Jules, François, Camille Ferry

1832 - 1893

Informations générales
  • Né le 5 avril 1832 à Saint-dié (Vosges - France)
  • Décédé le 17 mars 1893 à Paris (Seine - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Second Empire - Corps législatif
Législature
IVe législature
Mandat
Du 23 mai 1869 au 4 septembre 1870
Département
Seine
Groupe
Gauche
Régime politique
Assemblée Nationale
Législature
Mandat
Du 8 février 1871 au 7 mars 1876
Département
Vosges
Groupe
Gauche républicaine
Régime politique
Troisième République - Chambre des députés
Législature
Ire législature
Mandat
Du 20 février 1876 au 25 juin 1877
Département
Vosges
Groupe
Gauche républicaine
Régime politique
Troisième République - Chambre des députés
Législature
IIe législature
Mandat
Du 14 octobre 1877 au 14 octobre 1881
Département
Vosges
Groupe
Gauche républicaine
Régime politique
Troisième République - Chambre des députés
Législature
IIIe législature
Mandat
Du 21 août 1881 au 14 octobre 1885
Département
Vosges
Groupe
Gauche républicaine
Régime politique
Troisième République - Chambre des députés
Législature
IVe législature
Mandat
Du 4 octobre 1885 au 14 octobre 1889
Département
Vosges
Groupe
Républicain progressiste

Mandats au Sénat ou à la Chambre des pairs

Sénateur
du 4 janvier 1891 au 17 mars 1893

Gouvernement

Chef du Gouvernement
du 23 septembre 1880 au 10 novembre 1881
Chef du Gouvernement
du 21 février 1883 au 30 mars 1885

Biographies

Député au Corps législatif de 1869 à 1870, membre du gouvernement de la Défense nationale, représentant à l'Assemblée de 1871, député de 1876 à 1889, et ministre, né à Saint-Dié (Vosges) le 5 avril 1832, Jules Ferry était fils d'un avocat de cette ville.

Le nom de Ferry est une contraction du nom de Frédéric, très usitée dans le patois vosgien. Il commença ses études au collège de Saint-Dié et les termina au lycée de Strasbourg ; puis il vint faire son droit à Paris et s'inscrivit au barreau. Il y marqua peu, plaida quelques affaires au tribunal civil devant la cinquième chambre, entra à la conférence Molé, et acquit plus de notoriété dans le journalisme. Quelques articles de jurisprudence donnés à la Gazette des Tribunaux, une collaboration assidue à la Presse de Girardin, et au Courrier de Paris de Clément Duvernois, enfin au Temps (1865), le mirent en réputation.

Lors des élections de 1863 au Corps législatif, sa candidature d'opposition, d'abord présentée dans la cinquième circonscription de Paris, fut retirée devant celle de Garnier-Pagès. Il fut, vers la même époque, impliqué dans le « procès des Treize », et se vit condamné à l'amende comme membre d'un comité électoral constitué sans autorisation. M. Jules Ferry avait collaboré avec Jules Favre, Clamageran, Dréo, M. Floquet et d'autres au Manuel électoral, compilation de renseignements administratifs et politiques, et cette publication avait été la véritable cause des poursuites exercées contre lui. Presque aussitôt, il lança une nouvelle brochure, la Lutte électorale de 1863, dans laquelle il dénonçait les procédés de la candidature officielle. Devenu rédacteur du Temps, il y fit une série d'articles au jour le jour, qui furent fort goûtés de l'opposition libérale, et entreprit notamment une vive critique de l'administration de M. Haussmann, préfet de la Seine : la campagne qu'il mena à propos des déficits encore inavoués de la gestion des finances de la Ville, provoqua un long échange de communiqués et de répliques. M. Ferry la résuma par une brochure retentissante, qui fit sa fortune politique. « On arrive par le talent, par la médiocrité, par l'audace, par la patience, par la famille, par les femmes, écrivait en 1875 un biographe satirique ; tous les chemins mènent à Rome. Jules Ferry est arrivé par un calembour ; on assure qu'il n'était pas de lui. » En effet, comme il cherchait un titre pour sa brochure : « Appelez cela, lui dit le rédacteur en chef du Temps, M. Nefftzer, les Comptes fantastiques d'Haussmann. » Le mot eut un grand succès.

M. Jules Ferry fit partie, en 1865, du Congrès de Nancy, qui formula contre l'Empire les principaux articles du programme de l'opposition démocratique ; il s'y montra le partisan résolu des libertés municipales et écrivit : « Morceler l'autorité préfectorale, faire disparaître jusqu'au nom de cette institution issue en droite ligne des Césars de la décadence, c'est vraiment, comme on dit aujourd'hui, replacer la pyramide sur sa base. Je vous remercie de m'avoir associé à cette bonne cause. L'unité monstrueuse qui nous appauvrit et qui nous accable est admirablement adaptée à certaines entreprises dont on ne peut nier ni l'éclat ni la grandeur. Voulez-vous être la nation la plus compacte, la plus belliqueuse, la plus dangereuse pour la paix du monde ? Soyez la plus centralisée, c'est-à-dire la plus gouvernée. Mais si vous voulez être un peuple laborieux, pacifique et libre, vous n'avez que faire d'un pouvoir fort... La France a besoin d'un gouvernement faible... »

En 1869, au Congrès de la paix, tenu à Lausanne, M. Jules Ferry renouvelait ses déclarations « autonomistes ». « Si vous accouplez, s'écriait-il, ces deux choses : le régime parlementaire et la centralisation, sachez que le régime parlementaire, soit sous une république, soit sous une monarchie, n'a que le choix entre ces deux genres de mort : la putréfaction comme sous Louis-Philippe, ou l'embuscade comme avec Napoléon III. »

Cette même année 1869, lors des élections de mai, M. Ferry posa sa candidature radicale au Corps législatif, dans la 6e circonscription de la Seine : il fut élu député, au second tour de scrutin, par 15 730 voix (29 486 votants, 37 656 inscrits), contre 13 944 à M. Cochin, conservateur libéral. Dans sa profession de foi, le nouveau député avait réclamé : « L'entière liberté de la presse, l'entière liberté de réunion, l'entière liberté d'enseignement, l'entière liberté d'association. » Il avait ajouté : « Il faut vouloir par-dessus tout la décentralisation administrative, la séparation absolue de l'Etat et de l'Eglise, la réforme des institutions judiciaires par un large développement du jury, la transformation des armées permanentes. Ce sont là les destructions nécessaires... »

M. Jules Ferry siégea à gauche, et prit la parole dans plusieurs discussions importantes. La question des libertés municipales le préoccupait si vivement qu'il la porta presque aussitôt à la tribune, en déposant un projet de loi qui embrassait toute l'organisation communale. Ce projet contenait les articles suivants :
« Art. 8. Les attributions du conseil municipal de Paris sont celles qu'attribuent aux autres conseils municipaux les lois en vigueur.
Art. 9. La ville de Paris a un maire et trois adjoints, nommés à la majorité absolue des suffrages par le conseil municipal.
Art. 12. Le titre et les fonctions de préfet de police sont supprimés... etc. »

Collaborateur du journal l'Electeur libre, que dirigeait Ernest Picard, M. Jules Ferry encourut une amende de 12 000 francs pour un article intitulé : Les grandes manœuvres électorales, où, avec insistance, l'auteur revenait encore sur le pouvoir, exorbitant d'après lui, des préfets. Il seconda activement, dans la législature, les attaques des autres chefs de l'opposition parlementaire contre le régime impérial, et protesta contre les mesures prises par le ministre de la guerre, le général Lebœuf, envers les soldats convaincus d'avoir assisté à des réunions publiques ; il blâma également l'intervention des troupes dans les grèves minières, etc. Il fut du nombre des députés qui demandèrent la dissolution du Corps législatif comme ne représentant plus la majorité du pays, et eut, à cette occasion, avec M. Emile Ollivier, un débat personnel des plus violents.

Adversaire de la déclaration de guerre à la Prusse, il réclama sans succès la suspension de la loi de 1834 sur la fabrication des armes de guerre. Toutefois, le 4 août 1870, quand on apprit à Paris la défaite de Reichshoffen, et que la population se porta en masse devant le Palais Bourbon pour inviter la gauche à prendre la direction du mouvement et à proclamer la République, M. Jules Ferry, monté sur la terrasse qui fait face au pont de la Concorde, invita les manifestants à « rester dans la légalité en rentrant dans l'ordre ».

La révolution du 4 septembre le fit membre du gouvernement de la Défense nationale. Il remplit dans le Conseil les fonctions de secrétaire, et n'eut qu'un rôle relativement peu important jusqu'au 31 octobre. M. Ferry intervenait surtout dans l'administration municipale de Paris. Délégué, le 6 septembre, à cette administration, il fut chargé de rétablir les services de la banlieue comprise entre l'enceinte et les forts, de créer le corps des brancardiers ambulants, etc. Son action dans la journée du 31 octobre fut décisive. Tandis que la plupart de ses collègues du gouvernement étaient tenus bloqués à l'Hôtel de Ville par les chefs de l'insurrection, il s'échappa, alla chercher le 106e bataillon de la garde nationale, dont les sentiments lui étaient connus, rassembla quelques compagnies de mobiles bretons, et, pénétrant dans l'Hôtel de Ville par le souterrain qui communique avec la caserne Lobau, déboucha au milieu même des assiégeants.

Après la victoire du gouvernement, M. Jules Ferry fut nommé maire de Paris, en remplacement de M. Arago, démissionnaire (15 novembre). Le 10 décembre, il annonça dans ses circulaires aux maires d'arrondissement que « la nécessité de rationner le pain pouvait se produire à bref délai ». Il présida l'assemblée des maires qui, le 18 janvier 1871, décida ce rationnement, et souleva par les mesures qu'il prit dans les dernières semaines de l'investissement, de nombreuses réclamations.

Après la conclusion de l'armistice, M. Jules Ferry partit pour les Vosges, et sollicita les suffrages des électeurs, ses compatriotes, en vue des prochaines élections à l'Assemblée nationale. Porté sur une liste qui comprenait en outre MM. Buffet, ancien député, ancien ministre, Danican Philidor, ancien secrétaire général de la préfecture à Epinal sous l'Empire, de Ravinel et Maurice Aubry, ancien député, M. Jules Ferry fut élu représentant des Vosges, le 8 février 1871, le 5e sur 8, par 23 595 voix (58 175 votants, 119 746 inscrits). Il donna sa démission de membre du gouvernement de la Défense, mais ne se rendit pas de suite à son poste de député, retenu à Paris par ses fonctions municipales, qu'il continua d'exercer à titre provisoire jusqu'au 18 mai. Il quitta l'Hôtel de Ville devant l'insurrection, se rendit à la mairie du 1er arrondissement, où il essaya de réunir les maires, et dut bientôt chercher un nouveau refuge ; le lendemain il rejoignit à Versailles le gouvernement qui venait de s'y transporter. « Pendant la Commune, écrit un biographe, il fut préfet en villégiature à Versailles. Ses fonctions à ce moment consistaient à aller à Montretout, à Saint-Cloud et à Meudon visiter les travaux d'approche. Etait-ce impatience de venir reprendre en mains le gouvernail du vaisseau de Paris ? » En effet, après l'entrée des troupes de Versailles, le gouvernement de Thiers réintégra M. Ferry à la préfecture de la Seine (26 mai 1871) ; mais quelques jours plus tard, il le remplaça par M. Léon Say.

M. Jules Ferry fut envoyé à Athènes, en qualité de ministre plénipotentiaire. Après avoir pris part à la conclusion du différend entre les gouvernements hellénique, français et italien au sujet des mines du Laurium, il rentra en France lors de la chute de Thiers et devint, à l'Assemblée nationale, vice-président, puis président du groupe de la gauche républicaine. Il vota dans la législature contre l'abrogation des lois d'exil, pour le retour de l'Assemblée à Paris, prononça plusieurs discours remarqués sur la nécessité de la dissolution, sur les réformes de l'enseignement supérieur, etc. , et adopta l'ensemble des lois constitutionnelles.

Aux élections générales du 20 février 1876, pour la Chambre des députés, il se porta candidat dans l'arrondissement de Saint-Dié, et fut élu par 11 739 voix (18 097 votants, 27 200 inscrits), contre 6 204 à M. Champy. Choisi de nouveau par ses collègues comme président de la gauche républicaine, M. Ferry fut chargé du rapport sur le projet d'organisation municipale et prit part à plusieurs débats importants. Ce fut à cette époque qu'il épousa civilement (24 octobre) Mlle Eugénie Risler, une des petites-filles de feu Kestner, représentant du Haut-Rhin en 1848. Cette alliance faisait de M. Ferry, le neveu de l'ancien représentant Chauffour, le neveu de Charras, le neveu de M. Charles Floquet, le neveu de M. Scheurer-Kestner, etc.

L'un des 363 députés qui votèrent, après l'acte du Seize-Mai, contre le ministère de Broglie, il fut réélu, comme tel, député de Saint-Dié, le 14 octobre 1877, par 13 230 voix (22 104 votants, 27 955 inscrits), contre 8 729 à M. de Ravinel, monarchiste. Il fit partie de la commission des Dix-Huit, formée par la gauche pour résister à la politique du cabinet, s'éleva, à la tribune de la Chambre, contre les agissements des ministres, appuya la demande d'enquête sur les élections (15 novembre), ainsi que l'ordre du jour dirigé contre le ministère extra-parlementaire du général de Rochebouët. Puis il fut président de la commission du tarif général des douanes, et soutint Dufaure au pouvoir, jusqu'au moment où un ordre du jour « de confiance », habilement présenté par lui, (20 janvier 1879), et réclamant l'épuration du personnel administratif et judiciaire, le désigna pour un portefeuille dans la prochaine combinaison. Après la démission du maréchal de Mac-Mahon et l'avènement de M. Grévy à la présidence de la République, il fut appelé par le nouveau chef de l'Etat à remplacer M. Bardoux comme ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts (4 février 1879). Pendant trois années consécutives, il occupa ce département : sous le ministère Waddington, sous le premier ministère de Freycinet (28 décembre 1879 - 23 septembre 1880) enfin, dans le ministère dont il eut lui-même la présidence (23 septembre 1880 - 10 novembre 1881).

Malgré une inaltérable confiance dans ses moyens personnels, M. Jules Ferry semblait n'accepter qu'à regret la présidence du Conseil : « La tâche qui m'est échue est bien lourde, écrivait-il à un ami, le 1er octobre 1880. Mener une Chambre si peu disciplinée, et si malaisément disciplinable, jusqu'au jour des élections ! Gambetta a bien raison de repousser ce calice. Il ne m'appartenait pas de m'en délivrer. J'y vais, cher ami, comme à beaucoup d'autres devoirs de ma vie que je n'avais pas plus cherchés que celui-là, et qui ne m'ont valu que des outrages. »

Dès son arrivée au pouvoir, M. Jules Ferry se posa comme un des plus actifs promoteurs de la politique modérée et « opportuniste », qui prévalut constamment dans cette législature.

Député, il vota :

- le 11 mars 1879, contre la mise en accusation des ministres du 16 mai ;
- le 28 janvier 1880, contre la liberté absolue d'association ;
- le 29 janvier, contre la liberté absolue de réunion ;
- le 5 juillet 1880, contre la suppression de l'ambassade française auprès du pape ;
- le 17 novembre, contre la suppression de l'inamovibilité de la magistrature ;
- le 19 novembre, contre la magistrature élective ;
- le 28 janvier 1881, contre la liberté illimitée de la presse ;
- le 8 février, contre le divorce ;
- le 28 mai, contre l'obligation du service militaire pour les séminaristes ;
- le 31 mai, contre la révision de la Constitution de 1875 ;
- le 17 juin, contre le service militaire de trois ans et la suppression du volontariat ;
- le 23 juin, contre la séparation des Eglises et de l'Etat ;
- le 25 juin, contre la suppression des bourses des séminaires, etc.

Ministre, il marqua son passage aux affaires par diverses modifications du personnel, par la séparation du service des beaux-arts sous la direction spéciale d'un sous-secrétaire d'Etat, par une réorganisation de l'administration des musées et la création d'un musée pédagogique, par le dépôt d'un projet de loi portant suppression des lettres d'obédience (20 mai 1879), et surtout par la présentation, qui fit grand bruit, d'un projet de loi nouveau sur l'enseignement supérieur. Ce projet rendait à l'Etat la collation des grades, et, de plus, disposait, en son fameux article 7 :

« Nul n'est admis à participer à l'enseignement public ou libre, ni à diriger un établissement d'enseignement de quelque ordre que ce soit, s'il appartient à une congrégation religieuse non autorisée. »

L'article 7, chaudement soutenu par son auteur et par M. Paul Bert devant la Chambre, fut voté par elle le 9 juillet 1879, après une longue et vive discussion, à la majorité de 347 voix contre 143. Porté au Sénat trop tard pour être mis à l'ordre du jour avant les vacances, il parut rencontrer tout d'abord dans la Chambre haute au moins autant d'hostilité que de sympathie; toutefois, ce ne fut qu'à une voix de majorité, que la commission élue pour l'examiner, sous la présidence de M. Jules Simon, se prononça contre le système de M. Jules Ferry. Cet « article 7 » donna lieu, pendant la prorogation des Chambres, à une véritable agitation, dont le ministre profita adroitement pour créer en sa faveur un courant d'opinion : plusieurs conseils généraux émirent des vœux favorables à son adoption définitive, et M. Jules Ferry ne se fit pas faute de plaider la cause du projet en litige, dans ses voyages administratifs à Bordeaux, à Toulouse, à Perpignan, etc. II engagea la lutte devant le Sénat, dès le début de la nouvelle session, et, après avoir obtenu, non sans peine, le vote d'un certain nombre de dispositions nouvelles relatives à l'enseignement, notamment à la réorganisation du conseil supérieur, il insista pour l'adoption de l'article 7. Mais cédant à l'éloquence insinuante de M. Jules Simon que la commission avait désigné comme rapporteur, la Chambre haute se décida à repousser l'article (mars 1880). M. Ferry fit alors signer par ses collègues du cabinet les décrets du 27 mars, dont l'un donnait un délai de trois mois « à l'agrégation ou association non autorisée dite de Jésus, pour se dissoudre et évacuer les établissements qu'elle occupait sur la surface du territoire de la République » ; le second décret mettait en demeure toutes les congrégations non autorisées de produire leurs statuts et de demander la reconnaissance légale dans le même délai. M. de Freycinet, chef du cabinet, ayant opiné alors pour l'adoption d'une politique de conciliation relativement à l'application de ces diverses mesures, Gambetta, que l'opinion considérait comme le directeur « occulte » de la politique gouvernementale, fit confier à M. Jules Ferry, le 23 septembre 1880, la présidence du Conseil. M. Ferry garda en même temps le portefeuille de l'Instruction publique, et les affaires de l'enseignement restèrent au premier rang de ses préoccupations. Il se prononça non pour la laïcité, mais pour la gratuité et l'ohligation de l'enseignement primaire, dans lequel il introduisit l'éducation « morale et civique » ; une grande loi proposée par lui sur ces matières et qu'il défendit énergiquement devant les deux Chambres, fut adoptée au Palais-Bourbon le 24 décembre 1880, et, après de nombreuses vicissitudes, tenue en échec au Luxembourg jusqu'à, la fin de la législature (juillet 1881).

En ce qui concerne la direction générale des affaires publiques, M. Jules Ferry commença, dès lors, d'assumer la responsabilité de la « politique coloniale » qui fut tant reprochée à l'opportunisme, et dont la guerre de Tunisie fut la première manifestation. Au début, il ne s'agissait, d'après les déclarations officielles, que de brèves incursions sur la frontière tunisienne pour réprimer les tribus pillardes, kroumirs et autres, ainsi que cela s'était pratiqué fréquemment sur les frontières du Maroc. Au budget de 1882, les crédits demandés à la Chambre figurèrent sous la rubrique : « Opérations sur la frontière de Tunisie. » Un peu plus tard, M. Jules Ferry demanda 14 millions pour faire des routes. Mais en mai 1881, on apprit que le général Bréart, poussant une pointe rapide sur Tunis, était arrivé sous les murs du Bardo, et avait donné trois heures au bey pour signer le traité de Kasr-Saïd, qui livrait la Tunisie à la France.

M. Ferry fut très fréquemment appelé par l'opposition de droite et d'extrême gauche à défendre aux tribunes du Sénat et de la Chambre sa conduite politique et celle de ses collègues. La question du scrutin de liste, les tentatives laborieuses de renouvellement des traités de commerce, la convocation brusque et anticipée des électeurs pour le renouvellement de la Chambre, servirent encore d'aliment, contre lui, aux vives polémiques des intransigeants et des conservateurs. Un mois avant la séparation du parlement (27 juillet 1881), M. Jules Ferry, inaugurant la période électorale virtuellement ouverte, fit à Epinal, à l'occasion d'un concours agricole, un exposé dogmatique de ses théories :

« Ce n'est pas, disait-il, le radicalisme qui a fondé la République, ce n'est pas avec les idées et les procédés du radicalisme qu'on a fait vivre et gouverné la France républicaine depuis cinq ans qu'elle est maîtresse de ses destinées ; ce ne sont pas les idées et les procédés du radicalisme qui ont accompli les réformes que je me permets de trouver considérables, ettectuées depuis cinq ans. »

M. Jules Ferry obtint sa réélection, le 21 août 1881, dans la 1re ciconscription de Saint-Dié, avec 7 323 voix (9 605 votants, 14 520 inscrits), contre 1 251 à M. Rovet et 239 à M. Paul Champy. Au lendemain de la rentrée parlementaire, il eut à subir les fréquents assauts de l'extrême gauche et de son leader, M. Clemenceau. Les affaires tunisiennes, en particulier, furent l'objet, à la Chambre, d'une triple interpellation, au cours de laquelle M. Clemenceau dénonça l'expédition comme une pure entreprise financière, où auraient trempé ensemble M. Jules Ferry et son frère Charles, ainsi que M. Roustan, notre consul à Tunis. M. Ferry soutint le choc ; mais au milieu d'une extrême confusion d'ordres du jour, l'interpellation s'étant terminée, le 9 novembre, par le vote d'un texte présenté par Gambetta, le président du Conseil s'effaça devant le chef de la majorité opportuniste, et, donnant sa démission, lui abandonna la direction effective du pouvoir (13 novembre 1881).

Le cabinet Gambetta ne vécut que jusqu'au mois de janvier 1882. M. Ferry rentra dans le ministère qui lui succéda, et dont M. de Freycinet eut la présidence : du 30 janvier 1882 au 6 août de la même année, il se trouva replacé à la tête du département de l'instruction publique, avec les beaux-arts, qui en avaient été momentanément détachés. Il se borna, pendant cette période, aux occupations particulières de son ressort, et acheva de défendre au Sénat ses projets sur l'obligation de l'enseignement et l'institution d'une éducation civique ; il en obtint enfin le vote en mars 1882.

Après la mort de Gambetta, M. Ferry devint le chef incontesté des opportunistes. Il fut, pour la seconde fois, appelé par M. Grévy (22 février 1883) à former un cabinet. Il prit alors pour collaborateurs un certain nombre d'anciens familiers de Gambetta, et, avec leur concours, il élabora et présenta à la Chambre :

- un projet de loi contre l'affichage et les cris séditieux, projet qu'il dut bientôt abandonner, en raison de son peu de succès ;
- une loi sur les transportations des récidivistes ;
- une loi remaniant le personnel de la magistrature ;
- une loi municipale ;
- une loi sur les syndicats professionnels, etc.

La situation parlementaire ne tarda pas à devenir des plus délicates pour le président du Conseil. Afin de parer à l'agitation révisionniste, il dut consentir à la convocation du Congrès de Versailles, dont les tumultueux débats (4-13 août 1884) aboutirent seulement à la suppression des sénateurs inamovibles et à l'augmentation du nombre des électeurs sénatoriaux. Par une condescendance analogue, il concourut à l'adoption de la proposition de M. Constans, qui rétablissait le scrutin de liste pour l'élection de la Chambre des députés (28 mars 1884-21 mars 1885). Mais de plus graves embarras naquirent bientôt de la situation financière et surtout des événements extérieurs.

La guerre du Tonkin, les conflits avec la Chine, certaines difficultés diplomatiques imprévues étaient de nature à préoccuper gravement M. Ferry. Avant la fin de l'année 1883, il prit lui-même des mains de M. Challemel-Lacour (20 novembre) le portefeuille des Affaires étrangères, et, plus que jamais, ce fut à lui qu'incombèrent personnellement et directement la charge et la responsabilité de toute la conduite de nos affaires coloniales. Un des premiers actes de M. Ferry, en revenant à la présidence du Conseil (février), avait été le désaveu des négociations précédemment entamées avec la Chine par M. Bourée, notre ministre à Pékin, et approuvées naguère par M. Duclerc. Puis il avait pris ses mesures en vue de l'occupation intégrale du Tonkin. Entreprise avec des forces insuffisantes et sans déclaration de guerre autorisée par les Chambres, cette expédition fut marquée par une suite d'incidents douloureux, tels que la mort de Rivière; par d'inutiles victoires de notre marine sur les forces chinoises ; par des négociations contradictoires poursuivies en même temps que les opérations militaires ; par l'abandon des fortes indemnités exigées tout d'abord, et par les deux traités de Tien-Tsin, dont le premier, conclu le 11 mai 1884, par le capitaine Fournier, fut violé à Bac-Lé, et rendit nécessaire une reprise des hostilités, et dont le second, coïncidant avec le désastre de Lang-Son, entraîna la chute du cabinet Ferry, le 30 mars 1885. L'irritation de l'opposition contre le chef du ministère, entretenue d'ailleurs par les affaires de Madagascar, par la politique « ultra-pacifique » de M. Ferry à l'égard de l'Allemagne, par d'autres faits encore, était à son comble.

Le samedi, 28 mars 1885, la Chambre. dont la complaisance, relativement au vote des crédits du Tonkin, n'avait jusque là jamais fait défaut à M. Ferry, et qui s'était constamment et pleinement associée, par de nombreux ordres du jour de confiance, à sa politique coloniale, fut saisie une fois de plus de la question. Elle commença par passer encore à l'ordre du jour, par 273 voix contre 227. Mais l'évacuation précipitée de Lang-Son, rendue publique le lendemain, produisit dans le sentiment de la majorité un revirement dont M. Jules Ferry ne put éviter les effets. Un crédit de deux millions, réclamé par lui pour faire face aux événements, fut adopté, mais 310 voix sur 471 votants condamnèrent la politique du cabinet qui se retira tout entier.

Comme député, M. Ferry avait voté dans la législature :

- le 2 août 1883, pour les conventions avec les compagnies de chemins de fer ;
- le 27 mars 1884, contre la révision de la Constitution (proposition Barodet) ;
- le 5 mars 1885, pour le système protectionniste modifiant le tarif des douanes relatif aux céréales.

Hors de la Chambre, M. Ferry avait plus d'une fois exposé sa politique intérieure ou extérieure dans des discours de circonstance, qui avaient été passionnément commentés : par exemple, à Versailles, au Jeu de paume (20 juin 1883) ; à Périgueux (avril 1884), où il invoquait la « République des paysans », etc. Il continua, après sa chute, de faire dans mainte harangue la justification et l'apologie de ses actes, tandis que la Chambre repoussait (juin 1885) les demandes de mise en accusation dont il fut l'objet.

Porté sur la liste républicaine opportuniste des Vosges, aux élections du 4 octobre 1885, M. Jules Ferry, que ses amis appelèrent la « grande victime », fut réélu député des Vosges, le 5e sur 6, avec 45 174 voix (87 635 votants, 108 409 inscrits). Il reprit sa place à la tête du groupe modéré de l'Union des gauches, mais se tint à l'écart de la tribune et évita de répondre aux récriminations violentes qui éclatèrent contre lui dans les derniers jours du ministère Brisson, à propos du Tonkin. Une proposition, déposée le 8 février 1886 par M. Michelin, et tendant à déterminer les responsabilités de cette entreprise et à en poursuivre les auteurs, fut rejetée par la Chambre nouvelle.

Lors de la vacance de la présidence de la République provoquée par la démission arrachée à M. Jules Grévy, M. Jules Ferry se porta candidat à cette haute fonction. Vivement attaquée par le parti radical, notamment par le conseil municipal de Paris et par les boulangistes, qui menaçaient de prendre les armes si elle réussissait, cette candidature fut écartée au dernier moment, bien qu'à la réunion plénière des gauches tenue le matin de l'élection (3 décembre 1887), au théâtre des Variétés de Versailles, elle eût constamment réuni la majorité : 200 voix au 1er tour, 216 au 2e, et 179 au 3e. Au Congrès, elle ne réunit que 202 voix au 1er tour, contre 303 à M. Sadi Carnot (V. les scrutins à ce nom). M. Ferry se désista immédiatement.

M. Jules Ferry prêta son appui aux cabinets Rouvier et Tirard ainsi qu'à la lutte contre le général Boulanger, qu'il appela « un César de café-concert » ; cette expression lui valut de la part du général un envoi de témoins auquel il refusa de donner suite. Il vota à la fin de la législature :

- pour le rétablissement du scrutin d'arrondissement (11 février 1889),
- pour l'ajournement indéfini de la révision de la Constitution (chute du ministère Floquet),
- pour les poursuites contre trois députés membres de la Ligue des patriotes,
- pour le projet de loi Lisbonne restrictif de la liberté de la presse,
- pour les poursuites contre le général Boulanger.

Le nom de M. Jules Ferry a été mêlé aux discussions les plus ardentes de la presse et de la tribune ; son action politique, très considérable dans ces dernières années a naturellement donné lieu aux jugements les plus divers, et, tandis qu'une étude biographique et critique sur son compte, due à la plume d'un de ses adversaires radicaux, porte ce titre menaçant : Un malfaiteur public, un biographe ami a exprimé d'autre part, sur les évolutions politiques de M. Jules Ferry, cette appréciation bienveillante :

« En face des événements terribles auxquels il avait pris une si grande part, en face d'une situation extraordinaire, unique dans l'histoire, comprenant la tâche qui incombait à son parti, au parti républicain, jeté en quelque sorte au milieu des ruines de tout, avec la mission de tout reconstruire, M. Jules Ferry dut faire un retour sur lui-même, sur le programme qu'il avait soutenu dans l'opposition à l'Empire avec ses collègues de gauche : il dut se demander s'il était applicable et comment on pourrait l'appliquer, s'il n'y avait pas lieu de le soumettre à un examen consciencieux, à une analyse impitoyable, à une méthode rigoureuse, et d'en distraire les éléments étrangers ou périlleux... M. Jules Ferry est un de ceux qui ont le mieux compris cette nécessité, et qui se sont le plus fortement préparés à ce labeur nouveau par une observation et une méditation soutenues... » (Célébrités contemporaines : Jules Ferry, par Ed. Sylvin.)


Né le 5 avril 1832 à Saint-Dié (Vosges), mort le 17 mars 1893 à Paris.

Député des Vosges de 1879 à 1889.

Sénateur des Vosges de 1891 à 1893.

Ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts du 4 février 1879 au 23 septembre 1880.

Président du Conseil, Ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts du 23 septembre 1880 au 14 novembre 1881.

Ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts du 30 janvier au 7 août 1882.

Président du Conseil, Ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts du 21 février au 20 novembre 1883.

Président du Conseil, Ministre des Affaires étrangères du 20 novembre 1883 au 6 avril 1885.

(Voir première partie de la biographie dans ROBERT ET COUGNY, Dictionnaire des Parlementaires, t. II, p. 635.)

Aux élections générales législatives du 22 septembre 1889, qui consommèrent la défaite du boulangisme, Jules Ferry, un des principaux artisans de cette défaite, fut battu. Un homme de droite, Ernest Picot, ancien chef de bataillon du génie territorial, soutenu par les monarchistes, les radicaux, les socialistes et les... boulangistes, l'emporta par 6 385 voix contre 6 210 sur 14 401 inscrits et 12 746 votants. C'est ainsi que, dans la première circonscription de Saint-Dié, « la République était battue à 162 voix de majorité », alors que, ailleurs, elle sortait triomphante d'une crise redoutable.

Amer, déprimé, Jules Ferry retrouva peu à peu calme et sérénité dans sa terre vosgienne de Foucharupt et à Cannes.

Le 29 mai 1890, Ernest Picot était d'ailleurs invalidé par la Chambre des députés à la majorité de 274 voix contre 232 sur 506 votants : pressions et corruptions avaient été un peu trop voyantes. Mais Jules Ferry s'était engagé à ne pas se représenter à l'éventuelle élection complémentaire et il n'obtint sa revanche sur Ernest Picot que par personne interposée. Le 6 juillet 1890, Picot n'obtenait plus que 5 841 voix sur 14 591 inscrits et 13 007 votants et c'est Jean Tricoche, général de division en retraite, qui était élu député de Saint-Dié. Ferry s'estima satisfait.

Il restait conseiller général et présidait même le Conseil général des Vosges. C'est de ce Conseil général que lui vint, dès octobre 1890, l'offre d'une réparation : un siège de sénateur, celui de Charles Ferry qui s'effaçait une nouvelle fois devant son frère aîné. Jules Ferry accepta la proposition.

Le 4 janvier 1891, les délégués sénatoriaux des Vosges donnèrent 781 voix à Brugnot, 723 à Ferry et 658 à Kiener (sur 997 inscrits et 992 votants). Tous trois furent ainsi élus au premier tour. Au Sénat, Jules Ferry fut immédiatement porté aux présidences de la commission des douanes et de la commission de l'Algérie, il en fut, en outre, nommé rapporteur, et, à ce titre, fit, en 1892, un nouveau voyage en Algérie. Il ne pouvait, dans la conclusion de son rapport, que demander à nouveau plus de justice pour les indigènes « Les musulmans... ont au plus haut degré l'instinct, l'idéal, le besoin du pouvoir fort et du pouvoir juste. A leurs yeux, la France est la force ; il faut surtout, désormais, qu'elle soit la justice. »

L'activité extra-parlementaire de Jules Ferry se réduisait à une collaboration épisodique à l'Estaffette d'Abel Peyrouton et à quelques discours dont il faut retenir celui qu'il prononça, le 21 mars 1891, à l'Elysée-Montmartre - pour ce qui y est dit, certes, sur la « République disciplinée » - mais surtout parce que, ce jour-là, l'ont vit, dans la salle comme sur le boulevard, que Ferry avait cessé d'être impopulaire.

S'agissant de la politique extérieure, Ferry se réjouit en 1892 de l'alliance franco-russe. Mais, sur le plan intérieur, l'affaire de Panama le consterna. Ce scandale eut au moins le mérite de montrer à tous son intégrité sans faille et son désintéressement.

Comme, d'autre part, sa politique scolaire et sa politique coloniale étaient maintenant, en raison de leur succès, approuvées par presque tout le monde, Ferry fut le candidat tout désigné des républicains à la présidence du Sénat lorsque, le 20 février 1893, le président Le Royer décida, pour des raisons personnelles, de « rentrer dans le rang ». Il fut, dès le second tour, proclamé candidat unique des républicains par les 155 sénateurs réunis pour un scrutin préparatoire. La presse boulangiste, conservatrice, bonapartiste, révolutionnaire ou anarchiste essaya, comme en 1887, d'en appeler au peuple de Paris. Mais la rue resta calme et, le 24 février, au cours d'une séance présidée par le vice-président Agénor Bardoux, Jules Ferry était élu président du Sénat, au premier tour, par 148 voix sur 249 votants et 229 suffrages exprimés, contre 39 voix à Audren de Kerdrel, 26 voix à Magnin et 16 voix à divers autres sénateurs. Cette élection fut saluée par les applaudissements de la gauche.

Le 27 février, Jules Ferry prit possession du fauteuil présidentiel.

Son discours inaugural devait être, en fait, le testament politique de Jules Ferry.

Le 16 mars 1893, après avoir présidé la séance du Sénat, il rentrait chez lui en se plaignant d'une grande fatigue ; dans le cours de la nuit, il fut pris d'une crise cardiaque qui n'était probablement pas sans lien avec la balle d'Aubertin. Le 17 mars, vers six heures de l'après-midi, il expirait.

Le lendemain, Alexandre Ribot, président du conseil, suivi à la Chambre des députés par 296 voix contre 170 et au Sénat par 233 voix contre 30, décidait que Ferry aurait des funérailles nationales. Il n'avait que 61 ans.