Jacques Lafleur

1932 - 2010

Informations générales
  • Né le 20 novembre 1932 à Nouméa ( - Nouvelle-Calédonie)
  • Décédé le 4 décembre 2010 à Gold Coast (Australie)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
VIe législature
Mandat
Du 3 avril 1978 au 22 mai 1981
Département
Nouvelle-Calédonie
Groupe
Rassemblement pour la République
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
VIIe législature
Mandat
Du 2 juillet 1981 au 6 juillet 1982
Département
Nouvelle-Calédonie
Groupe
Rassemblement pour la République
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
VIIe législature
Mandat
Du 5 septembre 1982 au 1er avril 1986
Département
Nouvelle-Calédonie
Groupe
Rassemblement pour la République
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
VIIIe législature
Mandat
Du 2 avril 1986 au 14 mai 1988
Département
Nouvelle-Calédonie
Groupe
Rassemblement pour la République
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
IXe législature
Mandat
Du 6 juin 1988 au 1er avril 1993
Département
Nouvelle-Calédonie
Groupe
Rassemblement pour la République
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
Xe législature
Mandat
Du 2 avril 1993 au 21 avril 1997
Département
Nouvelle-Calédonie
Groupe
Rassemblement pour la République
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
XIe législature
Mandat
Du 25 mai 1997 au 18 juin 2002
Département
Nouvelle-Calédonie
Groupe
Rassemblement pour la République
Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
XIIe législature
Mandat
Du 19 juin 2002 au 19 juin 2007
Département
Nouvelle-Calédonie
Groupe
Union pour la majorité présidentielle

Biographies

Biographie de la Ve République

LAFLEUR (Jacques)
Né le 20 novembre 1932 à Nouméa (Nouvelle-Calédonie)
Décédé le 4 décembre 2010 à Gold Coast (Australie)

Député de Nouvelle-Calédonie de 1978 à 2007

Jacques Lafleur est né le 20 novembre 1932 à Nouméa. Il est le fils d’Henri Lafleur ce qui, en Nouvelle-Calédonie, est beaucoup. D’origine modeste, celui-ci a su faire fortune dans l’exploitation du nickel et, progressivement, intégrer les cercles du pouvoir de Nouméa au point de devenir l’un des hommes les plus influents du territoire, qu’il a représenté au Sénat pendant près de vingt-cinq ans. Jacques Lafleur est donc un caldoche ou, comme il se désigne plus volontiers à l’Assemblée nationale, un européen de Nouvelle-Calédonie.

En décembre 1953, il se marie avec Roberte Charon. Le couple aura deux enfants. Après une enfance passée en Nouvelle-Calédonie, Jacques Lafleur étudie au lycée Lapérouse (Nouméa), puis au lycée Janson-de-Sailly (Paris), avant d’effectuer une première année de droit à la faculté de Paris. Il devient par la suite administrateur de société, et industriel, grâce aux parts qu’il détient dans les entreprises minières exploitant le nickel de Nouvelle-Calédonie.

Entré en politique à la fin des années 1970, Jacques Lafleur s’impose très vite comme le chef de file des opposants à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie – des « loyalistes ». Il joue alors un rôle essentiel lors des « Evénements », comme on les a nommés, qui secouent l’archipel au milieu des années 1980 : d’abord intransigeant dans son combat contre les indépendantistes, il crée la surprise en négociant, puis en signant, les accords de Matignon avec Jean-Marie Tjibaou en 1988. Instaurant une large autonomie institutionnelle, cherchant à rééquilibrer le développement économique du territoire, ces accords, complétés par ceux de Nouméa en 1998, ont restauré la paix en Nouvelle-Calédonie. Député de 1977 à 2007, Jacques Lafleur prend également la présidence de la Province sud entre 1989 et 2004 avant qu’une très longue pratique du pouvoir ne le conduise à passer la main. Il meurt le 4 décembre 2010 à Gold Coast en Australie.

C’est en 1972 que Jacques Lafleur fait plus précisément son entrée en politique dans une période où le territoire connaît de profondes transformations. Dans les années 1960, le boom du nickel, dont la Nouvelle Calédonie détiendrait 25 % des réserves mondiales, a enrichi le territoire, mais d’une manière inégale, tandis que les revendications culturelles, et bientôt politiques, de la population d’origine mélanésienne (qui promeut alors l’usage du terme « kanak ») deviennent de plus en plus fortes en se focalisant d’abord sur la question de la restitution des terres et la dénonciation des injustices issues de la colonisation.

De son côté, Jacques Lafleur participe également à une profonde recomposition politique qui met fin à l’hégémonie de l’Union calédonienne. Le futur député figure ainsi parmi les fondateurs de l’Entente démocratique et sociale (1972) qui se positionne à droite de l’échiquier politique et s’oppose à l’extension de l’autonomie du territoire. Elu à l’Assemblée territoriale à la suite des élections de 1972, Jacques Lafleur siège au Conseil de gouvernement du territoire jusqu’en 1977.

Sur place, les transformations politiques à l’œuvre se précipitent lorsque la revendication indépendantiste devient officielle avec la fondation du Palika (Parti de libération kanak) en 1975 puis l’adoption de cette revendication par l’Union calédonienne en 1977 sous l’impulsion, notamment de Jean-Marie Tjibaou, de Pierre Declercq et d’Eloi Machoro. En réaction, les « loyalistes » fondent un nouveau parti, le Rassemblement pour la Calédonie (RPC, avril 1977) qui scelle l’union des partisans de Valéry Giscard d’Estaing (Roger Laroque et le sénateur Lionel Cherrier) et de ceux de Jacques Chirac (Dick Ukeiwé, Jacques Lafleur). L’année suivante, l’alliance avec le Rassemblement pour la République (RPR) métropolitain s’approfondit : le RPC devient RPCR (Rassemblement pour la Calédonie dans la République) et Jacques Lafleur rassemble 55,2 % des voix dès le premier tour des élections législatives de mars 1978 face à cinq autres candidats dont François Burck, de l’Union calédonienne, qui obtient 18 % des voix. Jacques Lafleur devient ainsi député de la seconde circonscription de Nouvelle-Calédonie, nouvellement créée, qui couvre essentiellement la zone métropolitaine de Nouméa (Nouméa-Côte ouest). Incontestablement, le sud de la Grande-Terre devient le fief de Jacques Lafleur : ce n’est qu’en 2002 qu’il est contraint pour la première fois à un second tour. Jacques Lafleur siège donc à l’Assemblée nationale sans discontinuer de 1978 à 2007, une longévité qui montre à quel point il a pu marquer le territoire.

Au Palais-Bourbon, pour son premier mandat, Jacques Lafleur s’inscrit au groupe RPR en avril 1978 et siège d’abord à la commission de la production et des échanges, avant de rejoindre en avril 1980, la commission de la défense et des forces armées. Dans la foulée, Jacques Lafleur prend la parole en séance publique pour défendre en novembre 1987 le projet de loi portant statut du territoire de la Nouvelle-Calédonie (« statut Pons II »). Sur le fond, Jacques Lafleur s’investit avec passion et pugnacité dans la lutte contre les revendications pour l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Sur ce point, il peut compter sur les relais en métropole au sein du RPR et des ministères qu’il sait accueillir sur son domaine de chasse de 35 000 hectares dans la brousse de la Grande Terre. A ses yeux, les Français de métropole font souvent fausse route dans leur analyse de la situation locale et il entend bien rétablir ce qu’il considère être une vision plus juste de sa terre natale, ce qu’il ne manque pas de déclarer dans ses très nombreuses prises de parole à l’Assemblée nationale. Jacques Lafleur est un député actif. Sans surprise, la plupart de ses propositions concernent la Nouvelle-Calédonie dont il se considère le porte-parole en métropole et à l’Assemblée nationale, où il n’a de cesse d’appeler l’attention de ses collègues et du gouvernement sur les spécificités des institutions locales, sur la gravité de la situation économique et des tensions politiques et surtout, sur l’absolue nécessité à ses yeux que ce territoire demeure toujours dans le giron de la République. A ses yeux, le développement et le progrès de l’archipel ne sont possibles et envisageables que dans ce cadre.

Pour Jacques Lafleur, il ne saurait être question de nier que la Nouvelle-Calédonie est confrontée à des difficultés majeures. La crise économique mondiale a en effet orienté dans les années 1970 à la baisse le cours du nickel, si essentiel à la prospérité de l’île, et le nouveau député est persuadé que les troubles et l’essor du mouvement indépendantiste pourront trouver leur solution par un enrichissement général de l’archipel. Il appelle également à des évolutions de la fiscalité et de la protection sociale – très spécifiques dans les territoires d’outre-mer – tout en appelant à un soutien financier de la métropole. Des réformes structurelles en Nouvelle-Calédonie ne sont envisageables, voire souhaitables, que dans la mesure où les liens avec la métropole ne sont pas remis en cause et où l’Etat contribue de manière importante au financement des services publics sur le territoire. Il considère aussi que l’avenir économique du territoire passe par la diversification de ses sources de revenus grâce au tourisme et à l’exploitation des richesses potentielles des fonds marins. De même, s’il concède qu’une évolution du statut du territoire peut être nécessaire – la réforme de 1976 n’ayant pas résolu les problèmes du moment – il conteste vigoureusement l’idée qu’il puisse y avoir une forme de ségrégation en Nouvelle-Calédonie ou des inégalités dont les contours épouseraient ceux des différentes communautés. Comme il le répète régulièrement au début des années 1980, Jacques Lafleur estime qu’il faut abandonner une vision manichéenne de la situation néo-calédonienne dans laquelle la communauté d’origine européenne serait la principale responsable des difficultés locales et les kanaks unanimement en faveur de l’indépendance : à ses yeux, il ne saurait être question donner satisfaction aux exigences des indépendantistes qui, il en est convaincu à l’époque, ne représentent qu’une minorité extrémiste déconnectée des aspirations réelles de la population calédonienne. Ce n’est que progressivement que Jacques Lafleur en vient à considérer qu’un travail politique commun est possible avec les indépendantistes.

En 1981, l’arrivée d’une majorité nouvelle à l’Assemblée nationale, après la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle, s’accompagne d’une volonté au sein du gouvernement de Pierre Mauroy d’entreprendre des réformes structurelles outre-mer et notamment en Nouvelle-Calédonie : celles-ci sont jugées indispensables pour enrayer le cycle de violence politique et sociale alors à l’œuvre. En même temps, Jacques Lafleur est réélu dès le premier tour aux élections législatives de juin dans la deuxième circonscription de Nouvelle-Calédonie, avec 54,33 % des voix dans un contexte d’éclatement de l’offre électorale entre neuf candidats, les « loyalistes » rassemblant près de 75 % des suffrages dans la circonscription mais 63 % à l’échelle de l’archipel. Il siège au sein du groupe RPR (puis Union pour un mouvement populaire -UMP) et se reconnaît dans un gaullisme conservateur– il vote par exemple contre l’abolition de la peine de mort en 1981 –. Il est partout dans une position plus délicate dans la mesure où il perd ses relais au sein de l’exécutif. Il est de nouveau membre de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Au début des années 1980, si Jacques Lafleur concède volontiers qu’un effort de promotion sociale et économique des populations mélanésiennes – pour reprendre l’expression alors employée – est nécessaire, celle-ci ne doit s’accomplir au détriment de la communauté d’origine européenne, tout particulièrement sur l’épineux dossier de la réforme foncière qu’il assimile à une spoliation. De même, il est fermement convaincu, et il le déclare régulièrement à la tribune du Palais-Bourbon, que l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie ne pourrait mener qu’à la guerre civile ou à la satellisation du territoire par les Anglo-saxons ou les puissances communistes. Il conteste notamment, en janvier 1982, le projet de loi autorisant le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures pour promouvoir les réformes nécessitées par la situation en Nouvelle-Calédonie.

Pour peser dans les débats, Jacques Lafleur met en avant son ancrage local pour instaurer un rapport de force. Ainsi, le 6 juillet 1982, il démissionne avec fracas de son mandat dans un contexte de nette dégradation de la situation politique néo-calédonienne. Il s’en explique à la tribune de l’Assemblée nationale dans le cadre d’un rappel au règlement. Sur place, le RPCR de Jacques Lafleur fait en effet face au retournement de l’alliance des centristes de la Fédération pour une nouvelle société calédonienne, cette dernière s’alliant aux indépendantistes à l’assemblée territoriale dans le cadre d’un contrat de gouvernement allant dans le sens des réformes voulues par le ministère de l’Outre-mer. Cette démission fait, par ailleurs, suite à une perquisition menée par la gendarmerie de Nouméa dont font l’objet les assistants parlementaires de Jacques Lafleur en Nouvelle-Calédonie après l’assassinat en septembre 1981 de Pierre Declercq, militant indépendantiste dont les meurtriers n’ont jamais été appréhendés. En tant que telle, la démission de Jacques Lafleur en 1982 constitue donc un instantané de l’aggravation de la crise en Nouvelle-Calédonie entre blocage institutionnel et montée générale de la violence politique.

Toujours est-il qu’en démissionnant, Jacques Lafleur n’a pas l’intention de quitter la vie politique : candidat à l’élection législative partielle qu’il a lui-même provoquée, il est très largement réélu avec 91 % des suffrages exprimés en septembre, ralliant à lui 7 000 électeurs de plus que lors de la précédente consultation, essentiellement l’électorat européen et wallisien de Nouméa. En cela, cette législative partielle traduit la polarisation des positions sur l’archipel au début des années 1980. A son retour à l’Assemblée nationale, Jacques Lafleur ne manque pas de souligner qu’il incarne les positions de la majorité des électeurs de sa circonscription. Ce poids électoral est d’ailleurs son principal argument : à ses yeux, ses victoires électorales successives – sa formation rassemble à cette époque près de 65 % des suffrages – attesteraient d’une opposition d’une majorité de la population à la perspective de l’indépendance sans qu’il soit nécessaire de recourir à un référendum.

En juillet 1983, les discussions de Nainville-les Roches réunissant les deux camps sous l’égide du ministre de l’Outre-mer sont un échec. Elles achoppent, notamment, sur la question du corps électoral : les indépendantistes considèrent à cette époque que seuls les descendants de Kanaks (60 000 habitants sur les 130 000 que compte alors l’archipel) peuvent voter dans le cadre d’un référendum d’autodétermination, alors prévu pour 1989. Jacques Lafleur et ses partisans s’insurgent contre une approche qui ferait des Calédoniens d’origine européenne des « victimes de l’histoire ». Dès lors, sur le terrain, les tensions s’aggravent : la Nouvelle-Calédonie bascule dans les « Evénements ». La conflictualité est en effet très forte entre deux camps, loyalistes et indépendantistes, eux-mêmes divisés en de multiples tendances. Ainsi, le 8 mai 1985, à Nouméa, de violents affrontements entre indépendantistes et « loyalistes », y compris à l’arme à feu, ont lieu, avec un lourd bilan d’un mort et d’une cinquantaine de blessés parmi les manifestants et les forces de l’ordre. Dans le même temps, se développe une tentation de la lutte armée chez une partie des indépendantistes comme en attestent des contacts pris avec la Lybie du colonel Kadhafi.

Dès lors, en Nouvelle-Calédonie, des structures institutionnelles séparées se constituent : le RPCR détient la majorité à l’Assemblée territoriale alors présidée par Dick Ukeiwé, tandis que le FLNKS crée en décembre 1984 un Gouvernement provisoire de Kanaky dirigé par Jean-Marie Tjibaou, qui contrôle de fait une partie de la côte est de la Grande Terre. Durant cette période, tant Jacques Lafleur que Jean-Marie Tjibaou adoptent un positionnement complexe dans la mesure où leurs déclarations publiques n’épargnent pas leurs adversaires respectifs tout en appelant à la fin des violences et en exprimant l’espoir d’une coexistence pacifique entre les communautés.

C’est pourtant durant cette période que l’évolution des positions de Jacques Lafleur est nette quant à la place à accorder aux Kanaks dans les institutions à bâtir en Nouvelle-Calédonie. Jusqu’au milieu des années 1980, il n’a pas de mots assez durs, au Palais-Bourbon comme dans la presse locale, à l’encontre de Christian Nucci, haut-commissaire de la République sur place entre 1981 et 1982, et surtout d’Edgard Pisani en poste entre 1984 et 1985. En 1984, Jacques Lafleur s’oppose ainsi avec passion au projet d’évolution du statut institutionnel de la Nouvelle-Calédonie (projet de loi portant statut du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, n°2094) reposant sur le principe de l’autonomie interne évolutive et transitoire. Dans les faits, la mobilisation de Jacques Lafleur sur cette question le conduit à proposer des amendements sur plus de la moitié des cent-trente-et-un articles qui composent ce projet de loi. Si le RPCR, par la voix de son président, se rallie à l’idée d’une autonomie interne du territoire, il rejette à cette période la perspective de dispositions différentes au sein même du territoire pour accroitre la représentation des populations d’origine kanak. Jacques Lafleur dénonce plus spécifiquement la perspective d’une mise en place de modes de scrutin différents au sein du territoire calédonien, dont l’objectif est de permettre une représentation plus large des sensibilités politiques. De même, il critique la possibilité de dispositions dérogatoires devant permettre à un plus grand nombre de kanaks d’accéder à la fonction publique (article 125 et 131) : il considère que la seule réponse légitime est le concours, source d’égalité entre les candidats. Sur toutes ces questions, Jacques Lafleur exprime une vision républicaine universelle, mais qui, à cette période, semble en porte-à-faux face aux nombreux déséquilibres sociaux, ethniques et politiques qui marquent l’archipel.

Ces débats se prolongent en 1985 et Jacques Lafleur est naturellement membre de la commission mixte paritaire constituée pour l’examen de la loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie lorsque celle-ci est soumise à une nouvelle délibération (projet de loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, n°2662 en mai 1985). Malgré l’opposition de Jacques Lafleur, qui considère que le découpage administratif ainsi envisagé avantage de manière beaucoup trop importante les indépendantistes, ce statut « Pisani » est voté en août 1985. Des élections ont alors lieu et les relations entre les communautés semblent retrouver une certaine normalité, même si l’attitude à adopter à l’égard des institutions de la République demeure l’objet de clivages importants sur l’archipel.

En témoignent les élections législatives de 1986, dans le cadre d’une circonscription unique de Nouvelle-Calédonie et d’un scrutin à la proportionnelle, qui sont boycottées par le FNLKS : à cette occasion, la liste RPCR et d’Union loyaliste (associant le RPR, l’UDF et le Front national) menée par Jacques Lafleur rassemble 88,5 % des suffrages exprimés mais dans un contexte où 50 % des électeurs se sont abstenus. Réélu député, Jacques Lafleur s’inscrit à nouveau au groupe RPR. Il est membre de la commission de la défense nationale et du comité-directeur du FIDES.

En septembre 1987, le référendum d’autodétermination aboutit à la victoire du « non » à l’indépendance par 98 % des voix, mais seuls 59 % des inscrits prennent part au vote. Ces clivages électoraux sont un signe parmi d’autres du retour des tensions politiques et intercommunautaires, particulièrement fortes en 1988 et qui culminent avec la prise d’otages Ouvéa et son issue tragique en mai 1988 (dix-neuf militants indépendantistes et deux militaires trouvent la mort).

Cet épisode marque un tournant pour les deux camps dans un contexte où le nouveau gouvernement socialiste de Michel Rocard fait du dossier calédonien et de l’apaisement de la situation une priorité. Entretemps aux élections législatives de juin 1988, Jacques Lafleur l’a emporté par 83 % des suffrages exprimés face à Guy George du Front national (14 %). Il siège au groupe RPR et devient membre de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. C’est le début du processus de Matignon ponctué, sur le plan symbolique, par une poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou. Les accords de Matignon sont signés le 26 juin 1988 et sont précisés par la suite pour déterminer le corps électoral, le découpage des nouvelles provinces pour rééquilibrer l’économie de l’archipel et, point crucial pour rétablir la paix civile, les contours des lois d’amnistie. Prolongements des accords de Matignon, les accords de Nouméa (1998) ouvrent par la suite la voie à l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie.

Sur le statut, Jacques Lafleur a su évoluer dans ses positions et emmener l’ensemble de son camp dans ce processus. Bien des facteurs ont joué, au premier rang desquels le choc des événements dramatiques d’Ouvéa – pour les loyalistes comme pour les indépendantistes – et l’implication résolue de Michel Rocard dans ce dossier. Il faut également souligner que Jacques Lafleur comme Jean-Marie Tjibaou ont sans cesse, en dépit des attaques très dures à l’égard de leurs adversaires, appelé à la constitution d’une Nouvelle-Calédonie multi-ethnique : les concessions réciproques effectuées lors des négociations de Matignon en sont le prix. Pour Jacques Lafleur, il est possible que des facteurs plus personnels aient joué un rôle non-négligeable, qu’ils aient trait à sa vie privée, qui connaît une évolution notable au milieu des années 1980, ou à son état de santé. Victime d’un infarctus en juin 1986, Jacques Lafleur doit par la suite limiter les épuisants aller-retour entre Paris et Nouméa et envisage peut-être son combat politique sous un autre angle. A l’engagement politique s’ajoute chez Jacques Lafleur une décision économique ; l’un des points clé des accords de Matignon consiste en effet à impulser un développement industriel de la nouvelle Province nord en lui donnant le contrôle de l’exploitation du nickel ; pour concrétiser cette revendication indépendantiste, Jacques Lafleur accepte de céder 85 % du capital de la Société minière du Sud Pacifique à la Sofinor (Société de financement de la Province nord). Dans le camp loyaliste, Jacques Lafleur porte alors ces accords contre une partie de son camp comme en témoigne les 67 % de « non » au référendum sur l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie (novembre 1988) des électeurs de la région Sud qui constitue pourtant son fief électoral : pour autant, dans l’ensemble de l’archipel, le « oui » l’emporte à 57 %, dotant ainsi la Nouvelle-Calédonie d’un nouveau statut et marquant la fin des « Evénements ».

Personnage essentiel de la sortie des « Evénements » en Nouvelle-Calédonie, Jacques Lafleur voit sa stature encore rehaussée par la disparition de Jean-Marie Tjibaou, son alter ego dans le camp indépendantiste, assassiné par un extrémiste kanak en 1989. La figure de Jacques Lafleur est alors d’autant plus importante pour assurer le succès dans la durée des accords de Matignon. Il conforte alors sa mainmise sur la Province sud nouvellement créée. Il en assume la présidence entre 1989 et 2004, tout en conservant son mandat de député et en siégeant au conseil municipal de la ville de Nouméa. En 1993 comme en 1997, Jacques Lafleur est réélu sans difficulté à l’Assemblée nationale au cours de scrutins marqués par un taux d’abstention relativement élevé (plus de 40 %). Il recueille 53 % des voix en 1993 (contre 16 % pour son principal concurrent, Dick Ukeiwé, dissident du RPCR) et 63 % en 1997 (contre 19,6 % pour Didier Leroux du mouvement Une Nouvelle-Calédonie pour Tous, anti-indépendantiste). Il est néanmoins élu au second tour avec 55,74 % des voix contre 44,26 % pour Didier Leroux (du parti loyaliste l’Alliance). Sur place, il s’efforce alors de créer de nouvelles infrastructures touristiques avec la volonté d’impulser un développement de l’archipel qui soit moins dépendant du seul nickel.

Ses responsabilités nouvelles et, sans doute, des considérations de santé expliquent que sa présence à l’Assemblée nationale soit dès lors beaucoup plus discrète, si on la compare au début des année 1980 tant au niveau des interventions dans l’hémicycle que pour les projets de loi. De juillet 1993 à janvier 1994, il est chargé d’une mission temporaire auprès du Premier ministre Edouard Balladur sur le développement des échanges entre la Nouvelle-Calédonie et les pays d’Asie du Sud-Est et d’Extrême-Orient. Le 29 juin 1994, il dépose une proposition de loi organique portant dispositions statutaires et préparatoires à l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 en vue d’améliorer la représentativité des assemblées de province. Hormis cette proposition de loi, il n’intervient dans les débats, très brièvement, qu’en décembre 1998 à l’occasion de la discussion du projet de loi n°1228 relatif à la Nouvelle-Calédonie.

Dès le milieu des années 1990, son étoile commence à décliner, compte tenu de la longévité de sa vie politique. La situation est paradoxale dans la mesure où Jacques Lafleur joue à cet époque un rôle essentiel dans la négociation des accords de Nouméa (qui aboutissent en 1998), étape essentielle après ceux de Matignon.

De plus en plus critiqué au sein même de son propre parti auquel il tend à imposer son point de vue, Jacques Lafleur fait face à plusieurs poursuites judiciaires notamment dans le cadre affaire Van Peteghem - baie de Moselle à Nouméa. En août 2000, il annonce un temps sa démission de toutes ses fonctions publiques dans ce qui est perçu par ses opposants mais aussi par une partie de l’opinion comme un écran de fumée de la part d’un acteur politique peu enclin à abandonner le combat. Dans ce contexte, faisant face à l’émergence de dissidence, au sein de son propre camp, il est en 2002, et pour la première fois de sa carrière, contraint à un deuxième tour à l’occasion des élections législatives. Au premier tour, il recueille 49,8 % des voix et rassemble 12 378 suffrages, soit 5 000 de moins qu’en 1997 alors que le corps électoral connaît à cette période une croissance notable en Nouvelle-Calédonie. En 2004, à l’occasion des élections provinciales, la liste du Rassemblement-UMP qu’il conduit est nettement distancée par « Avenir ensemble » de Marie-Noëlle Thémerau (dissidence du Rassemblement-UMP). Cet échec accélère son départ de la vie politique. Il quitte en 2005 la présidence du parti qu’il a fondé et n’arrive qu’en cinquième position lors des législatives de 2007 (11,7 % des voix), où il s’est présenté comme candidat dissident du Rassemblement-UMP. Il démissionne finalement de ses derniers mandats territoriaux en 2010.

En 1988 comme en 1998, Jacques Lafleur a su prendre la mesure de la situation et négocier avec les indépendantistes pour tracer ensemble les contours d’une sortie de crise pour la Nouvelle-Calédonie. Visionnaire selon ses partisans, pragmatique pour les plus réservé, il n’en marque pas moins le territoire de son empreinte pendant près de trente ans. C’est à ce titre qu’il reçoit en novembre 2010, aux côtés de Jean-Marie Tjibaou (à titre posthume de son côté) la « Colombe de la Paix » décernée par l’Allemagne avec le soutien de l’Unesco, quelques semaines avant son décès.