Jacques, Pierre Brissot

1754 - 1793

Informations générales
  • Né le 15 janvier 1754 à Chartres ( - Généralité d'Orléans - France)
  • Décédé le 31 octobre 1793 à Paris (Département de Paris - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Révolution
Législature
Assemblée nationale législative
Mandat
Du 13 septembre 1791 au 20 septembre 1792
Département
Seine
Groupe
Gauche
Régime politique
Révolution
Législature
Convention nationale
Mandat
Du 5 septembre 1792 au 31 octobre 1793
Département
Eure-et-Loir
Groupe
Girondins

Biographies

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny)

Député à l'Assemblée législative de 1791, et membre de la Convention, né à Chartres (Eure-et-Loir), le 15 janvier 1754, exécuté à Paris, le 31 octobre 1793, il était le treizième enfant d'un riche aubergiste de Chartres et fut élevé à Ouarville près Chartres, dont il fit plus tard Warville (forme anglaise), en joignant ce nom au sien.

Dès sa jeunesse, il se montra passionné pour l'étude; destiné au barreau par sa famille, il fut placé chez un procureur où il étudiait beaucoup moins les dossiers que les langues étrangères ; il apprit ainsi l'anglais, l'italien, et commença l'allemand, l'espagnol et le grec : puis il alla prendre ses degrés à Reims, et se rendit à Paris dans le but de devenir avocat au Parlement. Là, il entra en relations avec Voltaire, à qui il adressa la préface du livre qu'il avait en vue sous le titre : Théorie des lois criminelles, et fréquenta d'Alembert, et Linguet, qui le fit entrer au Mercure ; gêné par les remontrances de sa famille, et redoutant l'influence du clergé sur l'esprit de son père, il écrivait, dès le 26 mars 1773 : « Je vois que les prêtres infectent l'esprit de mon père ; dès à présent, je dévoue ma plume à cette maudite race qui fait le malheur de ma vie. » Il se rendit à Boulogne-sur-Mer comme traducteur d'une feuille anglaise : le Courrier de l'Europe, puis revint à Paris étudier les sciences physiques, avec Fourcroy et Marat. La publication de la Théorie (1780), et de la Bibliothèque des lois criminelles (1782-1786), le mit en vue sans lui donner la fortune; il songea à fonder à Londres une sorte d'académie internationale ; il y intéressa d'Alembert, mais le projet n'aboutit pas ; le Journal du lycée de Londres n'eut que quelques numéros, et Brissot revint à Paris, où il fut, dès son arrivée, enfermé à la Bastille comme coupable d'un pamphlet contre la reine, dont il n'était pas l'auteur (1785) ; le duc d'Orléans l'en fit sortir au bout de quatre mois.

Il entra alors dans les bureaux du duc d'Orléans, au Palais-Royal, et, impliqué dans un complot du Parlement tramé, disait-on, dans les bureaux du Palais-Royal, gagna Londres, sous la menace d'une lettre de cachet.

Ayant assisté aux séances de la Société pour l'abolition de la traite des noirs, il se décida à fonder à Paris la Société des amis des noirs (février 1788), qui compta bientôt parmi ses membres Clavière et Mirabeau, amis de Brissot, puis La Fayette, Volney, La Rochefoucauld, Pastoret, Sieyès, l'abbé Grégoire, etc.

Brissot alla étudier sur place, en Amérique, les moyens pratiques d'émancipation, fut reçu par Washington et par Franklin, et, rappelé en France par les premières agitations de la Révolution, fonda, à son arrivée, le Patriote français, chargé de défendre les idées nouvelles, avec la collaboration de Roland, de Mme Roland, de Girey-Dupré et de Mirabeau. Son zèle patriotique le fit entrer au premier conseil municipal de Paris en cette qualité, il reçut, dit-on, le 14 juillet 1789, les clefs de la Bastille où il avait été détenu quatre ans auparavant; il ne lui avait manqué que quelques voix pour être élu député suppléant aux états généraux ; il fut appelé du moins au comité de Constitution, comme publiciste.

Les électeurs du département de Paris le nommèrent à l'Assemblée législative, le 13 septembre 1791, par 409 voix sur 708 votants ; il fut membre du comité diplomatique, et réclama autant de sévérité contre les émigrés qui couraient au dehors prendre les armes contre la France, que d'indulgence pour ceux qui n'allaient chercher à l'étranger qu'un abri contre les orages dont ils se croyaient menacés. En janvier 1792, il exposa les projets de l'Autriche, proposa d'en exiger satisfaction, demanda la mise en accusation du ministre de Lessart, et poussa de toutes ses forces à la déclaration de guerre à l'empereur. En juillet, il prononça sur la situation de la France, sur les ennemis de la Constitution, et contre la cour, un discours qui souleva un vif enthousiasme et dont l'assemblée vota l'impression. S'efforçant pourtant de retenir l'Assemblée sur la question de la déchéance, il s'attira les murmures et les insultes des tribunes, et les Brissotins dont la future Gironde faisait alors partie, furent désignés à la haine du parti avancé.

Après le 10 août, Brissot fut chargé de rédiger une déclaration de l'Assemblée aux puissances étrangères. Trois départements l'élurent membre de la Convention : l'Eure-et-Loir, le 5 septembre 1792, par 294 voix sur 349 votants, l'Eure, le 6 septembre, par 396 voix sur 583 votants, et le Loiret, le 6 septembre également, par 324 voix sur 392 votants : il opta pour l'Eure-et-Loir.

La Gironde qui siégeait à gauche à l'Assemblée législative, passa à droite avec Brissot.

Brissot flétrit les massacres de septembre, fit, le 12 janvier 1793, au nom du comité de défense, un rapport sur nos relations avec l'Angleterre, et dans le procès de Louis XVI, s'éleva si éloquemment au nom de la politique, contre la mort du roi, que celui-ci, en apprenant son arrêt s'écria :
« Je croyais que M. Brissot m'avait sauvé. »

Brissot vota le renvoi aux assemblées primaires, et répondit, au 3e appel nominal :

« Dans l'opinion que j'ai présentée, j'ai déclaré que Louis paraissait coupable du crime de haute trahison, qu'il méritait la mort.

J'étais, et je suis encore convaincu que le jugement de la Convention, quel qu'il fût, entraînerait de terribles inconvénients.

J'étais et je suis encore convaincu que le jugement de la nation, quel qu'il eût été, n'aurait aucun de ces inconvénients, ou que, s'il s'en présentait, ils auraient été facilement écartés par la force de la toute puissance nationale.

La Convention a rejeté cet appel ; et je le dis avec douleur, le mauvais génie qui a fait prévaloir cette décision a préparé des malheurs incalculables pour la France.

Ils sont incontestables, quelque système qu'on adopte ; car je vois dans la réclusion le germe de troubles, un prétexte aux factieux, un prétexte aux calomnies, qu'on ne manquerait pas d'élever contre la Convention, et d'accuser de pusillanimité, de corruption, qu'on dépouillerait de la confiance qui lui est nécessaire pour sauver la chose publique.

Je vois dans la sentence de mort le signal d'une guerre terrible, guerre qui coûtera prodigieusement de sang et de trésors à ma patrie ; et ce n'est pas légèrement que j'avance ce fait : non pas que la France ait à redouter les tyrans et leurs satellites ; mais les nations, égarées par des calomnies sur le jugement de la Convention, se joindront à eux ; et c'est pourquoi j'avais soutenu l'appel au peuple, parce que dans ce système les tyrans auraient été forcés de respecter le jugement d'un grand peuple, parce que les nations n'auraient pu être égarées par eux, parce que, dans le cas d'attaque, le peuple français était là, tout entier pour écraser cette coalition.

Convaincu que ce jugement va être suivi de malheurs, j'ai cherché longtemps le genre de peine :

Qui pût réunir à un plus haut degré la justice à l'intérêt de la chose publique ;
Qui pût faire respecter la Convention par tous les partis ;
Qui nous conciliât les nations ;
Qui effrayât les tyrans en même temps qu'il déjouait les calculs de leurs cabinets, qui tous veulent la mort de Louis, parce qu'ils veulent populariser leur guerre ;
Qui déjouât les prétendants du trône ;
Qui pût enfin associer la nation au jugement de la Convention.

Or, toutes ces conditions, je les ai trouvées dans la sentence de mort avec l'amendement Louvet ; c'est-à-dire en suspendant son exécution jusqu'après la ratification de la constitution par le peuple.

C'est par ces motifs que j'ai préféré ce mode à l'opinion de la réclusion, quoique en principe cette opinion ait le suffrage du publiciste philosophe, quoi qu'elle pût avoir, avec le suffrage de Thomas Payne, le vœu de quatre millions d'Américains libres ; et je l'affirme avec confiance, parce que je connais ces braves républicains: à cette réclusion, que j'écarte à cause des circonstances particulières où se trouve la France, et des inconvénients qu'elle entraînerait si elle était prononcée par la seule Convention ; à cette réclusion, je préfère la peine de mort, avec la suspension de l'exécution jusqu'après la ratification de la constitution, parce que cette suspension met votre jugement sous la sauvegarde nationale, parce qu'elle imprime à votre jugement ce caractère imposant de désintéressement et de magnanimité dont je désirerais l'environner ; parce que enfin, elle associe à votre jugement la nation entière, et que cette association peut seule mettre la nation en état d'apaiser les troubles intérieurs, et de repousser les calamités extérieures.

Mon opinion sera calomniée ; c'était le sort réservé à mon opinion, quelle qu'elle fût. Je ne répondrai aux calomnies que par une vie irréprochable; car je défie mes adversaires de citer et de prononcer un seul fait ; j'y répondrai par mon honorable pauvreté, que je veux léguer à mes enfants ; et peut-être le moment n'est pas loin, où ils recueilleront ce triste legs ; mais, jusqu'à ce moment, que j'attends avec tranquillité, je ne répondrai que par mon zèle infatigable à maintenir le système de l'ordre, sans lequel toute république n'est qu'un repaire de brigands.

Citoyens, j'insiste et je dois insister sur ce point. Un orage s'avance ; il sera violent : la France peut le repousser, mais son succès dépend d'un seul point. Si nous n'extirpons pas le principe désorganisateur qui nous travaille en tous sens, je le dis avec la confiance d'un homme qui connaît votre situation extérieure, vos ressources, celles de vos ennemis, leurs principaux appuis ; si ce principe désorganisateur n'est pas anéanti, la République ne sera bientôt plus.

Je vote pour la mort, en suspendant son exécution jusqu'après la ratification de la constitution par le peuple. »

Ce vote exaspéra la Montagne, et valut aux Girondins l'accusation de royalisme.

En mars, la commune de Paris essaya de conspirer ; le 10 avril, Robespierre dénonça les Girondins comme complices de Dumouriez ; le 19 mai, Brissot, qui appréciait exactement le danger, écrivait à un ami : « On a guillotiné assez de cuisiniers, assez de cochers de fiacre, ce sont des têtes de conventionnels qu'il faut à présent » ; enfin, le 31 mai, les commissaires de 35 sections de Paris vinrent exiger ces têtes à la barre de la Convention, celles de Brissot et de vingt-et-un autres députés. Le 2 juin, sous la pression d'une insurrection populaire, la Convention les décréta d'arrestation. Le premier mouvement de Brissot fut de se soumettre, mais ses amis le pressèrent de fuir en Suisse. C'est en s'y rendant, qu'il fut arrêté à Moulins, le 11 juin, sous le nom d'Alexandre Ramus, négociant à Neuchâtel.

Le 13, il écrivit au président de la Convention la lettre suivante :

Jean-Pierre Brissot, député, au président de la Convention nationale.

« Citoyen président, les menaces d'assassinat dont j'ai été particulièrement l'objet, depuis quelque temps, m'ont forcé de quitter Paris dans ce moment où la Convention délibérant sous les baïonnettes, a été contrainte de mettre en arrestation 35 de ses membres sans les avoir entendus. J'ai balancé, je l'avoue, dans le premier instant ; la fuite me paraissait indigne d'un représentant du peuple ; mais réfléchissant que si d'un côté je devais me reposer sur la justice de la Convention et la loyauté du peuple de Paris, de l'autre il était évident que les puissances étrangères entretenaient dans cette ville une armée de brigands, pour massacrer les députés et dissoudre la Convention; réfléchissant qu'elle n'avait maintenant aucunes forces pour les réprimer, j'ai cru devoir attendre dans la solitude que la Convention ait repris l'autorité suprême dont elle était investie, et que ses membres pussent sûrement et librement repousser dans son sein les accusations fausses élevées contre eux. C'est dans cet esprit que j'allais chercher un asile ignoré, lorsque j'ai été arrêté dans cette ville. Mon passeport était sous un nom étranger ; c'est une faute, sans doute, mais les persécutions qui, en environnant mon nom d'une cruelle célébrité, me forçaient de le taire, la rendent sans doute excusable.

Je demande à la Convention, et c'est un acte de justice, d'être entendu contre tous mes calomniateurs ; je voudrais l'être à la face de la France entière. Je demande surtout que la Convention, en ordonnant ma translation chez moi, à Paris, ne rende aucune décision sans m'entendre.

Signé : J. P. BRISSOT.

P. S. - Le citoyen Sougne, qui avait un passeport bien en règle, et qui, par amitié pour moi, m'a suivi dans mon voyage, a été arrêté avec moi. Je demande à la Convention de vouloir bien en ordonner la relaxation. S'il existe un délit, j'en suis seul coupable ; et un ami généreux ne doit pas être puni de son dévouement. »

Le procès-verbal d'arrestation de Brissot donne de lui ce signalement : âge 39 ans ; taille 5 pieds ; cheveux châtain foncé, plats et en petite quantité ; front élevé et un peu dégarni; yeux gris brun, assez grands et couverts; nez long, un peu gros ; menton long avec une fossette ; barbe noire ; visage ovale et étroit du bas.

Ramené à Paris, il fut mis au secret dans la prison de l'Abbaye, le 24 juin 1793, et y écrivit des mémoires sous le titre de Legs à mes enfants : ce fut d'ailleurs tout l'héritage qu'il leur laissa.

Mis en jugement avec les autres Girondins dans les derniers jours d'octobre, il fut condamné à mort et périt sur l'échafaud.

Mme Roland a tracé de lui, dans ses Mémoires, un curieux et touchant portrait. Girey-Dupré, son ancien collaborateur, a dit de lui: « Il a vécu comme Aristide, il est mort comme Sidney. »

Outre les ouvrages déjà cités, on a de lui :
- Moyens d'adoucir les rigueurs des lois pénales (1780) ;
- De la vérité, ou Méditations sur les moyens de parvenir à la vérité dans toutes les connaissances humaines (1782) ;
- Tableau de la situation actuelle des Anglais dans l'Inde (1784) ;
- Discours sur la rareté du numéraire (1790), etc.