Fiche de synthèse n°38 : La recevabilité financière des initiatives parlementaires au regard de l’article 40 de la Constitution et des dispositions organiques relatives...

Point clé : résumé de la fiche de synthèse

L’article 40 de la Constitution limite le pouvoir d’initiative des parlementaires en matière financière. Il interdit toute création ou aggravation d’une charge publique et n’autorise la diminution d’une ressource publique que dans la mesure où elle est compensée par l’augmentation d’une autre ressource. S’agissant des crédits ouverts par les projets de loi de finances, la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) a atténué la sévérité de cette restriction en autorisant les parlementaires à opérer des mouvements entre les programmes d’une même mission sans augmenter le montant total des crédits de celle-ci.

Au-delà de l’article 40 de la Constitution, le respect des dispositions organiques relatives aux lois de finances (LOLF) et aux lois de financement de la sécurité sociale (dispositions organiques du code de la sécurité sociale) est également contrôlé.

L’article 40 de la Constitution, inchangé depuis 1958, dispose que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ».

Cette restriction à l’initiative financière des parlementaires est l’un des éléments constitutifs du « parlementarisme rationalisé » qui caractérise les institutions de la Vème République.

I. – La procédure

Les modalités du contrôle sont fixées par l’article 89 du Règlement de l’Assemblée nationale.

En application de l’alinéa 5 de cet article, la procédure détaillée ci-après est applicable dans les mêmes conditions au contrôle du respect des dispositions organiques (LOLF et LOLFSS).

1. – Préalablement au dépôt

Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, « le respect de l’article 40 de la Constitution exige qu’il soit procédé à un examen systématique de la recevabilité […] des propositions et amendements formulés par les députés et cela antérieurement à l’annonce de leur dépôt » et « avant qu’ils ne puissent être publiés, distribués et mis en discussion » (décision n° 2009-581 DC du 25 juin 2009).

a) Les propositions de loi

- En application de l’article 89, alinéa 1, du Règlement de l’Assemblée nationale, l’appréciation de leur recevabilité est confiée à une délégation du Bureau de l’Assemblée, qui refuse le dépôt des propositions de loi « lorsqu’il apparaît que leur adoption aurait les conséquences prévues par l’article 40 de la Constitution ». Toutes les propositions de loi n’ayant pas vocation à être discutées en séance, le Bureau applique néanmoins avec une certaine souplesse les dispositions constitutionnelles afin de ne pas restreindre excessivement l’initiative parlementaire. À ce titre, il admet par exemple qu’une charge puisse être compensée.

- Par ailleurs, les propositions de loi soumises au référendum sont systématiquement déférées au Conseil constitutionnel en vertu de la loi organique portant application de l’article 11 de la Constitution. En outre, dans sa décision n° 2013‑681 DC du 5 décembre 2013, le Conseil a précisé que l’examen de la conformité de ces propositions de loi à l’article 40 de la Constitution est systématique, y compris lorsque la question de la recevabilité financière n’a pas été soulevée au préalable lors de la discussion parlementaire.

b) Les amendements

En pratique, les avis rendus par le président de la commission des finances en matière de recevabilité des amendements sont toujours suivis par le Président de l’Assemblée et par les présidents des commissions saisies au fond, bien qu’ils n’y soient pas tenus.

En commission

L’article 89, alinéa 2, du Règlement de l’Assemblée nationale prévoit que l’irrecevabilité est appréciée, pour les amendements déposés en commission, par le président de la commission concernée et, en cas de doute, par son bureau.

Le président de la commission saisie au fond peut consulter, s’il l’estime nécessaire, son homologue de la commission des finances.

En séance

Aux termes de l’article 89, alinéa 3, du Règlement de l’Assemblée nationale, le Président de l’Assemblée est tenu de refuser le dépôt d’un amendement en séance s’il apparaît que son adoption aurait pour effet de diminuer les ressources publiques ou de créer ou augmenter une charge publique. En cas de doute, il prend sa décision après avoir consulté le président de la commission des finances.

2. – Postérieurement au dépôt

Les dispositions de l’article 40 de la Constitution peuvent être opposées « à tout moment » au cours de la procédure législative, par le Gouvernement ou par tout député, aux propositions, y compris celles qui auraient été préalablement déclarées recevables par le Bureau de l’Assemblée, et aux amendements, ainsi qu’aux modifications apportées par les commissions aux textes dont elles sont saisies.

En pareil cas, il appartient au président de la commission des finances de se prononcer sur leur recevabilité (article 89, alinéa 4, du Règlement de l’Assemblée nationale). 

II. – Les principes généraux : champ d’application et base de référence

1. – Le champ d’application

L’article 40 de la Constitution, qui vise les ressources et les charges publiques, s’applique donc à l’État, aux collectivités territoriales, aux organismes de sécurité sociale (à l’exclusion des régimes complémentaires) et au régime d’assurance chômage.

Par extension, l’article 40 est applicable aux structures publiques bénéficiant de financements publics : établissements publics à caractère administratif, la plupart des établissements publics industriels et commerciaux. En revanche, les entreprises publiques se trouvent hors du champ d’application de l’article 40, de même que les organismes de formation professionnelle.

2. – La base de référence

La base de référence est le terme de comparaison choisi pour apprécier le caractère coûteux d’une initiative parlementaire, c’est-à-dire soit la perte de recettes qu’elle entraîne, soit la création ou l’aggravation de charge à laquelle elle procède.

Les bases de référence possibles sont les suivantes :

- le droit existant (en particulier les textes législatifs et réglementaires en vigueur) ;

- le droit proposé (texte en discussion) ;

- les différentes versions du texte en discussion précédemment adoptées par l’une des deux chambres

Le choix entre ces deux bases se fait toujours, par principe, dans le sens le plus favorable à l’initiative parlementaire.

Le droit proposé peut également résulter d’une intention du Gouvernement entendue comme un engagement sans équivoque, et clairement exprimée en commission ou en séance publique. Cette expression doit intervenir préalablement à l’examen de la recevabilité. L’exposé des motifs ou les études d’impact peuvent également être retenus comme une intention du Gouvernement.

III. – L’interdiction relative de diminuer des ressources publiques

L’article 40 de la Constitution prohibe la diminution des ressources publiques par une initiative parlementaire. L’emploi du pluriel a pour effet d’autoriser la compensation d’une perte de recettes par l’augmentation d’une autre recette.

Cette compensation, communément désignée sous le terme de « gage », conditionne la recevabilité d’un amendement ou d’une proposition de loi entraînant une perte de recettes. La compensation doit bénéficier à la collectivité ou à l’organisme qui subit la perte de recettes. En conséquence, il n’est, par exemple, pas possible de compenser une perte de ressources subie par l’État par une majoration des impôts perçus par les collectivités territoriales.

Le gage doit être réel et la recette qui en résulte doit pouvoir être effectivement perçue. Il est cependant admis que le gage puisse consister en la création d’un impôt nouveau ou en la majoration du taux d’un impôt existant, « à due concurrence » de la perte de recettes. Cette pratique facilite la rédaction des amendements. De fait, lors de la discussion en séance publique, le plus souvent, le Gouvernement « lève le gage » des amendements qu’il a décidé d’accepter ou auxquels il a renoncé à s’opposer.

IV. – L’interdiction absolue d’augmenter une charge publique

- L’article 40 de la Constitution est opposable à une initiative parlementaire qui crée ou aggrave une charge publique. L’emploi du singulier a pour effet d’interdire toute compensation : la création ou l’aggravation d’une charge ne peut être gagée, que ce soit par la création ou l’augmentation d’une recette ou par la suppression ou la diminution d’une charge. Ainsi, le fait que la création d’une charge nouvelle génère par ailleurs des économies plus que proportionnelles est sans effet au regard de l’article 40 : l’amendement ou la proposition de loi est irrecevable.

Sont regardées comme des charges les dépenses directes et certaines, mais également les dépenses éventuelles ou facultatives ; ainsi, sont irrecevables les amendements qui ouvrent une possibilité juridique de dépenser.

En revanche, ne sont pas irrecevables les simples charges de gestion, définies comme les mesures dont le coût pour les finances publiques pourrait manifestement être pris en charge par la mobilisation de moyens administratifs déjà existants, sans extension des missions des organismes concernés. Sont également toujours recevables les dispositions non normatives et celles demandant au Gouvernement de présenter un rapport au Parlement.

L’article 40 est donc d’une très grande sévérité en matière de dépenses, alors qu’il est en pratique moins contraignant pour l’initiative parlementaire s’agissant des recettes (cf. III).

- Depuis l’entrée en vigueur de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les conditions d’application de l’article 40 aux amendements portant sur les projets de loi de finances ont été précisées et assouplies.

L’article 47 de la LOLF dispose que, pour l’application de l’article 40, « la charge s’entend, s’agissant des amendements s’appliquant aux crédits, de la mission ». Les parlementaires peuvent donc proposer des mouvements de crédits entre les programmes d’une même mission sans augmenter le montant global de cette dernière. La base du droit d’amendement, qui s’exerçait auparavant au niveau du chapitre budgétaire, a donc été élargie. Cet assouplissement sensible ne concerne que les amendements relatifs aux crédits.

Les amendements de crédits doivent être précisément motivés, c’est-à-dire que tant l’augmentation des crédits d’un programme que la diminution des crédits d’un ou plusieurs autres programmes doivent être justifiées et faire l’objet d’une imputation précise.

- La loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale a prévu un régime similaire de recevabilité financière. Elle dispose notamment que « la charge s’entend, s’agissant des amendements aux projets de loi de financement de la sécurité sociale s’appliquant aux objectifs de dépenses, de chaque objectif de dépenses par branche ou de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie ». Les parlementaires peuvent donc présenter des amendements majorant le montant d’un ou plusieurs sous-objectifs inclus dans un objectif de dépenses, à condition de ne pas augmenter le montant de ce dernier, c’est-à-dire en minorant à due concurrence un ou plusieurs autres sous-objectifs.

V. – L’application des dispositions organiques aux initiatives parlementaires

1. – La loi organique relative aux lois de finances

Les amendements, quel que soit le texte auquel ils s’appliquent, doivent être conformes aux dispositions de la loi organique, en application du dernier alinéa de son article 47. Cette disposition a notamment pour effet de :

– préserver la spécificité des lois de finances en prévenant toute insertion, au sein de celles-ci, de dispositions étrangères à leur domaine ; ces dispositions, qualifiées de « cavaliers budgétaires », ne peuvent figurer en loi de finances. Sur ce fondement, ont par exemple été déclarés irrecevables des amendements relatifs aux relations entre une banque et ses clients ou modifiant une incrimination pénale ;

– protéger le domaine exclusif des lois de finances ; une loi « ordinaire » ne peut comporter aucune des dispositions que la LOLF réserve au domaine exclusif des lois de finances (par exemple, affectation au profit d’une autre personne morale d’une recette établie au profit de l’État).

La LOLF réaffirme la bipartition des lois de finances : toutes les dispositions ayant un impact sur l’équilibre général doivent figurer en première partie (relative aux recettes et à l'équilibre). Les dispositions ayant un effet sur un exercice ultérieur à celui auquel se rapporte le projet de loi de finances considéré ou concernant les taxes affectées non plafonnées ou la fiscalité locale figurent quant à elles en seconde partie (relative principalement aux dépenses). En conséquence, sous peine d’irrecevabilité, les amendements doivent être déposés sur la partie idoine.

2. – Les dispositions organiques relatives aux lois de financement de la sécurité sociale

Interdisant les « cavaliers sociaux », c’est-à-dire toutes les dispositions étrangères au domaine des lois de financement de la sécurité sociale, l’article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, tel que résultant de la loi organique du 2 août 2005 (LOLFSS), prévoit également la protection du domaine de ces lois spécifiques, notamment de leur domaine exclusif (par exemple, l’affectation à un tiers d’une recette exclusive des régimes sociaux).

Depuis 1971 et à intervalles irréguliers, plusieurs présidents de la commission des finances ont publié un rapport d’information présentant les conditions dans lesquelles ils ont mis en œuvre le contrôle de la recevabilité financière des initiatives parlementaires. Le dernier rapport en date est celui de M. Gilles Carrez (XIVe législature, n° 4546).