Jacques, Michel, Pierre Chaban-Delmas

1915 - 2000

Informations générales
  • Né le 7 mars 1915 à Paris (Seine - France)
  • Décédé le 10 novembre 2000 à Paris (Paris - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Présidence(s)

Présidence de l'Assemblée nationale
du 9 décembre 1958 au 20 juin 1969
Présidence de l'Assemblée nationale
du 3 avril 1978 au 21 mai 1981
Présidence de l'Assemblée nationale
du 2 avril 1986 au 12 juin 1988

Mandat(s)

Régime politique
Quatrième République - Assemblée nationale
Législature
Ire législature
Mandat
Du 28 novembre 1946 au 4 juillet 1951
Département
Gironde
Groupe
Républicain radical et radical-socialiste
Régime politique
Quatrième République - Assemblée nationale
Législature
IIe législature
Mandat
Du 5 juillet 1951 au 1er décembre 1955
Département
Gironde
Groupe
Rassemblement du peuple français
Régime politique
Quatrième République - Assemblée nationale
Législature
IIIe législature
Mandat
Du 19 janvier 1956 au 8 décembre 1958
Département
Gironde
Groupe
Républicains sociaux
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
Ire législature
Mandat
Du 9 décembre 1958 au 9 octobre 1962
Département
Gironde
Groupe
Union pour la nouvelle République
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
IIe législature
Mandat
Du 6 décembre 1962 au 2 avril 1967
Département
Gironde
Groupe
Union pour la nouvelle République-UDT
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
IIIe législature
Mandat
Du 3 avril 1967 au 30 mai 1968
Département
Gironde
Groupe
Union démocratique pour la V° République
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
IVe législature
Mandat
Du 11 juillet 1968 au 20 juillet 1969
Département
Gironde
Groupe
Union des démocrates pour la République
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
IVe législature
Mandat
Du 20 septembre 1970 au 20 octobre 1970
Département
Gironde
Groupe
Union des démocrates pour la République
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
Ve législature
Mandat
Du 2 avril 1973 au 2 avril 1978
Département
Gironde
Groupe
Union des démocrates pour la République
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
VIe législature
Mandat
Du 3 avril 1978 au 22 mai 1981
Département
Gironde
Groupe
Rassemblement pour la République
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
VIIe législature
Mandat
Du 2 juillet 1981 au 1er avril 1986
Département
Gironde
Groupe
Rassemblement pour la République
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
VIIIe législature
Mandat
Du 2 avril 1986 au 14 mai 1988
Département
Gironde
Groupe
Rassemblement pour la République
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
IXe législature
Mandat
Du 6 juin 1988 au 1er avril 1993
Département
Gironde
Groupe
Rassemblement pour la République
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
Xe législature
Mandat
Du 2 avril 1993 au 21 avril 1997
Département
Gironde
Groupe
Rassemblement pour la République

Gouvernement

Chef du Gouvernement
du 20 juin 1969 au 5 juillet 1972

Fonds d'archives

Une partie des archives de Jacques Chaban-Delmas est conservée aux Archives municipale de Bordeaux. Elle correspond aux différents mandats qu'il a exercés. Il s'agit d'archives publiques, libres d'accès. Toutefois, certains documents d'archives restent soumis aux délais de communicabilité définis par le Code du Patrimoine. Le fonds 1 W contient les dossiers de cabinet du maire et du secrétariat général de la mairie de Bordeaux. Le fonds 2 W comprend les dossiers de Jacques Chaban-Delmas provenant du Palais-Bourbon (1958-1986). Le fonds 22 W comprend les dossiers du service de presse [1959-1995], des discours, notes et coupures de presse relatifs à l’activité politique de Jacques Chaban-Delmas. De même, le fonds 23 W réunit les archives de Jacques Chaban-Delmas produites dans le cadre de sa fonction de Premier ministre (1958-1972). Les différents fonds d’archives représentent un volume, variant de 0,85 ml en ce qui concerne le fonds 2 W à 360 ml s'agissant du fonds 1 W. L’ensemble représente un peu moins de 380 ml.
Les Archives municipales de Bordeaux conservent également des fonds photographiques, actuellement en cours de classement.

De nombreux documents relatifs à l'activité politique de Jacques Chaban-Delmas sont conservés aux Archives nationales, notamment les fonds parlementaires relatifs aux fonctions exercées à l'Assemblée nationale. Parmi les fonds conservés aux Archives nationales se trouve le versement 20000254 contenant les dossiers de Jacques Chaban-Delmas produits dans le cadre de sa fonction de Premier ministre de 1969 à 1972 ; ainsi que les agendas et emplois du temps quotidiens tenus par lui ou son secrétariat de 1945 à 1972.
Les Archives nationales conservent également les archives du service de la séance ainsi que celles des commissions de la Ire à la VIIIe législature (1958-1988) correspondant aux mandats exercés par Jacques Chaban-Delmas ou faisant référence à l’exercice de ses fonctions. Ces archives, produites dans le cadre de l’Assemblée nationale, ont fait l’objet d’un versement aux Archives nationales et sont librement consultables.
Par ailleurs, certains fonds privés contiennent des correspondances, notes ou références à Jacques Chaban-Delmas, à l’exemple du fonds du général de Gaulle conservé sous la cote AG/5(1).

Les Archives de l’Assemblée nationale conservent plusieurs autres documents concernant Jacques Chaban-Delmas, parmi lesquelles son dossier de député, ainsi que quelques photographies et planches photographiques issues du versement 2007-095 et de la série 1 Fi.

Biographies

Biographie de la Ve République

Né le 7 mars 1915 à Paris (13ème)
Décédé le 10 novembre 2000 à Paris (7ème)

Député de la Gironde de 1946 à 1997
Ministre des Travaux publics, des transports et du tourisme du 19 juin au 14 août 1954
Ministre des Travaux publics, des transports et du tourisme, assurant l'intérim du ministre du Logement et de la reconstruction du 3 septembre au 12 novembre 1954
Ministre des Travaux publics, des transports et du tourisme du 12 novembre 1954 au 5 février 1955
Ministre d'État du 21 février 1956 au 13 juin 1957
Ministre de la Défense nationale et des forces armées du 6 novembre 1957 au 14 mai 1958
Premier ministre du 20 juin 1969 au 5 juillet 1972
Président de l'Assemblée nationale du 9 décembre 1958 au 20 juin 1969, du 3 avril 1978 au 21 mai 1981, du 2 avril 1986 au 12 juin 1988
Président d'honneur de l’Assemblée nationale depuis le 12 novembre 1996


Premier ministre du 20 juin 1969 au 5 juillet 1972 après avoir été cinq fois ministre sous la IVe République, inamovible maire de Bordeaux de 1947 à 1995, Jacques Chaban-Delmas est resté dans l’histoire comme l’une des figures majeures de la Ve République. Il est surtout un personnage majeur de notre histoire parlementaire, non seulement pour avoir représenté la Gironde au Palais-Bourbon pendant plus d’un demi-siècle, mais aussi et surtout pour avoir occupé le « perchoir » à trois reprises, soit seize ans au total, ce qui fait de lui le recordman de longévité à ce poste et l’incarnation même de cette fonction.

Jacques Delmas est né le 7 mars 1915 à Paris. Pensionnaire au lycée Lakanal de Sceaux, il obtient le baccalauréat en 1933. Le journaliste Charles Marquet lui offre un travail dans son journal L'Information qui lui permet de suivre les cours de la rue Saint-Guillaume et de la faculté de Droit. Diplômé de l'Ecole libre des sciences politiques en 1937, licencié en droit en 1938, Jacques Delmas est titulaire de deux diplômes d'études supérieures, l'un en économie politique, l'autre en droit public.

Mais ce jeune diplômé est aussi un sportif qui sort major de la promotion Maréchal Joffre de l'Ecole des officiers de réserve de Saint Cyr le 1er septembre 1939, juste à temps pour être affecté comme sous-lieutenant au 75e bataillon alpin de forteresse quand la guerre éclate.

Son courage lui vaut d'être cité à l'ordre du régiment et d'être titulaire de la Croix de guerre.

L'armistice signé, démobilisé, replié à Nice, Jacques Delmas entend pour la première fois en août 1940 la voix du général de Gaulle. Grâce à son ancien chef de Saint-Cyr, le colonel Groussard, il entre en décembre de cette même année dans le réseau Hector, organisation de résistance du nord de la France dirigée par le colonel Heurteaux. En 1942, le réseau ayant subi de durs revers, il prend contact avec la France Libre et est affecté à la délégation militaire du gouvernement de Londres. Ces nouvelles responsabilités et une vague d’arrestations provoquant la chute du réseau le convainquent en octobre 1943 de prendre un nouveau pseudonyme, succédant à celui de Lakanal, Chaban.

En février 1943, il est reçu au concours de l'Inspection des finances. Le jeune stagiaire de l'Inspection peut, sous couvert des nécessités de service, poursuivre son action clandestine. En octobre de la même année, en compagnie de Michel Debré et de Félix Gaillard, il devient membre du Comité financier de la Résistance qui vient d'être créé. Il entre, comme on l’a vu, à la Délégation militaire du Comité français de la Libération nationale (CFLN) en tant qu’adjoint au délégué militaire national, le commandant Louis Mangin. En mai 1944, Jacques Chaban est nommé délégué militaire national, et reçoit le 15 mai, à vingt-neuf ans, les deux étoiles de général de brigade. Averti de la décision d'Eisenhower de contourner Paris, le général part pour Londres le 31 juillet pour exposer au général Ismay, chef d'état-major du Premier ministre britannique, les raisons de n'en rien faire. Le 13 août, de retour de Londres avec des ordres précis de Kœnig et de Gaulle, le délégué militaire doit éviter que l'insurrection ne se déclenche trop tôt dans la capitale, alors que le Comité d’action militaire (COMAC), institué par le Conseil national de la Résistance (CNR), souhaite une action rapide. Contre l'avis des communistes – qui n'oublient pas d'en faire un argument politique à la Libération – le général Chaban use de son autorité pour que la trêve négociée par Alexandre Parodi, délégué général du Comité français de la libération nationale dont il est l’adjoint, soit acceptée. « Chaban-Delmas se tenait au centre de tout. Perspicace et habile, ayant seul les moyens de communiquer avec l’extérieur, il contrôlait les propositions et moyennant de longues et rudes palabres, contiendrait les impulsions du CNR et des comités » écrit le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre. Le 24 août, après s'être porté au-devant de la Deuxième division blindée, à la Croix-Nivert, il rentre à Paris avec le général Leclerc dont il obtient que Rol-Tanguy, chef des Forces françaises de l’Intérieur de la région P 1, soit associé à l’acte de reddition du général von Choltitz. Le 25 août, il rencontre pour la première fois le général de Gaulle qui lui serre la main, lui disant : « C’est bien Chaban ! ».

Le 1er novembre 1944, Jacques Chaban-Delmas est chargé au cabinet du ministre de la guerre André Diethelm d'une mission de liaison et d'inspection de l'armée. Le 7 août 1945, le général de Gaulle le fait Compagnon de la Libération. Chevalier de la Légion d'honneur, le général Chaban-Delmas est en outre titulaire de nombreuses décorations étrangères.

En octobre 1945, regagnant la vie civile, l'inspecteur des finances est nommé secrétaire général du ministère de l'Information. Mais, le 28 janvier 1946, en désaccord avec le projet de loi concernant la dévolution des biens des entreprises de la presse ayant paru sous l'Occupation, il remet sa démission au président Félix Gouin.

Dans la perspective des élections à la première Assemblée de la IVe République, Jacques Chaban-Delmas, après en avoir averti le général de Gaulle, et avec la bénédiction d'Edouard Herriot, s'inscrit au Parti radical et se présente dans le département de la Gironde. Sur les six listes en présence, le 10 novembre 1946, la liste du Rassemblement des gauches républicaines (RGR) qu'il conduit arrive en quatrième position, mais ses 71 561 suffrages sur 384 307 exprimés lui permettent de ravir deux sièges, l'un à la liste socialiste conduite par le maire de Bordeaux, Fernand Audeguil, l'autre à la liste du Mouvement républicain populaire (MRP) conduite par Henri Teitgen.

Jacques Chaban-Delmas est nommé membre des Commissions de la presse (1946 à 1951), de la défense nationale (1947), de la production industrielle (1949-1950), de la marine marchande et des pêches (1951). Il est en outre appelé à figurer sur la liste des jurés de la Haute Cour de justice

Le 19 octobre 1947, aux élections municipales, à Bordeaux, la Liste d’union pour la défense de la cité et du Rassemblement, conduite par Jacques Chaban-Delmas, obtient la majorité absolue, avec 24 sièges contre 7 pour la liste communiste, 6 pour la liste socialiste et aucun pour la liste de l’adjoint au maire sortant ni pour la coalition MRP-Union républicaine. Le 26 octobre 1947, Jacques Chaban-Delmas est élu maire de Bordeaux ; il le restera, constamment réélu, jusqu’au 19 juin 1995.

En près de quarante-huit ans, Jacques Chaban-Delmas aura mis en valeur le patrimoine viticole de la ville tout en diversifiant les domaines d'activités économiques ; il aura notamment restructuré le quartier de Mériadeck, quartier central, mixte et moderne conçu à l’époque des métropoles d’équilibre et regroupant logements et commerces, bureaux et administrations en vue de devenir le centre d’affaires de la ville, aménagé Bordeaux-Lac à partir d’un lac artificiel, créé le campus de l’école d’ingénieurs d'Arts et Métiers ParisTech, premier établissement de cette école ouvert après celui de Paris, implanté le domaine universitaire de Talence Pessac Gradignan. De nouveaux ponts ont été construits afin de faciliter la circulation automobile. Le stade Lescure aura été agrandi. Jusqu’à 20 % du budget municipal auront été consacrés à la culture afin de la rendre accessible au plus grand nombre. Un centre contemporain d'arts plastiques et de grandes manifestations culturelles comme le Mai musical auront été créées. Il aura renforcé la cohésion entre Bordeaux et les 26 villes de sa périphérie urbaine lors de son exercice de la présidence de la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB) de janvier 1967 à mars 1977 et de mars 1983 à juin 1995. À cette fin, il développe un mode d’exercice du pouvoir local analysé par les politologues, à la suite de Jacques Lagroye, dont la thèse, Société et politique, a contribué à forger l’expression « système Chaban ». « Le vassal, qui doit fidélité au député-maire, peut attendre en retour que celui-ci le soutienne et lui accorde une place de premier plan dans le système politique et social » ; grâce à la « vassalisation de ses opposants » politiques, Jacques Chaban-Delmas est parvenu à obtenir la participation d’autres collectivités locales à la communauté urbaine, au département, à la région, au financement de nombreuses opérations. « En Aquitaine il est souvent plus serviable avec les socialistes pour en faire des obligés qu’avec ses propres amis gaullistes dans lesquels il voit des concurrents, écrit André Passeron. Son clientélisme alambiqué brouille tous les repères. Il joue des clans, des familles, des cartes, des quartiers même pour exploiter haines, jalousies, intérêts (« Chaban, Une vie au pas de course », Le Monde, 11 13 novembre 2000).

À la tribune de l'Assemblée nationale, le député de la Gironde intervient souvent dès son premier mandat. C'est ainsi que, le 20 juin 1947, il est entendu au cours du débat sur l'interpellation de Fernand Grenier relative à la dévolution des biens des entreprises de presse dans lequel il réitère ses réserves sur la loi du 11 mai et ne prône ni le transfert automatique ni l'impossibilité du transfert, mais un examen cas par cas. Le 28 octobre 1947 et à nouveau le 27 octobre 1949 – cette fois-ci à l'occasion du débat sur l'investiture du président du Conseil Bidault auquel il accorde sa confiance en souvenir des combats communs – Jacques Chaban-Delmas souligne que l'Assemblée dans sa composition ne représente plus l'opinion publique et qu'elle devrait se séparer pour rendre la parole aux électeurs, comme le préconise le général de Gaulle depuis la fondation du Rassemblement du peuple français (RPF) auquel il appartient.

Lors de la discussion du projet de loi portant statut de la Société nationale d’études et de construction de moteurs d’avion (SNECMA), le 23 juin 1948, il déplore l'intrusion de la politique dans la gestion des affaires publiques. Il n'oublie pas davantage de défendre les intérêts de sa région, que ce soit en luttant contre les incendies de forêt des Landes ou en faveur du théâtre de Bordeaux, ville dont il est maire depuis 1947.

En avril 1951, Jacques Chaban-Delmas se met en congé du Parti radical à la suite de la condamnation par Edouard Herriot de la double appartenance avec le RPF. Néanmoins, aux élections législatives du 17 juin 1951, il conduit une liste d'union RPF RGR qui condamne tout à la fois le communisme et la Troisième force. Son appel à voter utile semble être entendu puisque avec 84 609 voix sur 226 237 suffrages exprimés, sa liste arrive en tête des neuf listes en présence et enlève trois sièges, mettant ainsi en échec le républicain populaire Henri Teitgen.

Jacques Chaban-Delmas est nommé successivement membre des Commissions des affaires économiques et de la presse. Lui qui a joué un rôle clef, en 1951, dans la fondation du Conseil des communes d’Europe (CCE) à Genève, représente la France métropolitaine à l'Assemblée consultative prévue par le statut du Conseil de l'Europe.

Il dépose, le 22 décembre 1952, une proposition de résolution tendant à inviter le gouvernement à accorder de toute urgence un crédit de secours de cent millions aux sinistrés de l'agglomération bordelaise, victimes d'inondations ; le 16 février 1954, il propose d'appliquer le tarif SNCF de 50 % pour les groupes de dix voyageurs et plus, étudiants ou membres des organisations de jeunesse et de plein air ; le 29 juin 1954, une proposition de loi modifiant l'article 12 de la loi n° 53 1327 et portant réorganisation du financement des pensions payées par la Caisse autonome mutuelle des retraites ; le 13 janvier 1955, une proposition de loi relative à la procédure de codification des textes législatifs concernant la marine marchande.

Comme membre de la Commission des affaires économiques ou au nom du groupe gaulliste, Jacques Chaban-Delmas intervient sur les questions importantes. Ainsi, le 13 décembre 1951, s'oppose-t-il à la ratification du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), car en cas d'adoption la France, ne disposant plus de la maîtrise de son charbon et de son acier, serait en position d'infériorité lors de la négociation portant sur la défense européenne. En outre, il dénonce la méthode empruntée pour construire l'Europe et suggère des négociations globales sur l'édification d'une communauté européenne. Le 27 novembre, l'opposition de son groupe, l'Union des républicains d'action sociale (URAS), à la Communauté européenne de défense (CED) ne l'empêche pas de neutraliser son vote pour permettre au gouvernement Laniel de se maintenir dans des circonstances difficiles. À nouveau, le 4 mai 1954, Jacques Chaban-Delmas, alors président du groupe Union républicaine et d’action sociale (URAS), ex-RPF, estime qu'il n'y a pas à débattre immédiatement de la situation en Indochine car ce serait implicitement réclamer un cessez-le-feu.

Le 18 juin 1954, Jacques Chaban-Delmas répond à l'appel de Pierre Mendès France d'entrer dans le gouvernement qu'il constitue. Il devient ministre des Travaux publics, des transports et du tourisme. Mais le 14 août 1954, toujours en désaccord sur le projet de la CED, il démissionne du gouvernement en compagnie des gaullistes Koenig et Lemaire. Le 3 septembre 1954, après le rejet du projet par l'Assemblée le 30 août et la démission des ministres qui en étaient partisans, Jacques Chaban-Delmas reçoit le portefeuille des Travaux publics, du logement et de la reconstruction et le garde jusqu'à la constitution du deuxième gouvernement Edgar Faure. Le 13 octobre 1955, il défend à la tribune son ordre du jour qui exprime la défiance de son groupe à l'égard de la politique algérienne du gouvernement et son désir de voir défendre des projets de loi relatifs à une intégration progressive des populations musulmanes dans la communauté nationale, le fédéralisme étant jugé pour l'heure impossible.

Le gouvernement Edgar Faure renversé à la majorité constitutionnelle, l'Assemblée dissoute, Jacques Chaban-Delmas s'associe avec Pierre Mendès France, François Mitterrand et les socialistes pour constituer un Front républicain. Le 2 janvier 1956, la « liste des Républicains sociaux, liste Chaban-Delmas » obtient 58 385 voix sur 267 543 suffrages exprimés. La présence de listes radicale et poujadiste lui fait perdre un siège au profit de cette dernière.

Au cours de la troisième législature de la Quatrième République, le député de la Gironde est nommé membre de la Commission des moyens de communication et du tourisme, de la Commission du suffrage universel, des lois constitutionnelles, du règlement et des pétitions. Il est élu représentant suppléant de la France à l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe. Le président du Conseil Guy Mollet le nomme, le 21 février 1956, ministre d'État plus particulièrement chargé des anciens combattants. Le 30 novembre 1956, il souhaite publiquement le retour rapide du général de Gaulle au pouvoir. Le 6 novembre 1957, le général de brigade du cadre de réserve devient ministre de la Défense nationale dans le gouvernement de son ami de Résistance et de l'Inspection des finances, Félix Gaillard. Il dépose des projets de loi qui relèvent de la compétence de son département ministériel et surtout, plus important pour l'avenir, il boucle une action de six années permettant à Félix Gaillard de signer l'ordre de fabrication de la première bombe atomique française, la bombe A. La France devient puissance nucléaire. En janvier 1958, Edmond Michelet est élu à sa place président des Républicains sociaux, dont certains reprochent au maire de Bordeaux sa participation gouvernementale. Pourtant, l'ancien Délégué militaire national n'a de cesse de favoriser le retour aux affaires du chef de la France Libre. Il envoie ainsi à Alger Léon Delbecque qui aurait joué un rôle important dans l'appel lancé par le général Salan au général de Gaulle le 15 mai 1958.

Associé au retour au pouvoir du général de Gaulle en mai 1958, ayant fondé le 18 juin 1958 une organisation baptisée Mouvement pour la Cinquième République, transformée le 22 juillet en Union civique pour le Référendum en vue de l’avènement de la Cinquième République, présidée par Louis Pasteur Vallery-Radot, Jacques Chaban-Delmas prépare les élections législatives de novembre 1958 sous le patronage gaulliste. La visite à Bordeaux du Général, entouré des plus grandes figures du gaullisme, Michel Debré, Olivier Guichard et Roger Frey, le 20 septembre 1958, est un encouragement majeur pour sa candidature. Après l’avoir promu au grade de commandeur dans l’ordre de la Légion d’honneur, le général de Gaulle rappelle que « depuis vingt ans, [son] ami Chaban n’a jamais cessé dans aucune circonstance de se trouver auprès de lui pour défendre la France ». Le 1er octobre, Jacques Chaban-Delmas participe, au nom des Républicains sociaux, à la réunion fondatrice de l’Union pour la nouvelle République (UNR), qui portera les couleurs gaullistes lors des premières élections du nouveau régime, ratifié par le référendum du 28 septembre. Il se trouve donc en position de force pour préparer sa réélection face au général d’armée aérienne Guillaume Jean Chassin alias Lionel-Max Chassin, bien que ce dernier se réclame lui aussi du général de Gaulle. D’autant plus qu’il est triomphalement réélu dans la deuxième circonscription de la Gironde, au second tour des élections du 30 novembre 1958, avec 21 282 voix sur 33 656, soit plus de 63 % des suffrages exprimés. Au premier tour, il avait obtenu 17 725 voix face à Guillaume Jean Chassin, Rénovation de la République, 7 312, Norbert Macacci, SFIO, 4 985, Jacques Lillet, conseiller général, maire de Podensac, Centre national des indépendants (CNI), 3 690 et Bernard Mazon, communiste, 3 193.

En revanche, ce n’est pas à lui que pense le général de Gaulle pour la présidence de l’Assemblée nationale, mais à l’ancien président du Conseil Paul Reynaud. Bien que n’ayant jamais été gaulliste, ce dernier avait fait entrer le Général dans son gouvernement en 1940, et par ailleurs son prestige à droite permettrait d’élargir la base majoritaire du gaullisme au Palais-Bourbon. Mais Jacques Chaban-Delmas ne l’entend pas de cette oreille. Se considérant comme le candidat naturel des gaullistes pour cette fonction, il propose sa candidature au groupe UNR. Juste avant la séance constitutive du groupe politique, à l’hôtel d’Orsay, de Gaulle lui envoie alors des émissaires, Jacques Soustelle et Michel Debré, afin de l’en dissuader, mais en vain. Après avoir courtoisement informé Paul Reynaud de sa décision, il se présente donc comme le candidat de l’UNR, le 9 décembre 1958. Le Général ayant quitté le banc du gouvernement au moment du vote, il n’assiste pas au triomphe de son indomptable disciple. Largement distancé au premier tour par 259 voix contre 168, Paul Reynaud se retire du second, ce qui permet à Jacques Chaban-Delmas de l’emporter facilement avec 355 suffrages contre 132 à Max Lejeune, candidat du centre gauche, et 16 au communiste Fernand Grenier. À la suite de ce passage en force au perchoir, de Gaulle envoie à Jacques Chaban-Delmas ses « félicitations cordiales » pour son « élection très brillante », rappelant qu’il le voyait plutôt vers l’exécutif que vers le législatif, mais convenant que son action à la présidence de l’Assemblée « peut être essentielle à l’intérêt national ».

L’expérience accumulée sous la IVe République est un bagage inappréciable pour le nouveau président de l’Assemblée nationale. Dans L'Ardeur, il explique pourquoi il était parfaitement préparé à cette fonction : « L'entière connaissance des milieux parlementaires, la sympathie générale que je portais à mes collègues, les relations souvent excellentes que j'entretenais avec eux, les liens fréquemment noués dans la Résistance me facilitèrent la tâche, dès l'abord. L'expérience ne put qu'y parfaire. » Servi par une voix métallique, puissante dans les aigus, Jacques Chaban-Delmas dégage une impression d’autorité naturelle, presque martiale, qui convient à sa fonction d'arbitre des débats parlementaires. Il ne bouscule pas le protocole du Palais-Bourbon, hormis le port de la jaquette gris clair, « tenue élégante et facile à porter » écrit-il dans ses Mémoires pour demain, qu’il substitue à l’habit noir et austère de ses prédécesseurs. Il décrit l'Assemblée en séance comme un « grand orchestre pas toujours symphonique », qui « tantôt s'emballe », « tantôt s'endort sur sa partition », et dont il incombe au président de « ramener le tempo et de retrouver le registre ». Comparant son style de présidence à ceux de certains de ses prédécesseurs, tel Herriot et sa « bonhomie majestueuse », il décrit son propre registre comme celui de « la fermeté gantée de velours ».Parfois même, il lui faut donner de la voix, comme lors cette séance de mai 1964, où éclate pendant un discours du ministre de l’Intérieur Roger Frey, « un des plus forts tumultes » entendus dans l’hémicycle. Mais il ajoute dans L'Ardeur qu’il évitait « d'avoir recours à la manière forte, étant par nature enclin à considérer que les choses les plus sérieuses peuvent s'accomplir dans la bonne humeur et qu'elles n'en aboutissent que mieux ».

Cette démarche humaniste et consensuelle est le fil conducteur de Jacques Chaban-Delmas dans tous les domaines de son activité présidentielle, non seulement comme organisateur et arbitre des débats législatifs, mais aussi comme chef de l’administration parlementaire, ou comme représentant de l’institution face aux autres pouvoirs. Il laisse le soin de l’administration interne aux questeurs ainsi qu’au secrétaire général de l’Assemblée, Emile Katz, plus connu sous son nom de résistant Blamont, qui occupe cette fonction depuis la IVe République. Mais il rappelle dans L'Ardeur que « les décisions d'organisation, même matérielles, sont surtout de nature politique », donc « souvent délicates », et inhérentes à sa fonction. Il souligne l’importance de « la conférence des présidents », dont la « direction demande le plus grand soin », et estime que l’opposition doit « être informée le plus largement qu'il se peut, non seulement des éléments de préparation législative, mais aussi de ce qui a trait au contrôle de l'exécutif. »

La présidence de Jacques Chaban-Delmas se veut une présidence arbitrale, impartiale, consensuelle, sereine et apaisée, comme il l’annonce dans son discours d’intronisation du 11 décembre 1958 : « Il nous incombera de faire régner entre nous l'esprit de coopération, de mesure, et aussi ou peut-être surtout de tolérance, comme le disait un célèbre maire de Bordeaux, Michel Eyquem de Montaigne, il y aura bientôt quatre siècles. » Cela ne signifie pas un renoncement à son engagement gaulliste, comme il le souligne dans le même discours, rendant hommage au général de Gaulle et estimant qu’il faut établir une « République vraiment nouvelle », qui « exclut le système des partis. »

C’est la raison pour laquelle le chef de l’État lui confie plusieurs missions hors de France, en tant que président de l’Assemblée nationale. C’est ainsi qu’il est envoyé début mars 1960 à Moscou, où il rencontre non seulement son homologue, le président du soviet suprême, mais aussi Nikita Khrouchtchev. Un an plus tard, début mars 1961, c’est au tour du président américain John F. Kennedy d’accueillir à la Maison-Blanche le président de l’Assemblée nationale, officiellement invité par le président de la Chambre des représentants. À celui qui lui demande de l’appeler « Jack », il ne craint pas de délivrer le message gaullien de l’indépendance nationale française, et de le mettre en garde contre la tentation d’une guerre au Vietnam.

De même le général peut-il compter sur lui dans les moments de tension ou de crise. Quand éclate le putsch des généraux, en avril 1961, il remonte précipitamment du Midi où il se remettait d’une opération aux ménisques pour mettre son expérience militaire au service du général. De même lors de la crise de mai 1968, pendant laquelle il fait la navette entre le bureau de Georges Pompidou, à Matignon, et l’Elysée, où de Gaulle, écrit-il dans L’Ardeur, lui semble avoir traversé pendant quelques jours « une de ces parenthèses de caractère. » Du 21 au 23 mai, il préside à l’Assemblée nationale un débat consacré aux événements, à la suite du dépôt d’une motion de censure par l’opposition. Il soutient activement le Premier ministre lorsque ce dernier demande au chef de l'État de ne pas choisir la solution du référendum mais d'annoncer la dissolution de l'Assemblée nationale et l'organisation de nouvelles élections.

Dans les premiers jours de juin 1968, le général de Gaulle lui aurait proposé de prendre la tête du gouvernement. « Alors, Chaban ?, lui aurait-il lancé, est-ce que ça vous amuse toujours, le perchoir ? Vous devez commencer à vous y ennuyer. » Le président de l'Assemblée nationale aurait alors « réagi vivement », écrit-il dans L’Ardeur, « le maintien de Georges Pompidou dans ses fonctions [lui paraissant] s'imposer. » Au lendemain de la démission du Général, il rendra en tant que président de l’Assemblée nationale un hommage émouvant à ce dernier dans la séance parlementaire du 29 avril 1969, « exprimant le respect et la reconnaissance de la nation » au « promoteur de la Résistance », au « restaurateur puis sauveur des institutions républicaines », qui « a rendu à la France, successivement, l'honneur, l'espérance, la victoire, la liberté, sa mission universelle, son rayonnement dans le monde, enfin la paix. » Au soir des obsèques du grand homme, le 11 novembre 1970, Yvonne de Gaulle lui dira : « Il faut que vous le sachiez, il vous aimait bien. »

Mais cette fidélité au général n’empêche pas Jacques Chaban-Delmas de défendre les prérogatives d’une Assemblée à laquelle il est viscéralement attaché. Il s’en explique dans L’Ardeur : « Le régime précédent donnait tous les droits au législatif et vouait l'exécutif à un bégaiement que les usages avaient accentué. Il s'agissait désormais d'assurer l'équilibre des pouvoirs en permettant à chacun de s'exercer dans sa plénitude sans empiéter sur l'autre. Lutter sur deux fronts s'annonçait nécessaire : d'un côté, prévenir le retour insidieux au passé ; de l'autre, empêcher le gouvernement d'abuser des prérogatives qui étaient devenues les siennes. En 1958, compte tenu de la condamnation générale du système aboli, les risques ne pouvaient venir que du second côté. »

Lorsque le député de la Manche Edouard Lebas, gaulliste de la première heure, proteste dans la séance du 23 juillet 1959 contre l’ordre du jour imposé par le gouvernement Debré, qui semble considérer les députés comme de « simples pantins », Jacques Chaban-Delmas l’assure qu’il ne laissera pas « bafouer les représentants de la souveraineté nationale » et qu’il veillera, en tant que président, « à ce que cela ne soit pas possible. » Le 12 novembre 1959, « au nom de l’Assemblée nationale », il attire l’attention du Premier ministre sur « l’excessive précipitation » des débats budgétaires. Le 30 décembre, prononçant l’allocution de clôture de la session extraordinaire consacrée à l’examen du budget, il souhaite que la « séparation des pouvoirs n’exclue pas la coopération des pouvoirs », en regrettant que le gouvernement Debré exerce cette coopération « dans un cadre parfois trop étroit ».

De même soutient-il ses collègues lorsque ceux-ci, confrontés à une vague de protestation des agriculteurs au début de l’année 1960, demandent une convocation du Parlement en session extraordinaire. Le 17 mars 1960, il se rend personnellement à l’Elysée pour porter au général de Gaulle les 297 signatures de députés (soit une dizaine de plus que le quorum exigé par l’article 29 de la Constitution), devant entraîner la convocation automatique des deux chambres. Le chef de l’État ayant rejeté la requête des députés, par une lettre adressée au Président de l’Assemblée nationale début avril, ce dernier revient à la charge dans un entretien publié dans le magazine Entreprise fin juillet 1960, et dans lequel il insiste sur la nécessité de l’équilibre des pouvoirs. Il estime notamment qu’un « exécutif sans véritable contrôle parlementaire est inévitablement conduit à l’arbitraire et à la tyrannie », et il demande que « s’établissent entre le gouvernement et le Parlement des rapports qui consacrent l’existence réelle du Parlement. » Ouvrant la session ordinaire, le 6 octobre 1960, il rappelle que « la recherche d’un juste équilibre entre les pouvoirs ne doit pas masquer la réalité du pouvoir législatif. » Concrètement, il demande aux ministres d’être plus présents à l’Assemblée, de recevoir plus volontiers les parlementaires et de « ne pas laisser dénigrer le Parlement. »

Dans un discours du 6 juillet 1961, en installant le nouveau bureau de l'Assemblée, il discute la prolongation de l’article 16, en vertu duquel les députés avaient accordé les pleins pouvoirs au gouvernement en avril, au moment du putsch des généraux. À cette occasion, il revient sur le « déséquilibre » institutionnel qui est en train de s’installer sous la Ve République : « L’Assemblée désirerait un retour aussi prompt que possible au régime normal, avec certes des risques mais aussi la plénitude d’emploi de ses pouvoirs », car « la direction des travaux des Assemblées par le Gouvernement ne saurait étouffer l’initiative parlementaire. » Il incite une nouvelle fois les ministres « non pas à esquiver mais à souhaiter être questionnés, et de préférence sur les sujets épineux, voire délicats », à « entretenir des rapports constants avec les commissions parlementaires », et à « tenir la porte ouverte de leur cabinet à nos collègues. » Enfin, il demande « que le recours à la démocratie directe, ouvert dans la Constitution par l’introduction du référendum, demeure exceptionnel, c'est-à-dire lié soit aux plus grandes heures, soit aux plus graves problèmes. »

Le 22 juillet 1961, l'Assemblée décide de suspendre ses séances, mais ce n’est qu'un répit dans le bras-de-fer qui se joue entre l’exécutif et le législatif. Dès l’ouverture de la séance, réclamée par le monde agricole, le 12 septembre, alors que le Parlement est réuni de plein droit, en application de l’article 16 de la Constitution, Jacques Chaban-Delmas est saisi d'une motion de censure socialiste, qui pose un problème de droit constitutionnel. En effet, si cette motion était adoptée, le gouvernement serait renversé, ce qui constituerait un cas habituel de dissolution de l'Assemblée. Mais cette dissolution est impossible aussi longtemps que l'article 16 reste en vigueur. Le Conseil constitutionnel s’étant déclaré incompétent, il revient au seul président de l'Assemblée nationale de trancher, et ce dans un climat politique très lourd, marqué par l’agitation paysanne et par l'attentat de Pont-sur-Seine contre le général de Gaulle. Jacques Chaban-Delmas rend publique sa décision le 20 septembre, considérant que, sous l’empire de l’article 16, une motion de censure n'est irrecevable qu’en dehors de la période de session. Dans les heures qui suivent, reprenant la balle au bond, le général de Gaulle annonce qu'il met fin à l'application de l'article 16, retrouvant ainsi le droit de dissolution qui lui permettra de réagir face au vote éventuel d’une motion de censure. C’est ainsi que Jacques Chaban-Delmas a joué avec efficacité et subtilité son rôle d’intermédiaire entre la sauvegarde du pouvoir législatif et la logique présidentielle.

Le 22 février 1962, alors que les négociations entre le gouvernement Debré et le Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) paraissent sur le point d’aboutir, Jacques Chaban-Delmas se rend à l’Elysée pour demander au chef de l’État que l’Assemblée nationale soit associée au processus. C’est ainsi qu’une nouvelle session extraordinaire est organisée, les 21 et 22 mars, afin de ratifier les accords d’Evian, signés trois jours plus tôt. Avant la présentation du nouveau gouvernement Pompidou, le 24 avril, il demande que « la Constitution soit appliquée fidèlement pour tout ce qui touche aussi bien le rôle législatif du Parlement que sa mission de contrôle », que « la nature représentative du régime » ne soit pas mise en cause afin que l’on n’assiste « ni à un retour déguisé de la IVe République, ni à un glissement insensible vers une VIe République avant la lettre. »

Porté par la vague gaulliste du référendum, il est réélu député de la Gironde dès le premier tour, le 18 novembre 1962 avec 25 524 voix sur 28 840 suffrages exprimés, face à Roger Lacaze, adjoint au maire de Talence, MRP, 6 197, Bernard Mazon, communiste, 3 950, et André Duruel, Front national populaire, 3 169. Puis il est triomphalement réélu au « perchoir », le 6 décembre 1962, dès le premier tour de scrutin, par 287 voix contre 114 au député socialiste de Haute-Garonne Eugène Montel et 42 au communiste Waldeck Rochet. S’il adresse dans son discours d’intronisation, « au chef de l’État, au général de Gaulle, l’hommage profond, déférent et reconnaissant des représentants de la nation », il rappelle qu’il sera « le président de l’Assemblée nationale tout entière, sans distinction aucune, ni entre les personnes ni entre les groupes » et qu’il s’opposera à « un glissement fatal vers une simple Chambre d’enregistrement. » Ses relations avec Georges Pompidou sont au début beaucoup moins amicales qu’avec Michel Debré, comme il l’écrit dans L’Ardeur : « Nous nous connaissions beaucoup moins. Il me considéra quelque temps avec une méfiance qui ne me visait pas spécialement. C'était celle d'un homme habitué à n'avancer d'un pas qu'une fois vérifiée la solidité du terrain. Il s'habitua peu à peu à ma façon d'exprimer ma pensée sans détour… »

C’est le cas le 5 novembre 1963, lors d’un débat très chahuté sur la procédure du vote bloqué employée par le gouvernement Pompidou. Il demande à ce dernier « que l’on renonce à tout esprit de système dans l’usage d’une arme qui, il faut le reconnaître, est très forte et ne laisse d’autre possibilité d’intervention à l’opposition que la motion de censure. » Dans la séance du 13 mai 1965, il rappelle aux membres du gouvernement qu’ils doivent répondre aux questions écrites des parlementaires dans les délais fixés par le règlement. Le 30 juin, à la clôture de la session, il souligne la nécessité pour les ministres de bien informer les députés sur les projets de loi en cours, car « il devient de plus en plus nécessaire pour le Parlement, en raison du progrès technique, de l’extension et de la complexité croissante de tout ce qui concerne des domaines de plus en plus savants, que les parlementaires soient armés pour soutenir le dialogue. »

Il est réélu député de Gironde le 12 mars 1967, au second tour, avec 16 720 voix, sur 30 449 suffrages exprimés, face à Gabriel Taïx. Lors de sa réélection au perchoir, le 3 avril 1967, par 261 voix contre 214 au socialiste Gaston Defferre, il répète qu’il sera le président de l’Assemblée nationale « tout entière », dans un « climat de tolérance pour les idées et de respect pour les hommes. » Dans la séance du 9 juin, par exemple, il laisse le socialiste Roland Dumas, qui n’est pourtant pas inscrit à l’ordre du jour, expliquer pendant une vingtaine de minutes pourquoi il votera la motion de censure contre le gouvernement Pompidou. « Je vous ai laissé parler très libéralement, explique-t-il, parce que j’ai bien compris que votre intention était d’aller au fond des choses et parce que, de surcroît, chacun prenait intérêt à votre discours, y compris le Gouvernement. »

Il est réélu au premier tour le 23 juin 1968, obtenant 15 596 voix sur 30 553 suffrages exprimés face à Gabriel Taïx, maire de Monbadon, étiqueté Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS), 5 431, Adrien Junca, Centre Progrès et Démocratie Moderne, 5 040, Michel Cardoze, PCF, 2 909, et Dominique Wallon pour le Parti socialiste unifié (PSU), 1 217. Il l’est aussi au perchoir le 11 juillet suivant, par 356 voix contre 71 au socialiste Max Lejeune et 34 au communiste Robert Ballanger. Le 29 avril 1969, il rend un vibrant hommage au général de Gaulle, qui vient de démissionner de la présidence de la République, l’inscrivant « au premier rang » de l’Histoire, « au plus profond, au meilleur de nous-mêmes, c'est-à-dire dans nos consciences et dans nos âmes. »

Nommé Premier ministre le 20 juin 1969, après l’élection de Georges Pompidou le 15 juin à la présidence de la République, son mandat de député cesse officiellement un mois plus tard, le 20 juillet. Georges Pompidou a pu à la fois reconstituer l'ancienne majorité, malgré le départ du général de Gaulle consécutif à l’échec du référendum relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat, et procéder à une ouverture en direction des centristes. Jacques Chaban-Delmas, mieux que d’autres, incarne ce qui fut l’un des thèmes de la campagne présidentielle l’ouverture dans la continuité. René Pleven, Joseph Fontanet et Jacques Duhamel entrent au gouvernement qui comprend plusieurs barons du gaullisme. La nomination d’une vingtaine de secrétaires d’État est destinée à assurer la relève politique. Le cabinet composé de hauts fonctionnaires et de personnels du secteur économique public comprend le mendésiste Simon Nora, le syndicaliste Jacques Delors, responsable du comité interministériel de la formation professionnelle, Gérard Worms et Yves Cannac proches du club Jean Moulin, ou encore Ernest-Antoine Seillière.

Dans la déclaration de politique générale, le 26 juin 1969, devant l’Assemblée, Jacques Chaban-Delmas considère que son gouvernement doit être celui de « la réconciliation et de l’action » et exprime une tonalité européenne. Il entend défendre le pouvoir d’achat et souhaite reprendre la réforme régionale par la voie parlementaire. L’industrialisation doit être un remède aux difficultés économiques. Mais le 8 août le franc est dévalué de 12,5 % et le Premier ministre annonce des mesures d’accompagnement afin de rétablir les équilibres et d’éviter l’inflation. La dévaluation suscite des critiques sévères de la part des gaullistes orthodoxes ; c’est le cas de Jean-Marcel Jeanneney qui avait conseillé le 23 novembre 1968 au général de Gaulle de ne pas dévaluer le franc. Le 16 septembre 1969, alors que des doutes s’expriment sur le plan de redressement, Jacques Chaban-Delmas fait, devant l’Assemblée nationale réunie en session extraordinaire, une déclaration de politique générale qui fera date. Le Premier ministre fait le constat des insuffisances d’une « société bloquée » dont les éléments sont « un État tentaculaire et inefficace », « l’archaïsme et le conservatisme de nos structures sociales » et la « fragilité de notre économie ». Cette situation est due selon lui à la rencontre entre l’État-providence d’après-guerre et la « vieille tradition colbertiste et jacobine, faisant de l'État une nouvelle providence ». Or, « nous sommes encore un pays de castes. Des écarts excessifs de revenus, une mobilité sociale insuffisante, maintiennent des cloisons anachroniques entre les groupes sociaux ». En conséquence, il s’agit d’établir une « nouvelle société […] prospère, jeune, généreuse et libérée » par des réformes concrètes telles que l’augmentation deux fois plus vite que dans les autres ministères des dépenses de l’Education nationale, le développement de l’enseignement technique, l’autonomie des universités et de l’ORTF, la décentralisation du pouvoir au bénéfice des collectivités locales, la modernisation et la rationalisation des administrations, la mise en œuvre d’une politique de grands travaux aménageant le territoire, l’instauration d’un dialogue constant avec les syndicats. L’Assemblée nationale approuve la déclaration à une majorité écrasante (369 voix contre 85). Mais le discours d’inspiration mendésiste déplait au président de la République et suscite le scepticisme pour des raisons différentes à la fois de députés gaullistes de gauche et de droite de sorte que François Mitterrand conclut : « Quand je vous regarde, je ne doute pas de votre sincérité, mais quand je regarde votre majorité, je doute de votre réussite. » Des tensions, en effet, persistent dans la majorité dues, par exemple, à la nomination de Pierre Desgraupes à la tête du service de l’information de la première chaîne de télévision. Aussi les groupes politiques de la majorité ont-ils décidé de constituer en octobre une délégation permanente. À l’UDR, au premier congrès de l’après-gaullisme, Jacques Chaban-Delmas déclare qu’il faut « témoigner que le gaullisme continue » et qu’il ne faut pas « définir un dogmatisme guindé ».

Son suppléant Jacques Chabrat étant décédé le 26 juillet 1970, il se présente à l’élection partielle du 20 septembre, face au patron de L’Express Jean-Jacques Servan-Schreiber, candidat de la gauche non communiste, déjà élu quelques semaines plus tôt à une élection partielle, à Nancy, consécutive à la démission de Roger Souchal, et qui est venu le défier dans son fief après que François Mitterrand a dissuadé Robert Badinter de s’y présenter. En dépit de la campagne à l’américaine menée par son adversaire, très offensive contre l’État-UDR, le Premier ministre, qui annonce l’implantation à Blanquefort d’une usine Ford de boîtes de vitesse, est triomphalement réélu dès le premier tour du 20 septembre 1970 avec 14 904 voix sur 23 808 votants, soit 63,7 % des suffrages contre seulement 16,6 % à Jean-Jacques Servan-Schreiber, 8,5 % au communiste Rivière, 7,8 % au candidat Gabriel Taïx de la Convention des Institutions Républicaines, les autres candidats se partageant les miettes de l’élection. Il cède aussitôt son mandat de député à son nouveau suppléant, Jacques Valade, le 23 septembre 1970, afin de rester Premier ministre.

Cependant, des discordances se produisent dans la majorité. Très critique vis-à-vis de la politique d’ouverture de l’information à l’ORTF, le nouveau secrétaire général de l’Union des démocrates pour la République (UDR), René Tomasini estime qu’Information première, journal télévisé de la rédaction de la première chaîne de l'ORTF diffusé à la mi-journée et le soir, est « domestiquée par les ennemis de la liberté » et que « le Premier ministre s’est fourvoyé ». Christian Fouchet et Jacques Vendroux démissionnent de l’UDR afin de protester contre les nouvelles alliances électorales conclues par le mouvement. Des reclassements ont lieu chez les gaullistes de gauche de nature à contrebalancer une partie de l’UDR hostile aux réformes proposées par Jacques Chaban-Delmas. Déclarant qu’il est faux d’affirmer que le chef de la majorité parlementaire doit être le chef de l’État ou le Premier ministre [car] c’est contraire à la Constitution », Jean-Marcel Jeanneney décide en octobre de quitter l’UDR. Continuant à combattre « une certaine morosité » que le rejet d’une motion de censure le 21 avril 1971 ne parvient pas à dissiper, le chef du gouvernement impose au Parlement un programme de réformes chargé. Répondant aux députés UDR lui reprochant de ne pas les écouter suffisamment, il annonce le développement d’un dialogue entre le gouvernement et le Parlement par une « confrontation périodique » et une « normalisation des contacts directs et personnels ». Lors de la rentrée parlementaire d’octobre 1971, sa venue exceptionnelle à la conférence des présidents de l’Assemblée nationale est destinée à améliorer les relations entre l’exécutif et le législatif et vise à aplanir les critiques des parlementaires de la majorité. Le président de la République avait précédemment exprimé une interprétation restrictive des pouvoirs respectifs du gouvernement et du parlement. Lors de la conférence de presse du 23 septembre, il établit une distinction très nette entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire entre lesquelles il n’y a pas « toujours forcément accord ou parallélisme ».

En janvier et février 1972 est menée une campagne relative à la situation fiscale du Premier ministre à la suite d’un article du Canard Enchaîné indiquant que celui-ci aurait légalement bénéficié des dispositions de la loi sur l’avoir fiscal. Cette mise en cause intervient dans un contexte d’affaires concernant la publicité à l’ORTF ou visant des membres et des personnalités proches de la majorité.

Le président de la République, qui avait pris l’initiative en décembre 1969 d’une relance de l’Europe, organise un référendum le 23 avril 1972 afin d'autoriser l'adhésion aux Communautés européennes des nouveaux États candidats, tout en demandant dans une déclaration une approbation de sa politique européenne. Mais si l'adhésion des nouveaux États est approuvée à 68,3 %, les abstentions atteignent un taux de près de 40 % et les blancs ou nuls 7,07 %. Pour Jacques Chaban-Delmas, l’essentiel est que le oui l’ait emporté mais le résultat apparaît comme un demi-échec pour le chef de l’État.

Afin de renouveler par un vote solennel la confiance du Parlement, Jacques Chaban-Delmas sollicite du Conseil des ministres l’autorisation d’engager la responsabilité du gouvernement, en application de l’article 49 alinéa premier de la Constitution, mais le communiqué publié à l’issue du Conseil des ministres indique de manière restrictive que cette faculté a été accordée au Premier ministre qui pourra demander la confiance s’il le juge utile. Dans sa déclaration à l’Assemblée nationale, le 23 mai, le chef du gouvernement insiste sur son attachement à l’ordre républicain. Il rappelle qu’il appartient aux seules institutions politiques de trancher les grandes questions d'intérêt général, au-dessus les intérêts des groupes sociaux mais qu’il s’est efforcé de concilier l'ouverture d'esprit nécessaire à l'égard des aspirations de la société avec le maintien des règles de la démocratie. Minimisant la dénonciation des affaires par la presse, il dresse un bilan de son gouvernement traitant essentiellement des questions économiques et sociales. Il précise que le gouvernement procède du seul président de la République qui peut mettre fin à tout moment aux fonctions du Premier ministre. Mais tout en confirmant sa « permanente allégeance au président de la République » il affirme, dans sa réponse aux porte-paroles des groupes politiques, sa volonté de mener personnellement la majorité aux prochaines élections législatives. Acclamé par les députés, le chef du gouvernement obtient 368 voix contre 96 et 6 abstentions, résultat devant lui permettre de relancer son action.

Mais à l’occasion du débat sur la réforme de l’ORTF il apparaît en fait que la cohésion de la majorité n’a pas été renforcée. Les rapports entre le président et son Premier ministre deviennent au cours de cette période de plus en plus tendus.

Le 5 juillet 1972, un communiqué de presse de la présidence de la République annonce la démission de Jacques Chaban-Delmas. Celui-ci est remplacé par Pierre Messmer.

Au total, même si l’après Mai 68 constituait une période de retour à l’ordre avec, par exemple, en juin 1970, l’adoption de la « loi anticasseurs » tendant à réprimer certaines formes nouvelles de délinquance et instituant une responsabilité pénale des organisateurs et instigateurs de manifestations ayant dégénéré en violences, dégradations et pillages, la politique mise en œuvre par le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas aura essentiellement visé à la libéralisation et à l’ouverture sociale.

La libéralisation se traduit en premier lieu par la suppression du ministère de l’Information. Les nouveaux responsables des deux unités d’information autonomes, Pierre Desgraupes et Jacqueline Baudrier, peuvent d'ores et déjà choisir leurs collaborateurs, même si dans l’immédiat le statut de l’ORTF n’est pas encore modifié. En effet, le Premier ministre annonce une prochaine réforme législative ; et une commission sur l'avenir du statut de l'ORTF présidée par Lucien Paye, Premier président de la Cour des comptes, est constituée en octobre. Remis le 30 juin 1970, le rapport propose d'introduire une émulation et une séparation entre les organes ayant des fonctions distinctes pour assurer une organisation pluraliste de l'ensemble de radiotélévision publique. Il préconise la création d'une instance spécifique, garante de la qualité des programmes et de l'impartialité et de l'indépendance du service public, à la place de la tutelle de l'État.

Compte tenu des propos exprimés par le président de la République qui considère que les journalistes de l’ORTF « parlent un peu au nom de la France » et des critiques d’une partie de la majorité à l’encontre d’une information mettant en valeur les aspects négatifs de la société française, les conclusions du rapport Paye ne sont pas appliquées et le Gouvernement conclut seulement avec l'ORTF un contrat de programme. À l'Assemblée nationale, est créée, en décembre 1971, une commission de contrôle de la gestion de l'Office de radiodiffusion télévision française alors qu’au Sénat est créée, en avril 1972, une mission d'information chargée d'examiner la régularité de la gestion de l'ORTF, au nom de laquelle est présenté par André Diligent un rapport sur la publicité clandestine. En mai, s’amorce un changement de direction à la tête de l’ORTF entraînant plus tard le départ de Pierre Desgraupes. À la suite du rapport présenté à l’Assemblée nationale par Joël Le Tac, Philippe Malaud, secrétaire d’État chargé de la fonction publique, présente à la demande du président de la République de nouvelles propositions puis un projet de loi. À l’Assemblée nationale, dans la discussion du projet de loi, le rapporteur Edgar Faure réaffirme le monopole d’État estimant que « la notion des programmes est à concevoir de manière à ne pas favoriser l'affairisme et le mercantilisme ». Au Sénat, Edouard Bonnefous, mettant en cause la gestion de l’ORTF et l’objectivité de l’information « pose la question : faudra-t-il attendre que les nouvelles élections amènent des changements dans la majorité pour que soient enfin réalisées une véritable réforme de l’ORTF et une vraie libéralisation ? » La loi du 3 juillet 1972 portant statut de la radiodiffusion télévision française conserve la structure unitaire de l'ORTF mais l'organise en unités fonctionnelles sous forme de régies et institue un Président Directeur Général nommé pour 3 ans en Conseil des Ministres et un Haut Conseil de l'audiovisuel.

L’objectif du gouvernement aura aussi été l’instauration d’une politique contractuelle destinée à se substituer à une situation socialement conflictuelle : ainsi dans chaque entreprise, des négociations ont lieu entre syndicats et patrons pour résoudre les problèmes.

Les bas-salaires sont augmentés. La loi du 2 janvier 1970 remplace le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) par le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), indexé à la fois sur le prix et sur les salaires : l’accroissement annuel du pouvoir d’achat du SMIC ne pouvant être inférieur à la moitié de l’augmentation du pouvoir d’achat des salaires moyens enregistrés par l’enquête trimestrielle du ministère du Travail. Il s’agissait de faire profiter le plus grand nombre des fruits de la croissance économique.

Le 10 juillet 1970, est signé par le patronat et les organisations syndicales l’accord sur la mensualisation des salaires. La mensualisation des salaires pour tous met fin à la distinction entre les employés payés au mois et les ouvriers payés à l’heure ou au rendement.

La loi du 13 juillet 1971 reconnaît l’existence d’un droit des travailleurs à la négociation collective, transformant ainsi le droit des conventions collectives en droit de la négociation collective. Elle accroît le champ de la négociation collective en instituant les accords d’entreprise et d’établissement sous un régime identique à celui de la convention de branche, en étendant l’objet des conventions collectives aux garanties sociales, en facilitant la procédure d’extension et en organisant celle d’élargissement.

La loi du 16 juillet 1971, à la suite de l’accord interprofessionnel sur la formation professionnelle de juillet 1970, garantit à tout salarié l’accès à la formation, généralise le principe du congé individuel, réaffirme le rôle du comité d’entreprise, perfectionne le mécanisme des conventions de formation entre l’État et les offreurs de formation ainsi que celui des rémunérations des stagiaires.

Dans les relations entre l’État et les entreprises publiques, la restitution « à ces entreprises de leur autonomie dans le respect d’une règle du jeu clairement définie et acceptée en commun » consiste, selon Jacques Chaban-Delmas, à « leur donner les moyens d’une gestion authentiquement compétitive, tout en tenant compte des charges d’intérêt général qui peuvent leur incomber en tant que service public ». Les contrats de progrès prévoient des revalorisations régulières des salaires.

Dans le domaine du droit des personnes, la loi du 4 juin 1970 relative à l’autorité parentale remplace la puissance paternelle par l'autorité parentale disposant que « les deux époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille ».

Enfin dans celui des collectivités locales, la loi du 5 juillet 1972 érige la région en établissement public à vocation spécialisée. Les 21 circonscriptions d’action régionale deviennent des régions dotées de la personnalité juridique et de l’autonomie budgétaire. Le Conseil régional composé de tous les parlementaires de la région et, en nombre égal, de représentants nommés par les conseils généraux et les principales municipalités, par ses délibérations, le conseil économique et social, par ses avis, et le préfet de région, par l’instruction des affaires et l’exécution des délibérations, concourent à l’administration de la région. Selon Jacques Chaban-Delmas, sans pour autant créer un pouvoir régional, la région peut intervenir en toute liberté et en toute responsabilité dans le financement des équipements choisis par elle, sans autre limitation que celle du montant total de ses dépenses et de ses ressources.

Lors de la cérémonie de passation des pouvoirs, le 7 juillet 1972, Jacques Chaban-Delmas souhaitant bonne chance à son successeur annonce son retour en Aquitaine « avec le sentiment du devoir accompli ».

Réélu une nouvelle fois le 11 mars 1973, au second tour, avec 13 748 voix, soit 53 % des suffrages, face à Daniel Tran, Gauche socialiste et démocrate, 8 904, et Adrien Junca, Mouvement des Réformateurs, 3 081, il se voit proposer un grand ministère des Affaires sociales, de l’Urbanisme et de l’Environnement dans le gouvernement Messmer remanié, mais il refuse. Après avoir été Premier ministre, il estime que l’étape suivante ne peut-être que celle de la charge suprême. C’est pourquoi, à l’étonnement d’une grande partie du monde politique, il n’est pas candidat à la présidence de l’Assemblée nationale, qui lui semblait acquise par la plupart des pronostics et c’est Edgar Faure qui est élu à la présidence de l’Assemblée. Les interprétations divergent, Philippe Séguin évoquant « une blessure secrète » (240 dans un fauteuil, 1995, p. 991), d’autres une intervention de l’Elysée. « Vous êtes le gaulliste qui a le plus de chances de me succéder », lui aurait confié Georges Pompidou, qui l’a reçu le 21 mars à l’Elysée, soit deux jours avant l’élection au perchoir, lui conseillant de conserver sa « liberté » pour se préparer à la présidentielle. Inscrit au groupe UDR, il siègera à la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales jusqu’en avril 1977.

Le 2 avril 1974, Georges Pompidou décède en cours de mandat et pour la seconde fois Alain Poher, président du Sénat, assure l’intérim de la présidence de la République. Le 4 avril 1974, jour des obsèques de Georges Pompidou, Jacques-Chaban-Delmas se déclare candidat à la présidence de la République avant même le délai ouvert pour l'inscription des candidats à l'élection présidentielle fixé du 5 au 16 avril. Le 7 avril, le comité central et les parlementaires de l'UDR lui apportent officiellement leur soutien, puis c’est au tour du Centre démocratie et progrès (CDP), du Centre indépendant et du Mouvement pour le socialisme par la participation. Le 8 avril Valéry Giscard d’Estaing, ministre d'État, ministre de l'économie et des finances annonce sa candidature en direct de la mairie de Chamalières, alors que c’est au tour de François Mitterrand d’annoncer la sienne, le même jour, au cours d’un congrès du Parti socialiste. Le 9 avril, dans le souci de ne pas ajouter une division supplémentaire au sein de la famille gaulliste, Pierre Messmer, Premier ministre, retire sa candidature le jour même où il l’avait annoncée. C’est dans le contexte d’une majorité divisée, qu’est rendu public, le 13 avril, un manifeste signé par 4 ministres et 39 députés dit du groupe des Quarante-trois remettant en cause publiquement la décision de l’UDR de soutenir Jacques Chaban-Delmas, ce qui ne manque pas d’apparaître comme un soutien à Valéry Giscard d'Estaing. Durant la campagne, Jacques Chaban-Delmas a beau se faire le champion de l'ouverture en présentant, au cours d’une conférence de presse, un plan de 30 mois de lutte contre la menace de crise et pour le progrès économique et social dans le sens d'une meilleure utilisation des ressources, défendre la participation des partenaires sociaux aux responsabilités économiques, une politique des prix garantissant le pouvoir d'achat, une répartition juste de la charge fiscale ou l'amélioration des bas salaires et tenir un discours qu’il veut rassembleur, se déclarant ni de droite ni de gauche, il est en position de décalage dans le cadre de la bipolarité du système électoral et, avec 15,1 % au premier tour, le 5 mai 1974, il est largement distancé par Valéry Giscard d'Estaing qui obtient 32,6 % des suffrages exprimés et par François Mitterrand, 43,25 %.

Candidat malheureux à l’élection présidentielle, il échoue par ailleurs à empêcher Jacques Chirac d’être élu secrétaire général de l’UDR, le 14 décembre 1974. Sa parole est néanmoins écoutée dans l’hémicycle lors du débat sur le VIIe plan, le 5 juin 1975. Comme toujours tourné vers l’avenir, le député-maire de Bordeaux essaie de tirer les leçons de la crise du pétrole en remettant en cause « un certain type de croissance qui l’a fait reposer jusqu’à maintenant sur une consommation exacerbée. » Fidèle à l’esprit de la « nouvelle société », il rappelle que « dans l'hypothèse d'une croissance ralentie, la nécessité d’une politique sociale résolue deviendrait plus impérieuse encore. » Selon lui, « les inégalités actuelles de la société française ne sont déjà pas supportables, alors que l'espoir demeure de voir l'enrichissement collectif contribuer à les réduire progressivement. Elles ne seront plus supportables du tout si cet espoir s'estompe et si l'engagement n'est pas solennellement pris de faire de la lutte contre les inégalités une priorité absolue, quelle que soit la conjoncture. » Les objectifs qu’il assigne à l’État, à savoir « la réduction des inégalités, le développement des équipements, le renforcement des services publics » lui paraissent « inconciliables » avec la politique menée par le gouvernement Chirac, et notamment par le ministre de l’Economie et des finances Jean-Pierre Fourcade, qui refuse obstinément d’augmenter les impôts. « Les échos qui nous parviennent sur les conditions de préparation du budget pour 1976 sont inquiétants », estime Jacques Chaban-Delmas, exhortant le gouvernement à ne « pas sacrifier les ambitions de la France et les espoirs des Français au mythe, peut-être inactuel, d'un équilibre budgétaire trop strict. » C’est clairement un discours d’opposant, qui entend souligner le contraste entre les grandes ambitions de sa « nouvelle société » et la frilosité de ceux qui lui ont succédé.

Sa deuxième intervention a lieu, le 2 octobre 1975, lors de la discussion d’un projet qui lui tient à cœur, concernant le développement de l'éducation physique et du sport. Ce grand sportif, rugbyman et tennisman émérite, intervient rappelant l’importance cruciale à ses yeux de cet enjeu pour l'avenir de la France, le sport étant selon lui un élément de culture et de formation au même titre que les autres disciplines. Ce texte étant la prolongation d’un plan d’équipement qu’il avait lui-même fait voter en tant que Premier ministre, il appuie l'effort entrepris, notamment les cinq heures hebdomadaires d’éducation physique dans le secondaire, l’essor des sections sport-études, le développement du sport à l'Université ou dans le « troisième âge. » Evoquant les expériences en cours dans sa ville de Bordeaux, il affirme qu’il n’y a pas à choisir entre le sport de masse et le sport d'élite, qui sont complémentaires, et c’est pourquoi il soutient le projet.

Enfin, il intervient le 7 octobre 1976 dans le débat sur la Déclaration de politique générale du nouveau Premier ministre Raymond Barre, qu’il soutient mais avec de fortes réserves. S’il souligne « l'atout » pour la France que représente le talent d’économiste du chef de gouvernement, s’il lui reconnaît la vertu de « dire la vérité aux Français » dans les temps difficiles de la crise, il aurait souhaité une action plus précoce – qui n’a pas été menée par Jacques Chirac – et il estime que le plan de rigueur présenté par Raymond Barre devrait s'accompagner de mesures structurelles tant économiques que sociales, adaptées à la profondeur des désordres économiques et de la crise de la société qui les accompagne. Il prône, comme en 1969, une société qui devrait reposer sur la responsabilité et la solidarité, reconnaissant l'existence et le pouvoir des corps intermédiaires, sur la concertation, sur un rôle accru du Parlement. Dénonçant l'excessive centralisation bureaucratique dans l'administration comme dans l'entreprise, il plaide en faveur d’une société plus juste, accordant l'égalité des chances, réduisant les écarts excessifs de revenus, augmentant les revenus les plus bas, créant un impôt sur la richesse. Rejetant à la fois le « collectivisme » de la gauche et le « libéralisme traditionnel », il réclame une nouvelle « Nuit du 4 août », qui lui apparaît comme « le grand dessein » attendu par les Français.

Réélu député de la Gironde dès le premier tour, le 12 mars 1978, avec 13 238 voix soit 55,3 % face à six candidats, il manifeste son intention de retrouver la présidence de l’Assemblée nationale lors du conseil politique du RPR, le 20 mars. Mais c’est Edgar Faure, soutenu par Jacques Chirac, qui est choisi par le parti gaulliste, par 109 voix sur 138 votants. Jacques Chaban-Delmas se présente donc au « perchoir » à titre individuel, en dépit des objurgations de Michel Debré, Pierre Messmer et Yves Guéna, secrétaire général du parti, qui menace même de l’exclure. Ses collaborateurs, notamment Patrick Ollier et Pierre Charon, se livrent pendant quelques jours à un véritable travail de démarchage auprès des députés susceptibles de se rallier à sa candidature. Le 3 avril 1978, une trentaine d'entre eux joignent leurs suffrages à ceux des 124 Républicains indépendants pour le placer en tête de la course au perchoir, avec 153 voix contre 136 à Edgar Faure. Ce dernier s’étant retiré en sa faveur, il est élu président de l’Assemblée nationale au second tour par 276 voix contre 112 au socialiste Pierre Mauroy, retrouvant le perchoir qu’il avait quitté onze ans plus tôt.

Lors de son intronisation au perchoir, le 5 avril 1978, il tire la leçon des élections législatives, marquées par une poussée de la gauche et par un net recul des gaullistes, insistant à nouveau sur la nécessité d’une inflexion sociale du pouvoir. Il observe en effet que « le pays a signifié ce dont il ne voulait pas », c'est-à-dire la gauche, mais qu’il a, « en même temps, indiqué qu'il voulait le changement de certaines choses et aussi de nouvelles autres choses […] Ces volontés, venues des profondeurs du peuple français, sont connues. Elles visent à plus de justice sociale par la prise de mesures effectives et probantes de la volonté du Gouvernement et de la majorité d'entreprendre fermement les actions nécessaires dans ce sens. » Se réclamant à nouveau de son discours du « 16 septembre 1969 », il réclame « moins d'inégalités sans fondement et par conséquent scandaleuses », « plus de participation et par conséquent plus de responsabilité pour atteindre à plus de liberté, et que celle-ci ne soit pas formelle pour n'être pas mensongère », c'est-à-dire « une société véritablement plus juste et plus libre, c'est à dire plus humaine. »

Pour mener à bien cette politique de renouveau, il souligne le rôle moteur qui doit être celui de la « majorité parlementaire » dans cette politique, « main dans la main » avec le Gouvernement. Par ailleurs, il appelle majorité et opposition à unir leurs « efforts au-delà de nos querelles, dans un esprit fraternel. » C’est pourquoi il souhaite une vie parlementaire marquée par « la bienveillance, le respect de l'autre, la tolérance en un mot », dans un moment politique où les antagonismes sont exacerbés par la crise. À cet égard, il déplore le « ton employé au cours de certaines séances de questions » dans un « passé récent », lorsque Edgar Faure était au perchoir. Dépositaire de notre histoire parlementaire, il exhorte ses « chers collègues » à « donner l'exemple dans ce Palais-Bourbon qui nous renvoie les échos assourdis des fortes paroles de nos prédécesseurs, depuis maintenant plus d'un siècle. »

Comme sous la présidence gaullienne, il se fait le défenseur intransigeant des prérogatives de l’Assemblée. Par exemple, dans son discours de fin de session, le 20 décembre 1978, il incite les ministres à répondre plus rapidement aux questions écrites des députés, et il réprouve les dépôts de projets de loi trop tardifs, qui empêchent une délibération suffisante. Dans la séance du 27 juin 1979, il demande au Premier ministre de faire en sorte que les sessions des conseils généraux ne coïncident pas avec les sessions de l'Assemblée nationale. Dans son allocution de clôture du 19 décembre 1979, il exhorte celui-ci à « user avec mesure » de « l'article 49, alinéa 3, de la Constitution », auquel Raymond Barre a eu plusieurs fois recours dans les semaines précédentes. Selon lui, plus que la lettre, c’est « la nature de nos institutions, leur physionomie, telle que vingt ans de pratique constitutionnelle en ont dessiné les traits, leur esprit en un mot, [qui] doivent constituer le guide du bon usage. » Par conséquent, « le recours à une disposition qui tend finalement à ériger le silence de l'Assemblée en consentement doit demeurer limité » et « ne saurait devenir un moyen ordinaire de légiférer. »

Il en profite pour rappeler la nature « à la fois parlementaire et présidentielle » de la Ve République, « pour reprendre la définition qu'en donnait son fondateur. Une institution parlementaire rénovée et une autorité gouvernementale restaurée, l'une et l'autre bien séparées, retiennent l'État de tomber dans cette confusion des pouvoirs et des responsabilités que le général de Gaulle dénonçait dès le 27 août 1946. Que le Gouvernement gouverne et que le Parlement contrôle et légifère ! L'un est le contrepoids nécessaire de l'autre, nécessaire pour le bon fonctionnement de la démocratie. » Et il ajoute que « pour maintenir dans les rapports entre les pouvoirs un tel équilibre, par nature précaire, il appartient à l'exécutif d'abord, que les règles institutionnelles mettent à l'abri des empiètements, aux groupes de la majorité ensuite, de recréer les conditions d'une concertation permanente, sincère, fructueuse, dans le cadre approprié fourni par nos institutions. »

Le 17 décembre 1980, dans son allocution de fin de session, il revient longuement sur cette « question fondamentale » du « rôle de l'Assemblée nationale dans les relations entre les pouvoirs », se faisant l’écho d’un « certain malaise » des députés. Son objectif est clair : faire que le Parlement redevienne « le centre du débat national. » S’il admet que « diverses lectures » de la Constitution « sont possibles », « les extrêmes étant à rejeter », il plaide pour « l'équilibre entre les pouvoirs », qui « peut seul assurer la coopération la plus efficace entre les gouvernants et les représentants du peuple souverain. » Il revendique « pleinement la faculté de contrôle reconnue aux députés, et, d'abord, au sein des commissions de l'Assemblée, par les investigations des rapporteurs et aussi par l'action des commissions d'enquête ou de contrôle. » Puis il souligne « l'intérêt que présentent, sur des sujets essentiels, les débats publics les plus larges. » Enfin, il évoque « l'image de [notre] Assemblée dans le pays », « le devoir civique de faire connaître, comprendre et considérer les institutions dont la France s'est dotée démocratiquement », un enjeu éducatif, « à dessiner, dès le temps de l'école, et qu'il faut entretenir par l'éducation, l'information. »

On mesure à quel point cette profession de foi parlementaire contraste avec la lecture présidentialiste d’une partie de la famille gaulliste, ainsi qu’avec les dérives des chefs d’État qui se sont succédé depuis 1958. Jacques Chaban-Delmas apparaît non seulement comme le premier défenseur de l’institution qu’il préside, mais aussi comme le fer de lance de sa modernisation. Il annonce le 27 juillet 1979 un train de mesures comportant aussi bien l’agrandissement des locaux de l’Assemblée nationale, notamment l’aménagement en sous-sol de la cour d'honneur du Palais-Bourbon d'un silo à livres, d'un parking et de diverses salles, mais aussi la création d'un second poste de collaborateur pour chaque député, l’assouplissement des modalités d'organisation des questions sans débat, ou la désignation, dans chaque ministère, d'un responsable habilité à correspondre avec le service des études de l'Assemblée.

Il déclare le 17 décembre 1980, « faire en sorte que l'Assemblée soit en mesure d'exercer pleinement ses compétences, la majorité comme l'opposition, chacun de ses organes comme chacun de ses membres. » C'est pourquoi il entend élargir la part des députés dans l’initiative législative en demandant aux commissions de procéder, une fois par mois, à l'examen de propositions de loi. Par ailleurs, « afin de rendre plus intéressante, plus animée et plus vivante la discussion budgétaire », il lance l’expérience de diviser la discussion des budgets. Enfin, il propose une procédure qui permette de suivre l'application des lois, afin de renforcer le contrôle parlementaire. En outre, les retombées médiatiques de la visite du président de l’Assemblée nationale en Union soviétique, brutalement interrompue le 23 janvier 1980 lorsqu'il apprend l'arrestation du dissident Andrei Sakharov, prouvent qu'il occupe à nouveau à cette époque une place de premier plan dans la vie politique française.

La victoire de François Mitterrand à la présidence de la République, le 10 mai 1981, est un tournant historique, dont Jacques Chaban-Delmas est loin d’être absent. Ami de longue date du nouveau chef d’État, qu’il tutoie, il est l’un des premiers reçus à l’Elysée dans les premiers jours du septennat. Il s’y montre hostile à la dissolution immédiate de l'Assemblée nationale, conseillant au président d'attendre le vote d'une motion de censure contre le gouvernement Mauroy. Le 2 juillet, il devra abandonner le perchoir au socialiste Louis Mermaz.

Réélu député de Gironde, le 14 juin 1981, dès le premier tour avec 11 133 voix, soit 57,7 %, inscrit au groupe RPR, il se fait discret au Palais-Bourbon, siégeant à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, mais il entend rester présent dans le débat politique national. Le 2 décembre 1983, il fait partie des dix-sept députés qui fêtent leur réélection constante à l'Assemblée nationale, aux côtés notamment du socialiste martiniquais Aimé Césaire, le chantre de la négritude, élu comme lui pour la première fois le 10 novembre 1946. Au soir de cette célébration amicale, la chaîne de télévision FR3 lui consacre une émission dans laquelle il fait une importante déclaration : en cas de changement de majorité en 1986, il accepterait de devenir « le Premier ministre désigné par François Mitterrand », quitte à « faire une politique différente de la sienne et à certains égards opposée ». En tant que législateur, il se contente de déposer deux amendements pendant la législature : le premier pour le maintien de la peine de mort dans certains cas, le 17 septembre 1981 ; le second à propos de la fiscalité des communes membres d'un groupement à fiscalité propre, le 22 novembre 1985. Par ailleurs, il n’intervient qu’une seule fois, le 8 février 1984, à la suite d’un vif débat qui a vu Claude Labbé, président du groupe RPR, réclamer la démission de François Mitterrand et Pierre Mauroy. En position d’arbitre, il regrette les propos « sinon excessifs », en tout cas « sous pression » qui ont été tenus, mais demande « qu'on se souvienne de ce qu'en effet notre institution, fondamentale dans la République, ne peut vraiment fonctionner et se faire respecter par les citoyens, ce qui est également essentiel, que si en toute circonstance les droits de l'opposition sont réellement respectés. »

Il est réélu le 16 mars 1986, la liste d’Union de l’opposition qu’il conduit, obtenant 5 sièges avec 43,1 %. Alors que François Mitterrand lui a fait savoir le 18 mars 1986 qu’il voulait l’appeler à Matignon, Jacques Chirac obtient deux jours plus tard d’être désigné au poste de Premier ministre, en tant que chef de la nouvelle majorité parlementaire. Jacques Chaban-Delmas se voit alors proposer le portefeuille des Affaires étrangères, mais il le refuse comme il avait refusé un ministère d’État en 1974. En revanche, il souhaite retrouver son poste de prédilection, celui de président de l’Assemblée nationale. En concurrence avec Valéry Giscard d’Estaing, qui se retire à la veille du scrutin, il est soutenu par Jacques Chirac et par le groupe RPR, ce qui lui permet d’être une nouvelle fois élu au « perchoir », le 3 avril 1986, au second tour, par 282 voix contre 205 au socialiste André Labarrère, son rival aquitain. Son discours d’intronisation est un hymne à « la tolérance », « une vertu cardinale de la démocratie », notamment en période de cohabitation. Rappelant qu’à ses yeux « la Constitution de 1958 est, sans doute, le plus précieux des bienfaits que nous devons au général de Gaulle », il appelle l’Assemblée à « jouer pleinement son rôle, tout son rôle, mais seulement son rôle, dans le respect de la lettre et de l'esprit de la Ve République. » Il se cantonne scrupuleusement à son rôle d’arbitre, en prenant soin de ne pas se comporter comme un opposant au président de la République François Mitterrand, par ailleurs un ami personnel.

C’est ainsi qu’il se tient en retrait dans le débat sur les dénationalisations. Lorsqu’on le consulte à propos des ordonnances délibérées en conseil des ministres, il indique dans Sud-Ouest du 29 juin 1986 que rien dans la Constitution n'oblige le chef de l'État à les signer. Il intervient le 9 avril pour mettre fin à un débat houleux entre le gaulliste Jacques Toubon et le socialiste Lionel Jospin : « Messieurs, vous vous invectivez tels les héros d'Homère. Comme vous n'avez pas de javelot à lancer, je vous prie maintenant de vous taire ! » Il utilise à nouveau cette image le 13 mai, évoquant « les héros d'Homère qui, rappelez-vous, s'invectivaient et se lançaient ensuite leur javelot », puis le 8 juillet, rappelant que ces duels de javelot de l’antiquité grecque ne faisaient heureusement « pas beaucoup de morts. » Dans un registre plus grave, il lance un appel à la pacification des débats au terme de la séance du 6 décembre 1986, trop agitée à son goût : « Je tiens à dire aux membres de l'Assemblée […] qu’il est essentiel que les insultes, les provocations, les excommunications majeures, soient bannies de nos débats, sinon ceux-ci ne peuvent pas se dérouler normalement. »

La réélection de François Mitterrand à la présidence de la République, le 8 mai 1988, met une fin définitive au bail que Jacques Chaban-Delmas avait signé trente ans plus tôt à l’hôtel de Lassay. Comme en 1981, le chef de l’État choisit de dissoudre l’Assemblée afin de s’appuyer sur une majorité parlementaire de gauche. L'hôte du perchoir, qui avait espéré une nouvelle cohabitation, proteste publiquement contre ce qu'il considère comme une « dissolution-guillotine ».

Réélu député le 5 juin 1988 dès le premier tour avec 18 091 voix, soit 53,88 %, contre son adversaire socialiste Philippe Rouyer, 32,11 % , Dominique Remy, FRN et Claude Mellier, Rassemblement des forces de gauche, le maire de Bordeaux, inscrit au groupe RPR, peut espérer conserver le « perchoir » car les résultats du second tour, le 12 juin, ne donnent qu’une courte majorité de 276 sièges à la majorité présidentielle contre 271 à l’URC, qui rassemble les opposants. Le soir même de son élection bordelaise, il se déclare donc candidat à « un poste par nature d'ouverture et de rassemblement. » Le 23 juin, au Palais-Bourbon, il n'est devancé au premier tour que de 13 voix par Laurent Fabius, le candidat socialiste, Mais la discipline majoritaire fonctionnant mieux que l’alliance des droites et du centre, il est battu au second tour avec 268 voix contre 301.

Membre de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, il reste en revanche totalement silencieux dans les débats de l’hémicycle tout au long de la législature. L’abstention de cet Européen convaincu lors du vote du 13 mai 1992, sur le principe de la réforme de la Constitution pour permettre la ratification du traité de Maastricht, surprend les observateurs. Mais il justifie ce choix par la nécessité tactique d’apparaître solidaire de la majorité des députés gaullistes, afin de les convaincre de transformer leurs votes négatifs en abstentions.

Il est réélu député pour la quatorzième fois consécutive, le 28 mars 1993, au second tour, sans même avoir fait campagne, avec 18 346 voix, soit 75,1 %, face à Pierre Sirgue, Front national.

D’abord revenu à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, le 8 avril 1993, il la quitte, en mars 1994, pour celle de la défense nationale et des forces armées. Par ailleurs, il siège aussi, à partir d’avril 1994, à celle des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, qu’il quitte brièvement en novembre 1994 pour celle des finances, de l'économie générale et du plan. Réélu membre de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République en avril 1995, il la quitte à nouveau en octobre 1996 pour celle de la Commission de la production et des échanges, comme s’il voulait multiplier les expériences parlementaires avant de quitter la scène.

Il prononce son dernier grand discours, le 12 novembre 1996, lors d’une cérémonie émouvante au cours de laquelle il est nommé président d’honneur de l’Assemblée nationale par les députés unanimes. Assis au premier rang de l’hémicycle, il répond au président Philippe Séguin : « Je savais depuis longtemps qu’il existait une grande famille parlementaire. Lorsque je cesserai de travailler, j’emporterai comme le plus grand et le plus précieux trésor cette communauté d’esprit et de cœur qui nous réunit encore aujourd’hui. »

Il ne se représente pas lors des élections législatives qui suivent la dissolution d’avril 1997, cédant son siège de député à Alain Juppé, qui lui a aussi succédé à la mairie de Bordeaux en juin 1995. Il part s’installer au pays basque, dans sa Bergerie d’Ascain, où il vivra les dernières années de sa vie en compagnie de sa femme Micheline. Il y rédige ses Mémoires pour demain, un livre de souvenirs dans lequel il proclame son attachement au monde parlementaire : « Non, écrit-il, les députés ne passent pas leur temps à échanger des injures homériques ni à lancer de petites phrases qui tuent. Oui, ils travaillent, et considérablement. Oui, ils sont dans leur immense majorité honnêtes, consciencieux, sincèrement attachés à l'intérêt général. Oui, ils assument avec cœur les responsabilités que leur a confiées le suffrage universel des citoyens. »

Affaibli par la maladie et l’âge qu’il refusait, Jacques Chaban-Delmas décède le 10 novembre 2000, à l’âge de 85 ans. L’Assemblée nationale respecte une minute de silence le jour de cette disparition. Un hommage lui est rendu, le 22 novembre 2000, par Raymond Forni, président socialiste de l’Assemblée, et par le Premier ministre Lionel Jospin. Ce dernier exalte « le message » laissé par Jacques Chaban-Delmas, « fait de loyauté et de fidélité, de conviction et d'esprit de compromis, de modernité et de générosité ». Quant à Raymond Forni, il rappelle que « Jacques Chaban-Delmas est, depuis 1789, celui qui aura présidé le plus longtemps l'Assemblée issue du suffrage universel direct, en étant élu six fois à ce fauteuil », « celui qui a voulu rendre un rôle véritable au pouvoir législatif, quand l'heure était à un exécutif tout puissant ». Il se souvient de son « art de présider les débats » avec « une exigence, une autorité, parfois même une sévérité, mais aussi une chaleur et une courtoisie, qui surent lui gagner l'amitié et le respect de tous les parlementaires. » Il rappelle qu’il « avait pour chacun une parole, un geste, un sourire, qui laisseront son souvenir à jamais vivant dans cette maison, sa maison. » C’est pourquoi il estime que Jacques Chaban-Delmas « fut sans doute », avec Edouard Herriot, « notre plus grand président ». Et c’est pourquoi, le 28 mars 2001, il préside l’inauguration de deux plaques à sa mémoire, l’une dans hémicycle, et l’autre dans le hall de l’immeuble du 101, rue de l’Université, baptisé de son nom. Ainsi gravée dans le marbre, la rencontre historique entre un homme et une institution justifie la formule de Laurent Fabius, succédant en 1988 à Jacques Chaban-Delmas au perchoir, et rendant hommage à celui qui « incarnait » la Présidence de l'Assemblée nationale.

Une cérémonie funèbre a lieu le 14 novembre aux Invalides, la messe célébrée par le cardinal Mgr Jean-Marie Lustiger et l’archevêque de Bordeaux Mgr Pierre Eyt s’achevant par d’émouvants chants basques. Pour le président de la République Jacques Chirac, Jacques Chaban-Delmas « en précurseur […] avait compris que notre société moderne ne serait pas celle des certitudes acquises une fois pour toutes, des manichéismes, des idéologies en blanc et noir. Il savait que certains grands projets pour réussir doivent dépasser les clivages et rassembler des majorités d’opinion et d’enthousiasme. La Nouvelle Société, qu’il appelait de ses vœux, était une société plus juste, plus solidaire, une société humaniste… Aujourd’hui, en ce début du XXIe siècle, Jacques Chaban-Delmas nous montre le chemin. »

À Ascain, où il est inhumé, sa tombe toute simple en pierre de la Rhune porte cette unique inscription : « Compagnon de la Libération ».

À Bordeaux le parc Lescure porte désormais le nom de l’ancien maire. Le 12 novembre 2012, 12 ans après son décès, est dressée à son effigie, sur la place devant l'hôtel de ville de Bordeaux, une sculpture monumentale de Jean Cardo et, le 15 mars 2013, a été inauguré le pont à travée centrale levante Jacques-Chaban-Delmas reliant les deux rives de la Garonne.

Œuvres :
- L'Ardeur (Stock, 1975) ;
- Charles de Gaulle (Éditions no 1, 1980) ;
- La Libération (Éditions no 1, 1984) ;
- Les Compagnons (Albin Michel, 1986) ;
- La Dame d'Aquitaine (Editions RMC, 1987) ;
- Montaigne (Michel Lafon, 1993) ;
- Mémoires pour Demain (Flammarion, 1997).