N° 4418 - Rapport de M. Alain Bocquet sur le texte adopté par la commission des affaires européennes sur la proposition de résolution européenne de M. Alain Bocquet et plusieurs de ses collègues pour une Conférence des parties . (n°4379)



OGO

N° 4418

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 janvier 2017.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE pour une Conférence des parties (COP) de la finance mondiale, l’harmonisation et la justice fiscales (n° 4379),

PAR M. Alain BOCQUET,

Député.

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Voir les numéros : 4332 et 4379.

SOMMAIRE

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Pages

I. LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE, L’ÉVASION ET LA CONCURRENCE FISCALES EST UNE NÉCESSITÉ POUR LA COHÉSION EUROPÉENNE ET INTERNATIONALE 9

A. UN ENJEU ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE MAJEUR POUR LES PAYS DÉVELOPPÉS COMME POUR LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT… 9

1. Des sommes colossales transitent chaque année vers et par les paradis fiscaux tandis que la concurrence fiscale s’accroît 10

2. L’évitement fiscal contribue directement au sous-développement à travers le monde 14

B. … QUI NÉCESSITE DE FAVORISER LA COORDINATION POLITIQUE ENTRE LES ÉCHELONS NATIONAUX, EUROPÉENS ET INTERNATIONAUX 15

1. Encadrer les pratiques fiscales dommageables les plus fréquentes 16

2. Stigmatiser les pays et juridictions fiscales non coopératives : pour une liste des paradis fiscaux unique et objective, assortie de sanctions 24

3. Harmoniser certaines composantes de l’impôt sur les sociétés : le projet européen pour une assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés (ACCIS) 27

II. LES PROGRÈS ACCOMPLIS DEMEURENT ENCORE INSUFFISANTS ET NÉCESSITENT UNE NOUVELLE DYNAMIQUE INTERNATIONALE DONT LA FRANCE POURRAIT PRENDRE LA TÊTE 29

A. LES RÉFORMES MENÉES JUSQU’À PRÉSENT DEMEURENT INABOUTIES ET LIMITÉES 29

1. Renforcer la publicité et la transparence : poursuivre les efforts 29

2. Améliorer la protection des lanceurs d’alerte : profiter du contexte porteur pour créer un véritable statut unique européen 32

3. Favoriser l’efficacité de la justice financière : améliorer la prévention et renforcer les sanctions 35

B. UNE CONFÉRENCE DES PARTIES DE LA FINANCE POURRAIT PERMETTRE DE PROGRESSER DE MANIÈRE COORDONNÉE ET INCLUSIVE 39

1. Une réunion des parties sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies (ONU) 41

2. Pour une ouverture simultanée de plusieurs chantiers fiscaux et la création d’une organisation mondiale de la finance 42

TRAVAUX DE LA COMMISSION 43

ANNEXE N° 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 53

ANNEXE N° 2 : CONTRIBUTIONS 55

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

À l’initiative du groupe « Gauche démocratique et républicaine » (GDR), la commission des affaires européennes a examiné, mardi 17 janvier 2017, la proposition de résolution intitulée « Pour une COP de la finance mondiale, l’harmonisation et la justice fiscales ». Le texte tel qu’amendé par la commission a ensuite été adopté à l’unanimité.

Les membres de la commission se sont en effet accordés autour de l’idée que le consentement à l’impôt et son égale répartition entre les citoyens et entre les entreprises sont au cœur du processus démocratique. Selon l’ancien secrétaire d’État américain Henri Morgenthau, « l’impôt est le prix à payer pour une société civilisée ». Il permet en effet la levée et l’allocation des ressources, la redistribution visant à réduire les inégalités et la conduite des politiques publiques décidées par la Nation ou par ses représentants.

Cependant, sous l’effet conjugué de la mondialisation et de la concurrence fiscale entre États, l’évitement fiscal, qui inclut aussi bien la fraude que l’optimisation et l’évasion fiscales, s’est généralisé. Si ces mécanismes touchent une proportion réduite des particuliers, les grandes entreprises pratiquent l’évasion fiscale à un niveau industriel, privant bien souvent les États développés comme les États en développement des ressources nécessaires pour lutter contre la pauvreté et investir dans la santé, l’éducation et l’emploi.

En effet, au cours des dernières décennies, si les bénéfices nets déclarés par les plus grandes entreprises du monde ont plus que triplé en termes réels, passant de 2 000 milliards de dollars en 1980 à 7 200 milliards de dollars en 2013, cette augmentation ne s’est pas traduite par une hausse correspondante des contributions fiscales des entreprises. Au contraire, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les recettes que les pays de l’OCDE collectent via l’impôt sur les sociétés ont chuté de 3,6 % à 2,8 % du PIB entre 2007 et 2014, sous l’effet de l’évasion mais aussi de la concurrence fiscale qui pousse les États à baisser le niveau de leur imposition, s’enchaînant mutuellement dans une spirale restrictive de leurs propres ressources. Cette tendance contribue à l’aggravement des inégalités en même temps qu’elle pénalise la croissance.

L’évitement fiscal, sous toutes ses formes, ne constitue pas seulement un manque à gagner pour l’État : c’est un manque à gagner pour toute la société puisque cela conduit à une fuite de masse monétaire hors des pays concernés, déconnectant de manière exagérée les flux financiers et les flux réels de la production et de la consommation. L’évitement fiscal crée un trou dans un circuit vertueux de la monnaie et de la richesse. Il constitue une autre expression de la privatisation des profits qui pèse sur l’ensemble de la société, en même temps qu’un véritable problème de sécurité intérieure et extérieure puisque ces mécanismes opaques permettent également de blanchir, d’acheminer et de développer une masse monétaire acquise à travers des activités hautement illégales voire terroristes.

À cet égard, le scandale des « Panama Papers » qui a éclaté en avril 2016 à la suite de nombreux autres scandales fiscaux tels que le « Swissleaks » ou l’affaire « Luxleaks », a révélé comment des sociétés écrans avaient, entre autres, été utilisées à des fins d’évasion fiscale, de corruption, de fraude et de blanchiment d’argent.

La présence de paradis fiscaux, au sein même des États et des régions les plus riches de la planète, et l’existence d’une concurrence fiscale exacerbée conduit à une situation perdant-perdant pour tous les acteurs qui y participent, à l’exception des groupes multinationaux et des individus les plus fortunés. En ce sens, l’évitement fiscal correspond pleinement à une situation de « passager clandestin », telle qu’elle peut être formulée en économie pour désigner une situation où certains acteurs bénéficient d’avantages qui rompent l’égalité de traitement et nuisent à l’adhésion au pacte social.

Certes, les États de l’OCDE et l’opinion publique ont progressivement pris conscience du problème de l’évitement fiscal, particulièrement aigu en période de crise en raison de la dégradation des comptes publics. La détermination des parlementaires, la sensibilisation de l’opinion publique, la vigilance de la société civile et notamment des associations luttant contre la délinquance financière ont conduit, dans un certain nombre de pays dont la France, à faire évoluer la législation dans un sens plus restrictif.

Le chemin à parcourir demeure cependant long : l’évitement fiscal, par son ampleur, – on peut estimer aujourd’hui qu’il représente entre 60 et 80 milliards d’euros chaque année en France – constitue toujours une pratique répandue ; les lanceurs d’alerte ne sont pas assez protégés ; les paradis fiscaux ne font l’objet d’aucune définition consensuelle et la coopération internationale demeure insuffisante.

C’est pourquoi la France doit initier la tenue d’une conférence des parties (COP) de la finance, sur le modèle de la COP en matière environnementale. L’urgence n’est pas moindre sur le plan de la régulation financière que sur le plan de la lutte contre le changement climatique : le succès de la seconde passe d’ailleurs à bien des égards par la réussite de la première.

Cette conférence des parties permettrait d’avancer de manière simultanée et internationale sur plusieurs chantiers, tels que la définition des paradis fiscaux, la régulation des conventions et des rescrits fiscaux, la protection des lanceurs d’alerte et le soutien à la reconversion des économies qui tirent l’essentiel de leurs ressources de leur statut de paradis fiscaux.

Cette grande conférence des parties devrait en outre se tenir sous l’égide de l’ONU, restée jusqu’à présent trop en retrait de cette question au profit d’organisations moins représentatives des pays en développement telles que l’OCDE. Elle pourrait également conduire à la création d’une « organisation mondiale de la finance », qui reprendrait certains traits de l’Organisation mondiale du commerce, à commencer par l’organisation de cycles réguliers de négociations, l’évaluation régulière des progrès obtenus et la définition de sanctions en cas de comportement non-coopératif persistant de la part de certains acteurs.

La France, par sa stature internationale et européenne, par la force et la compétence de sa diplomatie et de son administration fiscale, a de nombreux atouts pour initier ce mouvement et jouer un effet d’entraînement. Il en va de notre capacité à lutter contre les nombreux dérèglements du monde qui portent atteinte à notre idéal démocratique comme à notre sécurité.

Dans les mécanismes qui conduisent à la perte de recettes fiscales pour les États et à la fuite de masse monétaire, il convient en premier lieu de distinguer entre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales, dans un ordre décroissant de condamnation de ces pratiques en raison de leur caractère légal ou illégal.

Le concept d’évitement fiscal regroupe ces différentes pratiques et désigne l’utilisation de mécanismes illégaux, explicitement interdits par la loi ou la jurisprudence (notamment abus de droit, actes anormaux de gestion et autres techniques qui peuvent être qualifiées de fraude fiscale pénalement sanctionnée) et l’utilisation excessive de mécanismes légaux potentiellement dommageables et contraires à l’intérêt général. Ces mécanismes, utilisés par les entreprises et les particuliers, s’appuient notamment sur les failles législatives des États par le biais de montages complexes permettant d’échapper à l’impôt. Il existe ainsi une zone grise où la loi et la jurisprudence n’ont rien défini et qui doit faire l’objet d’une régulation au niveau international.

Devant les sommes faramineuses et l’étendue des pratiques en matière d’évitement fiscal, les États et la société civile se sont saisies du problème et ont instauré des mesures qui renforcent indéniablement la transparence. Il reste cependant beaucoup à faire pour que ces pratiques soient réellement entravées et qu’une véritable stratégie internationale émerge sur ces questions.

Les acteurs concernés par l’évitement fiscal sont nombreux : tous les États y font face, certains comme promoteurs, d’autres comme victimes, et parfois même de manière simultanée.

L’Europe est l’un des hauts lieux de cette dualité : alors que la plupart des États pâtissent de cette pratique, elle tolère en son sein l’existence de quatre « paradis fiscaux » (Irlande, Luxembourg, Pays-Bas et Chypre), ou supposés tels puisqu’il n’existe pas de définition claire de cette notion au niveau européen.

Les projets fiscaux de Donald Trump aux États-Unis, qui souhaite abaisser l’impôt sur les sociétés de 35 à 15 %, ainsi que de Theresa May au Royaume-Uni, qui prévoit d’ores et déjà d’abaisser l’imposition des sociétés de 20 à 17 % d’ici 2020 et menace d’aller encore plus loin en ce sens, renforcent également cette ambiguïté et pourraient conduire à une ère de l’individualisme fiscal.

Par la pratique des conventions fiscales, ainsi que par l’absence de régimes fiscaux et de structures de collecte de l’impôt suffisamment efficaces, les pays en développement sont également particulièrement affaiblis par l’évitement fiscal.

Selon le Fonds monétaire international, 50 % des transactions internationales transitent par des paradis fiscaux. Cela représente, selon l’organisation « Tax Justice Network », entre 16 344 et 25 000 milliards de dollars chaque année. Les paradis fiscaux hébergeraient en outre 4 000 banques, les deux tiers des hedge funds et 2 millions de sociétés-écran. Environ 7 000 milliards de dollars d’actifs seraient présents dans ces territoires, soit plus de trois fois le produit intérieur brut (PIB) de la France.

En 2012, l’Union européenne estimait que l’évasion et la fraude fiscales privaient l’ensemble des pays de l’Union européenne d’une ressource financière au moins équivalente à 2 à 2,5 % du PIB, soit, en additionnant fraude sociale et fraude fiscale (et notamment la « fraude à la TVA » qui en serait la part prédominante), environ 1 000 milliards d’euros par an.

Pour la France uniquement, un rapport du Syndicat Solidaires-Finances publiques publié en 2013, prenant en compte un large spectre de facteurs, évoquait une perte de 50 à 80 milliards d’euros par an (16 à 22 % des recettes fiscales brutes de l’État). Ce chiffre est également celui proposé par votre rapporteur et M. Nicolas Dupont-Aignan dans un rapport du 9 octobre 2013 intitulé « Lutte contre les paradis fiscaux : si l’on passait des paroles aux actes » (1). La fraude et l’évasion fiscales existent en effet dans toutes les branches de la fiscalité : la fiscalité de l’épargne, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ou encore la fiscalité des sociétés.

Selon un rapport sénatorial de 2012 (2) sur l’incidence de l’évasion fiscale sur les finances publiques, qui adoptait une définition plus restrictive, elle causerait une perte annuelle de ressource de 30 à 36 milliards d’euros pour les finances publiques, soit plus que le budget annuel consacré à la défense et trois fois plus que le déficit de la sécurité sociale à la même date (13,3 milliards d’euros).

Ainsi, l’évitement fiscal conduit à une perte de recettes considérable pour les finances publiques, contribuant largement à la constitution des déficits publics. Ce tarissement des ressources affecte in fine le pacte social et républicain : il réduit les moyens alloués aux services publics, prive l’État des moyens d’action dont il aurait besoin pour lutter efficacement contre la précarité, le chômage ou le réchauffement climatique.

L’évitement fiscal conduit également à reporter la charge fiscale sur les acteurs les moins mobiles, rompant ainsi l’égalité de traitement entre les contribuables. C’est le cas pour les particuliers. C’est aussi le cas pour les entreprises, qui se voient taxées différemment en fonction de leur taille et de leur chiffre d’affaires.

Taux de contribution effective par taille de l’entreprise en 2007 

Source : Rapport du Sénat n° 673 de juillet 2012 précité.

Les acteurs impliqués dans ce système d’évitement fiscal sont aussi divers que les pratiques sont nombreuses et variées.

En premier lieu, on trouve les multinationales, les banques et les géants du numérique (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft), acteurs mobiles de la mondialisation, capables d’implanter une filiale et transférer leurs bénéfices là où la fiscalité et/ou la réglementation sont les plus avantageuses. En juin 2013, l’organisation non-gouvernementale (ONG) CCFD-Terre solidaire a réalisé une enquête portant sur la responsabilité fiscale des entreprises européennes. Seulement 60 % des cinquante premières multinationales implantées en Europe donnent une liste exhaustive de leurs filiales et chacune d’entre elles détiendrait en moyenne 117 filiales dans des paradis fiscaux (Pays-Bas, État du Delaware, Luxembourg, Îles Caïman…).

Les géants du numérique abusent massivement de ce système. Facebook n’a ainsi payé que 3,8 % d’impôt sur ses bénéfices réalisés hors des États-Unis alors que ceux-ci sont désormais majoritaires. Idem pour Google qui ne paie que 5,6 % d’impôt sur les bénéfices qu’il réalise. En règle générale, les géants du numérique ne déclarent pas leur chiffre d’affaires dans le pays où leur service est utilisé, mais le facturent depuis l’Irlande (ou le Luxembourg pour Amazon). Toutefois, même en Irlande, l’imposition effective demeure largement inférieure à l’imposition légale de 12,5 % : elle oscille généralement entre 4,2 % à 5,3 %, selon une étude du département du commerce américain. Les profits sont redirigés en grande majorité vers des paradis fiscaux. Au final, Google ne s’est acquitté en France que de 6,7 millions d’euros d’impôts sur les sociétés en 2015 alors que la publicité dans les moteurs de recherche, dont cette société domine le marché, représente un marché de plus de 1,7 milliard d’euros.

Des sociétés moins emblématiques comme Airbnb profitent également des multiples passerelles de l’évasion et de l’optimisation fiscales. Alors que le chiffre d’affaires du groupe en France se situe vraisemblablement aux environs de 65 millions d’euros, sa filiale française ne déclare que 5 millions et ne paie que 65 000 euros par an d’impôt sur les sociétés.

En ce qui concerne les banques, le rapport réalisé, en mars 2016, par le CCFD-terre solidaire, OXFAM France, Secours Catholique Caritas France et la Plate-forme Paradis fiscaux et judiciaires et intitulé « En quête de transparence – sur la piste des banques françaises dans les paradis fiscaux », montre également qu’en 2015, un quart de l’activité internationale des cinq plus grandes banques françaises (BNP Paribas, BPCE, Crédit Agricole, Crédit Mutuel-CIC, Société Générale) est réalisé depuis des paradis fiscaux, qu’un tiers de leurs filiales étrangères y sont situées et un tiers de leurs bénéfices y est déclaré.

L’évitement fiscal concerne aussi les très hauts revenus et patrimoines. Pour les 0,01 % de contribuables ayant une fortune supérieure à 50 millions de dollars, il existerait une probabilité de 70 % de détenir un compte dans les paradis fiscaux.

Pour alimenter et faire fonctionner ces mécanismes d’évitement, de nombreux acteurs financiers, conseillers juridiques, grands cabinets d’audit et autres professionnels du droit ou du chiffre donnent accès, parfois ouvertement, à des produits financiers ou montages juridiques sophistiqués à l’adresse d’entreprises ou de particuliers, profitant ainsi de l’absence de transparence et des manquements ou asymétries entre les différentes régulations.

Ce système déséquilibre complètement les flux économiques et financiers mondiaux. Par exemple, les Îles Vierges britanniques investissent plus en Chine que les États-Unis. Les îles britanniques et des Caraïbes (Îles Caïman, Îles vierges britanniques…) reçoivent plus d’investissements de multinationales américaines que la Chine. De même, l’île de Jersey est l’un des premiers « exportateurs » de bananes pour l’Union Européenne, non pas parce que le pays produit ce fruit, mais bien parce que des structures intermédiaires du circuit du négoce international de la banane sont localisées sur ce territoire. Au cœur même de l’Union européenne, le Luxembourg reçoit des quantités importantes d’investissement direct à l’étranger (IDE) sans rapport avec sa taille économique.

Par ailleurs, des États victimes de l’évitement fiscal adoptent parfois une position ambiguë et entretiennent des régimes fiscaux « atypiques » au sein de leur propre territoire. C’est le cas des États-Unis avec l’État du Delaware ou bien encore de la Chine avec Hong Kong et Macao. Ainsi, l’État du Delaware abrite le siège de la moitié des entreprises américaines cotées et un nombre important de fonds spéculatifs mondiaux.

En Europe, il n’existe pas encore d’harmonisation fiscale, ni même de registres ou de systèmes d’information communs sur les sociétés commerciales et sociétés civiles ou leurs filiales implantées dans les différents pays. Le suivi des cessions, des fusions, des cessations ou du changement du lieu d’implantation, est ainsi particulièrement difficile, ce qui nuit à la transparence économique et facilite l’optimisation et l’évasion fiscales.

En outre, la concurrence fiscale se développe également au sein même de l’Union européenne, à travers deux phénomènes : le taux d’impôt sur les sociétés et les régimes spéciaux (patent box, tax ruling, etc.). Des États combinent parfois ces deux mécanismes pour être économiquement attractifs. Avec un taux d’imposition sur les sociétés de 12,5 %, l’Irlande a été l’un des éléments essentiels de la concurrence fiscale en Europe qui a conduit à la baisse de l’impôt sur les sociétés.

Bien que l’impact des taux dépende de l’étendue de l’assiette imposable, l’effet attractif de taux bas lèse plusieurs États européens ayant un taux d’impôt sur les sociétés compris entre 25 % et 33,33 %. Une étude conduite par le cabinet d’audit et de conseil KPMG révèle ainsi que le taux de l’impôt sur les sociétés a diminué de dix points en dix ans, passant de 34,12 % à 23 % en moyenne dans l’Union européenne.

La France suit également ce mouvement puisque la loi de finances (PLF) pour 2017 opère une réduction de l’impôt sur les sociétés de 33 à 28 % (3). Or, si le taux de cet impôt est dans la moyenne haute au niveau européen (mais avec de multiples dérogations que ce soit pour les starts-ups ou pour les petites entreprises qui bénéficient d’un taux réduit de 15 %), son assiette est en revanche plus étroite que dans la plupart des autres pays européens, à tel point qu’il ne représente que 2,7 % du PIB hors crédits d’impôt et 1,7 % du PIB si l’on inclue ces derniers dans le calcul. À titre d’exemple, le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) permet d’obtenir un rabais de 7 % de la masse salariale (ce taux était de 4 % en 2013) pour les salaires allant jusqu’à 2,5 SMIC et coûte près de 20 milliards d’euros par an au budget de l’État tandis que le coût du crédit d’impôt-recherche (CIR) a fortement évolué ces dernières années passant de 1 à 5,5 milliards d’euros de dépenses fiscales. Il existe par ailleurs de nombreuses façons de diminuer les bénéfices affichés ou de les transférer dans une filiale située à l’étranger dans le cas des multinationales.

La pratique des rescrits fiscaux, qui n’a rien de condamnable a priori, a pu conduire, dans de nombreuses situations, à amplifier ce phénomène en accroissant la différence entre les taux effectifs et les taux standards. L’exemple d’Apple en Irlande le montre : la société n’a versé que 0,5 % d’impôt sur les sociétés au lieu des 12,5 % prévus. Pour cette raison, Apple a été condamné en 2016 par la Commission européenne à verser plus de onze milliards d’euros au titre de la législation sur les aides d’État.

L’Irlande est cependant loin d’être le seul État concerné : certains territoires qui dépendent du Royaume-Uni (Îles vierges britanniques) ou du Portugal (Madère et Açores) peuvent être cités sur ce même fondement, de même que le Luxembourg.

Ce dernier, notamment à travers la pratique des rescrits fiscaux, facilite l’optimisation fiscale au cœur même de l’Union européenne. L’affaire dite « Luxleaks » a ainsi illustré le niveau de concurrence fiscale au sein de l’Union européenne, dommageable à sa cohésion et à son unification. Ces rescrits permettaient aux entreprises de bénéficier de taux d’imposition parfois inférieurs à 1 %, en lieu et place des 29 % prévus par le droit commun luxembourgeois. En plus d’un taux d’imposition à l’impôt sur les sociétés proche de zéro, les multinationales ont eu recours à des mécanismes d’évitement permettant de transférer les flux de revenus vers leurs filiales luxembourgeoises peu imposées.

Il y a donc urgence à rendre obligatoire la publication de tous les rescrits fiscaux concernant des multinationales à partir d’un certain chiffre d’affaires (cf. infra).

Ceci est d’autant plus urgent que le nombre de rescrits fiscaux conclus entre des multinationales et des gouvernements européens a très fortement augmenté ces dernières années. Selon les données de la Commission européenne, ils sont ainsi passés de 547 en 2013, à 972 en 2014 pour arriver à 1 444 en 2015, soit une augmentation de 260 % en deux ans alors même qu’éclatait le scandale « Luxleaks ».

Bien entendu, les États européens ne sont pas les seuls concernés par le phénomène d’évitement fiscal. Aux États-Unis, l’Internal Revenue Service (IRS) évalue ce phénomène à près de 330 milliards de dollars par an, soit 16 % des impôts fédéraux et 2 % du PIB. Au Canada, une étude du « Tax Justice Network » table sur un montant de près de 104 milliards de dollars canadiens par an.

Mais ce phénomène impacte également très fortement les pays en développement. Le rapport de l’organisation CCFD-Terre solidaire souligne le fait que les pays en développement constituent les premières victimes de cette évasion fiscale à grande échelle. Elle les priverait de près de 250 milliards d’euros de recettes fiscales par an, soit six fois le financement mondial nécessaire à la lutte contre la faim.

Par ce biais, ces États sont plus exposés aux aléas du commerce des matières premières, au développement de l’économie informelle, à la corruption et à la fuite du personnel qualifié des administrations fiscales vers des organisations internationales et des entreprises du secteur privé.

La réduction de charge fiscale des entreprises, les rend également plus enclins à réduire les dépenses et indispensables pour lutter contre les inégalités et la pauvreté, ou à combler le manque à gagner en augmentant d’autres impôts touchant des tranches moins aisées de la société, comme la taxe sur la valeur ajoutée. Les impôts indirects tels que la TVA, qui pèsent de manière disproportionnée sur les plus pauvres, représentent ainsi en moyenne 67 % des recettes fiscales en Afrique subsaharienne, ce qui aboutit à une allocation sous-optimale du capital et des revenus.

Cette « course vers le bas » entre les pays en développement bénéficie ainsi davantage aux entreprises multinationales qu’aux pays en développement. Malgré le manque de données disponibles du fait même de l’opacité du sujet, Oxfam indique, dans un rapport récent (4), que le montant de la dette fiscale non réglée des entreprises dans les seuls pays en développement est estimé à 104 milliards de dollars par an. À ce montant, il convient ensuite d’ajouter tout ce qui relève des particuliers ou de la fraude pour atteindre plus de 189 milliards de dollars chaque année.

L’évitement fiscal contribue ainsi directement à la persistance du sous-développement à travers le monde, lequel alimente à son tour la difficulté à endiguer la pauvreté, les épidémies et les migrations non contrôlées.

Il est donc urgent que les gouvernements européens admettent l’importance de réviser les conventions fiscales qu’ils signent avec les pays en développement. Les conventions des pays étudiés dans le rapport d’Oxfam (qui s’élèvent au nombre de 752) réduisent en effet de manière significative les impôts que pourraient percevoir les pays en développement (les taux sont réduits de 3,8 points en moyenne). La France, en particulier, doit prendre ses responsabilités puisqu’elle est aujourd’hui le pays de l’Union européenne qui a conclu le plus grand nombre de conventions fiscales avec des pays en développement (68). Selon l’ONG ActionAid, huit de ces conventions fiscales peuvent être considérées comme « très restrictives » à l’égard des pays en développement en Afrique et en Asie, limitant fortement les droits de ces pays à prélever l’impôt.

L’importance des phénomènes d’évitement fiscal à travers le monde justifie et nécessite une action coordonnée de grande échelle. Si la fiscalité constitue un facteur important de l’attractivité des territoires, le climat de compétition semble s’être intensifié ces dernières années, allant jusqu’à teinter la concurrence d’une dimension particulièrement agressive, voire déloyale.

Votre rapporteur indique qu’il convient d’opérer un distinguo entre les dimensions internationales et européennes. Compte tenu des interdépendances croissantes entre les systèmes économiques et de la mobilité des contribuables, la concertation et la coordination internationales sont l’une des conditions premières de l’efficacité de la lutte contre l’évitement fiscal. C’est aussi une tâche extrêmement délicate, en raison de la grande diversité des pays et intérêts en présence. Les travaux réalisés au sein de l’OCDE depuis quelques années illustrent toutefois que de réelles avancées sont possibles.

L’espace européen constitue une zone particulière où la concurrence fiscale entre les États qui composent l’Union européenne est d’autant plus dommageable qu’elle fragilise la cohérence de l’ensemble économique et nuit, in fine, aux contribuables et à l’avenir même du projet européen. C’est aussi, en théorie, un espace privilégié pour encadrer et limiter les comportements d’évitement fiscal, dans la mesure où le principe de coopération loyale, qui figure à l’article 4 du traité sur l’Union européenne (5), constitue la matrice des relations entre États membres au sein de l’Union européenne. Par ailleurs, bien que la fiscalité demeure, en raison de son caractère sensible, de la compétence exclusive des États membres et régie par la règle de l’unanimité, l’Union européenne dispose d’outils juridiques propres permettant de juguler les comportements économiques de certains acteurs européens.

De manière générale, il est possible de dégager, dans le cadre de la lutte contre la concurrence fiscale déloyale, plusieurs orientations : identifier, pour les encadrer, les pratiques fiscales dommageables les plus fréquentes ; stigmatiser, à l’appui de listes associées de sanctions, les territoires susceptibles de constituer des « paradis fiscaux » et harmoniser certaines composantes de l’impôt sur les sociétés.

En matière d’évasion et d’optimisation fiscales, l’imagination semble sans borne. La complexité des schémas mis en place pour alléger, parfois considérablement, la charge fiscale des différents acteurs économiques rend leur encadrement peu aisé. Certaines pratiques « classiques » sont toutefois clairement identifiées. En la matière l’OCDE joue, depuis plus de vingt ans, un rôle majeur.

L’OCDE effectue en effet, depuis la fin des années 1990, d’importants travaux visant à limiter les pratiques fiscales dommageables. L’organisation est ainsi à l’origine de la création d’enceintes de coopération privilégiée, à l’instar du Forum sur les pratiques fiscales dommageables, instauré en 1998 (6) ou du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales qui regroupe, depuis sa création en 2009, plus de 120 pays et juridictions dont la mission principale concerne la mise en œuvre cohérente des normes internationales élaborées en matière de transparence.

Entre 2013 et 2015, l’OCDE, en collaboration avec le G20, a fait de la lutte contre l’évasion fiscale sa principale priorité et présenté le résultat des travaux effectués dans un plan d’action en quinze points visant, en promouvant une plus grande harmonisation des règles fiscales et une plus grande transparence, à lutter contre l’érosion des bases fiscales et le transfert de bénéfices (Base Erosion and Profit Shifting, dit BEPS). Rappelant que les comportements d’optimisation fiscale sont rendus possibles par les incohérences et asymétries existant entre les différentes législations nationales, l’OCDE recommande l’adoption de standards internationaux pour limiter ces phénomènes dommageables.

Formellement entérinées par les dirigeants des pays du G20 à Antalya en novembre 2015, les actions du plan BEPS doivent désormais être mises en œuvre de manière uniforme par tous.

La lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices (BEPS), exposé des actions (7)

Action 1. Relever les défis fiscaux posés par l’économie numérique. Rappelant que les risques d’érosion de la base d’imposition et de transfert des bénéfices sont fortement accentués dans le contexte de l’économie numérique, le rapport décrit les effets attendus des mesures préconisées dans le plan BEPS. Des règles et mécanismes d’application ont ainsi été définis pour faciliter le recouvrement de la TVA, des préconisations formulées concernant les questions liées à la territorialité de certaines données.

Action 2. Neutraliser les effets des dispositifs hybrides. Les travaux réalisés par l’OCDE ont permis de définir une approche commune visant à limiter certains cas de double non-imposition en neutralisant les avantages fiscaux qui découlent des asymétries entre systèmes fiscaux.

Action 3. Concevoir des règles efficaces concernant les sociétés étrangères contrôlées (SEC). Le rapport de l’OCDE décrit les difficultés de l’application des règles en vigueur aux revenus mobiles et formule des recommandations devant permettre d’élaborer des règles efficaces pour les SEC, « tout en reconnaissant que les objectifs assignés à ces règles pourront différer selon les priorités de chaque juridiction ». Ces recommandations ne sont pas de standards minimums mais visent à donner aux juridictions les outils pour limiter les transferts de revenus vers les sociétés étrangères contrôlées.

Action 4. Limiter l’érosion de la base d’imposition faisant intervenir les déductions d’intérêts et autres frais financiers. Les travaux sur la déductibilité des intérêts ont défini une approche commune visant à favoriser la convergence des règles nationales. Le rapport rappelle que les groupes utilisent souvent et aisément des mécanismes de financement intra-groupe pour augmenter le niveau d’endettement de l’une de leurs composantes, leur permettant in fine de bénéficier de déductions excessives de charges d’intérêts.

Action 5. Lutter plus efficacement contre les pratiques fiscales dommageables, en prenant en compte la transparence et la substance. Les travaux se sont concentrés sur les régimes préférentiels, qui peuvent être utilisés pour transférer artificiellement des bénéfices, ainsi que sur le manque de transparence entourant les décisions administratives relatives aux contribuables. Le rapport de l’OCDE établit ainsi un standard minimum qui s’appuie sur une méthodologie approuvée par les différents pays pour établir « l’existence d’une activité substantielle aux fins de l’application d’un régime préférentiel ».

Action 6. Empêcher l’octroi des avantages des conventions fiscales lorsqu’il est inapproprié d’accorder ces avantages. Le rapport établit une norme minimale visant à empêcher les utilisations abusives des conventions fiscales, en particulier s’agissant des pratiques de chalandage fiscal. Les nouvelles règles décrites dans le rapport concernent ainsi en premier lieu les stratégies mises en œuvre par une personne qui n’est pas résidente dans un État contractant mais qui tente d’obtenir les avantages d’une convention fiscale conclue par cet État. Dans le cadre des travaux, les États membres ont approuvé un certain nombre de modifications à apporter au modèle de convention fiscale de l’OCDE.

Action 7. Empêcher les mesures visant à éviter artificiellement le statut d’établissement stable. Rappelant que les conventions fiscales prévoient généralement que les bénéfices générés par l’activité d’une entreprise étrangère ne sont imposables dans un État que si cette entreprise y dispose d’un établissement stable, la définition d’un établissement stable est un élément déterminant pour établir les obligations fiscales qui incombent aux contribuables.

Actions 8 à 10. Aligner les prix de transfert calculés sur la création de valeur. Les travaux effectués sur les prix de transferts ont permis de clarifier et de réviser les normes en vigueur et une approche commune de la fixation des prix de transferts dans les transactions impliquant des actifs incorporels, particulièrement mobiles et, partant, difficiles à évaluer a été établie. De manière générale, le rapport propose des orientations concernant les opérations transnationales portant sur des matières premières et les services intra-groupes à faible valeur ajoutée qui constituent, par ailleurs, deux domaines d’action prioritaires pour les pays en développement et qui feront l’objet de travaux plus approfondis.

Action 11. Mesurer et suivre les données relatives au BEPS. Rappelant que les pratiques BEPS sont, par nature, difficiles à évaluer mais que les études suggèrent que leur ampleur représente un important manque du point de vue des recettes de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, les travaux réalisés préconisent de mieux prendre en compte les données disponibles et d’améliorer le suivi des pratiques BEPS. L’amélioration de la collecte par les pays, de la compilation et de l’analyse des données doit ainsi être encouragée.

Action 12. Règles de communication obligatoire d’information. Le rapport propose d’améliorer le cadre des échanges d’information entre administrations fiscales. L’OCDE préconise, sans en faire un standard minimum, que les pays instaurent un régime de déclaration obligatoire et propose un certain nombre de recommandations, sous forme de bonnes pratiques, pour lutter contre les montages fiscaux internationaux et concevoir et mettre en place une coopération et des échanges de renseignements plus efficaces entre juridictions.

Action 13. Documentation relative aux prix de transfert et aux déclarations pays par pays. Les pays se sont accordés pour améliorer et mieux coordonner la documentation des prix de transfert afin d’améliorer la qualité des renseignements échangés entre administrations fiscales et de limiter les coûts de mise en conformité pour les entreprises. Le rapport préconise ainsi une approche standardisée à trois niveaux, en s’appuyant notamment sur un standard minimum relatif à une déclaration pays par pays.

Action 14. Accroître l’efficacité des mécanismes de règlement des différends. Les pays ont adopté un standard minimum concernant le règlement des différends liés aux conventions fiscales qui repose notamment sur un engagement à privilégier la voie de la procédure amiable. Certains pays se sont, en outre, engagés à introduire une clause d’arbitrage obligatoire et contraignante dans leurs conventions fiscales.

Action 15. Élaboration d’un instrument multilatéral pour modifier les conventions fiscales bilatérales. Le rapport préconise qu’un instrument multilatéral pour modifier les conventions fiscales bilatérales soit élaboré. Un groupe de travail spécial a été instauré pour traiter cette question.

Depuis 2014, plusieurs initiatives ont été prises par l’Union européenne pour lutter contre l’évasion et l’optimisation fiscales. Consciente de la nécessité de coordonner les initiatives prises en la matière au niveau international et au niveau européen, la Commission européenne a proposé, à la fin du mois de janvier 2016, un paquet de mesures visant à lutter contre l’évitement fiscal (dit paquet « ATAP », Anti-Tax Avoidance Package) qui s’inscrit dans la continuité du plan d’action de l’OCDE et qui introduit notamment, dans le droit de l’Union européenne, certaines des actions du plan BEPS.

Pour mémoire, le paquet de mesures comprend :

– une communication chapeau, exposant les grandes lignes de la démarche proposée par la Commission européenne ;

– une proposition de directive visant à lutter contre l’évasion fiscale qui comprend six dispositifs dont trois sont issus du plan d’action BEPS de l’OCDE et en assurent la mise en œuvre dans le droit de l’Union européenne ;

– une recommandation concernant l’utilisation abusive des conventions fiscales, mesure de « soft law » mettant notamment en œuvre, de manière non contraignante, certaines des préconisations de l’OCDE ;

– une proposition de révision de la directive dite « coopération administrative », introduisant une obligation d’échange automatique et obligatoire d’informations en matière fiscale ;

– une communication sur la stratégie extérieure de l’Union européenne en matière fiscale, qui détaille notamment les mesures à prendre vis-à-vis des pays tiers.

La proposition législative de la Commission européenne (8), publiée le 12 avril 2016, en marge du paquet anti-évitement fiscal participe de la même démarche et renforce les obligations de reporting applicables à certaines grandes entreprises.

Dispositif phare de son paquet fiscal, la directive relative à la lutte contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence sur le fonctionnement du marché intérieur, dite « ATAD » (Anti Tax Avoidance Directive) (9), comportait, dans le texte proposé par la Commission européenne, six dispositifs majeurs dont trois étaient destinés à mettre en œuvre le plan d’action anti-BEPS. La directive a été adoptée le 12 juillet dernier.

Votre rapporteur signale, à cet égard, le rapport d’information de la Commission des Affaires européennes, présenté par Mme Isabelle Bruneau et M. Marc Laffineur en mai dernier (10) qui consacre des développements aux propositions initiales formulées par la Commission européenne.

Ont ainsi été introduites dans le droit de l’Union européenne des règles visant à limiter la déductibilité des intérêts ; améliorer le traitement des dispositifs hybrides et à renforcer les règles applicables aux sociétés étrangères contrôlées (SEC).

La directive « ATAD » comportait également, dans le projet initial de la Commission européenne, trois dispositifs d’inspiration européenne visant à encadrer d’autres types de schémas d’optimisation. Il s’agit de la clause dite de switch-over, de la modification des règles d’imposition à la sortie et de la clause anti-abus générale. Seuls deux d’entre eux ont été retenus dans la version définitive du texte (11).

Dispositifs venant de BEPS et introduits en droit européen (12)

La limitation de la déductibilité des intérêts

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Avant. Une entreprise située au sein de l’Union européenne établit une filiale dans un pays à faible fiscalité afin de permettre à cette filiale d’accorder des prêts à taux d’intérêt élevés à la société mère ou à l’une de ses filiales également établies dans l’Union européenne dont les intérêts sont déductibles.

Après. Les règles envisagées par la Commission européenne visent à limiter le montant des intérêts déductibles et à augmenter le montant d’impôt effectivement acquitté.

Les dispositifs hybrides

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Avant. Un groupe qui réalise des opérations dans deux pays de l’Union européenne créé une nouvelle entité dans l’un des deux pays. Cette entité contracte une dette au nom du groupe et paye des intérêts sur le prêt. Les deux États membres appliquent à cette entité hybride un traitement fiscal différent, duquel résulte une différence de traitement. En raison de cette inégalité de traitement, les deux États membres autorisent une déduction fiscale pour le paiement des intérêts.

Après. Avec les règles sur les dispositifs hybrides, la différence de traitement disparaît et la déduction fiscale n’est autorisée que dans l’un des deux États membres, garantissant ainsi une taxation effective des revenus.

Les règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées

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Avant. Les entreprises peuvent déplacer leurs profits vers des entreprises affiliées situées dans des pays à faible fiscalité, réduisant ainsi les profits imposables dans l’Union européenne.

Après. Avec les règles relatives aux sociétés étrangères contrôlées, les entreprises peuvent toujours déplacer leurs profits mais ceux-ci sont désormais imposables au sein de l’Union européenne.

Dispositifs européens introduits dans la directive « ATAD » (13)

La clause de switch-over : une taxation effective des dividendes

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Avant. Une entreprise située dans l’Union européenne (A) investit dans une autre entreprise située, en dehors de l’Union européenne, dans un pays à faible fiscalité. Les dividendes sont à leur tour versés à l’entreprise A située dans l’Union européenne. Les États membres considèrent que ces dividendes ont déjà fait l’objet d’une taxation dans le pays tiers, alors que ce n’est souvent pas le cas.

Après. Les règles de « switch-over » impliqueraient que les États membres taxent les dividendes entrant dans l’Union européenne s’ils n’ont pas fait l’objet d’une taxation suffisante dans le pays tiers.

Les nouvelles règles d’imposition à la sortie

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Avant. Les grandes entreprises consacrent beaucoup de temps et d’énergie à développer de nouveaux produits. Les entreprises situées dans l’Union européenne peuvent développer un nouveau produit prometteur et le déplacer dans un pays à fiscalité nulle avant qu’il soit finalisé. De cette façon, l’entreprise paye moins d’impôts sur les bénéfices réalisés au sein de l’Union européenne.

Après. Les nouvelles règles d’imposition à la sortie visent à garantir que les États membres puissent imposer une taxe sur la valeur du produit avant qu’il soit déplacé en dehors de l’Union européenne.

La clause anti-abus générale

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Avant. Les entreprises qui se livrent à de la planification fiscale agressive continuent de trouver des moyens de contourner les règles applicables et d’exploiter les lacunes dans la législation fiscale.

Après. Une clause anti-abus générale permet aux États membres de lutter contre des montages artificiels, lorsque ceux-ci ne sont pas couverts par des règles spécifiques.

La lutte contre les pratiques fiscales dommageables et la promotion de normes de bonne gouvernance dans le domaine fiscal nécessitent d’être complétées par une stratégie européenne commune, idéalement à l’échelle internationale, à l’égard des territoires et juridictions non coopératifs.

Cette demande, assez largement partagée, tant au sein de la société civile que par les différents pays, vise à élaborer un cadre unique comprenant standards de bonnes pratiques et sanctions dissuasives pour les acteurs qui ne s’y conformeraient pas.

Si le principe est relativement consensuel, il existe des difficultés que les différents acteurs ne sont pas encore parvenus à surmonter. Le flou persistant qui entoure, pour l’heure, les paradis fiscaux constitue sans nul doute le premier problème auquel la communauté internationale doit s’atteler.

La notion de paradis fiscal apparaît dès le Moyen-Âge pour désigner des cités abritant les ports de navigation marchande entre les villes d’Europe du Nord, notamment celles de la ligue hanséatique, qui acquirent progressivement de nombreux privilèges en matière fiscale.

Les définitions et les critères d’appréciation divergent selon les pays et les institutions internationales. On compte près de quatre-vingt-cinq tentatives de définition et dix-huit listes d’États ou territoires considérés comme des paradis fiscaux. L’OCDE en 2012 a élaboré trois listes (noire, grise et blanche) des territoires non-coopératifs en fonction de leur situation.

L’une des difficultés principales réside dans le fait que certaines définitions sont fondées sur des critères presque exclusivement fiscaux, alors que d’autres sont établies à partir de critères plus larges.

Ainsi le réseau « Tax justice network » insiste à la fois sur la dimension fiscale, mais aussi judiciaire et réglementaire des paradis fiscaux. Certains territoires, nonobstant leur fiscalité, peuvent être des « refuges » pour le blanchiment d’argent grâce à la complaisance des banques et la faiblesse de la coopération judiciaire. D’autres peuvent offrir des services financiers, autoriser des prises de risques spéculatifs ou encore se montrer peu regardants en cas de délit d’initié. Ces différents cercles se croisent, l’opacité faisant le lit de la fraude fiscale.

Mais les organisations intergouvernementales adoptent généralement une définition plus restreinte, qui se veut également plus objective. En 2012, l’OCDE a précisé sa définition d’un paradis fiscal en retenant les quatre critères suivants :

– les revenus ou les capitaux localisés correspondants sont soumis à un impôt nul ou négligeable ;

– il n’existe pas d’échanges de renseignements effectifs concernant ce régime ;

– les régimes applicables dans la juridiction manquent de transparence ;

– la juridiction facilite l’établissement d’entités sous contrôle étranger, sans obligation d’une présence locale substantielle, ou interdit à ces entités d’avoir un impact commercial sur l’activité économique locale.

Depuis, elle a lancé un exercice de revue par les pairs au sein du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales (125 États membres). Celui-ci est toujours en cours avec deux phases d’évaluation et des critères plus élaborés. L’OCDE diffuse sur son site internet son tableau d’évaluation avec les évolutions réalisées par les États. Elle s’est engagée, à la demande du G20, à établir une liste avant juillet 2017.

La liste noire du G20, qui sera publiée en 2017, est moins large car elle ne prend en compte que des critères de transparence financière tout en fermant les yeux sur de nombreuses politiques fiscales qui jouent un rôle de premier plan dans la facilitation de l’évasion fiscale des entreprises, telles qu’un taux d’imposition zéro sur les sociétés. Cette liste sera donc inefficace pour lutter contre les règles fiscales dommageables dans une grande partie des pires paradis fiscaux, dont les Bermudes, les Pays-Bas, la Suisse et Singapour.

Au niveau de l’Union européenne, des travaux sont en cours afin de parvenir à une liste commune des juridictions et territoires non coopératifs. Présentée dans le paquet « anti-évitement fiscal », la méthodologie retenue par les institutions européennes vise à aboutir à une liste commune afin de mettre fin à la situation actuelle dans laquelle chaque État établit – lorsque c’est le cas – sa liste, sans coordination aucune avec ses partenaires européens. À titre d’illustration, alors que le Portugal recense, sur sa liste, près de quatre-vingts juridictions, l’Allemagne n’en a établi aucune.

Actuellement en cours, le processus d’élaboration de la liste européenne devrait aboutir au plus tard à la fin de l’année 2017. Après avoir analysé les critères et processus en vigueur dans chaque État membre concernant le recensement et l’inscription sur une liste nationale des juridictions fiscales non-coopératives, la Commission européenne a élaboré un projet de liste qu’il appartient désormais aux États membres de valider. Lors du Conseil ECOFIN du 8 novembre 2016, les ministres des Finances des États membres de l’Union européenne ont adopté des conclusions relatives aux critères qui permettront d’établir la liste européenne des juridictions non coopératives en matière fiscale (14). Trois des quatre critères proposés par la Commission européenne ont été retenus : il s’agit de la transparence, de la concurrence fiscale loyale et de la mise en œuvre du plan d’action BEPS. L’idée est ainsi d’appliquer aux États tiers les mêmes standards que ceux que se sont engagés à respecter les États membres de l’Union européenne.

Si la démarche est louable, la difficulté d’établir des critères objectifs et exhaustifs, risque de permettre à de nombreux paradis fiscaux d’échapper à toute pression : à titre d’exemple, si le taux d’imposition zéro sur les sociétés n’était pas considéré comme un critère pour l’inscription sur la liste noire de l’Union européenne, un pays comme les Bermudes, le pire paradis fiscal au monde selon l’analyse d’Oxfam, pourrait ne jamais y figurer (15).

De la même manière, le choix de l’Union européenne de ne considérer et de n’évaluer que des pays en dehors de l’Union européenne afin d’éviter qu’un État membre n’apparaisse sur la liste noire, permet de protéger les activités de pays comme le Luxembourg, l’Irlande ou Chypre qui figurent cependant au premier rang des paradis fiscaux dans le monde.

Enfin, il reste également à aborder la question des sanctions associées à la liste commune, faute de quoi celle-ci serait parfaitement inutile.

Il est ainsi indispensable de réfléchir à la nature des sanctions qui pourraient être prises à l’égard des juridictions et territoires non coopératifs. Cette réflexion devrait viser, avant toute chose, l’effectivité des sanctions et n’exclure a priori aucune piste. Considérant, en effet, que le présent enjeu relève de la souveraineté des populations, votre rapporteur n’écarte aucune piste en la matière et invite les différents acteurs à envisager, par exemple, des mesures fiscales dissuasives, des suspensions des agréments bancaires ou encore des restrictions commerciales. Les « paradis fiscaux » comme les personnes qui participent activement à la mise en œuvre des stratégies d’évitement fiscal devraient ainsi pouvoir être inquiétés. Dans cette perspective, il conviendra de se montrer attentif aux travaux annoncés par la Commission européenne s’agissant des intermédiaires impliqués dans les pratiques d’évitement fiscal (16).

S’agissant de la France, une liste de pays qu’elle considère comme des territoires non coopératifs a été établie, en fonction des conventions d’échanges de renseignements passées avec elle. Elle en a également exclu les pays de l’Union européenne. En 2016, seuls sept pays en faisaient partie dont le Panama, réintégré à la suite des « Panama papers », le Botswana, Brunei, le Guatemala, les Îles Marshall, Nauru, Niue. La France impose à ces territoires des mécanismes de contrôle accru sur les transactions réalisées par les personnes physiques et les sociétés.

Elle utilise, par ailleurs, le concept d’« État ou territoire à régime fiscal privilégié », qui régit, depuis le 1er janvier 2005, l’application des articles anti-évasion fiscale prévus dans le Code général des impôts. Ce concept, plus large que celui de paradis fiscal, permet de rendre les dispositifs français anti-évasion fiscale opérationnels vis-à-vis d’une composante d’un État fédéral, même si le pays n’est pas un paradis fiscal, comme par exemple l’État du Delaware aux États-Unis ou le canton suisse de Zoug.

De manière générale, il reste donc beaucoup à faire pour lutter efficacement contre les paradis fiscaux et pour réduire l’évitement fiscal. Certaines réformes ont ou doivent être menées, au niveau international comme aux niveaux européen et national. Elles signent une prise de conscience publique, les peuples tolérant de moins en moins en moins cette atteinte au pacte démocratique. Ces évolutions demeurent néanmoins inachevées.

Votre rapporteur considère que l’Union européenne doit de toute urgence prendre ses responsabilités pour mettre un terme à la concurrence fiscale exacerbée qui paupérise les nations et conduira inéluctablement à la mort pure et simple du projet européen.

Au sein de l’espace économique intégré qu’est l’Union européenne, l’harmonisation de certaines composantes de l’impôt sur les sociétés constitue une perspective prometteuse, participant d’un mouvement de réduction de la concurrence fiscale que se livrent actuellement les États européens. Composante non négligeable de la perception de l’attractivité d’un territoire, l’imposition des sociétés est souvent utilisée comme une arme au service de la compétition économique, laquelle se teinte parfois d’une dimension déloyale.

Dans ce contexte, l’instauration en Europe d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) constituerait une avancée majeure pour les contribuables comme pour les États membres.

Évoquée pour la première fois dans les années 1970, la possibilité d’introduire une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS) s’analyse comme un projet d’harmonisation de certaines règles relatives à l’imposition des sociétés au sein du marché intérieur. La question est revenue au cœur de l’agenda européen après la proposition formulée en 2011 (17) par la Commission européenne alors présidée par M. José Manuel Barroso.

À l’heure actuelle, la coexistence de systèmes différents, s’agissant tant des modalités de calcul de l’impôt que de son taux, favorisent les stratégies d’optimisation fiscale plus ou moins agressives à l’origine de pertes de recettes fiscales pour les États membres.

Très sensible, cette question a fait, depuis 2011, l’objet d’intenses négociations entre les États membres et les institutions européennes. D’importantes divergences sont apparues au cours des discussions sur le premier projet, au point de contraindre la Commission européenne à le retirer, faute de perspective de parvenir à concilier les différentes positions.

À la fin de l’année 2016, la Commission européenne a rendu publiques ses propositions visant à relancer le projet ACCIS. Dans un souci de pragmatisme, la Commission européenne a choisi de retenir une approche en deux temps, séparant les débats sur l’assiette commune de ceux concernant les modalités de consolidation. Ce dernier point avait été particulièrement problématique lors des précédents échanges et la Commission européenne a donc choisi de différer les discussions sur cette délicate question.

De manière générale, la mise en œuvre du projet ACCIS permettrait de taxer de la même manière les profits réalisés au sein de l’Union européenne. Ceux-ci seraient ensuite redistribués entre les États membres, permettant de mieux taxer les bénéfices là où ils sont réalisés.

Votre rapporteur considère qu’il est urgent d’avancer sur cette question. Il est toutefois conscient de la difficulté d’obtenir, sur une question aussi sensible, l’unanimité des États membres de l’Union européenne pourtant nécessaire pour mettre en œuvre l’ACCIS.

C’est la raison pour laquelle il considère que la voie de la coopération renforcée, prévue par les traités européens, pourrait constituer une approche alternative pour faire un premier pas vers l’harmonisation de la fiscalité des entreprises.

Dans un contexte porteur, caractérisé par le volontarisme de certains États et sous l’impulsion notable de l’OCDE, de réelles avancées ont été accomplies, dans un temps relativement rapide, ces dernières années. S’il faut s’en réjouir, force est de constater que les réformes jusque-là mises en œuvre ou engagées demeurent, à certains égards, inabouties ou limitées. D’importants chantiers persistent et il sera nécessaire, pour les mener à bien, de maintenir les efforts collectifs.

Permettant aux schémas d’optimisation et de fraude fiscales de prospérer, l’opacité rend complexe la lutte contre l’évitement fiscal et justifie les actions entreprises pour renforcer la transparence et la publicité.

Il convient tout d’abord de se féliciter des travaux internationaux engagés en matière de transparence ces dernières années et qui ont d’ores et déjà produit des résultats significatifs, en particulier dans le cadre de l’OCDE. L’échange automatique d’informations entre juridictions fiscales constitue désormais le standard que près de cent juridictions se sont engagées à mettre en œuvre au plus tard en 2018 (18).

En matière de lutte contre l’évitement fiscal, la transparence est très largement synonyme de reporting. Au cours des dernières années, un renforcement significatif des obligations de reporting a été opéré : applicable, dans un premier temps, au secteur bancaire, l’obligation a, dans un second temps, été élargie à certaines catégories de contribuables. Si les progrès réalisés en matière de reporting sont incontestables, il reste encore beaucoup à faire pour en assurer la publicité. Cette question, moins consensuelle et très sensible, participerait pourtant d’un meilleur fonctionnement de nos démocraties.

Introduite dans un premier temps au sein du secteur bancaire, l’obligation faite à certaines entreprises de déclarer un certain nombre d’informations relatives à leurs activités et leurs implantations territoriales (19), a constitué la première étape du reporting pays par pays (Country by country reporting).

Dans un second temps, les travaux menés au sein de l’OCDE dans le cadre du plan d’action visant à lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, dit BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) ont prévu, à l’action n° 13, d’établir un standard minimum relatif à une déclaration pays par pays. S’agissant du champ d’application de l’obligation de reporting, le critère retenu par l’OCDE est le seuil minimal de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel consolidé.

Votre rapporteur rappelle que ce montant, qui semble être devenu la norme en matière de reporting (20), permet de cibler, selon les estimations de la Commission européenne, au moins 5 000 entreprises multinationales opérant en Europe, dont 2 000 ont leur siège en Europe sur les 7,5 millions d’entreprises européennes.

Aux yeux de certains observateurs, en particulier au sein de la société civile, ce seuil paraît toutefois trop élevé. Une réflexion complémentaire pourrait ainsi être engagée pour soumettre des entreprises opérant dans plusieurs États membres et réalisant de moindres chiffres d’affaires à cette même obligation. Le Parlement européen, qui partage et s’est associé à ces critiques, envisage, dans ses travaux, un seuil de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires et un critère de 250 employés ; ce qui permettrait, selon lui, de cibler 20 000 groupes européens.

Au niveau national, en France, la loi de finances pour 2016 (21) a introduit, en son article 121, l’obligation de reporting pays par pays pour les grandes entreprises dont le chiffre d’affaires est égal ou supérieur à 750 millions d’euros. Cette obligation n’est toutefois toujours pas rendue publique, notamment en raison de la décision du Conseil constitutionnel rendue sur ce texte (22).

Étape supplémentaire dans le processus de transparence, la publicité des informations dont le reporting est exigé de certains contribuables est un sujet sensible. S’il n’est pas nouveau et a déjà été débattu, tant au niveau européen qu’au sein de certains États membres, il cristallise les antagonismes.

D’un côté, les partisans de la publicité, mettent en exergue ses vertus pour renforcer la confiance des citoyens dans le système fiscal et pour favoriser un débat plus éclairé sur les failles éventuelles des législations fiscales. Très attachée à la publicité, la Commission européenne estime qu’un contrôle public peut contribuer à faire en sorte que les bénéfices soient effectivement imposés là où ils sont réalisés (23).

De l’autre, des observateurs plus circonspects, qui réaffirment leur attachement au droit au secret des affaires et craignent les distorsions de concurrence qui résulteraient d’une publicité qui ne serait pas généralisée.

Outre les informations relatives aux activités et aux implantations de certaines grandes entreprises, les données concernant les trusts sont également des éléments dont la connaissance permet de limiter ou de mieux détecter les comportements d’évitement fiscal.

Les révélations des « Panama Papers » ont été l’occasion pour certains États, comme pour les institutions européennes, de réaffirmer leur volonté et leurs engagements pour lutter contre les phénomènes d’évitement fiscal. Dans une lettre publiée en marge du sommet du G20 d’avril 2015 (24), les ministres des Finances du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de la France, de l’Italie et de l’Espagne (« G4 +1 ») ont ainsi souligné la nécessité d’effectuer des travaux ambitieux de grande échelle pour accroître la transparence sur les bénéficiaires effectifs. À cette occasion, ils ont également fait part de leur intention de lancer une initiative pilote consistant à procéder, entre eux, à un échange automatique de ces informations et appelé à une généralisation de leur démarche, en particulier au sein de l’OCDE où les pays membres et ceux du G20 pourraient élaborer un standard commun en matière de bénéficiaires effectifs.

Votre rapporteur rappelle qu’il existe, en droit français, des dispositions relatives à l’identification des bénéficiaires effectifs. La question sensible de l’accessibilité des données déclarées par ces acteurs a refait surface à la fin de l’année 2016, à la suite d’une décision du Conseil constitutionnel censurant une partie du dispositif mis en œuvre en 2013 s’agissant de la publicité du registre public.

Instauré en 2013 (25), le registre public des trusts qui figurait à l’article 1649 AB du code général des impôts et qui recensait les « trusts déclarés, le nom de l’administrateur, le nom du constituant, le nom des bénéficiaires et la date de constitution du trust » a récemment été abrogé, à la suite d’une décision rendue, en octobre 2016, par le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (26). Rappelant que le législateur avait agi en poursuivant « l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales », le Conseil constitutionnel a toutefois considéré que le dispositif introduit portait, en l’espèce, atteinte au droit au respect de la vie privée.

Au niveau européen, le cadre légal relatif à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme s’est substantiellement enrichi au cours des deux précédentes années (27). La cinquième révision de la directive phare en la matière fait actuellement l’objet de négociations, en particulier sur les questions relatives à l’accessibilité des registres de bénéficiaires effectifs. Particulièrement sensible, le sujet de l’accessibilité des registres établis constitue sans nul doute le principal enjeu des discussions en cours (28).

Enfin, comme indiqué précédemment, il est indispensable de promouvoir la transparence sur les rescrits fiscaux. Si les administrations fiscales des États membres de l’Union européenne ont, depuis le 1er janvier 2017, la possibilité d’accéder aux informations relatives aux rescrits fiscaux détenues par leurs homologues, conformément aux évolutions apportées au cadre de la coopération administrative en matière fiscale, il reste à introduire une obligation de publicité pour porter à la connaissance de tous l’existence et la nature des accords conclus entre les administrations fiscales et certaines catégories de contribuables, au premier rang desquels figurent des grandes entreprises multinationales.

De manière générale, votre rapporteur considère que les efforts déployés ces dernières années ont donné des premiers résultats encourageants qu’il convient désormais de renforcer vigoureusement, en élargissant, d’une part, le champ des acteurs soumis à une obligation de déclaration et de reporting et en instaurant, d’autre part, les conditions d’une publicité de ces informations sous une forme qui soit compatible avec le respect des principes à valeur constitutionnelle et les nécessités du bon fonctionnement du marché unique européen.

Dans cette perspective, la proposition de résolution européenne figurant en annexe au présent rapport demande aux institutions européennes de faire des propositions ambitieuses en matière de publicité des rescrits fiscaux (cf. point n° 4).

Les scandales financiers et fiscaux se sont succédé à un rythme important depuis 2014. Si les pratiques d’évitement fiscal ne se sont sans doute pas véritablement accrues ces dernières années, dans un contexte par ailleurs caractérisé par un renforcement des mesures visant à en limiter le recours et la portée, au niveau des États comme de l’Union européenne ou de l’OCDE, les révélations de différentes « affaires » sont devenues plus fréquentes, presque banales.

L’un des points communs de ces affaires touchant des milieux et des acteurs différents est incontestablement l’émoi suscité par la révélation des comportements d’évitement fiscal concernés. L’importance et la vigueur des réactions de l’opinion publique ont sans doute contribué sinon à la mise à l’agenda du moins à la réaffirmation de la priorité que constitue la lutte contre les pratiques d’évitement fiscal, en particulier dans un contexte d’après-crise.

L’émotion liée à la découverte des comportements d’évitement fiscal s’est rapidement teintée d’indignation s’agissant du sort qui a pu être réservé à certains lanceurs d’alerte. Révélant les incohérences ou dysfonctionnements des cadres juridiques nationaux ainsi que les lacunes du cadre européen, les procès de ces citoyens ayant fait montre de civisme, ont contribué à (re)lancer les débats sur la protection dont devraient bénéficier, dans nos sociétés démocratiques, les lanceurs d’alerte.

Les travaux effectués par les journalistes d’investigation ont été, dans l’identification des scandales fiscaux qui se sont succédé, cruciaux. Le consortium international des journalistes d’investigation est ainsi à l’origine de la découverte de l’affaire « Luxleaks » en publiant des documents correspondant à de très nombreux accords fiscaux (plus de 500) conclus entre l’administration fiscale luxembourgeoise et plus de 300 entreprises multinationales.

Au niveau européen, des travaux ont été entrepris. Dans un premier temps, une définition des lanceurs d’alerte a été donnée, dans la directive « secret d’affaires ». Il reste désormais à élaborer un statut protecteur applicable sur l’ensemble du territoire de l’Union. Sur ce dernier point, il convient d’accueillir favorablement les initiatives prises par le Parlement européen : s’ils ne disposent pas de pouvoir d’initiative législative, les eurodéputés ont fait du sujet l’une de leurs priorités et invité la Commission européenne, à plusieurs reprises, à présenter une proposition législative visant « à mettre en place un programme européen efficace et complet pour protéger les lanceurs d’alerte » (29).

L’instauration d’un statut européen pour protéger les lanceurs d’alerte est également l’une des propositions de la commission spéciale sur les rescrits fiscaux et autres mesures similaires par leur nature ou leur effet, dite « commission spéciale TAXE », présidée par M. Alain Lamassoure, constituée en février 2015 et prolongée de six mois le 2 décembre 2015.

Dans le rapport d’initiative de M. Dennis de Jong, adopté à l’unanimité au sein de la commission du contrôle budgétaire le 9 janvier dernier et qui sera débattu en séance plénière au mois de février prochain, il est envisagé la création d’une institution européenne indépendante « pour aider les lanceurs d’alerte à utiliser les bons canaux pour divulguer leurs informations sur d’éventuelles irrégularités nuisant aux intérêts financiers de l’Union, tout en protégeant leur confidentialité et en les aidant à faire face à d’éventuelles mesures de rétorsion » (point n° 4).

Cette initiative du Parlement européen est indispensable pour inviter la Commission européenne à proposer une directive permettant de « légiférer » au niveau européen et c’est la raison pour laquelle les députés du groupe « Gauche démocrate et républicaine » témoignent, au point n° 6 de la proposition de résolution, de leur soutien à cette démarche. La situation très hétérogène qui caractérise aujourd’hui l’Union européenne est en effet, à double titre, insuffisante. Tout d’abord parce que sont peu nombreux les États membres qui disposent d’un cadre légal et réglementaire et, ensuite, parce que lorsqu’une protection est prévue au plan national, son contenu varie parfois grandement.

Il suffit, pour achever de se convaincre du caractère non satisfaisant de la situation actuelle, de rappeler que le Luxembourg dispose d’une telle législation…

La définition d’un socle commun pour protéger les lanceurs d’alerte est une impérieuse nécessité pour défendre l’intérêt général européen dans son ensemble. Les procédures judiciaires engagées, notamment dans le cadre de l’affaire « Luxleaks » démontrent en effet que ce bien les intérêts des peuples européens qui ont pâti des comportements d’évitement fiscal incriminés.

En France, la question a resurgi avec vigueur lors des débats qui ont entouré la loi dite « Sapin II ». S’il existait, avant 2016, quelques dispositions relatives aux lanceurs d’alerte, celles-ci étaient éparses et marginales, nuisant in fine à la protection effective des personnes concernées.

La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (ci-après loi n° 2016-1691) a introduit des dispositions qui constituent un socle minimum de droits au bénéfice des lanceurs d’alerte. Il convient de saluer cette avancée mais il est encore possible d’aller plus loin. Il appartient désormais aux autorités françaises de faire entendre leur voix et de témoigner de leur soutien à la perspective d’un statut européen unique.

Il est, en effet, important que les lanceurs d’alerte puissent jouir d’une protection suffisante, uniforme et aussi large que possible dans toute l’Union européenne. Suffisante, tout d’abord, pour que les révélations et dénonciations puissent se faire sans porter préjudice à ceux qui en sont à l’origine, c’est-à-dire principalement sans les exposer à des risques de représailles juridiques, financières ou encore de réputation. Uniforme, ensuite, car il convient d’éviter que les citoyens lanceurs d’alerte jouissant, au sein de l’Union européenne, des quatre grandes libertés (30), bénéficient de degrés de protection différents. Aussi large que possible, enfin, pour que les alertes puissent être données dans de nombreux secteurs.

La tâche ne sera pas aisée mais il s’agit là d’une entreprise indispensable pour la vitalité de nos démocraties. Les travaux du Parlement européen comme les discussions qui ont eu lieu, en France, lors des débats sur la loi n° 2016-1691 précitée, soulignent que les enjeux à prendre en compte sont divers et que de leur harmonieuse conciliation dépendra la qualité du statut créé.

Votre rapporteur souhaite ainsi indiquer, sans toutefois épuiser le sujet, qu’il conviendra notamment, dans un premier temps, de donner du lanceur d’alerte une définition opérante. Dans cette perspective, le concept de « bonne foi », notamment retenu par le Parlement européen dans ses travaux (31), constitue une notion clé.

Dans un second temps, les propositions qui seront formulées devront veiller à l’articulation de considérations éthiques avec les secrets qui sont aujourd’hui pénalement protégés en particulier au niveau national (32) ; à garantir l’anonymat et la protection du lanceur d’alerte ; à harmoniser les différents régimes sectoriels ainsi qu’à protéger les lanceurs d’alerte de toute forme de représailles. L’inversion de la charge de la preuve pourrait permettre, au plan pratique, une meilleure effectivité du dispositif.

Les travaux réalisés par et au sein de l’Union européenne pourraient opportunément s’inspirer de la recommandation du Conseil de l’Europe (cf. annexe) qui dégage des grands principes et orientations.

De manière générale, la fraude fiscale donne lieu à des sanctions financières et, le cas échéant, pénales.

Les évolutions récentes constatées dans les services de l’administration en charge du recouvrement de l’impôt et du contrôle fiscal sont, du point de vue de la lutte contre l’évitement fiscal, problématiques. Dans un contexte général marqué par la rationalisation de l’organisation et la réduction des dépenses publiques, la baisse des moyens, humains et financiers, des services administratifs impliqués dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales a de quoi inquiéter. Dans un récent avis de décembre 2016 (33), le Conseil économique, social et environnemental (CESE) indique que plus de 3 000 emplois ont été supprimés depuis 2010 dans les services de contrôle de la Direction générale des finances publiques (DGFIP). Ainsi, au total, depuis quinze ans, 36 000 postes ont été supprimés.

Le manque de moyens humains et financiers ne permet pas à l’administration fiscale française de rivaliser avec l’ingénierie juridique et financière qui caractérise de plus en plus les stratégies d’évitement fiscal, que celles-ci relèvent de la fraude ou de planification fiscale particulièrement agressive. L’opacité qui entoure ces comportements rend l’identification et donc la prévention et la sanction particulièrement délicates. Dans cette perspective, votre rapporteur considère que le renforcement des moyens de la justice financière doit constituer une priorité de premier ordre dans les années à venir, tant au niveau national qu’européen et international.

Si les redressements fiscaux sont une illustration de l’efficacité de la lutte contre l’évitement fiscal, des progrès sont toutefois possibles en la matière. Selon le CESE, en 2015, le montant total des redressements fiscaux et des sanctions à l’encontre des particuliers comme des entreprises s’élève à 21,2 milliards d’euros (contre 15,6 milliards d’euros en 2008). Il n’en demeure pas moins que certains redressements ne donnent pas lieu à des recouvrements et que certains contribuables organisent, par ailleurs, après un contrôle fiscal, leur insolvabilité et ne versent ainsi jamais au trésor public les sommes dues.

Source : Avis du CESE de décembre 2016 précité.

Il convient de rappeler, comme le fait le CESE dans son avis de 2016 précité, que des améliorations ont été apportées, en France, au cadre législatif applicable, notamment à travers la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière de 2013 (ci-après loi n° 2013-1117) et la loi n° 2016-1691 précitée.

La première renforce l’action pénale en matière fiscale et comporte, à ce titre, plusieurs avancées parmi lesquelles votre rapporteur signale notamment la création d’un parquet national financier, structure autonome en charge du traitement des affaires fiscales complexes ainsi que la création d’un délit de blanchiment de fraude fiscale permettant au Procureur de la République d’ouvrir une enquête sans avoir besoin de l’accord préalable de la Commission des infractions pénales. S’agissant des modalités procédurales, le renversement de la charge de la preuve est introduit, conduisant la personne poursuivie à démontrer qu’elle n’a pas commis d’infraction et le délai de prescription court désormais à partir de la date de révélation des faits. S’agissant enfin des sanctions, la loi a introduit un délit de fraude fiscale en bande organisée.

La seconde apporte au dispositif en vigueur des compléments qui s’analysent comme un renforcement de l’action pénale en matière fiscale. Ainsi, le délai de prescription pour les infractions pénales en matière fiscale est-il doublé, passant de trois à six ans ; les sanctions encourues par le contribuable qui ne procède pas à la déclaration de l’impôt de solidarité sur la fortune lorsque des avoirs ont été dissimulés à l’étranger sont multipliées par quatre, passant de 10 % à 40 % et les sanctions financières et pénales substantiellement alourdies lorsque l’infraction est commise en bande organisée (34).

Dans son avis de décembre 2016 précité, le CESE identifie plusieurs chantiers majeurs pour améliorer, d’une part, la prévention de l’évitement fiscal et renforcer, d’autre part, la lutte contre la fraude en matière pénale.

Souscrivant à l’ensemble des constats et des grandes orientations suggérées par cette instance consultative, votre rapporteur en reprend ici brièvement les principaux points.

Il convient en premier lieu, de prévenir les comportements d’évitement fiscal. Dans cette perspective, votre rapporteur souligne notamment l’importance de l’enjeu que représente la lutte contre la fraude à la TVA. Bien connue mais difficile à prévenir, la fraude « carrousel » prive, chaque année, les États membres comme l’Union européenne d’une partie importante de recettes fiscales.

La lutte contre ce type de fraude constituera sans doute un enjeu important des discussions qui s’ouvriront, sur la base des propositions formulées par la Commission européenne, concernant la refonte du régime TVA. Dans son plan d’action communiqué au printemps 2016, la Commission européenne rappelle en effet que la lutte contre la fraude fait partie de ses principales priorités. Parmi les pistes avancées pour réformer et moderniser le système, la mise en œuvre d’un système de télé-déclaration en temps réel constitue une piste prometteuse (35), notamment expérimentée en Espagne et au Portugal où il semble que les dispositifs déployés soient relativement efficaces et faciles à mettre en œuvre.

La prévention des comportements d’évitement fiscal concerne également la détection, le plus en amont possible, des montages juridico-financiers complexes qui constituent de redoutables moyens d’optimisation fiscale. Sur le modèle de ce qui existe notamment au Royaume-Uni ou aux États-Unis et sous réserve de surmonter les obstacles juridiques et constitutionnels susceptibles de se présenter (36), il pourrait être envisagé d’imposer à certaines catégories de contribuables de déclarer, à l’administration fiscale, les montages et schémas d’optimisation auxquels ils envisagent de recourir et de soumettre lesdits montages à une autorisation préalable des services de l’État.

En second lieu, il est nécessaire de sanctionner de manière rapide et efficace les comportements d’évitement fiscal. Une fois les comportements et les stratégies d’évitement fiscal identifiés, les sanctions prévues doivent effectivement mises en œuvre. Depuis la loi n° 2013-1117 précitée, le Procureur de la République peut engager des poursuites pour blanchiment de fraude fiscale. Pour les poursuites pour fraude fiscale, le parquet demeure toutefois incompétent puisque l’engagement de poursuites pénales en la matière est la prérogative du ministère du Budget, après avis conforme de la Commission des infractions fiscales (CIF).

Une plus grande autonomie devrait également être donnée à la justice en mettant fin au monopole dont jouissent actuellement les services de l’administration fiscale pour les délits de fraude fiscale et en permettant au Procureur de la République d’engager, en toute autonomie, des poursuites en la matière. Le CESE estime également qu’une réflexion plus large pourrait être engagée sur l’opportunité d’introduire, pour certaines fraudes, une possibilité de poursuites sans plainte préalable de l’administration fiscale. Par conséquent, votre rapporteur est favorable à la suppression du monopole de « Bercy » en la matière, autrement appelé « verrou de Bercy ».

Enfin, votre rapporteur souligne que la notion d’abus de droit pourrait opportunément évoluer. La conception aujourd’hui particulièrement restrictive qui lui est donnée ne la rend pas suffisamment opérationnelle car il est relativement aisé pour le contribuable s’adonnant à l’évitement fiscal de la contourner.

Définie à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF), la procédure de l’abus de droit fiscal contraint en effet l’administration à démontrer que le contribuable frauduleux a sciemment et délibérément œuvré pour s’abstraire de ces obligations en matière fiscale. Il doit ainsi être établi que les actions du contribuable n’ont pu « être inspiré[e]s par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales » qu’il aurait normalement supportées « eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ». Seuls les comportements « exclusivement » frauduleux sont ainsi susceptibles d’être sanctionnés.

Constituant une priorité pour la représentation nationale, la lutte contre l’évitement fiscal a donné lieu à plusieurs travaux, législatifs et de contrôle, suggérant des modifications du droit existant. Ainsi, avait-il été envisagé, en 2013, dans la continuité des travaux effectués, au sein de la commission des Finances, par M. Pierre-Alain Muet (37), de modifier, pour en élargir la portée, l’article L. 64 du LPF afin que les actes constitutifs d’un abus de droit aient principalement et non plus exclusivement pour objet la réduction de la charge fiscale du contribuable.

La censure par le Conseil constitutionnel (38) de la disposition, introduite à l’article 100 de la loi de finances pour 2014, souligne toutefois les difficultés d’une telle entreprise. En l’espèce, le Conseil constitutionnel avait notamment considéré que la rédaction proposée, insuffisamment précise, avait « pour effet de conférer une importante marge d’appréciation à l’administration fiscale » dans le cadre de la procédure de l’abus de droit fiscal (cons. 116 de la décision n° 2013-685 DC).

Par conséquent, il conviendrait d’engager une réflexion pour proposer des pistes permettant de concilier à la fois les principes et objectifs à valeur constitutionnelle, les impératifs liés à l’efficacité de la lutte contre l’évitement fiscal et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

Votre rapporteur estime également qu’il serait nécessaire de renforcer les prérogatives du Parlement en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Dans cette perspective, la possibilité de créer une instance parlementaire permanente, associant l’Assemblée nationale et le Sénat, pour effectuer le suivi de cette politique publique de grande importance pourrait être étudiée.

Malgré une réelle prise de conscience et des avancées significatives, le problème de l’évitement fiscal demeure insuffisamment combattu au niveau international et se heurte à la longueur des processus.

Lors de l’examen de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, le secrétaire d’État au budget, M. Christian Eckert, l’a lui-même reconnu : « Je vous le dis très simplement : ce qui me gêne, c’est que nous n’avancions pas au même rythme que notre société, car tout cela prend du temps. Nous vivons dans des États de droit. En outre, les procédures sont souvent internationales, nécessitant la réunion de deux pays avec l’entreprise concernée, dans le cadre d’instances appelées « commissions amiables » – c’est d’ailleurs un mot qu’il faudrait bannir de notre vocabulaire ».

Ce constat est partagé : il renforce par voie de conséquence l’intérêt d’accélérer le processus et de généraliser les négociations, plutôt que de négocier par à-coups et de manière bipartite. Plus vite seront fixés des standards internationaux reconnus et largement acceptés, plus facile il sera de progresser rapidement.

C’est pourquoi la présente proposition de résolution européenne propose au Gouvernement français de promouvoir l’instauration, au plus vite, d’une conférence des parties (COP) de la finance, de l’harmonisation et de la justice fiscales, sur le modèle de la COP concernant la lutte contre le réchauffement climatique (39). Cette dernière a en effet permis, depuis la Conférence de Rio en 1992, d’engager une discussion avec tous les États sur les questions du réchauffement climatique et d’adopter un certain nombre de mesures concrètes.

Dans ce cadre, la COP pourrait également avoir vocation à réguler la finance mondiale et lutter contre ses dérives telles que la spéculation et le shadow banking qui se nourrissent de l’évitement fiscal. À cet égard, il convient de rappeler fortement que l’évitement fiscal conduit à un accroissement généralisé des inégalités, lesquelles sont préjudiciables à la croissance. Un rapport de l’OCDE montre que le revenu des 10 % les plus riches est aujourd’hui 9,6 fois plus élevé que celui des 10 % les plus pauvres alors que ce ratio n’était que de 7 dans les années 1980. Le rapport d’Oxfam « Une économie au service des 99 % » vient par ailleurs de démontrer que huit personnes possèdent autant que la moitié de la population mondiale. Cette situation intolérable concerne également la France où 21 milliardaires possèdent autant que les 40 % les plus pauvres.

Ce système se nourrit d’ailleurs du « shadow banking », qui regroupe tous les intermédiaires financiers qui sont en dehors du système bancaire traditionnel, et qui participent au financement de l’économie mondiale via le crédit. Ceux-ci ne sont pas régulés par les banques centrales et de moins en moins par les États puisque leurs activités se déroulent essentiellement dans des paradis fiscaux.

Pour limiter et contraindre ce système, le Rapporteur rappelle ainsi toute l’urgence d’une taxe européenne sur les transactions financières. Le politique se doit de reprendre la main sur la finance et sur les dangers qu’elle fait peser sur la démocratie. La Conférence des parties sur la finance que le Rapporteur appelle de ses vœux peut ainsi être le lieu privilégié de cette évolution.

Dans l’esprit de notre groupe, cette conférence fiscale devrait être réunie sous l’égide de l’ONU, qui ne joue pour l’instant qu’un rôle marginal en matière de fiscalité, comme le souligne l’avis du CESE d’octobre 2016, « La politique française de coopération internationale dans le cadre de l’agenda 2030 du développement durable ».

En effet, seule l’enceinte des Nations Unies peut offrir la portée universelle souhaitée dans le cadre d’une Convention qui s’appuierait cependant sur les travaux faits par l’OCDE. En matière de fiscalité, à l’heure où les réseaux financiers reposent sur de l’argent électronique immédiatement transférable, une réponse globale est en effet nécessaire pour être réellement efficace.

Une telle enceinte permettrait en outre d’impliquer l’ensemble des États membres des Nations Unies, y compris les pays en développement qui ne sont pas représentés au sein de l’OCDE. Il est en effet essentiel d’associer les pays en développement à l’élaboration de ces standards fiscaux internationaux afin que ceux-ci soient universellement reconnus et appliqués, même si cela doit s’opérer sur des rythmes temporels échelonnés.

Cette enceinte permettrait également de réunir des représentants des parlements nationaux, des organisations non gouvernementales, des acteurs du monde de la finance, des syndicats et des représentants de l’ensemble de la société civile, à l’instar de la démarche menée en matière de protection de l’environnement, offrant ainsi un cercle de négociation élargi comparativement aux principales instances actuelles de discussion et de régulation en matière financière et fiscale (G 20, G8, G7 ou OCDE notamment).

En outre, l’ONU est le lieu privilégié pour permettre aux pays qui fondent leur développement sur une attractivité fiscale problématique de bénéficier d’un soutien et d’une aide technique afin de réorienter leur modèle de développement en instaurant une fiscalité plus juste. À cet égard, il convient cependant de s’assurer que les nouvelles normes internationales en matière d’échange automatique d’informations de l’OCDE prévoient une période de transition pour les pays en développement qui ne sont pas en mesure d’assurer actuellement la réciprocité en raison d’un manque de capacité administrative.

Enfin, cette COP « fiscale » permettrait, par ailleurs, d’aborder simultanément un certain nombre de chantiers essentiels qui n’ont pu être résolus par la mise en œuvre de BEPS.

Au niveau fiscal, elle pourrait examiner la suppression des patent boxes, nuisibles à la concurrence loyale lorsque ces dispositifs facilitent l’érosion de l’assiette imposable, et permettre l’adoption d’une convention multilatérale sur le concept d’établissement stable.

Cette COP fiscale constituerait aussi une enceinte adéquate pour lancer la mise en place d’un registre international qui regrouperait les liens entre les différentes entités économiques de tous les pays. Elle pourrait préfigurer une coopération internationale plus systématique et organisée entre les services publics concernés par l’évitement fiscal.

Elle pourrait en outre harmoniser une fois pour toutes la définition des paradis fiscaux. Une liste claire des paradis fiscaux au niveau mondial, réalisée selon des critères objectifs et affranchie de toute interférence politique, est désormais indispensable. Elle pourrait être dressée chaque année par les Nations unies ou une autre instance indépendante et accompagnée de sanctions. À minima, tous les pays devraient appliquer des règles strictes sur les sociétés étrangères contrôlées (SEC) afin d’empêcher les multinationales basées dans ces pays de transférer artificiellement leurs bénéfices vers des paradis fiscaux.

Pour mettre en œuvre ces mesures, cette conférence des parties pourrait se pencher sur la création d’une instance fiscale internationale qui encadre et coordonne une coopération fiscale internationale incluant tous les pays sur un pied d’égalité, pour garantir que les régimes fiscaux au niveau mondial, régional et national, contribuent à l’intérêt public dans tous les pays. Cette structure devrait être permanente, réactive, dotée de moyens humains et techniques suffisants afin d’assurer le suivi des engagements pris par les États-parties, et pourrait en outre être dotée d’un pouvoir de sanctions. Il pourrait s’agir ainsi de créer une « Organisation mondiale de la finance » sur le modèle de l’Organisation mondiale du commerce.

Cette structure serait à l’initiative de cycles de négociations et serait chargée de l’analyse des progrès effectués. Sa composition devrait rassembler les gouvernements nationaux, les représentations parlementaires de chaque pays, les institutions financières, les organisations non gouvernementales et les associations, les organisations syndicales et tous les acteurs utiles d’une finance au service de l’intérêt général.

Un organe parlementaire permanent, composé de représentants des parlements nationaux, pourrait être associé à cette structure et serait chargé d’échanger sur les bonnes pratiques nationales ou sur les obstacles encore existants en droit interne. Cet organe devrait en outre donner son avis en matière de conception des modèles de convention fiscale.

Enfin, cette institution pourrait organiser la formation d’une équipe de contrôleurs fiscaux internationaux composée de délégués issus des administrations des États membres ou d’avocats spécialisés. Ces contrôleurs pourraient coordonner les contrôles effectués sur les plus importantes multinationales.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de sa séance du 25 janvier 2017, la commission a examiné la proposition de résolution européenne pour une Conférence des parties (COP) de la finance mondiale, l’harmonisation et la justice fiscales (n° 4379).

M. Alain Bocquet, rapporteur. C’est un plaisir de siéger au sein de la commission des finances, c’est la seule que je n’avais pas visitée en trente-neuf ans de présence dans cette maison !

En matière d’évitement fiscal, les scandales se suivent et se ressemblent. Après les affaires Swissleaks, Luxleaks, les affaires UBS et HSBC et les Panama Papers, ce sont les Football Leaks qui rythment désormais l’actualité.

C’est quotidiennement que l’on parle d’évasion fiscale, et ce fut encore le cas avec l’ubuesque procès des Wildenstein, qui doivent au bas mot 500 millions d’euros aux services fiscaux mais viennent de bénéficier d’une relaxe confondante. Dans le même temps, des lanceurs d’alerte comme Antoine Deltour, qui ont révélé la vérité sur des pratiques illicites et ont même fait gagner de l’argent au fisc, sont poursuivis.

La lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales est donc au cœur des débats, mais malgré d’indéniables avancées législatives ou réglementaires, les réponses concrètes et efficaces tardent à venir. Ayant commis un rapport avec notre collègue Nicolas Dupont-Aignan en 2013 dans le cadre d’une mission d’information, qui s’intitulait : « Lutte contre les paradis fiscaux : si on passait des paroles aux actes », et venant de publier l’ouvrage : « Sans Domicile Fisc » avec mon sénateur de frère, rapporteur de multiples commissions d’enquête au Sénat sur l’évasion fiscale, j’ai proposé au groupe GDR de déposer une proposition de résolution européenne que nous examinons aujourd’hui, et dont la principale mesure est d’instaurer une Conférence des parties (COP) de la finance et de la fiscalité mondiales. Cette proposition a été adoptée à l’unanimité par la commission des affaires européennes le mardi 17 janvier.

Le consentement à l’impôt, et son égale répartition entre les citoyens et entre les entreprises, sont au cœur du processus démocratique. Selon l’ancien secrétaire d’État américain Henri Morgenthau, « l’impôt est le prix à payer pour une société civilisée ». Il permet en effet la levée et l’allocation des ressources, la redistribution permettant de combattre les injustices et de conduire les politiques publiques décidées par la nation ou par ses représentants.

Cependant, sous l’effet conjugué de la mondialisation et de la concurrence fiscale entre États – qui s’intensifie – l’évitement fiscal, qui inclut aussi bien la fraude que l’optimisation et l’évasion fiscales, s’est largement propagé. Si ces mécanismes touchent une proportion réduite des particuliers, les grandes entreprises pratiquent l’évasion fiscale à un niveau industriel, privant bien souvent les États développés comme ceux en développement des ressources nécessaires pour lutter contre la pauvreté et investir dans la santé, l’éducation et l’emploi.

En effet, entre 1980 et 2013, si les bénéfices nets déclarés par les plus grandes entreprises du monde ont plus que triplé en termes réels, passant de 2 000 à 7 200 milliards de dollars, cette augmentation ne s’est pas traduite par une hausse correspondante des contributions fiscales des entreprises. Au contraire, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), les recettes que les pays collectent via l’impôt sur les sociétés ont chuté de 3,6 % à 2,8 % du PIB entre 2007 et 2014, sous l’effet de l’évasion mais aussi de la concurrence fiscale qui pousse les États à baisser le niveau de leur imposition.

Cette tendance ne s’essouffle pas, bien au contraire. Elle prend des proportions inouïes et inquiétantes comme l’illustrent les promesses de campagne du président Trump, qui tendent à faire des États-Unis un paradis fiscal. Il a annoncé vouloir baisser l’impôt sur les sociétés de 35 % à 15 % et faire appel aux repentis fiscaux, qui détiennent 2 200 milliards de dollars de fonds à l’étranger, pour qu’ils rapatrient ces sommes à un taux d’imposition de 10 %.

Le Royaume-Uni menace de faire de même si l’Union européenne n’entend pas ses exigences dans le cadre du Brexit : « Chacun pour soi et Dieu pour tous ! ». Il y est prévu de réduire l’impôt sur les sociétés à 18 %, bientôt 15 %. Tout est tiré vers le bas, comme le disait hier la représentante d’une organisation non gouvernementale (ONG) qui participait à une réunion de concertation en vue de cette réunion et de la niche parlementaire réservée au groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

En matière d’évitement fiscal, l’ingénierie et l’opacité prospèrent et permettent des schémas d’optimisation ou de fraude d’une sophistication extrême, exonérant les contribuables concernés de tout ou partie de leurs obligations fiscales.

En dépit des avancées, réelles, accomplies ces dernières années en matière de coopération fiscale entre les États, notamment le plan d’action base erosion and profit shifting (BEPS) sous l’impulsion de l’OCDE, nous restons au bord du précipice. Les États demeurent en effet assez largement impuissants pour lutter contre l’évitement fiscal, quand ils ne sont pas eux-mêmes complices des stratégies d’évitement.

La présence de paradis fiscaux, qui lessivent aussi l’argent sale de la mafia, de la drogue, du trafic d’armes, de la prostitution et même du terrorisme, et l’existence d’une concurrence fiscale exacerbée conduisent à une situation dommageable pour tous les acteurs, à l’exception notable des groupes multinationaux et des individus les plus fortunés. En ce sens, l’évitement fiscal correspond pleinement à une situation de passager clandestin qui rompt l’égalité de traitement et fragilise la cohésion de nos sociétés.

Peut-on continuer plus longtemps à accepter la réalité que vient de révéler l’ONG OXFAM à la veille du sommet de Davos ? Huit privilégiés de la fortune possèdent autant que la moitié la plus pauvre de la population du monde, c’est-à-dire 3,6 milliards de personnes. Pour atteindre cette proportion, il fallait 62 de ces privilégiés en 2015 et 388 et 2010.

L’évasion fiscale représente des sommes considérables : 1 000 milliards d’euros annuels au niveau de l’Union européenne ; 60 à 80 milliards d’euros pour la seule France. Le coût pour les pays en développement serait même 30 % plus élevé.

Il est donc indispensable de renforcer la coopération fiscale entre tous les États et d’améliorer le cadre de la gouvernance mondiale.

C’est la raison pour laquelle nous pensons que la France doit proposer la tenue d’une Conférence des parties de la finance, sur le modèle de la COP en matière environnementale. Comme pour les changements climatiques, l’urgence est là en matière financière. Cette Conférence des parties permettrait d’avancer de manière simultanée et internationale sur plusieurs chantiers, tels que la définition des paradis fiscaux, la régulation des conventions et des rescrits fiscaux, la protection des lanceurs d’alerte et le soutien à la reconversion des économies qui tirent l’essentiel de leurs ressources de leur statut de paradis fiscal.

Cette grande Conférence des parties devrait, en outre, se tenir sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU), restée jusqu’à présent trop en retrait de cette question au profit d’organisations moins représentatives des pays en développement telles que l’OCDE, le G7, le G8 ou le G20. Elle pourrait également conduire à la création d’une organisation mondiale de la finance qui reprendrait certains traits de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à commencer par l’organisation de cycles réguliers de négociations, l’évaluation régulière des progrès obtenus et la définition de sanctions en cas de comportement non coopératif persistant de la part de certains acteurs. Il est très clair que nous voulons aujourd’hui réunir tout le monde autour de la table.

La France, par sa stature internationale et européenne, par la force et la compétence de sa diplomatie et de son administration fiscale, a de nombreux atouts pour lancer ce mouvement. Il y va de notre capacité à lutter contre les nombreux dérèglements du monde qui portent atteinte à notre idéal démocratique, à la paix comme à notre sécurité.

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) vient tout juste d’adopter très largement un avis dans le même sens. Une telle COP fiscale serait l’embryon possible d’un service public mondial de maîtrise et de connaissance de l’activité des multinationales, pour viser le bien commun partagé. Surtout quand on sait, mes chers collègues, qu’à peine 2 % des transactions financières reposent aujourd’hui dans le monde sur l’économie réelle quand 98 % sont purement spéculatives. C’est très périlleux et c’est à nous d’avancer aujourd’hui !

Dans le détail, la proposition de résolution européenne que nous vous présentons aujourd’hui insiste sur la nécessité de parvenir à une définition large, objective, effective et sans exception de la notion de paradis fiscal. Il est également nécessaire de poursuivre les efforts en matière de transparence fiscale. Il faut aller plus loin encore s’agissant des rescrits fiscaux. Enfin, un statut européen unique pour les lanceurs d’alerte doit être défini.

La volonté de créer cette COP est largement partagée par des experts, des représentants d’ONG, des syndicats, et le Comité économique, social et environnemental. La commission des affaires européennes a adopté cette proposition de résolution. Nous savons que cette démarche sera longue à mettre en place, mais c’est une réponse nécessaire pour amener cette finance folle, qui a pris le pouvoir, à la raison.

En cette fin de législature, notre Assemblée nationale peut faire œuvre utile dans ce combat pour la justice sociale, la démocratie et la paix.

M. le président Gilles Carrez. Je suis très heureux que ce sujet, qui préoccupe beaucoup la commission des finances, y soit de nouveau abordé à l’occasion de l’étude de ce projet de résolution.

Ces questions d’optimisation, d’évitement voire de fraude fiscale, au niveau international et parfois européen, sont aujourd’hui considérées de manière beaucoup plus sérieuse par les États qu’il y a quelques années. Confrontés à la nécessité de financer des dépenses, notamment dans le domaine de la sécurité, les États subissent l’érosion de leurs recettes. Le terrain est donc propice pour avancer.

Il y a deux ans, nous avions reçu M. Pascal Saint-Amans, qui pilote les travaux sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) au sein de l’OCDE. Ces travaux ont progressé, notamment sur le terrain de l’échange d’informations, même s’il reste encore beaucoup de chemin à faire.

Sachez, monsieur Bocquet, que votre proposition de résolution porte sur un sujet de préoccupation majeur de notre commission. Parmi plusieurs missions, celle menée par Pierre-Alain Muet et Éric Woerth sur l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international a donné lieu à un rapport très intéressant. En cette fin de législature, je souhaite que cet objectif de travail de la commission des finances soit maintenu, car il est prioritaire à mes yeux.

M. Christophe Caresche. Nous avons déjà débattu de cette proposition de résolution lors de son examen par la commission des affaires européennes. Le sujet mérite toute notre attention, et nous y avons beaucoup travaillé. Nous ne pouvons qu’appuyer cette réaffirmation symbolique de notre volonté de lutter de manière vigoureuse contre ce type de pratique.

La résolution souligne que ce combat a une dimension nationale, que nous avons cherché à traiter, mais aussi une dimension internationale. Pour avancer sur cette question, il faut que les pays s’unissent et qu’une dynamique se lance à l’échelon international. Il est proposé dans la résolution d’élargir le cercle des pays qui travaillent aujourd’hui sur cette question, avec une certaine efficacité, il faut le reconnaître. Des résultats positifs ont été enregistrés : le G20 a demandé à l’OCDE de travailler sur cette question, et le remarquable travail de l’OCDE permet d’avancer. Essayer d’élargir le cercle des pays concernés ne pose pas de difficultés en principe, pourvu que cette démarche ne fasse pas obstacle au travail de l’OCDE. Ce travail continue, et une réunion est prévue en février sur la question.

Le groupe socialiste votera donc cette résolution.

M. Joël Giraud. Je remercie nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine de cette initiative. À l’heure actuelle, il n’y a pas de pilote dans l’avion car il n’y a pas de poste de pilotage… Cette résolution propose d’y remédier, même si le défaut de volonté politique internationale est à relativiser au regard des travaux du forum mondial, rattaché à l’OCDE. Il demeure que c’est sous la pression de certaines initiatives citoyennes ou de parlements nationaux ou régionaux qu’un certain nombre d’affaires sont sorties. La liste de ces affaires est d’ailleurs évoquée dans le rapport.

Cette proposition de résolution répond à la nécessité vitale de mettre en place une gouvernance internationale. Notre collègue a rappelé les risques nés de l’élection de Donald Trump aux États-Unis et du Brexit, qui ranime la tentation du Royaume-Uni d’adopter des pratiques fiscales déloyales. Tout ce qui peut permettre de ne pas soumettre le Royaume-Uni à la tentation – et de le délivrer du mal – est forcément important…

La première partie de cette proposition de résolution porte sur l’ouverture de cette COP. Il s’agit du plan international dont notre collègue Caresche vient de parler.

La seconde partie porte sur la définition internationale des territoires non coopératifs, auxquels une fiscalité spécifique doit être appliquée pour lutter plus efficacement contre la technique des prix de transferts. Sur ce sujet, j’ai récemment demandé à notre ministre du budget la raison de l’importante différence du nombre d’États figurant dans la liste française et dans la liste européenne, alors que toutes deux se fondent sur les travaux du forum mondial.

La seconde partie de cette proposition est de nature à fournir un certain nombre de réponses en la matière. Le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste est donc favorable à cette proposition.

M. Nicolas Sansu. Vous ne serez pas étonné d’apprendre que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutient cette proposition de résolution européenne !

L’érosion des bases fiscales a été prise à bras-le-corps par l’OCDE, et la question est d’importance au vu des tentations de concurrence fiscale qui risquent de miner toutes les démarches collectives. Aujourd’hui, nous nous inquiétons que les États-Unis ne deviennent un paradis fiscal. Nous souhaitons que cette question fiscale soit traitée au même niveau que les autres dérèglements qui affectent notre planète. Dans le cas des dérèglements climatiques, la société civile, les chercheurs et les entreprises se sont mobilisés pour trouver des solutions. Sur la question du consentement à l’impôt et à l’effort collectif, il faut la même démarche.

C’est l’objet de cette proposition de résolution. Nous n’envisageons pas une harmonisation fiscale mondiale, mais ne pas apporter de réponse en termes de gouvernance à la mondialisation financière qui a permis à ces transnationales d’échapper à l’impôt serait une erreur qui laisserait le champ libre à ceux qui ont mis en place cet évitement fiscal depuis une dizaine d’années.

Nous aurons l’occasion de rediscuter de cette question en séance publique le 2 février, chiffres à l’appui, pour démontrer qu’il en va de l’honneur de la France de porter cette proposition de COP fiscale, comme l’a proposé le CESE.

Mme Véronique Louwagie. Des initiatives fortes ont été prises par le G20 ou l’Union européenne en faveur d’une meilleure transparence fiscale, notamment pour contribuer à l’identification des paradis fiscaux et à la lutte contre ces derniers.

Au cours du G20 de Londres, en 2009, les responsables politiques des principales puissances mondiales ont déjà engagé un certain nombre d’actions et ont qualifié la lutte contre l’évasion fiscale de priorité absolue. Nous partageons tous cette vision.

Nous avons connu un certain nombre d’avancées, certes insuffisantes. Le combat contre l’évasion fiscale n’est pas gagné. Des mesures du BEPS et du paquet européen doivent encore être appliquées de manière globale.

Ce projet de résolution m’amène cependant à m’interroger sur l’intérêt d’une énième conférence internationale, aux contours assez flous, et qui pourrait apparaître superflue au regard de la pratique internationale.

Un débat doit se tenir, et de réelles questions se posent sur la transparence, la fraude, l’optimisation, les questions de justice et d’équité fiscales, mais ne devrions-nous pas plutôt débattre des modalités de mise en œuvre des accords internationaux qui existent déjà et de leur suivi et leur évaluation ?

M. Éric Alauzet. Merci au groupe de la Gauche démocrate et républicaine pour cette initiative que je partage, tant dans son intention que dans son contenu.

Je tiens à souligner les avancées au cours de ce mandat. Concernant l’évasion fiscale des particuliers, nous progressons. Nous avons la main sur cette affaire, comme en témoignent les 2,5 milliards d’euros versés au budget tous les ans grâce au retour des évadés fiscaux. La transparence a progressé, mais la communication au public des éléments financiers concernant les entreprises reste un point difficile, sur lequel nous avons achoppé tout au long de ce mandat. Néanmoins, les lois françaises ainsi que l’OCDE et le G20 ont permis de faire des progrès.

Pour autant, un déséquilibre patent est né du fait que l’Union européenne a considéré en permanence que pour rééquilibrer les budgets, la seule solution était de baisser les dépenses, sans se préoccuper de la façon d’améliorer la recette et de restaurer l’assiette fiscale. Nous nous sommes égarés dans des débats sur l’offre et la demande, mineurs rapportés à celui portant sur l’assiette fiscale.

Le point sur la communication des éléments financiers au public me semble très important. Nous avons ici été confrontés au sempiternel argument de la compétitivité des États et des entreprises, qui nous a empêchés d’avancer sur ce point.

M. Marc Francina. Je trouve notre débat un peu utopique. M. Jérôme Cahuzac, quand il présidait notre commission, soutenait qu’il n’y avait pas de rapport avec la Suisse. Et pourtant, il faut faire avec ces pays. Or les Suisses ne sont pas près de nous laisser la marge nécessaire.

Comment, dans ce contexte, mettre tout le monde d’accord sur une résolution européenne ? Je pense d’ailleurs moi aussi que les États-Unis seront tentés de faire un régime fiscal à part.

Mme Marie-Christine Dalloz. J’arrive de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, de Strasbourg, et j’y repars tout à l’heure. Dans l’assemblée parlementaire de cette organisation qui regroupe non moins de 48 pays, des résolutions sont également prises sur les questions fiscales internationales. Hier, nous y examinions justement une résolution sur les rapports internationaux. Entre les États membres, une grande disparité s’observe entre leurs régimes fiscaux et sociaux.

Je lis dans la proposition de résolution que « cette démarche permettra également d’impliquer sur un pied d’égalité les pays en voie de développement ». Mais les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui se situent plutôt en Azerbaïdjan ou en Ukraine, me semble-t-il.

Le chemin que l’on nous propose est pavé de bonnes intentions. Il serait certes anormal d’occulter ce sujet. Mais une conférence internationale, qui plus est en lien avec les Nations unies, est-elle l’instrument pertinent ? Les pays en voie de développement n’ont absolument pas la même assiette fiscale que la nôtre, ni les mêmes moyens de contrôle. Ce que l’on nous propose n’est qu’un rêve. Nous voyons tout à travers un prisme fiscal franco-français, alors que nous devrions élever le débat.

Mme Claudine Schmid. La semaine dernière, à Davos, notre ministre de l’économie, M. Michel Sapin, a réclamé, dans un panel organisé en marge du forum économique mondial, une liste noire des pays abritant des sociétés et des trusts géants de fonds liés à des affaires de corruption. Il a aussi évoqué des mesures de rétorsion.

Quelles réponses les participants au même panel lui ont-ils apporté ? Quelles sont ces mesures envisagées ?

M. le président Gilles Carrez. Vous relèverez, monsieur le rapporteur, qu’il n’y a aucune objection sur le fond ni sur les objectifs recherchés, mais que des interrogations subsistent sur la méthode et sur la nécessité d’une conférence spécifique, alors que beaucoup d’instances existent déjà, où ces questions sont discutées – et progressent d’ailleurs parfois. Citons, à l’OCDE, le programme BEPS, qui a incontestablement permis des progrès sur les échanges d’information. Mais je reconnais que l’on a moins avancé sur certaines questions liées à la fiscalité des grands groupes internationaux.

À côté de la dimension internationale, il me semble qu’il y a une dimension européenne essentielle. L’harmonisation fiscale au sein de l’Union européenne, au moins en ce qui concerne les impôts qui pèsent sur les entreprises, est un serpent de mer.

M. Pascal Terrasse. En novembre 2015, à Antalya, l’OCDE s’est accordée sur l’idée que la fiscalité applicable à une entreprise doit être celle du territoire sur lequel cette entreprise est implantée. Beaucoup de lieux existent déjà, beaucoup de conférences sont déjà organisées, où les vues convergent sur la fiscalité.

Deux problèmes demeurent cependant. D’abord, quels sont les acteurs qui doivent se mettre d’accord et comment ? Pourquoi les Allemands, les Polonais et les Italiens s’aligneraient-ils sur notre fiscalité et auraient-ils moins raison que nous ? À quel titre les Français détiendraient-ils, plus que d’autres, leur part de vérité ?

Ensuite, les solutions internationales butent sur l’absence de contrôle démocratique. Au niveau européen, le Parlement européen ne saurait prendre de décision en matière fiscale, tandis que la Commission européenne n’est que le plus petit dénominateur commun.

Ce que je trouve très positif dans cette résolution, c’est le rôle accordé à l’Europe. Nous en avons en effet besoin plus que jamais. Et elle peut jouer un rôle sur la scène internationale.

M. le rapporteur. J’ai entendu prononcer le mot d’utopie. Mais voulons-nous défendre pour une génération l’idée qu’il faut, dans ce monde dominé par la finance, créer les conditions d’un équilibre et d’une régulation qui permette d’éviter toutes ces dérives, voire des dangers, quant à l’avenir de la société, pour les générations futures ?

Dans l’évasion ou évitement fiscal, le blanchiment a pris ces dernières années une part grandissante, par le truchement d’établissements financiers reconnus. Comme le montrait un documentaire il y a trois semaines sur La Chaîne parlementaire, l’argent de la drogue, du terrorisme et des passeurs gagne de plus en plus d’influence. Auparavant très réticentes, les banques le sont de moins en moins, vu l’ampleur des montants en jeu… Car l’argent n’a pas d’odeur.

L’on organise des conférences des parties, ou COP, sur le climat. C’est légitime. Organisée à Paris, la COP21 a rencontré un succès d’estime. Il n’y a pas, dans ce type de conférences, que des experts, mais aussi des ONG, des représentants des parlements, des gouvernements… Les trous provoqués dans la couche d’ozone par les gaz à effet de serre sont bien repérés. Mais les trous provoqués par l’évitement fiscal et les paradis fiscaux dans les finances publiques mondiales, européennes et nationales sont aussi impressionnants. Certes, comme l’a dit Christophe Caresche, tout ce qui a été fait jusqu’ici est positif, et plus que globalement. Le rôle de l’OCDE est indéniable.

Mais, aujourd’hui, la donne a changé. Le président américain l’a dit clairement et un haut fonctionnaire nous a rappelé hier soir le temps où les États-Unis n’étaient pas coopératifs. Il semble qu’ils vont jouer en solo, en alliance avec le Royaume-Uni, dans le sillage du Brexit – l’on connaît déjà le statut de Jersey et de l’île de Man, ainsi que leurs liens avec la City. Ce n’est pas compliqué de faire des États-Unis un paradis fiscal ; il suffit de faire passer de 35 % à 15 % le taux de l’impôt sur les sociétés.

Dans ce contexte, quel rapport de forces doit-il se dessiner pour que la coopération internationale, incluant les pays en voie de développement, puisse endiguer ce qui se prépare, c’est-à-dire une déstabilisation mondiale ? L’Union européenne a un rôle à jouer. Mais quand la Commission européenne enjoint à l’Irlande de récupérer auprès d’Apple 13 milliards d’euros d’impôt sur les sociétés, l’Irlande n’en veut pas ! C’est pourquoi une évaluation est nécessaire au sein d’instances internationales qui regroupent banquiers, gouvernements, ONG, parlements…

L’Assemblée nationale donnera-t-elle un signe en ce sens ? Nous proposons d’organiser au Burundi, dans un pays en développement, la première réunion de cette nouvelle Conférence des parties, ce qui n’aura certes pas lieu dès demain. Mais qui pourrait d’abord porter cette idée ? Les sommes qui sont en jeu sont colossales. L’avenir de la finance mondiale et sa maîtrise démocratique posent les mêmes défis que l’avenir du climat.

La commission adopte l’article unique de la proposition de résolution sans modification.

*

* *

ANNEXE N° 1 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

– Mme Manon AUBRY (Oxfam)

– M. Christian CHAVAGNEUX (Alternatives Économiques)

– M. Vincent DREZET (Solidaires Finances Publiques)

– M. Antoine DULIN (Vice-Président du Conseil économique, social et environnemental)

– M. Denis DURAND (Directeur adjoint Banque de France – CGT)

– M. Nicolas FORISSIER (Lanceur d’alerte UBS)

– M. Daniel LEBÈGUE (Transparency International)

– M. Luc MATHIEU (CFDT)

– Mme Monique PINÇON-CHARLOT et M. Michel PINÇON (sociologues)

– M. Éric VERNIER (spécialiste du blanchiment)

– Mme Lucie WATRINET (CCFD Terre-solidaire).

ANNEXE N° 2 :
CONTRIBUTIONS

Contribution de M. François Morin,

Professeur émérite de l’Université de Toulouse

Ancien membre du Conseil Général de la Banque de France

Une seule remarque de fond sur les 6 points touchant une proposition de résolution visant à instaurer une « COP de la finance mondiale ».

Les 6 points évoqués ont pour but essentiellement d’instaurer une norme fiscale internationale harmonisée, de mettre en place une instance permanente de régulation fiscale, de mieux définir les paradis fiscaux, de mettre en œuvre une norme de transparence fiscale à l’échelle mondiale ou européenne, à promouvoir enfin un statut protecteur des lanceurs d’alerte.

L’accent est ainsi clairement mis sur la question épineuse et tout à fait essentielle de la mise en place de dispositifs ouvrant la voie à une fiscalité internationale.

Or, s’il s’agit de proposer une « COP de la finance mondiale » la question fiscale est certes une dimension importante, mais sans doute pas la plus déterminante.

En effet la finance mondiale est aujourd’hui dominée par de très puissants acteurs, investisseurs institutionnels ou banques systémiques qui se jouent complètement des frontières (et notamment des frontières fiscales). Pis, les plus grandes banques, au nombre de 14 (sur les 40 000 banques environ que compte actuellement la planète) forme un oligopole qui domine les plus grands marchés de la finance : les marchés monétaires, les marchés financiers et les marchés de produits dérivés (40).

À tel point que ces plus grandes banques ont - pu depuis 2005 - manipulés les deux prix principaux de la finance mondiale : les taux de change et les taux d’intérêt, autant dire les prix fondamentaux de la monnaie. Ces plus grandes banques ont été ainsi à l’origine de la crise financière de 2007 – 2008.

La vraie question que posent ces banques, c’est donc leur pouvoir monétaire et leur capacité à capturer les régulateurs qui cherchent à limiter les risques qu’elles génèrent.

« Une COP de la finance mondiale » devrait donc avoir pour objectif central non seulement de démanteler cet oligopole ; mais surtout de créer une institution monétaire internationale (ce que proposait déjà Keynes en 1944), seule façon crédible d’éliminer les produits financiers dérivés, à l’origine des crises systémiques actuelles, afin de retrouver une vraie stabilité financière et monétaire internationale.

Il est clair dans cette perspective qu’une réforme harmonisant la fiscalité internationale pourrait représenter une étape importante, mais seulement une étape, par rapport à l’objectif d’une nécessaire régulation monétaire internationale.

Tous ces points sont développés amplement dans plusieurs de mes travaux (41).

Contribution de Mme Lucie Watrinet,

Chargée de plaidoyer sur le financement du développement au CCFD-Terre Solidaire/Coordinatrice de la Plateforme Paradis Fiscaux et judiciaires

10 raisons pour lesquelles un organisme fiscal intergouvernemental au sein des Nations unies serait bénéfique pour tous

1) Un pas important vers un système mondial cohérent – Actuellement, le système fiscal international est composé d’un réseau complexe de milliers de conventions fiscales bilatérales et de différents systèmes internationaux parallèles pour réguler l’échange d’informations et le reporting des entreprises, par exemple. Un système admis à l’échelle mondiale est la seule façon d’éliminer la complexité, la confusion, l’incohérence et les décalages qui existent aujourd’hui. Pour atteindre cet objectif, un organisme fiscal véritablement international est un premier pas fondamental.

2) Un renforcement de la coopération entre les administrations fiscales - Un système mondial cohérent faciliterait la communication et la coopération pour les administrations fiscales. Cela permettrait également de renforcer la cohérence internationale et d’améliorer les conditions de travail des administrations fiscales.

3) Des démarches moins unilatérales – Les listes noires et les restrictions particulières sur les prix de transfert, les transferts financiers, le reporting des entreprises ne sont que quelques-unes des mesures que certains gouvernements sont en train d’introduire afin de protéger leur base d’imposition. Si l’on ne trouve pas de solution à la crise qui touche la fiscalité mondiale, nous risquons de voir se multiplier ces mesures protectionnistes. Seule une réelle coopération internationale peut garantir à tous les gouvernements une réelle alternative à une action unilatérale.

4) La fin du nivellement par le bas - La crainte de perdre des investissements est actuellement ce qui conduit les gouvernements à introduire des incitations et des pratiques fiscales dommageables dans une « course vers le bas » tragique, qui coûte des milliards de dollars de perte de recettes fiscales aux pays. Grâce à une coopération véritablement internationale, nous pourrions changer cette triste réalité.

5) Des règles claires, cohérentes, globales et stables sont nécessaires pour les affaires. Les systèmes fiscaux complexes et contradictoires auxquels sont soumises les entreprises multinationales les mettent face à de lourdes charges administratives, une incertitude juridique et des risques élevés.

6) Une concurrence plus équitable - Aujourd’hui, les gouvernements qui s’engagent à accroître la transparence et à mettre un terme aux manquements qui peuvent exister dans les législations fiscales ont peur d’être « précurseurs » dans ce domaine et d’amener les entreprises et les particuliers fortunés à s’enregistrer dans d’autres juridictions. Si les négociations avaient lieu à un niveau véritablement international, les gouvernements pourraient convenir d’une action coordonnée globale et instaurer des règles du jeu équitables.

7) Une mise en œuvre plus efficace - Aucun gouvernement ne se sentirait obligé de mettre en œuvre des règles et normes fiscales globales qui ont été adoptées à huis clos, dans des espaces où ils n’ont pas été invités à participer à la prise de décision. L’ONU est la seule institution mondiale où tous les gouvernements participent à parts égales, et par conséquent le seul lieu où il serait possible de parvenir à un engagement de tous pour véritablement agir.

8) Moins de double imposition et de non-imposition – La grande diversité des systèmes fiscaux nationaux est la raison principale pour laquelle certains sont imposés deux fois sur le même revenu alors que d’autres ne sont pas imposés du tout. Seule une coopération véritablement mondiale peut mettre fin à ces problèmes.

9) Plus de financement pour les pays les plus pauvres - Actuellement, les pays les plus pauvres du monde sont exclus de la prise de décision concernant les systèmes fiscaux mondiaux, et les systèmes internationaux ne prennent pas souvent en compte leurs réalités et leurs intérêts. Cela signifie une baisse des recettes fiscales et donc moins de financement disponible pour le développement de ces pays.

10) Une action mondiale équitable et cohérente contre les paradis fiscaux - De nombreux gouvernements sont en train d’essayer de protéger leur base d’imposition via des listes noires nationales basées sur des critères qui sont souvent à la fois peu clairs et appliqués de façon non cohérente. Bien que ce système de liste noire plutôt aléatoire puisse impacter lourdement les pays pointés du doigt, cela ne résoudra pas le problème des paradis fiscaux. Afin d’être efficace, une démarche contre les paradis fiscaux doit être une démarche juste, cohérente et coordonnée à l’échelle mondiale.

Organisations signataires :

11.11.11

ActionAid

Canadians for Tax Fairness

CCFD-Terre Solidaire

Centre national de coopération au développement, CNCD-11.11.11

Christian Aid

Christian Aid Ireland

Coordination Office of the Austrian Bishops Conference on Development and Mission (KOO)

Demnet

Diakonia

Equity and Justice Working Group Bangladesh

European Network on Debt and Development (Eurodad)

Forum Syd

Global Alliance for Tax Justice

Global Policy Forum

Global Fokus

Glopolis

Ibis

InspirAction

Kairos Europe

Kepa - the Finnish NGO Platform

Red Latinoamericana sobre Deuda, Desarrollo y Derechos (LATINDADD)

Methodist Tax Justice Network

Norwegian Church Aid

Norwegian Forum for Development and Environment (ForUM) 

Oxfam

Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires

Save the Children

Secours Catholique Caritas France

Stichting Onderzoek Multinationale Ondernemingen (SOMO)

Tax Reconciliations

Tax Research UK

Vienna Institute for International Dialogue and Cooperation (VIDC)

sans-titre

Contribution du Conseil économique, social et environnemental (CESE)

M. Antoine Dulin,

Rapporteur de l’avis « Les mécanismes d’évitement fiscal, leurs impacts sur le consentement à l’impôt et la cohésion sociale »

Préambule

Le CESE a rendu le 13 décembre dernier un avis intitulé « Les mécanismes d’évitement fiscal, leurs impacts sur le consentement à l’impôt et la cohésion sociale », adopté en séance plénière. Il est le fruit d’un travail de plusieurs mois de la section Économie et Finances qui a auditionné plus d’une cinquantaine d’experts et personnalités sur le sujet. L’avis a été remis à Michel Sapin, ministre de l’Économie et des Finances et à Christian Eckert, secrétaire d’État aux comptes publics le 7 janvier 2017. Il est téléchargeable ici :

http://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2016/2016_14_evitement_fiscal.pdf

Les préconisations de l’avis :

Le CESE propose un certain nombre de recommandations réparties en 4 grandes catégories :

– Affirmer la place de la France dans la lutte contre l’évitement fiscal au niveau européen et international

– Accroître le niveau de transparence et de responsabilité des acteurs économiques publics et privés

– Renforcer les moyens de lutte contre l’évitement fiscal en France

– Renforcer la légitimité de l’impôt pour lutter contre l’évitement fiscal

Parmi ses préconisations, le CESE se prononce pour l’organisation d’une COP fiscale. Voici ce qu’il indique à la page 62 de son avis :

« Les Nations unies ne jouent aujourd’hui qu’un rôle marginal en matière de fiscalité, comme le souligne l’avis du CESE « La politique française de coopération internationale dans le cadre de l’agenda 2030 du développement durable d’octobre 2016. Le CESE estime, comme dans son précédent avis, que seule l’enceinte des Nations unies peut offrir la portée universelle souhaitée dans le cadre d’une Convention en s’appuyant sur les travaux faits par l’OCDE.

À l’image de la COP environnementale qui a permis depuis 1992 (Conférence de Rio) d’engager une discussion avec tous les États sur les questions du réchauffement climatique et d’adopter un certain nombre de mesures, le CESE recommande, l’organisation d’une conférence des États sur la lutte contre l’évitement fiscal. Une telle conférence permettrait d’impliquer l’ensemble des États membres des Nations unies. Cette COP « fiscale » permettrait, par ailleurs, d’aborder un certain nombre de points qui n’ont pu être résolus par la mise en œuvre de BEPS.

Deux priorités se dégagent aujourd’hui. Le CESE propose, d’une part, la suppression des régimes de « Patent boxes », nuisibles à la concurrence loyale lorsqu’ils facilitent l’érosion de l’assiette imposable. Face au développement de l’économie numérique, le CESE encourage, d’autre part, l’adoption d’une convention multilatérale au niveau des pays de l’ONU, à l’image de celle proposée par le groupe d’experts du BEPS fin 2016, dans laquelle le concept d’établissement stable serait mieux adapté au monde économique actuel. Ainsi, une entreprise fournissant une prestation sur le territoire d’un État, au moyen de données issues du suivi régulier et systématique des prestations fournies aux internautes qui y sont domicilié.e.s, serait considérée comme disposant d’un établissement stable virtuel dans ce pays dont ses bénéfices seraient donc imposables dans celui-ci.

Cette COP fiscale internationale serait aussi une enceinte adéquate pour lancer la mise en place d’un registre international qui regrouperait les liens entre les différentes entités économiques de tous les pays. Elle pourrait préfigurer une coopération internationale plus systématique et organisée entre les services publics concernés par l’évitement fiscal, coopération que le CESE souhaite développer avec des moyens spécifiques et adéquats »

Par ailleurs, l’avis présente un certain nombre de recommandations qui rejoignent les propositions formulées dans la résolution notamment sur la transparence, les lanceurs d’alerte et le rôle que doivent jouer les institutions de l’Union européenne sur ce sujet.

Contribution de Mme Eva Joly, Députée européenne, Groupe des Verts/ALE

Vice-Présidente de la Commission PANA (Blanchiment de capitaux, évasion fiscale et fraude fiscale)

Vice-Présidente des Commissions spéciales TAXE et TAXE 2 (Commissions spéciales sur les rescrits fiscaux et autres mesures similaires par leur nature ou par leur effet)

Au niveau européen, la Commission européenne et surtout le Parlement européen sont relativement actifs et portent depuis plusieurs années de nombreuses propositions visant à mettre un terme aux pratiques d’évasion et de fraudes fiscales. Trop souvent malheureusement, ces initiatives échouent au niveau du Conseil où les États membres les affaiblissent quand ils ne les rejettent pas en bloc. Cette proposition de résolution à l’Assemblée nationale est donc bienvenue et j’espère qu’elle sera adoptée puis portée par le gouvernement français au niveau européen. Je me tiens évidemment à la disposition de mes collègues de l’AN pour échanger et collaborer dans ce domaine.

1° Invite le Gouvernement français à être à l’initiative d’une grande conférence internationale, sous l’égide des Nations Unies, portant sur la régulation mondiale de la finance, l’harmonisation et la justices fiscales et dont l’objectif serait de parvenir à un accord global visant à l’instauration d’une instance permanente de coopération et de régulation fiscale internationale, permettant la bonne application des engagements pris par les États-parties et l’ouverture régulière de nouvelles négociations,

Si l’OCDE a permis un certain nombre d’avancées dans ce domaine, cela reste encore trop faible, notamment concernant la définition même des paradis fiscaux. Cette dernière permet en effet aux pays inscrits sur cette liste d’en sortir simplement en s’engageant à échanger des informations. Cela est bien insuffisant et ne règle nullement le problème.

Alors que les rapports des ONG nous alertent sur l’accroissement des inégalités, la justice fiscale est un enjeu majeur qui nécessite une coopération mondiale plus poussée et une révision des normes fiscales mondiales. Cette proposition d’une grande conférence internationale, à condition qu’elle assure une représentation de tous les pays, notamment ceux en développement qui souffrent énormément de l’évasion fiscale (coût de 100 milliards de dollars par an pour les pays pauvres) est une bonne proposition que je soutiens. Tout comme la transformation du Comité d’imposition des Nations Unies en un véritable organe intergouvernemental en charge des questions fiscales au niveau mondial.

Cette proposition est d’ailleurs soutenue par le Parlement Européen depuis plusieurs années, notamment dans le rapport d’initiative de juin 2015 sur l’évasion et la fraude fiscale (Rapport Elly Schlein) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-%2f%2fEP%2f%2fNONSGML%2bREPORT%2bA8-2015-0184%2b0%2bDOC%2bPDF%2bV0%2f%2fFR

§ 13, page 11

prie l’Union européenne et les États membres de veiller à ce que le comité d’imposition des Nations Unies devienne un véritable organe intergouvernemental, qu’il soit doté de ressources supplémentaires suffisantes dans le cadre du Conseil économique et social des Nations unies, et qu’il garantisse à tous les pays la possibilité de participer sur un pied d’égalité à la formulation et à la réforme de politiques fiscales mondiales ;

Les ONGs défendent également l’établissement d’un organe international en charge des questions fiscales. C’est notamment le cas d’Eurodad (rapport sur le financement du développement de juillet 2015 http://eurodad.org/files/pdf/1546457-financing-for-development-key-challenges-for-policy-makers.pdf - p. 9 : « Time for a global tax body »)

Plusieurs ONGs ont également appelé à l’organisation d’un « World Tax Summit » pour discuter d’une telle proposition (cf Oxfam).

Le ministre des affaires étagères de l’Équateur, qui a pris la tête du G77 le 12 janvier, a déclaré que la lutte contre les paradis fiscaux serait une priorité sous la présidence de l’Équateur et qu’il chercherait à mettre en place un comité fiscal des Nations Unies avec un mandat au niveau des états afin d’atteindre la « justice fiscale ».

2° Appelle le Gouvernement à s’engager en faveur d’une définition large, objective et sans exception de la notion de paradis bancaire, fiscal et judiciaire dans les négociations internationales auxquelles il participe à ce sujet, notamment au niveau européen ;

Je soutiens également cette proposition. Comme je l’ai déjà abordé plus haut, la définition de l’OCDE est trop partielle et permet à ses membres qui ont pourtant certaines caractéristiques des paradis fiscaux, judiciaires et réglementaires de ne pas apparaître sur cette « liste » noire ».

Pour être complète, cette définition large et objective devrait reprendre les 5 caractéristiques établies par la plateforme sur les paradis fiscaux (ONG) en France : http://www.stopparadisfiscaux.fr/les-pfj-c-est-quoi/les-paradis-fiscaux/article/definition-et-caracteristiques-des

Lors de la réunion ECOFIN informelle d’avril 2016 aux Pays-Bas, l’Union Européenne a adopté le principe d’une liste commune des paradis fiscaux au niveau Européen, une définition qui s’applique uniquement aux pays tiers. Suite à cette décision, la Commission a présenté un tableau de bord des pays tiers ainsi qu’une proposition de critères pour définir ce qu’est un paradis fiscal (15 Septembre 2016 : http://europa.eu/rapid/press-release_IP-16-2996_fr.htm). Selon la Commission européenne, l’évaluation des pays et territoires non coopératifs devrait être achevée d’ici septembre 2017, afin que le Conseil puisse approuver la liste avant la fin de 2017. Elle est appelée à être un processus permanent et régulier.

Je regrette toutefois que lors de la réunion ECOFIN de novembre 2016, les États-Membres aient adopté une version amoindrie de cette proposition, les critères étant plus faibles. Cf conclusions du conseil du 8 novembre 2016 : http://www.consilium.europa.eu/fr/meetings/ecofin/2016/11/08/

Je regrette notamment qu’à cette occasion la France n’ait pas pu (ou pas voulu) empêcher la réduction des ambitions en matière de définition large et objective d’un paradis fiscal.

3° Alerte le Gouvernement sur l’urgence de l’élaboration d’une norme européenne, voire mondiale, de transparence fiscale à l’égard des multinationales, assorties de sanctions afin de lutter efficacement contre l’érosion des bases fiscales ;

L’élaboration d’une norme européenne est effectivement indispensable.

Le groupe des Verts au Parlement européen porte cette demande dont il est à l’origine au Parlement Européen depuis plus de 7 ans maintenant.

Le Parlement Européen a ainsi adopté le principe d’un reporting public pays par pays pour les grandes entreprises dans plusieurs textes :

– Dans la shareholders right directive, votée en Commission JURI (Affaires juridiques) en juin 2014. Toutefois, le trilogue (réunion tripartite informelle à laquelle participent des représentants du Parlement européen, du Conseil et de la Commission) est toujours en cours et cette demande a été abandonnée suite à l’opposition des États-Membres, notamment celle de la France.

§ 17 bis Le renforcement de la transparence des activités des grandes entreprises, en particulier en ce qui concerne les bénéfices réalisés, les impôts payés sur les bénéfices et les subventions reçues, est essentiel pour assurer la confiance et faciliter l’engagement des actionnaires et autres citoyens de l’Union dans les entreprises. La communication obligatoire d’informations dans ce domaine peut donc être considérée comme un élément important de la responsabilité des entreprises à l’égard des actionnaires et de la société.

– Dans les recommandations du rapport final de la Commission spéciale TAXE, voté en novembre 2016.

http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+TA+P8-TA-2016-0310+0+DOC+PDF+V0//FR

§ 6. réaffirme sa position selon laquelle les multinationales devraient déclarer dans leurs états financiers, d’une manière claire et compréhensible et pour chaque État membre et chaque pays tiers dans lequel elles sont établies, un ensemble d’informations, dont leur résultat d’exploitation avant impôt, les impôts sur le résultat, le nombre de salariés et les opérations réalisées ; souligne l’importance de mettre ces informations à la disposition du public, si possible sous la forme d’un registre central de l’Union ;

Cette norme européenne devrait absolument promouvoir une transparence publique réelle, à savoir des informations accessibles au public, et pas seulement un échange d’informations entre autorités fiscales, qui est aussi parfois appelé « transparence » et reporting public mais qui en réalité ne le sont pas.

4° Demande que la Commission européenne, le Conseil européen et le Parlement européen œuvrent à l’élaboration d’une norme de transparence commune quant aux rescrits fiscaux, permettant aux citoyens d’avoir accès aux informations importantes de ces accords entre les administrations fiscales et les entreprises, sur tout le territoire de l’Union européenne ;

Je souscris évidemment à cette demande. Les Verts ont également déposé un amendement en ce sens au PE. L’amendement a été voté en plénière et intégré au texte modifiant la directive 2007/36/CE en vue de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires, et la directive 2013/34/UE en ce qui concerne certains éléments de la déclaration sur la gouvernance d’entreprise (shareholders right directive). Malheureusement, j’ai peu d’espoir que cet amendement survive aux négociations en trilogue.

Article 16 ter

Informations complémentaires pour les émetteurs

1.  Les États membres exigent des émetteurs qu’ils rendent publics une fois par an, sur une base consolidée pour l’exercice financier concerné, les éléments et informations essentiels des rescrits fiscaux, en les ventilant par État membre et par pays tiers dans lesquels les émetteurs en question ont une filiale. La Commission est habilitée à adopter des actes délégués en conformité avec l’article 27, paragraphes 2 bis, 2 ter et 2 quater, pour fixer la forme et le contenu de cette publication.

Le rapport final de la première Commission TAXE aborde également le besoin de considérer dans le futur la possibilité de rendre les rulings publics.

§ 106. invite les États membres à envisager que tout rescrit fiscal doive, en particulier lorsqu’il donne lieu à l’établissement de prix de transfert, être établi en coopération avec tous les pays concernés, que les informations pertinentes doivent être échangées automatiquement, intégralement et sans délai entre ces pays et que toute mesure nationale visant à endiguer l’évasion fiscale et l’érosion de l’assiette fiscale au sein de l’Union, audits compris, doive être appliquée de manière conjointe, en tenant dûment compte de l’expérience acquise grâce au programme FISCALIS 2020 ; est toujours d’avis que les éléments fondamentaux de tout rescrit susceptibles d’avoir des répercussions sur d’autres États membres devraient non seulement être communiqués aux administrations fiscales concernées et à la Commission, mais encore consignés dans les rapports par pays présentés par les multinationales ;

Actuellement, toutefois, seule la directive sur la coopération administrative 3 (Juin 2015 ?) prévoit l’échange de certains rulings entre administrations fiscales et seule la Commission européenne a accès à quelques données. De plus, elle ne peut les utiliser que pour des raisons statistiques, non pour lancer des enquêtes d’aides d’état. Il faut évidemment aller plus loin, en rendant public tous les rulings et une norme européenne de ce type est indispensable et je souhaite que la France porte une telle demande.

5° Demande à la Commission européenne, le Conseil européen et le Parlement européen de débattre des conséquences à long terme de la concurrence fiscale sur l’intérêt général, l’environnement et le bien-être des populations et de déterminer les dispositions à prendre pour mettre en place une véritable coopération fiscale européenne ;

Le Parlement européen s’est déjà emparé de cette question cruciale à plusieurs reprises. Lorsque je présidais la Commission développement, nous avons rédigé deux rapports sur l’impact de l’évasion et de la fraude fiscales sur les pays en développement (Rapport sur la fiscalité et le développement - coopérer avec les pays en développement afin d’encourager la bonne gouvernance dans le domaine fiscal http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A7-2011-0027+0+DOC+XML+V0//FR&language=fr et sur la lutte contre la fraude fiscale, l’évasion fiscale et les paradis fiscaux http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-%2f%2fEP%2f%2fNONSGML%2bCOMPARL%2bPE-506.062%2b02%2bDOC%2bPDF%2bV0%2f%2fFR)

Concernant les conséquences au sein de l’Union européenne, c’était un des axes des Commissions spéciales lancées à partir de février 2015. Mises en œuvre après les scandales du Luxleaks, les Commissions spéciales TAXE (12 février 2015 - 30 novembre 2015) et TAXE 2 (2 décembre 2015 - 2 août 2016) avaient pour mission d’enquêter notamment sur la compatibilité des rescrits fiscaux avec les règles en matière d’aides d’état et le droit fiscal. Sur la base de leurs travaux, les commissions spéciales ont adopté des rapports dénonçant la concurrence fiscale entre pays, y compris en faisant des recommandations sur la façon d’améliorer la transparence et la coopération entre les États membres dans ce domaine afin d’améliorer le fonctionnement du marché intérieur au profit des entreprises et des citoyens.

Le rapport de Elly Schlein adopté en 2015 et mentionné au point 1, appelle non seulement à la création d’un UN tax body mais aborde également les conséquences de l’évasion fiscale sur la protection sociale et les citoyens.

Nous continuons ce travail au sein de la Commission PANA (Blanchiment de capitaux, évasion fiscale et fraude fiscale), instituée suite aux révélations des Panama Papers.

La Commission européenne a également fait des recommandations aux États membres en décembre 2012 sur la concurrence fiscale

http://ec.europa.eu/taxation_customs/sites/taxation/files/resources/documents/taxation/tax_fraud_evasion/com_2012_722_fr.pdf Des recommandations qui n’ont malheureusement pas été mises en œuvre par les États membres.

La plateforme sur la bonne gouvernance fiscale (États, Commission et représentants non-étatiques) fait le suivi mais nous ne pouvons que constater le peu de progrès faits en la matière. http://ec.europa.eu/taxation_customs/business/company-tax/tax-good-governance/platform-tax-good-governance_fr

La Commission européenne a également proposé en janvier 2016 le ATAP (anti tax avoidance package ou Paquet sur la lutte contre l’évasion fiscale : http://ec.europa.eu/taxation_customs/business/company-tax/anti-tax-avoidance-package_fr ) qui propose des mesures aux États membres pour lutter contre l’optimisation fiscale (obligation d’adopter des contre-mesures) mais les États Membres ont largement amoindri le texte adopté en juillet 2016 (anti-tax avoidance directive).

En janvier 2016, la Commission européenne a également publié un rapport sur les systèmes fiscaux des États Membres, montrant que certains d’entre eux ont des caractéristiques de paradis fiscaux. Sur ce point, le groupe des Verts a publié le 11 janvier un rapport sur la législation fiscale de Malte. Malte, qui vient de prendre la présidence du Conseil pour 6 mois, présente certaines caractéristiques d’un paradis fiscal, ce qui laisse peu d’espoir d’amélioration de la législation européenne sur le sujet dans les 6 prochains mois http://www.greens-efa.eu/fr/article/maltese-eu-presidency-and-tax-practices/

Pour information :

Site web de la Commission TAXE :

http://www.europarl.europa.eu/committees/fr/taxe/home.html

Site web de la Commission TAXE 2 :

http://www.europarl.europa.eu/committees/en/tax2/home.html

Site web de la Commission PANA :

http://www.europarl.europa.eu/committees/fr/pana/home.html

6° Propose au Gouvernement d’agir au sein des instances européennes pour instaurer un statut européen protecteur pour les lanceurs d’alerte, afin que l’alerte puisse être effectuée dans des conditions favorables sur tout le territoire de l’Union européenne.

La protection des lanceurs d’alerte est absolument indispensable. On le voit dans le cas des Luxleaks où ceux qui ont dénoncé des montages fiscaux honteux se retrouvent sur le banc des accusés alors qu’ils ont agi pour l’intérêt général. Une protection des lanceurs d’alerte est un combat que nous menons depuis plusieurs années. Face à l’inertie des institutions malgré nos nombreuses demandes, le groupe des Verts a pris l’initiative de rédiger leur propre proposition de directive pour une protection des lanceurs d’alerte au niveau européen (mai 2016) http://www.greens-efa.eu/en/article/whistleblower-protection/

En décembre 2016, la Commission a annoncé une pré-étude d’impact sur la possibilité de proposer une telle directive. Sa réponse est attendue pour juillet 2017.

Le parlement Européen prépare actuellement un rapport d’initiative en Commission JURI (Affaires juridiques) sur la protection des lanceurs d’alerte en Europe.

Contribution de Mme Nathalie Goulet,

Sénateur de l’Orne

Proposition de résolution tendant à instituer une conférence internationale de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale

Paris, le 11 janvier 2017

Note contributive Sénateur Nathalie GOULET

L’instauration d’une conférence internationale relative à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale internationale est une proposition intéressante en vue de réinscrire cet enjeu au cœur du débat public.

Une telle conférence permettrait de rappeler le rôle des Etats et des organisations internationales en la matière. Dans ces conditions, la plus-value de cette démarche serait davantage citoyenne qu’effective : une COP fiscale sensibiliserait l’opinion mais n’aurait que peu d’effets concrets en l’espèce.

Le premier point du dispositif n’évoque pas directement l’OCDE, or c’est cette organisation qui est désormais incontournable en la matière. Une conférence internationale permettant de mettre en valeur le travail de l’OCDE serait en revanche plus susceptible de produire des effets réels en matière de lutte contre la fraude.

Pour ce faire, cette conférence devrait être structurée autour de deux axes : définir des objectifs clairs de lutte contre la fraude (I) et concevoir des moyens efficaces pour y contribuer.

I – Un cycle de conférence pour se donner des objectifs réalistes et effectifs en matière de lutte contre la fraude

Les cycles de conférence « COP », à l’instar des cycles de négociation à l’OMC connaissent des difficultés à passer de positions déclaratives à des mesures opérationnelles.

L’OCDE a en revanche démontré depuis le G20 d’avril 2009 son utilité dans la production de normes efficaces en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale.

Dans ces conditions, une conférence pourrait être un vecteur de publicité opportun à destination des citoyens. Cette conférence doit se fixer des objectifs clairs, notamment au regard des actions 13, 14 et 15 du plan BEPS qui demandent un suivi particulier de la part des états.

A) Action 13 : Aller au bout du reporting pour lutter contre les abus en matière de prix de transferts

Les abus en matière de prix de transferts devraient être apparents dans les comptes des entreprises. Aussi, pour lutter contre ces pratiques, il est temps d’aller au bout du débat sur le reporting et de se doter d’une nomenclature accessible au moins aux administrations fiscales pour y parvenir.

Une directive est en cours de mise en œuvre à l’échelon européen, des obstacles demeurent dans les législations nationales mais une conférence pourrait permettre, dans le cadre OCDE, d’aller au-delà des seuls membres de l’UE.

B) Action 14 : utiliser les propositions du plan BEPS relatives au recours à l’arbitrage et à la transaction pour parvenir à un accord au sein de l’UE concernant la politique menée par l’Irlande et le Luxembourg

L’action 14 propose de généraliser les moyens alternatifs de résolution des litiges que sont l’arbitrage et la transaction. Au plan européen, un contentieux politique latent demeure entre les états du fait des orientations politiques de certains états qui se comportent comme de quasi-paradis fiscaux. Dans ces conditions, une conférence pourrait mettre en lumière ce problème et forcer une transaction politique qui compenserait à minima pour les états respectueux des assiettes fiscales le manque de recettes indu par la législation fiscale d’états tiers.

C) Action 15 : la simplification du droit via l’instrument multilatéral de l’OCDE

Le projet de conférence pourrait se doter comme objectif de matérialiser la souscription des membres de l’OCDE à l’instrument multilatéral commun. La publicité de l’évènement permettrait de faire pression sur les états non coopératifs qui ne sont pas membres de l’organisation.

II- Une cycle de conférence pour se doter des moyens institutionnels et administratifs de lutte contre la fraude

A) La formation d’une équipe de contrôleurs fiscaux internationaux

Une équipe de contrôleurs internationaux pourrait être constituée auprès de l’OCDE. Elle serait composée de délégués issus des administrations des états-membres ou d’avocats spécialisés. Ces contrôleurs pourraient coordonner les contrôles effectués sur les plus importantes multinationales.

B) L’assemblée parlementaire de l’OCDE

L’affirmation du rôle normatif de l’OCDE, notamment en matière de conventions internationales, ainsi que les préoccupations de nos concitoyens, justifient une consolidation institutionnelle de l’OCDE par le biais de l’instauration d’une assemblée parlementaire.

Elle serait composée de représentants des parlements nationaux et permettrait d’échanger sur les bonnes pratiques nationales ou sur les obstacles encore existants en droit interne. A fortiori, cette assemblée aurait un droit de regard en matière de conception des modèles de convention fiscale et un pouvoir de contrôle sur les contrôleurs fiscaux internationaux définis ci-dessus. Elle pourrait être compétente en matière de protection des lanceurs d’alerte.

Les parlementaires membres assureraient ainsi le lien entre le niveau international et le citoyen dans la publicité des actions entreprises en matière de lutte contre la fraude.

C) Avancer sur la réforme fiscale contre l’érosion des bases

Cette conférence pourrait également jouer un rôle prospectif en matière de droit fiscal fondamental. L’évasion et la fraude internationale prospère dans les interstices d’un droit international qui ne se globalise pas aussi vite que les mouvements économiques internationaux. Le numérique accélère ce phénomène.

La conférence pourrait ainsi travailler à définir de nouveaux modèles fiscaux adaptés à un monde globalisé et respectueux de la souveraineté des états.

En conclusion, l’idée d’une conférence internationale est séduisante, et peut être menée en parallèle avec des actions concrètes, ciblées et organisées autour d’un calendrier précis.

Il me semble essentiel qu’enfin l’Assemblée Nationale et le Sénat français se dotent pour l’exemple d’une structure permanente en charge du suivi des législations nationales et internationales en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, les Commissions des finances compétentes ne pouvant assurer, à mon sens, la totalité du suivi législatif de cette matière absolument essentielle pour l’avenir de nos économies et la justice sociale.

Contribution de Mme Pervenche Berès,

Présidente de la Délégation socialiste française et coordinatrice S&D au sein de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen

16 janvier 2017

Sur l’ensemble des sujets mentionnés, je vous invite à consulter trois rapports d’initiative votés par le Parlement européen. Tous ont été co-rédigés par un rapporteur du groupe des Socialistes et Démocrates (S&D) et témoignent de la position de notre groupe. Ils ont par ailleurs reçus un soutien important lors de leurs votes en session plénière.

Il s’agit des rapports suivants :

– Résolution du Parlement européen du 16 décembre 2015 contenant des recommandations à la Commission en vue de favoriser la transparence, la coordination et la convergence des politiques en matière d’impôt sur les sociétés au sein de l’Union (2015/2010(INL)) - Commission des affaires économiques et monétaires « ECON », rapporteurs Ludek Niedermayer (PPE) et Anneliese Dodds (S&D).

– Résolution du Parlement européen du 25 novembre 2015 sur les rescrits fiscaux et autres mesures similaires par leur nature ou par leur effet (2015/2066(INI)) - Commission spéciale « TAXE », rapporteurs Elisa Ferreira (S&D) et Michael Theurer (ALDE).

– Résolution du Parlement européen du 6 juillet 2016 sur les rescrits fiscaux et autres mesures similaires par leur nature ou par leur effet (2016/2038(INI)) - Commission spéciale « TAXE2 » Jeppe Kofod (S&D) et Michael Theurer (ALDE).

Ces rapports sont à examiner en complément de l’ensemble des travaux des commissions ECON et PANA sur la fiscalité et la transparence.

Veuillez trouver, ci-dessous, quelques pistes de réflexion sur les actions menées au niveau européen, en échos avec vos propositions.

1° Invite le Gouvernement français à être à l’initiative d’une grande conférence internationale, sous l’égide des Nations Unies, portant sur la régulation mondiale de la finance, l’harmonisation et la justices fiscales et dont l’objectif serait de parvenir à un accord global visant à l’instauration d’une instance permanente de coopération et de régulation fiscale internationale, permettant la bonne application des engagements pris par les États-parties et l’ouverture régulière de nouvelles négociations.

Face à la globalisation des échanges commerciaux et financiers, le groupe S&D est favorable à une réponse globale. Une telle solution a notamment été évoquée dans le rapport TAXE en 2015, mais sans attendre une telle conférence l’UE avec le soutien de ses États membres doit continuer son combat contre l’évasion fiscale.

2° Appelle le Gouvernement à s’engager en faveur d’une définition large, objective et sans exception de la notion de paradis bancaire, fiscal et judiciaire dans les négociations internationales auxquelles il participe à ce sujet, notamment au niveau européen.

Dans le cadre de la révision de la « directive comptable » (2013/34/UE) actuellement en cours, il est question d’introduire un reporting pays-par-pays public avec, en parallèle, une liste européenne des juridictions non coopératives en matière fiscale. Le groupe S&D l’a longtemps appelée de ses vœux.

Cependant, les matières fiscales relèvent, au niveau européen, d’une procédure qui requiert l’unanimité au sein du Conseil des ministres. Le Parlement européen est uniquement consulté « pour avis ».

Au sein du Conseil, le groupe Code de Conduite (fiscalité des entreprises) a été chargé de définir les critères, d’effectuer le screening des juridictions épinglées et d’établir la liste finale. Le groupe S&D, qui demande depuis longtemps une réforme profonde de ce groupe, déplore cette situation. Notre crainte est que la liste ne contienne que quelques États tiers non représentatifs du phénomène et que certaines juridictions européennes bien connues pour leur rôle actif n’y apparaissent pas.

3° Alerte le Gouvernement sur l’urgence de l’élaboration d’une norme européenne, voire mondiale, de transparence fiscale à l’égard des multinationales, assorties de sanctions afin de lutter efficacement contre l’érosion des bases fiscales.

Depuis le 1er janvier 2017, les autorités fiscales des États membres sont tenues d’échanger automatiquement entre-elles les informations financières et non financières communiquées par les multinationales opérant au sein de l’UE. Ces dispositions sont définies par la directive comptable (2013/34/UE) et la directive sur la coopération administrative (DAC5, rapport rédigé par E. Maurel 2016/0209).

En avril dernier, la Commission européenne a publié une nouvelle proposition d’amendement de la directive comptable avec pour principal objectif de rendre ces données publiques (on parle de reporting public pays-par-pays, ou CBCR en anglais). Les multinationales devraient ainsi publier sur leur site ces données afin que la société civile puisse elle aussi y avoir accès. Le groupe S&D y est fortement favorable.

Parallèlement, notre groupe est favorable à l’examen d’une taxe spécifique sur les multinationales. Il s’agit de mettre en place une fiscalité plus cohérente, plus adaptée à l’économie d’aujourd’hui, et de lutter contre le shopping fiscal, les transferts de prix et en général une compétition fiscale accrue entre les États membres. Les pistes envisagées sont multiples. L’Assiette Commune Consolidée pour l’Impôt des Sociétés (ACCIS) pourrait, ici, par exemple, constituer une réponse européenne très intéressante.

4° Demande que la Commission européenne, le Conseil européen et le Parlement européen œuvrent à l’élaboration d’une norme de transparence commune quant aux rescrits fiscaux, permettant aux citoyens d’avoir accès aux informations importantes de ces accords entre les administrations fiscales et les entreprises, sur tout le territoire de l’Union européenne.

Requête S&D, portée par le Parlement européen. L’échange automatique des rescrits fiscaux entre les autorités fiscales des États membres est entré en vigueur le 1 janvier 2017.

La prochaine étape, sur laquelle le Parlement européen travaille actuellement, sera de rendre l’accès aux registres des bénéficiaires effectifs publics. Le Conseil travaille également sur ce dossier et semble se diriger vers un affaiblissement de la proposition de la Commission européenne, avec un accès uniquement possible aux autorités fiscales et aux personnes démontrant un « intérêt légitime ». Pour le groupe S&D, il est primordial que l’accès soit public, sans concessions.

5° Demande à la Commission européenne, le Conseil européen et le Parlement européen de débattre des conséquences à long terme de la concurrence fiscale sur l’intérêt général, l’environnement et le bien-être des populations et de déterminer les dispositions à prendre pour mettre en place une véritable coopération fiscale européenne.

Le groupe S&D porte les sujets de transparence et de lutte contre l’évasion fiscale depuis de nombreuses années au niveau européen. En 2012, un rapport d’expert commandé par notre groupe a suscité le débat alors qu’il estimait le manque à gagner pour les États membres aux environs des 1000 milliards d’euros par an.

Les récentes révélations et fuites de documents ont projeté le phénomène dans la sphère publique et ont permis au Parlement européen, qui traitait depuis longtemps de la question, de se positionner en aiguillon utile et reconnu de la lutte contre l’évasion fiscale, avec notamment la mise en place des commissions spéciales TAXE et TAXE 2 et aujourd’hui la commission d’enquête PANA.

Ces dernières années, de nombreuses avancées jusqu’alors impensables ont ainsi été possibles, comme l’échange des informations fiscales entre les autorités compétentes des États membres, le renforcement de la coopération au sein de l’UE ou encore l’établissement de dispositions contre l’évasion fiscales (résolution législative sur la lutte contre l’évasion fiscale - 2016/0011).

Face aux réticences constantes du Conseil européen, il faut profiter du memento créé par la pression publique pour avancer sur ces dossiers sensibles et essentiels dans la lutte contre l’évasion fiscale comme l’ACCIS.

6° Propose au Gouvernement d’agir au sein des instances européennes pour instaurer un statut européen protecteur pour les lanceurs d’alerte, afin que l’alerte puisse être effectuée dans des conditions favorables sur tout le territoire de l’Union européenne.

La directive sur le secret des affaires propose une première étape, bien qu’insuffisante, pour la protection des lanceurs d’alerte. Le groupe S&D plaide depuis longtemps pour une directive spécifique sur ce sujet et la Commission étudie en ce moment les différentes possibilités (base légale, champ d’application, etc.).

En attendant une initiative en ce sens de la Commission européenne, la commission des affaires juridiques (JURI) du Parlement européen doit préparer un rapport d’initiative sur la protection des lanceurs d’alerte au sein de l’Union européenne dont Virginie Rozière devrait être rapportrice.

Le groupe S&D a récemment organisé un important séminaire sur cette question que j’ai eu l’occasion de conclure (je joins à cette réponse le texte de mon intervention).

Contribution de M. Antoine Deltour,

lanceur d’alerte des Luxleaks, concernant la proposition de résolution européenne pour une Conférence des parties (COP) de la finance mondiale, l’harmonisation et la justice fiscales (n° 4332)

Épinal, le 15 janvier 2017

Remarque préliminaire :

Cette contribution ne reflète l’opinion que d’un simple citoyen, sans mandat représentatif ni expertise professionnelle sur le sujet.

Il existe un parallèle évident entre les enjeux climatiques et les enjeux fiscaux. Comme les émissions de GES, les revenus imposables s’affranchissent des frontières. L’évasion fiscale représente une externalité négative qui fait porter un préjudice au monde entier. Mais dans un contexte d’économie globalisée et de libre circulation des capitaux, la souveraineté de chaque État est, isolément, impuissante pour mener une lutte efficace.

Cette similitude rend tout à fait pertinente l’adoption, pour répondre aux enjeux fiscaux, d’une approche similaire à celle retenue pour les enjeux climatiques. Il est donc souhaitable que la France prenne l’initiative d’une grande conférence internationale, sous l’égide des Nations Unies, visant à parvenir à un accord global pour sauvegarder la taxation du capital.

Un risque manifeste est de faire face à la même inertie en matière fiscale qu’en matière climatique. Avec le plan BEPS, le G20 et l’OCDE ont choisi de privilégier la rapidité à la légitimité. Mais de nombreux pays en développement n’ont ainsi pas pris part à l’élaboration de ces recommandations, alors qu’ils sont les principales victimes de certaines pratiques fiscales dommageables.

Un dispositif onusien permettrait de répondre à cette critique. D’autant plus que les pays en développement sont principalement des juridictions - dites « sources » - où sont générés des profits taxables, tandis que les membres de l’OCDE sont principalement des juridictions - dites « de résidence » - où sont basés les sièges des entreprises multinationales. Or, la répartition des recettes fiscales entre « juridictions sources » et « juridictions de résidence », de même qu’entre lieux de production et lieux de consommation, devra être un point important des négociations.

Toutefois, il faut accorder une grande attention au risque de lenteurs excessives d’un dispositif onusien car il existe une menace réelle, telle que mise en évidence par Thomas Piketty notamment, que l’impôt sur les sociétés disparaisse à moyen terme. De plus, il semble par exemple impossible d’établir une liste de paradis fiscaux qui fasse consensus parmi tous les États représentés à l’ONU.

Par ailleurs, un câble diplomatique allemand, exploité dans un article paru le 1er janvier 2017 dans le Guardian, révèle « qu’il devient extrêmement clair qu’une majorité d’États membres ne souhaitent pas une réelle réforme ». On peut ainsi légitimement se poser la question si le projet d’une assemblée parlementaire des Nations-Unies ne serait pas un outil plus approprié pour répondre à ce type d’enjeux globaux. D’autant plus que d’après l’OCDE, le principal point de clivage ne se situe pas entre pays développés et pays en développement, mais entre États et multinationales. Toute tentative de régulation des pratiques fiscales doit encadrer très strictement l’influence des professionnels, ce qu’échouent à faire, à mon avis, tant l’OCDE avec le plan BEPS que la Commission Européenne avec l’ACCIS.

La 4ème proposition concernant la transparence des rescrits fiscaux est tout à fait souhaitable. Suite à l’affaire Luxleaks, les 28 États membres ont trouvé un accord unanime pour échanger de manière automatique des informations sur les rescrits fiscaux. Mais cette réglementation, en vigueur depuis le 1er janvier 2017, ne permet pas à la Commission Européenne d’accéder aux informations échangées entre administrations fiscales. Or, à défaut de recours longs et coûteux engagés par des entreprises concurrentes ou par des États, c’est bien souvent la Commission européenne qui s’y substitue et ouvre des procédures contre les aides fiscales abusives. Elle devrait disposer pour cela de toutes les informations nécessaires.

Concernant la 5ème proposition, c’est en effet une démarche qui me paraît indispensable. Même à supposer qu’une réelle « assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés » entre rapidement en vigueur, elle ne serait d’aucun effet sur les recettes fiscales des États membres si la concurrence fiscale devait rester libre de s’exercer sur les taux d’imposition. Il faut, à mon avis, aller au-delà des politiques de coopération administrative, dont on mesure les lacunes, et remettre en cause le principe de concurrence fiscale. Sans cela, on risquerait de voir se renforcer la tendance actuelle du transfert de la fiscalité des facteurs mobiles (principalement le capital) vers toutes les autres formes de fiscalité, et ce au détriment de l’acceptabilité sociale de financements indispensables aux politiques publiques.

Enfin, le jugement en première instance sur l’affaire Luxleaks rendu en juin 2016 illustre le besoin impérieux d’un cadre européen de protection des lanceurs d’alerte. Il mentionne que : « le lanceur d’alerte n’est pas protégé par une quelconque norme juridique au niveau européen ». Mes avocats et moi contestons cette observation, notamment au regard de la jurisprudence de la CEDH, mais il faudrait de toute urgence empêcher d’autres juges de s’appuyer sur cette lacune du droit européen pour dissuader d’autres lanceurs d’alerte. C’est le droit des citoyens à l’information qui est en jeu.

Le meilleur argument en faveur de ce cadre européen est à mon avis le fait que la plupart des définitions du lanceur d’alerte, notamment celle recommandée par le Conseil de l’Europe, font référence à l’intérêt général. Or, la conception de l’intérêt général à l’échelle d’une nation n’est pas forcément la même qu’à l’échelle du continent, surtout dans des économies spécialisées où l’intérêt général est malheureusement trop souvent assimilés à certains intérêts économiques.

Contribution sur une « COP 21 de la finance mondiale » et une « gouvernance fiscale mondiale »


Paris, le 12 janvier 2017

Les déséquilibres inhérents à la finance mondiale, nés de la déréglementation et globalement de la concurrence fiscale, juridique et sociale à laquelle se livrent les États, conduisent à repenser les principes devant guider les politiques fiscales.

En dépit des déclarations se voulant rassurantes sur la mise en œuvre de l’échange automatique d’informations et plus largement sur le plan BEPS, le bilan que l’on peut actuellement tirer de la gouvernance fiscale mondiale est pour le moins décevant. En effet, durant toutes les années 2000, celle-ci a notamment consisté en une stratégie du « name and shame » incarnée dans les « listes noires » des territoires dits « non coopératifs » qui a montré toutes ses limites : l’ensemble des territoires concernés ayant pris des engagements de coopérer (engagements restés en l’état et non réellement appliqués), il n’existait officiellement plus de « paradis fiscal » à la veille du sommet du G20 de Londres de 2009...

Par la suite, la profusion des listes (OCDE, Commission européenne, nationales) a ajouté à la confusion. Or, il n’existe pas deux listes identiques : les critères, les définitions et les objectifs de ces listes diffèrent, tandis que les négociations diplomatiques contribuent à les vider (les « grands États » ont souvent conduit à stigmatiser les territoires avec lesquels ils n’étaient pas liés tout en écartant de leur vindicte des paradis fiscaux notoires). De longue date, la souplesse qu’elles ont historiquement permis a été utilisée par la plupart des territoires pour en sortir. Leur bilan est donc particulièrement mitigé au regard de la stratégie du « name and shame ». Ce constat impose de passer à la vitesse supérieure.

Le principe de l’élaboration d’une norme européenne voire mondiale claire et solide est donc d’autant plus légitime et nécessaire que jusqu’ici, une telle norme relevait de l’OCDE en lien avec les sommets du G20, sur la base d’une légitimité discutable puisqu’elle ne repose que sur l’orientation d’une poignée d’États, les plus riches. Et ce, alors que tous les États du monde sont concernés. La légitimité d’une norme mondiale portée dans le cadre d’une « Cop 21 » sous l’égide de l’ONU serait incomparablement plus grande et potentiellement plus efficace.

La définition des territoires qualifiés de « paradis fiscaux et judiciaires » fait débat. Pour ce faire, une définition claire, large, « critérisée » et opposable est nécessaire : elle pourrait s’inspirer de la plupart des travaux menés sur le sujet. On mentionnera à ce titre la liste de Tax justice Network sur la base de l’indice d’opacité financière et celle de l’ONG Oxfam (qui dresse une liste des 15 pires paradis fiscaux dans son rapport de décembre 2016 1).

De manière générale, une définition à portée mondiale permettrait de désigner les États aux pratiques fiscales, financières et juridiques opaques et/ou privilégiés. Un système de « notation » selon un barème de cotation défini à l’avance permettrait d’empêcher les décisions d’exclure en toute opacité tel ou tel territoire en fonction de critères diplomatiques et politiques. Ce système permettrait en outre de préciser et de qualifier les pratiques (législatives et coopératives) des États en matière fiscale, financière, juridique... Une telle liste pourrait être utilisée afin de mettre en œuvre un dispositif « anti-abus » permettant, par exemple, un renversement de la charge de la preuve dans les contrôles fiscaux et l’application de mesures de protection des intérêts financiers des États victimes de l’évasion fiscale.

Au plan national, un « indice de coopération fiscale internationale » constituerait l’outil de suivi et d’évaluation de cette politique impulsée au niveau international (voir ci-dessous). En outre, il est nécessaire de créer un statut qui définisse clairement le « lanceur d’alerte » et prévoit de manière explicite le cadre de sa protection (morale, juridique et financière) pouvant se traduire par une directive qui soit transposée dans les droits nationaux.

Plus largement, c’est bien la question des effets néfastes de la concurrence fiscale et sociale qui est posée. Celle-ci se traduit par une très forte pression sur le niveau et la structure des recettes fiscales des États. Dans un communiqué du 30 novembre 2016, l’OCDE note ainsi que « La part des impôts sur le revenu des personnes physiques dans les recettes fiscales totales ne cesse de croître depuis la crise tandis que celle de l’impôt sur les bénéfices des sociétés n’a pas encore renoué avec les niveaux d’avant la crise. La part des impôts frappant les personnes physiques a été portée à 24 % des recettes totales en 2014 alors qu’elle était de 23.7 % avant la crise, en 2007. Celle des impôts sur les bénéfices des sociétés s’est établie à 8.8 % en 2014, contre 11.2 % en 2007 ».

Cette tendance est à l’œuvre au sein de l’Union européenne, au sein de laquelle la course à la baisse de l’imposition des « bases mobiles » (grandes entreprises, ménages aisés) s’est traduite par un report d’imposition sur les « bases immobiles » (ménages, PME) et par une paupérisation de l’action publique dans un contexte où les besoins sociaux n’ont cessé de croître.

Une orientation fiscale différente, assise sur la mise en œuvre d’outils fiscaux supra-nationaux est donc nécessaire. Le syndicat national Solidaires Finances Publiques porte de longue date la proposition de « serpent fiscal européen » qui se traduirait par :

une harmonisation des bases de l’impôt sur les sociétés assortie d’un « taux plancher », préalablement défini en « taux effectif d’imposition », sorte de norme européenne commune,

une harmonisation du système de TVA intracommunautaire,

la définition d’établissement stable permettant d’éviter les fuites de bases imposables rendue possible par l’économie numérique,

la création d’un impôt européen sur les sociétés, d’une taxe européenne sur les patrimoines importants et d’une taxe sur les transactions financières, alimentant le budget de l’Union européenne,

l’instauration d’un registre européen des personnes morales, qui permettrait d’en finir avec les sociétés écrans mais aussi de mettre en œuvre le reporting public,

une véritable coopération en matière de lutte contre la fraude rendue possible par un système d’échange automatique d’informations et une harmonisation des procédures de contrôle des entreprises à dimension internationale par exemple.

Pour un indicateur consolidé de coopération internationale

L’objectif est de fournir un (ou plusieurs) indicateur(s) permettant de mesurer la coopération entre administrations (notamment au plan international). On peut réfléchir à un « indice de transparence et de coopération fiscales », suivi par la communauté internationale (l’ONU par exemple) qui résulterait de la consolidation de plusieurs données. Cet indice serait gradué en fonction des résultats, révisable lorsque la situation évolue et engloberait l’ensemble des États. Il permettrait de démontrer leur réelle volonté de coopérer en matière de lutte contre la fraude fiscale.

Exemples de données permettant d’élaborer l’indice :

– Nombre de conventions fiscales signées et/ou participation au système d’échanges automatiques d’informations à des fins fiscales.

– Nombre d’impôts couverts par la convention ou le système d’échange d’informations.

– Accès aux informations bancaires et à l’information sur l’identité des bénéficiaires effectifs des structures juridiques (trusts, sociétés écrans).

– Mise en œuvre du reporting et des déclarations fiscales (prix de transfert...).

– Nombre de demandes d’informations envoyées (flux sortant), de réponses obtenues et de suivi.

– Nombre de demandes reçues et de réponses fournies (flux entrant)

– Qualité des informations fournies (informations recueillies par rapport à celles demandées).

– Délais de réponse aux demandes d’informations.

– Nombre de contrôles multilatéraux coordonnés.

– Publication des rescrits fiscaux.

1 Rapport dOxfam de décembre 2016.

Contribution d’EPSU à une proposition de résolution émanant du groupe « GDR » (Gauche démocrate et républicaine),

Assemblée Nationale, Janvier 2017

Introduction

La Fédération syndicale européenne des services publics (FSESP/EPSU) représente 8 millions de travailleurs des services sociaux et de santé, des gouvernements et collectivités territoriales et régionales, de l’administration européenne, de l’énergie et de l’eau dans plus de 40 pays européens (dont la France avec les fédérations des services publics et énergie de la CGT, CFDT, FO et UNSA).

Pour EPSU, la justice fiscale est une priorité qui fait partie intégrante des alternatives aux mesures d’austérité qui ont particulièrement affecté les emplois et les salaires dans les services publics, exacerbé la concentration des richesses et fait le lit des extrémismes. Nous demandons la suppression des paradis fiscaux, des niches fiscales y compris les rescrits fiscaux secrets dont profitent les multinationales et les super-riches pour éviter de payer leur dû. La lutte contre l’optimisation fiscale est centrale à une justice fiscale fondée sur la progressivité́, l’efficacité́, la transparence et des administrations fiscales bien dotées.

Depuis 2012, EPSU a lancé une campagne « On recherche 1000 milliards € en Europe (42) », visant à mettre la lumière sur l’ampleur de la fraude et l’évasion fiscales, son impact sur la cohésion sociale, les services publics et le niveau des salaires, et les solutions à mettre en place sur le plan européen.

En 2015, en coopération avec un syndicat nord-américain, SEIU, et la fédération syndicale européenne pour l’alimentation, EFFAT, nous avons « personnalisé » le problème avec la publication d’un rapport sur l’évasion fiscale de l’ entreprise de restauration rapide McDonalds, Unhappy meal http://www.epsu.org/article/trade-union-coalition-reveals-mcdonalds-avoided-over-15-bln-eu-taxes; ce cas emblématique à dimension globale a reçu un large écho dans la presse, notamment française, et a permis l’ouverture d’une enquête de la Commission européenne pour violation des règles d’ Etat. À travers cette campagne nous avons rencontré de nombreux députés européens et français ainsi que des sénateurs dont Éric Bocquet. Nous avons aussi participé à une audition du CESE dans le cadre de son avis Les mécanismes d’évitement fiscal, leurs impacts sur le consentement à l’impôt et la cohésion sociale (rapporteur, Antoine Dullin).

Actuellement nos deux priorités politiques sont les projets de directives relatifs aux reporting public des multinationales et l’ACCIS, un « vieux serpent de mer » dont le destin reste très incertain, mais qui nous permettra dans le même temps, nous l’espérons, de lancer un débat plus global sur l’importance de l’impôt sur les sociétés, impôt qui est fort contesté par les organisations patronales, les chambres de commerce américaine et internationale, parmi d’autres. Nous essayons aussi de convaincre la Commission européenne de soumettre un projet de directive sur la protection des lanceurs d’alerte.

Nous avons publié deux rapports dénonçant l’impact de l’austérité dans les administrations fiscales de l’UE, environ 10 % de suppressions d’emplois depuis le début de la crise entre 2008 et 2012, les coupes les plus importantes ayant été effectuées en Grèce et au RU. Le manque de moyens et de personnel, en plus du manque d’outils techniques, de pouvoirs d’investigation, et du soutien politique des gouvernements entravent grandement le service public de collecte de l’impôt et ce malgré les promesses de nos gouvernements de mettre fin aux paradis fiscaux et à l’évasion fiscale. Ces rapports, disponibles en français, http://www.epsu.org/article/impact-austerity-tax-collection-one-year-later-and-still-going-backwards ont été cités dans des avis du Parlement européen et du CESE européen.

1° Invite le Gouvernement français à être à l’initiative d’une grande conférence internationale, sous l’égide des Nations Unies, portant sur la régulation mondiale de la finance, l’harmonisation et la justices fiscales et dont l’objectif serait de parvenir à un accord global visant à l’instauration d’une instance permanente de coopération et de régulation fiscale internationale, permettant la bonne application des engagements pris par les États-parties et l’ouverture régulière de nouvelles négociations

Le système fiscal international en place exacerbe les inégalités entre et au sein des pays à l’échelle mondiale, freine la réduction de la pauvreté, accélère la concentration des richesses et contribue à délégitimer l’impôt en tant que vecteur de redistribution des richesses. Comme au niveau européen, nous assistons à une harmonisation fiscale de fait, basée sur une concurrence fiscale qui a force de loi, les entreprises dressent les gouvernements les uns contre les autres afin d’attirer des investissements étrangers, notamment en promouvant un nivellement par le bas des incitations fiscales toujours plus créatives les unes que les autres.

La nature tentaculaire, transfrontalière des multinationales et leurs moyens colossaux leur permettent de se jouer des lois nationales en l’absence de régulations contraignantes internationales. Le prix à payer est dévastateur pour les pays en voie de développement, asservis par des aides qui se raréfient, des administrations fiscales encore plus démunies que celles en Europe, une dépendance plus forte sur l’IS. Dans ce contexte, l’évasion fiscale devient un crime contre l’humanité. Il y a longtemps, les nations unis avaient proposé un impôt mondial sur les grandes fortunes pour financer le développement, l’impôt étant un instrument plus juste, plus efficace et plus soutenable que l’aide au développement. Malheureusement cette résolution est restée lettre morte.

EPSU soutient cette proposition pour une conférence fiscale internationale, une sorte de « COP fiscale », en vue de mettre en place un organisme mondial dans le cadre des Nations unies, bien doté et possédant des moyens supplémentaires suffisants afin que tous les pays, en consultation avec les syndicats et la société civile, puissent participer sur un pied d’égalité à l’élaboration et à la réforme des politiques fiscales au niveau mondial avec un suivi approprié. Le mandat devrait couvrir un système de monitoring relatif à l’impôt des grandes sociétés là où elles génèrent des bénéfices et de la valeur. Les préparations de cette conférence devront aussi être élaborées en consultation avec les syndicats et la société civile. EPSU de concert avec sa fédération internationale PSI serait tout à fait disposée à y contribuer.

Cette demande d’un forum mondial pour la fiscalité est soutenue par le parlement européen – cf. rapport sur les rescrits fiscaux et autres mesures similaires par leur nature ou par leur effet, Commission Taxe 2 présidée par M. Lamassoure http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+REPORT+A8-2016-0223+0+DOC+PDF+V0//FR cf. p 15)

Notre fédération internationale, l’ISP, ainsi que de nombreuses ONG travaillent sur sa mise en place. À ce titre, elles ont mis en place une Commission indépendante pour la réforme de l’impôt international sur les sociétés (ICRICT) pour permettre de présenter, sur la scène internationale, des visions politiques alternatives essentielles et crédibles.

L’ICRICT est présidée par l’ancien Secrétaire général adjoint des NU José Antonio Ocampo et inclut, parmi d’autres, les Commissaires Joseph Stiglitz et Eva Joly. L’ICRICT a organisé des sessions à Addis-Abeba, Ethiopie, en amont de la Conférence ministérielle sur le financement du développement, et elle a fait pression en faveur de l’inclusion d’une instance fiscale mondiale dans le texte de la conférence. La Commission se penche aussi sur une répartition plus juste des droits fiscaux entre le pays d’origine et le pays de résidence, sur les rapports publics pays par pays des multinationales, ou encore sur l’obligation pour les entreprises de déclarer officiellement où elles placent leur patrimoine financier. Pour plus d’information http://www.icrict.org

Bien que cette instance n’ait pas encore été établie, les pressions exercées ont le mérite de lancer le débat. A ce titre la résolution parlementaire émanant du GDR sera tout à fait utile.

2° Appelle le Gouvernement à s’engager en faveur d’une définition large, objective et sans exception de la notion de paradis bancaire, fiscal et judiciaire dans les négociations internationales auxquelles il participe à ce sujet, notamment au niveau européen ;

Les paradis fiscaux ne sont pas un simple dysfonctionnement de notre système capitaliste financier européen, ils en sont un rouage essentiel qui finance des activités licites et illicites. Le problème est bien connu, manque la volonté politique d’y mettre fin. À titre d’exemple, sur le blog du Commissaire pour la fiscalité Pierre Moscovici https://ec.europa.eu/commission/2014-2019/moscovici/blog/quoi-sert-une-liste-de-paradis-fiscaux_en on peut lire « Quelle quantité de richesse est stockée dans les paradis fiscaux ? Certaines estimations font état de plus de 17 000 milliards d’euros. Soit davantage que le PIB de toute l’Union des 28 - 14 000 milliards d’euros - qui n’est pourtant rien moins que le premier pôle économique mondial. Devant la Chine, devant les Etats-Unis, devant même l’Europe, la première puissance économique internationale serait donc en fait la zone grise dessinée sur nos cartes par le cumul des juridictions non coopératives »

Depuis 2012 nous demandons une définition commune, globale, objective des paradis fiscaux afin de les éradiquer. Cette définition doit être plus large que celle de l’OCDE et comprendre non seulement des critères de transparence et de coopération entre états, mais également tenir compte des régimes fiscaux nuisibles y compris des taux d’imposition 0 pour les non-résidents, de la part du secteur financier dans le PIB.

Dans sa proposition de blacklist publique des paradis fiscaux de juin dernier, la Commission européenne a repris ces critères d’identification (sauf le dernier précité), malheureusement cette liste ne s’appliquera qu’aux pays tiers de l’UE et n’est pas accompagnée de sanctions, ce qui augure mal de leur effectivité. Or, sselon l’économiste français Zucman la richesse cachée des nations provient en majorité de riches individus européens et seules des mesures contraignantes peuvent changer la situation actuelle.

Nous demandons des sanctions commerciales y compris dans le cadre des accords bilatéraux commerciaux de l’UE (proposition de Zucman), une interdiction d’octroi des marchés publics ; il faut aussi songer à des mesures incitatives pour les pays ou les territoires les plus pauvres qui dépendent exclusivement ou principalement de l’ industrie financière par exemple définir un mécanisme financier afin de soutenir une transition vers une économie soutenable et non nuisible à l’intérêt général… à l’instar de la transition d’une économie polluante vers une économie non carbonée.

Par ailleurs, la « blacklist » européenne doit être séparée et indépendante du projet de directive sur le reporting public pays par pays.

3° Alerte le Gouvernement sur l’urgence de l’élaboration d’une norme européenne, voire mondiale, de transparence fiscale à l’égard des multinationales, assorties de sanctions afin de lutter efficacement contre l’érosion des bases fiscales ;

La transparence doit être la règle, non pas le secret fiscal, si ce dernier a été mis à mal à travers l’automaticité de l’échange d’informations financières il n’a pas complètement disparu, notamment par le biais des sociétés écrans.

EPSU demande la mise en place du reporting public pays par pays c’est-à-dire l’obligation pour les multinationales de publier les données relatives aux impôts dont elles doivent s’acquittent dans les pays où elles exercent leurs activités.

Le projet de directive européenne d’avril 2016 sur la publication d’informations par les multinationales doit être amélioré pour que l’obligation de transparence s’applique à l’ensemble des multinationales dans tous les pays pas seulement dans l’UE ; par définition un reporting efficace doit être global. Il est soumis à la codécision avec le Parlement ce qui nous permettra, nous l’espérons, d’améliorer le texte car cette instance s’est prononcée plusieurs fois en faveur d’un reporting public. Nos propositions d’amendements sont reprises dans la lettre ci-jointe envoyée au Ministre Sapin par l’un de nos affiliés français (UNSA).

Les citoyens et contribuables sont en droit d’attendre que toutes les entreprises paient leur juste part d’impôts. L’obligation de transparence est précisément l’un des meilleurs moyens de contrôler efficacement que les multinationales n’abusent pas des différences de législations nationales pour éviter de payer leurs impôts là où la richesse est créée. Le manque de moyens des administrations fiscales requiert, dans un premier temps, des pressions citoyennes et syndicales constantes pour lever les verrous de Bercy de ce monde.

La transparence est importante pour les syndicats dans le cadre de leurs droits à la négociation collective, comment négocier si on ne connait pas les bénéfices réels des entreprises ? Le reporting public joue aussi un rôle essentiel dans la responsabilité sociale de l’entreprise. Les bonnes entreprises citoyennes paient leurs impôts. La récente vague de pertes d’emplois qu’a connue l’Europe démontre les liens étroits qui existent entre la restructuration des entreprises et une planification fiscale agressive. Un reporting public donnera aux travailleurs et à leurs représentants une vue d’ensemble de la santé économique de leur entreprise qui leur permettra d’anticiper et de gérer le changement dans un dialogue constructif avec la direction. Ces droits à l’information et à la consultation sur l’activité économique de l’entreprise sont la pierre angulaire du modèle social européen, inscrits dans la Charte européenne des droits fondamentaux et dans le droit européen.

Elle est aussi essentielle pour les entreprises elles-mêmes, pour améliorer leur image et renforcer la confiance des travailleurs, des consommateurs et des investisseurs. Certaines études montrent qu’une entreprise transfrontalière verse en moyenne 30 % d’impôts en moins qu’une entreprise active dans un seul pays ce qui fausse la concurrence, se traduit par une perte d’emplois au sein de l’UE et entrave un développement durable.

En ce qui concerne la France, nous regrettons la décision du Conseil constitutionnel rendue le 8 décembre dernier sur la loi « Sapin 2 », qui a censuré les dispositions concernant le « reporting public pays par pays ». Il nous parait pour le moins étrange d’invoquer la liberté d’entreprendre ce qui revient à légitimer l’évasion comme partie intégrante de « l’identité constitutionnelle » de la France. Il nous semble pourtant que la lutte contre l’évasion fiscale doit prévaloir sur la liberté d’entreprendre, et dès lors que l’évasion fiscale est pratiquée essentiellement pas des grands groupes elle va à l’encontre du principe constitutionnel de l’impôt progressif et de l’égalité devant l’impôt.

Par ailleurs, l’obligation de reporting public pour le secteur bancaire n’a pas posé de problème majeur au secteur, comme l’a reconnu en juin 2015 devant le Parlement européen Christian Comolet-Tirman, directeur des affaires fiscales chez BNP Paribas.

4° Demande que la Commission européenne, le Conseil européen et le Parlement européen œuvrent à l’élaboration d’une norme de transparence commune quant aux rescrits fiscaux, permettant aux citoyens d’avoir accès aux informations importantes de ces accords entre les administrations fiscales et les entreprises, sur tout le territoire de l’Union européenne ;

Suite au scandale des Luxleaks en novembre 2015, il nous semblerait naturel que les rescrits fiscaux dont la seule raison d’être est de baisser secrètement et de façon discriminatoire l’impôt des sociétés sans contreparties sociales ou économiques soient toute simplement interdits.

Le parlement européen a pour sa part considéré que les états membres avaient violé un certain nombre d’articles des traités européens et de directives http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+TA+P8-TA-2015-0408+0+DOC+PDF+V0//FR .

Enfin, la Commission, après en avoir fait la promotion, considère que certaines formes de rescrits fiscaux contreviennent aux règles sur les aides d’Etat notamment dans le cadre de l’enquête sur McDonald’s.

Par ailleurs, le procès qui vient de s’achever des lanceurs d’alerte Luxleaks a révélé que les rescrits fiscaux au Luxembourg ne reposeraient pas non plus sur une base juridique solide dans le Grand Duché.

À défaut de les interdire, nous sommes en faveur, comme première étape, de permettre aux citoyens l’accès aux informations sur les rescrits fiscaux, une proposition qui n’a d’ailleurs pas été reprise par la Commission et le Conseil, préférant se limiter à une obligation d’échange automatique d’informations sur les rescrits fiscaux (directive sur la coopération administrative. 2016). C’est pourquoi nous demandons que les rescrits fiscaux figurent dans le projet de directive d’avril dernier sur le reporting public.

Pour ce qui est de la directive sur la coopération administrative, nous demandons que les États membres renforcent les effectifs de leurs administrations fiscales. L’échange automatique d’informations entraînera la nécessité de traiter un volume important de données. Pour être efficace les administrations fiscales ont besoin de beaucoup plus de ressources humaines et matérielles pour analyser les données. Le Parlement européen demande aussi un suivi méticuleux de la mise en œuvre au niveau national, en particulier afin de vérifier combien d’États membres sollicitent des informations fiscales à travers des traités fiscaux bilatéraux plutôt que sur cette nouvelle base légale.

Un rapport d’Eurodad démontre que les rescrits fiscaux seraient en pleine croissance depuis les luxleaks et ce y compris au Luxembourg.

5° Demande à la Commission européenne, le Conseil européen et le Parlement européen de débattre des conséquences à long terme de la concurrence fiscale sur l’intérêt général, l’environnement et le bien-être des populations et de déterminer les dispositions à prendre pour mettre en place une véritable coopération fiscale européenne ;

EPSU soutient cette demande, la concurrence fiscale est une harmonisation européenne par défaut et un obstacle majeur à une fiscalité juste et coordonnée à l’échelon européen. Le lien entre la fiscalité et dépenses publiques pour l’intérêt général et la redistribution des richesses est essentiel d’une part pour légitimer l’impôt direct, progressif ( IS, impôt sur les revenus, sur les grandes fortunes, sur le patrimoine) qui actuellement se laisse allègrement distancer par l’impôt indirect, injuste, de type TVA ; d’autre part pour démontrer l’injustice et l’immoralité de l’évasion fiscale, les supers riches et les sociétés aux bénéfices mirobolants profitant aussi des services publics et des biens communs mais refusant de participer à leur financement… et ce aussi dans un but purement commercial car ce sont ces mêmes entreprises qui absorbent peu à peu ces services publics.

Vous trouverez plus d’information dans un rapport EPSU « Pourquoi nous avons besoin des dépenses publiques », disponible en français http://www.epsu.org/article/why-we-need-public-spending. En bref, ce rapport soutient que pendant plus de 100 ans, l’augmentation des dépenses publiques a joué un rôle dans la croissance économique. Ces dépenses financent la moitié des emplois déclarés de par le monde, y compris dans le privé. Elles permettent de fournir plus efficacement et économiquement que le secteur privé des services (les soins de santé par exemple) et des biens collectifs (les énergies renouvelables).

Les dépenses publiques contribuent grandement à l’accroissement de l’égalité, non seulement grâce aux prestations sociales, mais aussi grâce aux services publics. Les dépenses supplémentaires peuvent aisément être financées, dans tous les pays, par une fiscalité juste. Pour financer et offrir des services, les dépenses et les emprunts publics sont bien plus efficaces que les partenariats public-privé ou la privatisation.

6° Propose au Gouvernement d’agir au sein des instances européennes pour instaurer un statut européen protecteur pour les lanceurs d’alerte, afin que l’alerte puisse être effectuée dans des conditions favorables sur tout le territoire de l’Union européenne.

Le procès en cours des anciens employés de PWC, M, Deltour et M. Halet qui ont révélé le scandale des Luxleaks rappelle l’urgence de mettre en place un cadre juridique européen. Nous déplorons que les lanceurs d’alerte qui fournissent dans l’intérêt général des informations essentielles sur certaines pratiques, licites ou illicites, puissent faire l’objet de poursuites judiciaires et subir de graves répercussions sur le plan personnel et économique. Nous demandons la relaxe de M. Deltour et M. Halet http://www.epsu.org/article/whistleblowing-not-crime-epsu-luxembourg-support-luxleaks-defendants

En coopération avec la fédération européenne des cadres, Eurocadres, la fédération européenne des journalistes, la CES, et avec le soutien d’ONG telles que Transparency International, Oxfam etc nous avons lancé une pétition demandant à la Commission de soumettre un projet de directive pour un statut protecteur des lanceurs d’alerte qui pourrait reposer sur les articles du TFUE relatifs aux droits des travailleurs, couvrant aussi bien le secteur public que privé, et basé sur la recommandation du Conseil de l’Europe https://whistleblowerprotection.eu/. Fin de l’année dernière, la Commission européenne a annoncé qu’elle allait lancer une consultation publique et une évaluation d’impact prochainement sur la pertinence d’une initiative européenne.

Les syndicats ont un rôle important à jouer dans la lutte contre la corruption et pour la protection des lanceurs d’alerte pour éviter toute forme de représailles par des employeurs peu scrupuleux, cf. rapport de recherche sur les cadres juridiques existants et les améliorations à y porter, novembre 2016 http://www.epsu.org/article/whistleblowers-study-international-day-against-corruption

Le parlement européen s’est aussi prononcé en faveur d’un statut protecteur européen des lanceurs d’alertes dans le cadre de ses travaux au sein de la Commission TAXE 1 et 2.

Par ailleurs, dans le cadre du dialogue social européen pour les gouvernements centraux, nous avons négocié en 2012 un accord autonome européen qui prévoit la protection des agents publics qui dénoncent des faits allant à l’encontre de la mission de service public. cf http://www.epsu.org/article/european-framework-agreement-eupaetuned-quality-service-central-government-administrations. Le projet de loi déontologie dans la fonction publique reprend cet accord dans son préambule.

© Assemblée nationale

1 () Rapport de l’Assemblée nationale n°1423 de MM. Alain Bocquet et Nicolas Dupont-Aignan, déposé par la Commission des affaires étrangères à la suite d’une mission d’information.

2 () Rapport du Sénat n° 673 de juillet 2012 de M. Éric Bocquet, fait au nom de la Commission d’enquête sur l’évasion fiscale des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales.

3 () Toutefois, la fiscalité française sur les sociétés demeure difficilement appréciable de manière générale du fait de l’étroitesse relative de l’assiette, de nombreuses dérogations fiscales ou de l’existence de taux réduits pour certaines catégories d’entreprises en fonction de leur taille.

4 () Survival of the Richest : comment l’Europe soutient un système fiscal international injuste, décembre 2016.

5 () « En vertu du principe de coopération loyale, l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités (…) Les États membres facilitent l’accomplissement par l’Union de sa mission et s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union. »

6 () Après la publication du rapport de l’OCDE, « Concurrence fiscale dommageable. Un problème mondial », 1998. Ce forum contribue notamment à l’élaboration des standards internationaux en matière de lutte contre les pratiques fiscales dommageables.

7 () Projet OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices. Exposé des actions 2015.

8 () COM(2016) 198 final.

9 () Directive du Conseil établissant des règles pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale qui ont une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur.

10 () Rapport d’information n° 3751 du 17 mai 2016 sur le paquet « anti-évitement fiscal » de la Commission européenne.

11 () Les discussions sur cette question n’ont pas permis de dégager un consensus lors des négociations sur le projet de directive. Le texte adopté n’a donc pas retenu les dispositions proposées par la Commission européenne s’agissant de la clause de switch-over. Il est toutefois fort probable que le sujet sera abordé au cours des discussions relatives aux récentes initiatives introduites, en matière fiscale, par la Commission européenne.

12 () À partir des infographies réalisées par la Commission européenne.

13 () À partir des infographies réalisées par la Commission européenne.

14 () Conclusions du 8 novembre 2016, FISC 187, ECOFIN 1014.

15 () L’organisation non-gouvernementale Oxfam a ainsi découvert que les multinationales américaines avaient déclaré 80 milliards de dollars de bénéfices aux Bermudes en 2012, soit plus que les bénéfices déclarés au Japon, en Chine, en Allemagne et en France cumulés.

16 () Votre rapporteur signale que la commission européenne a lancé une consultation publique « sur les mesures destinées à dissuader les conseillers et intermédiaires de proposer des dispositifs d’optimisation fiscale potentiellement agressifs » pour une période allant du 10 novembre 2016 au 16 février 2017.

17 () Proposition de directive du Conseil concernant une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, COM(2011) 121 final.

18 () Au sein de l’Union européenne, les États membres appliqueront cette obligation à partir de 2017 (cf. COM (2016) 25 final).

19 () Voir notamment l’article 7 de la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires.

20 () Le seuil de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel consolidé est ainsi le critère retenu dans les travaux européens (voir notamment la directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la communication, par certaines entreprises et succursales, d’informations relatives à l’impôt sur les bénéfices) comme dans la plupart des travaux réalisés au niveau national (voir notamment les textes adoptés en France).

21 () Loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016.

22 () Le Conseil constitutionnel a considéré que les modalités de la déclaration publique prévue par l’article 137 étaient, en l’espèce, contraires à la Constitution (cf. Décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016).

23 () Voir notamment l’exposé des motifs de la proposition de directive du 12 avril 2016, COM (2016) 198 final.

24 () Lettre commune de MM. George Osborne, Wolfgang Schäuble, Michel Sapin, Pier Carlo Padoan et Luis de Guindos Jurado du 14 avril 2016.

25 () Cf. Article 11 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

26 () Cf. Décision n° 2016-591 QPC du 21 octobre 2016, (Mme Helen S.).

27 () Principalement à travers les compléments apportés au dispositif européen en la matière lors des différentes révisions de la directive (UE) 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

28 () En l’espèce, il s’agit notamment de définir si les registres doivent être accessibles à tous ou leur accès limité aux personnes ayant un « intérêt légitime » à les consulter. Les travaux du Parlement européen sur cette question devraient s’achever au plus tard au début du mois de février prochain et les négociations en « trilogue » commencer après.

29 () Cf. Rapport de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen sur le rôle des lanceurs d’alerte dans la protection des intérêts financiers de l’Union européenne (2O16/2055(INI)) de M. Dennis de Jong.

30 () Il s’agit, pour mémoire, de la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes.

31 () « souligne que la définition de la dénonciation inclut la protection de ceux qui divulguent des informations en étant convaincus que ces informations sont correctes au moment de leur divulgation, y compris lorsque ces révélations s’avèrent inexactes, mais sont faites en toute bonne foi », point n° 2 de la résolution précitée.

32 () Ces questions ont notamment fait l’objet de débats nourris à l’Assemblée nationale comme au Sénat dans le cadre des discussions sur la loi « Sapin II » et ne manqueront pas de se poser au niveau européen.

33 () Avis présenté au nom de la section de l’économie et des finances sur les mécanismes de l’évitement fiscal, leurs impacts sur le consentement à l’impôt et la cohésion sociale, M. Antoine Dulin.

34 () D’un régime avec cinq ans d’emprisonnement et 750 000 euros, on passe à un régime où la peine encourue peut aller jusqu’à sept ans d’emprisonnement et deux millions d’euros d’amende.

35 () Dans son avis de décembre 2016 précité, le CESE indique que cette proposition a notamment été formulée par M. Marc Wolf, ancien directeur adjoint de la direction générale des impôts.

36 () Pour mémoire, le Conseil constitutionnel a censuré, dans une décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, une disposition de la loi de finances pour 2014 (article 96) prévoyant l’introduction d’une obligation similaire de déclaration des « schéma[s] d’optimisation fiscale ». Les motifs de la censure sont précisés dans la décision du Conseil constitutionnel.

37 () Cf. Rapport d’information n° 1243 du 10 juillet 2013 de MM. Pierre-Alain Muet et Éric Woerth sur l’optimisation fiscale des entreprises dans un contexte international.

38 () Cf. Décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013 relative à la loi de finances pour 2014.

39 () Il convient d’ailleurs de souligner que les organisations non-gouvernementales ont pris les devants en se constituant dès 2003 en un réseau international dénommé « Tax Justice Network » (réseau pour une justice fiscale).

40 () Ces 14 banques géraient des encours de produits dérivés représentant pratiquement 10 fois le PIB mondial en 2013 et concentraient en elles 98% de cette gestion financière très particulière.

41 () Voir notamment notre dernier ouvrage : « L’hydre mondiale, l’oligopole bancaire », Lux 2015.

42 () Le chiffre 1000 mds € comprend la fraude, l’évasion et la dette fiscales. Il provient d’un rapport publié en 2012 par un chercheur britannique, Richard Murphy, pour le groupe S&D au parlement européen. Cette estimation a par la suite été reprise par la Commission européenne et le Parlement.