Henry Chéron

1867 - 1936

Informations générales
  • Né le 11 mai 1867 à Lisieux (Calvados - France)
  • Décédé le 14 avril 1936 à Lisieux (Calvados - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Troisième République - Chambre des députés
Législature
IXe législature
Mandat
Du 6 mai 1906 au 31 mai 1910
Département
Calvados
Groupe
Gauche démocratique
Régime politique
Troisième République - Chambre des députés
Législature
Xe législature
Mandat
Du 24 avril 1910 au 20 juillet 1913
Département
Calvados
Groupe
Gauche radicale

Mandats au Sénat ou à la Chambre des pairs

Sénateur
du 1er janvier 1913 au 1er janvier 1936

Biographies

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940 (Jean Jolly)

Né le 11 mai 1867 à Lisieux (Calvados), mort à Lisieux, le 14 avril 1936.

Député du Calvados de 1906 à 1913.
Sénateur du Calvados de 1913 à 1936.
Sous-Secrétaire d'Etat à la Guerre de 1906 à 1909 puis à la Marine de 1909 à 1910.
Ministre du Travail en 1913, de l'Agriculture de 1922 à 1924, du Commerce et de l'Industrie en 1928, des Finances de 1928 à 1930 et en 1932, de la Justice de 1930 à 1931 et en 1934.

Issu d'une famille modeste - son père était représentant de commerce- Henry Chéron se fit préparateur en pharmacie pour pouvoir poursuivre des études de droit. Les succès qu'il remporta comme avocat au barreau de sa ville natale renforcèrent une popularité que son affabilité et sa jovialité avaient suffi à faire naître. Dès 27 ans, il était maire de Lisieux - il l'était encore à sa mort - apprécié de ses administrés avec lesquels il aimait s'entretenir familièrement et ayant déployé en faveur de sa ville une inlassable activité. Il fut un des premiers maires normands à appliquer aux débits de boissons les limitations autorisées par la loi de 1880 et, pour permettre aux Lexoviens de se procurer de la viande à meilleur marché, à un moment où le prix de la vie était préoccupant, ouvrit une boucherie municipale. Représentant ses compatriotes au Conseil général du Calvados, dont il devint président en 1911, et qu'il présidait encore en 1936. il ne réussit pourtant jamais à les convaincre de faire de lui leur député : quoique modérées, ses opinions leur paraissaient éloignées du strict conservatisme qui avait leurs préférences. A quatre reprises, il sollicita en vain leurs suffrages, s'opposant en 1893 au député sortant, le comte de Colbert-Laplace, puis en 1896, 1898 et 1902 à Henri Laniel qui occupa, puis conserva sans peine le siège du comte, décédé. Découragé enfin, malgré son optimisme naturel et son opiniâtreté, Chéron, se pliant aux circonstances, alla se présenter dans la 1re circonscription de Caen, c comme républicain et comme démocrate, ennemi de tous les fanatismes » et, le 6 mai 1906, ayant obtenu au premier tour de scrutin 7.629 voix contre 4.492 qui allèrent à son principal adversaire, Lepage, sur 14.278 votants, il força enfin les portes du Parlement.

Il allait y rester jusqu'à sa mort. Il fut en effet réélu le 24 avril 1910, par 8.968 voix contre 4.894 à M. Séjourné, sur 14.295 votants au premier tour de scrutin ; puis la mort de M. Tillaye, sénateur du Calvados, lui fut une occasion d'entrer au Sénat, le 20 juillet 1913, ayant obtenu au premier tour de scrutin 628 suffrages sur 1.127 votants. Il fut réélu le 9 janvier 1921 par 818 voix sur 1.124 votants, et le 20 octobre 1929 (renouvellement du 14 janvier 1930) par 1.029 suffrages sur 1.140 votants, toujours au premier tour de scrutin.

Dès le 25 octobre 1906, il fut appelé au sous-secrétariat d'Etat à la Guerre, dans le premier Cabinet Clemenceau ; à ce poste, il s'employa à améliorer les conditions de la vie des troupiers, ce qui le fit passer à leurs yeux pour une « bonne fée barbue ». Il demeura sous-secrétaire d'Etat dans le premier Cabinet Briand, abandonnant la Guerre pour la Marine, où il s'occupa de réorganisation administrative et s'efforça de mettre fin, par la conciliation, à une grève des inscrits maritimes.

Le 2 novembre 1910, le Cabinet ayant été renversé, Chéron se retrouva simple député. Inscrit au groupe de la gauche radicale, il déposa cinq propositions de loi, d'inspiration sociale, dont l'une signée également par Marcel Sembat. On lui confia le rapport supplémentaire pour le budget du travail de l'exercice 1911; mais la Commission du budget, mettant à profit son inépuisable capacité de travail, le chargea aussi de rapporter d'innombrables projets financiers et le choisit pour présenter le rapport général sur les budgets de 1911, 1912 et 1913. Au nom de la Commission, ou à titre personnel, il intervint très fréquemment, comme il n'allait plus cesser de le faire tout au long de sa carrière notamment dans tous les débats budgétaires ou financiers. Mais il prit aussi une part très active aux discussions de la loi du 27 février 1912 sur les retraites ouvrières et du projet relatif aux habitations à bon marché. Abordant le domaine de la politique générale, il présenta et défendit, le 23 janvier 1913, un ordre du jour de confiance en faveur du Cabinet Briand.

Le 22 mars 1913, Barthou le choisit comme Ministre du Travail et de la Prévoyance sociale. En cette qualité, il songe à protéger les petits épargnants et crée une commission dont les travaux prépareront la loi sur le contrôle des sociétés d'épargne. Il s'efforce aussi d'appliquer la loi sur les retraites ouvrières et élabore un projet sur les conventions collectives qui n'aboutira qu'après la grande guerre.

Le Cabinet Barthou est renversé le 2 décembre 1913. Chéron, élu sénateur en juillet, va attendre plus de dix ans de revenir au Gouvernement, mais, pendant ce temps, il donnera sa mesure au Sénat, où il acquerra une autorité considérable. Continuant à s'intéresser activement aux questions sociales - il dépose, par exemple, des propositions de loi en faveur des familles nombreuses - il se consacre surtout à l'étude des questions financières. Le 17 juin 1914 il expose, dans un grand discours, les principes sur lesquels il fonde - et fondera toujours - sa politique financière; mais il rapporte aussi, la même année, un projet de loi sur l'état de siège, au nom de la Commission de l'armée, où les événements vont l'amener à jouer un rôle important.

De 1914 à 1918, il apporta en effet un concours très actif à l'effort de guerre du Parlement. Il rapporta de très nombreux textes de lois, relatifs notamment à l'utilisation ou à l'affectation des hommes mobilisés ou mobilisables, aux tribunaux militaires, à l'intendance, aux ajournés et exemptés, à la titularisation des officiers engagés volontaires, à la législation des pensions. Il s'éleva vigoureusement contre les passe-droit qui maintenaient à l'arrière des hommes en âge d'aller au front, proposa de rendre obligatoire la préparation militaire, demanda la confiscation des biens des déserteurs et des insoumis. Il chercha en somme par tous les moyens à pourvoir aux besoins de l'armée en hommes et en cadres et s'efforça d'obtenir que les sacrifices fussent également répartis. Il s'occupa aussi de pallier, dans le domaine juridique et social, les conséquences de l'état de guerre, en rapportant notamment les projets intéressant les baux à loyers, les baux ruraux, l'ajournement des élections, et en intervenant dans la discussion sur la taxation des denrées alimentaires. Jaloux des prérogatives du Sénat, il obtint en 1915 la création d'une Commission chargée d'examiner les marchés passés par l'Etat. A la suite de la discussion, en comité secret, des interpellations d'Henry Bérenger et de Clemenceau, il fit adopter par le Sénat, le 23 décembre 1916, un ordre du jour faisant confiance au Gouvernement Briand pour organiser sous une direction unique l'ensemble des efforts de l'armée et du pays, Le 31 mars 1917, au retour d'une mission, il dénonça, dans un discours dont le Sénat ordonna l'affichage, les actes criminels commis par l'ennemi dans les régions occupées. Il intervint dans la discussion de textes relatifs à la mobilisation civile et aux dommages de guerre.

Cependant, toujours intéressé par les questions financières et sociales, favorable aux bouilleurs de cru, mais hostile à l'alcool de fabrication industrielle, il demanda que l'on combattît l'alcoolisme ; il déposa ou rapporta plusieurs propositions de portée sociale, en particulier celle qui étendit les capacités des syndicats.

Il eut l'honneur, en 1918, de rapporter les propositions de loi tendant à rendre hommage aux armées, à Clemenceau et à Foch, ainsi qu'à Wilson et aux alliés, et de lire à la tribune du Sénat, le jour de l'armistice, la déclaration faite en 1871 à l'Assemblée Nationale par les députés alsaciens-lorrains. En 1920, c'est aussi sur son rapport que le Sénat déclara que Poincaré avait bien mérité de la patrie.

Dès la fin des hostilités, Chéron se préoccupe de remettre en ordre, pour la paix, l'économie française, et de liquider les séquelles juridiques de la guerre avec autant de zèle qu'il en avait mis à mobiliser toutes les forces de la nation en vue de la victoire. Déposant de nombreuses propositions, rapportant des projets encore plus nombreux- notamment au sujet des pensions de guerre, civiles et militaires -, intervenant très fréquemment, prononçant des discours toujours bien documentés, habile à proposer des dispositions transactionnelles, Chéron, entre 1919 et 1922, révèle dans quelques-unes de ses interventions le fond de sa doctrine économique et de sa pensée politique. Le 18 février 1919, interpellant le Gouvernement sur la cherté de la vie, il montra qu'il pressentait l'utilité d'une documentation économique complète et précise, préconisa la réduction des dépenses publiques et privées et prêcha le retour à la rigueur budgétaire ; adepte du libéralisme économique, il voyait dans l'agriculture le moteur de l'activité économique de la France. Le 27 septembre 1919, il s'éleva contre les « coalitions de fonctionnaires formées contre l'autorité du pouvoir légal » et « devenant les cadres de la révolution sociale », et, le 29 mars 1920, il demanda au Gouvernement quelles mesures il comptait prendre « contre la propagande bolchevique ». En 1921, Chéron devient rapporteur général de la Commission des finances ; ses interventions se multiplient et c'est dans un esprit d'économie très rigoureux qu'il s'efforce de contrôler les dépenses publiques : il se vantait d'avoir proposé plus d'un milliard de compressions sur un seul budget. Il est aussi rapporteur de la Commission des marchés de l'Etat.

Lorsque, le 15 janvier 1922, Poincaré le choisit comme Ministre de l'Agriculture, il ne pouvait trouver collaborateur plus convaincu que la production agricole était la source de la richesse générale, le fondement de l'équilibre budgétaire. Chéron rétablit la liberté des exportations agricoles, protège nos produits laitiers contre la concurrence étrangère. Il veut permettre aux agriculteurs français de gagner leur vie, et désire que la France cesse de dépendre de l'étranger pour son alimentation. Les prix montent, et on le rend responsable de cette évolution qu'il impute pour sa part à l'esprit de lucre des « mercantis », sans trop se soucier qu'on le surnomme « Chéron-vie-chère ».

Il s'emploie d'ailleurs à faciliter l'électrification des campagnes, à mettre à la disposition des agriculteurs des engrais en quantité suffisante : il élabore un projet sur le régime des mines de potasse, fait voter une loi sur la fabrication de l'azote. Favorable à la création d'abattoirs coopératifs, il cherche à obtenir un abaissement des tarifs ferroviaires pour les produits agricoles ; il s'occupe de l'enseignement agricole, des chambres d'agriculture et fait étudier le problème de l'assurance contre les risques agricoles, institue un livret de prévoyance sociale. Il propose enfin de modifier les règles du Code civil sur le partage pour éviter le morcellement des propriétés.

Redevenu sénateur le 26 mars 1924, il se retrouve assidu au Sénat, et la Commission des finances le charge à nouveau de maints rapports. Sa doctrine économique ne change pas : il faut produire beaucoup et restaurer les finances publiques ; pour lui, « le blé, c'est de l'or ». Si, en juillet 1924, il apporte sa confiance au cabinet Herriot, avec celle du groupe de l'Union républicaine qui a fait de lui son président, il s'abstient, le 26 août, avec ses amis, dans le vote sur les accords de Londres. Le 18 novembre de la même année, Chéron donne une preuve de son indépendance d'esprit en proclamant à la tribune du Sénat que Malvy a été illégalement condamné ; au moment du jugement, d'ailleurs, en 1918, il s'était élevé, avec le même courage, contre la décision de la Cour de Justice.

Il retrouve, en décembre 1925, ses fonctions de rapporteur général et, le 10 août 1926, il rapporte, devant l'Assemblée Nationale, le projet de loi conférant un caractère constitutionnel à la Caisse d'amortissement. Il lui revient aussi de défendre au Sénat, en février, puis en août 1926, les projets déposés par Briand, puis par Poincaré pour créer de nouvelles ressources fiscales, et, en juin 1928, le projet de loi sur la stabilisation du franc.

Le 14 septembre 1928, Poincaré l'appelle à remplacer comme Ministre du Commerce et de l'Industrie, Maurice Bokanowski, décédé. Puis, lorsque, le 11 novembre 1928, il constitue son cinquième cabinet, il lui confie le portefeuille des Finances, que Chéron allait conserver dans le onzième cabinet Briand et dans le premier cabinet Tardieu, jusqu'au 17 février 1930. Son programme, Chéron l'explique à la Chambre le 19 novembre 1928 : il veut poursuivre la politique d'économies de Poincaré, ne pas créer d'impôts nouveaux, sauvegarder l'équilibre du budget tout en dégrevant si possible les petits commerçants et les petits agriculteurs. Convaincu que la crise de l'agriculture et celle du budget se confondent, Chéron accepte la majoration de crédits destinés aux travaux d'hydraulique et d'électrification. Il procède au rajustement des pensions de guerre et des traitements rendu nécessaire par la nouvelle valeur de la monnaie. A la suite du scandale de la Gazette du franc, il met à l'étude des dispositions propres à assurer une meilleure protection de l'épargne. Avec Aristide Briand, il défend devant le Parlement les accords de Londres et de Washington sur le remboursement des dettes françaises, ainsi que l'œuvre des négociateurs français à la conférence de La Haye sur la Banque des Règlements internationaux.

Il avait été très vivement critiqué pour avoir conservé son portefeuille dans le Ministère Tardieu, favorable à une politique de dégrèvements qu'il avait, quant à lui, jusque-là condamnée. Il assura qu'il n'accepterait rien qui compromît la stabilité financière retrouvée et il obtint le vote des mesures qu'il proposait ; mais, le 17 février 1930, alors précisément qu'il invoquait les nécessités de l'équilibre budgétaire, il posa la question de confiance et fut renversé sur une question d'importance secondaire. Quelques jours plus tard, devant le Sénat, il se défendit contre le reproche qu'on lui avait adressé d'avoir thésaurisé et constitué ce qu'on avait appelé « la cagnotte du père Gaspard ». Il se félicita d'avoir pu réduire de près de 12 milliards la dette publique en 1929, d'avoir assuré l'aisance de la trésorerie et financé des opérations utiles grâce aux plus-values budgétaires, tout en accordant des dégrèvements.

Chéron eut encore le temps de participer à la discussion de la loi de 1930 sur les assurances sociales avant d'être appelé le 17 novembre par André Tardieu à remplacer comme Garde des Sceaux Raoul Péret, mis en cause dans l'affaire Oustric. Chéron, dont nul ne contestait la probité, n'eut pas de mal à se concilier la bienveillance de la Chambre en acceptant la création d'une Commission d'enquête parlementaire et en affirmant sa volonté de procéder au « nettoyage » de certains milieux financiers et de faire sentir aux coupables toute la rigueur de la justice. Théodore Steeg lui laissa la Garde des Sceaux, qu'il abandonna le 22 janvier 1931, à la chute du Ministère.

Reprenant une fois de plus sa place et son activité au Sénat, Chéron recommença à préconiser sans se lasser la réduction du « train de vie » de l'Etat. A propos d'un projet relatif aux locataires commerçants, il se fit le défenseur des principes traditionnels du droit. Rapportant un projet sur l'élection des députés, il plaida pour le maintien du traditionnel scrutin d'arrondissement, mais il dit en même temps les craintes qu'il commençait alors à éprouver pour la démocratie, du fait des manifestations que l'extrême-droite organisait sur la voie publique. Il redoutait l'influence des « forces de l'argent », le déchaînement de la violence, et s'étonnait qu'on laissât « la jeunesse dorée » faire dans la rue « l'apprentissage de la révolte ». Il appelait de ses vœux la restauration de l'autorité de l'Etat.

Le 18 décembre 1932, Paul Boncour lui offre le portefeuille dés Finances. Soupçonnant la droite de comploter contre le régime parlementaire, et convaincu que seule une politique d'équilibre budgétaire peut restaurer les finances publiques et sauver la République, Chéron accepte, au grand scandale de ses amis politiques, d'apporter à un Gouvernement de gauche le concours de son orthodoxie financière. Il s'efforce d'abord de mesurer exactement l'étendue du déficit, prétend dire la vérité au pays, interdit provisoirement tout recrutement dans l'administration et s'apprête à lutter contre tous ceux qui « mettent au pillage les finances publiques ». Pour rétablir l'équilibre du budget, il entend recourir pour moitié à des impôts nouveaux, pour moitié à des économies. Mais il se heurte à la fois aux critiques de la droite et à l'opposition des organisations de fonctionnaires, dont il veut réduire les traitements. La Commission des finances de la Chambre bouleverse son projet. Après avoir fait front, il lâche pied et, le 28 janvier au matin, après une longue séance de nuit, il est mis en minorité.

De retour sur les bancs du Sénat, s'entend reprocher d'avoir « composé » avec les organisations de fonctionnaires. Lui, si jaloux des prérogatives parlementaires, il en vient à souhaiter que le Parlement, contre lequel les attaques se multiplient, accorde au Gouvernement les pouvoirs spéciaux pour redresser les finances publiques. Il continue à se soucier du coût de la vie, intervient pour qu'on n'augmente pas le prix du pain, se fait le défenseur des petits propriétaires et des classes moyennes, Les manifestations auxquelles donne lieu l'affaire Stavisky avivent ses inquiétudes sur l'avenir du régime, et, le 19 janvier 1934, il interpelle le Gouvernement sur les mesures qu'il compte prendre pour assurer l'ordre dans la rue et le respect des institutions républicaines et, s'élevant à la fois contre les scandales financiers et l'exploitation qu'on en fait, il fait voter à l'unanimité un ordre du jour où le Sénat « déclare compter sur le Gouvernement pour assurer la répression impitoyable des faits qui avaient ému l'opinion ».

C'est pour défendre les institutions parlementaires qu'au lendemain du 6 février 1934, il accepte la Garde des Sceaux dans le cabinet constitué par Gaston Doumergue. Il s'engage à « permettre une manifestation éclatante de la vérité », à accomplir une œuvre « de fermeté implacable » et accepte la constitution d'une commission d'enquête parlementaire. Mais devant les très vives attaques qui, à propos de l'affaire Prince, mettent en cause sa loyauté, il démissionne le 14 octobre 1934.

Il dépose presque aussitôt sept propositions de loi, que les circonstances et sa récente expérience le portent à juger urgentes : elles ont essentiellement pour objet de réglementer les manifestations de rues, de dissoudre les milices privées, de réprimer la diffamation, les fausses nouvelles et les actes tendant à entraver le fonctionnement des institutions ou des services publics. Jusqu'à la veille de sa mort, Chéron continue à participer aux travaux du Sénat, mais l'âge et sans doute surtout les attaques qui avaient été dirigées contre lui et l'avaient profondément affecté, semblent avoir un peu diminué son ardeur. Il s'était séparé de ses amis de l'Union républicaine pour adhérer, après quelques hésitations, à la gauche démocratique radicale et radicale-socialiste, qu'il abandonna à son tour en 1935. Il mourut à l'âge de soixante-neuf ans, à la suite d'une intervention chirurgicale. Il avait épousé en 1889 la fille d'un propriétaire du Calvados, qui lui survécut. Il était chevalier de la Légion d'honneur dès avant son entrée au Parlement. Son éloge funèbre fut prononcé le 2 juin 1936 par le Président Jeanneney.

Il avait été le collaborateur de huit présidents du Conseil, avait dirigé sept départements ministériels différents et s'était vu confier les postes les plus délicats. S'il n'occupa jamais le premier rang dans la vie publique, il joua en tout cas un rôle éminent et il apparaît comme une des figures les plus représentatives des trente dernières années de la IIIe République. Sa barbiche, sa carrure massive, son pas court, son éternelle serviette sous le bras, la complaisance avec laquelle il se réclamait de son origine normande et semblait se prêter lui-même à la caricature, sa bonne humeur, ses reparties malicieuses, avaient fait de lui un personnage célèbre, providence des humoristes ; mais il devait aussi à son talent d'exposition, à sa souplesse et à sa ténacité, à sa simplicité, à son indépendance d'esprit et à son intégrité, à son patriotisme enfin, une part de sa renommée et de son autorité. Doué d'un grand sens pratique et d'un solide esprit d'économie, il semblait incarner les vertus de la petite bourgeoisie provinciale. Profondément convaincu des vertus du régime parlementaire et de l'orthodoxie financière, il témoigna moins de fidélité aux partis qu'à la République.

C'est cette longue carrière politique que le président Jules Jeanneney rappela dans son éloge funèbre. « Il en était digne, ajouta-t-il, autant par son attachement aux institutions de la République que par son intégrité impeccable. Les attaques auxquelles cette tâche le mit en butte, leur inconcevable violence, n'ont pas été sans l'affecter. Il avait goûté la popularité et n'était pas prémuni contre ses retours de flamme. Moins encore concevait-il qu'à la modération du langage dont il ne se départissait jamais, pareille frénésie d'invectives répondit. Ne mettait-on même pas en doute sa loyauté ? De l'émotion qu'il en avait ressentie, Henry Chéron, n'a, lorsqu'il revint à nous, retenu que l'urgente nécessité d'en préserver quiconque : il n'eut cesse de nous en proposer et recommander les moyens. La reconnaissance et l'affection de ses compatriotes avaient d'ailleurs de quoi lui ôter toute amertume. Elles l'enveloppèrent fidèlement en ces mauvais instants, comme elles témoignèrent, au jour de ses funérailles, du deuil douloureux d'une province entière. »