N° 3447 - Rapport de M. Christian Estrosi sur la proposition de loi de MM. Christian Estrosi, Xavier Bertrand, Marc Le Fur et Mme Valérie Pécresse et plusieurs de leurs collègues favorisant le développement régional de l'apprentissage (3077)



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N° 3447

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

EnregistréàlaPrésidencedel’Assembléenationalele 27 janvier 2016.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE LOI favorisant le développement régional de l’apprentissage,

PAR M. Christian ESTROSI,

Député.

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Voir le numéro :

Assemblée nationale : 3077.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. UN RECUL DE L’APPRENTISSAGE LARGEMENT EXPLIQUÉ PAR LES MESURES DÉFAVORABLES PRISES EN DÉBUT DE LÉGISLATURE 7

A. UNE DIMINUTION INQUIÉTANTE DE L’APPRENTISSAGE 7

B. DES MESURES DÉFAVORABLES À L’APPRENTISSAGE PRISES EN DÉBUT DE LÉGISLATURE 8

II. LA NÉCESSITÉ D’UNE RÉFORME À LA HAUTEUR DES ENJEUX 10

A. UNE FILIÈRE SACRIFIÉE 10

B. METTRE EN PLACE UNE POLITIQUE AMBITIEUSE EN FAVEUR DE L’APPRENTISSAGE DANS LE CADRE DE LA RÉGION 11

TRAVAUX DE LA COMMISSION 13

DISCUSSION GÉNÉRALE 13

EXAMEN DES ARTICLES 28

Article 1er : (art. L. 214 [nouveau] et L. 241-6 du code de l’éducation) Pilotage de la formation professionnelle initiale par les régions 28

Article 2 : (art. L. 214-12 du code de l’éducation) Banque régionale de l’apprentissage 34

Article 3 : (art. L. 6222-1 du code du travail) Apprentissage à quatorze ans 37

Article 4 : (art. 575 et 575 A du code général des impôts) Gage financier 44

INTRODUCTION

Dans un contexte économique dégradé, les jeunes rencontrent les plus grandes difficultés à entrer sur le marché du travail en France. Ainsi, au troisième trimestre 2015, le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans s’établit à 24,6 %, en hausse d’un point par rapport au trimestre précédent (1). Il est près de 2,5 fois plus élevé que la moyenne nationale.

Le développement de l’apprentissage, qui constitue un outil très efficace d’insertion professionnelle des jeunes, permettrait de remédier à cette situation préoccupante. En effet, selon une note d’information de mars 2014 de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), le taux d’emploi des jeunes sept mois après la fin de leur apprentissage atteint 65 %, soit un niveau nettement supérieur à celui des sortants de lycée, qui s’élève à 43 %, quel que soit le niveau de formation obtenu. De plus, lorsqu’ils travaillent, 59 % des jeunes sortant d’une formation en apprentissage occupent un emploi à durée indéterminée, contre 35 % pour les jeunes sortant de lycée.

Or, malgré ses très bons résultats en termes d’insertion sur le marché du travail, le Gouvernement n’a pas choisi d’encourager l’apprentissage. Il reste relativement peu développé en France, où l’on compte seulement 390 300 apprentis fin août 2015, contre près de 1,5 million en Allemagne.

L’apprentissage souffre d’un manque de valorisation, notre système d’orientation privilégiant de manière excessive la voie de l’enseignement général ou, le cas échéant, de l’enseignement professionnel sous statut scolaire. Surtout, au lieu d’encourager le développement de cette filière d’excellence, l’actuel Gouvernement, qui a supprimé dès 2012 le Ministère de l’apprentissage, a mis en place une série de mesures contradictoires qui a conduit à une chute du nombre d’apprentis. Il porte donc une lourde responsabilité dans le chômage des jeunes.

Aussi, en l’absence de mesures nouvelles, l’objectif de faire progresser le nombre d’apprentis à 500 000 en 2017, fixé par le Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, ne paraît pas atteignable.

C’est pourquoi la présente proposition de loi prévoit plusieurs mesures de nature à encourager le développement de l’apprentissage. La formation professionnelle initiale gagnerait à être réorganisée au sein de régions davantage impliquées. L’échelon régional parait en effet le plus pertinent pour permettre une meilleure articulation entre l’offre de formation en apprentissage et les besoins des entreprises. La possibilité de découvrir l’apprentissage dès l’âge de 14 ans permettrait également de mieux faire connaître cette filière professionnelle.

Alors que les entrées en apprentissage ont connu une augmentation constante de 2003 à 2012, le nombre de nouveaux contrats d’apprentissage passant de 230 000 à 297 000 – cette hausse étant à peine relativisée par un léger recul lié à la crise de 2008, l’année 2013 enregistre une chute de plus de 8 %, avec moins de 273 000 contrats signés. L’hémorragie se poursuit en 2014, où 265 000 nouveaux contrats d’apprentissage ont été comptabilisés dans le secteur privé, soit une nouvelle baisse de 3 % par rapport à 2013.

Ces évolutions sont retracées par le graphique suivant.

NOMBRE DE NOUVEAUX CONTRATS D’APPRENTISSAGE ENREGISTRÉS PAR ANNÉE
SELON LE NIVEAU DE FORMATION PRÉPARÉ

Source : direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), juillet 2015.

Le recul de l’apprentissage va de pair avec une économie au point mort et un tassement de l’emploi au cours de la même période. Il est donc logique que les chiffres de l’apprentissage suivent une progression similaire à celle de l’emploi global : comme indiqué ci-dessus, on a pu noter un léger repli des entrées en apprentissage en 2009 et 2010, au plus fort des effets de la crise de 2008. Néanmoins, le recul constaté à partir de 2013 ne peut être entièrement imputé à la crise : en effet, en 2013, l’économie a détruit quatre fois moins d’emplois qu’en 2009, et pourtant, la diminution de l’apprentissage constatée en 2009 est presque trois fois inférieure à celle enregistrée en 2013 !

La crise de l’apprentissage en 2013 et 2014, dont le recul ne devrait pas être compensé en 2015, est donc importante et contraste avec les années précédentes : entre 2003 et 2008, les entrées en contrat d’apprentissage ont été fortement orientées à la hausse – de l’ordre de 5 % en moyenne. Elles sont restées globalement stables entre 2008 et 2012 et ce malgré la crise économique.

Dès lors, la remise en cause pour le moins brutale des aides en faveur de l’apprentissage explique largement l’attentisme dont ont fait preuve les entreprises vis-à-vis de l’apprentissage en 2013 et 2014.

La remise en cause du soutien financier aux employeurs pour le recrutement d’apprentis ainsi que diverses mesures prises depuis 2012, conjuguées à des freins structurels au développement de l’apprentissage, expliquent en grande partie le recul important des entrées en apprentissage constaté en 2013 et 2014.

Ainsi, au motif que certaines aides bénéficiant à l’apprentissage n’étaient pas assez ciblées et étaient insuffisamment incitatives, la loi de finances pour 2014 (2) a procédé à deux modifications majeures.

– Elle a tout d’abord resserré les conditions d’accès au crédit d’impôt en faveur de l’apprentissage, mis en place en 2005, et qui bénéficiait aux entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu, à hauteur de 1 600 euros par apprenti dont le contrat a atteint une durée d’au moins un mois dans l’entreprise : ce crédit d’impôt est, depuis 2014, limité aux entreprises qui embauchent des apprentis dans la première année d’une formation et pour la préparation d’un diplôme de niveau inférieur ou égal à bac+2.

– La loi de finances pour 2014 a ensuite substitué à l’indemnité compensatrice forfaitaire (ICF) égale à au moins 1 000 euros par apprenti recruté et pour chaque année du cycle de formation une nouvelle prime de 1 000 euros par apprenti et par année de formation, versée comme l’ICF par les régions, mais aux seules entreprises de moins de onze salariés.

Au-delà de ces aspects financiers, une série de mesures défavorables ont contribué à complexifier le recrutement et la formation des apprentis, et cela, alors même que des freins importants préexistaient.

Conformément à la directive 94/33/CE du 22 juin 1994 relative à la protection des jeunes au travail, les dérogations à l’interdiction du travail des mineurs sont particulièrement encadrées par le droit du travail, et en particulier, dans le cas de travaux présentant des risques pour leur santé et leur sécurité. Certains travaux leur sont ainsi formellement interdits, tandis que les conditions d’emploi de mineurs pour certains autres travaux sont interdites mais susceptibles de dérogation.

S’agissant de ces derniers, le décret n° 2013-914 du 11 octobre 2013 relatif à la procédure de dérogation prévue à l’article L. 4153-9 du code du travail est venu modifier le régime applicable aux apprentis mineurs, en théorie pour l’assouplir : en effet, il prévoit de passer d’une procédure de dérogation annuelle et individuelle demandée à l’inspection du travail par l’employeur à une dérogation triennale et collective, attachée à un lieu de travail.

Or, la nouvelle procédure s’est révélée, dans les faits, quasiment impraticable dans certains secteurs d’activité et en particulier pour les petites entreprises. En effet, la procédure de dérogation requiert la mise à jour du document unique d’évaluation des risques, qui est difficile à mettre en œuvre pour une petite structure. En outre, alors que le passage d’une autorisation individuelle à une autorisation collective, attachée à un site, doit constituer un facteur d’assouplissement, son application à des travaux de chantier s’avère particulièrement complexe. Ces décisions ont lourdement pesé sur la situation de l’apprentissage au sein du monde économique.

Les employeurs ont mis en avant à juste titre le fait qu’une telle procédure d’autorisation préalable a conduit à renvoyer la responsabilité de l’employeur vers un tiers, l’inspecteur du travail ; il s’agit, de ce point de vue, d’une mauvaise chose. Cela a eu des conséquences dans de nombreux secteurs d’activité, notamment le secteur agricole et celui de la forêt où l’accidentalité est encore importante, et où les exploitants maîtres d’apprentissage peuvent aujourd’hui se montrer réticents à recruter des apprentis en raison de cette réglementation. De ce fait, les employeurs ont refusé de recruter un apprenti mineur, ce qui a eu des conséquences sur le profil des apprentis et a conduit à évincer les plus jeunes apprentis issus de milieux sociaux souvent moins avantagés que leurs aînés.

Par ailleurs, on peut se demander si la mobilisation des services de l’État au profit des emplois d’avenir ne s’est pas faite au détriment de l’apprentissage, d’autant plus que certaines entreprises ont pu être tentées de recruter des emplois d’avenir plutôt que des apprentis, compte tenu du caractère financier plus avantageux des premiers.

Or, l’efficacité des contrats aidés dans le secteur public est particulièrement faible en termes d’insertion, comme l’a notamment montré un rapport de la Cour des comptes relatif à la politique de l’emploi (3) : « leur utilisation dans le secteur non marchand a persisté en France, alors qu’elle a été abandonnée dans la plupart des autres pays en raison de sa faible efficacité en matière d’insertion durable dans l’emploi. Le recours à ce dispositif dans le cadre de la réponse à la crise apparaît donc discutable. » Selon la Cour, moins de 40 % des personnes en contrat aidé non marchand sont en emploi six mois après, contre plus de 70 % pour ceux qui ont bénéficié de contrats dans le secteur marchand.

La loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a porté un coup fatal à l’apprentissage en supprimant notamment une disposition qui autorisait l’apprentissage pour les jeunes à partir de 14 ans. Sacrifiant l’avenir des jeunes apprentis sur l’autel de son idéologie, le Gouvernement les a privés d’une voie qui leur aurait permis d’assurer leur avenir avec sérénité. Contrairement à ce que pensait le Gouvernement de l’époque, le parcours scolaire classique ne correspond pas forcément à tous.

Dans le cadre du plan de relance de l’apprentissage présenté lors de la conférence sociale des 7 et 8 juillet 2014, les discussions ont montré une réelle attente de l’ensemble des acteurs d’avancer concrètement et rapidement en vue de renforcer l’attractivité de l’apprentissage pour les employeurs, d’améliorer la qualité des formations dispensées et de mieux accompagner les entreprises mais aussi les jeunes afin qu’ils accèdent à un emploi.

Diverses mesures ont commencé à être prises. Parmi elles, deux nouveaux dispositifs financiers, qui tentent avec difficulté de corriger des mesures prises en début de législature, ont été adoptés :

– L’aide « TPE jeune apprenti », permettant à toute entreprise de moins de onze salariés employant un apprenti mineur de percevoir 1 100 euros par trimestre pour tenir compte de son investissement en matière de formation, pour la première année du contrat ;

– La prestation « réussite apprentissage », ciblée sur des territoires prioritaires, qui devrait permettre à 10 000 jeunes de se préparer à l’apprentissage, et à l’employeur de les aider à s’intégrer durablement dans leur milieu de travail.

Par ailleurs, depuis le 2 mai 2015, le Gouvernement a enfin pris le décret n° 2015-443 du 17 avril 2015 relatif à la procédure de dérogation prévue à l’article L. 4153-9 du code du travail pour les jeunes âgés de moins de dix-huit ans. Aux termes dudit décret, les employeurs pourront affecter des jeunes de moins de 18 ans à des travaux dangereux non plus après autorisation par l’inspection du travail, mais sur simple déclaration préalable dans le but de protéger les apprentis « sans créer de contrainte nouvelle de gestion (4) ».

Le Gouvernement a en outre annoncé un objectif de développement de l’apprentissage dans la fonction publique, avec une première tranche de recrutement de 4 000 apprentis lors de la rentrée de 2015.

Le rapporteur doute du résultat qu’auront ces corrections apportées aux mesures les plus néfastes prises en début de législature. Les derniers chiffres de l’apprentissage ne sont d’ailleurs toujours pas satisfaisants. Malgré une augmentation de 6,5 % entre juin et août 2015 dans le secteur privé par rapport à la même période en 2014, ces nouvelles mesures restent largement insuffisantes pour contrecarrer la crise actuelle de l’apprentissage.

Fin août 2015, à peine 390 300 jeunes étaient inscrits dans une formation en apprentissage, contre 438 000 en 2012. Dès lors, l’objectif affiché de 500 000 apprentis d’ici 2017 apparaît extrêmement irréaliste au regard de la situation actuelle, qui reste très préoccupante.

Pour parvenir à cet objectif, il est nécessaire d’aller encore plus loin afin de faire de l’apprentissage une voie d’excellence.

La présente proposition de loi vise à faciliter le développement de l’apprentissage, notamment en confiant à la région des compétences renforcées.

La première ambition de ce texte consiste à confier à la région le pilotage de l’ensemble des établissements de formation professionnelle initiale, que celle-ci s’effectue par la voie de l’apprentissage ou par celle de l’enseignement secondaire professionnel. L’échelon régional permettrait un pilotage fin, tenant compte de l’équilibre entre l’offre et la demande sur le marché de l’apprentissage. À terme, le rapporteur souhaite encourager la fusion des centres de formation d’apprentis (CFA) et des lycées professionnels, qui seraient regroupés sous le label unique de « centres d’apprentissage professionnels régionaux ». Cette unification contribuerait à rationaliser l’offre de formation professionnelle, à rendre cette offre mieux adaptée aux besoins économiques locaux, à la rendre plus lisible tant pour les entreprises que pour les jeunes et à optimiser l’organisation et la carte de ces formations.

La présente proposition de loi vise par ailleurs à permettre la création de banques régionales de l’apprentissage. En effet, afin d’optimiser le recrutement d’apprentis, il est nécessaire de mettre en place des outils permettant une meilleure mise en relation des jeunes à la recherche d’un employeur et des entreprises qui souhaitent recruter un apprenti. À cet effet, la feuille de route adoptée à l’issue des Assises de l’apprentissage en septembre 2014 énumère une série de mesures qui doivent faciliter la mise en relation entre les jeunes et les entreprises, notamment la création d’une bourse web nationale de l’apprentissage abritée par Pôle emploi qui a pour mission d’agréger les offres d’emploi en apprentissage. Le rapporteur s’interroge néanmoins sur la capacité d’un dispositif national à mettre réellement en relation les potentiels apprentis et les employeurs. Des initiatives régionales lui semblent bien plus efficaces : les régions qui le souhaitent pourraient ainsi mettre en place une banque de l’apprentissage afin de faciliter la mise en relation des jeunes et des entreprises désireuses de les embaucher.

Enfin, le rapporteur propose de permettre aux jeunes de découvrir le monde de l’entreprise dès l’âge de 14 ans. Les élèves pourraient bénéficier de la possibilité de s’engager dans la voie de l’apprentissage, tout en restant sous statut scolaire. C’est en effet vers l’âge de 14 ans que plusieurs milliers de jeunes « décrochent » du système scolaire après un absentéisme plus ou moins long. Ainsi, une étude de l’Union départementale des associations familiales des Bouches-du-Rhône (UDAF 13) portant sur l’absentéisme dans les Bouches-du-Rhône montre que ce dernier est le plus élevé à 14-15 ans puis diminue fortement à partir de 16 ans, âge correspondant à la fin de l’obligation scolaire. Or, la plupart des élèves âgés de 14 ans n’ont aucun diplôme et ne peuvent pas non plus trouver de travail, ni signer de contrat d’apprentissage. Offrir à ces jeunes la possibilité de choisir dès 14 ans une filière de réussite leur permettrait de rester dans le système scolaire et d’acquérir une formation plus concrète et professionnalisante.

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TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission des affaires sociales examine sur le rapport de M. Christian Estrosi la proposition de loi favorisant le développement régional de l’apprentissage (n° 3077) lors de sa séance du mercredi 27 janvier 2016.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Mes chers collègues, nous allons examiner la proposition de loi favorisant le développement régional de l’apprentissage, présentée par notre collègue Christian Estrosi, auquel je souhaite la bienvenue dans notre Commission, et qui sera discutée dans le cadre de la niche du groupe Les Républicains, le jeudi 4 février.

M. Christian Estrosi, rapporteur. Madame la présidente, c’est avec plaisir que je retrouve les bancs de cette commission où j’ai fait mes premiers pas à l’Assemblée nationale.

Si j’en crois les dernières annonces du Gouvernement, l’apprentissage est devenu une priorité de la majorité : c’est là un revirement dont je me réjouis. En effet, lorsque j’ai déposé cette proposition de loi, cosignée par plus de quatre-vingts collègues, j’étais motivé par l’évolution constatée dans ce domaine depuis 2012 : le nombre d’apprentis a chuté d’environ 60 000 – ils ne sont que près de 400 000 en France, contre un million et demi en Allemagne – alors que le chômage des jeunes atteint chez nous 25 % contre seulement 7 % en Allemagne. L’objectif du Gouvernement est d’atteindre 500 000 apprentis en 2017. C’est dans ce sens que va cette proposition de loi qui cherche à dépasser les clivages partisans pour permettre le développement de l’apprentissage. Je crois en l’apprentissage : c’est une filière d’excellence, de réussite et d’avenir – 70 % des apprentis trouvent directement un emploi à la fin de leur formation –, une filière sur laquelle nous devons miser pour réduire le chômage des jeunes.

On ne saurait se satisfaire de l’état actuel du droit : le changement des mentalités qu’il faudrait opérer est tellement considérable qu’une loi comme celle-ci ne me paraît pas superflue. D’aucuns argueront qu’à partir de 2014, le Gouvernement a essayé de redonner un souffle à l’apprentissage, mais les mesures prises restent insuffisantes pour contrecarrer la crise qui affecte ce domaine. Fin août 2015, à peine 390 300 jeunes étaient inscrits dans une formation d’apprentissage, contre 438 000 en 2012. Devant ce constat, je vous propose de nous rassembler derrière notre proposition de bon sens et de nous mobiliser en faveur d’une politique ambitieuse visant à promouvoir cette filière.

Nos propositions se situent à l’échelon régional ; non seulement les régions détiennent depuis longtemps la compétence en matière de mise en œuvre des actions de formation professionnelle continue et d’apprentissage, mais je suis persuadé qu’il s’agit également de l’échelon le plus approprié pour développer l’offre de formation et organiser la rencontre entre les acteurs concernés. L’apprentissage ne pourra croître que si nos régions marchent main dans la main avec l’État.

Je propose, à l’article 1er, que la région pilote l’ensemble de la formation professionnelle initiale et devienne l’interlocuteur unique de la filière. Aujourd’hui, de multiples acteurs s’en occupent, mais aucun n’est responsable directement. Cette évolution serait cohérente avec l’article L. 214-12 du code de l’éducation qui dispose que la région « est chargée de la politique régionale d’apprentissage et de formation professionnelle des jeunes et des adultes à la recherche d’un emploi ou d’une nouvelle orientation professionnelle ». La région est déjà chargée d’élaborer le contrat de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelle qui, aux termes de l’article L. 214-13 du code de l’éducation, « a pour objet l’analyse des besoins à moyen terme du territoire régional en matière d’emplois, de compétences et de qualifications et la programmation des actions de formation professionnelle des jeunes et des adultes, compte tenu de la situation et des objectifs de développement économique du territoire régional ». Avec cet article, je souhaite permettre à la région de décider de la création de lycées professionnels en fonction des besoins identifiés sur son territoire, comme elle le fait déjà pour les centres de formation d’apprentis (CFA), à travers les conventions. Un amendement permettra ainsi à la région d’arrêter la carte régionale des formations professionnelles initiales sans que l’accord du recteur soit nécessaire. La région serait également chargée d’ouvrir et de fermer les sections de formation professionnelle initiale sous statut scolaire – compétence aujourd’hui dévolue aux autorités académiques. L’objectif est de rendre l’offre de formation mieux adaptée aux besoins économiques locaux en optimisant l’organisation et la carte des formations. Je souhaite à terme que les régions encouragent la fusion des CFA et des lycées professionnels afin de tendre vers la création de centres d’apprentissage professionnel régionaux, ce qui assurerait tout à la fois une meilleure lisibilité et des économies budgétaires substantielles.

L’article 2 tend à la création de banques régionales de l’apprentissage. Il est nécessaire de se doter d’outils permettant une meilleure mise en relation des jeunes à la recherche d’un employeur et des entreprises qui souhaitent recruter un apprenti. La feuille de route adoptée à l’issue des assises de l’apprentissage en septembre 2014 va dans le bon sens, notamment grâce à la création d’une bourse Web nationale de l’apprentissage, abritée par Pôle emploi, qui a pour mission d’agréger les offres d’emploi en apprentissage. Mais le résultat est maigre car cette plateforme reste méconnue. C’est l’échelon régional, et non national, qui est le mieux à même de répondre avec efficacité aux offres et aux demandes ; c’est lui qui permet d’appréhender le mieux la réalité économique du territoire et qui donne le plus de chances à chacun des acteurs d’obtenir satisfaction.

Concrètement, chaque région serait libre d’organiser la banque de l’apprentissage comme elle le souhaite, par exemple en mettant en place des outils numériques ou en organisant des salons thématiques et des moments d’échange entre les entreprises et les jeunes désireux d’entreprendre un cursus en apprentissage. J’avais par ailleurs déposé un amendement visant à rendre ce dispositif obligatoire ; mais comme il créait une charge, il a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. L’adoption par le législateur d’une telle proposition permettrait de donner une impulsion symbolique non négligeable au développement d’initiatives régionales, répondant ainsi aux objectifs de la majorité actuelle : favoriser le développement de l’apprentissage et renforcer le rôle des régions en matière de développement économique.

Pour aider les régions à promouvoir cette nouvelle voie d’excellence, nous devrons mieux encadrer et revaloriser cette filière ; c’est le sens de l’article 3 qui vise à permettre aux jeunes de découvrir le monde de l’entreprise dès l’âge de quatorze ans, et à les faire bénéficier des mêmes droits que les salariés. Je m’inscris dans le sillage du dispositif initié par Gérard Cherpion en 2011, mais que Vincent Peillon a sacrifié en 2013 sur l’autel de l’idéologie dans le cadre de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République. Quelle erreur, quand on sait que c’est vers l’âge de quatorze ans que plusieurs milliers de jeunes décrochent du système scolaire ! Mon idée est de faciliter la vie de chacun – apprentis et chefs d’entreprise – afin de permettre à ceux qui le souhaitent de bénéficier de l’apprentissage dès quatorze ans. Tous les acteurs s’accordent à dire que le droit est aujourd’hui excessivement complexe et doit évoluer. Mais cette mesure n’est pas incompatible avec l’obligation d’éducation et d’instruction des jeunes jusqu’à seize ans : c’est un principe républicain auquel je suis très attaché. L’adolescent doit conserver son statut d’élève ; aussi tout apprentissage de quatorze à seize ans doit-il obligatoirement s’effectuer en alternance, afin que le jeune poursuive ses études tout en ayant un pied dans le monde du travail. L’apprenti pourrait par exemple passer trois jours par semaine en entreprise et deux jours en classe. Le seul objectif que nous devons poursuivre, c’est la bonne orientation et la réussite de nos élèves. J’ai donc déposé un amendement de précision concernant le statut du jeune, qui doit pouvoir choisir dès quatorze ans une filière de réussite tout en restant dans un cadre juridique sécurisant. En effet, il est grand temps que nous considérions l’apprentissage comme un mode de formation classique.

Enfin, cet article propose de faire bénéficier les apprentis des mêmes conditions de travail que les autres salariés, dans une démarche gagnant-gagnant, puisque cela permettrait à l’apprenti d’effectuer les tâches nécessaires à sa formation et inciteraient le chef d’entreprise à lui confier des missions. S’agissant des travaux dangereux pour la santé ou la sécurité des apprentis, en l’absence de décret d’application, la procédure dérogatoire prévue par l’article L. 6222-31 est restée lettre morte, donnant lieu à nombre de situations regrettables. Ainsi, certains apprentis – comme les charpentiers – ne peuvent apprendre correctement leur métier faute de pouvoir accomplir certains travaux. C’est pourquoi l’article 3 vise à inscrire dans la loi que tout apprenti doit bénéficier des mêmes conditions de travail que les autres salariés de l’entreprise dans laquelle il travaille. Je vous soumets également un amendement précisant que des accords de branche étendus définiraient les métiers pour lesquels les apprentis pourront accomplir tous les travaux nécessaires à leur formation.

Dans un contexte économique dégradé, les jeunes de notre pays rencontrent les plus grandes difficultés à entrer sur le marché du travail. Quand l’avenir de notre jeunesse est en jeu, il ne doit plus y avoir de clivages, mais des femmes et des hommes qui cherchent ensemble des solutions concrètes pour répondre le mieux possible aux enjeux actuels. Le développement de l’apprentissage représente un outil efficace d’insertion professionnelle des jeunes ; l’adoption par le législateur d’un texte qui incite à son développement régional enverrait un message extrêmement fort à l’ensemble des acteurs économiques concernés.

Mme Monique Iborra. Monsieur le rapporteur, la présentation que vous faites aujourd’hui de votre proposition de loi diffère du texte que vous aviez initialement déposé. Les amendements que vous avez présentés répondent sans doute aux réticences de vos collègues. Vous avez évolué dans votre manière d’appréhender ce sujet et je m’en réjouis.

Vous avez commencé par dire que vous étiez heureux de voir la gauche convertie à l’apprentissage. Je suis, pour ma part, heureuse de voir la droite convertie à la décentralisation ! En effet, la politique de Nicolas Sarkozy dans le domaine de l’apprentissage était d’un centralisme extrême, d’où son inefficacité. Aujourd’hui, nous sommes tous d’accord pour défendre la politique de l’apprentissage. Les régions – alors de gauche – qui ont œuvré dans ce domaine depuis de nombreuses années ont fait progresser le taux d’apprentis dans notre pays, même s’il reste insuffisant.

C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai lu votre proposition. Nous sommes d’accord sur l’objectif à atteindre ; nos désaccords n’ont donc rien d’idéologique. Mais votre texte me paraît loin d’être novateur et les mesures proposées témoignent d’une certaine indigence. Cela peut tenir soit à l’ignorance, soit à la mauvaise foi. Si c’est l’ignorance, on peut le comprendre : vous venez d’être élu président de région et vous n’étiez encore que candidat lorsque vous avez déposé cette proposition de loi. J’ai cru sentir en la relisant le souffle de l’ancien conseiller de M. Sarkozy et directeur général de la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle, Bertrand Martinot, dont vous avez repris pour partie les propositions. Autrement dit, on n’y trouve rien de vraiment novateur.

Votre article 1er, bien que tempéré par votre amendement, prévoit d’exclure l’éducation nationale du jeu en la privant de toute compétence en matière d’apprentissage dans les lycées professionnels. Ce n’est pas ainsi, monsieur Estrosi, que vous arriverez, en tant que président de région, à rassembler tous les acteurs, très nombreux – peut-être trop – qui interviennent dans la sphère de l’apprentissage. Certes, des efforts doivent être faits au sein de l’éducation nationale – surtout au sein du corps professoral – pour valoriser l’enseignement professionnel, et en particulier l’apprentissage. Mais votre proposition de se passer de l’avis du recteur sur la carte des formations professionnelles procède d’une brutalité qui a toutes chances de se révéler contre-productive, d’autant plus – mais sans doute l’ignorez-vous – qu’un pas a été fait dans ce sens dans le cadre de la loi pour la refondation de l’école : alors que le recteur avait jusqu’alors le dernier mot, y compris pour ce qui touchait aux CFA, la loi a donné le dernier mot au président de région. Mais s’il n’a plus droit de veto, le recteur doit être au moins consulté.

En ce qui concerne la décentralisation de l’apprentissage, c’est grâce à nous que la région détient désormais la compétence exclusive en matière de création des CFA, ce que jamais vous n’aviez envisagé. Notre gouvernement a procédé à une refonte complète de la taxe d’apprentissage, réclamée depuis de nombreuses années – autre réforme que vous n’avez jamais conduite, ni même évoquée. La loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale a permis aux régions de devenir les vrais maîtres à bord dans le domaine de l’apprentissage, en lien avec l’éducation nationale.

Pour toutes ces raisons – et je reviendrai plus tard sur l’apprentissage à quatorze ans – je suis déçue par votre proposition de loi, que le groupe Socialiste, républicain et citoyen rejettera fermement.

Mme Isabelle Le Callennec. Cette proposition de loi de notre collègue Christian Estrosi, désormais président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), vise à favoriser le développement régional de l’apprentissage. Celui-ci a subi de lourdes attaques au début du quinquennat de François Hollande : suppression des primes, division du crédit d’impôt par deux, réforme du circuit de la taxe. Le résultat fut immédiat, dans toutes les régions : fin 2014, la baisse des aides avait atteint 550 millions d’euros et les entrées en apprentissage ont reculé de près de 11 % en deux ans.

Ce n’est pas faute d’avoir alerté le Gouvernement ! J’en veux pour preuve les questions d’actualité répétées du groupe Les Républicains, ou encore la proposition de loi de notre collègue Gérard Cherpion, examinée en octobre 2014. Votre motion de rejet préalable était le signe de votre entêtement à privilégier les contrats aidés au détriment des contrats d’apprentissage qui affichent pourtant un taux d’insertion durable très supérieur : 70 % et jusqu’à 90 % dans certaines filières.

Sans mea culpa, mais en finissant par reconnaître implicitement une grave erreur, le Président de la République a annoncé 500 000 apprentis en 2017 et tenté de corriger le tir : plusieurs plans de relances successifs, la création de nouvelles primes d’apprentissage plus restrictives, puis l’aide TPE-apprentis inscrite en loi de finances 2016, sans oublier les mesures d’assouplissement incluses dans le plan pour l’emploi. Malheureusement, les liquidations judiciaires se sont entre-temps multipliées sur le territoire, notamment chez les artisans, principaux employeurs d’apprentis.

Comme pour le plan des 500 000 chômeurs en formation, le Président de la République veut désormais s’appuyer sur les régions – probablement pour partager les responsabilités, mais aussi les financements. Cette proposition de loi tombe donc à pic en proposant des solutions pragmatiques qui ne manqueront pas de susciter le débat.

La création des banques régionales de l’apprentissage permettrait de faciliter le lien entre apprentis et entreprises et de susciter une véritable émulation à l’échelle des territoires. On peut imaginer qu’une telle banque favorisera également le diagnostic des besoins des entreprises et des formations à encourager, et de ce fait le développement d’un « écosystème » de l’apprentissage.

Le texte propose de transférer la compétence en matière de lycées professionnels de l’éducation nationale à la région. En effet, c’est désormais en commission permanente du conseil régional qu’on arrête la carte des formations ; mais il s’agit cette fois-ci d’aller au bout de la logique de décentralisation de l’apprentissage, renforcée par la loi du 5 mars 2014, en unifiant au niveau de la région l’ensemble des offres de formation professionnelle initiale. Favoriser la synergie plutôt que les doublons ou la concurrence entre CFA et lycées professionnels contribuera à instaurer une dynamique forte en matière d’orientation, de formation et d’insertion durable. Je suis bien placée pour savoir que le président de la région a le dernier mot : nous essayons, sur mon territoire, de faire valider un baccalauréat professionnel en apprentissage dans les métiers de maintenance, mais le refus de la région a été net, alors que les besoins sont là et les entreprises, prêtes à embaucher les jeunes. C’est difficile à accepter, même s’il existe des possibilités de recours.

En tant qu’oratrice du groupe, je dois à mes collègues l’honnêteté de reconnaître que la possibilité de conclure un contrat d’apprentissage dès quatorze ans ne fait pas l’unanimité dans nos rangs. La loi Cherpion de 2011 prévoyait l’accès à un dispositif d’initiation aux métiers en alternance (DIMA), sous statut scolaire, pour les jeunes de quatorze ans. Cette disposition a été supprimée par l’actuelle majorité, mais l’amendement AS6 de notre rapporteur à l’article 3 propose de la réhabiliter. Au-delà de la question de l’âge minimum d’accès à l’apprentissage, nous maintenons que le collège unique est en partie responsable de l’échec scolaire et qu’encore trop de jeunes sont orientés vers la voie professionnelle par défaut. Les régions qui sont désormais chargées du service public de l’orientation ont là aussi un rôle majeur à jouer.

Parce qu’elle tente de mieux encadrer l’apprentissage pour en faire une voie de réussite, voire d’excellence, parce qu’elle aligne les conditions de travail des apprentis sur celles des salariés, moyennant toutes les mesures de sécurité nécessaires – ni plus ni moins –, cette proposition de loi recueillera le soutien du groupe les Républicains. Je déplore que la majorité ait déposé des amendements de suppression de chacun des articles ; cette attitude ne va pas dans le sens de l’unité nationale à laquelle le Premier ministre ne cesse de nous appeler.

M. Arnaud Richard. Tout le monde en convient : la formation alternée offre aux jeunes un rempart contre le chômage et l’exclusion, tout en permettant de doter nos entreprises de compétences adaptées à leurs besoins. Alors qu’un jeune sur quatre est en recherche d’emploi, comment expliquer que l’alternance ne soit pas privilégiée au moment de l’orientation ? Les faits parlent d’eux-mêmes : qu’il s’agisse du financement, de la gouvernance ou de l’adéquation aux besoins du marché et des territoires, les défauts du système sont nombreux et connus, et les chiffres des entrées en apprentissage n’incitent guère à l’optimisme.

Depuis l’arrivée au pouvoir de l’actuelle majorité, le nombre de nouveaux contrats d’apprentissage a diminué de 8 % en 2013 et de 3 % en 2014. Cette tendance s’explique avant tout par l’accumulation des décisions dramatiques du Gouvernement. La baisse de 16 % – soit 550 millions d’euros – des crédits dédiés à l’apprentissage en 2014, la suppression de l’aide à l’embauche d’un alternant supplémentaire ou la réduction du crédit d’impôt et de l’indemnité compensatrice forfaitaire en 2013 sont autant de mesures qui ont gêné le développement de l’apprentissage.

Les annonces du Président lors de ses vœux aux acteurs économiques permettront-elles de réparer les erreurs commises depuis le début du quinquennat ? La proposition de loi de nos collègues Les Républicains va dans le bon sens ; de cette première étape, nous retenons en particulier le repositionnement de la région comme pilote du système de l’apprentissage, prévu à l’article 1er. La gestion par la région des lycées professionnels et des CFA devrait permettre de rationaliser et de décentraliser leur pilotage, tout en apportant davantage de cohérence à l’ensemble de la formation professionnelle initiale. L’offre de formation serait plus adaptée aux besoins économiques locaux, l’organisation et la carte des formations seraient optimisées, ce qui permettrait de réaliser des économies budgétaires substantielles.

L’orientation et la préparation des jeunes à l’univers de l’apprentissage constituent également un défi majeur. L’abaissement de l’âge d’entrée dans l’apprentissage, proposé à l’article 3 – c’était devenu un véritable marronnier dans la classe politique française –, devrait permettre de toucher un public plus large. Pour autant, on pourrait imaginer un système de pré-orientation dès quatorze ans, qui ne constituerait pas une entrée définitive en apprentissage.

Depuis plusieurs années, le groupe Union des démocrates et indépendants plaide pour un plan d’ampleur en faveur de la formation professionnelle et de l’apprentissage : augmenter la part de la taxe d’apprentissage réellement affectée à cette filière, améliorer l’offre de formation… Nous approuvons toute initiative tendant à renforcer le rôle de la région et à améliorer l’encadrement de l’apprentissage ; aussi soutiendrons-nous cette proposition de loi.

M. Christophe Cavard. Ce n’est pas la première fois que notre commission aborde ce dossier. Le groupe Écologiste n’est pas choqué par les mesures touchant au rôle et à la compétence des régions, proposées dans ce texte ; nous sommes, on le sait, très attachés à la décentralisation et nous souhaitons donner encore plus de poids aux collectivités territoriales. Nous sommes donc loin de refuser le débat.

J’ai toutefois noté, monsieur le rapporteur, que votre collègue Gérard Cherpion, qui est souvent intervenu sur ce sujet qu’il connaît particulièrement bien, n’a pas cosigné votre proposition de loi. Est-ce par manque de temps ou bien parce qu’elle prête à discussions au sein de votre groupe ? L’application des mesures envisagées nécessite, en effet, des mécanismes que votre texte ne prévoit pas nécessairement. Ainsi, vous avez raison de regretter la diminution du nombre de jeunes qui arrivent à accéder à cette filière, qui mérite d’être valorisée ; mais vous opposez, dans l’exposé des motifs, les contrats aidés et les contrats d’apprentissage, faisant peut-être référence aux emplois d’avenir. Pourtant ces deux dispositifs ne s’adressent pas forcément au même public. Les emplois aidés sont destinés aux personnes – qu’on appelle parfois les décrocheurs – qui ont besoin d’une deuxième chance et d’une qualification, mais qui se placent de plain-pied dans un métier et doivent bénéficier d’un contrat de travail à part entière. L’apprentissage relève d’une logique différente, même si votre texte vise à garantir aux apprentis les mêmes droits qu’aux salariés – une proposition discutable. L’apprenti reste inscrit dans un cursus scolaire et il ne serait pas juste de le traiter de la même façon qu’un salarié.

Quant aux lycées professionnels, ils ont vocation, certes, à offrir une formation qualifiante professionnelle aux élèves mais aussi à leur dispenser tout un ensemble de connaissances et à en faire des citoyens ; telle est la logique de l’éducation nationale en France. Dans ces conditions, faut-il vraiment les placer sous la responsabilité des régions ? C’est un vieux débat, dont nous connaissons les termes par cœur. Si nous acceptions, pourquoi tous les lycées, puis les collèges, ne connaîtraient-ils pas demain le même sort ? CFA et lycées professionnels présentent des différences, réfléchissons bien à la place de chacun et aux responsabilités des différentes collectivités. Quelles politiques peut-on mener au niveau national et au niveau régional ?

La création de banques régionales d’apprentissage pose la question du rôle des branches. Vieux débat là aussi… Ceux qui ont pratiqué des dispositifs de ce type savent combien la question est compliquée. En l’occurrence, elle est d’autant plus délicate que les branches ne sont pas forcément organisées en fonction d’un découpage territorial ni selon les mêmes logiques que les conseils régionaux. Ayant moi-même exercé des fonctions locales, je me demande dans quelle mesure vous avez pu, monsieur le rapporteur, avancer sur ce sujet.

Quant à la question – vraiment très récurrente dans nos murs – de l’apprentissage à quatorze ans, une filière fermée, vouée à l’apprentissage d’un métier, obéissant à une logique économique, est-elle vraiment faite pour d’aussi jeunes élèves, quelles que soient leurs difficultés scolaires ? Cela se discute. Compte tenu de ce que l’école apporte, en termes de contenus, compte tenu de son rôle dans l’émancipation de l’individu et la formation du citoyen, nous avons choisi de la rendre obligatoire jusqu’à l’âge de seize ans. Pourquoi voulez-vous absolument permettre l’apprentissage dès l’âge de quatorze ans ? La question de l’émancipation individuelle et citoyenne d’un jeune mérite effectivement d’être posée, mais dans le cadre d’un débat dans l’hémicycle, et non au détour de l’examen d’une proposition de loi.

Mme Sylviane Bulteau. Monsieur le rapporteur, votre proposition de loi aura au moins le mérite de remettre sur le tapis le sujet de l’apprentissage, objet de nombreux rapports et études ces dernières années. Ainsi en savons-nous plus sur les motifs de rupture des contrats d’apprentissage. D’une part, ces motifs tiennent souvent à un environnement de travail de mauvaise qualité. D’autre part, le risque de rupture est d’autant plus élevé que le niveau de formation est faible. C’est pourquoi l’idée d’un apprentissage dès l’âge de quatorze ans ne me paraît pas une bonne idée. Laissons les jeunes aller au bout de leur année de troisième. Alors, peut-être plus matures, ils pourront entrer en apprentissage dans de meilleures conditions.

L’apprentissage offre de belles formations. Nous connaissons, sur nos territoires, des CFA et des maîtres d’apprentissage qui réalisent un travail formidable, nous connaissons des professionnels issus de cette filière qui font de belles carrières, mais l’apprentissage doit rester une formation choisie, non une formation subie. Or j’ai l’impression que si vous voulez, Monsieur le rapporteur, qu’un grand nombre de jeunes entrent en apprentissage dès l’âge de quatorze ans, c’est pour les sortir d’un système scolaire dans lequel, c’est vrai, ils ne se retrouvent pas.

L’apprentissage mérite mieux que cette querelle de chiffres entre droite et gauche. Formons un groupe de travail, organisons des auditions, notamment de représentants de l’éducation nationale. Je ne suis pas tout à fait fermée à vos propositions, notamment votre idée d’un transfert de la gestion des lycées professionnels à la région ; mais nous ne saurions valider ce choix au détour d’un article de proposition de loi, en une heure de débat. Réfléchissons-y, travaillons de manière constructive, et, pour une fois, montrons aux Français, aux apprentis, à tous ceux qui travaillent dans le secteur de l’apprentissage, que ce n’est pas qu’un thème de campagne électorale – M. Sarkozy avait promis un million d’apprentis lors de sa dernière campagne présidentielle.

De vraies questions se posent. Ainsi, selon le rapport Les freins non financiers au développement de l’apprentissage de février 2014, l’apprentissage souffre, auprès des familles, des jeunes et même de certains acteurs de l’éducation, d’un déficit d’image. Ce rapport révèle également une méfiance réciproque entre jeunes et employeurs et une méconnaissance de cette voie de formation.

Reprenons donc ces rapports et travaillons autour des propositions faites à l’époque.

M. Rémi Delatte. Cette proposition de loi a le mérite d’envoyer des signaux forts, à la fois à nos jeunes, à qui elle offre des perspectives d’emploi, et à nos entreprises, car elle est d’une grande pertinence d’un point de vue économique. Contrairement à ce que prétend la gauche – nous l’avons encore entendu ce matin –, l’apprentissage est une voie d’excellence pour nos jeunes, une piste des plus sûres pour favoriser leur accès à l’emploi. Cependant, vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, des évolutions tant culturelles qu’administratives et même politiques s’imposent.

D’abord, il faut revaloriser l’image dépréciée de l’enseignement professionnel, comme, d’ailleurs, du travail manuel. Non, l’apprentissage n’est pas synonyme de rattrapage de l’échec scolaire ! Ensuite, la région doit être le pilote unique de l’apprentissage pour garantir une meilleure adéquation de l’offre de formation aux besoins en main-d’œuvre, bassin d’emploi par bassin d’emploi. Par ailleurs, en matière de formation des apprentis, une meilleure cohérence, une meilleure lisibilité doivent être favorisées. Enfin, il faut rétablir un pacte de confiance autour du triptyque employeurs-formateurs-apprentis, en allégeant les contraintes et les charges des entreprises qui misent sur la formation des jeunes, en encourageant ces derniers à choisir un parcours gagnant d’épanouissement individuel et d’insertion dans la vie active et en intégrant la filière de formation professionnelle à l’enseignement initial, dont elle doit être un pilier majeur.

C’est tout le sens de cette proposition de loi, qui s’imposera comme un levier opportun dans la lutte contre le chômage des jeunes, mais aussi comme un levier de recrutement pour nos artisans et nos entrepreneurs.

M. Michel Liebgott. Match nul, suis-je tenté de dire, monsieur le rapporteur… Sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le nombre d’apprentis n’a pas vraiment progressé ; sous la présidence de François Hollande, non plus, mais il s’est stabilisé entre 2014 et 2015. La proposition de loi dont nous sommes saisis nous incite à y réfléchir. À cet égard, c’est une excellente initiative, même si certaines approximations me surprennent, notamment sur le coût réel d’un apprenti en France.

Les uns et les autres doivent unir leurs efforts pour faire progresser notre système. C’est aussi une question de culture. Élu frontalier, je sais que 70 % des entreprises allemandes font appel à la Bundesagentur für Arbeit, administration fédérale, pour trouver un candidat, alors qu’en France les entreprises ne sont que 20 % à se tourner vers Pôle emploi. Nous n’avons pas cette culture, cette volonté de travailler ensemble, service public, syndicats, salariés et chefs d’entreprise. Nous le constatons tous : les chefs d’entreprise ne jouent pas tous le jeu. Combien de jeunes viennent nous voir pour trouver une place en apprentissage ou un stage en entreprise pour valider leur formation ! Dans nos collectivités locales, nous sommes leur dernier espoir. Malheureusement, aujourd’hui, les entreprises ne jouent pas le jeu de l’accueil des jeunes, apprentis ou autres.

Enfin, comme M. Cavard, je regrette que l’on oppose ainsi les emplois aidés aux autres dispositifs. Il faut tout faire pour lutter contre le chômage des jeunes. J’ai connu de nombreux emplois aidés, dans les collectivités même où j’ai exercé des mandats. Les intéressés ont démarré petitement, ils ont progressé, passé les concours, et, aujourd’hui, ils sont fonctionnaires ou salariés en contrat à durée indéterminée. Ni les emplois aidés ni l’apprentissage ne sont un désastre !

M. Bernard Perrut. Nous partageons tous la même volonté de faire de l’alternance et de l’apprentissage une voie privilégiée d’accès à l’emploi. L’apprentissage c’est à la fois une formation, un travail et un avenir : 70 % des apprentis trouvent un emploi durable à la fin de leur formation. Des parlementaires travaillent sur ce sujet depuis un certain nombre d’années. Ainsi, en 2011, Gérard Cherpion, Jean-Charles Taugourdeau et moi-même avions déposé une proposition de loi visant au développement de l’alternance et à la sécurisation des contrats d’apprentissage. Notre volonté ne faisait aucun doute. Hélas, incontestablement, depuis 2012, la chute du nombre d’entrées en apprentissage est inexorable : il a baissé de 8 % en 2013, puis de 3 % en 2014 et la tendance reste à la baisse en 2015, même si tous les chiffres ne sont pas encore connus.

La crise de l’apprentissage est liée à un certain nombre d’actions incohérentes du Gouvernement en matière d’aides aux entreprises – des primes sont supprimées tandis que d’autres sont instaurées –, à une politique illisible à la suite de la réforme de la taxe d’apprentissage, à des textes de loi qui complexifient les dispositifs, mais également parce que vous avez parié sur les contrats aidés plutôt que sur l’apprentissage. Nous sommes donc inquiets, et ce n’est pas un énième plan de relance de l’apprentissage qui réglera toutes les situations.

Le texte de notre collègue Estrosi a l’ambition de placer les régions au cœur d’un véritable dispositif de pilotage, de leur donner les clés de l’apprentissage – cela a d’ailleurs été un des thèmes de campagne de certains nouveaux présidents de régions. Nous voyons bien en quoi les formations d’apprentis et celles dispensées dans nos lycées professionnels diffèrent, notamment en termes de contenu. J’ai d’ailleurs déposé une proposition de loi pour que les formations de nos lycées professionnels soient définies avec les branches professionnelles. Un jeune n’est pas formé de la même manière dans un établissement public que dans un CFA géré par une chambre des métiers ou une chambre de commerce, des organisations professionnelles beaucoup plus proches du terrain.

Ce texte introduit aussi une dynamique ; il vise à décloisonner les acteurs, à les relier, à faire le lien, à travers une banque régionale, entre les besoins des apprentis et ceux des entreprises. Il est également ambitieux en matière d’orientation, avec le chantier de l’apprentissage à quatorze ans, vrai débat qu’il faut ouvrir et qui ne peut être réglé en quelques instants. Notre loi de 2011 prévoyait l’accès à un dispositif de préapprentissage sous statut scolaire, le dispositif d’initiation aux métiers en alternance (DIMA), précisément remis en cause par l’actuel gouvernement. Il s’agissait de faire connaître le monde de l’entreprise et d’offrir des formations.

J’estime enfin, en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales sur le financement national du développement et de la modernisation de l’apprentissage, que les ressources de l’apprentissage mériteraient un vrai débat ; mais ce n’est ni l’heure ni le sujet.

M. le rapporteur. Au nom du groupe Socialiste, républicain et citoyen, Mme Iborra a commencé par dire que cette proposition de loi lui paraissait intéressante, qu’elle transcendait les clivages idéologiques… avant de n’y répondre que par de l’idéologie. Je le regrette très sincèrement. Et si j’ai présenté des amendements, c’est en raison de ce qui s’est passé depuis le dépôt de cette proposition, signée par plus de quatre-vingts parlementaires : le 16 janvier dernier, lors de ses vœux à la presse, le Président de la République a tendu la main aux nouveaux exécutifs régionaux et les a invités à lui faire un certain nombre de propositions consensuelles et non idéologiques. Nous le rencontrerons d’ailleurs mardi prochain pour en parler. Il se trouve que le calendrier de la commission des affaires sociales de notre assemblée nous offre l’opportunité de chercher les voies du consensus auquel il nous invite pour réduire le taux de chômage des jeunes. Par ces amendements, je saisis la main tendue par le Président de la République, et je trouve bon qu’il appelle les régions à y œuvrer.

Peut-être n’avons-nous pas fait le tour du problème, chère collègue, mais, pour ma part, j’ai été président d’un conseil général, maire d’une grande ville et président d’une métropole, j’accompagne des CFA, des lycées professionnels. Depuis le 18 décembre, date de mon élection à la présidence de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, je n’ai pas perdu de temps : j’ai rencontré le monde professionnel, les chambres consulaires, les fédérations syndicales, des artisans, des commerçants. Que m’ont-ils dit ? Dans ma région, 25 000 offres d’emploi ne sont pas pourvues, les plans de formation de la région ont trois ans de retard sur leurs besoins, car le conseil régional n’a jamais associé le monde de l’entreprise à leur élaboration – je ne fais là que répéter les propos tenus par le monde des entreprises.

Le moment est peut-être crucial, pour notre pays : c’est la majorité qui, aujourd’hui, invite tous les présidents d’exécutifs, proches d’elle ou issus de l’opposition, à faire des propositions, en se déclarant prête à fournir des financements, à permettre des expérimentations. Le groupe Les Républicains a déjà fait d’ambitieuses propositions au cours des dernières années. Nous ne sommes pas là pour engager une bataille de chiffres, mais, quoi que vous en disiez, le nombre d’apprentis dans notre pays n’a cessé de chuter depuis 2012. Les chiffres sont là, rudes pour l’exécutif, qui porte une part de responsabilité – il en prend lui-même conscience. S’il tend la main, c’est pour essayer d’inverser le cours de choses. Voilà pourquoi j’ai le sentiment que vous me répondez par de l’idéologie. Il n’y a de ma part ni ignorance, ni mauvaise foi ; oui, j’assume ma fonction, je rencontre les acteurs depuis plusieurs semaines et nous travaillons déjà – nous n’avons pas de temps à perdre – sur les premiers plans de formation que nous soumettrons à nos assemblées délibérantes au cours des deux mois qui viennent.

Non, il n’est pas question d’écarter le recteur, contrairement à ce que vous dites ; je propose seulement de permettre à la région d’arrêter la carte régionale des formations professionnelles initiales sans que l’accord du recteur soit nécessaire. Ce n’est pas là écarter l’éducation nationale. La préparation des plans de formation doit donner lieu à un débat collectif entre l’éducation nationale, le monde de l’entreprise, la collectivité territoriale, les centres de formation dans leur ensemble. L’éducation nationale doit y prendre toute sa part, mais si l’on veut se placer dans un véritable esprit de décentralisation, ce n’est pas au recteur de donner son accord in fine, mais à la collectivité régionale, qui finance les formations, de prendre les décisions.

Mme Le Callennec, dont nous connaissons l’expérience dans ce domaine, a rappelé comment les primes ont été supprimées et les contrats aidés délibérément privilégiés. Il n’y a là aucune posture idéologique de notre part : j’ai envie de regarder l’avenir, pas le passé, mais c’est vous qui nous y obligez : en 2011, l’État a cosigné avec toutes les régions de France un contrat visant à quasiment doubler le nombre d’apprentis. Les efforts financiers devaient être assumés à parts égales par l’État et par les collectivités régionales. Or, malgré les sommes allouées pour doubler leur nombre, il y a moins d’apprentis aujourd’hui qu’en 2011 ! Je ne dispose pas encore de tous les éléments pour démontrer que cet argent a été utilisé pour financer surtout des contrats aidés et non l’apprentissage auquel il était destiné ; reste, le fait est avéré, que 90 % des contrats aidés financés finissent en impasse alors que 70 % des apprentis trouvent un véritable emploi. Sans aller jusqu’à supprimer totalement les contrats aidés et les contrats d’avenir, peut-être faudrait-il rééquilibrer les financements au profit des dispositifs qui garantissent une formation à de vrais emplois.

La loi sur le préapprentissage de notre ami Gérard Cherpion préservait le rôle de l’éducation nationale tout en offrant aux jeunes la possibilité, dès l’âge de quatorze ans, de se tourner vers un métier, de réfléchir à leur orientation. Cela s’adressait surtout à des jeunes pratiquement en situation de décrochage scolaire ; or c’est justement entre treize et quatorze ans que ces cas se rencontrent le plus souvent. Il est dommage que ces dispositions aient été abrogées par la loi de 2013. Alors que l’on appelle, comme l’a dit Isabelle Le Callenec, à l’unité nationale pour lutter contre le chômage des jeunes, qui sont les plus durement touchés par ce phénomène – 25 % ! –, ne nous enfermons pas dans une vision par trop idéologique, au risque de laisser s’instaurer un débat clivant que personne ne comprendrait.

À M. Cavard qui s’étonnait de ne pas retrouver tel ou tel de nos collègues dans les noms des signataires de la proposition de loi, je réponds que le groupe Les Républicains a voté à l’unanimité l’inscription à l’ordre du jour de cette proposition de loi. Il n’y a donc pas de débat entre nous, nous y sommes tous favorables.

Vous trouvez contestable l’idée de mettre un apprenti dans les mêmes conditions de travail qu’un salarié, cher collègue ; mais comment voulez-vous qu’un chef d’entreprise ait envie d’accueillir un apprenti s’il lui est interdit de monter sur une échelle ou encore de mettre la pâte dans le four à pain d’une boulangerie-pâtisserie ? Si vous voulez inciter le monde de l’entreprise à se tourner davantage vers l’apprentissage, donnez-lui la possibilité d’accueillir les apprentis en alternance dans les mêmes conditions de travail que les salariés. Ils se formeront alors bien mieux et bien plus rapidement, et la filière sera beaucoup plus attractive.

Au nom du groupe UDI, M. Richard a rappelé que cette proposition de loi répondait à une grande attente des entreprises. Elles veulent effectivement pouvoir accueillir plus d’apprentis – cela vaut aussi pour les entreprises publiques. Ma propre collectivité compte aujourd’hui 6 000 salariés et, alors que nous assumons la charge de la formation initiale qualifiante, nous n’avons fait appel, ces dernières années, qu’à huit apprentis ! Les entreprises du secteur public ont elles aussi le devoir de se tourner aussi vers cette filière. Et ce texte répond, cher Arnaud Richard, à votre souhait de rationalisation des CFA et de la formation professionnelle. Cela peut effectivement permettre une optimisation des formations comme des dépenses.

Mme Bulteau a souhaité que l’apprentissage soit une formation choisie et non subie, mais cette proposition de loi peut précisément offrir à des jeunes en décrochage scolaire une formation et un avenir. Face à cette jeunesse en désespérance, qui n’a envie de rien, qui ne veut s’engager dans rien, nous devons traiter chaque cas de manière individuelle, essayer de comprendre les goûts et de connaître les appétences de chacun. La filière de l’apprentissage peut sortir un certain nombre de jeunes de l’impasse dans laquelle ils sont enfermés.

Tout comme vous, madame, je veux sortir des querelles de chiffres
– quand bien même ils nous donnent plutôt raison – pour n’en retenir qu’un seul : l’objectif de 500 000 contrats d’apprentissage énoncé par le Président de la République. Tournons-nous ensemble vers l’avenir plutôt que de nous envoyer à la figure les chiffres du passé. Et si vous-même n’êtes pas hostile à un transfert de la gestion des lycées professionnels aux régions, eh bien, allons-y, faisons-le. Ce n’est pas un argument de campagne, nous avons dépassé cela ; l’exécutif nous invite à faire des propositions, nous répondons à son invitation.

M. Delatte a relevé la pertinence du dispositif proposé pour nos entreprises et la nécessité de revaloriser l’image dépréciée de l’enseignement professionnel. Moi non plus, je n’accepte pas que l’on continue à prétendre qu’il y aurait, dans notre pays, des filières d’excellence – l’université, les classes préparatoires, etc. – et que la formation professionnelle n’en fasse pas partie. Une formation professionnelle, qui mène à un CAP, à un BEP, à un diplôme de niveau bac +2 ou bac +3, à un diplôme d’ingénieur, c’est bel et bien une formation d’excellence, et que l’on peut de surcroît proposer à un jeune en situation de décrochage scolaire. Arrêtons de dévaloriser l’enseignement professionnel. Et notre collègue a parfaitement raison de rappeler que ce sont les collectivités régionales qui sont les plus à même d’évaluer les besoins de formation des bassins d’emploi en fonction de leurs spécificités.

M. Liebgott a rappelé la faiblesse de la culture de l’apprentissage dans notre pays, notamment lorsque nous le comparons à l’Allemagne. Il nous est traditionnellement plus difficile de créer des synergies entre les collectivités et les mondes de l’entreprise et de l’éducation. Notre responsabilité d’acteurs publics est d’inculquer dans la conscience collective et d’intégrer à notre culture la nécessité de trouver des voies d’avenir à notre jeunesse.

M. Perrut a réaffirmé sa volonté de défendre l’alternance et l’apprentissage pour garantir un emploi durable. Rappelons qu’il était un des auteurs, avec MM. Cherpion et Taugourdeau, de la proposition de loi de 2011. Sans faire preuve d’idéologie, nous pouvons constater que les mesures proposées par M. Peillon en 2013 ont privé d’effet les dispositions de ce texte, et le Président de la République lui-même l’a reconnu, et fait le constat que la loi de 2013 était un échec. Pourquoi ne tenterions-nous pas de revenir à ce qui était une loi de réussite en 2011, en l’enrichissant des contributions de chacun et en y intégrant les effets de la loi NOTRe – qui n’est pas la nôtre, d’ailleurs… –, qui place les régions en position stratégique ?

Il faut aussi poser la question du financement, puisque si le Président de la République annonce 2 milliards d’euros, nous ne savons pas sur quelle ligne budgétaire nous pourrions les trouver.

Mme la présidente. Vous en appelez à des postures non idéologiques, monsieur le rapporteur, mais vous écriviez dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, qui a dû être rédigé en septembre : « En trois ans, François Hollande a creusé la tombe de l’apprentissage […] Alors que le chômage explose, les socialistes ne trouvent rien de mieux que de ruiner un dispositif qui fonctionne. » Admettez que ce n’est pas forcément un terreau favorable à l’éclosion d’un consensus, d’autant que les socialistes ne forment pas la majorité à eux seuls, elle compte aussi des écologistes et des radicaux de gauche… Cette majorité a su prendre ses responsabilités, deux mois et demi après le dépôt de votre proposition de loi.

La Commission en vient à l’examen des articles.

Article 1er
(art. L. 214 [nouveau] et L. 241-6 du code de l’éducation)

Pilotage de la formation professionnelle initiale par les régions

Cet article vise à confier aux régions le pilotage de l’ensemble de la formation professionnelle initiale et à encourager, à terme, la fusion des centres de formation d’apprentis (CFA) et des lycées professionnels.

1. Le droit existant 

La formation professionnelle initiale des jeunes peut être assurée par la voie de l’apprentissage d’une part et par celle de l’enseignement secondaire professionnel d’autre part. Les compétences des régions sont aujourd’hui différentes, selon la voie choisie.

a. Les lycées professionnels : des compétences partagées entre l’État et la région

La répartition des compétences entre l’État et les régions en matière de lycées professionnels est définie au sein du titre Ier du livre II de la première partie du code de l’éducation.

Aux termes de l’article L. 211-1 du code de l’éducation, « L’État assume, dans le cadre de ses compétences, des missions qui comprennent :

1° La définition des voies de formation, la fixation des programmes nationaux, l’organisation et le contenu des enseignements ;

2° La définition et la délivrance des diplômes nationaux et la collation des grades et titres universitaires ;

3° Le recrutement et la gestion des personnels qui relèvent de sa responsabilité ;

4° La répartition des moyens qu’il consacre à l’éducation, afin d’assurer en particulier l’égalité d’accès au service public ;

5° Le contrôle et l’évaluation des politiques éducatives, en vue d’assurer la cohérence d’ensemble du système éducatif ».

L’article L. 211-2 du même code dispose en outre que les autorités compétentes de l’État arrêtent chaque année la structure pédagogique générale des établissements d’enseignement du second degré, en tenant compte du schéma prévisionnel des formations, adopté par la région, et de la carte des formations professionnelles initiales, également établie par la région.

La région a quant à elle, aux termes de l’article L. 214-6 du code de l’éducation, « la charge des lycées, des établissements d’éducation spéciale et des lycées professionnels maritimes. Elle en assure la construction, la reconstruction, l’extension, les grosses réparations, l’équipement et le fonctionnement ». Elle « assure l’accueil, la restauration, l’hébergement ainsi que l’entretien général et technique, à l’exception des missions d’encadrement et de surveillance des élèves, dans les établissements dont elle a la charge ».

b. Les centres de formation d’apprentis : les compétences renforcées de la région

Les compétences des régions en matière d’apprentissage ont été élargies par la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.

Celle-ci dote tout d’abord les régions d’un outil de pilotage, en renforçant leur rôle dans l’élaboration des contrats d’objectifs et de moyens (COM).

Créés par la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, les COM ont accompagné le développement de l’apprentissage depuis 2005. Ces contrats financent des opérations de construction et de rénovation de CFA, ainsi que des dépenses de fonctionnement liées à l’ouverture de places nouvelles. Ils peuvent également être utilisés pour améliorer les conditions de vie des apprentis, comme la création de logements et l’octroi d’aides au transport, à la restauration ou à l’hébergement.

Ces contrats étaient conclus entre l’État, la région, les chambres consulaires et une ou plusieurs organisations représentatives d’employeurs et de salariés, d’autres parties pouvant également être associées en tant que de besoin. La loi du 5 mars 2014 précitée a décentralisé cette politique de contractualisation avec les acteurs de l’apprentissage au niveau de la région, en mettant fin aux COM conclus entre l’État et les régions : l’article L. 6211-3 du code du travail dispose désormais que la région peut élaborer des COM avec l’État, les organismes consulaires et les organisations représentatives d’employeurs et de salariés. Ces contrats ne reposent plus sur un cofinancement État-région. Le rôle des régions, désormais dotées d’un outil de pilotage, est renforcé.

Par ailleurs, la loi du 5 mars 2014 a modifié l’article L. 6232-1 du code du travail afin de conférer aux régions l’initiative exclusive de création des CFA, par conventions avec des partenaires tels que les chambres de commerce, de métiers ou d’agriculture, les établissements d’enseignement public ou privé sous contrat, les entreprises et les associations.

Ce sont les régions qui établissent à cet effet leur convention type. Il n’est plus précisé que des clauses obligatoires déterminées par décret en Conseil d’État doivent y figurer. Ces conventions fixent les modalités d’organisation administrative, pédagogique et financière du CFA (mode de recrutement des personnels, effectifs d’apprentis pouvant être accueillis, diplômes préparés, aire de recrutement, lieux de formation, modalités de financement, mise en place d’un conseil de perfectionnement…).

S’agissant du contrôle des CFA, l’article L. 6252-1 du code du travail limite désormais le rôle de l’État au seul contrôle pédagogique, la région étant seule compétente en matière de contrôle technique et financier.

Cette réforme poursuit le même objectif que la réforme de la taxe d’apprentissage initiée par l’article 60 de la loi de finances rectificatives pour 2013 et qui renforce le rôle des régions dans le pilotage des fonds dédiés au financement de l’apprentissage.

2. Le dispositif proposé

Dans sa rédaction initiale, l’article 1er tend à transférer aux régions la gestion et le pilotage de l’ensemble des établissements de formation professionnelle initiale, que celle-ci s’effectue par la voie de l’apprentissage ou par celle de l’enseignement secondaire professionnel.

Une telle évolution serait cohérente avec l’article L. 214-12 du code de l’éducation qui dispose que la région « est chargée de la politique régionale d’apprentissage et de formation professionnelle des jeunes et des adultes à la recherche d’un emploi ou d’une nouvelle orientation professionnelle ».

La région est déjà chargée d’élaborer le contrat de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelle qui, aux termes de l’article L. 214-13 du code de l’éducation, « a pour objet l’analyse des besoins à moyen terme du territoire régional en matière d’emplois, de compétences et de qualifications et la programmation des actions de formation professionnelle des jeunes et des adultes, compte tenu de la situation et des objectifs de développement économique du territoire régional ». Ce schéma comprend notamment la définition d’objectifs, par bassin d’emploi, en matière de filières de formation professionnelle initiale et continue, ainsi qu’un schéma de développement de la formation professionnelle initiale.

Cependant, confier à la région la gestion des CFA et des lycées professionnels constitue une réforme particulièrement ambitieuse. C’est pourquoi le rapporteur propose, dans le cadre de la présente proposition de loi, de remplacer cette mesure par un dispositif visant à permettre à la région, comme elle le fait déjà avec les CFA à travers l’existence de conventions, de pouvoir décider de la création de lycées professionnels, en fonction des besoins identifiés sur son territoire.

À cet effet, un amendement du rapporteur tend à modifier l’article L. 214-13-1 du code de l’éducation afin de préciser que la région arrête la carte régionale des formations professionnelles initiales, sans que l’accord du recteur soit nécessaire. La région serait également chargée de mettre en œuvre les ouvertures et fermetures de sections de formation professionnelle initiale sous statut scolaire, cette compétence étant aujourd’hui dévolue aux autorités académiques.

Suivant les propositions du rapport réalisé en mai 2015 par Bertrand Martinot pour l’institut Montaigne (5), le rapporteur souhaiterait, à terme, encourager la fusion des CFA et des lycées professionnels, afin de tendre vers la création de « centres d’apprentissage professionnels régionaux ».

Cette fusion permettrait de mettre fin à l’opposition persistante entre voie scolaire et apprentissage au niveau de l’enseignement secondaire. Elle contribuerait à rendre l’offre de ces formations mieux adaptée aux besoins économiques locaux, à optimiser l’organisation et la carte de ces formations, tout en réalisant des économies budgétaires substantielles (6).

La majeure partie de l’enseignement secondaire professionnel scolaire serait ainsi réalisée par la voie de l’apprentissage, comme c’est déjà le cas aujourd’hui pour le brevet professionnel, qui ne peut être préparé que par la voie de l’apprentissage.

*

La Commission examine l’amendement de suppression AS1 de Mme Monique Iborra.

Mme Monique Iborra. Permettez-moi quelques rapides réflexions avant de vous exposer mes raisons de demander la suppression de cet article.

Votre proposition de loi répond à la main tendue du Président de la République, et les groupes de la majorité, tout autant que le groupe Les Républicains, sont d’accord pour faire de l’apprentissage une voie d’excellence. Pour autant, monsieur le rapporteur, nous ne pouvons considérer que votre proposition de loi constitue la solution ; elle pourrait même s’avérer contre8productive pour le développement de l’apprentissage, comme j’essaierai de vous en convaincre lors de l’examen des amendements.

Par cet article 1er, vous proposez que la région « ait la main » sur les formations professionnelles initiales. C’est déjà le cas pour les formations dispensées par les centres de formation d’apprentis (CFA), grâce aux dispositions que nous avons prises ; vous proposez d’aller plus loin en appliquant la même règle aux lycées professionnels. Votre proposition de loi initiale était même particulièrement brutale, puisqu’il ne devait plus y avoir qu’un seul centre de formation.

Sans idéologie, mais forte de mon expérience, je vous répète que la loi prévoit déjà que le dernier mot sur ce sujet revient au président de région, contrairement à ce qui se passait antérieurement, et cela nous paraît suffisant dans une première étape. Cet article est donc probablement prématuré, et de surcroît rédigé de manière précipitée, j’en demande donc la suppression.

Mme Isabelle Le Callennec. Ouvrons le débat. Il est intéressant de chercher des solutions pragmatiques aux défis posés aux jeunes sur le terrain.

Nous n’opposons pas les emplois d’avenir aux contrats d’apprentissage, mais reconnaissez que lorsque vous avez créé les emplois d’avenir, tous les moyens des régions – je pense en particulier aux missions locales – ont été mobilisés pour « vendre » des emplois d’avenir plutôt que des contrats d’apprentissage. Je me souviens d’avoir dénoncé cette politique en son temps. Les missions locales ont entre leurs mains différents dispositifs, et il leur était demandé de faire du « chiffre emplois d’avenir ». (Exclamations.) J’insiste : dans chaque bassin d’emploi, un objectif était fixé en termes de nombre d’emplois d’avenir à contractualiser. Cela s’est fait au détriment de l’apprentissage, car parmi les jeunes qui ont contractualisé un emploi d’avenir – tant mieux pour eux si cela a débouché sur un emploi durable – certains avaient le profil pour prendre la voie de l’apprentissage, mais cela ne leur a pas été proposé.

Nous parlions de choisir et de subir : plus nous informerons les jeunes sur les qualifications possibles dans le domaine de l’apprentissage et nous rassurerons les familles sur les chances d’issue positive, comme en attestent les chiffres et les taux d’insertion dans l’apprentissage, et plus nous leur donnerons envie de choisir l’apprentissage.

S’agissant plus précisément de cet article 1er, sa formulation peut effectivement choquer. La question est de savoir s’il est possible de transférer aux régions la compétence en matière de lycées professionnels. Aujourd’hui, la région conventionne et finance les CFA mais elle n’a pas la main sur les lycées professionnels. Or il existe des doublons sur le terrain, au niveau des plateaux techniques par exemple. Les régions sont parfois amenées à financer les mêmes plateaux techniques dans des centres d’apprentissage et dans des lycées professionnels. C’est une réelle difficulté pour les régions, qui gèrent l’argent public. Il faut donc s’interroger sur la complémentarité de l’offre sur un territoire, du CAP au BTS et aux licences professionnelles, et travailler sur la question des doublons et des financements.

M. Christophe Cavard. Par principe, le groupe Écologiste n’apprécie pas les amendements de suppression, qui ont pour effet de faire disparaître un par un tous les articles d’une proposition de loi. Nous avons parfois eu à souffrir de ce genre de pratique.

Cette proposition de loi pose des questions intéressantes sur la question du rôle des régions, vaste débat qu’il sera difficile de résoudre ce matin, sur la place des lycées professionnels et l’âge d’entrée en apprentissage. Or un texte sur la formation professionnelle va bientôt nous être présenté par la ministre du travail, qui devrait être étudié au mois d’avril si mes informations sont bonnes. Il me semble évident qu’une bonne part des mesures contenues dans la proposition de loi pourront être retravaillées de manière constructive dans le cadre de ce texte, qui permettra peut-être d’aller plus loin sur le rôle et la fonction des régions en matière d’apprentissage.

Nous partageons donc l’idée que ce texte n’est pas très opportun aujourd’hui, mais qui pouvait le savoir en septembre, lorsqu’il a été déposé ? Nous pourrons rediscuter de ces sujets au printemps, lorsque le projet de loi sur la formation professionnelle et l’apprentissage nous sera présenté.

M. Élie Aboud. Je partage pleinement l’avis de Mme Le Callennec, mais je souhaite simplement obtenir une précision technique. Monsieur le rapporteur, nous savons que les élèves âgés de quatorze ans bénéficient du dispositif d’apprentissage, et le rapport indique que vous souhaitez garder un statut scolaire. Vous proposez par la suite son extension aux lycées professionnels. Si la région pilote l’ouverture, la fermeture et la gestion des lycées professionnels, le statut scolaire peut-il rester adapté ?

M. Bernard Perrut. Cette proposition de loi a le mérite d’ouvrir un vrai débat. Nous n’allons peut-être pas le régler en quelques minutes, mais il pose un problème de fond.

J’irai plus loin encore en soulevant la question des formations et de leur contenu. J’ai comparé le contenu des formations qui préparent aux mêmes diplômes selon qu’elles sont dispensées dans un CFA – géré par une chambre des métiers – ou dans un lycée professionnel géré par l’éducation nationale. On voit bien que l’enseignement dans les lycées professionnels est parfois un peu déconnecté du monde de l’entreprise, de ses réalités et de ses besoins ; il lui faut beaucoup plus de temps pour s’adapter aux attentes de nos entreprises.

Je propose d’ailleurs une évolution de l’article L. 335-6 du code de l’éducation afin que les programmes de l’éducation professionnelle soient élaborés par l’éducation nationale avec les branches professionnelles concernées. J’irais donc plus loin que vous, monsieur Estrosi, sinon nous ne résoudrons pas le problème.

M. le rapporteur. Madame Iborra, la formation professionnelle initiale des jeunes peut aujourd’hui s’effectuer par deux filières très cloisonnées : les lycées professionnels ou l’apprentissage. Ce n’est pas rationnel. Il convient de renforcer les compétences des régions pour harmoniser les choses, car elles constituent l’échelon territorial le plus pertinent pour adapter l’offre de formation aux besoins des entreprises. Si les entreprises et les collectivités ne travaillent pas main dans la main, cela ne peut pas marcher.

Confier aux régions la gestion des CFA et des lycées professionnels constitue une réforme très ambitieuse, j’en suis conscient, et je vous propose donc de la remplacer par un dispositif permettant à la région de décider de la création de lycées professionnels en fonction des besoins identifiés sur son territoire, comme elle le fait déjà pour les CFA. C’est l’objet de l’amendement que je propose à l’article 1er. Je prends donc en compte vos observations, et je les comprends parfaitement.

Ma proposition de fusionner les CFA et les lycées professionnels est inspirée d’un rapport sérieux, publié en mai dernier par Bertrand Martinot, de l’Institut Montaigne. Cette unification contribuerait à rationaliser l’offre de formation professionnelle, à la rendre mieux adaptée aux besoins économiques locaux, et à optimiser l’organisation et la carte de ces formations.

Je remercie évidemment Mme Le Callennec de soutenir cet article en avançant des arguments très justes. Enfin, en réponse à M. Aboud, il n’y aurait aucun sens à ce que le statut scolaire ne facilite pas la passerelle avec un lycée professionnel. C’est justement le fait de garder le statut scolaire qui peut faciliter cette passerelle, car on reste dans le milieu scolaire.

M. Perrut s’est dit prêt à soutenir des propositions allant bien au-delà ; nous aurons bien d’autres occasions d’en débattre… J’ai voulu rester modeste, tout en sachant qu’il nous faudra aller plus loin.

Je donne un avis défavorable à l’amendement de suppression.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et l’amendement AS5 n’a plus d’objet.

Article 2
(art. L. 214-12 du code de l’éducation)

Banque régionale de l’apprentissage

Cet article permet aux régions qui le souhaitent de créer une banque régionale de l’apprentissage afin de favoriser la rencontre de l’offre et de la demande de formation en apprentissage.

1. Une articulation insuffisante entre offre de formation en apprentissage et besoins des entreprises

En France, l’adéquation entre offre de formation en apprentissage et besoins des entreprises peut être en décalage. Or, à l’heure actuelle, le contrat de plan régional de développement des formations professionnelles, prévu à l’article L. 214-12 du code de l’éducation, constitue l’outil permettant une articulation entre l’emploi, l’orientation et la formation, mais il n’existe pas de mise en relation directe entre les entreprises, les CFA et les potentiels apprentis.

S’il existe bien un portail de l’apprentissage consultable depuis le site internet de Pôle emploi, le rapporteur s’interroge néanmoins sur la capacité de ce dispositif national à mettre réellement en relation les potentiels apprentis et les employeurs. Des initiatives régionales seraient bien plus efficaces.

2. Favoriser la rencontre entre l’offre et la demande sur le territoire régional

L’article 2 vise à mettre en place un outil efficace destiné à favoriser le rapprochement entre l’offre de formation en apprentissage et les besoins des entreprises à travers la création, dans les régions qui le souhaitent, d’une banque régionale de l’apprentissage.

L’échelon régional, qui permet d’appréhender au mieux la réalité économique du territoire, est en effet le plus adapté pour mettre en relation ces différents publics et répondre à leurs besoins réciproques. La mise en place d’une banque d’apprentissage est en outre cohérente avec les compétences dévolues à la région, puisque celle-ci est chargée, concernant l’offre de formation en entreprise, de la politique régionale d’apprentissage et de formation professionnelle et de l’élaboration du contrat de plan régional de développement des formations et de l’orientation, prévue à l’article L. 214-12 du code de l’éducation. La région est par ailleurs responsable de la définition des orientations en matière de développement économique, conformément à l’article L. 4251-12 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction issue de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

Concrètement, chaque région serait libre d’organiser la banque de l’apprentissage sur le modèle qu’elle souhaite, par exemple en mettant en place des outils numériques ou en organisant des salons thématiques et des moments d’échanges entre les entreprises et les jeunes souhaitant entreprendre un cursus en apprentissage.

En facilitant la mise en relation des jeunes et des entreprises désireuses de les embaucher sur le territoire régional, la banque de l’apprentissage constituerait un outil efficace pour faciliter les recherches et limiter le nombre d’offres non pourvues.

*

La Commission examine l’amendement AS2 de Mme Monique Iborra.

Mme Monique Iborra. Cet amendement de suppression se justifie par le fait que l’article 2 de votre proposition de loi, monsieur le rapporteur et président de région, est inutile : le président de région peut dès à présent organiser comme il l’entend et avec qui il l’entend la mise en relation entre l’entreprise et l’apprenti.

Nous n’avons pas suffisamment rappelé que pour développer l’apprentissage, il faut un contrat de travail, donc une entreprise et un apprenti : les deux sont indispensables. Je suis d’accord avec vous : un portail national tel que l’avait suggéré l’ancien gouvernement serait totalement inutile et inefficace, mais la mise en relation des entreprises et des candidats à l’apprentissage vous est d’ores et déjà tout à fait possible, sous différentes formes. J’ajoute que pour obtenir l’adhésion de tous aux politiques régionales, d’autant plus importantes que les régions sont grandes, le président de région se doit de rassembler l’ensemble des acteurs. Or votre proposition de loi ne mentionne jamais les partenaires sociaux. S’il devait y avoir des amendements, ce serait pour associer étroitement les partenaires sociaux, les entreprises et l’ensemble des acteurs.

Ce que vous proposez aujourd’hui est inutile, il est déjà possible de le faire sans l’inscrire dans la loi. Je propose donc la suppression de cet article.

Mme Isabelle Le Callennec. Je rejoins Mme Iborra : il existe aujourd’hui de nombreux sites sur l’alternance et l’apprentissage. Mais l’idée de notre rapporteur est d’aller plus loin, et de prévoir, comme il devrait y en avoir à Pôle emploi, des dépôts d’offres pour mettre en relation des entreprises qui recherchent des apprentis et des apprentis qui recherchent des entreprises.

Nous parlions des motifs de rupture. Il ne faut pas se le cacher, il y a des ruptures de contrats d’apprentissage. Nous ne travaillons pas assez sur l’accompagnement des jeunes qui vont entrer en apprentissage. On pourrait imaginer une école de préparation à la voie de l’apprentissage, notamment quand les apprentis sont jeunes, car ils quittent parfois le foyer familial sans avoir tous les outils pour vivre une nouvelle vie qui change fondamentalement de l’enfance.

Il faut donc encourager la mise en relation des jeunes, des centres d’apprentis et des entreprises, ce qui n’est pas forcément le cas aujourd’hui, sinon nous ne verrions pas autant de ruptures. Les jeunes ne sont pas toujours prêts, à plus forte raison lorsque l’apprentissage a été un choix par défaut.

La création d’une banque régionale est donc intéressante car elle contribuerait à lever tous les freins non financiers à l’apprentissage.

Mme Sylviane Bulteau. Cette idée de banque est évidemment intéressante, mais je rejoins Monique Iborra : il est déjà possible pour les présidents de région de mettre ce genre d’outil en place. Les régions sont compétentes sur les budgets d’investissement et de fonctionnement des CFA et la promotion des formations auprès des jeunes et des entreprises.

L’ancien président de la région des Pays de la Loire a consacré des financements importants à l’accompagnement des jeunes : nous avions ainsi instauré la gratuité des mallettes d’outils pour les jeunes entrant en apprentissage, et mis en place des aides financières pour la mobilité et l’hébergement lorsque le CFA est éloigné du maître d’apprentissage et de la résidence des parents. Tout cela est donc déjà possible, je ne comprends pas bien pourquoi il faudrait légiférer pour faire plus d’accompagnement : c’est du ressort des décisions politiques des régions.

Les régions vont en plus avoir une compétence pleine et entière sur l’économie. Tout le lien avec le tissu économique, des petites entreprises, de l’artisanat et du commerce aura encore plus de sens. Monsieur Estrosi, vous pourrez donc déjà le faire dès demain dans votre région ; n’hésitez pas !

M. le rapporteur. Je ne manquerai pas de le faire dès demain !

Mme Le Callennec a bien résumé la situation : c’est la mise en relation qui est au cœur de cet article. Vous dites avoir mis en place des financements, des aides, des soutiens, mais il est ici question du traitement individuel, de la mise en relation de l’entrepreneur, du jeune et des formateurs.

Sur ces sujets, Mme Iborra a raison, il est déjà possible d’agir. C’est d’ailleurs une erreur dans ma rédaction initiale. J’avais écrit : « La région peut mettre en place une grande banque régionale d’apprentissage permettant de développer les liens entre les besoins des apprentis et des entreprises », j’ai proposé un amendement pour remplacer « peut » par « doit ». Malheureusement, il a été rejeté au titre de l’article 40 de la Constitution.

Cet article a pour objet d’encourager le développement des banques régionales d’apprentissage, c’est pourquoi je demande le rejet de l’amendement de suppression.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 2 est supprimé.

Article 3
(art. L. 6222-1 du code du travail)

Apprentissage à quatorze ans

Cet article propose d’ouvrir le dispositif d’apprentissage dès l’âge de 14 ans. Il vise également à permettre aux apprentis d’effectuer l’ensemble des travaux nécessaires à leur formation.

1. Permettre l’apprentissage dès 14 ans

a. Le droit existant

L’apprentissage junior

La loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances a mis en place un dispositif de « formation d’apprenti junior », codifié à l’article L. 337-3 du code de l’éducation. L’élève, sous statut scolaire, pouvait ainsi entrer, dès l’âge de 14 ans, dans une première année d’« apprentissage junior initial », comportant un parcours d’initiation aux métiers. La formation comprenait des enseignements généraux, technologiques et pratiques ainsi que des stages en milieu professionnel. À l’âge de quinze ans, le jeune pouvait entrer dans la seconde phase d’« apprentissage junior confirmé » par la signature d’un contrat d’apprentissage à condition qu’il soit « jugé apte à poursuivre l’acquisition par la voie de l’apprentissage du socle commun ».

Le dispositif a été suspendu à partir de la rentrée 2007. L’apprentissage junior a, par conséquent, été réformé et a eu vocation à s’adresser en priorité aux élèves volontaires âgés de 15 ans. Trois types de dispositifs de préapprentissage pouvaient ainsi accueillir ces élèves :

– les classes préparatoires à l’apprentissage, créées par voie de circulaire en 1972 ;

– les parcours d’initiation aux métiers (PIM), constituant la première phase, effectuée sous statut scolaire, de la formation d’apprenti junior créée par l’article L. 337-3 du code de l’éducation. Depuis l’année 2011-2012, ce dispositif n’accueillait plus d’élèves, étant remplacé par le dispositif d’initiation aux métiers en alternance (DIMA) ;

– le DIMA, formalisé par la circulaire de la rentrée scolaire 2008.

Si la loi n° 2011-893 du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie a permis un accueil des élèves ayant atteint l’âge de 15 ans en centre de formation d’apprentis (CAF) pendant une durée maximale d’un an pour découvrir des métiers en vue d’un projet d’apprentissage, c’est le décret n° 2010-1780 du 31 décembre 2010 qui a consacré le DIMA.

Il s’agit d’une formation en alternance, effectuée sous statut scolaire pour une durée d’un an maximum et partagée entre l’établissement de formation et des stages en milieu professionnel, pour faire découvrir aux élèves un environnement professionnel correspondant à un projet d’entrée en apprentissage. Les élèves devaient être volontaires et âgés d’au moins 15 ans à la date d’entrée en formation du DIMA. Ils devaient rester inscrits dans leurs collèges d’origine.

La loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011 pour le développement de l’alternance et la sécurisation des parcours professionnels a étendu le dispositif aux élèves ayant accompli la scolarité du collège et modifié, à cet effet, l’article L. 337-3 du code de l’éducation. Sur ce fondement, pouvait accéder au DIMA tout jeune qui souhaitait entrer en apprentissage et :

– avait au moins 15 ans, en application de la loi du 24 novembre 2009 précitée ;

– ou avait terminé le collège et pouvait donc avoir moins de 14 ans révolus.

Le dispositif peu satisfaisant de la loi du 8 juillet 2013

La loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a abrogé l’article L. 337-3 du code de l’éducation qui encadre la formation d’apprenti junior et supprimé le DIMA dans sa forme existante en ne retenant comme seul critère, que l’âge, fixé à 15 ans, pour effectuer une formation en alternance en CFA.

Cette modification a eu pour conséquence d’abroger les dispositions de la loi du 28 juillet 2011 ayant introduit le DIMA pour les jeunes « ayant accompli la scolarité du premier cycle du secondaire » et pouvant avoir par conséquent moins de 15 ans.

Désormais, l’article L. 337-3-1 du code de l’éducation dispose que : « Les centres de formation d’apprentis peuvent accueillir, pour une durée maximale d’un an, les élèves ayant au moins atteint l’âge de 15 ans pour leur permettre de suivre, sous statut scolaire, une formation en alternance destinée à leur faire découvrir un environnement professionnel correspondant à un projet d’entrée en apprentissage, tout en leur permettant de poursuivre l’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture mentionné à l’article L. 122-1-1. » Cette disposition a été confirmée par le décret n° 2013-769 du 26 août 2013 relatif à l’accès au dispositif d’initiation aux métiers en alternance.

De même, l’article L. 6222-1 du code du travail, tel que modifié par la loi du 8 juillet 2013, dispose que les jeunes âgés d’au moins quinze ans peuvent souscrire un contrat d’apprentissage s’ils justifient avoir accompli la scolarité du premier cycle de l’enseignement secondaire.

Ainsi, seuls les jeunes ayant 15 ans effectifs et ayant achevé la scolarité du collège peuvent entrer en apprentissage alors que, précédemment, pouvaient y accéder les jeunes atteignant quinze ans au cours de l’année civile s’ils justifiaient avoir accompli la scolarité du premier cycle de l’enseignement secondaire. Se posait, par conséquent, le problème de la situation des élèves sortant de troisième et ayant 15 ans entre la rentrée et le 31 décembre et qui avaient un projet précis de formation professionnelle par l’apprentissage.

La circulaire n° 2013-143 du 10 septembre 2013 du ministre de l’éducation nationale a tenté de résoudre le problème en mettant en place un dispositif destiné aux jeunes qui atteignent l’âge de 15 ans entre la rentrée scolaire et le 31 décembre de l’année civile et qui justifient avoir accompli la scolarité du premier cycle de l’enseignement secondaire. La loi du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale a donné un socle législatif à cette circulaire en complétant l’article L. 6222-1 du code du travail par la mention suivante : « Les jeunes qui atteignent l’âge de quinze ans avant le terme de l’année civile peuvent être inscrits, sous statut scolaire, dans un lycée professionnel ou dans un centre de formation d’apprentis pour débuter leur formation, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État ».

Le décret du 10 septembre 2014 (7) dispose ainsi que les jeunes qui atteignent l’âge de quinze ans avant le terme de l’année civile peuvent être inscrits, sous statut scolaire, dans un lycée professionnel ou dans un CFA pour débuter leur formation, dans les conditions suivantes :

– l’élève a accompli la scolarité du premier cycle de l’enseignement secondaire ;

– l’élève est inscrit, soit dans un lycée professionnel, soit dans un CFA sous statut scolaire, pour commencer une formation conduisant à la délivrance d’un diplôme ou d’un titre à finalité professionnelle enregistré au répertoire national des certifications professionnelles.

b. Le dispositif proposé

Afin de simplifier une réglementation excessivement complexe, le du présent article propose d’ouvrir l’apprentissage dès l’âge de 14 ans. Un amendement du rapporteur vise à préciser que les élèves âgés de 14 ans restent sous statut scolaire.

Le précise l’organisation de ce parcours d’initiation aux métiers : l’élève bénéficierait ainsi, chaque semaine, de trois jours en entreprise et de deux jours en classe, un jour étant consacré à des enseignements généraux, l’autre à des enseignements pratiques.

2. L’encadrement de l’affectation des apprentis aux travaux dangereux

L’article L. 6222-30 du code du travail dispose qu’il est interdit d’employer l’apprenti, que celui-ci soit mineur ou majeur, à des travaux dangereux pour sa santé ou sa sécurité.

Cependant, une procédure dérogatoire a été prévue par l’article L. 6222-31 du même code, modifié par l’article 26 de la loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et la formation professionnelle tout au long de la vie. Ainsi, pour certaines formations professionnelles limitativement énumérées par décret et dans des conditions fixées par ce décret, l’apprenti peut accomplir tous les travaux que peut nécessiter sa formation, sous la responsabilité de l’employeur. L’employeur adresse à cette fin une déclaration à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.

L’objet de la loi du 24 novembre 2009 qui a mis en place la procédure de la déclaration préalable de l’employeur est de responsabiliser les employeurs dans l’embauche des jeunes en apprentissage tout en allégeant les contraintes administratives, les autorisations de l’inspecteur du travail n’étant plus préalables à l’embauche.

Cependant, aucun décret d’application de l’article L. 6222-31 n’ayant été publié, la procédure dérogatoire mise en place par cet article est restée lettre morte. Cela provoque des situations très regrettables dans lesquelles certains apprentis – comme les charpentiers – ne peuvent apprendre correctement leurs métiers faute de pouvoir accomplir certains travaux.

C’est pourquoi, en l’absence de décret, le du présent article vise à inscrire dans la loi que tout apprenti doit pouvoir bénéficier des mêmes conditions de travail que les autres salariés de l’entreprise dans laquelle il travaille. Un amendement du rapporteur tend à préciser la rédaction de cet alinéa afin que des accords de branche étendus puissent définir les métiers pour lesquels les apprentis pourront accomplir tous les travaux nécessaires à leur formation.

*

La Commission examine l’amendement de suppression AS3 de Mme Monique Iborra.

Mme Monique Iborra. J’avais demandé la suppression des articles précédents car ils nous paraissaient inutiles ; mais l’article 3, qui permettrait d’entrer en apprentissage dès l’âge de quatorze ans, participe d’une démarche fondamentalement idéologique, qui ne tient aucun compte de l’évolution de la psychologie des jeunes actuellement élèves dans l’enseignement général.

J’ajoute que si cet article était adopté, il serait parfaitement contre-productif et freinerait le développement de l’apprentissage, alors même que des modalités ont d’ores et déjà été prévues pour régler, au moins pour partie, le problème de l’âge d’entrée en apprentissage.

Tout d’abord, comme l’a évoqué Mme Le Callennec, les discussions que nous avons avec les entreprises et les jeunes qui seraient susceptibles d’entrer en apprentissage font apparaître l’utilité d’un sas de préparation à l’apprentissage. Demander à un enfant de quatorze ans d’entrer en apprentissage et de s’orienter ensuite est contre-productif : cela va entraîner des ruptures et des réorientations qui n’encourageront pas l’adhésion des enfants et des familles à l’apprentissage, alors que les réorientations sont déjà trop nombreuses. Elles ne sont pas uniquement dues à l’âge d’entrée dans l’apprentissage : elles tiennent aussi, plus globalement, à un gros défaut d’orientation du côté de l’éducation nationale. Et de ce point de vue, l’intervention des régions n’a pas été probante pour le moment, il faut bien l’admettre.

Votre préoccupation n’est plus d’actualité : c’est l’apprentissage du XIXsiècle, le travail des enfants. Abandonnez, je vous en conjure, cette conception d’un autre âge ! D’autant plus que d’ores et déjà, la loi sur la formation professionnelle permet aux jeunes d’entamer un cycle de formation par voie scolaire, ou sous le statut de stagiaire de la formation professionnelle, en attendant d’atteindre l’âge ouvrant droit à un contrat d’apprentissage, c’est-à-dire quinze ans. Cette préparation est absolument indispensable si nous souhaitons développer l’apprentissage.

Un mot enfin sur l’utilisation des outils et machines dangereuses. La question réapparaît régulièrement : on ne veut pas d’apprentis parce qu’on ne peut pas les mettre réellement en situation de travail. Ce peut être effectivement un souci pour l’employeur, qu’il doit mettre en évidence : c’est effectivement à l’employeur qu’il revient d’encadrer des stagiaires aussi jeunes de manière à ce qu’ils ne soient pas en situation d’insécurité quand ils utilisent ces machines.

Vous prétendez qu’il n’y a pas eu de décret : or, à ma connaissance, deux décrets du 17 avril 2015 simplifient la déclaration préalable – il est vrai que c’était une usine à gaz pour les employeurs – et allègent un certain nombre de dispositions, sans pour autant les annuler complètement.

C’est donc par conviction que je demande la suppression de cet article.

Mme Isabelle Le Callennec. Cette proposition de loi a le mérite de susciter le débat et, je l’espère, de nous faire avancer les uns et les autres. Je vous rejoins sur un point, madame Iborra : le manque de maturité des jeunes de quatorze ans, car l’éducation a beaucoup changé en vingt ou quarante ans. Quand on leur demande ce qu’ils veulent faire dans la vie, que voulez-vous qu’ils répondent ? Ils n’ont aucune connaissance, et c’est bien normal, de ce qui existe. En revanche, certains jeunes ne sont manifestement plus « à leur place » dans le système scolaire classique, trop conceptuel pour nombre d’entre eux. Regardez les programmes scolaires… Certains jeunes sont devenus totalement rétifs à cette façon d’enseigner ; ils décrochent alors qu’ils sont habiles et seraient capables, si on le leur proposait, de faire, d’agir, de construire, et de ce fait de se revaloriser à leurs propres yeux.

Si le manque de maturité est indéniable, il faut tout de même trouver des solutions pour ces jeunes-là, notamment lorsque les enseignants leur conseillent l’apprentissage d’un métier. Nous devons donc nous poser la question sans nous focaliser sur l’âge. Il est possible pour le jeune de suivre un cycle de formation scolaire ou sous le statut de stagiaire de la formation professionnelle dès l’âge de quinze ans ; c’est la bonne solution. Mais faut-il obligatoirement avoir quinze ans révolus au moment où on entame cette formation ? Nous nous étions posé la question ; je crois savoir que des possibilités de dérogations sont prévues.

Cela étant, même si les décrets sont sortis, sur le terrain, une fois de plus, l’application du texte ne se fait pas toujours de façon idéale. J’ai visité un restaurant de ma circonscription, où travaillaient deux jeunes de dix-sept ans, l’un en contrat de professionnalisation, l’autre en apprentissage. L’un a le droit d’utiliser certains matériaux et machines, l’autre pas ! Si une prise de conscience a eu lieu en ce qui concerne l’utilisation de machines par les jeunes, la direction du travail ne suit pas, même si le décret est publié. Pour ma part, je discute beaucoup avec les maîtres d’apprentissage dont le travail de tutorat est fondamental. Ils me confirment que les temps ont changé, que les enfants ne sont plus les mêmes : ils doivent de plus en plus souvent jouer un rôle d’éducateur – comme à l’école, du reste – avant de leur apprendre un métier.

Les territoires doivent s’organiser dans ce domaine. Si l’on attend tout de l’État, il ne se passera malheureusement pas grand-chose. Cette proposition de loi nous offre une vraie opportunité d’aller au bout des choses, de territorialiser l’apprentissage et l’alternance avec des gens de bonne volonté sur le terrain.

M. le rapporteur. Cette fois, c’est vraiment par conviction que vous êtes contre l’article, madame Iborra… Autrement dit, lorsque vous vous êtes opposée aux deux précédents, ce n’était pas par conviction !

Mme Monique Iborra. C’est parce qu’ils étaient inutiles, monsieur le rapporteur !

M. le rapporteur. Moi aussi, c’est par conviction que je fais de cette disposition l’article central de ma proposition de loi. Dans notre pays, des milliers d’élèves sont en décrochage scolaire à cet âge-là. Tous les rapports en attestent, qu’ils proviennent d’instances gouvernementales, des académies, d’instituts d’études ou de cabinets d’expertise. Alors que tant de familles sont en désespérance et que la société se désagrège dans certains territoires, nous savons que cette filière peut sauver des milliers de jeunes. Pourquoi nous priver de cette opportunité de limiter le désastre ? Ces jeunes sont parfois perdus à tout jamais : dès lors que l’on se prive définitivement d’une qualification et d’un diplôme, on s’enlève toute espérance d’avenir et toute capacité de trouver un emploi.

Venons-en aux conditions de travail des apprentis. Vérifications faites, les décrets publiés concernent uniquement les dérogations pour les mineurs. Les décrets portant sur l’article L. 6222-31 du code du travail et concernant l’ensemble des apprentis, y compris les majeurs, n’ont toujours pas été pris au moment où je vous propose ce texte. Je suis obligé de vous le rappeler à cette occasion : tous les décrets n’ont pas été pris.

Mme Monique Iborra. On en reparlera !

M. le rapporteur. On en reparlera peut-être, mais c’est une réalité. De nombreux jeunes de plus de dix-huit sont actuellement en apprentissage. Parfois titulaires d’un CAP, ils veulent franchir des étapes supplémentaires vers un métier d’avenir, et on ne leur en donne pas l’opportunité parce que l’absence de décrets ne leur permet pas d’être traités comme les autres salariés de l’entreprise. Je trouve cela bien regrettable. En tout cas, je suis défavorable à votre amendement de suppression.

Mme Isabelle Le Callennec. Ce qui vient d’être dit est très important : de plus en plus de jeunes choisissent d’entrer en apprentissage après l’âge de dix-huit ans. Il faudrait donc que les décrets soient publiés.

Je vous fais également part d’une proposition, qui m’a été soufflée cette semaine, à propos de la prime octroyée aux entreprises qui acceptent des apprentis mineurs. La branche de la boulangerie, qui embauche beaucoup et notamment un nombre croissant de jeunes âgés de plus dix-huit ans, suggère de changer la règle : l’aide devrait être accordée pour tout jeune en première année d’apprentissage, quel que soit son âge. Voilà une suggestion pragmatique et adaptée au cas de ces jeunes qui reviennent à l’apprentissage après un détour par des voies sans issues ; peut-être est-ce parce qu’ils ont fini par entendre les messages délivrés sur le terrain, et notamment le fait que les entreprises paient plus cher les apprentis de plus de dix-huit ans.

Mme Monique Iborra. J’ai bien entendu votre remarque, mais la difficulté est que cet article porte sur l’apprentissage à quatorze ans. Les problèmes qui se posent aux employeurs concernent bien les mineurs, en particulier ceux qui ont quinze ans. Le président de région que vous êtes, monsieur le rapporteur, pourra discuter des modalités avec les employeurs et faire des propositions en temps utile. Mais pour l’heure, l’article sur lequel nous avons à nous prononcer ne concerne que l’apprentissage à quatorze ans.

La Commission adopte l’amendement AS3.

En conséquence, l’article 3 est supprimé et les amendements AS6 et AS7 du rapporteur tombent.

Article 4
(art. 575 et 575 A du code général des impôts)

Gage financier

Cet article a pour objet de permettre la recevabilité financière de la présente proposition de loi au regard des prescriptions de l’article 40 de la Constitution.

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La Commission examine l’amendement AS4 de Mme Monique Iborra.

Mme Monique Iborra. Amendement de coordination.

M. le rapporteur. Avis défavorable.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 4 est supprimé.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Tous les amendements ayant été supprimés, il n’y a pas lieu de soumettre au vote l’ensemble de la proposition de loi dont nous discuterons le jeudi 4 février dans l’hémicycle.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.

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