Audition de Mme Marline Weber, directrice des affaires juridiques et européennes à l'INEC

20 janvier 2021

Compte-rendu de l’audition de Mme Marline Weber, directrice des affaires juridiques et européennes à l’Institut national de l’économie circulaire (INEC)

La réunion débute à quatorze heures.

Mme Huguette Tiegna, présidente. Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui Mme Marline Weber, directrice des affaires juridiques et européennes de l’Institut national de l’économie circulaire (INEC). Notre sujet du jour concerne les évolutions, en matière d’économie circulaire, qui sont à prévoir dans le cadre de l’élaboration du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (dit aussi « projet de loi issu des travaux de la Convention citoyenne sur le climat » ou « projet de loi climat »).

Madame Weber, je vais vous donner la parole pour nos exposer le point de vue de l’INEC sur le cadre législatif issu de l’adoption de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (dite « loi anti-gaspillage » ou « loi AGEC »). Ces enseignements nous permettront de mieux situer nos travaux dans la préparation et l’examen du projet de loi climat, qui sera examiné en séance au mois de mars.

M. François-Michel Lambert. Je rappelle que je préside l’Institut national de l’économie circulaire. Je resterai auditeur, en tant que député et membre de ce groupe d’études, et je ne participerai pas activement à l’audition.

Mme Marline Weber, directrice des affaires juridiques et européennes à l’Institut national de l’économie circulaire. L’INEC est un laboratoire d’idées de référence sur l’économie circulaire, composé de 200 membres publics et privés : des fédérations, des entreprises, des collectivités, des associations et des universités. Notre mission est de fédérer les acteurs publics et privés afin de promouvoir l’économie circulaire et d’accélérer son développement.

Nous avons publié 45 études depuis la création de l’Institut en 2013, et nous menons par ailleurs des programmes opération. La perspective du projet de loi climat est une opportunité rare de porter nos propositions, à un an d’intervalle seulement de l’adoption par le Parlement de la loi AGEC.

Cela témoigne d’une accélération de la prise de conscience collective mais aussi de la prise en compte des enjeux environnementaux visibles et de leur impact sur le quotidien. Aujourd’hui la crise sanitaire a des conséquences néfastes sur la santé et le bien-être public, mais révèle également la fragilité de chaînes d’approvisionnement en matières premières, en énergie, en produits alimentaires, ou en dispositifs de soin.

Par ailleurs, les politiques publiques menées ces dernières années auraient été inimaginables ne serait-ce qu’un an de cela. Je vous le rappelle, il y a eu la limitation des déplacements, la limitation de la consommation des biens jugés non-essentiels, la limitation de certaines activités, la fermeture des frontières, un plan de relance chiffré à 100 milliards d’euros, dont 30 milliards consacrés à la transition écologique.

Durant le confinement, Bercy avait appelé la grande distribution à s’approvisionner en produits frais venant du territoire national. Dans les rayons de fruits et légumes, nous avons de ce fait trouvé beaucoup de produits locaux. Certes, il y aurait à redire sur la consultation du parlement, mais les mesures actées durant cette crise créent un précédent en terme d’organisation et de manière de vivre individuelle et collective. On s’acclimate à d’autres usages. On a vu de nouveaux modes de vies, le développement du « fait maison », le télétravail, le fait de retisser les liens sociaux locaux, les chaines de solidarité locales…

Nous avons aujourd’hui la possibilité, et c’est une chance dans notre malheur, de repenser l’économie collectivement et de repenser ce que nous pensions acquis et immuable. Par exemple, le cadre européen que l’on estimait rigide a montré qu’il était capable de souplesse. Cela ouvre aussi la voie à une réflexion démocratique, maintenant que la situation a servi de laboratoire d’expérimentation. Il appartiendra à la représentation nationale de se saisir de ces enjeux pour faire évoluer la législation vers la transition écologique.

J’ajoute un mot pour les collectivités territoriales qui ont montré leur résilience et leur capacité d’adaptation pour assurer le service à la population, en soutien aux entreprises. C’est en s’appuyant sur les territoires qu’il faudra organiser cette relance. Là-dessus, nous compterons sur la loi « 4D », qui doit être présentée en février en conseil des ministres. L’État transférera aux collectivités des compétences nouvelles, notamment dans le champ de la transition écologique. En ce qui concerne les mesures qui sont comprises dans le projet de loi climat, comme les aides à la pierre ou la rénovation énergétique; le texte prévoit aussi de déléguer une part du fonds économie circulaire de l’Agence de la transition écologique (ADEME). L’INEC travaillera aussi sur ce levier en vue du texte 4D.

Nous avons dorénavant un haut-commissaire au plan, et il est intéressant de voir comment la situation actuelle peut nous faire reposer la question du temps long. C’est la philosophie de l’économie circulaire : pour sécuriser les approvisionnements en période de crise, l’œuvre de planification et de prospection devient nécessaire. Nous l’avons vu sur la gestion des secteurs stratégiques, avec leur relocalisation rapide. À titre d’exemple, on a vu des usines de textile qui se sont mises à produire des masques, des usines cosmétiques qui se sont mises à produire du gel hydroalcoolique. C’est important lorsque l’on porte un objectif de réindustrialisation du pays et que l’on souhaite que la production industrielle atteigne 18 % du produit intérieur brut (PIB). Aujourd’hui, l’industrie représente environ 12 % du PIB.

En ce qui concerne le plan de relance, il y a l’axe sur le verdissement de l’économie avec notamment l’économie circulaire et plus particulièrement la gestion des déchets. Mais la quasi-totalité de l’axe sur le verdissement de l’économie, au-delà de son montant, est à même d’influer sur cette transition, avec les autres piliers que sont la relocalisation industrielle et la cohésion sociale et territoriale.

Issu des travaux de la Convention citoyenne, nous avons pu consulter l’avant-projet de loi climat, encore provisoire, qui reprend une cinquantaine de mesures élaborées par les 150 citoyens tirés au sort. Un des principaux objectifs est de favoriser la décarbonation des modes de production ainsi que l’économie circulaire. L’économie circulaire a une place importante dans ces objectifs. C’est une chance d’aller encore plus loin que l’an dernier avec la loi AGEC. On ne va pas remettre toutes les dispositions sur l’économie circulaire dans la loi climat, mais aujourd’hui le contexte a profondément évolué, et il y a une attente citoyenne forte justifiant d’aller plus loin. J’ai été auditionnée en septembre 2019 par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Il y avait encore une crainte forte concernant l’écologie punitive. Aujourd’hui, nous sommes dans un état d’esprit complètement différent qui nous permet d’aller bien plus loin, même sur des choses qui n’étaient pas encore envisageables l’année dernière.

Je peux passer rapidement sur les grands axes du projet de loi annoncé qui vont dans le sens de l’économie circulaire. On parle beaucoup d’information du consommateur, dès le premier article de cet avant-projet concernant l’affichage environnemental sur les produits, et on évoque la loi AGEC. Le décret d’application n’est pas encore publié, donc n’avons que peu d’information sur le dispositif évoqué. L’idée en est de créer un indice carbone en fonction des émissions de gaz à effet de serre à côté du nutriscore et de l’information environnementale (indice de réparabilité de la loi AGEC). La démarche est louable, mais il ne faut pas que ce nouvel indice occulte les autres. L’urgence climatique peut souvent occulter les autres urgences sociales et environnementales.

En matière d’éducation, l’article 2 affirme le rôle fondamental et continu de l’éducation au développement durable avec l’importance d’éduquer les élèves aux moyens de consommer, de se nourrir, de se déplacer : en somme, de vivre plus durablement. Ces déclarations d’intention gardent une portée limitée sans déclinaison pratique. La Convention citoyenne proposait d’inscrire l’élaboration de programmes d’éducation à l’environnement et au développement durable ainsi que la formation des professionnels d’éducation à ces enjeux, en formation initiale et continue accompagnée de moyens humains et financiers.

Par la loi AGEC, les parlementaires avaient déjà voté pour une éducation à l’environnement et au développement durable, ce qui peut être redondant. Il existait déjà des modules de sensibilisation au réemploi, au réusage, et aux gestes de tri. Pour nous, il est important d’aborder l’économie circulaire à l’école de manière systémique et moins parcellaire, en prenant en compte l’ensemble des concepts innovants et non en ayant simplement des ateliers de réparation et de tri. Il faut mieux appréhender l’ensemble des ressources, mais aussi créer de nouvelles formations académiques pour former les nouvelles générations aux métiers de demain.

En ce qui concerne la publicité, le projet de loi comporte de nombreuses mesures. Il s’agit d’interdire la publicité sur les énergies fossiles, d’un contrat climat entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et les annonceurs, de la compétence du maire en ce qui concerne le pouvoir de police de la publicité. On a une expérimentation du « oui pub », mais sans sanction : cela ne donc fera pas forcément évoluer les pratiques actuelles. La loi AGEC avait déjà assorti de sanctions le non-respect de la mention « stop pub » et avait entériné d’autres mesures d’encadrement de la publicité comme celle encadrant le « Black Friday » ou celle interdisant de détériorer des produits en état de fonctionnement. Ces mesures ne sont pas encore assez coercitives. Nous pensons qu’elles auront peu d’effet.

En ce qui concerne la vente en vrac et la consigne en verre, des propositions ressortent à la fois de la Convention citoyenne et de l’avant-projet de loi. La vente en vrac a été définie par la loi AGEC, et les mesures proposées vont dans le bons sens. Nous lancerons une concertation au sein de l’INEC sur ce texte dans les jours qui viennent pour avoir des propositions à apporter au débat. Il y a également des propositions qui concernent la disponibilité des pièces détachées. Aujourd’hui, le texte ne précise pas quelle catégorie de produit est concernée, mais indique que ce sera précisé par décret. La législation prévoyait la mise à disposition de pièces détachées pour les équipements électriques et électroniques pour une durée supérieure à cinq ans.

La réparabilité est désormais considérée comme une des caractéristiques essentielles du bien. Le projet de loi climat pourrait aller plus loin en la matière. Par exemple, la Convention citoyenne proposait la création d’un crédit d’impôt sur la réparation destiné aux ménages. On a vu le succès du chèque réparation vélo durant la crise sanitaire, cette période a été un laboratoire d’expérimentation. La Convention citoyenne  évoque également la cohérence entre prix des pièces détachées et celui de l’appareil d’origine, qui est aussi un élément important dans le choix de se tourner vers cette réparation.

Il y a un point important pour l’INEC, c’est la commande publique, qui représente 10 % du PIB et qui constitue un levier majeur de la mise en œuvre des politiques publiques. Au-delà de garantir le rôle d’exemplarité de l’État, la commande publique est à même de créer une demande significative pour lancer un signal fort et développer des produits plus circulaires. Pour rappel, l’Institut a lancé un programme d’accompagnement opérationnel depuis deux ans avec la Métropole du Grand Paris (MGP) et l’Observatoire des achats responsables, qui s’appelle « programme achat circulaire et solidaire ». Concrètement, on y accompagne les acheteurs pour intégrer des objectifs d’économie circulaires dans leurs offres d’achat. Donc, pour revenir sur ces mesures, il s’agit d’une obligation pour les acheteurs de prendre en compte les aspects environnementaux des travaux. Dans la loi AGEC, il y a déjà une forte obligation contraignant les pouvoirs publics à acquérir des biens, qui sont issus du réemploi ou intègrent des matières recyclées pour un pourcentage donné d’entre eux. Les achats publics devront également comporter des clauses sur les constructions temporaires.

Pour que ces objectifs soient atteints, il est nécessaire de travailler sur l’accompagnement des acheteurs publics, avec la mise à disposition d’outils opérationnels simplifiés qui sécurisent les achats avec des clauses insérées dans les marchés qui concernent l’économie circulaire et le carbone.

On trouve aussi dans l’avant-projet un grand nombre de mesures relatives au bâtiment : il faut faire le lien avec les enjeux de matière. On parle beaucoup de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et les deux sujets peuvent être traités en parallèle, notamment par le diagnostic de réversibilité qui figure dans l’avant-projet de loi. Il va aussi y avoir la création d’une responsabilité élargie du constructeur. Je rappelle que le bâtiment représente 70 % des déchets produits en France chaque année.

En dernier point, le projet de loi présente des mesures sur le lien entre alimentation et environnement, qui complètent la loi AGEC. Elles pourraient être plus ambitieuses, avec des obligations plutôt que des expérimentations. En effet, les expérimentations existent déjà. De plus, la Convention citoyenne propose d’utiliser la commande publique pour se tourner davantage vers les circuits courts pour la restauration collective par exemple.

Pour terminer, je souhaite dire que ce qui manque dans ces grands axes annoncés, c’est la nécessité de renforcer le lien entre économie circulaire et transition climatique. Il y a des intérêts convergents qui sont encore trop peu traités ensemble. Il n’y a pas de mention de la nécessité d’un découplage entre croissance et utilisation  de ressources. Pour rappel, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) fixait un objectif de découplage de 30 % entre le PIB et la consommation intérieure de matière d’ici 2030. C’est un objectif qui a été réaffirmé dans la feuille de route sur l’économie circulaire (FREC). C’est important de prendre en compte cette mention de réduction à la source et de maîtrise du tonnage de déchets et de ressources extraites par habitant. 62 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre sont dues à l’extraction de matières, ce qui comprend le traitement et la production des biens. Donc il y a vraiment un lien entre politique climatique et économie circulaire.

Pour nous, ce qui importe c’est de repenser l’usage plutôt que la propriété. Il y a une absence de prise en compte de l’économie de la fonctionnalité, qui consiste à remplacer l’achat d’un bien par l’achat de l’usage d’un bien. L’échange économique ne reposerait plus sur le transfert de la propriété. Le producteur aurait intérêt à produire des biens durables, un système gagnant-gagnant où la solidité et la recyclabilité des biens bénéficient aux deux parties. De nombreuses entreprises de location, de troc et de prêt sont aujourd’hui en capacité de répondre à l’augmentation de la demande. Il est nécessaire que les pouvoirs publics s’emparent de ces enjeux, en matière de fiscalité incitative, de commande publique et de formation. Il y a un changement de regard sur l’usage et la propriété qui est nécessaire.

J’apporterai une dernière précision, sur l’éco-conception. Il y a une absence de mesures en faveur du développement de l’éco-conception, là où la Convention citoyenne en proposait. Il est primordial de travailler dès l’étape de la conception pour produire durablement avant de s’atteler à l’impact des déchets produits. Le projet n’introduit aucune mesure à ce sujet. La recherche doit être sollicitée, les producteurs incités et les professionnels doivent être formés à l’éco-conception, avec des formations spécialisées pour se saisir de cette opportunité de repenser notre modèle. .

En tout état de cause, nous sommes heureux d’être associés à ces travaux. Nous lancerons une concertation sur ce sujet. Le lien entre climat et économie circulaire est fondamental, et c’est aussi pour cela que l’on a lancé des travaux avec l’association « bilan carbone » pour faire le lien entre ces questions qui comprennent également la biodiversité.

Mme Huguette Tiegna, présidente. Je vous remercie pour cette présentation, ainsi que, plus largement, pour votre engagement et votre action auprès des collectivités et des associations pour améliorer l’environnement complexe de la gestion de l’économie circulaire.

Vous avez abordé la question de la gestion de l’économie circulaire tout au long du cycle de vie, c’est même la définition de l’économie circulaire. Pour des matériaux qui ont de la valeur, la gestion est prise en compte comme l’acier, aluminium ou le cuivre, alors que lorsque l’on passe au plastique, ceux qui en produisent ont du mal à les incorporer dans leur production nouvelle, notamment en raison du faible coût du plastique. Dans l’avant-projet de loi climat, il y a la création de l’obligation de l’affichage de l’empreinte carbone du produit, afin de pousser à considérer tout le cycle de vie de l’objet. Aujourd’hui, avez-vous des paramètres qui permettent un mode de calcul ? C’est très complexe, et l’on ne peut pas demander uniquement aux producteurs d’aller jusqu’à la source d’un produit pour déterminer les émissions tout au long du cycle. Avez-vous des propositions en ce sens ?

Mme Marline Weber. Vous mettez le doigt sur l’importance qu’il y a à prendre en compte l’ensemble du cycle de vie du produit et pas seulement la gestion du déchet à la fin de son utilisation. Ne voir que le recyclage est une vision très limitante, il faut prendre en compte cet enjeu en amont. En matière de plastique, c’est un sujet majeur. Dans les 150 propositions de la Convention citoyenne, il y a de nombreuses mesures qui poussent à l’incorporation de matières recyclées et un grand soutien à l’investissement productif, et dans le plan de relance aussi, il y a du soutien à la  transformation des équipements.

Une taxe plastique européenne entre en vigueur normalement en ce début d’année. Elle devrait être due par les États, mais les États pourront la répercuter sur certains acteurs, en fonction du tonnage de plastique non-recyclé dont ils font usage. Certains leviers peuvent influer sur la demande de plastique recyclé. Il y a également, sous le régime de la convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et leur élimination, la nouvelle interdiction d’exporter certaines matières plastiques dans certains pays, entrée en vigueur en ce début d’année.

En ce qui concerne l’information environnementale, la loi AGEC évoque l’indice de réparabilité, qui est assez spécifique, mais aussi l’éco-contribution avec une éco-modulation qui correspond à l’impact environnemental du produit. Les critères incluent la recyclabilité du produit et le poids de l’emballage. Le problème des indicateurs et du calcul, c’est toujours un sujet d’économie circulaire. Nous proposons que la commande publique ait des clauses-type et des indicateurs précis pour ces marchés circulaires. Des critères de marché publics écologiques existent néanmoins au niveau européen qui peuvent beaucoup nous aider, parce qu’ils comprennent certains éléments relatifs à l’économie circulaire, comme la réparabilité, la durabilité, et la robustesse.

Hormis l’éco-contribution qui se développe avec une quantification de l’impact environnemental du produit, nous n’avons pas de donnée ni de méthode de calcul harmonisée. La seule méthode harmonisée du coût du cycle de vie  au niveau européen est afférente au transport routier, et il s’agit d’une méthode lourde à mettre en place, coûteuse et longue. Il faut développer des outils simples et appuyés par l’État, afin qu’il n’y ait pas de risque pour les acheteurs, notamment publics, à les utiliser.

Mme Huguette Tiegna, présidente. Dans la loi AGEC, il y avait la possibilité de remplacer les emballages à usage unique par des matériaux biosourcés. Nous savons néanmoins que, même dans le plastique biosourcé, il y a des résidus de plastiques. Avez-vous un avis sur la proposition de la Convention citoyenne qui vise à renforcer l’usage des emballages biosourcés ?

Mme Marline Weber. Le plastique biosourcé est une solution de transition. Il faut faire attention à la recyclabilité réelle, c’est-à-dire à la différence qui existe entre la recyclabilité en conditions industrielles et en laboratoire. Si on parle de plastique compostable, il y a plusieurs notions. En ce qui concerne le biosourcé, on peut se dire qu’il est compostable et biodégradable, ce qui peut introduire une confusion dans l’esprit des consommateurs. Il faut bien faire attention à ce que dans la loi AGEC, l’on fasse bien mention de « ne pas jetez dans la nature » et de l’interdiction des mentions « biodégradables », car elles introduisent une grande confusion.

En somme, le biosourcé est intéressant, mais souvent mélangé avec des matières pétroles non renouvelables, et n’est pas recyclable, ou compostable. Nous n’y avons pas d’opposition dogmatique : sur certaines matières, il faut réfléchir en opportunité en considérant le cycle de vie de ce produit. En fonction du besoin et de l’utilisation, le produit biosourcé peut être meilleur. En fonction des utilisations, le verre n’est pas forcément meilleur que le plastique par exemple. Il faut s’ouvrir à toutes les possibilités, donc le biosourcé est une piste, mais aussi le vrac, la réduction des emballages superflus. Pour sortir du plastique conventionnel, il faut aller vers de nouvelles alternatives et en considérer le bienfondé en fonction des expérimentations.

Mme Huguette Tiegna, présidente. L’article 13 de l’avant-projet de loi climat vise à définir par décret les catégories de biens pour lesquelles une durée minimale de disponibilité des pièces détachées pourra être définie. Comment, selon vous, pourrions-nous inciter à cette durabilité ? Soit les brevets sont passés dans le domaine public, soit il y a une collaboration avec le producteur initial ; or ils ne sont pas forcément organisés en filière.

Mme Marline Weber. Si on développe les obligations de disponibilité de pièces détachées, que ce soit le producteur ou le metteur en marché en France, assorties de sanctions, on aura cette disponibilité effective de pièces sur certaines catégories. Dans l’état actuel de l’article 13, les catégories de produits concernées ne sont pas concernées, et le délai minimal à partir de 2022 reste flou. Si l’on renvoie au décret, vous n’aurez pas forcément la possibilité d’instituer certaines obligations en la matière. Je le rappelais, dans la loi AGEC on avait déjà certaines obligations en matière d’équipements électriques et électroniques et de matériel médical pour une durée supérieure à cinq ans avec un décret qui liste ces catégories précises de pièces détachées en matière de dimension, etc.

Travailler sur l’indice de réparabilité est intéressant car il développe la réparabilité en fonction de la réparabilité économique aussi, pas seulement en pratique. Si la réparation coûte le même prix que l’objet initial, ce sera compliqué de justifier l’option de réparation. Il faut  travailler sur la cohérence entre le prix de la pièce détachée et l’appareil d’origine. On a également le levier de la garantie légale de conformité. Il faut que la garantie puisse être renouvelée si le produit a été reconditionné sous certaines conditions bien définies. Il faut inciter les consommateurs à se tourner vers des téléphones reconditionnés, avec une garantie efficace et un bon niveau de réparabilité.

Il y a donc plusieurs leviers possibles pour développer la réparation et l’usage des pièces détachées. Je n’ai pas mentionné le fait de développer la mise à disposition de pièces détachées qui ne sont pas forcément neuves, mais des pièces détachées issues de l’économie circulaire. Récupérer les pièces permet de ne pas avoir non plus de surproduction de pièces détachées, ce qui irait à l’encontre de l’objectif poursuivi.

Mme Huguette Tiegna, présidente. Vous avez aussi évoqué l’accélération de la prise en compte par les citoyens de la nécessité d’aller vers plus d’écologie, d’améliorer les comportements par rapport à nos modes de consommation. Pendant la crise sanitaire, il y a eu une augmentation de l’utilisation de produits à base de plastique, comme les masques ou les emballages de plats à emporter. Avez-vous des statistiques concernant ces deux exemples ? Sur les masques, notre collègue Mme Brune Poirson, alors secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, avait institué un groupe de travail sur le recyclage des masques ; avez-vous des données à ce sujet ?

Mme Marline Weber. Il existe en effet un paradoxe entre la volonté de s’inscrire dans le local et d’acheter chez son commerçant, de renouer avec la nature, d’être dans une démarche de « faire soi-même », d’un côté, et l’explosion de la livraison de plats par les plateformes de commerce électronique, qui a fait s’envoler la consommation d’emballages. Je le constate dans les poubelles jaunes à côté de chez moi. On a déconseillé l’usage du plastique, mais sa consommation augmente. Comme vous le décrivez, la consommation de masques à usage unique participe de ce phénomène. À l’INEC, nous ne produisons pas ces chiffres. Si nous obtenons des chiffres, nous vous les communiquerons.

Sur le recyclage des masques, nous menons des travaux en interne et nous allons organiser un événement à ce sujet, un webinaire de décryptage sur leur utilisation, leur recyclage, parce que nous avons un grand nombre de questions. Nous vous communiquerons les résultats de ce travail.

Mme Huguette Tiegna, présidente. Il faut trouver un moyen de systématiser l’éco-conception. Les mesures d’accompagnement, aujourd’hui, consistent en partie en l’innovation à travers les fonds, comme pour le plan d’investissement d’avenir ou le plan de relance. Les entreprises qui font de la recherche et de l’innovation pensent à l’éco-conception. Mais ce n’est pas forcément visible par nos concitoyens, d’où la nécessité de trouver une moyen de faire connaître ce terme auprès de nos concitoyens. Il faut accompagner les entreprises et les inciter à opérer la transition énergétique avec les dispositifs existants comme la responsabilité sociétale des entreprises. Avez-vous des mesures pouvant aller dans le sens de l’éco-conception ?

Mme Marline Weber. C’est une notion large qui vise à concevoir les produits de manière plus durable. Le terme renvoie à une réalité concrète, celle de produits qui peuvent être démontés, déconstruits, réemployés, réutilisés, réparés.

Je pense qu’il y a une attente citoyenne sur ces questions. Ces aides à la transformation des équipements sont intéressantes. Dans la loi AGEC, tout ce qui porte sur l’éco-contribution modulée en fonction de l’impact environnemental pousse les entreprises à éco-concevoir. L’éco-modulation sera affichée sur les produits. On parle aussi de l’impact carbone. Tout est lié : si l’impact en carbone est affiché sur le produit, que le produit est réparable, cela incitera davantage les producteurs à éco-concevoir. La Convention citoyenne avait fait de nombreuses propositions en la matière. Nous proposons un centre d’expertise du recyclage, pour travailler sur cette éco-conception, proposition portée par de nombreux acteurs, pour travailler sur l’ensemble du cycle de vie du produit et attester de la recyclabilité réelle, de la durabilité réelle. Ce travail pourrait être fait en collaboration avec l’Ademe.

Par exemple, en amont de la commande publique, il faut se demander s’il y a vraiment un besoin de commander 200 chaises, alors que, parfois, les employés préfèrent travailler chez eux, ou debout. Il faut donc repenser l’usage plutôt que le besoin. Il ne faut pas se dire que parce que l’on a déjà acheté un lot, il faut le renouveler de la même manière. C’est la manière de s’approvisionner et de produire qui doit être repensée. Ces mesures ne s’apparentent pas à l’éco-conception en tant que telle, mais regroupent des aspects qui relèvent de cette approche. On parle aussi d’éco-conception du bâtiment, avec les bâtiments à énergie positive par exemple. Ils seront orientés vers le sud avec des fenêtres orientées vers le soleil. Cela entre dans l’éco-conception du bâtiment et permet de réduire la facture énergétique du bien.

Cependant, parmi nos études, nous n’avons pas traité la question de l’éco-conception en tant que telle : c’est une question technique qui doit être compréhensible par tous. Il faut réussir à vendre positivement le concept. À ce titre, nous développons un programme sur l’école circulaire. C’est un objet intéressant pour créer une appétence chez les maires, qui pourront dire qu’ils ont une école circulaire, en choisissant certains aspects de cette école, par exemple la mobilité, l’énergie, l’entretien, ou la rénovation du bâtiment. Tous les segments d’achat peuvent être pris en compte. Avec cette école, nous arrivons à parler à un plus grand public, aux écoliers notamment. C’est un objet d’exemplarité qui est beaucoup plus compréhensible que le béton recyclé. Mais il ne faut pas voir en trop grand. D’abord, les municipalités peuvent acheter des stylos produits en France et ensuite seulement entamer la rénovation du bâtiment.

Nous souhaitons vulgariser les termes de l’éco-construction auprès du grand public. Nous avons travaillé sur la responsabilité élargie du producteur : c’est très complexe à appréhender, comment l’expliquer simplement ?

Mme Huguette Tiegna, présidente. Je pense que nous avons fait le tour de la question, et nous attendrons vos éléments permettant d’approfondir notre examen du projet de loi climat. Le groupe d’études reste à votre disposition dans ce cadre-là.

Mme Marline Weber. Je vous remercie pour cette opportunité d’échanger avec vous en amont de l’examen du projet de loi. Nous allons nous lancer dans la concertation et dans la proposition avec nos 200 membres qui sont très divers, ce qui nous permettra d’avoir une voix comme nous l’avons eu grâce à vous, lors de l’examen de la loi AGEC ou de la loi de finances en juin dernier. Nous avons eu de très bons retours et nous continuerons de le faire dans le cadre de la loi 4D ainsi que pour la loi de finances de l’année prochaine.

Mme Huguette Tiegna, présidente. Je vous remercie, Mme Weber, chers collègues, mesdames et messieurs les collaborateurs pour votre présence.

La réunion s’achève à quinze heures cinq.