Les missions d'observation électorale

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A la fin des années 80, un nombre important de pays s'efforçaient de mettre en place des institutions démocratiques. L'Assemblée nationale a alors été saisie par certains d'entre eux de demandes tendant à l'organisation de missions d'observation de leurs opérations électorales.

  • Les principes de base.
    En octobre 1988, après l'envoi d'une mission, à l'occasion du plébiscite organisé au Chili sur la candidature du général Pinochet à la Présidence de la République, le processus à respecter a fait l'objet, le 21 juin 1989, d'une décision de principe du Bureau de l'Assemblée. Les critères retenus pour apprécier l'opportunité de telles missions sont les suivants :
    - l'exigence d'une demande formelle ;
    - le caractère exceptionnel des élections, du fait notamment de « l'importance politique du pays » ;
    - la nécessité d'un avis du ministère des affaires étrangères ;
    - la garantie de pouvoir suivre sur place et sans contrainte le déroulement des élections.
    L'exigence d'une demande.
    Dans la pratique, l'Assemblée nationale est sollicitée soit directement, sous la forme d'une correspondance adressée à son Président par les autorités gouvernementales ou parlementaires en place dans le pays concerné, par le Président de la Commission électorale, par les partis politiques au pouvoir ou d'opposition qui participent au scrutin, soit par l'intermédiaire du Ministère des Affaires étrangères qui relaie une demande officielle transmise à l'Ambassade de France sur place ou émanant d'organisations internationales chargées de coordonner le processus électoral : ONU, Organisation des États américains, Union Européenne, OSCE ou Conseil de l'Europe.
    L'importance politique du pays.
    Cette notion, dans la majeure partie des cas, a été prise en compte. C'est un fait que les processus engagés au Chili en 1988 et 1989, en Namibie en 1989, en Haïti de 1990 à 1995, au Nicaragua en 1990, en Roumanie en 1990 et 1992, au Salvador et en Ukraine en 1991, en Afrique du Sud et au Mozambique en 1994, de même qu'au Bénin en 1991, au Mali, au Togo ou au Burkina Faso en 1992, au Sénégal et au Cambodge en 1993, en Russie de 1993 à 1996, ou dans les Territoires autonomes palestiniens en 1996, concernaient des pays dont la situation géopolitique avait largement de quoi justifier l'intérêt de la communauté internationale ou francophone.
    L'avis du ministère des affaires étrangères.
    L'avis du Ministère des Affaires étrangères et celui de l'ambassade de France dans le pays demandeur ont été systématiquement sollicités. Leurs avis défavorables ont été généralement suivis d'effet. Par contre, des avis favorables n'ont pas entraîné automatiquement l'envoi d'une mission, dès lors que le Président de l'Assemblée nationale et la Délégation du Bureau estimaient celle-ci inopportune, ou s'ils considéraient que le processus de transition démocratique était achevé, comme ce fut le cas pour les élections générales en Roumanie en 1996.
    La garantie de contrôle des opérations de vote sur place.
    Est considérée comme essentielle la possibilité de suivre matériellement le déroulement des élections ou, le cas échéant, la seule campagne électorale, lorsque la Délégation préfère privilégier cette période, considérant que l'autorité internationale chargée de l'organisation du processus électoral est apte à garantir la bonne marche des opérations de vote. Une collaboration avec l'ambassade de France sur place est nécessaire, la délégation parlementaire ayant à prendre des contacts avec les forces politiques en présence. La qualité du certificat de bonne démocratie donné par les parlementaires qui acceptent d'assurer une telle mission dépend « de la possibilité pour ceux-ci de se déplacer sans contrainte dans le pays visité et de rendre publics, dans les plus brefs délais, les commentaires que leur inspire le déroulement de la mission d'observation », comme l'écrivait, à l'automne 1996, le Ministre des Affaires étrangères en réponse à une lettre du Président de la Délégation.
  • L'appréciation de la situation concrète.
    La nature du scrutin.
    Lorsqu'un pays entame un processus de démocratisation, il n'est pas rare que se succèdent trois types d'élections, avec parfois deux tours de scrutin : référendum d'indépendance ou constitutionnel, élection présidentielle, élections législatives. Dans la mesure où l'on ne pouvait songer à envoyer des observateurs à tous les scrutins faisant l'objet d'une demande, un tri s'est opéré au bénéfice des élections jouant un rôle essentiel dans l'installation d'une démocratie.
    La Délégation du Bureau a toujours donné un avis favorable à la présence d'observateurs lors des référendums sur l'indépendance d'un État, compte tenu de leur solennité et de leur importance pour l'avenir du pays. Des députés français ont ainsi observé la consultation référendaire sur l'avenir de l'Arménie, en novembre 1991, sur l'indépendance de l'Ukraine en novembre 1991 et sur l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine en mars 1992.
    L'utilité d'observateurs pour un référendum constitutionnel a été appréciée au cas par cas. S'agissant de scrutins très disputés, dont la fraude risquait fort d'entacher le résultat, l'envoi d'une mission d'observation s'est imposé. Des délégations parlementaires ont été ainsi présentes pour le référendum constitutionnel du Chili en octobre 1988, pour l'élection de l'Assemblée constituante de Namibie en octobre 1989, pour l'élection de la Commission constitutionnelle aux Seychelles en juillet 1992, pour le référendum constitutionnel au Togo en septembre 1992, pour le référendum qui accompagnait les élections législatives et municipales en Russie en décembre 1993, et pour le référendum constitutionnel au Tchad en mars 1996.
    S'agissant d'élections présidentielles et législatives, la présidence de l'Assemblée nationale et la Délégation du Bureau ont très fréquemment accepté le principe d'une mission. Il n'en a pas été de même pour les seconds tours des scrutins en cause.
    La présence d'autres observateurs.
    La présence d'observateurs étrangers parlementaires, aux côtés d'observateurs non parlementaires, tels que diplomates, juristes, membres d'organisations internationales ou d'ONG, est également un élément d'appréciation.
    Dans les pays avec lesquels la France entretient des relations bilatérales privilégiées -en particulier l'Afrique francophone-, la présence d'autres observateurs étrangers encourageait l'envoi d'une mission française. Par contre, lorsque la France avait participé à l'organisation d'élections et à son financement, et qu'elle était la seule à avoir été sollicitée, il paraissait contestable de répondre positivement, dans la mesure où l'ancienne puissance coloniale ou le partenaire privilégié pouvait être accusé d'ingérence par telle ou telle partie de la population.
    Dans les pays avec lesquels les relations bilatérales sont moins étroites, la présence d'observateurs étrangers a joué un rôle sur la décision d'envoi d'une mission, selon que l'on estimait qu'il convenait de renforcer la présence de la France dans l'État concerné ou, au contraire, qu'une participation au processus d'observation était d'autant moins nécessaire que d'autres pays s'en chargeaient, comme ce fut le cas pour les élections présidentielles au Kenya en décembre 1992.
    Conditions requises pour le déroulement d'élections libres.
    Pour décider de l'envoi d'une mission d'observation, il convient enfin d'être assuré qu'un certain nombre de conditions nécessaires au déroulement d'élections libres et transparentes sont potentiellement réunies, eu égard à l'état de développement politique, économique et social du pays mis en cause.
    Au nombre de ces conditions, on peut citer :
    - l'existence d'un suffrage universel ;
    - la présence de plusieurs partis politiques et la reconnaissance des droits des opposants politiques ;
    - la reconnaissance de la liberté de la presse et le libre accès aux médias.
  • Le principe « un homme, une voix » doit être respecté et la population du pays appelée à voter sans exclusion ethnique ou territoriale, ce qui pose le problème des États où sévit une guerre civile et où, de ce fait, les élections ne peuvent avoir lieu sur la totalité du territoire. Ainsi, l'Assemblée nationale n'a pas envoyé de missions d'observation des élections en Angola en septembre 1992, ou à Djibouti en décembre 1992. Elle a par contre envoyé une mission au Salvador en 1991, pour les élections législatives et municipales, alors que les actions de guérilla se poursuivaient. Si les bureaux de vote n'avaient pu être mis en place dans les zones contrôlées par le Front Farabundo Marti pour la libération nationale (FMLN), une trêve de trois jours, comme l'a constaté la délégation, avait été proclamée par le FMLN, qui fit en sorte que la population puisse voter dans les villages des zones voisines sous contrôle du gouvernement. Dans ce cas, la présence d'observateurs internationaux s'est avérée particulièrement positive et de nature à garantir la liberté de scrutin.
  • L'existence de partis politiques, la reconnaissance du multipartisme, la participation de ces partis à l'élection et la liberté d'aller et de venir des opposants politiques doivent bien sûr être garanties. Aussi, lorsqu'un certain nombre de partis politiques ou d'associations appellent au boycott des élections ou en demandent le report afin d'être en mesure de faire campagne, la question de l'opportunité ne manque pas de se poser.
    Il convient alors d'examiner avec attention la situation dans l'État concerné, étant entendu que si le boycottage du scrutin est le fait de la plupart des partis politiques, le risque existe de cautionner des élections suspectes. C'est ainsi que le Bureau de l'Assemblée nationale a considéré, après un avis initial favorable, qu'il ne convenait pas d'envoyer d'observateurs pour les élections législatives de Mauritanie en mars 1992, le principal parti d'opposition boycottant ces élections en raison de fraudes massives constatées, selon lui, lors de l'élection présidentielle qui avait eu lieu deux mois auparavant. Les députés chargés d'observer ce dernier scrutin avait émis des réserves sur les conditions techniques du vote et notamment sur la mauvaise tenue des listes électorales, sans contester pour autant, notamment en raison de la grande liberté de la presse, la victoire du chef de l'État sortant.
    Par contre, en dépit des précautions prises, une délégation de l'Assemblée s'est trouvée dans une situation difficile lors de l'élection présidentielle au Togo, en août 1993, le candidat de la principale formation d'opposition ayant annoncé la « suspension de sa participation à l'élection » et les membres de la Commission électorale nationale appartenant à l'opposition ayant démissionné le jour de l'arrivée à Lomé de la délégation.
  • L'existence d'une presse indépendante et pluraliste est également significative de la volonté d'un État d'engager un véritable processus démocratique. S'il apparaît nettement que la liberté de la presse n'est pas garantie, que l'information de la population est tronquée par la limitation des possibilités d'expression de l'ensemble des parties, les élections, même opérées dans le calme, risquent d'être contestées et les observateurs peuvent se trouver pris en porte-à-faux. Ils courent le risque d'avoir à admettre la légitimité du résultat, tout en constatant l'absence d'une presse pluraliste et l'inégal accès des candidats aux moyens d'information.