N° 4219 - Rapport de M. Philippe Folliot sur la proposition de loi de M. Philippe Folliot et plusieurs de ses collègues portant modification de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 visant à donner un statut à l’île de Clipperton (4102).




N
° 4219

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 novembre 2016

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 4102) portant modification de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton et visant à donner un statut à l’île de Clipperton,

PAR M. Philippe FOLLIOT

Député

——

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I. UNE ÎLE D’IMPORTANCE STRATÉGIQUE POUR NOTRE PAYS NÉANMOINS DÉLAISSÉE 7

A. UNE ÎLE GÉOGRAPHIQUEMENT ET SCIENTIFIQUEMENT IMPORTANTE… 7

1. Une situation géographique stratégique 7

2. Un intérêt scientifique majeur 9

B. … NÉANMOINS INSUFFISAMMENT VALORISÉE PAR LA FRANCE 11

1. Une île qui demeure convoitée 11

2. Un espace à l’état de quasi-abandon dont l’écosystème est menacé 12

3. Les conséquences de l’absence de statut propre à l’île 15

II. UNE PROPOSITION DE LOI POUR DONNER À CLIPPERTON UN STATUT ADAPTÉ AUX ÉVOLUTIONS NÉCESSAIRES DE L’ÎLE 16

A. UNE ÉVOLUTION INSTITUTIONNELLE ET ADMINISTRATIVE CONJUGUANT VALORISATION, GESTION ET PROTECTION ENVIRONNEMENTALE DE L’ÎLE 16

1. Une collectivité à statut particulier dotée de la personnalité morale 17

2. Une collectivité soumise au principe de spécialité législative 17

3. Une collectivité placée sous l’autorité d’un administrateur supérieur 17

4. L’encadrement des activités sur l’île 18

B. L’ACTE I D’UN PROCESSUS VISANT À L’IMPLANTATION D’UNE STATION SCIENTIFIQUE À VOCATION INTERNATIONALE 19

1. L’installation, à terme, d’une station scientifique française à caractère internationale 19

2. Les sources de financement possibles 21

DISCUSSION GÉNÉRALE 23

EXAMEN DES ARTICLES 31

Article 1er(intitulé de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton) : Modification du nom de l’île de Clipperton 31

Article 2 (art. 9 et 10 à 20 [nouveaux] de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton) : Reconnaissance de l’île de La Passion – Clipperton comme un territoire à statut particulier 31

Article 3 : Gages financiers 37

TABLEAU COMPARATIF 39

PERSONNES ENTENDUES 45

Mesdames, Messieurs,

La proposition de loi (n° 4102) portant modification de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 visant à donner un statut à l’île de Clipperton, inscrite à l’ordre du jour de la journée réservée au groupe Union des démocrates et indépendants (UDI) du jeudi 24 novembre 2016, est une initiative transpartisane. Elle émane de 55 députés appartenant aux groupes UDI, Les Républicains, Socialiste, écologiste et républicain ainsi que Radical, républicain, démocrate et progressiste.

Cette proposition est le fruit de plusieurs mois de réflexion conduite par votre rapporteur dans le cadre de la mission temporaire que lui a confiée le Premier ministre en septembre 2015, au terme de laquelle il a formulé plusieurs recommandations visant à valoriser l’île de Clipperton par l’implantation d’une station scientifique à caractère international (1).

Seul atoll du Pacifique nord-oriental, l’île de Clipperton, également connue sous son nom historique, l’île de La Passion, est le quatrième territoire français de l’océan Pacifique (2) et le sixième de l’outre-mer par son extension maritime (3).

Découverte le Vendredi saint 4 avril 1711 – ce qui lui valut le nom d’île de La Passion – par les explorateurs Michel Dubocage et Mathieu Martin de Chassiron, commandant respectivement les frégates La Découverte et La Princesse, l’île est sous la souveraineté de la France depuis la prise de possession publique intervenue le 17 novembre 1858 par le lieutenant de vaisseau Victor le Coat de Kervéguen.

La même année, Napoléon III approuve une concession pour l’exploitation du guano (4) par des entrepreneurs américains, qui exerceront leur activité par intermittence jusqu’au 13 décembre 1897, date à laquelle le Mexique affirme ses droits sur ce territoire. Au terme d’un arbitrage entre ce pays et la France, décidé le 2 mars 1909 et rendu par le roi d’Italie, Victor-Emmanuel III, le 28 janvier 1931, la souveraineté française sur l’île est définitivement reconnue.

Rattachée par un décret du 12 juin 1936 au Gouvernement des Établissements français d’Océanie, devenus en 1957 la Polynésie française, l’île est de facto placée sous l’autorité du Gouvernement depuis un arrêté du 18 mars 1986. Depuis 2007, la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton a clarifié son régime juridique en la maintenant sous l’autorité directe du Gouvernement, le ministre de l’outre-mer ayant toutefois délégué ses compétences sur place au haut-commissaire de la République en Polynésie française.

Sous souveraineté française, l’île se trouve aujourd’hui dans un état de relatif délaissement administratif. De manière plus préoccupante encore, elle donne l’impression d’un quasi-abandon face aux menaces qui pèsent sur ses espaces, ses richesses environnementales et ses ressources halieutiques : omniprésence des déchets, croissance non maîtrisée des fous masqués au détriment des autres espèces animales, eutrophisation (5) progressive du lagon… Or, même inhabité, et avec seulement 2 km2 de terres émergées, Clipperton est un espace géographiquement et scientifiquement stratégique pour notre pays, en raison de sa zone économique exclusive de 434 000 km2, de sa localisation et de son importance sur les plans climatologique, océanographique, géophysique, systématique et biogéographique (I).

Votre rapporteur peut en témoigner puisqu’il a eu l’honneur d’être le premier parlementaire à se rendre sur place en avril 2015 en s’associant, par ses propres moyens, à l’expédition Passion 2015 (6), dirigée par le professeur Christian Jost dans le but d’étudier, avec des scientifiques français et mexicains, l’écosystème local.

Aussi est-il temps de réaffirmer la souveraineté nationale sur cet atoll, de le valoriser et d’en protéger le milieu naturel en le dotant d’un statut administratif spécifique, inspiré de celui qui régit les TAAF et prélude à la création d’une base scientifique à vocation internationale (II).

Pourtant stratégique par son positionnement géographique et d’importance reconnue sur le plan scientifique (A), l’île de Clipperton apparaît relativement délaissée si l’on en juge par l’évolution de sa faune et de sa flore (B).

Sa position dans l’océan Pacifique (1) comme son intérêt scientifique (2) font de Clipperton une île importante pour la place de la France dans le Pacifique.

L’île de Clipperton est située à 1 110 km à l’ouest des côtes mexicaines, à près de 4 000 km des premières terres françaises – les îles Marquises – et à 1 000 km de l’île la plus proche – Revillagigedo. L’atoll occupe une position géographique singulière, puisqu’il est le seul du Pacifique nord-oriental, ce qui en fait un endroit stratégique pour la France.

SITUATION GÉOGRAPHIQUE DE CLIPPERTON

Source : Cartothèque de l’Agence des aires marines protégées (http://cartographie.aires-marines.fr/?q=carto/simple#).

D’une superficie totale de 9 km2 mais de seulement 1,7 km2 de terres émergées, il confère à la France une souveraineté sur une zone maritime de près de 434 000 km2 depuis la création des zones économiques exclusives (ZEE) (7) françaises le 3 février 1978, soit davantage que la seule ZEE de l’hexagone.

LES ZONES ÉCONOMIQUES EXCLUSIVES DE LA FRANCE

Domaine maritime français

Superficie terrestre
(milliers de km2)

Longueur du trait de côte (km)

Superficie des ZEE
(milliers de km2)

Ratio ZEE/superficie terrestre

Hexagone

551,7

5 853

349

0,6

Martinique

1,13

293

47

41,6

Guadeloupe

1,70

405

86

50,6

Saint-Martin

0,053

50

1

18,9

Saint-Barthélemy

0,025

24

4

160

Guyane

86,5

608

126

1,46

Total Antilles-Guyane

89,41

1 380

264

2,9

La Réunion

2,51

206

304

121,1

Tromelin

0,001

4

304

304 000

Europa

0,028

35

140

5 000

Bassa da India

0,0002

1

126

630 000

Juan de Nova

0,004

11

71

17 750

Mayotte

0,37

135

62

167,6

Glorieuses

0,007

9

51

7 286

Total Océan indien

2,92

401

1 058

362,3

Polynésie française

4,17

4 497

4 804

1 152

Nouvelle-Calédonie

18,58

3 367

1 364

73,4

Wallis et Futuna

0,14

106

266

1 900

Kerguelen

7,22

2 340

547

75,8

Crozet

0,35

156

562

1 606

Amsterdam et Saint-Paul

0,06

43

506

7 906

Total Iles australes

7,63

2 539

1 615

211

Saint-Pierre-et-Miquelon

0,24

137

10

41,7

Clipperton

0,01

5

434

43 400

Total France

674,81

18 285

10 164

15,1

Source : Rapport d’information n° 430 (session ordinaire de 2013-2014) fait par MM. Jean-Étienne Antoinette, Joël Guerriau et Richard Tuheiava au nom de la Délégation sénatoriale à l’outre-mer, Les zones économiques exclusives (ZEE) ultramarines : le moment de vérité, avril 2014, pp. 132-133.

Avec les autres outre-mer, Clipperton permet à la France d’avoir une ZEE de près de 11 millions de km2 (8), la deuxième au monde derrière celle des États-Unis et devant celle de l’Australie. Il s’agit également de l’une des ZEE les plus diversifiées, occupant les deux hémisphères. À titre d’illustration, grâce à ses outre-mer, la France dispose de 10 % des récifs coralliens recensés dans les différents océans de la planète.

EAUX SOUS JURIDICTION FRANÇAISE DANS LE MONDE

Source : Cartothèque de l’Agence des aires marines protégées (http://cartographie.aires-marines.fr/?q=carto/simple#).

Au cours de la mission parlementaire que lui a confiée le Premier ministre en septembre 2015, votre rapporteur a constaté que Clipperton revêt, à divers titres, un réel intérêt scientifique. « Seule terre émergée éloignée de l’influence du continent américain et donc de la plupart des influences anthropiques », l’atoll « constitue un emplacement fixe de très grande qualité pour les relevés et les mesures tant océanographiques, atmosphériques, biologiques que lithosphériques », permettant « de combler le vide existant dans tout le pacifique nord-oriental en matière de dispositifs de mesure et de suivi » (9).

Sur le plan climatologique, l’île de La Passion présente un intérêt tant pratique, pour l’étude du régime des vents et la mesure de la qualité de l’air, de la dilution des pollutions ou de l’opacité de la lumière en raison de l’absence de perturbations directes extérieures, qu’universitaire, pour la recherche sur le phénomène El Niño (10) et la formation des tempêtes tropicales ou des cyclones dans le pacifique nord-oriental. Les paléo-climatologues, qui reconstituent les conditions climatiques ayant régné à la surface de la Terre dans le passé et expliquent leur évolution, voient également Clipperton comme une station intéressante de mesure de la formation et de l’évolution de la ceinture corallienne.

D’un point de vue océanographique, l’île, au croisement de plusieurs satellites, constitue le seul point fixe du nord-est de l’océan Pacifique permettant de vérifier le niveau des océans tel qu’il est relevé par les satellites et de prévenir les crues, inondations et tsunamis.

Pour l’étude des poissons, l’atoll, relais-étape le long de la côte américaine, constitue un centre d’intérêt pour l’analyse des flux migratoires, l’exploration ainsi que l’identification des poissons de fond et de nouvelles espèces.

Dans le domaine de la géophysique, l’île, pôle de rotation tectonique de la plaque pacifique, pourrait accueillir des dispositifs de mesure de déplacement des plaques ou des sismographes, ce qui permettrait d’actualiser les relevés topographiques et bathymétriques (11) dont elle a fait l’objet.

Clipperton, l’un des atolls coralliens les plus isolés au monde, présente enfin une importance systématique et biogéographique pour l’étude de la connectivité des espèces et dans une perspective de constitution d’aires marines protégées communes à plusieurs États, à l’instar de celles qui existent entre les îles Cocos du Costa-Rica, le parc national de Coiba au Panama, les îles colombiennes de Malpelo et Gorgona ainsi que les îles Galápagos en Équateur (Eastern tropical pacific seascape project).

Nombre des personnes auditionnées par votre rapporteur au moment de sa mission sur Clipperton ont donc estimé qu’« une station permanente à La Passion serait pour des centaines de chercheurs une source de connaissances précieuses » (12) et constituerait un appui logistique à terre utile pour les navires en mission sur place.

Cet intérêt scientifique a d’ailleurs déjà motivé plusieurs expéditions sur place.

La plus longue d’entre elles a été conduite dans le cadre des missions militaires Bougainville entre 1966 et 1969, au cours desquelles des études sur l’hydrologie du lagon, la faune et la flore furent réalisées par Pierre-Marie Niaussat et Jean-Pierre Ehrhardt. Des expéditions plus récentes ont été menées dans le cadre du programme Passion, qui, depuis une quinzaine d’années, étudie l’évolution de l’atoll. La dernière en date, Passion 2015, consacrée à l’inventaire de la biodiversité et à la connectivité des espèces, faisant suite aux missions Passion 2013, Passion 2001 et SURPACLIPP, expédition océanographique mexicano-française en 1997, s’est déroulée sur l’île en avril 2015 ; elle a bénéficié du soutien logistique de la marine nationale et de l’armée de terre ainsi que des financements de l’Agence française de développement et du Fond de coopération économique, sociale et culturelle pour le Pacifique, dit « Fond Pacifique ».

Comme a pu le vérifier votre rapporteur sur place en s’associant à l’expédition Passion 2015, Clipperton paraît être tombé dans un relatif oubli, malgré la visite annuelle ou biannuelle de bâtiments de la marine nationale française. Alors qu’elle suscite encore des convoitises étrangères (1), l’île présente le visage d’un espace à l’état de quasi-abandon (2), aggravé par l’absence de statut propre à cet atoll (3).

Quoique juridiquement certaine, la souveraineté française ne serait pas complètement admise par le Mexique, comme tendent à le prouver les travaux du professeur Christian Jost (13). Outre qu’ils contestent l’impartialité de l’arbitrage rendu en 1931 par le roi d’Italie Victor Emmanuel III, les Mexicains seraient majoritairement favorables à la restitution de l’île au Mexique (14).

Certaines personnes montreraient un intérêt encore plus manifeste pour Clipperton.

Dès 1992, l’ancien ministre de l’éducation Miguel González Avelar a publié un ouvrage arguant de l’antériorité de la découverte de l’île par les Espagnols (15) et a signé, en 2001, une lettre suivie d’une pétition adressée au président mexicain Vicente Fox lui demandant d’intervenir auprès de la France pour récupérer Clipperton (16). En 2004, l’homme d’affaires Manuel Arango a produit un film sur Clipperton clairement favorable à une possession mexicaine de l’île (17) et a financé une mission scientifique sur place.

Par ailleurs, l’île est d’autant plus convoitée qu’elle abrite l’une des zones les plus riches au monde en thonidés, permettant à la France d’être membre de droit de la Commission interaméricaine du thon tropical (CITT), chargée de réglementer la pêche dans l’Océan Pacifique oriental et au sein de laquelle siègent d’importantes puissances internationales, comme le Canada, les États-Unis et le Japon. De surcroît, ses fonds marins sont tapissés de nodules polymétalliques, sources potentielles de ressources minérales stratégiques en raison de leur concentration en cuivre, nickel et cobalt.

Comme le résumait un rapport d’information sénatorial sur les zones économiques exclusives ultramarines en 2014, « dans le contexte de campagnes de presse régulièrement menées au Mexique pour mettre en cause les droits français sur Clipperton mettant en cause le défaut d’occupation effective de l’îlot », la pression sur la France « ne fera probablement qu’augmenter au fur et à mesure que les perspectives d’exploitation des ressources minérales sous-marines se confirmeront, notamment à la faveur de l’avancée des explorations menées sous l’égide de l’Autorité internationale des fonds marins tout près de Clipperton » (18).

L’atoll, en particulier sur sa côte nord-ouest, est jonché de déchets en tous genres, qui sont :

–  soit les vestiges des occupations mexicaine entre 1897 et 1917, américaine en 1944 et française entre 1966 et 1969 (fragment de wagonnets et de rails, chalands de débarquement, munitions, sacs de ciment, bidons…) ;

Source : Philippe Folliot, Valoriser l’île de La Passion (Clipperton) par l’implantation d’une station scientifique à caractère international, Rapport remis à Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer, 9 juin 2016, p.18.

–  soit le résultat de l’accumulation des déchets rejetés par l’océan (déchets plastiques et de verre, bouées de flottaison ou émettrices…) ;

Source : Idem, p.17.

–  soit des restes laissés par les narcotrafiquants qui utilisent le lagon comme point logistique d’appui (ballots de cocaïne).

La multiplication des déchets et l’état de quasi-abandon dans lequel se trouve l’île menace son écosystème, comme en témoigne la prolifération des rats, accidentellement introduits à la suite de l’échouement d’un navire.

Cette menace est aggravée par l’absence de gestion durable de l’atoll, notamment en matière de pêche.

À la suite d’un différend sur l’application du droit français au large de l’île (19), un accord a été signé entre la France et le Mexique le 29 mars 2007 sur les activités de pêche des navires mexicains dans les 200 miles marins entourant l’île de Clipperton. Cet accord a eu pour effet d’octroyer des licences gratuites aux navires de pêche mexicains qui en font la demande, ces derniers ayant pour seules obligations de figurer au registre de la CITT, de se conformer aux mesures de conservation établies par cette Commission et de détenir leur licence à bord. L’unique compensation de cet accord est l’élaboration d’un programme de recherche en matière de sciences de la mer et de la pêche.

De fait, l’absence réelle de contrepartie à cet accord ne permet pas une pêche durable et responsable à Clipperton, ce qui réduit significativement la quantité des ressources halieutiques locales et appauvrit en conséquence les ressources alimentaires des grandes espèces du fond de l’océan, maillons essentiels de la chaîne alimentaire (thons, dauphins, requins…).

Les risques qui pèsent sur la biodiversité se mesurent également à l’évolution de la faune aviaire. On assiste en effet à la croissance exponentielle et non maîtrisée des fous masqués, qui seraient passés de 150 en 1958 à 110 000 en 2005. Cette prolifération incontrôlée s’explique notamment par l’élimination, en 1958, des porcs qui avaient été introduits sur l’île en 1897 et qui contribuaient à l’équilibre entre les espèces, notamment les crabes et les fous masqués. Cette prédominance a plusieurs conséquences :

–  elle prive les autres espèces d’oiseaux d’un lieu important pour faire étape sur la route des migrations ;

–  elle a entraîné l’explosion du nombre de crabes terrestres qui, en dévorant toutes les formes de végétation à leur portée, sont l’une des causes de la disparition de la quasi-totalité de la couverture végétale de l’île ;

–  elle précipite l’eutrophisation naturelle du lagon puisque les déjections trop nombreuses de ces milliers d’oiseaux ne sont pas compensées par un renouvellement suffisant des eaux, en raison de la fermeture naturelle, entre 1839 et 1858, des deux passes du lagon ;

–  elle amplifie la diminution des ressources halieutiques : les 110 000 fous masqués prélèveraient, pour se nourrir, 23 600 tonnes de poissons par an, auxquels il convient d’ajouter les besoins des 8 000 autres oiseaux présents sur l’atoll.

Source : Christian Jost, « Risques environnementaux et enjeux à Clipperton (Pacifique français) », Cybergeo : European Journal of Geography [en ligne], Environnement, Nature, Paysage, document 314, 1er juillet 2005.

Enfin, l’impossibilité de faire aboutir les projets de valorisation économique et scientifique de l’île proposés par le passé faute d’engagement suffisant de la part des pouvoirs publics ne fait qu’alimenter l’impression de délaissement de Clipperton. Parmi ceux-ci peuvent être cités l’établissement et l’exploitation d’une base de pêche permanente (20), assortis le cas échéant de l’installation de dispositifs à visée scientifique (21), l’implantation de radars de suivi de la fusée Ariane, la création d’une station scientifique et militaire (22) ou l’installation d’une station météorologique automatique par Météo France.

Cette situation est en partie aggravée par l’absence de statut propre à l’île. En effet, n’étant pas une collectivité d’outre-mer régie par le principe de spécialité législative, Clipperton se voit soumis à l’ensemble du droit métropolitain sans adaptation particulière (principe d’identité législative), ce qui rend incertaines les modalités d’application des règles sur place.

Ainsi, une lecture stricte de certaines dispositions relatives au littoral introduites dans notre droit par la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite « loi littoral », pourrait empêcher leur application à Clipperton. Il en va ainsi des règles de partage des compétences confiant aux communes des responsabilités en matière de protection des espaces maritimes puisque l’île ne comporte pas de commune et ne constitue pas davantage une collectivité à statut particulier.

De même, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit des dispositions particulières en matière de traitement des demandes d’asile dans les outre-mer, y compris dans les terres australes et antarctiques françaises (TAAF). À défaut de précision, l’étranger qui, arrivant ou séjournant à Clipperton de manière irrégulière et demandant l’admission au titre de l’asile, devrait être invité à quitter sans délai l’île et conduit vers la métropole et non l’île française la plus proche, ce qui n’est pas satisfaisant.

La même faiblesse juridique fragilise l’application de certaines règles du code de l’environnement (réserves naturelles, pollution des eaux marines, conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages…), qui ne comporte aucune disposition spécifique à Clipperton, à la différence des TAAF, alors même que ces territoires sont confrontés tous deux à d’importantes problématiques environnementales.

Il est temps que la France se replace dans le Pacifique nord en renforçant les conditions d’exercice de sa souveraineté sur l’île de Clipperton et en marquant son attachement à ce territoire, par la modernisation de son régime institutionnel et administratif (I). Pour votre rapporteur, il ne s’agit toutefois que de la première étape, nécessaire mais insuffisante, d’un processus plus vaste visant à installer sur l’île une station scientifique à vocation internationale (II).

Partant du constat de la difficulté de protéger et de surveiller l’île et ses ressources, marines notamment, la proposition de loi dote Clipperton d’un nouveau statut, largement inspiré de celui des terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

Les articles 1er et 2 (alinéas 4 et 6) rétablissent dans la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton l’usage du nom originel de l’île, en lui adjoignant le nom d’île de La Passion.

En lieu et place de l’actuel titre II de cette loi et de son article 9 plaçant cette île « sous l’autorité directe du Gouvernement » et y appliquant de plein droit l’ensemble des lois et règlements, l’article 2 crée un nouveau titre II comportant vingt-deux nouveaux articles.

Ces articles sont pris en application du dernier alinéa de l’article 72-3 de la Constitution, qui habilite le législateur à « détermine[r] le régime législatif et l’organisation particulière des terres australes et antarctiques françaises et de Clipperton ».

Ils définissent un nouveau régime institutionnel et administratif pour Clipperton, fondé, comme les TAAF, sur la création d’une collectivité à statut particulier (1), l’adaptation du régime législatif applicable (2) et la création d’une fonction d’administrateur supérieur de l’île (3). Il est également prévu un encadrement spécifique des activités susceptibles d’y être menées (4).

Clipperton deviendrait ainsi une « collectivité à statut particulier, dotée de la personnalité morale et possédant l’autonomie administrative et financière » (article 10 nouveau(23).

La solution retenue, qui s’accompagne d’un adossement de la nouvelle collectivité aux services de l’État en Polynésie française, permet de conserver l’identité propre de Clipperton et d’autoriser l’affectation de recettes extrabudgétaires à la gestion et au fonctionnement de l’atoll (licences de pêche, redevances sur diverses activités…).

Elle offre plus d’avantages que le statu quo ou le rattachement de Clipperton à la collectivité des TAAF, qui présenterait le risque de distendre les liens entre ce territoire et les organismes de recherche ou les universités du Pacifique, le siège des TAAF étant situé à Saint-Pierre, à La Réunion.

Alors que l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires s’applique aujourd’hui de plein droit sur l’île, Clipperton se verrait désormais soumis au principe de spécialité législative. Les lois et règlements ne s’y appliqueraient plus que sur mention expresse, afin de ne viser que les textes pertinents et adaptés aux conditions locales (article 11 nouveau).

Des exceptions seraient toutefois prévues dans certaines matières pour lesquelles il n’y a pas lieu de prévoir des dispositions spécifiques (règles relatives aux pouvoirs publics, défense nationale, nationalité, droit civil, pénal ou commercial, règles monétaires et financières, procédure administrative, recherche…).

Par ailleurs, le nouvel article 12 règle les modalités d’entrée en vigueur des lois et règlements sur place.

L’île serait placée sous l’autorité d’un administrateur supérieur dont le rôle et les prérogatives sont précisés par les nouveaux articles 13 à 16.

Comme pour les TAAF, cet administrateur, assisté d’un conseil consultatif (article 14 nouveau), aurait pour missions :

–  de veiller au maintien de l’ordre public, à l’exercice des libertés publiques et au respect des droits ;

–  de diriger les services de l’État sur place ;

–  d’exercer certaines missions en matière de défense nationale et d’action de l’État en mer ;

–  de contrôler les organismes et personnes recevant des financements de l’État ;

–  et, à ces fins, d’exercer le pouvoir réglementaire (article 13 nouveau).

Il serait autorisé à déroger à l’obligation de dépôt des fonds auprès du Trésor public afin de placer la trésorerie de l’île et en obtenir une rémunération (article 16 nouveau).

À la différence des TAAF, les crédits nécessaires au fonctionnement de la collectivité à statut particulier ainsi créée ne seraient toutefois pas inscrits au budget de l’outre-mer dans la mesure où l’administrateur supérieur disposerait, « pour l’administration de la Passion, du concours du haut-commissariat et des services de l’État installés en Polynésie française » et, « en tant que de besoin, du concours de l’administration des terres australes et antarctiques françaises » (article 15 nouveau).

Afin de limiter les coûts supplémentaires générés par cette réforme, il n’existerait pas à proprement parler d’administration supérieure de Clipperton et la fonction d’administrateur supérieur serait de facto exercée par le haut-commissaire de la République en Polynésie française. L’adossement de cette nouvelle collectivité aux services de la Polynésie française et, en tant que de besoin, à ceux des TAAF, permettra de faire bénéficier l’île de l’expérience et des meilleures pratiques développées par ces deux autres collectivités.

Enfin, les nouveaux articles 17 à 19 procèdent à un encadrement des activités susceptibles d’être menées sur l’île, ce qui constitue une nouveauté par rapport à ce qui est aujourd’hui prévu dans la loi du 6 août 1955. L’objectif de ces dispositions est de mieux protéger la faune et la flore de l’île et de contribuer ainsi à la préservation de son écosystème et de ses ressources, notamment halieutiques.

Le nouvel article 17 soumet à autorisation préalable, « hors cas de force majeure liée à la préservation de la vie humaine ou à la sauvegarde d’un navire ou d’un aéronef, le mouillage dans les eaux territoriales et intérieures, le débarquement, l’atterrissage, le séjour ou toute autre activité sur l’île ».

Le fait de ne pas respecter cette obligation serait puni d’un an d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende (article 18 nouveau). Le juge aurait la faculté d’assortir ces sanctions d’une peine complémentaire de confiscation de l’engin ou de la chose qui a servi à commettre l’infraction (article 19 nouveau).

Votre rapporteur considère que la modernisation ainsi proposée du régime institutionnel et administratif de l’île de La Passion – Clipperton n’est qu’une première étape sur le chemin de la revalorisation de l’atoll. Ainsi qu’il l’a exposé dans son rapport remis en février 2016 à Mme George Pau-Langevin, alors ministre des outre-mer (24), il convient d’envisager, à terme, l’installation d’une station scientifique à caractère international (1) dûment financée (2).

L’implantation d’une station scientifique française à vocation internationale, appelée de leurs vœux par nombre de scientifiques rencontrés par votre rapporteur, constitue la meilleure façon de réaffirmer la souveraineté française dans le Pacifique nord, de valoriser l’atoll et de protéger ses ressources environnementales et halieutiques.

En pratique, l’installation d’une telle station supposerait de réaliser le scénario d’aménagement suivant (voir le schéma ci-après) :

–  la mobilisation, dans un premier temps, de navires spécialisés dans l’accès aux atolls fermés, ne disposant plus de passe susceptibles de permettre l’accès à l’intérieur du lagon par un bateau : de tels navires existent en nombre suffisant en Polynésie française et ne seraient mobilisés que pour l’acheminement des matériaux nécessaires à la construction de la station ;

–  dans un second temps, l’ouverture de deux passes pour le ravitaillement de la station et son fonctionnement régulier : à cette fin, la réouverture naturelle de l’ancienne passe qui est à l’œuvre depuis plusieurs années grâce au rétrécissement du cordon littoral pourrait être accélérée ;

–  l’aménagement d’un ponton flottant à l’intérieur du lagon pour conserver la barge de débarquement et faciliter l’accostage des embarcations ;

–  la construction d’une infrastructure en dur de type abri anticyclonique (25), faisant office de bâtiment principal pour la station (moyens de communication, salle informatique, pièce de vie, blocs sanitaires), et de structures modulaires et amovibles afin de tenir compte de la taille variable des expéditions et limiter l’empreinte humaine sur le site ;

–  la rénovation de la piste aérienne construite par l’armée américaine en 1944, qui pourrait être utile au stade de l’aménagement de l’île, pour son fonctionnement régulier et, surtout, en cas d’urgence sanitaire ou d’évacuation médicale.

Source : Philippe Folliot, Valoriser l’île de La Passion (Clipperton) par l’implantation d’une station scientifique à caractère international, op. cit., p. 54.

Au quotidien, la station pourrait accueillir différents programmes internationaux de recherche, préalablement sélectionnés par l’administrateur supérieur assisté du conseil consultatif, ainsi que des campagnes d’étude thématique.

Une convention serait signée et une participation aux frais de fonctionnement sollicitée de la part des organismes de recherche et des universités impliqués.

L’État pourrait y être représenté par l’équivalent du chef de district présent dans les TAAF et nommé par l’administrateur supérieur, assisté d’un gendarme – qui pourrait d’ailleurs cumuler ce rôle avec celui de chef de district – afin d’assurer la sécurité sur place et de constater les éventuelles infractions.

L’article 3, supprimé par la Commission à l’initiative du Gouvernement, comportait deux gages des charges susceptibles d’être créées, l’un au bénéfice de l’État (I), l’autre au profit des collectivités territoriales, en l’espèce la Polynésie française et les TAAF en tant que de besoin (II).

Votre rapporteur souligne que les charges susceptibles de résulter de la réforme administrative seraient quasiment nulles :

–  certains fonctionnaires et militaires se consacrent déjà en partie au suivi des dossiers et à l’élaboration d’actes en lien avec Clipperton ;

–  la fonction d’administrateur supérieur de l’île pourrait être assurée par le haut-commissaire de la République en Polynésie française, qui assume déjà l’administration de l’atoll aujourd’hui ;

–  la composition et le fonctionnement du conseil consultatif chargé d’assister l’administrateur supérieur pourraient être adaptés (diminution du nombre de membres, réunions à Papeete ou par visio-conférence).

En tout état de cause, seul le développement des activités autour de l’île permettra de générer les recettes nécessaires au recrutement éventuel d’agents propres à la collectivité nouvellement créée.

S’agissant du financement de la station scientifique que votre rapporteur appelle de ses vœux, deux sources potentielles de revenus seraient susceptibles de couvrir les coûts associés à sa création, estimés entre 6,2 et 16 millions d’euros (26), auxquels il faut ajouter 400 000 euros par an de frais de fonctionnement pour le ravitaillement :

–  d’une part, les recettes tirées des activités économiques autorisées : de manière déterminante, la pêche, à raison de 1 à 5 millions d’euros par an (octroi de licences à titre onéreux et création d’une redevance à la tonne de poissons) et, à titre marginal, la philatélie (sur le modèle des TAAF), la pêche sportive et le tourisme d’aventure (assujettissement à redevance) ;

–  d’autre part, un prêt de l’Agence française de développement pour financer l’investissement initial nécessaire, dont les annuités seraient gagées sur les recettes perçues au titre des droits de pêche, et la levée de fonds auprès d’organismes extérieurs, notamment des institutions européennes pour le financement des investissements initiaux et des fondations reconnues d’utilité publique comme partenaires financiers de programmes ou d’équipements de recherche.

DISCUSSION GÉNÉRALE

Lors de sa réunion du mercredi 16 novembre 2016, la commission des Lois procède à l’examen de la proposition de loi portant modification de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton et visant à donner un statut à l’île de Clipperton (n° 4102) (M. Philippe Folliot, rapporteur).

M. Philippe Folliot, rapporteur. Un vendredi saint de 1712, un navigateur français originaire du Havre, Michel Dubocage, croisait au large du Mexique. Sur sa route, il découvrit une île qu’il appela Île de La Passion. À l’époque, les navigateurs n’étaient pas obligés d’aller à terre pour que leur pays obtienne la souveraineté sur un territoire : une simple description dudit territoire découvert suffisait. C’est ainsi que cette île, qui prit beaucoup plus tard le nom de Clipperton, devint française.

En 1858, Napoléon III décida d’acter définitivement la souveraineté française en prenant officiellement possession de cette île. S’ensuivirent d’âpres discussions avec le Mexique qui revendiquait lui aussi ce territoire. Il occupa Clipperton légalement puis illégalement et cela se termina par le drame dit des « oubliés de Clipperton ». Les deux pays se mirent finalement d’accord en 1910 pour recourir à un arbitrage international. La justice prit son temps puisque ce n’est que vingt et un ans plus tard, en 1931, que l’arbitre, le roi Victor-Emmanuel d’Italie, a rendu sa décision, scellant définitivement la souveraineté française sur cette île. Cette dernière n’a jamais été occupée depuis, à deux exceptions près. En 1944, les Américains s’y sont installés pendant près d’un an et y ont aménagé un petit terrain d’aviation. Ensuite, de 1966 à 1969, l’île a été occupée par les Français dans le cadre des missions militaires Bougainville, liées au lancement des essais nucléaires à Mururoa.

Cette île est la seule possession française du Pacifique Nord, considéré parfois comme pouvant être le centre de gravité du monde au XXIème siècle. Je citerai deux chiffres pour illustrer l’importance de ce territoire : 349 000 kilomètres carrés de zone économique exclusive (ZEE) en France métropolitaine, Corse comprise ; 434 000 kilomètres carrés de ZEE autour de l’île de Clipperton. Sauvegarder notre souveraineté sur cette île représente donc un intérêt géostratégique évident pour notre pays.

Et pourtant, La Passion-Clipperton est totalement abandonnée. Ayant eu l’opportunité de m’y rendre en 2015 – j’ai donc été le premier élu de la République sur ce territoire –, j’ai pu observer un triste spectacle de désolation : celui d’un territoire jonché de déchets provenant de la mer puisqu’il n’y a pas d’occupation humaine, à l’exception peut-être de quelques passages clandestins de narcotrafiquants. En outre, le lagon fermé de l’île – c’est une de ses particularités – s’apparente à une fosse septique, l’eau ne pouvant être renouvelée et la fiente de dizaines de milliers d’oiseaux s’y déversant. Il y a eu l’ère du cochon puis celle du crabe : c’est maintenant celle du rat. Cette île est en effet un condensé de lutte entre les espèces.

Une fois rentré de ce déplacement, j’ai écrit au Président de la République, au Premier ministre et aux ministres des affaires étrangères, de la défense et des outre-mer pour leur faire part de ce que j’avais vu sur place. Quelques mois plus tard, le Premier ministre m’a chargé d’une mission portant sur le devenir de Clipperton et visant à la création d’une station scientifique à vocation internationale sur cette île. Dans un rapport rendu au printemps dernier, j’ai formulé une vingtaine de préconisations dont certaines ont d’ores et déjà été suivies d’effets, le Gouvernement ayant la volonté de s’occuper de ce dossier.

J’ai notamment proposé de faire évoluer le statut juridique de cette île qui n’est aujourd’hui mentionnée que dans la Constitution et relève du domaine public de l’État. C’est en théorie le droit métropolitain qui s’y applique mais il y est tout à fait inadapté, pour plusieurs raisons.

S’il y a bien un texte qu’il serait intéressant d’appliquer à Clipperton, c’est la loi littoral. Cela n’est cependant pas possible car ce texte prévoit une répartition de compétences entre les communes et l’État. Or, il n’y a pas de communes sur l’île de Clipperton.

Je vous citerai un autre exemple du flou juridique qui entoure le statut de cette île. L’une des préconisations de mon rapport prévoit que toute expédition – scientifique ou autre – diligentée sur cette île doit être accompagnée par un représentant français. Cela fut le cas en janvier pour une expédition scientifique organisée par des universités californiennes. Mais durant cette expédition, d’autres personnes sont arrivées clandestinement sur l’île pour y faire de la plongée, et l’une d’entre elles est décédée à la suite d’un accident. Notre représentant a constaté le décès. S’il ne s’était pas agi d’un accident mortel mais d’un homicide, qui aurait été compétent sur le plan judiciaire ? Aurait-ce été le commissariat du 7e arrondissement de Paris puisque l’île est juridiquement rattachée à Matignon ?

Dernier exemple des conséquences de l’application du droit métropolitain sans adaptation particulière : la présence d’étrangers sur l’île. Est-ce le droit métropolitain qui doit s’appliquer à une personne qui y arriverait de façon irrégulière ? Comment procédera-t-on à la reconduite à la frontière ? Faudra-t-il la ramener en métropole pour l’en expulser vers son pays d’origine ? Bref, nous sommes face à un vrai casse-tête.

Ce vide juridique ne saurait durer. C’est pourquoi cette proposition de loi reprend les préconisations que j’ai formulées dans mon rapport. Pour ne rien vous cacher, avant de rédiger ce texte, nous avons étudié des options alternatives. Celle de créer une nouvelle collectivité territoriale n’avait aucun sens sur une terre inhabitée. Une autre option aurait consisté à faire de La Passion-Clipperton le sixième district des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Cela aurait eu du sens dans la mesure où la situation de cette île se rapproche de celle des Îles Éparses dans le canal du Mozambique mais aussi de celle de l’Île d’Amsterdam dans les Terres australes. Cependant, la préfète et l’administration des TAAF ont émis des réserves, considérant que lier une île du Pacifique aux TAAF, qui sont toutes situées dans l’océan Indien, aurait manqué de cohérence géographique. Une autre option encore aurait consisté à faire de La Passion-Clipperton la quarante-neuvième commune de la Polynésie. Mais lorsque j’en ai parlé au président de cette collectivité, M. Édouard Fritch, celui-ci m’a fait part de sa crainte que cela ne représente une charge supplémentaire importante que la Polynésie n’a pas les moyens d’assumer.

La solution qui vous est proposée dans le cadre de cette proposition de loi consiste à créer un statut ad hoc pour La Passion-Clipperton, en transposant sur cette île le modèle des TAAF. Nous proposons par ailleurs d’accoler le nom originel de « La Passion » au nom juridique usuel de Clipperton. Pour la petite histoire, Clipperton était un flibustier anglais aux mœurs un peu particulières. Nos amis britanniques auraient-ils donné le nom de Surcouf à l’une de leurs possessions ?

Outre ce statut juridique, nous prévoyons la désignation d’un administrateur supérieur de l’île, responsabilité qui serait confiée au haut-commissaire en Polynésie. En effet, c’est aujourd’hui lui qui, au nom du Premier ministre, délivre des autorisations d’accès à La Passion-Clipperton. Nous proposons aussi la création d’un conseil consultatif, identique à celui des TAAF. J’en profite pour rendre officiellement hommage à M. Christian Jost, professeur à l’université de la Polynésie française ; ce grand spécialiste français de Clipperton m’a aidé à rédiger mon rapport, avec le soutien de M. Thomas Pailloux, chargé de mission au secrétariat général de la mer. Il me paraît important que des personnalités connaissant bien cette île puissent être consultées avant que nous prenions des décisions : tel est l’objet de ce conseil consultatif qui serait composé de neuf personnes.

Point essentiel, la réforme serait à charges constantes. Aujourd’hui, le Haut-commissariat en Polynésie assure ces missions administratives et la surcharge liée à l’évolution du statut juridique de Clipperton serait tout à fait marginale pour lui. Il est par ailleurs prévu que les réunions du conseil consultatif puissent se tenir par téléconférence pour éviter des déplacements entre la Polynésie et la métropole. La représentation de cette collectivité en métropole serait conjointement assurée par le bureau des TAAF à Paris. Cela ne coûtera donc rien de plus à l’État.

Cette évolution juridique marquera l’attachement de la République à une partie de son territoire qui a été trop souvent oubliée – et même complètement délaissée à bien des égards. Ainsi, et même si plusieurs actions concrètes ont été menées, il aura fallu attendre 2016 pour que soit neutralisé et détruit le stock de munitions qu’y avaient laissé les Américains en 1944. L’une des préconisations de mon rapport est donc en train d’être appliquée. De même, nous avons préconisé un passage plus fréquent des navires de la marine nationale sur l’île. Le dernier contrat d’objectifs prévoyait un passage tous les trois ans : on ne peut pas considérer la souveraineté comme effective sur un territoire où l’on se rend à cette fréquence pour y remplacer le drapeau et y repeindre la stèle.

Par le biais de cette proposition de loi, la France affirme sa volonté de conserver cette île et son statut juridique.

J’en viens à mes deux derniers points.

En premier lieu, je voudrais insister sur notre souveraineté et sur le statut de l’île. Les Mexicains contestent moins notre souveraineté sur le plan juridique mais qu’en serait-il si un gouvernement populiste prenait un jour le pouvoir dans ce pays ? Nous devons nous poser la question du statut, en ayant en tête la différence qui existe entre un îlot et une île : contrairement à l’îlot, l’île peut générer une ZEE à condition d’être habitable ou habitée. Nous courrons le risque de voir déclasser cette île en îlot, au sens de la Convention de Montego Bay, ce qui nous ferait perdre les avantages liés à la ZEE.

Ce risque serait écarté si l’on y créait, comme je le propose, une station scientifique à vocation internationale, dont les coûts d’installation et de fonctionnement pourraient être financés par la vente des droits de pêche dans cette ZEE qui est l’une des plus riches du monde en thonidés. Il s’en pêche entre 30 000 et 50 000 tonnes par an, alors que les Mexicains ne déclarent que 1 500 à 4 000 tonnes de prises par an. Il est donc important d’avoir cette perspective de création d’une base scientifique sur une île dotée du statut juridique idoine, afin d’assurer notre présence.

En second lieu, je voudrais vous rappeler les événements qui se déroulent dans cette partie du monde. Voyez ce que font les Chinois dans l’archipel des Spratleys. Ils ont bétonné le récif de Fiery Cross pour en faire une véritable île avec une base de vie afin de se voir reconnaître la ZEE afférente. Ils conduisent une stratégie planifiée d’expansion alors que nous sommes dans une lâche situation d’abandon. L’adoption de cette proposition de loi marquerait une première étape sur le chemin nous conduisant à assurer notre pleine souveraineté sur cette île.

Monsieur le président, veuillez m’excuser d’avoir parlé avec passion de l’île du même nom. Dans l’histoire de la République, elle a eu assez peu l’occasion de faire autant parler d’elle au sein d’une commission comme aujourd’hui et en séance comme ce sera le cas la semaine prochaine. Nous devions le faire, par sens des responsabilités envers les générations futures.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec, président. Merci, monsieur le rapporteur, pour votre intervention au sujet d’une île qui porte bien son nom, du moins celui que vous proposez d’adjoindre à son appellation officielle. Je ne saurais trop suggérer à nos collègues de consulter votre rapport, dont un pré-projet nous a déjà été communiqué, lorsqu’il sera publié. Il est illustré de manière remarquable, avec des photos, et je vous en félicite.

Vous avez indiqué que ce sujet pouvait apparaître comme le cadet des soucis de la République. Je me permets d’observer que ce cadet des soucis est tout de même inscrit dans la Constitution dont le dernier alinéa de l’article 72-3 dispose : « La loi détermine le régime législatif et l’organisation particulière des Terres australes et antarctiques françaises et de Clipperton. » Cette île a les honneurs de la Constitution, ce qui explique qu’on ne peut pas toucher à son nom si ce n’est en lui associant la dénomination « La Passion ».

Je donne maintenant la parole à ceux de nos collègues qui souhaitent intervenir, en commençant par M. Ibrahim Aboubacar, pour le groupe Socialiste, écologiste et républicain.

M. Ibrahim Aboubacar. Ce texte doit beaucoup à l’engagement passionné dont fait preuve notre collègue Philippe Folliot pour sortir l’île de Clipperton de l’oubli administratif dans lequel elle se trouve. Je voudrais saluer cet engagement.

Comme le confirment les photos jointes au rapport, l’île de Clipperton est actuellement dans un état d’abandon qui ne peut pas perdurer. Le Gouvernement l’a bien intégrée dans une nouvelle démarche, à travers des initiatives qui sont à saluer car elles vont dans le bon sens. Au nombre de ces initiatives, je citerais le classement de la ZEE de cette île en aire marine protégée, à l’instar de ce qui est fait dans les TAAF, comme annoncé par la ministre de l’environnement Ségolène Royal. Je citerais aussi la renégociation souhaitable des accords de pêche passés avec le Mexique et qui arrivent à échéance en 2017.

Cette proposition de loi concerne le réaménagement du régime législatif et de l’organisation administrative d’un territoire de neuf kilomètres carrés, isolé dans le Pacifique Nord, à 1 200 kilomètres des côtes américaines et à 4 000 kilomètres de la Polynésie, générant une ZEE de 434 000 kilomètres carrés.

S’agissant de l’organisation administrative, ce texte contient des avancées positives que nous soutenons. Il en va ainsi de la création d’un administrateur supérieur chargé de s’occuper de l’île, fonction qui serait occupée par le haut-commissaire de la Polynésie française, pour des raisons d’économie. Il en va ainsi de la création d’un conseil consultatif chargé d’assister cet administrateur supérieur dans ses tâches et de s’exprimer sur les projets et les orientations de gestion. L’éclairage de ce conseil consultatif serait le bienvenu, comme cela se fait dans les TAAF.

En revanche, la création d’une collectivité à statut particulier pour l’île, en suivant l’exemple des TAAF, n’apparaît pas comme l’équilibre institutionnel souhaitable, compte tenu de la dimension du territoire, de son caractère inhabité, et des enjeux somme toute circonstanciés qui y sont attachés. Il conviendra de revenir, d’ici à l’examen du texte en séance publique, à des dispositions plus appropriées sur ce point.

S’agissant du régime législatif appliqué, il est proposé de renoncer au principe d’identité législative au profit du principe de spécialité législative. L’un et l’autre ont leurs avantages et leurs inconvénients, mais l’intérêt de ce changement n’est pas évident et nous n’y sommes pas favorables.

En revanche, il est proposé d’encadrer le droit de mouillage, de débarquement, d’atterrissage et de séjour, en prévoyant des sanctions à l’égard des contrevenants. Nous y sommes favorables parce que cela va dans le sens de l’affirmation de notre souveraineté sur ce territoire.

Toutes ces dispositions figurent à l’article 2 de la proposition de loi, qui est le cœur du texte. Nous nous abstiendrons sur cet article à ce stade, afin d’y apporter en séance les modifications sur les points que j’ai évoqués.

Quant à l’article 1er, il prévoit, de manière symbolique, non pas de modifier le nom de l’île mais d’y adjoindre l’appellation « La Passion ». La modification du nom de l’île soulèverait des questions constitutionnelles. L’adjonction prévue – qui permettrait l’usage de Clipperton par les anglophones et de La Passion par les francophones – ne me semble pas soulever de problèmes insurmontables et j’y suis tout à fait sensible.

Enfin, nous notons que le Gouvernement propose de lever le gage sur cette proposition de loi. Cela rejoint la volonté du groupe Socialiste, écologiste et républicain de voir aboutir ce texte, amendé lors de son examen en séance, la semaine prochaine.

M. Paul Molac. Pour l’avoir déjà entendu s’exprimer sur l’île Tromelin, je connais l’enthousiasme de notre rapporteur pour ces sujets. Je reste néanmoins quelque peu dubitatif. Rappelons que l’île dont nous parlons couvre à peine deux kilomètres carrés et ne compte aucun habitant. Elle est peuplée d’oiseaux qui compliquent l’atterrissage des avions au point de rendre la piste d’atterrissage quasiment inutilisable.

Si les richesses marines sont intéressantes, j’aimerais bien avoir une petite idée du rapport entre les bénéfices que nous pourrions tirer de l’évolution institutionnelle proposée et les charges qu’elle va générer. Le contrôle de cette île implique d’y envoyer des gens, c’est-à-dire des personnels de la marine nationale puisqu’il n’y a pas d’habitat sur place. Nos bases les plus proches sont situées en Polynésie, c’est-à-dire très loin de Clipperton. Je crains que le coût de l’opération ne soit élevé pour une faible rentabilité finale. Étant un vilain pragmatique, je suis pour la souveraineté à condition d’avoir les moyens de l’assumer et d’en retirer quelque chose.

M. Guy Geoffroy. Je voulais remercier notre rapporteur de cette proposition de loi qu’il nous a présentée avec sa passion habituelle. Nous sommes tout à fait en phase avec lui sur ce texte, fruit d’une mission qui lui avait été confiée par le Gouvernement, à la suite de sa marque très vive d’intérêt pour le sujet.

Au passage, je souligne la grande utilité de nos groupes d’études, en particulier de celui qui travaille sur les TAAF. C’est à l’occasion de ma participation à ce groupe d’études, présidé de manière extrêmement dynamique par M. Laurent Furst, que j’ai eu la possibilité de découvrir la problématique de l’île de Clipperton telle qu’elle vient de nous être détaillée par notre rapporteur. On se gausse parfois du travail effectué ou non par les groupes d’études. Nous avons ici la démonstration du sérieux de ce groupe d’études qui se réunit régulièrement et qui nous permet de découvrir des sujets dignes de traductions législatives, tel que celui qui nous est proposé aujourd’hui.

C’est donc avec beaucoup de sérieux et d’enthousiasme que je m’apprête à voter pour cette proposition de loi.

M. Jacques Bompard. Pour ma part, je dois dire que j’ai été enthousiasmé par le magnifique rapport de notre collègue. Je comprends que cette île de Clipperton se soit appelée l’île de La Passion. Elle vous a manifestement vacciné.

Le projet est d’autant plus intéressant que nous étions quasiment dans un vide juridique, auquel vous apportez une solution sans coût. On veut conquérir l’espace et peupler la lune pour en tirer des bénéfices qui me semblent hautement aléatoires. La reconquête de l’île de La Passion me paraît de bon sens. On ne peut que déplorer que la France ait oublié cette île pendant fort longtemps. Nous l’avons retrouvée ; c’est une bonne chose. J’espère que nous pourrons en tirer le meilleur parti touristique et scientifique.

M. le rapporteur. Je remercie tous les intervenants pour le caractère tout à fait constructif de leurs propos. Le sujet traité ici fait partie de ceux qui sont plutôt consensuels.

Je suis particulièrement sensible au propos introductif de notre collègue Ibrahim Aboubacar. J’ai bien noté tous les éléments qui l’amènent à considérer que ce texte va dans le bon sens mais aussi ses réserves, notamment concernant la création d’une collectivité à statut particulier. Nous aurons certainement l’occasion d’en discuter en séance, sur la base de propositions gouvernementales notamment. Si nous adoptons toutes les dispositions de ce texte à l’exception de la création d’une collectivité à statut particulier, nous aurons fait une bonne partie du chemin mais il nous manquera une étape importante. L’île a besoin de ce statut pour être dans un cadre stable. Si nous ne créons pas cette collectivité, le droit métropolitain continuera de s’appliquer avec tout ce que cela comporte d’incohérences et de difficultés que j’ai illustrées au travers de quelques exemples. J’espère que la séance nous permettra de trouver une solution consensuelle.

Notre collègue Paul Molac a exprimé des interrogations sur le contrôle de l’île, son intérêt et son coût. Je voudrais le rassurer sur certains points. Il me paraît essentiel, en complément des mesures que nous allons adopter, de prendre conscience que la France est dans une situation intenable. Dans notre ZEE, nous tolérons des pratiques de pêche totalement irresponsables et contraires à tous les engagements que nous prenons dans le cadre des instances internationales. Nous nous positionnons en donneurs de leçon – en étant exemplaires en Méditerranée et dans l’Atlantique Nord – mais nous laissons perdurer chez nous des pratiques que nous voulons éliminer ailleurs. La seule façon de résoudre ce problème est d’instaurer un système de licences de pêche payantes dans cette zone, dont nous tirerons des ressources utiles à la collectivité. Calculées en fonction de la pêche réelle – et non des tonnages déclarés –, ces licences pourraient rapporter entre 1 et 5 millions d’euros par an. En fait, il suffirait de 2 millions d’euros pour assurer le fonctionnement de la base scientifique et le remboursement des annuités d’un investissement estimé à quelque 15 ou 20 millions d’euros. Ce montant s’explique par le fait qu’il faudra tout amener depuis la Polynésie pour construire la base scientifique et aménager une passe. En fait, les frais de logistique seront plus lourds que les coûts de construction.

Notre collègue Aboubacar a mis en avant un élément positif : les aires marines protégées que la ministre de l’environnement veut créer. Pour que tout ceci ait un sens, il faut une présence humaine et une autorégulation sur la ZEE. La construction de la base scientifique permettra d’avoir une présence humaine sur l’île. Pour une large part, l’autorégulation passera par la vente de droits de pêche : ceux qui auront payé feront en sorte que les pêcheurs illégaux ne viennent plus.

Il me semble essentiel de modifier la gestion de nos eaux territoriales. Actuellement, les Mexicains ont le droit de venir pêcher dans nos eaux territoriales, ce qui représente un double non-sens : juridique et écologique. Sur le plan juridique, chaque pays dispose de droits souverains absolus sur ses eaux territoriales, alors qu’ils sont plus limités sur ses ZEE. Sur le plan écologique, les eaux territoriales de l’île sont exploitées par les senneurs mexicains, comme l’a décrit mon ami Jean-Louis Étienne, Tarnais comme moi, qui a mené, en 2005, une mission de six mois sur l’île de Clipperton. Cette activité intensive de pêche nuit à la fonction de « nurserie » que l’île remplit pour les poissons : en effet, l’atoll, l’un des plus isolés au monde puisqu’il se situe à plus de 1000 kilomètres des premières terres, est un lieu essentiel pour la reproduction des poissons.

Si le choix était fait de répondre à la volonté d’une bonne partie de la communauté scientifique de créer cette station à vocation internationale sur Clipperton, selon les modalités que nous proposons, cela ne coûterait rien au budget de l’État.

Enfin, je remercie mes deux autres collègues pour leur soutien.

La Commission en vient à l’examen des articles.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
(intitulé de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des terres australes
et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton)

Modification du nom de l’île de Clipperton

L’article 1er modifie le nom de l’île de Clipperton afin d’y adjoindre son appellation historique, La Passion (27).

Découverte par les navigateurs Michel Dubocage et Mathieu Martin de Chassiron, l’île de Clipperton prit initialement le nom de La Passion en référence à la célébration, le jour de sa découverte, un Vendredi Saint, le 3 avril 1711, de la Passion de Jésus-Christ par les Chrétiens. L’origine du nom de Clipperton est, en revanche, incertaine. Pour certains, ce nom viendrait du passage supposé du flibustier et naturaliste anglais, John Clipperton, qui aurait croisé au large ou débarqué sur l’île en 1704, après avoir fait sécession et quitté l’expédition de William Dampier, l’un des explorateurs de la Nouvelle-Hollande, actuelle Australie. Cette explication n’est toutefois pas étayée historiquement.

Par cohérence, il conviendrait de procéder à la même modification à l’article 72-3 de la Constitution qui prévoit que « la loi détermine le régime législatif et l’organisation particulière des terres australes et antarctiques françaises et de Clipperton ».

*

* *

La Commission adopte, à l’unanimité, l’article 1ersans modification.

Article 2
(art. 9 et 10 à 20 [nouveaux] de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955
portant statut des terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton)

Reconnaissance de l’île de La Passion – Clipperton
comme un territoire à statut particulier

L’article 2 a pour objet de conférer à l’île de La Passion – Clipperton un statut institutionnel et administratif plus adapté aux spécificités et problématiques de ce territoire, en l’alignant en grande partie sur celui qui s’applique aujourd’hui aux terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

1. Le régime administratif et juridique actuel de l’île de Clipperton

Le régime qui régit aujourd’hui l’île de Clipperton procède de l’ajout, en 2007, de dispositions spécifiques dans la loi du 6 août 1955 portant statut des terres australes et antarctiques françaises afin de clarifier et moderniser les règles qui s’appliquaient jusqu’alors en vertu d’un décret du 12 juin 1936.

a. Le régime obsolète issu du décret du 12 juin 1936

Possession française depuis 1858, sous réserve d’une période de concession américaine jusqu’en 1897 puis d’occupation mexicaine jusqu’en 1931, l’île de Clipperton a été rattachée au Gouvernement des établissements français d’Océanie, devenus la Polynésie française, par un décret du 12 juin 1936.

Même si ce décret est resté en vigueur jusqu’en 2007, Clipperton ne fait plus partie de la Polynésie française depuis la loi n° 77-772 du 12 juillet 1977 relative à l’organisation de la Polynésie française. Toutefois, pour des raisons de proximité, elle est en pratique placée sous la juridiction du haut-commissaire de la République en Polynésie française à qui le ministre chargé de l’outre-mer a délégué son autorité en matière d’autorisation d’accès, d’ordre public et de police administrative.

Un arrêté interministériel du 18 mars 1986 l’a inscrite au tableau des propriétés domaniales de l’État, en prévoyant que l’île « est classée dans le domaine public de l’État » et que « sa gestion est assurée par le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur et de la décentralisation, chargé des départements et territoires d’outre-mer ».

L’île de Clipperton n’était donc ni une collectivité territoriale d’outre-mer, ni un territoire à statut ad hoc comme les TAAF, ce qui n’empêchait pas le droit métropolitain de s’y appliquer dans sa totalité.

b. La clarification entamée en 2007 par l’inscription de l’île dans la loi du 6 août 1955 portant statut des TAAF

Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, Clipperton figure, au côté des TAAF, parmi les territoires dont le régime législatif et l’organisation particulière doivent être déterminés par la loi, en vertu du dernier alinéa de l’article 72-3 de la Constitution.

En 2007 (28), le législateur avait déjà clarifié le régime juridique applicable à Clipperton en abrogeant le décret du 12 juin 1936 relatif au rattachement de l’île de Clipperton au Gouvernement des établissements français d’Océanie, dont les dispositions relevaient du domaine de la loi, et en le remplaçant par un nouvel article 9 dans la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des terres australes et antarctiques françaises.

Cet article définit, pour l’île de Clipperton, un statut distinct de celui reconnu aux TAAF. Il la place « sous l’autorité directe du Gouvernement » et charge le ministre de l’outre-mer « de l’administration de l’île » : il « y exerce l’ensemble des attributions dévolues par les lois et règlements aux autorités administratives » et « peut déléguer l’exercice de ces attributions ».

En application d’un décret du 31 janvier 2008 (29) et d’un arrêté du 3 février de la même année (30), le ministre de l’outre-mer a délégué sa compétence d’administration au haut-commissaire de la République en Polynésie française. Celui-ci veille au respect des intérêts nationaux et des lois ainsi qu’à l’exécution des règlements et décisions du Gouvernement. Le haut-commissaire est assisté, pour l’exercice de ses missions, d’un comité consultatif.

L’article 9 précité précise aussi que le régime législatif de l’île est celui de l’identité législative, c’est-à-dire que « les lois et règlements sont applicables de plein droit dans l’île de Clipperton ». Cette solution avait déjà été retenue par le Conseil d’État dans deux avis de janvier 1989 et juillet 1996 à propos des terres et des îles qui ne constituent pas des territoires d’outre-mer.

2. L’évolution proposée par l’article 2

L’article 2 reconnaît l’île de La Passion – Clipperton en tant que territoire à statut particulier, doté de la personnalité morale, placé sous l’autorité d’un administrateur supérieur, bénéficiant d’un régime législatif adapté et faisant l’objet de mesures particulières de protection contre certaines activités. À cette fin, il substitue au titre II et à l’article 9 de la loi n° 55-1052 précitée un nouveau titre II et de nouveaux articles 9 à 20 consacrés au « statut de l’île de La Passion – Clipperton ».

Pour l’essentiel, cet article transpose à cette île, sous certaines réserves, le statut dont les TAAF ont été dotés en 2007. Il est ainsi fait usage du renvoi opéré par le dernier alinéa de l’article 72-3 de la Constitution, qui habilite la loi à déterminer le régime législatif et l’organisation particulière de Clipperton.

a. Désignation de l’île

Le nouvel article 9 (alinéa 4) et le second alinéa du nouvel article 10 (alinéa 6) modifient la désignation de l’île de Clipperton en précisant, par cohérence avec l’article 1er de la proposition de loi, qu’elle pourra également être appelée « La Passion » ou « La Passion – Clipperton », en référence à son nom historique.

b. La création d’une collectivité à statut particulier

Le premier alinéa du nouvel article 10 (alinéa 6) dispose que cette île « forme une collectivité à statut particulier » au sens du premier alinéa de l’article 72 de la Constitution, « dotée de la personnalité morale et possédant l’autonomie administrative et financière ».

L’octroi de la personnalité morale est conforme à l’article 72-3 de la Constitution, qui fait de l’île une entité distincte de l’État. Il lui permet d’avoir un budget propre et d’intervenir en son nom en justice.

c. L’adaptation du régime législatif

Le nouvel article 11 (alinéas 7 à 19) soumet cette collectivité à statut propre au principe de spécialité législative, en vertu duquel les lois et règlements n’y sont applicables que sur mention expresse du texte en cause ou s’ils y ont été rendus applicables par un texte spécial.

Toutefois, il introduit des exceptions en soumettant l’île au principe d’identité législative dans certaines matières où rien ne justifie de lui appliquer des dispositions spécifiques :

–  les règles relatives aux pouvoirs publics constitutionnels de la République, au Conseil d’État, à la Cour de cassation, à la Cour des comptes, au tribunal des conflits, à toute autre juridiction nationale souveraine, au Défenseur des droits et à la Commission nationale de l’informatique et des libertés ;

–  la défense nationale ;

–  la nationalité ;

–  le droit civil ;

–  le droit pénal et la procédure pénale ;

–  les règles monétaires et financières ;

–  le droit commercial et le droit des assurances ;

–  la procédure administrative contentieuse et non contentieuse ;

–  les statuts des agents publics de l’État ;

–  la recherche ;

–  les lois autorisant la ratification ou l’approbation des engagements internationaux et leurs décrets de publication ;

–  toutes les autres dispositions législatives et réglementaires « qui, en raison de [leur] objet, [sont] nécessairement destinée[s] à régir l’ensemble du territoire de la République ».

d. Les modalités d’entrée en vigueur des lois et règlements

Le nouvel article 12 (alinéas 20 à 27) précise les modalités d’entrée en vigueur des actes normatifs sur l’île.

Les I et II reprennent les règles d’entrée en vigueur et le principe de publication sous format papier et sous forme électronique qui s’appliquent dans le droit commun. Toutefois, comme pour les TAAF, il est prévu que les lois et règlements n’entreront en vigueur que le dixième jour suivant leur publication, et non le lendemain comme en métropole.

Le III rend applicables à Clipperton les décrets en Conseil d’État définissant les actes individuels soumis à des règles particulières de publication.

Le IV reprend les dispositions relatives aux actes publiés au Bulletin officiel d’un ministère publié sous forme électronique.

Le V prévoit que les lois et règlements applicables de plein droit sur l’île doivent être publiés pour information au Journal officiel de La Passion.

Le VI dispose que les actes réglementaires des autorités de l’île, en l’espèce les arrêtés que prendra l’administrateur supérieur, seront publiés au Journal officiel de celle-ci et entreront en vigueur à la date qu’ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication.

e. Le rôle et les moyens de l’administrateur supérieur

Le nouvel article 13 (alinéas 28 à 33) institue un administrateur supérieur, sous l’autorité duquel l’île sera placée, et précise les missions qui lui seront dévolues.

Ses cinq principales missions sont identiques à celles reconnues au représentant de l’État dans les TAAF, elles-mêmes inspirées de celles confiées au haut-commissaire en Polynésie française :

–  le maintien de l’ordre public, l’exercice des libertés publiques et le respect des droits ;

–  la direction des services de l’État, à l’exception des services juridictionnels et de ceux énumérés par décret ;

–  l’exercice des missions dévolues aux préfets et préfets maritimes en matière de défense nationale et d’action de l’État en mer (31) ;

–  le contrôle des organismes et des personnes publics ou privés recevant des financements de l’État ;

–  l’exercice du pouvoir réglementaire dans les matières qui relèvent de sa compétence.

Le nouvel article 16 (alinéa 37) permet à l’administrateur supérieur de déroger à l’obligation de dépôt auprès de l’État des fonds de l’île : comme les TAAF et les collectivités territoriales, Clipperton pourra donc placer sa trésorerie afin d’obtenir une rémunération au lieu de la déposer au Trésor public.

Le nouvel article 14 (alinéa 34) instaure un conseil consultatif chargé d’assister l’administrateur supérieur et dont la composition, l’organisation, le fonctionnement et les attributions seront fixés par décret.

Un conseil similaire a été institué auprès de l’administrateur supérieur des TAAF, composé de treize membres : un député et un sénateur, six membres désignés par le ministre chargé de l’outre-mer et cinq proposés, respectivement, par les ministres chargés de la défense, de la recherche, de la pêche, de l’environnement et des affaires étrangères. Il se réunit au moins deux fois par an et doit être consulté sur le budget du territoire, les projets d’arrêtés de l’administrateur supérieur et les demandes de concession et d’exploitation (32).

Toutefois, à la différence des TAAF, les crédits nécessaires à l’installation, à l’entretien et au fonctionnement des établissements permanents de la collectivité ne sont pas inscrits au budget du ministère chargé de l’outre-mer (33). En effet, le nouvel article 15 (alinéas 35 et 36) prévoit que « l’administrateur supérieur dispose, pour l’administration de la Passion, du concours du haut-commissariat et des services de l’État installés en Polynésie française » et, « en tant que de besoin, du concours de l’administration des terres australes et antarctiques françaises ».

Le haut-commissaire de la République en Polynésie française assumerait donc la fonction d’administrateur supérieur de l’île en tant que représentant de l’État dans le territoire et comme représentant de la collectivité, à l’image de ce qui existe pour les TAAF.

f. L’encadrement des activités sur l’île

Les nouveaux articles 17 à 19 (alinéas 38 à 40) encadrent pour la première fois les activités susceptibles d’être menées sur l’île.

Le mouillage dans les eaux territoriales et intérieures, le débarquement, l’atterrissage, le séjour ou toute autre activité sur l’île seraient soumis à l’autorisation de l’administrateur supérieur, « hors cas de force majeure liée à la préservation de la vie humaine ou à la sauvegarde d’un navire ou d’un aéronef » (article 17).

Toute personne qui contreviendrait à cette obligation d’autorisation préalable serait susceptible d’être pénalement poursuivie et condamnée à une peine d’un an d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende (article 18) ainsi qu’à la peine complémentaire de confiscation de la chose ayant servi à commettre l’infraction, conformément à l’article 131-21 du code pénal (article 19). Les peines d’emprisonnement et d’amende encourues sont similaires aux peines prévues en matière de rejets polluants des navires et, à titre d’exemple, identiques à celles prévues en cas de rejet illégal des eaux de ballast dans les eaux sous souveraineté ou sous juridiction française (34).

En vertu du nouvel article 20 (alinéas 41 et 42), le pouvoir réglementaire serait compétent, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de l’outre-mer et, le cas échéant, du ministre des finances et des affaires économiques, pour préciser les modalités d’application de ces dispositions.

*

* *

M. Ibrahim Aboubacar. Je rappelle l’abstention du groupe SER sur cet article.

La Commission adopte l’article 2 sans modification.

Article 3
Gages financiers

L’article 3 a pour objet de gager l’éventuelle augmentation des charges induites par la présente proposition de loi :

–  celles de l’État par la création d’une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts ;

–  celles des collectivités territoriales par la majoration, à due concurrence, de la dotation globale de fonctionnement et, par voie de conséquence, par la création d’une taxe additionnelle aux mêmes droits sur les tabacs pour compenser les charges nouvelles induites sur le budget de l’État.

À l’initiative du Gouvernement, la commission des Lois a adopté un amendement de suppression de cet article permettant de lever ces gages.

Au demeurant, les charges susceptibles d’être créées par la proposition de loi semblent hypothétiques. D’une part, l’adossement de la nouvelle collectivité de La Passion – Clipperton aux services administratifs de la Polynésie française et, en tant que de besoin, des TAF, limitera les charges induites par la fonction d’administrateur supérieur, qui sera de facto assumée par le haut-commissaire de la République en Polynésie française. D’autre part, le recrutement d’agents par la nouvelle collectivité et l’installation d’une base scientifique à vocation internationale ne pourront se faire qu’au moyen des ressources générées par l’autorisation de programmes scientifiques sur place (levée de fonds auprès d’organismes extérieurs) et le développement d’activités sur ou autour de l’île (redevances sur les activités de pêche et le tourisme d’aventure).

*

* *

Suite à l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte, à l’unanimité, l’amendement CL1 du Gouvernement. En conséquence, l’article 3 est supprimé.

La Commission adopte, à l’unanimité, l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

*

* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande d’adopter la proposition de loi portant modification de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton et visant à donner un statut à l’île de Clipperton (n° 4102), dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

TABLEAU COMPARATIF

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Dispositions en vigueur

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Texte de la proposition de loi

___

Texte adopté par la Commission

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Proposition de loi portant modification de la loi n° 55 1052 du 6 août 1955 visant à donner un statut à l’île de Clipperton

Proposition de loi portant modification de la loi n° 55 1052 du 6 août 1955 visant à donner un statut à l’île de Clipperton

 

Article 1er

Article 1er

Loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des Terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton

À l’intitulé de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton, après le mot : « de » sont insérés les mots : « La Passion – ».

(Sans modification)

 

Article 2

Article 2

 

Le titre II de la loi n° 55-1052 précitée est ainsi rédigé :

(Sans modification)

Titre II

« Titre II

 

Statut de l’Île de Clipperton

« Statut de l’île de La Passion – Clipperton.

 

Art. 9. – L’île de Clipperton est placée sous l’autorité directe du Gouvernement.

« Art. 9. – L’île de Clipperton peut être également désignée par l’appellation « La Passion » ou « La Passion – Clipperton ».

 

Le ministre chargé de l’outre-mer est chargé de l’administration de l’île. Il y exerce l’ensemble des attributions dévolues par les lois et règlements aux autorités administratives. Il peut déléguer l’exercice de ces attributions.

   

Les lois et règlements sont applicables de plein droit dans l’île de Clipperton.

   

Un décret précise les modalités d’application du présent article.

   
 

« Art. 10. – L’île de La Passion – Clipperton forme une collectivité à statut particulier dotée de la personnalité morale et possédant l’autonomie administrative et financière.

 
 

« Cette collectivité prend le nom de La Passion.

 
 

« Art. 11. – Dans les matières qui relèvent de la compétence de l’État, sont applicables à La Passion les dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin.

 
 

« Par dérogation au premier alinéa, sont applicables de plein droit à La Passion, sans préjudice de dispositions les adaptant à l’organisation particulière de la collectivité, les dispositions législatives et réglementaires qui sont relatives :

 
 

« 1° À la composition, à l’organisation, au fonctionnement et aux attributions des pouvoirs publics constitutionnels de la République, du Conseil d’État, de la Cour de cassation, de la Cour des comptes, du tribunal des conflits et de toute juridiction nationale souveraine, du Défenseur des droits et de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ;

 
 

« 2° À la défense nationale ;

 
 

« 3° À la nationalité ;

 
 

« 4° Au droit civil ;

 
 

« 5° Au droit pénal et à la procédure pénale ;

 
 

« 6° À la monnaie, au Trésor, au crédit et aux changes, aux relations financières avec l’étranger, à la lutte contre la circulation illicite et le blanchiment des capitaux, à la lutte contre le financement du terrorisme, aux pouvoirs de recherche et de constatation des infractions et aux procédures contentieuses en matière douanière, au régime des investissements étrangers dans une activité qui participe à l’exercice de l’autorité publique ou relevant d’activités de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique, aux intérêts de la défense nationale ou relevant d’activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres ou de substances explosives ;

 
 

« 7° Au droit commercial et au droit des assurances ;

 
 

« 8° À la procédure administrative contentieuse et non contentieuse ;

 
 

« 9° Aux statuts des agents publics de l’État ;

 
 

« 10° À la recherche.

 
 

« Sont également applicables de plein droit à La Passion les lois qui portent autorisation de ratifier ou d’approuver les engagements internationaux et les décrets qui décident de leur publication, ainsi que toute autre disposition législative et réglementaire qui, en raison de son objet, est nécessairement destinée à régir l’ensemble du territoire de la République.

 
 

« Art. 12. - I. – Les lois et, lorsqu’ils sont publiés au Journal officiel de la République française, les actes administratifs entrent en vigueur à La Passion à la date qu’ils fixent ou, à défaut, le dixième jour qui suit leur publication au Journal officiel de la République française. Toutefois, l’entrée en vigueur de celles de leurs dispositions dont l’exécution nécessite des mesures d’application est reportée à la date d’entrée en vigueur de ces mesures.

 
 

« En cas d’urgence, entrent en vigueur dès leur publication les lois dont le décret de promulgation le prescrit et les actes administratifs pour lesquels le Gouvernement l’ordonne par une disposition spéciale.

 
 

« Le présent I n’est pas applicable aux actes individuels.

 
 

« II. – La publication des lois, des ordonnances, des décrets et, lorsqu’une loi ou un décret le prévoit, des autres actes administratifs est assurée, le même jour, dans des conditions de nature à garantir leur authenticité, sur papier et sous forme électronique. Le Journal officiel de la République française est mis à la disposition du public sous forme électronique de manière permanente et gratuite.

 
 

« III. – Sont applicables de plein droit à La Passion les dispositions réglementaires en vigueur en métropole qui définissent les actes individuels ne devant pas faire l’objet d’une publication sous forme électronique et celles qui définissent les catégories d’actes administratifs dont la publication au Journal officiel de la République française sous forme électronique suffit à assurer l’entrée en vigueur.

 
 

« IV. – À La Passion, la publication des actes et documents administratifs au Bulletin officiel d’un ministère diffusé sous forme électronique dans les conditions garantissant sa fiabilité produit les mêmes effets de droit que leur publication sous forme imprimée.

 
 

« V. – Les dispositions législatives ou réglementaires mentionnées à l’article 11-1 et au III du présent article sont publiées pour information au Journal de La Passion.

 
 

« VI. – Les actes réglementaires des autorités de la collectivité sont publiés au Journal officiel de La Passion. Ils entrent en vigueur à la date qu’ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication.

 
 

« Art. 13. – Cette collectivité à statut particulier est placée sous l’autorité d’un représentant de l’État, qui prend le titre d’administrateur supérieur de La Passion.

 
 

« En sa qualité de représentant de l’État, l’administrateur supérieur assure l’ordre public et concourt au respect des libertés publiques et des droits individuels et collectifs.

 
 

« Il dirige les services de l’État, à l’exclusion des organismes à caractère juridictionnel, sous réserve d’exceptions limitativement énumérées par décret.

 
 

« En matière de défense nationale et d’action de l’État en mer, il exerce les fonctions prévues par la législation et la réglementation en vigueur.

 
 

« Il assure, au nom de l’État, dans les conditions prévues par la législation et la réglementation en vigueur, le contrôle des organismes ou personnes publics ou privés bénéficiant des subventions ou contributions de l’État.

 
 

« Il prend des règlements dans les matières relevant de sa compétence.

 
 

« Art. 14. – L’administrateur supérieur est assisté d’un conseil consultatif dont la composition, l’organisation, le fonctionnement et les attributions sont fixés par décret.

 
 

« Art. 15. – L’administrateur supérieur de La Passion dispose, pour l’administration de La Passion, du concours du haut-commissariat et des services de l’État installés en Polynésie française.

 
 

L’administrateur supérieur dispose, en tant que de besoin, du concours de l’administration des Terres Australes et Antarctiques françaises, dans des conditions précisées par un arrêté du ministre chargé des outre-mer.

 
 

« Art. 16. – L’administrateur supérieur peut décider de déroger à l’obligation de dépôt auprès de l’État des fonds de la collectivité dans les conditions définies au chapitre VIII du titre unique du livre VI de la première partie du code général des collectivités territoriales.

 
 

« Art. 17. – Hors cas de force majeure liée à la préservation de la vie humaine ou à la sauvegarde d’un navire ou d’un aéronef, le mouillage dans les eaux territoriales et intérieures, le débarquement, l’atterrissage, le séjour ou toute autre activité sur l’île est soumise à autorisation délivrée par l’administrateur supérieur.

 
 

« Art. 18. – Est puni d’un an d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende le fait de mouiller dans les eaux territoriales ou intérieures de l’île, de débarquer, d’atterrir, de séjourner ou de procéder à une activité sur l’île sans être titulaire de l’autorisation prévue à l’article 17.

 
 

« Art. 19. – Les personnes coupables de l’une des infractions prévues à l’article 18 encourent également, à titre de peine complémentaire, la confiscation du navire, embarcation, engin nautique, aéronef, chose ou installation ayant servi à l’infraction, dans les conditions prévues à l’article 131-21 du code pénal.

 
 

« Art. 20. – Des décrets pris sur le rapport du ministre chargé de l’outre-mer et, éventuellement, du ministre des finances et des affaires économiques règleront les modalités d’application de la présente loi.

 
 

« La présente loi sera exécutée comme loi de l’État. »

 
 

Article 3

Article 3

 

I. – Les charges pour l’État résultant de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Supprimé

 

II. – Les charges pour les collectivités territoriales résultant de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

 

PERSONNES ENTENDUES

Premier ministre

––  M. Fréderic POTIER, conseiller technique outre-mer auprès de M. Manuel VALLS, Premier ministre

Ministère des Outre-mer

––  M. Jean-Robert JOUANNY, conseiller chargé des affaires juridiques et institutionnelles auprès de Mme Ericka BAREIGTS, ministre des Outre-mer

––  M. Arnaud MARTRENCHAR, adjoint au sous-directeur des politiques publiques

––  Mme Florence DUENAS, chef du bureau du droit public et des affaires institutionnelles

Ministère de l’Environnement, de l’énergie et de la mer

––  M. Olivier MASTAIN, conseiller « eau, nature et biodiversité » auprès de Mme Ségolène ROYAL, ministre de l’Environnement, de l’énergie et de la mer

––  Mme Sophie-Dorothée DURON, adjointe au sous-directeur de l’eau et de la biodiversité

Ministère de la Défense

––  Capitaine de Vaisseau Régis DE CACQUERAY, conseiller marine au cabinet militaire de M. Jean-Yves LE DRIAN, ministre de la Défense

© Assemblée nationale

1 () Philippe Folliot, Valoriser l’île de La Passion (Clipperton) par l’implantation d’une station scientifique à caractère international, Rapport remis à Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer, 9 juin 2016.

2 () Après la Nouvelle-Calédonie (18 576 km2), la Polynésie française (4 170 km2) et Wallis et Futuna (140 km2).

3 () Après la Polynésie française (4 804 000 km2), la Nouvelle-Calédonie (1 364 000 km2), l’archipel des Crozet (562 000 km2), l’archipel des Kerguelen (547 000 km2) et les îles Saint Paul et Nouvelle-Amsterdam (506 000 km2).

4 () Nom donné aux excréments des oiseaux marins, qui peuvent être utilisés comme engrais en raison de leur concentration en composés azotés.

5 () L’eutrophisation est une forme naturelle de pollution de certains écosystèmes aquatiques qui se produit lorsque le milieu reçoit trop de matières nutritives assimilables par les algues et que celles-ci prolifèrent.

6 () Passion 2015, troisième mission menée par le géographe Christian Jost sur l’île de Clipperton, avait pour but d’étudier, pendant deux semaines, avec 14 scientifiques français et mexicains, l’écosystème afin d’envisager la mise en place d’une base habitée, scientifique et de surveillance.

7 () La convention de Montego Bay, signée le 10 décembre 1982, accorde aux États côtiers des droits exclusifs sur l’exploitation des ressources situées jusqu’à 200 milles (environ 370 km) des côtes, l’extension du « plateau continental » pouvant aller dans certains cas particuliers jusqu’à 350 milles des côtes.

8 () La zone économique exclusive de la France est évaluée à 10,2 millions de km2stricto sensu et à 11 millions de km2 en y intégrant des revendications acquises par la France qui ne font l’objet d’aucune contestation de la part d’un autre État.

9 () Philippe Folliot, Valoriser l’île de La Passion (Clipperton) par l’implantation d’une station scientifique à caractère international, op. cit., p. 28.

10 () On désigne par ce phénomène le réchauffement accentué des eaux de surface près des côtes de l’Amérique du Sud, lié à un cycle de variations de la pression atmosphérique entre l’est et l’ouest du Pacifique, couplé à un cycle du courant océanique le long de l’équateur, et qui a un impact climatique planétaire.

11 () La bathymétrie est la mesure, par sondage, des profondeurs d’eau.

12 () Philippe Folliot, Valoriser l’île de La Passion (Clipperton) par l’implantation d’une station scientifique à caractère international, op. cit., p. 25.

13 () Christian Jost, « Risques environnementaux et enjeux à Clipperton (Pacifique français) », Cybergeo : European Journal of Geography, Environnement, Nature, Paysage, document 314, 1er juillet 2005.

14 () Christian Jost, Clipperton, Île de La Passion, Éditions CDP NC Nouméa/SCEREN, Paris, 2004.

15 () Miguel Gonzales Avelar, Clipperton, isla mexicana, Mexico, Fondo de cultura economica, 8 cartes, 1992.

16 () Roberto Ramirez Bravo, Isla Mexicana, El Espejo de Urania n° 4, Acapulco, 2001, pp. 6-13.

17 () Robert Amram, Clipperton, Isla de la Pasión, Édition Alti Corporation y Concord SA de CV, Mexico, 2004.

18 () Rapport d’information n° 430 (session ordinaire de 2013-2014) fait par MM. Jean-Étienne Antoinette, Joël Guerriau et Richard Tuheiava au nom de la Délégation sénatoriale à l’outre-mer, Les zones économiques exclusives (ZEE) ultramarines : le moment de vérité, avril 2014, p. 80.

19 () Le Mexique réclamait la reconnaissance par la France de droits de pêche historiques pour leurs navires dans les eaux de Clipperton et rejetait le principe d’un accord encadrant cette activité dans la zone économique exclusive française. Il menaçait de soulever devant les instances internationales la question du statut de l’île, qu’il considère comme un simple rocher au sens du paragraphe 3 de l’article 121 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de Montego Bay du 10 décembre 1982 aux termes duquel « les rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre n’ont pas de zone économique exclusive ni de plateau continental ».

20 () Projet PITON d’installation d’une base thonière en 1974, projet de pêche et d’installation d’une usine de poisson en 1976, convention entre l’État et la société d’étude, de développement et d’exploitation de l’îlot Clipperton (SEDEIC) en 1981 ; projet de M. Jean-Louis Étienne d’y établir une base scientifique.

21 () Projet de création d’une base de pêche hauturière par Norbert Niwes en 1983, avec l’installation d’une balise orbitographique pour le compte du Centre national d’études spatiales en liaison avec l’Institut géographique national, l’implantation d’un marégraphe et d’un sismographe ainsi que d’une station météo.

22 () Christian Jost, Rapport scientifique de l’expédition océanographique mexicano-française SURPACLIP à l’île de Clipperton, aux îles Revillagigedo et au Mexique du 16 novembre au 13 décembre 1997, Rapport au Premier ministre, au ministre des affaires étrangères et au secrétaire d’état à l’outre-mer, 1997.

23 () Il s’agirait d’une collectivité à statut particulier au sens du premier alinéa de l’article 72 de la Constitution qui prévoit que « les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer régies par l'article 74 ».

24 () Philippe Folliot, Valoriser l’île de La Passion (Clipperton) par l’implantation d’une station scientifique à caractère international, op. cit., pp. 42-63.

25 () Les cyclones ont en général peu d’impact sur l’île dans la mesure où ils ont tendance à passer plus au nord ou à la bordure de la zone économique exclusive. Au cours des dix dernières années, seuls 4 cyclones de catégories 1 et 2 (vents de 118 à 177 km/h) ont concerné l’île, 8 dépressions tropicales fortes (vents de 89 à 117 km/h) et 10 dépressions tropicales modérées (vents de 62 à 88 km/h).

26 () Entre 4 et 8 millions d’euros pour les frais logistiques, dont l’affrètement initial du navire acheminant les matériaux ; entre 720 000 et 3,1 millions d’euros pour l’ouverture des passes ; 300 000 euros pour l’aménagement de l’intérieur du lagon ; 1 million d’euros pour la construction de l’abri anticyclonique ; 3,5 millions d’euros au maximum pour la rénovation de la piste aérienne ; 100 000 euros pour l’installation d’une capacité mobile de stockage et d’avitaillement.

27 () Le Mexique a d’ailleurs conservé ce nom puisque Clipperton y est appelé la Isla de la Pasión.

28 () Loi n° 2007-224 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer.

29 () Décret du 31 janvier 2008 relatif à l’administration de l’île de Clipperton.

30 () Arrêté du 3 février 2008 portant délégation de l’administration de l’île de Clipperton au haut-commissaire de la République en Polynésie française.

31 () L’article 1er du décret n° 2004-112 du 6 février 2004 relatif à l’organisation de l’action de l’État en mer prévoit que l’action de l’État en mer concerne notamment « la défense des droits souverains et des intérêts de la Nation, le maintien de l’ordre public, la sauvegarde des personnes et des biens, la protection de l’environnement et la coordination de la lutte contre les activités illicites ».

32 () Articles 22 à 28 du décret n° 2008-919 du 11 septembre 2008 pris pour l’application du statut des terres australes et antarctiques françaises.

33 () Article 5 de la loi n° 55-1052 du 6 août 1955 portant statut des terres australes et antarctiques françaises et de l’île de Clipperton.

34 () Article L. 218-84 du code de l’environnement.