N° 3358 - Rapport de Mme Chantal Guittet sur le texte adopté par la commission des affaires européennes sur la proposition de résolution européenne de MM. Bruno Le Roux, Philip Cordery et Ibrahim Aboubacar et plusieurs de leurs collègues relative au Conseil européen des 17 et 18 décembre 2015 (n°3349)




N
° 3358

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 décembre 2015

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE, relative au Conseil européen des 17 et 18 décembre 2015

PAR Mme Chantal Guittet

Députée

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Voir les numéros : 3342, 3349.

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SOMMAIRE

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Pages

I. LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME 7

II. LA CRISE MIGRATOIRE 9

III. SAISIR L’OPPORTUNITÉ DES NÉGOCIATIONS AVEC LE ROYAUME-UNI POUR JETER LES BASES D’UNE UNION DIFFÉRENCIÉE EFFICACE 11

CONCLUSION 13

TRAVAUX DE LA COMMISSION 15

ANNEXE : TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 21

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La Commission des Affaires étrangères suit avec une grande attention les sujets européens, notamment en amont des conseils européens. Mais s’il a semblé utile de rapporter cette proposition de résolution relative au Conseil européen qui se tiendra demain et après-demain, c’est que l’ordre du jour de ce Conseil concerne particulièrement cette Commission en traitant de sujets qui l’a mobilisée au cours des dernières semaines.

La proposition de résolution, déposée par Philippe Cordery et adoptée hier par la commission des Affaires européennes, propose de rappeler des positions fortes qui sont celles que l’Assemblée nationale a déjà eu l’occasion d’exprimer sous d’autres formes et cette résolution a le mérite de les regrouper dans un texte unique, clair et précis.

Tout en réaffirmant l’importance de l’échelon européen pour affronter notre monde, la résolution pointe le caractère opérationnel des mesures qu’il convient de prendre pour que l’Europe protège : sécurité des citoyens par la lutte contre le terrorisme, accueil des réfugiés demandant asile et protection, maîtrise des flux migratoires économiques et efficacité de la construction économique et monétaire.

La résolution invite à saisir les négociations en cours avec le Royaume-Uni comme une opportunité de redéfinir les ambitions et les moyens, notamment de l’union économique et monétaire et de l’espace de justice et de sécurité, c’est-à-dire de mettre en pratique de manière intelligente l’Europe différenciée qui est la seule forme d’Union européenne possible.

Elle suggère que, dans ce cadre, la Commission remette d’ici le mois d’octobre 2016 trois rapports évaluant des couts économiques et sociaux de la suppression de l’espace Schengen, de la zone Euro et des actions communes en matière de défense, et à en faire émerger des propositions en vue d’un approfondissement dans ces trois domaines, auxquels la résolution consacre l’essentiel de ses points.

Concernant la lutte contre le terrorisme, il nous faut trouver des réponses efficaces sans remettre en cause les valeurs démocratiques alors que les menaces sont multiformes et difficiles à appréhender comme le montre la propagande radicale via Internet.

La lutte contre le terrorisme fait partie intégrante de la politique étrangère de l’Union européenne comme l’a souligné le Conseil des Affaires étrangères du 9 février 2015 et des décisions importantes doivent être mises en œuvre au sein de l’Union pour renforcer nos moyens de défense. L’agenda européen pour la sécurité présenté par la commission européenne le 28 avril dernier place la lutte contre le terrorisme et contre la radicalisation au cœur de cette nouvelle stratégie.

Pour la première fois, la France a fait jouer la clause de l’article 42. 7 du traité sur l’Union européenne qui instaure une solidarité européenne en cas d’agression armée. Il faut souligner l’engagement des allemands autorisant l’envoi de troupes et la fourniture de matériel militaire pour lutter contre Daech en Syrie.

Votre rapporteure en convient, nous connaissons trop les limites de la participation de nos partenaires dans l’effort que la France a entrepris depuis des mois pour protéger l’Europe pour nous satisfaire de mesures assez symboliques. Tout en se réjouissant de la réponse de nos partenaires sur l’application de l’article 42.7, le texte émet aussi le souhait que les dépenses militaires et de sécurité nationale qui participent en définitive à la sécurité de toute l’Union, ne soient pas prises en compte dans le calcul des déficits publics de chaque Etat membre.

La lutte antiterroriste appelle une coopération et une interconnexion accrues pour suivre les personnes comme les mouvements financiers. La proposition de résolution en appelle à la pleine mobilisation des instruments en vigueur pour lutter contre le terrorisme, la criminalité organisée et la cybercriminalité et contient plusieurs points sur cette question de l’accès, de l’échange et du traitement de l’information.

La commission Libertés publiques (LIBE) du Parlement européen a adopté le 10 décembre, la directive sur le fichier des passagers aériens PNR (passenger name record), acceptant le compromis mis au point par le Conseil des ministres quelques jours auparavant et qui prévoit un contrôle sur les vols internationaux et internes à l’Union européenne et qui permettra de conserver les données personnelles des passagers durant six mois puis jusqu’à cinq ans de manière masquée. Le parlement européen devrait se prononcer prochainement en séance plénière pour aboutir à ce que ce dispositif soit opérationnel au début de 2016. C’est l’aboutissement de quatre ans de discussions et il faut s’en réjouir.

Pour prévenir les attaques terroristes, il est indispensable de renforcer les échanges d’information entre les services de police et les systèmes judiciaires européens. Tout doit être mis en œuvre pour rendre Europol et Eurojust plus réactifs et capables de coopérer étroitement avec les autorités nationales. L’Union européenne dispose de plusieurs instruments pour faciliter les échanges d’informations entre États membres, agences et institutions. Europol a été renforcé suite à la signature de l’accord informel signé le 26 novembre 2015 entre Etats membres et il faut organiser des échanges accrus d’informations entre services de renseignement de l’Union, notamment à travers l’interconnexion de bases de données appropriées.

Naturellement, la proposition de résolution rappelle la nécessité de concilier mesures de sécurité et respect des droits. Elle insiste aussi sur la nécessité de mettre l’accent sur la prévention et la dé-radicalisation, autour de la construction d’un contre-discours de tolérance.

La proposition de résolution s’attache aussi à pointer la question du financement du terrorisme. L’Europe demeure en effet trop timorée dans la lutte contre ces financements et il conviendrait que le Conseil européen affirme cet objectif majeur de tarissement des flux,. La révision du cadre applicable à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, intervenue récemment avec le paquet législatif adopté en mai 2015, met en place une approche fondée sur les risques, plus efficace et conforme aux recommandations du groupe d’action financière (GAFI). Mais les compétences des cellules nationales de renseignement financier sur ces questions gagneraient à être harmonisées. L’Union européenne pourrait enfin exploiter la possibilité offerte par les traités et mettre en place un système de gel des avoirs liés au terrorisme à l’intérieur de l’Union européenne.

Concernant la crise migratoire, la proposition de résolution appelle à accélérer la mise en œuvre concrète des mesures déjà décidées notamment sur la relocalisation des réfugiés. La proposition de résolution salue l’accord trouvé au Conseil européen sur le mécanisme permanent pour une relocalisation des personnes ayant besoin d'une protection internationale mais appelle à le rendre pleinement effectif, ainsi que la proposition d’activation d’un mécanisme de répartition d’urgence.

Nous avons au sein de cette Commission conduit des auditions qui nous ont démontré le caractère très insatisfaisant de cette mise en œuvre, alors que la France s’est beaucoup engagée pour élaborer des compromis qui permettent à la fois de faire face dignement à l’afflux de demandeurs d’asile, d’en limiter les flux et de contenir l’immigration économique. Deux « hot spots » seulement sont réellement opérationnels aujourd’hui et la relocalisation ne fonctionne pas.

Des efforts considérables pour améliorer les mécanismes de contrôles aux frontières extérieures de l’Union sont aussi nécessaires. Il faut, là encore, se doter de moyens juridiques opérationnels. La Commission européenne vient de présenter un projet de législation sur les gardes-frontières qui apportera une modification du règlement de l'Agence Frontex afin de donner à l'agence une plus large autonomie d'action et le pouvoir d’agir de son propre chef en cas d’urgence, et d'autre part la création d'un véritable corps de gardes-frontières autonomes. La proposition de résolution soutient ce projet qui ne sera pas facile à mettre sur pied.

Il s’agit aussi de consolider l’espace Schengen qui est un acquis fondamental pour les citoyens et qui, à défaut de révision ciblée, pourrait être durablement remis en cause. A long terme, les flux migratoires que connait l’Europe sont appelés à se développer. C’est pourquoi il faut insister sur l’importance de la politique de voisinage qui devra être revue pour aller au-delà des impératifs de sécurité et pour proposer des initiatives en faveur du développement des pays limitrophes. La proposition de résolution insiste sur la mise en œuvre rapide des propositions du Sommet de La Valette.

Enfin, de manière constante dans les propositions adoptées par l’Assemblée nationale, cette proposition soutient l’objectif d’un nouveau paquet législatif sur l’asile avec de véritables règles communes en la matière et appuyé par la création d’un Office européen pour la protection des réfugiés.

Le Président de la République a appelé de ses vœux la mise sur pied d’une union différenciée, mais dans l’optique de permettre à chaque pays d’aller ou non plus loin, pas dans celle de faciliter le « détricotage » des traités ni de remettre en question ce qui fait l’originalité et la force du modèle européen.

David Cameron a transmis une lettre faisant part des quatre volets de négociation dans la perspective du référendum annoncé, à laquelle le Président Donald Tusk a répondu le 7 décembre dernier. Contrairement à ce que souhaitait le premier ministre britannique, il n’y aura pas d’accord au Conseil européen de décembre, l’échéance de février étant désormais fixée.

On peut regretter, comme le fait la proposition de résolution, le souhait du Royaume-Uni de revenir sur le principe d’une union sans cesse plus étroite des peuples. On peut débattre des moyens de mieux associer les Parlements nationaux – car sur le principe nous y sommes évidemment favorables. Mais deux demandes sont problématiques qui sont visées dans la proposition de résolution.

La première, qui cristallise les tensions, est celle de la restriction de l’accès aux prestations sociales des immigrés européens au Royaume-Uni pendant quatre ans, qui heurte clairement les principes de libre-circulation et de non-discrimination.

La seconde est celle de l’articulation entre la zone euro et les Etats qui n’en sont pas membres qui, si elle est un enjeu, ne doit pas se traduire par un droit de regard sur l’union économique et monétaire de ceux qui n’en sont pas membres. Des solutions pragmatiques ont toujours été trouvées, comme par exemple pour l’union bancaire, fixer un principe général est dangereux car ceux qui sont restés à l’écart de la monnaie unique ne doivent pas empêcher les autres Etats d’aller vers plus d’Europe. La proposition rappelle cette ligne rouge des négociations et en appelle à un nouveau compromis de Luxembourg équilibré.

Car – c’est le dernier thème abordé par la proposition de résolution – les Etats appartenant à la zone euro doivent au contraire réaffirmer leur volonté de franchir une nouvelle étape dans l’intégration économique et politique qui aille au-delà d’une réaction à la crise. L’UEM doit protéger les citoyens, être un facteur de progrès, et cela suppose d’en résorber les dysfonctionnements, pas seulement sur un plan strictement monétaire, mais aussi en termes économique, en termes de gouvernance et avec une dimension sociale.

Les pays de la zone euro ont fait le choix de partager leur souveraineté monétaire, et donc de renoncer à l’arme de la dévaluation unilatérale, sans pour autant se doter de nouveaux instruments économiques, sociaux, fiscaux et budgétaires communs. Il faut donc franchir une nouvelle étape qui ancre le principe de responsabilité budgétaire tout en assurant une coordination macro-économique opérationnelle et incluant des mécanismes de solidarité. C’est un défi énorme et sans doute le Conseil européen de cette semaine ne parviendra-t-il pas à faire émerger un consensus. Néanmoins, la proposition de résolution réaffirme le soutien à cette ambition.

CONCLUSION

Votre rapporteure vous propose d’adopter cette résolution sans modification, sur laquelle elle croit en outre qu’il est possible de se rassembler largement, car elle est guidée par un souci d’efficacité des réponses à apporter face aux menaces et défis extérieurs comme intérieurs.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa réunion du mercredi 16 décembre 2015 à 9 heures 30, la commission examine, sur le rapport de Madame Chantal Guittet, la proposition de résolution européenne relative au Conseil européen des 17 et 18 décembre 2015.

Après l’exposé de la rapporteure, un débat a lieu.

M. Jean-Pierre Dufau. Cette résolution aborde plusieurs points auxquels nous sommes attachés. Elle contribue ainsi à exprimer l’état d’esprit des parlementaires avant ce Conseil européen et permet – même si l’on reste dans la tradition européenne du consensus – de mieux faire comprendre la position des citoyens. Car ce qui nous intéresse avant tout, c’est ce que pensent les Français et les Européens. Dans une démocratie, c’est à eux qu’il appartient de lancer les idées qu’il faut ensuite coordonner et mettre en œuvre au niveau européen, et non l’inverse.

Sur ces points, la résolution contient beaucoup d’avancées. La situation actuelle – les attentats, la vague d’immigration – nous oblige à la réflexion et nous amène à prendre des mesures nouvelles. C’est au gré des événements que les choses évoluent, mais nous devrions essayer d’anticiper : si l’enveloppe de l’espace Schengen est bien pensée pour le marché intérieur, c’est de son côté extérieur qu’il faut désormais se préoccuper. Du point de vue militaire, les pays européens sont coiffés par l’OTAN, mais l’Europe a son indépendance et doit penser à sa politique de voisinage, comme l’indique la résolution.

En matière d’immigration, faudra-t-il un jour aller encore plus loin dans l’intégration européenne ? Quelle est la part de subsidiarité par rapport aux États ? Ainsi, heureusement que Frontex commence à agir dans les « points chauds » car on avait complètement délégué ces problèmes aux États. Il suffisait à l’Europe de donner de l’argent et des directives, et les États devaient se débrouiller. Pourtant, il s’agit bien d’un problème européen.

Cette résolution fait très attention à ne pas discriminer les pays hors de la zone euro pour continuer à les intégrer ; mais elle laisse curieusement de côté les pays membres de cette zone qui, s’ils ont envie d’aller plus loin, devraient pouvoir le faire. Cette culture du compromis et du consensus permanent, devenue l’alpha et l’oméga de l’Europe, n’a pas que des avantages, et il faut pouvoir revenir sur ces règles de fonctionnement. Il n’y a pas de vérité absolue et définitive.

Enfin, la taxe sur les transactions financières (TTF) peut être créée quelle que soit la monnaie.

M. Jacques Myard. Ouvrez les yeux : ce projet de résolution est dangereux ! Il est légitime de vouloir renforcer la coopération entre États, mais nous sommes dans une fuite en avant permanente et refusons de regarder la réalité en face. L’échec de Schengen ne sera pas dépassé par la création d’une pseudo-police extérieure ; il est impossible de contrôler les frontières extérieures de l’Union, notamment de la Grèce – voire de la France, surtout en Guyane. Il faut changer de logiciel, même si certains dispositifs tels que le service d’information Schengen sont bien pensés ; ce système reste toutefois mal alimenté par les États, notamment sur les fiches S dont nous sommes les seuls à disposer.

Plus grave encore : plutôt que de se demander quel serait le coût de la suppression de la monnaie unique, interrogeons-nous sur celui de son maintien ! Cette petite utopie nous a coûté 25 % du PIB français. Aller toujours plus loin dans l’intégration, c’est poursuivre la dévaluation interne – que vous, mesdames et messieurs les membres du Parti socialiste, ne cessez de dénoncer. Si vous ne pouvez pas jouer sur les taux externes, vous jouerez sur le niveau des pensions et sur la dépense publique. Vous êtes dans un total aveuglement. Je ne suis pas d’accord en tout avec les Anglais, mais ils sont les seuls à avoir le sens de la réalité et des responsabilités en Europe. Continuer avec ce logiciel des années 1960, c’est aller à l’échec certain et mettre en péril la notion même de coopération européenne. De grâce, ouvrez les yeux : ces utopies détruisent l’Europe !

Je voterai contre cette résolution. Je respecte les opinions des autres et le débat continuera, mais il est grave d’aller toujours dans le même sens. Les Britanniques posent les vrais problèmes et ils ont raison.

Mme Estelle Grelier. Chaque point de cette résolution mérite un vaste débat. Comme je l’ai dit dans le cadre de l’échange que nous avons eu avec les secrétaires d’État français et allemand aux affaires européennes, je trouve regrettable pour le projet européen qu’il faille une menace de « Brexit » pour qu’on envisage de revoir les politiques publiques européennes. Nous sommes pourtant nombreux à être favorables à un projet européen ambitieux, qui parle d’emblée aux gens, mais devoir démontrer l’opportunité des politiques par leurs coûts économiques et sociaux – donc par la négative – en montre l’essoufflement. Je soutiendrai cette proposition de résolution, qui contient plusieurs avancées, mais je suis très inquiète quant à l’avenir de l’Union.

Par ailleurs, le secrétaire d’État allemand a prévenu que dans le cadre de la négociation très dure qui s’annonce avec les Britanniques, il faudrait faire des concessions. Je crains donc la victoire d’une ligne moins pro-européenne que celle que nous souhaitons.

M. Lionnel Luca. Je regrette que cette résolution soit si hétérogène : on peut adhérer à certains points, mais non à d’autres, ce qui me conduira personnellement à m’abstenir. Le texte exonère ainsi la France, comme tout autre État participant à la défense générale de l’Union, d’intégrer ses dépenses militaires au calcul des déficits publics : une mesure de bon sens. Avec les Britanniques – qui ne font pas partie de la zone euro –, nous sommes les seuls à nous battre en première ligne pour la défense des valeurs de l’Union européenne auxquelles nos partenaires n’adhèrent que du bout des lèvres, et avec le minimum de frais. Il est aberrant que la Commission européenne fasse toujours semblant de considérer que nous sommes, sur ce point, à égalité. On ne peut donc qu’être favorable à cette mesure, comme à la création du fichier PNR ou au renforcement du contrôle aux frontières extérieures, à travers la création d’un corps de gardes-frontières.

En revanche, il est absurde de désigner du doigt le Royaume-Uni : ce pays mène sa politique et il en a le droit. Il ne fait pas partie de la zone euro, et nous n’avons pas à porter de jugements sur ses choix. C’est là une faiblesse de cette résolution. Mêler ainsi différents sujets est un moyen certain pour éviter que nous la votions !

M. Benoît Hamon. Je voudrais réagir à l’intervention de M. Myard. Cette résolution contient beaucoup de points positifs dont je regrette, moi aussi, qu’ils ne soient évoqués qu’en conséquence ou en prévision de crises. Ainsi, la non-prise en compte des dépenses de défense dans le calcul des déficits comme la volonté d’envisager un agenda européen un peu plus ambitieux et intégrateur – notamment sur les questions fiscales et sociales – sont à saluer.

Les membres de la famille politique de Jacques Myard sont favorables à la fois à des restrictions à la liberté de circulation des individus et à davantage de dérégulation et de liberté de circulation des biens, des marchandises et des capitaux. C’est toujours dans sa famille politique qu’on trouve les meilleurs partisans d’une grande zone de libre-échange entre les États-Unis et l’Union européenne, qu’ils veulent continuer à ouvrir à tous les vents – aux capitaux, aux biens et aux marchandises ; mais les mêmes réclament que l’on ferme les frontières aux individus. Cette contradiction, monsieur Myard, nourrit la désaffection pour le projet européen et prive celui-ci de toute existence. Si l’on ne va pas vers plus d’Europe, plus de social et plus de convergence fiscale, on ne fait pas grand-chose.

M. Jacques Myard. Monsieur Hamon, je suis surpris de votre remarque car ce n’est pas moi qui ai acté dans les traités de Maastricht et de Lisbonne, sur l’insistance de l’Allemagne, la totale liberté de circulation des capitaux. Vous l’avez voté ; il est donc paradoxal que vous vous interrogiez aujourd’hui sur ces points. Je suis d’accord avec vous : la dérégulation de la finance internationale est un vrai problème car les États sont ballotés par les mouvements de capitaux. Mais balayez devant votre porte : vous l’avez voulu !

M. Jean-Paul Bacquet. Il faut avoir beaucoup de courage pour croire aujourd’hui à l’Europe, et une certaine dose d’inconscience pour travailler encore à ce projet. Estelle Grelier s’étonne qu’on ne réagisse qu’à la prise de position britannique ; je regrette pour ma part que la France n’ait pas un de Gaulle ou une Thatcher qui tape du poing sur la table, car c’est le seul moyen de faire avancer l’Europe ! Nous sommes capables d’aller à l’encontre de la volonté du peuple : quand celui-ci vote non au traité de Lisbonne et que l’Assemblée le corrige, il ne faut pas s’étonner qu’il ne se reconnaisse pas dans l’Europe !

L’Europe ne se définit aujourd’hui que par rapport à une position défensive. À l’origine, elle procédait d’une volonté de paix, d’harmonisation économique et de lutte contre le chômage – Maastricht promettait ainsi, grâce à la monnaie unique, la fin du chômage européen. Aujourd’hui, l’Europe ne pense qu’à défendre ses frontières, tout en se couchant à Calais. Ouvrez donc les vannes à Calais et on verra comment réagiront les Anglais ! C’est nous qui sommes en première ligne. Sous la présidence d’Axel Poniatowski, notre commission avait reçu le ministre des affaires étrangères polonais ; nous étions scandalisés par son intervention, mais lorsqu’un député lui a reproché d’acheter des F-16 plutôt que des Rafale, il a répondu que son pays n’était pas entré dans l’Europe pour construire un ensemble politique, mais pour faire des affaires. Il faut dire les choses telles qu’elles sont et poser la vraie question : qu’est-ce que l’Europe aujourd’hui ? Je souhaite qu’un jour on tape du poing sur la table, car c’est ainsi qu’on pourra faire avancer les choses, et non en se couchant en permanence.

Mme Chantal Guittet, rapporteure. On peut remercier Philip Cordery et Estelle Grelier pour leur travail sur cette résolution qui nous permet d’avoir ce débat.

Monsieur Luca, la résolution est en effet hétérogène, mais elle se calque sur l’ordre du jour du Conseil européen dont elle reprend les points les plus importants, tels que les négociations avec le Royaume-Uni.

Monsieur Myard, vous avez le mérite de la constance. Vous avez évoqué le coût de la suppression de l’euro ; mais, même si j’en doute, ce pourrait éventuellement être un coût négatif !

Je suis d’accord avec Estelle Grelier : il est dommage de ne réagir qu’aux crises, sans être capables de mener une réflexion approfondie et continue sur l’évolution que l’on souhaite imprimer à l’Europe.

En ce qui concerne Schengen, les propositions du Conseil européen sur la maîtrise des frontières extérieures et la réforme de l’agence Frontex ont été rendues publiques hier. La maîtrise des frontières est une question qui se pose tant à l’Europe qu’à chaque pays. Pour le moment, l’agence n’était pas autonome et n’avait pas de compétences dans la mesure où elle dépendait de la décision de chaque État. Puisqu’on a du mal à surveiller nos frontières, il faut créer une compétence européenne dans ce domaine afin de disposer enfin d’une agence dotée de vrais moyens et ayant à sa disposition un corps de garde-frontières qui puisse réagir de façon rapide et efficace. Les vérifications aux frontières seront désormais systématiques et permettront une consultation élargie des bases de données.

Je vous propose de voter cette résolution. Philip Cordery souhaite que l’on suive avec attention les réunions du Conseil européen pour réagir à son agenda et faire entendre la position de la France.

Suivant l’avis de la rapporteure, la commission adopte la proposition de résolution européenne sans modification (n° 3342).

ANNEXE :
TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

Article unique


Vu l’article 88-4 de la Constitution ;


Vu l’article 151-5 du règlement de l’Assemblée nationale ;


Vu le projet d’ordre du jour annoté du Conseil européen des 17 et 18 décembre 2015 ;


Vu la Résolution européenne relative à la juste appréciation des efforts faits en matière de défense et d'investissements publics dans le calcul des déficits publics no 522, adoptée par l’Assemblée nationale le 6 juin 2015 ;


Considérant les défis majeurs auxquels nous mettent face les attentats terroristes du 13 novembre 2015 à Paris qui sont une attaque contre la liberté et nos valeurs universalistes ;


Considérant les enjeux, sans précédent depuis la seconde guerre mondiale, de l’accueil des réfugiés pour l’avenir de l’espace Schengen et le principe fondamental de libre circulation des personnes sur lequel il se base ;


Considérant l’hypothèque que fait peser le référendum britannique pour ou contre la sortie du Royaume-Uni de l’Union sur la cohésion et l’unité européenne ;

1-
Soutient le recours par le Président de la République à l’article 42§7 du Traité sur l’Union européenne, qui instaure une solidarité européenne en cas d’agression armée ;

2-
Demande à nouveau que les dépenses militaires et de sécurité nationale qui participent en définitive à la sécurité de toute l’Union, ne soient pas prises en compte dans le calcul des déficits publics ;

3-
Se félicite des conclusions adoptées lors du Conseil des ministres de l’intérieur de l’Union Européenne d’accélérer la mise en place d’un PNR européen, de durcir la législation sur les armes à feu et de contrôler systématiquement les frontières extérieures de l’Union Européenne.

4-
Se félicite du renforcement d’Europol suite à la signature de l’accord informel signé le 26 novembre 2015 entre États membres et appelle à des échanges accrus d’informations entre services de renseignement de l’Union, notamment à travers l’interconnexion de bases de données appropriées ;

5-
Appelle à un renforcement substantiel des moyens en vue de lutter contre le financement du terrorisme, tant au niveau des États membres que de l’Union ;

6-
Appelle, face aux risques actuels, à une sécurité accrue dans les transports terrestres ;

7-
Insiste sur la nécessité de mettre l’accent sur la prévention et la dé-radicalisation, autour de la construction d’un contre-discours de tolérance, d’une étroite coopération avec les grands opérateurs d’Internet et l’intégration des questions d’éducation et de formation aux enjeux du programme de sécurité ;

8-
Appelle à la vigilance quant au respect des droits fondamentaux et des libertés individuelles, et à la pleine mobilisation des instruments en vigueur pour lutter contre le terrorisme, la criminalité organisée et la cybercriminalité.

9-
Souligne l’enjeu majeur auquel font face les États membres et les institutions de l’Union à travers l’afflux massif de réfugiés sur son territoire ;

10-
Appelle les États membres à ne pas minimiser le risque de remise en cause de la cohérence de l’espace Schengen comme du principe de libre circulation qui le fonde, et à travers lui celle de l’Union européenne, elle-même ;

11-
Salue l’accord trouvé au Conseil européen sur le mécanisme permanent pour une relocalisation des personnes ayant besoin d'une protection internationale et appelle la Commission européenne et les Etats membres à rendre pleinement effectif ce mécanisme ainsi que la proposition d’activation d’un mécanisme de répartition d’urgence ;

12-
Insiste sur la nécessité de rendre plus efficace :

-
d’une part, le contrôle aux frontières extérieures à travers notamment la création d’un corps de gardes-frontières européen qui aurait accès à des bases de données interconnectées pertinentes et systématiquement consultées ; appelle, en outre, à une réforme ciblée du Code Frontière Schengen, en vue de permettre un contrôle systématique aux frontières extérieures des citoyens de l’Union, et à un renforcement de l’agence Frontex qui doit disposer de moyens accrus pour travailler avec des pays tiers en vue d’une coopération opérationnelle ;

-
d’autre part, les programmes de retour des demandeurs d’asile déboutés, dans le plein respect des droits humains ;

13-
Appelle à l’élaboration d’un nouveau paquet législatif sur l’asile avec de véritables règles communes en la matière et appuyé par la création d’un Office européen pour la protection des réfugiés, dans le respect des droits humains ;

14-
Appelle, en outre, à un accord en vue d’une nouvelle politique de migration légale qui tienne particulièrement compte de la régulation de l’immigration économique ;

15-
Se réjouit de la place accordée par la Commission européenne à la coopération avec les pays-tiers et appelle à donner une suite concrète aux propositions issues du Sommet de la Valette.

16-
Souhaite que le processus référendaire britannique soit l’occasion de procéder à une évaluation des politiques publiques de l’Union et de la zone euro à l’aune de l’intérêt général européen et demande, dans ce cadre, à la Commission européenne que soit remis d’ici le mois d’octobre 2016 trois rapports évaluant les coûts économiques et sociaux de la suppression, respectivement :

-
de l’espace Schengen :

-
de la zone Euro ;

-
des actions communes en matière de défense ;

17-
Appelle sur cette base la Commission européenne à proposer de nouvelles initiatives législatives et toutes modifications nécessaires du droit secondaire en vue d’un approfondissement dans ces trois domaines.

18-
Regrette la remise en cause par le Royaume-Uni de l’objectif « d’une Union sans cesse plus étroite » entre les peuples de l’Europe, figurant au préambule du Traité de l’Union européenne, ainsi que du principe d’égalité de traitement entre citoyens de l’Union et appelle à un compromis permettant de préserver l’unité de l’Union, de même qu’à sauvegarder les principes fondamentaux sur lesquels elle se base.

19-
Demande qu’en échange d’une attention à ne pas discriminer les États ne participant pas à la monnaie unique, notamment dans la législation secondaire, le Royaume-Uni s’engage à ne pas bloquer les initiatives visant à accroître l’intégration de la zone euro ; appelle ainsi à un nouveau « compromis de Luxembourg » qui concilie les intérêts des Etats de la zone euro avec ceux des autres Etats membres.

20-
Souhaite que la crise latente que connaît la zone euro soit l’occasion du franchissement d’un nouveau pas dans l’intégration économique , sociale et politique des pays ayant la monnaie unique en partage, se fondant en particulier sur la création d’un parlement de la zone euro, d’un budget propre, doté d’une capacité d’investissement au service du développement durable, et d’un plan de convergence fiscale et sociale progressive, par le haut.

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