N° 3951 - Rapport de M. Gilles Savary sur la proposition de résolution européenne de M. Gilles Savary, rapporteur de la commission des affaires européennes sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs (COM(2016) 128 final) (n°3885).



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N° 3951

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 juillet 2016.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs (COM[2016] 128 final),

Par M. Gilles SAVARY,

Député.

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Voir le numéro :

Assemblée nationale : 3885.

SOMMAIRE

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Pages

I. LES DIRECTIVES DE 1996 ET DE 2014 : UN CADRE JURIDIQUE DÉPASSÉ QUI NÉCESSITE UNE RÉFORME COURAGEUSE 7

1. La directive de 1996 : un dispositif novateur qui n’a pas anticipé les effets de l’élargissement de l’Union 7

2. La directive d’exécution de 2014 : un effort de réglementation insuffisant au regard de la gravité des enjeux. 11

II. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE SOUTIENT UN TEXTE PERFECTIBLE MAIS SUFFISAMMENT AMBITIEUX POUR SUSCITER UNE FORTE OPPOSITION EN EUROPE 14

1. Des mesures ambitieuses qui peuvent être améliorées 15

a. Un raffinement attendu de la définition du détachement 15

b. De nouvelles règles plus protectrices pour mettre fin à la concurrence déloyale 18

c. Des citoyens européens mieux informés pour limiter les fraudes au détachement 20

2. La proposition de directive fait l’impasse sur deux sujets essentiels 21

3. Une proposition confrontée à de solides oppositions 23

TRAVAUX DE LA COMMISSION 25

DISCUSSION GÉNÉRALE 25

EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE 45

INTRODUCTION

Face aux changements considérables intervenus depuis vingt ans en matière de détachement, la Commission européenne a présenté le 8 mars 2016 une proposition de directive (1) visant à modifier la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil relative au détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services.

Ce nouveau texte entend compléter la directive d’exécution 2014/67/UE (2) de la directive précitée, entrée en vigueur en juin 2014 et qui devait être transposée en droit national d’ici la fin du premier semestre 2016.

Cette proposition de directive implique une prise de conscience par les institutions européennes que le cadre européen tel qu’il a été conçu dans les années 1990 lorsque l’Europe ne comptait que quinze membres homogènes sur le plan social ne doit pas simplement être ajusté mais entièrement revu.

La France a joué un rôle très important pour faire avancer l’idée que le détachement, dont le principe est très ancien, a pris des proportions telles en Europe aujourd’hui qu’il devrait être mieux régulé.

Sur le plan interne, en vue de se protéger et d’inspirer ses partenaires, elle s’est dotée d’un arsenal législatif très complet pour mieux identifier et sanctionner les situations frauduleuses avec les lois du 10 juillet 2014 (3), du 6 août 2015 (4) et les dispositions encore en discussion du projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

Au niveau européen, la France, par la voix du Gouvernement mais aussi celle du Parlement, a défendu ses positions avec d’autres États soucieux de protéger leur emploi et leur modèle social. Elle a obtenu gain de cause à plusieurs reprises et cette proposition de directive est en partie le résultat de ses initiatives.

Toutefois, les progrès incontestables que porte la proposition de la Commission, qui permet de clarifier la définition et les modalités du détachement, doivent être nuancés pour au moins trois raisons : la première tient au caractère tardif de la réaction des instances européennes qui n’ont pas su prendre d’initiative significative pendant vingt ans malgré des signaux alarmants. La deuxième résulte des négociations difficiles qui vont commencer autour de ce texte et qui montrent déjà une vive opposition de certains États membres.

Enfin, la proposition de directive fait l’impasse sur un enjeu essentiel de la régulation du travail détaché : la question de l’affiliation à un système de sécurité sociale n’est pas évoquée et repoussée sine die. Par ailleurs, on attend les propositions d’un « paquet routier » annoncé par la Commissaire européenne aux transports, Mme Violeta Bulc, sur l’épineux problème du cabotage de retour à l’occasion d’un transport international qui affecte les marchés nationaux d’une concurrence low cost insoutenable.

La résolution européenne soumise à la commission des affaires sociales se fait l’écho de l’ensemble de ces enjeux en vue d’influer sur les discussions à venir et de contribuer à ce que la France obtienne la directive ambitieuse qu’elle attend.

I. LES DIRECTIVES DE 1996 ET DE 2014 : UN CADRE JURIDIQUE DÉPASSÉ QUI NÉCESSITE UNE RÉFORME COURAGEUSE

Vingt ans après l’adoption de la première directive relative au travail détaché dont le mérite était d’instaurer un premier cadre réglementaire à l’échelle de l’Union Européenne pour cette pratique ancienne, la Commission européenne a finalement pris la mesure de l’inadéquation de son arsenal législatif et réglementaire aux évolutions géopolitiques et socio-économiques qu’ont récemment connues ses États membres. Elle s’est ainsi résolue à compléter les mesures insuffisantes issues de la directive d’exécution de 2014 par une réforme d’ampleur qui tend à mieux définir et à mieux encadrer le détachement.

La directive de 1996 a constitué à son époque une avancée certaine alors qu’aucune disposition européenne n’encadrait spécifiquement le détachement. Toutefois, elle ne traite pas des questions relatives à l’affiliation à la sécurité sociale qui relèvent d’autres textes (5).

Elle a fourni un premier cadre juridique au travail détaché dont elle a donné une définition (6) qui s’est révélée floue et peu opérationnelle. Elle distingue trois types de détachement : celui entre entreprises, celui au sein d’un groupe d’entreprises (intra-groupe) et celui effectué par le biais d’une agence de travail temporaire dans le cadre d’une prestation de service internationale. En outre, elle pose le principe que le détachement est par nature temporaire sans régler des questions majeures auxquelles sont confrontés les États : comment évaluer ce caractère temporaire sans fixer de durée maximale au détachement ? Comment qualifier une situation dans laquelle des travailleurs détachés se succèdent à un même poste ? Peut-on parler de détachement lorsque le salarié n’a pas vraiment travaillé dans le pays d’origine ?

Le principal apport de ce cadre a tenu à la clarification apportée en matière de règles applicables : le « noyau dur » des conditions de travail et d’emploi dans l’État membre d’accueil qui doivent obligatoirement être appliquées par les prestataires de services étrangers.

Le respect d’un « noyau dur » en matière de droit du travail,
principal apport de la directive 96/71/UE

Le détachement a longtemps été encadré par des règles issues du droit international des contrats reprises par la Communauté Économique Européenne dans la Convention de Rome du 19 juin 1980 (7) : en l’absence de choix fait par les parties, le droit du travail applicable était alors celui du pays avec lequel le travailleur avait le plus de liens, soit celui de son pays d’origine dans lequel il exerçait habituellement son contrat de travail (8).

Ce principe, appliqué sans tenir compte de la spécificité de la situation du travailleur détaché, est rapidement devenu insatisfaisant dès lors que des pays beaucoup moins protecteurs en matière de droit du travail ont fait leur entrée dans l’Union.

Les premières réponses jurisprudentielles n’ont pas permis de déterminer jusqu’à quel point un État pouvait imposer sa législation sans constituer une entrave au principe de la libre prestation de service (9).

La directive 96/71/UE était donc une clarification nécessaire et le produit d’un compromis difficile à trouver entre les États membres soucieux de se protéger d’une concurrence déloyale et ceux tenants de la liberté de prestation de service.

Le principal apport de la directive fut de sécuriser juridiquement la possibilité pour un État d’appliquer une partie de son droit du travail aux travailleurs détachés. L’article 3§1 de la directive prévoyait ainsi que les États membres devaient veiller à ce que, les entreprises recourant au détachement garantissent aux travailleurs sur leur territoire les conditions de travail et d’emploi fixées par des voies législative, réglementaire, administative dans tous les secteurs ou par convention collective ou par sentence arbitrale dans certains secteurs (10) pour les matières suivantes :

– les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos ;

– la durée minimale des congés payés annuels ;

– les taux de salaire minimal, y compris ceux majorés pour les heures supplémentaires ;

– les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire ;

– la sécurité, la santé et l’hygiène au travail ;

– les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes ;

– l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que les autres dispositions en matière de non-discrimination.

Les dispositions relatives au respect des règles du pays d’accueil en matière de salaire minimal devaient normalement prévenir les principaux problèmes de concurrence déloyale. Dans le contexte de l’adoption de la directive de 1996, les législations des quinze États membres en matière de droit du travail étaient relativement proches, les écarts entre les salaires minimums allant au plus de 1 à 3 entre le Portugal et le Luxembourg.

La situation a changé considérablement avec l’entrée des nouveaux États membres entre 2004 et 2007, les écarts pouvant aller aujourd’hui de 1 à 10 (11). Aussi, ce qui pouvait paraître suffisant en 1996 quand le pays le moins protecteur de l’Union était le Portugal ne peut plus l’être lorsque certains États membres ont des salaires minimums inférieurs à 200 euros.

ÉVOLUTION DES SALAIRES MINIMUM DANS L’UNION EUROPE ENTRE 1999 ET 2015

Source : Lettre Trésor-Eco n° 133 (juillet 2014) « Pistes pour l’instauration d’une norme de salaire européenne ».

Plusieurs facteurs ont aggravé les effets de ces écarts importants de conditions de travail, et notamment de rémunération, dont la crise financière et la jurisprudence de la Cour de Justice.

Cette dernière a longtemps sanctionné les mesures prises par les membres qui, individuellement ou associées à d’autres, avaient pour effet d’entraver à la libre prestation de service, y compris celles tendant à intégrer des éléments de rémunération dans la définition nationale du salaire minimum légal (12). La Cour s’est également assurée que les éléments intégrés dans le salaire minimum légal national soient lisibles pour les employeurs établis à l’étranger, à défaut de quoi ils étaient dispensés de les appliquer. C’est ainsi qu’elle a systématiquement exclu les cotisations aux régimes complémentaires de retraite jugées distinctes du salaire en raison de leur vocation à constituer un capital (13).

Enfin, les dispositions sur le salaire minimum ont longtemps été inopérantes dans les pays qui ne disposaient pas de législation en la matière comme l’Allemagne, favorisant ainsi le recours à des travailleurs voisins pour doper la compétitivité de leur agriculture et de leurs abattoirs.

Dans ce contexte, la directive de 1996 n’a pas pu empêcher un développement fulgurant du travail détaché ces dernières années. Phénomène en apparence marginal au regard de l’ensemble de la population salariée dans l’Union (0,7 %), le travail détaché a progressé de 45 % entre 2010 et 2014, au point de déstabiliser des pans entiers de l’économie de certains États membres, notamment dans les secteurs de l’agriculture et des abattoirs.

Pour ce qui concerne la France, en dix ans, le nombre de travailleurs détachés déclarés a quasiment été multiplié par dix. Il est passé de 26 466 en 2004 à 228 600 en 2014. Selon le ministère du Travail, ce chiffre s’établit à 286 025 en 2015, en hausse de 25 % par rapport à l’année précédente.

ÉVOLUTION DU NOMBRE DE DÉTACHEMENT DE TRAVAILLEURS ENTRE 2007 ET 2014

Source : étude d’impact annexée au projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs.

Ces dysfonctionnements ont été constatés par la Commission à plusieurs reprises : ainsi, un rapport de ses services rendu en 2003 (14) faisait état des premières difficultés rencontrées par la directive de 1996 et notamment d’une pure et simple méconnaissance de ses dispositions dans de nombreux cas, de la comparaison difficile à effectuer en pratique entre la législation du pays d’accueil et celle du pays d’origine ou encore d’un manque de contrôle.

La Commission européenne porte donc une part de responsabilité dans cette situation car, trop soucieuse de prévenir toute restriction à la libre prestation des services au sein du marché intérieur européen, elle a tardé à anticiper le développement d’un marché de main d’œuvre à bas coût, qui repose sur une pratique dévoyée du détachement de travailleurs.

Le 21 mars 2012, la Commission européenne, consciente des critiques dont faisait l’objet la directive de 1996 précitée, a soumis une proposition de directive d’exécution en vue d’instaurer « un cadre commun établissant un ensemble de dispositions, de mesures et de mécanismes de contrôle appropriés en vue de l’exécution dans la pratique de la directive 96/71/CE ». L’ambition de ce texte était donc clairement d’ordre technique pour préciser les dispositions les plus floues de la précédente directive.

Les arguments qui justifiaient la circonspection exprimée dans le rapport des députés Chantal Guittet, Michel Piron et de Gilles Savary, présenté en juin 2013 en Commission des Affaires européennes de l’Assemblée Nationale (15), sur la proposition qui était faite alors par la Commission demeurent aujourd’hui pleinement valides :

– sur le plan formel, le choix d’adopter une directive d’exécution plutôt que de modifier en profondeur la directive de 1996 traduisait un manque regrettable d’ambition ;

– sur le fond, certaines mesures n’allaient pas assez loin : ainsi, la liste des mesures nationales de contrôle était limitative et donc restrictive et le simple renforcement de la coopération administrative intergouvernementale ne semblait pas au niveau des enjeux contrairement à une véritable coordination européenne avec la mise en place d’une Agence européenne de contrôle du travail mobile en Europe.

Grâce à l’influence de la France et à un positionnement plus conciliant qu’attendu de la Pologne lors du Conseil des ministres de l’emploi du 9 décembre 2013, la directive d’exécution, adoptée définitivement par le Parlement européen le 16 avril 2014, a permis l’entrée en vigueur de mesures qui étaient loin de faire l’unanimité parmi les États membres de l’Union.

Ainsi des critères qualitatifs caractérisant l’existence d’un lien réel entre l’employeur et l’État membre d’établissement et un mécanisme de solidarité du donneur d’ordre ont été établis ; une liste ouverte de mesures de contrôle nationales a en outre été créée pour sécuriser les législations et réglementations des États membres les plus vigilants.

La directive 2014/67/UE : des progrès réels mais insuffisants

La directive d’exécution permet six avancées importantes :

– elle permet aux autorités de contrôle nationales d’utiliser la méthode du « faisceau d’indices » pour s’assurer de la réalité de l’activité de l’entreprise dans le pays d’origine ainsi que du caractère temporaire du détachement (article 4). Il existe en effet de nombreuses « coquilles vides » dans des pays aux standards sociaux faibles qui permettent de détacher en permanence des travailleurs vers des pays plus protecteurs. Par ailleurs, le travail détaché, par définition temporaire, est souvent dévoyé pour permettre à un ou plusieurs travailleurs qui se succèdent d’exercer une activité quasi-permanente sur le territoire ;

– elle impose des délais maxima en matière d’échange d’informations entre États membres (article 6) ;

– elle fixe une liste énumérative d’exigences administratives et de mesures de contrôle compatible avec le droit européen en matière de détachement. Les États membres peuvent prendre d’autres mesures sous réserve qu’elles soient « justifiées et proportionnées » et après en avoir informé la Commission (article 9) ;

– elle permet que des syndicats exercent, pour le compte ou à l’appui du travailleur détaché, une action judiciaire en vue de faire respecter le droit applicable (article 11.3) ;

– elle crée une responsabilité solidaire entre sous-traitant et donneur d’ordre en cas de méconnaissance des droits du travailleur, uniquement dans le secteur du BTP et seulement pour le premier degré de sous-traitance (article 12) ;

– elle prévoit une reconnaissance mutuelle des sanctions pécuniaires et une obligation d’assistance entre États membres (article 15).

Ces mesures positives étaient pour beaucoup d’entre elles déjà applicables en droit français ou ont été rapidement transposées (16). C’est pourquoi le rapporteur estime qu’aucun progrès significatif n’est à attendre de la situation actuelle et qu’il faut aller plus loin.

Malgré ces avancées, la directive d’exécution dont le délai de transposition vient à peine de s’achever (17), s’avère d’ores et déjà insuffisante pour combattre le détachement illégal dès lors qu’elle ne donne pas de moyens nouveaux aux États membres pour assurer l’effectivité de leur droit.

La proposition de résolution européenne vise l’article 88-4 de la Constitution qui prévoit que « selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions européennes peuvent être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, sur les projets ou propositions (d’actes de l’Union européenne), ainsi que sur tout document émanant d’une institution de l’Union européenne. » ainsi que l’article 151-5 du règlement de l’Assemblée nationale qui prévoit que : « Les propositions de résolution européenne autres que celles qui sont présentées sur le fondement de l’article 151-2, alinéas 2 ou 3, sont renvoyées à l’examen préalable de la Commission des affaires européennes. Lorsque le Gouvernement, le président d’une commission permanente ou le président d’un groupe le demande, la commission doit déposer son rapport dans le délai d’un mois suivant cette demande. Son rapport conclut soit au rejet, soit à l’adoption de la proposition de résolution, éventuellement amendée. Le texte adopté par la Commission des affaires européennes ou, à défaut, la proposition de résolution initiale est renvoyé à la commission permanente compétente. »

Sont également visées les dispositions des traités européens relatifs au principe de subsidiarité que sont l’article 5 du traité sur l’Union européenne et le protocole n° 2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, ainsi que l’article 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatif au rapprochement des législations.

Le texte vise enfin les textes applicables au détachement déjà mentionnés :

– la directive 96/71/CE précitée ;

– la directive 2014/67/UE précitée ;

– la proposition de directive du 8 mars 2016 précitée.

Sur ces fondements, la proposition de résolution développe en 19 points un soutien critique aux dispositions de la proposition de directive.

Le texte proposé par la Commission constitue en effet une tentative ambitieuse de donner un véritable cadre au détachement adapté à la situation actuelle. Si le rapporteur souhaite souligner certains oublis de la proposition de directive, il soutient cette initiative malgré les réticences de nombreux États membres.

La proposition de directive permet des avancées à au moins trois titres :

– elle clarifie la définition du détachement ;

– elle apporte des marges de manœuvre nouvelles pour les États membres en termes de droit applicable ;

– elle consolide le droit à l’information des citoyens européens.

La proposition de directive explicite à travers ses différentes dispositions les véritables contours du détachement en clarifiant la notion de « mission temporaire » et en replaçant l’intérim en dehors de son champ.

Une mission temporaire limitée à 24 mois : une disposition intéressante à conforter

Ainsi, le premier paragraphe de l’article premier de la proposition de directive introduit un article 2 bis dans la directive de 1996 en vue de limiter la durée du détachement à deux ans, au-delà desquels le travailleur détaché sera réputé accomplir habituellement son travail dans le pays d’accueil.

Cette durée maximale existait déjà dans un autre texte : le règlement européen de coordination de sécurité sociale n° 883/2004 (18). L’article 12 de ce règlement prévoit en effet le rattachement du travailleur détaché au régime d’assurance de son pays d’origine « à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas vingt-quatre mois et que cette personne ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne détachée. »

L’explicitation de cette durée maximale n’en est pas moins bienvenue car elle lève toute ambiguïté et donne un plafond de référence à partir duquel les règles peuvent être précisées.

Ainsi, pour empêcher les contournements de cette règle, la proposition de directive précise les modalités de décompte de ces vingt-quatre mois : le temps de détachement du ou des travailleurs remplaçant le premier salarié détaché au même poste et au même endroit dont la mission aura duré au moins six mois serait pris en compte alors qu’il est actuellement possible de contourner la réglementation en faisant se succéder plusieurs travailleurs en continu.

Le seuil retenu de six mois ne satisfait pas le rapporteur. Pour justifier son choix, la Commission indique que la durée moyenne de détachement au sein de l’Union est inférieure à 4 mois. Toutefois, cette même étude rappelle que cette moyenne masque des inégalités significatives entre les États membres d’origine, puisque les détachements à partir de la France, de la Belgique et du Luxembourg n’excèdent pas 33 jours, tandis que ceux venus d’Estonie, de Hongrie, et d’Irlande durent plus de 230 jours.

Il serait donc préférable de supprimer le seuil pour prendre en compte le plus grand nombre de situations, faute de quoi la règle risque d’être facilement contournée.

Le point 5 de la proposition de résolution appelle à une définition plus précise du détachement au regard de la réalité et de la sincérité de l’activité exercée dans le pays d’origine.

Le point 8 approuve la fixation d’une durée maximale de détachement qui permettrait de tenir compte d’une succession de travailleurs sur un même emploi.

Le point 9 suggère que le détachement ne puisse dépasser vingt-quatre mois sur une période de trente-six mois pour éviter un dévoiement du travail détaché tendant à ce que le salarié revienne deux ans après avoir passé seulement un mois dans son pays d’origine.

Le point 10 propose la suppression du seuil de six mois à partir duquel les détachements d’un remplaçant sur un même poste sont pris en compte.

L’encadrement du détachement d’intérim

Le travail intérimaire représente aujourd’hui une part très importante du détachement avec près de 23 % de l’ensemble des travailleurs. Cette proposition est le résultat de plusieurs années d’augmentation très rapide : le nombre de travailleurs détachés en France par des entreprises de travail temporaire (ETT) est ainsi passé de 949 en 2004 à 33 060 en 2012, soit une hausse de 3 384 %, bien supérieure à l’augmentation du nombre officiel de travailleurs détachés sur la même période (+ 965 %).

La jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, dans son arrêt Vicoplus (19), a pris toute la mesure des risques qu’entraînait le détachement d’intérimaires en admettant que le détachement dont le seul objet est la mise à disposition du travailleur est susceptible d’avoir un impact sur le marché du travail de l’État membre destinataire de la prestation, lui donnant ainsi le droit de réglementer cet accès.

C’est dans ce contexte que s’inscrit la proposition de directive qui introduit au b) du 2) de l’article premier un nouveau paragraphe à l’article 3 de la directive de 1996 définissant les conditions d’emploi applicables en matière de détachement.

Elle rappelle l’obligation de vigilance des États membres quant au fait qu’un travailleur intérimaire doit être employé aux mêmes conditions qu’il relève d’une agence d’intérim française ou soit détaché en France par une agence transfrontalière de travail temporaire.

Elle reprend ainsi le principe déjà énoncé dans la législation européenne propre au travail intérimaire (20) selon lequel « les conditions essentielles de travail et d’emploi applicables aux travailleurs intérimaires devraient être au moins celles qui s’appliqueraient à ces travailleurs s’ils étaient recrutés par l’entreprise utilisatrice pour occuper le même poste ».

L’application de ces dispositions devrait mettre un terme au détachement en matière d’intérim en le privant de tout avantage comparatif. Cette évolution peut sembler radicale mais elle correspond à une logique juridique qui n’a pu être ignorée qu’en raison de l’imprécision jusqu’ici des règles européennes : un travailleur intérimaire ne peut prétendre relever du détachement dès lors qu’on ne peut parler de rattachement à son pays d’origine au même titre qu’on le ferait pour un salarié qui aurait un contrat de travail avec un employeur établi dans un autre État membre. Il s’agit donc de mettre fin à des pratiques consistant notamment pour des entreprises d’intérim frontalières à mettre à disposition des travailleurs français auprès d’entreprises françaises sans payer les cotisations de notre sécurité sociale.

Le constat de ces abus est fait aux points 1, 2 et 4 de la proposition de résolution européenne.

La résolution européenne propose au point 3 de supprimer purement et simplement l’intérim des textes relatifs au détachement afin de clarifier la situation.

Par ailleurs, si la question de l’intérim est effectivement traitée, il convient de s’interroger sur l’absence de dispositions encadrant plus précisément le détachement intra-groupe (21), qui fait l’objet d’un usage abusif consistant à créer un établissement en France avec un effectif limité dans l’unique but de recruter et de détacher des salariés en mobilité interne pour tous les chantiers en France.

Le point 15 de la proposition de résolution insiste sur l’absence de dispositions relatives au détachement intragroupe.

Le a) du 2) de l’article 1er du projet de directive modifie l’article 3 de la directive de 1996 en substituant dans le « noyau dur » la notion de « rémunération » à celle de « salaire minimum ».

Il est précisé au même article qu’« aux fins de la présente directive, la rémunération comprend tous les éléments de la rémunération rendus obligatoires par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives nationales, par des conventions collectives ou des sentences arbitrales déclarées d’application générale et/ou, en l’absence d’un système permettant que les conventions collectives ou sentences arbitrales soient déclarées d’application générale, par d’autres conventions collectives ou sentences arbitrales au sens du paragraphe 8, deuxième alinéa, dans l’État membre sur le territoire duquel le travailleur est détaché. »

La proposition de directive applique donc le principe « à travail égal, salaire égal », en permettant par une formulation moins restrictive, d’intégrer l’ensemble des éléments de la rémunération.

L’efficacité de ces dispositions dépendra de l’interprétation qui en sera faite, notamment par la Cour de justice.

Le point 13 de la proposition de résolution regrette que le sujet de prise en charge des frais inhérents au détachement ne soit pas intégré dans le noyau dur.

Une extension obligatoire du « noyau dur » conventionnel à l’ensemble des secteurs

La proposition de directive prévoit l’extension du champ d’application des dispositions du « noyau dur » d’origine conventionnelle ou arbitrale de 1996 à l’ensemble des secteurs, et non pas uniquement à celui des bâtiments et travaux publics (BTP) (22). Ce dernier représente 43,7 % des détachements de travailleurs au sein de l’UE en 2014 mais il existe bien d’autres domaines dans lesquels le détachement est devenu massif : les entreprises de travail temporaire, l’industrie ou l’agriculture.

RÉPARTITION DES TRAVAILLEURS DÉTACHÉS PAR SECTEUR
DANS L’UNION EUROPÉENNE (2014)

Source : DG EMPL elaboration on Pacolet and De Wispelaere (2015).

Cette extension est déjà prévue en droit français par l’article L. 1262-4 du code du travail qui prévoit que :

« Les employeurs détachant temporairement des salariés sur le territoire national sont soumis aux dispositions légales et aux stipulations conventionnelles applicables aux salariés employés par les entreprises de la même branche d’activité établies en France, en matière de législation du travail, pour ce qui concerne les matières suivantes :

1° Libertés individuelles et collectives dans la relation de travail ;

2° Discriminations et égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;

3° Protection de la maternité, congés de maternité et de paternité et d’accueil de l’enfant, congés pour événements familiaux ;

4° Conditions de mise à disposition et garanties dues aux salariés par les entreprises exerçant une activité de travail temporaire ;

5° Exercice du droit de grève ;

6° Durée du travail, repos compensateurs, jours fériés, congés annuels payés, durée du travail et travail de nuit des jeunes travailleurs ;

7° Conditions d’assujettissement aux caisses de congés et intempéries ;

8° Salaire minimum et paiement du salaire, y compris les majorations pour les heures supplémentaires, ainsi que les accessoires de salaire légalement ou conventionnellement fixés ;

9° Règles relatives à la santé et sécurité au travail, âge d’admission au travail, emploi des enfants ;

10° Travail illégal. »

Cette option avait constitué l’un des principaux points de désaccord lors des débats relatifs à la directive d’exécution de 2014 mais elle semble moins problématique aujourd’hui. Elle doit permettre l’application de plein droit des dispositions d’origine conventionnelle pour les travailleurs détachés de tous les secteurs.

Les obligations de la chaîne de sous-traitance

La proposition de directive prévoit que les États membres qui conditionnent la sous-traitance au respect de certaines conditions de rémunération peuvent appliquer ces règles aux entreprises qui détachent des salariés.

Il s’agit d’une avancée importante qui donne une prérogative aux États membres pour faire valoir leurs standards sociaux aux travailleurs détachés, et n’est pas sans rappeler les dispositions de l’article 45 du projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels encore en discussion, lequel a posé une obligation de vigilance du maître d’ouvrage à l’égard de tous les sous-traitants directs ou indirects de son cocontractants.

Le point 11 de la proposition de résolution donne un satisfecit à la Commission qui propose des dispositions permettant à l’État membre de donner des obligations à toute la chaîne de sous-traitance. Sur ce point, la proposition de directive constitue une sorte de « transposition à l’envers » de l’actuelle législation française.

Le point 12 insiste néanmoins sur la nécessité de préciser les obligations qui peuvent être imposées au donneur d’ordre ou maître d’ouvrage.

Enfin, la Commission européenne invite les États membres à améliorer l’information des citoyens concernant la réglementation des conditions de détachement sur leur territoire national, ainsi que la coopération administrative européenne.

Le dernier alinéa du a) du 2) de l’article premier de la proposition de directive prévoit en effet une obligation pour les États membres d’élaborer un portail numérique précisant les règles applicables en matière de rémunération des travailleurs détachés qu’elles soient issues de la législation ou des conventions collectives d’application générale.

Ces dispositions s’inscrivent dans la continuité des articles 4 et 5 de la directive d’exécution de 2014 précitée qui renforcent le rôle des bureaux de liaisons en matière d’accès à l’information relative aux règles de détachement.

À cet égard, on peut noter que la France, qui vient de rendre obligatoire la télétransmission de la déclaration préalable de détachement au 1er janvier 2016 (23), s’est dotée d’un portail numérique, le système d’information – prestations de services internationales (SIPSI) dont le ministère du Travail est chargé, avec la possibilité de télécharger des guides d’utilisation en langues française et anglaise.

Le point 7 de la proposition de résolution rappelle le caractère essentiel de deux sujets que n’aborde pas la proposition de directive : la coordination des systèmes de sécurité sociale et les travailleurs hautement mobiles du secteur des transports.

Le report de la réforme du règlement de 2004 sur l’affiliation aux systèmes de sécurité sociale reportée

La réforme du règlement de coordination des régimes de sécurité sociale, complément indispensable à la pleine efficacité des dispositifs de lutte contre les abus au détachement de travailleurs, a été repoussée, la Commissaire européenne confirmant que la révision du règlement 883/2004 sur la coordination des régimes de sécurité sociale devait attendre le référendum britannique. Un texte est donc attendu prochainement.

Actuellement, le règlement ne mentionne comme exigence préalable à tout détachement qu’une durée de rattachement d’un mois au régime de sécurité sociale du pays d’origine. Il conviendrait, d’une part, de préciser que cette condition n’est véritablement satisfaite que s’il existe un véritable contrat de travail qui justifie une affiliation et, d’autre part, d’allonger cette durée tant elle semble insuffisante pour garantir qu’une relation de travail effective existe dans le pays d’origine préalablement à tout détachement.

Il aurait donc été préférable dans le cadre d’une réflexion globale sur le travail détaché d’aborder les enjeux de l’application du droit du travail et de l’affiliation à un système de sécurité sociale en même temps, d’autant que ceux-ci sont souvent liés comme l’a montré la question de la durée maximale du détachement.

Le point 14 de la proposition de résolution pointe la nécessité de fixer une durée minimale d’emploi dans l’entreprise qui procède au détachement du pays d’origine avant de pouvoir être détaché.

Le cas particulier des travailleurs du secteur des transports

La Commission européenne a indiqué à plusieurs reprises avant la publication du projet de directive de révision que les éléments liés au transport routier seraient renvoyés à l’initiative de la commissaire européenne aux transports, Mme Violeta Bulc, dans le cadre du « paquet routier » annoncé pour 2016.

Le détachement dans ce secteur revêt une acuité particulière en raison de la nature hautement mobile du travail dans les transports routiers internationaux qui rend encore moins aisée la détermination du pays « d’accueil », nécessairement temporaire, et par là même la caractérisation du détachement.

Si le rapporteur peut comprendre les difficultés juridiques posées par le secteur des transports en termes de réglementation applicable au contrat de travail, il trouve regrettable qu’aucune proposition n’ait été mise sur la table par la Commission européenne, près de deux ans après la grande conférence européenne dédiée au transport routier de marchandises qui avait eu lieu le 16 avril 2014 à Paris, à l’initiative de la France.

Certes, des améliorations peuvent être constatées dans ce domaine : aucune mesure tendant à libéraliser davantage le cabotage national n’a été prise, comme le préconisait la résolution de juillet 2013 précitée, et les décisions de justice commencent à sanctionner lourdement les montages frauduleux dans ce secteur.

Néanmoins, les résultats sont insuffisants et le rapporteur réitère sa proposition de créer une agence européenne de contrôle du travail mobile en Europe, dont l’activité serait multisectorielle, avec pour missions l’observation du phénomène et des infractions interétatiques, le suivi des législations nationales, la formulation de propositions d’amélioration de la réglementation européenne et l’amélioration du système administratif d’information entre États membres. Notre assemblée l’avait déjà appelée de ses vœux dans la résolution précitée.

Bien que la question des cotisations sociales et des transports ne soit pas du ressort de la proposition, ce texte reste de nature à créer une forte opposition entre pays aux salaires faibles et pays à salaires élevés, faisant ressurgir les fortes tensions que le débat sur la directive d’exécution de la directive détachement avait déjà suscitées.

Le point 16 de la proposition de résolution insiste sur l’absence de législation européenne sur le cabotage national et renouvelle sa proposition de créer une agence européenne de contrôle du travail mobile en Europe.

Le point 17 suggère de créer une carte électronique de travailleur européen à disposition des services de contrôle nationaux et de l’agence européenne proposée pour mieux suivre les travailleurs mobiles.

La proposition faite par la Commission suscite des réactions très hostiles dans certains pays très favorables au principe de la libre prestation de service qui estiment prématuré de prendre de nouvelles dispositions alors que la transposition de la directive d’exécution de 2014 n’est pas encore achevée et qui s’inquiètent de voir les mesures restrictives s’accumuler.

D’une part, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède ont appelé dans une lettre commune « à une modernisation de la directive concernant le détachement de travailleurs afin d’établir le principe d’“ une rémunération identique pour un même travail effectué au même endroit” ».

Le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne s’en tiennent à une position d’attente. Tout en étant sensibles aux effets bénéfiques de la régulation, ils estiment qu’il est préférable d’attendre l’achèvement de la transposition de la directive d’exécution et la présentation de la révision du règlement 883/2004 pour apporter une réponse mieux calibrée aux dérives du détachement de travailleurs.

Enfin, et sans surprise, le « groupe de Visegrad » réunissant la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie, ainsi que les États baltes, la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie, ont marqué leurs très vives réserves sur le contenu de la proposition de directive, considérant que tout projet de révision devait être reporté après « l’évaluation et l’examen minutieux » des effets de la directive d’exécution de 2014. Ils affirment que les différences de taux de rémunération peuvent constituer un avantage concurrentiel légitime pour les prestataires de services.

Excipant de manière contestable sur un sujet aussi manifestement international du principe de subsidiarité, ces États, ainsi que le Danemark, sont parvenus à atteindre le seuil nécessaire pour déclencher la procédure prévue aux articles 5, paragraphe 3, deuxième alinéa et 12 b) du traité sur l’Union européenne dite du « carton jaune ».

Cette procédure prévoit que des avis motivés contestant le respect par le projet de texte du principe de subsidiarité et représentant un tiers des voix attribuées aux parlements nationaux (24) sont réunis, le projet doit être réexaminé, en l’occurrence par la Commission européenne dont émane la proposition. Celle-ci peut maintenir, modifier ou retirer sa proposition sur décision motivée.

Dans ces circonstances, le rapporteur considère que le principe de subsidiarité implique, au contraire, qu’un sujet aussi complexe que le détachement soit traité au niveau européen, qui est le seul à pouvoir assurer une régulation entre États membres.

Eu égard au rapport de force qui s’est établi sein du Conseil, le rapporteur considère qu’il revient à notre assemblée, de peser de tout son poids pour soutenir la position de la France à Bruxelles comme elle a su le faire pour influencer les discussions sur la directive d’exécution de 2014, en faveur de cette proposition de révision de la directive de 1996.

Le point 6 de la proposition de résolution rappelle ainsi que le principe de subsidiarité suppose de confier la compétence au niveau le plus pertinent et qu’il s’agit en l’occurrence de l’Union européenne.

Le point 18 insiste sur le rôle de la Commissaire Marianne Thyssen, commissaire européenne pour l’emploi, les affaires sociales, les compétences et la mobilité des travailleurs, dans les travaux qui ont conduit à la présentation de cette proposition de directive le 8 mars dernier.

Le point 19 prévoit que si la France n’obtenait pas une directive à la hauteur de ses ambitions en raison de l’opposition des parlements nationaux de certains pays, au nom du principe de subsidiarité, elle se réserverait le droit de durcir unilatéralement sa réglementation.

Le rapporteur propose d’adopter cette résolution.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

DISCUSSION GÉNÉRALE

La Commission des affaires sociales examine, sur le rapport de M. Gilles Savary, la proposition de résolution européenne sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs (COM[2016] 128 final) (n° 3885) lors de sa séance du mercredi 13 juillet 2016.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Notre collègue Gilles Savary a rejoint notre commission pour être rapporteur de la présente proposition de résolution européenne, après s’être beaucoup investi, depuis quatre ans, dans ce dossier du détachement des travailleurs. Je l’en remercie et lui souhaite la bienvenue parmi nous.

Nous aurions pu nous contenter, en application de notre Règlement, de laisser s’écouler le délai de trente jours au terme duquel les propositions de résolution de la commission des affaires européennes deviennent définitives, mais le sujet m’a semblé mériter un véritable débat, qui a d’ailleurs été entamé lors de l’examen du projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

Cette proposition, qui tend à améliorer le statut des travailleurs détachés, est aussi une manière de réconcilier nos concitoyens avec l’Europe.

M. Gilles Savary, rapporteur. Merci de m’accueillir au sein de votre commission, dont je sais qu’elle a beaucoup travaillé sur le sujet.

La réglementation européenne fondatrice en matière de détachement des travailleurs est la directive de 1996. Aujourd’hui, le travail détaché concerne 1,9 million de travailleurs dans l’ensemble de l’Union européenne, soit 1 % seulement des salariés de l’Union, mais ce nombre a très fortement augmenté, de 44,4 % par rapport à 2010.

En France, en 2015, il y avait 286 025 travailleurs détachés déclarés, ce qui représente une hausse de 25 % par rapport à 2014. Cette augmentation considérable résulte paradoxalement de la législation que nous avons instaurée, très dissuasive pour les donneurs d’ordre. Il y avait jadis autant de travailleurs détachés, sinon davantage, mais ils étaient bien plus souvent clandestins ; désormais, la loi commence à faire effet, malgré des décrets d’application relativement tardifs. Au total, en dix ans, le nombre de travailleurs détachés déclarés dans notre pays a été quasiment multiplié par dix. Quant au nombre total de jours de détachement, il atteint aujourd’hui 10,7 millions, soit une augmentation de 11 %.

Par ailleurs, 290 000 salariés français sont détachés à l’étranger, dont 18 000 du Luxembourg en Lorraine ! C’est un cas bien spécifique : le patronat recourt à un artifice consistant à faire recruter certains salariés haut de gamme – ingénieurs, informaticiens – pour travailler chez eux, en zone frontalière, mais en étant employés au Luxembourg, où la couverture sociale n’est pas négligeable, mais où sont alors payées les charges sociales plutôt qu’en France.

Le problème des travailleurs détachés a pris un relief particulier à la faveur de deux événements. Le premier est l’élargissement : en 1996, au moment de la première directive, les écarts de salaire minimum – ou de rémunération minimale, tous les États membres n’ayant pas de salaire minimum – étaient d’un à trois au sein de l’Union ; ils sont aujourd’hui d’un à dix, l’Union ayant accueilli des pays où les salaires sont beaucoup plus bas, dont la Roumanie, la Bulgarie ou la Pologne.

Le second appel d’air est venu de la crise de 2008. Du fait de la violence de la crise en Espagne et au Portugal, ce sont surtout les régions du sud de la France qui ont alors été concernées, victimes d’une forte pression de la part de ces pays et de montages qui n’étaient pas toujours très rigoureux.

Aujourd’hui, le SMIC horaire brut mensuel est de 1 466,62 en France, tandis que le salaire minimum est de 218 euros en Roumanie, de 410 euros en Pologne, de 184 euros en Bulgarie et de 1 473 euros en Allemagne. Six pays membres n’avaient toujours pas d’équivalent du SMIC en 2015 : l’Autriche, Chypre, le Danemark, la Finlande, l’Italie et la Suède.

La loi du 10 juillet 2014, dont j’ai eu l’honneur d’être rapporteur dans notre assemblée, a été confortée par la loi Macron qui a considérablement alourdi les sanctions. Notre législation repose sur la responsabilité du maître d’ouvrage ou du donneur d’ordre, dans tous les secteurs et dans toute la chaîne de sous-traitance. D’une part, le donneur d’ordre est tenu, en responsabilité civile, de vérifier que tout travailleur détaché sur son chantier, à quelque niveau de la chaîne de sous-traitance qu’il intervienne, est bien déclaré à la DIRECCTE (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi). D’autre part, il est solidairement responsable, du point de vue financier, du paiement des salaires et du logement, dans des conditions salubres et dignes, de l’ensemble des ouvriers. Ce n’est pas rien : auparavant, dans ce domaine, il se passait tout et n’importe quoi.

En 2015, 9 120 actions de contrôle ont été menées, grâce à la réorganisation des services de la DIRECCTE qui a résulté de la loi Rebsamen : chaque région dispose désormais d’un service spécifique d’inspecteurs du travail dédiés à la lutte contre le travail illégal, relié à une cellule nationale qui est en train d’établir un fichier. Depuis septembre dernier, il y a en moyenne 1 303 contrôles par mois – davantage que le nombre total de contrôles effectués avant 2013.

Le manque à gagner pour la sécurité sociale est de 380 millions d’euros, détachement légal compris, puisqu’un travailleur détaché paie ses charges sociales dans son pays d’origine.

Entre juillet 2015 et mars 2016, l’administration a infligé 291 amendes, pour un montant de 1,5 million d’euros au total, concernant 1 382 salariés détachés ; quinze fermetures immédiates de chantier ont été prononcées par les préfets sur proposition de la DIRECCTE ; 639 infractions ont été transmises au parquet, dont les trois quarts relèvent du travail illégal. Les pouvoirs publics et le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) ont conclu une convention nationale de lutte contre le travail illégal et contre les fraudes au détachement.

Bref, même si la mise en œuvre de la loi ne fait que débuter puisque le dernier décret d’application date de septembre 2015, le dispositif législatif que vous avez voté fonctionne. D’où l’augmentation brutale du nombre de salariés détachés déclarés. Il faudra toutefois approfondir cette question : pourquoi y a-t-il quelque 286 000 travailleurs détachés en France ? Nous devrons le faire sans tabou ; il y a toujours eu des formes de détachement dans notre pays et il y en aura probablement toujours, car le détachement est la forme moderne de l’immigration de travail. Autrefois, on quittait son pays pour toujours ; ce n’est plus le cas aujourd’hui, grâce aux moyens actuels de transport qui permettent d’aller travailler à l’étranger en détachement.

Je viens de passer huit jours en immersion en Pologne pour étudier ce sujet, dans le cadre d’une visite non officielle qui fut très fructueuse. J’ai constaté que des entreprises françaises, notamment les Chantiers de l’Atlantique, demandent des travailleurs détachés pour des segments d’activité dans lesquels il n’existe pas, à les croire, de salariés français compétents. J’ai également observé que le coût du travail pour un salarié détaché était légèrement supérieur à ce qu’il est pour un salarié français, si l’on additionne le paiement des charges sociales par l’entreprise polonaise, le financement du transport, de la nourriture, de l’hébergement et les temps de pause du week-end en France. Une note du Trésor vient de le confirmer : grâce au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et au pacte de responsabilité, qui ont considérablement réduit les charges sur les bas salaires, si notre législation est respectée, on observe une convergence très rapide des salaires dans la plupart des métiers, abstraction faite du transport routier international.

Pour y voir clair à ce sujet, nous devrions demander au Gouvernement une étude précise. Car, comme le disait le général de Gaulle à propos de l’Europe, on peut toujours répéter « Le travail détaché ! Le travail détaché ! Le travail détaché ! », en réclamant son interdiction, mais ce serait absurde. Ce qu’il faut comprendre, c’est pourquoi nous aurons toujours en France une part de travail détaché, et tenter d’en tirer les conséquences dans les politiques publiques nationales, en créant des incitations, en particulier dans l’agriculture, qui est très friande de ce dispositif et le seul secteur à refuser de se joindre à notre lutte. La FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles), en particulier, considère en effet le détachement des travailleurs comme une précieuse facilité. Autrefois, lorsque l’on recrutait des travailleurs saisonniers, on en était individuellement responsable au titre du contrat de travail saisonnier. Aujourd’hui, le contrat est « bouclé » – trois jours de prestation de service à un prix donné pour vendanger quatre hectares ; que la personne soit malade, qu’il faille évacuer trois personnes, cela peut ne plus poser problème.

J’en viens au projet de révision de la directive européenne.

Voici ce que disait la directive de 1996.

D’abord, le travail détaché recouvre trois types de détachement. Le premier correspond au cas où une entreprise envoie des travailleurs dans un autre pays pour faire de la prospection commerciale, honorer une commande, assurer le service après-vente, poursuivre une collaboration, former un salarié, etc. Mais il peut aussi s’agir d’une administration, d’un orchestre qui envoie un chef en résidence, du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) qui envoie des chercheurs. Cette conception du détachement, très ancienne, a préexisté de longue date à l’Europe. Le deuxième type de détachement est le détachement intra-groupe. Il ne suffit pas d’avoir un établissement en Slovaquie pour pouvoir faire venir votre ouvrier slovaque au tarif slovaque en France : encore faut-il déclarer un détachement à l’intérieur du groupe. Ce n’est pas facile à contrôler, mais de retentissants procès ont eu lieu à ce sujet, en particulier, récemment, celui du transporteur Dentressangle. Le troisième type de détachement est le détachement d’intérim : on peut détacher un travailleur intérimaire de Pologne ou de Bulgarie en France ou en Allemagne. Je reviendrai sur ce sujet très sensible.

Ensuite, la directive dispose qu’il faut respecter le salaire minimum du pays d’accueil – bien que celui-ci n’existe pas dans certains États ; c’était le cas en Allemagne, qui a ainsi pu recruter dans ses abattoirs des travailleurs très bon marché et faire sombrer les abattoirs bretons. La matière étant subsidiaire, il revenait à chaque État d’organiser ses conditions sociales à sa guise, et nul ne pouvait obliger l’Allemagne à fixer le salaire minimum au niveau français. C’était là une faille de la directive.

Le « noyau dur » des conditions de travail à respecter incluait également la durée des congés payés, les temps de pause, le temps de travail.

Enfin, pour contrôler la mise en œuvre de ces mesures, des bureaux de liaison ont été instaurés dans chacune des administrations du travail de tous les pays d’Europe. Ainsi, lorsque le pays d’accueil peine à identifier un travailleur détaché, il peut contacter son pays d’origine pour vérifier que celui-ci y est bien employé et que les conditions sociales requises sont remplies.

On l’a vu, cette directive ne fonctionne plus, en particulier depuis que les écarts de salaire se sont terriblement creusés avec l’entrée des pays de l’Est en 2004. Une nouvelle directive a donc été demandée au président de la Commission, José Manuel Barroso. Il a refusé, préférant une directive d’application en 2014.

Celle-ci introduit la responsabilité du maître d’ouvrage, mais uniquement dans le BTP et au premier niveau de sous-traitance ; elle est donc en retrait par rapport à la loi française.

La directive de 2014 a également imposé des délais maximaux concernant l’échange d’informations entre États membres, qui ne fonctionnait pas. Mais il ne fonctionne pas davantage depuis : si la Bulgarie a intérêt à ce que les travailleurs bulgares enrichissent leur famille ou améliorent leurs conditions de vie – ce qui est tout à fait normal – alors qu’il n’y a pas d’emploi sur place, elle s’abstient de répondre à nos demandes d’information, ou le fait avec un tel retard que le travailleur concerné a déjà disparu pour réapparaître ailleurs. Bref, le système des bureaux de liaison est inopérant.

La directive dresse également une liste fermée d’exigences administratives vis-à-vis desquelles le travailleur doit être en règle – cotisations sociales, emploi par une entreprise. Elle permet aux syndicats d’exercer une action judiciaire pour le compte du travailleur ou en appui à celui-ci. Enfin, elle prévoit la reconnaissance mutuelle des sanctions pécuniaires.

Voilà la directive de 2014 : de l’eau tiède, vu l’ampleur du problème.

Notre législation nationale, je l’ai dit, est beaucoup plus avancée. En outre, nous avons durci les sanctions administratives : aujourd’hui, il est possible d’intervenir très rapidement par l’intermédiaire des préfets et des DIRECCTE, alors même que la justice, embolisée, a beaucoup de mal à instruire ces dossiers, très complexes et qui nécessitent de se rendre sur place. Ainsi, le défaut de déclaration d’un seul travailleur détaché est passible d’une amende qui peut atteindre 500 000 euros : c’est considérable. Des procès retentissants ont eu lieu en France : EDF Flamanville, Ryanair, Dentressangle. Bref, nous progressons, même si les contrôles ne sont jamais exhaustifs. Je tiens à rendre un hommage particulier aux DIRECCTE, que je croyais, à tort, trop conservatrices et trop peu disposées à prendre leurs ordres à Paris pour s’engager dans tel ou tel chantier. En réalité, je vous invite à le vérifier dans vos régions respectives, les cellules de lutte contre le travail illégal installées par la loi Rebsamen sont particulièrement véloces et efficaces, même si les contrôles ont tendance à se concentrer sur le BTP.

Sous la pression de la France et de quelques autres pays – l’Allemagne, la Belgique –, la commissaire Thyssen a proposé cette fois une directive véritablement nouvelle, beaucoup plus ambitieuse. Après s’être longtemps abritée derrière l’observance scrupuleuse des principes du traité de Rome – libre circulation, libre prestation de service –, l’Europe s’est donc décidée à intervenir. Jean-Claude Juncker n’y est pas pour rien ; il a mesuré les dégâts politiques que la situation entraînait dans les esprits, la montée des populismes, la manipulation démagogique. À cet égard, nous ne sommes pas en reste : nous avons tous entendu dire à telle ou telle tribune, y compris celle de l’Assemblée nationale, qu’il fallait interdire le travail détaché. Mais le résultat en serait une France sinistrée. Nous ne pourrions plus envoyer personne à l’étranger pour y vendre des Airbus ou du vin, nos ouvriers ne pourraient plus se rendre sur des chantiers à l’extérieur de nos frontières pour le compte de nos entreprises de travaux publics. Bref, ce faisant, un pays exportateur comme le nôtre ne ferait que se tirer une balle dans le pied. Ce genre de propos démagogiques attire peut-être des voix, mais nuit surtout à notre emploi, à nos ambitions internationales et à notre balance commerciale.

Que propose la directive Thyssen ?

D’abord, elle clarifie la durée maximale de détachement, jusqu’alors très floue et en partie jurisprudentielle, en la limitant à vingt-quatre mois et en appliquant cette limite à la mission elle-même. Sera comptabilisé dans ces vingt-quatre mois le détachement de travailleurs venus remplacer un premier travailleur détaché dont la mission aura duré au moins six mois. Autrement dit, un travailleur détaché pendant six mois peut être remplacé, mais son successeur ne pourra exercer ses fonctions que pendant dix-huit mois. Jusqu’à présent, il suffisait de remplacer un salarié détaché et le décompte repartait de zéro.

Ensuite – c’est essentiel –, elle pose le principe « à travail égal, salaire égal », au lieu de celui qui garantissait au travailleur détaché le paiement du salaire minimum du pays d’accueil. En effet, le salaire minimum n’est pas adapté à tous les salariés quelle que soit leur qualification. Aux termes de la proposition de directive, si un chaudronnier français touche un salaire de 3 000 euros, la même rémunération est garantie à un chaudronnier polonais détaché, au lieu du SMIC jusqu’à présent.

Les États membres sont encore tenus d’élaborer un portail numérique énonçant les règles applicables au salaire des travailleurs détachés : ils doivent se montrer clairs et transparents, pour éviter tout contentieux.

La proposition de directive Thyssen reprend notre loi en étendant le champ d’application de la directive détachement à tous les secteurs d’activité et à toute la chaîne de sous-traitance. Il s’agit, en ce sens, d’une forme de transposition inversée : la loi française devient la loi européenne.

En outre, selon le texte, les conditions d’emploi et de salaire des intérimaires détachés doivent être identiques à celles qui s’appliquent aux intérimaires du pays d’accueil.

Enfin, la proposition de directive instaure une coopération renforcée entre la Commission et les États membres, notamment en esquissant un service européen non d’inspection du travail, mais d’information sur les travailleurs détachés. Il s’agit de permettre aux Européens d’intervenir dans les États membres les plus hermétiques afin d’y recueillir les informations demandées par d’autres États membres.

Cette directive, soutenue par la France, fait l’objet d’un « carton jaune », procédure instituée en 2009 qui permet à certains pays membres de contester un projet de directive avant même que celui-ci ne soit soumis au Parlement européen et au Conseil. La procédure oblige la Commission soit à revoir sa copie, soit à la retirer, soit à la maintenir en l’état, mais en la motivant. Elle nécessite un nombre minimal de voix au Conseil pour être mise en œuvre. En l’occurrence, onze États membres – l’ensemble des pays de l’Est, auxquels s’ajoutent la Croatie et le Danemark – se sont opposés, au nom du principe de subsidiarité, à toute nouvelle législation européenne sur le sujet.

La situation politique n’est donc pas simple, surtout après le Brexit, alors qu’il va nous falloir aller chercher des voix à droite et à gauche et faire preuve de la plus grande cohésion possible pour réagir à ce nouvel événement. Car, en Europe, toutes les négociations se tiennent : c’est « passe-moi la rhubarbe, je te passerai le séné », « je lâche sur l’agriculture, mais tu m’aides sur l’industrie », etc. Tout cela est dans la boîte noire du Conseil.

Je vous propose donc une résolution qui défend des solutions politiques, afin d’aider le Gouvernement autant que nous le pouvons. L’Assemblée nationale doit s’exprimer fermement pour soutenir Mme Thyssen, mais aussi aller plus loin qu’elle dans ses préconisations, de manière à faire entendre la voix de la France. Pour ma part, j’ai entamé un tour d’Europe ; je me suis rendu au Bundestag, qui est très intéressé par notre action. Nous pourrions d’ailleurs trouver des alliés au niveau parlementaire dans différents pays membres, mais cela requerrait du temps et des déplacements. Nous, Français, avons déjà adopté une loi très avancée ; nous devons maintenant placer notre gouvernement en position de force, pour qu’il puisse montrer qu’il ne fait pas un simple caprice, mais qu’il est mandaté par son parlement. C’est à cela que servent les résolutions européennes : à témoigner d’un consensus maximal, balayant le plus large spectre politique possible – même si chacun d’entre nous se prononcera comme il l’entend –, et de la mobilisation, de la vigilance et du dynamisme de l’Assemblée nationale sur le sujet.

Voici maintenant les termes de la proposition de résolution européenne.

D’abord, il est rappelé dans les considérants que l’on assiste à un dévoiement du détachement, qui a créé un véritable marché du travail low cost, lequel pervertit les principes concurrentiels. Car si la concurrence est bonne quand elle suscite une émulation qui améliore la qualité des services et encourage l’innovation, la concurrence par le nivellement social est en réalité une entrave à la concurrence ou un déséquilibre concurrentiel. Il s’agit, en somme, ici de prendre l’Europe au mot s’agissant de ses valeurs – le marché intérieur, la concurrence libre et non faussée ou équitable –, en visant non seulement les fraudes au détachement, mais aussi son dévoiement licite, qui perturbe gravement la concurrence et est socialement douloureux.

Nous soutenons ensuite la démarche de la Commission, en particulier le fait que la nouvelle directive obéisse au principe cardinal « à travail égal, salaire égal », c’est-à-dire rémunération égale.

Nous regrettons que la Commission, d’habitude si sourcilleuse sur le respect de conditions de concurrence équitables – elle ne cesse d’engager des procédures d’infraction pour entrave à la concurrence –, ait réagi si tardivement pour réguler ce marché du travail.

J’en viens au détachement d’intérim. Je considère personnellement que, si l’Europe n’est en rien à l’origine de la procédure de détachement et si elle est peu responsable des fraudes – qu’il appartient aux États membres de gérer –, la directive de 1996 a néanmoins introduit un loup dans la bergerie en créant ce type de détachement.

Le détachement est sain et utile quand il accompagne les échanges économiques : lorsque l’on vend des Airbus et que l’on envoie des salariés les mettre au point et en assurer le service après-vente, lorsque l’on détache une force commerciale dans un pays auquel on vend du vin, lorsque l’on envoie des chercheurs à l’étranger. Il ne faut pas revenir sur cette forme de détachement.

En revanche, le détachement d’intérim est opportuniste : c’est un détachement de placement. Dans ce cas, les fraudes sont très difficiles à identifier ainsi qu’à poursuivre dans un autre pays. La plupart des agences d’intérim concernées se sont considérablement développées pour faire du trading de main-d’œuvre bon marché – du moins au début, puisqu’aujourd’hui les salaires convergent : elles placent des travailleurs, indépendamment d’une quelconque activité permanente dans le pays d’origine, et obtiennent un marché chez nous. En réalité, il s’agit de placer des chômeurs : des plâtriers, des électriciens, des maçons, des ingénieurs qui sont récupérés sur le marché du travail. Ces secteurs ne correspondent même pas, pour la plupart, à l’activité de l’agence d’intérim dans son pays. En Pologne, j’ai étudié un dossier où vingt-cinq entreprises d’intérim sont domiciliées au même endroit, chez un avocat polonais à Varsovie : elles n’ont aucune existence matérielle ; elles se contentent de s’adresser à l’équivalent polonais du Pôle Emploi pour nous proposer ensuite, sous le nom de « prestation de service internationale », des travailleurs qui coûtent moins cher. C’est à ce phénomène qu’il faut mettre fin.

Dans la proposition de résolution, je me félicite donc que la Commission veuille l’encadrer, tout en estimant que ce n’est pas suffisant et que ce dévoiement devrait être tout simplement supprimé.

À l’occasion de colloques, j’en ai discuté notamment avec des Polonais, très présents dans les discussions sur le sujet – des gens très bien, d’ailleurs –, qui m’objectent que cette proposition est discriminatoire et contraire au principe de libre prestation de service. À quoi je réponds que ce n’est pas du tout le cas : il suffit que ces agences viennent s’établir en France. Nous avons indéniablement besoin de main-d’œuvre polonaise ou roumaine. Nous avons toujours eu besoin de main-d’œuvre étrangère. Les étrangers ont fait la France, au côté des Français. Aujourd’hui, il existe des secteurs dans lesquels les Français ne veulent plus travailler ou ne le peuvent plus, faute de formation. Mais il faut que les sociétés d’intérim s’installent chez nous, pour nous proposer des travailleurs au prix et aux conditions françaises, y compris s’agissant des cotisations sociales qui devraient être acquittées en France. Car ce que le détachement d’intérim a d’injustifiable, c’est que, créant un marché du travail déconnecté des échanges, il tarit nos régimes de sécurité sociale. Voilà pourquoi le combat en vaut la peine.

Il sera sans doute très difficile d’obtenir satisfaction à Bruxelles, mais c’est une affaire de longue haleine, et surtout de principe. Car c’est le détachement d’intérim qui constitue le principal dévoiement du détachement, et il explose : il a augmenté de plus de 3 000 % au cours des cinq dernières années, même s’il ne représente encore que 23 % de la totalité du détachement. Détacher des travailleurs intérimaires, cela revient à détacher directement des personnes inscrites au Pôle Emploi en Pologne, en Roumanie ou en Bulgarie – ou dans un autre pays, d’ailleurs. J’ai averti les Polonais qu’ils risquaient eux-mêmes de voir bientôt arriver des Biélorusses ou des Ukrainiens, parce que leur marché du travail est très tendu et que le chômage est quasi nul à Varsovie. Il faut leur faire comprendre que la régulation est dans notre intérêt à tous : sans elle, ceux qui profitent aujourd’hui du système en seront les victimes demain.

En ce qui concerne la procédure du « carton jaune », les États qui l’ont engagée ont eu tort de s’opposer à la directive au nom du principe de subsidiarité. Ce principe veut que l’on traite une affaire au niveau le plus approprié. Or, s’agissant des travailleurs étrangers temporaires ou hautement mobiles, comme les routiers, c’est l’Europe qui est la plus à même de dépasser les blocages nationaux. La position de Manuel Valls sur le sujet est la suivante : si l’on considère qu’il s’agit d’une affaire subsidiaire, alors on peut tout s’autoriser et les dispositions en la matière peuvent être prises unilatéralement. Voilà pourquoi il importe que l’Assemblée nationale souligne le danger inhérent à l’objection de subsidiarité. Nous devons ici soutenir notre gouvernement : si l’objection est suivie d’effet, nous agirons unilatéralement. Ce n’est pas souhaitable, mais l’on ne peut pas opposer la subsidiarité à un État dès qu’il soulève un problème désagréable. Ce sujet doit être traité au niveau européen.

En ce qui concerne le champ de la réforme proposée, nous approuvons la définition d’une durée maximale de détachement fixée à vingt-quatre mois. En revanche, le seuil de six mois devrait, à notre sens, être réduit, car la durée moyenne des détachements est de trente-trois jours. Il s’agit d’éviter de faire courir un nouveau délai de vingt-quatre mois à chaque remplacement.

Nous saluons le fait que le texte rende le donneur d’ordre pleinement responsable.

Nous nous déclarons favorables à l’instauration d’une durée minimale d’emploi de trois mois dans le pays d’origine avant le détachement de travailleurs. À l’heure actuelle, les personnes sont directement récupérées sur le marché du travail pour être détachées.

Nous regrettons que la proposition de la Commission soit un peu faible s’agissant du détachement intra-groupe, le plus difficile à contrôler.

Nous déplorons l’absence de législation européenne sur les opérations de cabotage autorisées à l’occasion d’un transport international. Ce problème du transport routier fait l’objet d’un traitement séparé à Bruxelles : il ne relève pas de la commissaire Thyssen, mais de la direction générale de la mobilité et des transports (DG MOVE). Nous ne demandons pas à Mme Thyssen de s’en occuper, ce qui ne serait pas souhaitable, car cette question agrégerait contre nous les Espagnols, les Finlandais et les Suédois : au niveau européen, les clivages à propos des transports sont très différents des autres. Mais nous souhaitons que quelque chose soit fait au sujet du transport routier international.

Aujourd’hui, en effet, qu’est-ce que le détachement s’agissant de travailleurs qui franchissent les frontières ? Le transport sous pavillon français n’est plus international qu’à 10 %, et cette activité repose uniquement sur des travailleurs sous-payés, car rémunérés au tarif de leur pays d’origine. Geodis emploie des chauffeurs roumains payés quelque 210 euros par mois. S’il devait recourir à des chauffeurs français, le coût en serait renchéri au point qu’il devrait renoncer au transport international. Le problème est le même que pour les marins, qui sont maintenant tous philippins.

À ce sujet, je suis personnellement favorable à l’exonération totale de charges sociales pour les chauffeurs routiers français qui travaillent à l’international, sur le modèle de ce qui a été fait pour les marins dans le secteur du shipping. C’est le seul moyen de perpétuer leur présence dans ce segment d’activité, et cela ne coûterait pas très cher, puisqu’il n’y a plus de chauffeurs français à l’international !

Ce qui ne doit pas nous empêcher d’insister auprès de Bruxelles pour qu’une législation soit adoptée concernant ces personnels hautement mobiles. Il en existe une en France, mais elle est, à mon avis, impraticable, sans compter qu’elle fait l’objet d’une procédure d’infraction de la part de la Commission. L’Allemagne, qui voulait nous imiter, a dû renoncer pour les mêmes raisons. Un travailleur sédentaire venu d’un pays donné est détaché dans un autre pays ; mais qu’en est-il de personnes qui, tous les jours, franchissent les frontières luxembourgeoise, belge, française ? Voilà pourquoi il faut adopter un statut du travailleur hautement mobile international au niveau européen, et appliquer à ces travailleurs une exonération de charges sociales en France.

M. Denys Robiliard. Au nom du groupe socialiste, écologiste et républicain, je commence par féliciter notre rapporteur de sa persévérance, tout au long de la législature, sur cette question des travailleurs détachés : il a notamment déposé une proposition de loi et a largement contribué à renforcer les différentes lois qui ont abordé ce sujet – loi pour la croissance et l’activité, loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, loi Travail…

Quinze jours après le référendum sur le Brexit, le travail détaché est l’un des terrains sur lesquels l’Union européenne joue sa survie : après la délocalisation des emplois, ce n’est rien d’autre que la délocalisation des salariés. Il y a un jeu sur les différences de cotisations sociales, de conditions de travail d’un pays à l’autre. Mais il y a aussi, soyons clairs, des fraudes : une législation qui, dans son principe, n’est pas discutable sert à faire subir à des travailleurs des durées du travail qui n’ont plus rien de légal et des conditions d’hébergement scandaleuses. Souvent, le travail détaché légal n’a pas un fort intérêt économique ; son attrait principal, c’est qu’il sert de support à une illégalité – qui n’est pas systématique, mais qui est très fréquente.

Le nombre de travailleurs détachés augmente, vous l’avez dit, dans des proportions gigantesques. Vous avez donc raison, monsieur le rapporteur, de sonner le tocsin.

La France a fait ce qu’elle pouvait faire : obligations des donneurs d’ordre, alourdissement des sanctions, réforme du contrôle… Nous en sommes, vous le rappeliez, à 1 300 contrôles par mois : cela représente une multiplication par plus de dix. L’efficacité est donc réelle.

Parallèlement, il fallait intervenir pour modifier la directive elle-même et corriger ses failles. Michel Sapin a le premier mené ce combat au sein des instances européennes, et a obtenu des résultats, puisque la commissaire Thyssen propose cette nouvelle directive. La méthode que vous nous proposez est intéressante : cette résolution européenne permettra de montrer que nous sommes tous derrière notre gouvernement pour modifier la législation communautaire en matière de travail détaché.

Je ne m’attache pas ici aux détails techniques, mais j’insiste sur la pertinence particulière des dispositions qui concernent le transport routier, qui est l’un des secteurs qui souffrent le plus du détachement. Les dispositions que nous avons adoptées au niveau national sont aujourd’hui débattues au niveau communautaire.

Enfin, la question du travail détaché commence à faire changer le regard porté sur l’inspection du travail par la Fédération française du bâtiment ou la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) : c’est la première fois que j’entends des chefs d’entreprise se plaindre du manque d’inspections ! Aujourd’hui, ces secteurs commencent à comprendre qu’une juste concurrence passe par de véritables moyens de contrôle.

Mme Isabelle Le Callennec. Merci, monsieur le rapporteur, de votre constance sur ce sujet. Du fait des dispositions sur le travail détaché, le droit communautaire est vécu par nos concitoyens comme un outil de concurrence déloyale, de dumping social, en un mot, de développement d’un travail low cost, à la suite notamment de l’intégration dans l’Union européenne de pays aux réalités socio-économiques bien différentes des nôtres.

Malgré de très nombreux recours en justice et même l’interruption d’une quinzaine de chantiers dans notre pays, le flux des travailleurs détachés ne cesse d’augmenter – il a crû de plus de 25 % entre 2014 et 2015, pour s’établir à environ 286 000 travailleurs aujourd’hui, mais il faut tout de même rappeler qu’il y a des Français qui partent travailler à l’étranger. Il faut souligner également que le détachement d’intérim bat tous les records.

Cette proposition de révision intervient dans un climat européen tendu et, vous l’avez rappelé, onze pays ont fait usage de la procédure du « carton jaune ». La résolution ne traite pourtant pas des problèmes qui fâchent le plus : la réforme du règlement de coordination des régimes de sécurité sociale ou le cas des travailleurs hautement mobiles.

Au niveau national aussi, le climat est un peu tendu, puisqu’il semble que la majorité ne soit pas tout à fait unanime : le Premier ministre a même menacé de cesser d’appliquer la directive européenne si elle n’était pas révisée, mais la rapporteure générale du budget lui a fait remarquer que la baisse des cotisations sur les bas salaires rendait l’emploi d’un travailleur local moins cher que celui d’un travailleur détaché – au niveau du SMIC en tout cas.

J’ai beaucoup discuté de ce sujet avec Élisabeth Morin-Chartier, députée européenne du groupe du parti populaire européen (PPE) et corapporteure du texte. Notre objectif commun n’est pas de lutter contre le détachement, vous l’avez dit, mais bien contre les dérives et les fraudes. La France a beaucoup réagi et l’opposition a toujours soutenu la majorité en ce sens.

Il est nécessaire de redéfinir le détachement comme le fait d’exécuter, sur une courte période, une mission que l’on exécute habituellement dans son pays d’origine.

Nous ne sommes pas favorables à la suppression totale du détachement d’intérim ; il doit juste être redéfini et contrôlé. Vous faites des propositions que l’on peut tout à fait retenir.

S’agissant des contrôles, il faut continuer de les renforcer. Il ne faut surtout pas abandonner la traque des sociétés-écrans et autres boîtes aux lettres, qui doit rester au cœur des tâches de l’inspection du travail. Une procédure européenne pourrait se révéler utile, mais il faut veiller à ne pas créer d’usine à gaz.

En ce qui concerne les secteurs d’emploi sinistrés, il est vrai que le détachement déstabilise des pans entiers de notre économie, en particulier l’agriculture. Cela doit nous amener à nous interroger sur les offres d’emploi non pourvues, et donc sur l’indemnisation du chômage ; certains Français restent au chômage alors que l’on a par ailleurs recours à une main-d’œuvre étrangère.

Nous sommes donc plutôt favorables à votre proposition de résolution européenne. Il faudrait néanmoins s’assurer de sa compatibilité avec les dispositions contenues dans la loi Travail, que nous n’avons pas pu voter.

Madame la présidente, je pense également qu’il pourrait être utile d’entendre la commissaire Marianne Thyssen : une coopération renforcée entre ce qui se passe à Bruxelles et ce qui se passe à Paris serait utile.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Nous verrons, en fonction de notre calendrier, s’il est possible d’entendre la commissaire Thyssen.

M. Michel Liebgott. Je me félicite, sur un sujet connexe, des dispositions anti-dumping prises par la Commission européenne concernant le secteur de la sidérurgie. Ces dispositions efficaces font suite à une mobilisation du patronat, notamment d’Eurofer.

Mais l’Europe ne doit pas défendre uniquement les intérêts des entreprises : l’examen de cette résolution montre qu’elle se préoccupe aussi des salariés.

Peut-on espérer résoudre le problème ? Beaucoup estiment qu’il naît surtout de l’intégration de nouveaux États membres ; pourtant, les pays qui attirent le plus de travailleurs détachés sont l’Allemagne, la Belgique et la France, mais ceux qui en détachent le plus sont la Pologne, l’Allemagne et la France. Peut-on donc vraiment estimer que l’arrivée des pays d’Europe centrale et de l’Est est à l’origine du problème ?

M. Arnaud Viala. Je comprends bien l’intérêt de cette révision. Mais je crois que l’on soigne le symptôme, non la cause. J’aimerais que l’on s’interroge sur le fait qu’aujourd’hui, des entrepreneurs, des PME, des exploitations agricoles et autres n’ont pas d’autre solution que de faire venir des travailleurs de l’étranger. Ce matin même, l’ambassadeur allemand en France a dit devant la commission des affaires européennes que l’indemnisation du chômage en Allemagne était nettement moins avantageuse qu’en France, et qu’il n’était pas envisageable que l’Allemagne revienne sur cet état de fait.

La France doit donc s’interroger sur les charges qu’elle fait peser sur le travail, qui la rendent si peu compétitive par rapport à ses voisins, notamment l’Allemagne.

M. Gérard Sebaoun. Merci, monsieur le rapporteur, pour la clarté de vos propos.

Vous évoquez une durée maximale de détachement de vingt-quatre mois. Mais ces missions peuvent-elles être éternellement reconduites ?

Peut-on imposer, comme le texte le propose, de payer le travailleur détaché au salaire moyen du pays d’accueil ? Le droit des contrats le permet-il ?

La Fédération française du bâtiment semble, je le constate également, satisfaite du renforcement des contrôles. L’introduction de la carte BTP sur les chantiers vous semble-t-elle avoir montré son efficacité pour lutter contre le travail détaché ? Dans mon département, j’observe surtout la présence de nombreux travailleurs turcs : il ne s’agit plus alors d’un problème communautaire.

M. Jean-Louis Roumégas. Merci, monsieur le rapporteur, de votre pédagogie et de votre constance dans cet engagement : c’est l’idée même d’Europe qui est discréditée par le dumping social. N’oublions pas que le principal problème est lié à la délocalisation des activités économiques et des emplois. Or le détachement touche des emplois que l’on considérait jusque-là comme non délocalisables, que ce soit dans l’agriculture ou dans le bâtiment. On importe ainsi des conditions de travail et de salaires qui sont celles des pays européens les moins avancés.

Je soutiens cette proposition de résolution. Au-delà des règles qui doivent être révisées, c’est surtout un usage illégal du détachement qui est en cause : l’inspection du travail dispose-t-elle de moyens à la hauteur des besoins ? Vos chiffres montrent un renforcement des contrôles, mais ne faut-il pas aller plus loin encore ?

Ces gens ne viennent pas tout seuls ; ils font l’objet d’un commerce mené par de véritables négriers, qui disparaissent après avoir sévi quelque temps. Ne faudrait-il pas également renforcer la coopération judiciaire à l’échelle européenne pour pourchasser ces malfaiteurs ?

M. Yves Censi. Je salue, à mon tour, l’opiniâtreté du rapporteur sur ce sujet.

Vous trouvez le groupe Les Républicains à vos côtés pour demander la révision de la directive Bolkestein : il faut respecter les règles, la décence tout simplement, et il faut « dé-ensauvager » les relations de travail à l’intérieur de l’Europe. Nos concitoyens ne supportent plus cet état de fait.

Les distorsions de concurrence sont à l’origine des problèmes causés par le détachement : nous devons ici nous interroger sur une convergence minimale, fiscale ou sociale. Je souhaiterais, pour ma part, que la France remette ce sujet sur la table.

Le travail détaché est un fléau qui frappe particulièrement certains secteurs, comme le transport et le bâtiment. Dans d’autres, comme l’agriculture, il est nécessaire. Il faut donc agir prudemment, et éviter toute mesure massive qui semble tout résoudre. Il faudrait notamment éviter de durcir notre législation nationale : tout le monde ne doit pas payer pour les agissements néfastes de quelques-uns.

Il est donc opportun de soutenir la commissaire Thyssen, en agissant intelligemment pour ne pas tuer le détachement, qui peut être un phénomène très positif. Il faut aussi expliquer la situation à nos concitoyens.

M. Philip Cordery. Je remercie, moi aussi, le rapporteur pour son engagement de longue date sur ce sujet.

Il ne s’agit aucunement d’interdire le détachement, qui est une réalité utile : un salarié français doit pouvoir partir en mission en conservant sa protection sociale française. Ce sont bien les abus qu’il faut réprimer. La législation française a, depuis 2012, vraiment amélioré la situation.

Cette proposition de directive est un pas supplémentaire dans la bonne direction, comme l’a été, d’ailleurs, l’introduction du salaire minimal en Allemagne. Le principe « à travail égal, salaire égal » est très juste. On peut regretter, en effet, que la question du détachement d’intérim ne soit pas mieux traitée, tout comme celle du transport routier : ce sont deux sujets sur lesquels il faudra revenir.

J’estime regrettable qu’ait été utilisée la procédure du « carton jaune », mais seuls onze pays l’ont déclenchée. C’est peut-être la procédure elle-même qui pose problème. La Commission pourra, de toute façon, avancer ; le processus n’en est que retardé.

Il faudra aller plus loin dans la convergence salariale à l’échelle européenne, ce qui passe par l’introduction de salaires minimaux dans tous les pays européens. Je me permets d’ailleurs, madame la présidente, de vous proposer de présenter devant votre commission le rapport que j’ai remis à la commission des affaires européennes sur le salaire minimum au sein de l’Union européenne : à moyen terme, une stratégie de convergence salariale est indispensable.

M. Christophe Sirugue. Lors des auditions que nous avons menées pour préparer la loi Travail, nous avons compris qu’avec l’article relatif à la lutte contre la fraude au travail détaché, la législation française poussait au maximum de ce que nous pouvions faire : la suite devait donc nécessairement intervenir à l’échelle européenne. Cette résolution y contribuera. Je soutiens le rapporteur, notamment en ce qui concerne l’affiliation à la sécurité sociale.

La dix-neuvième proposition évoque un éventuel durcissement unilatéral de la législation française : à quoi faites-vous allusion, dans la mesure où, je l’ai dit, nous croyons être allés aussi loin qu’il nous était possible ?

M. Richard Ferrand. M. le Premier ministre a indiqué que, si d’aventure la directive modifiée ne convenait pas à la France, nous ne l’appliquerions pas. Le droit européen le permettrait-il ?

M. Jean-Patrick Gille. Je salue, à mon tour, la ténacité du rapporteur sur ce sujet de plus en plus crucial. Il faut aussi être très clairs sur notre opposition au détachement d’intérim.

Je connais le pragmatisme foncier du rapporteur, mais je suis un peu dubitatif sur la proposition de suppression des charges sociales sur les chauffeurs routiers internationaux. Le raisonnement se comprend, mais ne serait-ce pas mettre le doigt dans un engrenage dangereux ?

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je me félicite que la France soit à l’avant-garde sur ce sujet.

En revanche, je regrette le lien un peu rapide fait par Mme Le Callennec entre des offres d’emploi non pourvues et le travail détaché. Nos concitoyens au chômage sont aussi courageux que d’autres, mais ils veulent travailler dans des conditions dignes. Évitons les raccourcis qui mènent vite au populisme.

M. le rapporteur. Merci de ces nombreuses questions et interventions.

Il ne faut pas laisser s’installer dans les esprits l’idée que nous serions en train de réviser la directive Bolkestein. Celle-ci porte sur l’établissement d’entreprises d’un État membre dans un autre État membre : le droit d’établissement est l’une des composantes de la libre prestation de services. Elle autorisait notamment un plombier polonais à venir s’installer en France : la discussion – curieuse, au demeurant – avait pour objet de se demander s’il pouvait s’installer aux conditions polonaises ou s’il devait respecter l’ensemble du droit interne français.

Revue et corrigée par la rapporteure de l’époque, Mme Gebhardt, cette directive permet aujourd’hui de s’établir dans un pays intégralement aux conditions de ce pays : la directive Bolkestein est ainsi devenue un antidote aux fraudes au détachement.

Ainsi, Ryanair avait recruté, à l’aéroport de Marignane, 120 personnes, toutes provençales mais toutes soi-disant détachées de Dublin, et avec des contrats de travail irlandais. Une enquête remarquable de la DIRECCTE et de l’Office central de lutte contre le travail illégal, unité spécialisée de la gendarmerie, a prouvé que ces personnes ne se rendaient jamais à Dublin et qu’il n’y avait donc aucun travail effectif en Irlande. L’établissement de Ryanair à Marignane était donc bien un établissement permanent, camouflé en établissement temporaire de travailleurs détachés irlandais. Ryanair a donc dû payer plusieurs années de cotisations sociales, ainsi que des sanctions considérables. Et c’est grâce à la directive Bolkestein, telle qu’elle est sortie du Parlement européen, que la requalification a été possible. Elle n’est donc pas l’épouvantail que nous en avons fait.

Ce que nous révisons ici, ce sont les directives sur le détachement : nous travaillons sur la délocalisation des travailleurs, selon la formule heureuse de Denys Robiliard, et non sur la délocalisation des entreprises.

S’agissant des offres d’emploi non pourvues dont a parlé Mme Le Callennec, je ne suis pas sûr qu’elles soient liées au niveau d’indemnisation du chômage ; c’est un débat de fond dans lequel nous ne pouvons pas nous engager maintenant. J’observe simplement que nous avons considérablement dévalorisé les métiers manuels en France ; même les centres d’information et d’orientation de l’éducation nationale détournent les jeunes de ces filières.

Monsieur Liebgott, la France, l’Allemagne et la Pologne sont très concernées, mais elles ne sont pas les seules. Les travailleurs détachés viennent parfois, cela a été dit, de pays non communautaires : la législation européenne doit s’appliquer à tous. Politiquement, il est vrai que tout tourne autour de la France, de l’Allemagne, du groupe de Visegrád, de la Roumanie. Si la procédure du « carton jaune » a été déclenchée, c’est à l’initiative de ce groupe de Visegrád. Le Danemark ne s’est joint au mouvement que parce qu’il est particulièrement attaché au principe de subsidiarité, et donc très peu intégrateur.

Monsieur Viala, vous demandez que les PME n’emploient pas de travailleurs détachés. Notre législation va déjà dans ce sens, et le patronat lui-même, notamment celui du secteur du bâtiment et des travaux publics, souhaite son durcissement. Face au travail détaché qui déséquilibre la concurrence, il n’entrevoit comme options que soit basculer dans le travail low cost, soit nous demander une législation protectrice – ce que nous devons faire.

Je vous rappelle aussi que, grâce au pacte de responsabilité et au CICE, entre autres mesures, le coût moyen du travail en France est repassé en deçà du coût moyen du travail en Allemagne.

Monsieur Sebaoun, avec une mission localisée et identifiée d’une durée maximale de vingt-quatre mois, il sera très compliqué de reproduire en permanence des missions de vingt-quatre mois sur le même site. Cela ne serait pas impossible, mais cela concernerait des chantiers considérables qui feraient l’objet d’une grande vigilance.

Est-il juridiquement fondé que la rémunération minimale soit établie en fonction du salaire moyen du pays d’accueil ? Je pense que cela doit être possible, surtout si c’est autorisé par une directive européenne. Sur le marché foncier, on établit la valeur fiscale d’un bien en fonction de la valeur moyenne de ceux qui se trouvent à proximité.

Je n’étais pas très favorable à la généralisation d’une carte dans le bâtiment. J’ai peur qu’elle n’alimente la fraude. La caisse de congés payés du secteur a évidemment intérêt à en délivrer pour récupérer des cotisations : elle n’est pas totalement désintéressée. Sera-t-elle pour autant responsable des cartes qu’elle délivrera ? S’assurera-t-elle vraiment qu’elle n’a pas affaire à de faux travailleurs détachés ? L’identification de tous les travailleurs détachés constitue une tâche difficile, car il faut vérifier qu’ils ont un travail réel et sérieux. Il ne faudrait pas que la carte de congés payés du bâtiment soit un faux nez qui affaiblirait nos propres contrôles. Par ailleurs, ces cartes sont-elles falsifiables ? Pourra-t-on en donner à de vrais travailleurs illégaux ?

Nous avons accepté d’introduire le dispositif dans la loi Macron, mais il faudra en faire une évaluation sérieuse. Certaines branches professionnelles n’y étaient pas très favorables, car elles ne voulaient pas porter la responsabilité du contrôle des travailleurs détachés. Si l’on ne contrôle pas qu’un travailleur détaché est en conformité avec les règles de son propre pays, nous allons nous retrouver avec des travailleurs qui transgresseraient les règles de leurs pays d’origine mais qui seraient détenteurs de la carte de congés payés française. Il faudra que nous restions vigilants sur ce sujet dans les mois à venir.

Pour ma part, j’ai préféré proposer à l’Europe de mettre en place progressivement une carte du travailleur mobile, équipée d’une puce susceptible d’être informée et interrogée dans tous les pays d’Europe. Cette mesure se trouve dans la proposition de résolution, de même que la création d’une agence européenne du travail mobile parce que les bureaux de liaison ne fonctionnent pas bien.

Monsieur Roumégas, le contrôle n’est jamais exhaustif. Les mailles du filet doivent seulement être assez serrées pour avoir un effet dissuasif, de sorte que des opérations de contrôle puissent déboucher sur des sanctions très lourdes. C’est ce que nous cherchons, et c’est bien parti. J’ai la faiblesse de penser que nos services ont fourni un travail remarquable dans un délai très bref. La mobilisation a été exceptionnelle, même si je ne dis pas qu’elle a été suffisante.

Les services de contrôles du travail illégal sont nombreux : il y en a au sein des douanes, dans les DIRECCTE, dans les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) ou dans la gendarmerie. La coordination en est normalement assurée par les comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF), et le problème est davantage là que dans le manque de moyens. Il est peut-être souhaitable de recruter, mais il faut surtout taper fort. Et taper fort, c’est faire de la dissuasion !

Vous posez une excellente question sur les négriers. Je n’ai pas de réponse mais il faudra nous pencher sur le sujet. Pour des raisons fiscales, une grande partie des agences de travail temporaire sont installées à Chypre. Elles nous envoient des Bulgares ou des ressortissants d’autres pays. C’est devenu un job, du trading de main-d’œuvre low cost.

S’agissant de l’affiliation à la sécurité sociale, évoquée par Christophe Sirugue, je veux dissiper toute ambiguïté : elle doit se faire dans le pays d’origine. Les Français détachés sont plutôt des cadres. Si nous devons proposer à des ressortissants nationaux de travailler quatre mois en Bulgarie avec la sécurité sociale et la retraite bulgares, nous n’enverrons plus personne à l’étranger. C’est aussi pour cela qu’il faut remettre le détachement dans son lit : il ne peut s’agir que d’une démarche liée aux échanges de biens et de services. Dans ce cas, le détachement est sain, il constitue la respiration sociale de l’économie, notamment des échanges internationaux. Il ne peut, en revanche, pas y avoir de marché du détachement comme aujourd’hui. C’est pour cela que nous voulons mettre fin au détachement d’intérim, qui ne constitue pas une fraude mais un dévoiement.

Ne confondons pas tout en affirmant que tout le monde doit cotiser à la sécurité sociale en France. Si c’était le cas, la sécurité sociale des travailleurs des plateformes pétrolières devrait être payée au Gabon ou au Congo : on ne trouvera alors pas grand monde en France pour s’affilier à ces régimes sociaux aux niveaux de prestations très faibles.

À ce sujet, nous souhaitons que la révision du règlement européen de coordination de sécurité sociale permette d’organiser des compensations entre pays en fonction du volume de travailleurs détachés, de façon plus ou moins forfaitaire afin que les systèmes de sécurité sociale ne pâtissent pas du dispositif. Par principe, je continue de penser que le détachement d’intérim et les marchés de placement de main-d’œuvre ne devraient pas exister.

Monsieur Ferrand, nous appliquerons évidemment la directive. Le Premier ministre a seulement voulu dire que si les onze États membres à l’origine de la procédure du carton jaune faisaient jouer la subsidiarité et ne voulaient rien entendre, nous prendrions des mesures unilatérales. L’expression du Premier ministre a été malheureuse, j’en ai discuté avec lui. On ne peut pas s’affirmer Européen et ne pas appliquer une directive, car cela entraîne au moins des pénalités, une traduction devant la Cour de justice de l’Union européenne, et une insécurité juridique qui est préjudiciable à nos propres citoyens.

Monsieur Gilles, la proposition que je faisais n’était qu’incidente. Elle ne reflète que l’état de ma réflexion sur les moyens de retrouver des chauffeurs routiers français. Elle m’a été inspirée par le shipping, ce régime actuellement en vigueur pour les marins français, qui permet une exonération totale de charges sociales. Dans un contexte de concurrence mondiale, on n’a pas su faire autrement pour éviter de ne plus avoir à bord que des Philippins. Je ne vois pas comment nous trouverions d’autres solutions solides pour le transport routier international : avec de tels écarts de charges sociales et de coût du travail, la sélection se fera, à l’international, par les chauffeurs. Je suggère, en conséquence, au Gouvernement d’adopter cette mesure, mais cela n’engage pas la proposition de résolution. Cette solution a toutefois un énorme défaut : les pilotes de ligne, qui gagnent 18 000 euros par mois, demandent que le même régime leur soit appliqué au nom de l’effort de compétitivité qu’on leur demande. Le problème, c’est qu’ils sont nombreux et qu’à ce niveau de salaire, cela constituerait pour notre pays un véritable manque à gagner.

M. Jean-Patrick Gille. Je comprends le raisonnement du rapporteur, mais j’ai aussi entendu ce qu’il a dit sur l’usage de la notion de subsidiarité. Je suis réticent à l’idée que nous commencions à décider que telle ou telle profession est exonérée de charges sociales. En la matière, l’Europe me semble constituer le bon niveau de réglementation. Il faut se servir de ces sujets comme d’un levier pour parvenir, par exemple, à fixer un forfait de charges sociales au niveau européen. Mieux vaut définir collectivement un niveau minimal plutôt que de s’en tenir au zéro charge.

M. le rapporteur. C’est précisément ce que nous observons à l’alinéa 25 de la proposition de résolution qui prévoit « que le principe de subsidiarité […] vaut dans les deux sens, et qu’il trouve opportunément matière à s’appliquer au profit d’un accroissement des règles et des compétences communautaires dans un domaine comme le travail international ». Ce n’est qu’à la toute fin de la résolution que nous soulignons, pour faire pression au niveau européen, que si la subsidiarité doit jouer dans un sens souverainiste, nous prendrons des mesures de façon unilatérale. La question du transport routier n’est pas traitée spécifiquement. La mesure que je propose d’appliquer à ce secteur serait, en tout cas, aujourd’hui parfaitement conforme aux règles européennes : il s’agit d’une mesure nationale interne.

M. Rémi Delatte. Madame la présidente, je voudrais lever toute ambiguïté sur ce qu’a voulu dire Isabelle Le Callennec, pour éviter une mauvaise interprétation de ses propos – d’autant que vous avez constaté la convergence de l’ensemble des membres de cette commission. Notre collègue a tout simplement expliqué qu’à partir du moment où certains emplois étaient pourvus avec des travailleurs détachés dans des conditions de salaire ou de travail qui ne sont acceptables, ils n’étaient pas proposés à des personnes en recherche d’emploi. Elle n’a pas du tout prétendu que quiconque serait satisfait de ne pas trouver d’emploi.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Mme Le Callennec a fait un lien avec le niveau d’indemnisation du chômage, qu’elle a évoqué dans la même phrase.

M. Rémi Delatte. Elle se contentait de relever que cet état de fait devait conduire à mener une réflexion sur l’indemnisation du chômage mais, en aucun cas, ne faisait un lien qui n’existe pas, ni ne sous-entendait que certains se complairaient dans la situation de demandeur d’emploi.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Le doute est ainsi levé.

Dans un contexte européen tendu après le vote en faveur du Brexit, nous cherchons tous à éviter un phénomène de contagion. Cette proposition de résolution montre que l’Europe ne peut pas se construire dans une confrontation entre les États membres sur la question de la libre circulation des travailleurs. Il faut une régulation pour éviter de tomber dans la caricature du plombier polonais, séquence de stigmatisation que j’avais, pour ma part, très mal vécue.

EXAMEN DE L’ARTICLE UNIQUE

La Commission en vient à l’article unique de la proposition de résolution.

La Commission est saisie de l’amendement AS1 de M. Jean-Philippe Nilor.

M. Jean-Philippe Nilor. L’Union européenne compte actuellement neuf régions ultrapériphériques (RUP) dont six françaises : la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Martin et la Guyane. Toutes sont soumises aux politiques communes.

Ces régions souffrent d’un réel blocage de développement qui peine à se résorber malgré les fonds de soutien et de nombreux programmes européens dont elles ont pu bénéficier au nom de la politique de cohésion. Elles sont fortement impactées par le chômage – le taux de chômage des jeunes de moins de vingt-cinq ans est de 65 % à la Martinique. Le niveau de vie y est aussi particulièrement dégradé : le PIB moyen par habitant correspond globalement à la moitié de celui de l’Union européenne.

La situation économique et le risque d’explosion sociale rendent indispensable un rattrapage en matière d’équipements collectifs et d’infrastructures, non seulement pour améliorer le cadre vie des populations, mais également pour générer des emplois, étant donné que le secteur du BTP est l’un des seuls pourvoyeurs en la matière, notamment en périodes de grands chantiers.

Or, au cours des dernières années, alors que de grands chantiers ont été lancés, on a observé que la majorité des marchés de la construction étaient remportés par des entreprises françaises ou des multinationales qui avaient quasi systématiquement recours à des travailleurs détachés, et parfois même au travail dissimulé via des agences d’intérim aux pratiques douteuses, au détriment de la main-d’œuvre locale.

On nous dit que les services de l’inspection du travail s’attachent, notamment dans les RUP françaises, à vérifier le respect de la réglementation européenne applicable aux prestations de services internationales, et du droit du travail et des conventions collectives applicables. Pourtant, nombre de contrevenants passent entre les mailles du filet – c’est manifestement encore plus facile chez nous qu’en métropole. Quant aux grands donneurs d’ordres, ils ne sont pas toujours exemplaires en matière d’anticipation des besoins en emplois et compétences nécessités par leurs chantiers, et ils ne cherchent pas non plus à initier l’intégration des compétences locales.

À l’évidence, l’adaptation des normes européennes à la réalité des outre-mer est indispensable et légitime – l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne est expressément prévu à cet effet. Mon amendement vise à faire en sorte que la proposition de résolution tienne compte des spécificités des RUP françaises et permette à la Commission européenne de prévoir, dans sa révision de la directive concernant le détachement des travailleurs, des dispositions visant à favoriser la mobilisation de la main-d’œuvre locale dans les régions ultrapériphériques françaises.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je rappelle que les trois autres RUP européennes sont les Açores et Madère, portugaises, et les îles Canaries, espagnoles.

M. le rapporteur. J’ai bien conscience des difficultés particulières que rencontrent nos régions ultrapériphériques d’outre-mer. Toutefois, cet amendement me pose un double problème. D’une part, il ne se rattache à aucune législation en vigueur s’agissant du traitement différencié de la métropole et des RUP, et, d’autre part, sur le sujet particulier des travailleurs détachés, je ne vois pas de spécificité de ces territoires.

Ce problème affecte également en métropole des régions touchées par des taux de chômage considérables, comme l’ancienne région du Nord. La réponse est la même : application de la législation et de la directive européenne et renforcement des contrôles. Ce dernier relève peut-être d’une problématique particulière dans les régions ultrapériphériques, mais, globalement, je constate qu’il n’existe les concernant ni de spécificité juridique ni de spécificité du phénomène lui-même.

De plus, je ne vois pas comment nous pourrions demander que ne soient protégées que les régions ultrapériphériques françaises. Ce serait envoyer un bien étrange message à l’Europe. Il me semble fort peu probable qu’elle veuille se pencher sur un cas particulier.

Monsieur Nilor, si vous acceptiez de retirer votre amendement, je suis prêt à en présenter un moi-même afin qu’une attention particulière soit portée aux régions ultrapériphériques. L’alinéa 13 de la proposition de résolution
– « Considérant que les dérives du détachement de travailleurs sont contraires au principe de concurrence libre et non faussée du marché intérieur européen, en cela qu’elles tendent à contourner le principe de subsidiarité des politiques salariales et sociales en proposant sur les marchés du travail nationaux une main-d’œuvre qui ne bénéficie ni des mêmes conditions d’emploi et de travail, ni de la même couverture sociale que les travailleurs nationaux, » – serait ainsi complété par les mots : « en Europe continentale comme dans les régions ultrapériphériques de l’Union européenne, ».

M. Jean-Philippe Nilor. Les régions ultrapériphériques bénéficient d’un statut spécifique, qui atteste bel et bien de leur différence. C’est non seulement leur éloignement géographique, mais aussi leurs handicaps et leur situation spécifique qui sont ainsi reconnus, et cela par les instances européennes elles-mêmes. Ne soyons pas plus stricts que l’Europe ! La législation européenne est beaucoup plus ouverte que ce que vous dites, et je répète que l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne permet un traitement spécifique des RUP.

Bien sûr, le problème des travailleurs détachés touche toutes les régions. Cependant, lorsque, à la Martinique, où le chômage touche 65 % des moins de vingt-cinq ans, pour certains formés, une entreprise comme EDF fait venir pour un gros chantier 600 travailleurs détachés, il y a de quoi être choqué. Je ne viens pas pleurer mais pour rappeler que nos territoires ne présentent pas les mêmes conditions économiques que la métropole, ce qui rend les comparaisons avec certaines de ses régions non pertinentes. La micro-insularité et la distance font que l’application des règles nationales ou européennes ne se fait pas outre-mer dans les mêmes conditions que dans l’hexagone. C’est pourquoi j’insiste sur la situation spécifique et particulière des outre-mer.

Cela dit, rien n’empêche que vous défendiez l’amendement que vous venez de proposer, et que je maintienne le mien.

M. Jean-Louis Costes. La République française est une et indivisible. La question des travailleurs détachés est suffisamment compliquée, et le message de la France est déjà assez difficile à faire passer sans que nous demandions en plus un traitement dérogatoire en faveur de nos outre-mer. Cela ne serait absolument pas crédible. Nous voterons contre l’amendement de M. Nilor.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Vous serez surpris d’entendre, monsieur Costes, que depuis la Constitution de 1958 et le début de la déconcentration des services de l’État voulue par le général de Gaulle, la République n’est plus qu’« indivisible ».

M. le rapporteur. Je sais l’extrême sensibilité des problèmes d’emplois dans les outre-mer, mais les exemples que Jean-Philippe Nilor avance recevront comme réponse de l’Europe que la question est franco-française.

En tout état de cause, même si je ne vois toujours pas la spécificité du phénomène, je répète qu’il faudrait au moins se battre au niveau européen avec les autres régions ultrapériphériques de l’Union. De plus, pour reprendre l’exemple d’EDF, j’imagine qu’elle n’a pas embauché 600 personnes dans la région des Caraïbes.

M. Jean-Philippe Nilor. C’était des Roumains, des Ukrainiens, des Polonais…

M. le rapporteur. Si j’étais commissaire européen, je suggérerais à la France de balayer devant sa porte, en l’occurrence d’expliquer à EDF, qui reste une entreprise publique, que cette pratique est légale mais pose des problèmes politiques. Je m’étonne aussi que l’on transporte de la main-d’œuvre de Roumanie vers la Martinique – en termes de coût, cela n’a rien à voir avec un déplacement de travailleurs roumains vers l’Autriche. La question est donc de savoir s’il existe vraiment sur place une main-d’œuvre qualifiée pour les métiers à pourvoir, et elle interroge directement la France. Ne sommes-nous pas coupables de n’avoir pas mis en place les qualifications nécessaires ou de n’avoir pas demandé à EDF d’assurer des formations ? Quoi qu’il en soit, le sujet ne me semble pas être du ressort de l’Union européenne.

J’ajoute que je ne voudrais pas que nous affaiblissions le message que nous voulons envoyer à l’Europe en posant des problèmes particuliers franco-français. La confrontation avec nos partenaires est déjà suffisamment difficile.

J’émets, en conséquence, un avis défavorable à votre amendement, monsieur Nilor. Non pas que vos préoccupations soient inintéressantes, négligeables ou marginales, bien au contraire, mais elles me semblent malvenues ici. Je me propose, en revanche, de faire clairement mention des RUP en présentant un amendement à l’alinéa 13.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Pour aller dans votre sens, monsieur le rapporteur, je rappelle que les îles Canaries connaissent un taux de chômage de près de 29 %, indicateur qui est de 19 % à Madère.

M. Jean-Philippe Nilor. Je veux bien qu’il n’y ait pas de spécificité des RUP françaises, mais le statut des RUP européennes ne fait aucun doute : l’Europe reconnaît que les régions ultrapériphériques ont des difficultés spécifiques et subissent des blocages de développement liés à l’ultrapériphérie. Je ne cherche pas du tout à me démarquer des autres régions ultrapériphériques européennes.

Les problèmes que nous rencontrons sont bien réels et, un peu partout sur nos territoires, nous sommes au bord de l’explosion sociale. L’indivisibilité de la République se traduit par une injustice profonde, car elle ne permet pas de mener des politiques publiques intelligentes adaptées à nos territoires. Il serait important d’engager dès maintenant une réflexion sur ce point.

La Commission rejette l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement AS2 du rapporteur.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je rappelle qu’il s’agit d’ajouter, à la fin de l’alinéa 13, les mots : « en Europe continentale comme dans les régions ultrapériphériques de l’Union européenne, », cette mention permettant d’inclure les autres RUP européennes que sont les Açores, les Canaries et Madère, qui n’étaient pas prises en compte par l’amendement de M. Nilor.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle adopte la proposition de résolution modifiée.

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En conséquence, la Commission des affaires sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la proposition de résolution européenne sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs (COM[2016] 128 final) (n° 3885) dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

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