N° 3424 - Rapport de M. Dominique Raimbourg sur la proposition de résolution de M. Christian Jacob et plusieurs de ses collègues tendant à la création d'une commission d'enquête relative aux moyens mis en oeuvre par l'Etat pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 (3398)




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° 3424

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 janvier 2016.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (N° 3398) DE M. CHRISTIAN JACOB ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015,

PAR M. Dominique RAIMBOURG,

Député.

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Mesdames, Messieurs,

Le président Christian Jacob et plusieurs de ses collègues du groupe Les Républicains ont déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.

Lors de la Conférence des présidents du 19 janvier dernier, le groupe Les Républicains a indiqué qu’il ferait usage, pour cette proposition de création de commission d’enquête, du « droit de tirage » que le deuxième alinéa de l’article 141 du Règlement de l’Assemblée nationale reconnaît à chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire (1).

Par conséquent, et conformément au second alinéa de l’article 140 du Règlement modifié en novembre 2014, il revient à notre Commission, à laquelle a été renvoyée la présente proposition de résolution, de vérifier si les conditions requises pour la création de la commission d’enquête sont réunies ; désormais, elle ne se prononce plus sur l’opportunité d’une telle création.

Dans la même logique, la proposition de résolution ne sera plus soumise au vote de l’Assemblée nationale ; en effet, en application du deuxième alinéa de l’article 141 précité, la Conférence des présidents « prend acte de la création de la commission d’enquête » dès lors que cette création répond aux exigences fixées par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et au chapitre IV de la première partie du titre III du Règlement.

Ces exigences sont présentées ci-après.

Extraits du Règlement de l’Assemblée nationale

Article 137

Les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sont déposées sur le bureau de l’Assemblée. Elles doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion. Elles sont examinées et discutées dans les conditions fixées par le présent Règlement.

Article 138

1  Est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre.

2  L’irrecevabilité est déclarée par le Président de l’Assemblée. En cas de doute, le Président statue après avis du Bureau de l’Assemblée.

Article 139

1  Le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est notifié par le Président de l’Assemblée au garde des sceaux, ministre de la justice.

2  Si le garde des sceaux fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition, celle-ci ne peut être mise en discussion. Si la discussion est déjà commencée, elle est immédiatement interrompue.

3  Lorsqu’une information judiciaire est ouverte après la création de la commission, le Président de l’Assemblée, saisi par le garde des sceaux, en informe le président de la commission. Celle-ci met immédiatement fin à ses travaux.

En premier lieu, les propositions de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête doivent, en application de l’article 137 du Règlement, « déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services ou entreprises publics dont la commission doit examiner la gestion ».

Cet impératif est satisfait par la présente proposition de résolution, dont l’article unique créé une commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, jour de l’attaque perpétrée par les frères Kouachi contre le journal Charlie Hebdo. À la lecture de l’intitulé de la présente proposition de résolution, il apparaît que l’objet des travaux de la commission d’enquête est établi avec une précision suffisante.

En deuxième lieu, en application du premier alinéa de l’article 138 du Règlement, « est irrecevable toute proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ».

La proposition de résolution remplit ce critère de recevabilité. Certes, l’Assemblée nationale a eu l’occasion de s’intéresser à ce sujet à plusieurs reprises depuis le début de la quatorzième législature. La commission d’enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, dont les travaux ont été conduits par nos collègues Éric Ciotti – son président – et Patrick Mennucci – son rapporteur – entre octobre 2014 et juin 2015, en constitue l’exemple le plus récent (2). L’objet de ses travaux différait toutefois de celui de la commission d’enquête que les députés Les Républicains appellent aujourd’hui de leurs vœux.

En troisième et dernier lieu, le deuxième alinéa de l’article 139 du Règlement dispose que la proposition de résolution ne peut être mise en discussion si le garde des Sceaux « fait connaître que des poursuites judiciaires sont en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ». Le troisième alinéa du I de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 prévoit, quant à lui, que la mission d’une commission d’enquête déjà créée « prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d’enquêter ».

Interrogée par le Président de l’Assemblée nationale conformément au premier alinéa de l’article 139 précité, Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, lui a fait savoir, dans un courrier du 19 janvier 2016, que le périmètre de la commission d’enquête envisagée était « susceptible de recouvrir pour partie celui de certaines enquêtes et informations judiciaires actuellement ouvertes au parquet de Paris et au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris ». La commission devra donc veiller, tout au long de ses travaux, à ne pas faire porter ses investigations sur des questions relevant de la compétence exclusive de l’autorité judiciaire.

Sous cette réserve, la création d’une commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 est, d’un point de vue juridique, recevable.

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* *

Au cours de sa réunion du 20 janvier 2016, la Commission examine, sur le rapport de M. Dominique Raimbourg, la proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 (n° 3398).

Après l’exposé de votre rapporteur, une discussion a lieu.

M. Pascal Popelin. Depuis le début de cette législature, la majorité n’a jamais cherché à faire obstacle, de quelque manière que ce soit, à la création de commissions d’enquête à l’initiative de l’opposition.

Sur le fond, il est évident que nos compatriotes s’interrogent légitimement à la suite des attentats terroristes d’une ampleur sans précédent, survenus le 13 novembre dernier, après ceux du mois de janvier 2015, et je fais mienne cette phrase de l’exposé des motifs de la résolution qui évoque le « devoir de transparence et de réponse à apporter aux victimes, à leurs familles et à la nation tout entière ». Je veux aussi saluer l’objectivité des premières lignes dudit exposé, qui rappelle que la violence terroriste ne frappe pas que la France : elle frappe le monde entier, et cela n’a pas commencé sous cette législature. Nous sommes face à une menace internationale, extérieure et intérieure, qui vient de loin, depuis longtemps.

S’il est donc légitime de s’interroger sur l’efficacité de l’ensemble des moyens engagés par toutes les administrations de l’État en charge de la lutte contre le terrorisme, le projet de résolution – qui évoque bien la police – aurait aussi pu mentionner la gendarmerie, l’armée, la justice, la diplomatie, le budget, les services de renseignement. Il me semble que nous devrons, dans notre réflexion, remonter au-delà du mois de janvier 2015. Pour savoir où l’on va, il faut savoir où l’on est, et pour savoir où l’on est, il faut savoir d’où l’on vient.

Cette majorité n’a pas à rougir de son action résolue, depuis le mois de juin 2012, pour renforcer sans cesse, par rapport à la situation qu’elle a trouvée, les moyens et les outils juridiques, matériels et humains dédiés à la lutte contre le terrorisme. Nous n’avons donc rien à cacher aux Français, bien au contraire. Je ne vois pas davantage d’obstacles à analyser « avec détermination et impartialité » tout ce qui pourra entrer dans le vaste périmètre d’investigation de cette commission d’enquête, avec le souci permanent de l’amélioration, encore et toujours, de nos dispositifs de lutte contre la menace terroriste. Chacun d’entre nous sait qu’elle demeure particulièrement élevée et extrêmement difficile à combattre, en dépit de notre détermination sans faille.

M. Guy Geoffroy. Je salue le rapport tout à fait objectif de notre excellent rapporteur. De même, je prends acte, au nom du groupe Les Républicains, des propos tout aussi objectifs, positifs et donc encourageants, qu’a tenus M. Popelin au nom du groupe majoritaire. Le rapporteur et la majorité ont bien saisi dans quel esprit nous avions déposé cette proposition de résolution. C’est donc avec satisfaction, lucidité et détermination que nous accueillerons le vote favorable de la Commission et que nous nous engagerons, avec tous nos collègues, siégeant sur tous les bancs de notre assemblée, dans ce travail nécessaire, qui devra probablement s’étendre au-delà de certaines limites. Nos concitoyens veulent connaître l’enchaînement des circonstances, ils veulent savoir ce que nous aurions pu faire et que nous n’avons pas fait. Puissions-nous tirer de tout cela les moyens de mieux les préserver des drames qui menacent encore.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Je remercie le rapporteur pour la qualité de son intervention, qui conclut à la recevabilité de notre proposition de résolution. De même, je salue les propos tenus par notre collègue Pascal Popelin. Cette commission d’enquête, qui s’ajoute à ce que vous faites, Monsieur le président de la commission des Lois dans le cadre du contrôle parlementaire de l’état d’urgence, permettra de comprendre où nous en sommes et de savoir quoi décider pour l’avenir.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous avions souhaité que le « droit de tirage » soit un vrai « droit de tirage », comme c’est le cas au Sénat. Notre vote sur cette proposition de résolution marque ce changement : nous n’avons plus à nous prononcer sur l’opportunité de créer la commission d’enquête, simplement sur la recevabilité d’une telle proposition.

Se prononçant en application de l’article 140, alinéa 2, du Règlement, la Commission, adoptant à l’unanimité le rapport, constate que sont réunies les conditions requises pour la création de la commission d’enquête demandée par le groupe Les Républicains dans la proposition de résolution sur les moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015 (n° 3398).

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