Pierre, Joseph Proudhon

1809 - 1865

Informations générales
  • Né le 15 janvier 1809 à Besançon (Doubs - France)
  • Décédé le 19 janvier 1865 à Paris (Seine - France)

Mandats à l'Assemblée nationale ou à la Chambre des députés

Régime politique
Deuxième République
Législature
Assemblée nationale constituante
Mandat
Du 4 juin 1848 au 26 mai 1849
Département
Seine
Groupe
Gauche

Biographies

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 (Adolphe Robert et Gaston Cougny)

Représentant en 1848, né à Besançon (Doubs) le 15 janvier 1809, mort à Passy-Paris le 19 janvier 1865, il fut l'aîné des cinq enfants de Claude-François Proudhon, garçon brasseur qui s'établit ensuite tonnelier et de Catherine Simonin, servante d'auberge, et neveu du célèbre professeur et jurisconsulte Jean-Baptiste-Victor Proudhon (1758-1838). Bouvier à cinq ans, puis, à douze ans, garçon de cave, il entra au collège, en sixième, comme externe : mais sa famille était si pauvre qu'elle ne pouvait lui acheter des livres ; il empruntait ceux de ses camarades et fréquentait assidûment la bibliothèque de la ville. Obligé de gagner sa vie à dix-neuf ans, il passa des bancs du collège à l'atelier, et entra dans la maison Gauthier et Cie, qui exploitait à Besançon une importante imprimerie.

Comme ouvrier typographe, il fit en cette qualité son tour de France, et devint prote. Comme il surveillait l'impression d'une Bible, il apprit l'hébreu sans maître, et fut amené de la sorte à des études de théologie et de linguistique comparées. Son premier écrit fut un Essai de grammaire générale qu'il ajouta, sans se nommer, en 1837, aux Eléments primitifs des langues de l'abbé Bergier. Ce travail fut remarqué par l'Académie de Besançon qui en reconnut le mérite, et accorda à l'auteur la pension triennale de 1 500 francs fondée par Mme Suard (1838). Vers la même époque, Proudhon devint l'associé de MM. Lambert et Maurice, de Besançon, pour l'exploitation d'un nouveau procédé typographique.

Profitant aussitôt de ses ressources, Proudhon, qui s'était fait recevoir bachelier, continua ses travaux par un mémoire qu'il présenta à l'Institut pour le prix Volney (février 1839), et par un discours de l'Utilité de la célébration du dimanche. Il fournit quelques articles à l'Encyclopédie catholique de Parent-Desbarres, et adressa encore à l'Académie de Besançon son célèbre mémoire intitulé : Qu'est-ce que la propriété ? (Paris, 1840). De tous ses écrits, c'est celui qui a soulevé le plus de critiques, graves ou railleuses ; il y développe cette sorte d'axiome : « La propriété, c'est le vol » et y expose son système sur l'organisation sociale. L'auteur n'employait pas le mot propriété dans un sens générique ; la propriété qu'il repoussait en l'appelant audacieusement le vol n'était que la propriété immobilière, la propriété de l'instrument primitif de travail, qui, selon lui, devait être accessible à tous, et par suite, ne pouvait comporter qu'un droit de possession. Le mémoire fit scandale, et l'Académie de Besançon à laquelle il était dédié, réprimanda Proudhon et lui supprima sa pension ; on parla aussi de poursuites judiciaires ; mais l'économiste Blanqui, chargé d'examiner l'ouvrage, déclara qu'il ne renfermait rien de condamnable. Au fond, Proudhon, individualiste déterminé, très éloigné des doctrines communistes, était à peine un adversaire pour les partisans de l'ancienne économie politique. L'opinion de M. Ad. Blanqui l'encouragea à publier bientôt sur second mémoire sur la propriété (1841), puis un troisième mémoire (janvier 1842), qui le fit traduire devant la cour d'assises de Besançon. Il était intitulé : Avertissement aux propriétaires. Proudhon fut acquitté par le jury.

Appelé (1843-1847) à la direction d'une entreprise de transports sur la Saône et le Rhône, il poursuivit en même temps ses travaux économiques et publia deux nouveaux écrits : De la création de l'ordre dans l'humanité (1843), exposé d'une théorie d'organisation politique, et Système des contradictions économiques (1846). Dans ce dernier ouvrage, il se montre ou plutôt croit se montrer le disciple d'Hegel ; il parle le langage du philosophe allemand, et prétend appliquer la dialectique et la méthode hégéliennes à l'économie sociale. L'idée qui règne dans les Contradictions économiques et qui a longtemps dominé sinon le fond, du moins la forme de la pensée de Proudhon, c'est celle du caractère antinomique des catégories et principes fondamentaux de l'économie politique. L'auteur en profitait pour battre en brèche, en les opposant les uns aux autres, les réformateurs socialistes et les économistes malthusiens. Il travaillait à un important ouvrage sur la Solution du problème social, dans lequel il espérait trouver, par l'organisation du crédit et de la circulation monétaire, la synthèse des antinomies qu'il avait exposées, lorsque la révolution de février l'appela à d'autres luttes. Sa conception de l'organisation politique était plus négative que positive, plus individualiste que socialiste, foncièrement anti-gouvernementale, et, comme il le disait, anarchique.

Assez indécis d'abord, il commença par se tenir à l'écart du mouvement, et critiqua tout haut les premiers actes du gouvernement provisoire. Le 1er avril 1848, il lança le Représentant du peuple, journal quotidien qui fut suspendu au mois d'août suivant, et dans lequel de violents articles le mirent en vue. À peu prés inconnu alors des électeurs, rayé de la liste des candidats à l'Assemblée constituante par les délégués ouvriers qui siégeaient au Luxembourg, Proudhon n'eut qu'un très petit nombre de voix aux élections générales. Mais ses talents de journaliste et de pamphlétaire accrurent vite sa notoriété.

Aux élections complémentaires qui eurent lieu le 4 juin à Paris, pour remplacer 11 représentants démissionnaires ou optants, il se représenta avec plus de succès. Sa profession de foi, très développée, traitait surtout de son plan de banque d'échange, et des merveilleux résultats qu'il en espérait. Il se prononçait contre le divorce et l'abolition de la peine de mort, pour le maintien du budget des cultes, pour le service militaire obligatoire, etc.

Elu représentant de la Seine à l'Assemblée constituante, le 11e et dernier, par 77 094 voix (248 392 votants, 414 317 inscrits), il évita, trois semaines après, les poursuites auxquelles l'exposait sa présence dans le faubourg Saint-Antoine pendant l'insurrection de juin, en déclarant : « qu'il y allait admirer la sublime horreur de la canonnade. »

À l'Assemblée, dédaigneux des questions de formes politiques, il déposa hardiment au comité des finances, un projet de « liquidation de la vieille société ». Un article du Représentant du peuple sur le terme avait fait suspendre une première fois ce journal. C'est alors que Proudhon présenta sa proposition qui, renvoyée au comité des finances, donna lieu d'abord à un rapport de Thiers, ensuite au fameux discours que Proudhon prononça, le 31 juillet, en réponse à ce rapport. La proposition était relative à l'impôt sur le revenu ; il s'agissait d'établir un impôt du tiers sur tous revenus de biens meubles et immeubles, dont la perception serait confiée à la diligence des fermiers, locataires, débiteurs, hypothécaires et chirographaires, aux conditions suivantes : à dater du 15 juillet 1848, il serait fait remise par tous propriétaires de maison, propriétaires de fonds, créanciers hypothécaires et chirographaires, du tiers des loyers, fermages et intérêts échus, savoir un sixième pour les locataires, fermiers et débiteurs, et un sixième pour l'Etat. Le rapporteur combattit très vivement le projet de loi et s'attacha à démontrer qu'il était de tout point contraire aux lois qui régissent la propriété et les contrats. Proudhon répondit que ces lois étaient illégitimes, et que les contrats n'avaient plus désormais d'autre principe que le principe de la révolution elle-même, c'est-à-dire de la mutualité des services et de la gratuité du crédit. L'Assemblée, en entendant l'exposé de ces théories, perdit tout sang-froid. Des rumeurs, des rires, des exclamations ironiques s'élevèrent :

« Au Moniteur le discours ! cria un représentant. Son auteur à Charenton ! »

Quand Proudhon eut fini, l'Assemblée à l'unanimité moins deux voix - celle de Proudhon lui-même et celle de son collègue et voisin de banc, Greppo,- adopta l'ordre du jour motivé suivant :

« L'Assemblée nationale, considérant que la proposition du citoyen Proudhon est une atteinte odieuse aux principes de la morale publique ; qu'elle viole la propriété; qu'elle encourage la délation ; qu'elle fait appel aux plus mauvaises passions ; considérant, en outre, que l'orateur a calomnié la révolution de février 1848, en prétendant la rendre complice des théories qu'il a développées, passe à l'ordre du jour. »

Quelques jours après cette séance, Proudhon écrivit, à propos de la loi qui rétablissait le cautionnement des journaux, son article sur les Malthusiens (10 août 1848). Bientôt le Représentant du peuple, de nouveau suspendu, cessa définitivement de paraître ; il fut remplacé, en septembre, par le Peuple, d'abord hebdomadaire, puis quotidien.

À l'Assemblée, Proudhon vota :

- contre le rétablissement du cautionnement et de la contrainte par corps,
- contre les poursuites contre Louis Blanc et Caussidière,
- contre l'abolition de la peine de mort,
- pour l'amendement Grévy,
- contre l'ordre du jour en l'honneur de Cavaignac,
- pour l'amnistie,
- contre l'interdiction des clubs.

Il est porté en congé pendant le mois d'avril 1849. Il s'abstint, le 2 novembre 1848, sur la question du droit au travail (amendement Félix Pyat à la Constitution), et en donna, dans une lettre au Moniteur, les motifs suivants :

« Je n'ai point pris part, disait-il, au scrutin de division sur l'amendement de M. Félix Pyat relatif au droit au travail ; non que je repousse ce droit (Dieu merci, mes preuves sont faites), mais parce que je ne pouvais applaudir à ma propre condamnation, parce que, dans aucun cas, je n'appuierai une théorie dans laquelle les conséquences détruisent les prémisses, et où les moyens sont en contradictions avec la fin ; parce qu'enfin, dans mon opinion, le discours de M. Félix Pyat n'avait d'autre but que de faire une manifestation plus ou moins socialiste, et que mes votes ne sont point au service des combinaisons d'un homme ni d'un parti. »

Il se prononça aussi, le 4 novembre, contre l'ensemble de la Constitution.

Le Peuple, accablé de condamnations, fit place à la Voix du peuple (1er octobre 1849-16 mai 1850). Ce fut dans ces feuilles qu'il attaqua vivement, en les accusant d'impuissance, Ledru-Rollin, Lamartine, Pierre Leroux, Louis Blanc, Cabet, etc.

Vers la fin de la session de la Constituante, il eut avec la Montagne, qu'il aurait voulu convertir à ses idées personnelles, des démêlés retentissants dont le principal épisode fut un duel avec Félix Pyat. Ses discours, ses brochures soulevaient les plus ardentes polémiques, et se vendaient à grand nombre, tels que le Droit au travail (1849), la Démonstration du socialisme (1849), les Idées révolutionnaires (1849).

Pour appliquer ses théories, il fonda le 31 janvier 1849, sous titre de « Banque du Peuple », une Société au capital de cinq millions de francs, destinée à favoriser l'abolition de l'intérêt, et la circulation gratuite des valeurs. Ses partisans avaient souscrit à l'entreprise, lorsque Proudhon dut prendre la fuite (28 mars) sous le coup d'une condamnation à trois années d'emprisonnement pour délit de presse. L'autorité fit fermer les bureaux de la Banque du peuple, et Proudhon, réfugié d'abord à Genève, vint se constituer prisonnier (4 juin). Enfermé à Sainte-Pélagie, il y épousa une jeune ouvrière, Mlle Euphrasie Piégeard, dont il eut trois filles, et qui était elle-même la fille d'un négociant légitimiste, compromis en 1832 dans le complot de la rue des Prouvaires. C'est également en prison qu'il écrivit les ouvrages suivants : Confession d'un révolutionnaire (1849) ; Actes de la Révolution (1849) ; Gratuité du crédit (1850), et enfin la Révolution sociale démontrée par le coup d'Etat (1852), livre qui fut édité avec l'autorisation expresse du gouvernement de Louis-Napoléon Bonaparte ; le coup d'Etat y était expliqué et presque justifié.

Mis en liberté le 4 juin 1852, Proudhon rentra dans la vie privée, et consacra le reste de son existence à publier de nouveaux écrits de philosophie sociale : le Manuel des opérations de la Bourse (1856), vive satire de la spéculation et des spéculateurs ; de la Justice dans la Révolution et dans l'Eglise (1858), volumineux ouvrage, ironiquement dédié à l'archevêque de Besançon, le cardinal Mathieu, et qui, saisi chez les libraires, déféré aux tribunaux, valut à l'auteur une condamnation, d'ailleurs inexécutée, à trois ans de prison et 4 000 fr. d'amende.

Après un court séjour en Belgique, Proudhon eut la permission de rentrer en France (1860). Il revint se fixer à Passy, et publia encore, à la suite de la guerre d'Italie :
- La guerre et la paix, recherches sur le principe et la constitution du droit des gens (1867) ;
- Théorie de l'impôt (1861) ;
- la Fédération et l'unité en Italie (1862) ;
- les Démocrates assermentés et les réfractaires (1863) ;
- les Majorats littéraires du principe fédératif (1863), etc.

On a de lui quelques ouvrages posthumes : les Evangiles annotés (1865) ; France et Rhin (1867).

« Raconter ma vie, a-t-il dit lui-même, ce serait écrire l'histoire d'un penseur entraîné dans le somnambulisme de sa nation. » Sainte-Beuve a dit d'autre part : « Philosophe sans cesse interrompu par les bruits du dedans et du dehors, penseur et surtout logicien rigoureux et intraitable, s'aimant et s'emportant en toute rencontre de passion et de colère, avec de fortes parties de sciences, mais de fréquents sursauts d'indignation, il ne fut à sa manière qu'un grand tribun, un grand révolutionnaire comme il s'appelait. »