N° 3799 - Rapport de M. Michel Ménard sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale (n°2885).




N° 3799

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er juin 2016.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI ADOPTÉE PAR LE SÉNAT (n° 2885)
visant à
lutter contre la discrimination
à
raison de la précarité sociale,

PAR M. Michel MÉNARD,

Député

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Voir les numéros :

Sénat : 378, 507, 508 et T.A. 114 (2014-2015).

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

DISCUSSION GÉNÉRALE 9

EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE 17

Article unique (art. 225-1 du code pénal ; art. L. 1132-1 et L. 1133-6 [nouveau] du code du travail ; art. L. 032-1 et L. 033-5 du code du travail applicable à Mayotte ; art. 1er et 2 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations) : Création d’un nouveau critère de discrimination fondé sur la vulnérabilité économique 17

TABLEAU COMPARATIF 27

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 33

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L’Assemblée nationale est appelée à se prononcer sur une proposition de loi « visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale ». Rédigé par le sénateur Yannick Vaugrenard et ses collègues du groupe socialiste, ce texte a été adopté par le Sénat à une forte majorité il y a près d’un an, le 18 juin 2015.

Dans la France du xxie siècle, la lutte contre la pauvreté doit demeurer une préoccupation prioritaire des pouvoirs publics. Alors que le chômage vient d’entamer sa décrue mais touche encore près de 10 % des actifs (1), l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) estime la proportion de pauvres au sein de la population à plus de 14 % en 2014, soit 8,5 millions de personnes (2).

L’État et les collectivités territoriales se mobilisent pour lutter contre l’exclusion des plus fragiles, contre leur relégation au ban d’une société qui ne se montre guère clémente envers les plus faibles. L’action des associations ne saurait davantage être tue : sans le dévouement des bénévoles, sans la générosité des donateurs, sans l’abnégation des intervenants sur le terrain, un grand nombre de situations humaines basculeraient immanquablement dans l’indignité.

Mais le traitement social de la pauvreté ne la rend pas supportable, tolérable, acceptable pour autant. L’objet de cette proposition de loi n’est d’ailleurs pas – seulement – social, mais aussi et surtout juridique : il s’agit d’éviter qu’à la dureté d’une condition économique ne viennent s’ajouter les rigueurs d’une discrimination, d’autant plus scandaleuse qu’insidieuse, qui dénient aux victimes les droits dont elles sont pourtant légitimement assurées.

La prise en compte juridique de la précarité sociale dans une optique de lutte contre les discriminations demeure toutefois délicate, compte tenu de la multiplicité des situations de fait imaginables. S’il n’est pas douteux que les personnes en grande pauvreté peuvent faire l'objet de perceptions négatives, voire d'un traitement différent en raison de ces perceptions, toute rupture d'égalité ou traitement différentiel ne constitue pas, en soi, une discrimination. Le principe d’égalité n’interdit pas de traiter différemment des personnes qui seraient placées dans des situations différentes (3) et, dans une situation de concurrence économique pour l’accès à un bien rival (4), il n’est pas illégitime que le critère financier entre en compte pour départager les acquéreurs potentiels.

En droit, une discrimination se définit comme une distinction fondée sur des raisons ou des critères spécialement désignés par la loi. Avant de prohiber l’exclusion des pauvres sur le seul motif de leur pauvreté, il convenait donc de prêter un soin particulier à la rédaction retenue : toute imprécision, source d’incertitude et d’insécurité juridique, n’aurait pour seule conséquence qu’une inapplicabilité de la norme en pratique.

Or, l’étude des faits témoigne de l’existence, bien réelle, d’une discrimination des pauvres et des précaires. Citée par le rapporteur du Sénat (5), une enquête d'ATD Quart Monde (6) montre que 97 % des Français tiennent pour véridique au moins un préjugé sur les personnes pauvres : pour 51 % des sondés, « les pauvres font des enfants parce que les allocations leur donnent plus de pouvoir d'achat » et, pour 32 % d’entre eux, « les pauvres fraudent plus que les autres ». Ces préventions ne sont pas seulement détestables. Elles ont surtout pour effet d’accroître la détresse des personnes touchées parce qu’elles présument de leur malhonnêteté, de leur simplicité d’esprit, ou plus tristement de leur absence d’humanité. Juger un pauvre inapte à occuper un emploi ou à prendre soin d’un logement, simplement parce qu’il est pauvre, c’est se donner toutes les raisons d’écarter sa candidature sans autre motivation, et c’est la logique même d’une discrimination contraire à l’idéal républicain.

En 1993, la contribution de l’association ATD Quart Monde à l’ouvrage Exclusion et droits de l'Homme de la Commission nationale consultative des droits de l’homme soulignait déjà que « certaines personnes sont victimes d'une discrimination caractérisée quand tout à la fois la responsabilité de leur situation leur est imputée, leur passé de misère et d'exclusion leur est reproché, leur parole est discréditée, leurs entreprises ou leurs comportements sont dénigrés du seul fait qu'ils apparaissent comme des individus sans statut reconnu ni représentation agréée (...). Cette discrimination sociale et politique génère chez ceux qui la subissent des sentiments de honte, de culpabilité et de souffrance de ne pas être considérés à égalité avec les autres êtres humains de leur propre société. Elle cultive chez ceux qui la reproduisent, même de façon passive, une banalisation du mépris ou de l'indifférence à l'encontre des plus pauvres. » Ce constat conserve toute sa pertinence vingt-trois ans plus tard, quand l’hostilité diffuse à laquelle se heurtent les plus pauvres se double parfois de l’écho détestable conféré à la parole de certains, qui s’autorisent à fustiger un prétendu « assistanat » et à pointer du doigt les plus vulnérables, sans rien connaître des souffrances qu’ils endurent du fait de leur condition ni des efforts qu’ils déploient pour tenter de s’en abstraire.

Le fait discriminatoire existe ; il faut le traduire en droit pour le sanctionner efficacement. Sur ce point, le Sénat a amélioré la qualité du texte qui lui était soumis. Sa commission des Lois a approuvé le principe d’une inscription de l’interdiction de la discrimination sur le fondement de la situation sociale non seulement dans le droit pénal mais aussi dans le code du travail et dans la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation du droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Mais elle a écarté, à raison, l’expression excessivement floue de « précarité sociale » qui figurait dans la rédaction initiale pour retenir, en tant que critère prohibé, la « vulnérabilité de la personne à raison de sa situation économique » déjà connue du droit français. Cette option satisfait l’exigence constitutionnelle de précision et de légalité de la loi pénale : elle présente l’avantage de l’objectivité quand l’appréciation de la précarité et de la pauvreté relève d’un jugement subjectif qui aurait pu poser des difficultés aux juridictions ou, plus grave encore, conduire le Conseil constitutionnel à censurer les travaux du Parlement dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Dans le texte adopté par le Sénat, la discrimination serait constituée en cas de distinction opérée entre des personnes à raison de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique – apparente ou connue de l’auteur de la discrimination. Certes, la preuve d’un comportement fautif sera difficile à rapporter, comme elle l’est dans toutes les affaires de discrimination. Avec une vingtaine de cas chaque année, ces dossiers ne sont pas de ceux qui engorgent les tribunaux. Mais qu’il soit permis de penser que la vertu de la loi ne se limite pas à l’évaluation quantitative de la répression : affirmer que la relégation des pauvres et des précaires hors de la société est contraire aux valeurs communes, ce sera déjà faire changer les regards et évoluer les pratiques, éveiller les consciences et étouffer les mauvais instincts. La mobilisation de chacun, en faisant connaître le caractère inacceptable de telles injustices, les fera reculer comme hier le racisme ou le sexisme.

Le Sénat a également fait le choix de réprimer exclusivement les comportements discriminatoires, qui aboutissent à des exclusions d’accès aux biens et aux services, et non les propos et discours pour méprisables qu’ils soient. Parce que les commentaires malveillants à l’encontre des personnes en situation de précarité sont déjà réprimés par le délit d’injure, et parce qu’il n’apparaît pas souhaitable de créer une circonstance aggravante qui les mettrait sur le même plan que les injures raciales, laisser inchangée la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse apparaît préférable.

Enfin, le Sénat a souhaité assurer la légalité des politiques de retour vers l’emploi qui favorisent les embauches de personnes en grande précarité, qu’une lecture rigoriste de la loi aurait pu conduire à juger discriminatoires. Ce dispositif, comme l’ensemble de la proposition de loi, a été étendu aux territoires d’outre-mer disposant d’une autonomie législative.

Les travaux du Sénat permettent à l’Assemblée nationale d’être saisie d’un texte cohérent. Les plus ambitieux trouveront dans le projet de loi « Égalité et citoyenneté », qui sera examiné en séance publique à la fin du mois de juin, le véhicule législatif idoine pour apporter les améliorations qu’ils jugeront nécessaires. Aucun obstacle ne s’oppose ainsi à une adoption rapide de la proposition de loi, comme le sollicitent les associations actives dans la lutte contre l’exclusion.

La pauvreté est déjà une épreuve. Elle n’a pas à se doubler d’humiliation, de stigmatisation, de rejet. Inscrire aujourd’hui dans la loi le critère de la discrimination à raison de la vulnérabilité économique, c’est rendre aux exclus une part de leur dignité, affirmer qu’ils ont des droits et qu’ils n’ont pas à en avoir honte. C’est aussi dire aux mieux dotés de la population qu’ils doivent garder à l’esprit l’idéal fédérateur qui est celui de la République française, les sensibiliser pour qu’ils dépassent des préjugés dont ils auront, eux aussi, honte une fois conscients.

Par le vote de cette proposition de loi, qui n’a pas rencontré d’opposition lors de son examen par la commission des Lois, l’Assemblée nationale promouvra une nouvelle fois, selon le mot de Voltaire, « ce commencement de fraternité qui s’appelle la tolérance ».

DISCUSSION GÉNÉRALE

Lors de sa réunion du mercredi 1er juin 2016, la commission des Lois procède à l’examen de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale (n° 2885) (M. Michel Ménard, rapporteur).

M. Michel Ménard, rapporteur. Je vous remercie de m’accueillir dans votre Commission et de me permettre de défendre devant vous une proposition de loi essentielle à la lutte que nous menons contre la pauvreté.

Rédigé par le sénateur Yannick Vaugrenard, ce texte a bénéficié du soutien de tous les groupes de gauche du Sénat. Quant aux sénateurs de droite, beaucoup ont opté pour une abstention bienveillante tandis que d’autres, et non des moindres puisque l’on comptait parmi eux M. Philippe Bas, président de la commission des Lois, choisissaient de voter pour le texte. En somme, personne ne s’est opposé à son adoption. J’espère susciter chez les députés un soutien comparable à celui qu’ont ainsi exprimé nos collègues sénateurs.

La France est un pays riche. Nous sommes parmi les plus grandes puissances mondiales et, en termes de PIB par habitant, nous sommes aux alentours du vingtième rang mondial. Pourtant, huit millions et demi de nos compatriotes vivent sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de mille euros par mois. Plus outrageant encore : c’est un enfant sur cinq qui est pauvre, soit trois millions d’enfants dans notre pays. Dans les zones en difficulté, cette proportion atteint même près d’un enfant sur deux.

Mais je n’ai pas l’intention de prononcer devant vous un exposé sur la pauvreté et la précarité en France. Je sais que nous avons tous conscience de cette réalité, puisque nous sommes tous des élus au contact de la population, témoins dans nos permanences des situations dramatiques que provoque l’exclusion.

La pauvreté est une humiliation : pour nous tous, responsables politiques, qui ne sommes pas capables de l’éradiquer, mais aussi et surtout pour les hommes, les femmes et les enfants confrontés à la dureté de notre société, à l’égoïsme de nos contemporains et parfois à la cruauté de nos semblables.

Oui, les personnes en situation de pauvreté et de précarité sont des victimes, qui subissent une forme de double peine. Il est déjà difficile de manquer des ressources nécessaires pour se nourrir correctement, se vêtir correctement, vivre correctement. Mais il y a pire : parfois, alors même que ces personnes disposent de moyens suffisants pour acheter un bien ou solliciter un service, alors même qu’elles satisfont à toutes les conditions matérielles et juridiques exigibles, elles se heurtent à un refus. Pourquoi ? Pas parce qu’elles n’ont pas d’argent, mais parce qu’elles n’en ont pas assez, ou pas assez longtemps, ou pas assez souvent.

Les travaux menés par le Sénat ont montré que cette forme de discrimination se rencontre malheureusement dans tous les domaines : santé, logement, emploi, formation, justice, éducation, vie familiale, exercice de la citoyenneté et même, hélas, relations avec les services publics. Une partie de nos concitoyens ne peut exercer ses droits fondamentaux et finit par ne même plus s’enquérir des dispositifs de soutien auxquels elle a pourtant droit. Collectivement, nous reléguons ces pauvres gens hors de la République, et nous nous accommodons bien du fait qu’ils soient contraints de disparaître de nos regards, qu’ils deviennent des invisibles et des exclus.

Selon le rapport de l’année 2012 de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale, le taux de non-recours au revenu de solidarité active (RSA) était de 35 % pour le RSA socle et de 68 % pour le RSA activité, soit, au total, plus de cinq milliards d’euros par an. Dans le même temps, la fraude au RSA est estimée à 60 millions d’euros par an. Raisonnons en net : les pauvres prennent moins que ce à quoi ils ont droit.

Cette proposition de loi a pour but de mettre un terme à cette situation déplorable et d’affirmer que le pauvre n’est pas hors de la cité. Elle montrera aux exclus que la nation n’est pas indifférente à leurs plaintes, et aux tourmenteurs imbéciles qu’elle saura venir leur demander des comptes. Car la stigmatisation et la discrimination sont une forme de harcèlement qu’il faut pouvoir punir.

Il est donc proposé, à l’issue des travaux de qualité réalisés par le Sénat, qu’un nouveau critère de discrimination soit prohibé par le code pénal et par le droit civil : à côté de l’origine ethnique, de la religion, du sexe ou de l’orientation sexuelle, pour ne citer que les plus connus, on trouverait désormais la vulnérabilité économique.

Certains diront peut-être que ces pratiques discriminatoires seront difficiles à prouver. C’est certainement vrai, mais pas plus que sur le fondement des autres critères. En outre, c’est un domaine dans lequel les vertus de l’exemple sont patentes. Enfin, votre Commission a voté il y a une semaine le projet de loi relatif à la justice du xxie siècle, qui crée une action de groupe contre les discriminations, et je gage que cette innovation fera avancer les choses.

Afin que chacun comprenne bien ce qu’il s’agit de combattre, je vais emprunter au sénateur Vaugrenard, qui les tenait lui-même des associations présentes sur le terrain – je songe particulièrement à ATD Quart Monde –, quatre exemples qu’il a évoqués devant le Sénat et qui ont emporté l’adhésion de ses collègues.

Il s’agit d’abord d’une famille, composée d’une mère avec sept enfants, vivant dans un logement insalubre. Elle présente un dossier pour obtenir un logement décent et suffisamment grand pour l’accueillir. Deux semaines après avoir donné son accord, le bailleur revient sur son engagement : il refuse de louer son bien à cette famille « parce qu’elle présente un risque d’insolvabilité élevé ». Ce pourrait être un motif parfaitement légitime, mais le montant de l’aide personnalisée au logement couvrait intégralement le montant du loyer, et le Fonds de solidarité pour le logement apportait en sus sa garantie !

Le deuxième exemple concerne le domaine de la santé. Un enfant est suivi par un dentiste. Au début des soins, la famille bénéficie d’une mutuelle, et tout se passe très bien. Puis, pour diverses raisons, elle est amenée à relever de la couverture maladie universelle complémentaire (CMUC). Avant la consultation, la mère de l’enfant prévient de ce changement de situation. Le dentiste vient alors dans la salle d’attente et, devant les autres patients, leur explique qu’il ne peut poursuivre le traitement, qu’il arrête les soins et les renvoie en conséquence vers l’hôpital.

Troisième cas, tout aussi scandaleux : l’exclusion du musée d’Orsay, début 2013, d’une famille en grande précarité – deux parents et leur enfant de douze ans. Plusieurs visiteurs se seraient plaints de leur odeur ; la direction les a fait raccompagner à la sortie par des vigiles. Quand on est pauvre, ne peut-on donc, même si l’on dispose d’un billet en règle, accéder au service public de la culture ? La direction du musée s’est confondue en excuses sous la pression médiatique, mais qu’ont bien pu ressentir les personnes concernées ?

Je veux enfin mentionner le cas d’un enfant évincé de la cantine de l’école sous prétexte que sa mère venait d’être licenciée et que cette « chance » lui permettait de s’occuper du déjeuner de ses enfants. Comment tolérer une logique à ce point déviante ?

Mes chers collègues, notre capacité d’indignation face à l’injustice est grande ; je m’en félicite. Le 12 mars 2015, nous avons adopté en première lecture la proposition de loi, présentée par notre collègue Roger-Gérard Schwartzenberg, visant à garantir le droit d’accès à la restauration scolaire. Je sais que d’autres progrès de cet ordre seront faits à l’occasion du projet de loi « Égalité et citoyenneté », dont Mme Marie-Anne Chapdelaine est l’une des rapporteurs. Nous avons donc l’occasion d’agir tout de suite en adoptant cette proposition de loi, et le loisir de lui apporter des améliorations dans ce projet de loi à venir.

Je serai très bref dans ma description du contenu de l’article unique qui vous est soumis. Il tend à réprimer la discrimination sur le fondement de la vulnérabilité économique des personnes en droit pénal, en droit civil et en droit du travail. Le Sénat a retenu à juste titre cette notion de vulnérabilité économique, déjà existante dans notre droit, plutôt que celles de pauvreté, de fortune ou d’origine sociale, présentes en droit international mais trop imprécises. Il a aussi étendu le dispositif aux outre-mer, ce qui était nécessaire. Je ne vois donc rien qui fasse obstacle à une adoption conforme de la rédaction inscrite à l’ordre du jour.

En octobre 2013, Dominique Baudis, alors Défenseur des droits, s’était adressé aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat pour appeler leur attention sur deux nouveaux critères de discrimination qu’il était nécessaire d’ajouter à l’article 225-1 du code pénal : le lieu de résidence et la pauvreté. La loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine a exaucé sa première demande. Je vous demande de satisfaire la seconde en adoptant sans modification la présente proposition de loi.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Il n’est pas évident qu’une digue entretenue résiste aux courants les plus puissants, mais il est certain qu’une digue laissée à l’abandon cédera aux forces contraires. Notre tradition républicaine et humaniste nous permet de prétendre à ce que le sort des plus faibles d’entre nous ne soit jamais balayé d’un revers de main.

Notre majorité a contribué à ce que les plus modestes bénéficient de l’attention qu’ils méritent, en mettant en œuvre le plan de lutte contre la pauvreté, qui agit aux racines du phénomène : le non-recours aux droits, souligné par notre rapporteur, le manque d’accompagnement ou de formation, l’isolement face aux accidents de la vie. Les politiques d’accès à l’emploi, aux soins, à l’éducation, au logement et les aides aux familles tiennent désormais pleinement compte de la nécessité de s’adresser aux personnes les plus fragiles.

La digue est donc a priori solide, mais les courants et les influences contraires sont puissants, et les périodes de transition, voire de crise, comme celle que nous vivons, sont propices aux rapaces ou aux personnes mal intentionnées : l’occasion est trop belle de jouer le fort contre le faible, le sachant contre le non-sachant, le possédant contre le dépossédé. Celui qui est au chaud a toujours eu l’avantage sur celui qui a froid ; il revient aux politiques de corriger cet écart par une adaptation permanente du droit aux évolutions de notre société.

L’intégration au code pénal de la précarité sociale comme nouveau critère de discrimination et la ratification du Protocole n° 12 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales répondent à cette nécessité. Les nombreuses discriminations dont ATD Quart Monde et d’autres associations ont fait état lors des auditions conduites par le rapporteur, les situations que nous rencontrons sur le terrain ou dont on nous fait part dans nos permanences trouvent un écho dans l’article unique – mais essentiel – de la proposition de loi. Il est temps que la « particulière vulnérabilité résultant de [l]a situation économique, apparente ou connue » entre dans notre code pénal. À cette fin, je vous invite tous à voter sans modification cet article de loi.

M. Jacques Bompard. La notion de précarité sociale est devenue essentielle pour comprendre la population de notre pays. Je le sais bien comme élu du Vaucluse, septième département le plus pauvre de France. La guerre faite aux pauvres est un scandale – un scandale légal : depuis le retrait du droit au travail pour tous, notre politique a entériné le traitement social du chômage, qui est déjà une intrusion de la discrimination dans la loi. Sans travail, pas d’autonomie réelle du foyer et sans autonomie du foyer, pas de liberté concrète pour les individus.

Le texte qui nous est soumis présente donc un grand intérêt. J’ajouterai seulement deux remarques.

La première concerne la France périphérique. Des travaux récents ont montré que ce ne sont pas les banlieues mais les zones périrurales qui sont les plus discriminées dans notre pays. Comment mieux intégrer nos territoires afin de préserver cette population et remédier un tant soit peu à sa crise identitaire ?

Mon second point porte sur les femmes. Elles sont victimes de pressions au travail, notamment en vue de retarder leur grossesse. Des firmes ont même recours à la congélation d’ovocytes pour maximiser leur productivité ! Serait-il possible d’intégrer au texte des mesures permettant de lutter contre cette barbarie intéressée ?

M. Éric Ciotti. Monsieur le rapporteur, sans méconnaître le principe fondamental de non-rétroactivité de la loi pénale, j’aimerais vous interroger sur les effets que pourrait avoir la proposition de loi dans deux cas pratiques qui ont occupé l’actualité récente. Un ministre qui traite des salariées d’illettrées pourrait-il être poursuivi du chef d’accusation que vous rendez possible ? Le même ministre qui, non sans provoquer des réactions d’ailleurs justifiées, met en cause une personne pour sa tenue vestimentaire – un T-shirt censé ne pas présenter les mêmes attraits qu’un « costard » – pourrait-il encourir la sanction que vous souhaitez introduire dans le code pénal ?

Si je comprends bien l’esprit de la proposition de loi, j’aimerais en revanche être éclairé sur ses modalités pratiques dans ces deux cas bien réels.

Mme Cécile Untermaier. Je félicite de leurs propos le rapporteur et la porte-parole de notre groupe, Mme Chapdelaine.

Nous, députés, pouvons tous témoigner de la pauvreté bouleversante de certaines personnes que nous rencontrons dans nos circonscriptions, et plus encore de la stigmatisation dont elles font l’objet ; c’est un sentiment d’impuissance que nous éprouvons en les écoutant. Un critère nouveau de discrimination, dont nous aurons à apprécier les effets, est ici proposé, pour mieux les protéger. Il aidera aussi les associations qui les soutiennent et les juges appelés à trancher un litige. C’est un signal d’alerte et une mesure à visée pédagogique.

Je n’ai donc aucune hésitation quant au sort à réserver à ce texte, qu’il nous faut adopter conforme.

M. Joaquim Pueyo. Je félicite à mon tour notre rapporteur de son travail de fond sur une proposition de loi importante, qui vise à remédier à un état de fait intolérable. Le rapporteur l’a dit, la précarité sociale empêche ceux qu’elle touche d’assumer leurs obligations professionnelles, sociales et familiales. La discrimination est une cause autant qu’une conséquence de la précarité.

Il est bon de réaffirmer la dignité des personnes en situation précaire pour leur garantir sans réserve l’égalité des droits. Au Québec, une loi similaire à celle qui nous est soumise s’applique depuis 1975 et a porté ses fruits.

D’autres moyens pourraient-ils être envisagés pour combattre la représentation de la pauvreté qui nourrit la discrimination ? Je songe notamment au rôle des médias lorsqu’il s’agit de sensibiliser le public à cet enjeu.

M. Gilbert Collard. Je trouve ce texte tout à fait utile : tous les instruments juridiques qui nous permettront de lutter contre la précarité aggravée par la discrimination sont indiscutablement bons à prendre.

Mon seul sujet de préoccupation renvoie aux réflexions de Michel Villey, Professeur de philosophie du droit, sur les dangers du subjectivisme juridique. Le problème est la notion d’apparence physique. Maintenir ce terme, c’est faire de l’apparence un critère d’appréciation. Mais que signifie l’apparence physique ? On intègre ici au sujet de droit l’appréciation de l’autre, essentiellement du juge, sur son apparence physique. S’il est « sans dents », par exemple, son apparence physique sera-t-elle prise en considération ? Sans vouloir polémiquer (Rires et exclamations)… C’est vous qui nous avez habitués à polémiquer ou à caricaturer tout en vous défendant de le faire : ne m’en veuillez pas de vous emprunter vos instruments, c’est la lecture de Gramsci qui m’a appris à le faire ! Sans polémiquer, disais-je, je vous invite à réfléchir au risque de dérive auquel ce subjectivisme expose l’appréciation du juge. Nous avons tout à gagner à des définitions légales qui permettent d’objectiver l’appréciation des situations.

M. Philippe Houillon. Je suis personnellement hostile au « délit de sale gueule » – comme tout le monde ici, j’espère – mais aussi à son opposé. Or, nous sommes en train de créer une protection sur un fondement totalement subjectif, qui va poser des problèmes juridiques incommensurables, aggraver encore l’insécurité juridique dont souffre notre pays et rogner la libre expression. Qu’est-ce que la « particulière vulnérabilité […] apparente ou connue » ? Est-ce à dire que quelqu’un de mal habillé pourrait bénéficier d’une protection particulière parce que son apparence de vulnérabilité pourrait être le signe d’une situation économique précaire ? On en arrive à des choses complètement loufoques ! De telles considérations sont entièrement subjectives.

M. Ciotti a cité tout à l’heure l’exemple de M. Macron disant à quelqu’un qui ne portait pas de costume : « Si tu veux un costume, t’as qu’à travailler » – sans doute l’a-t-il d’ailleurs vouvoyé, puisqu’il reprochait lui-même à ses interlocuteurs de « tutoyer un ministre ». Quoi qu’il en soit, il me paraît évident que ce cas tomberait sous le coup de cette loi.

Nous ferions mieux de nous occuper de problèmes infiniment plus importants que nous ne traitons pas, plutôt que de légiférer à longueur de semaine avec un tel extrémisme. Plus le temps passe, plus nous créons de règles, de plus en plus floues et subjectives. Il faut mettre fin à cette évolution.

M. Alain Tourret. Pour ma part, j’ai l’impression que nous enfonçons des portes ouvertes. Prenons le code pénal dans sa version actuelle, à l’article 225-1 : tout y est ; la notion d’apparence physique y figure déjà. Que certaines décisions de jurisprudence, compte tenu de cet article 225-1, aient entraîné des condamnations dans tel ou tel cas, je veux bien l’admettre, mais je ne vois pas l’intérêt de toutes ces observations dès lors que la législation actuelle prévoit déjà ce dont nous parlons – sauf la particulière vulnérabilité résultant des situations économiques.

Par ailleurs, M. Ciotti est trop bon juriste pour ne pas savoir que seules les lois de procédure sont d’application immédiate et que seules les lois pénales plus douces s’appliquent rétroactivement.

M. Éric Ciotti. Je l’ai dit !

M. Alain Tourret. Ce n’est pas ce que j’avais compris.

Au total, ce texte apporte quelque chose mais ne crée pas tout le droit de la discrimination.

M. Marc-Philippe Daubresse. J’ai été chargé à deux reprises, au sein du Gouvernement, de la lutte contre la pauvreté : la première fois sous l’angle du logement, la seconde sous celui des solidarités actives. J’indique au rapporteur que, concernant l’accès aux droits des personnes éligibles au RSA socle et à ce que l’on appelait jusqu’à présent le RSA activité, les chiffres qu’il nous a donnés pourront être précisés par des données issues du rapport que j’ai remis en 2011 au Président Nicolas Sarkozy ou de l’excellent rapport que M. Christophe Sirugue a récemment établi à la demande de l’actuel Premier ministre.

Le texte qui nous est soumis a évidemment une portée symbolique. Mais, au vu de tous les travaux qui ont été menés, sous le Gouvernement actuel comme sous les précédents – la charte pour la non-discrimination dans l’accès au logement, en 2004-2005, le curriculum vitae anonyme, les travaux de M. Yazid Sabeg lorsqu’il était commissaire à la Diversité et à l’égalité des chances –, et compte tenu des contentieux qui pourraient résulter de l’imprécision ou de la subjectivité du présent texte, il apparaît que ce sont des dispositifs concrets qui permettront de lutter contre la stigmatisation de la précarité et de la pauvreté, et non, même si nous n’y sommes évidemment pas défavorables, un dispositif juridique par lequel on se donne bonne conscience. M. Patrick Kanner va présenter d’ici quelques semaines un projet de loi dans le cadre duquel nous pourrions progresser plus efficacement que par ces formules très imprécises.

M. le rapporteur. En réponse aux orateurs, je rappellerai d’abord que la proposition de loi vise la sanction de comportements empêchant l’accès à des services – santé, logement, emploi, formation, éducation –, et non la répression de propos ou d’expressions.

En ce qui concerne les quelques propositions de précisions ou d’ajouts qui m’ont été faites, vous pourrez, si vous le souhaitez, apporter des compléments dans le cadre de la loi « Égalité et citoyenneté ». Les sénateurs souhaitent que nous adoptions le texte conforme pour que la loi puisse entrer en vigueur rapidement ; c’est aussi le souhait des associations qui œuvrent auprès des plus précaires – je pense particulièrement à ATD Quart Monde.

Monsieur Ciotti, il vous a déjà été répondu s’agissant de la rétroactivité. Par ailleurs, je le répète, le texte ne tend pas à pénaliser l’expression. Les exemples que vous avez cités ne visaient donc qu’à provoquer, nullement à préciser les termes de la loi.

Ce que nous proposons d’inscrire dans la loi, c’est la discrimination à raison de la vulnérabilité économique, et rien d’autre. Plusieurs des intervenants qui se sont exprimés soutiennent cette disposition, à l’instar du président de la commission des Lois au Sénat et de M. Étienne Pinte, président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE).

Cette inscription a d’abord une fonction pédagogique. Ne risque-t-on pas, se demandent certains, de créer de nouveaux litiges, d’engorger les tribunaux ? La même question avait été posée à propos d’autres critères de discrimination, sur le fondement desquels peu de cas ont pourtant été portés devant la justice. Quelques exemples pourront assurément sensibiliser nos concitoyens. Mais cette proposition de loi aura surtout une vertu pédagogique. Elle modifiera les mentalités avec le temps. La discrimination à raison de la couleur de peau, courante il y a quelques décennies, existe encore, mais elle est beaucoup moins répandue et nos compatriotes y sont beaucoup plus réfractaires. On pourrait dire la même chose d’autres discriminations.

Ce texte constitue donc une avancée importante, en même temps qu’une marque de notre considération envers nos concitoyens en situation de précarité.

La Commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de loi.

EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE

Article unique
(art. 225-1 du code pénal ; art. L. 1132-1 et L. 1133-6 [nouveau] du code du travail ;
art. L. 032-1 et L. 033-5 du code du travail applicable à Mayotte ; art. 1er et 2 de la loi n° 2008-496
du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire
dans le domaine de la lutte contre les discriminations)

Création d’un nouveau critère de discrimination
fondé sur la vulnérabilité économique

L’article unique de la proposition de loi complète le dispositif de lutte contre les discriminations, fondé sur une vingtaine de critères (7), d’une nouvelle mention réprimant les distinctions fondées sur la vulnérabilité sociale des individus.

i. Une multitude de critères prévus dans des textes épars

Plusieurs normes de rang constitutionnel prohibent les discriminations. L’égalité devant la loi est affirmée dès l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. (8) » Ce principe d’égalité des droits est « réaffirmé » par le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. Enfin, aux termes de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».

Les valeurs ainsi affirmées trouvent une traduction dans la législation pénale, qui réprime les actes discriminatoires ainsi que les discours qui tentent de les légitimer. Les délits de diffamation et d’injure motivés par l’origine, la race ou la religion des personnes ont été créés par le décret-loi « Marchandeau » du 21 avril 1939. La loi « Pleven » n° 72-546 du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme a réprimé le délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à raison de ces critères prohibés et a introduit, pour la première fois, une infraction autonome dans le code pénal réprimant les comportements discriminants à raison de ces critères (9).

Aujourd’hui, le code pénal prohibe vingt motifs de discriminations, liste complétée pour la dernière fois par la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine :

–  l’article L. 225-1 réprime toute discrimination opérée à l’encontre des personnes « à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » ;

–  l’article L. 225-1-1 sanctionne toute distinction entre les personnes au motif qu’elles ont subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel ou témoigné de tels faits ;

–  l’article R. 625-7 punit la provocation non publique à la discrimination, la diffamation et l’injure publique. Elle ne retient, en revanche, que sept critères – l’origine, l’ethnie, la nation, la religion, le sexe, l’orientation ou l’identité sexuelle ou le handicap.

Les comportements constitutifs de discrimination sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, voire cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende lorsqu’ils sont commis par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public et qu’ils consistent à refuser le bénéfice d’un droit accordé par la loi ou à entraver l’exercice normal d’une activité économique (10). L’article 225-3 du code pénal prévoit cependant diverses dérogations pour permettre, par exemple, les licenciements pour inaptitude médicale ou l’exigence d’une condition de nationalité pour l’accès à certains emplois publics mettant en jeu des prérogatives de puissance publique.

Des dispositions spécifiques apparaissent dans divers codes et lois pour répondre à des problématiques particulières, notamment en matière d’emploi (11) et dans le domaine de la génétique (12).

La principale évolution récente est intervenue sous l’impulsion du droit européen : l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations a défini les concepts de discrimination directe et indirecte (13). Il sanctionne une série de comportements plus réduite que celle figurant dans le code pénal, mais une harmonisation est actuellement en cours de discussion (14).

Les exigences liées à l’administration de la preuve en matière pénale ont fait que le contentieux de la discrimination est demeuré résiduel. En 2013, on n’a dénombré que treize condamnations pour discriminations ; aucune condamnation n’a été prononcée sur le fondement de l’apparence physique ou de la situation de famille ; un rapport sénatorial sur les discriminations a relevé que le pôle anti-discriminations de Bobigny n’avait enregistré que six à sept plaintes en deux ans (15).

Pourtant, par exception à l’article 1315 du code civil selon lequel la charge de la preuve incombe au demandeur, la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations (16) a institué un partage de la charge de la preuve entre demandeur et défendeur.

Ainsi, l’article L. 1134-1 du code du travail prévoit que « le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte (…) ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ». Cette solution du partage de la charge de la preuve, d’abord réservée aux contentieux du monde du travail, a été par la suite étendue au secteur du logement locatif (17), puis généralisée à toutes les matières de discrimination par l’article 4 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 précitée. Toutefois, le Conseil constitutionnel impose que cette règle de procédure civile soit écartée dans le domaine pénal afin d’assurer la protection du principe de présomption d’innocence (18).

Face au faible nombre des procédures qui parviennent à leur terme et au taux élevé de non-recours régulièrement dénoncé par les associations, la décision de créer une procédure d’action de groupe pour les victimes de discrimination a été prise. Envisagée par une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale le 10 juin 2015 (19), elle a été votée dans son principe, par le Sénat comme par l’Assemblée nationale, aux articles 44 à 45 bis du projet de loi précité de modernisation de la justice du xxième siècle.

En conséquence, si le contentieux de la lutte contre les discriminations revêt pour l’heure une apparence essentiellement symbolique, il est fort probable que les nouvelles procédures prochainement mises à la disposition des plaideurs lui confèrent une dynamique accrue.

L’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 affirme que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » tandis que l’article 7 prohibe « toute discrimination qui violerait [cette] déclaration ». Aucune mention particulière de la vulnérabilité sociale des personnes n’y figure et, de toute façon, le texte ne revêt aucune valeur contraignante à l’égard des États signataires.

L’interdiction d’une discrimination fondée sur la pauvreté des individus est cependant exprimée, en des termes approchants, dans trois conventions internationales contraignantes.

En premier lieu, l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, adopté par l’Assemblée générale des Nations unies, stipule : « Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. À cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. (20) »

En deuxième lieu, le protocole n° 12 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, conclu dans le cadre du Conseil de l’Europe (21), voit son premier article consacré à l’interdiction générale de la discrimination. « La jouissance de tout droit prévu par la loi doit être assurée, sans discrimination aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Enfin, la convention n° 111 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) concernant la discrimination en matière d’emploi et de profession, ratifiée par la France le 28 mai 1981, prévoit en son article 1er que « le terme discrimination comprend toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l’opinion politique, l’ascendance nationale ou l’origine sociale, qui a pour effet de détruire ou d’altérer l’égalité de chances ou de traitement en matière d’emploi ou de profession (…). »

Certains États disposent, au sein de leur arsenal législatif, de dispositions spécifiquement dédiées à la lutte contre les discriminations fondées sur la pauvreté (22). Tel est le cas de l’Afrique du Sud, de la Bolivie et de l’Équateur, mais aussi de la Belgique. La situation belge présente un intérêt particulier pour le législateur français : de tradition juridique comparable et respectueuse des mêmes standards internationaux en matière de protection des droits de l’homme, la Belgique offre un exemple dont il est possible de s’inspirer.

Aux termes de l’article 10 de la Constitution belge, « les Belges sont égaux devant la loi ; seuls ils sont admissibles aux emplois civils et militaires, sauf les exceptions qui peuvent être établies par une loi pour des cas particuliers. L’égalité des femmes et des hommes est garantie. » L’article 11 ajoute que « la jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges doit être assurée sans discrimination ».

Cette prescription générale est précisée par l’article 3 de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination, selon lequel se trouve prohibée toute discrimination fondée sur « l’âge, l’orientation sexuelle, l’état civil, la naissance, la fortune, la conviction religieuse ou philosophique, la conviction politique, la conviction syndicale, la langue, l’état de santé actuel ou futur, un handicap, une caractéristique physique ou génétique ou l’origine sociale. » Son champ d’application recouvre, pour le secteur public comme pour le secteur privé, les domaines de la fourniture de biens et de services, de la protection sociale et de l’emploi.

Sauf à être justifiée par un but légitime et mise en œuvre par des moyens appropriés, toute discrimination est prohibée et ouvre à la victime un droit à l’indemnisation du préjudice subi. Le juge peut exiger que soit mis fin, sous astreinte, à la pratique en cause. Les peines encourues peuvent atteindre un an d’emprisonnement et une amende de mille euros ; elles sont doublées lorsque l’infraction est le fait d’un agent public dans l’exercice de ses fonctions. Par ailleurs, la loi qualifie de circonstance aggravante la commission d’un délit dont le mobile est une discrimination : le minimum des peines prévues est doublé en matière correctionnelle et augmenté de deux ans pour les affaires de nature criminelle.

c. Des appels répétés en faveur d’une évolution de la législation

Dès 1993, un ouvrage conjointement réalisé par la Commission nationale consultative des droits de l’homme et l’association ATD Quart Monde relevait que « certaines personnes sont victimes d’une discrimination caractérisée quand tout à la fois la responsabilité de leur situation leur est imputée, leur passé de misère et d’exclusion leur est reproché, leur parole est discréditée, leurs entreprises ou leurs comportements sont dénigrés du seul fait qu’ils apparaissent comme des individus sans statut reconnu ni représentation agréée. (...) Cette discrimination sociale et politique génère chez ceux qui la subissent des sentiments de honte, de culpabilité et de souffrance de ne pas être considérés à égalité avec les autres êtres humains de leur propre société. Elle cultive chez ceux qui la reproduisent, même de façon passive, une banalisation du mépris ou de l’indifférence à l’encontre des plus pauvres » (23).

Face à cette stigmatisation, la perspective d’une action législative pour réprimer la discrimination fondée sur la précarité sociale s’est imposée comme un moyen de faire évoluer les mentalités. Elle a reçu le soutien de la CNCDH en 2013 (24) et du Conseil économique, social et environnemental en 2016 (25).

Cette reconnaissance d’un vingt-et-unième critère de discrimination dans le code pénal revêt une forte portée symbolique en procurant aux victimes, individus et familles, le sentiment d’une reconnaissance par la nation du caractère injuste des vexations subies. Mais elle aurait également une triple incidence politique et juridique :

–  en permettant la saisine du Défenseur des droits pour connaître, instruire et concourir à la répression des discriminations motivées par la situation sociale des personnes. Pour l’heure, seules peuvent faire l’objet d’investigations et d’actions les inégalités fondées sur un critère interdit par la loi et dans un des domaines qu’elle définit (accès à un service, embauche, etc.). Cet élargissement de son champ d’intervention autoriserait le Défenseur à combattre ce type de discrimination, qu’elle soit commise par une personne privée ou publique (26) ;

–  en confiant aux juridictions répressives le soin de prononcer à l’encontre de l’auteur de la discrimination une sanction administrative ou pénale ;

–  en inscrivant la lutte contre les discriminations fondées sur la pauvreté dans les politiques publiques de formation, d’information et de sensibilisation déjà engagées auprès des opérateurs de service public et au sein des entreprises de biens et de services.

Comme il l’a indiqué dans son avis n° 15-15 du 9 juin 2015, le Défenseur des droits instruit d’ores et déjà un grand nombre de réclamations concernant l’accès aux droits des personnes en situation de précarité ou de grande pauvreté : « 40 % de ces saisines concernent des demandes liées aux prestations sociales. » Il y a donc urgence à agir pour offrir une meilleure protection à celles et ceux qui sont mis à l’écart et humiliés, simplement parce que pauvres.

Dans sa rédaction initiale, la présente proposition de loi prévoyait l’ajout d’un vingt-et-unième critère de discrimination dans le code pénal, fondé sur la précarité sociale (I). Elle suggérait également d’insérer ce critère dans le code du travail (II), dans le droit de la presse (III) et dans la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation du droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les délits (IV).

Ce dispositif large, couvrant différents champs juridiques, avait pour ambition de faire en sorte que la pauvreté cesse d’équivaloir à une double-peine pour les personnes concernées : aux difficultés matérielles engendrées par le manque de moyen s’ajoutent les moqueries, brimades et humiliations perpétrées à leur endroit, qui ont pour effet de les inciter à ne plus solliciter les services auxquels ils sont pourtant en droit de prétendre.

L’objectif principal consistait donc à rendre leur dignité à ces personnes en situation de précarité et à sensibiliser la population aux difficultés qu’elles traversent. Comme l’ont indiqué les associations auditionnées par votre rapporteur, il est significatif que la langue française ne dispose d’aucun mot similaire à « sexisme » ou « racisme » pour désigner un comportement discriminant à raison de la précarité sociale.

Sur le rapport de M. Philippe Kaltenbach(27), la commission des Lois du Sénat s’est attachée à préciser les contours du nouveau critère destiné à recouvrir les situations de pauvreté pouvant donner lieu à discrimination.

La « précarité sociale » retenue dans la rédaction initiale de la proposition de loi apparaît comme une notion subjective, qui regroupe une grande diversité de situations. Or, le droit pénal étant d’application stricte, il revient au législateur de définir les contours d’une nouvelle infraction sans que cette tâche puisse, en aucune manière, incomber à la jurisprudence. Le Défenseur des droits avait, par ailleurs, souligné que la précarité sociale est une situation, temporaire ou chronique, mais pas une caractéristique pérenne de la personnalité, et que la combattre passait plus sûrement par les politiques de lutte contre l’exclusion que par l’arsenal répressif contre les discriminations (28).

Les expressions retenues par le droit international et précédemment mentionnées ne sont pas d’un grand secours. Ils se réfèrent à la « fortune », qui ne renvoie à rien de connu en droit pénal français, et à « l’origine sociale », dont le caractère figé ne saurait recouvrir la dynamique constante des conditions et des situations.

La commission des Lois du Sénat a préféré, sur la proposition de son rapporteur, se fonder sur la notion de « vulnérabilité résultant d’une situation économique » entendue comme la situation dans laquelle des personnes ne sont pas en mesure d’exercer correctement leurs droits et libertés.

Il s’agit d’une notion connue du droit pénal français. Les articles L. 225-13 et L. 225-14 du code pénal tendent à protéger les personnes placées en situation de dépendance, en particulier économique : ils incriminent respectivement « le fait d’obtenir d’une personne dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de leur auteur, la fourniture de services non rétribués ou en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli » et le fait de soumettre celle-ci « à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine ». La loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel a prévu une circonstance aggravante lorsque les faits sont commis sur « une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de son auteur ».

La commission des Lois du Sénat, sur proposition de son rapporteur, a jugé malvenue l’introduction du nouveau critère dans la loi du 29 juillet 1881.

Les délits de presse sont l’injure publique, soit « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait », et la diffamation, définie comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne », toutes deux punies d’une amende de 12 000 euros. Ces infractions sont aggravées dans les seuls cas de racisme, de sexisme, d’homophobie et d’handiphobie – critères qui fondent également le délit de provocation à la haine, à la violence ou à la discrimination.

Ainsi, l’ensemble des critères de discrimination de l’article L. 225-1 du code pénal ne sont pas présents dans le droit de la presse, voué à préserver la liberté d’expression, et qui ne réprime que les atteintes les plus graves au lien social et au pacte républicain.

Le Sénat a jugé cet équilibre satisfaisant, et la persistance d’une dissymétrie bienvenue. Il a donc supprimé le III de l’article unique.

Suivant le même argument, les sénateurs ont également supprimé l’insertion du critère dans le 1° de l’article 2 de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, applicable aux discriminations indirectes et qui ne recense pas l’ensemble des critères discriminatoires. En revanche, cet ajout a été conservé pour la définition des discriminations directes interdites.

La commission des Lois du Sénat s’est montrée attentive à la pérennité des mesures prises dans le cadre des politiques de lutte contre l’exclusion en faveur des personnes vulnérables à raison de leur situation économique. Par conséquent, elle a inscrit dans le chapitre du code du travail relatif aux différences de traitement autorisées que l’interdiction de discriminer ne pouvait faire obstacle aux actions positives destinées aux personnes en situation de précarité (2° du II).

Un amendement du rapporteur adopté en séance publique avec l’avis favorable du Gouvernement a étendu aux territoires ultramarins bénéficiant du régime de spécialité législative – soit la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et les îles Wallis et Futuna, ainsi que les Terres australes et antarctiques françaises – les dispositions de nature pénale de la proposition de loi (VI et VII).

Le même amendement a également étendu à Mayotte l’application des dispositions relatives au droit du travail (V).

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La Commission adopte l’article unique sans modification.

En conséquence, la proposition de loi est adoptée.

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En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à lutter contre la discrimination à raison de la précarité sociale, dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

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Dispositions en vigueur

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Texte de la proposition de loi adoptée par le Sénat

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Texte adopté par la Commission

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Proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison
de la précarité sociale

Proposition de loi visant à lutter contre la discrimination à raison
de la précarité sociale

 

Article unique

Article unique

Code pénal

I. – L’article 225-1 du code pénal est ainsi modifié :

(Sans modification)

Art. 225-1. – Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs moeurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

1° Au premier alinéa, après les mots : « de leur apparence physique, », sont insérés les mots : « de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, » ;

 

Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l’origine, du sexe, de la situation de famille, de l’apparence physique, du patronyme, du lieu de résidence, de l’état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des moeurs, de l’orientation ou identité sexuelle, de l’âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales.

2° Au second alinéa, après les mots : « de l’apparence physique, », sont insérés les mots : « de la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur, ».

 

Code du travail

II. – Le code du travail est ainsi modifié :

 

Art. L. 1132-1. – Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 3221-3, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

1° À l’article L. 1132-1, après les mots : « de ses caractéristiques génétiques, », sont insérés les mots : « de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, » ;

 
 

2° (nouveau) Le chapitre III du titre III du livre Ier de la première partie est complété par un article L. 1133-6 ainsi rédigé :

 
 

« Art. L. 1133-6. – Les mesures prises en faveur des personnes vulnérables en raison de leur situation économique et visant à favoriser l’égalité de traitement ne constituent pas une discrimination. »

 
 

III. – (Supprimé)

 

Loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations

IV. – La loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations est ainsi modifiée :

 

Art. 1er. – Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, sa perte d’autonomie, son handicap, son orientation ou identité sexuelle, son sexe ou son lieu de résidence, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable.

1° Au premier alinéa de l’article 1er, après les mots : « ses convictions, », sont insérés les mots : « la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, » ;

 

Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés.

   

La discrimination inclut :

   

1° Tout agissement lié à l’un des motifs mentionnés au premier alinéa et tout agissement à connotation sexuelle, subis par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ;

   

2° Le fait d’enjoindre à quiconque d’adopter un comportement prohibé par l’article 2.

   

Art. 2. – Sans préjudice de l’application des autres règles assurant le respect du principe d’égalité :

2° L’article 2 est ainsi modifié :

 

1° Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race est interdite en matière de protection sociale, de santé, d’avantages sociaux, d’éducation, d’accès aux biens et services ou de fourniture de biens et services ;

a) (Supprimé)

 

2° Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, la religion ou les convictions, le handicap, l’âge, l’orientation ou identité sexuelle ou le lieu de résidence est interdite en matière d’affiliation et d’engagement dans une organisation syndicale ou professionnelle, y compris d’avantages procurés par elle, d’accès à l’emploi, d’emploi, de formation professionnelle et de travail, y compris de travail indépendant ou non salarié, ainsi que de conditions de travail et de promotion professionnelle.

b) Au 2°, après le mot : « sexuelle », sont insérés les mots : « , la particulière vulnérabilité résultant de la situation économique, apparente ou connue de son auteur, ».

 

Ce principe ne fait pas obstacle aux différences de traitement fondées sur les motifs visés à l’alinéa précédent lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée ;

   

3° Toute discrimination directe ou indirecte est interdite en raison de la grossesse ou de la maternité, y compris du congé de maternité.
Ce principe ne fait pas obstacle aux mesures prises en faveur des femmes pour ces mêmes motifs ;

   

4° Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est interdite en matière d’accès aux biens et services et de fourniture de biens et services.

   

Ce principe ne fait pas obstacle :

   

– à ce que soient faites des différences selon le sexe lorsque la fourniture de biens et services exclusivement ou essentiellement destinés aux personnes de sexe masculin ou de sexe féminin est justifiée par un but légitime et que les moyens de parvenir à ce but sont nécessaires et appropriés ;

   

– au calcul des primes et à l’attribution des prestations d’assurance dans les conditions prévues par l’article L. 111-7 du code des assurances ;

   

– à l’organisation d’enseignements par regroupement des élèves en fonction de leur sexe.

   

Code du travail applicable à Mayotte

(nouveau). – Le code du travail applicable à Mayotte est ainsi modifié :

 

Art. L. 032-1. – Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l’article L. 140-3, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap ou encore de son statut civil.

1° À l’article L. 032-1, après les mots : « de ses caractéristiques génétiques, », sont insérés les mots : « de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, » ;

 
 

2° Le chapitre III du titre III du livre préliminaire est complété par un article L. 033-5 ainsi rédigé :

 
 

« Art. L. 033-5. – Les mesures prises en faveur des personnes vulnérables en raison de leur situation économique et visant à favoriser l’égalité de traitement ne constituent pas une discrimination. »

 
 

VI (nouveau). – Le I est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna. 

 
 

VII (nouveau). – Le IV est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises, dans les matières relevant de la compétence de l’État.

 

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

Sénat

–  M. Yannick Vaugrenard, auteur de la proposition de loi

ATD Quart Monde

–  Mme Claire Hédon, présidente

–  Mme Geneviève Decoster, représentante à la CNCDH

–  M. Denys Rochette, chargé des relations avec les parlementaires

Secours populaire

–  M. Marc Castille, membre du comité national en charge des relations institutionnelles

Secours catholique – Caritas

–  M. Laurent Giovannoni, responsable du département « Accueil et Droits des Étrangers »

© Assemblée nationale

1 () Au terme du premier trimestre 2016, le taux de chômage en France s’est stabilisé à 9,9 % de la population active en métropole et à 10,2 % une fois inclus les territoires ultramarins.

2 () « Être pauvre, c’est avoir un revenu très inférieur à celui dont dispose la plus grande partie de la population. Pour l’Insee, comme pour Eurostat, une personne est pauvre si son niveau de vie est inférieur à 60 % du niveau de vie médian de la population française. » Le seuil de pauvreté correspond à un revenu légèrement inférieur à 1 000 euros par mois (Insee, Comprendre la mesure de la pauvreté, septembre 2014, p. 2).

3 () Conseil d’État (Sect.), Denoyez & Chorques, 10 mai 1974, n ° 88032 88148.

4 () Dans la théorie économique, un bien rival est un bien (ou un service) dont l’utilisation par un individu empêche la consommation d’autres individus. Tel est le cas, dans la vie courante, d’un logement mis en location ou d’une table dans un restaurant bondé.

5 () Rapport de M. Philippe Kaltenbach n° 507 (2014-2015) fait au nom de la commission des Lois du Sénat, déposé le 10 juin 2015.

6 () Enquête d'ATD Quart Monde d'octobre 2014 : « Les idées reçues sur les pauvres et la pauvreté », réalisée par BeBetter&Co et Opinionway.

7 () La perte d’autonomie n’est pas un critère de discrimination réprimé par le droit pénal, mais il l’est en droit civil à la suite de la modification de la loi du 27 mai 2008 précitée par la loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l'adaptation de la société au vieillissement. Il existe donc, suivant que l’on se réfère au droit pénal ou au droit civil, vingt ou vingt-et-un critères prohibés de discrimination.

8 () Seuls le mérite et l’intérêt général peuvent donc valablement fonder les différences de traitement entre individus.

9 () Les sanctions à l’encontre des opinions et des expressions discriminatoires publiques figurent, pour leur part, dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

10 () Cette circonstance aggravante figure à l’article 432-7 du code pénal.

11 () La loi n° 56-416 du 27 avril 1956 tendant à assurer la liberté syndicale et la protection du droit syndical interdit la discrimination fondée sur l’activité syndicale ; l’article L. 1132-1 du code du travail interdit les discriminations à raison des dix-neuf critères de l’article L. 225-1 du code pénal.

12 () Article 16-3 du code civil.

13 () « Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation ou identité sexuelle, son sexe ou son lieu de résidence, une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable. Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés. »

14 () L’ajout des critères tenant à l’origine, la situation de famille, la grossesse, l’apparence physique, le patronyme, l’état de santé, les caractéristiques génétiques, les mœurs, les opinions politiques et les activités syndicales dans la liste établie par la loi de 2008 – qui trouve en s’appliquer dans les matières civile et administrative – est prévu à l’article 41 du projet de loi n° 3679 « Égalité et citoyenneté ». Il figure également à l’article 44 du projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, dans sa version adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 24 mai 2016. Ce texte ayant été adopté par les deux assemblées dans des rédactions différentes, le Gouvernement, qui avait engagé la procédure accélérée, a décidé de provoquer la réunion d’une commission mixte paritaire.

15 () Rapport d’information n° 94 (2014-2015) de Mme Esther Benbassa et M. Jean-René Lecerf, fait au nom de la commission des Lois du Sénat, déposé le 12 novembre 2014. Créés dans chaque tribunal de grande instance par une circulaire ministérielle du 11 juillet 2007, ces pôles anti-discriminations devaient pourtant faciliter l’accès à la justice des victimes de discriminations.

16 () Cette loi a transposé en droit français la directive 97/80/CE du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe.

17 () Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, qui a modifié en ce sens l’article 1er de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986..

18 () « Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions des articles 158 et 169 de la loi déférée aménagent la charge de la preuve en faveur des personnes qui considèrent que le refus de location d’un logement qui leur a été opposé trouve sa cause dans une discrimination prohibée par la loi, d’une part, et de celles qui s’estiment victimes d’un harcèlement moral ou sexuel, d’autre part ; qu’il ressort des termes mêmes des dispositions critiquées que les règles de preuve dérogatoires qu’elles instaurent trouvent à s’appliquer " en cas de litige " ; qu’il s’ensuit que ces règles ne sont pas applicables en matière pénale et ne sauraient, en conséquence, avoir pour objet ou pour effet de porter atteinte au principe de présomption d’innocence ; » (décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, considérant n° 84).

19 () Proposition de loi instaurant une action de groupe en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités, TA n° 527.

20 () Ratifié par la France le 4 novembre 1980, le Pacte y est entré en vigueur le 4 février 1981. Le Conseil d’État a considéré qu’« il résulte de la coexistence du Pacte relatif aux droits civils et politiques et du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, […], que l’article 26 précité […] ne peut concerner que les droits civils et politiques mentionnés par ce Pacte et a pour seul objet de rendre directement applicable le principe de non-discrimination propre à ce Pacte » (avis d’Assemblée du 15 avril 1996, n° 176399). Origine sociale et condition de fortune peuvent donc valablement être invoquées par les victimes de discrimination.

21 () La France n’est pas signataire de ce protocole et n’est donc pas tenue au respect de ses dispositions.

22 () Voir à ce propos les deux études de législation comparée produites par le Sénat dans ses travaux préparatoires à la présente proposition de loi, respectivement n° 251 du 17 décembre 2014 sur « La discrimination à raison de la pauvreté » et n° 253 du 5 février 2015 sur « Les sanctions applicables à la discrimination à raison de la pauvreté »).

23 () Commission nationale consultative des droits de l’homme, Exclusion et droits de l’Homme. Contribution du mouvement ATD Quart Monde, Paris, Documentation française, 1993.

24 () Avis sur les discriminations fondées sur la précarité sociale, 26 septembre 2013.

25 () Avis du Conseil économique, social et environnemental sur le rapport présenté par Mme Jacqueline Farache, rapporteure au nom de la section des affaires sociales et de la santé, L’impact du chômage sur les personnes et leur entourage : mieux prévenir et accompagner, 10 mai 2016.

26 () Reprenant les missions de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), l’article 4 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits assigne à celui-ci la mission de « lutter contre les discriminations directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ainsi que de promouvoir l’égalité ». Il peut ainsi mener des actions de communication pour promouvoir l’égalité.

27 () Rapport n° 507 (2014-2015) fait au nom de la commission des Lois du Sénat, déposé le 10 juin 2015.

28 () Avis n° 15-15 du 9 juin 2015.