), j’ai même demandé la création d’une mission interministérielle à ce sujet. Dans notre pays, un enfant sur cinq vit actuellement sous le seuil de pauvreté. Cela représente 440 000 enfants de plus que depuis le début de la crise en 2008. Pour ces enfants, le déjeuner servi à la cantine représente souvent le seul véritable repas de la journée. Dans ma circonscription, j’ai eu connaissance de plusieurs de ces cas dramatiques, qui nous rappellent à quel point notre pays souffre. Réaliser des économies sur le dos des plus précaires, comme le font certaines municipalités, n’est pas seulement illégal. C’est infliger à ces familles une double peine, et ce triste constat a motivé la rédaction de cette proposition de loi.

La dimension éthique d’un tel sujet est évidente. Mais elles ne sauraient occulter un autre aspect, plus pragmatique, qui n’en reste pas moins primordial : je veux parler des difficultés financières auxquelles font face nombre de communes. Les municipalités qui ont choisi de se doter de cantines scolaires doivent déployer d’importants moyens financiers pour faire face à la demande, mettre en place des doubles services, agrandir ou rénover des locaux parfois anciens. Pour trouver des solutions, les gestionnaires de la restauration scolaire rivalisent d’ingéniosité : ainsi, dans le XIIe arrondissement de Paris, des préaux ou autres espaces vacants ont été transformés en cantines éphémères.

Mais, dans le contexte budgétaire que nous connaissons, l’ingéniosité et la bonne volonté ont leurs limites, et je crains que cette proposition de loi n’entraîne des contraintes insolubles pour les collectivités qui se plaignent déjà du poids des charges et des normes techniques encadrant l’exercice de leurs compétences. Si le texte ne rend pas obligatoire la compétence en matière de restauration scolaire, se contentant de consacrer un droit à la restauration dans les municipalités où ce service existe, il oblige bien les communes qui ont créé des cantines à satisfaire toutes les demandes d’inscription. Cette démarche prescriptive n’est pas cohérente avec le plan gouvernemental de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.

En outre, la proposition de loi précise que le droit à la restauration « concerne le repas du midi pour les jours scolaires », ce qui pourrait inclure le mercredi, alors même que toutes les collectivités territoriales n’ont pas créé de service ce jour-là. À titre d’exemple, la mairie de Bordeaux a renoncé à la création d’un service de cantine le mercredi midi, qui aurait entraîné un surcoût de 4 millions d’euros par an. À l’échelle de la petite ville de Tomblaine, dont je suis maire, ce coût supplémentaire pourrait s’élever à 150 000 euros. C’est peu, me direz-vous, mais cela remettrait en question tout un équilibre budgétaire trouvé à la suite de la réforme des rythmes scolaires. L’amendement de suppression de l’alinéa 3 de l’article premier présenté par le Gouvernement intervient donc opportunément pour régler ce problème.

Dernier point de blocage, la rédaction actuelle de la proposition de loi pourrait remettre involontairement en cause les modulations des tarifs facturés aux parents en fonction des ressources et de la composition des familles, dispositifs pourtant prévus par la loi depuis 1998 et admis par le Conseil d’État, dès lors que le tarif le plus élevé reste inférieur au coût de fonctionnement du service.

En résumé, nous voterons cette proposition de loi à la condition que puissent être évités par voie d’amendement, d’ici la séance, les trois écueils déjà évoqués : le fait que des coûts supplémentaires et de nouvelles normes soient imposés aux communes sans tenir compte des capacités physiques dont elles disposent aujourd’hui pour les cantines ; l’introduction indirecte d’une obligation de service le mercredi ; le risque d’incompatibilité du texte avec la loi autorisant le recours au quotient familial pour moduler les tarifs applicables à la restauration scolaire.

L’examen, dans les mois à venir, du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires nous donnera probablement l’occasion d’approfondir notre réflexion sur les discriminations dans les services publics, dans le dessein de garantir une réelle équité sur le territoire national.

M. Frédéric Reiss. Cette proposition de loi est généreuse et sans doute le rapport qui vient de nous être présenté reflète-t-il la réalité du terrain. Mais de nombreuses questions restent en suspens.

Tout d’abord, la rapporteure n’a auditionné que la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) : pourquoi ne pas avoir entendu d’autres associations de parents d’élèves ? Il est toujours intéressant de recueillir plusieurs points de vue en la matière. Quand on sait à quel point il est difficile d’organiser une cantine, notamment en milieu rural, il serait bon de faire confiance aux maires et aux présidents des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) auxquels la compétence scolaire a été transférée. De réels progrès ont d’ailleurs été accomplis depuis l’essor de l’intercommunalité dans les années 2000. Ainsi les EPCI ont-ils souvent accordé une priorité à l’organisation d’un périscolaire incluant un service de restauration. Faisons confiance aux élus locaux pour offrir aux familles les meilleures solutions possible dans la limite des places disponibles, surtout lorsqu’une convention a été conclue entre la commune et le conseil général pour permettre aux enfants de l’école primaire de manger à la cantine du collège. L’instauration de critères d’accès à la cantine ne me paraît pas discriminatoire, contrairement à ce que vous semblez affirmer dans votre rapport.

Dans les communes dépourvues de service de restauration scolaire, ce texte ne posera aucun problème. En revanche, dans celles qui en ont instauré un, l’adoption de cette proposition de loi entraînera la généralisation de ce service, l’État étant alors censé prendre en charge l’augmentation des dépenses induites par la consécration du droit d’inscription à la cantine. En effet, cette consécration obligera les cantines objectivement saturées à réaliser des travaux d’agrandissement de leurs locaux ou à se réorganiser en trouvant le personnel nécessaire. Mais avec quel argent le pourront-elles ? Et croyez-vous vraiment que l’État compensera les charges supplémentaires occasionnées par une telle mesure quand on sait que les collectivités territoriales toucheront 11 milliards d’euros de dotations en moins d’ici à 2017 ?

D’autre part, qu’est-il prévu le mercredi, jour où les cours s’arrêtent à midi ? Cette question se pose d’ailleurs également le samedi dans certaines régions. Faut-il aussi organiser la cantine ces jours-là ?

Vous partez du principe que la cantine est la panacée de l’éducation au goût et d’une bonne alimentation et qu’elle est au fondement de la cohésion sociale. Pourtant, de nombreux élèves préfèrent ne pas aller à la cantine. Lorsque Mme Hobert insiste dans son rapport sur l’équilibre nutritionnel des repas servis à la cantine, n’a-t-elle pas en contrepartie une vision catastrophiste de l’alimentation servie en famille ? J’ose croire que la grande majorité des familles sait composer un repas équilibré et qu’un repas pris en famille lorsqu’on a six ou sept ans est aussi important. Nous ne contestons pas le rôle éducatif que peuvent jouer les repas pris en commun à la cantine. Mais, en matière de coéducation, faisons confiance aux familles pour trouver avec les élus locaux les meilleures solutions pour leurs enfants.

Mme Brigitte Allain. Ce texte a trait à des droits qui me semblent fondamentaux et qui me tiennent particulièrement à cœur : l’égal accès de tous au service public et l’accès de tous les enfants à une alimentation variée, équilibrée et suffisante. Travaillant régulièrement sur les questions d’alimentation, j’ai en effet récemment été nommée rapporteure de la mission d’information sur les circuits courts et la relocalisation des filières agroalimentaires.

La cantine est bien sûr un vecteur de sociabilisation, d’échange et d’apprentissage de la collectivité. Mais, plus que cela, j’ai constaté lors de mes auditions qu’elle représente un enjeu majeur en termes d’éducation au goût, au partage, à l’alimentation et au civisme, qu’elle est un lieu hautement éducatif, où l’on assimile le principe de respect envers son voisin de table et la pratique du tri des déchets, où l’on apprend à apprécier et à ne pas jeter la nourriture.

Des efforts importants ont été accomplis ces dernières années pour introduire l’art culinaire ainsi que les produits bio et les produits locaux dans nos restaurants hors domicile, notamment avec la reprise en gestion directe des cuisines. Soutenus par le programme national nutrition santé et le programme national pour l’alimentation, et animés d’une forte volonté de progresser, les élus, directeurs d’écoles, intendants et parents d’élèves font évoluer les repas vers des assiettes plus équilibrées.

Le lien entre la qualité de l’alimentation et la catégorie socioprofessionnelle des parents est réel : les enfants issus des familles aux revenus modestes sont plus nombreux à souffrir de troubles de l’alimentation tels que l’obésité que des enfants nés de parents cadres ou de parents exerçant des professions intermédiaires. Il est donc stigmatisant et parfaitement inadmissible d’exclure certains enfants des restaurants scolaires sous le prétexte que leurs parents ne travaillent pas. Il est suffisamment traumatisant pour un enfant de grandir dans une famille en situation difficile sans qu’on lui fasse subir une exclusion supplémentaire.

Peut-on prendre le risque de priver un enfant de nourriture ? Que prétend-on lui enseigner si ce besoin fondamental n’est pas assouvi ? Comment un enfant peut-il ne pas ressentir l’injustice d’un tel rejet par une institution de la République ? Nous nous devons de refuser toutes les discriminations et les exclusions, violences morales subies plus vivement par les personnes les plus fragiles et notamment par les enfants. La Convention internationale des droits de l’enfant rappelle ces principes d’égalité et d’accès à l’alimentation. Elle interdit les sévices corporels et psychiques quels qu’ils soient. Être exclu du repas pris en commun constitue une maltraitance physique et morale. Il s’agit donc d’un enjeu de santé publique, d’égalité sociale et de civisme. Aucun enfant ne doit être victime de la condition sociale de ses parents. Aucun enfant ne doit se voir refuser l’accès au restaurant scolaire sous prétexte de quelque différence que ce soit
– handicap, maladie ou régime alimentaire spécifique. Les écologistes défendront d’ailleurs un amendement en ce sens, que présentera Barbara Pompili.

Proposée par le groupe RRDP, cette proposition de loi recueillera sans aucun doute le soutien des écologistes, même si l’obligation de recourir à la loi pour rappeler le principe constitutionnel d’égal accès des usagers aux services publics nous interroge sur la société dans laquelle nous vivons.

M. le président Patrick Bloche. Je partage vos préoccupations, même si, sur une note plus légère, je dois bien constater d’expérience, pour avoir présidé une caisse des écoles, qu’il vaut mieux éviter de demander aux enfants s’ils aiment la nourriture de la cantine : malgré tous nos efforts, malgré l’introduction des aliments bio, etc., leur réponse est toujours décevante…

M. Laurent Degallaix. Le texte vise un objectif que nous poursuivons tous : la réussite des enfants dans leur parcours scolaire et éducatif. Non seulement l’accès à la restauration scolaire occupe une place déterminante dans la vie de l’élève, mais elle influe de manière décisive sur ses capacités d’apprentissage. Dans un contexte de forte hausse du chômage et de précarisation croissante des familles, ne sous-estimons pas l’importance du repas quotidien servi à l’école, qui est souvent le seul repas équilibré que mangent les enfants.

Ce sont les plus modestes qui rencontrent le plus de difficultés pour accéder à la restauration scolaire. Or, faute de pouvoir répondre à l’afflux des demandes ou par souci d’économie, ou encore pour des raisons idéologiques, certaines municipalités refusent d’inscrire des enfants à la cantine, ce qui est illégal. Dès lors que la restauration scolaire est un service public local, inscrit dans une mission de service administratif répondant à un besoin d’intérêt général, elle doit respecter les principes d’égalité d’accès, de continuité et de neutralité religieuse. Les refus d’accès contreviennent donc au principe de non-discrimination tant à l’égard des enfants, lésant ainsi ses droits et la défense de son intérêt supérieur, qu’à celui des parents, dont l’employabilité – surtout pour les femmes – dépend souvent de la possibilité de faire déjeuner son enfant à la cantine.

Si nous soutenons les objectifs de la proposition de loi, qui tend à consolider la place de l’école dans le projet républicain, nous attendons du Gouvernement des engagements fermes sur la manière dont il compensera la charge financière imposée aux communes, alors que la dotation des collectivités accuse une baisse sans précédent, et que la réforme des rythmes scolaires a accru les transferts de charges. Il serait irresponsable de créer un droit sans prévoir les moyens budgétaires qui le rendront effectif.

M. Jean-Noël Carpentier. Le texte tombe à point nommé, au lendemain de la présentation par le Premier ministre du plan de lutte contre la pauvreté. Celle-ci s’est accrue chez nous comme chez nos voisins. Dans notre pays, où un enfant sur cinq évolue dans un milieu familial touché par la pauvreté, la proposition de loi vise à protéger un droit essentiel : l’accès à un service public de restauration.

La proposition de loi, qui constituerait un remarquable accomplissement pour la majorité, contribuera à lutter contre les discriminations et à protéger nos concitoyens touchés par les difficultés financières. Aujourd’hui, dans un petit nombre de communes, des choix politiques locaux excluent d’un service public une partie de la population. Quelles que soient les raisons financières qu’elles invoquent, les collectivités ne peuvent se soustraire à une dépense qui doit devenir une priorité. J’entends les protestations de nos collègues de l’UMP. Compte tenu de la couleur politique des municipalités qui se livrent à de telles discriminations, leur réaction ne me surprend pas !

Le texte, frappé au coin du bon sens, permettra aux familles de recourir en toute quiétude à la restauration scolaire. Pour l’heure, si des associations de parents d’élèves, de toute tendance politique, n’hésitent pas à attaquer certains refus en justice, les familles renoncent encore souvent à faire respecter leur droit. Le groupe RRDP soutient la proposition de loi. Dans notre pays, si fier du dynamisme de sa natalité, les enfants doivent être accueillis sans réserve dans les écoles et les cantines.

Mme Marie-George Buffet. Avant de pointer du doigt les pratiques discriminatoires de certaines communes, je rappelle que c’est en matière d’éducation et d’accueil de l’enfant que le lien entre l’éducation nationale et les politiques municipales est le plus étroit. Faut-il rappeler l’effort financier important consenti par les communes à l’égard des « colos », comme on disait jadis, des centres de vacances, des centres de loisirs, des études, des garderies, du périscolaire et des cantines ? Comme l’a expliqué la rapporteure, dans le primaire, les collèges et les lycées, six millions d’enfants et de jeunes sont concernés par la restauration scolaire, soit deux fois plus qu’en 1970, ce qui s’explique essentiellement par l’entrée massive des femmes dans le monde du travail. La cantine est devenue un élément structurant de la vie des enfants et des jeunes. Le repas, moment d’apprentissage et de convivialité, prend une valeur encore plus grande quand la famille est touchée par les difficultés sociales.

La proposition de loi permettra aux parents de se retourner contre les communes qui effectueraient des choix discriminatoires. Certaines ont éliminé des enfants dont les parents sont touchés par le chômage ; d’autres, des enfants dont un des parents ne travaille pas, ce qui ne fait que l’éloigner davantage de l’emploi. Le texte est par conséquent bienvenu.

Sur deux points, cependant, il peut être amélioré. À l’origine, c’est à l’État qu’incombait l’obligation d’assurer la restauration scolaire dans les collèges et les lycées, obligation qui a ensuite été décentralisée. Pourquoi l’école primaire a-t-elle été oubliée dans ce dispositif ? Faut-il l’y intégrer, en imposant à l’État une obligation qu’il déléguera aux communes ? On éviterait ainsi que certaines écoles n’aient pas de cantine. D’autre part, peut-on aller plus loin dans la généralisation de tarifs dégressifs variant selon le revenu des parents auxquels toutes les communes n’ont pas recours ?

Les députés du Front de gauche voteront la proposition de loi et appellent le Gouvernement à doter les communes des moyens qui leur permettront de faire face à leurs nouveaux besoins.

Mme Sophie Dessus. Je remercie notre rapporteure pour la qualité de son travail en dépit de l’urgence. Sur le fond, nous ne pouvons que soutenir son initiative, même si le texte devra encore être précisé dans la semaine qui vient.

Nous avons déjà interrogé Mme Lebranchu, ministre de la Décentralisation et de la fonction publique, et M. Kanner, ministre de la Ville, de la jeunesse et des sports, sur le décret n° 2014-1320 du 3 novembre 2014 relatif aux règles applicables à l’accueil des enfants dans les activités de loisir. Ce décret prévoit que l’accueil de loisirs extrascolaires se déroule les jours où les enfants n’ont pas école, ce qui exclut le mercredi, tandis que l’accueil de loisirs périscolaires concerne les jours où les enfants ont école, mercredi inclus. Si l’on s’en tient à cette distinction, l’accueil du mercredi – à l’origine extra-scolaire et relevant à ce titre de la compétence intercommunale – peut devenir périscolaire, donc communal, ce qui introduira des complications très lourdes en matière de personnels ou de locaux. Mieux vaudrait que l’accueil des loisirs du mercredi après-midi continue d’être assumé par les communautés de communes, qui possèdent la compétence extrascolaire. Le point peut paraître technique, mais il est important. Il s’agit seulement de laisser aux collectivités territoriales la liberté de gérer le temps périscolaire et extrascolaire, afin de simplifier notamment l’organisation du déjeuner du mercredi.

M. le président Patrick Bloche. Peut-être pourrions-nous trouver une rédaction moins prescriptive pour les communes tout en mettant fin aux discriminations malheureusement parfois constatées ?

Mme Dominique Nachury. Si certaines municipalités instaurent des mesures discriminatoires, la plupart organisent la restauration dans le respect de chacun. La restauration scolaire étant un service annexe dépourvu de caractère obligatoire, on transforme indirectement sa nature si l’on crée un droit opposable à la cantine.

Dès lors qu’on doit procéder à des choix – compte tenu de leur budget ou de leurs locaux, les communes ne peuvent pas accueillir tous les élèves à l’heure du déjeuner –, quels critères d’accès peut-on retenir, sachant que le juge administratif sanctionne déjà systématiquement toute mesure discriminatoire ?

Enfin, comment comprendre que, tandis qu’on n’impose aucune contrainte aux communes qui ne prévoient pas de service de restauration, on soumette les autres à de multiples obligations ? Un tel régime n’est-il pas, lui aussi, discriminatoire ?

Mme Brigitte Bourguignon. Après les propositions de loi du groupe socialiste à l’Assemblée nationale et du groupe communiste au Sénat, c’est au tour du groupe RRDP de se pencher sur l’accès à la restauration scolaire, qui engage aussi bien les principes que la réalité. Le Défenseur des droits avait déjà soulevé cette question dans son rapport de 2013. En inscrivant dans le droit le fait qu’aucune discrimination ne puisse empêcher l’accès d’un enfant à la restauration scolaire, on fera cesser la stigmatisation insupportable des enfants les plus vulnérables, fondée sur des critères sociaux aussi humiliants que le chômage des parents.

La détérioration de la situation économique pèse aussi sur les enfants. L’Observatoire des inégalités a recensé 1,2 million d’enfants pauvres au 1er janvier 2015. Le dernier rapport de l’UNICEF, rédigé fin 2014, établit que, entre 2008 et 2012, plus de 440 000 enfants ont basculé dans la pauvreté. La hausse de la fréquentation des associations caritatives distribuant une aide alimentaire montre que l’accès à un repas équilibré est primordial pour un grand nombre d’enfants. Même s’il n’existe pas de solution idéale, nous ne pouvons pas nous cantonner à une logique comptable, qui conduirait à calculer le coût des repas pour les communes, sans tenir compte de l’investissement, en termes de santé publique et de réussite scolaire, qu’il représente pour la société.

Alors que le Gouvernement vient d’annoncer une nouvelle série de mesures pour la feuille de route 2015-2017 du plan quinquennal de lutte contre la pauvreté, j’espère que vous intégrerez les propositions formulées par M. Féron, ce qui nous permettra de voter le texte sans réserve.

Mme Annie Genevard. La cantine pour tous, tous les jours scolaires : tel est l’objectif de l’article 1er de la proposition de loi. Il est moralement inacceptable de refuser la cantine à des enfants dont les parents ne peuvent la payer. Face à de telles situations, l’action des centres communaux d’action sociale (CCAS) est efficace. Pour le reste – tant pis pour la jurisprudence et le politiquement correct –, je regrette qu’on ne puisse prendre en compte la situation des femmes qui travaillent, et que pénalise l’absence de place à la cantine. Leur situation mérite d’être prise en compte, autant que celle des chômeurs.

Pour toute solution, l’article 2 prévoit de bonifier la DGF. Mais, à l’heure où les dotations des collectivités locales diminuent de 28 milliards, qui peut croire qu’une telle promesse permettra de financer la mesure ? Les maires ont agrandi et insonorisé les locaux. Ils ont doublé les services. Mais ils se heurtent à des difficultés matérielles et budgétaires qui leur interdisent, malgré leur bonne volonté, d’accueillir tous les enfants à la cantine.

J’appelle enfin votre attention sur la situation des tout-petits qui passent la journée dans le système périscolaire et déjeunent à la cantine. De ce fait, ils restent en garde collective de sept heures du matin à six heures le soir. Il serait moins fatigant pour eux d’être en crèche ou chez une nounou, qui les garderait pour le repas. Pour généreuse qu’elle soit, la proposition de loi se heurte à la réalité : quelle portée a un texte qu’il n’est pas possible d’appliquer ?

M. Yves Durand. Je remercie à mon tour la rapporteure, dont les propositions rejoignent les idées défendues par les groupes socialistes ou communistes. Compte tenu de l’importance de la restauration scolaire sur le plan éducatif et nutritionnel, la proposition de loi devrait être votée à l’unanimité. Loin d’instaurer, sur le modèle de l’obligation scolaire, une obligation de la restauration scolaire, elle rappelle l’état de la législation, qui interdit les discriminations citées dans le projet de rapport. Comment pourrait-on s’opposer à la réaffirmation du droit ? Je pense, comme M. Féron, qu’il faut lever certaines ambiguïtés, notamment sur la libre administration des communes. Nous avons une semaine pour le faire. Pour l’heure, je vous appelle tous à voter le texte.

M. François de Mazières. Nous nous accordons sur l’idée que tous les enfants doivent pouvoir bénéficier d’une cantine de qualité, mais la réalité n’est pas si simple. L’an dernier, au Sénat, Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée chargée de la lutte contre l’exclusion, avait estimé que la création d’un droit à la cantine instaurait de facto une compétence obligatoire pour les communes et supposait la mise à disposition de moyens financiers importants. Dans un contexte budgétaire tendu, cette solution lui semblait difficile à retenir. Le fait de revenir sur cette position si rapidement signifie-t-il que la situation ait changé ou que le Gouvernement tienne moins compte de la contrainte budgétaire?

Certains maires excluent de la cantine les enfants des chômeurs. Dans ma ville, j’ai établi une préséance inverse, en réservant en priorité l’accès de la cantine aux enfants des chômeurs et à ceux dont l’un des parents ne travaille pas. Beaucoup de maires font de même. Reste que le système que vous proposez sanctionne ceux qui font ce type d’efforts, et récompense les moins méritants en attribuant une bonification de DGF à ceux qui n’ont pas su adapter leurs locaux et leur organisation et qui pourraient le faire, selon la proposition, en étant désormais financés par l’État. En vous entendant, je me suis dit ironiquement que j’aurais mieux fait de réduire les capacités de mes cantines pour les augmenter plus tard, ce qui me permettrait d’augmenter la DGF dont ma commune bénéficie…

Si vous voulez créer un droit, il faut en évaluer le coût, sans quoi, l’État ne pouvant pas faire face aux dépenses, on constatera l’effet pervers que j’ai signalé. Compte tenu de la jurisprudence du Conseil d’État de 2009, nous ferions mieux, dans nos circonscriptions, de rappeler à l’ordre les maires coupables de discriminations. Ce serait plus responsable que de voter une loi qui, certes, nous fait plaisir, mais qui ne correspond pas à grand-chose, étant riche d’effets pervers.

M. Michel Ménard. La restauration scolaire est un service essentiel pour les familles, qu’elle dispense de revenir chercher leur enfant pour le déjeuner. Au cours du repas, qui constitue un temps d’éducation, les enfants se créent des règles de vie commune. Ils se forment au goût et à la diversité des aliments, ce qui contribue à la santé publique.

Nos collègues de l’UMP répètent à l’envi que le texte va leur créer d’importantes contraintes financières. Mais lorsque c’est le maire de Versailles qui tient ce discours, je me rassure vite en estimant qu’il arrivera sans doute à trouver des solutions. La vérité est simple : il est inadmissible que certains maires – qui ne sont pas dans cette salle – excluent de la cantine les enfants de chômeurs.

La proposition de loi ne fera pas augmenter le nombre d’enfants qui déjeunent à la cantine, puisque beaucoup de communes ont déjà anticipé les demandes. Elle évitera des discriminations imputables à des raisons plus idéologiques que financières. Quand les capacités d’accueil sont insuffisantes, elle incitera les communes à privilégier l’école et la restauration, qui font partie de leurs missions les plus essentielles.

Ce texte mérite sans doute d’être adapté. Nous avons une semaine pour y réfléchir. Pour l’heure, je le soutiens. Je rappelle à Mme Genevard qu’il prévoit non la cantine pour tous et tous les jours scolaires, mais la possibilité pour tous les parents d’inscrire leur enfant au service de restauration scolaire, dès lors que celui-ci existe dans la commune.

M. le président Patrick Bloche. Monsieur Ménard, M. de Mazières estime que vous avez compris l’inverse de ce qu’il voulait dire. Il aura l’occasion de s’en expliquer lors de la discussion des articles.

Mme Laurence Arribagé. La proposition de loi est intéressante, car elle vise à garantir un égal accès des citoyens au service public. S’il semble pertinent de créer un droit à la restauration scolaire pour contrer les décisions discriminatoires de certaines municipalités, veillons à ne pas mettre en difficulté les communes, qui, face à l’augmentation du nombre d’enfants, échoueraient à dégager la marge budgétaire indispensable pour étendre leur capacité d’accueil et assurer des conditions de restauration sereines et sécurisées. Le nouveau droit d’inscription crée pour les communes une nouvelle contrainte, qui s’ajoutera aux obligations de mises aux normes d’hygiène, de sécurité et d’accessibilité. Il est dommage que le texte ne se penche pas suffisamment sur la question des moyens dont les villes, notamment les plus petites, disposent pour adapter leurs infrastructures. Enfin, il faudrait rendre obligatoire la modulation du tarif des cantines, afin de prendre en compte le revenu des familles, et donner aux municipalités des garanties leur permettant d’obtenir des ressources pour effectuer les travaux nécessaires.

Mme Isabelle Attard. Madame Nachury, vous évoquiez les nombreuses communes dans lesquelles les cantines accueillent déjà tous les enfants scolarisés. Celles qui sont exemplaires en la matière ne sont évidemment pas concernées par la proposition de loi.

Monsieur Reiss, le texte qui nous est soumis ouvre un droit pour tous les enfants scolarisés : il ne rend pas le déjeuner à la cantine obligatoire. Les familles qui le souhaitent pourront continuer d’assurer le repas des enfants à domicile.

La question du coût a été posée à plusieurs reprises. Peut-être trouverez-vous que je vais un peu loin, mais pensons à l’inclusion des enfants en situation de handicap : comment réagirions-nous si des collectivités refusaient d’accueillir ces derniers au motif qu’il serait coûteux de prévoir tel ou tel aménagement ?

Au-delà des coûts, il faut aussi parler de la qualité de l’alimentation. En deux ans, l’agglomération de Douai par exemple a introduit 30 % d’aliments bio ou locaux dans ses cantines scolaires en révisant et en mutualisant ses marchés publics. Cela donne aux collectivités et aux écoles la satisfaction d’assurer une éducation du goût et de garantir la qualité de l’alimentation pour tous les enfants. Je crains que de nombreux collègues ne passent totalement à côté de la réalité et se leurrent sur la qualité du déjeuner à la maison. Les enfants qui rentrent chez eux pour manger un paquet de chips sont beaucoup plus nombreux qu’ils ne le pensent.

L’attention portée à la qualité des repas à l’école permet aussi de maintenir, voire de développer, les emplois locaux agricoles, ce qu’il faudrait aussi prendre en compte si l’on raisonne en termes de coûts.

M. Claude Sturni. Je partage le sentiment particulièrement mitigé que certains collègues ont exprimé. Au-delà de la générosité de la proposition de loi, que nous sommes unanimes à reconnaître, sa rédaction nous paraît précipitée et fragile. Pourquoi examiner en urgence, après seulement six auditions, une proposition de loi qui crée un nouveau droit, lourd de conséquences pour les communes et les intercommunalités ? Vous imposez en effet des contraintes et des coûts supplémentaires à des collectivités dont on a réduit de façon drastique les moyens d’intervention et les dotations.

Les élus municipaux viennent d’être renouvelés après avoir fait campagne sur des priorités qui, tirant les conséquences de la réforme des rythmes scolaires, portaient souvent sur l’offre périscolaire et sur des schémas de développement qu’ils mettent désormais en œuvre progressivement. Pourquoi créer un appel d’air avec un nouveau droit, au risque de malmener le travail qu’ils effectuent depuis des mois ? Pensez-vous sérieusement pouvoir résoudre le problème d’un coup de baguette magique ?

La précipitation n’est pas bonne conseillère. La proposition de loi est sans doute utile dans la mesure où elle permet une prise de conscience, mais je ne crois pas que, en l’état, le texte soit applicable.

Mme Claudine Schmid. Nos collègues de toutes tendances politiques semblent s’accorder sur le caractère parcellaire de la proposition de loi qui aurait dû aborder l’ensemble de la problématique des cantines. Je regrette pour ma part que le texte n’évoque ni la nutrition en termes qualitatifs ni les circuits courts qui permettraient aux communes de faire des économies. J’aurais apprécié que vous fassiez référence à la loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui fait la promotion de l’approvisionnement local en restauration collective, notamment pour les circuits courts.

Mme la rapporteure. Peut-on parler de précipitation quand on sait que, en février 2012, le groupe SRC a déposé une proposition de loi similaire, que le rapport du Défenseur des droits sur le sujet date de mars 2013 et que nous nous appuyons sur quarante années de jurisprudence ? Peut-être, en pratique, les choses sont-elles allées un peu vite, mais j’aurai le temps d’entendre tout le monde d’ici à la séance publique et de me pencher, avec le groupe RRDP, sur certains des sujets qui ont été abordés ce matin. Nous pourrons donc revenir sur certains points dans l’hémicycle.

Monsieur de Mazières, vous dites que nous nous faisons plaisir en adoptant cette proposition mais quel mal y a-t-il à assumer une position déontologiquement incontestable et juridiquement parfaitement explorée par la jurisprudence en faveur des enfants ?

Il a beaucoup été question d’argent, mais est-ce vraiment l’essentiel ? Ne devons-nous pas d’abord penser au droit absolu d’accès à la cantine pour tous sans discrimination aucune ? On nous dit que certaines communes doivent engager des frais pour mettre en œuvre ce droit. Nous verrons car je pense pour ma part que beaucoup peut être fait à moyens constants. Tout cela relève de choix politique. Certaines communes ont déjà consenti de gros efforts pour accueillir les enfants, par exemple en construisant de nouveaux locaux, mais il suffira parfois d’organiser un deuxième service, de réaménager une salle, d’utiliser un mobilier plus adapté, d’ajouter quelques chaises… Du reste, les enfants à accueillir du fait de l’adoption de la proposition de loi ne seront pas si nombreux, car d’ores et déjà la plupart des demandes sont heureusement satisfaites.

Certes, je n’ai pas mené autant d’auditions que je l’aurais voulu, mais c’est parce que j’ai dû effectuer mon travail dans des délais très brefs. À ce jour, l’Association des maires de France (AMF) n’a d’ailleurs pas encore répondu à mon invitation. C’est dommage, car le sujet est important. Je serai heureuse de rencontrer ses représentants d’ici à la séance publique.

Je veux dissiper les inquiétudes qui se sont exprimées concernant le mercredi. Lorsque tous les cours de la journée sont terminés à midi ou à onze heures et demie, la cantine scolaire ne peut avoir l’obligation d’accueillir les enfants. Un amendement permettra de clarifier ce point, qui ne devrait pas poser de problème. Le Gouvernement proposera de laisser aux communes la liberté de s’organiser sur ce sujet les mercredis ou les samedis.

J’ignore si l’on mange vraiment mieux chez soi qu’à la cantine – en la matière, je ne suis pas certaine que la catégorie sociale soit le facteur le plus déterminant. En tout état de cause, les familles auront le choix. Quoi qu’il en soit, nous devons tout faire pour ne pas laisser en dehors de l’école les enfants des familles les plus précaires. Nous ne pouvons pas renoncer à cette possibilité de socialisation. Commençons par donner un accès à tous à la cantine et prenons toutes les mesures pour que cela soit possible. C’est l’urgence et il sera possible d’aller plus loin plus tard.

Certaines écoles n’ont pas de cantine : il est hors de question de les obliger à en ouvrir une. En milieu rural, des arrangements entre communes permettent cependant la plupart du temps de faire manger les enfants dans un autre lieu. Tout cela relève de choix politiques plus que de moyens financier.

Madame Dessus, la différenciation du périscolaire et de l’extrascolaire relève en effet du décret, autrement dit du pouvoir réglementaire. Votre idée judicieuse mérite d’être relayée auprès du Gouvernement.

Certains ont évoqué les cantines des collèges et des lycées dont le financement est assuré par les départements et par les régions, qui doivent d’ailleurs accueillir tous les candidats sans que cela ne soulève des problèmes insurmontables. Je remarque d’ailleurs que beaucoup, comme la région Rhône-Alpes, ont fait des efforts extraordinaires pour que les lycéens bénéficient de repas équilibrés. Là encore, c’est aux élus d’agir.

Plutôt que de créer, par analogie avec la place des dispositions réglementaires relatives à ce sujet dans le code de l’éducation, un nouveau titre IV bis consacré à la restauration scolaire dans le livre V « la vie scolaire », qui rassemble les dispositions annexes à la scolarité comme celles relatives à la santé ou aux activités périscolaires, du livre III « l’organisation des enseignements scolaires » de la deuxième partie « les enseignements scolaires » de ce code, il est proposé d’introduire un nouvel article L. 131-13 au sein du chapitre I « l’obligation scolaire » du titre III « l’obligation scolaire, la gratuité et l’accueil des élèves des écoles maternelles et élémentaires » du livre premier « principes généraux de l’éducation » de la première partie « dispositions générales et communes ».

Ce choix vise à marquer l’importance accordée à ce nouveau droit et à induire qu’il est intrinsèquement lié au caractère obligatoire de l’instruction, qui ne peut efficacement remplir sa mission lorsque les élèves sont affectés par de graves déséquilibres alimentaires.

Par souci de clarté, la Commission a cependant précisé, sur proposition de la Rapporteure, que le champ de la restauration scolaire concernée par la proposition de loi est limité aux cantines « des écoles primaires », lesquelles comprennent les écoles maternelles et les écoles élémentaires. Il n’est en effet pas utile d’étendre ce droit aux cantines des collèges et des lycées puisque, dès à présent, celles-ci ne peuvent pas faire l’objet de limitation à l’accès et figurent à ce titre parmi les dépenses obligatoires des départements et des régions. On remarquera en outre que cette rédaction n’opère pas de distinction selon que l’école est privée ou publique.

Comme il a été vu supra dans l’exposé général, la proposition de loi se situe à mi-chemin entre les deux pôles d’une alternative.

D’un côté, elle ne se contente pas d’interdire dans la loi des limitations d’accès aujourd’hui censurées par la jurisprudence.

De l’autre, la proposition de loi ne va pas pour autant jusqu’à transformer la restauration scolaire en service public local à caractère obligatoire, comme c’est déjà le cas dans les faits pour les cantines des collèges et des lycées, en disposant que tous les élèves de l’enseignement public ont accès à un service de restauration scolaire. On relèvera qu’une telle insertion aurait sans doute nécessité de préciser, pour lever toute ambiguïté sur le caractère non gratuit de ce service, que les tarifs sont fixés dans des conditions déterminées par décret, comme le font d’ailleurs les articles R. 531-52 (qui dispose de la liberté de leur fixation par les collectivités concernées) et R. 531-53 (qui autorise l’introduction de modulations et interdit de dépasser le coût par usager après subventions) du code de l’éducation.

Entre ces deux options, la rédaction proposée dégage en effet une voie médiane. Elle prévoit que l’inscription à la cantine est un droit pour tous les enfants scolarisés. Mais elle préserve dans le même temps la compétence facultative des communes dans la création et le maintien des services de restauration en proposant de préciser que ce droit n’est constitué que lorsque ce service existe.

La Rapporteure n’estime en effet pas opportun d’obliger les communes à mettre en place immédiatement des cantines scolaires lorsqu’elles en sont aujourd’hui dépourvues. Il s’agit en effet, dans l’immense majorité des cas, de petites communes rurales dont les ressources sont très limitées. Elles organisent par ailleurs fréquemment des regroupements pédagogiques intercommunaux concentrés ou dispersés qui permettent aux élèves des très petites écoles de se restaurer dans les cantines des écoles voisines mieux équipées.

L’instauration du droit général à l’inscription par la proposition de loi aura toutefois pour effet d’imposer aux communes dont les cantines ne sont pas aujourd’hui en mesure d’accueillir l’ensemble des enfants de procéder sans délai aux aménagements et aux réorganisations nécessaires pour faire face à l’ensemble des demandes d’inscriptions.

Comme il a été vu supra dans l’exposé général, l’impact réel de cette contrainte doit être apprécié au regard des facultés de souplesse qu’encourage l’existence, fixée par le décret n° 2013-77 du 24 janvier 2013 précité relatif à l’organisation du temps scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires, d’une pause méridienne d’au moins une heure trente. Des doubles services pourraient donc opportunément être rapidement mis en place dans les écoles dont les locaux seraient trop exigus.

En parallèle, il est proposé de préciser qu’il ne peut être établi aucune discrimination selon la situation de la famille des élèves.

Cette phrase complémentaire, il est vrai couverte par le droit d’accès général instauré par la première phrase du nouvel article L. 131-13 qui empêcherait les communes d’introduire quelque limitation que ce soit à l’accès au service en imposant aux cantines existantes d’accueillir tous les élèves dont les parents demanderaient l’inscription, a pour objet de solenniser l’attachement du législateur à dénoncer des pratiques inacceptables.

Sa formulation vise à rassembler les principales discriminations constatées et censurées aujourd’hui par le juge administratif, qu’il s’agisse de la situation professionnelle, de la disponibilité, du lieu de résidence et des revenus des parents, ou que soient concernées les caractéristiques, la composition et la structure même du foyer.

Cette interdiction des discriminations, qui forme un alinéa unique avec le droit à l’inscription, devra être interprétée comme s’appliquant au seul accès au service de restauration scolaire afin de préserver la capacité des communes, prévue par l’article 147 de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 et l’article R. 531-53 précité du code de l’éducation, à moduler les tarifs en fonction des revenus des familles.

Enfin, la proposition de loi initiale indiquait, dans le second alinéa du nouvel article L. 131-13, que ce droit concerne le repas du midi de tous les jours scolaires, l’accès à la cantine étant entendu comme exhaustif afin d’empêcher la réintroduction de discrimination au moyen d’une limitation des inscriptions de certains enfants à quelques jours particuliers.

La Commission a toutefois estimé que la mention des « jours scolaires », aujourd’hui inconnue dans le code de l’éducation qui ne comporte, dans sa partie réglementaire, que des références à la « semaine scolaire » ou aux neufs « demi-journées » de l’enseignement primaire (article D. 521-10), risquerait d’aboutir à imposer à toutes les communes d’organiser un service de restauration scolaire le mercredi ou le samedi midi, en contradiction avec la liberté d’organisation dont elles bénéficient aujourd’hui. Elle a par conséquent adopté un amendement du Gouvernement supprimant cet alinéa.

*

M. François de Mazières. Je souhaite revenir sur les propos de M. Michel Ménard qui caricaturaient les miens. J’ai simplement dit que, dans ma ville – je suis fier d’être le maire de Versailles –, nous donnions une priorité aux familles dont l’un des membres est chômeur.

Je trouve choquant qu’une augmentation de la DGF soit prévue en faveur de communes qui, en prétextant de cantines saturées, en excluent aujourd’hui certains enfants alors que celles qui ont consenti un effort en faveur des plus démunis ne bénéficieront de rien. En toute logique, ces dernières seront poussées à prendre une nouvelle délibération qui leur permettra de profiter l’année suivante d’une augmentation de DGF. Ce n’est que de la bonne gestion, et tous les maires concernés auront la même attitude. Au final, toutes les communes invoqueront des besoins d’augmentation de capacité pour bénéficier de cette nouvelle manne. Alors que la DGF baisse tous les ans, et que les efforts en matière de finances publiques reposent principalement sur les collectivités territoriales, vous créez un problème contradictoire et supplémentaire.

Nous voulons tous aider les familles en difficulté et prendre leurs enfants en considération, mais, malgré les bons sentiments, il est de notre devoir de législateur d’adopter une approche technique et précise.

Je suis par exemple en désaccord avec les propos de M. Durand qui fait une différence entre l’ouverture et le rappel d’un droit : si on rappelle un droit, on l’ouvre.

M. Yves Durand. Je n’ai pas dit le contraire.

M. François de Mazières. Nous avons besoin d’une évaluation financière précise du dispositif. Quand nous en disposerons, peut-être pourrais-je voter la proposition de loi. Aujourd’hui, ces éléments nous manquent.

La Commission est saisie de l’amendement AC2 de la rapporteure.

Mme la rapporteure. L’amendement vise à préciser que seules les écoles maternelles et élémentaires, c’est-à-dire les écoles primaires, sont visées par la proposition de loi. Les dépenses de restauration scolaire faisant partie des dépenses obligatoires des départements et des régions, l’accès aux cantines des collèges et des lycées ne peut aujourd’hui faire l’objet d’aucune limitation : les élèves y sont accueillis dès lors que les parents souhaitent les y inscrire.

M. Hervé Féron. Je profite de cet amendement pour apporter une précision concernant la DGF qu’évoquait M. de Mazières. Si, de façon générale, je regrette évidemment la baisse de la DGF, je ne demande pas son augmentation pour financer la proposition de loi. Je constate seulement que ce problème de financement n’est pas résolu. Pour y parvenir, il faudra préciser que ce droit d’accès aux cantines est mis en œuvre lorsqu’existent dans les communes les capacités physiques pour le faire.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine l’amendement AC1 de Mme Barbara Pompili.

Mme Barbara Pompili. Lors des débats qui ont permis au Parlement d’adopter la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, nous nous sommes battus pour y inscrire les termes « école inclusive ». Ces mots ne désignent pas un concept vide, mais l’impératif de construire une société réellement inclusive. L’accès à l’école en constitue l’un des éléments, mais les activités périscolaires s’inscrivent aussi pleinement dans le prolongement du service public de l’éducation.

Le périscolaire relève du droit à l’éducation, qui doit être garanti pour chacun, quels que soient ses origines, son lieu d’habitation, les revenus de sa famille ou son handicap. L’obligation d’assurer l’accès des élèves handicapés aux activités périscolaires, parmi lesquelles se range la restauration scolaire, n’est pas une nouvelle requête. En avril 2011, le Conseil d’État demandait que les mesures nécessaires soient prises pour que ce droit devienne effectif pour les enfants handicapés. En novembre 2012, le Défenseur des droits insistait sur la nécessité de veiller à prendre en compte les besoins spécifiques des élèves handicapés sur l’ensemble des temps scolaires et périscolaires. En mars 2013, il insistait à nouveau sur cet impératif. De façon générale, outre son caractère discriminant, le fait de ne pas permettre aux élèves handicapés de rester avec leurs camarades lors de la pause méridienne risquerait d’être un facteur favorisant leur déscolarisation, notamment en raison de l’organisation et des trajets complexes inhérents à une telle exclusion.

Cet amendement a pour but d’inscrire dans la loi que les élèves en situation de handicap doivent, comme les autres, être accueillis à la cantine lorsque ce service existe. Aucune discrimination liée au handicap ne peut être permise. Il faut donc préciser qu’aucune discrimination à l’accès ne peut être opposée en raison de la situation personnelle de l’enfant.

Mme la rapporteure. La rédaction actuelle résulte d’un choix délibéré de notre part. Nous avons considéré que le terme « famille » incluait l’enfant et nous n’avons pas souhaité pointer du doigt ce dernier, notamment l’enfant handicapé. L’enfant est évidemment au cœur de notre préoccupation.

Je comprends parfaitement votre démarche et partage l’esprit qui vous amène à défendre cet amendement. Je m’en remets pour l’instant à la sagesse de la Commission.

M. Hervé Féron. Dans sa décision du 20 avril 2011, le Conseil d’État a jugé que le financement de l’emploi des auxiliaires de vie scolaire (AVS) qui accompagnent les enfants lors de la pause méridienne devait être pris en charge par l’État. Aux communes qui l’interrogent sur ce point, le ministère répond aujourd’hui qu’il revient aux parents de s’adresser à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH). Dans les faits, ce dispositif n’est pas encore systématiquement mis en œuvre.

S’il était retiré puis redéposé en séance publique, l’amendement de Mme Pompili pourrait permettre d’aborder le sujet en séance et de régler le problème de façon plus précise, en entendant notamment les explications du Gouvernement.

Mme la rapporteure. La question mérite effectivement d’être approfondie. Nous pourrions notamment inciter les directeurs d’école à informer les parents des possibilités qui leur sont offertes.

Mme Barbara Pompili. Monsieur Féron, j’entends vos remarques sur la prise en charge des AVS, mais je crains que le retrait de l’amendement ne rende pas plus facile la résolution du problème. Il me semble au contraire préférable d’affirmer des droits, même si l’intendance peut parfois avoir un peu de mal à suivre. Commençons par établir des droits pour les enfants, cela ne nous empêche pas de nous attacher dans le même temps à leur mise en œuvre !

Madame la rapporteure, vous considérez que l’enfant est implicitement déjà au cœur de la famille. La rédaction que vous retenez me semble toutefois manquer de clarté. J’ai peur que la loi puisse être interprétée de façon restrictive. Si l’on se contente d’interdire toute discrimination pour l’accès des enfants à la cantine « selon la situation de leur famille », la situation personnelle de l’enfant, qui est souvent discriminé en raison de son handicap, pourrait ne pas être prise en compte. Je tiens beaucoup à ce que le handicap soit dans la loi, et je crains que cela ne soit pas le cas si l’article 1er était adopté en l’état.

J’entends toutefois vos arguments et, dans un esprit constructif, je suis prête à retirer l’amendement afin que nous puissions en redébattre. En tout état de cause, si nous ne trouvions pas une meilleure rédaction, je déposerai un amendement similaire pour la séance publique.

L’amendement est retiré.

La Commission en vient à l’amendement AC3 du Gouvernement.

Mme la rapporteure. Avis favorable. La suppression du troisième alinéa de l’article premier dissipe tout malentendu : c’est bien aux communes de fixer les conditions de fonctionnement de la cantine, en particulier le mercredi ou le samedi.

M. Frédéric Reiss. J’appelle l’attention sur l’exposé sommaire de l’amendement : « S’agissant d’un service public local à caractère facultatif, il appartient en effet à la commune d’en fixer les conditions de fonctionnement conformément au principe de libre administration des collectivités territoriales fixées par l’article 72 de la Constitution. » Je note que le Gouvernement fait preuve d’un bon sens que l’on ne retrouve pas complètement dans la proposition de loi !

La Commission adopte l’amendement à l’unanimité.

Puis elle adopte l’article 1ermodifié.

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* *

Article 2
Compensation des charges supplémentaires

Le présent article prévoit que les charges qui pourraient résulter pour les communes de l’application de la présente loi seront :

– compensées pour les communes par l’État grâce à une majoration à due concurrence de la dotation globale de fonctionnement ;

– et, pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits relatifs au tabac.

Comme il a été indiqué supra, les efforts qui devraient être consentis pour adapter les locaux et le fonctionnement des rares cantines aujourd’hui saturées apparaissent modérés.

L’ampleur des subventions nouvelles à financer pour prendre en charge la part des coûts de restauration assumés par les communes au bénéfice des nouveaux inscrits qui solliciteraient le droit d’inscription créé par l’article 1er est plus incertaine.

L’exclusion actuelle des enfants concernés des services de restauration scolaire ne permet pas de cerner avec précision l’importance du phénomène.

Selon les informations recueillies par la rapporteure, le champ heureusement limité de ces refus d’accès devrait toutefois contenir ces coûts dans des proportions raisonnables, de l’ordre de quelques dizaines de millions d’euros dans les hypothèses les plus hautes intégrant les effets d’encouragement à l’inscription à la cantine que pourrait susciter la création de ce nouveau droit.

*

La Commission adopte l’article 2 sans modification.

*

M. Frédéric Reiss. En guise d’explication de vote pour le groupe UMP, je constate que de nombreuses questions ont été posées, y compris par ceux qui sont très favorables à cette avancée en matière d’accès des enfants aux cantines scolaires.

Les moyens seront-ils au rendez-vous ? Mme la rapporteure nous répond : « Nous verrons. » La réponse paraît un peu courte, ce qui montre que nous agissons dans la précipitation. Je suis choqué que toutes les associations de parents d’élèves n’aient pas été auditionnées. Je suis plus choqué encore que l’AMF et l’Assemblée des communautés de France (AdCF) n’aient pas été entendues, alors que les conséquences de la proposition de loi pour les communes et les maires sont énormes en termes de financement, de personnel ou de locaux. Les maires sont encore échaudés par la récente réforme des rythmes scolaires qui a entraîné d’importantes dépenses nouvelles et pour laquelle le fonds d’amorçage, même reconduit, s’est révélé très insuffisant.

Nous avons affaire à une proposition de loi généreuse, offrant de nombreux avantages en matière de santé publique, mais sera-t-elle réellement applicable ?

Tenant compte du principe de réalité, le groupe UMP s’abstiendra.

La Commission adopte l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

* *

En conséquence, le Commission des affaires culturelles et de l’éducation demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

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Dispositions en vigueur

___

Texte de la proposition de loi

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Propositions de la Commission

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Proposition de loi visant à garantir

le droit d’accès à la restauration scolaire

Proposition de loi visant à garantir

le droit d’accès à la restauration scolaire

Code de l’éducation

Article 1er

Article 1er

Livre Ier

Principes généraux de l'éducation

Titre III

L'obligation scolaire, la gratuité et l'accueil des élèves des écoles maternelles et élémentaires

Chapitre Ier

L'obligation scolaire

Le chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de l’éducation est complété par un article L. 131 13 ainsi rédigé :

Alinéa sans modification

     
 

« Art. L. 131-13. – L’inscription à la cantine, lorsque ce service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés. Il ne peut être établi aucune discrimination selon la situation de leur famille.

« Art. L. 131 13. – L’inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque …

… famille.

Amendement AC2

     
 

« Ce droit concerne le repas du midi pour les jours scolaires. »

Alinéa supprimé

Amendement AC3

 

Article 2

Article 2

 

Les charges qui pourraient résulter pour les communes de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Non modifié

     
 

Les charges qui pourraient résulter pour les organismes sociaux de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la majoration des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

 
     
     
© Assemblée nationale

1 () Source : site internet cantinesscolaires.net, cité par le défenseur des droits dans son rapport du 28 mars 2013 sur l’égal accès des enfants à la cantine de l’école primaire, page 7. La rapporteure souligne que l’extrême diversité des modes d’organisation du secteur de la restauration scolaire ne permet pas de s’appuyer sur des références statistiques incontestables. Les chiffres présentés n’offrent en conséquence que des ordres de grandeur approximatifs.

2 () CREDOC, revue Consommation et modes de vie n° 253 de juin 2012.

3 () Rapport précité du défenseur des droits sur l’égal accès des enfants à la cantine de l’école primaire du 28 mars 2013, page 33.