Points-clés
Le Règlement de l’Assemblée nationale constitue sa « loi intérieure ». Il n’a pas, en lui-même, valeur constitutionnelle. Toutefois, certaines de ses dispositions mettent en œuvre des exigences constitutionnelles. Il doit être, en tout état de cause, conforme à la Constitution, aux lois organiques prises pour son application et à l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

Adopté et susceptible d’être modifié par une résolution de l’Assemblée nationale, le Règlement organise son fonctionnement interne, précise les procédures de délibération et détermine les règles disciplinaires s’appliquant à ses membres.

Le Président de l’Assemblée nationale a la charge de faire respecter le Règlement en s’appuyant en particulier sur les « précédents ». En séance, les députés peuvent invoquer ses dispositions par des « rappels au Règlement ».

 

Le Règlement de l’Assemblée nationale a été adopté le 3 juin 1959 et reconnu conforme à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel du 24 juillet. Il constitue une source privilégiée du droit parlementaire bien que son importance ait été réduite en 1958. Ses modalités d’adoption et de modification, son contenu et la manière dont il est appliqué présentent des caractéristiques importantes pour la compréhension de la place et du rôle du Parlement dans les institutions de la Ve République.

I. –    LE RÈGLEMENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE, SOURCE DU DROIT PARLEMENTAIRE

Dans son traité de droit politique, électoral et parlementaire, Eugène Pierre écrivait : « Le Règlement n’est en apparence que la loi intérieure des assemblées, un recueil de prescriptions destinées à faire procéder avec méthode une réunion où se rencontrent et se heurtent beaucoup d’aspirations contradictoires. En réalité c’est un instrument redoutable aux mains des partis ; il a souvent plus d’influence que la Constitution elle-même sur la marche des affaires publiques ». Ce constat énoncé sous la IIIe République est resté parfaitement valable sous la IVe République. En revanche, il ne pourrait plus être fait aujourd’hui tant il est vrai que le constituant de 1958 a cherché à se prémunir contre les excès du parlementarisme constatés sous les régimes précédents.

Si le Règlement reste l’une des sources du droit parlementaire dont la nature juridique mérite d’être précisée, il s’agit d’une source encadrée et contrôlée.

1. – LA NATURE JURIDIQUE DU RÈGLEMENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

Comme l’a souligné Paul Bastid en 1954, « le Règlement, c’est la loi intérieure de chaque chambre, fixée par elle-même. La chambre agit en établissant son règlement non comme une branche du pouvoir législatif mais à titre de corporation autonome dotée d’un pouvoir d’organisation et possédant sur ses membres une autorité disciplinaire ».

Il appartient à la catégorie juridique des mesures d’ordre intérieur, c’est-à-dire que la validité des règles qu’il édicte est limitée à leur objet interne.

Concernant sa place dans la hiérarchie des normes juridiques, le Conseil constitutionnel juge de façon constante que les dispositions des Règlements des assemblées parlementaires n’ont pas, en elles-mêmes, valeur constitutionnelle. Cela signifie notamment qu’une méconnaissance du Règlement ne saurait, à elle seule, être invoquée à l’appui d’un recours devant le Conseil constitutionnel.

Certaines dispositions des Règlements reflètent, cependant, des exigences constitutionnelles et ne pourraient en conséquence être méconnues sans risquer d’entacher d’irrégularité la procédure législative. En outre, la Constitution peut renvoyer directement au Règlement des assemblées : c’est le cas, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, de ses articles 44 (le droit d’amendement s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les Règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique), 51-1 (le Règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires ; il reconnaît des droits spécifiques aux groupes d’opposition ainsi qu’aux groupes minoritaires) ou 51-2 (les conditions de création des commissions d’enquête sont fixées par le Règlement de chaque assemblée).

2. – UNE SOURCE FORTEMENT ENCADRÉE ET CONTRÔLÉE

En vertu de l’article 61 de la Constitution, les Règlements des assemblées parlementaires doivent être conformes à la Constitution.

Le contrôle obligatoire et préalable du Conseil constitutionnel marque une rupture avec la tradition constitutionnelle française qui, en application du principe d’autonomie des assemblées parlementaires, réservait à ces dernières une compétence exclusive sur leurs Règlements. Michel Debré assume ce changement dans ses mémoires : « Le contrôle des règlements des Assemblées est une mesure capitale… Mon expérience m’avait permis de constater à quel point les règlements ajoutent à la Constitution et dans un sens souvent déplorable pour l’autorité gouvernementale et la valeur du travail législatif ». C’est pourquoi, écrit-il : « Une dernière précaution a été prise. Les règlements des Assemblées parlementaires, avant leur mise en application, seront soumis au Conseil constitutionnel qui reçoit ainsi le pouvoir d’annuler les articles contraires à la loi fondamentale et à son esprit ».

Désormais, comme l’écrit Jean Gicquel, « les assemblées ne sont plus maîtres chez elles ».

Les textes qui s’imposent aux Règlements des assemblées sont à la fois nombreux et importants par leur contenu.

Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que l’exigence de conformité à la Constitution s’étendait aux dispositions des lois organiques relatives au Parlement prises pour son application. Or ces dernières qui, pour leur grande majorité, ont été prises par ordonnance dans les quatre mois suivant la promulgation de la Constitution, sont particulièrement nombreuses et concernent des domaines aussi importants que la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres, leur indemnité, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités, les conditions d’élection des personnes appelées à remplacer les députés en cas de vacance du siège, la réglementation des délégations de vote ou le vote des lois de finances et de financement de la sécurité sociale. La loi organique du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution comporte, en outre, des dispositions précises relatives à la procédure des études d’impact et aux conditions de dépôt et d’examen des résolutions et des amendements.

Le Conseil constitutionnel considère également que l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, qui a valeur législative simple, s’impose aux Règlements des assemblées. Cette précision est importante puisque ce texte, outre des dispositions traditionnelles sur les locaux affectés aux assemblées, leur autonomie financière ou leur responsabilité civile, contient d’autres règles relatives, par exemple, aux commissions d’enquête, aux pétitions, aux délégations parlementaires ou, depuis 2009, à la consultation du Conseil d’État sur une proposition de loi.

Les grands axes de la jurisprudence du Conseil constitutionnel ont été fixés dès les décisions relatives aux Règlements définitifs des assemblées au printemps 1959. Quant à l’étendue de ce contrôle, Pierre Avril et Jean Gicquel soulignent dans leur manuel de droit parlementaire que : « La jurisprudence du Conseil constitutionnel considère que les dispositions du Règlement faisant application d’une règle constitutionnelle doivent en respecter strictement la lettre, sans rien y ajouter ni en retrancher, tandis qu’il suffit que les dispositions qui n’entrent pas directement dans le champ des prévisions constitutionnelles ne soient pas contraires à celles-ci ».

II. –    LES MODALITÉS D’ADOPTION ET DE MODIFICATION DU RÈGLEMENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

En la matière, l’initiative appartient aux seuls députés en vertu du principe d’autonomie des assemblées. Cette initiative se concrétise par le dépôt d’une proposition de résolution qui, pour être recevable, doit, d’après l’article 82 du Règlement de l’Assemblée nationale, formuler « des mesures et décisions d’ordre intérieur qui, ayant trait au fonctionnement et à la discipline de l’Assemblée, relèvent de sa compétence exclusive ».

La procédure d’examen est celle qui est applicable aux propositions de loi en première lecture. Une fois déposée, la proposition de résolution est examinée par la commission des lois puis adoptée en séance publique.

Les dispositions des articles 34, 40 et 41 de la Constitution (irrecevabilité financière et respect du domaine de la loi) ne sont pas applicables à ces résolutions.

Depuis son entrée en vigueur (laquelle a nécessité trois décisions du Conseil constitutionnel entre mai et juillet 1959), le Règlement de l’Assemblée nationale a été modifié à 35 reprises.

Parmi ces modifications on évoquera, pour la XIe législature, celle du 26 janvier 1994 qui visait à améliorer le travail législatif en revalorisant le rôle des commissions, en réduisant la place de la séance publique et en renforçant les procédures de contrôle ; celle du 10 octobre 1995 qui a tiré les conséquences de la révision constitutionnelle d’août 1995 ; celle du 3 octobre 1996 qui a introduit des précisions relatives aux lois de financement de la sécurité sociale et aux pouvoirs de contrôle des commissions.

Sous la XIIe législature, on mentionnera la résolution du 26 mars 2003 autorisant la Conférence des présidents à créer, sur proposition du Président de l’Assemblée nationale, des missions d’information et reconnaissant à l’opposition le droit de disposer du poste de rapporteur ou de président d’une commission d’enquête, créée à son initiative ; celle du 12 février 2004 qui a prévu la présentation d’un rapport sur la mise en application des lois six mois après leur entrée en vigueur ou des recommandations des commissions d’enquête six mois après la publication des rapports de ces dernières ; celle du 7 juin 2006 qui a limité la durée de présentation des motions de procédure et fixé à la veille à 17 heures le délai de dépôt des amendements.

La plupart des modifications du Règlement ne portaient cependant que sur quelques articles : huit résolutions seulement ont modifié plus de dix articles. Ces chiffres méritent d’être rapprochés de ceux qui se rapportent à la résolution adoptée, sous la XIIIe législature, le 27 mai 2009 : près de cent cinquante articles ont alors été modifiés, insérés ou abrogés. Cette réforme, sans équivalent depuis cinquante ans, a mis en œuvre la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et procédé à une actualisation de l’ensemble du Règlement.

Sous la XIVe législature, la résolution du 17 septembre 2014 a prévu que les groupes politiques devaient se constituer sous forme d’association. Celle du 28 novembre 2014 a notamment permis de systématiser la publicité des travaux des commissions, de consacrer et de renforcer les obligations déontologiques des députés, de créer la fonction de rapporteur général de la commission des affaires sociales, d’améliorer l’organisation des séances et d’accroître les droits de l’opposition et des groupes minoritaires, en particulier par la rénovation des modalités d’exercice du « droit de tirage ».

Sous la XVe législature, outre la résolution du 11 octobre 2017 circonscrite au mode d’élection des membres du Bureau de l’Assemblée nationale, celle du 4 juin 2019 a modifié 52 articles de son Règlement et en a inséré neuf nouveaux. Elle a notamment instauré la procédure dite de législation en commission, précisé la façon dont est  contrôlée la recevabilité des amendements, réformé les motions de procédure, accru le nombre de questions au Gouvernement posées par les groupes d’opposition, permis au groupe qui exerce son droit de tirage pour la création d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information de choisir entre la fonction de président ou de rapporteur, amélioré le droit de pétition des citoyens et renforcé les obligations déontologiques des députés ainsi que le rôle du Déontologue. 

III. –    LE CONTENU DU RÈGLEMENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

D’une manière générale, les Règlements des assemblées parlementaires sont destinés à organiser le fonctionnement interne des assemblées, à préciser les procédures de délibération et à déterminer les règles disciplinaires s’appliquant à leurs membres.

Le Règlement de l’Assemblée nationale comporte 216 articles répartis en quatre titres.

Le titre Ier est relatif à l’organisation et au fonctionnement de l’Assemblée et comporte des dispositions relatives au Bureau, à la Présidence, aux groupes politiques, aux commissions, aux nominations, à la Conférence des présidents, à l’ordre du jour, à la tenue des séances plénières, aux modes de votation et à la discipline.

Le titre II traite de la procédure législative et aborde successivement la procédure législative ordinaire, la procédure législative applicable aux révisions constitutionnelles, aux projets de loi de finances et aux projets de loi de financement de la sécurité sociale (dont la discussion en séance publique porte encore sur le texte du Gouvernement ou sur le texte transmis par l’autre assemblée) et les procédures spéciales (propositions de référendum, consultations outre-mer, motions relatives aux adhésions à l’Union européenne, lois organiques, traités et accords internationaux, déclarations de guerre et interventions militaires extérieures).

Le titre III concerne le contrôle parlementaire et décrit les procédures d’information, d’évaluation et de contrôle (déclarations du Gouvernement, questions, résolutions au titre de l’article 34-1 de la Constitution, commissions d’enquête, contrôle budgétaire, comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, affaires européennes), la mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement et celle de la responsabilité pénale du Président de la République et des membres du Gouvernement (Haute Cour et Cour de justice de la République).

Le titre IV regroupe des dispositions diverses.

En application de ses articles 14 et 17, le Règlement de l’Assemblée nationale est précisé et complété par l’Instruction générale du Bureau.

IV. –    L’APPLICATION DU RÈGLEMENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

Le Président de l’Assemblée nationale fait respecter les dispositions du Règlement. Comme l’expliquait Eugène Pierre dans son ouvrage précité, « c’est à lui qu’appartiennent l’interprétation des textes et leur application aux cas divers qui peuvent se présenter ». Dans cette tâche, il s’inspire souvent des pratiques antérieures (les « précédents »). Les députés peuvent à tout moment appeler au respect du Règlement en procédant à des rappels au Règlement.

1. – LES PRÉCÉDENTS

Il peut arriver au cours d’une séance publique que survienne une difficulté liée à l’application du Règlement. Dans cette hypothèse, le Président se réfère souvent aux précédents afin de voir comment cette difficulté a pu être traitée dans le passé. La direction de la séance tient à jour un registre des précédents. Le recours aux précédents peut être utile pour éviter les décisions improvisées dans le feu de l’action mais il n’est pas obligatoire. Par ailleurs, même si les précédents permettent de dégager une « jurisprudence » bien établie pour un cas donné, celle-ci ne s’impose pas au Président qui, en toute hypothèse, conserve une entière liberté de décision. En pratique, il convient de constater que les précédents jouent un rôle important dans l’application du Règlement.

2. – LES RAPPELS AU RÈGLEMENT

Les députés peuvent à tout moment faire un rappel au Règlement ; ils disposent pour ce faire de deux minutes. La parole leur est accordée soit sur-le-champ, soit à la fin de l’intervention de l’orateur. Ces demandes ont priorité sur la question principale et suspendent la discussion.

Les rappels au Règlement doivent concerner le Règlement ou le déroulement de la séance. Ils ne peuvent remettre en question l’ordre du jour fixé. Les députés doivent invoquer la disposition dont la méconnaissance supposée justifie un rappel au Règlement. Si ces règles ne sont pas respectées, le Président peut retirer la parole à l’orateur.

Les rappels au Règlement sont régis par l’article 58 du Règlement. Il peut arriver que le Président réponde en annonçant qu’il saisira le Bureau ou la Conférence des présidents de la difficulté énoncée. Dans la pratique, les rappels au Règlement sont souvent utilisés pour évoquer un événement sans lien évident avec la discussion en cours ou pour retarder une discussion. Ils peuvent alors s’apparenter à une tentative d’obstruction. Il s’agit d’un droit des députés que les Présidents doivent gérer avec doigté.

Dans le cadre de la procédure du temps législatif programmé, qui repose sur l’attribution globale d’un temps de parole maximum à chacun des groupes politiques, le temps consacré aux rappels au Règlement est décompté dès lors que le Président considère qu’ils n’ont manifestement aucun rapport avec le Règlement ou le déroulement de la séance. Dans sa décision du 25 juin 2009, le Conseil constitutionnel a cependant jugé « que, si la fixation de délais pour l’examen d’un texte en séance permet de décompter le temps consacré notamment aux demandes de suspension de séance et aux rappels au Règlement, les députés ne peuvent être privés de toute possibilité d’invoquer les dispositions du Règlement afin de demander l’application de dispositions constitutionnelles ».

Septembre 2023