N° 3838 - Avis de M. Guy Chambefort sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces (n°2607).




N
° 3838

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 juin 2016.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI (n° 2607)

autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République de Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces,

PAR M. Guy CHAMBEFORT,

Député.

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SOMMAIRE

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Pages

I. UN PARTENAIRE ENGAGÉ SUR LA VOIE D’UNE MODERNISATION DE L’ÉTAT, DANS LAQUELLE LA RÉFORME DES FORCES ARMÉES REVÊT UNE IMPORTANCE CRUCIALE 7

A. LA STABILISATION DE LA SITUATION DE NOTRE PARTENAIRE GUINÉEN APRÈS LA CRISE DE 2008 7

1. Une phase de stabilisation après une période de troubles importants 7

a. Des troubles qui ont justifié la suspension partielle de notre coopération 7

b. Une stabilisation politique qui semble aujourd’hui consolidée 8

2. Des menaces persistantes 8

a. L’impact de la crise liée à l’épidémie de virus Ebola 8

b. Des menaces de nature sécuritaire 9

B. LA FRANCE A UNE PLACE ÉMINENTE À TENIR POUR SOUTENIR LA STABILISATION DE LA GUINÉE ET LA MODERNISATION DE SES FORCES ARMÉES 11

1. La coopération franco-guinéenne constitue un outil précieux pour la stabilisation et la modernisation du pays, comme en atteste la gestion de la crise Ebola 11

2. Dans la coopération franco-guinéenne, la réforme du secteur de la sécurité constitue un enjeu de premier rang pour la stabilisation et la modernisation du pays 11

a. La réforme du secteur de la sécurité, et particulièrement des forces armées, constitue un enjeu crucial pour la stabilisation de la Guinée 12

b. Un processus engagé dès 2010 en Guinée 12

II. UN ACCORD DE COOPÉRATION MILITAIRE « CLASSIQUE », ADAPTÉ AUX BESOINS DE NOTRE PARTENAIRE GUINÉEN 13

A. L’ACCORD FRANCO-GUINÉEN DOIT PERMETTRE DE DONNER UN CADRE NOUVEAU À UN PARTENARIAT RÉNOVÉ 13

1. L’accord franco-guinéen participe d’une politique de rénovation de notre coopération militaire avec nos partenaires africains 14

a. Une « nouvelle génération » d’accords de coopération en matière de défense entre la France et ses partenaires africains 14

b. Des accords qui visent à soutenir l’appropriation collective de leur sécurité par les Africains eux-mêmes 15

2. Notre coopération en matière de défense s’attache avec souplesse à répondre aux besoins exprimés par nos partenaires africains 17

a. Les besoins exprimés par les États africains 17

b. Coopération structurelle et coopération opérationnelle 19

B. LES STIPULATIONS DE L’ACCORD 21

1. Les principes et les objectifs de la coopération 22

2. Le statut des coopérants 23

3. Échanges d’informations classifiées 24

4. Conditions matérielles des activités de coopération 24

TRAVAUX DE LA COMMISSION 27

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS 29

INTRODUCTION

L’accord de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Guinée est d’une facture classique : sa structure comme son contenu l’inscrivent en tous points dans la « nouvelle génération » d’accords de défense entre la France et ses partenaires africains, conclus depuis 2008.

Ainsi, il repose sur une logique plus partenariale qu’avant : rédigé de façon réciproque, il ne comprend pas de clause de défense et met l’accent sur la coopération tant opérationnelle que structurelle.

De même, il vise à donner une dimension plus collective à la relation franco-guinéenne de défense, en s’inscrivant dans la perspective de l’Architecture africaine de paix et de sécurité.

Surtout, cet accord intervient dans un contexte très particulier pour la Guinée, qui sort d’une période de profonds troubles politiques et que l’épidémie de virus Ebola aurait pu déstabiliser. D’ailleurs, lors de cette crise, la France a fait la preuve de sa solidarité, et la ratification de cet accord de coopération va dans le même sens.

Dans le processus de stabilisation et de modernisation de la Guinée aujourd’hui bien engagé, la coopération en matière de défense tient en effet une place-clé, car elle est au cœur de la réforme du secteur de la sécurité, qui est un préalable à la modernisation du pays.

La République de Guinée est (bien) engagée sur la voie d’une stabilisation de sa situation générale ‒ tant politique que sécuritaire et économique ‒ après la crise qu’elle a connue en 2009. Depuis les élections de 2010, le pays est entré dans une phase de stabilisation politique, ainsi que de modernisation des structures de l’État et de l’économie.

La réforme du secteur de la sécurité ‒ notamment des forces armées ‒ en fait partie, et organiser des forces armées efficaces et respectueuses des principes démocratiques ‒ ou, selon les termes de l’attaché de défense guinéen en France, « cheminer vers une armée républicaine » ‒ en constitue même une condition. Dans cette ambitieuse entreprise, la solidarité et le soutien de la France jouent un rôle éminent, comme la gestion de la crise liée à l’épidémie de virus Ebola a pu le montrer ; la coopération franco-guinéenne en matière de défense en est un élément.

Si les troubles qu’a connus la Guinée lors de sa période de transition vers la démocratie ont motivé une suspension partielle de la coopération franco-guinéenne, y compris en matière de défense, la coopération a repris et la France apporte ainsi son soutien à la stabilisation et à la modernisation du pays.

La crise ouverte par le décès du président Lansana Conté le 22 décembre 2008 et la prise du pouvoir par une junte militaire a marqué l’ouverture d’une période de transition, qui a abouti à l’élection démocratique du président Alpha Condé en 2010.

Cette période a été marquée par un événement particulièrement condamnable : le 28 septembre 2009, l’armée a réprimé dans le sang une manifestation pacifique organisée dans le stade de Conakry par les Forces vives ‒ une coalition de partis politiques, de syndicats et d’associations réclamant la tenue d’élections libres. Ce massacre a fait plus de 150 tués et plus de 1 200 blessés. Il a été unanimement condamné par la communauté internationale, ce qui a conduit la France à suspendre immédiatement sa coopération militaire.

Cette coopération n’a repris qu’en février 2010, lorsqu’un gouvernement d’union nationale a été mis en place pour mettre en œuvre un processus de transition démocratique.

La phase de stabilisation politique ouverte en 2010 n’a pas été sans heurts. Elle a été marquée par des violences lors du processus électoral qui ont nécessité la proclamation de l’état d’urgence, et ce n’est qu’en 2013 qu’ont pu se tenir les élections législatives, après un accord politique conclu le 3 juillet 2013 dans le cadre du dialogue politique inter-guinéen.

La réélection du président Alpha Condé en novembre 2015 peut être vue comme marquant la consolidation de la situation politique. En effet, comme l’indique le ministère des Affaires étrangères, « le scrutin a été marqué par de nombreuses difficultés techniques, mais les différentes missions d’observation (dont celle de l’Union européenne) ont estimé qu’elles ne remettaient pas en cause la sincérité du scrutin ».

Les auditions conduites par le rapporteur ont été l’occasion d’un tour d’horizon des risques et des menaces pesant sur la Guinée, susceptibles de déséquilibrer le pays dans la voie de la stabilisation. Si l’objet du présent avis n’est pas d’entrer dans le détail de la situation économique et sociale du pays, le rapporteur retient néanmoins que les principales menaces identifiées sont pour certaines d’ordre sécuritaire, mais pour d’autres d’ordres différents, notamment sanitaire, avec l’épidémie liée au virus Ebola.

De l’avis du conseiller pour l’Afrique du chef d’état-major des armées, le colonel Philippe Susnjara, la crise résultant de l’épidémie de virus Ebola qui a sévi en Guinée de 2014 à 2016 aurait pu compromettre gravement le processus de stabilisation politique.

En effet, compte tenu des fragilités du système de santé guinéen, ses répercussions auraient pu être difficilement contrôlables. Le général Aboubacar Biro Condé, attaché de défense de l’ambassade de Guinée en France, a d’ailleurs souligné devant le rapporteur l’importance qu’il y a pour l’administration guinéenne à maîtriser l’information et la communication autour d’une telle épidémie, indiquant que cette maîtrise n’avait pas été complète au début de cette crise sanitaire.

Par une sorte de cercle vicieux, l’épidémie a également désorganisé les dispositifs de coopération qui avaient été mis en place pour soutenir la Guinée dans cette période de stabilisation. Ainsi, la coopération militaire française a dû être partiellement suspendue de septembre 2014 à février 2016. En effet, comme l’a expliqué au rapporteur le colonel Susnjara, si la coopération dite « structurelle » (cf. infra) est assurée par des coopérants résident en Guinée, les missions de coopération dite « opérationnelle » sont effectuées par les Éléments français au Sénégal. Or ceux-ci étaient ne pouvaient pas s’affranchir des mesures sanitaires de précaution prises pour endiguer l’épidémie ; du fait de ces dernières, pour assurer une session de six jours de formation à Conakry, il leur aurait fallu rester confinés dans une sorte de quarantaine pendant un mois.

Comme le montre la carte ci-après, la Guinée possède à la fois une façade maritime et de longues frontières terrestre, notamment avec le Mali. Le pays se trouve ainsi à la croisée des deux menaces principales qui affectent la sécurité de l’Afrique de l’ouest : la menace terroriste, et l’insécurité dans le golfe de Guinée.

Le territoire de la République de Guinée

Source : ministère des Affaires étrangères.

Des menaces pesant sur les approches maritimes du territoire

Si la piraterie dans le golfe de Guinée se concentre surtout aux abords du Nigeria, il n’en demeure pas moins que l’on y constate des cas de « petite piraterie », selon les termes de l’attaché de défense guinéen en France, et une pratique importante de la pêche illégale, qui déséquilibre la gestion des ressources halieutiques et prive l’État de certaines ressources. Le colonel Susnjara a lui aussi fait valoir que la problématique du golfe de Guinée ne doit pas être vue comme se limitant à la piraterie, mais prendre en compte « l’insécurité maritime en général » : brigandage et piraterie mais aussi pollution, pêche illicite, trafics, etc. Aussi la Guinée s’attache-t-elle à améliorer la surveillance de ses approches maritimes.

Le général Aboubacar Biro Condé a ainsi expliqué au rapporteur que la Guinée consent un important effort de remise en état de ses patrouilleurs ‒ dont l’entretien avait été gravement négligé pendant la période des troubles ‒ et de déploiement de sémaphores, qui selon lui « fonctionnent très bien ». De même, l’armée de l’air guinéenne a été équipée d’appareils légers pour la surveillance des côtes, avec l’appui de la France.

La Guinée s’est aussi dotée d’un régime d’action de l’État en mer (AEM) inspiré du modèle français en la matière. Selon le général, cette action est concluante : « il y a de moins en moins de fraude et de bandits en haute mer ».

Des menaces terroristes

Si la Guinée n’a pas connu de vague d’attentats, il n’en reste pas moins qu’aux yeux de son attaché de défense à Paris, « la menace terroriste est la première menace ». Selon lui, l’opération Serval au Mali puis l’épidémie liée au virus Ebola ont « ralenti la poussée djihadiste vers la Guinée », mais la proximité de foyers terroristes appelle une grande vigilance ; « sans Serval, les djihadistes entraient dans Bamako et étaient en Guinée en moins d’une heure ». En effet, la pauvreté et le faible niveau d’instruction offrent à ses yeux un terreau aux extrémistes, et ce, d’autant plus que les frontières de la Guinée au nord et à l’est sont ainsi tracées que les mêmes ethnies (par exemple les Peulh) se retrouvent de part et d’autre de la frontière guinéo-malienne. Il ressort aussi des entretiens du rapporteur que l’on constate en Guinée quelques évolutions des comportements qui méritent d’être suivis avec attention : port du turban islamique, développement des écoles coraniques, etc.

Plus largement, selon le général Aboubacar Biro Condé, la Guinée est « entourée de foyers de tensions, pas forcément bruyants, mais sous-jacents », tels que la Casamance, la Sierra Leone et le Liberia, la Guinée-Bissau, voire la Côte d’Ivoire. Il a rappelé que dans les années 1990, le territoire guinéen avait fait l’objet de tentatives d’incursions venant du Liberia et de Guinée-Bissau, arrêtées par les bataillons de l’ONU en Sierra Leone et ceux de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).

C’est pourquoi, selon lui, « la Guinée ne s’estime pas à l’abri », et doit disposer d’une force armée suffisamment dissuasive.

La France est le premier partenaire de la Guinée. Sa solidarité avec les Guinéens s’est illustrée récemment encore lors de la crise liée à l’épidémie de virus Ebola. Aussi, son appui est-il particulièrement important dans la réforme du secteur de la sécurité, élément-clé de la stabilisation du pays et de ses institutions.

● Le général Aboubacar Biro Condé a souligné devant le rapporteur que la France est le premier partenaire de la Guinée pour les activités de coopération, et ce en tous domaines ‒ pas seulement en matière de défense. Il a rappelé que si la France avait suspendu bon nombre de ses programmes de coopération ‒ notamment militaire ‒ en raison des troubles de 2009, elle n’a pas suspendu ceux de ses programmes de coopération qui bénéficiaient directement à la population. Il a précisé que cette position française était très appréciée.

● De plus, la France a fait la preuve de sa solidarité avec la Guinée lors de la gestion de la crise liée à l’épidémie de virus Ebola, pour laquelle service de santé des armées français a été engagé en première ligne. L’attaché de défense guinéen en France a ainsi souligné que la coopération militaire française avait été décisive dans la maîtrise de l’épidémie, et ce à deux égards :

‒ c’est notre service de santé des armées qui a fourni les 120 personnels et les matériels nécessaires à la mise en place d’un centre de traitement des soignants (CTS) installé sur la base aérienne de Gbessia-Conakry, ainsi qu’à l’organisation et à l’appui de centres de formation des soignants (CFS) ;

‒ pour le général Aboubacar Biro Condé, la qualité et l’intensité de la coopération franco-guinéenne conduite par notre service de santé des armées ont également constitué des éléments décisifs dans la décision de l’Institut Pasteur d’ouvrir d’ici 2018 un Institut Pasteur de Guinée spécialisé dans la lutte et la protection contre les épidémies ; selon lui, « c’est une structure civile, mais elle n’aurait pas pu être créée sans l’aide militaire française ».

Pour ces raisons, le général a conclu que lors de l’épidémie de virus Ebola, « sans la France, on ne s’en serait pas sortis ».

La réforme du secteur de la sécurité apparaît comme un enjeu particulièrement structurant dans la stabilisation du pays, la consolidation de ses institutions et sa modernisation. Dans cette entreprise, l’action de la France en matière de coopération doit répondre avant tout aux besoins exprimés par ses partenaires africains. Tel est, pour la Guinée, l’objet du présent accord.

● Les interlocuteurs du rapporteur ont tous insisté sur la spécificité des secteurs de la défense et de la sécurité dans la coopération : non seulement les actions entreprises en la matière concernent un secteur régalien, représentant une part importante de l’action publique, mais surtout elles peuvent être vues comme conditionnant les autres réformes. Sans armées et forces de sécurité loyales, pas d’institutions solides ; sans sécurité, pas de développement possible.

Le conseiller du chef d’état-major des armées pour l’Afrique a ainsi fait valoir au rapporteur que la réforme du secteur de la sécurité était d’autant plus cruciale en aval des crises dans des pays africains, que tant que les institutions n’ont pas atteint un haut degré de maturité démocratique bien ancré dans le temps, il importe particulièrement d’éviter la constitution de « gardes prétoriennes », voire les tentations de « pronunciamientos ». De surcroît, à ses yeux, il importe aussi que les armées soient composées de façon aussi représentative que possible de la population, avec des systèmes de promotion adaptés, plutôt que d’être vues comme étant exclusivement l’armée de tel ou tel groupe, notamment ethnique.

● La Guinée s’est engagée dès 2010 dans un processus de réforme du secteur de la sécurité, avec l’appui de coopérants français. Selon les explications du général Aboubacar Biro Condé, ce processus concerne l’ensemble des forces de sécurité : les formes armées, mais aussi la police, la gendarmerie, la douane, les gardes pénitentiaires et les gardes forestiers.

Concernant les armées, une loi de programmation militaire a été élaborée et adoptée par l’Assemblée nationale de Guinée. Selon les explications du colonel Philippe Susnjara, les coopérants français ont appuyé nos partenaires guinéens dans ce processus, qui a conduit à la définition de trois ambitions majeures pour les armées :

‒ assurer la sécurité du territoire national, ce qui constitue la mission régalienne classique des forces armées ;

‒ participer aux opérations de maintien de la paix, ce dans quoi beaucoup de pays d’Afrique tendent à s’engager. Cette ambition s’est traduite par l’envoi d’un bataillon de 850 militaires guinéens au Mali sous la bannière de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), où les casques bleus guinéens servent dans une région particulièrement exposée (celle de Kidal), et ont déjà eu à déplorer neuf morts ;

‒ contribuer au développement socio-économique du pays. Cette mission repose sur deux dispositifs : les unités de génie et une structure inspirée du service militaire adapté français. Elle prend tout son sens dans un pays comme la Guinée, qui est particulièrement riche de ressources minières et forestières aujourd’hui sous-exploitées, faute d’infrastructures dans la partie sud-ouest du pays, dite la « Guinée forestière ».

D’après le conseiller du chef d’état-major des armées pour l’Afrique, cette loi de programmation militaire comporte un important volet relatif aux ressources humaines. Les armées guinéennes comptent aujourd’hui environ 20 000 hommes, relevant majoritairement de l’armée de terre. L’objectif des autorités guinéennes consiste à réduire cet effectif à 15 000 personnels d’ici 2020 ‒ et à 17 000 dès 2017 ‒ tout en améliorant le potentiel opérationnel des forces. Cette manœuvre des ressources humaines vise ainsi à renouveler certains personnels ; en effet, il apparaît que nombre de nominations opérées avant 2008 n’étaient pas liées de façon évidente à un besoin opérationnel ou aux compétences des intéressés, mais davantage à des pratiques clientélistes. 4 000 admissions à la retraite ont été prononcées parmi les militaires depuis 2010, mais selon le colonel Philippe Susnjara, les pyramides des âges et des grades des armées guinéennes restent déséquilibrées par rapport à leurs besoins.

La mise en œuvre de cette stratégie de défense s’est toutefois heurtée à des difficultés de financement résultant de la baisse récente des prix des matières premières, qui ont un impact sérieux sur les recettes de l’État.

La conclusion du présent accord de coopération en matière de défense s’inscrit dans un mouvement plus large de renégociation de nos accords de défense avec nos partenaires africains. Ce mouvement vise avant tout à adapter notre offre de coopération aux besoins actuels des États d’Afrique, qui en sont plus les mêmes que lorsque la « première génération » d’accords de défense a été conclue, dans la foulée des indépendances. Ainsi, cet accord participe d’une politique de rénovation de notre dispositif de coopération militaire.

Comme les autres accords de ce type, dont il diffère d’ailleurs peu, le présent accord offre un cadre souple à l’appui que la France désire offrir à ses partenaires africains dans leur effort pour adapter leurs systèmes de défense aux défis de notre époque.

La « nouvelle génération » d’accords de coopération en matière de défense repose sur des principes communs : une logique plus partenariale qu’avant et la prise en compte de la dimension collective de la défense de l’Afrique par les Africains eux-mêmes, avec l’appui de leurs alliés. Il s’agit, comme le disent nos collègues Gwendal Rouillard et Yves Fromion dans un récent rapport d’information sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et sur le suivi des opérations en cours (1), de faire en sorte que notre dispositif de coopération militaire soit « désormais configuré dans une logique de partenariat plutôt que de substitution ».

C’est le Livre blanc de 2008 sur la défense et la sécurité nationale qui a donné le « coup d’envoi » d’un vaste processus de renégociation de nos accords de coopération militaire avec les États d’Afrique que nous soutenons. Ainsi, depuis 2008, huit accords de défense « de nouvelle génération » ont été conclus, avec le Togo, le Cameroun, le Gabon, la République centrafricaine, les Comores, Djibouti, la Côte d’Ivoire et le Sénégal.

Plusieurs traits caractérisent cette « nouvelle génération » d’accords de coopération en matière de défense :

‒ concernant la forme, les accords « de nouvelle génération » sont rédigés systématiquement de manière réciproque ;

‒ concernant le contexte, ces accords sont conclus au terme d’une tendance longue à la réduction de notre « empreinte » militaire permanente en Afrique : alors que la France entretenait encore plus de 30 000 hommes sur le sol africain au lendemain des indépendances, nos effectifs permanents sur le continent africain sont dix fois moindres (hors opérations extérieures et forces de souveraineté dans les outre-mer français) ;

‒ concernant le fond, leur objet s’est en quelque sorte déplacé. En effet, contrairement à un certain nombre d’accords « d’ancienne génération » conclus peu après l’accession de nos partenaires africains à l’indépendance, les nouveaux accords ne comportent plus de clause (secrète ou publique) d’assistance militaire automatique en cas de déstabilisation intérieure ou extérieure du régime en place.

Dans leur rapport précité, nos collègues Yves Fromion et Gwendal Rouillard montre comment la France n’a plus ni les moyens ‒ « la France n’a plus les moyens d’entretenir l’“armée d’Afrique” » ‒ ni la volonté ou la vocation d’être « le gendarme du continent ».

Ce rapport fait également de façon détaillée un double constat : d’une part, nos partenaires africains entendent progresser dans le sens d’une plus grande appropriation de leur sécurité par leurs propres forces ; d’autre part, ils se sont engagés dans une démarche visant à le faire collectivement ‒ à l’échelle des « sous-régions » (2) ou à celle de l’Union africaine, voire dans le cadre de l’ONU.

La dimension panafricaine de la sécurité : l’architecture africaine de paix et de sécurité

Le Livre blanc de 2013 sur la défense et la sécurité nationale constate expressément qu’« en Afrique, l’Union africaine et les organisations sous-régionales sont ainsi devenues des acteurs de la sécurité du continent qui apportent une contribution importante à la paix et à la sécurité internationales ». Il précise que « la France tire toutes les conséquences de cette évolution et les opérations auxquelles elle participera seront, autant que possible, menées dans des cadres multilatéraux » et qu’elle « veillera à ce que ces opérations fassent l’objet, sous l’égide de l’ONU, d’un large accord sur leurs objectifs politiques et qu’elles relèvent d’une action convergente et coordonnée, associant les organisations multilatérales appropriées, en particulier les organisations régionales ou sous-régionales concernées ».

L’organisation mise en place par l’Union africaine pour donner corps à cette volonté d’appropriation collective de leur sécurité par les Africains est appelée « architecture africaine de paix et de sécurité ». L’encadré ci-après en présente les modalités.

L’architecture africaine de paix et de sécurité

Dans le cadre de l’architecture africaine de paix et de sécurité (AAPSA), l’Union africaine mène des travaux sur la Force africaine en attente (FAA). Selon la plupart des observateurs, si les cinq brigades en attente prévues par les accords ne sont pas encore opérationnelles, celle de l’Afrique de l’Est et de l’Afrique du Sud sont en avance sur celles de la CEDEAO et de la CEEAC ; elles auraient d’ailleurs déjà effectué des exercices en relation avec les forces françaises stationnées à Djibouti et à la Réunion. Lors du sommet de l’Élysée de décembre 2013, la France s’est notamment engagée à soutenir les efforts de l’Union africaine pour parvenir à une pleine capacité opérationnelle de la Force africaine en attente et de sa Capacité de déploiement rapide à l’horizon 2015. Dans cette perspective, il a notamment été décidé que le dispositif français (forces pré-positionnées et système de coopération) soit réorienté en appui aux initiatives africaines en cours sur le continent. Dans ce cadre, la France mettra notamment l’accent sur la formation des cadres militaires et renforcera ses actions de coopération en matière de renseignement et d’équipements.

Constatant ses difficultés à réunir des forces à projeter au Mali et les délais nécessaires à la mise en œuvre d’un dispositif aussi « lourd » que la FAA, l’Union africaine a décidé, en avril 2013, la création d’une sorte de « dispositif intermédiaire » dans l’attente de la pleine opérationnalité de la FAA : la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC). Selon les explications fournies aux rapporteurs, il s’agit d’un groupement tactique de 1 500 hommes déployable en dix jours, armé par un « groupe pionnier » de 13 États (francophones pour la moitié d’entre eux) disposant de capacités militaires plus solides que la moyenne des pays africains.

Dans le même temps, lors de son 21e sommet en mai 2013, l’Union africaine a adopté le principe de l’instauration, d’ici 2015, d’une taxe de 10 dollars sur les billets d’avion et de deux dollars sur les séjours hôteliers, pour un rendement attendu de 763 millions de dollars par an, destinée à financer les opérations menées sous sa bannière dans le cadre de l’architecture africaine de paix et de sécurité. La direction générale des affaires politiques et de sécurité du Quai d’Orsay note toutefois que le sommet de l’Élysée, tenu en décembre 2013, a montré que s’agissant de la mise en œuvre et du financement de ces initiatives, « on en est très loin ».

Lors des crises malienne et centrafricaine, les organisations sous-régionales se sont mobilisées – certes, pas de façon parfaite en République centrafricaine, mais selon le directeur chargé de la Délégation aux affaires stratégiques, il y a encore cinq ans, la CEEAC n’aurait pas été en mesure à créer la MISCA dans des délais aussi courts.

Source : rapport d’information n° 2114 fait par nos collègues Gwendal Rouillard et Yves Fromion sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et sur le suivi des opérations en cours, juillet 2014.

Il est à noter que la Guinée a participé de ce mouvement : membre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), elle a contribué à hauteur d’une compagnie (144 hommes) à la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA) mise sur pied par la CEDEAO en 2013, en complément de l’opération française Serval.

La contribution aux opérations de maintien de la paix

Lorsque ce n’est pas sous la bannière de l’Union africaine et de ses sous-régions, c’est fréquemment sous celle de l’ONU que les États africains tendent à s’engager de plus en plus régulièrement pour la sécurité de l’Afrique.

Comme le soulignent nos collègues Yves Fromion et Gwendal Rouillard dans leur rapport précité, ils y trouvent un double intérêt :

– ces opérations « servent les intérêts de leurs forces armées », car elles « contribuent à leur aguerrissement » et ouvrent droit à des financements internationaux « dont les montants sont très attractifs pour des armées disposant de faibles ressources (en valeur absolue) » ;

– face à des menaces régionales, les responsables politiques et militaires « conçoivent ces engagements comme des opérations de « défense de l’avant » pour le bénéfice de leur propre sécurité ».

Nos collègues soulignaient l’importance de cet engagement, en faisant valoir que ces efforts conduisent certains États africains à des taux de projection de leurs forces très importants ; ils citaient en exemple le cas des forces armées gabonaises, dont le taux de projection extérieure atteignait 6 % des effectifs, contre 3,6 % pour les armées françaises.

Ce constat se vérifie pour la Guinée. En effet, celle-ci, en dépit des effectifs relativement réduit de ses forces armées et du contexte de profonde réforme où elles se trouvent, a tenu à projeter 850 hommes au Mali, dans le cadre de la MINUSMA. Or, comme l’a fait valoir au rapporteur le conseiller du chef d’état-major des armées pour l’Afrique, les participations de la Guinée aux opérations de maintien de la paix étaient jusqu’alors très limitées, et la Guinée privilégiait souvent l’envoi de policiers ou de gendarmes. Aussi, « 850 personnels au Mali, c’est un effort très important », même si les relèves sont plus espacées que pour les armées françaises (un an contre quatre mois).

De plus, alors que les soldats guinéens participant à la MISMA étaient intégrés au contingent sénégalais, ils sont cette fois déployés en bataillon autonome. Surtout, les Guinéens se sont vu attribuer une zone de déploiement particulièrement difficile, autour de Kidal, foyer de nombre de mouvements sécessionnistes touaregs, et ont subi une attaque qui a tué neuf d’entre eux. Aux yeux de l’attaché de défense guinéen en France, « c’était là un grand projet, qui marque une profonde évolution pour les forces armées guinéennes ». Pour le rapporteur, cela témoigne d’un véritable effort, d’une volonté politique qui a su se traduire en actes.

Comme l’a fait valoir au rapporteur le général Aboubacar Biro Condé, dans la coopération, « souvent, la partie africaine s’est adaptée aux formations proposées, qui ne répondaient pas toujours à ses besoins ». L’enjeu de la refondation de notre dispositif de coopération entamée en 2008 tient précisément à adapter notre offre de coopération aux véritables besoins des forces armées africaines.

Les auditions conduites par le rapporteur ont visé à mieux comprendre les besoins réels des partenaires africains de la France en matière de coopération de défense. Le colonel Philippe Susnjara a ainsi expliqué que le sommet franco-africain de l’Élysée de décembre 2013 avait permis d’identifier trois priorités dans les besoins exprimés par les États africains :

‒ les structures de commandement ;

‒ la logistique et le maintien en condition opérationnelle, d’autant plus complexe chez nos partenaires africains que la géographie et le climat ont pour effet d’user prématurément les matériels, et que leurs parcs d’équipements ont longtemps été composés de dons d’origine diverse (provenant notamment du bloc soviétique), et donc disparates ;

‒ le renseignement.

De plus, les retours d’expérience des déploiements par nos partenaires africains de bataillons au Mali, dans le cadre de la MINUSMA, a permis d’identifier deux besoins immédiats supplémentaires :

‒ la lutte contre les engins explosifs improvisés (Improvised Explosive Devices, IED) fréquemment utilisés par les djihadistes ;

‒ le secourisme au combat, qui vise à ce que chaque soldat déployé maîtrise des compétences de base lui permettant de secourir sur le champ un autre militaire blessé.

Aussi les programmes de coopération programmés pour 2016 mettent-ils l’accent sur l’entraînement des états-majors de bataillon et de compagnie, et sur des formations thématiques consacrées aux besoins opérationnels d’aujourd’hui : secourisme au combat, collecte et exploitation du renseignement et lutte contre les engins explosifs improvisés. Selon le conseiller du chef d’état-major des armées pour l’Afrique, en matière de secourisme au combat, beaucoup reste à faire, mais d’ores et déjà, tous les hommes engagés dans les bataillons de la MINUSMA reçoivent une formation courte (d’une ou deux semaines) préalable à leur déploiement en opération extérieure.

L’attaché de défense guinéen en France a confirmé au rapporteur que ces axes correspondaient bien aux besoins de son pays. Il a ajouté que la Guinée avait également besoin du soutien de coopérants dans trois domaines supplémentaires qui entrent dans le champ de la réforme du secteur de la sécurité :

‒ la mise en place d’une unité d’élite inspirée du groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). Selon le général, la gendarmerie nationale française a contribué à la formation de quelques officiers de gendarmerie guinéens, mais pour remettre à jour leur formation et la compléter, de sorte que les « formés » puissent eux-mêmes devenir les formateurs de leurs compatriotes, il faudrait que soit menée à son terme la négociation d’un programme de coopération entre nos deux gendarmeries, qui est encore en cours ;

‒ le développement de compétences de haut niveau en matière d’analyse scientifique et balistique, nécessaires dans la lutte contre le terrorisme envisagée dans un large spectre de compétences allant du renseignement aux capacités d’intervention spécialisées ;

‒ la mise sur pied d’une unité moderne de sapeurs-pompiers. La Guinée dispose d’éléments dits de « protection civile » composés de semi-professionnels auxquels le processus de réforme du secteur de la sécurité a conféré un statut, mais qui manquent encore de moyens. Selon le général Aboubacar Biro Condé, ces personnels se forment aujourd’hui « sur le tas », et si la France dispose d’unités militaires de pompiers dont l’excellence est reconnue dans le monde entier, l’offre française de coopération est depuis longtemps moins ambitieuse que d’autres, comme l’offre canadienne par exemple.

L’offre française de coopération en matière de défense comprend des programmes de formation relevant de deux types principaux :

– la coopération dite « structurelle », pilotée, à Paris, par la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère des Affaires étrangères et, sur le terrain, par le réseau des attachés de défense, qui supervisent le réseau des coopérants militaires. Onze militaires français sont mis à disposition de la Guinée à ce titre ;

– la coopération dite « opérationnelle », qui, pour sa dimension militaire, est pilotée au ministère de la Défense par l’état-major des armées et, sur le terrain, par les commandants des forces prépositionnées ou, le cas échéant, engagées en opérations extérieures.

L’encadré ci-après précise la portée de cette distinction.

Coopération structurelle et coopération opérationnelle

Comme le montre le schéma ci-après, la coopération militaire prend deux formes :

– partout, des coopérants militaires français sont placés auprès des responsables locaux. Il ressort des discussions que ce dispositif est très apprécié des États hôtes, et constitue pour la France un moyen efficace et relativement peu coûteux d’influence et de connaissance des théâtres africains ;

– là où des forces françaises sont déployées, elles font bénéficier les forces armées locales de leur action. Tel est le cas, par exemple, du détachement de renseignement au Niger : des officiers nigériens sont intégrés aux équipes qui exploitent les renseignements produits par les drones. Tel est aussi le cas, plus largement, pour l’ensemble des forces prépositionnées ou en opération extérieure, qui participent à des exercices conjoints avec les forces locales, le cas échéant dans un cadre multinational plus large comme avec l’exercice Flintlock 2014 au Niger.

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Source : rapport d’information précité n° 2114.

Dans le même temps, la direction de la coopération de sécurité et de défense a œuvré à adapter mieux son offre de coopération à destination des pays africains. Comme le relèvent nos collègues Gwendal Rouillard et Yves Fromion, « particulièrement en Afrique, la DCSD essaie « d’avoir une vision globale, développant des liens entre sécurité, gouvernance et développement » ». Elle suit ainsi une triple logique de :

‒ sollicitation : comme le dit le rapport précité, « il faut que le pays soit demandeur, faute de quoi, l’action de la France perdra en efficacité du fait d’effets d’aubaine » ;

‒ appropriation des compétences par la partie africaine, afin d’éviter le piège de la « coopération de substitution » ;

‒ contractualisation des modalités de la coopération avec les états-majors et administrations bénéficiaires, dans une logique de bonne gestion.

S’agissant de la contractualisation des actions, elle a l’avantage de contribuer à permettre de programmer les opérations de coopération. Concernant les programmes de coopération aussi bien structurelle qu’opérationnelle, le colonel Philippe Susnjara a indiqué au rapporteur qu’une programmation annuelle était établie pour chaque pays. Il a précisé que cette programmation n’était pas rigide : en effet, pour toutes sortes de raisons, près d’un tiers des activités programmées n’ont pas lieu, et un tiers des activités qui ont lieu n’étaient pas programmées en début d’exercice annuel.

Globalement, l’action des coopérants militaires français est très favorablement jugée, tant du point de vue des intérêts français qu’africains, comme l’explique l’encadré ci-après. Pour le cas de la Guinée, ce constat a été tout à fait confirmé au rapporteur aussi bien par le conseiller du chef d’état-major des armées pour l’Afrique que par l’attaché de défense de Guinée en France.

L’action des coopérants militaires français en Afrique

À chacun de leurs déplacements, les rapporteurs se sont attachés à entendre les coopérants militaires français en poste dans les pays concernés. Il en ressort que ce dispositif présente un indéniable caractère « gagnant-gagnant », tant pour la France que pour les pays hôtes.

En effet, il permet à la France :

– d’apporter aux États concernés un appui d’autant plus efficace que les coopérants sont insérés directement dans les cabinets, états-majors et services où ils sont affectés, sous l’uniforme du pays hôte ;

– de conserver ainsi des leviers d’influence à un coût très modéré ;

– de bénéficier d’un accès privilégié à la connaissance des pays concernés, tant pour ce qui concerne leurs dirigeants civils et militaires que pour ce qui est des caractéristiques de ces théâtres, et de « capitaliser » ainsi une connaissance de l’Afrique dont les rapporteurs souligneront plus loin l’importance.

Pour les pays hôtes, le fait de pouvoir bénéficier de l’expertise française constitue un indéniable bénéfice, et ce à deux égards :

– non seulement pour mener à bien les réformes qu’ils entreprennent dans leurs forces armées ;

– mais aussi pour progresser dans l’adoption de pratiques et d’habitudes communes, ce qui contribuera à améliorer la coordination et l’interopérabilité de leurs forces respectives au sein des forces multinationales auxquelles elles sont de plus en plus souvent appelées à contribuer.

Source : rapport d’information précité n° 2114.

L’accord soumis à ratification a été signé le 13 janvier 2014. Sa négociation avait été lancée à l’occasion de la visite en France du président Alpha Condé en 2012. Ce texte abroge et remplace l’accord de coopération militaire technique du 17 avril 1985, qui n’était jamais entré formellement en vigueur faute de ratification par la partie guinéenne. Selon les précisions fournies au rapporteur par le conseiller du chef d’état-major pour l’Afrique, l’absence de ratification de l’accord franco-guinéen de 1985 n’est pas un cas unique dans l’ensemble des accords de défense de « première génération », et dans le cas de l’espèce, elle n’a pas empêché la mise en œuvre d’actions de coopération.

L’accord comporte 22 articles, traitant des objectifs et des principes de la coopération, le statut des personnels engagés dans des activités de coopération, ainsi que le régime des matériels utiles à ces activités.

Les articles 1er à 3 définissent les termes employés, l’objectif général de l’accord ainsi que les autorités chargées de sa mise en œuvre ‒ à savoir nos ministres de la Défense et des Affaires étrangères respectifs.

Les domaines de coopération sont définis à l’article 4 qui, de façon tout à fait classique, cite à titre non limitatif :

‒ la politique de défense et de sécurité ;

‒ l’organisation et le fonctionnement des forces armées ;

‒ les opérations de maintien de la paix et humanitaires, conformément à l’orientation générale de la politique de sécurité sur le continent africain présentée plus haut ;

‒ les scolarités militaires.

Le même article présente les formes que pourra prendre la coopération, là encore de façon non limitative :

‒ échanges d’expériences et visites ;

‒ activités de formation, d’entraînement des forces et de soutien logistique ainsi que les exercices conjoints, que se mettent en œuvre aujourd’hui les détachements d’instruction opérationnelle (DIO) et détachements d’instruction technique (DIT), ainsi que les forces présentes en Afrique ;

‒ l’organisation et le conseil aux forces mettant en œuvre des actions de formation, de soutien technique, ce qui passe notamment par la mise à disposition de coopérants militaires techniques français, « dans le cadre de la restructuration de l’outil de défense et de sécurité de la République de Guinée » ;

‒ envois ou échanges d’officiers experts techniques ;

‒ des consultations, conférences, séminaires et autres rencontres sur des thèmes d’intérêt commun ;

‒ la participation d’observateurs à des exercices militaires et des manœuvres ;

‒ l’organisation de transits, de stationnements temporaires et d’escales aériennes et maritimes ;

‒ le soutien français au développement des capacités guinéennes ;

‒ la formation des personnels guinéens, suivant deux modalités : l’accueil dans les écoles militaires françaises, ou des stages au sein des écoles « soutenues par la France », ce qui renvoie aux écoles nationales à vocation régionale (ENVR) dont l’encadré ci-après présente les principes de fonctionnement ;

Les écoles nationales à vocation régionale (ENVR)

Ces écoles appartiennent à leurs pays hôtes, et sont soutenues par la France par deux biais :

– des contributions financières, qui alimentent le budget des écoles au même titre que d’autres contributions d’États africains, de partenaires étrangers ou d’organisations internationales ;

– la mise à disposition de quelques coopérants, placés à des postes-clés comme celui de directeur des études.

Les rapporteurs sont très convaincus de l’utilité et de l’efficience de l’outil que constitue ce réseau d’écoles nationales à vocation régionale, et ce pour plusieurs raisons :

– en accueillant des stagiaires de différents pays africains, il contribue à forger une culture commune parmi les cadres africains repérés comme prometteurs (ils sont recrutés aux ENVR sur concours, dans le cadre de quotas nationaux) ;

– cette formule permet à la France de conserver un levier d’influence appréciable et à moindre coût, à l’heure où elle n’a plus les moyens de former en masse les officiers africains dans ses propres écoles. D’ailleurs, avec 2 400 stagiaires par an, le réseau des ENVR permet de diffuser les doctrines et les savoir-faire beaucoup plus largement que la politique d’accueil d’officiers africains dans nos écoles ne le permettait, même au temps où les ressources disponibles étaient moins comptées qu’aujourd’hui ;

– en développant des stages d’étude en français, mais aussi dans d’autres langues (l’anglais et le portugais principalement), ce réseau d’école offre la possibilité à la France de rayonner au-delà des pays avec lesquels elle partage les liens historiques les plus étroits.

Les rapporteurs ont pu apprécier la qualité de l’enseignement dispensé au sein de ces écoles. Notamment, ils ont suivi les stagiaires d’une ENVR, l’École d’état-major de Libreville, qui ont effectué un déplacement à Saumur pour mettre en pratique leurs compétences sur le système de simulation de champ de bataille Janus – et ce, avec succès, selon le colonel Alexandre Maresca, directeur des études de l’école. L’expérience de l’École d’état-major de Libreville montre d’ailleurs la richesse de l’échange entre les écoles françaises et les ENVR. Ce sont en effet nos partenaires africains qui ont apporté à l’école de Saumur des scénarios tactiques correspondant à des zones d’engagement possibles en Afrique – comme la région des grands lacs –, alors que les Français utilisent encore, dans le cadre de Janus, des scénarios tactiques métropolitains, terrain sur lequel il est aussi probable que souhaitable qu’ils aient moins à intervenir dans un futur proche.

Source : rapport d’information précité n° 2114.

L’article 5 précise que les coopérants envoyés par une partie ne peuvent pas participer aux opérations de guerre ou de maintien de l’ordre conduites par les armées de la partie hôte.

Les articles 6 à 14 établissent de façon détaillée le statut juridique applicable aux coopérants.

Ils définissent ainsi :

‒ aux articles 6 et 8, diverses facilités d’entrée et de séjour des coopérants sur le territoire de la partie qui l’accueille et de reconnaissance des permis de conduire ;

‒ à l’article 7, les règles de port de l’uniforme, suivant lesquels les coopérants engagés pour plus de six mois revêtent l’uniforme de la partie d’accueil, ainsi que les règles de port d’arme, qui est autorisé pour les besoins du service ;

‒ à l’article 9, le régime disciplinaire applicable : il en ressort que la discipline sera par principe exercée par la partie d’envoi du coopérant ;

‒ aux articles 10 et 11, les conditions de prise en charge sanitaire des coopérants et les conditions applicables pour le cas où ils décéderaient ;

‒ à l’article 12, un régime fiscal caractérisé par l’imposition des coopérants dans la partie d’envoi, et non dans la partie d’accueil ;

‒ à l’article 13, un régime de répartition des pouvoirs juridictionnels. Ce régime établit la compétence des juridictions de la partie d’accueil, sauf pour les infractions commises dans le cadre du service ou en cas de dommage affectant exclusivement la partie d’envoi. Cet article établit également des garanties juridictionnelles en faveur des personnels de la partie d’envoi qui seraient poursuivis dans la partie d’accueil : examen bienveillant des demandes de détention et de purgation des peines auprès de la partie d’envoi, droit d’assistance consulaire, non-réquisition et non-prononciation de la peine de mort ;

‒ à l’article 14, un régime de règlement des dommages.

L’article 15 indique que les parties entendent conclure un accord distinct relatif à l’échange d’informations classifiées. De telles informations sont nécessaires particulièrement pour la coopération opérationnelle en matière de renseignement.

Les articles 16 à 21 règlent différentes questions matérielles, en vue de faciliter la mise en œuvre concrète des actions de coopération :

‒ l’article 16 prévoit des facilités de circulation aérienne ;

‒ l’article 17 prévoit la mise à disposition de diverses infrastructures et facilités logistiques ;

‒ l’article 18 établit un régime d’exemption de droits de douane pour les matériels importés et réexportés à des fins de coopération. Cette clause habituelle dans ce type d’accord revêt une importance pratique majeure. En effet, selon les informations fournies au rapporteur, les Américains avaient promis de livrer à la Guinée 32 blindés adaptés à leur déploiement au Mali, mais la moitié d’entre eux sont restés bloqués au Mozambique pour des questions d’admission en douane ; ils en sont donc venus à acquérir des matériels français, livrables directement à Conakry sans difficultés administratives ;

‒ l’article 19 prévoit des facilités d’entreposage de matériels ;

‒ l’article 20 fixe les conditions d’utilisation par les forces de la partie d’envoi des réseaux de communication de la partie d’accueil. Cette disposition est indispensable, par exemple, pour que les forces françaises utilisent leurs équipements de transmissions sur le sol guinéen ;

‒ l’article 21 prévoit que tout différend sera réglé par voie de consultation, sans que soit institué un comité de suivi de l’accord ou un organisme ad hoc de règlement des litiges.

Enfin, l’article 22 fixe les conditions d’entrée en vigueur de l’accord. Celui-ci sera applicable dès sa ratification ‒ c’est chose faite pour la partie guinéenne ‒ et valable pour une durée de cinq ans, renouvelable par tacite reconduction.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission examine pour avis, sur le rapport de M. Guy Chambefort, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces (n° 2607), au cours de sa réunion du mardi 14 juin 2016.

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Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission émet, à l’unanimité, un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

ANNEXE

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS

ØM. le général Aboubacar Biro Condé, attaché de défense de l’ambassade de Guinée en France ;

ØM. le colonel Philippe Susnjara, conseiller pour l’Afrique du chef d’état-major des armées.

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