Abdallah Tebib

1898 - 1969

Informations générales
  • Né le 22 février 1898 à Constantine (Algérie)
  • Décédé le 2 janvier 1969 à Villeneuve-les-Béziers (Hérault - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Cinquième République - Assemblée nationale
Législature
Ire législature
Mandat
Du 30 novembre 1958 au 3 juillet 1962
Département
Anciens départements d'Algérie
Groupe
Unité de la République

Biographies

Biographie de la Ve République

TEBIB (Abdallah)
Né le 22 février 1898 à Constantine (Algérie)
Décédé le 2 janvier 1969 à Villeneuve-les-Béziers (Hérault)

Député de Bône (Algérie) de 1958 à 1962

Abdallah Ben Bouazza Tebib naît dans le chef-lieu du département français de Constantine au tournant du siècle, d’un père âgé de soixante-dix ans, professeur d’école coranique, et d’une mère de plus de cinquante ans la cadette de celui-ci, sans profession. Le jeune Abdallah est un « Français musulman d’Algérie », de statut civil local : s’il possède la nationalité française, il ne jouit pas de la pleine citoyenneté, à l’instar de l’immense majorité des Algériens d’alors.
L’une des voies de l’ascension sociale, et par là même de l’accession à la cité républicaine dans l’Algérie coloniale, est la carrière des armes. C’est celle que choisit Abdallah Tebib : engagé comme simple soldat en 1918, élève aspirant, il est nommé sous-lieutenant l’année suivante, à l’âge de vingt-et-un ans. Il ne sert ainsi que quelques mois sous le drapeau français pendant la Grande guerre. En vertu des textes qui fixaient alors, pour les Français musulmans d’Algérie, à trente-quatre ans l’âge minimum pour devenir lieutenant, il attend treize ans durant sa promotion au grade supérieur. En 1920, il épouse une jeune « Française d’Algérie » à la mairie de Constantine, un mois après la naissance de leur premier fils. Suivent deux enfants, un garçon et une fille.
Abdallah Tebib est promu à la pleine nationalité française au mois de septembre 1925 par le tribunal civil de Sétif, dans le département de Constantine. Il est en effet l’un des rares Français de statut civil local à demander sa naturalisation complète, prévue à titre individuel par le sénatus-consulte du 31 juillet 1865, dont les dispositions sont modifiées à la marge par la loi du 4 février 1919. Sont admis au statut civil de droit commun les individus distingués par leur profession et leur éducation : souvent fonctionnaires ou militaires, ils sont toujours titulaires d’un diplôme de l’enseignement français. De 1919 à 1925, six cents Français musulmans d’Algérie sont ainsi admis à jouir pleinement du statut de citoyen français. Les demandes sont en fait rares, pour plusieurs raisons. La longueur et la complexité de la procédure, d’abord, dissuadent les candidats. Mais en outre, et c’est là l’obstacle majeur sans doute, cette procédure implique l’abandon du statut personnel coranique. Abdallah Tebib renonce ainsi au droit à être jugé selon la loi musulmane, au profit du Code civil français ; il n’abandonne cependant pas sa religion.
Durant la seconde guerre mondiale, il s’illustre dans la troisième division d’infanterie algérienne (DIA), formée en 1943 à la suite de la libération de l’Afrique du Nord par les Alliés. Il combat en Italie, participe à la bataille de Monte Cassino puis à l’entrée dans Rome le 4 juin 1944. Il débarque en Provence à l’été de la même année, et prend part à la libération de Toulon, de Marseille, puis à la remontée de la vallée du Rhône, jusqu’en Alsace et enfin en Allemagne. Il devient chef de bataillon, et reçoit au titre de ses engagements la Croix de guerre. Il est également fait officier de la Légion d’honneur.
Suivant l’exemple de son père, l’aîné de la famille Tebib s’engage dans l’armée française ; il est tué en Indochine en 1953, dans le premier grand conflit colonial français. Chef de bataillon en retraite, Abdallah Tebib réside à Bône, à l’extrémité orientale du département de Constantine, quand les attentats de la Toussaint 1954 sonnent le début de ce qu’on appelle alors les « événements d’Algérie ». Résolument attaché à la présence de la France dans son pays, il désapprouve l’action des nationalistes du FLN et s’engage rapidement auprès des autorités civiles françaises. Il prend part à la mise en place, sous le gouvernement Guy Mollet, des délégations spéciales qui remplacent, pour une durée transitoire indéfinie, les municipalités : il devient le premier vice-président de celle de Bône. Il participe ensuite aux manifestations du 13 mai 1958, qui déterminent le retour au pouvoir du Général de Gaulle. Il effectue à l’été de cette même année une tournée de propagande dans son département en faveur de la Constitution de la Cinquième République, approuvée par référendum le 28 septembre 1958.
L’une des décisions politiques majeures du général de Gaulle consiste à faire se tenir en Algérie des élections législatives à la fin de mois de novembre 1958, plus de deux ans après leur ajournement sine die par le gouvernement Guy Mollet au printemps 1956. Ces élections se déroulent dans un climat particulier de très grande tension ; l’administration et l’armée y jouent un rôle fondamental, depuis la constitution des listes jusqu’au vote. Partout en Algérie, des listes sont ainsi formées avec le soutien actif des militaires et des Comités de salut public, qui se sont multipliés après le 13 mai 1958. Tant la campagne électorale que le scrutin lui-même sont en outre contrôlés par ces agents extérieurs au processus électoral habituel. De plus, l’ordonnance du 16 octobre 1958 relative à l’élection des députés des départements d’Algérie à l’Assemblée nationale introduit des changements majeurs dans le scrutin. Le principe du double collège, d’abord, est aboli, au profit d’un collège unique pour tous les électeurs, « Musulmans » et « Européens ». Il s’agit, ensuite, d’un scrutin de liste majoritaire à un tour, sans panachage ni vote préférentiel. Chaque liste de candidats doit, enfin, « respecter une certaine proportion entre les citoyens de statut civil de droit commun et les citoyens de statut civil local, afin de permettre une juste représentation des diverses communautés ». Dans la seizième circonscription, celle de Bône, cette répartition est fixée à un candidat de statut civil de droit commun et trois candidats de statut civil local.
Abdallah Tebib présente sa candidature au siège de député sur la liste « Fraternité – Progrès – Rénovation », menée par Pierre Portolano, avocat au barreau de Bône. Ainsi, malgré le fait qu’il jouit du statut de droit civil commun, il est compté au titre des Français musulmans d’Algérie, ce qui révèle combien ce processus électoral obéissait en fait à une logique raciale, capable de contredire la lettre de la législation. La profession de foi de la liste d’Abdallah Tebib se place explicitement dans le courant ouvert, en Algérie, par les manifestations du 13 mai 1958 : les quatre candidats se proposent de contribuer à la sauvegarde de l’Algérie française en défendant les valeurs de fraternité, de rénovation et d’intégration. Dans la continuité de la mise en scène des fraternisations du printemps 1958, ils appellent les habitants de l’Algérie à se souvenir qu’ils sont « destinés à vivre pour toujours ensemble ». La profession de foi énumère les réformes auxquelles doit tendre le nouveau régime en place : émancipation de la femme musulmane, progrès social et politique, programme de scolarisation et d’enseignement professionnel. Elle proclame bien haut son attachement à l’idée de l’intégration, « dans une seule civilisation, une seule organisation, une seule affection, celle de la France », et conclut : « Vive l’Algérie française ! Vive la France éternelle ! ».
Le 30 novembre 1958, la liste d’Abdallah Tebib recueille 58% des suffrages exprimés, et emporte les quatre sièges de députés au Palais-Bourbon, face à quatre autre listes, d’inspiration « Algérie française » pour trois d’entre elles, la dernière étant menée par la SFIO. Le représentant de la seizième circonscription algérienne s’inscrit au groupe de la Formation administrative des élus d’Algérie et du Sahara (EAS), qui prend à partir du mois de juillet 1959 le nom de groupe de l’Unité de la république (UR). Il est nommé membre de la Commission de la défense nationale et des forces armées et juré titulaire de la Haute-Cour de justice instituée par l’ordonnance du 18 novembre 1944.
Le jeune parlementaire qu’est Abdallah Tebib n’hésite pas à rappeler, à plusieurs occasions, qu’il est également un « vieux soldat » de l’armée française, un « vieux turcos », et c’est à ce titre qu’il intervient pour la première fois dans l’hémicycle, le 15 décembre 1959, en tant que rapporteur du projet de loi portant dérogation transitoire à certaines dispositions sur le recrutement et l’avancement des officiers des armées, en vue de faciliter aux Français musulmans l’accès aux différents grades d’officiers. Ce texte prévoit en particulier, durant une période de cinq ans, un contingent de 10% des nominations au premier grade d’officier réservé aux « Musulmans » d’Algérie, dans chacune des trois armées, et la mise en place d’épreuves facultatives pouvant se substituer aux épreuves normales du concours donnant accès à la carrière d’officier, « pour tenir compte des conditions particulières de formation des candidats Français musulmans d’Algérie ». Se présentant comme un « ancien combattant des deux guerres et des théâtres d’opérations extérieurs », Tebib insiste sur le loyalisme des soldats algériens, leur ardeur à défendre l’honneur de la France depuis des décennies, rappelant que « les croix et les croissants voisinent sur les champs de bataille » où s’est illustrée l’armée française. Cette mesure qu’il défend est selon lui « essentiellement politique » : elle vise à pallier le retard que la France a pris pour récompenser ses soldats colonisés, et constituera « une grande étape dans la francisation de notre province encore souffrante, l’Algérie française pour toujours ».
La situation dans laquelle se trouve son pays, où s’affrontent troupes nationalistes et armée française, est l’objet d’une inquiétude croissante de la part du député bônois, telle qu’elle transparaît tout au moins à travers ses interventions à la tribune. Ainsi le 4 mai 1960 il prend la parole, dans la discussion générale commune sur les projets de loi concernant l’agriculture, pour attirer l’attention de ses collègues sur la « situation grave, voire dramatique » des paysans algériens. Ces derniers sont à la fois soumis à des mesures de regroupement qui les coupent de leurs terres et de leurs troupeaux, au climat de « peur » et de « terreur » qui règne dans le pays, mais aussi à la pratique de l’usure et des ventes forcées aux enchères publiques des propriétés agricoles. L’élu du Constantinois demande à ce que cessent ces pratiques qui acculent les agriculteurs à la misère, tant que la paix ne sera pas rétablie en Algérie,. « La France a fait beaucoup de belles choses, mais il reste à faire », dit-il dans une phrase qui résume bien sa position, entre glorification de l’œuvre française en Algérie et inquiétude quant à l’ambiguïté de la politique algérienne du gouvernement gaulliste.
Les affaires militaires sont cependant celles qui préoccupent le plus le parlementaire bônois. Dans la discussion du projet de loi de programme relative à certains équipements militaires, le 19 octobre 1960, l’ancien combattant algérien exprime son souci de voir la France « conserver son rang au milieu des grandes nations » grâce à la maîtrise de l’arme atomique, tout en maintenant une armée conventionnelle importante. Il évoque ensuite le sort des harkis, qui « défendent leur pays, la France », lui ont juré fidélité et « font leurs preuves » tous les jours en Algérie. Il attire l’attention sur le cas des retraités de l’armée réengagés en tant que supplétifs, qui méritent de se voir réintégrés dans l’armée régulière avec leur ancienneté et leur grade, et de recevoir les pensions correspondantes. Il s’inquiète, enfin, de la perspective de voir l’Algérie vidée de ses divisions une fois la paix revenue, estimant qu’elle doit au contraire continuer à être protégée par des effectifs importants dans la situation nouvelle qu’elle connaît, prise entre deux pays devenus « indépendants et ennuyeux », la Tunisie et le Maroc.
L’annonce par le général de Gaulle, le 4 novembre 1960, du référendum sur l’autodétermination de l’Algérie achève de semer le doute sur la politique algérienne du gouvernement. A l’Assemblée nationale, où l’on discute vivement le 7 décembre 1960 de la déclaration qu’a prononcée le Premier Ministre Michel Debré au sujet de cette consultation, Abdallah Tebib intervient pour rappeler les « bienfaits de la France » en Algérie, mais aussi certaines de ses erreurs, tel l’échec du projet Blum-Viollette de 1936. Il évoque ensuite avec enthousiasme le 13 mai 1958, « jour mémorable en Algérie », qui a permis à la Cinquième République de voir le jour, régime qui a enfin proclamé « que Fathma égalait Joséphine et qu’Ahmed égalait Pierre ». Partisan convaincu de la solution de « francisation », Tebib exprime sa crainte de voir l’Algérie séparée de la France, et sa fidélité sans faille au drapeau tricolore : « A notre connaissance, nous avons été inscrits sur le registre d’une mairie sur laquelle flottait le drapeau français ; à l’école nous avons appris la langue de Racine et de Victor Hugo ; nous nous exprimons en français, sans renier notre religion, car la France est aussi une nation musulmane ».
Rapporteur du projet de loi relatif à l’accès des Français musulmans d’Algérie aux grades d’officiers supérieurs et d’officiers généraux, Abdallah Tebib intervient une nouvelle fois le 27 juin 1961 sur un sujet qu’il connaît bien. Il revient sur l’opportunité politique de telles mesures de promotion des « Musulmans » dans une Algérie « souffrante et déchirée » : il s’agit bel et bien de « rattraper le temps perdu depuis plusieurs années ». Revenant longuement sur la geste héroïque des officiers « indigènes » d’Algérie depuis le dix-neuvième siècle, invoquant finalement la mémoire de l’émir Khaled, qui après avoir été un farouche adversaire de la France en est devenu « un grand ami sincère », il rappelle la loyauté et le courage des soldats d’Algérie, avec une verve de conteur qui lui vaut les applaudissements de nombre de ses collègues, et singulièrement des défenseurs de la présence française en Algérie. Deux jours plus tard, le député du Constantinois revient, à l’occasion du débat sur la déclaration du gouvernement relative aux problèmes algériens, sur la situation de son pays, et laisse échapper une plainte sans équivoque : « Que Dieu fasse que la guerre cesse ! Que la mémoire de tous ceux qui sont tombés ne soit pas un vain sacrifice ! », allant jusqu’à évoquer sa « tristesse » et son incompréhension. En effet, dit-il, la victoire militaire est quasiment acquise, alors comment se fait-il que l’on laisse la place à « un Etat qui, privé de la protection et de l’humanisme de la France, ne pourra être qu’un instrument d’oppression » ? Depuis un mois en effet, les discussions sont ouvertes à Evian entre les représentants de la France et ceux du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Celui qui se définit volontiers comme un « Musulman français » exprime ici sa souffrance de se sentir trahi par le pays qu’il a défendu tout au long de sa vie, pour lequel il a pris parti, et sa peur face à l’avenir. Sa dernière intervention dans l’hémicycle sonne comme un triste épilogue à cet égard : dans le vif débat auquel se livrent les députés, le 7 décembre 1961, à propos de l’indemnisation des victimes des plasticages de l’OAS, il se voit par deux fois refuser la parole par le député communiste Fernand Grenier. Le président de la séance doit l’avertir que ses dires ne figureront pas au procès-verbal ; il continue pourtant à parler dans le brouhaha général, avant de se faire rappeler une dernière fois à l’ordre, et de se taire.
Les votes d’Abdallah Tebib témoignent d’une érosion très nette de sa fidélité à l’égard du pouvoir gaulliste, au fur et à mesure que croissent ses doutes sur la politique algérienne de celui qu’il avait d’abord accueilli comme un homme providentiel. S’il se prononce en faveur du programme du gouvernement Debré après la déclaration de politique générale du 16 janvier 1959, il ne prend pas part au vote sur la même question le 15 octobre 1959, ni sur le projet de loi concernant l’enseignement privé (23 décembre 1959). Son opposition latente finit par devenir explicite : le 2 février 1960, il s’abstient volontairement de voter les pouvoirs spéciaux au gouvernement. Le 27 avril 1962 enfin, il s’exprime contre le programme du gouvernement Pompidou.
Le 3 juillet 1962, le mandat de parlementaire français d’Abdallah Tebib prend fin, avec l’indépendance de l’Algérie. En ce jour, l’ordonnance relative au mandat des députés et sénateurs élus dans les départements algériens et sahariens y met un terme. Résidant dès lors, avec son épouse, dans le Sud de la France, à Arles-sur-Tech dans les Pyrénées-Orientales, puis à Villeneuve-les-Béziers, dans l’Hérault, il s’éteint le 2 janvier 1969.