N° 2838 - Rapport de M. Philip Cordery sur le texte adopté par la commission des affaires européennes sur la proposition de résolution européenne de MM. Bruno Le Roux, Philip Cordery, Rémi Pauvros, Mme Audrey Linkenheld, M. Jacques Cresta, Mme Michèle Delaunay, M. Frédéric Barbier et Mme Catherine Lemorton et les membres du groupe Socialiste, républicain et citoyen et apparentés appelant à une coordination des politiques européennes en matière de prévention et de lutte contre le tabac (n°2805)



ogo2003modif

N° 2838

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 juin 2015.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE appelant à une coordination des politiques européennes en matière de prévention et de lutte contre le tabac,

PAR M. Philip CORDERY,

Député.

——

Voir le numéro :

Assemblée nationale : 2716, 2805.

SOMMAIRE

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Pages

I. L’HARMONISATION EUROPÉENNE : UN LEVIER POUR ACCENTUER LES EFFETS DU PROGRAMME NATIONAL DE RÉDUCTION DU TABAGISME 8

1. Après dix années d’atonie, la France a engagé un nouvel effort de lutte contre le tabagisme 8

2. La disparité des politiques des États membres de l’Union européenne : un frein aux nouvelles mesures de hausse du prix du tabac 12

II. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE 17

1. La prise en compte par l’Union européenne des effets du « paquet neutre », parallèlement à ceux du « paquet directive » 18

2. L’appel à la coopération des États membres pour une harmonisation fiscale par le haut 19

3. Les autres apports de la proposition de résolution européenne 19

TRAVAUX DE LA COMMISSION 21

I. DISCUSSION GÉNÉRALE 21

II. EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE 26

INTRODUCTION

En vertu des articles 151-2 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, les propositions de résolution européenne sont d’abord examinées par la commission des affaires européennes, puis renvoyées devant la commission permanente compétente au fond. La proposition de résolution européenne appelant à une coordination des politiques européennes en matière de prévention et de lutte contre le tabac a été inscrite à l’ordre du jour de la séance publique : elle ne fera donc pas l’objet d’une adoption tacite mais d’un débat dans l’hémicycle suivi d’un vote. Le rapporteur s’en félicite.

Dans l’espace européen, les actions de lutte contre le tabagisme menées au niveau national sont fragilisées par la disparité des politiques et en particulier par les différences de prix du tabac dans les différents États membres. La coordination de l’action au plan européen, et en particuliers entre États frontaliers, paraît donc indispensable.

Affirmer l’importance d’une harmonisation par le haut en Europe ne constitue en aucun cas un argument pour négliger les possibilités que nous offre d’ores et déjà la législation nationale. C’est la raison pour laquelle lors de l’examen du projet de loi de modernisation de notre système de santé, l’Assemblée nationale a refusé de faire de la coordination européenne un préalable à toute mesure ambitieuse : cela aurait constitué une piètre excuse à l’inaction. Au contraire, l’examen du projet de loi a permis de faire de la lutte contre le tabagisme un des domaines d’actions prioritaires de la prévention en santé. L’Assemblée nationale a adopté des mesures extrêmement volontaristes pour mettre en œuvre le programme national de réduction du tabagisme et aller au-delà de mesures de coordinations déjà prévues au plan européen.

C’est sur la base de cette impulsion nouvelle au niveau national que notre pays doit pouvoir appeler à une harmonisation supplémentaire des politiques européennes. Les efforts que nous engageons nous autorisent à inviter nos partenaires européens à être plus ambitieux contre le tabagisme.

La lutte contre le tabagisme nécessite d’actionner deux leviers : d’une part les mesures de santé publique qui préviennent l’entrée ou aident à sortir du tabagisme ; et d’autre part, l’action sur le prix du tabac, dans lequel les taxes sont déterminantes. C’est sur ce second point que la situation est la plus délicate au plan européen.

Nous le savons, des augmentations importantes des prix permettent d’obtenir des baisses significatives de la consommation de tabac : en dernier lieu, ceci a été illustré en France, par le plan cancer engagé en 2004. Une hausse rapide du prix atteignant 40 % a alors entraîné une baisse des ventes de près de 30 %. Mais depuis 2007, la diminution de la consommation de tabac s’est interrompue et on peut même constater une hausse.

Or les États rencontrent aujourd’hui des difficultés à mobiliser de nouveau l’outil tarifaire notamment en raison du commerce « hors réseau ». Celui-ci est alimenté, d’une part par la contrebande organisée par les industriels, et d’autre part, par les ventes transfrontalières licites qui résultent des différences de prix de part et d’autre de la frontière. Ce dernier facteur est décisif : parmi les voisins de la France, le prix du paquet de cigarettes le plus demandé varie du simple au double. Il est plus élevé en France que dans chaque pays voisin d’Europe continentale.

Les effets peuvent être constatés dans les zones frontalières, mesurés par exemple par l’écart du chiffre d’affaires « tabac » par fumeur enregistré dans le réseau des buralistes selon que le débitant est situé en zones frontalières ou dans le reste du territoire. Pour une dépense annuelle d’environ 300 euros par fumeur, l’écart était de 12 euros en 2002 et atteint 76 euros moins de dix ans plus tard. Il a été multiplié par près de six. Ceci représente un chiffre d’affaires de 1,4 milliard d’euros, absorbés par le commerce transfrontalier, soit près de 200 millions de paquets de cigarettes.

L’harmonisation par le haut ne peut venir de la coopération entre États : l’Union européenne ne dispose pas de la compétence fiscale permettant de définir par exemple un taux de taxes additionnelles sur le prix des tabacs. La directive du 21 juin 2011 concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés, comporte par ailleurs des mesures très limitées : l’accise globale minimale sur les cigarettes a été portée de 57 % à 60 % du prix de vente et le niveau minimal des droits sur le tabac à rouler passera de 47 euros par kilogramme en 2014 à 60 euros en 2020…

Une réponse à la hauteur du défi sanitaire nécessite donc une véritable coordination entre les États membres. Aussi, cette proposition de résolution appelle à l’harmonisation des politiques menées dans l’Union dans les différents domaines de la lutte contre le tabagisme.

La proposition de résolution demande donc à la Commission européenne de fournir à l’ensemble des États membres des éléments d’évaluation a posteriori de l’introduction du paquet neutre. Dans la mesure où certains États auront adopté le paquet neutre et que d’autres se seront contentés de mettre en œuvre le paquet « directive », la Commission européenne sera bien positionnée pour comparer les effets du paquet neutre avec ceux du paquet directive en termes de santé publique. La Commission pourra également en analyser les effets sur le commerce transfrontalier ou sur la contrebande.

Cela permettra sans doute de démontrer les effets bénéfiques du paquet neutre sur la lutte contre les ventes illégales : le paquet neutre rendra plus visible l’origine des paquets achetés, et, dans les zones frontalières, de nombreux buralistes confrontés aux reventes illégales l’ont bien compris. Cette demande d’évaluation est d’ailleurs cohérente avec l’article 5 duovicies du texte adopté du projet de loi de modernisation de notre système de santé, issu d’un amendement de notre collègue Bernadette Laclais, qui prévoit la remise d’un rapport sur les effets du paquet neutre.

La proposition de résolution invite également le Gouvernement français à promouvoir le paquet neutre auprès de ses partenaires européens : puisque le paquet neutre sera appliqué en France, il convient de s’assurer que le Gouvernement s’efforcera d’y rallier le plus grand nombre de nos partenaires européens, en particulier nos voisins, afin de maximiser les effets de la mesure.

En second lieu la proposition de résolution mobilise l’outil tarifaire en appelant à une harmonisation par le haut de la fiscalité avec une attention particulière pour les zones frontalières : l’appel s’adresse aux autres États membres et non pas d’abord aux institutions communautaires, puisque dans ce domaine les décisions relèvent de la règle de l’unanimité.

Malgré les contraintes budgétaires, la proposition de résolution invite la Commission européenne à accroître sa participation financière aux campagnes nationales de lutte contre le tabac. En raison des spécificités du rapport social au tabac dans les différentes nations européennes, cette approche paraît plus efficace que d’engager des campagnes de prévention au niveau européen.

Cette politique doit être complétée par un renforcement de la lutte contre les achats transfrontaliers illicites de tabac. Pour mémoire, l’article 18 de la directive du 3 avril 2014 autorise les États membres à interdire la vente à distance transfrontalière de produits du tabac destinés aux particuliers. Cette mesure est largement transposée par la France : en dernier lieu, l’article 93 de la loi de finances rectificative pour 2014 interdit et réprime non seulement la vente (ce qui était déjà le cas), mais aussi l’achat de tabac à distance. Cet article définit également les moyens opérationnels utilisables par les services des douanes, en liaison avec les sociétés de distribution. La proposition de résolution demande donc à la Commission européenne de préciser les modalités pratiques de mise en œuvre de cette interdiction par les États membres afin d’améliorer la coopération entre les administrations des douanes des différents États membres.

Enfin, à l’initiative de notre collègue Michèle Delaunay, la Commission des affaires européennes a ajouté un alinéa appelant la Commission européenne à élaborer des recommandations pour harmoniser les procédures civiles en matière de recours des victimes du tabac et à promouvoir les actions de groupe. La procédure civile est de compétence nationale : l’Union européenne ne peut donc émettre que des recommandations ; mais nous aurons tout à gagner à comparer les approches nationales afin de mieux contrer les stratégies des multinationales.

Pour toutes ces raisons, la Commission des affaires sociales a donc adopté cette proposition de résolution européenne conformément au texte adopté par la Commission des affaires européenne.

I. L’HARMONISATION EUROPÉENNE : UN LEVIER POUR ACCENTUER LES EFFETS DU PROGRAMME NATIONAL DE RÉDUCTION DU TABAGISME

En fonction du périmètre des affections prises en compte, le tabac tue entre 73 000 et 90 000 fumeurs par an en France : outre l’infarctus du myocarde ou les accidents vasculaires cérébraux et les cancers du poumon et de la sphère ORL, le tabac accroît en effet l’incidence des cancers du sein ou de la prostate.

La consommation de tabac constitue la première cause de décès prématurés en Europe, concernant entre 650 000 et 750 000 Européens, soit plus que la population de Malte ou du Luxembourg.

Pour la France, le coût social du tabac est estimé à 47 milliards d’euros par an, dont 18 milliards pour la seule sécurité sociale. Par contraste, les recettes de la fiscalité du tabac s’élèvent seulement à 11,136 milliards d’euros en 2014.

Sur la longue durée, la France a connu une diminution de près de dix points de la part de sa population adulte consommatrice de tabac entre 1974 et 2005. Entre 2000 et 2008, on a constaté une baisse très importante chez les adolescents : de 41,1 % à 28,9 %.

En particulier, le plan Cancer de 2004 a eu un effet marqué sur la consommation, essentiellement en raison d’une hausse importante du prix du tabac. Une hausse de 40 % du prix unitaire s’est accompagnée d’une baisse de 30 % de la consommation mais d’une stabilisation du chiffre d’affaires du secteur.

L’élasticité prix de la demande de tabac, c’est-à-dire la sensibilité à la variation de prix, se situe en effet entre −0,3 et −0,4 : quand le prix augmente de 10 %, la diminution des ventes se situe entre 3 et 4 % et serait plus sensible chez les jeunes. Pour être efficaces, ces augmentations doivent être réitérées dans le temps et de niveau significatif, d’au moins 10 % à chaque fois.

Mais, comme le montre le schéma précédent, depuis 2007, la diminution de la consommation de tabac s’est interrompue : les hausses modérées et régulières du prix du tabac sont apparues sans incidence sur la consommation.

Parallèlement aucune mesure significative de lutte contre le tabac n’a été engagée en France, ce qui a contribué à une hausse de la consommation du tabac.

Parmi les 18-75 ans, la consommation quotidienne de tabac a augmenté de deux points entre 2005 et 2010 pour atteindre 30 %. Chez les jeunes de 17 ans, elle est passée de 28,9 % à 31,5 %, soit une augmentation de 2,6 points en trois ans. Or plusieurs pays de niveau socio-économique équivalents sont parvenus à des prévalences d’usage de tabac fumé très inférieures à celle de la France : 13 % en Suède en 2012, 17 % au Canada en 2011, 19 % en Australie.

Des progrès ciblés ont cependant pu être constatés en raison de la mobilisation des professionnels de santé : 25 % des femmes enceintes déclaraient fumer au cours du troisième trimestre de grossesse en 1995, elles n’étaient plus que 20 % en 2003 et sont désormais 17 %.

Le programme national de réduction du tabagisme

Le premier plan d’envergure de lutte contre le tabac engagé en France depuis plus de dix ans a été présenté par le Gouvernement en septembre 2014. Il prévoit :

– l’interdiction des arômes améliorant le goût de la fumée de tabac ;

– l’adoption de paquets de cigarettes génériques dit « neutres » c’est-à-dire de la standardisation des paquets sur la forme, la taille, la couleur, la typographie et l’utilisation de la place libérée sur l’emballage pour des avertissements sanitaires aboutissant, dans les faits, à supprimer le dernier support publicitaire disponible pour les industriels du tabac ;

– l’interdiction de la publicité dans les lieux de vente ;

– l’interdiction de fumer en voiture avec des enfants de moins de 12 ans : la concentration de particules fines sur les sièges arrière de véhicules est en effet dix fois plus élevée dans la voiture d’un fumeur que dans la voiture d’un non-fumeur et est plus de trois fois supérieure au seuil moyen admis par l’Organisation mondiale de la santé ;

– l’interdiction de fumer dans les espaces publics de jeux pour enfants ;

– l’encadrement de la publicité pour les cigarettes électroniques et l’interdiction du vapotage dans certains lieux publics (établissements accueillant des mineurs, transports, espaces clos collectifs au travail…) ;

– le durcissement de la lutte contre le commerce illicite de tabac ;

– le renforcement des contrôles de l’interdiction de vente aux mineurs et l’autorisation pour les policiers municipaux de contrôler le respect de la réglementation sur le tabac ;

– l’amélioration du remboursement du sevrage tabagique (passant de 50 à 150 euros pour les jeunes de 20 à 30 ans, les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire et les patients atteints de cancer) ;

– l’intégration du suivi du tabagisme et le conseil d’arrêt aux fumeurs dans les rémunérations sur objectifs de santé publique des médecins traitants ;

– la transparence sur le lobbying de l’industrie du tabac en rendant obligatoire la publication de ses dépenses de communication.

La mise en œuvre de ce programme s’est matérialisée par de nombreuses mesures figurant dans le texte, adopté par l’Assemblée nationale, du projet de loi de modernisation de notre système de santé au printemps 2015.

Les initiatives du Gouvernement ont été complétées par celles des députés, qui ont fait adopter notamment l’interdiction des actions de mécénat de l’industrie du tabac dans le domaine de la santé ou encore le renforcement de l’interdiction d’implantation de débits de tabac à proximité de certains lieux. Ces mesures se sont ajoutées aux dispositions permettant d’améliorer l’accès au sevrage tabagique.

Le tableau ci-après récapitule ces différentes mesures.

LES APPORTS DE L’EXAMEN PAR L’ASSEMBLÉE NATIONALE
DU PROJET DE LOI DE MODERNISATION DE NOTRE SYSTÈME DE SANTÉ

Chapitre 1er bis (nouveau) « Lutte contre le tabagisme »

5 quinquies

Interdiction des arômes dans les cigarettes et le tabac à rouler

5 sexies A

Interdiction de la vente de cigarettes à capsules

5 sexies

Interdiction de la publicité pour les dispositifs de vapotage

5 septies A

Preuve de la majorité pour l’accès à un produit du tabac

5 septies

Règles d’installation des nouveaux débits de tabac

5 octies

Interdiction pour les fabricants et distributeurs de tabac de faire du mécénat dans le domaine de la santé

5 nonies

Obligation d’information des acteurs du tabac sur leurs dépenses de communication et actions de lobbying

5 decies

Neutralité des emballages de produits du tabac

5 undecies

Interdiction du vapotage dans certains lieux et lieux dédiés au vapotage

5 duodecies

Interdiction de fumer dans un véhicule en présence d’un mineur de moins de 12 ans

5 terdecies

Sanction pénale en cas de non-respect du paquet neutre

5 quaterdecies

Sanction en cas de manquement à l’obligation d’information incombant aux acteurs du tabac

5 sexdecies

Habilitation des polices municipales à contrôler l’interdiction de fumer dans les lieux publics

5 septdecies

Renforcement des sanctions infligées en cas de contrebande de tabac

5 octodecies

Contrôle de l’importation et de la commercialisation des produits du tabac

5 novodecies

Extension à la ministre de la santé de la compétence d’homologation des prix du tabac

5 vicies

Assujettissement des producteurs de tabac à une contribution en cas de baisse de la consommation de tabac inférieure à un taux « T » fixé par la loi

5 unvicies

Renforcement de la sanction prévue en cas de détention frauduleuse de tabac

5 duovicies

Rapport sur les effets du paquet neutre

Autres mesures

33

Prescription de substituts nicotiniques par les médecins du travail, les infirmiers et les sages-femmes

33 bis

Consultation d’accompagnement à l’arrêt du tabac pour les femmes enceintes

53

Habilitation à prendre par ordonnances les mesures de transposition de la directive tabac

2. La disparité des politiques des États membres de l’Union européenne : un frein aux nouvelles mesures de hausse du prix du tabac

Au-delà des mesures de santé publiques visant à prévenir l’entrée dans le tabagisme ou à aider à la sortie du tabagisme, de nouvelles mesures visant à augmenter de façon résolue le prix du tabac buttent sur la libre circulation des marchandises au niveau européen et sur la disparité des prix du tabac en Europe.

Le cadre limité de l’harmonisation européenne

Aujourd’hui, la législation antitabac repose pour l’essentiel sur deux actes législatifs : une directive sur les produits du tabac et une directive sur la publicité́ en faveur des produits du tabac.

Mais l’Union européenne ne dispose pas de la compétence fiscale permettant de fixer le taux de taxes additionnelles sur le prix des tabacs.

Le dispositif mis en œuvre par l’Union européenne recouvre :

– la réglementation des produits du tabac afin de permettre leur libre circulation (emballage, étiquetage, ingrédients, etc.) au même titre que pour les autres produits de consommation, tout en tenant compte des risques occasionnés pour les consommateurs ;

– l’encadrement des droits à tabac (les « accises ») ;

– la création d’espaces non-fumeurs ;

– des actions contre le commerce illicite ;

– des campagnes antitabac.

La structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés au sein de l’Union européenne sont aujourd’hui encadrés par la directive 2011/64/UEadoptée le 21 juin 2011. Ce texte vise à réduire la consommation de tabac, les écarts de prix des produits du tabac ainsi que le commerce illicite et les achats transfrontaliers à l’échelle de l’Union.

Il impose aux États membres une structure fiscale hybride pour les cigarettes, combinant obligatoirement un droit spécifique (par unité de produit) et un droit ad valorem (calculé sur la base du prix moyen pondéré de vente au détail). S’y ajoute la taxe sur la valeur ajoutée. Pour les tabacs manufacturés autres que les cigarettes, la directive laisse aux États membres le soin de choisir entre un taux d’accise ad valorem, un taux spécifique ou un mélange des deux.

La directive prévoit une hausse des taux minimaux de taxation pour les cigarettes et le tabac à rouler. Pour les cigarettes le taux global minimal des accises (droit spécifique et droit ad valorem hors TVA) est porté à compter du 1er janvier 2014 à 60 % du prix de vente moyen pondéré. Le taux minimal de l’accise spécifique à 7,5 % du total des taxes perçues sur le prix moyen pondéré. Pour les tabacs à rouler, le taux minimal sera porté à 50 % du prix moyen pondéré de vente au détail ou à 60 euros par kilogramme d’ici 2020.

En dernier lieu est intervenue la directive 2014/40/UE du parlement européen et du Conseil, du 3 avril 2014, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes.

Cette directive, qui doit être transposée par l’ensemble des États membres au plus tard le 20 mai 2016, interdit les cigarettes et le tabac à rouler contenant des arômes ; elle impose aux entreprises de déclarer précisément aux États membres les ingrédients utilisés dans les produits du tabac ; elle exige l’apposition d’avertissements relatifs à la santé sur l’emballage des produits du tabac, qui doivent couvrir au total (image et texte) 65 % de la face avant et arrière des paquets de cigarettes et de tabac à rouler (c’est le « paquet directive ») ; elle fixe des dimensions minimales pour la taille des avertissements et élimine les petits conditionnements pour certains produits ; elle interdit tout élément publicitaire ou trompeur sur les produits du tabac.

En outre, la directive introduit un système d’identification et de suivi dans toute l’Union européenne pour combattre le commerce illégal de produits du tabac ; elle autorise les États membres à interdire la vente en ligne de produits du tabac ; elle établit des exigences de sécurité et de qualité pour les cigarettes électroniques ; enfin elle oblige les fabricants à déclarer tout nouveau type de produit du tabac avant sa mise sur le marché européen.

En outre, la Commission européenne élabore actuellement des règles plus détaillées dans certains domaines afin d’aider les États membres à mettre en œuvre la directive 2014/40/UE, en particulier pour ce qui concerne la restriction des ventes en ligne.

Les disparités tarifaires entre États-membres

L’harmonisation des politiques de santé publique entre États-membres se heurte à la disparité des prix des cigarettes.

Ainsi que le montre la carte suivante, entre pays d’Europe occidentale à niveau de vie comparable, le prix du paquet de cigarettes le plus demandé s’étage de 4,80 euros au Luxembourg à 9,94 euros au Royaume-Uni. Ce prix est d’environ 7 euros en France, ce qui est plus élevé que pour chacun de nos voisins d’Europe continentale : par exemple 5,47 euros en Belgique ou en Allemagne et 4,75 euros en Espagne.

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Différents facteurs entrent en ligne de compte : tout d’abord le prix de vente fixé par les producteurs, prix qui est libre mais qui tient compte des niveaux de vie des populations ce qui explique une partie des écarts de prix entre Europe occidentale et Europe orientale.

Par ailleurs, à niveaux de vie constants, l’élément décisif provient de la fiscalité, qui peut varier de près de 20 points entre pays comparables. Par exemple, le minimum de perception pour 1 000 cigarettes est de 210 euros en France mais de 105 euros au Luxembourg, de 128 euros en Espagne et de 137 euros en Belgique, ainsi que montre le tableau ci-après. De même la part de la fiscalité dans le montant total du prix du tabac est la plus élevée au Royaume-Uni et la plus faible au Luxembourg.

FISCALITÉ SUR LES CIGARETTES EN EUROPE (JUILLET 2013)

 

Taux spécifique (en % du prix TTC)

Taux proportionnel (en % du prix TTC)

Taux de TVA (en %)

Total
(en % du prix TTC)

Minimum de perception
(en euros pour 1 000 cigarettes)

France

15

49,7

16,67

81,37

210

Belgique

9,21

50,41

17,36

76,98

137,71

Allemagne

38,30

21,80

15,97

76,61

 

Espagne

11,92

51

17,36

80,28

128,65

Luxembourg

8,90

48,11

15

69,27

105

Italie

4,53

53,69

17,36

75,58

144,65

Royaume-Uni

54,14

16,50

16,67

87,30

n/a

Source : Commission européenne, Excise Duty, part III Tobacco.

Ces écarts de prix ont dès lors un effet sur le commerce transfrontalier : ils contribuent au développement des achats hors du réseau national, qui peuvent être légaux comme illégaux, ainsi que le détaille le tableau ci-après établi par la Cour des comptes et cité par un récent rapport d’information sénatorial (1) : les achats de tabac échappant au réseau représenteraient aujourd’hui un peu plus de 20 % du tabac consommé en France. Moins de 6 % d’entre eux seraient dus à des achats illégaux et entre 16 % et 17 % seraient liés à des achats légaux hors réseau et principalement par des achats transfrontaliers licites.

Les particuliers français peuvent acheter dans l’Union européenne et rapporter en France des cigarettes, cigarillos, cigares et autres tabacs dans les limites quantitatives suivantes : pour les cigarettes, 800 unités, soit 4 cartouches ; pour le tabac à rouler, 1 kilogramme ; pour les cigares, 200 unités et pour les cigarillos, 400 unités.

Ces quantités s’appliquent par personne adulte et peuvent se cumuler. Elles présument une utilisation pour des besoins propres.

Le particulier peut ramener un seul de ces produits ou tous ces produits, à condition de respecter ces limites. Par exemple, s’il possède 4 cartouches de cigarettes, 1 kg de tabac à rouler et 200 cigares, le particulier est présumé détenir ces marchandises à titre personnel (sauf éléments de preuve contraires). En revanche, si la douane constate la présence, pour une personne, de 5 cartouches de cigarettes, 500 grammes de tabac à rouler et 200 cigarillos, elle recherchera si le transport a lieu ou non à des fins commerciales.

En cas de détention à des fins commerciales, la personne pourra soit payer des droits de consommation (840 euros par exemple pour la détention de 20 cartouches de cigarettes) auxquels s’ajoutera une amende, soit renoncer aux marchandises, dès lors saisies par la douane, et payer une amende.

ESTIMATION DES ACHATS DE TABAC PAR MODE D’ACHAT (2011)

Type

Mode d’achat

Méthode 1

Méthode 2

Achats illégaux hors réseau

Internet

 

0,10 %

Voie publique

 

1 %

Entourage

 

0,80 %

Revendeurs illicites

0,75 %

1 %

Transfrontaliers illicites

1,86 %

3 %

Sous total achats illégaux hors réseau

 

5,90 %

Achats légaux hors réseau

Duty free

 

1,40 %

Achats dans un pays limitrophe

0,75 %

0,70 %

Revendeurs licites

0,75 %

0,50 %

Transfrontaliers licites

13,80 %

15 %

Sous total achats légaux hors réseau

15,90 %

17,10 %

Sous total achats hors réseau

20,41 %

23 %

Achats dans le réseau

79,59 %

77 %

Total

100 %

100 %

Source : Direction générale des douanes et des droits indirects.

II. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

La proposition de résolution européenne vise l’article 88-4 de la Constitution qui prévoit que « selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions européennes peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets ou propositions (d’actes de l’Union européenne), ainsi que sur tout document émanant d’une institution de l’Union européenne. »

De même, sont visés les articles du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui prévoient la compétence d’appui de l’Union dans le domaine de la santé : il s’agit de l’article 168 qui indique que « l’action de l’Union, qui complète les politiques nationales, porte sur l’amélioration de la santé publique et la prévention des maladies et des affections humaines et des causes de danger pour la santé physique et mentale » et que dans ce domaine l’Union « encourage la coopération entre les États membres (…) et, si nécessaire, elle appuie leur action » ; il s’agit également de l’article 169 qui définit la contribution de l’Union « à la protection de la santé, de la sécurité et des intérêts économiques des consommateurs ainsi qu’à la promotion de leur droit à l’information, à l’éducation et à s’organiser afin de préserver leurs intérêts ».

Sur ce fondement, sont visés les différents actes de l’Union applicables :

– la directive 2014/40/UE du 3 avril 2014 qui régit les modalités de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac ;

– la directive 2003/33/CE du 26 mai 2003 applicable en matière de publicité et de parrainage en faveur des produits du tabac complétée par des mesures figurant dans la directive 2007/65/CE du 11 décembre 2007 relative à la publicité télévisuelle ;

– la directive 2011/64/UE du 1er janvier 2011 qui définit les modalités de taxation des tabacs manufacturés sous la forme de droits assis sur les volumes commercialisés (les « accises ») ;

– enfin les recommandations du Conseil, du 2 décembre 2002 et du 30 novembre 2009, relatives d’une part à la prévention du tabagisme et à la lutte antitabac, et d’autre part aux environnements sans tabacs.

Sur ce fondement, la proposition de résolution appelle à l’harmonisation des politiques menées dans l’Union dans les différents domaines de la lutte contre le tabagisme : la lutte contre toute publicité pour le tabac par le biais de son aboutissement ultime, le « paquet neutre » ; l’outil tarifaire au moyen d’une harmonisation par le haut de la fiscalité ; les campagnes d’information ; la lutte contre les achats transfrontaliers illicites, en particulier en matière de vente à distance ; enfin les procédures civiles de recours des victimes du tabac.

Si la directive du 3 avril 2014 n’impose pas le paquet neutre, elle en permet néanmoins l’instauration. Le point 2 de son article 24 permet en effet aux États membres d’ « instaurer de nouvelles exigences [...] en ce qui concerne la standardisation des conditionnements des produits du tabac, lorsque cela est justifié pour des motifs de santé publique ».

Les États membres concernés doivent cependant notifier leur projet à la Commission européenne conformément à la directive 98/34/CE relative aux barrières techniques au commerce. Ce texte prévoit une période de « gel » de trois mois après notification, période qui doit permettre aux États membres et à la Commission de réagir, et au cours de laquelle l’État membre concerné ne peut adopter son projet législatif. À ce titre, le dispositif adopté par l’Assemblée nationale lors de la première lecture du projet de loi de modernisation de notre système de santé a été notifié à la Commission européenne.

Le paquet neutre est en vigueur en Australie depuis le 1er décembre 2012. Les premiers résultats, évoqués dans le plan national de réduction du tabagisme, sont encourageants, la prévalence du tabac étant passée de 15,1 % en 2010 à 12,8 % en 2013.

Le plan national de réduction du tabagisme relève également qu’ « une étude observationnelle avant/après a montré qu’après l’introduction du paquet neutre, les clients fumeurs des cafés avaient moins tendance à fumer en extérieur et à laisser leurs paquets en évidence à la vue de tous ».

L’un des objectifs du paquet neutre est d’ôter le caractère « identitaire » aux conditionnements des produits du tabac, que l’industrie tend à renforcer depuis l’interdiction générale de la publicité. En effet, comme le souligne encore le plan national de réduction du tabagisme, « à travers ses logos, ses couleurs (rose, blanche, noire etc.), ses visuels (paquet phosphorescent, paquets collector…), sa forme (d’étui à rouge à lèvres ou de cigarettes « slim »), les mentions qui y sont écrites, le paquet véhicule une image attractive qui incite à fumer, en particulier les jeunes et les femmes très sensibles au design du produit, induit en erreur les consommateurs sur la nocivité des produits, et entretient l’image de la marque de tabac ».

Aussi, le projet de résolution européenne mentionne, au nombre de ses considérants :

– les résultats positifs de l’expérience australienne en matière de paquet neutre pour limiter la consommation de tabac ;

– le fait que les États membres peuvent adopter le paquet neutre sur le fondement de l’article 24, paragraphe 2 de la directive 2014/40/UE ;

– et le fait que l’Irlande et le Royaume-Uni ont adopté le paquet neutre qui a également été adopté par l’Assemblée nationale lors de l’examen en première lecture du projet de loi relatif à la modernisation de notre système de santé.

En conséquence, le point 1 du dispositif de la proposition de résolution européenne demande à la Commission européenne d’évaluer les effets, au niveau de l’Union européenne, de l’adoption du paquet neutre par plusieurs États membres : il s’agit de demander à la Commission européenne de fournir à l’ensemble des États membres des éléments d’évaluation a posteriori de l’introduction du paquet neutre. La Commission paraît en effet bien positionnée pour comparer les effets du paquet neutre en termes de santé publique avec ceux du paquet directive mais également pour analyser les conséquences sur le commerce transfrontalier ou sur la contrebande.

Logiquement, au point 2 du dispositif, la proposition de résolution invite également le Gouvernement français à promouvoir le paquet neutre auprès de ses partenaires européens. Au demeurant, la France n’est pas seule dans ce combat : elle pourra s’appuyer sur l’action du Royaume-Uni ou de l’Irlande.

La proposition de résolution européenne couvre également la dimension tarifaire de toute politique de lutte contre le tabagisme.

Deux considérants établissent clairement la principale difficulté à laquelle les politiques de lutte contre le tabac sont aujourd’hui confrontées : la fiscalité est l’arme la plus efficace pour prévenir le tabagisme ou inciter à l’arrêt du tabac mais la disparité des prix du tabac dans les zones frontalières fragilise les efforts nationaux en matière de lutte contre le tabagisme.

Aussi, le point 3 du dispositif de la proposition de résolution européenne « appelle les États membres à une harmonisation fiscale par le haut du prix du tabac afin de renforcer les effets positifs de la hausse du prix du tabac sur la consommation et afin que les zones frontalières ne soient plus soumises à des disparités de prix neutralisant les effets d’une politique fiscale ambitieuse de lutte contre le tabac ».

Dans un domaine où les décisions au niveau européen relèvent de la règle de l’unanimité, l’appel doit, de fait, être adressé aux États membres plutôt qu’aux instances communautaires.

Enfin, les trois derniers points du dispositif couvrent les autres piliers de la politique de lutte contre le tabagisme.

Le point 4 vise les campagnes de prévention et appelle la Commission européenne à accroître sa participation financière aux campagnes nationales de lutte contre le tabac. Cette approche, respectueuse du principe de subsidiarité, paraît plus opportune que des campagnes menées au niveau européen, qui buttent sur les différences de rapport culturel au tabac dans les sociétés européennes.

Le point 5 vise les achats transfrontaliers illicites de tabac. L’article 18 de la directive du 3 avril 2014 autorise les États membres à interdire la vente à distance transfrontalière de produits du tabac destinés aux particuliers. Cette mesure est largement transposée par la France. Mais la coopération entre les administrations des douanes des différents États membres peut être améliorée et la proposition de résolution demande donc à la Commission européenne de préciser les modalités pratiques de mise en œuvre de cette interdiction par les États membres. 

Enfin à l’initiative de notre collègue Michèle Delaunay, la Commission des affaires européennes a ajouté un point 6 au dispositif de la proposition de résolution européenne qui appelle la Commission européenne à élaborer des recommandations destinées à harmoniser les procédures civiles en matière de recours des victimes du tabac et à promouvoir les actions de groupe.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission procède à l’examen de la présente proposition de résolution européenne lors de sa séance du mercredi 3 juin 2015.

L’intervention du rapporteur a été suivie d’un débat.

Mme Michèle Delaunay. Les chiffres des dégâts sanitaires provoqués par le tabac ont été réévalués : ce sont 750 000 Européens qui chaque année décèdent du tabac, dont 78 000 en France et 128 000 en Allemagne. C’est une raison suffisante pour saluer l’initiative de Philip Cordery qui porte le débat au niveau européen, sans lequel aucune politique de lutte contre le tabagisme ne trouvera sa pleine force.

Cette proposition de résolution réunit les quatre piliers de la politique anti-tabac, dont le maître-outil est l’harmonisation par le haut de la fiscalité du tabac. Le premier plan cancer l’a démontré : c’est l’arme majeure permettant de dissuader les fumeurs, en particulier les jeunes.

Le texte prévoit également l’évaluation et la comparaison des effets du paquet neutre, la lutte contre les commerces transfrontaliers, illicite et licite, et l’harmonisation des politiques européennes de prévention.

Jean-Louis Touraine, Bernadette Laclais, Jean-Louis Roumegas et moi-même avons proposé un amendement tendant à inclure dans la proposition de résolution un cinquième pilier : la possibilité de déclencher des actions de groupe. Nous ne pouvons laisser les victimes du tabac et leurs familles seules, sans le secours de la loi. Cet amendement a été adopté à l’unanimité au moment même où, au Québec, une action de groupe, faite au nom d’un million de victimes du tabac, a permis de faire condamner Imperial Tobacco Canada, Rothmans Benson & Hedges et Japan Tobacco International, à plus de 15 milliards de dollars canadiens. Déjà, il y a trois ans aux États-Unis, le cigarettier Reynolds avait été condamné à verser 25 milliards de dollars. Lorsque les amendes ou les dédommagements se chiffrent en milliards, les multinationales commencent à s’inquiéter. L’action de groupe est donc une arme majeure.

Nous devons saluer cette initiative à laquelle le groupe socialiste, républicain et citoyen souscrit totalement. Elle s’inscrit dans la politique menée par la ministre de la santé Marisol Touraine. Nous devons considérer aujourd’hui l’objectif de sortie du tabac comme aussi important que l’abolition de la peine de mort.

M. Jean-Pierre Door. La lutte contre les effets délétères du tabagisme est indispensable : sur tous les bancs de l’Assemblée nationale, nous en convenons depuis longtemps. En tant qu’homme de santé, je connais les dégâts terribles causés par le tabac. C’est pourquoi nous avons toujours voulu l’application de la directive européenne de 2014.

La présente proposition de résolution va dans le bon sens. Depuis des années, nous appelons de nos vœux une action du Gouvernement en faveur de l’harmonisation européenne des politiques de lutte contre le tabac. Chacun sait, en effet, que les Français n’achètent en France que 25 % de leur consommation de tabac, le reste provenant, parfois frauduleusement, de l’étranger, via notamment internet. Il ne faut pas non plus omettre les ventes illicites dans la rue : le marché parallèle du tabac, qui ne cesse de progresser, devient très pesant.

Ce texte nous pose toutefois un problème de méthode. Alors que sa première recommandation, à l’alinéa 18, vise à demander à la Commission européenne une étude d’impact sur l’introduction du paquet neutre, la deuxième recommandation, à l’alinéa 19, appelle le Gouvernement à en faire dès à présent la promotion auprès de ses partenaires européens, alors même que plusieurs de nos voisins, notamment la Belgique et l’Allemagne, n’ont pas approuvé cette introduction. Il serait plus logique de disposer de l’étude d’impact avant de la promouvoir : on ne met pas la charrue avant les bœufs.

Les Républicains voteront la proposition de résolution, appelant à l’indispensable harmonisation fiscale et à la lutte contre la fraude, même si notre amendement de suppression de l’alinéa 19 n’est pas adopté.

M. Arnaud Richard. Le tabac, qui est la première cause de décès prématurés évitables dans l’Union européenne, tue 200 personnes par jour en France. Nous ne saurions nous résoudre à accepter ce fléau et nous devons tout mettre en œuvre pour protéger les jeunes du tabagisme. Cet objectif est partagé. Lors de l’examen du projet de loi de modernisation du système de santé, j’ai d’ailleurs fait adopter un amendement imposant aux buralistes l’obligation d’exiger un justificatif de l’âge de l’acheteur.

La proposition de résolution poursuit le même objectif, même si sa méthode me laisse perplexe. Elle prévoit, en premier lieu, de demander à la Commission européenne une étude d’impact sur l’introduction du paquet neutre au sein de l’Union européenne. Cette disposition apparaît surprenante eu égard au fait que la majorité a d’ores et déjà adopté un dispositif qui va plus loin que celui proposé par la directive européenne. Pour rendre plus efficace sa politique de lutte contre le tabagisme, la France aurait dû l’inscrire dans une démarche européenne collective, sans chercher à mettre en œuvre des mesures qui peuvent apparaître excessives, sous peine de favoriser la contrebande et le commerce transfrontalier que la proposition de résolution entend pourtant combattre. Or telle n’est pas la démarche privilégiée par le Gouvernement et la majorité : cette proposition de résolution ne saurait faire office de session de rattrapage.

Notre politique de santé doit tenir compte de la diversité des taux de fiscalité appliqués au tabac au sein de l’Union européenne, d’autant que, comme le souligne la proposition de résolution, la fiscalité est l’arme la plus efficace pour prévenir le tabagisme et inciter à l’arrêt de la consommation de tabac.

Monsieur le rapporteur, l’Europe peut-elle s’emparer de l’outil fiscal en permettant l’harmonisation des taxes vers le haut sans l’accord des États membres ? Sinon, quelle serait l’attitude de la France en la matière ?

Si les députés de l’Union des démocrates indépendants partagent les objectifs poursuivis par la proposition de résolution européenne, ses recommandations les laissent sceptiques : elles traduisent les contradictions de la politique gouvernementale en matière de lutte contre le tabac.

M. Stéphane Claireaux. Cette proposition de résolution a provoqué, au sein du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste, des débats animés, l’introduction du paquet neutre suscitant même, de la part de ses membres, l’expression de deux avis différents : les uns y étaient favorables, estimant que toute mesure allant dans le sens d’une prévention du tabagisme était bonne, les autres considéraient que le simple respect des directives européennes en la matière était amplement suffisant.

L’apposition d’images choc sur les paquets est très controversée. La quasi-totalité des cigarettes vendues à Saint-Pierre-et-Miquelon est importée du Canada voisin, dont les paquets de tabac affichent, depuis une vingtaine d’années, des images choquantes. Or celles-ci n’ont pas, semble-t-il, décidé de nombreuses personnes de mon entourage à arrêter de fumer. Leur seul intérêt est de contribuer à véhiculer l’image néfaste du tabac.

En revanche, le prix du paquet peut jouer un rôle déterminant dans la lutte contre le tabagisme : l’impact d’un prix élevé sera plus fort, notamment pour dissuader les jeunes de commencer à fumer. Les effets d’une augmentation du prix du paquet de cigarettes dans la lutte contre le tabagisme sont plus certains.

Notre groupe ne formule aucune objection particulière contre cette proposition de résolution européenne.

M. Jean-Louis Touraine. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 78 000 de nos concitoyens meurent chaque année directement victimes du tabac et 90 000, si on ajoute les effets indirects couplés à d’autres facteurs. Ces chiffres sont effrayants. La France a été terriblement frileuse depuis quinze ans : il est bon qu’elle se reprenne.

Pour parvenir à une dissuasion effective, le combat doit être mené au plan européen, via notamment une harmonisation par le haut ou, au moins, une coordination des taxes pesant sur le tabac. Il est nécessaire également de limiter les ventes transfrontalières.

Il y a quelques années, j’ai proposé le paquet neutre comme un des moyens parmi d’autres de lutter contre le tabagisme. Entre-temps, l’Australie, l’Irlande et le Royaume-Uni l’ont adopté : c’est désormais au tour de la France. L’Europe doit continuer dans cette voie pour que le monde évolue vers ce que l’OMS appelle « un monde sans tabac », lequel suppose de restreindre progressivement, de manière considérable, les ventes de tabac et donc de trouver des solutions de remplacement pour les buralistes. Une telle politique doit être menée pour toutes les générations nées au XXIe siècle, avant la fin duquel ce fléau ne devra plus peser sur la jeunesse de notre pays.

Le combat contre les lobbies doit être commun en Europe : ils agissent, en effet, aussi bien au niveau du Parlement européen que des gouvernements nationaux. Il convient également de mettre en commun des moyens permettant de lutter contre le détournement des lois nationales. C’est ainsi que le financement par l’industrie du tabac d’œuvres artistiques à visée promotionnelle ou publicitaire n’est pas combattu en Europe avec les mêmes moyens, la même efficacité ni les mêmes actions juridiques qu’aux États-Unis ou au Canada.

L’Europe n’est pas encore exemplaire ; elle doit le devenir. Elle doit également entraîner le reste du monde. Les pays en voie de développement sont devenus des cibles pour l’industrie du tabac, ce qui ne manquera pas de provoquer chez eux des catastrophes dont l’importance dépassera les chiffres européens.

Mme Bérengère Poletti. J’ai déjà dit à M. le rapporteur combien j’approuve son initiative, qui rejoint celle que j’ai défendue dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale par la voie d’un amendement qui, malheureusement, n’a pas recueilli l’assentiment de la majorité et qui visait à demander au Gouvernement de prendre les mesures nécessaires avec les autres gouvernements européens pour avancer sur la voie d’une harmonisation des politiques européennes.

De nombreuses mesures ont déjà été prises pour combattre le fléau du tabagisme. Si l’augmentation brutale et importante du prix du paquet de cigarettes a un impact, toutefois, l’effet de la mesure n’a qu’un temps. L’interdiction dans les lieux publics a également permis de diminuer le tabagisme passif tout en dissuadant de nombreuses personnes de fumer. On parle maintenant du paquet neutre ou des images choc. Pour autant, ces mesures ne parviennent pas à lutter contre le développement du trafic de tabac dans les zones frontalières. Les bons résultats que l’Australie a obtenus, elle les doit à son insularité. Tel n’est pas le cas de la France, qui a de nombreuses frontières et est en compétition avec de nombreux pays.

Certes, nous voterons la proposition de résolution. Toutefois, je tiens à souligner que les actions de groupe ont pour effet de remettre en cause la responsabilité individuelle : or chacun doit être responsable de ses choix. Est-il, par ailleurs, possible de conduire une action de groupe contre une entreprise étrangère ?

M. le rapporteur. Je vous remercie de votre soutien global à la proposition de résolution européenne.

Tous, nous reconnaissons que les distorsions entre les pays européens sont néfastes : dès lors, ou nous nous contentons de regretter la perméabilité des zones frontalières, ou nous nous montrons offensifs en demandant à nos voisins de conduire la même politique que nous. Il convient, à cette fin, de porter le débat au niveau européen. Telle est la logique volontariste de la majorité.

À partir du moment où plusieurs pays ont mis en application le paquet neutre, la Commission européenne peut se fonder sur leur expérience, qui sert d’étude d’impact, pour mieux informer les autres États membres.

Monsieur Richard, la fiscalité étant un domaine qui requiert l’unanimité des États membres de l’Union européenne, la proposition de résolution leur demande d’agir ensemble sur cette question. Tant mieux si les Vingt-huit agissent dans le même sens. Si seuls deux ou trois de nos voisins parmi ceux qui ont la fiscalité la plus basse – la Belgique, le Luxembourg ou l’Espagne –, l’augmentent, ce sera toujours une avancée.

Madame Poletti, les actions de groupe ne sont pas possibles au plan européen. C’est pourquoi la proposition de résolution demande à la Commission européenne d’élaborer une recommandation visant à harmoniser en Europe les procédures civiles afin que des actions de groupe puissent être menées dans différents pays de manière conjointe. La représentation collective des citoyens vis-à-vis des multinationales est, en effet, une arme essentielle dans la lutte contre le tabagisme. Nous appelons à une harmonisation des législations européennes.

II. EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE

La Commission examine l’amendement AS1 de M. Jean-Pierre Door.

M. Jean-Pierre Door. Nous pensons qu’il est nécessaire de procéder à une étude d’impact sur l’introduction du paquet neutre avant de demander à nos voisins de l’adopter à leur tour. Ils sont peu nombreux, les pays qui ont adopté le paquet neutre dans le monde. Il serait donc plus judicieux d’attendre les résultats de l’étude d’impact avant d’en faire la promotion. C’est pourquoi l’amendement AS1 vise à supprimer l’alinéa 19.

Ne nous contentons pas de faire des vœux et passons à l’action ! Aujourd’hui, c’est le paquet « directive » qui est une obligation.

Réfléchissons également au devenir des buralistes, qui font, à l’heure actuelle, l’objet d’une mission.

M. le rapporteur. Avis défavorable pour les raisons que j’ai données dans ma réponse à M. Door. À partir du moment où le paquet neutre a déjà été adopté dans plusieurs pays, la Commission européenne dispose des éléments relatifs à son évaluation. La France souhaite se montrer offensive en étant à l’avant-garde de la lutte contre le tabac au niveau européen. Ne nous replions pas sur le plus petit dénominateur commun.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle adopte à l’unanimité l’article unique de la proposition de résolution européenne sans modification.

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En conséquence, la Commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la présente proposition de résolution européenne dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

© Assemblée nationale

1 () M. Yves Daudigny et Mme Catherine Deroche, sénateurs. Rapport d’information fait au nom de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale de la commission des affaires sociales sur la fiscalité comportementale, enregistré à la Présidence du Sénat le 26 février 2014 (p. 86).